Tableau du climat et du sol des États-Unis d'Amérique: Suivi d'éclaircissemens sur la Floride, sur la colonie française au Scioto, sur quelques colonies canadiennes, et sur les sauvages
§ II.
Les variations journalières sont plus grandes et plus brusques sur la côte atlantique qu’en Europe.
Les variations excessives dont je viens de parler ne se bornent pas aux saisons sur la côte atlantique; elles y ont encore lieu d’un jour à l’autre, ou, pour mieux dire, très-fréquemment dans l’espace d’un seul jour. On les remarque surtout dans les États du milieu, tels que le sud du New-York, la totalité de la Pensylvanie et du Maryland; et dans le pays plat, plutôt que sur les montagnes; par la raison sans doute que ces États du Milieu, placés entre deux atmosphères opposées, celle du pôle et celle du tropique, sont le théâtre où se passe la lutte perpétuelle des grandes masses d’air froid et d’air chaud.
«Notre climat de Pensylvanie,» dit le docteur Kush[88], «est un composé de tous les climats; l’humidité de l’Angleterre au printemps, la chaleur de l’Afrique en été, le ciel de l’Egypte en automne, le froid de la Norwège en hiver; et ce qui est bien plus fâcheux, quelquefois la réunion de toutes dans un jour... Dans le cours de nos hivers, surtout en janvier et février, il arrive souvent, en moins de 18 heures, des variations de 6°, 8° et même de 12° (R)[89] du froid au chaud et du chaud au froid, qui ont les plus fâcheux effets pour la santé. Du 4 au 5 février 1788, le mercure tomba, en moins de 10 heures, par un vent de nord-ouest, depuis 2°¼ sous glace à 16°¼, différence 14° (R). D’autres fois les vents de sud et sud-est amenant un air chaud de 10° et 12°, occasionent des dégels subits, et l’on a vu cette température, persistant quelques jours, tromper la végétation, et faire éclore les fleurs des pêchers en janvier; mais parce que le règne des froids ne finit réellement qu’en avril, il ne manque jamais d’arriver de nouvelles gelées par les vents de nord-est et nord-ouest, qui reproduisent les alternatives que j’ai citées.
«Les mêmes variations ont lieu en été,» continue le docteur Rush, «et de vives fraîcheurs remplacent presque chaque nuit les violentes chaleurs du jour. L’on observe même que plus le mercure monte dans l’après-midi, plus bas il tombe le matin au point du jour, car ce sont là les époques extrêmes du froid et du chaud. Si à 2 heures après midi, il a monté à 22°, à la pointe du jour suivant, il sera vers 15° ou 16°; s’il n’a monté qu’à 16° ou 17°, il tombera vers 11° ou 12°: ces chutes arrivent surtout après une pluie d’orage; dans l’été de 1775, on a vu, en pareil cas, dans l’espace d’une heure et demie, une chute de 8°½ (R)... En général, excepté en juillet et août, il se passe peu de soirées sans qu’on trouve le feu agréable. Ces variations ne sont point aussi marquées dans la haute Pensylvanie vers les sources de la Susquehannah et sur les plateaux de l’Alleghany: les froids en hiver y sont plus fixes; en été les chaleurs y sont moins intenses; et sans doute la qualité de l’air les rend aussi plus supportables que dans notre pays inférieur où l’atmosphère est dense et humide».
Ce que nous venons de voir de la Pensylvanie, et qui convient également au sud du New-York, au New-Jersey, au Maryland, s’applique encore avec assez peu de différence à la côte de Virginie et des Carolines: dans la ville de Charlestown, l’on éprouve fréquemment dans un jour d’été ou d’hiver les variations de 8° et 10° (R). L’on a des exemples de 12° et de 15°, et le docteur Ramsay en cite un de 22° (R) en moins de quinze heures. Le 28 octobre 1793, le mercure tomba de 18° sur zéro à 3° sur zéro, différence 15° en dix à douze heures[90]».
A Savanah, Henry Ellis, après s’être plaint des chaleurs d’été, ajoute:
«J’ai vu à la baie de Hudson tous les climats en un an; ici je les éprouve en douze heures. Le 10 octobre 1757, le mercure était au soir à 24° (R); le lendemain 11, il fut à 2° ⅓; différence 21° ⅔[91]».
Les pays du nord ne sont pas moins exposés à ces vicissitudes; mais il y a cette différence entre eux et ceux du midi, que dans les États du Sud, les variations se font plutôt du chaud au froid, tandis que dans les États du Nord, elles ont plus souvent lieu du froid au chaud; en sorte que dans ces derniers, l’effet produit sur les corps arrive plus souvent par dilatation, tandis que dans les premiers il arrive plutôt par constriction. Je trouve dans le journal manuscrit de Bougainville, des faits de ce genre qui méritent d’être cités.
«11 décembre 1756, à Québec: depuis trois jours, le thermomètre a monté de 19° sous glace à zéro de glace. Aujourd’hui il pleut et dégèle par vent de sud, et le temps est aussi vain qu’au printemps.
«14 décembre après midi: le vent vient de tourner à nord-ouest; la gelée reprend ferme: déja 3°½ sous glace: le lendemain 15, le mercure est à 21°, le vent a passé du nord-ouest au sud-ouest, ciel clair-fin.
«Le 18 janvier par vent de nord-ouest, 27° sous glace; temps clair, prodigieusement froid: les voyageurs arrivent avec le nez et les doigts des mains et des pieds gelés: le froid est toujours moindre à la basse ville qu’à la citadelle: l’élévation de celle-ci l’expose au vent de nord-ouest dont la ville est garantie.»
A la baie de Hudson, Umfreville et Robson, observateurs également exacts et judicieux, citent des faits semblables: ils remarquent que pendant les vingt à trente jours que durent les chaleurs d’été, les nuits se tiennent souvent assez chaudes; mais pendant l’hiver, il arrive par les vents de sud de ces transitions d’un froid de 18° et 20° à zéro de glace, qui occasionent cette sensation d’un temps vain, dont parle Bougainville; sensation très-bizarre pour nous, qui à ce terme de zéro, nous plaignons du froid; mais qui est réellement la même chose que lorsque nous passons de zéro à 15° sur glace, et que lorsqu’un Africain passe de 20 à 30 degrés, toujours effet de comparaison. C’est encore par l’effet de cette habitude des organes, qu’à Charlestown on se plaint du froid quand le thermomètre est à 10° ou 12° sur glace, et que l’on y brûle, selon la remarque de Liancourt, autant de bois qu’à Philadelphie, où le mercure tombe 15° plus bas.
En comparant les tables thermométriques des divers lieux dont je viens de parler, et en faisant moi-même des observations journalières sur les variations de l’air, je n’ai pu manquer d’apercevoir une harmonie constante entre ces variations, et certains rumbs de vents qui leur sont toujours associés: toujours j’ai vu les transitions du froid au chaud se faire par le changement et le passage des vents de nord-est et nord-ouest, aux rumbs de sud-est et de sud: et par inverse les transitions du chaud au froid, se faire par le changement des vents de sud et sud-est en vents de nord-est et nord-ouest, et cela depuis la Floride jusqu’au Canada et à la baie de Hudson: de là un premier élément de théorie applicable à tous les problèmes de ce climat; mais parce que les bonne théories ne sont que la série méthodique et la réunion de tous les faits d’un même genre, je ne veux point me hâter de résoudre ces problèmes par des faits isolés, et je continue d’y procéder par l’exposition de plusieurs singularités, qui au premier coup d’œil sembleraient y faire exception.
§ III.
Le climat du bassin d’Ohio et de Mississipi est moins froid de trois degrés de latitude que celui de la Côte atlantique.
Voici une de ces singularités qui mérite d’autant plus d’attention que je ne sache pas qu’on l’ait décrite jusqu’à ce jour avec toutes ses circonstances. Pour le fait principal j’emprunterai les paroles de M. Jefferson dans ses notes sur la Virginie (p. 7).
«C’est une chose remarquable, dit-il, qu’en allant de l’est à l’ouest, sous le même parallèle, notre climat devient plus froid à mesure qu’on avance vers l’ouest, comme si l’on se rapprochait du nord. Cette observation a lieu pour celui qui vient des parties du continent situées à l’est des Alleghanys, jusqu’à ce qu’il ait atteint le sommet de ces montagnes, qui sont les terres les plus hautes, entre l’Océan et le Mississipi. De là, en se tenant toujours sous la même latitude, et allant à l’ouest jusqu’au Mississipi, la progression se renverse; et si nous en croyons les voyageurs, le climat devient plus chaud qu’il ne l’est sur les côtes aux mêmes latitudes. Leur témoignage sur ce point est confirmé par les espèces de végétaux et d’animaux qui subsistent et se multiplient naturellement dans ces pays, et qui ne réussissent point sur les côtes. Ainsi l’on trouve les catalpas sur le Mississipi jusqu’au 37° de latitude, et les roseaux jusqu’au 38°: on voit les perroquets, même l’hiver, sur le Scioto au 39°. Dans l’été de 1779, lorsque le thermomètre était à 90° Fahrenheit, (25° ¾ R.) à Monticello, et à 96° F. (28° ⅓ R.) à Williamsburg, il était à 110° F. à Kaskaskia (34° ⅔ R.), etc.»
Comme voyageur je puis confirmer et développer l’assertion de M. Jefferson: dans le trajet que je fis pendant l’été de 1796, depuis Washington sur Potômac, jusqu’au poste Vincennes, sur la Wabash, je recueillis des notes dont voici les principaux résultats;
5 mai 1796, premières fraises à Annapolis sur le rivage et au niveau de l’Océan;
12 mai, les mêmes à Washington, sol déja plus élevé;
30 mai, les mêmes à Frédérick-Town, au pied de Blue-ridge, environ 180 pieds au-dessus de l’Océan (ici les cerises ne mûrissent pas mieux qu’à Albany, 50 lieues plus nord; mais situé au niveau de la marée);
6 juin, premières fraises dans la vallée de Shenandoa à l’ouest de Blue-ridge, et peut-être 150 toises au-dessus de l’Océan;
1er juillet à Monticello, chez M. Jefferson, la moisson de froment a commencé sur les basses pentes de South West mountain, à l’exposition de sud et sud-est, tandis que sur les revers exposés au nord-ouest, vers Charlotteville, elle n’a commencé que du 12 au 14;
10 juillet; moisson à Rock-fish-gap, au sommet de Blue-ridge, 1150 pieds anglais d’élévation, 350 mètres: deux jours plus tôt elle a lieu dans le vallon de Staunton, situé environ 70 mètres plus bas.
12 juillet, moisson sur les montagnes de Jackson, élévation de plus de 2,200 pieds anglais (683 mètres).
20 juillet, moisson sur l’Alleghany, élevé de plus de 800 mètres.
L’on voit que dans cette ligne ascendante, elle a constamment tardé en proportion des niveaux.
En descendant l’autre pente de l’Alleghany, celle de l’ouest, je trouvai qu’à Green-Briar, situé en plaine basse, elle avait eu lieu 5 jours plus tôt (15 juillet).
