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Sous les déodars

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Chantant et fredonnant dans votre gaîté bruyante,
Toute joyeuse de vous sentir vivre,
Maître de la nature, Seigneur de la terre visible,
Seigneur des cinq sens.

Ma citation était à peine sortie de mes lèvres, et nous n’avions pas encore tourné l’angle au-dessus du Couvent. En avançant de quelques yards, on eût pu voir jusqu’à Sanjowlie.

Au milieu de la route plane étaient arrêtés les hommes à livrée noir et blanc, le rickshaw à caisse jaune, et mistress Keith-Wessington.

Je tirai sur les rênes, je regardai, je me frottai les yeux, et je dus prononcer quelques mots, à ce que je crois.

La première chose, dont je me souviens ensuite, c’est que j’étais étendu la face contre terre sur la route, et que Kitty, en larmes, était agenouillée près de moi.

—Est-ce que c’est parti, enfant? fis-je d’une voix entrecoupée.

Kitty ne fit que pleurer plus fort.

—Qu’est-ce qui est parti, Jack, mon chéri? Qu’est-ce que cela veut dire? Il doit y avoir quelque part un malentendu, Jack, un affreux malentendu.

Ses dernières paroles me remirent debout, affolé, dans un délire momentané.

—Oui, il y a quelque part un malentendu, répétai-je, un affreux malentendu. Venez, regardez cela.

Je me rappelle confusément avoir pris Kitty par le poignet et l’avoir traînée sur la route jusqu’à l’endroit où était la Chose, avoir supplié Kitty de lui parler, de lui dire que nous étions fiancés, que ni la mort ni l’enfer n’étaient capables de rompre le lien qui nous unissait, avoir tenu bien d’autres propos de ce genre que Kitty est seule à connaître.

De temps à autre je m’adressais à l’épouvantable créature qui était dans le rickshaw, pour la prendre à témoin de ce que j’avais dit, lui demander de cesser une torture qui me tuait.

Dans ces propos, je suppose que je dus apprendre à Kitty mes relations passées avec mistress Wessington, car je vis qu’elle m’écoutait attentivement, la figure très pâle et les yeux flamboyants.

—Je vous remercie, monsieur Pansay, dit-elle. Cela suffit amplement. Saïs, ghora lao.

Les saïs, impassibles comme le sont toujours les Orientaux, étaient revenus avec les chevaux qu’ils avaient repris.

Quand Kitty se remit en selle d’un bond, je tins la bride et la suppliai de m’écouter et de me pardonner.

La réponse, que j’obtins d’elle fut un coup de cravache qui m’atteignit de la bouche à l’œil, et un mot d’adieu que même aujourd’hui je suis incapable d’écrire.

Dès lors je jugeai, et je ne me trompais pas, que Kitty savait tout, et je reculai en titubant jusqu’à côté du rickshaw. Une coupure saignante me sillonnait la figure et le cinglant coup de cravache avait fait gonfler la chair en un relief bleu.

A ce moment même, Heatherlegh, qui avait dû nous suivre de loin, moi et Kitty, arriva au trot.

—Docteur, dis-je en lui montrant du doigt ma figure, voici comment miss Mannering a signé le décret par lequel elle me congédie et... vous me ferez plaisir de m’envoyer ce lakh dès que vous le jugerez à propos.

La mine de Heatherlegh m’arracha un éclat de rire, malgré mon état misérable.

—Je joue ma réputation professionnelle, commença-t-il.

—Ne faites pas le nigaud, j’ai perdu le bonheur de ma vie, et vous ferez mieux de me ramener à la maison.

Pendant que je parlais, le rickshaw avait disparu.

Alors je perdis la notion de tout ce qui se passait.

Le sommet de Jakko me paraissait onduler, se soulever comme le bord d’un nuage et tomber sur moi.

Sept jours plus tard (c’est-à-dire le 7 mai) je revins à moi et me trouvai dans la chambre de Heatherlegh.

J’étais plus faible qu’un petit enfant.

Heatherlegh m’examinait avec attention de derrière les papiers amoncelés sur son bureau.

Les premiers mots n’étaient guère encourageants, mais j’étais trop épuisé pour en être fortement ému.

—Voici vos lettres que miss Kitty vous a renvoyées. Vous autres, jeunes gens, vous écriviez beaucoup. Voici un paquet qui ressemble à une bague, et il y avait un billet fort gai de papa Mannering; j’ai pris la liberté de le lire et de le brûler. Le vieux gentleman n’était pas enchanté de vous.

—Et Kitty? demandai-je d’un ton morne.

—Encore plus raide que son père, à en juger par ce qu’elle dit. Par la même occasion, vous avez dû laisser échapper un tas de vieux souvenirs avant que je vous aie retrouvé. Elle dit que quand on s’est conduit envers une femme comme vous l’avez fait envers mistress Wessington, on devrait se tuer, ne fût-ce que par pitié pour son espèce. C’est une petite virago à la tête chaude, votre moitié d’orange. Elle tient pour certain que vous étiez dans un accès de delirium tremens quand tout ce tapage sur la route de Jakko s’est produit. Elle dit qu’elle mourra plutôt que de vous adresser la parole.

Je poussai un gémissement et me tournai de l’autre côté.

—Maintenant vous avez à prendre votre parti, mon ami. Cet engagement doit être rompu et les Mannering ne veulent pas se montrer trop exigeants à votre égard. Aura-t-il été rompu à raison de delirium tremens ou à raison de crises épileptiques? Désolé de ne pouvoir vous offrir d’autre alternative, à moins que vous ne préfériez la folie héréditaire. Dites un mot, et je parlerai d’accès. Tout Simla connaît la scène qui s’est passée au Mille des Dames. Allons, je vous donne cinq minutes pour songer à cela.

Je crois que pendant ces cinq minutes j’explorai les cercles les plus profonds de l’Enfer qu’il soit permis à l’homme terrestre de parcourir.

