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Sésame et les lys: des trésors des rois, des jardins des reines

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[57]Cf. la Bible d'Amiens: « Sans but, dirons-nous aussi, lecteurs vieux et jeunes, de passage ou domiciliés.» (I, 5.) (Note du traducteur.)

[58]S. Mathieu, XVI, 19. (Note du traducteur.)

[59]Cf. la Bible d'Amiens, IV, 3: «Pour lui le texte tout simplement et franchement cru: «Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom», et III, 50: «Les Ier, VIIIe, VIIe, XVe» psaumes «bien appris et crus,» etc., et aussi, II, 28: «Leur franchise, si vous lisez le mot comme un savant et un chrétien, etc.» (Note du traducteur.)

[60]Cf.: «Vous êtes surpris d'entendre parler d'Horace comme d'une personne pieuse. Il nous semble toujours quand il emploie le mot Jupiter que c'est qu'il lui manquait un dactyle.» (Val d'Arno, IX, 218, etc.). «Vous croyez que tous les vers ont été écrits comme exercice et que Minerve n'est qu'un mot commode pour mettre comme avant-dernier dans un hexamètre et Jupiter comme dernier. (The Queen of the air, I, 47, 48.) (Note du traducteur.)

[61]I S. Pierre, V, 3, «Paissez le troupeau de Dieu qui vous est commis, veillant sur lui, non pour un gain déshonnête, mais par affection, non comme ayant la domination sur les héritages du Seigneur, mais en vous rendant les modèles du troupeau.» Les évêques dont parle Ruskin renversant donc exactement le modèle proposé par S. Pierre. (Note du traducteur.)

[62]Quand deux triangles ont un angle égal compris entre deux côtes égaux, les deux autres angles et le troisième côté coïncident aussi. De même quand on a pu faire coïncider certains points générateurs de deux esprits, d'autres coïncidences en découleront: on pourra ne les observer qu'ensuite, mais elles étaient enfermées dans la vérité première. Quand après cela nous faisons le tour des deux esprits nous les apercevons qui nous ont devancés et sont allées se ranger d'elles-mêmes à la place que nous leur avions assignée. (C'est ainsi qu'un astronome voit pour la première fois, quand il a un télescope assez puissant, une étoile dont il avait préalablement démontré l'existence et la place par le simple calcul). Plus modestement (!), j'avais, dans la Préface de la Bible d'Amiens, comparé à Ruskin un moderne idolâtre dont je prise infiniment le talent et l'esprit, et j'avais relevé entre eux quelques points de coïncidence, d'ailleurs bien faciles à apercevoir. Voici que Ruskin m'en offre de nouveaux, qui vérifient mon dire, et en me montrant qu'ils passent par les mêmes points, confirme qu'ils suivent (un peu, et pas longtemps, les esprits ne sont pas si géométriques) la même ligne. Oui «un Évêque signifie une personne qui voit», voilà une phrase que tous ceux de mes amis qui connaissent le poète et l'essayiste idolâtre dont je veux parler, diront presque involontairement de la voix forte, avec l'accent qui souligne et qui martèle, qui chez lui sont si originaux: «Un évêque est une personne qui voit». On l'entend dire cela, car, comme Ruskin (trahit sua quemque voluptas) il s'enivre de trouver au fond de chaque mot son sens caché, antique et savoureux. Un mot est pour lui la gourde pleine de souvenirs dont parle Baudelaire. En dehors même de la beauté de la phrase où il est placé (et c'est là que pourrait commencer le danger), il le vénère. Et si on méconnaît ce qu'il contient (en l'employant à faux) il crie au sacrilège (et en cela il a raison). Il s'étonne de la vertu secrète qu'il y a dans un mot, il s'en émerveille; en prononçant ce mot dans la conversation la plus familière, il le remarque, le fait remarquer, le répète, se récrie. Par là il donne aux choses les plus simples une dignité, une grâce, un intérêt, une vie, qui font que ceux qui l'ont approché préfèrent à presque toutes les autres sa conversation. Mais au point de vue de l'art on voit que serait le danger pour un écrivain moins doué que lui; les mots sont en effet beaux en eux-mêmes, mais nous ne sommes pour rien dans leur beauté. Il n'y a pas plus de mérite pour un musicien à employer un mi qu'un sol; or, quand nous écrivons nous devons considérer les mots à la fois comme des œuvres d'art, dont il faut que nous comprenions la signification profonde et respections le passé glorieux, et comme de simples notes qui ne prendront de valeur. (par rapport à nous) que par la place que nous leur donnerons et par les rapports de raison ou de sentiment que nous mettrons entre elles. (Note du traducteur.)

[63]Cf. Bible d'Amiens, IV, 26: «Telles qu'elles sont ces six lignes latines expriment au mieux l'entier devoir d'un évêque en commençant par son office pastoral: nourrir mon troupeau, qui pavit populum. (Note du traducteur.)

[64]Comparez avec la 13e lettre de Temps et Marées. (Note de l'auteur.)

[65]«Prenez donc garde à vous-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis évêques pour paître l'Église de Dieu qu'il a acquise par son propre sang, car je sais qu'il entrera parmi vous des loups ravissants, etc.» (Actes, XX, 28 et 29.) (Note du traducteur.)

[66]St Jean, III, 8.

[67]St Jean, III, 8 et 9. Je trouve des allusions à ce passage de St Jean dans On the old Road, III, § 274, dans On the old Road, II, § 34: «Alors je ne peux pas ne pas me demander dans quelle mesure il y a connexité entre «pneuma», la vapeur, et d'autres forces pneumatiques dont il est question dans cette vieille littérature religieuse... quelle connexité, dis-je, entre ce moderne «spiritus» avec son inspiration réglée par des soupapes, et ce spiritus plus ancien au souffle chaud duquel les hommes avaient coutume de penser qu'ils pouvaient «être nés».—Et dans The Queen of the air, III, § 55: «Quel sens précis nous devons attacher à ces quatre vents de l'esprit dont le souffle pouvait donner la vie aux ossements desséchés, ou pourquoi la présence du pouvoir vital dépendrait de l'action chimique de l'air... nous n'avons pas besoin de le savoir... Ce que nous savons d'une façon certaine, c'est que les états de la vie et les états de la mort sont différents et les premiers plus désirables que les seconds et attingibles par l'effort, si nous comprenons que «né de l'esprit» signifie avoir le souffle du ciel dans notre chair et son pouvoir dans nos cœurs.»—À un autre point de vue Ruskin ici, comme tout à l'heure dans Sésame, comme plus tard,—et très souvent—dans la Bible d'Amiens, nous interdit avec un «cela ne vous regarde pas» transcendantal, les questions d'origine et d'essence, et nous invite au contraire à nous occuper des questions de fait, du fait moral et spirituel.—Et voici que la médecine contemporaine semble sur le point de nous dire elle aussi (elle, partie pourtant d'un point si différent, si éloigne, si opposé), que nous sommes «nés de l'esprit» et qu'il continue à régler notre respiration (voir les travaux de Brugelmann sur l'asthme), notre digestion (voir Dubois, de Berne, les Psychonévroses et ses autres ouvrages) la coordination de nos mouvements (voir Isolement et Psychothérapie par les Drs Camus et Pagniez, préface du professeur Déjerine). «Quand vous m'aurez en disséquant un mort montré l'âme, j'y croirai», disaient volontiers les médecins il y a vingt ans. Maintenant, non pas dans les cadavres (qui dans la sage théorie d'Ezéchiel ne sont justement des cadavres que parce qu'ils n'ont plus d'âme (Ezéchiel, XXXVII, 1-12), mais dans le corps vivant, c'est à chaque pas, c'est dans chaque trouble fonctionnel, qu'ils sentent la présence, l'action de l'âme, et pour guérir le corps, c'est à l'âme qu'ils s'adressent. Les médecins disaient il n'y a pas longtemps (et les littérateurs attardés le répètent encore) qu'un pessimiste c'est un homme qui a un mauvais estomac. Aujourd'hui le Dr Dubois imprime en toutes lettres qu'un homme qui a un mauvais estomac c'est un pessimiste. Et ce n'est plus son estomac qu'il faut guérir si l'on veut changer sa philosophie, c'est sa philosophie qu'il faut changer si l'on veut guérir son estomac. Il est entendu que nous laissons ici de côté les questions métaphysiques d'origine et d'essence. Le matérialisme absolu et le pur idéalisme sont également obligés de distinguer l'âme du corps. Pour l'idéalisme le corps est un moindre esprit, de l'esprit encore, mais obscurci. Pour le matérialisme l'âme est encore de la matière, mais plus compliquée, plus subtile. La distinction subsiste en tous cas pour la commodité du langage, même si l'une et l'autre philosophie sont obligées, pour expliquer l'action réciproque de l'âme et du corps, d'identifier leur nature. (Note du traducteur.)

[68]Allusion à I Corinthiens, VIII, 1 «La connaissance bouffit, la charité édifie.» Cf. ce verset cité dans Stones of Venice. II, 2, XXX. (Note du traducteur.)

[69]Cf. Præterita «un protestant qui ne se fie qu'à soi pour interpréter tous les sentiments possibles des hommes et des anges», et cet autre, à Turin, «qui prêchait à quinze vieilles femmes qu'elles étaient, à Turin, les seuls enfants de Dieu». (Note du traducteur.)

[70]Mais les actes cependant ne suffisent pas: «Avec sa main droite le Christ nous bénit, mais nous bénit sous condition: Fais ceci et tu vivras, ou plutôt dans un sens plus strict: «Sois ceci et tu vivras.» Montrer de la pitié n'est rien, être pur en action n'est rien, tu dois être pur aussi dans ton cœur». (Bible d'Amiens, IV, 54). Le texte de Sésame et celui de la Bible d'Amiens ne me paraissent pas d'ailleurs inconciliables. Ce qui doit être bon, c'est l'être même. Or un désir de bonté, suivi d'un acte mauvais, ne peut pas suffire à constituer la bonté de l'être, car l'acte mauvais est alors causé par quelque chose de mauvais qui est en nous. Voilà pour Sésame. Et pour la Bible d'Amiens: Mais l'acte bon ne doit pas être différent de notre moi profond, il ne doit pas être bon d'une manière purement formelle. Il doit exprimer la bonté de l'être. (Note du traducteur.)

[71]Cf. Bible d'Amiens, IV, 56, 59. «Je ne sais ni ne tiens à savoir à quelle époque la théorie de la justification par la Foi se trouve fixée, etc.; elle reste aujourd'hui le plus méprisable des emplâtres populaires mis sur chaque déchirure de la conscience, etc... Si vous devez croire que quoi que vous commettiez d'insensé ou d'indigne, cela pourra, grâce à vos doctrines, être raccommodé et pardonné, moins vous croirez en un monde spirituel et surtout moins vous en parlerez, mieux cela sera.» (Note du traducteur.)

[72]Cf. la Bible d'Amiens, III, § 41. (Note du traducteur.)

[73]Allusion probable à S. Jude, XII. «Ceux-là sont des nuées sans eau.» Cf. On the old Road, et Unto this last: «Les nuages sont le réservoir de la pluie et s'ils ne donnent pas de pluie, etc.», § 74. (Note du traducteur.)

[74]S. Luc, II, 52: «Malheur à vous, Docteurs de la Loi! parce que vous avez pris la clef de la science; vous n'êtes pas entrés vous-mêmes et vous avez empêché d'entrer ceux qui le voulaient.» Ce verset de S. Luc est ainsi expliqué par Renan: «Les pharisiens excluent les hommes du royaume de Dieu par leur casuistique méticuleuse qui en rend l'entrée trop difficile, et décourage les simples.» (Vie de Jésus, page 350 des premières éditions, note 3.) (Note du traducteur.)

[75]

«Tel qui donne libéralement devient plus riche,
Et tel qui épargne à l'excès ne fait que s'appauvrir.
L'âme bienfaisante sera rassasiée
Et celui qui arrose sera lui-même arrosé.»

(Proverbe, XI, 24, 25).

(Note du traducteur.)

[76]Allusion aux versets de saint Mathieu qui resteront à tout jamais le plus amusant portrait du maître de maison exagérément formaliste, de celui dont les invités disent avec raison: Il est terrible. Voici ce passage: «Le Roi entrant pour voir ceux qui étaient à table, il aperçut un homme qui n'avait pas revêtu d'habit de noce. Il lui dit: «Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir un habit de noce?» Cet homme garda le silence, alors le Roi dit aux serviteurs: «Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Car il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus». (S. Mathieu XXII, 12, 13, 14.) (Note du traducteur.)

[77]L'Éducation moderne consiste la plupart du temps à rendre chacun capable de penser de travers sur tous les sujets imaginables qui ont de l'importance pour lui. (Note de l'auteur.)

[78]De tels passages paraissent aux petits esprits l'œuvre d'un petit esprit; les grands esprits au contraire reconnaîtront que c'est, en morale, la conclusion à laquelle aboutissent tous les grands esprits. Seulement ils pourront regretter (pour les autres) que Ruskin s'explique aussi peu et donne cette forme un peu bourgeoise et un peu courte à des vérités qui pourraient être présentées moins prosaïquement. Cf. (pour cette manière d'exposer une vérité en la rapetissant volontairement, en lui donnant une apparence offensive de lieu commun démodé) Bible d'Amiens, IV, 59: «Toutes les créatures humaines qui ont des affections ardentes, le sens commun et l'empire sur soi-même, ont été et sont naturellement morales... un homme bon et sage diffère d'un homme méchant et idiot, comme un bon chien d'un chien hargneux.» Ruskin, quand il écrit, ne tient jamais compte de Mme Bovary, qui peut le lire. Ou plutôt il aime à la choquer et à lui paraître médiocre. (Note du traducteur.)

[79]Le «Library Edition» indique comme référence: Emerson: «To Rhea».

[80]Dans Henry VIII.

[81]Caïphe, éternellement étendu en croix en travers du chemin, pour avoir conseillé aux Juifs la crucifixion de Jésus. Selon Dante son beau-père Ananias et tous ceux qui assistaient au conseil où fut résolu le supplice de Jésus subissent la même peine. (Note du traducteur.)

[82]Nicolas III (Jean-Gaetan Orsini), que Dante aperçoit les pieds flambants hors d'un trou au fond duquel il est plongé, la tête en bas. Nicolas III entendant la voix de Dante croit d'abord que c'est Boniface VIII. Mais Virgile ordonne à Dante de le détromper, Nicolas III avoue alors à Dante qu'il fut simoniaque et Dante lui répond: «Or ça, dis-moi quel trésor Notre Seigneur voulut-il de S. Pierre, avant de mettre les clefs en son pouvoir? Il ne lui demande rien, sinon: Suis-moi.

Ni Pierre, ni les autres n'enlevèrent à Matthias son or et son
argent....
Reste donc là, car tu es justement puni, et garde bien ta richesse
mal acquise...
Et n'était que me retient encore le respect des clefs souveraines que
tu tins dans la douce vie,
J'userais de paroles encore plus sévères...
Il vous a vus, pasteurs, l'Évangéliste, lorsqu'il aperçut celle qui est
assise sur les eaux se prostituant aux rois.
Ah! Constantin, de quels maux fut la source, non ta conversion,
mais la dot que reçut de toi le premier pape opulent.

Ces paroles (que je cite d'après la traduction de la Divine Comédie par Brizeux) plurent à Virgile. Il ne semble pas qu'elles produisirent le même effet à Nicolas III, car «tandis que je lui chantais ces notes, dit Dante, soit colère ou conscience qui le mordit, il secouait fortement les pieds.» (Note du traducteur.)

[83]Jérémie, IV, 3. (Note du traducteur.)

[84]Comparez § 13, Ci-dessus. (Note de l'auteur.)

[85]Voir plus bas la note dans la 2e partie de Sésame (Des jardins des Reines), page 212.

[86]

Et c'est encor Seigneur le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge, etc.

(Baudelaire, les Phares.)

(Note du traducteur.)

