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Rapport sur l'Instruction Publique, les 10, 11 et 19 Septembre 1791: fait au nom du Comité de Constitution à l'Assemblée Nationale

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The Project Gutenberg eBook of Rapport sur l'Instruction Publique, les 10, 11 et 19 Septembre 1791

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Title: Rapport sur l'Instruction Publique, les 10, 11 et 19 Septembre 1791

Author: prince de Bénévent Charles Maurice de Talleyrand-Périgord

Release date: August 17, 2008 [eBook #26336]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK RAPPORT SUR L'INSTRUCTION PUBLIQUE, LES 10, 11 ET 19 SEPTEMBRE 1791 ***

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RAPPORT

SUR

L'INSTRUCTION PUBLIQUE,

FAIT

AU NOM DU COMITÉ DE CONSTITUTION

A L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

les 10, 11 et 19 Septembre 1791,

Par

M. DE TALLEYRAND-PÉRIGORD,

Ancien Évêque d'Autun.

Par ordre de l'Assemblée Nationale.


A PARIS,

DE L'IMPRIMERIE NATIONALE.

M. DCC. XCI.

THE FRENCH REVOLUTION RESEARCH COLLECTION

LES ARCHIVES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

MAXWELL

Headington Hill Hall, Oxford OX3 OBW, UK

TABLE DES MATIÈRES

RAPPORT.
ÉCOLES PRIMAIRES.
ÉCOLES DE DISTRICT.
ÉCOLES DE DÉPARTEMENT.
ÉCOLES POUR LES MINISTRES DE LA RELIGION.
ÉCOLES DE MÉDECINE.
ÉCOLES DE DROIT.
ÉCOLES MILITAIRES.
INSTITUT NATIONAL.
PROGRAMME DES SCIENCES PHILOSOPHIQUES.
PROGRAMME DES SCIENCES MATHEMATIQUES.
MOYENS D'INSTRUCTION.
RÉSUMÉ.
PROJET DE DÉCRETS SUR L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
ÉCOLES PRIMAIRES.
ÉCOLES DE DISTRICT.
DES PENSIONS GRATUITES.
ÉCOLES DE DÉPARTEMENT.
ÉCOLES DE MÉDECINE.
TABLEAU DE L'ENSEIGNEMENT
ÉCOLES POUR L'ENSEIGNEMENT DU DROIT.
ÉCOLES MILITAIRES.
INSTITUT NATIONAL. PROJET DE DÉCRETS.
TABLEAU DISTRIBUTION DES FONDS
DES BIBLIOTHÈQUES.
PRIX ET ENCOURAGEMENS
MÉTHODES
SPECTACLES.
FÊTES.
ÉDUCATION DES FEMMES.
DES COMMISSAIRES

DE

L'INSTRUCTION

PUBLIQUE.

RAPPORT

SUR

L'INSTRUCTION PUBLIQUE,

Fait au nom du Comité de Constitution, par M. de Talleyrand-Périgord, ancien Évêque d'Autun,

Administrateur du Département de Paris.


Les pouvoirs publics sont organisés: la liberté, l'égalité existent sous la garde toute-puissante des Lois; la propriété a retrouvé ses véritables bases; et pourtant la Constitution pourroit sembler incomplette, si l'on n'y attachoit enfin, comme partie conservatrice et vivifiante, l'Instruction publique, que sans doute on auroit le droit d'appeller un pouvoir, puisqu'elle embrasse un ordre de fonctions distinctes qui doivent agir sans relâche sur le perfectionnement du Corps Politique et sur la prospérité générale.

Nous ne chercherons pas ici à faire ressortir la nullité ou les vices innombrables de ce qu'on a nommé jusqu'à ce jour Instruction. Même sous l'ancien ordre de choses, on ne pouvoit arrêter sa pensée sur la barbarie de nos institutions, sans être effrayé de cette privation totale de lumières, qui s'étendoit sur la grande majorité des hommes; sans être révolté ensuite et des opinions déplorables que l'on jettoit dans l'esprit de ceux qui n'étoient pas tout-à-fait dévoués à l'ignorance, et des préjugés de tous les genres dont on les nourrissoit, et de la discordance, ou plutôt de l'opposition absolue qui existoit entre ce qu'un enfant étoit contraint d'apprendre, et ce qu'un homme étoit tenu de faire; enfin, de cette déférence aveugle et persévérance pour des usages dès long-temps surannés, qui, nous replaçant sans cesse à l'époque où tout le savoir étoit concentré dans les Cloîtres, sembloit encore, après plus de dix siècles, destiner l'universalité des Citoyens à habiter des Monastères.

Toutefois ces choquantes contradictions, et de plus grandes encore, n'auroient pas dû surprendre: elles devoient naturellement exister là où constitutionnellement tout étoit hors de sa place: où tant d'intérêts se réunissoient pour tromper, pour dégrader l'espèce humaine; où la nature du Gouvernement repoussoit les principes dans tout ce qui n'étoit pas destiné à flatter ses erreurs; où tout sembloit faire une nécessité d'apprendre aux hommes, dès l'enfance, à composer avec des préjugés, au milieu desquels ils étoient appellés à vivre et à mourir; où il falloit les accoutumer à contraindre leur pensée, puisque la Loi elle-même leur disoit avec menace qu'ils n'en étoient pas les maîtres; et où, enfin, une prudence pusillanime, qui osoit se nommer vertu, s'étoit fait un devoir de distraire leur esprit de ce qui pouvoit un jour leur rappeller des droits qu'il ne leur étoit pas permis d'invoquer: et telle avoit été, sous ces rapports, l'influence de l'opinion publique elle-même, qu'on étoit parvenu à pouvoir présenter à la jeunesse l'histoire des anciens Peuples libres, à échauffer son imagination par le récit de leurs héroïques vertus, à la faire vivre, en un mot, au milieu de Sparte et de Rome, sans que le pouvoir le plus absolu eut rien à redouter de l'impression que devoient produire ces grands et mémorables exemples. Aimons pourtant à rappeller que, même alors, il s'est trouvé des hommes dont les courageuses leçons sembloient appartenir aux plus beaux jours de la liberté: et, sans insulter à de trop excusables erreurs, jouissons avec reconnoissance des bienfaits de l'esprit humain, qui, dans toutes les époques, a su préparer, à l'insçu du despotisme, la révolution qui vient de s'accomplir.

Or si, à ces diverses époques, dont chaque jour nous sépare par de si grands intervalles, la simple raison, la saine philosophie ont pu réclamer, non seulement avec justice, mais souvent avec quelque espoir de succès, des changemens indispensables dans l'instruction publique; si, dans tous les temps, il a été permis d'être choqué de ce qu'elle n'étoit absolument en rapport avec rien, combien plus fortement doit-on éprouver le besoin d'une réforme totale dans un moment où elle est sollicitée à la fois, et par la raison de tous les Pays, et par la constitution particulière du nôtre.

Il est impossible, en effet, de s'être pénétré de l'esprit de cette constitution sans y reconnoître que tous les principes invoquent les secours d'une instruction nouvelle.

Forts de la toute-puissance nationale, vous êtes parvenus à séparer, dans le Corps politique, la volonté commune ou la faculté de faire des Lois, de l'action publique ou des divers moyens d'en assurer l'exécution; et c'est là qu'existera éternellement le fondement de la liberté politique: mais, pour le complément d'un tel système, il faut sans doute que cette volonté se maintienne toujours droite, toujours éclairée, et que les moyens d'action soient invariablement dirigés vers leur but: or ce double objet est évidemment sous l'influence directe et immédiate de l'instruction.

La Loi, rappellée enfin à son origine, est redevenue ce quelle n'eût jamais dû cesser d'être, l'expression de la volonté commune. Mais pour que cette volonté, qui doit se trouver toute dans les Représentans de la Nation, chargés par elle d'être ses organes, ne soit pas à la merci des volontés éparses ou tumultueuses de la multitude souvent égarée; pour que ceux de qui tout pouvoir dérive ne soient pas tentés, ni quant à l'émission de la Loi, ni quant à son exécution, de reprendre inconsidérément ce qu'ils ont donné, il faut que la raison publique, armée de toute la puissance de l'instruction et des lumières, prévienne ou réprime sans cesse ces usurpations individuelles, destructives de tout principe, afin que le parti le plus fort soit aussi, et pour toujours, le parti le plus juste.

Les hommes sont déclarés libres; mais ne sait-on pas que l'instruction aggrandit sans cesse la sphère de la liberté civile, et, seule, peut maintenir la liberté politique contre toutes les espèces de despotisme? Ne sait-on pas que, même sous la constitution la plus libre, l'homme ignorant est à la merci du Charlatan, et beaucoup trop dépendant de l'homme instruit; et qu'une instruction générale, bien distribuée, peut seule empêcher, non pas la supériorité des esprits qui est nécessaire, et qui même concourt au bien de tous, mais le trop grand empire que cette supériorité donneroit, si l'on condamnoit à l'ignorance une classe quelconque de la société? Celui qui ne sait ni lire, ni compter, dépend de tout ce qui l'environne: celui qui connoît les premiers élémens du calcul, ne dépendroit pas du génie de Newton, et pourroit même profiter de ses découvertes.

Les hommes sont reconnus égaux: et pourtant combien cette égalité de droits seroit peu sentie, seroit peu réelle, au milieu de tant d'inégalités de fait, si l'instruction ne faisoit sans cesse effort pour rétablir le niveau, et pour affoiblir du moins les funestes disparités qu'elle ne peut détruire!

Enfin, et pour tout dire, la constitution existeroit-elle véritablement, si elle n'existoit que dans notre code; si de-là elle ne jettoit ses racines dans l'âme de tous les Citoyens; si elle n'y imprimoit à jamais de nouveaux sentimens, de nouvelles mœurs, de nouvelles habitudes? Et n'est-ce pas à l'action journalière et toujours croissante de l'instruction, que ces grands changemens sont réservés?

Tout proclame donc l'instante nécessité d'organiser l'instruction: tout nous démontre que le nouvel état des choses, élevé sur les ruines de tant d'abus, nécessite une création en ce genre; et la décadence rapide et presque spontanée des établissemens actuels qui, dans toutes les parties du Royaume, dépérissent comme des plantes sur un terrein nouveau qui les rejette, annonce clairement que le moment est venu d'entreprendre ce grand ouvrage.

En nous livrant au travail qu'il demande, nous n'avons pu nous dissimuler un instant les difficultés dont il est entouré. Il en est de réelles, et qui tiennent à la nature d'un tel sujet. L'instruction est en effet un pouvoir d'une nature particulière. Il n'est donné à aucun homme d'en mesurer l'étendue; et la puissance nationale ne peut elle-même lui tracer des limites. Son objet est immense, indéfini: que n'embrasse-t-il pas? Depuis les élémens les plus simples des Arts, jusqu'aux principes les plus élevés du droit public et de la morale; depuis les jeux de l'enfance jusqu'aux représentations théâtrales et aux fêtes les plus imposantes de la Nation, tout ce qui, agissant sur l'âme peut y faire naître et y graver d'utiles ou de funestes impressions, est essentiellement de son ressort. Ses moyens, qui vont toujours en se perfectionnant, doivent être diversement appliqués suivant les lieux, le temps, les hommes, les besoins. Plusieurs sciences sont encore à naître; d'autres n'existent déjà plus; les méthodes ne sont point fixées; les principes des sciences ne peuvent l'être, les opinions moins encore; et, sous aucun de ces rapports, il ne nous appartient d'imposer des lois à la postérité. Tel est néanmoins le pouvoir qu'il faut organiser.

A côté de ces difficultés réelles, il en est d'autres plus embarrassantes peut-être, par la raison que ce n'est pas avec des principes qu'on parvient à les vaincre, et qu'il faut en quelque sorte composer avec elles. Celles-ci naissent d'une sorte de frayeur qu'éprouvent souvent les hommes les mieux intentionnés à la vue d'une grande nouveauté; toute perfection leur semble idéale; ils la redoutent presqu'à l'égal d'un système erroné, et souvent ils parviennent à la rendre impraticable, à force de répéter qu'elle l'est.

C'est à travers ces difficultés qu'il nous a fallu marcher; mais nous croyons avoir écarté les plus fortes, en réduisant extrêmement les principes, et en nous bornant à ouvrir toutes les routes de l'instruction, sans prétendre fixer aucune limite à l'esprit humain, aux progrès duquel on ne peut assigner aucun terme.

Quant aux autres difficultés, ceux qu'un trop grand changement effraye, ne tarderont pas à voir que, si nous avons tracé un plan pour chaque partie de l'instruction, c'est que dans la chose la plus pratique il falloit se tenir en garde contre les inconvéniens des principes purement spéculatifs; qu'il ne suffisoit pas de marquer le but, qu'il falloit aussi ouvrir les routes: mais en même temps nous avons pensé qu'il étoit nécessaire de laisser aux divers Départemens, qui connoîtront et ce qu'exigent les besoins, et ce que permettent les moyens de chaque lieu, à déterminer le moment où tel point en particulier pourra être réalisé avec avantage, comme aussi à le modifier dans quelques détails; car nous voulons que le passage de l'ancienne instruction à la nouvelle se fasse sans convulsion, et sur-tout sans injustice individuelle.

Pour nous tracer quelque ordre dans un sujet aussi vaste, nous avons considéré l'instruction sous les divers rapports qu'elle nous a paru présenter à l'esprit.

L'instruction en général a pour but de perfectionner l'homme dans tous les âges, et de faire servir sans cesse à l'avantage de chacun et au profit de l'association entière les lumières, l'expérience, et jusqu'aux erreurs des générations précédentes.

Un des caractères les plus frappans dans l'homme est la perfectibilité; et ce caractère, sensible dans l'individu, l'est bien plus encore dans l'espèce: car peut-être n'est-il pas impossible de dire de tel homme en particulier, qu'il est parvenu au point où il pouvoit atteindre, et il le sera éternellement de l'affirmer de l'espèce entière, dont la richesse intellectuelle et morale s'accroît sans interruption de tous les produits des siècles antérieurs.

Les hommes arrivent sur la terre, avec des facultés diverses, qui sont à-la-fois les instrumens de leur bien-être et les moyens d'accomplir la destinée à laquelle la société les appelle; mais ces facultés, d'abord inactives, ont besoin et du temps, et des choses, et des hommes pour recevoir leur entier développement, pour acquérir toute leur énergie; mais chaque individu entre dans la vie avec une ignorance profonde sur ce qu'il peut et doit être un jour; c'est à l'instruction à le lui montrer; c'est à elle à fortifier, à accroître ses moyens naturels de tous ceux que l'association fait naître, et que le temps accumule. Elle est l'art plus ou moins perfectionné de mettre les hommes en toute valeur, tant pour eux que pour leurs semblables; de leur apprendre à jouir pleinement de leurs droits, à respecter et remplir facilement tous leurs devoirs; en un mot, à vivre heureux et à vivre utiles; et de préparer ainsi la solution du problème, le plus difficile peut-être des sociétés, qui consiste dans la meilleure distribution des hommes.

On doit considérer en effet la Société, comme un vaste attelier. Il ne suffit pas que tous y travaillent; il faut que tous y soient à leur place, sans quoi il y a opposition de forces, au lieu du concours qui les multiplie. Qui ne sait qu'un petit nombre, distribué avec intelligence, doit faire plus et mieux qu'un plus grand, doué des mêmes moyens, mais différemment placé? La plus grande de toutes les économies, puisque c'est l'économie des hommes, consiste donc à les mettre dans leur véritable position: or il est incontestable qu'un bon système d'instruction est le premier des moyens pour y parvenir.

Comment le former ce système? Il sera sans doute, sous beaucoup de rapports, l'ouvrage du temps épuré par l'expérience; mais il est essentiel d'en accélérer l'époque. Il faut donc en indiquer les bases, et reconnoître les principes dont il doit être le développement progressif.

L'instruction peut être considérée comme un produit de là Société, comme une source de biens pour la Société; comme une source également féconde de biens pour les individus.

Et d'abord, il est impossible de concevoir une réunion d'hommes, un assemblage d'êtres intelligens, sans y appercevoir aussitôt des moyens d'instruction. Ces moyens naissent de la libre communication des idées, comme aussi de l'action réciproque des intérêts. C'est alors sur-tout qu'il est vrai, de dire que les hommes sont disciples de tout ce qui les entoure: mais ces élémens d'instruction, ainsi universellement répandus, ont besoin d'être réunis, combinés, et dirigés, pour qu'il en résulte un art, c'est-à-dire, un moyen prompt et facile de faire arriver à chacun, par des routes sûres, la part d'instruction qui lui est nécessaire. Dans une heureuse combinaison de ces moyens réside le vrai système d'instruction.

Sous ce premier point de vue, l'instruction réclame les principes suivans.

1º. Elle doit exister pour tous: car puisqu'elle est un des résultats, aussi bien qu'un des avantage de l'association, on doit conclure qu'elle est un bien commun des associés: nul ne peut donc en être légitimement exclus; et celui-là, qui a le moins de propriétés privées, semble même avoir un droit de plus pour participer à cette propriété commune.

2º. Ce principe se lie à un autre. Si chacun a le droit de recevoir les bienfaits de l'instruction, chacun a réciproquement le droit de concourir à les répandre: car c'est du concours et de la rivalité des efforts individuels que naîtra toujours le plus grand bien. La confiance doit seule déterminer les choix pour les fonctions instructives; mais tous les talens sont appellés de droit à disputer ce prix de l'estime publique. Tout privilège est, par sa nature, odieux: un privilège, en matière d'instruction, seroit plus odieux et plus absurde encore.

3º. L'instruction, quant à son objet, doit être universelle: car c'est alors qu'elle est véritablement un bien commun, dans lequel chacun peut s'approprier la part qui lui convient. Les diverses connoissances qu'elle embrasse, peuvent ne pas paroître également utiles; mais il n'en est aucune qui ne le soit véritablement, qui ne puisse le devenir davantage, et qui par conséquent doive être rejettée ou négligée. Il existe d'ailleurs entr'elles une éternelle alliance, une dépendance réciproque; car elles ont toutes, dans la raison de l'homme, un point commun de réunion, de telle sorte que nécessairement l'une s'enrichit et se fortifie par l'autre: de là il résulte que, dans une société bien organisée, quoique personne ne puisse parvenir à tout savoir, il faut néanmoins qu'il soit possible de tout apprendre.

4º. L'Instruction doit exister pour l'un et l'autre sexe; cela est trop évident: car, puisqu'elle est un bien commun, sur quel principe l'un des deux pourroit-il en être déshérité par la Société protectrice des droits de tous?

5º. Enfin elle doit exister pour tous les âges. C'est un préjugé de l'habitude de ne voir toujours en elle que l'institution de la jeunesse. L'instruction doit conserver et perfectionner ceux qu'elle a déjà formés: elle est d'ailleurs un bienfait social et universel; elle doit donc naturellement s'appliquer à tous les âges, si tous les âges en sont susceptibles: or qui ne voit qu'il n'en est aucun où les facultés humaines ne puissent être utilement exercées, où l'homme ne puisse être affermi dans d'heureuses habitudes, encouragé à faire le bien, éclairé sur les moyens de l'opérer: et qu'est-ce que tous ces secours, si ce n'est des émanations du Pouvoir instructif?

De ces principes qui ne sont, à proprement parler, que des conséquences du premier, naissent des conséquences ultérieures et déjà clairement indiquées.

Puisque l'Instruction doit exister pour tous, il faut donc qu'il existe des établissemens qui la propagent dans chaque partie de l'Empire, en raison de ses besoins, du nombre de ses habitans, et de ses rapports dans l'association politique.

Puisque chacun a le droit de concourir à la répandre, il faut donc que tout privilège exclusif sur l'Instruction soit aboli sans retour.

Puisqu'elle doit être universelle, il faut donc que la Société encourage, facilite tous les genres d'enseignement, et en même-temps qu'elle protège spécialement ceux dont l'utilité actuelle et immédiate sera le plus généralement reconnue et le plus appropriée à la constitution et aux mœurs nationales.

Puisque l'instruction doit exister pour chaque sexe, il faut donc créer promptement des écoles, et pour l'un, et pour l'autre; mais il faut aussi créer pour elles des principes d'instruction: car ce ne sont pas les écoles, mais les principes qui les dirigent, qu'il faut regarder comme les véritables propagateurs de l'instruction.

Enfin, puisqu'elle doit exister pour tous les âges, il faut ne pas s'occuper exclusivement, comme on l'a fait jusqu'à ce jour parmi nous, d'établissemens pour la jeunesse; il faut aussi créer, organiser des institutions d'un autre ordre qui soient pour les hommes de tout âge, de tout état, et dans les diverses positions de la vie, des sources fécondes d'instruction et de bonheur.

L'Instruction, considérée dans ses rapports avec l'avantage de la Société, exige, comme principe fondamental, qu'il soit enseigné à tous les hommes:

1º. A connoître la Constitution de cette Société;—2º. A la défendre;—3º. A la perfectionner;—4º. Et, avant tout, à se pénétrer des principes de la morale qui est antérieure à toute Constitution, et qui, plus qu'elle encore, est la sauve-garde et la caution du bonheur public.

De-là diverses conséquences relatives à la constitution Françoise.

Il faut apprendre à connoître la Constitution. Il faut donc que la Déclaration des droits et les principes constitutionnels composent à l'avenir un nouveau catéchisme pour l'enfance, qui sera enseigné jusques dans les plus petites écoles du Royaume. Vainement on a voulu calomnier cette Déclaration: c'est dans les droits de tous que se trouveront éternellement les devoirs de chacun.

Il faut apprendre à défendre la Constitution. Il faut donc que par-tout la jeunesse se forme, dans cet esprit, aux exercices militaires, et que par conséquent il existe un grand nombre d'écoles générales, où toutes les parties de cette science soient complettement enseignées: car le moyen de faire rarement usage de la force est de bien connoître l'art de l'employer.

Il faut apprendre à perfectionner la Constitution. En faisant serment de la défendre, nous n'avons pu renoncer, ni pour nos descendans, ni pour nous-mêmes, au droit et à l'espoir de l'améliorer. Il importeroit donc que toutes les branches de l'art social pussent être cultivées dans la nouvelle instruction; mais cette idée, dans toute l'étendue qu'elle présente à l'esprit, seroit d'une exécution difficile au moment où la Science commence à peine à naître. Toutefois il n'est pas permis de l'abandonner, et il faut du moins encourager tous les essais, tous les établissement partiels en ce genre, afin que le plus noble, le plus utile des arts ne soit pas privé de tout enseignement.

Il faut apprendre à se pénétrer de la morale, qui est le premier besoin de toutes les Constitutions. Il faut donc, non-seulement qu'on la grave dans tous les cœurs par la voie du sentiment et de la conscience, mais aussi qu'on l'enseigne comme une science véritable, dont les principes seront démontrés à la raison de tous les hommes, à celle de tous les âges. C'est par là seulement qu'elle résistera à toutes les épreuves. On a gémi long-temps de voir les hommes de toutes les nations, de toutes les religions, la faire dépendre exclusivement de cette multitude d'opinions qui les divisent. Il en est résulté de grands maux: car en la livrant à l'incertitude, souvent à l'absurdité, on l'a nécessairement compromise, on l'a rendue versatile et chancelante. Il est temps de l'asseoir sur ses propres bases; il est temps de montrer aux hommes que, si de funestes divisions les séparent, il est du moins dans la morale un rendez-vous commun où ils doivent tous se réfugier et se réunir. Il faut donc en quelque sorte la détacher de tout ce qui n'est pas elle, pour la rattacher ensuite à ce qui mérite notre assentiment et notre hommage, à ce qui doit lui prêter son appui. Ce changement est simple; il ne blesse rien; sur-tout il est possible. Comment ne pas voir en effet qu'abstraction faite de tout système, de toute opinion, et en ne considérant dans les hommes que leurs rapports avec les autres hommes, on peut leur enseigner ce qui est bon, ce qui est juste, le leur faire aimer, leur faire trouver du bonheur dans les actions honnêtes, du tourment dans celles qui ne le sont pas, former enfin de bonne heure leur esprit et leur conscience, et les rendre l'un et l'autre sensibles à la moindre impression de tout ce qui est mal. La nature a pour cela fait de grandes avances; elle a doué l'homme de la raison et de la compassion: par la première, il est éclairé sur ce qui est juste; par la seconde, il est attiré vers ce qui est bon: voilà le double principe de toute morale. Mais cette nouvelle partie de l'instruction, pour être bien enseignée, exige un ouvrage élémentaire, simple, à la fois clair et profond. Il est digne de l'Assemblée Nationale d'appeller sur un tel objet les veilles et les méditations de tous les vrais Philosophes.