Et en même temps je me voyais trébuchant à travers les sombres labyrinthes du doute, de la souffrance, du désespoir le plus profond.

Je me demandais, comme Heatherlegh assis sur sa chaise pouvait se le demander, laquelle de ces terribles alternatives je devais choisir.

Bientôt je m’entendis parler d’une voix que j’eus peine à reconnaître:

—Ils sont diablement difficiles en fait de moralité dans ce pays-ci. Parlez-leur d’accès, Heatherlegh, et joignez-y mes compliments. Maintenant laissez-moi dormir un peu.

Alors mes deux moi se rejoignirent et ce fut seulement mon moi (rendu à moitié fou, possédé du diable) qui se retourna avec agitation dans mon lit, en remontant pas à pas le cours des événements du dernier mois.

—Mais je suis à Simla, me répétais-je sans cesse, moi Jack Pansay, je suis à Simla, et il n’y a pas de fantômes ici! C’est chose déraisonnable de la part de cette femme de soutenir qu’il y en a. Pourquoi Agnès n’a t-elle pas pu me laisser tranquille? Je ne lui ai jamais fait aucun mal. Il eût pu se faire que ce fût moi aussi bien qu’Agnès. Seulement je ne serais pas revenu exprès pour la tuer. Pourquoi ne peut-on pas me laisser en paix? Me laisser en paix et heureux?

Il était midi bien sonné quand je me réveillai pour la première fois.

Le soleil avait beaucoup baissé à l’horizon avant que je me fusse endormi,—endormi du sommeil du criminel sur son chevalet de torture, où il est trop épuisé pour éprouver encore de la douleur.

Le lendemain, il me fut impossible de me lever.

Heatherlegh me dit le matin qu’il avait reçu une réponse de M. Mannering et que, grâce à ses bons offices (ceux de Heatherlegh), l’histoire de ma maladie avait circulé partout dans Simla où tout le monde me plaignait.

—Et c’est peut-être plus que vous ne méritez, conclut-il agréablement, et pourtant Dieu sait si vous avez passé par une sévère épreuve! Cela ne fait rien. Nous vous guérirons encore, entêté phénomène.

Je me refusai fermement à être guéri.

—Vous avez été déjà beaucoup trop bon pour moi, mon vieux, dis-je, mais je ne me soucie pas de vous déranger plus longtemps.

Au fond du cœur, j’en étais sûr, rien de ce que pouvait faire Heatherlegh n’était capable d’alléger le fardeau qui m’avait été imposé.

A cette conviction se joignit un sentiment de révolte désespérée, impuissante, contre la déraison de toute cette affaire.

Il y avait des vingtaines de gens qui ne valaient pas mieux que moi et pour lesquels le châtiment avait du moins été ajourné à l’autre monde.

Je trouvais une amère, une cruelle injustice à avoir été tout particulièrement désigné pour un sort si affreux.

De temps à autre cet état d’esprit faisait place à un autre dans lequel le rickshaw et moi, nous étions les seules réalités au milieu d’un monde d’ombres, où Kitty était un fantôme, où M. Mannering, Heatherlegh, tous les autres gens que j’avais connus, hommes et femmes, étaient des fantômes, où les grandes montagnes grises elles-mêmes n’étaient plus que des ombres créées pour me torturer.

J’étais violemment jeté d’un état d’esprit dans un autre.

Cela dura sept jours pénibles.

Mon corps prenait de jour en jour plus de force jusqu’à ce qu’enfin un regard jeté dans la glace de la chambre à coucher m’apprit que j’étais rentré dans la vie ordinaire, et que j’étais redevenu ce que sont les autres hommes.

Chose assez curieuse, ma figure ne portait aucune trace de la lutte que j’avais traversée. Elle était pâle, il est vrai, mais aussi dépourvue d’expression, aussi banale qu’elle le fut jamais.

Je m’étais attendu à une altération permanente, à une preuve visible de la maladie qui me rongeait: je n’aperçus rien.

Le 15 mai, je quittai la maison de Heatherlegh à onze heures du matin et l’instinct du célibataire me conduisit au Club.

Là je vis que tout le monde connaissait mon histoire telle que l’avait débitée Heatherlegh, et tous me témoignèrent gauchement une bienveillance et des attentions anormales.

Néanmoins je reconnus que pendant tout le reste de ma vie, je serais mêlé à mes semblables, sans être l’un d’eux, et j’enviai avec amertume les coolies rieurs qui étaient là-bas, au Mail.

Je déjeunai au Club et à quatre heures j’allai flâner en désœuvré sur le Mail dans le vague espoir de rencontrer Kitty.

Près du kiosque à musique, ce que je vis, ce furent les livrées noir et blanc et j’entendis près de moi la prière que m’avait déjà adressée mistress Wessington.

Le rickshaw fantôme et moi, nous parcourûmes côte à côte et en silence la route de Chota Simla.

Aux environs du Bazar, Kitty et un cavalier nous atteignirent et nous dépassèrent.

J’aurais été un chien errant sur la route qu’elle n’eût pas fait moins d’attention à moi.

Elle ne me fit pas même l’honneur d’accélérer le pas, bien que la soirée pluvieuse eût pu lui servir d’excuse.

Aussi Kitty et son compagnon, moi et ma fantastique Lumière d’amour, nous fîmes le tour de Jakko, par couples.

La route ruisselait d’eau. Les puits formaient des gouttières pareilles à des gargouilles, qui se déversaient sur les rocs du dessous, et l’air était saturé d’une pluie fine.

Deux ou trois fois, je me surpris à dire, presque à haute voix:

—Je suis Jack Pansay en congé à Simla, dans le Simla de tous les jours, avec sa banalité. Je ne dois pas oublier cela, je ne dois pas oublier cela.

Puis, je faisais un effort pour me rappeler les cancans que j’avais entendus au Club, les prix remportés par les chevaux d’un tel ou d’un tel, en un mot tout ce qui se rapportait au monde anglo-indien dans son train-train de tous les jours, que je connaissais si bien.