[87]Cf. dans l'admirable Livre de mon ami d'Anatole France: «À la bonne heure, m'écriais-je, voilà l'éclat des passions. Les passions il n'en faut pas médire. Tout ce qui se fait de grand en ce monde se fait par elles. Ma fille... ayez des passions fortes, laissez-les grandir et croissez avec elles. Et si plus tard vous devenez leur maîtresse inflexible, leur force sera votre force et leur grandeur votre beauté. Les passions, c'est toute la richesse morale de l'homme.» (Note du traducteur.)

[88]Cf. Bible d'Amiens: «Un monastère sans art, sans lettres et sans pitié.» (Note du traducteur.)

[89]I S. Pierre, 12. (Note du traducteur.)

[90]Allusion à l'anéantissement de la Pologne (1864.) (Note du traducteur.)

[91]La «Library Edition» nous apprend qu'il y a ici une allusion à l'intérêt (dont font foi les Journaux d'octobre et novembre 64) soulevé cette année même (1864) dans le public par l'assassinat de M. Briggs sur la ligne du North London. Matthew Arnold plaisante sur la démoralisation de notre classe causée par la tragédie de Bow (dans sa préface de 1865 à l'Essai sur la critique). (Note du traducteur.)

[92]Allusion, dit la «Library Edition», à la guerre de Sécession et à l'interruption du trafic du coton causée par le blocus des ports du Sud. (Note du traducteur.)

[93]Allusion, selon la même édition, aux guerres de 1840 et 1856 causées par l'opposition de la Chine au trafic de l'opium.

[94]Voir la note à la fin de la conférence. Je l'ai fait imprimer en gros caractères parce que, depuis qu'elle a été écrite, le cours des événements l'a peut-être rendue plus digne d'attention. (Note de l'auteur.)

[95]Malheureusement la «Library Edition» ne nous indique pas à quel fait contemporain ceci est une allusion.(Note du traducteur.)

[96]Le nouvel ambassadeur que l'Angleterre venait d'envoyer en Russie, l'année même des massacres de Pologne, qui est aussi l'année où a été prononcée cette conférence, La «Library Edition» nous donne le nom de cet ambassadeur: Sir Andrew Buchanam. (Note du traducteur.)

[97]Allusion à Timothée, VI, 10, passage auquel Ruskin fait souvent allusion. Notamment dans On the old Road, III, 152; dans Stones of Venice, I, V, 90: «L'amour de l'argent, le péché de Judas et d'Ananias, est assurément la racine de tout mal parce qu'il endurcit le cœur, mais la convoitise «qui est idolâtrie» (allusion à Colossiens, III, 5), le péché d'Achab.. qui cause bien plus de maux, mais est moins incompatible avec le christianisme.» Dans Unto This Last l'allusion est faite presque de la même manière que dans notre texte de Sésame: «Les écrits que (en paroles) nous déclarons divins, non seulement dénoncent l'amour de l'argent comme la source de tout mal, etc., etc., et nous ne nous en mettons pas moins à étudier la science de devenir riche comme le chemin le plus court pour arriver au bonheur de la nation.» Sur le péché d'Ananias, voir notamment Sésame, III, The mystery of Life, § 135, et On the old Road, II, § 72 (The Cestas of Aglaia.) (Note du traducteur.)

[99]Allusion probable mais vague à Rois, XII, 14, discours que tient Roboam, contrairement aux conseils des vieillards, mais conforme au conseil des jeunes gens qui lui avaient dit: «Dis-leur: mon père vous a châtiés avec des fouets, mais moi je vous châtierai avec des fouets garnis de pointes.» (Note du traducteur.)

[100]Cf. Munera Pulveris, 65. (Note de l'auteur.)

[101]«Nous connaîtrions plus de nous-mêmes et du Christianisme si nous étions plus souvent soumis à cette épreuve.» (Bible d'Amiens, III). (Note du traducteur.)

[102]Allusion à la multiplication des pains grâce à laquelle Jésus rassasia cinq mille hommes avec cinq pains. St Jean, VI. (Note du traducteur.)

[103]

«Le pain que je vous propose
Sert aux anges d'aliment
Dieu lui-même le compose
De la fleur de son froment.
C'est ce pain si délectable
Que ne mange pas à sa table
Le monde que vous suivez.
Je l'offre à qui veut me suivre.
Approchez. Voulez-vous vivre?
Prenez, mangez, et vivez!»

(Racine, cantique IV)

(Note du traducteur.)

[104]Depuis que ceci a été écrit, la réponse a été faite, topique: Non. Nous avons abandonné le champ des découvertes Arctiques aux nations continentales comme étant nous-mêmes trop pauvres pour payer des vaisseaux. (Note de l'auteur.)

[105]Peut-être allusion à S. Luc, IX, 58; voir plus bas la note de la page 224 et particulièrement la citation de la Couronne d'Olivier Sauvage: «Ces chasses gardées qui réalisent à la lettre ou plutôt en fait dans la personne de ses pauvres ce que leur maître répondit à ses disciples: que les renards avaient des abris, mais que lui n'en avait point.»—L'expression elle-même est des Psaumes (LXIII, 11): «Ils seront détruits par l'épée; ils seront la proie des renards.» (Note du traducteur.)

[106]La «Library Edition» nous apprend que ce fossile était l'archæoptéryx. (Note du traducteur.)

[107]Je livre le fait à la publicité sans l'autorisation du Professeur Owen, autorisation que, bien entendu, il n'aurait pu décemment m'accorder si je la lui avais demandée, mais je considère comme si important que le public soit instruit de cette affaire que je fais ce qui me semble mon devoir, quoique ce soit mal élevé. (Note de l'auteur.)

[108]Cf. Time and Tide by Weare and Tyne, Lettre 4.

[109]Ceci était le vrai but de votre «libre échange»: «tous les échanges pour moi». Vous trouvez maintenant que grâce à la concurrence les autres peuples peuvent tenir le marché aussi bien que vous et maintenant vous demandez de nouveau la protection. Pauvres petits! (Note de l'auteur.)

[110]Allusion aux aventures de Nigel: «Quand il était ainsi occupé il abandonnait le poste extérieur de son établissement commercial à deux robustes apprentis à voix de stentor qui ne cessaient de crier: De quoi avez-vous besoin? De quoi avez-vous besoin? sans manquer de joindre à ces paroles un pompeux éloge des objets qu'ils avaient à vendre. Cet usage de s'adresser aux passants pour les inviter à acheter ne subsiste plus aujourd'hui, à ce que nous croyons, que dans Monmouthstreet, etc. (Aventures de Nigel, chapitre Ier, p. 40, de la traduction française, édition Gosselin.) (Note du traducteur.)

[111]Comparez: «Les plus grands trésors d'art que l'Europe possède actuellement sont des morceaux de vieux plâtres sur des murs en ruines où les lézards se cachent et se chauffent et dont peu d'autres créatures vivantes approchent jamais; et les restes déchirés de toiles ternies dans les coins perdus des églises, etc. Un grand nombre de fresques et de plafonds de Véronèse et de Tintoret au Palais ducal ont été réduits, par la négligence des hommes, à cette condition. Malheureusement comme aucun d'eux n'est sans réputation, ils ont attiré l'attention des autorités vénitiennes et des académiciens. Il est de règle que les corps publics qui ne veulent pas payer cinq livres pour protéger un tableau en paient cinquante pour le repeindre. Et quand je fus à Venise, en 1846, il y avait deux opérations réparatrices qui se poursuivaient simultanément dans les deux édifices qui renferment les plus merveilleux tableaux de la ville... Des seaux étaient placés par terre dans la Scuola San Rocco à chaque averse pour recevoir la pluie qui traversait les plafonds de Tintoret, pendant qu'au Palais ducal les Véronèse étaient par terre pour être repeints; et je vis moi-même repeindre le ventre d'un cheval blanc de Véronèse à l'aide d'une brosse placée à l'extrémité d'un bâton de cinq mètres de long et trempé dans un pot à peinture de bâtiments, etc.» (Stones of Venice, II, VIII, 138 et 139.) (Note du traducteur.)

[112]Comparez: «Et moi qui vous parle de l'utilité de la guerre, je devrais véritablement être le dernier à vous parler de cette façon si je me fiais à ma seule expérience. Voici pourquoi: j'ai consacré une grande partie de ma vie à des recherches sur la peinture vénitienne et ces études ont eu pour résultat de me faire adopter l'un de ses représentants comme le plus grand de tous les peintres. Je me suis fait cette conviction sous un plafond couvert de ses peintures; et parmi ces peintures trois des plus belles n'offraient plus que des morceaux déchiquetés, mêlés aux lattes du plafond crevé par trois obus autrichiens. Or, sans doute tous les conférenciers ne pourraient pas vous dire qu'ils ont vu trois de leurs tableaux préférés mis en lambeaux par des obus. Et devant un pareil spectacle quel est le conférencier qui vous dirait comme moi que cependant la guerre est le fondement de tout grand art?» (La Couronne d'Olivier Sauvage, IIIe conférence: la guerre). Mais la référence exacte paraît être Stones of Venice, II, VII, 123. (Note du traducteur.)

[113]Les quatre premières éditions portaient: «Tous les Titiens»; à partir de 1871 ces mots sont remplacés par «toutes les plus belles peintures». La «Library Edition», qui signale cette variante, en conclut avec finesse et un peu spécieusement que l'admiration de Ruskin pour le Titien avait quelque peu diminué. Nous avons, à vrai dire, des témoignages plus précis que celui que donne la «Library Edition» de la révolution qui eut lieu dans le goût de Ruskin et qui renversa la hiérarchie de ses admirations. Nous n'avons pas la place malheureusement de donner ici aucune indication sur cette crise esthétique qui dénoua chez Ruskin la crise religieuse et calma ses plus grands doutes en lui montrant que les peintres croyants comme Giotto étaient supérieurs aux peintres incroyants comme Titien. (Note du traducteur.)

[114]Je voulais dire que les plus beaux lieux du monde, la Suisse, l'Italie, l'Allemagne du Sud, etc., sont assurément les cathédrales véritables, les lieux ou révérer et ou prier, et que nous nous soucions seulement de les traverser à toute vitesse et de manger à leurs endroits les plus sacrés. (Note de l'auteur.)

[115]Cf. Præterita: «Depuis que j'ai composé et médité là pour la dernière fois, que «d'embellissements» sont survenus... Ensuite chaque jour d'exposition vint un flot de gens qui prenaient le sentier et qui le salissaient avec des cendres de cigare pour le reste de la semaine. Puis ce furent les chemins de fer, les voyous amenés par les trains de plaisir qui renversaient les palissades, faisaient peur aux vaches et cassaient autant de branches fleuries qu'ils pouvaient en attraper... etc., etc. Enfin, cette année une palissade de six pieds de haut a été placée de l'autre côté et les promeneurs marchent l'un derrière l'autre, s'offrent telle notion de l'air, de la campagne et du paysage qu'ils peuvent, entre ce mur et la palissade, chacun avec un mauvais cigare devant lui, un second derrière et un troisième dans la bouche.» (Note du traducteur.)

[116]«Oui, Chamonix est une demeure désolée pour moi. Je n'y retournerai plus, je crois. Je pourrais éviter la foule en hiver, mais que les glaciers m'aient trahi... c'en est trop! Faites, s'il vous plaît, mes amitiés à la grosse pierre qui est sous Breven à un quart de mille au-dessus du village, à moins qu'ils ne l'aient détruite pour leurs hôtels.» (Lettre citée par M. de la Sizeranne.) Comparez aussi avec The Queen of Air (Préface): «Ce 1er jour de mai 1869 je me retrouve écrivant là où mon œuvre fut commencée, il y a 35 ans, en vue des neiges des Alpes supérieures. Depuis ce temps, d'étranges calamités ont fondu sur les spectacles que j'ai le plus aimés et tâché de faire aimer aux autres. La lumière... l'air... l'eau sont souillés. Ce matin, sur le lac de Genève à un demi-mille, je pouvais à peine voir le plat de ma rame à 2 mètres de profondeur. À la place d'un petit rocher de marbre, dernier pied du Jura descendant dans l'eau bleue, toujours couvert de fleurs roses de saponaires, on a construit une rocaille artificielle avec cette inscription sur ses pierres rapportées:

«Aux botanistes
Le club jurassique.»

«Ah! maîtres de la science moderne, rendez-moi mon Athénée, faites-la sortir de vos fioles, et enfermez-y sous scellés, s'il se peut une fois encore, Asmodée! Enseignez-nous seulement—ceci qui est tout ce que l'homme a besoin de savoir—que l'air lui a été donné pour sa vie, et la pluie pour sa soif et pour son baptême, et le feu pour sa chaleur et le soleil pour sa vue, et la terre pour sa nourriture,—et pour son Repos.» J'ai résumé ce dernier passage d'après M. de la Sizeranne. M. de la Sizeranne écrit ici «repos» avec un petit r. Je préfère rétablir la majuscule qui est dans Ruskin. Ainsi à la majesté soudaine, on comprend de quel repos il s'agit. Peut-être pourtant pourrait-on soutenir qu'il ne s'agit pas ici du repos de la tombe. On pourrait s'appuyer pour cela sur la Préface de «The crown of wild olive». «L'herbe cependant fut-elle créée verte pour vous servir seulement de linceul et non pour vous servir de lit? et n'y aura-t-il jamais de repos pour vous au-dessus d'elle, mais seulement au-dessous?» Malgré ce doute qui me vient et que j'avoue, je crois qu'il s'agit ici, surtout à cause de la majuscule et de l'importance donnée au mot final de la préface, du repos de la tombe. (Note du traducteur.)

[117]Ruskin fait ici allusion à ce passage de S. Mathieu (XXI, 3 et suivants, ou à Isaïe, V, 2, le passage est identique): «Il y avait un homme, maître de maison, qui planta une vigne. Il l'entoura d'une haie, y creusa un pressoir et bâtit une tour» pour qu'on pût de là surveiller la vigne. Ruskin a fait allusion à ces versets dans «Lectures of Architecture and Painting», § 19, quand, énumérant tous les passages de la Bible où nous sont montrées des tours, il nous dit: «Vous vous rappelez ce propriétaire qui construisit une tour dans son vignoble.» Dans le passage de «Lectures of Architecture and Painting» Ruskin veut montrer (à propos de la valeur religieuse de l'architecture gothique) que, dans la Bible, les tours n'ont jamais un caractère religieux et sont seulement construites par orgueil, plaisir, ou dans un but de défense. (Note du traducteur.)

[118]Cf. Time and Tide, § 46.

[119]Voir plus loin «des sentiments de joie purs» et surtout comparez avec Arrows of the Chace (passage cité par M. Bardoux): «Buvons et mangeons, car nous mourrons demain», disait le fermier latin et il nous a laissé d'éternels monuments de sagesse humaine et de chant joyeux. «Travaillons et soyons justes, car demain nous mourrons et après la mort viendra le jugement», disaient Holbein et Durer, et ils nous ont laissé d'éternels souvenirs du travail humain et de la crainte attristée de la divinité. «Réjouissons-nous et soyons heureux, car demain nous mourrons et nous serons avec Dieu», disaient Fra Anglico et Giotto; et ils nous ont laissé d'éternels monuments de la royauté des cieux, divinement lambrissée. «Fumons des pipes, gagnons de l'argent, lisons de mauvais romans, marchons dans l'air empesté, disons avec sentiment que nous sommes bien las, car demain nous mourrons et nous serons changés en pipes», voilà ce que disent les hommes d'aujourd'hui.»—On sait que «buvons et mangeons car nous mourrons demain» est une citation d'Isaïe, XXII, 13. Quant au passage tout entier, tant d'idées essentielles à Ruskin s'y laissent deviner, quand elles ne s'y montrent pas, que pour ne pas accumuler les abstractions, je renonce à les isoler. Je me contente de renvoyer le lecteur à la note de la page 211 «oui, mais quel roi» et la longue note des pages 212 et 213. (Note du traducteur.)

[120]L'entrefilet entier est en effet imprimé en rouge dans le texte anglais. Nous aurions voulu pouvoir faire de même ici, afin de conserver l'aspect singulier que ces pages ont dans l'original. Mais des difficultés matérielles d'exécution nous en ont empêché. (Note du traducteur.)