L'instruction, comme source d'avantages pour les individus, demande que toutes les facultés de l'homme soient exercées; car c'est à leur exercice bien réglé qu'est attaché son bonheur, et c'est en les avertissant toutes, qu'on est sûr de décider la faculté distinctive de chaque homme.

Ainsi l'instruction doit s'étendre sur toutes les facultés, physiques, intellectuelles, morales.

Physiques. C'est une étrange bizarrerie de la plupart de nos éducations modernes de ne destiner au corps que des délassemens. Il faut travailler à conserver sa santé, à augmenter sa force, à lui donner de l'adresse, de l'agilité: car ce sont-là de véritables avantages pour l'individu. Ce n'est pas tout: ces qualités sont le principe de l'industrie, et l'industrie de chacun crée sans cesse des jouissances pour les autres. Enfin la raison découvre dans les différens exercices de la Gymnastique, si cultivée parmi les Anciens, si négligée parmi nous, d'autres rapports encore qui intéressent particulièrement la morale et la société. Il importe donc, sous tous les points de vue, d'en faire un objet capital de l'instruction.

Intellectuelles. Elles ont été divisées en trois classes: l'Imagination, la Mémoire et la Raison. A la première ont paru appartenir les beaux Arts et les Belles-Lettres; à la seconde, l'Histoire, les Langues; à la troisième, les Sciences exactes. Mais cette division déjà ancienne, et les classifications qui en dépendent, sont loin d'être irrévocablement fixées: déjà même elles sont regardées comme incomplettes et absolument arbitraires par ceux qui en ont soumis le principe à une analyse réfléchie; toutefois il n'y a nul inconvénient à les employer encore comme formant la dernière carte des connoissances humaines. L'essentiel est que, dans tous les établissemens complets, l'Instruction s'étende sur les objets qu'elles renferment, sans exclure aucun de ceux qui pourroient n'y être pas indiqués. C'est au temps à faire le reste.

Morales. On ne les a, jusqu'à ce jour, ni classées, ni définies, ni analysées; et peut-être une telle entreprise seroit-elle hors des moyens de l'esprit humain; mais on sait qu'il est un sens interne, un sentiment prompt, indépendant de toute réflexion, qui appartient à l'homme et paroît n'appartenir qu'à l'homme seul. Sans lui, ainsi qu'il a été déjà dit, on peut connoître le bien; par lui seul on l'affectionne, et l'on contracte l'habitude de le pratiquer sans efforts. Il est donc essentiel d'avertir, de cultiver, et sur-tout de diriger de bonne heure une telle faculté, puisqu'elle est en quelque sorte le complément des moyens de vertu et de bonheur.

En rapprochant les divers points de vue sous lesquels nous avons considéré l'instruction, nous en avons déduit les règles suivantes sur la répartition de l'enseignement.

Il doit exister pour tous les hommes une première instruction commune à tous. Il doit exister pour un grand nombre une instruction qui tende à donner un plus grand développement aux facultés, et éclairer chaque élève sur sa destination particulière. Il doit exister pour un certain nombre une instruction spéciale et approfondie, nécessaire à divers états dont la Société doit retirer de grands avantages.

La première instruction seroit placée dans chaque canton, ou plus exactement, dans chaque division qui renferme une assemblée primaire; la seconde, dans chaque District; la troisième, répondroit à chaque Département; afin que par-là chacun put trouver, ou chez soi, ou autour de soi, tout ce qu'il lui importe de connoître.

De-là une distribution graduelle, une hiérarchie instructive correspondante à la hiérarchie de l'administration.

Cette distribution ne doit pas au reste être purement topographique. Il faut que l'instruction s'allie le plus possible au nouvel état des choses, et qu'elle présente, dans ces diverses gradations, des rapports avec la nouvelle constitution. Voici l'idée que nous nous en sommes faite.

Près des Assemblées primaires qui sont les unités du Corps politique, les premiers élémens nationaux, se place naturellement la première école, l'école élémentaire. Cette école est pour l'enfance, et ne doit comprendre que des documens généraux, applicables à toutes les conditions. C'est au moment où les facultés intellectuelles annoncent l'être qui sera doué de la raison, que la Société doit en quelque sorte introduire un enfant dans la vie sociale, et lui apprendre à la fois ce qu'il faut pour être un jour un bon citoyen et pour vivre heureux. On ne sait encore quelle place il occupera dans cette société; mais on sait qu'il a le droit d'y être bien et d'aspirer à en être un jour un membre utile; il faut donc lui faire connoître ce qui est nécessaire et pour l'un et pour l'autre.

Au-dessus des Assemblées primaires s'élèvent, dans la hiérarchie administrative, celles de District, dont les fonctions sont presque toutes préparatoires, et dont les membres se composent d'un petit nombre pris dans ces Assemblées primaires: de même aussi au-delà des premières écoles seront établies dans chaque District, des écoles moyennes ouvertes à tout le monde, mais destinées néanmoins, par la nature des choses, à un petit nombre seulement d'entre les élèves des écoles primaires. On sent en effet qu'au sortir de la première instruction, qui est la portion commune du patrimoine que la Société répartit à tous, le grand nombre, entraîné par la loi du besoin, doit prendre sa direction vers un état promptement productif; que ceux qui sont appellés par la nature à des professions mécaniques, s'empresseront, (sauf quelques exceptions) à retourner dans la maison paternelle, ou à se former dans des atteliers; et que ce seroit une véritable folie, une sorte de bienfaisance cruelle, de vouloir faire parcourir à tous, les divers dégrés d'une instruction inutile et par conséquent nuisible au plus grand nombre. Cette seconde instruction sera donc pour ceux qui, n'étant appellés, ni par goût, ni par besoin, à des occupations mécaniques, ou aux fonctions de l'agriculture, aspirent à d'autres professions, ou cherchent uniquement à cultiver, à orner leur raison et à donner à leurs facultés un plus grand développement. Là, n'est donc pas encore la dernière instruction: car le choix d'un état n'est point fait. Il s'agit seulement de s'y disposer; il s'agit de reconnoître, dans le développement prompt de celle des facultés qui semble distinguer chaque individu, l'indication du vœu de la nature pour le choix d'un état préférablement à tout autre. D'où il suit que cette instruction doit présenter un grand nombre d'objets, et néanmoins qu'aucun de ces objets ne doit être trop approfondi, puisque ce n'est encore là qu'un enseignement préparatoire.

Enfin, dans l'échelle administrative se trouve placée au sommet l'administration de Département, et à ce degré d'administration doit correspondre le dernier degré de l'Instruction, qui est l'Instruction nécessaire aux divers états de la Société. Ces états sont en grand nombre; mais on doit ici les réduire beaucoup: car il ne faut un établissement national que pour ceux dont la pratique exige une longue théorie, et dans l'exercice desquels les erreurs seroient funestes à la Société. L'état de Ministre de la religion, celui d'Homme de loi, celui de Médecin, qui comprend l'état de Chirurgien, enfin, celui de Militaire: voilà les états qui présentent ce caractère. Ce dernier même semblerait d'abord pouvoir ne pas y être compris, par la raison que, dans plusieurs de ses parties, il peut être utilement exercé dès le jour même qu'on s'y destine, mais comme il y en a de très-multipliées qui demandent une instruction profonde; comme il importe au salut de tous que, dans l'art difficile d'employer et de diriger la force publique, nous ne soyons inférieurs à aucune autre Puissance; comme enfin, d'après nos principes constitutionnels chacun est appellé, à remplir des fonctions militaires, il nous a semblé qu'il étoit nécessaire de le comprendre aussi dans la classe des états auxquels la Société destinera des établissemens particuliers.

Par là répondront aux divers degrés de la hiérarchie administrative les différentes gradations de l'Instruction publique; et de même qu'au-delà de toutes les administrations, se trouve placé le premier organe de la Nation, le Corps législatif, investi de toute la force de la volonté publique; ainsi, tant pour le complément de l'Instruction, que pour le rapide avancement de la science, il existera dans le chef-lieu de l'Empire, et comme au faîte de toutes les Instructions, une École plus particulièrement nationale, un Institut universel qui, s'enrichissant des lumières de toutes les parties de la France, présentera sans cesse la réunion des moyens les plus heureusement combinés pour l'enseignement des connoissances humaines et leur accroissement indéfini. Cet institut, placé dans la Capitale, cette patrie naturelle des arts, au milieu des grands modèles de tous les genres qui honorent la Nation, nous a paru correspondre, sous plus d'un rapport dans la hiérarchie instructive, au Corps législateur lui-même, non qu'il puisse jamais s'arroger le droit d'imposer des lois ou d'en surveiller l'exécution, mais parce que, se trouvant naturellement le centre d'une correspondance toujours renouvellée avec tous les Départemens, il est destiné, par la force des choses, à exercer une sorte d'empire, celui que donne une confiance toujours libre et toujours méritée; que, réunissant des moyens dont l'ensemble ne peut se trouver que là, il deviendra, par le privilège légitime de la supériorité, le propagateur des principes et le véritable législateur des méthodes; qu'à l'instar du Corps législatif, ses membres seront aussi l'élite des hommes instruits de toutes les parties de la France, et que les élèves eux-mêmes, dont la première éducation distinguée par des succès méritera d'être perfectionnée pour le plus grand bien de la Nation, étant choisis dans chaque Département pour être envoyés à cette École, ainsi qu'il sera expliqué ci-après, seront, en vertu d'un tel choix, comme les jeunes Députés, si non encore de la confiance, au moins de l'espérance nationale.

Cette hiérarchie ainsi exposée, il paroîtroit naturel de passer à l'indication des objets et des moyens d'instruction, pour chacun des degrés que nous venons de marquer; mais auparavant, il est une question à résoudre et sur laquelle les bons esprits eux-mêmes sont partagés; c'est celle qui regarde la gratuité de l'Instruction.

Il doit exister une Instruction gratuite: le principe est incontestable; mais jusqu'à quel point doit-elle être gratuite? sur quels objets seulement doit-elle l'être? quelles sont, en un mot, les limites de ce grand bienfait de la Société envers ses membres?

Quelque difficulté semble d'abord obscurcir cette question. D'une part, lorsqu'on réfléchit sur l'organisation sociale et sur la nature des dépenses publiques, on ne se fait pas tout de suite à l'idée qu'une Nation puisse donner gratuitement à ses membres, puisque, n'existant que par eux, elle n'a rien qu'elle ne tienne d'eux. D'autre part, le Trésor national ne se composant que des contributions dont le prélèvement est toujours douloureux aux individus, on se sent naturellement porté à vouloir en restreindre l'emploi, et l'on regarde comme une conquête tout ce qu'on s'abstient de payer au nom de la Société.

Des réflexions simples fixeront sur ce point les idées.

Qu'on ne perde pas de vue qu'une Société quelconque, par cela même qu'elle existe, est soumise à des dépenses générales, ne fut-ce que pour les frais indispensables de toute association: de-là résulte la nécessité de former un fonds à l'aide des contributions particulières.

De l'emploi de ce fonds naissent, dans une Société bien ordonnée, par un effet de la distribution et de la séparation des travaux publics, d'incalculables avantages pour chaque individu, acquis à peu de frais par chacun d'eux.

Ou plutôt la contribution, qui semble d'abord être une atteinte à la propriété, est, sous un bon régime, un principe réel d'accroissement pour toutes les propriétés individuelles.

Car chacun reçoit en retour le bienfait inestimable de la protection sociale qui multiplie pour lui les moyens, et par conséquent les propriétés: et de plus, délivré d'une foule de travaux auxquels il n'auroit pu se soustraire, il acquiert la faculté de se livrer, autant qu'il le désire, à ceux qu'il s'impose lui-même, et par-là de les rendre aussi productifs qu'ils peuvent l'être.

C'est donc à juste titre que la Société est dite accorder gratuitement un bienfait, lorsque, par le secours de contributions justement établies et impartialement réparties, elle en fait jouir tous ses membres, sans qu'ils soient tenus d'aucune dépense nouvelle.

Reste à déterminer seulement dans quel cas et sur quel principe elle doit appliquer ainsi une partie des contributions; car, sans approfondir la théorie de l'impôt, on sent qu'il doit y avoir un terme, passé lequel, les contributions seroient un fardeau dont aucun emploi ne pourroit ni justifier, ni compenser l'énormité. On sent aussi que la Société, considérée en corps, ne peut ni tout faire, ni tout ordonner, ni tout payer, puisque, s'étant formée principalement pour assurer et étendre la liberté individuelle, elle doit habituellement laisser agir plutôt que faire elle-même.

Il est certain qu'elle doit d'abord payer ce qui est nécessaire pour la défendre et la gouverner, puisqu'avant tout, elle doit pourvoir à son existence.

Il ne l'est pas moins qu'elle doit payer ce qu'exigent les diverses fins pour lesquelles elle existe, par conséquent ce qui est nécessaire pour assurer à chacun sa liberté et sa propriété; pour écarter des associés une foule de maux auxquels ils seroient sans cesse exposés hors de l'état de société; enfin, pour les faire jouir des biens publics qui doivent naître d'une bonne association: car voilà les trois fins pour lesquelles toute Société s'est formée; et, comme il est évident que l'Instruction tiendra toujours un des premiers rangs parmi ces biens, il faut conclure que la Société doit aussi payer tout ce qui est nécessaire pour que l'Instruction parvienne à chacun de ses membres.

Mais s'en suit-il de-là que toute espèce d'Instruction doive être accordée gratuitement à chaque individu? Non.

La seule que la Société doive avec la plus entière gratuité, est celle qui est essentiellement commune à tous, parce qu'elle est nécessaire à tous. Le simple énoncé de cette proposition en renferme la preuve: car il est évident que c'est dans le trésor commun que doit être prise la dépense nécessaire pour un bien commun; or l'Instruction primaire est absolument et rigoureusement commune à tous, puisqu'elle doit comprendre les élémens de ce qui est indispensable, quelqu'état que l'on embrasse. D'ailleurs, son but principal est d'apprendre aux enfans à devenir un jour des citoyens. Elle les initie en quelque sorte dans la Société, en leur montrant les principales lois qui la gouvernent, les premiers moyens pour y exister: or n'est-il pas juste qu'on fasse connoître à tous gratuitement ce que l'on doit regarder comme les conditions mêmes de l'association dans laquelle on les invite d'entrer? Cette première instruction nous a donc paru une dette rigoureuse de la Société envers tous. Il faut qu'elle l'acquitte sans aucune restriction.

Quant aux diverses parties d'Instruction qui seront enseignées dans les Écoles de District et de Département, ou dans l'Institut, comme elles ne sont point en ce sens communes à tous, quoiqu'elles soient accessibles à tous, la Société n'en doit nullement l'application gratuite à ceux qui librement voudront les apprendre. Il est bien vrai que, puisqu'il doit en résulter un grand avantage pour la Société, elle doit pourvoir à ce qu'elles existent. Elle doit par conséquent se charger envers les Instituteurs de la part rigoureusement nécessaire de leur traitement, en sorte, que dans aucun cas, leur existence et le sort de l'établissement ne puissent être compromis; elle doit organisation, protection, même secours à ces divers établissemens: elle doit faire, en un mot, tout ce qui sera nécessaire pour que l'enseignement y soit bon, qu'il s'y perpétue et qu'il s'y perfectionne; mais comme ceux qui fréquenteront ces Écoles, en recueilleront aussi un avantage très-réel, il est parfaitement juste qu'ils supportent une partie des frais, et que ce soit eux qui ajoutent à l'existence de leurs Instituteurs les moyens d'aisance qui allégeront leurs travaux, et qui s'accroîtront par la confiance qu'ils auront inspirée. Il ne conviendroit, sous aucun rapport, que la Société s'imposât la loi de donner pour rien les moyens de parvenir à des états qui, en proportion du succès, doivent être très-productifs pour celui qui les embrasse.

A ces motifs de raison et de justice s'unissent de grands motifs de convenance. On a pu mille fois remarquer que, parmi la foule d'Élèves que la vanité des parens jettoit inconsidérément dans nos anciennes Écoles ouvertes gratuitement à tout le monde, un grand nombre, parvenus à la fin des études qu'on y cultivoit, n'en étoient pas plus propres aux divers états dont elles étoient les préliminaires, et qu'ils n'y avoient gagné qu'un dégoût insurmontable pour les professions honorables et dédaignées auxquelles la nature les avoient appellés; de telle sorte qu'ils devenoient des êtres très-embarrassans dans la Société. Maintenant qu'il y aura une rétribution quelconque à donner, qui stimulera à-la-fois le Professeur et l'élève, il est clair que les parens ne seront plus tentés d'être les victimes d'une vanité mal entendue, et que par-là l'agriculture et les métiers, dont un sot orgueil éloignoit sans cesse, reprendront et conserveront tous ceux qui sont véritablement destinés à les cultiver.

Mais si la Nation n'est point obligée, si même elle n'a pas le droit de s'imposer de telles avances, il est une exception honorable qu'elle est tenue de consacrer: c'est celle que la nature elle-même semble avoir faite en accordant le talent. Destiné à être un jour le bienfaiteur de la Société, il faut que, par une reconnoissance anticipée, il soit encouragé par elle; qu'elle le soigne, qu'elle écarte d'autour de lui tout ce qui pourroit arrêter ou retarder sa marche; il faut que, quelque part qu'il existe, il puisse librement parcourir tous les degrés de l'Instruction; que l'Élève des Écoles primaires qui a manifesté des dispositions précieuses qui l'appellent à l'École supérieure, y parvienne aux dépens de la Société, s'il est pauvre; que de l'École de District, lorsqu'il s'y distinguera, il puisse s'élever sans obstacle, et encore à titre de récompense à l'École plus savante du Département, et ainsi de degré en degré et par un choix toujours plus sévère, jusqu'à l'Institut national.

Par-là aucun talent véritable ne se trouvera perdu ni négligé, et la Société aura entièrement acquitté sa dette. Mais on sent qu'un tel bienfait ne doit pas être prodigué, soit parce qu'il est pris sur la fortune publique dont on doit se montrer avare, soit aussi parce qu'il est dangereux de trop encourager les demi-talens.

Ainsi, la gratuité de l'Instruction s'étendra jusqu'où elle doit s'étendre: elle aura pourtant encore des bornes; mais ces bornes sont indiquées par la raison: il étoit nécessaire de les poser.

Toute la question sur l'Instruction gratuite se résume donc en fort peu de mots.

Il est une Instruction absolument nécessaire à tous. La Société la doit à tous: non-seulement elle en doit les moyens, elle doit aussi l'application de ces moyens.

Il est une instruction qui, sans être nécessaire à tous, est pourtant nécessaire dans la Société en même-temps qu'elle est utile à ceux qui la possèdent. La Société doit en assurer les moyens; mais c'est aussi aux individus qui en profitent, à prendre sur eux une partie des frais de l'application.

Il est enfin une Instruction qui, étant nécessaire dans la Société, paroît lui devoir être beaucoup plus profitable, si elle parvient à certains individus qui annoncent des dispositions particulières. La Société, pour son intérêt autant que pour sa gloire, doit donc à ces individus, non pas seulement l'existence des moyens d'Instruction, mais encore tout ce qu'il faut pour qu'ils puissent en faire usage.

Ces principes une fois posés, leur vérité sentie, leur nécessité reconnue, il faut passer à l'application, et organiser ces Institutions diverses que nous n'avons fait qu'indiquer. Cette organisation doit comprendre à-la-fois et les objets et les moyens d'Instruction pour chacune d'elles; ce qui est nécessaire pour qu'elles existent, pour qu'elles soient utiles, pour qu'elles se perpétuent, pour qu'elles s'améliorent.


Avant d'entrer dans l'organisation des établissemens d'instruction, j'observe qu'il ne sera point nécessaire, que peut-être même, à raison de l'insuffisance des moyens dans quelques Départemens, il seroit dangereux que cette organisation, prise dans son ensemble, s'établit tout-à-coup dans tout le Royaume; car c'est sur-tout en matière d'instruction qu'il faut que chaque établissement soit provoqué par le besoin, par l'opinion, par la confiance. Il faut que tout arrive, mais que tout arrive à temps.

J'observe aussi que des inégalités inévitables entre les Départemens doivent rompre, dans quelques points, cette uniformité de plan que nous avons tracée: ainsi, lorsqu'au jugement de l'Administration supérieure du lieu, on ne pourra dans un Département, dans un District, et même dans un canton, réunir le nombre d'Instituteurs nécessaires, ou que d'autres localités présenteront des obstacles à la formation d'un établissement d'instruction, il faudra, pour que tout marche, pour que sur-tout il n'y ait point de lacune dans l'instruction publique, que chacune de ces sections puisse s'associer à une section correspondante pour le genre d'enseignement qui lui est attribué. De-là résulteront de nouveaux liens entre tous les Départemens du Royaume et entre toutes les subdivisions de chaque Département. Ce que nous présentons ici aux différens Départemens est donc moins ce qu'ils sont tenus de faire aujourd'hui, que ce qu'ils doivent préparer, que ce qu'ils doivent commencer aussitôt qu'ils en auront rassemblé les moyens.

Nous nous sommes assurés que Paris étoit en état, avoit même besoin de recevoir toutes ces institutions nouvelles; il est instant de les y établir, afin que toutes les parties du Royaume voyent promptement en activité un modèle dont chacun, suivant sa localité, pourra se rapprocher. En vous présentant un plan général d'organisation, il a donc été naturel, presque nécessaire, que nous en fissions l'application directe à ce Département.

Ces observations par lesquelles nous nous sommes interrompus, en quelque sorte, nous-mêmes, mais qu'il étoit peut-être indispensable de faire, nous ramènent avec plus de sécurité au développement de nos idées.

ÉCOLES PRIMAIRES.

Jusqu'à l'âge de six à sept ans, l'Instruction publique ne peut guère atteindre l'enfance: ses facultés sont trop foibles, trop peu développées: elles demandent des soins trop particuliers, trop exclusifs. Jusqu'alors il a fallu la nourrir, la soigner, la fortifier, la rendre heureuse: c'est le devoir des mères. L'Assemblée Nationale, loin de contrarier en cela le vœu de la nature, le respectera, au point de s'interdire toute Loi à cet égard: elle pensera qu'il suffit de les rappeller à ces fonctions touchantes par le sentiment même de leur bonheur, et de consacrer, par le plus éclatant suffrage, les immortelles leçons que leur a données l'Auteur d'Émile.

Mais à-peu-près vers l'âge de sept ans, un enfant pourra être admis aux Écoles primaires. Nous disons admis, pour écarter toute idée de contrainte. La Nation offre à tous le grand bienfait, de l'Instruction; mais elle ne l'impose à personne. Elle sait que chaque famille est aussi une École primaire, dont le père est le chef; que ses instructions, si elles sont moins énergiques, sont aussi plus persuasives, plus pénétrantes; qu'une tendresse active peut souvent suppléer à des moyens dont l'ensemble n'existe que dans une instruction commune: elle pense, elle espère que les vrais principes pénétreront insensiblement, de ces nombreuses institutions, dans le sein des familles, et en banniront les préjugés de tout genre qui corrompent l'éducation domestique: elle respectera donc des éternelles convenances de la Nature qui, mettant sous la sauve-garde de la tendresse paternelle le bonheur des enfans, laisse au père le soin de prononcer sur ce qui leur importe davantage jusqu'au moment où, soumis à des devoirs personnels, ils ont le droit de se décider eux-mêmes. Elle se défendra des erreurs de cette République austère qui, pour établir une éducation strictement nationale, osa d'abord ravir le titre de Citoyen à la majorité de ses Habitans, qu'elle réduisit à la plus monstrueuse servitude, et se vit ensuite obligée de briser tous les liens des familles, tous les droits de la paternité, par des Lois contre lesquelles s'est soulevée dans tous les temps la voix de la nature; elle saura atteindre au même but, mais par des voies légitimes; elle apprendra, elle inculquera de bonne heure aux enfans qu'ils ne sont pas destinés à vivre uniquement pour eux; que bientôt ils vont faire partie intégrante d'un tout auquel ils doivent leurs sentimens et souvent leurs volontés; et qu'un intérêt qui n'est qu'individuel, par-là même qu'il isole l'homme, le dégrade et détruit pour lui tout droit aux avantages que dispense la société: enfin elle se contentera d'inviter les parens, au nom de l'intérêt public, à envoyer leurs enfans à l'instruction commune, comme à la source des plus pures leçons, et au véritable apprentissage de la vie sociale.