Dans le vallon du grand Kanhawa, à l’embouchure de l’Elk, elle avait eu lieu le 6.
Le 11, à Gallipolis; colonie des Français, au Scioto[92].
Le 15, à Cincinnati, situé plus au nord.
Je ne trouvai point de froment à Poste-Vincennes, sur la Wabash; on y préfère le maïs, le tabac et le coton, produits qui caractérisent un climat chaud.
Le 1er juillet, on avait moissonné à Kaskaskia, sur le Mississipi, comme à Monticello.
Cette seconde ligne, depuis l’Alleghany, ne présente pas en apparence la même régularité que la précédente, sans doute par une raison combinée de la diversité des niveaux, des expositions, et même des latitudes qui y sont plus variées; par exemple, si Cincinnati est plus tardif que Gallipolis, ce doit être parce qu’il est un peu plus nord, et surtout moins abrité des vents de cette partie, et moins ouvert au midi. Si le vallon de Kanhawa est encore plus précoce, quoique plus élevé, ce peut être à raison de son encaissement dont l’effet concentre la chaleur que j’y trouvai réellement bien plus vive qu’ailleurs; et, dans nos propres jardins, nous avons la preuve de cette action des divers aspects, puisque nos espaliers mûrissent les mêmes espèces de fruits à des époques différentes de huit et dix jours, selon qu’ils sont exposés au midi, au levant ou au couchant, et encore, selon qu’ils sont abrités des vents et frappés de la réverbération d’autres murs. Il n’en est pas moins vrai que la règle des niveaux se trouve en général observée dans la ligne décrite, et qu’il y a une identité remarquable d’époque de moisson (1er juillet) entre Kaskaskia et Monticello, situés sous le même parallèle, et à une élévation que je présume très-ressemblante.
Néanmoins je suis loin de disconvenir qu’il existe dans le pays d’Ouest plusieurs phénomènes de température et de végétation, auxquels ne peuvent satisfaire ni les niveaux, ni les expositions: au premier rang de ces phénomènes, est celui que depuis quelques années les botanistes observent et constatent davantage de jour en jour: ayant comparé les lieux où croissent spontanément certains arbres et certaines plantes à l’est et à l’ouest des Alleghanys, ils ont découvert qu’il y avait une différence uniforme générale d’environ 3° de latitude plus chaude, en faveur du bassin d’Ohio et de Mississipi; c’est-à-dire, que les arbres et les plantes qui veulent un climat chaud, et des hivers moins longs et moins froids, se trouvent 3° plus nord dans l’ouest des Alleghanys, qu’à l’est sur la côte atlantique; ainsi, le coton, qui réussit à Cincinnati, à Poste-Vincennes, par les 39° de latitude, n’a encore pu se cultiver plus nord que 35 et 36° dans les Carolines. Il en est de même des catalpas, des sassafras, des pâpâs, des pacanes ou noix illinoises[93], et de beaucoup d’autres arbres et plantes dont le détail exigerait des connaissances que je n’ai point en cette partie[94].
Ce genre de preuves qui est irrécusable se trouve d’ailleurs appuyé par les phénomènes particuliers à chaque saison. Dans toute ma route sur l’Ohio, et dans mes diverses stations en Kentucky, à Gallipolis, à Lime-stone, à Washington de Kentucky, à Lexington, à Louisville, à Cincinnati, au Poste-Vincennes, les renseignements que j’ai recueillis ont été unanimement les faits suivants.
«L’hiver ne commence que vers son solstice, et les froids ne se montrent que dans les quarante à cinquante jours qui le suivent. Ils n’y sont pas même fixes et constants; mais il y a des relâches de jours tempérés et chauds. Le thermomètre ne descend ordinairement pas au-dessous de 5 et 6° (R) sous zéro; les gelées qui d’abord se montrent dans quelques jours d’octobre pour disparaître, puis revenir vers la fin de novembre, et cesser encore, les gelées, dis-je, ne s’établissent que vers janvier: les ruisseaux, les petites rivières et les eaux dormantes gèlent alors, mais restent rarement gelés plus de 3 à 15 jours.»
L’on a regardé comme un cas sans exemple celui de l’hiver 1796-97, où le mercure a tombé à 15° sous zéro, et où les rivières Alleghany, Monongahélah et Ohio, ont été scellées de glace, depuis le 28 novembre jusqu’au 30 janvier, c’est-à-dire soixante-cinq jours: la Wabash gèle presque chaque hiver, mais seulement de 3 à 15 jours.
Dans tout le Kentucky et le bassin d’Ohio, les neiges ne durent ordinairement que de 3 à 8 ou 10 jours; et dans le cours même de janvier, l’on a des jours vraiment chauds, à 15 et 18° par des vents de sud-ouest et de sud, et par un ciel brillant et pur. Le printemps amène des pluies et des giboulées par des vents de nord-est et de nord-ouest; mais dès quarante jours après l’équinoxe, les chaleurs commencent à s’établir. «Elles sont dans toute leur force pendant les 60 à 70 jours qui suivent le solstice d’été: le thermomètre se tient alors entre 26 et 27° (R). On le remarqua en 1797 à Cincinnati et à Lexington, à 29° (R)... Pendant tout ce temps, les orages sont presque journaliers sur l’Ohio; ils y produisent une chaleur pesante que la pluie ne tempère pas; tantôt ils arrivent par les vents de sud et de sud-ouest, tantôt ils sont le produit de l’évaporation du fleuve et de la vaste forêt qui couvre la contrée. La pluie qu’ils versent par torrents ne rafraîchit qu’un instant le sol embrasé, et la chaleur du lendemain l’élevant en vapeurs forme au matin d’épais brouillards qui se convertissent ensuite en nuages, et recommencent le jeu électrique de la veille: l’eau du fleuve est chaude à 14 et 15° sur zéro: les nuits sont calmes, et ce n’est qu’entre 8 et 10 heures du matin que s’élève une légère brise d’ouest ou de sud-ouest, qui cesse vers 4 heures du soir.»
Dans la totalité des saisons le vent le plus dominant est le sud-ouest, c’est-à-dire, le courant d’air qui remonte dans la ligne du fleuve Ohio, et qui vient par le Mississipi (où il règne sud) du golfe du Mexique. Je trouvai ce vent chaud et orageux dès mon entrée dans le vallon de Kanhawa, dont sans doute il élève la température en s’y arrêtant au pied des montagnes: il change de ligne selon les courbures de l’Ohio, et on le croirait quelquefois ouest et sud; mais toujours identique, il règne 10 parties de temps sur 12, et n’en laisse que 2 à tous les autres vents réunis: il domine également dans tout le Kentucky; mais il n’y produit pas les mêmes effets; car tandis que la vallée d’Ohio, dans une largeur de 5 à 6 lieues, éprouve une humidité et des pluies abondantes, le reste du pays est tourmenté de sécheresses qui durent quelquefois trois mois: et les cultivateurs ont le chagrin de voir de leurs coteaux un fleuve aérien de brouillards, de pluies et d’orages, qui serpente comme le fleuve terrestre, et qui ne sort pas de son bassin.
A l’équinoxe d’automne arrivent les pluies par les vents de nord-est, de sud-est, et même de nord-ouest: la fraîcheur qu’elles établissent prépare les gelées: l’automne entière est sereine, tempérée, et est la plus belle des trois saisons de l’année: car dans tout le continent de l’Amérique nord il n’y a pas de printemps.
Tel est le climat de Kentucky et de tout le bassin d’Ohio. Il faut remonter bien avant dans le nord pour lui trouver des changements remarquables, et surtout pour le retrouver en harmonie avec ses parallèles de la côte atlantique.... A la hauteur de Niagara même, il est encore si tempéré, que les froids ne durent pas plus de 2 mois avec quelque âpreté; et cependant l’on est au point le plus élevé du plateau; ce qui déconcerte totalement la règle de niveaux.
Dans tout le Genesee, les descriptions que l’on m’a faites de l’hiver ne correspondent point avec les froids de cette saison sous les parallèles de Vermont ni de New-Hampshire, mais plutôt avec le climat de Philadelphie 3° plus sud. L’on a remarqué dans cette dernière ville, comme chose singulière, qu’il y gèle dans tous les mois de l’année, excepté en juillet; et pour retrouver la même circonstance, il faut s’élever jusqu’au village d’Onéida en Genesee, par les 43° de latitude; tandis qu’à l’est des monts, à Albany, il gèle dans tous les mois, et il n’y peut mûrir ni pèches ni cerises.
Enfin, à Montréal, par les 45° 20´ de latitude, les froids sont moins rigoureux et moins longs que dans la partie de Maine et d’Acadie à l’est des montagnes; et les neiges à ce même Montréal durent deux mois de moins qu’à Québec, quoique cette dernière ville soit située plus bas sur le fleuve; ce qui contrarie encore la loi des niveaux et indique une autre cause qui reste à trouver.
Avant d’y procéder, j’ajouterai encore quelques observations et quelques faits qui en prépareront d’autant mieux le développement.
1º Il résulte des comparaisons que je viens de présenter, que pour mesurer les divers degrés de température des États-Unis, il faut appliquer, sur la totalité de ce pays, deux grandes échelles thermométriques se croisant en sens opposé: l’une placée dans le sens naturel des latitudes ayant son maximum de froid vers le pôle, par exemple, au Saint-Laurent; et l’autre son maximum de chaud vers le tropique, par exemple, en Floride: entre ces deux points extrêmes, la chaleur, à circonstances égales de niveaux et d’expositions, décroît ou augmente régulièrement selon les latitudes. L’autre échelle, placée transversalement de l’est à l’ouest dans le sens des longitudes, est un thermomètre à deux branches renversées, ayant une boule commune ou maximum de froid qui pose sur l’Alleghany, tandis que l’extrémité de chacune des branches va chercher à l’est et à l’ouest son maximum de chaleur sur le rivage de l’Atlantique et au Mississipi; et les degrés de chaleur se mesurent sur chacune en raison combinée des niveaux et des expositions. Ce n’est qu’en ayant égard à ces règles compliquées que l’on pourrait dresser un bon tableau général de température et de végétation pour les États-Unis: l’idée que l’on en trouve jetée dans un mémoire de la société de New-York, est une idée ingénieuse, et qui peut devenir utile; mais pour remplir son objet avec exactitude, elle a besoin de l’application et de l’emploi des principes que je viens d’exposer.
2º La différence de climat entre l’est et l’ouest des Alleghanys, est d’ailleurs accompagnée de deux circonstances majeures que je crois n’avoir pas été remarquées. La première est que par-delà les 35 et 36° latitude allant au sud, cette différence cesse d’avoir lieu, et la température des Florides et de la Géorgie occidentale, depuis le Mississipi jusqu’à la rivière Savanah et à l’Océan, est soumise à des règles identiques et communes; en sorte que la chaîne des Alleghanys et le retour des Apalaches, forment réellement de ce côté la limite de cette différence, et par cela même se décèlent pour être une de ces causes efficientes.