Je répétai même la table de multiplication très vite pour ma propre satisfaction, pour me convaincre tout à fait que je n’avais pas encore perdu la raison.

Cela me réconforta beaucoup et m’empêcha pendant un certain temps d’entendre mistress Wessington.

Une fois de plus, je gravis péniblement la pente du couvent et m’engageai sur la route de nouveau.

Là, Kitty et l’homme partirent au trot, et je restai en tête à tête avec mistress Wessington.

—Agnès, dis-je, voudriez-vous rabattre la capote et me dire ce que signifie tout cela?

La capote se rabattit en arrière sans faire de bruit et je me trouvai face à face avec ma défunte maîtresse.

Elle portait la toilette qu’elle avait lorsque je la vis pour la dernière fois de son vivant.

Elle tenait encore de la main droite le petit mouchoir de poche et de la main gauche le même porte-cartes. Une femme défunte depuis huit mois, et qui tient un porte-cartes!

Il me fallut répéter ma table de multiplication et poser les deux mains sur le parapet en pierre de la route pour m’assurer que cela du moins était de la réalité.

—Agnès, répétai-je, ayez pitié de moi, et dites-moi ce que tout cela signifie?

Mistress Wessington se pencha en avant et tourna la tête de ce mouvement étrange et vif que je connaissais si bien, et elle parla.

Si mon histoire n’a pas déjà follement franchi les bornes de toute créance humaine, c’est maintenant que j’aurais à m’excuser.

Je le sais, personne, non, personne, pas même Kitty, pour qui ceci est écrit dans le but de justifier jusqu’à un certain point ma conduite, personne ne me croira; mais je vais continuer.

Mistress Wessington parla et je fis avec elle tout le trajet depuis la route de Sanjowlie jusqu’au tournant au dessous de l’habitation du commandant en chef. Tout comme si j’avais marché à côté du rickshaw d’une femme vivante, nous causâmes avec animation.

Le second et le plus cruel de mes états d’esprit maladifs s’était soudain emparé de moi, et pareil au Prince du poème de Tennyson, «je croyais me mouvoir dans un monde de fantômes».

Il y avait eu un garden-party chez le commandant en chef et nous nous joignîmes tous deux à la foule des gens rentrant chez eux.

Quand je les regardais, il me semblait que c’étaient eux les ombres, des ombres fantastiques, impalpables, qui se séparaient pour laisser passer à travers elles le rickshaw de mistress Wessington.

Qu’est-ce que nous dîmes pendant ce mystérieux entretien? Je ne puis ou plutôt je n’ose pas le répéter.

Le commentaire qu’aurait fait Heatherlegh se serait réduit à un rire bref et à la remarque que j’avais caressé une chimère cerebro-stomacho-oculaire.

C’était une scène fantastique et en même temps charmante, d’un charme tout particulier, inépuisable.

Se pouvait-il que dans cette autre vie je fusse en train de faire la cour une seconde fois à la même femme que j’avais tuée par ma cruauté et mon indifférence?

Je rencontrai Kitty sur la route qui ramenait chez elle.

C’était une ombre parmi d’autres ombres.

Si je devais décrire tous les incidents de la quinzaine suivante dans leur ordre, mon récit n’en finirait pas et votre patience se lasserait.

Tous les matins, tous les soirs, le rickshaw-fantôme et moi, nous nous promenions ensemble dans Simla.

Partout où j’allais, j’étais suivi des quatre domestiques à livrée noire et blanche.

Ils m’accompagnaient quand je sortais de mon hôtel ou que j’y retournais.

Au théâtre, je les retrouvais au milieu d’une bande de porteurs braillards.

En dehors de la vérandah du club, après une longue soirée de whist, au bal anniversaire de la naissance de la reine, ils attendaient patiemment que je reparusse, et de même en plein jour, quand j’allais faire des visites.

A cela près qu’il ne projetait point d’ombre, le rickshaw-fantôme avait l’air d’un rickshaw réel qui aurait été de bois et de fer.

Plus d’une fois j’ai failli avertir un ami qui allait grand train de prendre garde à ne pas se heurter contre lui.

Plus d’une fois j’ai parcouru le Mail en soutenant une vive conversation avec mistress Wessington, ce qui provoquait une stupéfaction indicible chez les passants.

Avant huit jours de ces allées et venues, j’appris que la théorie des «accès» avait été écartée pour faire place à celle de la folie. Mais je ne changeai rien à mon genre de vie.

Je faisais des visites, je montais à cheval, je dînais en ville sans jamais éprouver la moindre gêne.

J’avais pour la société de mes semblables une passion que je n’avais jamais éprouvée jusqu’alors.

J’étais avide de prendre ma part des réalités de la vie et en même temps j’éprouvais un vague malaise quand j’étais resté trop longtemps séparé de ma fantastique compagne.

Il me serait presque impossible de décrire mes variables états d’esprit depuis le 15 mai jusqu’au présent jour.

Tour à tour la présence du rickshaw me remplissait d’horreur, de crainte aveugle, ou d’une sorte de vague plaisir, ou de sombre désespoir.

Je n’osais sortir de Simla et je savais qu’y rester, c’était me tuer.

Je savais en outre que mon destin me condamnait à mourir d’une mort lente, un peu chaque jour.

Ma seule préoccupation était d’aller aussi tranquillement que possible jusqu’au bout de mon châtiment.

Tantôt j’avais un désir ardent de voir Kitty et j’assistais à ses flirts effrontés avec un inconnu, ou pour parler plus exactement, avec mes successeurs.

Cela m’intéressait, m’amusait.

Elle était autant en dehors de ma vie que j’étais en dehors de la sienne.

Le jour, j’étais presque content de me promener avec mistress Wessington.

La nuit je suppliais le ciel de me laisser rentrer dans le monde tel que je le connaissais.