Cette instruction première, nous l'avons dit, est la dette véritable de la Société envers ses Membres; elle doit donc comprendre des documens généraux, nécessaires à tous, et dont l'ensemble puisse être regardé comme l'introduction de l'enfance dans la Société. Ce caractère nous a paru désigner les objets suivans.

1º. Les principes de la langue nationale, soit parlée, soit écrite: car le premier besoin social est la communication des idées et des sentimens. Les règles élémentaires du calcul seront placées presque au même rang, puisque le calcul est aussi une langue abrégée dont les rapports inévitables de la Société rendent à tous l'usage nécessaire. Il y faut joindre celles du toisé qui est l'application du calcul à la mesure des héritages et des bâtimens, objets de l'intérêt journalier des Citoyens, et par rapport auxquels des lumières générales peuvent prévenir ou terminer la plupart des contestations qui les divisent.

2º. Les élémens de la Religion: car si c'est un malheur de l'ignorer, c'en est un plus grand peut-être de la mal connoître.

3º. Les principes de la morale: car elle est à la fois, et pour tous, le bonheur de l'âme, le supplément nécessaire des Lois, et la caution véritable des hommes réunis par le besoin, et trop souvent divisés par l'intérêt.

4º. Les principes de la Constitution: car on ne peut trop-tôt faire connoître et, trop-tôt faire apprécier cette Constitution sous laquelle on doit vivre, et que bientôt on doit jurer de défendre au péril de sa vie.

5º. Ce que demandent à cet âge les facultés physiques, intellectuelles et morales.—Physiques, c'est-à-dire, des leçons ou plutôt des exercices propres à conserver, à fortifier, à développer le corps, et à le disposer pour l'avenir à quelque travail mécanique. Il faut, de bonne heure, leur apprendre quelques principes du dessin, de l'arpentage; leur donner le coup-d'œil juste, la main sûre, les habitudes promptes: car ce sont là des élémens pour tous les métiers, et des moyens d'économiser le temps: tout cela est donc nécessaire, tout cela l'est pour tous, et l'on ne peut trop faire sentir aux enfans, quels qu'ils soient, que le travail est le principe de toute chose; que nul n'est tenu de travailler pour un autre, et qu'on n'est complettement libre qu'autant qu'on ne dépend pas d'autrui pour subsister.—Intellectuelles. Nous avons vu plus haut qu'on les avoit divisées en trois; la raison, la mémoire, l' imagination. Ce n'est pas encore le moment d'exercer cette dernière faculté: car elle est presque nulle dans l'enfance; elle tient à une sensibilité qui n'est pas de cet âge, et elle a besoin, pour exister, d'une réunion d'idées, de sensations, de souvenirs qui supposent quelque expérience dans la vie; mais il est nécessaire d'offrir à leur raison, non les hautes sciences qui la fatigueroient sans l'éclairer, mais la clef de toutes les sciences, c'est-à-dire, une logique pour leur âge; car il en est une. Leur raison n'est pas forte; mais elle est pure; mais elle est libre; ils ne voyent pas loin; mais ils voyent communément juste; ils voyent du moins ce qui est, en attendant qu'on leur montre ce qui doit être, et l'on est souvent étonné de tout le raisonnement qu'ils mettent dans ce qui les intéresse. La logique est bien plus à leur portée que la métaphysique des langues que néanmoins on se tourmente à leur faire entendre: et enfin il est parfaitement constitutionnel de leur apprendre de bonne heure qu'ils sont destinés à obéir à la raison, à la Loi, mais à n'obéir qu'à elles.—Il faut offrir à leur mémoire la partie des connoissances élémentaires, soit géographiques, soit historiques, soit botaniques, qui leur feront aimer davantage la patrie et chérir le lieu qui les a vu naître. Il en est d'autres qui, sans doute, orneroient leur mémoire, mais qu'on doit regarder comme une sorte de luxe pour le grand nombre; et il faut ici se renfermer dans le strict nécessaire: or quoi de plus nécessaire aux yeux de la Société que les connoissances qui attachent de plus en plus à cette Société? Il est d'ailleurs indispensable de cultiver cette faculté des enfans, et parce que c'est celle qui amasse des matériaux pour la raison, et parce qu'elle ne peut être exercée avec succès que dans cet âge.—Enfin, les facultés morales. On ne peut ici rien déterminer; mais on sent que c'est avec un soin particulier, avec une attention délicate et continue, qu'on doit éveiller et entretenir, particulièrement dans l'enfance et dans tous les instans, ce sens précieux qui fait trouver un charme au bien que l'on fait, à celui que l'on voit faire, et qui imprime l'honnêteté dans l'âme par l'attrait même du plaisir.

Tels sont les divers points d'instruction qui seront enseignés dans les Écoles primaires. Que si le grand nombre des Élèves est tenu de s'arrêter à cette première instruction; si les travaux de l'agriculture et des arts appellent tel individu à d'autres leçons, du moins il aura appris ce qu'il lui sera éternellement nécessaire de savoir; son corps se sera utilement préparé au travail; son esprit aura acquis des idées saines, des connoissances premières, dont la trace ne s'effacera pas; son âme aura reçu, avec le germe des sentimens honnêtes, des actions vertueuses, ce qui doit servir à le développer; enfin, il sera désormais en état de s'approprier, par la réflexion, les inépuisables leçons qui vont découler de la seule existence du nouvel ordre des choses, comme aussi de tourner à son profit les institutions publiques dont il sera parlé bientôt, et qui seront le grand complément de l'instruction nationale.

ÉCOLES DE DISTRICT.

Les Écoles de District sont placées comme intermédiaires entre celles dont l'objet est nécessaire à tous, et les Écoles dont l'enseignement complet regarde uniquement ceux qui sont destinés à un des quatre états auxquels la Société consacre des établissemens particuliers.

Le but de ces Écoles est de donner aux facultés individuelles un plus grand développement, et de disposer de loin à toutes les fonctions utiles de la Société. Or ce double objet, qui intéresse si directement le bien particulier et l'avantage commun, se trouvera rempli par une instruction ordonnée de telle sorte, qu'elle ne sera que la suite et comme la progression naturelle de l'Instruction des Écoles primaires.

Ainsi, aux principes de la langue nationale succéderont, dans les Écoles de District, une théorie plus approfondie de l'art d'écrire et la connoissance de celles des langues anciennes qui conservent le plus de richesses pour l'esprit humain. On ajoutera, dans plusieurs de ces Écoles, l'enseignement d'une des langues vivantes que les relations locales ou nationales sembleront recommander davantage.

Aux simples élémens de la Religion, on joindra l'histoire de cette Religion et l'exposé des titres d'après lesquels elle commande la croyance.

Aux principes de la morale, dont l'application est si bonne dans le premier âge de la vie, le développement de la morale dans ses applications privées et publiques.

Aux principes de la Constitution, qui ne peuvent être qu'indiqués à des enfans, une exposition développée de la déclaration des droits et de l'organisation des divers pouvoirs.

Quant à ce qui concerne plus directement encore les facultés, un plus parfait développement leur sera donné de la manière suivante.

Facultés physiques. Au lieu des exercices de l'enfance, qui ne sont pour la plupart que des jeux, des exercices qui supposent et donnent à-la-fois de la force et de l'agilité, tels que la natation, l'escrime, l'équitation, et même la danse.

Intellectuelles. Au lieu d'une logique élémentaire et accommodée aux forces de l'esprit du premier âge, l'art du raisonnement dans toutes ses parties, avec l'indication des principales sources de nos erreurs. On offrira aussi la raison des Élèves les élémens des mathématiques, dont la méthode est le plus parfait modèle de l'art de raisonner; ceux de la physique qui, dans plusieurs de ses parties, est si étroitement liée aux mathématiques, et les premiers élémens de la chimie, qui sont reconnus maintenant pour être les véritables principes de la physique.—On offrira à leur mémoire, l'histoire des Peuples libres, l'histoire de France, ou plutôt des François, quand il en existera une, et des modèles de tout genre, soit parmi les anciens, soit parmi les modernes; mais en l'exerçant, en l'enrichissant, on se gardera de la fatiguer; car, à son tour, elle fatigueroit l'esprit et pourroit nuire au développement naturel des idées.—On offrira à leur imagination les règles et sur-tout les beautés de l'éloquence et de la poësie; les élémens de la musique et de la peinture; en un mot, le principe de ce qui l'émeut avec le plus de charme et de puissance.

Morales. Il est clair que ces facultés seront bien plus utilement exercées, bien plus facilement développées à l'âge où les sentimens commencent à se raisonner; car c'est à cette époque, sur-tout, que tous les moyens d'imprimer l'honnêteté ont une action forte sur l'homme. Mais il faudra que, par d'utiles institutions, cet exercice soit pratiqué entre les Élèves, de telle sorte que les rapports qui constituent la morale, deviennent des rapports réels qui s'étendent à leurs yeux, et s'agrandissent chaque jour davantage.

Ces divers points d'instruction vont se réaliser par un enseignement dont le plan s'écartera nécessairement de l'ancien.

Un des changemens principaux dans la distribution consistera à diviser en cours ce qui étoit divisé en classes; car la division par classe ne répond à rien, morcelle l'enseignement, asservit, tous les ans et pour le même objet, à des méthodes disparates, et par-là jette de la confusion dans la tête des jeunes gens. La division par cours est naturelle: elle sépare ce qui doit être séparé: elle circonscrit chacune des parties de l'enseignement: elle attache davantage le Maître à son Élève, et établit une sorte de responsabilité qui devient le garant du zèle des Instituteurs.

Nous graduerons, nous ordonnerons ces cours en raison de l'âge, et nous nous appliquerons à suivre dans leur distribution le progrès naturel des idées et des sensations de l'enfance. C'est cet ordre nécessaire que nous avons tâché d'indiquer.

Cette indication annonce suffisamment que l'Instruction des Districts, dès qu'elle sera organisée, atteindra le but auquel elle est destinée, celui de parler à toutes les facultés, et d'éclairer de bonne heure toutes les routes de la vie, de telle sorte que chaque Élève reconnoisse d'une manière sûre à quelle fin la nature l'appelle; car, s'il n'est aucun de ces documens généraux qu'on puisse dire étranger à un état quelconque, si même quelques-uns d'entre eux sont nécessaires à tous, il n'est pas moins sensible à la réflexion que chacun d'eux dispose plus naturellement à un état qu'à un autre, et qu'ensemble ils doivent être regardés comme le premier apprentissage de tous les divers états.

Jusqu'à présent nous n'avons présenté qu'un simple apperçu sur les deux premières Écoles. L'ordre de notre travail nous amènera bientôt au développement pratique des moyens dont la plupart sont applicables à toutes. Auparavant il faut connoître la division des objets qui formeront l'enseignement de la troisième.

ÉCOLES DE DÉPARTEMENT.

Chaque chef-lieu de Département contiendra d'abord l'École de District, puisqu'il offrira le même enseignement; mais il comprendra de plus, quoiqu'avec des différences sensibles, les Écoles nommées Écoles de Département, pour les états auxquels la Société réserve des moyens particuliers d'instruction.

Nous annonçons des différences, parce qu'il est impossible, comme je l'ai déjà observé, que par-tout, et sur-tout dans les commencemens, l'enseignement soit également complet, et que le bien public exigera qu'à l'égard de certains états, plusieurs Départemens s'associent pour un même enseignement; mais alors même la hiérarchie sera conservée, et chacun des Départemens concourra du moins à former des Écoles pour le dernier degré de l'instruction.

ÉCOLES

POUR LES MINISTRES DE LA RELIGION.

L'état de Ministre de la Religion est un de ceux auxquels la Nation destine des établissemens particuliers.

Celui où les Élèves trouveront l'instruction qui leur est nécessaire, sera placé, ainsi que vous l'avez ordonné, près de l'Église Cathédrale, et sous les yeux de l'Évêque. Nous n'en déterminons pas le nombre. Chaque Département aura le droit de se réunir en tout temps pour cette partie d'instruction à un Département voisin.

Quant à l'enseignement, il convient qu'il soit divisé de la manière suivante.

1º. Les titres fondamentaux de la Religion Catholique, qu'on sera tenu de puiser dans leur source.

2º. L'exposition raisonnée des divers articles que doit comprendre explicitement la croyance de chaque Fidèle.

3º. Le développement de la morale de l'Évangile.

4º. Les lois particulières aux Ministres du Culte Catholique.

5º. Les principes ainsi que les objets habituels de la Prédication.

6º. Les détails qui appartiennent à un Ministère de consolation et de paix, soit dans l'administration des Sacremens, soit dans le gouvernement des Paroisses.

En circonscrivant ainsi cet enseignement, vous usez d'un droit incontestable, celui de renfermer tous les genres de pouvoirs dans leurs véritables limites.

Je vais parcourir ces divers points d'instruction.—Qu'on ne s'étonne pas de trouver ici un langage qui ne peut être familier: c'est avec la sévérité et l'exactitude de ses propres expressions qu'un tel sujet doit être traité.

1º. C'est un principe catholique que la croyance est un don de Dieu; mais ce seroit étrangement abuser de ce principe que d'en conclure que la raison doit se regarder comme étrangère à l'étude de la religion: car elle est aussi un présent de la Divinité et le premier guide qui nous a été accordé par elle pour nous conduire dans nos recherches; et c'est à vous, sur-tout, qu'il appartient de la rétablir dans ses droits: or si, suivant les principes de la Religion catholique, la raison individuelle n'a pas le droit de se constituer juge de chaque article isolé de la foi, et sur-tout de pénétrer ses incompréhensibles mystères, il est non moins incontestable que c'est à la raison qu'il appartient de reconnoître les titres primordiaux de la Religion, les caractères distinctifs de l'Église: mais ces titres, ces caractères doivent nécessairement se trouver et dans le code de la révélation, et dans les monumens des premiers siècles de la Religion: la raison doit donc les chercher là comme à leur source. Que si chaque fidèle, pour être en état de rendre à la Religion cet hommage raisonnable qui seul est digne d'elle, doit examiner attentivement les titres de sa croyance, combien plus y est obligé le Ministre de la Religion, qui doit toujours être prêt à les opposer au doute ou à l'erreur? Cette partie de la théologie, qui en est en quelque sorte la partie philosophique, doit donc être complettement enseignée dans les Écoles où se formeront les Élèves du Sacerdoce, en même temps que les bons esprits travailleront à la perfectionner et à l'épurer par une grande sévérité dans le choix des preuves car, on l'a dit souvent, les mauvaises preuves en faveur de la Religion ont plus nui à la croyance publique que les plus fortes objections par lesquelles on s'est efforcé de la combattre.

2º. Dès que les titres de la Religion sont reconnus, que le fondement de la foi catholique repose sur une révélation divine, et qu'il est de principe que les points révélés nous sont transmis par une autorité toujours visible, il devient plus qu'inutile de se rengager dans des discussions interminables qui étoient l'aliment de l'ancienne théologie, et qui semblent remettre sans cesse en problème ce qui est déjà décidé. Il ne s'agit plus que de bien connoître ces objets révélés pour les présenter aux Peuples de la manière la plus propre à être saisie par leur intelligence. Une exposition raisonnée est donc tout ce qu'il faut pour le grand nombre des Ministres chargés de cette fonction. Peut-être même seroit-elle plus qu'il ne faut, si elle embrassoit l'universalité des points décidés; car, si l'Église catholique, dépositaire de la tradition, a dû s'élever, à diverses époques, contre toute altération du dogme ou de la morale évangélique; si ses décisions se sont multipliées avec les erreurs, il n'est pas moins vrai que le dépôt de la révélation n'a pas dû se grossir en traversant les siècles, et que les fidèles de nos jours ne sont pas tenus de croire davantage que ceux de l'Église des premiers siècles. L'exposition des points révélés, qui doit être enseignée à tout Élève du Sacerdoce, pour qu'il l'enseigne à son tour, peut donc être réduite à ce qu'il étoit nécessaire à tout chrétien de croire et de professer avant la naissance des hérésies; c'est-à-dire, à ce qui constitue la pratique journalière de la Religion. Chacun pourra sans doute, à son gré, étendre plus loin et ses recherches et ses études particulières: il lui sera libre de parcourir, s'il le veut, tous les canaux de la tradition, de charger son esprit ou sa mémoire des longs débats de la théologie, et de s'armer contre les plus anciennes erreurs de tous les argumens employés pour les combattre; mais aussi la Nation, qui retrouve, à chaque page de son histoire, la trace profonde des maux qu'ont enfantés tant de querelles religieuses, a le droit non moins incontestable de chercher à s'en défendre pour l'avenir, en écartant de l'enseignement public qu'elle protège, tout ce qui n'est pas indispensable à un Ministre de la Religion. La théologie d'ailleurs ne doit point être regardée comme une Science. Les Sciences sont susceptibles de progrès, d'expériences, de découvertes: la théologie, qui ne peut être que la connoissance de la Religion, est étrangère à tout cela; immuable comme elle, elle est comme elle ennemie de toute innovation. Il faut qu'elle soit aujourd'hui ce qu'elle étoit d'abord. On doit donc s'occuper, non pas à l'étendre, mais à la fixer, mais à la renfermer dans ses limites, que trop souvent d'ambitieuses subtilités s'efforcèrent de lui faire franchir dans des siècles d'ignorance. L'Assemblée Nationale, en même-temps qu'elle encourage les progrès des Sciences et les inventions de l'esprit humain, doit donc, par le même principe, s'opposer à toute extension de la théologie, à toute invasion des Théologiens: car, puisque la Religion commande à la pensée, c'est-à-dire, à ce qu'il y a de plus libre en nous, il est du devoir des fondateurs de la liberté publique de retirer de l'enseignement religieux, et tout ce qu'il est permis de ne pas croire, et tout ce qu'on a le droit d'ignorer. Concluons que l'Assemblée Nationale doit enjoindre à tous les Évêques, comme étant les premiers surveillans de la doctrine religieuse, de travailler avec leur conseil à réduire les objets dogmatiques, qui entreront dorénavant dans l'enseignement public des Ministres du culte, aux seuls points indispensables à l'instruction des fidèles, par conséquent à en bannir et les vaines opinions qui divisent les esprits, et les discussions oiseuses sur des articles dès long-temps décidés, et même aussi un développement trop étendu de ceux de ces articles qui ne font point partie essentielle de l'instruction des Peuples; de telle sorte que, du concours de ces travaux épuratoires, résulte enfin un enseignement complet, uniforme et réduit à ses véritables bornes.

3º. La morale évangélique est le plus beau présent que la Divinité ait fait aux hommes: c'est un hommage que la Nation françoise s'honore de lui rendre. On ne peut donc trop pénétrer de ses bienfaisantes maximes les Ministres de la Religion, pour qu'ils en nourrissent les Peuples qui leur seront confiés. Les principes de la morale naturelle leur auront été développés dans les Écoles précédentes: ils en seront d'autant plus disposés à en goûter la perfection dans l'évangile; car c'est-là qu'elle existe avec toute la force d'une sanction qui lui donne sur les âmes une puissance surnaturelle. L'Assemblée Nationale ne dictera point ici les règles d'un tel enseignement, quoiqu'elle ait le droit de s'affliger des vices des anciennes méthodes où l'onction évangélique disparoissoit sous la sécheresse des discussions: elle se borne à recommander cette réforme au nouveau clergé qui s'élève de toutes parts. Cependant, comme il lui appartient de reconnoître ce qui importe le plus au bien général de la Nation, elle peut et sans doute aussi elle doit ordonner que l'on s'attache sur-tout à enseigner aux Élèves du Sacerdoce la partie de la morale évangélique qui consacre en termes si énergiques la parfaite égalité des hommes, et cette indulgence religieuse que les philosophes eux-mêmes n'osoient appeler que tolérance, mais qui doit être un sentiment bien plus pur, bien plus fraternel, bien plus respectueux pour le malheur.

4º. Les lois sur l'organisation du Clergé forment tout le droit canonique. C'est-là que tout Ministre de la Religion doit s'instruire de ses droits, d'une partie de ses devoirs et de ses rapports avec la nouvelle organisation sociale. Ces lois nouvelles doivent donc faire partie essentielle des études ecclésiastiques.

5º. La prédication est une des fonctions ecclésiastiques qui appelle le plus l'attention des Législateurs. Il faut que, ramenée à son but, qui est de rendre les hommes meilleurs par les motifs que la Religion consacre, elle devienne ce qu'elle doit être; mais il faut aussi qu'elle ne puisse pas abuser de son influence, et que d'invincibles barrières s'opposent à ses écarts. Le premier objet sera le fruit de l'instruction; le second doit être l'ouvrage des lois. Jusqu'à ce jour les Écoles les plus célèbres n'étoient que des arènes dogmatiques: on y apprenoit longuement à devenir de vains et dangereux disputeurs; on dédaignoit d'y apprendre à être d'utiles propagateurs de la morale de l'évangile. Cela ne doit plus subsister. Les nouveaux Instituteurs des Écoles ecclésiastiques seront obligés de montrer à leurs Élèves les principes, les sources, les modèles, les objets, comme aussi l'extrême importance de la prédication; ils auront le courage d'enseigner avec persévérance ce qui est bon, ce qui est utile, et de n'enseigner que cela. Mais l'Assemblée Nationale ne peut borner là sa sollicitude: elle sait que la prédication est un des grands moyens que le fanatisme de tous les temps employa pour égarer les Peuples; elle la regarde comme une sorte de puissance, toujours redoutable, lorsqu'elle n'est pas bienfaisante; et dont par conséquent il importe de régler et de circonscrire l'action. Cet objet sera rempli, autant qu'il peut l'être, lorsque l'Assemblée Nationale aura déclaré que toute atteinte portée au respect dû à la loi dans l'exercice de cette fonction, sera mise au rang des plus graves délits. Et cela doit être; car quoi de plus criminel aux yeux d'une Nation, qu'un Fonctionnaire qui se sert de ce qu'il y a de plus saint pour exciter les Peuples à désobéir à ses lois.

6º. Dans le régime journalier des paroisses, dans l'administration des sacremens, il est une foule de détails qui échappent à l'indifférence, mais qui sont précieux à la piété. C'est par eux sur-tout que les Pasteurs se concilient cette tendre vénération, qui est la plus douce récompense de leur ministère. Il faut que rien de ce qui est propre à adoucir les souffrances, à consoler les malheureux, à prévenir les dissentions, à calmer les haines, soit étranger à un Ministre de la Religion; car ce sont des fonctions bien dignes d'elle. Ainsi, les règles de l'arpentage et du toisé, plus développées que dans les Écoles primaires, la connoissance des simples, quelques principes d'hygiène et quelques-uns de droit, etc. nous paroissent devoir faire dorénavant partie de l'instruction ecclésiastique. Il faut que la Religion, que les Peuples confondent si facilement avec ses interprètes, se montre toujours à eux ce qu'elle est véritablement, l'ouvrage sublime de la bonté divine; et en la voyant toujours attentive à leur bonheur, toujours consolatrice dans leurs peines, ils aimeront à en bénir l'Auteur, et à l'honorer par l'hommage et la pratique de toutes les vertus.