La seconde circonstance est que cet excès relatif de température cesse encore presque subitement entre le 43 et 45° latitude nord, vers les grands lacs de Saint-Laurent: à peine a-t-on passé la rive méridionale du lac Érié, que le climat se refroidit de minute en minute dans une proportion étonnante: au fort Détroit, il ressemble encore à celui de Niagara son parallèle; mais dès le lac Saint-Clair, les colons trouvent les froids beaucoup plus longs et plus rigoureux qu’à Détroit. Ce petit lac reste gelé tous les ans, depuis novembre jusqu’en février: les vents de sud et de sud-ouest, qui tempèrent l’Érié, deviennent plus rares ici, et l’on ne peut y mûrir d’autres fruits que des pommes et des poires d’hiver.
Au fort de Michillimakinac, 2°½ plus nord, des observations faites en 1797, sous la direction du général américain Wilkinson[95], constatent que du 4 août au 4 septembre, le thermomètre en diverses stations depuis le lac Saint-Clair, ne marqua jamais plus de 16°½ R. à midi; et qu’au soir et au matin, il descendit souvent jusqu’à 5°½ R. (sur glace); ce qui est plus froid que Montréal sous le même parallèle.
Ces faits s’accordent parfaitement avec les résultats généraux que M. Alexandre Mackensie a récemment publiés dans la relation de ses intéressants voyages à l’ouest et au nord-ouest de l’Amérique: j’avais déja eu occasion dans mon séjour à Philadelphie, de connaître cet estimable voyageur et d’en obtenir divers renseignements sur ces objets: l’un de ses associés, M. Shaw, avec qui j’eus aussi l’avantage de me rencontrer en 1797, et qui arrivait d’un séjour de treize ans dans les postes les plus reculés de la traite des pelleteries, eut également la complaisance de satisfaire à mes questions, et il résulte de ces informations réunies:
«Qu’à partir du lac Supérieur, allant à l’ouest, jusqu’aux montagnes Stony ou Chipewans, et remontant au nord jusqu’au 72°, le pays maintenant bien connu par les traitants canadiens, offre un climat d’une rudesse et d’une âpreté de froid qui ne peut se comparer qu’à la Sibérie: que le sol généralement plane, dénué d’arbres, ou n’en ayant que de rares et de rabougris, parsemé de lacs, de marais, et d’une prodigieuse quantité de cours d’eaux, est sans cesse battu de vents furieux et glacés, venant des parties de nord et surtout de nord-ouest: que dès le 46° la terre est gelée pendant toute l’année: que dans plusieurs fortins de la traite, entre les 50 et 56°, l’on n’avait pu par ce motif établir des puits, cependant très-nécessaires: que M. Shaw lui-même en avait creusé un au poste Saint-Augustin, à environ seize lieues des montagnes; et quoiqu’il l’eût entrepris en juillet, il avait, dès le troisième pied, rencontré le sol gelé; et le trouvant de plus en plus ferme, il avait été contraint d’abandonner le travail à une profondeur de vingt pieds.»
L’on ne peut douter de ces faits, tant à raison du caractère des témoins, que de l’appui qu’ils trouvent dans d’autres semblables: Robson, ingénieur anglais qui, en 1745, construisit le fort de Galles, sur la baie de Hudson, par les 59°, raconte avec surprise et candeur:
«Qu’ayant voulu creuser un puits au mois de septembre, il trouva d’abord trente-six pouces anglais de terre dégelée par les chaleurs antérieures; puis une couche de huit pouces gelée ferme comme roc: sous cette couche, un terrain sableux et friable, glacial et très-sec, dans lequel ses sondes ne purent trouver d’eau, parce que, dit-il, le froid continuel gelant les eaux superficielles, les empêche de pénétrer au-dessous du point où les chaleurs de l’été parviennent à les dégeler[96].»
Édouard Umfreville, facteur de la compagnie de Hudson, depuis 1771 jusqu’à 1782, observateur plein de sens et d’exactitude, atteste également que:
«La terre dans ces contrées, même au cœur de l’été, où les chaleurs sont vives pendant quatre à cinq semaines, ne dégèle qu’environ quatre pieds anglais, là où le sol est déboisé et soumis à l’action du soleil; et deux pieds seulement là où il est ombragé des chétifs genévriers et pins qui composent toute la végétation du pays[97].»
Il est donc évident qu’au delà d’une certaine latitude, le climat à l’ouest des Alleghanys n’est pas moins froid que ses parallèles à l’est; et cette latitude, dont le terme moyen paraît être vers les 44 ou 45°, en prenant pour limite les grands lacs, et surtout la chaîne des montagnes Canadiennes ou Algonkines, circonscrit par cela même le climat chaud du pays d’Ouest à un espace d’environ 9 à 10 degrés qui se trouve enceint sur trois de ses côtés par des montagnes. Sans doute la présence de ces montagnes contribue pour quelque partie à cette différence; mais quelle en est la cause majeure et fondamentale? d’où provient ce phénomène géographique réellement singulier? Voilà le problème à résoudre; et parce que la comparaison de beaucoup de faits et de circonstances m’a fait reconnaître pour agent principal un courant d’air ou vent dominant habituellement dans le bassin de Mississipi, dont les vents diffèrent de ceux de la côte atlantique, je crois devoir fournir au lecteur les moyens d’asseoir son jugement, en lui développant le système entier des courans de l’air qui règnent pendant l’année aux États-Unis.
CHAPITRE IX.
Système des vents aux États-Unis.
EN Europe, surtout en France et en Angleterre, nous nous plaignons de l’inconstance des vents et des variations qu’elle produit dans la température de l’air; mais cette inconstance n’est en rien comparable à celle de l’atmosphère des États-Unis; j’oserais affirmer que dans une résidence de près de trois ans[98], je n’ai pas vu un même vent régner trente heures de suite, un même degré de thermomètre se maintenir pendant dix heures; sans cesse les courants de l’air varient, non de quelques degrés de compas, mais d’un point de l’horizon à son opposé; du nord-ouest au sud et au sud-est; du sud et du sud-ouest au nord-est: ces variations attirent d’autant plus l’attention, que les changements de température sont aussi contrastants que subits; et dans un même jour, en hiver même, on aura eu au matin de la neige, et zéro de glace par vents de nord-est et d’est; vers midi, 6 et 7 degrés par vents de sud-est et de sud; et dans le soir 1 et 2° sous glace par vent de nord-ouest: en été, vers deux heures après midi, on peut avoir 24 et 25° de chaleur par calme; un orage arrive par vent de sud-ouest; il pleut vers quatre ou cinq heures; à six ou sept, le vent de nord-ouest se déclare frais et impétueux à son ordinaire, et avant minuit le mercure sera à 17 et même 16°. L’automne seule, depuis le milieu d’octobre jusque vers la mi-décembre, montre quelques jours continus de vent d’ouest, et d’un ciel clair et serein; genre de temps que sa rareté rend d’autant plus remarquable. Cette mobilité de l’air l’est elle-même d’autant plus qu’elle a lieu sur une étendue de pays très-vaste, et que les mêmes vents se font sentir presque à la fois sur toute l’étendue de la côte atlantique, depuis Charlestown, jusqu’à Newport, et même Halifax, et depuis le rivage de l’Océan jusqu’à l’Alleghany. Ce n’est pas qu’il n’y ait de ces brises partielles qui, dans tous les pays maritimes, affectent certaines localités et certaines positions du soleil sur l’horizon: je veux dire seulement qu’à l’ordinaire, les courants de l’air aux États-Unis parcourent de très-vastes surfaces, et que les vents y sont généraux beaucoup plus qu’ils ne le sont en Europe.
Tel est surtout le caractère de trois vents principaux, le nord-ouest, le sud-ouest et le nord-est, qui semblent se partager l’empire de l’air aux États-Unis. Si l’on supposait l’année divisée en 36 parties, l’on pourrait dire qu’à eux trois ils en prennent 30 ou 32; savoir, 12 pour le nord-ouest; 12 pour le sud-ouest, et 6 ou 8 pour le nord-est et l’est: le surplus est distribué entre le sud-est, le sud et l’ouest. Le nord pur n’a presque rien. Chacun de ces vents étant accompagné de circonstances particulières, et devenant successivement dans l’atmosphère effet et cause de phénomènes considérables et différents, je vais entrer dans les détails nécessaires à faire connaître leur marche respective.
§ I.
Des vents de nord, de nord-est et d’est.
Le vent du nord direct est le plus rare des courants de l’air aux États-Unis: d’après les tables météorologiques que j’ai pu consulter à Boston, à Philadelphie, à Monticello, il ne souffle pas dans le cours d’une année huit jours par ces latitudes. Il semble être plus fréquent dans les plages du sud, d’après des observations faites à Williamsburg, et citées par M. Jefferson[99]; mais outre que ces observations trop sommaires sont vagues, il est probable que la direction de nord à Williamsburg est locale et causée par la position de cette ville sur un cours d’eau qui va droit au sud dans le fleuve James: il existe beaucoup de ces cas où un vent général sur un pays se trouve en certains cantons dévié de 30 à 80° par des bassins de rivière, par des sillons de montagnes, par des massifs de forêts, etc.; il y a du moins ceci de certain, que d’après tous les renseignements que j’ai recueillis, tant à l’est qu’à l’ouest des Alleghanys, le vent de nord direct est le moins fréquent des vents aux États-Unis[100].
Lorsqu’il se montre, il est plutôt humide que sec, plutôt nuageux que clair, et toujours froid.
Cette rareté du vent de nord semble au premier coup d’œil contrarier la théorie générale des vents, qui explique tout leur mécanisme par l’action du soleil sur l’atmosphère terrestre; par la dilatation inégale que ses rayons causent en diverses parties; par la lutte qui s’établit entre les masses d’air froid plus pesant, et les masses d’air chaud plus léger, pour rétablir l’équilibre et le niveau qui est la loi impérieuse et constante des fluides: d’où il résulte que l’océan aérien éprouve une agitation continuelle de courants qui se meuvent en divers sens; et que l’atmosphère dense et froide du nord doit exercer une pression habituelle et avoir une tendance constante à s’épancher et à se porter vers l’atmosphère chaude et dilatée des tropiques; mais outre que ce mécanisme général est soumis à certaines circonstances géographiques, nous aurons occasion de voir dans le cours de ce chapitre, que le cas actuel n’est pas même une exception au principe, et que la dette du vent de nord est amplement acquittée par deux de ses collatéraux, les vents de nord-ouest et de nord-est, qui s’alimentent du même fonds, et qui puisent aux mêmes sources que lui[101].
Vent de nord-est.