Et au-dessus de ces états d’esprit successifs planait la sensation d’étonnement engourdi, indécis, de cette fusion du visible et de l’invisible, qui se mêlaient si étrangement sur cette terre, dans le but de pourchasser, de mettre aux abois, de pousser dans la tombe une pauvre âme.

*
* *

27 août.

Heatherlegh m’a donné ses soins sans jamais se lasser et m’a dit seulement hier que je devrais faire une demande de congé pour maladie.

Une demande pour échapper de la compagnie d’un fantôme! Une demande pour obtenir que le gouvernement veuille bien me permettre de me débarrasser de cinq fantômes et d’un rickshaw aérien en allant en Angleterre!

La proposition de Heatherlegh m’a fait éclater d’un rire presque convulsif.

Je lui ai dit que j’attendrais tranquillement le dénoûment à Simla et je suis sûr que ce dénoûment ne tardera pas.

Croyez-moi quand je dis que je le redoute à un degré que je ne saurais exprimer; pendant la nuit je me tourmente de mille spéculations sur la façon dont surviendra ma mort.

Mourrai-je décemment dans mon lit comme doit mourir un gentleman anglais? Ou bien mon âme me sera-t-elle arrachée pendant une dernière promenade, pour aller prendre place éternellement à côté de ces fantômes impénétrables?

Reprendrai-je mon vasselage d’autrefois dans le monde futur, ou retrouverai-je une Agnès qui aura horreur de moi, et à laquelle je serai enchaîné pour l’éternité?

Planerons-nous ensemble sur la scène où nous avons vécu, et jusqu’à la consommation des siècles?

A mesure que se rapproche le jour de ma mort, l’horreur intense qu’éprouve toute chair, en face des esprits échappés de l’autre côté de la tombe, se fait de plus en plus puissante.

C’est chose terrible que de descendre tout vivant parmi les morts quand vous n’avez parcouru que la moitié à peine de votre existence.

Il est mille fois plus terrible d’attendre, comme je le fais, au milieu de vous, en proie à la terreur de je ne sais quoi.

Plaignez-moi, au moins pour mon «illusion», car je sais que vous ne croirez rien de ce que j’ai écrit ici.

Et pourtant s’il fut jamais un homme voué à la mort par les puissances des ténèbres, cet homme c’est moi.

Et pour être juste, plaignez-la aussi. Car si jamais une femme fut tuée par un homme, j’ai tué mistress Wessington.

Et la dernière phase de mon châtiment s’appesantit sur moi en ce moment même.

MON HISTOIRE VRAIE DE FANTOME

Quand je traversai le désert, il en était ainsi... quand je traversai le désert...

(La Cité de l’épouvantable nuit.)

 

 

Dans cette histoire-ci, il s’agit uniquement de fantômes.

Il y a dans l’Inde des fantômes qui se présentent sous la forme de corps gras, froids, gluants, qui se cachent dans les arbres au bord de la route jusqu’à ce que passe un voyageur.

Alors ils se laissent choir sur son cou et s’y accrochent.

Il y a aussi de terribles fantômes de femmes en couches.

Ceux-là errent par les chemins, à la tombée de la nuit, ou se cachent dans les champs de blé aux alentours des villages et se répandent en appels séducteurs. Mais quand on répond à leur invitation, c’est la mort dans ce monde et dans l’autre.

Ils ont les pieds retournés à l’envers, afin que tous les hommes qui ont leur sang-froid puissent les reconnaître.

Ce sont encore les fantômes des petits enfants qu’on a jetés dans les puits.

Ceux-là sautent les margelles des puits et les lisières des jungles. Ils poussent des gémissements à la lueur des étoiles, ou saisissent les femmes par le poignet, et implorent pour qu’on les soulève et les emporte.

Toutefois ces fantômes-là et ceux qui ont l’air de cadavres, sont de purs articles indigènes; ils ne s’attaquent pas aux sahibs.

On n’a aucune preuve authentique indiquant qu’ils aient jamais terrifié un Anglais, mais bien des fantômes anglais ont fait mourir de frayeur des blancs et des noirs.

Une station sur deux, au moins, a son fantôme.

On dit qu’il y en a deux à Simla, sans compter la femme qui met en mouvement le soufflet à la maison de poste de Syree sur l’Ancienne Route.

Mussoorie possède une maison hantée par un fantôme plein d’entrain.

Une dame blanche passe pour remplir les fonctions de veilleur de nuit autour d’une maison de Lahore.

A Dalhousie, on rapporte qu’une des maisons rejoue les soirs d’automne tous les épisodes d’un horrible accident qui, dans un précipice, coûta la vie à un cavalier et à sa monture.

Murrée a un fantôme gai et, maintenant que le choléra y a donné un coup de balai, elle va en avoir un qui sera mélancolique.

A Mian Mir, ce sont les logements des officiers, dont les portes s’ouvrent toutes seules, et dont les meubles sont, affirme-t-on, sujets à des bruits de craquement, dûs, non point à la chaleur de juillet, mais au poids des Invisibles qui s’étirent sur les chaises.

Peshawar compte quelques maisons que personne ne louerait volontiers.

Il y a quelque chose de mauvais—et ce n’est point la fièvre,—dans un grand bungalow d’Allahabad.

Quant aux anciennes provinces, elles fourmillent littéralement de maisons hantées et des armées de fantômes manœuvrent le long de leurs principales artères.

Plusieurs des relais de poste, sur la grande route centrale, ont de commodes petits cimetières dans leur enceinte, qui attestent «les changements et les hasards de cette vie mortelle» au temps où les gens faisaient en voiture le trajet de Calcutta au nord-ouest.

Ces bungalows sont des endroits où on ne s’installe point sans protester.

Généralement, ils sont très vieux, toujours sales, et le Khansamah y est aussi vétuste que le bungalow. Tantôt, il est affecté de loquacité sénile, tantôt, il tombe dans les longues somnolences de l’âge.

Dans ces deux états, il n’est bon à rien.

Si vous vous fâchez, il vous parlera d’un sahib défunt et enterré il y a quelque trente ans, et il vous dira que quand il était au service du sahib, pas un khansamah de la province ne l’égalait.