ÉCOLES DE MÉDECINE.

La Médecine vous demande aussi un établissement particulier.

C'est après avoir combiné ensemble les rapports de cette belle partie de la Physique avec l'homme, et les vices des anciennes méthodes d'enseignemens, et les vues particulières qui nous ont été communiquées par des hommes célèbres, que nous vous proposons avec confiance de régler l'enseignement de cette science, d'après les principes suivans.

D'abord les Écoles seront par-tout organisées de la même manière: dans toutes, on enseignera les mêmes objets; on communiquera les mêmes pouvoirs; on imposera les mêmes épreuves: car c'est manquer essentiellement à l'homme que de requérir plus de savoir pour un lieu que pour un autre, pour les cités que pour les campagnes.

Jusqu'à ce jour, on a divisé cet art en trois: la Médecine, la Chirurgie, la Pharmacie; et il en est résulté un désaccord funeste et à l'art et aux hommes. Il est clair que ce sont les parties d'un même tout: elles doivent donc être réunies dans les mêmes Écoles. Cet art doit sa naissance aux Grecs; jamais chez eux la Pharmacie et la Chirurgie ne furent séparées de la Médecine.

Tout collège de Médecine, pour être complet, comprendra désormais dans son renseignement, 1º. la Physique, connue sous le nom de Médicale, c'est-à-dire, appliquée dans toutes ses parties à l'art de guérir: car c'est en elle que résident tous les principes sur lesquels peut se fonder cet art. 2º. L'analyse ou la connoissance exacte de toutes les substances que les trois règnes de la nature lui fournissent. 3º. L'étude du corps humain dans l'état de santé. 4º. Celle des maladies, quant à leurs symptômes, à leur traitement, au mode de les observer et d'en recueillir l'histoire. 5º. Les connoissances requises pour être en état d'éclairer, dans des circonstances difficiles, le jugement de ceux qui doivent prononcer sur la vie et l'honneur des citoyens. 6º. Enfin; car c'est-là que tout doit aboutir, l'enseignement de la Médecine pratique.

Pour faciliter toutes ces parties d'un même enseignement, vous jugerez que les Écoles doivent être établies dans l'enceinte même des Hôpitaux; car on ne peut trop rapprocher les institutions de ceux pour qui elles sont le plus nécessaires. C'est-là que le bien des malades est toujours d'accord avec les progrès de l'instruction; que la théorie ne marche point au hasard, et que souvent un seul jour rassemble tous les bienfaits de l'expérience d'un siècle: c'est-là que les Élèves commenceront par soigner les malades pour être mieux en état de les traiter un jour, qu'ils apprendront presque en même-temps à ordonner, à préparer, à appliquer les remèdes, et que par-là ceux qui se destineront particulièrement à une des branches de l'art, se trouveront pourtant suffisamment instruits sur toutes.

Tel sera l'enseignement.

Il seroit sans doute à désirer que tout Département eût son École; mais cette convenance doit ici fléchir devant la nécessité. Il est clair que des Écoles de Médecine, trop multipliées, ne pourroient se soutenir, soit parce qu'on manquerait de Professeurs, soit parce qu'on manqueroit d'Élèves. En matière d'enseignement, c'est, avant tout, la médiocrité qu'il faut qu'on éloigne: elle naît de plusieurs manières, et parce qu'elle n'apprend pas, et parce qu'elle apprend mal, et parce qu'elle ne communique point aux Élèves ce zèle, cet enthousiasme créateur que les grands talens peuvent seuls inspirer.

Quatre Collèges complets ont paru suffire au besoin de tout le Royaume.

Cependant, pour rapprocher le plus possible l'instruction de chaque lieu, on a pensé que tout Corps administratif pourroit utilement établir, dans son arrondissement, une espèce d'École secondaire qui seroit placée dans l'hôpital le mieux organisé du Département. Là, tous les jeunes gens peu favorisés de la fortune, mais annonçant des dispositions particulières pour l'état de Médecin, seraient nourris et logés à peu de frais. Ils rendroient des services à la maison, et ils en recevroient en retour les premiers élémens de l'art; et par de bons livres élémentaires, et par des leçons-pratiques de tous les jours. Leur éducation médicale ainsi commencée, quelquefois même terminée, ils n'auroient plus qu'à se transporter au Collège de Médecine le plus prochain pour y subir les examens requis, et y être, bientôt après, proclamés Médecins.

La nécessité de ces examens doit être rigoureusement maintenue; car il faut ici sur-tout défendre la crédule confiance du peuple contre les séductions du charlatanisme. Il faut donc donner une caution publique à la profession de cet état; mais, en même-temps vous voudrez que les anciennes lois coercitives, qui fixoient l'ordre et le temps des études, soient abolies. Vous ne souffrirez pas qu'aucune École s'érige en jurande: ainsi ce ne sera plus le temps, mais le savoir qu'il faudra examiner; on ne demandera point de certificats; on exigera des preuves; on pourra n'avoir fréquenté aucune École et être reçu Médecin; on pourra les avoir parcouru toutes, et ne pas être admis: par cette double disposition, on accordera parfaitement, et dans cette juste mesure qui est à désirer en tout, ce qu'exige la justice, ce que demande la liberté, et ce que réclame la sûreté publique.

Nota. Il reste à pourvoir aux progrès de la Science médicale, par le moyen des correspondances et par des travaux concertés, ainsi que font aujourd'hui les Sociétés savantes et les Corps académiques. Cet objet fera partie du grand Institut où il doit être traité dans la section des Sciences.

ÉCOLES DE DROIT.

Ce n'est qu'à dater de la Constitution que la Science du Droit peut devenir une et complette. Jusqu'à cette époque, le Droit public, qui en fait partie essentielle, a été nécessairement une Science occulte, livrée à un petit nombre d'Augures qui la travestissoient à leur gré, ou plutôt c'étoit une Science mensongère qu'il étoit impossible d'apprendre, parce qu'elle n'avoit pas de réalité.

Le droit privé étoit plus réel, plus constaté dans son existence; mais son immensité, mais la multitude de ses élémens hétérogènes, accumulés par le temps et le hasard, devoient effrayer l'esprit le plus vaste, la raison la plus forte. Comment, au milieu de ce chaos retenir toujours le fil des principes, ou comment consentir à s'en passer? Ce n'étoit pas le vice de la Science, encore moins celui de l'enseignement; c'étoit celui de son objet.

On a fait pourtant de justes reproches à l'enseignement, ou plutôt à quelques abus du Corps enseignant: c'est celui qui portoit sur la facilité scandaleuse des épreuves. Il seroit impossible, il seroit coupable de chercher ici à la justifier: car elle tendoit à avilir la science: mais elle tenoit à une cause qu'on ne peut imputer qu'au Gouvernement. Les Facultés de Droit étoient presque par-tout uniquement payées par les Élèves: de-là la tentation de n'en refuser aucun, et d'en attirer beaucoup. Encore si cet abus, pour exister, avoit eu besoin de l'assentiment du plus grand nombre des Facultés, l'amour du bien public, le respect pour la Science, et une sorte de décence l'auroient sans doute repoussé; mais il suffisoit qu'il existât une seule Faculté dans le Royaume qui eût acquis cette déplorable renommée; il suffisoit même de la seule existence d'une Faculté étrangère (celle d'Avignon) à laquelle il étoit libre de recourir, pour corrompre, sous ce rapport, l'enseignement général: car les Facultés les plus attachées à leurs devoirs, après avoir lutté quelque temps pour la règle, se sont vues contraintes à faire du moins fléchir un peu la rigueur des principes pour retenir des Élèves qui presque tous leur auroient inévitablement échappé.—Cet abus est facile à prévenir.

Quant à l'enseignement, il présente plusieurs difficultés. Le Droit n'est pas une Science spéculative; c'est la science de ce qui est, non de ce qui doit être, et ce sera aussi quelque temps encore la science de ce qui ne sera plus: car malheureusement les mauvaises lois règnent après leur mort. Ainsi l'enseignement est condamné à se ressentir pendant plusieurs années des vices de nos anciennes lois qu'il faudra savoir, qu'il faudra accorder entre elles à l'époque où l'on se disposera à les détruire, ou même après qu'elles auront été détruites. C'est un état pénible pour la Science, mais un état inévitable, et qui exigera pendant quelques années des précautions dans l'enseignement.

Un temps viendra où toutes les parties de cette Science s'éclaireront du jour de la raison: c'est lorsque les Législateurs auront porté ce même jour sur le code entier de la législation, et présenteront enfin un système de lois pures et concordantes, ramené à un petit nombre de principes. En attendant, l'enseignement doit profiter de ce qui est fait, en même temps qu'il souffrira de tout ce qui reste à faire.

Le premier objet que désormais il doit offrir, est la Constitution, ou le Droit public national, dont il puisera les principes dans le texte même de l'acte constitutionnel et dans les lois qui en contiennent le principal développement. Les Maîtres trouveront des Élèves préparés à cette instruction: les enfans en auront reçu la première leçon de la bouche de leur père; ils auront grandi en répétant ces titres désormais imperdables, confiés de bonne-heure à leur mémoire, et dont l'amour croîtra et se développera avec eux.

Malheur aux Maîtres qui auront à traiter de si nobles sujets, s'ils restoient froids au milieu de ces Élèves bouillans de jeunesse et de courage: c'est à ces cœurs neufs et purs qu'il est facile de communiquer le saint enthousiasme du patriotisme et de la liberté. Combien de récits touchans pourront animer ces leçons, y répandre du charme et de l'intérêt! Comme l'histoire de la patrie est utilement liée à l'enseignement de sa Constitution! Comme cette histoire parle à l'âme dans un pays libre! Quelles douces larmes elle fait répandre!

Après la Constitution, sera placée la théorie des délits et des peines, et celle des formes employées par la Société pour l'application de ses lois pénales: car il est juste de faire connoître à ceux qui étudient le droit, aussitôt qu'ils ont appris la Constitution, le code pénal qui en est l'appui, tant parce qu'il définit d'une manière exacte en quoi un citoyen peut offenser la Constitution, que parce qu'il déclare la peine qui doit suivre cette offense. D'ailleurs, rien ne touche de plus près au pacte social que la connoissance des peines auxquelles est soumis un membre de la Société, quand il en a violé les lois.

Il seroit utile que tous les Citoyens connussent la forme des jugemens en matière criminelle. C'est une épreuve que l'homme le plus vertueux n'est pas sûr de ne jamais subir; et il lui importe de savoir, avec beaucoup d'exactitude, la marche que l'on doit suivre à son égard, comme aussi les droits qu'il est autorisé à réclamer pour mettre son innocence dans tout son jour, et ne perdre aucun de ses avantages par ignorance ou par foiblesse.

La connoissance des formes de la procédure criminelle ne sauroit être trop généralement répandue dans un pays qui a le bonheur de posséder l'institution du Juré. La fonction solemnelle de juger un accusé et de prononcer la vérité sur un fait d'où peut dépendre l'honneur ou la vie d'un homme, n'exige pas à la vérité des connoissances judiciaires; mais il est à désirer que ceux qui ont cette belle fonction à remplir, n'y soient pas tellement étrangers, qu'ils ignorent complettement en quoi elle consiste. Lorsqu'ils y seront initiés d'avance, ils s'en formeront une idée plus juste, et ils pourront la remplir avec une plus parfaite exactitude.

La science du Droit criminel aura donc peu de chose à enseigner aux adeptes, qui ne soit presque également nécessaire aux citoyens de toutes les professions; et la perfection de cette science consistera à devenir assez claire pour qu'elle ne puisse jamais flatter l'amour-propre d'un savant, mais pour qu'elle puisse facilement éclairer la conscience de tous ceux qui auront besoin d'y recourir.

Il est permis de désirer sans doute, mais il est plus difficile d'espérer que le Droit civil particulier puisse atteindre le même degré de simplicité. On se persuade aisément, quand on y a peu réfléchi, que cette partie du droit n'est qu'un traité de morale naturelle; et la morale est la science que tous les hommes croyent posséder, sans s'être crus obligés de l'acquérir par l'étude. Cependant, si l'on veut songer à l'immense variété des transactions qui doivent nécessairement avoir lieu dans une nombreuse société d'hommes entre qui les propriétés sont si inégalement réparties; à la quantité de piéges que la ruse tend sans cesse à la bonne-foi trop confiante; à la multiplicité des formes décevantes sous lesquelles l'astuce peut se reproduire; on s'étonnera moins qu'il ait fallu réduire en art la bonne-foi elle-même et fortifier par des règles fixes la sûreté des contrats, qui devroient n'en avoir d'autres que l'intérêt réciproque et la loyauté des parties contractantes.

C'est principalement dans cette partie de leurs lois que les Romains avoient porté cet esprit de sagesse et de justice, et cette méthode pure d'analyse, qui leur a mérité la gloire de perpétuer la durée de leur législation bien au-delà de celle de leur Empire. Le digeste, retrouvé vers le milieu du treizième siècle, frappa les esprits de tous les peuples qui le connurent, par ce degré d'évidence et de supériorité qui n'appartient qu'à la raison universelle.

C'étoit un juste hommage: il n'y falloit pas ajouter un culte superstitieux. Des parties de législation trop favorables au pouvoir arbitraire, d'autres ridiculement contrastantes avec le reste de nos institutions, ne s'établirent pas moins impérieusement que les titres les plus raisonnables; et la féodalité seule disputa aux lois romaines le sceptre de notre législation. Ainsi la France fut partagée en deux grandes divisions. La section la plus méridionale de l'Empire accueillit le droit romain comme la loi unique ou dominante du pays; les autres provinces, en admettant le droit romain comme raison écrite, continuèrent d'être régies par leurs usages qui se conservèrent long-temps par la tradition avant d'être fixés par l'écriture et réduits en corps de coutume, tels que nous les voyons aujourd'hui; mais dans tous les lieux on emprunta du droit romain les notions générales de justice et d'équité, et principalement celles qui concernent la théorie des contrats qui retrouve son application chez tous les peuples et dans tous les siècles, parce qu'elle tient aux premiers besoins des hommes. Cette partie du droit romain mérite donc d'être enseignée par-tout, comme la raison écrite et comme la meilleure analyse des principales transactions que produit la Société.

Ce seroit un ouvrage vraiment utile et digne d'un siècle éclairé que d'extraire de cette vaste collection de lois et de décisions qui forment le corps du droit romain, les titres qui sont empreints de ce caractère éternel de sagesse qui convient à tous les temps. Un tel livre serviroit de base à la réforme des lois, et rendroit aussi l'enseignement plus simple, plus clair et plus complet.

Reste le droit coutumier qui régit la moitié de l'Empire. Il faudra encore quelque temps enseigner par-tout et l'esprit général des coutumes, et dans chaque Département, la coutume du lieu.

Ce sera aussi pour les Maîtres un devoir d'ouvrir, sous les yeux de leurs Élèves, nos principales et plus célèbres Ordonnances, celles de Moulins, d'Orléans, de Blois, etc. de leur faire remarquer par quels progrès ces lois s'acheminoient insensiblement vers une sagesse supérieure, accumulant, avec trop peu de méthode, des articles dont la plupart ne subsistent plus, mais dont plusieurs aussi règlent encore quelques-uns des objets les plus importans de l'ordre social. Les Ordonnances des testamens et des donations trouveroient ici leur place. Je suppose celle des substitutions abrogée.

Cet enseignement devra se terminer par des leçons sur les formes de la procédure civile: car, c'est peu de connoître les lois, si l'on ne connoît aussi les moyens d'y avoir recours et d'invoquer la puissance de la justice, soit pour obtenir la réparation des torts que l'on a soufferts, soit pour défendre sa propriété contre les aggressions judiciaires auxquelles on est exposé.

Je ne dirai rien du Droit canonique dont on prenoit dans nos anciennes Écoles quelques notions superficielles. Le petit nombre de vérités comprises dans cette science appartient à la Théologie, dont nous avons fait un chapitre séparé.

Jusqu'à ce jour on a exigé que les Élèves parcourussent tous les degrés et tous les temps de l'instruction; la loi étoit inflexible à cet égard autant que minutieuse. Le temps des inscriptions, le passage d'une classe à une autre, l'époque où chaque formalité devoit s'accomplir, l'apparence même de l'assiduité étoient prescrites avec une importance qui n'admettoit pas d'exceptions. Ainsi l'on exigeoit tout, hors la science: car, on peut feindre l'assiduité, éluder les précautions, remplir extérieurement de vaines formes; mais la science seule ne se contrefait pas, et c'est elle seule qu'on a droit de demander aux Élèves.

Une mesure uniforme de temps d'études est injuste à imposer, quand la nature a départi aux hommes une mesure inégale d'attention et de mémoire.

Offrez les secours de la méthode et les avantages de l'assiduité aux esprits dont ce double bienfait rendra la marche plus directe et plus sûre.

Mais ne les commandez pas aux esprits dont l'ardeur n'y verroit qu'un assujettissement pénible, et le souffriroit avec impatience. Craignez que le dégoût d'une route uniforme et lente ne produise chez eux celui de la science elle-même.

Offrez à tous un fil conducteur. Ne donnez de chaînes à personne, et n'admettez que ceux qui parviendront au but, c'est-à-dire, qui seront véritablement instruits. Ne leur demandez pas quel temps ils ont mis à se former; mais s'ils ont acquis beaucoup de connoissances; ne les interrogez pas sur leur âge, mais sur leur capacité; non sur leur assiduité aux leçons, mais sur le fruit qu'ils en ont tiré.

Qu'un examen long et approfondi réponde de la capacité des aspirans; mais que cet examen ne soit pas illusoire; que ce ne soit pas une vaine formalité. On a trop long-temps bercé les hommes avec des paroles, il est temps d'obtenir des réalités; qu'elles soient garanties par des moyens infaillibles. La présence du public avant tout; car l'œil du public écarte l'ineptie par la honte et rend impossibles les fraudes et les préférences.

Il existe dans l'émulation des Élèves un ressort puissant dont la main du Législateur habile doit aussi s'emparer. Laissez-le; joignez-y celui de leur intérêt personnel, et vous aurez la meilleure garantie de la réalité et de l'efficacité des examens.

Je propose donc que chaque Élève subisse un examen, dans lequel interrogé, pressé par ses collègues, il ait à répondre sur toutes les parties du Droit dont se compose un cours complet d'enseignement. Que cet examen dure assez long-temps pour que l'épreuve ne puisse pas être superficielle, et qu'il n'y ait aucun moyen d'éviter la honte d'ignorer à ceux qui n'auroient pas pris la peine de s'instruire.

Qu'à la fin de chaque cours les Élèves et les Maîtres se réunissent pour désigner l'ordre des places, à raison du degré d'instruction dont chaque Élève auroit fait preuve dans son examen, et que cette liste soit rendue publique par l'impression.

On sent assez quelle seroit la puissance de ce moyen sur des âmes toutes neuves encore pour le désir de la gloire et les faveurs de l'opinion publique. On sent combien un tel examen commanderoit de préparations au récipiendaire, et comme il ranimeroit l'ardeur de ses collègues, obligés d'être ses compétiteurs. Ainsi le mérite s'ouvriroit à lui-même les chemins de la fortune: car celui qui auroit été montré au public par ses propres rivaux comme le plus capable, jouiroit bientôt de tous les avantages de sa confiance.

Mais chaque Département aura-t-il un établissement d'instruction pour l'enseignement du Droit? Plusieurs motifs doivent ici se combiner: celui de rapprocher les sources de la science des hommes qui auront intérêt d'y puiser; celui d'augmenter l'émulation des Élèves, en appellant à un même foyer plus de concurrence, afin de créer une lutte plus active entre les talens rivaux; celui d'augmenter l'émulation des Maîtres, en leur offrant un plus grand concours de Disciples, et de réserver les chaires de l'enseignement à des Professeurs d'un mérite plus éprouvé; enfin un grand intérêt politique vous portent à réunir, par des Institutions communes, ces portions d'un même tout, qui ne doivent former de circonscriptions que sous des rapports administratifs, mais non toutes les fois qu'on les considère sous des rapports nationaux.

La meilleure distribution des établissemens de Droit sera celle qui aura concilié le plus de ces avantages, et il paroît que dix établissemens de ce genre tiennent un juste milieu entre tous les partis qui ont été proposés. Alors il n'y auroit ni des Écoles désertes à force d'être multipliées, ni des centres d'instruction trop éloignés des points qui doivent y aboutir.

ÉCOLES MILITAIRES.

La partie de l'instruction publique relative aux élémens de l'art militaire et à l'éducation de ceux qui se destinent à cette utile profession, a des rapports nécessaires et des bases communes avec le système militaire de tout le Royaume.

La France est partagée en vingt-trois divisions militaires. On se trouve naturellement conduit à placer dans chacune de ces divisions une École Militaire, qui s'appellera École de Division, et sera commune à tous les Départemens dont se compose la même division. C'est-là que les jeunes gens destinés au métier des armes, et auxquels je suppose l'instruction qu'on peut acquérir dans les Écoles primaires et dans celles de District, trouveront les moyens d'étendre les connoissances que leur destination leur rend plus nécessaires.

Ils ne seront admis dans ces Écoles de Division, ni avant l'âge de quatorze ans, ni après l'âge de seize. Ce qui fait une loi de cette double règle, c'est la nécessité de ne prendre les Élèves qu'au moment où ils auront pu déjà parcourir les premiers degrés de notre échelle d'instruction, et l'avantage incontestable de les introduire dans la carrière militaire, assez jeunes pour qu'ils puissent parvenir à tous les grades encore dans la force de l'âge, pour qu'ils ne soient pas atteints par la vieillesse dans ces postes où il faut une jeune ardeur, et où ils languiroient sans gloire pour eux, sans utilité pour leur pays. Il est bon d'observer que ces différences d'âge et d'avancement qui condamnoient les uns à une torpeur décourageante, tandis que les caprices de la faveur et de la naissance assuroient aux autres une marche rapide et privilégiée, étoient précisément un de ces vices invétérés de l'ancienne administration, dont vous devez le plus soigneusement préserver à l'avenir cette profession.

Le cours des études et exercices militaires sera de quatre années, dont deux dans les Écoles de Division. On enseignera, par un mélange combiné de travaux sérieux et de distractions instructives, les premières connoissances militaires, le maniement des armes, les langues angloise et allemande, le dessin, les élémens de Mathématiques appliqués à l'art de la guerre, sur-tout la géographie et l'histoire.

Il est inutile de dire que ces jeunes citoyens devant diriger leur premier intérêt vers le pays qui les a vu naître, on leur donnera une idée plus ou moins développée des productions et des gouvernemens des différentes parties du monde, suivant la nature des relations qu'elles ont avec nous; que la description géographique de la France sera l'objet particulier de leurs études sur cette matière, comme on placera antérieurement à tout des notions plus approfondies de notre Constitution, qui confirmeront et agrandiront celles qu'ils auront déjà pu recueillir dans les Écoles primaires et de District.

C'est à ce dernier genre d'instruction qu'il faut rapporter l'explication d'un catéchisme de morale sociale et politique, dans lequel seront exposés les droits et les devoirs de l'homme en société, ce qu'il doit à l'État, ce qu'il doit à ses semblables. De ces principes qui sont les bases fondamentales de la Constitution Françoise, et de la nécessité de conserver l'action de tous les ressorts de la machine sociale, on déduira de nouveaux rapports, ceux des chefs et des subordonnés, rapports dérivans de la nature même des choses qui, loin de nuire à la liberté, à l'égalité, sont indispensables pour le maintien de l'une et de l'autre.

Le véritable Instituteur a toujours un but moral, une idée souveraine vers laquelle se dirigent toutes ses intentions. Celle qui ne doit jamais l'abandonner dans l'apprentissage de l'art militaire, c'est l'idée de la subordination, cette compagne naturelle de l'amour réfléchi de la liberté, cette première vertu du guerrier, sans laquelle un État n'aura jamais une armée protectrice. Il fera donc sortir de toutes les leçons de l'histoire et de tous les résultats de la réflexion, il rendra sensible à ses Élèves, par les exemples comme par les raisonnemens et par l'impression de l'habitude, la nécessité de cette subordination. Il les armera contre cet étrange abus du raisonnement, voudroit présenter l'obéissance militaire comme en contradiction avec les principes de l'égalité; comme si là spécialement où tous sont égaux, où tous ont concouru à la formation de la Loi, tous ne devoient pas également obéir à ceux que la Loi autorise à commander. Enfin nos Écoles Militaires élèveront à la fois des citoyens libres, des soldats subordonnés, et par conséquent de bons chefs.