Ainsi que la plupart des vents, le vent de nord-est, en changeant de pays, change de caractère ou du moins de qualités. En Égypte, sous le nom de gregale, je l’avais trouvé froid, nuageux, pesant à la tête: sur la Méditerranée je l’éprouvais pluvieux, bourru, sujet aux rafales: en France, surtout au nord des Cévennes, nous nous en plaignons comme du plus sec de tous les vents: aux États-Unis, au contraire, j’ai vu qu’avec autant de raison l’on s’en plaint comme du plus humide et de l’un des plus froids. Le problème de ces diversités ou de ces contrastes se résout avec assez de facilité par l’inspection des cartes géographiques. En effet, en Égypte le vent nord-est arrive du nord de la Syrie et de la chaîne du mont Taurus, qui, par l’Arménie, va se joindre au Caucase, et qui, pendant plusieurs mois de l’année, est couverte de neiges: le courant de l’air qui en provient n’a pas le temps de s’humecter dans son court trajet sur l’extrémité de la Méditerranée; et il conserve sa froideur et presque sa sécheresse originelles: à mesure que l’on navigue vers l’ouest, ce même courant d’air, qui successivement décline de l’Asie mineure sur l’Archipel et sur la péninsule grecque, devient plus tempéré; et parce qu’il traverse ensuite la Méditerranée obliquement, sur une plus grande largeur, il y acquiert plus d’humidité et de moiteur, et finit par être pluvieux, particulièrement sur la côte d’Espagne.
En France, au midi des Cévennes, le nord-est venant des Alpes, ne peut être que sec et froid; mais il y est rare, parce qu’un autre courant collatéral, le mistral des Provençaux usurpe sa place: au nord des Cévennes le nord-est ne nous arrive qu’après avoir traversé une des plus longues lignes du continent, à travers les parties nord de l’Allemagne, puis la Pologne et la Russie; et certes dans ce vaste trajet il acquiert bien des raisons d’être sec, froid et de longue durée, tel que nous l’éprouvons... Si l’on s’écarte un peu au nord de cette ligne, il prend un caractère différent pour la côte de Suède, et il y devient grand pluvieux, non-seulement parce qu’il traverse de biais la mer Baltique et le golfe de Bothnie, mais encore parce qu’il vient de la mer d’Archangel, et que la Finlande marécageuse l’abreuve au lieu de le sécher. Par un nouveau contraste, la côte de Norwège, adossée immédiatement à celle de Suède, en l’éprouvant encore froid, ne l’éprouve cependant plus humide, et cela parce que le chaînon du Dofre, qui court presque nord et sud entre les deux pays, arrête les nuages, et purge de leur pluie le courant d’air qui les transportait[102].
Aux États-Unis, le vent de nord-est vient d’une étendue de mers dont la surface, prolongée jusqu’au pôle, le sature sans interruption d’humidité et de froid: aussi déploye-t-il éminemment ces deux qualités sur toute la côte atlantique: il n’est pas besoin de regarder le ciel pour savoir s’il souffle: dès avant qu’il se déclare, on peut le pronostiquer au sein des maisons, à l’état déliquescent que prennent le sel, le savon, le sucre, etc. Bientôt l’air se trouble; et les nuages, s’il en existait, n’en forment plus qu’un seul, sombre et universel. Dans les saisons froides, ou seulement fraîches, ce vaste nuage tombe en neige; et si l’air est chaud, il se résout en pluie opiniâtre.... Depuis le cap Cod, jusqu’au banc de Terre-Neuve, le vent de nord-est pousse sur la côte les brouillards les plus froids, les plus transissans que j’aie jamais éprouvés; il appartient aux physiologistes d’expliquer pourquoi à Philadelphie comme au Kaire, ce vent affecte la tête d’un sentiment douloureux de pesanteur et de compression: ce qu’il y a de certain, c’est que dans ces deux villes, j’ai senti également bien à mon réveil, avant de voir le ciel, si le nord-est régnait. Or, si une telle disposition de corps ou toute autre de ce genre est la conséquence nécessaire d’un état donné de l’atmosphère; s’il en résulte aussi nécessairement une disposition analogue d’esprit et de faculté pensante, ne s’ensuit-il pas que l’air exerce une influence majeure sur nos facultés physiques et morales, comme l’a si bien observé le plus grand des médecins dans son traité des airs, des eaux et des sites? et ne serait-ce pas à des causes de ce genre qu’il faudrait attribuer la différence frappante qui existe entre certains peuples, dont les uns ont généralement l’esprit vif, la conception aisée et rapide, tandis que d’autres ont l’esprit pesant et la perception obtuse et lente[103]?
Les qualités de vent de nord-est diminuent naturellement d’intensité sur la côte atlantique, à mesure que l’on s’avance plus au sud; mais elles demeurent reconnaissables jusqu’en Géorgie, et nommer ce vent depuis Québec jusqu’à Savanah, c’est désigner un vent humide, froid et désagréable.
Ce langage change lorsqu’on passe à l’ouest des Alleghanys: là, au grand étonnement des émigrants de Connecticut et de Massachusets, le nord-est et l’est sont des vents plutôt secs qu’humides, plutôt légers et agréables que pesants et fâcheux. La raison en est que là comme en Norwége, ces courants d’air n’arrivent qu’après avoir franchi un rempart de montagnes, où ils se dépouillent dans une région élevée des vapeurs dont ils étaient gorgés. Aussi n’est-ce que par des cas accidentels et rares, surtout en été, qu’ils transportent sur l’Ohio et le Kentucky les pluies que l’on y désire; et alors elles y durent au moins vingt-quatre heures, et quelquefois trois jours consécutifs, parce qu’il a fallu un vide considérable dans l’atmosphère du bassin de Mississipi, pour déterminer l’irruption de l’atmosphère atlantique, et qu’il faut un ou plusieurs retours du soleil sur l’horizon, pour que la chaleur de ses rayons rétablisse le niveau entre ces deux grands lacs aériens: ces ruptures d’équilibre sont plus fréquentes pendant l’hiver, à raison de l’état tempétueux de l’atmosphère sur la mer et le continent; alors il n’est pas rare que le nord-est et l’est traversent les Alleghanys, et jettent sur le pays d’Ouest des ondées de neige ou de pluie; mais bientôt leur antagoniste perpétuel, le sud-ouest, qui règne dans cette contrée dix mois sur douze, les chasse de son domaine et les force de se replier sur les monts. Là, s’établit entre eux une lutte habituelle, dont les efforts inégaux et variés sont l’une des causes de l’agitation de l’atmosphère pendant cette saison. Si par hasard ils se balancent l’un l’autre, leur double courant n’a d’issue qu’en s’élevant verticalement dans la région supérieure où ils se replient l’un et l’autre, glissent horizontalement ou se renversent dans les couches inférieures; mais tantôt le sud-ouest l’emporte, et il se répand jusqu’à l’Océan; et tantôt le nord-est est vainqueur, et il envahit jusqu’au Mississipi et au golfe du Mexique. C’est surtout aux équinoxes que le choc est violent et l’irruption impétueuse: alors que le passage du soleil à l’équateur, en refroidissant l’un des pôles qu’il quitte, et réchauffant l’autre qu’il éclaire, occasione un balancement général dans l’océan aérien; il arrive entre les masses opposées et les courants antagonistes, des ruptures d’équilibre dont les conséquences sont plus violentes et plus étendues. Aussi est-ce de préférence à cette époque, et dans les mois d’avril et d’octobre que se montrent les ouragans dont le vent de nord-est est l’agent le plus habituel aux États-Unis. Ces ouragans ont cela de particulier, que leur furie se déploie ordinairement sur une courte ligne d’un quart de lieue, quelquefois de trois cents toises de largeur, et seulement d’une ou deux lieues de longueur. Dans cet espace, ils arrachent et renversent les arbres des forêts, et ils y font des clairières, comme si la faux d’un moissonneur avait passé sur quelques sillons d’un champ de blé. En d’autres occasions plus rares, ils traversent le continent dans toute sa longueur, et cela par un mécanisme que j’aurai occasion d’expliquer à l’article du vent de sud-ouest.
La fréquence des vents de nord-est sur la côte atlantique peut s’attribuer en partie à la direction du rivage, et des montagnes de cette contrée, laquelle favorise le cours du fluide aérien. Des observations faites à Monticello, à Frederick-town, à Bethléem, prouvent que souvent tout autre rumb souffle dans l’intérieur des terres; quant à New-Port, à New-York, à Philadelphie, à Norfolk, des observations du même jour attestent le nord-est. Quelquefois ce vent lui-même en porte des preuves notoires sur sa trace, en versant sur le littoral des ondées de neige qui ne pénètrent pas dix milles dans l’intérieur. Ce cas arriva à Norfolk, le 14 février 1798, lorsque dans une seule nuit il tomba sur cette ville et ses environs plus de 40 pouces de neige, par un vent de nord-est, tandis qu’à dix lieues, au sein des terres, il n’avait pas même plu, et qu’il régnait plutôt un vent de nord-ouest, ainsi que l’observèrent plusieurs papiers publics.
Si le vent du nord-est varie ou dévie, c’est ordinairement pour passer à l’est, et ce dernier vent peut se considérer comme son suppléant et son alternatif naturel. Moins fréquent que lui, il participe à ses qualités pluvieuses et froides, surtout au nord des 40 et 41°: à mesure que l’on s’avance au sud, il devient plus tempéré, sans cesser d’être humide; ce qui s’explique de soi-même, à raison de la température des mers de ces latitudes. Il ne faut pas les confondre avec le vent d’est alizé des tropiques. Celui-ci ne s’élève jamais au delà des 30 ou 32° de latitude, et seulement lorsque le soleil, au solstice d’été, entraîne de ce côté la zone d’air qu’il gouverne, en établissant un foyer d’aspiration dans les parties nord de ce continent. En hiver l’alizé d’est se replie jusque vers le 22 et 23°, étant d’une part repoussé par l’atmosphère refroidie de l’Amérique nord, et de l’autre attiré par un nouveau foyer établi dans l’Amérique sud par le soleil perpendiculaire au Paraguay. Dans les deux cas, lors même que les vents irréguliers de nord-est et d’est règnent sur l’Atlantique, leur empire est presque toujours séparé de celui de l’alizé par une frontière, ou de calme ou de contre-courants que cause leur inégalité en température, en densité, en vitesse. Il y a d’ailleurs entre eux ce cachet distinctif que les vents continentaux de nord-est et d’est, malgré l’irrégularité de tout le système de leur zone, affectent de paraître aux deux équinoxes pendant les 40 ou 50 jours qui suivent le passage du soleil à l’équateur: aussi est-ce la saison la plus favorable pour se rendre d’Europe en Amérique; celle dont profitent les vaisseaux de commerce, qui plus tard ou plus tôt sont exposés à de longs passages, à raison des vents de sud-ouest et de nord-ouest qui dominent l’Océan atlantique, l’un en hiver et l’autre en été, et qui dans toutes les saisons ne permettent que des apparitions courtes et interrompues aux vents de sud-est et de sud dont je vais parler.
§ II.
Vents de sud-est et de sud.