Après quoi il bafouille, il grimace, il tremblote, il s’agite parmi les plats et vous regrettez votre irritation.

Il n’y a pas longtemps, mes obligations m’imposaient la fréquentation des bungalows où sont les relais de poste.

Je ne passais jamais trois nuits de suite dans la même maison et j’en vins à connaître à fond toute la séquelle.

J’ai habité ceux qui ont été construits par le gouvernement, avec des murs de briques rouges et des plafonds en charpente de fer, avec l’inventaire du mobilier affiché dans chaque chambre, et, sur le seuil, un cobra surexcité, pour vous souhaiter la bienvenue.

J’ai habité ceux qui ont été «appropriés», de vieilles maisons affectées au service des bungalows, où rien n’était à sa place et où on n’avait pas même un poulet pour dîner.

J’ai habité des palais réformés, où le vent soufflait à travers la façade de marbre ouvragé d’une façon tout aussi opposée au confort que s’il avait soufflé par une vitre brisée.

J’ai habité des bungalows où la dernière inscription sur le registre des voyageurs remontait à quinze mois et où on coupait avec un sabre la tête au chevreau qui devait être accommodé au curry.

Ma bonne fortune m’y a fait rencontrer des gens de toute sorte, depuis les missionnaires voyageurs aux manières réservées, depuis les déserteurs des régiments anglais, jusqu’aux vagabonds ivres, qui jetaient des bouteilles de whisky sur tous les passants, et la fortune, plus favorable encore, m’a fait échapper à une séance d’accouchement.

Étant donné qu’une bonne partie de la tragédie qu’est notre vie, se passait dans ces bungalows, je m’étonnais de n’avoir point rencontré de fantômes.

Certes, un fantôme, qui hanterait les environs d’un bungalow, serait un fantôme atteint de folie; mais il est mort dans les bungalows un tel nombre de fous, qu’il doit y avoir un fort tant pour cent de fantômes fous.

L’heure venue, j’ai trouvé mon fantôme ou, pour mieux dire, mes fantômes, car il y en avait deux.

Nous appellerons ce bungalow-là le relais de Katmal; mais cela c’était le côté insignifiant de l’horrible chose.

Quand on a la peau sensible, on n’a pas le droit de dormir dans les bungalows de relais: on doit prendre femme.

Le bungalow de Katmal était vieux, moisi, laissé à l’abandon. Le sol était de briques usées, les murs sales et les fenêtres presque noires de poussière.

Il était situé sur un chemin de traverse très fréquenté par les sous-commissaires auxiliaires indigènes de tout genre, depuis l’administration des Finances jusqu’à celle des Forêts, mais les vrais sahibs étaient rares.

Le Khansamah, que la vieillesse avait presque ployé en deux, l’avouait.

Quand j’arrivai, le temps s’était mis, dans la région, à la pluie capricieuse et irrégulière, avec accompagnement constant de vent, dont chaque rafale faisait un bruit d’ossements desséchés dans les raides palmiers arack qui se dressaient au dehors.

Le Khansamah perdit complètement la tête à mon arrivée.

Il avait été jadis au service d’un sahib. Il me nomma un homme bien connu, qui avait été enterré plus d’un quart de siècle auparavant, et me montra une photographie sur cuivre qui représentait cet homme à l’époque préhistorique de sa jeunesse.

J’avais vu son portrait en gravure sur acier un mois auparavant, en tête d’un des volumes de ses Mémoires (et je me sentis plus vieux qu’Hérode).

Le jour tomba et le Khansamah vint m’apporter à manger. Il ne se risqua pas à prétendre que ce qu’il m’offrait était khana (de la nourriture humaine); il appela cela ratub, et ratub signifie entre autres choses «pâtée pour les chiens».

Il n’avait nullement l’intention de m’insulter en choisissant ce terme; il avait oublié l’autre mot, je suppose.

Pendant qu’il découpait les corps de divers animaux, je m’installai, non sans avoir exploré le bungalow.

Il y avait trois chambres, sans compter la mienne, qui consistait en un chenil angulaire, et chacune de ces chambres donnait dans l’autre par des portes d’un blanc enfumé, qu’assujettissaient de longues barres de fer.

Le bungalow était très solide, mais les murs de séparation des chambres étaient si légers qu’on les eut crus bâtis de bois pourris.

Quand on marchait, qu’on remuait une malle, le bruit se répercutait en écho de ma chambre aux trois autres et les murs les plus éloignés renvoyaient, en une vibration tremblante, le son des pas.

Cela me décida à fermer ma porte.

Il n’y avait pas de lampes, rien que des bougies sous de longs abat-jour en verre. Une veilleuse à huile était suspendue dans la salle de bains. Avec son aspect d’irrémédiable misère, ce bungalow était le plus répugnant de tous ceux où il m’était arrivé de m’arrêter.

Il n’y avait pas de foyer et les fenêtres refusaient de s’ouvrir. Un brasero de charbon de bois eut donc été inutilisable. La pluie et le vent éclaboussaient, gazouillaient, gémissaient autour de la maison.

Les palmiers arack craquaient et grondaient.

Une demi-douzaine de chacals aboyaient dans la clôture.

Une hyène, arrêtée à quelque distance, les narguait de son rire. Une hyène pourrait convaincre un sadducéen de la résurrection des morts, de la pire sorte de morts.

Alors arriva le ratub, mets curieux dont la composition est à la fois indigène et anglaise, et le vieux Khansamah resta debout derrière ma chaise, me parlant d’Anglais de jadis qui étaient défunts, pendant que les flammes des bougies, agitées par le vent, jouaient à cache-cache sur le lit et la moustiquaire.

C’était bien la sorte de dîner et la sorte de soirée qu’il fallait pour disposer un homme à passer en revue, un à un, ses péchés d’autrefois, et tous ceux qu’il comptait commettre s’il continuait à vivre.