[121]Cf. Stones of Venice «un message qui fut un jour écrit dans le sang et un son qui remplira un jour les voûtes du ciel» (Stones of Venice, I, IV, LXXI), et The crown of wild olive, ch. II, § 59, «lorsque le monde entier se tatoue de rouge avec son propre sang au lieu de vermillon». (Note du traducteur.)

[122]«Une des choses que nous devons nous acharner à obtenir pour le bien de toutes les classes dans nos programmes futurs, c'est que dans aucune, on ne porte d'habillement remis à neuf. Voir la préface.» (Note de l'auteur.)

[123]Cette expression abrégée de la pénalité encourus par le travail infructueux coïncide d'une manière curieuse dans la forme avec certain passage que quelques-uns d'entre nous se rappellent peut-être (a). Il sera peut-être bon de produire à côté de ce récit un autre article que j'ai gardé dans mes tiroirs, découpé dans un Morning Post qui date à peu près du même moment, mars 1865 (b): «Les salons de Mme C..., qui faisait les honneurs avec une grâce et une élégance parfaitement imitées, étaient encombrés de princes, de ducs, de marquis et de comtes, en fait du même public masculin que celui qu'on rencontre aux réunions de la princesse Metternich et de Mme Drouyn de Lhuys. Il y avait quelques pairs d'Angleterre et quelques membres du parlement et ils paraissaient jouir de ce spectacle joyeux et indécent. Au second étage, les tables du souper étaient chargées de tous les mets délicats de la saison. Afin que nos lecteurs puissent se faire une idée de la chère exquise du demi-monde parisien, je copie le menu du souper qui fut servi à tous les convives (environ 200) assis, à 4 heures: Yquem supérieur, Johannisberg, Lafitte, Tokai, Champagne, des crûs les plus nobles, furent servis avec abondance le matin. Après le souper, la danse fut reprise avec un surcroît d'entrain et le bal se termina par une chaîne diabolique et un cancan d'enfer à 7 heures du matin (service du matin): «Avant que les frais gazons n'apparaissent aux paupières entr'ouvertes du matin» (c). «Voici le menu: Consommé de volaille à la Bagration; 16 hors-d'œuvres variés; Bouchées à la Talleyran, Saumons froids sauce Ravigote, Filets de bœuf en Bellevue, Timbale milanaise. Chaud froid de gibier. Dindes truffées. Patés de foie gras. Buisson d'écrevisses. Gelées blanches aux fruits. Gateaux Mancini, parisiens et parisiennes. Fromages glacés. Ananas. Dessert. (Note de l'auteur.)

(a) Ruskin veut parler ici des versets de S. Luc, XI, 11 et S. Mathieu, VII, 9: «Quel est le père d'entre vous qui donne à son fils une pierre quand il lui demande du pain?» Comparez avec cette autre belle interprétation des mêmes versets dans la Couronne d'Olivier Sauvage, I, le Travail: «Il est manifeste que Dieu entend que toute parole bonne et tout travail utile soient faits pour rien. Baruch, l'écrivain public, ne gagna pas, je gage, un sou la ligne à copier pour Jérémie son second rouleau, et saint Étienne n'eut pas les émoluments d'un évêque pour son long sermon aux Pharisiens: il n'eut que des pierres. Car c'est là le payement naturel du père terrestre. Qu'un enfant de ce monde travaille pour le bien du monde, honnêtement, de toute sa tête et de tout son cœur et vienne à lui, disant: «Donne-moi un peu de pain, juste ce qu'il faut pour vivre», le père terrestre lui répondra: «Non, mon enfant, pas de pain, une pierre, si tu veux ou autant que tu en voudras, pour te faire taire.» Mais les travailleurs manuels ne sont pas aussi malheureux que tout ceci le laisserait entendre. Le plus qui puisse vous arriver à vous, c'est de cesser des cailloux, non d'être lapidés, etc. (Note du traducteur.)

(b) Dans la Couronne d'Olive Sauvage Ruskin a rapproché de même deux entrefilets presque pareils à ceux-ci et d'où se dégage le même enseignement:

«Je vais d'abord pour commencer vous l'exposer lumineusement en vous lisant tout bonnement deux entrefilets que j'ai découpés en déjeunant, dans deux journaux placés sur ma table le même jour, 25 novembre 1864. Le passage concernant le Russe opulent à Paris est assez banal at, qui plus est, stupide (car ce n'est rien pour un riche de payer 15 francs pour une couple de pêches en dehors de l'époque ordinaire de ces fruits). Cependant, les deux faits-divers parus le même jour valent d'être placés côte à côte.

«Un de ces hommes est actuellement dans nos murs. C'est un Russe, et, avec votre permission, nous l'appellerons comte Teufelskine. Dans sa façon de s'habiller, il est sublime; l'art joue son rôle dans cette mise où l'harmonie des couleurs est respectée, et où, dans d'heureux contrastes, sa révèle le chiar'-oscuro. Ses manières sont empreintes de dignité—peut-être même apathiques; rien ne trouble la calme sérénité de cet extérieur placide. Notre ami, un jour, déjeunait chez Bignon. Quand arriva l'addition, il y lut: «Deux pêches, 15 francs.» Il paya. «Les pêches sont rares, je présume?» se borna-t-il à remarquer. «Non, Monsieur, répliqua le garçon, mais les Teufelskines le sont.» (Telegraph, 25 novembre 1864.)

«Hier matin, à huit heures, une femme, passant près d'un tas de fumier, dans la cour pavée qui longe l'hospice récemment construit dans Shadwell Gap High-Street, Shadwell, fit remarquer à un constable du quartier un homme accroupi sur le tas de fumier, lui disant qu'elle craignait qu'il ne fût mort. Ses craintes se trouvèrent justifiées. La mort du malheureux paraissait remonter à plusieurs heures. Il était mort de froid et d'humidité, et la pluie avait fouetté le cadavre toute la nuit. Le défunt était chiffonnier. Il était tombé dans la plus effroyable pauvreté, misérablement vêtu, la ventre vide. La police l'avait à plusieurs reprises chassé de cette cour depuis le lever jusqu'au coucher du soleil, lui disant de rentrer chez lui. Il avait choisi l'endroit la plus désert afin d'y mourir misérablement. On trouva dans ses poches un sou et quelques os. Il pouvait avoir entre cinquante et soixante uns. L'inspecteur Roberts, de la division K, a ordonné de faire une enquête chez les logeurs afin de s'assurer, si possible de l'identité du malheureux.» (Morning Post, 25 novembre 1864.) (La Couronne d'Olivier Sauvage, I, le Travail.) (Note du traducteur.)

(c) Citation de Lycidas de Milton. (Note de l'auteur.)

[124]Je vous prie de noter ce fait, d'y réfléchir, et de considérer comment il se fait qu'une pauvre vieille aura honte de prendre au pays un shilling par semaine, tandis que personne n'a honte de prendre une rente de mille livres par an. (Note de l'auteur.)

[125]Je me réjouis sincèrement de voir fonder un journal comme le Pall Mall Gazette, car le pouvoir de la presse dans les mains d'hommes d'une haute culture, d'une situation indépendante, et bien intentionnés, peut en effet mériter tous les éloges qu'on lui a tant décernés jusqu'ici. Son directeur me pardonnera donc, je n'en doute pas, si, à raison même de mon respect pour le journal, je ne laisse pas passer sans observation un article paru dans son troisième numéro, page 5, dont chaque mot était erroné, de cette erreur profonde où peut seul atteindre un honnête homme qui dès le début a pris un mauvais tournant de pensée et le suit, indifférent aux conséquences. Il contenait à la fin ce passage à noter:

«Le pain de l'affliction et l'eau de l'affliction (a), oui et la couchette et les couvertures de l'affliction, sont l'extrême maximum de ce que la loi devrait donner aux indigents simplement comme indigents.» Je ne fais que mettre à côté de ces lignes représentatives de l'esprit conservateur anglais en 1865, une partie du message qui ordonna à Isaïe d'élever sa voix comme une trompette (b) et de déclarer aux conservateurs de son temps (c): «Vous jeûnez pour faire des procès et des querelles et pour frapper du poing avec méchanceté. Est-ce le jeûne que j'ai choisi, qui est de partager ton pain avec celui qui a faim et de faire venir dans ta maison las affligés qui sont errants.» (d) L'erreur mentale que l'auteur avait prise pour point de départ, ainsi qu'il l'a constaté un peu en avant, était ceci: «Confondre l'office des fonctionnaires chargés des distributions de secours aux pauvres, avec celui des personnes chargées de ces distributions dans une institution charitable est une grande et dangereuse erreur.»

Cette phrase est si exactement et si extraordinairement fausse qu'il nous faut en renverser le sens dans nos esprits avant de songer à nous occuper d'aucun problème actuel de misère sociale. «Comprendre que les fonctionnaires chargés des secours aux pauvres sont les aumôniers de la Nation et devraient en distribuer les offrandes avec une grâce et une libéralité plus grandes et plus généreuses que celles permises à la charité individuelle, autant que la sagesse et le pouvoir collectif d'une Nation peuvent être supposés plus grands que ceux d'une seule personne,—ceci est la base de toute loi sur le paupérisme.»—Depuis que ceci a été écrit, le Pall Mall Gazette est devenu—comme les autres—un simple journal de parti, mais il est bien écrit et, somme toute, fait plus de bien que de mal (e).

(a) Allusion, Rois, XXII, 27, bien que l'expression pain de l'affliction rappelle plutôt les Psaumes (127, 2.)

(b) «Crie à plein gosier, ne te retiens pas, élève ta voix comme une trompette et annonce à mon peuple, etc. (Isaïe, 58, 1.)

(c) Phrase essentiellement ruskinienne. Pour s'en rendre compte: 1° en ce qui concerne les premiers mots: «Je ne fais que mettre à côté de ces lignes du Pall Mall Gazette le message d'Isaïe», comparer avec la Bible d'Amiens, III, 48, note: «en regard de ce morceau éditorial de la presse théologique moderne en Angleterre, je placerai simplement les 4e, 6e et 13e versets de l'épître de S. Paul aux Romains, etc.—; avec Unto This Last (Préface) 5, note: «À ces paroles diaboliques (d'Adam Smith dans la «Richesse des Nations») j'opposerai seulement les plus belles paroles des Vénitiens découvertes par moi dans leur plus belle église («Autour de ce temple, etc.»)». Cette référence à l'autorité de la Bible pour trancher un problème d'économie politique est, comme je l'ai montré ailleurs, le témoignage d'une des plus originales dispositions d'esprit de Ruskin qui est d'attribuer à la littérature et à l'art (la Bible étant ici qu'un beau livre) une sorte de valeur scientifique et inversement de traiter la science comme un art, ce qui fait que pour Ruskin il n'y a pas, quand il s'agit de science, supériorité des temps modernes, sur l'antiquité, pas plus qu'il ne doit en effet y en avoir quand il s'agit d'art. Il y a là aussi, à notre avis, un peu d'idolâtrie et l'amusement d'un érudit qui s'amusa à chercher des recettes de cuisine dans Homère et des renseignements d'ornithologie dans Carparccio. Notons encore que, dans le chapitre «Interprétations» de la Bible d'Amiens, par exemple, cette confrontation du présent au passé est invertie (Confrontation du passé au présent) se relevant plus du premier procédé que sa saveur d'anachronisme: Dans les bas-reliefs d'Amiens la Grossièreté comparée à une femme dansant le cancan, la Rébellion aux voyous qui claquent des doigts devant un prêtre; à propos du Désespoir: «le suicide n'est pas considéré comme héroïque ni sentimental au XIIIe siècle et il n'y a pas de morgue gothique au bord de la Somme,» etc. Ce qui nous amène 2° à comparer les derniers mots de la phrase («message d'Isaïe aux conservateurs de son temps») à tous ces anachronismes, mais plus particulièrement à la Bible d'Amiens, II, 41 («un des soldats francs de Clovis discuta sa prétention avec une telle confiance d'être soutenu par l'opinion publique du Ve siècle» et à Unto This Last, III, 42, «un marchand Juif (le roi Salomon) qui avait fait une des fortunes les plus considérables de son temps.» (Note du traducteur.)

(d) Isaïe, LVIII, 4 et 7. (Note du traducteur.)

(e) Et maintenant il a cessé d'exister sous ce nom. Il est devenu le Westminster Gazette. (Note du traducteur.)

[126]Opéra de Balfe, compositeur de musique irlandais, né en 1808, mort en 1870. Balfe a composé de nombreuses partitions: Le Siège de la Rochelle 1835, Manon Lescaut 1836, Jane Grey 1837, Falstaff 1838, le Puits d'amour 1843, la Gipsy 1844, les 4 fils Aymon 1844, etc., etc. Satanella est de 1859. (Note du traducteur.)

[127]Cf. plus haut § 16, l'adjectif anglais placé d'une façon analogue en symétrie avec l'adjectif «latin». (Note du traducteur.)

[128]S. Luc, XVI, 20. «Il y avait aussi un pauvre nommé Lazare, qui était couché à la porte de ce riche et était couvert d'ulcères.» Comparez, sur Lazare et les pauvres d'aujourd'hui, la Couronne d'Olivier sauvage, I, § 30. (Note du traducteur.)

[129]«Vous avez toujours les braves et bons dans la vie. Ceux-là ont aussi besoin d'être aidés, quoique vous paraissiez croire qu'ils n'ont qu'à aider les autres. Ceux-là aussi réclament qu'on pense à eux et qu'on se souvienne d'eux.» (Lectures on Art, II, 58.) (Note du traducteur.)

[130]Et dès les plus bas degrés de l'échelle du travail. Du travail le plus humble naît un plaisir, humble sans doute comme la tige, qui l'a porté, sans couleurs variées et qui pourtant n'est pas sans charmer la vie qu'il embellit. Ce plaisir-là est satisfaction de soi, plaisir à se trouver avec les autres, optimisme. De ce plaisir-là dans la littérature de tous les temps il y a, avant tout, deux immortels exemples. Le premier c'est l'histoire d'Aristarque et de ses parents dans les Mémorables de Xénophon: «En ce moment, j'en suis sûr, tu ne peux aimer tes parentes et elles ne peuvent t'aimer. Toi parce que tu les regardes comme une gêne pour toi, elles parce qu'elles voient bien qu'elles te gênent. De cela il est à craindre... que la reconnaissance du passé ne soit amoindrie. Mais si tu leur imposes une tâche, tu les aimeras en voyant qu'elles te sont utiles et elles te chériront à leur tour en s'apercevant qu'elles te contentent; le souvenir du passé vous sera plus agréable, votre reconnaissance s'en augmentera. Vous deviendrez ainsi meilleurs amis et meilleurs parents.» «Aussitôt dit, on acheta de la laine... la gaieté avait succédé à la tristesse, etc.» (Mémorables, chapitre VII.) L'autre exemple est donné par la fin de Candide, trop célèbre pour qu'il soit besoin de la citer. C'est d'ailleurs encore la pensée qu'exprime la dernière phrase de Candide: «Tout cela est bien, dit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.»—Je me souviens encore de la façon dont le maître le plus admirable que j'aie connu, l'homme qui a en la plus grande influence sur ma pensée, M. Darlu, aujourd'hui Inspecteur général de l'Université, comparait à ce chapitre des Mémorables le chapitre de la Bible de l'Humanité sur Hercule. (Note du traducteur.)

[131]Allusion à cet étrange passage d'Ezéchiel: «Il me dit: Fils de l'Homme, perce la paroi, et quand j'eus percé la paroi il se trouva une porte... J'entrai donc et voici toutes sortes de figures de reptiles et de bêtes et tous les dieux infâmes de la maison d'Israël étaient peints sur la paroi... et 70 hommes... assistaient et se tenaient devant elles... et chacun avait un encensoir à la main d'où montait en haut une épaisse nuée de parfum. Alors il me dit: Fils de l'Homme n'as-tu pas vu ce que les anciens de la maison d'Israël font dans les ténèbres, chacun dans son cabinet peint, etc. (Ezéchiel, VIII, 6-18.) (Note du traducteur.)

[132]Turner. Voir, sur ce dessin, sur son pathétique et sa signification, Modern Painters, partie V, ch. I, § 17, et chapitre XVIII, § 2. (Note du traducteur.)

