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Simples Contes des Collines

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CONSÉQUENCES

Les subtilités des Rose-Croix ont pris naissance en Orient. Vous pouvez trouver encore ceux qui les enseignent, au pied de la colline de Jacatala. Fouillez dans Bombast Paracelsus. Lisez ce que nous apprend le chercheur Flood au sujet du Dominant qui se meut à travers les cycles du soleil. Lisez mon récit et voyez Luna à son apogée.

Il y a des postes où l'on est nommé pour un an, des postes où l'on est nommé pour deux ans, des postes où l'on est nommé pour cinq ans à Simla.

Il y a aussi, ou il y avait ordinairement, autrefois, des postes permanents, que vous conserviez pendant toute la durée de votre vie, et qui vous assuraient des joues fraîches et un revenu respectable.

A la saison froide naturellement, il vous était permis de descendre, car alors Simla est fort monotone.

Tarrion venait Dieu sait d'où, de quelque part bien loin, dans une région abandonnée de l'Inde centrale, où l'on qualifie Pachmari de «santarumi,» et où l'on se promène en voiture attelée de bœufs trotteurs.

Il appartenait à un régiment, mais son but était avant tout de s'échapper de son régiment, et de vivre toujours, toujours à Simla.

Il n'avait aucune préférence marquée, si ce n'est pour un bon cheval et une jolie femme.

Il se croyait capable de bien faire tout ce qu'il faisait. C'est une bien belle croyance quand on met toute son âme à la garder.

Il s'entendait à bien des choses. Il avait une tournure agréable, et savait rendre heureux tout son entourage, même dans l'Inde centrale.

Il vint donc à Simla, et comme il était adroit et amusant, il se mit naturellement à graviter dans la direction de mistress Hauksbee, qui pardonnait tout, sauf la stupidité.

Un jour, il lui rendit un grand service en changeant la date sur une carte d'invitation à un grand bal, auquel mistress Hauksbee désirait paraître. Mais elle ne le pouvait pas, s'étant querellée avec l'aide de camp. Celui-ci qui avait une âme mesquine avait eu la précaution de l'inviter à un petit bal qui avait lieu le 6 et non au grand bal qui était fixé au 26.

Ce fut un faux des plus adroits, et quand mistress Hauksbee tendit à l'aide de camp sa carte d'invitation, et le taquina doucement sur la générosité qu'il mettait à omettre de se venger, il crut positivement qu'il s'était trompé.

Il comprit, et en cela il fit bien—qu'il ne fallait point engager de lutte avec mistress Hauksbee.

Elle fut reconnaissante pour Tarrion, et lui demanda ce qu'elle pouvait faire pour lui.

Il répondit avec simplicité.

—Je suis un lansquenet en congé ici, et je guette tout butin qui sera à ma portée. Il n'y a pas dans tout Simla un pied carré de terrain qui m'intéresse. Mon nom est inconnu à tous ceux qui disposent des places—et il me faut une situation qui soit bonne, sérieuse, qui enfin soit pukka. Je crois que vous êtes capable de réussir tout ce que vous entreprenez. Voulez-vous m'aider?

Mistress Hauksbee réfléchit une minute. Elle passa sur ses lèvres la mèche de sa cravache, comme c'était son habitude quand elle réfléchissait.

Puis, ses yeux pétillèrent, et elle dit.

—Je veux bien.

Et l'on topa.

Tarrion, qui avait une parfaite confiance en cette grande femme, ne se préoccupa plus du tout de la chose, si ce n'est pour se demander quelle sorte de place il obtiendrait.

Mistress Hauksbee se mit à calculer le prix de tous les chefs des grands services, de tous les membres du Conseil qu'elle connaissait, et plus elle réfléchissait, plus elle riait.

Alors elle prit un annuaire du service civil, et jeta les yeux sur quelques emplois.

Il y a quelques beaux emplois dans le service civil.

A la fin, elle jugea qu'elle ferait mieux d'essayer de caser Tarrion dans le service politique, bien qu'il fût trop intelligent pour ces sortes d'emplois.

Quels plans combina-t-elle pour atteindre cette fin? Cela n'importe pas le moins du monde, car la chance ou la destinée étaient dans son jeu et ne lui laissaient plus rien à faire que de suivre le cours des événements, et de s'en attribuer le mérite.

Tous les vice-rois, à leur début,—ont à traverser une attaque de «secret diplomatique».

Cela leur passe, à la longue, mais dans les premiers temps, ils l'attrapent tous, parce qu'ils sont nouveaux dans le pays.