Outre ces Écoles de Division, il y aura six grandes Écoles Militaires pratiques, qui seront placées aux frontières du Royaume, dans les villes les plus considérables et les places de guerre les plus importantes, à Lille, Metz, Strasbourg, Besançon, Grenoble et Perpignan. Comme ces grandes Écoles ont un autre objet que les Écoles de Division, leur organisation sera nécessairement différente. Elles sont spécialement destinées à réaliser, par une pratique journalière, un genre d'instruction que la seule théorie laisse toujours imparfait, et à transporter parmi les habitudes de la première jeunesse les exercices et évolutions auxquelles elle est singulièrement propre, et tous les détails d'un régime actif et sévère, étranger aux arts d'agrément. Elles seront donc instituées sur le pied militaire, et pour mieux remplir leur principal objet, qui est de former de bons officiers, elles serviront aussi à élever des soldats.

Il sera entretenu dans chacune de ces six grandes Écoles, des jeunes gens sains et bien constitués, de l'âge de douze à quinze ans, qui seront nommés par les Départemens en proportion de ce que chacun d'eux fournit communément de soldats à l'armée, et choisis de préférence parmi les enfans d'anciens soldats et les pauvres orphelins. C'est pour cette classe un établissement de bienfaisance, en même-temps qu'un moyen d'instruction plus parfaite pour ceux qui sont destinés au commandement. Il sera de plus attaché à chaque grande École un certain nombre d'Élèves tirés des Écoles de Division par la voie d'un concours, dont les formes seront prescrites, et à l'aide de cette épreuve, on fera sortir de ces grandes Écoles tous les Sous-Lieutenans de l'armée. Déjà, l'on apperçoit la base sur laquelle s'élèvera tout le système de l'avancement militaire, qui n'appartient plus à mon travail; mais que j'ai dû vous montrer épuré dans sa source de tous les anciens abus, et assurant l'exécution de ce grand acte de raison et de justice par lequel vous avez déclaré tous les citoyens admissibles à toutes les places et emplois.

Je ne m'arrêterai point à tous les détails de ces établissemens qui, par leur nature, se rapportent souvent à un autre ordre de choses, et doivent être renvoyés au système de l'organisation militaire. Je me bornerai à vous présenter quelques résultats, dont vous trouverez facilement les motifs dans vos principes, ou dans une utilité reconnue.

Les grandes Écoles seront établies dans un corps de caserne isolé, qui n'ait point de communication immédiate avec aucun autre. Le service intérieur s'y fera comme dans une place de guerre. Chaque École formera un régiment d'infanterie où les grades supérieurs offriront d'honorables retraites aux anciens Officiers des troupes de ligne, en même temps que d'utiles exemples aux jeunes gens, et où ceux-ci seront distribués dans les différentes compagnies, soit comme Élèves Officiers, soit comme Élèves Soldats; mais de manière que tous aient commencé leur apprentissage comme Soldats, et aient passé successivement par tous les grades.

Les Élèves Officiers et les Élèves Soldats recevront une instruction particulière et une instruction commune.

On expliquera aux Élèves Officiers un traité de fortifications, les élémens de l'artillerie, toutes les parties du service et de l'administration militaire, et on perfectionnera en eux les différentes connoissances qu'ils auront pu acquérir aux Écoles de Division.

On donnera aux Élèves Soldats la même instruction qui est prescrite pour les Écoles Primaires.

Tous les Élèves, soit Officiers, soit Soldats, seront habituellement environnés et fortement pénétrés des idées simples de la morale, que les Écoles de Division m'ont donné occasion d'indiquer, et qui recevront pour chacun un développement proportionné à son intelligence et à sa destination.

Il en résultera que le premier apprentissage de l'art Militaire, transporté à sa véritable place, dans le ressort de l'instruction publique, ne se fera plus comme autrefois dans les Régimens qui ont droit d'exiger de ceux qu'ils reçoivent, des connoissances préliminaires, et un service réel et actif. Et notre système complet sera tel dans son ensemble et dans ses différentes branches que les Citoyens verront la carrière des places Militaires, ouverte à tous également; que les Officiers comme les Soldats, apprendront leurs devoirs de Citoyens, en même-temps que leurs devoirs de Guerriers; et qu'enfin la Société entière, en s'acquittant envers ses membres de la dette sacrée d'une bonne éducation, multipliera tout à-la-fois ses moyens de défense contre ses ennemis, et ses motifs d'une juste confiance en ses défenseurs.

INSTITUT NATIONAL.

Lorsque les écoles primaires des Cantons, et les collèges des Districts et des Départemens seront organisés, on aura préparé l'instruction de l'enfance, de la jeunesse, et même celle d'une partie des fonctionnaires publics; mais il faudra pourvoir encore aux progrès des lettres, des sciences et des arts. Il faudra terminer l'éducation de ceux qui se destinent spécialement à leur culture. Nous proposons dans cette vue l'établissement d'un Institut national, où se trouve tout ce que la raison comprend, tout ce que l'imagination sait embellir, tout ce que le génie peut atteindre; qui puisse être considéré, soit comme un tribunal où le bon goût préside, soit comme un foyer où les vérités se rassemblent; qui lie, par des rapports utiles, les Départemens à la Capitale, et la Capitale aux Départemens; qui, par un commerce non interrompu d'essais et de recherches, donne et reçoive, répande et recueille toujours; qui, fort du concert de tant de volontés, riche de tant de découvertes et d'applications nouvelles, offre à toutes les parties des sciences et des lettres, de l'économie et des arts, des perfectionnemens journaliers; qui, réunissant tous les hommes d'un talent supérieur en une seule et respectable famille, par des correspondances multipliées, par des dépendances bien entendues, attache tous les établissemens littéraires, tous les laboratoires, toutes les bibliothèques publiques, toutes les collections, soit des merveilles de la nature, soit des chefs-d'œuvre de l'art, soit des monumens de l'histoire, à un point central; et qui, de tant de matériaux épars, de tant d'édifices isolés, forme un ensemble imposant, unique, propre à faire connoître au monde, et ce que la philosophie peut pour la liberté, et ce que la liberté reconnoissante rend d'hommages à la philosophie.

Pour que ce projet ait son entière exécution, l'Institut doit embrasser tous les genres de connoissances et de savoir. Jugeons par ce que l'esprit humain a fait, de ce qu'il est capable de faire encore; examinons ce qu'il est, ce qu'il peut être, et que ses facultés nous apprennent à satisfaire à ses besoins.

PROGRAMME.

Des Sciences philosophiques, des Belles-Lettres et des Beaux-Arts.

L'homme sent, il pense, il juge, il raisonne, il invente, il communique ses idées par des gestes, par des sons, par des discours écrits ou prononcés; il communique ses affections par l'harmonie des vers, des sons, des formes et des couleurs; il les consacre par des monumens; il recherche quelle est la nature des êtres, ce qu'il est lui-même, ce qu'il doit, ce qu'on lui doit, ce qu'il peut et ce qu'il fut.

PROGRAMME.

Des Sciences mathématiques et physiques, et des Arts mécaniques.

Vu sous d'autres rapports, l'homme sait calculer les nombres et mesurer l'étendue. Quatre grands moyens lui ont dévoilé la connaissance des corps; l'observation qui suffit à leur histoire, l'expérience qui en a découvert le mécanisme, l'analyse et la synthèse qu'il invoque pour en approfondir la composition intime. A l'aide de ces moyens, il considère dans la matière ses propriétés générales, ses états divers, le mouvement et le repos; dans l'athmosphère, son poids, sa température, ses balancemens et ses météores; dans les sons, leur intensité, leur vitesse, leur mélange et leur harmonie; dans la chaleur, sa communication et ses degrés; dans l'électricité, ses courans, son équilibre, ses chocs et ses orages; dans la lumière sa propagation et ses couleurs; dans l'aimant, son attraction et ses poles; dans le ciel, les astres dont les phénomènes lui sont connus; sur la terre, les minéraux qu'il recueille; les métaux qu'il prépare; les végétaux qu'il classe, dont il examine les organes et les produits; les animaux dont il étudie les formes, les mœurs, la structure, les élémens, la vie et la mort, la santé et les maladies; les champs qu'il cultive; les chemins qu'il ouvre; les canaux qu'il creuse; les villes qu'il élève et qu'il fortifie; les vaisseaux dont il se sert pour communiquer avec les deux mondes; les forces combinées qu'il oppose à ses ennemis, et les arts nombreux qu'il inventa pour plier la nature à ses besoins.


Celui qui se place au milieu de cette immensité, ne sait où reposer sa vue. Par-tout ce sont des foyers de lumière, et l'œil s'étonne également de ce qu'il voit en masse, et de ce qu'il apperçoit en détail. Ce sont ces trésors de la plus haute instruction qu'il importe de ranger dans le meilleur ordre, et que la Nation doit ouvrir à tous ceux qui sont en état d'y puiser.

Quoiqu'il n'existe pas de tableau aussi complet des connaissances humaines, nous sommes bien loin, en vous proposant d'adopter ce travail, de vouloir mettre des bornes au génie des découvertes, en traçant autour de lui le cercle compressif de la loi. Nous avons voulu seulement disposer avec ordre toutes nos richesses, et imiter les naturalistes, qui, pour aider notre foible mémoire, ont classé tous les trésors de la nature, sans prétendre ni la borner, ni l'asservir.

Ainsi, notre travail est composé de deux parties; l'histoire de l'homme moral y contraste avec celle de l'homme physique; les sciences purement philosophiques marchent à côté des sciences d'observation; les beaux-arts terminent la première série, comme les arts mécaniques se trouvent à la fin de la seconde. Par-tout les masses principales se correspondent dans ces deux grandes divisions: dans la première, tout est rationel, philosophique, littéraire; dans la seconde, tout est soumis à la précision de l'expérience. Dans l'une comme dans l'autre, la raison a besoin d'être forte. La mémoire, aidée d'une bonne méthode, classera des objets nombreux, et l'imagination trouvera, soit dans les inspirations de l'éloquence, soit dans la haute théorie du calcul, soit dans les découvertes de la physique, soit dans les inventions des arts, cet aliment qui la nourrit et la dispose aux grandes conceptions.

Avant notre époque, les établissemens relatifs aux progrès des lettres, des sciences et des arts, n'étoient point d'accord entre eux: ils n'avoient point été disposés pour s'aider mutuellement, pour se correspondre; les préjugés y dominoient, la naissance osoit y remplacer le savoir et le talent.

Maintenant que toute illusion a cessé, il faut briser les formes discordantes de ces établissemens divers, et les fondre en un seul où rien ne blesse les droits de l'égalité et de la liberté, auquel nous puissions ajouter ce qui manque aux premières institutions, et d'où ce qui ne tient qu'à un vain luxe, soit scrupuleusement banni. Dans un moment où tant de débris dispersés d'abord, changés bientôt en matériaux, étonnent par la place qu'ils occupent dans des constructions jusqu'à présent inconnues parmi nous, dans un moment où tant de ressorts se meuvent pour la première fois, au milieu de toutes les inquiétudes qui agitent les esprits, seroit-il prudent d'abandonner au hasard des circonstances le sort des sciences, des lettres et des arts? N'est-ce pas, lorsque tant d'idées, tant de lois, tant de fonctions sollicitent des expressions nouvelles, lesquelles demandent toutes à être inscrites dans le vocabulaire de la langue françoise, qu'il faut l'enrichir sans cependant le surcharger? N'est-ce pas, lorsque sur nos théâtres, la scène s'étend à tous les états, à toutes les situations de la vie, et lorsqu'en se prêtant ainsi à toutes les formes, il est à craindre qu'elle ne dégénère par cela même qui doit contribuer à l'aggrandir? N'est-ce pas, lorsque les orateurs de nos tribunes nationales doivent réfléchir long-temps encore sur le genre d'éloquence qui convient à leurs discours, lorsque la chaire elle-même offre un champ nouveau, et que, dans les tribunaux comme ailleurs, ce n'est plus l'ancien langage qui peut être entendu; n'est-ce pas alors que les hommes les plus exercés dans la connoissance du beau, que ceux dont le goût est le plus sûr, doivent se réunir pour traiter de ces nouvelles convenances, et pour diriger dans toutes ces routes la jeunesse impatiente de les parcourir? N'est-ce pas lorsque, pour la première fois, on va enseigner la morale et la science du gouvernement, que les maîtres les plus habiles doivent unir leurs efforts? Et ne convient-il pas que ces premières écoles soient dirigées, non par un seul, mais par tous ceux qui excellent dans cette belle application des vérités dont la philosophie a fait présent au genre humain? N'est-ce pas, lorsque l'histoire va être lue, et sur-tout écrite dans un nouvel esprit; lorsque les beaux-arts naturellement imitateurs doivent s'embellir de l'éclat de leur patrie; lorsque les sciences vont être invoquées de toutes parts; lorsque le charlatanisme qui, dans les États libres, est toujours plus entreprenant, aura besoin d'être fortement réprimé; lorsqu'il importe à l'accroissement du commerce et de la richesse nationale, que les arts se perfectionnent; n'est-ce pas alors que tous les citoyens connus par leurs talens dans ces divers genres, doivent être invités à réunir leurs efforts pour remplir ces vues utiles et pour achever cette partie de la régénération de l'État? En France, on désire, on recherche, on honore même les lumières; mais on ne peut disconvenir qu'elles ne sont pas encore assez répandues pour qu'on puisse confier à la liberté seule le soin de leur avancement. Il est du devoir de la Nation d'y veiller elle-même; il faut donc par un établissement nouveau, ramener toutes nos connoissances et tous les arts à un centre commun de perfectionnement; il faut y appeller de toutes les parties de l'Empire le talent réel et bien éprouvé; il faut que de chaque Département, et aux frais de la Nation, une quantité d'élèves choisis, et ne devant leur choix qu'à la seule supériorité reconnue de leur talent, viennent y completter leur instruction. Nous sommes bien loin toutefois de nous opposer aux associations littéraires et aux autres établissemens de ce genre, ni d'astreindre aucun individu à suivre telle route dans son éducation privée ou ses méthodes d'enseignement. Le talent s'indigne quelquefois de la marche didactique et réglementaire qu'on voudroit lui imposer; et vous donnerez une preuve de plus de votre amour pour la liberté, en la respectant jusques dans ses bizarreries et ses caprices.

En s'occupant de la formation de l'Institut national, on se demande d'abord s'il sera divisé en un grand nombre de sections distinctes et séparées. L'existence d'une des plus illustres académies nous paroît répondre complettement à cette question. L'Académie des sciences embrasse toutes les branches de l'histoire naturelle et de la physique avec l'astronomie et ce que les mathématiques ont de plus transcendant; et l'expérience de plus d'un siècle a prouvé que tant de parties différentes peuvent non-seulement être traitées ensemble et dans les mêmes assemblées, mais qu'il y a dans cette réunion un grand avantage, en ce que l'esprit de calcul et de méthode s'étant communiqué à toutes les classes de l'académie, chacun se trouve forcé d'être exact dans ses recherches, clair dans ses énoncés et serré dans ses raisonnemens: qualités sans lesquelles on ne peut ni faire une expérience, ni déduire des résultats des observations qu'on a recueillies.

On peut répondre aussi à ceux qui demanderoient que l'Institut fût divisé en un grand nombre de sections, que les sciences s'enchaînent toutes, qu'elles se prêtent un mutuel appui, et qu'on les voit chaque jour s'identifier en quelque sorte en se perfectionnant. Loin de nous donc cette manie de diviser, qui détruit les liaisons, les rapports, qui coupe, qui isole, qui anéantit tout.

Un tableau présentera les sciences physiques et les arts rangés dans une seule section en dix classes, qui comprennent, 1º. les mathématiques et la mécanique; 2º. la physique; 3º. l'astronomie; 4º. la chimie et la minéralogie; 5º. la zoologie et l'anatomie; 6º. la botanique; 7º. l'agriculture; 8º. la médecine, la chirurgie et la pharmacie; 9º. l'architecture sous le rapport de la construction; 10º. les arts. Les objets dont les quatre dernières classes doivent s'occuper, étant très-étendus et ayant besoin d'une longue suite d'essais d'un genre qui leur est propre, il nous a semblé que chacune d'elles devoit se réunir en particulier, en admettant à ses séances seulement celles des autres classes qui ont des rapports immédiats avec ses travaux. Par exemple, la classe de médecine et de chirurgie appellera à ses assemblées les anatomistes, les chimistes et les botanistes qui sont distribués dans les premières classes de la section des sciences physiques. Les botanistes seront encore appellés par la classe d'agriculture; les géomètres le seront par celle de construction, et les mécaniciens par celle des arts. Ces classes surajoutées suffiront pour communiquer à celles qui s'assembleront séparément, l'esprit qui animera les premières, et cependant celles-ci continueront de marcher ensemble, parce qu'il est impossible de rien changer, sous ce rapport, dans leur combinaison qu'on doit regarder comme un modèle.

Quoique séparées dans leurs séances ordinaire, les quatre dernières classes suivroient les mêmes usages que les premières; elles obéiroient aux mêmes réglemens et aux mêmes lois; les résultats de leurs recherches seroient réciproquement communiqués entre elles, et leurs assemblées publiques se tiendroient en commun.

Comme il ne doit y avoir qu'une seule section pour les sciences physiques et les arts, il ne doit y en avoir qu'une aussi pour les sciences morales et philosophiques, pour les belles-lettres et pour les beaux-arts. L'histoire ne peut être séparée ni de la morale, ni de la science du gouvernement. Et pourquoi rangeroit-on à part les belles-lettres qui se mêlent avec tant de charme aux discussions les plus sérieuses. C'est elles qui donnent aux écrits des Philosophes cet intérêt de style sans lequel on a difficilement des lecteurs, et elles trouveront elles-mêmes, soit dans les annales de l'histoire, soit dans les ouvrages des Législateurs, des rapprochemens inattendus, des vues hardies, une instruction solide dont l'éloquence peut faire l'usage le plus noble et le plus utile.

Certes la Science de la grammaire, qui ne doit être étrangère à aucun homme de lettres, et les préceptes de l'éloquence sont moins éloignés de l'étude de l'histoire et de la morale, ou, si l'on veut, de la science du gouvernement, que la Chimie ne l'est de l'Astronomie, ou que l'étude des Plantes ne l'est de celle des Mathématiques. Les personnes qui cultivent les sciences philosophiques, et les belles-lettres, peuvent donc être rassemblées dans les mêmes séances; et puisque cette réunion est possible, il faut qu'elle ait lieu; car c'est en séparant les hommes en de petites associations, qu'on voit leurs prétentions s'accroître, et l'esprit de corps, si opposé à l'esprit public, créer pour eux des intérêts différens de ceux que le bien général indique.

La section des sciences philosophiques, des belles-lettres et des beaux-arts, qui compose l'autre division de notre tableau, est, comme celle des sciences physiques et des arts, divisée en dix classes, qui comprennent, 1º. la morale; 2º. la science du gouvernement; 3º. l'histoire ancienne et les antiquités; 4º. l'histoire et les langues modernes; 5º. la grammaire; 6º. l'éloquence et la poësie; 7º. la peinture et la sculpture; 8º. l'architecture, sous le rapport de la décoration et des beaux arts; 9º. la musique; 10º. l'art de la déclamation.

Les six premières classes, dans cette section comme dans celle des sciences physiques, tiendront des séances communes, et les quatre dernières se réuniront chacune séparément, en admettant à leurs assemblées celles des autres classes dont les recherches seront analogues à leurs travaux. Ainsi, les peintres trouveront à s'instruire dans le commerce des poëtes, des historiens et dans celui des amateurs de l'antiquité. Les élèves dans l'art de la déclamation recevront des conseils utiles de la part des auteurs dramatiques les plus exercés. Cette réciprocité de service pourra même s'étendre de la section des sciences physiques à celle des belles-lettres. Les peintres, par exemple, auront besoin des lumières des anatomistes qui appartiennent à la cinquième classe de la seconde section. L'institut national, renfermant tous les genres de savoir, offrira aussi tous les genres de secours à ceux qui viendront les invoquer.

Jusqu'ici nous avons présenté l'Institut comme divisé en deux grandes sections; mais, sous un autre aspect, ces deux sections réunies formeront un grand corps représenté par un comité central, auquel chacune des vingt classes enverra un député qui stipulera pour les intérêts de tous. Ce Comité surveillera l'exécution des lois de l'Institut, et s'occupera principalement de ce qui concerne son administration.

On se tromperoit, si l'on regardoit l'Institut national comme devant être concentré dans Paris. Ses nombreuses dépendances se répandront dans les Départemens. Les différentes branches des Sciences Physiques, qui comprennent la Géographie, la Navigation, l'Art Militaire, l'Architecture itinéraire et hydraulique, la Métallurgie, l'Agriculture et le Commerce, auront leur foyer principal dans les ports, dans les places, dans les villes de guerre, près des mines, soit en France, soit même dans les pays étrangers, sur les sols de diverse nature, et dans les atteliers des Arts.

Ainsi la classe de Peinture et de Sculpture continuera d'avoir un Collège à Rome.

Ainsi la classe des Antiquités Orientales pourroit en avoir un à Marseille.

Ainsi des voyageurs François, choisis par les différentes classes, parcourront le globe, soit pour le mesurer, soit pour en connoître la composition et la structure, pour en étudier les productions, pour en observer les habitans, et rassembler les connoissances qui peuvent être utiles aux hommes.

Le véritable but de l'Institut national étant le perfectionnement des Sciences, des Lettres et des Arts, par la méditation, par l'observation et par l'expérience, il ne sauroit s'établir trop de communications entre le public et les différentes classes qui le composent.

L'Institut correspondroit avec les Départemens pour tout ce qui seroit relatif à l'éducation, à l'enseignement et aux nombreux travaux sur lesquels des Savans de divers genres peuvent être consultés.

Les assemblées des différentes classes de l'Institut seroient ouvertes à ceux qui désireroient y lire des mémoires, y présenter des ouvrages, et demander des conseils pour se diriger dans leurs recherches.

L'Institut communiqueroit encore avec le public par les ouvrages qu'il feroit paroître, et par les essais de divers genres qu'il multiplieroit sous ses yeux.

Enfin l'Institut seroit enseignant.

Il est une classe maintenant très-nombreuse d'hommes entièrement voués à l'étude des Lettres, des Sciences et des Arts, qui, après être sortis des Collèges, ont besoin de l'entretien et des conseils des grands Maîtres; ils demandent qu'on leur enseigne ce que la Philosophie a de plus abstrait; ce que les Mathématiques offrent de plus savant; ce que l'expérience a de plus difficile; ce que le goût a de plus délicat. C'est dans le sein de l'Institut qu'on doit trouver naturellement de telles leçons. L'Institut doit donc être enseignant; et ce nouveau rapport d'utilité publique formera l'un de ses principaux caractères.

Cette fonction ne nuira point à celles que déjà nous lui avons attribuées. Les séances tenues par l'Institut seront essentiellement séparées de l'enseignement dont il s'agit; et cet enseignement lui-même, quoique très-distinct des assemblées, n'en sera pourtant, en quelque sorte, qu'une extension: car les Professeurs, élus en nombre suffisant par les classes, feront connoître dans leurs leçons, non la partie élémentaire de la science ou de l'art, mais ce qui tiendra de plus près au progrès, au perfectionnement de l'une ou de l'autre; ce qui pourra servir, en un mot, de complément à l'instruction; de sorte que, pour ce genre d'enseignement, ce ne seroit peut-être pas, comme pour l'enseignement élémentaire, celui qui s'exprimeroit avec plus de netteté sur la science, mais celui qui auroit le plus fait pour elle, et qui laisseroit le plus à penser aux Élèves, qu'il faudroit choisir.