Le vent du sud-est aux États-Unis a plusieurs traits de ressemblance avec le scirocco de la Méditerranée, qui est aussi un sud-est: comme lui, il est chaud, humide, léger, rapide; comme lui, il affecte la tête d’un sentiment pénible de pesanteur et de compression; mais à un degré infiniment moins fâcheux que le scirocco.
Si l’on remarque que le kamsinn, ou vent du sud, produit en Égypte la même sensation; que dans d’autres pays tels que Bagdad, Basra, c’est le vent du sud-ouest; et que dans tous, c’est toujours un courant d’air qui a balayé des surfaces terrestres brûlantes et sèches, l’on conclura que cet effet physiologique est dû à l’action sur nos nerfs d’une qualité ou d’une combinaison particulière du calorique ou fluide igné. La différence d’intensité qui existe entre ces divers vents favorise elle-même cette induction; car si, comme il est de fait, le sud-est américain est moins pénible que le sud-est italien, l’on peut l’attribuer au long trajet du premier sur l’Atlantique dont l’humidité a neutralisé les exhalaisons du continent africain, tandis que le scirocco n’a pas eu le temps d’acquérir cet avantage sur le bassin étroit de la Méditerranée; et cependant il le possède plus que le kamsinn et que le sud-ouest de Bagdad, qui ne parcourent que des continens. Or, si tels sont les effets physiologiques de certains airs, qu’ils rendent le corps paresseux, la tête lourde, et l’esprit inapte[104] à penser, serait-il étonnant que dans certaines parties de l’Afrique où un tel air est habituel, les indigènes eussent réellement contracté les habitudes paresseuses de corps et d’esprit que l’on remarque à quelques peuples noirs, et que par le cours des générations elles se fussent tournées en nature, qui par cela même pourrait à son tour être changée par une habitude des circonstances contraires.
Revenant aux États-Unis, lorsque le sud-est se montre en hiver sur la côte atlantique, ce qui arrive surtout aux approches de l’équinoxe, il produit parfois, jusqu’au Canada, des dégels passagers qui ont le fâcheux effet de gâter les provisions de viandes que l’on fait dans les pays froids, dès le mois d’octobre, pour cinq ou six mois. Plus au sud, ces dégels trompent perfidement la végétation, en provoquant, dès janvier et février, des fleurs qui ne devraient paraître qu’après l’équinoxe, et que le retour infaillible des gelées ne manque pas de détruire.
Vers l’équinoxe, surtout vers celui de printemps, le sud-est produit, particulièrement dans les embouchures de l’Hudson, de la Delaware, et dans la baie de Chezapeak, des tempêtes courtes mais violentes; leur durée est assez ordinairement de 12 heures; elles ont ceci de singulier, que leur furie s’exerce comme un ouragan, sur un espace limité de 10 ou 20 lieues de longueur et de 4 ou 5 de large, sans que hors de cet espace l’on s’aperçoive du moindre mouvement. J’ai connu deux exemples de ce phénomène à New-York et un à Philadelphie, où pendant 12 heures l’on avait essuyé une si violente tempête, que l’on croyait apprendre la perte de tous les vaisseaux voisins de la côte; cependant, 12 heures après, les vaisseaux arrivèrent sans avoir remué une voile, et sans avoir senti le moindre vent extraordinaire.
Cette irruption violente d’un vent léger et chaud ne peut s’expliquer par la théorie ordinaire des pesanteurs spécifiques, puisque tout autre vent est plus froid et plus dense que le sud-est: il faut donc admettre l’expansion d’une masse considérable de cet air chaud qui repousse et chasse l’air plus froid dont il est environné. La forme de cône ou d’entonnoir des baies et embouchures des fleuves, où ce phénomène a lieu de préférence, prête à cette explication, en ce qu’un grand volume d’air poussé dans ces entonnoirs est obligé de s’échapper par un canal de plus en plus resserré: il y agit presque à la manière des eaux d’un étang contenu par de hautes digues, auxquelles on ouvre d’étroites issues: là où la résistance le tient en équilibre, le liquide demeure calme: mais il s’élance avec impétuosité là où elle vient à manquer; et cette impétuosité a pour double cause la pression qu’il éprouve d’une part, et l’espace plus grand où il se développe de l’autre, en sortant de ses conduits resserrés. Dans le cas dont il s’agit, cet espace vide est nécessairement dans la région moyenne de l’air, à une élévation peut-être de moins de 1000 mètres; et le torrent du sud-est s’y échappe en montant comme tous les airs chauds: il y est ou condensé par la couche supérieure qui s’y trouve au terme de glace; ou bien, glissant sous elle, il s’échappe horizontalement, et peut-être se replie sur lui-même, et forme un tourbillon dont le centre ou l’axe est en l’air à une hauteur de 5 ou 600 mètres, et dont la circonférence balaye et rase la terre. Mais quelle est la cause première de ce vide sans tonnerre et sans météores préalables, du moins sans qu’on en ait vu? Il faudrait pour résoudre ce problème, avoir rassemblé toutes les circonstances du phénomène; avoir connu sa manière d’agir, du moins, en divers points de sa sphère d’action et de sa circonférence; connaître enfin l’état de l’air et ses directions, avant et après la crise; or, comme ces données positives m’ont manqué, je ne sait pas y suppléer par de pures hypothèses.
Du vent de sud.
Le vent de sud direct, que l’on croirait plus chaud que le sud-est, est néanmoins plus tempéré aux États-Unis. Pendant l’été, saison où il se montre plus fréquemment, on le regarde comme une brise agréable, et presque rafraîchissante, à raison de la vapeur humide dont elle abreuve l’air: j’ai trouvé que cette vapeur, tant à New-York et à Philadelphie qu’à Washington, avait une odeur frappante de marécage de mer, telle que celle des huîtres, laquelle décèle sa source d’une manière moins agréable qu’on ne veut le dire. L’on ne peut cependant lui refuser le mérite de tempérer l’excessive ardeur du soleil et la réverbération encore plus brûlante de la terre dans les mois de juin, juillet et août: c’est pour jouir de cette brise de sud, que dans tout le continent américain l’on préfère l’exposition des maisons au midi, comme en France nous préférons celle à l’est et au sud-est: dans les États-Unis, elle a cet avantage qu’en été le soleil est assez élevé sur l’horizon pour ne point s’introduire dans les appartements protégés par les porticos ou piatzas, dont l’usage est général. En hiver, l’astre abaissé introduit dans les maisons ses rayons que l’on désire, et il y fait sentir sa chaleur, en dépit du nord-ouest, qui trop souvent accompagne sa clarté. Dans cette même saison, si le vent de sud est quelquefois assez froid, c’est qu’il a passé sur quelques neiges dont la terre se couvre momentanément, même en Caroline. Et si d’autres fois il en apporte lui-même au lieu de pluies, c’est parce que dans sa route aérienne il a rencontré des nuages du nord-est et de l’est, qui n’ont pas eu le temps de se replier. Mais de telles neiges fondent de suite, ou deviennent de la pluie en tombant. Six heures de durée suffisent à rendre au vent de sud le caractère de chaleur moite qu’il tire des mers tropicales où il prend naissance: je lui ai vu donner à Philadelphie, le 10 mars 1798, une véritable température de Floride. En été, lorsqu’il est plus rapide qu’à son ordinaire, il ne tarde pas d’amener des orages, et l’on remarque à Louisville et en d’autres lieux situés sur l’Ohio, que s’il dure 12 heures continues, il ne manque pas d’amener du tonnerre; or, en calculant sa marche à un terme moyen de 16 ou 17 lieues à l’heure, selon une estimation que des expériences sur la vitesse des vents rendent plausible, c’est précisément le temps qu’il lui a fallu pour apporter les nuages du centre du golfe mexicain, distant de 10 à 12°. La fréquence du vent de sud en cette saison prouve qu’il existe alors un foyer d’aspiration dans le nord du continent: mais il reste à savoir si ce foyer est au-delà ou en deçà de la chaîne algonkine, qui borde les lacs à leur nord. Ce fait ne peut être constaté que par des observations établies simultanément sur une ligne, depuis le rivage de Floride par le Kentucky, les lacs Érié, Huron et la chaîne algonkine jusqu’aux bords de la baie de Hudson; elles jetteraient un grand jour sur le jeu correspondant de l’atmosphère du pôle et de l’atmosphère du tropique, ainsi que sur la lutte et sur le balancement des courants du nord-ouest et du sud-ouest, qui sont les principaux vents des États-Unis.
§ III.
Du vent de sud-ouest.
Le vent de sud-ouest, l’un des trois grands dominants aux États-Unis, y est plus fréquent pendant l’été que pendant l’hiver, et plus habituel dans le pays de l’Ouest que sur la côte atlantique; en hiver, l’on dirait qu’il a de la peine à franchir les Alleghanys; et réellement il paraît que les vents de nord-ouest, de nord-est et d’est, plus puissants dans cette saison, lui interdisent le passage des monts. Quelquefois néanmoins il profite de leurs déviations, ou surmonte leur obstacle, et il se montre sur la côte atlantique plus impétueux, et surtout plus froid qu’il n’appartient à son habitude et à son origine: l’on eu sent aisément la raison, quand on considère qu’il a traversé la région élevée des Alleghanys, souvent couverts de neiges pendant l’hiver, et qu’il a trouvé dans l’Ouest une terre abreuvée de pluie, dont l’évaporation ne peut que le refroidir.
Au printemps, devenu plus fréquent, il apporte lui-même des neiges passagères, des ondées de pluie et même de grêle, qui cependant paraissent plutôt dues aux vents de nord-est et de nord-ouest, dont il replie et chasse les nuages amoncelés sur les Alleghanys: ces monts deviennent eux-mêmes le champ clos visible des combats de ces courants d’air opposés: souvent l’on peut de la plaine observer les nuages marchant vers Blue-ridge, par les vents d’est ou de nord-est: bientôt s’y arrêtant, y demeurant stationnaires, puis tantôt s’y fondant en pluie, tantôt revenant sur leurs pas, chassés par le sud-ouest, qui à son tour s’établit pour quelques heures. Je fus témoin de ce spectacle dans la soirée que je passai à Rock-fish-gap, sur Blue-ridge; et mon hôte, sans être physicien, m’en donna des raisons très satisfaisantes.
Ce n’est que vers le solstice d’été que le sud-ouest règne sur la côte atlantique d’une manière plus constante qu’aucun autre vent. Il y devient l’agent principal des orages qui se multiplient dans les mois de juillet et d’août, et qui sont infiniment plus violents que les nôtres en France. Souvent la brise du sud, qui a coutume de s’élever vers 10 ou 11 heures, fait place au sud-ouest, qui dans l’après-midi remplit le ciel de nuages orageux: deux ou trois heures se passent en éclats de tonnerre, d’un bruit prodigieux, et en éclairs, d’un volume vraiment énorme; la crise se termine avant le coucher du soleil, par des ondées, tantôt plus et tantôt moins abondantes.