[133]C'est dans Isaïe (Prophétie contre le roi de Babylone) (XIV, 9, 10) que le sépulcre a réveillé les Trépassés: «Il a fait lever de leurs sièges tous les principaux de la terre, tous les rois des nations. Ils prendront tous la parole et diront (au roi de Babylone): «Tu as été aussi affaibli que nous, tu as été rendu semblable à nous, on t'a fait descendre de ta magnificence dans le sépulcre avec le bruit de tes instruments, etc.» (Note du traducteur.)

[134]Sans doute, et pourtant si nous prenons la vie de tant de grands écrivains, de tant d'artistes, reconnaissons que bien peu ont entièrement négligé l'autre «avancement dans la vie, dans ses atours». Combien peu, pour ne prendre que cet exemple, ont dédaigné d'entrer à l'Académie Française ou telle autre forme de pouvoir, de prestige. Tel poète, plongé dans la vie elle-même tant qu'il écrit, sitôt la chaleur de l'inspiration tombée est déjà revenu à l'«avancement dans la vie», dans les «atours de la vie» et de sa main tremblante encore d'avoir voulu suivre au vol la vitesse de sa pensée, il inscrit à la première page du poème qui plane si haut au-dessus de toutes les contingences et de sa propre vie, le nom de la Reine bienveillante à qui il le dédie, afin de faire connaître le rang social qu'il occupe, combien il est «avancé dans la vie». Il tient à ce que les humbles mortels le sachent et les autres reines aussi, afin que les hommes le respectent et que les reines le recherchent, et que tous parfassent ainsi son «avancement dans la vie». Peut-être ce poète vous dira-t-il que s'il dine chez cette Reine et ensuite lui dédie son livre, c'est parce qu'ayant conscience de l'éminente dignité de «l'homme de lettres», il veut lui faire dans la société la place qu'il doit y avoir, égale à celle des Rois. Pour un peu, à l'en croire, il se dévoue, il immole ses goûts, son talent, à ses devoirs de citoyen de la République des lettres. Pourtant, si vous lui disiez que tel de ses confrères veut bien se charger de ce rôle et qu'il pourra désormais dans l'inélégance et dans l'obscurité travailler sans se soucier des Reines, peut-être se rendrait-il compte alors que c'était en réalité plutôt à sa propre grandeur qu'à celle de l'homme de lettres qu'il se dévouait et que les conquêtes de son confrère ne lui remplaceraient nullement les siennes propres. D'ailleurs l'homme de lettres chargé d'honneurs est-il plus grand qu'un autre, même aux yeux frivoles de la postérité? C'est fort douteux et un homme de lettres dédaigneux de toute influence, de tout honneur, de toute situation mondaine, comme Flaubert, ne nous apparaît-il pas comme plus grand que l'académicien son ami, Maxime du Camp? Certes le désir «d'avancer dans la vie», le snobisme, est le plus grand stérilisant de l'inspiration, le plus grand amortisseur de l'originalité, le plus grand destructeur du talent. J'ai montré autrefois qu'à cause de cela il est le vice le plus grave pour l'homme de lettres, celui que sa morale instinctive, c'est-à-dire l'instinct de conservation de son talent, lui représente comme le plus coupable, dont il a le plus de remords, bien plus (que la débauche, par exemple, qui lui est bien moins funeste, l'ordre et l'échelle des vices étant dans une certaine mesure renversés pour l'homme de lettres. Et cependant le génie se joue même de cette morale artistique. Que de snobs de génie ont continué comme Balzac à écrire des chefs-d'œuvre. Que d'ascètes impuissants n'ont pu tirer d'une vie admirable et solitaire dix pages originales. (Note du traducteur.)

[135]Le symbole matériel de ceci est l'offre de l'artério-sclérose faite tous es jours aux arthritiques par le démon de la bonne chère. Mais ici encore, pour la santé comme pour le génie, le tempérament est plus fort que le «régime». (Note du traducteur.)

[136]Cercle de l'Enfer de Dante, qui tire son nom de Caïn. Voir l'Enfer, chants V et XXXII. (Note du traducteur.)

[137]«Τὸ δὲ φρόνημα τοῦ πνεύματος ζωὴ καὶ εἰρήνη.» (Note de l'auteur.)

«Et l'affection de la chair c'est la mort, tandis que l'affection de l'esprit c'est la Vie et la Paix.» (Romains, VIII, 6.) (Note du traducteur.)

[138]Munera Pulveris V Government, § 122. (Note du traducteur.)

[139]Sur cette épithète δημοϐόροι voir Lectures on Art, IV, 116, et comparez avec l'expression des Psaumes, XIV, 4: «ils mangent mon peuple comme du pain», que Ruskin cite dans The two Paths, § 179. (Note du traducteur.)

[140]Allusion à Dante, Enfer, III, 60. (Note du traducteur.)

[141]Allusion à la huitième scène de la 1re partie d'Henri IV, de Shakespeare: Hotspur, le doigt sur la carte: «Il me semble que ma portion, au nord de Burton ici—n'est pas égale à la vôtre.—Voyez comme cette rivière vient sur moi tortueusement—et me retranche du meilleur de mon territoire—une énorme demi-lune, un monstrueux morceau.—Je ferai barrer le courant à cet endroit,—et la coquette, l'argentine Trent coulera par ici—dans un nouveau canal uniforme et direct: elle ne serpentera plus avec une si profonde échancrure—pour me dérober ce riche domaine.—Glendower: Elle ne serpentera plus! elle serpentera, il le faut; vous voyez bien.—Mortimer: Oui, mais remarquez comme elle poursuit sen cours et revient sur moi, en sens inverse pour votre dédommagement.—Elle supprime d'un côté autant de terrain—qu'elle vous en prend de l'autre.—Worcester: Oui, mais on peut ici la barrer à peu de frais, etc., etc., Et enfin Glendower: Allons, on vous changera le cours de la Trent.» (Note du traducteur.)

[142]C'est le centenier de Capharnaüm qui dit à Jésus: J'ai des soldats sous mes ordres et je dis à l'un: «Va» et il va, à l'autre: «Viens» et il vient, à mon serviteur: «Fais cela,» et il le fait. (S. Mathieu, VIII, 9.) (Note du traducteur.)

[143]Comparez: «L'homme est bien plus réellement le soleil du monde, que n'est le soleil. La flamme de son cœur merveilleux est la seule lumière digne d'être mesurée. Là où il est sont les tropiques; là où il n'est pas le monde des glaces.» (Modern Painters, V, p. 225, cité par M. Bardoux, dans son ouvrage sur Ruskin.) (Note du traducteur.)

[144]S'il n'y avait que «font et enseignent», la référence la plus littérale semblerait être: Actes, I, 1: «les choses que Jésus a faites et enseignées», mais le contexte indique qu'il s'agit bien plutôt de Mathieu, V, 19: «Celui donc qui aura violé ces commandements et qui aura ainsi enseigné les hommes sera estimé le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui les aura observées et enseignées, celui-là sera estimé grand dans le royaume des cieux», et dans les royaumes de la terre, ajoute Ruskin. (Note du traducteur.)

[145]Allusion à St Mathieu, VI, 19-20: «Ne vous amasser pas des trésors sur la terre, où les vers et la rouille gâtent tout et où les larrons percent et dérobent. Mans amassez-vous des trésors dans le ciel où les vers ni la rouille ne gâte rien, et où les larrons ne percent ni ne dérobent.» (Note du traducteur.)

[146]La «Library Edition» nous apprend que c'est là le terme usité en alchimie pour signifier l'or dissous dans l'acide nitro-hydrochlorique, lequel était supposé contenir l'élixir de vie. (Note du traducteur.)

[147]Minerve, Vulcain, Apollon (voir On the old Road, tome II, § 36). (Note du traducteur.)

[148]Job, XXVIII, 7. (Note du traducteur.)

[149]Ruskin veut parler de «Unto this last». Dans la préface d'Unto this last, Ruskin dit de même: «Je crois que ces essais contiennent ce que j'ai écrit de meilleur, c'est-à-dire de plus vrai et de plus justement exprimé. Le dernier (Ad Valorem) qui m'a coûté le plus de peine ne sera probablement jamais surpasse par aucun autre de mes écrits futurs.» Dans Fors Clavigera, Unto this last est ainsi rattaché à l'ensemble de son œuvre:

«À vingt ans j'écrivis Peintres modernes, à trente ans, les Pierres de Venise, à quarante ans, Unto this last, à cinquante ans, les Leçons inaugurales d'Oxford, et, si je finis jamais Fors Clavigera, l'état d'esprit dans lequel je me trouvais à soixante ans sera fixé.

«Les Peintres modernes enseignèrent l'affinité de toute la nature infinie avec le cœur de l'homme; montrèrent le rocher, la vague et l'herbe comme un élément nécessaire de sa vie spirituelle. Ce dont je vous conjure aujourd'hui, d'orner la terre et de la garder, n'est que le complément, la suite logique de ce que j'enseignais alors. Les Pierres de Venise enseignèrent les lois de l'art de bâtir et comment la beauté de toute œuvre, de tout édifice humain dépend de la vie heureuse de son ouvrier. Unto this last enseigna les lois de cette vie même et la montra comme dépendante du Soleil de justice.» Fors Clavigera, IV, Lettre LXXVIII, citée par M. Brunhes. (Note du traducteur.)

[150]Comparez: «Les crosses et balles anglaises et françaises, y compris celles dont nous ne nous servons pas, coûtent, je suppose, environ 75 millions par an à chaque nation» (la Couronne d'Olivier Sauvage, I, le Travail). Comparez encore (la Couronne d'Olivier Sauvage, II, 259, cité par M. de la Sizeranne): «Supposez qu'un de mes voisins m'ait appelé pour me consulter sur l'ameublement de son salon. Je commence à regarder autour de moi et à trouver que les murs sont un peu nus; je pense que tel ou tel papier serait désirable pour les murs, peut-être une petite fresque ici et là sur le plafond et un rideau ou deux de damas aux fenêtres. «Ah! dit mon commettant, des rideaux de damas, certainement! Tout cela est fort beau, mais vous savez, je ne peux me payer de telles choses, en ce moment!—Pourtant le monde vous attribue de splendides revenus!—Ah! oui, dit mon ami, mais vous savez qu'à présent je suis obligé de dépenser presque tout en pièges d'acier!—En pièges d'acier! Et pourquoi?—Comment! pour ce quidam, de l'autre côté du mur, vous savez; nous sommes de très bons amis, des amis excellents, mais nous sommes obligés de conserver des traquenards des deux côtés du mur; nous ne pourrions pas vivre en de bons termes sans eux et sans nos pièges à fusil. Le pire est que nous sommes des gars assez ingénieux tous les deux et qu'il ne se passe pas de jour sans que nous inventions une nouvelle trappe ou un nouveau canon de fusil, etc. Nous dépensons environ 15 millions par an chacun dans nos pièges—en comptant tout, et je ne vois guère comment nous pourrions faire à moins.» Voilà une façon de vivre d'un haut comique pour deux particuliers! mais pour deux nations, cela ne me semble pas entièrement comique. Bedlam serait comique peut-être, s'il ne contenait qu'un seul fou, et votre pantomime de Noël est comique lorsqu'il y a un seul clown, mais lorsque le monde entier devient clown et se tatoue lui-même en rouge avec son propre sang à la place de vermillon, il y a là quelque chose d'autre que de comique, je pense.»

Comparez à ce dernier morceau le § 33 ci-dessus: «Supposez qu'un gentleman dont le revenu est inconnu, mais dont nous pouvons conjecturer la fortune par ce fait qu'il dépense deux mille livres par an pour ses valets de pied et les murs de son parc», etc. (Note du traducteur.)

[151]Unto this last, IV, ad valorem, § 76, note. (Note du traducteur.)

[152]Sur cette dernière phrase et pour la décomposition des cinq «thèmes» qui s'y mêlent (et, sans même trop subtiliser, on arrive aisément «jusqu'à sept, en comptant les lois sur les grains,» et le pain meilleur») Voir la note page 61. (Note du traducteur.)]

[153]La «Library Edition» fournit du sens de ces mots «dans un instant» (presently) une explication qui me semble très juste et très naturelle, mais dont on ne s'avise pas généralement, parce que tout ce passage est placé en appendice, à la fin des Trésors des Rois. Or, il n'est qu'une note du § 30, imprimé à cause de son importance après la conférence. De sorte que ce «presently», dit la « Library Edition», se rapporte aux §§ 42 et suivants. (Note du traducteur.)




IIe CONFÉRENCE

LES LYS

DES JARDINS DES REINES

À Mademoiselle Suzette Lemaire cette traduction est offerte, comme un respectueux hommage, par son admirateur et son ami.

M. P.

IIe CONFÉRENCE

LES LYS

DES JARDINS DES REINES

«Sois heureux, ô désert altéré; que la solitude se réjouisse et fleurisse comme le lys; et des lieux arides du Jourdain jailliront des forêts sauvages.» (Isaïe, XXXV, 1, Version des Septante)[154].

51. Il sera peut-être bon comme cette conférence est la suite d'une autre donnée précédemment, que je vous expose rapidement quelle a été, dans les deux, mon intention générale. Les questions qui ont été spécialement proposées à votre attention dans la première, à savoir: «Comment et Ce que il faut lire», découlent d'une autre beaucoup plus profonde, que c'était mon but d'arriver à vous faire vous poser à vous-mêmes: «Pourquoi il faut lire.» Je voudrais que vous arriviez à sentir avec moi que, quelques avantages que nous donne aujourd'hui la diffusion de l'éducation et du livre, nous n'en pourrons faire un usage utile que quand nous aurons clairement saisi où l'instruction doit nous conduire et ce que la lecture doit nous enseigner. Je voudrais que vous vissiez qu'une éducation morale bien dirigée et tout à la fois des lectures bien choisies mènent à la possession d'un pouvoir sur les mal-élevés et sur les illettrés, lequel pouvoir est, dans sa mesure, au véritable sens du mot, royal; conférant en effet la plus pure royauté qui puisse exister chez les hommes: trop d'autres royautés (qu'elles soient reconnaissables à des insignes visibles ou à un pouvoir matériel) n'étant que spectrales ou tyranniques; spectrales, c'est-à-dire de simples aspects et ombres de royauté, creux comme la mort, et qui «ne portent que l'apparence d'une couronne royale»[155]; ou encore tyranniques, c'est-à-dire substituant leur propre vouloir à la loi de justice et d'amour par laquelle gouvernent tous les vrais rois.

52. Il n'y a donc, je le répète—et comme je désire laisser cette idée en vous, je commence par elle, et je finirai par elle—qu'une seule vraie sorte de royauté; une sorte nécessaire et éternelle, qu'elle soit couronnée ou non: à savoir, la royauté qui consiste dans un état de moralité plus puissante, dans un état de réflexion plus vraie que ceux des autres; vous rendant capable, par là, de les diriger, ou de les élever. Notez ce mot «état», nous avons pris l'habitude de l'employer d'une manière trop lâche. Il signifie littéralement la station (action de se tenir debout) et la stabilité d'une chose et vous avez sa pleine force dans son dérivé: «statue»—(la chose immuable). La majesté d'un roi[156] et le droit de son royaume a être appelé un État reposent donc sur leur immuabilité à tous deux: sans frémissement, sans oscillation d'équilibre; établis et trônant sur les fondations d'une loi éternelle que rien ne peut altérer ni renverser.

53. Convaincu que toute littérature et toute éducation est profitable seulement dans la mesure où elles tendent à affermir ce pouvoir calme, bienfaisant et, à cause de cela, royal, sur nous-mêmes d'abord, et à travers nous, sur tout ce qui nous entoure—je vais maintenant vous demander de me suivre un peu plus loin et de considérer quelle part (ou quelle sorte spéciale) de cette autorité royale découlant d'une noble éducation peut à juste titre être possédée par les femmes; et dans quelle mesure elles sont, elles aussi, appelées à un véritable pouvoir de reines—non pas dans leur foyer seulement, mais sur tout ce qui est dans leur sphère. Et dans quel sens, si elles comprenaient et exerçaient comme il le faut cette royale ou gracieuse influence, l'ordre et la beauté produits par un pouvoir aussi bienfaisant nous justifieraient de dire en parlant des territoires sur lesquels chacune d'elles régnerait: «les Jardins des Reines».