Il était difficile de dormir pour plusieurs centaines de raisons.

La lampe de la salle de bain projetait dans les chambres les ombres les plus grotesques et le vent commençait à dire des bêtises.

Au moment même où les motifs de mon insomnie s’assoupirent, gorgés de sang, j’entendis la formule connue: «Nous allons le prendre et le soulever» dont se servent les porteurs de doolies.

Cela venait de l’enceinte.

Tout d’abord, il arriva un doolie, puis un second, puis un troisième.

J’entendis le bruit des doolies posés lourdement à terre.

Le volet qui faisait face à ma porte fut secoué.

—C’est quelqu’un qui s’efforce d’entrer, dis-je.

Mais personne ne parla, et je tâchai de me persuader que c’était l’effet d’une rafale.

Le volet de la chambre contiguë à la mienne fut attaqué, repoussé en arrière, et la porte intérieure s’ouvrit.

—C’est quelque sous-commissaire auxiliaire, me dis-je, et il aura amené ses amis avec lui. Maintenant, ils en ont pour une heure à causer, à cracher, à fumer.

Mais on n’entendait ni voix, ni pas.

Personne n’apportait de bagages dans la chambre voisine.

La porte se ferma et je remerciai la Providence de ce qu’on me laissait tranquille. Mais j’étais curieux de savoir ce qu’étaient devenus les doolies.

Je descendis du lit et allai regarder dans l’obscurité. Il n’y avait pas la moindre trace de doolies.

Au moment même où j’allais me recoucher, j’entendis dans la chambre voisine un bruit auquel personne ne peut se tromper, s’il jouit de l’usage de ses sens, celui que fait une bille de billard en roulant le long de la bande, lorsque le joueur joue son premier coup.

Il n’y a pas de son qui ressemble à celui-là.

Une minute après, autre roulement. Je me recouchai.

Je n’avais pas peur, non, je n’avais pas peur.

J’étais très curieux de savoir ce qu’étaient devenus les doolies, et c’est pour cela que je me recouchai d’un bond.

Une minute après, j’entendis le double bruit de déclic d’un carambolage.

Mes cheveux se dressèrent. Il est inexact de dire que les cheveux se dressent. Le cuir chevelu se contracte, et vous sentez sur toute la tête un fourmillement léger, général. Voilà ce que c’est exactement que des cheveux qui se dressent.

Il y eut un nouveau roulement et un bruit de déclic.

Les deux bruits n’avaient pu être produits que par une seule et même chose, une bille de billard.

Je raisonnai en moi-même sur l’aventure, et plus je raisonnais, moins il me semblait probable qu’un lit, une table et deux chaises—à cela se bornait le mobilier de la chambre contiguë à la mienne—pussent imiter aussi parfaitement le bruit qu’on fait en jouant au billard.

Après un autre carambolage, un trois-bandes, à ce qu’il me parut, d’après la sonorité, je cessai de raisonner.

Je tenais mon fantôme, et j’aurais donné tout au monde pour m’esquiver de ce bungalow.

Je prêtai l’oreille, et mieux j’écoutai, plus je perçus clairement les détails de la partie.

C’était tour à tour le bruit de roulement et celui du choc.

Parfois il y avait un double choc, puis un roulement, puis un autre choc.

Il n’y avait plus de doute; on jouait au billard dans la chambre à côté. Et la chambre à côté était trop petite pour contenir un billard.

Dans les intervalles où le vent se calmait, j’entendais la partie se poursuivre, les coups se succéder.

Je fis un effort pour me persuader que je n’entendais pas de bruit. Cet effort fut un échec.

Savez-vous ce que c’est que la peur? Non point la peur ordinaire qu’inspirent une insulte, un dommage ou la mort, mais la peur abjecte, frissonnante au sujet de quelque chose qui reste invisible pour vous, la peur qui vous sèche l’intérieur de la bouche, et la moitié de la gorge, la crainte qui rend moite la paume de vos mains, et vous fait faire des efforts pour avaler, afin que la luette continue à fonctionner.

Cela est la belle peur,—une grande lâcheté, et il faut l’avoir ressentie pour l’apprécier.

La simple invraisemblance d’une partie de billard dans un bungalow de relais prouverait la réalité de la chose.

Nul homme,—ivre ou à jeun,—n’était capable d’imaginer une partie de billard ni d’inventer le crachement d’un massé.

A fréquenter régulièrement les bungalows il y a un inconvénient: on entretient éternellement sa crédulité.

Si l’on disait à un homme qui passe toute sa vie dans les bungalow: «Il y a un cadavre dans cette chambre-ci, une jeune fille atteinte de folie dans cette autre. La femme et l’homme qui montent ce chameau viennent de s’échapper d’un endroit éloigné de soixante milles», l’auditeur ne se refuserait point à le croire, parce qu’il n’est rien qui ne puisse arriver dans un bungalow, quelle qu’en soit l’étrangeté, si grotesque, si horrible que ce soit.

Malheureusement cette crédulité s’étend aux fantômes.

Une personne raisonnable qui serait récemment sortie de chez elle, se fût tournée de l’autre côté et rendormie.

Moi, pas.

Aussi vrai que les centaines de créatures qui se trouvaient dans le lit finirent par m’abandonner comme une carcasse vidée, parce que la grande masse de mon sang refluait à mon cœur, j’entendis tous les coups joués pendant une longue partie de billard, dans la chambre aux échos sonores qui touchait à la mienne, de l’autre côté de la porte barrée de fer.

Ma crainte la plus forte, c’était que les joueurs eussent besoin d’un marqueur.

C’était une crainte absurde, car les êtres qui peuvent jouer dans les ténèbres sont au-dessus de ces superfluités-là.

Tout ce que je sais, c’est que je craignais cela. C’était une réalité.

Au bout d’un certain temps, la partie cessa et la porte claqua.

Je m’endormis parce que je tombais de fatigue. Sans cela j’aurais préféré rester éveillé.