L’équinoxe d’automne apporte un changement à cette direction du courant de l’air, et c’est alors son opposé diamétral, le nord-est, qui pendant 40 à 50 jours a la prépondérance sans néanmoins régner seul: après cette période, le sud-ouest, qui n’avait pas été entièrement éteint, se ranime et partage le reste de la saison avec le nord-ouest qui s’éveille, et avec l’ouest direct qui est le plus égal, le plus serein et le plus agréable des vents de ce continent.
La marche du sud-ouest dans le bassin du Mississipi et d’Ohio, jusque sur le fleuve Saint-Laurent, est plus régulière et plus simple; l’on peut dire en deux mots que ce vent domine depuis la Floride jusqu’aux lacs, et à Montréal pendant dix mois de l’année. Les deux mois où il est le plus silencieux, sont ceux du solstice d’hiver, pendant lesquels le nord-ouest et le nord-est occupent l’atmosphère. Après cette époque, il se ranime en proportion de l’élévation du soleil au zénith, et il acquiert de telles forces qu’en juillet et en août, il est presque alizé en Louisiane, en Kentucky, et jusque sur le lac Champlain, pendant 40 à 50 jours; il domine presque également sur le Saint-Laurent; et pour remonter ce fleuve à la voile, l’on attend quelquefois un mois de suite des vents d’est ou de nord-est, qui alors même sont peu durables. C’est encore le sud-ouest qui, vers le 20 avril, fond les glaces du Saint-Laurent, comme c’est le nord-ouest qui les établit à la fin de décembre. Le sud-ouest est, avec le sud, le vent chaud du Canada, du Vermont, du Genesee; mais il n’a ce caractère bien marqué que pendant l’été: il se rafraîchit dans les autres saisons, en proportion de l’abaissement du soleil à l’horizon, et du rapprochement des terres vers le pôle. Il se montre au contraire plus chaud, à mesure que l’on revient vers le Kentucky, le Tennessee et le golfe du Mexique, qui est son foyer originel.
A raison de ce voisinage, il procure à la Basse-Louisiane une température si élevée, pendant les quatre mois d’hiver, que malgré l’apparition assez fréquente des vents de nord-nord-ouest et d’est, l’on peut s’y permettre la culture de la canne à sucre, surtout celle d’Otahiti: mais il fait racheter cette faveur pendant les quatre mois d’été, par des chaleurs accablantes et des orages extrêmement violents et presque journaliers, de l’espèce de ceux qu’aux Antilles l’on appelle grains blancs. La mousson de ces orages commencé après le solstice, et suit une marche progressive digne d’attention. D’abord c’est vers les cinq heures du soir, lorsque la chaleur étouffante et humide est parvenue à son comble, que les nuées orageuses s’élèvent et accourent du bas du fleuve et de la partie sud-ouest du golfe: chaque jour l’apparition de ces nuées anticipe de quelques minutes; en sorte que vers le milieu du mois d’août, les tonnerres se déclarent vers deux heures après midi; de violentes ondées précèdent et suivent leurs éclats effrayants; au coucher du soleil tout se pacifie; le ciel redevient calme, tantôt serein, tantôt voilé de brouillards qu’exhalent d’immenses marécages et un sol fumant; la nuit se passe tranquille, mais fatigante par sa chaleur calme, et surtout par les maringouins. Le lendemain matin, la chaleur se ranime à mesure de l’élévation du soleil à l’horizon et de l’état calme de l’air; dans l’après-midi la crise de la veille recommence[105]: le vent du sud-ouest pousse ces nuées orageuses dans l’intérieur du pays, sur le Tennessee et le Kentucky, où elles en rencontrent d’autres fournies par les rivières, les swamps et les lacs; par ce moyen, la série des orages s’étend et se prolonge avec des forces renaissantes jusqu’au Canada.
Maintenant, pour bien apprécier les effets et l’action de ce grand courant d’air sur la surface du sol qu’il parcourt, et qui lui sert en quelque sorte de lit; pour bien calculer le caractère et la puissance du foyer dont il émane, c’est-à-dire l’atmosphère du golfe mexicain, il faut se retracer plusieurs circonstances géographiques et nautiques de ces parages: il faut remarquer que le centre du golfe est immédiatement situé sous le tropique; que pendant les six mois d’été, toute la surface de ses eaux est frappée d’un soleil vertical et brûlant, qui provoque une évaporation énorme. Que pendant les six mois d’hiver, l’action de cet astre y est encore si vive, que les gelées n’approchent point de cette mer: que les plages d’Youcatan, de Campêche, de la Vera-cruz, des Florides et de Cuba, sont connues pour être d’une chaleur insupportable; qu’en effet la chaleur doit y être d’autant plus intense, que le bassin presque circulaire du golfe, enclos d’îles et de terres, n’admet pas une libre ventilation; qu’enfin les marins citent cette mer pour être la plus féconde de toutes celles de la zone torride en orages, en tonnerres, en trombes, en tornados ou tourbillons, en calmes étouffants et en ouragans, tous accessoires naturels d’un air embrasé et pourtant humide.
Ces circonstances rendent déja raison des qualités que nous avons reconnues au vent de sud-ouest sur le continent américain; mais l’observateur ne doit point borner là ses regards; il doit encore rechercher quelle source inépuisable et première fournit à la déperdition journalière et immense de ce réservoir aérien: or, s’il porte sur la carte un œil attentif[106], il remarquera que les deux seules embouchures ou issues du golfe sont situées entre Cuba et les presqu’îles d’Youcatan et de Floride; que par celle d’Youcatan, la plus considérable des deux, le golfe reçoit les courants d’eau et d’air de la mer de Honduras, qui elle-même les reçoit à son tour de la mer des Antilles, ouvertes dans l’Océan atlantique; que par le canal de Floride et de Bahama, le golfe perd et vide continuellement ses eaux dans le même Océan, et que l’accès de l’air y est obstrué par une triple chaîne d’îles; il remarquera que ces deux issues sont placées entre les 20 et 24° latitude nord, et que même celle d’Youcatan, par sa communication médiate avec la mer des Antilles, ouvre et dilate réellement son embouchure jusqu’au 10e degré; or, il sait que c’est précisément sous les latitudes de 10 à 24° que les vents alizés du tropique soufflent toute l’année des parties d’est sur l’Océan atlantique: il apprend des marins que ces vents alizés naissent à 80 ou 100 lieues des côtes d’Afrique; qu’ils traversent l’Océan avec un vitesse d’environ 32,400 mètres[107] (à peu près 8 lieues) à l’heure; qu’ils arrivent à la chaîne des Antilles, sur un front d’environ 10° ou 200 lieues marines: il conçoit que cet énorme fleuve d’air doit franchir les îles, comme un fleuve d’eau franchit des rocs semés dans son lit; qu’il entre dans la mer des Antilles, et que là, emprisonné à droite par les terres de Saint-Domingue et de la Jamaïque, à gauche par celle du continent méridional, il est forcé de poursuivre son cours dans la mer de Honduras, et finalement d’entrer dans le golfe du Mexique..... et dès lors le problème est éclairci et résolu.
En effet, c’est réellement le vent alizé de l’Atlantique qui, par la marche que je viens de décrire, alimente l’atmosphère du golfe, et y produit la plupart des phénomènes dont il est le théâtre. Il y arrive d’autant plus puissant, que, depuis la chaîne des Antilles, il resserre de plus en plus son courant, et accumule ses forces sur un moindre espace: sans doute cette chaîne a d’abord brisé et morcelé son courant, comme les rocs et les récifs divisent un torrent d’eau, ou même comme les piles d’un pont divisent le courant d’une rivière. Comme les courants d’eau, le torrent aérien a éprouvé un mouvement de remous et de tourbillons aux avant-becs de ces îles qu’il heurte; il s’est partagé et comprimé pour s’échapper par leurs détroits. Cette compression l’y rend plus rapide: il se déploie avec plus de force à leur issue, et il forme des tournoiements à leurs arrière-becs, dont chaque courant se dispute le vide; la navigation locale des îles rend sensibles tous ces accidents, par les directions diverses que prend le vent plus près ou plus loin, au-dessus ou au-dessous de leurs masses émergentes: c’est absolument le même mécanisme que celui d’un courant d’eau, à la légèreté près du fluide; et l’étude attentive de tous les tourbillonnements qui ont lieu sous un pont ou à travers les rocs d’un torrent, donne en petit une idée exacte de ce qui arrive dans le cas actuel, et en général à tous les courants aériens.
L’alizé de l’Atlantique, parvenu à l’isthme de Mosquitos, semblerait devoir ou pouvoir franchir cette digue; mais malgré sa légèreté, il agit encore plus qu’on ne l’imagine à la manière de l’eau, et il ne sort qu’avec difficulté des canaux et des lits dans lesquels il coule ou seulement repose: plusieurs faits ici prouvent que les montagnes de l’isthme de Mosquitos, qui sont le prolongement de la chaîne des Andes, lui opposent un obstacle efficace et l’empêchent d’entrer dans l’océan Pacifique. Pour bien apprécier la distribution d’air qui se fait à ce lieu; nous aurions besoin de deux données, savoir, la hauteur précise de ces montagnes, et l’épaisseur de la couche ou courant d’air: il est possible que cette couche soit moins épaisse qu’on ne serait porté à le croire, les aérostats nous ayant appris que souvent les couches de l’atmosphère n’excèdent pas 200 mètres, et qu’elles glissent et coulent les unes sur les autres en sens quelquefois diamétralement opposé, de manière que dans une ascension de 800 à 1200 mètres, l’on trouve ou l’on peut trouver deux ou trois vents divers; de nouvelles applications des aérostats à ce genre d’observation dans le cas dont je parle et dans d’autres semblables, pourraient rendre à la science aérologique des services que sous d’autres rapports ils ont jusqu’ici assez vainement promis.
Quant à la chaîne transverse de Mosquitos, supposons-la seulement de 300 toises (600 mètres) d’élévation; elle sera déja capable de barrer le courant alizé dans une étendue plus que suffisante à lui conserver toute sa puissance: la portion supérieure qui s’en échapperait ne serait qu’un trop-plein inutile; et l’on a droit de croire que ce trop-plein n’existe pas; car on ne trouve point sa trace au revers occidental de ces montagnes, sur la côte de la mer Pacifique: les vents sur cette côte suivent une marche tout-à-fait différente; l’on y a des brises locales de terre et de mer qui s’étendent à plusieurs lieues du rivage d’une manière indépendante de tout autre système que le leur: ce n’est qu’à environ 40 lieues au large que soufflent des vents généraux, qui surtout en été sont de la partie d’ouest, par conséquent diamétralement opposés à l’alizé; ces vents règnent depuis le 10e degré de latitude jusqu’au 21e, c’est-à-dire sur toute la côte de Mexique, entre le Cap-corientes et le Cap-blanc de Costarica. L’on ne saurait dire que l’alizé s’échappe latéralement par l’isthme de Panama, puisque dans ces parages, les vents de la mer Pacifique viennent en été des parties de sud et sud-ouest opposées à l’est. Ainsi, il est constant que l’isthme de Mosquitos et sa chaîne, quelle que soit sa hauteur, sont une frontière de séparation entre deux systèmes de vents différents.