54. Et ici, dès le début, nous rencontrons une question beaucoup plus profonde qui, si étrange que cela puisse paraître, demeure pourtant incertaine pour beaucoup d'entre nous, en dépit de son importance infinie.

Nous ne pouvons pas déterminer ce que doit être le pouvoir de reine des femmes avant de nous être mis d'accord sur ce que doit être leur pouvoir ordinaire. Nous ne pouvons pas nous demander comment l'éducation pourra les rendre capables de remplir des devoirs plus étendus avant de nous être mis d'accord sur ce que peut être leur vrai devoir de tous les jours. Et il n'y a jamais eu d'époque où l'on ait tenu de plus absurdes propos et laissé passer plus de songes creux sur cette question—question vitale pour le bonheur de toute société. Les rapports de la nature féminine avec la masculine, leur capacité différente d'intelligence et de vertu, voilà un sujet sur lequel les opinions semblent loin d'être d'accord. Nous entendons parler de la «mission» et des «droits» de la femme, comme s'ils pouvaient jamais être séparés de la mission et des droits de l'homme—comme si elle et son seigneur étaient des créatures dont la nature fût entièrement distincte et les revendications inconciliables. Ce qui est au moins faux. Mais peut-être plus absurdement fausse (car je veux anticiper par là sur ce que j'espère prouver plus loin) est l'idée que la femme est seulement l'ombre et le reflet docile de son seigneur, lui devant une irraisonnée et servile obéissance, et dont la faiblesse s'appuie à la supériorité de sa force d'âme.

Ceci, dis-je, est la plus absurde de toutes les erreurs concernant celle qui a été créée pour venir en aide à l'homme. Comme s'il pouvait être aidé efficacement par une ombre, ou dignement par une esclave!

55. Voyons maintenant si nous ne pouvons pas arriver à une idée claire et harmonieuse (elle sera harmonieuse si elle est vraie) de ce que l'intelligence et la vertu féminines sont, dans leur essence et dans leur rôle, par rapport à celles de l'homme; et comment les relations où elles se trouvent, franchement acceptées, aident et accroissent la vigueur et l'honneur et l'autorité des deux.

Et ici je dois répéter une chose que j'ai dite dans la précédente conférence: à savoir que le premier bénéfice de l'instruction était de nous mettre en état de consulter les hommes les plus sages et les plus grands sur tous les points difficiles et qui méritent réflexion. Que faire un usage raisonnable des livres, c'était aller à eux pour leur demander assistance; leur faire appel quand notre propre connaissance et puissance de pensée nous trahit; pour être amenés par eux jusqu'à une plus large vue—une conception plus pure—que la nôtre propre, et, pour recevoir d'eux la jurisprudence des tribunaux et cours de tous les temps au lieu de notre solitaire et inconsistante opinion.

Faisons cela maintenant. Voyons si les plus grands, les plus sages, les plus purs de cœur des hommes de toutes les époques sont tombés d'accord dans une certaine mesure sur le point qui nous intéresse. Écoutons le témoignage qu'ils ont laissé sur ce qu'ils ont tenu pour la vraie dignité de la femme, et pour le genre de secours dont elle doit être à l'homme.

56. Et d'abord prenons Shakespeare.

Notons d'abord, pour commencer, que, d'une manière générale, Shakespeare n'a pas de héros; il n'a que des héroïnes. Je ne vois pas, dans toutes ses pièces, un seul caractère complètement héroïque, excepté l'esquisse assez sommaire de Henri V, exagérée pour les besoins de la scène; et celle plus sommaire encore de Valentine dans les Deux Gentilshommes de Vérone. Dans les pièces travaillées et parfaites vous n'avez pas de héros. Othello aurait pu en être un, si sa simplicité n'avait été si grande que de se laisser devenir la proie des plus basses machinations qui se trament autour de lui; mais il est le seul caractère qui du moins approche de l'héroïsme. Coriolan, César, Antoine se tiennent debout dans leur force fêlée et tombent entraînés par leurs vanités;—Hamlet est indolent et s'endort dans la spéculation[157]; Roméo est un enfant sans patience; le Marchand de Venise se soumet languissamment à la fortune adverse; Kent, dans le roi Lear, est entièrement noble de cœur, mais trop rude et trop primitif pour être d'une utilité véritable au moment critique et il tombe au rang d'un simple domestique. Orlando, non moins noble, est toutefois dans son désespoir le jouet du hasard, et il est conduit, réconforte, sauvé par Rosalinde. Tandis qu'il n'y a guère de pièce dans laquelle nous ne voyions une femme parfaite, inébranlable dans un grave espoir et un infaillible dessein; Cordelia, Desdemone, Isabelle, Hermione, Imogène, la reine Catherine, Perdita, Sylvia, Viola, Rosalinde, Hélène et la dernière et peut-être la plus aimable, Virgilie, sont sans défauts; conçues sur le plus haut modèle héroïque d'humanité.

57. Puis en second lieu observez ceci. Les catastrophes[158], dans chaque pièce, ont toujours pour cause la folie d'un homme; elles ne sont rachetées, si elles le sont, que par la sagesse et la vertu d'une femme, et si celle-ci fait défaut, elles ne sont pas rachetées. La catastrophe où sombre le Roi Lear est due à son propre manque de jugement, à son impatiente vanité, à sa méprise sur les caractères de ses enfants. La vertu de sa seule vraie fille l'aurait sauvé des outrages des autres, s'il ne l'avait lui-même chassée loin de lui. Et, cela étant, elle le sauve presque.

D'Othello[159] je n'ai pas besoin de vous retracer l'histoire;—ni l'unique faiblesse de si puissant amour; ni l'infériorité de son sens critique à celui même du personnage féminin de second plan dans la pièce, cette Émilie qui meurt en lançant contre son erreur cette déclaration sauvage: «Oh la brute homicide! Qu'est-ce qu'un tel fou avait à faire d'une si bonne femme?»

Dans Roméo et Juliette, l'habile et courageux stratagème de la femme aboutit à une issue désastreuse par l'insoucieuse impatience de son mari. Dans le Conte d'Hiver, et dans Cymbeline, le bonheur et l'existence de deux maisons princières, le premier perdu depuis de longues années, la seconde mise en péril de mort par la folie et l'entêtement des maris, sont rachetés à la fin par la royale patience et la sagesse des femmes. Dans Mesure pour Mesure, la honteuse injustice du juge et la honteuse lâcheté du frère sont opposées à la victorieuse véracité et à l'adamantine pureté d'une femme. Dans Coriolan le conseil de la mère, mis en pratique à temps, eût sauvé son fils de tout mal; l'oubli momentané où il le laisse est sa perte; la prière de sa mère, exaucée à la fin, le sauve, non, à vrai dire, de la mort, mais de la malédiction de vivre en destructeur de son pays.

Et que dirais-je de Julia, fidèle malgré l'inconstance d'un amant qui n'est qu'un enfant méchant?—d'Hélène, fidèle aussi malgré l'impertinence et les injures d'un jeune fou?—de la patience d'Héro, de l'amour de Béatrice et de la sagesse paisiblement dévouée de «l'ignorante enfant[160]» qui apparaît au milieu de l'impuissance, de l'aveuglement et de la soif de vengeance des hommes, comme un doux ange, apportant le courage et le salut par sa présence et déjouant les pires ruses du crime par ce qu'on s'imagine le plus manquer aux femmes, la précision et l'exactitude de pensée.

58. Observez, ensuite, que, parmi toutes les principales figures des pièces de Shakespeare, il n'y a qu'une femme faible—Ophélie; et c'est parce qu'elle manque à Hamlet au moment critique et n'est pas, et ne peut pas être, par sa nature, un guide pour lui quand il en a besoin, que survient l'amère catastrophe. Enfin, bien qu'il y ait trois types méchants parmi les principales figures de femmes—Lady Macbeth, Regan et Goneril—nous sentons tout de suite qu'elles sont de terribles exceptions aux lois ordinaires de la vie; et, là encore, néfastes dans leur influence en proportion même de ce qu'elles ont abandonné du pouvoir d'action bienfaisante de la femme. Tel est, à grands traits, le témoignage de Shakespeare sur la place et le caractère des femmes dans la vie humaine. Il les représente comme des conseillères infailliblement fidèles et sages—comme des exemples incorruptiblement justes et purs—toujours puissants pour sanctifier, même quand elles ne peuvent pas sauver.

59. Non pas qu'il lui soit, en aucune manière, comparable dans la connaissance de la nature de l'homme,—encore moins dans l'intelligence des causes et du cours de la destinée,—mais seulement parce qu'il est l'écrivain qui nous a ouvert le plus large aperçu sur les conditions et la mentalité moyenne de la société moderne, je vous demande de recevoir maintenant le témoignage de Walter Scott[161].

Je mets de côté ses premiers écrits purement romantiques en prose comme sans valeur; et quoique ses premières poésies romantiques soient très belles, leur témoignage n'a pas plus de poids que l'idéal d'un enfant. Mais ses vraies œuvres, qui sont des études prises sur la vie écossaise, portent en elles un témoignage véridique; et dans toute la série de celles-là il y a seulement trois caractères d'hommes qui atteignent au type héroïque[162].—Dandie Dinmont[163], Bob Boy[164] et Claverhouse; de ceux-ci, l'un est un fermier des frontières; l'autre un maraudeur; le troisième, le soldat d'une mauvaise cause. Et ils n'atteignent au type idéal de l'héroïsme que par leur courage et leur foi, unis à une puissance intellectuelle vigoureuse mais inculte ou qu'ils appliquent de travers; tandis que ses caractères de jeunes gens sont les nobles jouets d'un sort fantasque et c'est seulement grâce à l'aide (ou aux hasards) de ce sort qu'ils survivent, sans les vaincre, aux épreuves qu'ils endurent passivement. D'un caractère discipliné, ou constant, ardemment attaché à un dessein sagement conçu, ou en lutte contre les manifestations du mal ennemi, nettement défié et résolument vaincu, il n'y a pas trace dans ses créations de jeunes hommes. Tandis que dans ses types de femmes, dans les caractères d'Ellen Douglas, de Flora Mac Ivor, de Rose Bradwardine[165], de Catherine Seyton[166], de Diane Vernon[167], de Lilia Redgauntlet[168], d'Alice Bridgenorth[169], d'Alice Lee et de Jeanie Deans[170], avec d'infinies variétés de grâce, de tendresse et de puissance intellectuelle, nous trouvons toujours un sens infaillible de dignité et de justice; un esprit de sacrifice inaccessible à la crainte, prompt, infatigable, se dévouant à la simple apparence du devoir, à plus forte raison à l'appel d'un devoir véritable; et, enfin, la patiente sagesse des affections longtemps contenues qui fait infiniment plus que protéger leurs objets contre une erreur passagère; peu à peu elle façonne, anime et exalte les caractères des amants indignes, si bien qu'à la fin de l'histoire nous sommes tout juste capables, et pas plus, d'avoir la patience d'écouter leurs succès immérités.

De sorte que toujours, avec Scott comme avec Shakespeare, c'est la femme qui protège, enseigne et guide le jeune homme; et jamais, en aucun cas, ce n'est le jeune homme qui protège ou instruit sa maîtresse.

60. Prenez maintenant, quoique plus brièvement, de plus graves témoignages—ceux des grands Italiens et des Grecs. Vous connaissez bien le plan du grand poème de Dante—c'est un poème d'amour qu'il adresse à sa Dame morte;—un chant de bénédiction à celle qui a veillé sur son âme. S'inclinant seulement jusqu'à la pitié, jamais à l'amour, elle le sauve pourtant de la destruction,—le sauve de l'enfer. Il va se perdre, pour l'éternité, dans son désespoir; elle descend du ciel à son aide, et, pendant toute la durée de l'ascension au Paradis, est son maître, se faisant pour lui l'interprète des vérités les plus ardues, divines et humaines; et, en ajoutant les réprimandes aux réprimandes, le conduit d'étoile en étoile[171].

Je n'insisterai pas sur la conception de Dante; si je commençais, je ne pourrais finir; d'ailleurs vous pourriez penser qu'elle n'est que le rêve arbitraire—et isolé—d'un cœur de poète. Aussi je veux plutôt vous lire quelques vers d'un ouvrage sûrement composé par un chevalier de Pise en l'honneur de sa dame vivante, pleinement caractéristiques de la sensibilité des hommes les plus nobles du XIIIe siècle ou du commencement du XIVe, conservé entre tant d'autres semblables témoignages de l'honneur et de l'amour chevaleresques que Dante Rossetti a recueillis pour nous chez les anciens poètes italiens:

«Car voyez! ta loi ordonne
Que mon amour soit manifestement
De te servir et honorer:
Et ainsi fais-je; et ma joie est parfaite,
D'être accepté pour le serviteur de ta règle[172].
À peine reçu, je suis dans le ravissement
Depuis que ma volonté est ainsi dressée
À servir, ô fleur de joie, ton excellence.
Ni jamais, semble-t-il, rien ne pourra plus éveiller
Une peine ou un regret.
Mais en toi prend son appui chacune de mes pensées et
de mes sensations
Parce que de toi toutes les vertus jaillissent
Comme d'une fontaine.
Ce qu'il y a dans les dons que tu fais, c'est la meilleure
et la plus profitable sagesse
Avec l'honneur sans défaillance.
En toi chaque souverain bien habite séparément
Remplissant la perfection de ton empire.
Dame, depuis que j'ai reçu ta plaisante image dans mon
cœur,
Ma vie s'est isolée
Dans une brillante lumière, au pays de vérité.
Elle qui jusqu'alors, à vrai dire,
Avait tâtonné au milieu des ombres d'un lieu obscur
Et pendant tant d'heures et de jours
Avait à peine gardé le souvenir du bien.
Mais maintenant mon servage
T'appartient, et je suis plein de joie et de repos.
C'est un homme que de la bête sauvage
Tu as tiré, depuis que par ton amour je vis.»

61. Vous pensez peut-être qu'un chevalier grec n'aurait pas placé la femme aussi haut que cet amant chrétien. Sa soumission spirituelle à ses lois n'aurait pas été sans doute aussi absolue; mais pour ce qui est de leurs caractères, c'est seulement parce que vous n'auriez pu me suivre aussi aisément, que je n'ai pas pris les femmes de l'antiquité grecque au lieu de celles de Shakespeare; et par exemple comme suprême idéal, comme type de la beauté et de la foi humaines, le simple cœur de mère et d'épouse, d'Andromaque; la sagesse divine et pourtant rejetée de Cassandre; la bonté enjouée et la simplicité d'une existence de princesse, chez l'heureuse Nausicaa; la calme vie de ménagère de Pénélope pendant qu'elle épie au loin la mer; la piété patiente, intrépide et le dévouement sans espoir de la sœur et de la fille chez Antigone; la tête inclinée d'Iphigénie silencieuse comme un agneau; et enfin l'attente de la résurrection[173] rendue sensible à l'âme grecque quand revint de son propre tombeau cette Alceste qui, pour sauver son époux, traversa sereinement l'amertume de la mort.

62. Maintenant je pourrais accumuler devant vous témoignages sur témoignages, si j'en avais le temps. Je prendrais Chaucer et je vous montrerais pourquoi il écrivit une légende des Bonnes Femmes[174]; mais non une légende de Bons Hommes. Je prendrais Spencer et vous montrerais comment ses féeriques[175] chevaliers sont quelquefois trompés, et quelquefois vaincus; mais l'âme d'Una n'est jamais obscurcie et l'épée de Brintomart n'est jamais brisée. Bien plus, je pourrais remonter en arrière jusqu'à l'enseignement mythique des plus anciens âges et vous montrer comment le grand peuple—dont il avait été écrit que c'est par une de ses Princesses que serait élevé le Législateur de toute la terre[176], et non par une femme de sa race,—comment ce grand peuple Égyptien, le plus sage de tous les peuples[177], donna à l'Esprit de la Sagesse la forme d'une Femme; et dans sa main, comme symbole, la navette de la fileuse; et comment le nom et la forme de cet esprit, adopté, adoré et obéi par les Grecs, devint cette Athèna au rameau d'olivier et au bouclier de nuages, à la foi en qui vous devez, en descendant jusqu'à ce jour, tout ce que vous tenez pour le plus précieux en art, en littérature, ou en modèles de vertu nationale.