Jusqu'à ce jour, un assez grand nombre de chaires établies à Paris, soit au Collège Royal, soit au Jardin des Plantes, soit aux Collèges de Navarre et des quatre Nations, soit au Louvre, étoient destinées à l'enseignement des sciences naturelles et philosophiques et à celui de quelques-unes des parties des Belles-Lettres et des Beaux-Arts; mais il n'y avoit entre ces différentes chaires, non plus qu'entre les divers corps académiques, ni liaison, ni harmonie. Différentes autorités, quelquefois très-opposées entr'elles, dirigeoient ces établissemens, et nulle part on n'avoit senti que cette sorte d'enseignement dût s'exercer, non sur les premiers principes, mais sur les difficultés à vaincre: or cependant, il n'est presque aucune des principales divisions des connoissances humaines qui ne doive être enseignée dans les Collèges de District ou de Département. Il ne faut donc pas que les Professeurs de l'Institut répètent ce qui aura été dit longuement ailleurs. Ils n'oublieront jamais que c'est à l'avancement de la science qu'ils seront destinés, ainsi que l'Institut dont ils feront partie.

Toutes les chaires fondées au Collège Royal, au Jardin des Plantes, etc. doivent donc disparoître, parce que, telles qu'elles sont, la plupart n'entreroient point dans le plan de l'Institut où ces chaires se retrouveront sous une autre forme.

Mais pour que l'Institut fasse tout le bien que la Nation doit en attendre, il faut que chacune des classes qui le composent, possède les moyens de donner à ses travaux toute la perfection dont ils sont susceptibles. Les unes auront besoin d'un laboratoire, d'une collection d'instrumens, de machines, de modèles: aux autres, il faudra un jardin, un champ, une ménagerie, un troupeau: toutes réclameront les secours des grandes Bibliothèques et une Imprimerie riche en caractères de tous les genres: toutes désireront qu'une correspondance active leur apprenne quel est, dans les pays étrangers, l'état des Sciences, des Lettres et des Arts, que tous les ouvrages curieux, que les instrumens, que les machines nouvelles qui les intéressent, leur soient communiqués, après qu'ils auront été inscrits sur le catalogue de la collection à laquelle ils devront appartenir, et qu'un nombre suffisant d'interprètes soit chargé de traduire ceux de ces écrits dont on croira que les connoissances seront les plus utiles à répandre. Ainsi organisées, les classes de l'Institut auront des rapports avec les divers établissemens qui seront analogues à leurs travaux. Le Jardin des Plantes dépendra des classes de Botanique et d'Agriculture; le Musæum, de celles d'Histoire Naturelle et d'Anatomie; les collections de machines, de celles de Mécanique et des Arts; le cabinet de Physique appartiendroit à la classe de physique expérimentale; l'école des Mines seroit dirigée conformément aux vues de la classe de Chimie; les collections d'Antiques et de médailles le seroient par celle d'Histoire, et les galeries de tableaux, de statues, de bustes et l'école gratuite de dessin le seroient par les classes des Beaux-Arts: les Bibliothèques seroient une dépendance commune à toutes les classes de l'Institut qui, formé de cette manière, présenteroit une sorte d'Encyclopédie toujours étudiante et toujours enseignante; et Paris verroit dans ses murs le monument le plus complet et le plus magnifique qui jamais ait été élevé aux Sciences.

Pour s'assurer que le choix des Membres et des Professeurs de l'Institut seroit toujours déterminé par la justice, il seroit ordonné aux classes qui auroient fait ou proposé ces élections, d'en rendre publics les motifs, en les adressant à la Législature.

Encore quelques réflexions pour répondre à toutes les questions qui pourroient être faites.

1º. Lorsque nous avons dit que les Professeurs de l'Institut national n'enseigneroient pas les élémens des sciences et des arts, mais ce que leur étude offre de plus difficile et de plus élevé, nous avons établi un principe général qui soutire quelques exceptions dans notre plan. Ces exceptions ont lieu, lorsqu'il s'agit d'une science ou d'un art qui n'est enseigné ni dans les Écoles primaires, ni dans celles de District, ni dans celles de Département; et lorsqu'il importe que cet enseignement se fasse d'une manière complette dans une école qui, étant unique, nous a paru devoir être annexée à l'Institut. Telles sont les classes des Beaux-Arts et celle d'Architecture, considérée sous le rapport de la construction.

2º. L'Architecture décorative est essentiellement liée aux Beaux-Arts parmi lesquels on la trouvera rangée dans notre tableau. Mais la réunion des moyens qui peuvent donner aux constructions de la stabilité, de la durée, et les rendre propres à remplir l'objet de leur destination, tient sur-tout aux sciences Mathématiques et Physiques. Il s'agit en effet dans ces divers travaux, ou de la science des formes, ou de celle de l'équilibre et du mouvement.

La science des formes comprend toutes les recherches géométriques au moyen desquelles on considère des corps, des surfaces et des lignes dans l'espace. La plupart de ces dimensions n'étant point susceptibles d'être tracées sur une surface plane, il faut les représenter d'une manière artificielle, c'est-à-dire, par leur projection, et pouvoir, lorsqu'on les exécute, revenir des projections à la courbe réelle. Les personnes de l'art les plus instruites, conviennent qu'il n'existe point d'ouvrage complet sur cette matière tout-à-fait géométrique. Il est donc à désirer qu'elle devienne l'objet d'une étude suivie et celui d'un enseignement qui lui soit particulièrement destiné.

La science du mouvement et de l'équilibre, prise dans l'acception la plus étendue, peut être considérée comme la collection d'autant de sciences particulières qu'il y a d'objets principaux auxquels elle peut être appliquée. L'enseignement de la partie de la mécanique qui est relative à la construction, ne peut donc pas être confondu avec l'enseignement abstrait et indéterminé de la mécanique en général, et il faut que l'application en soit confiée à un homme très-versé dans ces deux genres d'étude.

Il sera facile aux Élèves de réunir les leçons sur la partie décorative à celles dont la classe de construction sera spécialement occupée. Ainsi l'espèce de séparation qu'offre notre tableau à l'article de l'Architecture, ne peut avoir aucun inconvénient réel, puisque, dans le fait, les étudians peuvent la regarder comme n'existant pas, et se conduire en conséquence.

3º. Deux chaires nous ont paru devoir suffire, vu l'état actuel des connoissances, pour l'enseignement de l'Agriculture: l'une comprendra tout ce qui a rapport aux eaux, aux terres, à leurs produits et aux animaux; l'autre, ce qui est relatif aux bâtimens et aux instrumens aratoires.

Ces chaires nous ont semblé devoir être établies dans les Villes, soit parce que l'Agriculture ne peut faire de grands progrès sans le secours des autres sciences que l'on y cultive également, soit parce que les auditeurs que l'on peut espérer d'y avoir, seront plus en état d'entendre ces sortes de leçons, et d'en profiter. Ces auditeurs seront principalement des propriétaires aisés et instruits, dont le nombre va augmenter par le nouvel ordre de choses, et ceux qui se destinent aux fonctions curiales, qui, par la nature de leur ministère, peuvent mieux que tous autres propager des vérités agricoles.

Deux chaires d'économie rurale et domestique pourroient d'abord être établies au jardin des plantes. Une partie de ce jardin seroit destinée à la formation d'une École de botanique économique, en même-temps qu'un terrain, situé près de Paris et qui dépendroit du jardin des plantes, serviroit aux travaux combinés des classes de botanique et d'agriculture. Le Professeur feroit connoître les divers produits qu'on retire des végétaux que le laboureur cultive. Il auroit à sa disposition un local où seroient élevés des animaux domestiques; et les instrumens agraires seroient confiés à sa garde.

Il paroîtroit prudent de fonder d'abord ces deux chaires à Paris, et l'on jugeroit par leur succès s'il seroit convenable d'en établir de pareilles dans les principales villes du Royaume. Le Département de la Corse, dont le sol varié offre la réunion de tous les sites et de tous les climats, pourra former divers jardins d'essai pour la culture des végétaux qu'il seroit utile d'acclimater en France.

4º. La huitième classe de la section des sciences réunira les objets dont la Société de Médecine et l'Académie de Chirurgie ont fait jusqu'ici leur principale étude. Dorénavant ces deux établissemens n'en formeront qu'un. La classe qui résultera de leur réunion, aura besoin d'un hôpital où se feront les observations, et qui sera desservi, pour le traitement des malades, par les membres mêmes de la classe dont il s'agit. Les nouvelles méthodes y seront tentées avec toute la prudence nécessaire; et les résultats des expériences qui auront été faites, seront toujours mis sous les yeux du public.

Les trois chaires que nous avons annexées à la classe de Médecine, diffèrent de celles qui font partie des Collèges. Deux de ces chaires sont relatives aux soins que demandent les hommes atteints d'épidémie et les animaux attaqués d'épizootie.

Le but de la troisième chaire est d'instruire dans l'art de secourir les hommes dont la vie est menacée par quelque danger pressant et imprévu. Telles sont les personnes noyées et asphyxiées, celles dont les membres sont gelés, celles qu'un animal enragé a mordues, etc., etc. A cet article se rapporteront les nombreux objets de salubrité publique, qui, considérés d'une manière expérimentale, doivent tous faire partie de cet enseignement. Nous proposons encore que ce Professeur soit chargé de faire chaque année un cours sur les maladies des artisans, comme celles auxquelles sont sujets les doreurs, chapeliers, peintres, mineurs, etc.

Ce que la classe de Médecine fera encore de très-utile sera de correspondre avec les Directoires sur tout ce qui concerne la santé du peuple, de recueillir l'histoire médicale des années et celle des maladies populaires, de faire connoître leur origine, leur accroissement, leur communication, leur nature, leurs changemens, leur fin, leur retour et la manière dont elles se succèdent. Ces annales seront un des plus beaux et des plus utiles ouvrages qu'aient exécuté les hommes.

5º. Que la médecine et la chirurgie des animaux doivent être réunies à la médecine humaine, c'est une proposition qui n'a besoin que d'être énoncée pour qu'on en reconnoisse la vérité. Les grands principes de l'art de guérir ne changent point; leur application seule varie. Il faut donc qu'il n'y ait qu'un genre d'école, et qu'après y avoir établi les bases de la science, on cherche, par des travaux divers à en perfectionner toutes les parties. Ainsi, la classe de médecine s'occupera aussi du progrès de l'art vétérinaire, et les établissemens qui auront cet avancement pour objet, seront dirigés de manière qu'il lui soit facile de multiplier les essais qui tendront à ce but désirable.

6º. La Botanique a été jusqu'ici en France la seule partie de l'histoire naturelle pour laquelle on ait fondé des chaires et ordonné des voyages. La connoissance des animaux est cependant plus près de nous que celle des plantes. Les chaires que nous proposons d'annexer à la classe de Zoologie et d'Anatomie, sont d'une création tout-à-fait nouvelle. Nulle part on n'a encore démontré méthodiquement la structure tant extérieure qu'intérieure des nombreux individus qui composent le règne animal. Ces leçons ne seroient pas seulement curieuses; les produits d'un grand nombre d'animaux servent à la médecine et aux arts. Plusieurs sont venimeux, et les parties qui préparent ou qui communiquent le poison, sont importantes à connoître. Enfin, la comparaison des organes doit fournir des résultats nouveaux, des découvertes dont la physique animale saura faire son profit.

7º. Ce ne seront pas seulement les chaires nouvelles qui rendront l'Institut recommandable, ce seront encore celles qui, sans avoir tout-à-fait le mérite de la nouveauté, par des mesures bien concertées, deviendront infiniment plus utiles qu'elles ne l'étoient auparavant. Jusqu'à ce jour, nulle surveillance réelle n'a répondu de l'exactitude des professeurs: dans notre plan, chaque classe sera chargée du choix, et de l'inspection des maîtres qui lui appartiendront; et lorsque plusieurs enseigneront la même partie comme les mathématiques, par exemple, ils se concerteront tellement entre eux, qu'en alternant, l'un commence lorsque l'autre finira. Ainsi les élèves trouveront chaque année un cours ouvert, et ils ne seront jamais retardés dans leurs études.

En réunissant ces chaires éparses à un point central, en y en ajoutant de nouvelles qui ne laissent sans enseignement aucune partie des lettres, des sciences et des arts, en faisant ainsi servir l'éducation publique à l'Institut national dont les leçons fourniront le complément, on fera tout ce qu'il est possible de faire pour le développement de l'esprit et le progrès des connoissances, et l'on rendra inébranlables les bases sur lesquelles se fonde et se perpétue la liberté publique.

Nous ajouterons que les dépenses nécessaires pour mouvoir cette immense machine, surpasseront à peine celles que le gouvernement a destinées jusqu'ici à l'entretien des divers établissemens auxquelles l'Institut doit réunir tant de créations nouvelles.

Des tableaux joints à ce rapport présentent la suite de nos idées sur l'enchaînement des connoissances humaines et sur les attributions que nous croyons devoir être faites aux sections et aux classes de l'Institut.


Voici l'ordre des tableaux annexés à ce rapport.

1º. Programme des sciences philosophiques, des belles-lettres et des beaux-arts.

2º. Programme des sciences mathématiques et physiques et des arts.

3º. Section première de l'Institut national, comprenant les sciences philosophiques, les belles-lettres et les beaux-arts, divisée en dix classes. On y trouve le développement de tout ce qui est relatif aux six premières classes qui doivent tenir des séances communes.

4º. Tableau de la septième classe de la section première, comprenant la peinture et la sculpture.

5º. Tableau de la huitième classe de la section première, comprenant l'architecture décorative.

6º. Section seconde de l'Institut national, comprenant les sciences mathématiques et physiques et les arts mécaniques, divisée en dix classes. On y trouve le développement de tout ce qui est relatif aux six premières classes qui doivent tenir des séances communes.

7º. Tableau de la septième classe de la section seconde, comprenant l'agriculture.

8º. Tableau de la huitième classe de la section seconde, comprenant la médecine, la chirurgie et la pharmacie.

9º. Tableau de la neuvième classe de la section seconde, comprenant l'architecture sous le rapport de la construction.

Nota. Nous n'avons point présenté le tableau de plusieurs classes nouvelles, parce que ces classes n'étant que des dépendances de quelques-unes des sections de l'Institut, elles ne pourront être organisées qu'après qu'on aura pris connoissance des plans qui seront fournis par ces sections. C'est ainsi que la classe des arts ne sera formée qu'après avoir consulté la seconde section de l'Institut.

MOYENS D'INSTRUCTION.

Nous venons de parcourir les divers objets qui composeront l'Instruction publique: et déjà l'on a dû voir qu'ils ne peuvent tous être placés, sur la même ligne; que plusieurs tiennent aux premières lois de la nature, applicables à toute société qui marche vers sa perfection; que d'autres sont une conséquence immédiate de la Constitution que la France vient de se donner; que d'autres enfin sont relatifs à l'état actuel, mais variable, des progrès et des besoins de l'esprit humain; d'où il résulte qu'ils ne doivent pas être indistinctement énoncés dans vos Décrets avec ce caractère d'immutabilité qui n'appartient qu'à un petit nombre.

Dans cette distribution d'objets on retrouve l'empreinte d'une Institution vraiment nationale, soit parce qu'ils seront déterminés et coordonnés conformément au vœu de la Nation, soit sur-tout parce qu'il n'en est aucun qui ne tende directement au véritable but d'une Nation libre, le bien commun né du perfectionnement accéléré de tous les individus; mais c'est particulièrement dans les moyens qui vont être mis en activité, que ce caractère national doit plus fortement s'exprimer.

A la tête de ces moyens doivent incontestablement être placés les Ministres de l'instruction. Nous nous garderons de chercher à les venger ici de ce dédain superbe et protecteur dont ils furent si long-temps outragés: une semblable réparation seroit elle-même un outrage; et certes il faudroit que l'esprit public fût étrangement resté en arrière, si nous étions encore réduits à une telle nécessité. Sans doute, ceux qui dévouent à-la-fois et leur temps et leurs facultés au difficile emploi de former des hommes utiles, des citoyens vertueux, ont des droits au respect et à la reconnoissance de la Nation; mais, pour qu'ils soient ce qu'ils doivent être, il faut qu'ils parviennent à ces fonctions par un choix libre et sévère. Il convient donc qu'ils soient nommés par ceux-là même à qui le peuple a remis la surveillance de ses intérêts domestiques les plus chers, et que leurs relations journalières mettent plus à portée de connoître et d'apprécier les hommes dans leurs mœurs et dans leurs talens. Il faut que ce choix ne puisse jamais s'égarer: il importe donc qu'il soit dirigé d'avance par des règles qui, en circonscrivant le champ de l'éligibilité, rendront l'élection toujours bonne, toujours rassurante, et presque inévitablement la meilleure. Il faut, pour qu'ils se montrent toujours dignes de leurs places, qu'ils soient retenus par le danger de la perdre; il importe donc qu'elle ne soit pas déclarée inamovible. Mais il faut aussi, pour qu'ils s'y disposent courageusement par d'utiles travaux, qu'ils aient le droit de la regarder comme telle: il est donc nécessaire que leur déplacement soit soumis à des formalités qui ne soient jamais redoutables pour le mérite. Enfin, il faut que la considération, l'aisance et un repos honorable soient le prix et le terme de tels services: il est donc indispensable que la Nation leur prépare, leur assure ces avantages, dont la perspective doit les soutenir et les encourager dans cette noble, mais pénible carrière.

L'institution des Maîtres de l'enseignement, réglée suivant ces principes, offre la plus forte probabilité qu'il s'en suivra une multitude de bons choix; et cette probabilité ira de jour en jour en croissant: car, si les instituteurs sont destinés à propager l'instruction, il est clair que l'instruction, à son tour, doit créer et multiplier les bons instituteurs.

Ce premier objet se trouveroit incomplet, si vous ne le réunissiez, dans votre surveillance, à ce qui concerne les ouvrages que le temps nous a transmis, et qu'on doit aussi regarder comme les Instituteurs du genre humain. Comment, pour le bien de l'instruction, rendre plus facilement et plus utilement communicatives toutes les richesses qu'ils renferment? Cette question appartient essentiellement à notre sujet; et, sous ce point de vue, l'organisation des bibliothèques nous a paru devoir être placée dans l'ordre de notre travail, à côté des Maîtres de l'enseignement.

Vous venez de recouvrer ces vastes dépôts des connoissances humaines. Cette multitude de livres perdus dans tant de monastères, mais, nous devons le dire, si savamment employés dans quelques-uns, ne sera point entre vos mains une conquête stérile; pour cela, non-seulement vous faciliterez l'accès des bons ouvrages, non-seulement vous abrégerez les recherches à ceux pour qui le temps est le seul patrimoine, mais vous hâterez aussi l'anéantissement si désirable de cette fausse et funeste opulence sous laquelle finiroit par succomber l'esprit humain. Une foule d'ouvrages, intéressans lorsqu'ils parurent, ne doivent être regardés maintenant que comme les efforts, les tatonnemens de l'esprit de l'homme se débattant dans la recherche de la solution d'un problème: par une dernière combinaison, le problème se résout; la solution seule reste; et dès-lors toutes les fausses combinaisons antérieures doivent disparoître: ce sont les ratures nombreuses d'un ouvrage, qui ne doivent plus importuner les yeux quand l'ouvrage est fini.

Donc chaque découverte, chaque vérité reconnue, chaque méthode nouvelle devroit naturellement réduire le nombre des livres.

C'est pour remplir cette vue, et aussi pour rendre utilement accessibles les bons ouvrages à ceux qui veulent s'instruire, que doivent être ordonnés la distribution des bibliothèques, leur correspondance et les travaux analytiques de ceux par qui elles seront dirigées.

Ainsi chacun des quatre-vingt-trois Départemens possédera dans son sein une bibliothèque. Chacun d'eux, héritier naturel des bibliothèques monastiques, trouvera, dans la collection de ces livres, un premier fonds qu'il épurera, et qui s'enrichira chaque année tant par ses pertes que par ses acquisitions. Une distribution nouvelle rendra ces richesses utilement disponibles.

Paris offrira sur-tout le modèle d'une organisation complette.

Les plus savans bibliographes ont pensé que l'immense collection des livres que renferme Paris, pourroit être, pour le plus grand avantage de ceux qui cultivent l'étude, divisé en cinq classes; que chaque classe formeroit une bibliothèque, et que leur réunion fictive composeroit la bibliothèque nationale; que chacune de ces sections, sans manquer toutefois des livres élémentaires, des livres principaux, sur toutes les sciences qui doivent se trouver par tout, seroit spécialement affectée à une science, à une faculté en particulier; que par-là le service de la bibliothèque nationale deviendroit plus prompt, plus commode; que chacun, des préposés aux cinq sections, particulièrement attaché à une partie, le connoîtroit mieux, seroit plus en état de la classer, de la perfectionner, de l'analyser, de l'enrichir de tout ce qui lui manque, et sur-tout de diriger dans leurs études tous ceux qui auroient à faire des recherches particulières dans la faculté dominante de sa section. Ainsi, bibliothèque mieux fournie, bibliothécaire plus instruit, par conséquent secours plus nombreux et plus expéditifs.

Mais on a pensé en même temps que cette distribution ne devoit se faire que sur les livres que nous fournissent les Communautés du Département de Paris; que la bibliothèque du Roi, regardée de tout temps comme nationale, étant déjà toute formée, toute organisée, devoit rester ce qu'elle est, et ne pas disperser ses richesses dans les diverses sections de la nouvelle bibliothèque; que même il étoit naturel qu'elle acquît ce qui lui manque dans les bibliothèques ecclésiastiques supprimées, ainsi que la bibliothèque de la Municipalité de Paris, qui, enrichie et complettée par ce moyen, pourroit servir de bibliothèque de Département.

La bibliothèque du Roi est le premier des dépôts. Il faut chercher à le perfectionner; il seroit déraisonnable de le dénaturer et de le détruire.

Quant aux bibliothèques des Départemens, chacune d'elles sera divisée, mais dans le même local, en cinq classes, pour correspondre plus facilement aux sections de la bibliothèque nationale existante à Paris.

Cette correspondance fournira les premiers matériaux à un journal d'un genre nouveau que vous devez encourager. Cet ouvrage, qui ne devra point être assujetti à une périodicité funeste à toutes les productions, aura un but philosophique et très-moral: destiné d'abord à faire connoître le nombre, la nature des livres ou manuscrits de chaque Département, à perfectionner leurs classifications, leurs sous-divisions, et à fixer les recherches inquiètes des savans, il offrira bientôt des notices analytiques sur tout ce que le temps commande d'abréger, des choix heureux, des simplifications savantes qui réduiront insensiblement à un petit nombre de volumes nécessaires ce que les travaux de chaque siècle ont produit de plus intéressant; il disposera les matériaux de ce qui est incomplet, préparera les méthodes, apprendra ce qui est fait, ce qu'on ne doit plus chercher, nous dira combien chaque vérité, chaque découverte rend inutiles d'ouvrages, de portions d'ouvrages, et sur-tout hâtera leur anéantissement réel, d'abord en réduisant au plus petit nombre possible, c'est-à-dire, si l'on peut parler ainsi, à des individus uniques, cette foule d'ouvrages superflus, multipliés avec tant de profusion, et en livrant ensuite à la bienfaisante rigueur du temps le soin de détruire absolument l'espèce entière condamnée à ne plus se reproduire.

Peut-être même un tel journal pressera-t-il l'opinion publique au point qu'on regardera, non comme courageux, mais comme simple et raisonnable, de détruire tout à fait, d'époques en époques, une prodigieuse quantité d'ouvrages qui n'offriront plus rien, même à la curiosité, et qu'il seroit puéril de vouloir encore conserver.

L'esprit se soulage par l'espoir que cette multitude immense de productions tant de fois répétées par l'art, et qui n'auroit jamais dû exister, du moins n'existera pas toujours; qu'enfin les livres qui ont fait tant de bien aux hommes, ne sont pas destinés à leur faire un jour la guerre et au physique et au moral. Or, c'est évidement du sein des bibliothèques que doit sortir le moyen d'en accélérer la destruction.