L’alizé atlantique, ainsi barré, doit cependant trouver une issue: celle du canal de la Jamaïque, large et libre, s’offre de préférence à toute autre. Il y porte donc son courant, et il entre dans la mer de Hondouras. Quelques portions latérales de ce vent effleurées par les terres, paraissent se détacher de son courant: car les marins observent que depuis le cap Vela, pointe de Maracaïbo, les vents varient et diffèrent dans une ligne parallèle au courant principal, et en fermant au sud les golfes de Sainte-Marthe, de Cartagène, du Darien et de Porto-Bello; quelques-uns sont aspirés par les bassins des grandes rivières et par les hautes montagnes de terre ferme, et soufflent de nord-est à nord-ouest. D’autres soufflant ouest, sont de véritables contre-courants semblables à ceux qu’on observe dans toutes les rivières rapides, et dont le Mississipi offre des exemples si frappants qu’ils aident en partie à remonter ce fleuve; tandis qu’à la droite du grand courant aérien, une autre portion détachée forme les vents de sud qui soufflent en été de juin en août, sur la côte méridionale de Cuba et de la Jamaïque. Ainsi, par un dernier trait de ressemblance avec l’eau, le courant aérien ne jouit de toute sa force que dans la ligne libre et droite de son canal.
A son entrée dans la baie de Hondouras, il décline un peu, et devient sud-est: et comme il ne rencontré plus d’obstacles, il entre sous cette ligne dans le golfe du Mexique: je dis qu’il ne rencontre plus d’obstacles, parce que la presqu’île d’Youcatan est une terre de sables, si basse qu’elle ne lui en oppose aucun: aussi don Bernard de Orta, à qui l’on doit une instructive dissertation[108] sur les vents de la Vera-cruz, observe-t-il que le sud-est est le dominant de tous ces parages.
Maintenant, représentons-nous un volume d’air d’environ 90 à 100 lieues de largeur, sur 200 ou 300 toises de hauteur, affluant comme un torrent qui court au moins 400 toises ou 800 mètres à la minute, et imaginons ce que peut devenir cette immense quantité de fluide accumulé dans l’espèce de cul-de-sac que forme le bassin circulaire du golfe. Il est évident que par un effet composé et de la courbe des terres qui lui servent de rivage, et de la diminution graduelle de sa force d’impulsion, ce torrent aérien, d’abord vu en masse, prend un mouvement de tournoiement dont l’axe ou vortex, variable, selon certaines circonstances, s’établit principalement vers le nord du golfe, d’où le trop-plein se verse sur les terres adjacentes; de là une cause fondamentale de tous les phénomènes que nous présentent et l’atmosphère de ce local, et le sud-ouest continental qui en dérive.
Ensuite analysé dans ses détails, ce vaste courant se subdivise en plusieurs branches qui suivent des lois qui lui sont propres et des directions que les localités leur imposent.
La première et la plus latérale de ces branches, celle qui, après avoir traversé l’Youcatan, prolonge les terres de la Vera-cruz et de Panuco, obéissant à sa direction propre et à celle des montagnes de Tlascala, se porte vers l’intérieur du Mexique et remonte par les bassins des rivières de Panuco, de Las-naças, Del-norte ou Bravo, et de toutes leurs affluentes jusqu’aux montagnes de la Nouvelle-Biscaye, du Nouveau-Mexique et de Santa-Fé: j’oserais dire sans connaître les vents de l’intérieur de ces pays, que les dominans y sont du sud à l’est, dans toute la partie qu’arrosent les rivières dont j’ai cité le nom.
Ce doit être cette même branche de vent qui, parvenue sur les montagnes du Nouveau-Mexique, prend un autre caractère, et qui se versant sur la côte de nord-ouest, si bien explorée par Vancouver, domine pendant l’été sur les parages de Noutkâ: le capitaine Meares qui, dès 1791, y avait fait plusieurs bonnes observations, nous y représente ce vent de sud-est comme un vent violent, tempétueux, pluvieux, brumeux, et d’un froid piquant; ce qui est un cas nouveau pour le sud-est, dans tout l’hémisphère boréal; mais ce vent acquiert cette qualité en passant sur les neiges et sur les glaces qui couvrent les montagnes du Nouveau-Mexique, glaces qui ont mérité à leur chaîne, parmi plusieurs noms, ceux de Icy, ou Monts de glace et de Shining ou Brillants. Il paraît que ces montagnes ont une élévation digne de la Cordillière des Andes dont elles sont le prolongement, et que le sud-est Noutkan doit sa force à leur hauteur: car le même navigateur Meares observe que, plus loin au sud, le vent dominant sur cette mer, faussement appelée Pacifique, est pendant l’été le vent d’ouest, qui règne jusqu’au 30°, «où commence, ajoute-t-il, la zone des vents alizés d’est[109];» c’est-à-dire que ce parallèle (le 30°) est la frontière de deux vents diamétralement opposés: cas singulier en apparence et pourtant naturel et commun: ce vent d’ouest, doux, serein, clair et beau, étant le contre-courant de l’alizé d’est, torrent principal, rapide et presque impétueux; c’est de leur frottement que naissent ces tourbillons, ces vents variables, ces remous, ces calmes, qui ont été si funestes aux vaisseaux qui, les premiers, firent leur retour en Chine, en suivant ce même parallèle.
Retournant au golfe du Mexique, une seconde branche de l’alizé atlantique, intérieure à la précédente, et formant la majeure partie de ce courant, se dirige vers les plages de la Louisiane et des Florides: sa ligne, comme l’on voit, devient sud-ouest: cependant, sur le Mississipi même, elle est plutôt sud direct, car les navigateurs de ce fleuve observent que sur son lit il ne règne proprement que deux vents, le sud et le nord: la raison en est, comme pour toutes les rivières, que la direction du vêtît y est maîtrisée et décidée par celle du lit et de sa vallée. Il est d’ailleurs naturel qu’avant de tourner totalement sud-ouest, une portion se soit détachée sud; et cette portion ou rumb doit dominer sur les parages de la baie Saint-Bernard.
Une troisième branche en retour vers la presqu’île de Floride, essaie de la franchir et de s’échapper sur l’Océan atlantique; mais elle est forcée de se replier dans le golfe, parce qu’elle rencontre, surtout en été, le vent alisé d’est, dont la zone s’étend alors sur l’atlantique jusqu’aux 30 et 32°. Le reversement de cette branche et son addition à la précédente, deviennent l’une des raisons pour lesquelles, à cette époque, c’est-à-dire en juillet et août, le sud-ouest redouble de force sur le continent des États-Unis.
Enfin la portion centrale du grand tourbillon, maintenue en une sorte d’équilibre par des mouvements opposés, est l’agent et le siége des vents variables, des calmes étouffants, des orages qui en sont la suite, et de tous les incidents propres à ce golfe. Ces données du raisonnement sont confirmées par les récits positifs des navigateurs. Don Bernard de Orta, capitaine du port de la Vera-cruz, établit[110] que dans la partie sud du golfe, les vents dominants, surtout en été, sont le sud-est et l’est; qu’en hiver ils inclinent jusqu’au nord-est avec des rafales de nord, courtes dans leur durée, mais terribles dans leur action. Bernard Romans, voyageur anglais qui en 1776 publia sur les Florides un ouvrage plein d’instruction et de sens, observe[111] que dans la courbe qui attache la presqu’île de Floride au continent, les vents dominants, surtout en automne, sont le nord-ouest et l’ouest; et ces deux directions sont précisément la ligne du courant d’air en retour dans son tournoiement. Enfin ces deux écrivains insistent, avec tous les navigateurs, sur la fréquence des trombes, des tourbillons, des grains orageux, des calmes et des ouragans de cette mer.
Quelques physiciens ont déja aperçu qu’entre les ouragans des golfes de Mexique et ceux du continent, même en des lieux très-reculés dans le nord, il existait une correspondance singulière d’action et de temps. En 1757, Franklin, comparant les heures où s’était fait sentir en divers lieux un ouragan qui au mois d’octobre traversa le continent, depuis Boston jusqu’à la Floride occidentale, trouva que le déplacement de l’air n’avait commencé à Boston que plusieurs heures après avoir commencé sur la côte du golfe, et que de proche en proche, l’avance ou le retard avait été proportionnel aux espaces: c’est-à-dire que l’ouragan s’était fait sentir d’abord au lieu où le vent allait, et qu’il avait fini vers le lieu d’où le vent venait; ce qui à cette époque où ce sujet était neuf, ne parut qu’une bizarrerie de physique; mais Franklin en conçut avec sa sagacité ordinaire, que le foyer du mouvement était placé sur le golfe, et que c’était par l’effet d’un vide subit dans l’atmosphère de ce golfe, que l’air du continent, aspiré de proche en proche, s’était précipité pour remplir le déficit.
Des faits postérieurs ont confirmé ce premier aperçu, et ils lui ajoutent de temps à autre quelques preuves nouvelles: presque tous les ans, du 10 au 20 octobre, l’on éprouve dans le nord des États-Unis, et particulièrement sur le lac Érié, un ouragan de douze à quinze heures, du quart de nord-est à nord-ouest; et précisément à la même époque, les gazettes font presque toujours mention de quelque ouragan dans les parages de la Louisiane et des Florides, par des vents du quart de nord. L’attraction, ou plutôt l’aspiration, est bien indiquée; mais il reste à expliquer comment se fait le vide, et pourquoi, dans la contrée des Alleghanys, c’est le courant de nord-est qui est spécialement attiré; car c’est lui qui est l’agent le plus habituel des ouragans intérieurs, soit généraux, soit partiels. En m’occupant de l’histoire des vents, et combinant les diverses idées que ce sujet m’a fournies sur le mécanisme des orages, il m’a semblé que ce problème, assez curieux en physique, ne m’était pas entièrement insoluble.
La chimie, il est vrai, n’a point encore analysé les nuages orageux, ni leur manière d’agir les uns sur les autres; elle n’a point décomposé leurs parties constituantes, au point de faire connaître tous les agents et tous les effets des détonations, des dissolutions subites qui en sont la suite, et des condensations aussi subites qui réduisent un volume très-considérable d’eau vaporisée en un petit volume de pluie et d’air refroidi: mais les faits matériels et plusieurs faits subséquents sont connus, et d’induction en induction, ils conduisent à des résultats satisfaisants.