J’aurais donné toute l’Asie plutôt que d’enlever la barre de la porte, pour jeter un coup d’œil dans l’obscurité de la chambre voisine.

Le matin venu, je me dis que j’avais agi sagement, prudemment, et je m’informai des moyens à prendre pour m’en aller.

—A propos, Khansamah, dis-je, qu’est-ce que faisaient ces trois doolies, cette nuit, dans mon enceinte?

—Il n’y avait pas de doolies, dit le Khansamah.

J’allai dans la chambre voisine où la lumière entra à flots par la porte.

J’étais plein de bravoure.

A cette heure j’aurais joué l’Enfer contre le diable en personne.

—Cet endroit a-t-il toujours été un relais de poste? demandai-je.

—Non, dit le Khansamah, il y a dix ou vingt ans, j’ai oublié l’époque, c’était une salle de billard.

—Une quoi?

—Une salle de billard pour les Sahibs qui ont construit le chemin de fer. Alors j’étais Khansamah dans la grande maison où logeaient les Sahibs, et je leur servais souvent des sorbets au brandy. Ces trois chambres n’en faisaient qu’une où il y avait une grande table où les Sahibs jouaient tous les soirs. Mais tous les Sahibs sont morts maintenant, et le chemin de fer va, m’avez-vous dit, jusqu’à Kaboul.

—Vous vous rappelez-vous quelque chose au sujet des Sahibs?

—Il y a longtemps de cela, mais je me rappelle un Sahib, un gros homme, toujours en colère. Un jour, il jouait ici. Il me dit: «Mangal-Khan, servez-moi un brandy-pani-do». Il se pencha sur la table pour jouer. Sa tête se baissa, se baissa et finit par toucher la table. Ses lunettes tombèrent, et quand nous—les Sahibs et moi,—nous accourûmes pour le soulever, il était mort. J’aidai à le porter dehors. Et c’était un vigoureux Sahib, mais il est mort, et moi, le vieux Mangal-Khan, je vis encore, par votre faveur.

C’était suffisant, et plus que suffisant.

Je tenais mon fantôme, un article de premier choix avec preuves à l’appui.

Je comptais écrire à la société de Recherches psychiques: je jetterais l’Empire dans la stupeur par cette nouvelle. Mais je jugeai bon de mettre tout d’abord quatre-vingt milles de terres cultivées et cadastrées entre moi et ce relais de poste, et cela avant la nuit.

La Société pourrait ensuite envoyer son agent officiel examiner le cas.

Je rentrai dans ma chambre et fis mes paquets après avoir mis par écrit les détails.

Pendant que je fumais, j’entendis de nouveau le bruit du déclic. Cette fois il y eut un raté, un queuté, car le roulement fut fort court.

La porte était ouverte, et je pus regarder dans la chambre. Clic! Clic! Un carambolage!

J’entrai sans peur dans la chambre, car il y faisait soleil et au dehors soufflait une fraîche brise.

Le jeu invisible marchait avec un entrain terrible.

Et cela n’avait rien d’étonnant: un petit rat infatigable courait de tous côtés au-dessus du plafond enfumé, et un fragment du châssis de la fenêtre, qui s’était détaché et que la brise secouait, battait contre le verrou de la fenêtre.

Cela imitait à s’y méprendre le choc des billes de billard.

Impossible aussi de ne pas reconnaître le roulement des billes sur la table du billard. Ah! j’étais bien excusable. Même quand je fermais mes yeux qui s’étaient ouverts à la lumière, ce bruit ressemblait extraordinairement à celui d’un jeu animé.

Alors entra, de fort mauvaise humeur, le fidèle compagnon de mes peines, Kadir Baksh.

—Ce bungalow-ci est très mauvais, bon pour les basses castes. Pas étonnant que Votre Présence ait été dérangée et soit toute mouchetée. Trois équipes de porteurs de doolies sont venues cette nuit à une heure avancée pendant que je dormais dehors. Ils ont dit que c’était leur habitude de coucher dans les chambres réservées aux Européens. Le Khansamah est-il un homme d’honneur? Ils ont essayé d’entrer, mais je leur ai dit de s’en aller. Rien d’étonnant, si ces Porias ont passé la nuit ici, que Votre Présence soit toute couverte de taches. C’est une honte. C’est l’œuvre d’un homme dégoûtant.

Kadir Baksh omit de dire qu’il avait fait payer à chaque équipe deux annas d’avance pour leur logement et qu’alors n’étant plus à portée d’être entendu de moi, il les avait chassés en les battant avec ce grand parapluie vert, dont jusqu’alors je n’avais pu deviner l’usage. Mais Kadir Baksh n’avait aucune notion de morale.

Ensuite eut lieu une entrevue avec le Khansamah, mais comme il ne tarda pas à perdre la tête, la colère fit place à la pitié, et la pitié aboutit à une longue conversation au cours de laquelle il plaça la mort du gros ingénieur Sahib dans trois stations différentes, dont deux étaient éloignées de cinquante milles. La troisième déviation l’amena à Calcutta, et cette fois le Sahib mourut en conduisant un dogcart.

Je ne partis pas aussi promptement que je l’avais décidé.

Je passai la nuit, pendant que le vent, le rat, le cadre de la fenêtre et le verrou jouaient une bruyante partie en cent cinquante.

Puis le vent changea, et les billes s’arrêtèrent.

Je m’aperçus que j’avais réduit à néant une authentique histoire de fantôme.

Si j’avais seulement arrêté mes investigations au bon moment, j’aurais pu faire de cela quelque chose.

Et c’était là ma plus amère pensée.