63. Mais je ne veux pas m'égarer dans ces régions lointaines et mythiques; je veux seulement vous demander d'accorder sa légitime valeur au témoignage de ces grands poètes et des grands hommes du monde entier, d'accord, comme vous le voyez, sur ce sujet. Je veux vous demander si l'on peut supposer que ces hommes, dans les œuvres capitales de leurs vies, n'ont fait que jouer avec des idées purement fictives et fausses sur les relations de l'homme et de la femme; que dis-je? bien pires que fictives ou fausses; car une chose peut être imaginaire et cependant désirable, si toutefois elle est possible, mais cela, leur idéal de la femme, n'est, d'après notre habituelle conception des relations du mariage, rien moins que désirable. La femme, disons-nous, ne doit ni nous guider, ni seulement penser par elle-même. L'homme doit être toujours le plus sage; c'est à lui d'être la pensée, la loi, c'est lui qui l'emporte par la connaissance, et par la sagesse, comme par la puissance.

64. N'est-il pas de quelque importance de nous faire une opinion sur cette question? Sont-ce tous ces grands hommes qui se trompent ou nous? Shakespeare et Eschyle, Dante et Homère ne font-ils qu'habiller des poupées pour nous; ou, pire que des poupées, des visions hors nature dont la réalisation, si elle était possible, amènerait l'anarchie dans tous les foyers et ruinerait l'affection dans tous les cœurs? Mais, si vous pouvez supposer cela, consultez enfin l'évidence des faits, telle que nous la fournit le cœur humain lui-même. Dans tous les âges chrétiens qui ont été remarquables par la pureté ou par le progrès, il y eut l'absolue dévotion d'une fanatique obéissance vouée par l'amant à sa maîtresse, Je dis obéissance; non pas seulement un enthousiasme et un culte purement imaginatifs; mais une entière soumission, recevant de la femme aimée, si jeune soit-elle, non seulement l'encouragement, la louange et la récompense du labeur, mais, dans tout choix difficile à faire ou toute question ardue à trancher, la direction de tout labeur. Cette chevalerie aux abus et à la dégradation de laquelle nous pouvons faire remonter la responsabilité de tout ce qui s'est produit depuis de cruel dans la guerre, d'injuste dans la paix, de corrompu et de bas dans les relations domestiques; dont l'originale pureté et la puissance organisèrent la défense de la foi, de la loi et de l'amour; cette chevalerie, dis-je, donnait comme base à sa conception d'une vie d'honneur la soumission du jeune chevalier aux ordres—même si ces ordres étaient dictés par un caprice—de sa dame. Et cela, parce que ceux qui la fondèrent savaient que la première et indispensable impulsion d'un cœur vraiment instruit et chevaleresque se trouve dans une aveugle obéissance à sa dame; que là où cette vraie foi et cet esclavage ne sont pas, seront toutes les passions perverses et malfaisantes; et que dans cette obéissance ravie à l'unique amour de sa jeunesse est pour tout homme la sanctification de sa force et la continuité de ses desseins. Et cela non qu'une telle obéissance reste tutélaire ou honorable, si elle est rendue à celle qui en est indigne; mais parce qu'il devrait être impossible à un jeune homme vraiment noble—et qu'il lui est, de fait, impossible s'il a été formé au bien—d'aimer une femme aux doux avis de qui il ne pourrait se fier, ou dont les ordres suppliants pourraient le laisser hésitant à leur obéir.

65. Je n'argumenterai pas davantage là-dessus, car j'estime que c'est à la fois à votre expérience qu'il faut laissera connaître de ce qui fut et à votre cœur, de ce qui doit être. Vous ne pensez certainement pas que la coutume pour le chevalier de se faire agrafer son armure par la main même de sa dame était le simple caprice d'une mode romanesque. C'est le symbole d'une vérité éternelle—que l'armure de l'âme ne tient jamais bien au cœur si ce n'est pas une main de femme qui l'a attachée. Et c'est seulement si elle l'a attaché trop lâche que l'honneur de l'homme fléchit.

Ne connaissez-vous pas ces vers charmants? Je voudrais les voir sus par toutes les jeunes femmes d'Angleterre:

«Ah! la femme prodigue—elle qui pouvait
À sa douce personne mettre son prix
Sachant qu'il n'avait pas à choisir, mais à payer,
Comment a-t-elle vendu au rabais le Paradis!
Comment a-t-elle donné pour rien son présent sans prix,
Comment a-t-elle pillé le pain et gaspillé le vin,
Qui, consommés l'un et l'autre avec une sage économie,
De brutes auraient fait des hommes, et d'hommes des
dieux[178]

66. Tout ceci, concernant les relations des amants, je crois que vous l'accepterez volontiers. Mais ce dont nous doutons trop souvent, c'est qu'il soit bon de continuer ces relations pendant toute la durée de la vie. Nous pensons qu'elles conviennent entre amant et maîtresse, non entre mari et femme. Cela revient à dire que nous pensons qu'un respectueux et tendre hommage est dû à celle de l'affection de qui nous ne sommes pas encore sûrs, et dont nous ne discernons que partiellement et vaguement le caractère; et que le respect et l'hommage doit disparaître quand l'affection, tout entière, sans restriction est devenue nôtre, et quand le caractère a été par nous si bien pénétré et éprouvé que nous ne craignons pas de lui confier le bonheur de notre vie. Ne voyez-vous pas ce que ce raisonnement a de vil autant que d'absurde? Ne sentez-vous pas que le mariage, partout où il y a vraiment mariage, n'est rien que le sceau et la consécration du passage d'un éphémère à un indestructible dévouement et d'un inconstant à un éternel amour?

67. Mais comment, demanderez-vous, l'idée d'un rôle de guide pour la femme est-elle conciliable avec l'entière soumission féminine? Simplement en ce que ce rôle est de guider vers le but et non de le déterminer. Laissez-moi vous montrer comment ces deux pouvoirs me paraissent devoir être distingués l'un de l'autre. Nous sommes absurdes et d'une absurdité sans excuse quand nous parlons de «la supériorité» d'un sexe sur l'autre, comme s'ils pouvaient être comparés en des choses similaires. Chacun possède ce que l'autre n'a pas; chacun complète l'autre et est complété par lui; en rien ils ne sont semblables, et le bonheur et la perfection de chacun a pour condition que l'un réclame et reçoive de l'autre ce que seul il peut lui donner.

68. Voici maintenant leurs caractères distinctifs. Le pouvoir de l'homme consiste à agir, à aller de l'avant, à protéger. Il est essentiellement l'être d'action, de progrès, le créateur, le découvreur, le défenseur. Son intelligence est tournée à la spéculation et à l'invention, son énergie aux aventures, à la guerre et à la conquête, partout où la guerre est juste et la conquête nécessaire. Mais la puissance de la femme est de régner, non de combattre, et son intelligence n'est ni inventive ni créatrice, mais tout entière d'aimable ordonnance, d'arrangement et de décision. Elle perçoit les qualités des choses, leurs aspirations, leur juste place. Sa grande fonction est la louange. Elle reste en dehors de la lutte, mais avec une justice infaillible décerne la couronne de la lutte. Par son office et sa place, elle est protégée du danger et de la tentation. L'homme, dans son rude labeur en plein monde, trouve sur son chemin les périls et les épreuves de toute sorte; à lui donc les défaillances, les fautes, l'inévitable erreur, à lui d'être blessé ou vaincu, souvent égaré, et toujours endurci. Mais il garde la femme de tout cela. Au dedans de sa maison qu'elle gouverne, à moins qu'elle n'aille les chercher, il n'y a pas de raison qu'entre ni danger, ni tentation, ni cause d'erreur ou de faute. En ceci consiste essentiellement le foyer qu'il est le lieu de la paix, le refuge non seulement contre toute injustice, mais contre tout effroi, doute et désunion. Pour autant qu'il n'est pas tout cela, il n'est pas le foyer; si les anxiétés de la vie du dehors pénètrent jusqu'à lui, si la société frivole du dehors, composée d'inconnus, d'indifférents ou d'ennemis, reçoit du mari ou de la femme la permission de franchir son seuil, il cesse d'être le foyer. Il n'est plus alors qu'une partie de ce monde du dehors que vous avez couverte d'un toit, et où vous avez allumé un feu. Mais dans la mesure où il est une place sacrée, un temple vestalien, un temple du cœur sur qui veillent les Dieux Domestiques devant la face desquels ne peuvent paraître que ceux qu'ils peuvent recevoir avec amour, pour autant qu'il est cela, que le toit et le feu ne sont que les emblèmes d'une ombre et d'une flamme plus nobles, l'ombre du rocher sur une terre aride[179] et la lumière du phare sur une mer démontée; pour autant il justifie son nom et mérite sa gloire de Foyer.

Et partout où va une vraie épouse, le foyer est toujours autour d'elle. Il peut n'y avoir au-dessus de sa tête que les étoiles; il peut n'y avoir à ses pieds d'autre feu que le ver luisant dans l'herbe humide de la nuit; le foyer n'en est pas moins partout où elle est; et pour une femme noble il s'étend loin autour d'elle, plus précieux que s'il était lambrissé de cèdre[180] ou peint de vermillon, répandent au loin sa calme lumière, pour ceux qui sans lui n'auraient pas de foyer.

69. Telle, donc, je crois être, et ne voulez-vous pas reconnaître qu'elle l'est en effet, la vraie place et le vrai rôle de la femme. Mais ne voyez-vous pas que, pour les remplir, elle doit—autant qu'on peut user d'un pareil terme pour une créature humaine,—être incapable d'erreur? Aussi loin qu'elle règne, tout doit être juste, ou rien ne l'est. Elle doit être patiemment, incorruptiblement bonne; instinctivement, infailliblement sage—sage non en vue du développement d'elle-même, mais du renoncement à elle-même: sage, non pour se mettre au-dessus de son mari, mais pour ne jamais faiblir à son coté; sage non avec l'étroitesse d'un orgueil insolent et sec, mais avec la douceur passionnée d'un dévouement modeste, infiniment variable parce qu'il peut s'appliquer à tout—la vraie mobilité de la femme. Dans son sens profond «La Donna e mobile[181]», mais non pas «Qual piùm'al vento»; elle n'est pas non plus «variable comme l'ombre faite par le tremble léger et frissonnant[182]», mais variable comme la lumière, que multiplie sa pure et sereine réfraction afin qu'elle puisse s'emparer de la couleur de tout ce qu'elle touche et l'exalter.

70. J'ai essayé jusqu'ici de vous montrer quelle devrait être la place et quel le rôle de la femme. Nous devons maintenant aborder un second point: quel est le genre d'éducation qui la rendra capable de les remplir. Et si vous trouvez vraie la conception de son office et de sa dignité que je vous ai exposée, il ne sera pas difficile de tracer le plan de l'éducation qui la préparera à l'un et l'élèvera jusqu'à l'autre.

Le premier de nos devoirs envers elle,—aucune personne raisonnable ne peut en douter—est de lui assurer une éducation et des exercices physiques qui affermissent sa santé et perfectionnent sa beauté; le type le plus élevé de cette beauté étant impossible à atteindre sans la splendeur de l'activité physique et d'une force délicate. Perfectionner sa beauté, dis-je, et en accroître le pouvoir; elle ne peut être trop puissante ni répandre trop loin sa lumière sacrée; seulement rappelez-vous que la liberté des mouvements du corps est impuissante à produire la beauté sans une liberté correspondante du cœur. Il est deux passages d'un poète[183] qui se distingue, il me semble, entre tous—non par sa puissance, mais par son exquise vérité, et qui vous montreront la source et vous décriront en peu de mots tout l'accomplissement de la beauté féminine. Je vais vous lire les strophes introductrices, mais la dernière est la seule sur laquelle je tienne à appeler spécialement votre attention:

«Trois ans elle crût sous le soleil et l'ondée.
Alors Nature dit: «Une plus aimable fleur
Sur terre ne fut jamais semée;
Cette enfant pour moi-même je prendrai;
Elle sera mienne, et je formerai
Une dame issue de moi seule.
Moi-même pour ma chérie je serai
À la fois la loi et l'impulsion; et avec moi
La fillette, dans le rocher et dans la plaine,
Dans la terre et le ciel, dans la clairière et le bocage,
Sentira à veiller sur elle un pouvoir
Tantôt excitateur et tantôt réprimant.
Les flottants nuages leur majesté prêteront
À elle, pour elle le saule se courbe;
Ni elle ne manquera de discerner
Même dans le mouvement de la tempête
La grâce qui moulera ses formes de jeune fille
Par une silencieuse sympathie;
Et des sentiments vitaux de joie
Élèveront sa forme jusqu'à une royale stature,
Gonfleront son sein virginal;
De telles pensées à Lucie je donnerai
Pendant qu'elle et moi ensemble nous vivrons
Ici dans cet heureux vallon.»

«Des sentiments vitaux de joie», remarquez-le. Il y a de mortels sentiments de joie; mais ceux qui sont naturels sont vitaux, nécessaires à la vraie vie.

Et ils seront des sentiments de joie, s'ils sont vitaux. Ne croyez pas pouvoir rendre une jeune fille gracieuse, si vous ne la rendez pas heureuse. Il n'y a pas une contrainte imposée aux bons sentiments naturels d'une jeune fille—il n'y a pas d'obstacle mis à ses instincts d'amour ou d'effort—qui ne reste indélébilement écrit sur ses traits, avec une dureté qui est d'autant plus pénible qu'elle ôte leur éclat aux yeux de l'innocence et son charme au front de la vertu.

71. Voilà pour les moyens; maintenant notez bien la fin. Empruntez au même poète une parfaite description de la beauté de la femme.

«Une contenance en laquelle se rencontrent
De doux souvenirs, des promesses aussi douces.»

Le charme parfait d'une contenance de femme peut consister seulement en cette paix majestueuse qui est fondée sur le souvenir des années heureuses et utiles, pleines de doux souvenirs; et de son union avec cette jeunesse peut-être plus émouvante qui contient encore le germe de tant de renouvellements et de tant de promesses, au cœur toujours ouvert, modeste à la fois et brillante de l'espoir de choses meilleures à acquérir et à donner. Il n'y a pas de vieillesse tant que subsistent ces promesses.

72. Ainsi donc, vous avez premièrement à modeler son enveloppe physique, et ensuite, quand la force qu'elle acquerra vous le permettra, à remplir et pétrir son esprit avec toutes les connaissances et toutes les pensées qui pourront tendre à affermir son instinct naturel de la justice et affiner son sens inné de l'amour.