Le vice-roi d'alors,—celui qui subissait la crise en ce moment-là,—il y a de cela bien longtemps, c'était avant que lord Dufferin revînt du Canada, ou avant que lord Ripon abandonnât le giron de l'Église anglicane—le vice-roi, donc, avait une crise très aiguë.

Il en résultait que les gens qui débutaient dans le maniement des secrets d'État allaient et venaient l'air malheureux; et le vice-roi se targuait d'avoir su inculquer des notions de discrétion à son état-major.

Mais voilà, le gouvernement suprême a l'imprudente habitude de relater ses actes sur des imprimés.

Ces papiers traitent de toutes sortes de choses, depuis le paiement de 200 roupies pour «renseignements confidentiels» jusqu'aux mercuriales qu'on administre aux vakils[15] et aux motamids[16] des États de protectorat, et compris les lettres assez raides qu'on envoie aux princes indigènes pour leur enjoindre de mettre de l'ordre dans leurs maisons, leur défendre d'enlever des femmes, de bourrer de poivre rouge en poudre les coupables, et de commettre d'autres excentricités analogues.

[15] Résidents auprès d'un prince indigène.

[16] Juges indigènes.

Naturellement ce sont là des choses qu'il faut éviter de rendre publiques, parce que, officiellement, les princes indigènes sont infaillibles, et parce que, officiellement, leurs États sont aussi bien administrés que nos territoires.

Il y a aussi les sommes données de la main à la main à divers personnages fort singuliers. Ce ne sont pas précisément des détails à mettre dans les journaux, bien qu'on y puisse trouver de temps en temps matière à une lecture divertissante.

Quand le gouvernement suprême est à Simla, c'est à Simla qu'on prépare ces papiers, c'est de là qu'ils sont envoyés par messager officiel aux bureaux ou par la poste aux gens qui doivent les voir.

Pour ce vice-roi, le principe du secret n'était pas moins important que la pratique, et il était d'avis qu'un despotisme paternel comme le nôtre ne doit laisser entrevoir qu'en temps opportun même de menus faits, comme la nomination d'un employé subalterne.

Il se faisait en tout temps remarquer par ses principes.

Il y avait en préparation à ce moment-là une très importante liasse de papiers. Il fallait porter cela à la main pour lui faire traverser Simla d'un bout à l'autre. Elle ne devait pas être mise dans une enveloppe officielle, mais dans une enveloppe grande, carrée, de couleur incarnat clair. Ce qu'elle contenait était écrit à la main sur du papier mince, plusieurs fois ployé.

C'était adressé «au Principal Employé…, etc.»

Or, entre le principal employé, etc., etc., et mistress Hauksbee, en accompagnant ce nom de quelques fioritures, la différence n'est pas très grande, surtout quand l'adresse est très mal écrite, comme c'était le cas.

Le chaprassi qui reçut l'enveloppe n'était pas plus idiot que la majorité des chaprassis.

Il se contenta d'oublier où il fallait porter cette enveloppe d'aspect si peu officiel. En conséquence, il s'en informa auprès du premier Anglais qu'il rencontra, et il se trouva que c'était un homme qui s'en allait à cheval vers Annandale, d'un air très pressé.

L'Anglais jeta à peine un coup d'œil sur l'adresse et répondit.

Hauksbee, Sahib ki mens.

Et il repartit.

Et le chaprassi en fit autant, parce que cette lettre était la dernière de son paquet, et qu'il avait hâte de finir sa besogne.

Il n'y avait pas de reçu à faire signer. Il jeta la lettre dans les mains du porteur de mistress Hauksbee, et s'en alla fumer avec un ami.

Mistress Hauksbee attendait justement d'une connaissance l'envoi d'un patron de costume découpé sur papier de soie.

Dès qu'elle tint la grande enveloppe carrée, elle s'écria en conséquence: «Oh! la chère créature!» et l'ouvrit avec un couteau à papier, et toutes les pièces écrites à la main tombèrent à terre.

Mistress Hauksbee se mit à les lire.

J'ai dit que le dossier était important. C'est bien assez que vous sachiez cela.

Il y était question d'une certaine correspondance, de deux mesures à prendre, d'un ordre péremptoire adressé à un chef indigène, et d'une ou deux douzaines d'autres objets.

Mistress Hauksbee resta bouche bée, à cette lecture.

Quand le mécanisme du grand gouvernement de l'Inde vous apparaît pour la première fois tout nu, dépourvu de son cadre, de son vernis, de sa peinture, de ses grilles, il y a là de quoi impressionner l'homme le plus stupide.

Et mistress Hauksbee était une femme pleine d'intelligence.

Elle fut d'abord quelque peu effrayée, et il lui sembla d'abord qu'elle avait pris un éclair par la queue et ne savait au juste qu'en faire.