Avant de terminer cet article, vous désirez sans doute savoir par approximation à quoi s'élève sur cet objet la nouvelle richesse nationale.

Les relevés faits sur les inventaires des établissemens ecclésiastiques et religieux, au nombre de quatre mille cinq cents maisons ou à-peu-près, annoncent quatre millions cent quatre-vingt-quatorze mille quatre cent-douze volumes, dont près de vingt-six mille manuscrits. Sur ce nombre, la ville de Paris fournit huit cent huit mille cent-vingt volumes. On a remarqué qu'environ un cinquième étoit dépareillé, ou de nulle valeur. On évalue donc en général le nombre des volumes qui forme des ouvrages complets à trois millions deux cent mille, sur lesquels environ six cent quarante mille à Paris. Il est vrai aussi que certains livres y sont répétés trois, six, et neuf mille fois, et qu'il n'y a qu'environ cent mille articles différens. Enfin, dans ce nombre de trois millions deux cent mille se trouvent à-peu-près deux millions de volumes de théologie.

Les deux premiers moyens d'instruction que nous venons de parcourir, se fortifieront de ceux qui doivent naître des encouragemens, des récompenses, et sur-tout des méthodes nouvelles.

Les encouragemens connus sous le nom de bourses offrent quelques points de discussion. Tout ce qui les concerne se trouve renfermé dans les questions suivantes, qu'il est indispensable de résoudre.

Quel doit être l'emploi des nombreuses fondations de ce genre qui existent particulièrement à Paris?

Au profit de qui et par qui doivent-elles être employées?

Faut-il en établir, et à l'aide de quels moyens, dans les lieux où il n'en existe pas?

Enfin quelles règles à observer dans leur distribution?

Les principes sur les fondations sont connus. Ce qui a été donné pour un établissement public, a été remis à la Nation qui en est devenue la vraie dispensatrice, la vraie propriétaire, sous la condition d'accorder en tout temps l'intention du donateur avec l'utilité générale. L'Assemblée Nationale peut donc, en se soumettant à ce principe, disposer du domaine de l'instruction, comme aussi des fonds de la charité publique. Mais, dans un objet de cette importance, il ne faut point d'opération hazardeuse. L'espoir du mieux ne permet de rien compromettre: on doit uniquement s'occuper ici de conserver et d'appliquer. Il faut donc garder soigneusement à l'instruction tout ce qui lui fut primitivement consacré; car c'est au moment où elle s'aggrandit que les secours lui deviennent plus nécessaires. Il faut que les bourses existantes à Paris soient appliquées à Paris, non-seulement parce que c'est le vœu des fondateurs, mais parce que les fonds sur lesquels sont établies ces bourses, existent presque tous dans la ville même de Paris, et parce que c'est aussi le seul moyen d'en faire jouir complettement et plus utilement, même tous les Départemens du Royaume.

Cette dernière raison résout la seconde question sur les bourses.

Au profit de qui et par qui doivent-elles être accordées?

La plupart ont été fondées pour des provinces qui n'existent plus, pour des classes privilégiées qui n'existent pas davantage. Cette intention littérale ne peut donc être remplie. Mais elles l'ont été toutes pour l'encouragement du talent, pour le soulagement de l'infortune, et, en dernier résultat, pour le plus grand bien public. Or cette intention, la seule qui doit survivre à tout, sera parfaitement acquittée, lorsqu'il aura été décidé qu'elles seront réparties proportionnellement entre tous les Départemens, et que chacun d'entre eux aura le droit de nommer et d'envoyer à Paris, pour jouir de ce bienfait, le nombre de sujets qui lui seront désignés par ce partage.

Mais doit-on, et par quels moyens établir ce genre d'encouragement dans les lieux où il n'existe pas?

Il est clair que les moyens gratuits d'instruction ne doivent pas être concentrés exclusivement dans la Capitale; que la justice et toutes les convenances demandent que, dans chaque Département, l'instruction soit aussi complette qu'elle peut l'être. Cependant, comment y faire parcourir tous les degrés d'instruction à ceux que leur détresse met dans l'impossibilité d'en acquitter les frais, tandis que leurs dispositions les y appellent? Au moment de la révision de notre code constitutionnel, vous avez fortement exprimé votre vœu à cet égard: vous avez pensé qu'il étoit du devoir de l'Assemblée d'acquitter cette dette de la Nation. Nous vous proposerons donc d'établir, de fixer dans chaque Département un certain nombre de bourses qui seront acquittées et appliquées là, et dont la distribution, dans les différentes Écoles, sera confiée aux diverses Administrations. Ce moyen ne tardera pas à s'étendre, à s'aggrandir: il se fortifiera sur-tout, nous n'en doutons point, par de nombreuses souscriptions volontaires; ces mouvemens spontanés des peuples libres qui, associant l'homme à tout ce qui s'élève d'utile autour de lui, vont le porter vers cette multitude d'établissemens nouveaux où tous les vœux d'une bienfaisance éclairée trouveront à se satisfaire.

Quant aux règles de la distribution, elles sont simples. Chaque Administration municipale, surveillant les écoles de son arrondissement, puisera dans chacune d'elles, par une communication fréquente, des notions précises sur les titres effectifs de tous ceux qui aspireront à ce bienfait. Ces notions seront transmises par les Municipalités aux Districts, par les Districts aux Départemens qui, les réunissant toutes et combinant ensemble les dispositions, la conduite et les moyens de fortune, pourront discerner ceux qui mériteront la préférence, ou, dans le cas presque chimérique d'un doute absolu, ordonneront une dernière épreuve entre les concurrens. Cette méthode que l'expérience perfectionnera, nous a paru préférable à un concours qui seroit toujours et exclusivement décisif, à cette épreuve incertaine où la timidité a fait souvent échouer des talens véritables, où la médiocrité hardie a obtenu tant d'avantages. Ce dernier moyen qui appelle toute l'attention des juges sur un seul instant, sur un seul ouvrage, peut être conservé dans la carrière des arts et pour la solution des grands problèmes des sciences; car ici tout le talent que l'on veut récompenser peut se montrer dans une seule composition. Mais, lorsqu'il est moins question de talent que de dispositions, lorsqu'on à moins à récompenser ce qui est fait, qu'à encourager ce qui peut se faire, lorsque les dispositions sont encore vagues et n'ont pu se fixer sur un seul objet, il est parfaitement raisonnable de ne pas s'arrêter à un moment, à une production qui peut n'être qu'un heureux hazard, et il faut alors se déterminer sur les indications de toute une année, qui rarement seront trompeuses.

Si la Société doit ce genre d'encouragement aux simples espérances que donnent des dispositions marquées, elle semble devoir davantage à ce que le talent produit de réel et d'utile, à tous les succès par lesquels il se distingue. C'est dans le trésor de l'opinion que résident sur-tout les moyens précieux d'acquitter cette dette.—On sait ce que dans tous les temps les récompenses, connues sous le nom de prix, ont produit chez les peuples libres: quelle ne sera pas leur puissance chez une Nation vive, enthousiaste, avide de toutes les sortes de gloire?

Ils seront offerts à tous les âges: tous doivent les ambitionner. Le premier âge, parce qu'il est plus sensible à la louange, qu'heureusement, elle l'étonne, et qu'elle ne corrompt pas encore ses actions; l'âge de la raison, parce qu'il sent plus profondément les outrages de l'envie, et qu'il a besoin de trouver hors de lui et dans un témoignage irrécusable, un réparateur des injustices individuelles.

Long-temps le mot de prix et toutes les idées qu'il réveille, ont été relégués dans le dictionnaire de l'enfance, et ont paru y prendre une sorte de caractère de puérilité; ce préjugé achevera de se dissiper à votre voix. C'est elle, c'est la voix de la Nation qui, invoquant et fixant l'opinion, provoquera les efforts, se servira de l'amour-propre et de l'imagination de l'homme pour le conduire à la véritable gloire par les routes du bien public, tantôt désignant le but aux recherches du talent, tantôt le livrant à lui-même et se confiant à sa marche, toujours montrant la récompense inséparable du succès. Depuis l'Élève des Écoles Primaires jusqu'au Philosophe destiné à aggrandir le domaine de la raison, quiconque, dans les productions recommandées à son talent, aura dépassé ses rivaux, aura atteint le but, aura osé quelquefois le franchir, recevra, dans un témoignage éclatant, la juste récompense de ses efforts.

Il faut que tout ce qui est mieux, que tout ce qui est plus utile, soit désormais à l'abri de l'indifférence et de l'oubli; mais cette première récompense du talent doit être simple, pure, modeste comme lui: une branche, une inscription, une médaille, tout ce qui annonce qu'on n'a pas cru le payer, tout ce qui, respectant sa délicatesse dans le choix même du prix, semble laisser à l'estime et à la confiance individuelle le droit et le devoir d'acquitter chaque jour davantage la dette de la Nation. Voilà ce qu'il convient d'offrir d'abord au talent.

C'est sur ce principe que doivent être distribués les prix dans toutes les parties du Royaume. Chaque lieu choisira le moment le plus solemnel pour honorer le triomphe du talent. Ce jour sera par-tout un jour de fête, et tous ceux que le choix du peuple aura revêtus d'une fonction, devront y assister comme étant les organes les plus immédiats de la reconnoissance publique.

On ne peut parcourir les moyens d'instruction, sans s'arrêter particulièrement aux méthodes, ces véritables instrumens des sciences qui sont pour les Instituteurs eux-mêmes, ce que ceux-ci sont pour les Élèves. C'est à elles en effet à les conduire dans les véritables routes, à applanir pour eux, à abréger le chemin difficile de l'instruction. Non-seulement elles sont nécessaires aux esprits communs; le génie le plus créateur lui-même en reçoit d'incalculables secours, et leur a dû souvent ses plus hautes conceptions: car elles l'aident à franchir tous les intervalles; et en le conduisant rapidement aux limites de ce qui est connu, elles lui laissent toute sa force pour s'élancer au-delà. Enfin pour apprécier d'un mot les méthodes, il suffira de dire que la science la plus hardie, la plus vaste dans ses applications, l'algèbre n'est elle-même qu'une méthode inventée par le génie, pour économiser le temps et les forces de l'esprit humain. Il est donc essentiel de présenter quelques vues sur ce grand moyen d'instruction. Sans doute que l'infatigable activité des esprits supérieurs, encouragée et fortement secondée par la libre circulation des idées, se portera d'elle-même vers cet objet où tant de découvertes sont encore à faire; mais il faut, autant qu'il est en nous, épargner d'inutiles efforts; il faut nous aider en ce moment de tout ce que le génie de la Philosophie a pu nous transmettre, afin de presser et d'assurer la marche de l'esprit humain. En un mot, nous avons marqué le but de l'instruction; il nous reste à marquer, à indiquer du moins les principales routes, et à fermer sans retour celles qui si long-temps n'ont servi qu'à égarer les hommes.

Pour ne point se perdre dans cet immense sujet, nos méditations se sont portées, bien moins sur les sciences en particulier que sur le principe et la fin de toutes les sciences; car c'est-là sur-tout qu'il faut appeler en ce moment les efforts du talent et les idées créatrices de tous les propagateurs de la vérité.

L'homme est un être raisonnable, ou plus exactement peut-être, il est destiné à le devenir; il faut lui apprendre à penser: il est un être social; il faut lui apprendre à communiquer sa pensée: il est un être moral; il faut lui apprendre à faire le bien. Comment l'aider à remplir cette triple destinée? Par quels moyens parviendra-t-on à étendre et perfectionner la raison, à faciliter la communication des idées, à applanir les difficultés de la morale? De telles recherches sont dignes de notre époque. Voici quelques apperçus, peut-être quelques résultats que nous confions à l'attention publique.

La raison, cette partie essentielle de l'homme, qui le distingue de tout ce qui n'est pas lui, est néanmoins dans une telle dépendance de son organisation et des impressions qu'il reçoit, qu'elle paroît presque tenir le dehors son existence en même temps que son développement. Il faut donc surveiller ces impressions premières, auxquelles sont comme attachées et la nature et la dignité réelle de l'homme.

Et d'abord, qu'il soit prescrit de bannir du nouvel enseignement tout ce qui jadis n'étoit visiblement propre qu'à corrompre, qu'à enchaîner cette première faculté; et les superstitions de tout genre dont on l'effrayoit, et qui exerçoient sur elle et contre elle un si terrible empire long-temps encore après que la réflexion les avoit dissipées; et toutes ces nomenclatures stériles qui, n'étant jamais l'expression d'une idée sentie, étoient à-la-fois une surcharge pour la mémoire, une entrave pour la raison; et ce mode bizarre d'enseignement où les connoissances étant classées, étant prisées dans un rapport inverse avec leur utilité réelle, servoient bien plus à dérouter, à tromper la raison qu'à l'éclairer; et ces méthodes gothiques qui, convertissant obstacles jusqu'aux règles destinées à accélérer sa marche, la faisoient presque toujours rétrograder. Il est temps de briser toutes ces chaînes: il est temps que l'on rende à la raison son courage, son activité, sa native énergie, afin que, libre de tant d'obstacles, elle puisse rapidement et sans détour avancer dans la carrière qui s'ouvre et s'aggrandit sans cesse pour elle. C'est par vous qu'elle retrouvera sa liberté; c'est par les méthodes qu'elle en recueillera promptement les avantages.

Sans doute qu'il existera toujours des différences entre la raison d'un homme et celle d'un autre homme: ainsi l'a voulu la nature; mais la raison de chacun sera tout ce qu'elle peut être: ainsi le veut la Société.

Cependant comment tracer des méthodes à la raison? Comment ouvrir une route commune à tant de raisons diverses? Comment faire parvenir à chacune de ces raisons la part de richesses intellectuelles à laquelle chacune peut et doit prétendre. De tels objets réunis échapperoient peut-être à des méthodes générales. Je veux en ce moment me borner à ce qui importe le plus à la perfectibilité de l'homme, c'est-à-dire, aux moyens de donner à la raison de chaque individu toute la force et toute la rectitude dont elle est susceptible.

La force de la raison dépend particulièrement de la mesure d'attention qu'on est en état d'appliquer à l'objet dont on s'occupe; peut-être même n'est-elle que cela; car c'est par elle que la raison d'un homme se montre toujours supérieure à celle d'un autre homme. L'attention est une disposition acquise par laquelle l'âme parvient à échapper aux écarts de l'imagination, à se soustraire aux importunités de la mémoire, et enfin à se commander à elle-même pour recueillir à son gré toutes ses forces. C'est alors que l'intelligence peut s'élever jusqu'à son plus haut degré d'énergie, que la pensée crée d'autres pensées, et que des idées fugitives et comme inapperçues se réunissent et deviennent tout-à-coup productives. Mais l'attention n'est une marque d'étendue et de supériorité qu'autant que l'esprit peut, en quelque sorte, la prendre à sa volonté, et la transporter toute entière d'un objet à un autre.

Tel est donc le but auquel il faut tendre dans l'instruction destinée à la jeunesse: il faut, par tout ce qui peut influer sur ses habitudes, l'accoutumer à maîtriser sa pensée, à retenir ou rappeller à son gré ce regard si mobile de l'âme; lui montrer dans cet effort sur soi, dans cette refrénation intérieure, le principe de tous les genres de succès, la source des plus belles jouissances de l'esprit. Il faut enfin faire sortir de son intérêt présent, de ses affections même les plus impétueuses, le désir persévérant de se commander en quelque sorte pour en devenir plus libre.

Cet apperçu indiqueroit peut-être la théorie qu'exige cette partie de l'enseignement; mais le problème reste encore pour nous tout entier à résoudre.

Quelle est l'indication précise et complette des moyens propres à apprendre à tous les hommes à se rendre maîtres de leur attention?

Un tel problème mérite d'être recommandé à tous ceux qui sont dignes de concourir à l'avancement de la raison humaine.

La rectitude de la raison tient à d'autres causes; et néanmoins l'attention qui est le principe de sa force, est un grand acheminement vers cette rectitude: car la disposition de l'âme qui permet d'observer long-temps un objet, doit être nécessairement un des premiers moyens pour apprendre à le bien voir. Mais il faut aider ce moyen; il faut, par des procédés bien éprouvés, assurer à la raison et lui conserver cette habitude de voir sans effort ce qui est, et cette constante direction vers la vérité qui alors devient la passion dominante et souvent exclusive de l'âme. En nous élevant jusqu'à la hauteur des méthodes les plus générales, il nous a semblé que, pour atteindre à ce but, il importoit souverainement d'intéresser en quelque sorte la conscience des élèves à la recherche de tout ce qui est vrai: (la vérité est en effet la morale de l'esprit, comme la justice est la morale du cœur). Il importe non moins vivement d'intéresser leur curiosité, leur ardente émulation, en les faisant comme assister à la création des diverses connoissances dont on veut les enrichir, et en les aidant à partager sur chacune d'elles la gloire même des inventeurs: car ce qui est du domaine de la raison universelle ne doit pas être uniquement, offert à la mémoire; c'est à la raison de chaque individu à s'en emparer: il est mille fois prouvé qu'on ne sait réellement, qu'on ne voit clairement que ce qu'on découvre, ce qu'on invente en quelque sorte soi-même. Hors de là, l'idée qui nous arrive, peut être en nous; mais elle n'est pas à nous; mais elle ne fait pas partie de nous: c'est une plante étrangère qui ne peut jamais prendre racine. Que faut-il donc? Recommander par dessus tout l'usage de l'analyse qui réduit un objet quelconque à ses véritables élémens, et de la synthèse qui le recompose ensuite avec eux. Par cette double opération qui recèle peut-être tout le secret de l'esprit humain, à qui nous devons les plus savantes combinaisons de la métaphysique, et par là les principes de toutes les sciences, on parvient à voir tout ce qui est dans un objet, et à ne voir que ce qui y est: on ne reçoit point, une idée; on l'acquiert: on ne voit jamais trouble; on voit juste, ou l'on ne voit rien. Que faut-il encore? L'application fréquente et presque habituelle de la méthode rigide des mathématiciens, de cette méthode qui, écartant tout ce qui ne sert qu'à distraire l'esprit, marche droit et rapidement à son but, s'appuie sur ce qui est parfaitement connu pour arriver sûrement à ce qui ne l'est pas, ne dédaigne aucun obstacle, ne franchit aucun intervalle, s'arrête à ce qui ne peut être entendu, consent à ignorer, jamais à savoir mal; et présente le moyen, si non de découvrir toujours la vérité d'un principe, du moins d'arriver avec certitude jusqu'à ses dernières conséquences. Cette méthode est applicable à plus d'objets qu'on ne pense, et c'est un grand service à rendre à l'esprit humain que de l'étendre sur tous ceux qui en sont susceptibles. Ainsi, nouveau problème à résoudre.

Comment appliquer l'esprit d'analyse et la méthode rigoureuse des mathématiciens aux divers objets des connoissances humaines?

C'est encore ici à la Nation à interroger, et c'est au temps à nous montrer celui qui sera digne d'apporter la réponse à cette question.

Au don de penser succède rapidement le don de communiquer ce qu'on pense; ou plutôt l'un est tellement enchaîné à l'autre, qu'on ne peut les concevoir séparés que par abstraction. De cette vérité rendue particulièrement sensible de nos jours, il suit que tout ce qui augmente les produits de la pensée, agit simultanément sur le signe qui l'accompagne, comme aussi que le signe perfectionné accroît, enrichit et féconde à son tour la pensée; mais cette conséquence incontestable et purement intellectuelle ne doit pas nous suffire; et ici s'offrent à l'esprit d'intéressantes questions à discuter.

Une singularité frappante de l'état dont nous nous sommes affranchis, est sans doute que la langue nationale, qui chaque jour étendoit ses conquêtes au-delà des limites de la France, soit restée au milieu de nous comme inaccessible à un si grand nombre de ses habitans, et que le premier lien de communication ait pu paroître pour plusieurs de nos contrées une barrière insurmontable. Une telle bizarrerie doit, il est vrai, son existence à diverses causes agissant fortuitement et sans dessein; mais c'est avec réflexion, c'est avec suite que les effets en ont été tournés contre les peuples. Les Écoles primaires vont mettre fin à cette étrange inégalité: la langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous; et cette foule de dialectes corrompus, derniers restes de la féodalité sera contrainte de disparoître: la force des choses le commande. Pour parvenir à ce but, à peine est il besoin d'indiquer des méthodes: la meilleure de toutes pour enseigner une langue dans le premier âge de la raison, doit en effet se rapprocher de celle qu'un instinct universel a suggérée pour montrer à l'enfance de tous les pays le premier langage qu'elle emploie; elle doit n'être qu'une espèce de routine, raisonnée, il est vrai, et éclairée par degrés, mais nullement précédée des règles de la grammaire: car ces règles, qui sont des résultats démontrés pour celui qui sait déjà les langues et qui les a méditées, ne peuvent en aucune manière être des moyens de les savoir pour celui qui les ignore: elles sont des conséquences; on ne peut, sans faire violence à la raison, les lui présenter comme des principes.

Mais si l'on peut laisser au cours naturel des idées le soin de rendre universelle parmi nous une langue dont chaque instant rappellera le besoin, on ne doit pas confier au hazard le moyen de la perfectionner. La langue françoise, comme toutes les autres, a subi d'innombrables variations auxquelles le caprice et des rencontres irréfléchies ont eu bien plus de part que la raison: elle a acquis, elle a perdu, elle a retrouvé une foule de mots. D'abord stérile et incomplette, elle s'est chargée successivement d'abstractions, de composés, de dérivés, de débris poëtiques. Pour bien apprécier les richesses qu'elle possède et celles qui lui manquent, il faut avant tout se faire une idée juste de son état actuel; il faut montrer à celui dont on veut éclairer la raison par le langage, quel a été le sens primitif de chaque mot, comment il s'est altéré, par quelle succession d'idées on est parvenu à détacher d'un sujet ses qualités pour en former un mot abstrait qui ne doit son existence qu'à une hardiesse de l'esprit; il faut rappeller le figuré à son sens propre, le composé au simple, le dérivé à son primitif; par-là tout est clair; il règne un accord parfait entre l'idée et son signe, et chaque mot devient une image pure et fidèle de la pensée.

Ici commence le perfectionnement de la langue. Et d'abord la révolution a valu à notre idiome une multitude de créations qui subsisteront à jamais, puisqu'elles expriment ou réveillent des idées d'un intérêt qui ne peut périr; et la langue politique existera enfin parmi nous; mais, plus les idées sont grandes et fortes, plus il importe que l'on attache un sens précis et uniforme aux signes destinés à les transmettre; car de funestes erreurs peuvent naître d'une simple équivoque. Il est donc digne des bons citoyens, autant que des bons esprits, de ceux qui s'intéressent à la fois au règne de la paix et au progrès de la raison, de concourir par leurs efforts à écarter des mots de la langue françoise, ces significations vagues et indéterminées, si commodes pour l'ignorance et la mauvaise foi, et qui semblent receler des armes toutes prêtes pour la malveillance et l'injustice. Ce problème très-philosophique et qu'il faut généraliser le plus possible, demande du temps, une forte analyse et l'appui de l'opinion publique pour être complettement résolu. Il n'est pas indigne de l'Assemblée Nationale d'en encourager la solution.

Un tel problème, auquel la création et le danger accidentel de quelques mots nous ont naturellement conduits, s'est lié dans notre esprit à une autre vue. Si la langue françoise a conquis de nouveaux signes, et s'il importe que le sens en soit bien déterminé, il faut en même-temps qu'elle se délivre de cette surcharge de mots qui l'appauvrissoient et souvent la dégradoient. La vraie richesse d'une langue consiste à pouvoir exprimer tout avec force, avec clarté, mais avec peu de signes. Il faut donc que les anciennes formes obséquieuses, ces précautions timides de la foiblesse, ces souplesses d'un langage détourné qui sembloit craindre que la vérité ne se montrât toute entière, tout ce luxe imposteur et servile qui accusoit noire misère, se perde dans un langage simple, fier et rapide; car là où la pensée est libre, la langue doit devenir prompte et franche, et la pudeur seule a le droit d'y conserver ses voiles.