Toutes les connaissances devront lui être données qui la rendront plus capable de comprendre l'œuvre de l'homme et même d'y aider; et cependant elles devront lui être données non en tant que connaissances—non comme si cela lui était ou pouvait lui être un but que de connaître; il n'en est d'autre pour elle que sentir et juger; il n'est aucunement important en tant que ce pourrait être une raison d'orgueil ou d'une plus grande perfection en elle, qu'elle sache plusieurs langues ou une seule; mais il l'est infiniment, qu'elle soit capable de montrer de la bonté à un étranger, et de comprendre la douceur des paroles d'un étranger. Il n'est aucunement important pour sa propre valeur ou dignité qu'elle soit versée dans telle ou telle science; mais il l'est infiniment qu'elle puisse être élevée dans des habitudes de pensée exactes; qu'elle puisse comprendre la signification, la nécessité et la beauté des lois naturelles; et suivre au moins un des sentiers des recherches scientifiques jusqu'au seuil de cette amère Vallée d'Humiliation[184], dans laquelle seuls les plus sages et les plus courageux des hommes peuvent descendre, se tenant eux-mêmes pour d'éternels enfants, ramassent des galets sur une grève infinie[185]. Il est de peu de conséquence qu'elle sache la situation géographique d'un plus ou moins grand nombre de villes, ou la date de plus ou moins d'événements, ou les noms de plus ou moins de personnages célèbres;—ce n'est pas le but de l'éducation de convertir la femme en dictionnaire; mais il est profondément nécessaire qu'on lui ait appris à pénétrer avec sa personnalité entière dans l'histoire qu'elle lit; à garder de ses passages une peinture vraiment vivante, dans sa brillante imagination; à saisir avec sa finesse instinctive le pathétique des faits eux-mêmes et le tragique de leur enchaînement que l'historien fait disparaître trop souvent sous des raisonnements qui les éclipsent et par la manière dont il prend soin de les disposer;—c'est son rôle à elle de suivre à la trace l'équité voilée des divines récompenses et de débrouiller du regard, à travers les ténèbres, l'écheveau du fil de feu qui unit la faute au châtiment. Mais par-dessus tout, on devra lui apprendre à étendre les limites de sa sympathie à cette histoire qui se fait pour toujours tandis que s'écoulent les moments où paisiblement elle respire; et aux malheurs de notre temps qui, s'ils n'étaient pas, comme il le faut, pleures par elle, ne pourraient plus revivre un jour. Elle doit s'exercer elle-même à imaginer quel en serait l'effet sur son âme et sur sa conduite, si elle était chaque jour mise en présence de la souffrance qui n'est pas moins réelle parce qu'elle est cachée à sa vue. On devra lui apprendre à mesurer un peu le néant du petit monde où elle vit et aime, par rapport au monde où Dieu vit et aime[186]; et solennellement on devra lui apprendre à s'efforcer que ses pensées religieuses ne s'affaiblissent pas en proportion du nombre de ceux qu'elles embrassent et que sa prière ne soit pas moins ardente que si elle implorait le soulagement d'un mal immédiat pour son mari ou son enfant, quand elle la dit pour les multitudes de ceux qui n'ont personne pour les aimer, quand c'est la prière «pour ceux qui sont désolés et accablés[187]».

73. Jusqu'ici, je le crois, j'ai rencontré votre assentiment; peut-être ne serez-vous plus avec moi dans ce que je crois d'une impérieuse nécessité de vous dire. Il est une science dangereuse pour les femmes—une science qu'on doit les mettre en garde de toucher d'une main profane—celle de la théologie. Étrange, et lamentablement étrange! que pendant qu'elles sont assez modestes pour douter de leurs capacités et s'arrêter sur le seuil de sciences où chaque pas est assuré et s'appuie sur des démonstrations, elles plongent la tête la première, et sans un soupçon de leur incompétence, dans cette science devant laquelle les plus grands hommes ont tremblé, où se sont égarés les plus sages. Étrange, de les voir complaisamment et orgueilleusement entasser tout ce qu'il y a de vices et de sottise en elles, d'arrogance, d'impertinence et d'aveugle incompréhension, pour en faire un seul amer paquet de myrrhe sacrée. Étrange, pour des créatures nées pour être l'Amour visible, que, là où elles peuvent le moins connaître, elles commencent avant tout par condamner et pensent se recommander elles-mêmes auprès de leur Maître, en se hissant sur les degrés de Son trône de Juge pour le partager avec Lui. Plus étrange que tout, qu'elles se croient guidées par l'Esprit du Consolateur dans des habitudes d'esprit devenues chez elles de purs éléments de désolation pour leur foyer et qu'elles osent convertir les Dieux hospitaliers du Christianisme en de vilaines idoles de leur fabrication; poupées spirituelles qu'elles attiferont selon leur caprice, et desquelles leurs maris se détourneront avec une méprisante tristesse de peur d'être couverts d'imprécations s'ils les brisaient.

74. Je crois donc, à part cette exception, qu'une éducation de jeune fille comporte, comme classes et comme programmes, à peu près les mêmes études qu'une éducation de jeune homme, mais dirigées dans un esprit entièrement différent. Une femme, quel que soit son rang dans la vie, devrait savoir tout ce que son mari aura vraisemblablement à savoir, mais elle doit le savoir d'une autre manière. Lui doit posséder les principes, et pouvoir approfondir sans cesse, là ou elle n'aura que des notions générales et d'un usage quotidien et pratique. Non qu'il ne puisse être souvent plus sage pour les hommes d'apprendre les choses selon cette méthode en quelque sorte féminine, pour les besoins de chaque jour, et d'aller chercher de préférence les instruments de discipline et de formation de leurs esprits dans les études spéciales qui, plus tard, pourront leur servir dans leur profession. Mais d'une manière générale un homme devrait savoir toute langue ou toute science qu'il apprend, à fond;—tandis qu'une femme devrait savoir de la même langue ou science seulement ce qu'il lui faut pour être capable de sympathiser avec les joies de son mari et avec celles de ses meilleurs amis.

75. Cependant, remarquez-le, elle ne doit toucher à aucune étude qu'avec une exactitude exquise. Il y a une immense différence entre des connaissances élémentaires et des connaissances superficielles, entre un ferme commencement et un infirme essai de tout embrasser. Une femme aidera toujours son mari par ce qu'elle sait, si peu de chose qu'elle sache; mais par ce qu'elle sait à moitié ou de travers, elle ne fera que l'agacer. Et en réalité s'il devait y avoir quelque différence entre une éducation de fille et une de garçon, je dirais que des deux la jeune fille devrait être dirigée plus tôt, comme son intelligence mûrit plus vite, vers les sujets profonds et graves; que le genre de littérature qui lui convient est non pas plus frivole, mais au contraire moins déterminé en vue d'ajouter des qualités de patience et de sérieux à ses dons naturels de piquante pénétration de pensée et de vivacité d'esprit; et aussi de la maintenir à une altitude et dans une pureté de pensée très grandes. Je n'entre maintenant dans aucune question de choix de livres. Assurons-nous seulement qu'ils ne tombent pas en tas sur ses genoux du paquet du cabinet de lecture, humides encore de la dernière et légère écume de la fontaine de la folie.

76. Ni même de la fontaine de l'esprit; car, pour ce qui concerne cette tentation maladive de lire des romans, ce n'est pas tant ce qu'il y a de mauvais dans le roman lui-même que nous devons craindre que l'intérêt qu'il excite. Le roman le plus faible n'est pas aussi malsain pour le cerveau que les basses formes de la littérature religieuse exaltée, et le plus mauvais roman est moins corrupteur que la fausse histoire, la fausse philosophie et les faux écrits politiques. Mais le meilleur roman devient dangereux, si, par l'excitation qu'il provoque, il rend inintéressant le cours ordinaire de la vie, et développe la soif morbide de connaître sans profit pour nous des scènes dans lesquelles nous ne serons jamais appelés à jouer un rôle.

77. Je parle des bons romans seulement; et notre moderne littérature est particulièrement riche en de tels romans, dans tous les genres. Bien lus, en effet, ces livres sont d'une utilité réelle, n'étant rien moins que des traités d'anatomie et de chimie morales; des études de la nature humaine considérée dans ses éléments. Mais j'attache une mince importance à cette fonction; ils ne sont presque jamais lus assez sérieusement pour qu'il leur soit permis de la remplir. Le plus qu'ils puissent faire habituellement pour leurs lectrices est d'accroître quelque peu la douceur chez les charitables et l'amertume chez les envieuses; car chacune trouvera dans un roman un aliment pour ses dispositions innées. Celles qui sont naturellement orgueilleuses et jalouses apprendront de Thackeray à mépriser l'humanité; celles qui sont naturellement bonnes, à la plaindre; et celles qui sont naturellement légères, à en rire. De même les romans peuvent nous rendre un très grand service spirituel, en faisant vivre devant nous une vérité humaine que nous avions jusque-là obscurément conçue; mais la tentation du pittoresque dans la composition est si grande que, souvent, les meilleurs auteurs de fictions ne peuvent y résister; et le tableau qu'ils nous donnent des choses est si forcé, ne montre tellement qu'un côté des choses que sa vivacité même est plutôt un mal qu'un bien.

78. Sans pour cela prétendre le moins du monde à essayer ici de déterminer à quel point la lecture des romans doit être permise, laissez-moi du moins vous affirmer très clairement ceci, que,—quels que soient les ouvrages qu'on lise, que ce soit des romans, de la poésie ou de l'histoire—ils devront être choisis non parce qu'on n'y trouve rien de mal, mais pour ce qu'ils contiennent de bien. Le mal que le hasard a pu éparpiller, çà et là, ou cacher dans un livre puissant ne fera jamais de mal à une noble fille[188]; mais le vide d'un auteur l'oppresse et son aimable nullité l'abaisse. Mais si elle peut avoir accès dans une bonne bibliothèque de livres anciens et classiques, il n'y a plus besoin de choix du tout. Mettez la revue et le roman du jour hors du chemin de votre fille; lâchez-la en liberté dans la vieille bibliothèque les jours de pluie, et laissez-l'y seule. Elle saura trouver ce qui est bon pour elle; vous ne le pourriez pas: car c'est précisément la différence entre la formation d'un caractère de fille et de garçon.—Vous pouvez tailler un garçon et lui donner la forme que vous voulez[189], comme vous feriez d'une rose, ou le forger avec le marteau, s'il est d'une meilleure sorte, comme vous feriez pour une pièce de bronze. Mais vous ne pouvez jamais donner par le marteau à une jeune fille quelque forme que ce soit. Elle croît comme fait une fleur—sans soleil, elle se fanera; elle déclinera sur sa tige, comme un narcisse, si vous ne lui donnez pas assez d'air; elle peut tomber et souiller sa tête dans la poussière si vous la laissez sans appui à certains moments de sa vie; mais vous ne l'enchaînerez jamais; il faut qu'elle prenne sa gracieuse forme à elle, son chemin à elle, si elle doit en prendre aucun, et d'âme et de corps, il faut qu'elle ait toujours:

«Son allure légère et libre de femme d'intérieur
Et ses pas d'une liberté virginale[190]

Lâchez-la, dis-je, dans la bibliothèque comme vous feriez d'un faon dans la campagne. Il connaît les herbes nuisibles vingt fois mieux que vous, et les bonnes aussi; et broutera quelques herbes amères et piquantes, bonnes pour lui (ce dont vous n'auriez pas eu le plus léger soupçon).

79. Pour ce qui est de l'art, mettez les plus beaux modèles sous ses yeux, et faites en sorte que, dans tous les arts auxquels elle se livrera, son savoir soit si exact et si approfondi qu'elle soit encore plus capable de comprendre que d'exécuter. Les plus beaux modèles, ai-je dit; j'entends par là les plus vrais, les plus simples et les plus utiles. Faites attention à ces épithètes: elles conviennent à tous les arts. Faites-en l'épreuve pour la musique, où vous devez penser qu'elles s'appliquent le moins. J'ai dit les plus vrais, ceux où les notes serrent de plus près et expriment le plus fidèlement la signification des paroles, ou le caractère de l'émotion voulue; les plus simples aussi, ceux où le sens et l'intention mélodique sont rendus avec aussi peu de notes et aussi significatives que possibles; les plus utiles enfin: cette musique qui fait les fortes paroles plus belles, qui les fait chanter dans nos mémoires chacune dans la gloire unique de sa sonorité, et qui nous les appuie le plus près du cœur pour l'heure où nous aurons besoin d'elles.

80. Et ce n'est pas seulement pour les programmes et le plan, mais c'est surtout pour l'esprit des études, qu'il faut vous appliquer à rendre l'éducation d'une fille aussi sérieuse que celle d'un garçon. Vous élevez vos filles comme si elles étaient destinées à être des objets d'étagères, et ensuite vous vous plaignez de leur frivolité. Ne les traitez pas moins bien que leurs frères; faites appel chez elles aux mêmes grands instincts vertueux; à elles aussi apprenez que le courage et la vérité sont les piliers de leur être; pensez-vous qu'elles ne répondront pas à cet appel, braves et vraies comme elles sont, même à cette heure où vous savez qu'il n'est guère d'école de filles dans ce royaume chrétien où le courage et la sincérité des enfants ne soit tenue pour une chose moitié moins importante que leur manière d'entrer dans une chambre, et où toutes les idées de la société touchant le mode de leur établissement dans la vie n'est qu'une peste contagieuse de couardise et d'imposture—de couardise parce que vous n'osez pas les laisser vivre, ou aimer, autrement qu'au gré de leurs voisins, et d'imposture, parce que vous mettez pour servir les fins de votre orgueil à vous, tout l'éclat des pires vanités de ce monde sous les yeux de vos filles, au moment même où tout le bonheur de leur existence à venir dépend de leur force de résistance à se laisser éblouir.

81. Et donnez-leur enfin non seulement de nobles préceptes, mais de nobles précepteurs. Vous prenez quelque peu garde avant d'envoyer votre fils au collège à l'espèce d'homme que peut être son professeur, et quelque espèce d'homme qu'il soit, vous lui donnez du moins pleine autorité sur votre fils et lui témoignez vous-même certain respect; s'il vient dîner chez vous, vous ne le mettez pas à une petite table; vous savez aussi que, au collège, le maître immédiat de votre enfant est sous la direction d'un plus haut maître, pour lequel vous avez le plus entier respect. Vous ne traitez pas le doyen de Christ Church ou le Directeur de la Trinité comme vos inférieurs.

Mais quels maîtres donnez-vous à vos filles et quel respect témoignez-vous à ces maîtres que vous avez choisis? Pensez-vous qu'une fillette estimera que sa conduite personnelle, et le développement de son esprit soient choses d'une grande importance quand vous confiez l'entière formation de son être moral et intellectuel à une personne que vous laissez traiter par vos domestiques avec moins d'égards que votre femme de charge (comme si le soin de l'âme de votre enfant était une charge moins importante que celui des confitures et de l'épicerie) et à qui vous-même pensez conférer un honneur en lui permettant quelquefois le soir de venir s'asseoir au salon[191]?

82. Tel est donc le rôle de la littérature, considérée en tant qu'elle peut être une aide pour elle,—tel le rôle de l'art. Mais il est encore une autre aide sans laquelle elle ne peut rien, une aide, qui, à elle seule, a fait quelquefois plus que toutes les autres influences—l'aide de la sauvage et belle nature. Écoutez ceci, sur l'éducation de Jeanne d'Arc.

«L'éducation de cette pauvre fille fut humble au regard de l'esprit du jour; fut ineffablement haute au regard d'une philosophie plus pure et mauvaise pour notre époque, seulement parce qu'elle est trop élevée pour elle...

«Après ses avantages spirituels, elle fut redevable surtout aux avantages de sa situation. La fontaine de Domrémy était à l'orée d'une immense forêt, et celle-ci était hantée à un tel point par les fées que le curé était obligé d'aller dire la messe là une fois l'an, à seules fins de les contenir dans de décentes bornes...

«Mais les forêts de Domrémy—elles étaient les gloires de la contrée, parce qu'en elles séjournaient de mystérieux pouvoirs et d'antiques secrets qui planaient sur elle en une puissance tragique; il y avait là des abbayes avec leurs verrières «semblables aux temples mauresques des Hindous» qui exerçaient leurs prérogatives princières jusqu'en Touraine et dans les diètes germaniques. Elles avaient leurs douces sonneries de cloches qui perçaient les forêts à bien des lieues le matin et le soir et chacune avait sa rêveuse légende.

«Assez peu nombreuses et assez disséminées étaient ces abbayes, pour ne troubler à aucun degré la profonde solitude de la région; pourtant assez nombreuses pour déployer un réseau ou une tente de chrétienne sainteté sur ce qui eût paru sans cela un désert païen[192]

Maintenant, vous ne pouvez pas, il est vrai, avoir ici, en Angleterre, des bois de dix-huit milles de rayon du centre à la lisière; mais vous pourriez peut-être tout de même garder une fée ou deux pour vos enfants, si vous aviez envie d'en garder. Mais en avez-vous réellement envie? Supposez que vous eussiez chacun, derrière votre maison, un jardin assez grand pour y faire jouer vos enfants, avec juste assez de pelouse pour avoir la place de courir—pas davantage; supposez que vous ne puissiez pas changer d'habitation, mais que, si vous le vouliez, vous puissiez doubler votre revenu, ou le quadrupler, en creusant un puits à charbon au milieu de la pelouse, et en convertissant les corbeilles de fleurs en monceaux de coke. Le feriez-vous? J'espère que non. Je peux vous dire que vous auriez grand tort si vous le faisiez, même si cela augmentait votre revenu dans la proportion de quatre à soixante.