Il y avait des remarques et des initiales sur les marges des papiers, et certaines de ces remarques étaient plus sévères encore que le texte lui-même.

Les initiales étaient celles d'hommes qui maintenant sont tous morts ou partis, mais qui furent considérables en leur temps.

Mistress Hauksbee continua sa lecture, et tout en lisant, elle réfléchit avec calme.

Alors la valeur de sa trouvaille lui apparut et elle se mit à chercher le meilleur moyen d'en tirer parti.

A ce moment, Tarrion entra.

Ils parcoururent ensemble tous les papiers.

Tarrion, ignorant comment elle avait mis la main dessus, jura que mistress Hauksbee était la femme la plus remarquable qu'il y eût au monde.

C'était vrai ou peu s'en faut, selon moi,

—Les procédés les plus honnêtes sont toujours les plus sûrs, dit Tarrion, quand ils eurent passé une heure et demie à étudier la chose et à causer. Tout bien considéré, le service des renseignements, voilà ce qu'il me faut. Ou bien cela, ou bien le Foreign-Office. Je vais mettre les Dieux souverains en état de siège dans leurs temples.

Il n'alla point s'adresser à un petit personnage, ni à un important petit personnage, ni au chef incapable d'un grand service administratif.

Il alla trouver l'homme le plus considérable, le plus influent que le gouvernement possédât, et il lui expliqua qu'il désirait un emploi à Simla avec de bons émoluments.

Cette impertinence à double détente amusa l'homme considérable, et comme il n'avait rien à faire à cette heure-là, il écouta les propositions de l'audacieux Tarrion.

—Vous avez, je suppose, certaines aptitudes spéciales, en dehors de votre talent pour vous imposer, pour les emplois auxquels vous prétendez? dit l'homme considérable.

—Pour cela, dit Tarrion, c'est à vous d'en juger.

Et alors, comme il avait une excellente mémoire, il se mit à citer quelques-unes des notes les plus importantes qui se trouvaient dans les papiers,—laissant tomber les mots lentement, un à un, comme un homme qui verse de la chlorodyne dans un verre.

Lorsqu'il en fut arrivé à l'ordre péremptoire,—car c'en était un, un ordre péremptoire,—l'homme considérable fut troublé.

Tarrion reprit:

—Je m'imagine que des connaissances particulières de cette sorte sont pour obtenir ce que j'oserais appeler, une niche confortable dans le Foreign-Office, une recommandation aussi puissante, que le fait d'être le neveu de la femme d'un officier distingué.

Ce coup droit fit grande impression sur l'homme considérable, car la dernière nomination qu'il avait faite aux affaires étrangères avait été un cas de favoritisme criant et il le savait.

—Je verrai ce que je puis faire pour vous, dit le grand personnage.

—Grand merci, dit Tarrion, qui prit alors congé.

Et l'homme considérable alla de son côté s'occuper de rendre l'emploi disponible.

....... .......... ...

Onze jours se passèrent, sans qu'il y eût autre chose que des coups de tonnerre, des éclairs et de nombreux envois de dépêches télégraphiques.

L'emploi n'était pas des plus importants. Il rapportait de cinq à sept cents roupies par mois, mais, ainsi que le disait le vice-roi, c'était le principe du secret diplomatique qu'il fallait maintenir avant tout, et il était plus que probable qu'un gaillard qui possédait des informations spéciales méritait de l'avancement.

Aussi l'avança-t-on.

On avait dû avoir des soupçons sur lui, bien qu'il jurât que ses informations n'eussent d'autre source que les talents remarquables dont il était doué.

Vous pourrez compléter vous-même une bonne partie de cette histoire, y compris celle qui se produisit ensuite au sujet de l'enveloppe égarée, il y a, en effet, des raisons qui ne permettent pas de l'écrire.

Si vous ne connaissez rien aux choses de là-haut, vous ne saurez comment la compléter, et vous direz que cela est impossible.

Ce que dit le vice-roi, quand on introduisit Tarrion devant lui, le voici:

—Ah! c'est donc le gaillard qui a forcé la main au gouvernement indien, n'est-ce pas? Rappelez-vous, monsieur, que cela ne se fait pas deux fois.

Évidemment, il se doutait de quelque chose.

Ce que dit Tarrion quand il lut sa nomination dans la Gazette, ce fut ceci:

—Si mistress Hauksbee avait vingt ans de moins, et que je fusse son mari, je voudrais être vice-roi des Indes au bout de quinze ans.

Ce que dit mistress Hauksbee, quand Tarrion vint la remercier, presque avec les larmes aux yeux, ce fut d'abord: «Je vous l'avais dit,» et ensuite: «Que les hommes sont bêtes!»

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