Qu'on ne nous accuse pas toutefois de vouloir ici calomnier une langue qui, dans son état actuel, s'est immortalisée par des chefs-d'œuvres. Sans doute que par-tout les hommes de génie ont subjugué les idiomes les plus rebelles, ou plutôt par-tout ils ont su se créer un idiome à part; mais il a fallu tout le courage, toute l'audace de leur talent, et la langue usuelle n'en a pas moins conservé parmi nous l'empreinte de notre foiblesse et de nos préjugés. Il est juste, il est constitutionnel que ce ne soit plus désormais le privilège de quelques hommes extraordinaires de la parler dignement; que la raison la plus commune ait aussi le droit et la facilité de s'énoncer avec noblesse; que la langue françoise s'épure à tel point, qu'on ne puisse plus désormais prétendre à l'éloquence sans idées, comme il ne sera plus permis d'aspirer à une place sans talens; qu'en un mot, elle reçoive pour tous un nouveau caractère et se retrempe en quelque sorte dans la liberté et dans l'égalité. C'est vers ce but non moins philosophique que national que doit se porter une partie des travaux des nouveaux Instituteurs.

Un Ministre immortel dans les annales du despotisme ne jugea pas indifférent à sa gloire, et sur-tout à ses vues, de réserver une partie de ses soins au progrès et à ce qu'il nommoit le perfectionnement de la langue françoise: en cela il voyoit profondément et juste. L'Assemblée Nationale, qui certes connoît et connoît bien autrement la puissance de la parole, qui sait combien les signes ont d'empire, ou plutôt d'action sur les idées et par elles sur les habitudes qu'elle veut faire naître ou affermir, et qui désire que la raison publique trouve sans cesse dans la langue nationale un instrument vigoureux qui la seconde et ne la contrarie jamais, sentira sans doute aussi, mais dans des vues bien différentes, combien un tel objet importe à l'intérêt et à la gloire de la Nation. Ainsi:

Notre langue a perdu un grand nombre de mots énergiques qu'un goût, plutôt foible que délicat, a proscrits; il faut les lui rendre: les langues anciennes et quelques-unes d'entre les modernes sont riches d'expressions fortes, de tournures hardies qui conviennent parfaitement à nos nouvelles mœurs; il faut s'en emparer; la langue françoise est embarrassée de mots louches et synonymiques, de constructions timides et traînantes, de locutions oiseuses et serviles; il faut l'en affranchir. Voilà le problème complet à résoudre.

Si la langue nationale est le premier des moyens de communication qu'il importe de cultiver, l'enseignement simultané des autres langues, de celles sur-tout qui nous ont transmis des modèles immortels, est un moyen auxiliaire et puissant qu'il seroit coupable de négliger: car, sans parler des beautés qu'elles nous apportent et qui expirent dans les traductions, on ne doit pas perdre de vue que, par leur seul rapprochement, les langues s'éclairent et s'enrichissent; que, surveillées en quelque sorte l'une par l'autre, elles s'avertissent de leurs défauts, se prêtent mutuellement des images; qu'elles fortifient, par leur contraste, par leur opposition même, les facultés intellectuelles de celui qui les réunit. L'idée qui nous appartient sous divers signes, est en effet bien plus profondément en nous, bien plus intimement à nous: c'est une propriété dont à peine nous soupçonnions d'abord l'existence, et qui reçoit une nouvelle garantie et comme un nouveau titre de chacun des témoins nouveaux qui la constatent.

Cette action mutuelle des langues qui, s'épurant ainsi l'une par l'autre, concourent par leur influence réciproque à imprimer à la pensée un nouveau degré de force et clarté, a dû insensiblement élever l'écrit jusqu'à l'idée d'une langue commune et universelle, qui, née en partie du débris des autres, trouveroit, soit en elles, soit hors d'elles, les élémens les plus analogues avec toutes nos sensations, et par-là deviendroit nécessairement la langue humaine. Il paroît que cette idée, ou plutôt une idée semblable, a occupé quelque temps un des plus grands Philosophes du dernier siècle: il sembloit à Leibnitz, que pour hâter les progrès de la raison, on devoit chercher, non à vaincre successivement, mais à briser à-la-fois tous les obstacles qui empêchent ou retardent la libre communication des esprits; que, dans l'impossibilité d'apprendre cette multitude d'idiomes disparates qui les séparent, il falloit en former ou en adopter un qui fût en quelque sorte le point central, le rendez-vous commun de toutes les idées, en un mot, qui devînt pour la pensée ce que l'algèbre est pour les calculs. Une telle vue a dû étonner par sa hardiesse, et l'on n'a pas tardé à la ranger dans la classe des chimères: il faudroit en effet que les nouveaux signes universellement adoptés, fussent une image tellement sensible de nos idées, qu'attiré ou ramené vers eux comme par enchantement, le genre humain s'étonnât d'en avoir, jusqu'à ce jour, adopté d'autres, qu'ils fussent en un mot presque aussi clairement représentatifs de la pensée, que l'or et l'argent le sont de la richesse. Or de tels signes sont-ils dans la nature? Peuvent-ils exister pour toutes les idées?

Gardons-nous pourtant de fixer trop précipitamment le terme où doivent s'arrêter sur de semblables questions les recherches de l'esprit humain: car, si dans toute l'étendue que présente ce problème, on est en droit de le regarder comme insoluble, il est cependant permis de penser que les efforts, même impuissans pour les résoudre, ne seraient pas tout-à-fait perdus, et que chaque pas que l'on feroit dans cette recherche, dût le terme se reculer sans cesse, chaque découverte, dans cette région presque idéale, apporteroit quelques richesses à la langue, quelques moyens nouveaux à la raison.

Déjà des hommes, inspirés par le génie de l'humanité, ont presque atteint la solution de ce hardi problème. On les a vus, pour consoler les êtres affligés que la nature a déshérités d'un sens, inventer de nos jours et perfectionner rapidement cette langue des signes qui est l'image vivante de la pensée, dont tous les élémens sensibles à l'œil ne laissent appercevoir rien d'arbitraire, par qui les idées même les plus abstraites deviennent presque visibles, et qui, dans sa décomposition, simple à la fois et savante, présente la véritable grammaire, non des mots, mais des idées. Une telle langue rempliroit toutes les conditions du problème, si par elle, comme par la parole écrite, on parvenoit à transmettre la pensée à des distances indéfinies; mais jusqu'à présent, on n'a pu que la parler et non l'écrire; et ceux qui la possèdent le mieux, sont réduits, pour se faire entendre de loin, à la traduire en une des langues usuelles. Jusqu'à ce qu'on ait trouvé le moyen de la transcrire, au lieu de la traduire, elle restera donc à la vérité une des plus belles, une des plus utiles inventions des hommes: elle sera peut-être la première des méthodes pour rendre l'esprit parfaitement analytique, pour le prémunir contre une multitude d'erreurs qu'il doit à l'imperfection de nos signes, pour corriger enfin les vices innombrables de nos grammaires. Sous ces points de vue, elle ne pourra être ni trop méditée, ni trop fortement encouragée; mais elle ne sera point, encore une langue universelle.

Ces réflexions sur les langues, les divers points de vue sous lesquels nous avons considéré ce sujet fécond, et enfin les problèmes proposés ou indiqués, nous paroissent devoir remplir l'objet de cet article, celui de préparer et d'assurer un jour à la raison tous les moyens de communication qu'elle peut désirer.

Ce n'est pas assez d'apprendre à penser à l'être raisonnable, d'apprendre à communiquer sa pensée à l'être social, il faut particulièrement apprendre à faire le bien à l'être moral.

Faire le bien, le faire chaque jour mieux par un plus grand nombre de motifs et avec moins d'efforts, c'est là que tout doit tendre dans une association quelconque. Hors de là, rien n'est à sa place, rien ne marche à son but. Ainsi les méthodes pour apprendre à communiquer ce qu'on pense, ne doivent elles-mêmes être réputées que des moyens indirects pour atteindre jusqu'à la morale, qui est le dernier résultat de toute société: car les désordres ne sont, bien souvent, que des erreurs de la pensée, et souvent aussi les habitudes vertueuses que le résultat naturel de la communication des esprits.

Mais ces moyens éloignés réclament l'appui des méthodes particulières et directes.

Avant de les présenter, défendons-nous de séparer ici, comme tant de fois on a osé le faire, la morale publique de la morale privée. Cette charlatanerie de la corruption est une insulte aux mœurs: quoiqu'il soit vrai que les rapports changent avec les personnes et les événemens, il est incontestable que le principe moral reste toujours le même, sans quoi il n'existeroit point. On peut bien, on doit même appliquer diversement les règles de la justice; mais il n'y a point deux manières d'être juste; mais il est absurde de penser qu'il puisse y avoir deux justices.

Pour arriver à l'exacte définition de la morale, il faut la chercher dans le rapprochement des idées que le commun des hommes, livrés ou rendus à eux-mêmes, ont constamment attachées à ce mot. Celle qui paroît les comprendre toutes, et qu'indique un instinct général autant que la raison, présente à l'esprit l'art de faire le plus de bien possible à ceux avec qui l'on est en relation, sans blesser les droits de personne. Si les relations sont peu étendues, la morale réveille l'idée des vertus domestiques et privées: elle prend le nom de patriotisme, lorsque ces relations s'étendent sur la Société entière dont on fait partie; enfin, elle s'élève jusqu'à l'humanité, à la philantropie, lorsqu'elles embrassent le genre humain. Dans tous les cas, elle comprend la justice qui sent, respecte, chérit les droits de tous; la bonté qui s'unit par un sentiment vrai au bien ou au mal d'autrui; le courage qui donne la force d'exécuter constamment ce qu'inspirent la bonté et la justice; enfin ce degré d'instruction qui, éclairant les premiers mouvemens de l'âme, nous montre à chaque instant en quoi consistent et ce qu'exigent réellement et la justice, et la bonté, et le courage. Tels sont les élémens de la morale. De-là résultent deux vérités: la première, qu'elle est inséparable d'un bien produit ou à produire, que par conséquent l'effort le plus hardi qui n'aboutit point là, lui est absolument étranger. Ce n'est point de l'étonnement, c'est de la reconnoissance qu'elle doit inspirer. La seconde, qu'elle ne peut se trouver que dans les relations qui nous unissent à nos semblables: car elle suppose des droits, des devoirs, des affections réciproques, et particulièrement ce sentiment expensif qui, nous faisant vivre en autrui, devient par la réflexion le garant de la justice, comme il est naturellement le principe de la bonté. Il faut donc ici identité de nature. Sans doute que les rapports de l'homme avec Dieu, avec soi, et même avec les êtres inférieurs à lui, ne sont pas étrangers à la morale: mais si la raison y découvre des motifs souvent très-puissans pour la pratiquer, si, sous ce point de vue, ils doivent être cultivés, ils doivent être respectés, il est sensible, à la simple réflexion qu'ils ne peuvent faire eux-mêmes partie de cette morale science dont il est question. On doit seulement les considérer comme moyens, tandis que les rapports sociaux sont ici à la fois et le principe et le but.

La morale ainsi analysée, ainsi circonscrite, quelles méthodes doit mettre en usage une grande Société pour en pénétrer fortement les membres qui la composent? Trois principales s'offrent à l'esprit et embrassent les moyens d'instruction pour la vie entière: la première est de faire faire à l'enfance un apprentissage véritable de ce premier des arts et comme un premier essai des vertus que la Société lui demandera un jour, en organisant cette petite Société naissante d'après les principes de la grande organisation sociale; la seconde, de multiplier sans cesse autour de tous les individus et en raison de leurs affections, les motifs les plus déterminans pour faire le bien; la troisième est de frapper d'impressions vertueuses et profondes les sens, les facultés de l'âme, de telle sorte que la morale, qui pourroit d'abord ne paroître qu'un produit abstrait de la raison, ou un résultat vague de la sensibilité, devienne un sentiment, un bonheur, et par conséquent une forte habitude.

La gloire d'un individu est de faire des actions utiles lorsqu'elles demandent du courage. Le devoir de la Société est de les convertir tellement en habitude, que rarement l'emploi du courage soit nécessaire: ce principe est incontestable. C'est donc dans l'enfance qu'il faut jetter les premières semences de la morale, puis qu'il est si bien reconnu que les impressions qui datent de ce premier âge de la vie, sont les seules que le temps n'efface jamais.

Là s'appliqueront sans effort et dans la juste mesure que demandent la foiblesse et l'inexpérience, les moyens ordinaires d'instruction; mais un moyen particulier et d'un effet sûr paroît devoir être ajouté par-tout où les élèves sont constamment réunis sous les yeux de leurs instituteurs.

Ce moyen, dont on retrouve quelque traces dans les anciennes institutions des Perses, ainsi que dans quelques cantons Suisses, consiste à organiser ces jeunes sociétés, quelque temps avant la fin de l'éducation, de telle sorte que l'exercice anticipé de toutes les vertus sociales y soit un besoin universellement senti: car, qui doute qu'en toute chose et sur-tout en morale, la première de toutes les leçons ne soit la pratique, et que la pratique ne soit complettement assurée, quand chaque instant en rappelle la nécessité.

Toute réunion qui a un but, est une véritable association; et une association quelconque, déterminée par un intérêt commun, entraîne la nécessité d'un gouvernement. Cette vérité ne peut être mise en doute.

Or, dans le gouvernement le plus fractionnaire, le plus subordonné à la loi et à l'action générale, on retrouve les élémens des divers pouvoirs qui constituent la grande Société, c'est-à-dire, des volontés individuelles qui cherchent à se réunir, et des moyens d'exécution qui demandent à être dirigés; et l'on est porté à combiner ces élémens sur le modèle qu'on a sous les yeux.

C'est ainsi que, dans l'ancien état des choses, le régime intérieur de chaque école sembloit s'être formé sur le régime tyrannique sous lequel la France étoit opprimée.

Une foule de réglemens incohérens, éludés par la faveur, changés par le caprice; des volontés arbitraires prenant sans cesse la place de la loi; des punitions qui ne tendoient qu'à flétrir l'âme; des distinctions humiliantes qui insultoient au principe sacré de l'égalité; une soumission toujours aveugle; enfin nul rapport de confiance entre les gouvernans et les gouvernés: telles étoient les maisons d'instruction: telle étoit la France entière.

Aujourd'hui que le gouvernement représentatif a pris naissance parmi nous, c'est-à-dire, le gouvernement le plus parfait qu'il soit donné à l'homme de concevoir, pourroit-on ne pas chercher à en reproduire l'image dans l'enceinte des sociétés instructives lorsque rien ne s'y oppose, que la raison le demande, et sur-tout que la morale doit y trouver infailliblement le moyen de s'étendre et de s'affermir dans les âmes? Développons cette idée.

Toute association, a dit un philosophe, dont les membres ne peuvent pas vaquer tous à toute l'administration commune, est obligée de choisir entre des représentans et des maîtres, entre le despotisme et un gouvernement légitime. Cette idée simple et féconde trouve ici une application directe.

Mais une observation se présente tout-à-coup pour suspendre la rapidité de la conséquence qu'on pourroit en déduire.

Le principe n'est complettement vrai que lorsque l'association est formée d'hommes parfaitement égaux, et qui arrivent là avec la plénitude de leurs droits.

Or, une maison d'instruction étant composée d'Instituteurs et d'Élèves, d'hommes dont la volonté et la raison sont formées, et de jeunes gens en qui l'une et l'autre sont incomplettes, enfin d'individus revêtus d'une autorité, et d'individus qui doivent s'y soumettre, il est clair qu'on ne peut presser ici le principe de l'égalité.

Et pourtant si la raison, si la nature des choses demandent que celui qui instruit soit constamment au-dessus de celui qui est instruit; si, sous ce rapport, son autorité doit même être pleine et indépendante, et si l'amour-propre le plus rebelle ne peut en être plus irrité que ne l'est celui d'un enfant lorsqu'il est porté par un homme fort, il est également vrai que, hors de là et en ce qui concerne sur-tout le régime des Écoles, cette autorité ne doit pas être également illimitée, ou plutôt qu'il faut la placer en d'autres mains pour qu'ici, comme dans le corps social, la séparation des pouvoirs garantisse de tout despotisme.

Qu'on ne perde pas de vue que, dans les individus les plus enchaînés par les institutions sociales, il est une portion de volonté disponible qui peut être utilement et doit par conséquent être toujours mise en commun, dès l'instant qu'il se forme entre eux une association quelconque.

La volonté des jeunes gens, toute imparfaite qu'elle est, se porte facilement vers ce qui est vrai et juste, parce qu'elle est libre de préjugés.

Or peut-on ne pas sentir qu'il importe aux Élèves et aux Instituteurs que ces jeunes volontés, transmises en quelque sorte par des élections souvent renouvellées jusqu'à un petit nombre d'entre eux qui deviendront les représentans de tous, se réunissent dans l'exercice des diverses fonctions administratives et judiciaires que réclame le maintien de toute société.

C'est alors que les Instituteurs bornés à l'objet qui leur appartient exclusivement, l'instruction, n'exerçant sur tout le reste qu'une surveillance directive très-générale, conserveront aisément cette confiance si nécessaire à leurs travaux, et qu'aucune vengeance particulière, aucun reproche personnel n'essayera plus d'affoiblir.

Les Élèves, de leur côté, à la fois libres et soumis, supportant sans peine un joug dont ils sentiront la nécessité, mais ne supportant que celui là; à l'abri désormais de ces nombreuses injustices qui les révoltent, et dont le ressentiment se conserve toute la vie; appellés par des choix toujours purs à participer à l'administration commune, à devenir des Juges, des Jurés, des Arbitres, des Censeurs; toujours comptables envers leurs égaux; chargés tour à tour de prévenir les délits, de les juger, de les faire punir; de distribuer le blâme et la louange, d'appaiser les dissentions; jaloux, dans l'exercice de ces intéressantes fonctions, de mériter l'estime de tous sans chercher à plaire à personne, apprendront de bonne heure à traiter avec les hommes et leurs passions, à concilier l'exercice de la justice avec une indulgence raisonnée, s'exerceront à toutes les vertus domestiques et publiques, au respect pour la loi, pour les mœurs, pour l'ordre général, sentiront s'élever leur âme au sein de l'égalité, de la liberté, et sauront enfin ce qu'on ne peut savoir trop tôt et ce qu'ils eussent ignoré long-temps, que l'homme, à quelque âge que ce soit, doit plier sous la loi, sous la nécessité, sous la raison, jamais sous une volonté particulière.

N'est-ce pas là le véritable apprentissage de la vie sociale, et par conséquent le cours de morale le plus complet, le plus efficacement instructif? Un réglement facile réalisera les bases de cette Constitution particulière, si parfaitement analogue à la Constitution générale de l'Empire.

Il est un second devoir de la Société pour assurer l'empire de la morale: c'est de rassembler et de fortifier les motifs qui peuvent porter l'homme à faire le bien dans les divers âges de la vie.

La Société doit exciter l'homme par l'intérêt, en lui montrant dans le bien qu'il fait aux autres, le garant de celui qu'il recevra de tous, en lui montrant même que, dans cet échange réciproque, il recevra bien plus qu'il ne donne.

Elle doit l'exciter par l'honneur, en rattachant à la morale ce mobile des âmes ardentes que le préjugé en avoit détaché.

Elle doit l'exciter par la conscience, en le rappellant souvent, par l'organe de ses agens et des instituteurs publics, à ce sens interne qui, exercé, éclairé de bonne heure, et consulté fréquemment, devient un inspirateur prompt et sûr, un moniteur incorruptible, et rend inséparables la vertu et le bonheur, le crime et les remords.

Elle doit sur-tout l'exciter par la raison; car il faut avant tout et après tout s'adresser à cette première faculté de l'homme, puisque tous les autres mobiles doivent tôt ou tard subir son jugement et sa révision: il faut montrer à ceux qui se déterminent par réflexion plus que par sentiment, par conviction plus que par intérêt, que les vérités, dans l'ordre moral, sont fondées sur des bases indestructibles, qu'on ne peut les méconnoître sans renoncer à toute raison; qu'en un mot, la morale la plus sublime n'est presque jamais que du bon sens.

Elle doit enfin exciter l'homme par l'exemple: et ce moyen puissant, c'est à l'histoire qu'elle doit le demander: car l'orgueil de l'homme se défendra toujours de le devoir à ses contemporains. Quelle histoire sera digne de remplir cette vue morale? Aucune sans doute de celles qui existent: ce qui nous reste de celle des anciens nous offre des fragmens précieux pour la liberté; mais ce ne sont que des fragmens: ils sont trop désunis, trop loin de nous; aucun intérêt national ne les anime, et notre long asservissement nous a trop accoutumés à les ranger parmi les fables. La nôtre, telle qu'elle a été tracée, n'est presque par-tout qu'un servile hommage décerné à des abus: c'est l'ouvrage de la foiblesse écrivant sous les yeux, souvent sous la dictée de la tyrannie; mais cette même histoire, telle qu'elle devroit être, telle qu'on la conçoit en ce moment, peut devenir un fonds inépuisable des plus hautes instructions morales.

Que désormais s'élevant à la dignité qui lui convient, elle devienne l'histoire des peuples et non plus celle d'un petit nombre de chefs; qu'inspirée par l'amour des hommes, par un sentiment profond pour leurs droits, par un saint respect pour leur malheur, elle dénonce tous les crimes qu'elle raconte; que, loin de se dégrader par la flatterie, loin de se rendre complice par une vaine crainte, elle insulte jusqu'à la gloire toutes les fois que la gloire n'est point la vertu; que par elle une reconnoissance impérissable soit assurée à ceux qui ont servi l'humanité avec courage, et une honte éternelle à quiconque n'a usé de sa puissance que pour nuire; que, dans la multitude de faits qu'elle parcourt, elle se garde de chercher les droits de l'homme qui certes ne sont point là; mais qu'elle y cherche, mais qu'elle y découvre les moyens de les défendre que toujours on peut y trouver; que, pour cela, sacrifiant ce que le temps doit dévorer, ce qui ne laisse point de trace après soi, tout ce qui est nul aux yeux de la raison, elle se borne à marquer tous les pas, tous les efforts vers le bien, vers le perfectionnement social, qui ont signalé un si petit nombre d'époques, et à faire ressortir les nombreuses conspirations de tous les genres, dirigées contre l'humanité avec tant de suite, conçues avec tant de profondeur, et exécutées avec un succès si révoltant; qu'en un mot, le récit de ce qui fut, se mêle sans cesse au sentiment énergique de ce qui devoit être: par là, l'histoire s'abrège et s'aggrandit; elle n'est plus une compilation stérile; elle devient un système moral; le passé s'enchaîne à l'avenir, et en apprenant à vivre dans ceux qui ont vécu, on met à profit pour le bonheur des hommes, jusqu'à la longue expérience des erreurs et des crimes.

C'est par tous ces moyens, c'est par tous ces motifs intérieurs que la morale s'imprimera dans l'homme. Il reste à lui en faire parvenir les impressions par les moyens extérieurs qui sont au pouvoir de la Société; et ici se présentent à l'esprit les spectacles, les fêtes, les arts, etc. etc.

Un moyen fécond d'instruction sera éternellement attaché à la représentation des grands événemens, à la peinture énergique des grandes passions. S'il est vrai que l'influence de l'art qui les reproduit sur la scène, s'est fait sentir sous le despotisme, s'il a déposé dans l'âme des François des germes qui, avec le temps, se sont développés contre le despotisme lui-même, quels effets ne peut-il pas produire pour la liberté? Cet art qui, chez les Grecs, appelloit la haine sur les tyrans, qui offroit l'image de la gloire, du bonheur d'un peuple libre, et celle de l'avilissement et de l'infortune des peuples esclaves, ne prépare-t-il pas aux François des tableaux dignes de rallumer et de perfectionner sans cesse leur patriotisme? Sans doute c'est là le but vers lequel il va diriger toute sa puissance.

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