TABLE DES MATIÈRES

PréfaceVII
L’Education d’Otis Yeere1
A l’Entrée de l’Abîme57
Une Comédie sur la Grande Route75
La Colline de l’Illusion107
Une Femme de deuxième catégorie133
Rien qu’un petit Officier181
Le Rickshaw fantôme219
Mon Histoire vraie de fantôme283

E. GREVIN.—IMPRIMERIE DE LAGNY


BIBLIOTHÈQUE COSMOPOLITE

OUVRAGES PARUS

IAu delà des forces, par Bjornstjerne Bjornson, première et deuxième parties. Traduction de MM. Auguste Monnier et Littmanson. Un volume in-18. Prix 3 50
IILe Roi, drame en quatre actes; Le Journaliste, drame en quatre actes, par Bjornstjerne Bjornson. Traduction de M. Auguste Monnier. Un volume in-18. Prix 3 50
IIILes Prétendants à la Couronne, drame en cinq actes; Les Guerriers à Helgeland, drame en quatre actes, par Henrik Ibsen. Traduction de M. Jacques Trigant-Geneste. Nouvelle édition. Un volume in-18. Prix 3 50
IVLes Soutiens de la Société, pièce en quatre actes; L’Union des Jeunes, pièce en cinq actes, par Henrik Ibsen. Traduction de MM. Pierre Bertrand et Edmond de Nevers. Deuxième édition. Un volume in-18. Prix 3 50
VEmpereur et Galiléen, par Henrik Ibsen. Traduction de M. Charles de Casanove. Quatrième édition, revue et corrigée. Un volume in-18. Prix 3 50
VINouveaux Poèmes et Ballades, de A.-C. Swinburne. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18. Prix 3 50
VIIŒuvres en prose, de P.-B. Shelley, traduites par Albert Savine. Pamphlets politiques. Réfutation du déisme. Fragments de romans. Critique littéraire et critique d’art. Philosophie. Un volume in-18. Prix 3 50
VIIISouvenirs autobiographiques du Mangeur d’opium, par Thomas de Quincey. Traduction et préface par Albert Savine. Deuxième édition. Un volume in-18. Prix 3 50
IXConfessions d’un Mangeur d’opium, par Thomas de Quincey. Première traduction intégrale par V. Descreux. Nouvelle édition. Un volume in-18. Prix 3 50
XAurora Leigh, par Elisabeth Barrett Browning. Traduit de l’anglais. Troisième édition. Un volume in-18. Prix 3 50
XIUn Gant, comédie en trois actes; Le Nouveau Système, pièce en cinq actes, par Bjornstjerne Bjornson. Traduit du norvégien par Auguste Monnier. Un vol. in-18. Prix 3 50
XIILe Portrait de Dorian Gray, par Oscar Wilde. Traduit de l’anglais par M. Eugène Tardieu. Cinquième édition. Un volume in-18. Prix 3 50
XIIIUn Héros de notre temps, récits; Le Démon, poème oriental, par Lermontoff. Traduit du russe par A. de Villamarie. Deuxième édition. Un volume in-18. Prix 3 50
XIVIntentions, par Oscar Wilde. Traduction, préface et notes de J. Joseph-Renaud. Un volume in-18 3 50
XVLa Dame de la mer, pièce en 5 actes; Un Ennemi du peuple, pièce en 5 actes, par Henrik Ibsen. Traduction de MM. Ad. Chennevière et C. Johansen. Un vol. in-18 3 50
XVIEnlevé! roman de Robert-L. Stevenson. Traduction et préface d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XVIIPoèmes et poésies, par Elisabeth Barrett Browning. Traduction de l’anglais et étude par Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XVIIILe Crime de lord Arthur Savile, par Oscar Wilde. Traduit de l’anglais par Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XIXDerniers Contes, par Edgar Poë. Traduits par F. Rabbe. Un vol. in-18 3 50
XXLe Portrait de Monsieur W. H., par Oscar Wilde. Traduit de l’anglais par Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XXIPoèmes, d’Oscar Wilde, Traduction et préface par Albert Savine. Un Volume in-18 3 50
XXIISimples Contes des Collines, par Rudyard Kipling. Traduits de l’anglais par Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XXIIILe Prêtre et l’Acolyte, nouvelles, par Oscar Wilde. Traduction et préface par Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XXIV—XXV.—XXVI.—Œuvres poétiques complètes de Shelley, traduites par F. Rabbe. Précédées d’une étude historique et critique sur la vie et les œuvres de Shelley. Trois volumes in-18, se vendant séparément chacun 3 50
XXVIINouveaux Contes des Collines, par Rudyard Kipling. Traduits de l’anglais par Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXVIIIMystères et Aventures, par A. Conan Doyle. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXIXTrois Troupiers, par Rudyard Kipling. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXAutres Troupiers, par Rudyard Kipling. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXILe Parasite, par Conan Doyle. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXIIAu Blanc et Noir, par Rudyard Kipling. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXIIIThéâtre.—I.—Les Drames, par Oscar Wilde. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXIVLa Grande Ombre, roman, par A. Conan Doyle. Traduction de M. Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXV.Poèmes et Ballades, de A. C. Swinburne. Traduction de M. Gabriel Mourey et notes de Guy de Maupassant. Un vol. in-18, nouvelle édition 3 50
XXXVIUn Début en Médecine, roman, par A. Conan Doyle. Traduction de M. Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XXXVIIChants d’avant l’Aube, par A. C. Swinburne. Traduction de M. Gabriel Mourey. Un vol. in-18 3 50
XXXVIIISous les Déodars, par Rudyard Kipling. Traduction de M. Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XXXIXNouveaux Mystères et Aventures, par Conan Doyle. Traduction de M. Albert Savine. Un vol. in-18 3 50
XXXXThéâtre. II.—Les Comédies. I. par Oscar Wilde. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50
XXXXIIdylle de Banlieue, par Conan Doyle. Traduction d’Albert Savine. Un volume in-18 3 50

Imprimerie Générale de Châtillon-sur-Seine.—A. Pichay.

NOTES:

[A] Elisabeth Barrett Browning, Poèmes et Poésies.

[B] Causeuses.

[C] Grand dîner.

[D] Improvisée.

[E] Maîtres d’hôtel.

[F] Causeuse.

[G] Petites tables.

[H] Barque hindoue.

[I] Voiture légère à deux roues.

[J] Deliriurm tremens.


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