83. Et pourtant c'est cela que vous êtes en train de faire de toute l'Angleterre. Le pays entier n'est qu'un petit jardin, pas plus grand qu'il ne faut pour que vos enfants courent sur ses pelouses, si vous voulez les laisser tous y courir. Et ce petit jardin vous en ferez un haut fourneau, et le remplirez de monceaux de cendres, si vous pouvez, et ce seront vos enfants, non pas vous, qui souffriront de cela. Car toutes les fées ne seront point bannies; il y a des fées de la fournaise aussi bien que des fées des bois, et leurs premiers présents semblent être «les flèches aiguës des puissants», mais leurs derniers présents sont «des charbons de genièvre[193]».

84. Et cependant je ne puis pas—bien qu'il n'y ait aucune partie de mon sujet que je sente plus profondément—imprimer ceci en vous; car nous faisons si peu usage du pouvoir de la nature pendant que nous l'avons que nous sentirons à peine ce que nous aurons perdu. Tenez, sur l'autre rive de la Mersey, vous avez votre Snowdon, et votre Menai Straits, et ce puissant roc de granit derrière les landes d'Anglesey, splendide avec sa crête couronnée de bruyères, et son pied planté dans la mer profonde, jadis considéré comme sacré—divin promontoire, regardant l'Occident; le Holy Head ou Head land, capable encore de nous inspirer une crainte religieuse quand ses phares dardent les premiers leurs feux rouges à travers la tempête. Voilà les montagnes, voilà les baies et les îles bleues qui, chez les Grecs, eussent été toujours chéries, toujours puissantes dans leur influence sur la destinée de l'esprit national. Ce Snowdon est votre Parnasse; mais où sont ses Muses? Cette montagne de Holy head est votre île d'Égine; mais où est son temple de Minerve?

85. Vous dirai-je ce que la Minerve chrétienne a accompli à l'ombre du Parnasse jusqu'en l'an 1848? Voici une petite notice sur une école galloise à la page 261 du rapport sur le pays de Galles, publié par le Comité du Conseil de l'Instruction publique. Il s'agit d'une école située auprès d'une ville de 5.000 habitants: «J'examinai alors une classe plus nombreuse, dont la plupart des élèves étaient entrées récemment à l'école. Trois fillettes déclarèrent, à plusieurs reprises, qu'elles n'avaient jamais entendu parler de Dieu (deux sur six pensaient que le Christ était actuellement sur terre); trois ne savaient rien de la Crucifixion. Quatre sur sept ne connaissaient pas les noms des mois, ni le nombre des jours de l'année. Elles n'avaient encore aucune notion de l'addition passé deux et deux, ou trois et trois, leurs esprits étaient absolument vides.» Oh! vous, femmes d'Angleterre! depuis la princesse de ce pays de Galles jusqu'à la plus simple d'entre vous, ne croyez pas que vos propres enfants pourront entrer en possession de leur part dans le vrai Bercail de repos tant que ceux-ci seront dispersés sur les montagnes comme des brebis qui n'ont point de berger[194]. Et ne croyez pas que vos filles pourront être élevées à la connaissance véritable de leur propre beauté humaine, tant que les lieux charmants que Dieu fit à la fois pour être leurs salles d'études et leurs cours de récréation resteront désolés et souillés. Vous ne pourrez pas les baptiser efficacement dans vos fonts baptismaux profonds d'un pouce, si vous ne les baptisez aussi dans les douces eaux que le grand Législateur[195] a fait jaillir à jamais des rochers de votre pays natal,—ces eaux qu'un païen eût adorées pour leur pureté, et que vous n'adorez que quand vous les avez polluées. Vous ne pouvez pas conduire vos enfants aux pieds de vos étroits autels taillés à la hache dans vos églises, tandis que les autels de sombre azur qui s'élèvent jusque dans le ciel, ces montagnes où un païen aurait vu les pouvoirs du ciel reposer sur chaque nuage qui les couronne, restent pour vous sans dédicace, autels élevés non à, mais par un Dieu inconnu[196].

86. Voilà donc ce qui est de la nature, ce qui est de l'enseignement de la femme, voilà pour ses fonctions domestiques et pour son caractère de reine. Nous arrivons maintenant à notre dernière et plus importante question. En quoi consiste son rôle de reine à l'égard de l'État? Généralement nous vivons sous cette impression que les devoirs de l'homme sont publics et ceux de la femme privés. Mais il n'en est pas tout à fait ainsi. Tout homme a à remplir une tâche—ou une obligation—personnelle, qui concerne son propre home, et une tâche ou obligation, publique, qui n'est que l'expansion de l'autre, et qui concerne l'État. De même toute femme a sa tâche, ou obligation, personnelle, qui concerne son propre home, et une tâche, ou obligation publique, qui n'est que l'expansion de celle-ci.

Or, la tâche de l'homme, relativement à son propre home, est, comme nous l'avons dit, d'en assurer le maintien, le progrès, la défense, celle de la femme d'en assurer l'ordre, le charme confortable et la beauté.

Élargissons ces deux fonctions. Le devoir de l'homme comme membre de la communauté est d'aider au maintien de l'État, à sa grandeur, à sa défense.

Le devoir de la femme comme membre de la communauté est d'aider à une sorte d'ordre dans l'État, de douceur confortable et à lui donner une parure de beauté.

Ce que l'homme est à sa propre porte, la défendant, s'il est besoin, contre l'insulte et le pillage, cela aussi, et s'y dévouant non dans une moindre mais dans une plus large mesure, il doit l'être aux portes de son pays, abandonnant son home, s'il est besoin, même au pillard, pour aller accomplir le devoir plus haut qui lui incombe.

Et de même, ce que la femme est à l'intérieur, derrière ses portes, c'est-à-dire le centre d'harmonie, le baume de détresse et le miroir de beauté: cela elle doit l'être aussi en dehors de ses portes, quand l'harmonie est plus difficile, la détresse plus immédiate, la beauté plus rare.

Et de même qu'au cœur de l'homme est toujours caché un instinct pour tous ses vrais devoirs, un instinct qui ne peut être étouffé, mais seulement faussé et corrompu si vous le détournez de son but véritable:—de même qu'il y a cet instinct profond de l'amour, qui, justement discipliné, maintient toutes les saintetés de la vie, et, faussement dirigé, les mine toutes; et doit faire l'un ou l'autre;—ainsi est-il dans le cœur humain un inextinguible instinct, l'amour du pouvoir, qui, justement dirigé, maintient toute la majesté de la loi et de la vie, et, mal dirigé, les détruit.

87. Profondément enraciné dans la plus intime vie du cœur de l'homme, et du cœur de la femme, Dieu l'a mis là et l'y garde. Vainement autant qu'à tort, vous blâmez et rebutez le désir du pouvoir! La volonté céleste et l'intérêt humain sont que vous le désiriez de toutes vos forces. Mais quel pouvoir[197]? Ceci est toute la question.

Pouvoir de détruire? la force du lion et l'haleine du dragon? Non certes. Pouvoir de guérir de racheter, de guider, de protéger. Pouvoir du sceptre et du bouclier; le pouvoir de la main royale qui guérit en touchant, qui enchaîne l'ennemi et délivre le captif; le trône qui est fondé sur le roc de Justice, et qu'on descend seulement par les marches de la Pitié[198]. Ne convoiterez-vous pas un tel pouvoir, n'aspirerez-vous pas à un trône comme celui-là et à ne plus être seulement des ménagères, mais des reines?

88. Il y a déjà longtemps que les femmes d'Angleterre se sont arrogé, dans toutes les classes, un titre qui jadis n'appartenait qu'à la noblesse, et ayant une fois pris l'habitude de se faire donner le simple titre de gentille femme (gentlewoman), qui correspond à celui de gentilhomme (gentleman), insistèrent pour avoir le privilège de prendre le titre de Dame (Lady)[199], qui exactement correspond au seul titre de Seigneur (Lord).

Je ne les blâme pas de cela[200]; mais seulement des motifs étroits qui les poussent à cela. Je voudrais qu'elles désirent et revendiquent le titre de Lady, pourvu qu'elles revendiquent non pas simplement le titre, mais la charge et les devoirs qui sont signifiés par lui. Lady vent dire: «Qui donne du pain» ou «qui donne des pains»[201] et Lord signifie «qui assure le maintien des lois» et les deux titres se réfèrent, non à la loi qui est maintenue dans la maison, non au pain qui est donné dans la maison mais à la loi qui est maintenue pour les multitudes; et au pain qui est rompu pour les multitudes. Si bien qu'un «Seigneur» (Lord) n'a droit légalement à son titre qu'autant qu'il maintient la justice du Seigneur des Seigneurs; et une dame (Lady) n'a droit légalement à son titre qu'autant qu'elle prête aux pauvres, représentants de son Maître, cette aide qu'un jour des femmes, qui L'assistèrent de leurs biens, reçurent la permission d'étendre à ce Maître Lui-même—et autant qu'elle se fait connaître comme Lui-même, en rompant le pain[202].

89. Et cette bienfaisante et légale Domination, le pouvoir du Dominus, du Seigneur de la Maison, et de la Domina, ou Dame de la maison, est grand et vénérable, non par le nombre de ceux qui l'ont transmis en ligne directe, mais par le nombre de ceux sur lesquels il étend son empire; il est toujours l'objet d'une vénération religieuse partout où sa dynastie est fondée sur ses services et son ambition proportionnée à ses bienfaits. Votre imagination se plaît à la pensée que vous soyez de nobles dames, avec une suite de vassaux. Qu'il en soit ainsi; vous ne sauriez être trop noble, et votre suite ne saurait être trop nombreuse; mais voyez à ce que cette suite soit de vassaux que vous serviez et nourrissiez, pas seulement d'esclaves qui vous servent et nourrissent, et à ce que la multitude qui vous obéit soit la multitude de ceux que vous avez délivrés, et non réduits en captivité.

90. Et ceci, qui est vrai d'une humble domination, de la domination domestique, est également vrai de la domination de la reine; cette très haute dignité vous est accessible, si vous voulez accepter aussi ces très hauts devoirs. Rex et Regina—Roi et Reine—«Bien-Faisants», (Right-doers)[203]; ils diffèrent seulement de Lady et de Lord en ceci que leur pouvoir est le plus haut aussi bien sur l'esprit que sur le corps; qu'ils ne font pas que nourrir et vêtir, mais dirigent et enseignent. Hé bien, que vous en ayez ou non conscience, vous avez toutes, dans plus d'un cœur, des trônes, avec une couronne qu'on ne dépose pas; reines vous devez toujours être[204], reines pour vos fiancés, reines pour vos maris et vos fils; reines d'un plus haut mystère pour le monde plus distant de vous qui s'incline et s'inclinera toujours devant la couronne de myrte et le sceptre sans tache de la Femme. Mais, hélas! trop souvent vous êtes de paresseuses et insouciantes reines, jalouses de votre majesté dans les plus petites choses, pendant que vous l'abdiquez dans les grandes; et laissant le désordre et la violence faire librement leur œuvre parmi les hommes, au mépris de ce pouvoir que vous avez reçu directement en présent du Prince de toute Paix et que celles d'entre vous qui sont mauvaises trahissent, pendant que celles qui sont bonnes l'oublient.

91. «Prince de la Paix[205]». Pensez à ce nom. Quand les rois gouvernent en ce nom, et les nobles, et les juges de la terre, eux aussi, dans leur étroit domaine et leur humaine mesure, en reçoivent le pouvoir. Il n'est pas d'autres monarques que ceux-là; toute autre monarchie que la leur est anarchie[206]. Ceux qui gouvernent vraiment «Dei gratia» sont tous princes, oui, princes et princesses de la Paix. Il n'y a pas une guerre dans le monde, non, pas une injustice, dont vous, femmes, ne soyez responsables; responsables non de l'avoir provoquée, mais de ne pas l'avoir empêchée. Les hommes, par nature, sont enclins à combattre; ils combattront pour n'importe quelle cause ou pour aucune. C'est à vous de choisir leur cause pour eux, et de les retenir quand il n'y a pas de cause à défendre. Il n'y a pas de souffrance, pas d'injustice, pas de misère sur la terre, dont vous ne soyez coupables. Les hommes peuvent supporter la vue de ces choses, mais vous ne devriez pas pouvoir la supporter. Les hommes peuvent fouler tout cela aux pieds sans rien ressentir, car la lutte est leur lot, et l'homme est pauvre de sympathie et avare d'espérance; vous seules pouvez sentir la profondeur de la peine et deviner le chemin de la guérison.

Au lieu de vous efforcer à cette tâche, vous vous en détournez; vous vous enfermez derrière les murs de vos parcs et les portes de vos jardins; et vous vous contentez de savoir qu'au delà il y a tout un monde inculte; un monde dont vous n'osez pas pénétrer les secrets, et dont vous n'osez pas concevoir la souffrance.

92. Je vous avoue que c'est là, pour moi, le plus confondant de tous les phénomènes que nous présente l'humanité. Je ne suis pas surpris des abîmes, où, quand elle est détournée de ce qui fait son honneur, peut tomber l'humanité. Je ne m'étonne pas de la mort de l'avare, dont les mains, en se relâchant, laissent pleuvoir l'or. Je ne m'étonne pas de la vie du débauché, un linceul enroulé autour de ses pieds. Je ne m'étonne pas du meurtre commis par un seul bras sur une seule victime, dans l'obscurité du chemin de fer, ou à l'ombre des roseaux du marais. Je ne m'étonne même pas du meurtre aux myriades de mains, du meurtre des multitudes, accompli comme une action d'éclat, en plein jour, par la frénésie des nations, ni des incalculables et inimaginables forfaits amoncelés de l'enfer au ciel par leurs prêtres et leurs rois. Mais ce qui m'étonne toujours—oh! combien cela m'étonne!—c'est de voir parmi vous la femme tendre et délicate, son enfant sur son sein, douée d'un pouvoir—si seulement elle voulait l'exercer, sur l'enfant et sur le père,—plus pur que les souffles du ciel et plus fort que les vagues de la mer—que dis-je, d'un infini de bénédiction que son époux ne voudrait pas céder contre la terre elle-même, quand même elle serait faite d'une seule topaze massive et parfaite[207]—de voir cette femme abdiquer une telle majesté pour jouer à la préséance avec la voisine de la porte en face. Oui cela m'étonne—oh! m'étonne—de la voir le matin, dans toute la fraîcheur de son âme innocente, descendre dans son jardin, jouer avec la frange de ses fleurs protégées, et relever leurs têtes penchées, un sourire heureux au visage et sans nuage au front, parce qu'un petit mur entoure sa place de paix, et cependant elle sait, dans son cœur, si elle voulait seulement chercher à savoir, qu'au delà de ce petit mur couvert de roses, l'herbe inculte, jusqu'à l'horizon, est arrachée jusqu'à la racine par l'agonie des hommes et qu'elle est battue par les flots montants de leur sang répandu.

93. Avez-vous jamais songé au sens profond qui est caché, ou du moins que nous pouvons lire, si nous le voulons faire, dans notre coutume de jeter des fleurs devant ceux que nous estimons les plus heureux? Pensez-vous que ce soit seulement pour les abuser de l'espérance que toujours le bonheur tombera ainsi en pluie à leurs pieds? Que partout où ils passeront, ils fouleront une herbe au suave parfum, et que le sol rude s'adoucira pour eux, sous l'épaisseur des roses? Dans la mesure où ils croiront cela, ils auront à marcher sur des herbes amères et sur des épines, et la seule douceur sous leurs pas sera celle de la neige. Mais ce n'est pas ce qu'on se proposait de leur dire; cette vieille coutume comportait un sens meilleur. Le sentier que suit une femme bonne est certes jonché de fleurs; mais elles viendront derrière ses pas, non devant eux: «Ses pieds ont touché les prairies et les marguerites en sont restées roses[208]

94. Vous pensez que c'est là seulement une rêverie d'amant;—fausse et vaine[209]! Et si elle était vraie? Peut-être pensez-vous que ceci aussi est une rêverie de poète:

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