L’on sait qu’il n’y a pas de nuages sans surfaces humides; que les nuages sont le produit de l’évaporation des eaux et des principes volatils qu’elles contiennent; que cette évaporation est abondante en raison de la chaleur, de la sécheresse et du renouvellement de l’air; que par conséquent les vapeurs nuageuses sont une combinaison des molécules de l’eau avec les molécules du calorique ou fluide igné, ou électrique; car tous ces mots ne représentent à mon esprit qu’un même principe, soit pur, soit modifié. Ce principe léger et centrifuge de sa nature, enlève l’eau essentiellement pesante, et il en forme, si j’ose le dire, de petits ballons, capables de flotter, ou voguer dans l’air, et pareillement électriques en plus ou moins grande proportion: ainsi l’on peut dire que les nuages sont des espèces de sels neutres volatils composés de calorique, d’air et d’eau, dont les élémens constituants redeviennent sensibles à l’instant de leur réduction ou détonation: savoir, l’eau par la pluie qui tombe, le calorique par l’éclair qui brille et s’échappe, et l’air d’une manière quelconque moins sensible aux yeux: cependant tous les nuages ne sont pas orageux ou tonnerriques: pour être tels, il paraît qu’ils ont besoin d’une quantité plus forte de calorique, et qu’ils sont susceptibles de s’en charger à des doses diverses: il paraît encore que sur la mer, l’abondance du fluide aqueux, et la température, toujours plus modérée que sur terre à égalité d’atmosphère, ne leur permettent pas de se charger d’autant de calorique, ni d’être aussi orageux ou détonnants; et en effet, les marins remarquent qu’il y a moins d’orages sur la pleine mer; qu’ils y sont moins violents, et que c’est à l’approche des terres qu’on les trouve plus fréquents et plus forts: par conséquent l’intensité de la chaleur, ou l’abondance du calorique, occasionée par la réverbération des terres, est une cause déterminante, un principe constituant d’orage; il faut y ajouter une foule d’autres matériaux abondants sur la terre, et rares ou nuls sur l’eau, tels que les substances minérales volatiles, le soufre, les gaz de diverses espèces qui se dégagent en quantités très-considérables des corps animaux et végétaux, en putréfaction ou en simple macération: cet état a lieu surtout dans les terrains marécageux et fangeux, dont la pâte est susceptible d’un degré de chaleur bien plus élevé que l’eau pure: or, cette circonstance se trouve jointe, de la manière la plus remarquable, à toutes les autres dans le local dont nous traitons; car tout le Delta du Mississipi est un terrain à demi submergé d’eaux, partie douces, partie saumâtres. Toute la rive droite ou occidentale de ce fleuve, sur une longueur de plus de cent cinquante lieues et une largeur moyenne de vingt, est un terrain noyé chaque année par les débordements: toute la côte nord du golfe, depuis la baie de Mobile jusqu’à la baie Saint-Bernard, et même à la rivière del Norte, sur un développement de deux cents lieues, n’est formée que de marécages. Enfin, les plages d’Youcatan, de Cuba, de Campêche et de la presqu’île de Floride, en sont abondamment parsemées; et l’on conçoit que toutes ces surfaces qui composent plusieurs centaines de lieues carrées, doivent fournir une énorme quantité de gaz inflammable et d’autres matériaux d’orages...
Il est encore assez bien démontré que lorsque des nuages diversement chargés s’approchent et se touchent, il se produit entre eux une action tendante à mettre en équilibre le fluide électrique ou igné et tout autre gaz; que dans cette action le fluide électrique ne se conduit pas aussi lentement que l’air ou l’eau; qu’à raison de son excessive ténuité toutes ses parties se mêlent à la fois, et que leur dégagement de toute autre combinaison est subit et simultané: l’effet de ce dégagement sur l’eau qui est combinée, est de l’abandonner à sa pesanteur naturelle; de là ces gouttes de pluie plus ou moins grosses qui suivent à la fois, et l’éclair dont la lumière montre le pur fluide igné au moment où il se dégage, et le coup de tonnerre dont le bruit est le choc de l’air qui se précipite dans le vide formé par la condensation ou réduction de la vapeur en eau. Or, si l’on considère que l’eau bouillante développée en vapeurs est estimée occuper dix-huit cents fois son premier volume, et qu’à de moindres degrés elle l’occupe encore plus de mille fois; que par conséquent un nuage de 1000 toises cubes peut subitement se réduire à une seule, ou si l’on veut compter au plus bas, seulement à 10 toises; si l’on ajoute que la vitesse de l’air qui rentre dans le vide est égale à celle du boulet de canon, c’est-à-dire, qu’elle parcourt 422 mètres par seconde, l’on ne sera plus étonné de la force prodigieuse de ces coups de vent qui, sous le nom de grains, de rafales, de trombes et d’ouragans, arrachent les arbres, renversent les édifices, soulèvent les eaux, et jettent du haut de leurs remparts des canons de vingt-quatre avec leurs affûts, comme on en a vu plusieurs exemples aux Antilles, et l’on concevra que ce sont réellement des vides pneumatiques subitement formés qui sont la cause habituelle et puissante de tous les mouvements violents de l’atmosphère.
Ils expliquent très-bien, ces vides, le cas particulier des ouragans par vent de nord-est ou de nord-ouest qui ont lieu aux États-Unis; car si l’on suppose, comme il est de fait, qu’il y a continuité d’atmosphère depuis les Alleghanys et le lac Érié jusqu’à la chaîne de l’isthme du Mexique, il est évident que lorsque les orages du golfe condensent subitement une partie considérable de l’air de son atmosphère, celle du bassin de Mississipi s’ébranle immédiatement, et s’élance pour remplir le vide: si, dans ces cas, la colonne de nord-est est le plus souvent affectée et mue, c’est parce que son antagoniste diamétrale, la colonne de sud-ouest, est celle-là même qui manque et qui se retire; en sorte que dans cette circonstance l’on peut dire que le vent de nord-est est le repli du vent de sud-ouest. L’on doit d’ailleurs considérer comme un lac ou océan d’air tout l’espace que je viens de désigner, ayant pour rivages et pour digues les chaînes des montagnes et les terres des Antilles: l’Alleghany qui forme une de ces digues sur tout le côté oriental, y sert d’appui en même temps à un autre lac aérien qui est l’atmosphère de la côte atlantique: or, ce dernier lac contigu à l’atmosphère du nord et nord-est qui l’alimente, est composé d’un air froid et dense, tandis que celui du pays d’ouest est composé d’un air chaud et dilaté; par conséquent le lac atlantique pèse sans cesse à sa frontière sur le lac d’ouest, et par les lois de l’équilibre il tend sans cesse à s’y verser: du moment donc que l’effort habituel de l’air chaud dilaté cesse de soutenir et de repousser le poids qu’il soutient, ce poids se détend et se verse par un effort aussi puissant que naturel, et le vent de nord-est s’établit.
Cependant je conviens que le retour constant de l’un de ces ouragans à l’époque du 10 au 20 octobre, tient à quelque circonstance particulière et déterminée. Je crois la voir dans le changement général que le passage du soleil à l’équateur opère alors dans la totalité de l’atmosphère. Tandis que cet astre s’était tenu au nord de la ligne, et surtout dans le voisinage du tropique du cancer, ses rayons appliqués sur le continent septentrional, en y excitant de vives chaleurs, y établissaient un foyer d’aspiration vers lequel se dirigeaient tous les courants de l’air; en sorte que l’atmosphère de la zone même du tropique se reversait jusque vers le cercle polaire, et y restreignait l’empire et les limites des vents froids du nord... Lorsqu’au contraire le soleil a repassé la ligne, précisément vingt à vingt-cinq jours après vers la mi-octobre, il se trouve perpendiculaire au plus grand diamètre de l’Amérique méridionale: dans cette situation, échauffant ce vaste continent sur sa plus large surface, il y établit un autre foyer d’aspiration qui attire vers lui un volume immense d’air dont il a besoin, et qui détourne ainsi à une grande distance, les courants de l’air, ou vents, de leur direction antérieure: alors l’atmosphère boréale a la faculté de se reverser jusqu’au tropique du cancer; et de là le repli et la retraite des vents alisés d’est, qui se rapprochent de l’équateur jusqu’au 20 et même jusqu’au 18e degré; de là ces vents périodiques de nord-est, qui de l’atlantique affluent sur la Guyane depuis décembre jusqu’en mars et avril, quand le soleil est sur le Paraguay, et qui, après avoir versé leur excessive humidité sur cette Guyane, continuent leur route par-dessus le continent vers les Andes; de là ces vents de la partie de nord qui, à dater d’octobre, se montrent plus fréquents sur le golfe de Mexique, et arrivent jusqu’à l’isthme de la mer Pacifique. Le passage du soleil au sud de l’équateur est donc un moment de secousse qui ébranle à la fois l’atmosphère de l’une et de l’autre zone polaire. Au premier instant où se fait l’un de ces reversements, l’air du golfe mexicain venant tout à coup à se porter vers le sud, il en résulte un vide immense dans lequel se reverse à son tour l’atmosphère du bassin de Mississipi; et si l’on considère que la durée d’environ douze heures qu’affectent les ouragans du lac Érié, et en général de ces contrées, est à peu près un temps proportionnel à l’espace qui doit être parcouru et comblé, l’on regardera comme d’autant plus probable la cause que je leur attribue.
Les vides par détonation me paraissent aussi le seul moyen d’expliquer ces grêles incompréhensibles, où, contre toutes les lois de la pesanteur, l’on voit descendre du haut de l’air des glaçons de plusieurs livres[112]. L’explosion électrique ayant subitement purgé de calorique et condensé un volume immense de vapeurs, l’air glacial de la haute région fond tout à coup dans le vide, comprime l’eau qu’il gèle en même temps, et par cette même force d’élan qui arrache les arbres et renverse les édifices, il saisit et transporte les masses glacées dans la région de l’air; aussi ne voit-on jamais de grêle sans vent plus ou moins violent, et l’on peut même dire que la force du vent est toujours proportionnée à leur grosseur.
Un mécanisme semblable peut encore expliquer les trombes, qui sont des tourbillons de vent et d’eau que l’on voit ordinairement en temps orageux et calmes, et toujours nuageux, se promener ou plutôt courir sur la mer, quelquefois sur la terre, en forme de cône renversé, ayant sa base dans les nuages, tandis que sa pointe, en forme de spirale, verse en bas un torrent d’eau qui a quelquefois submergé des vaisseaux. L’on a cru d’abord, par comparaison aux jets d’eau, que les trombes étaient un effet des volcans sous-marins qui les lançaient, pour ainsi dire, comme les baleines lancent des fusées d’eau par leurs évents. Sans doute il est possible que de tels cas soient arrivés; et alors le jet d’eau a dû être stationnaire et très-considérable: mais les trombes dont il s’agit, étant mobiles, errantes, et même rapides dans leur course comme dans leur tournoiement, il faut leur reconnaître une cause toute différente: il paraît que par suite de l’état orageux de l’air, et de quelques détonations imparfaites, il se fait dans la région moyenne de l’atmosphère des vides moins étendus ou moins subits, dans lesquels les nuages sont néanmoins entraînés par l’air qui y afflue; quelque couche d’air plus froide que les autres condensant ces nuages, comme fait la goutte d’eau froide dans la pompe à feu, il s’y établit un mouvement de dissolution, et de résolution en pluie; mais, soit parce que la couche inférieure résiste par sa densité ou par sa chaleur, soit parce que le tourbillonnement de l’air maîtrise et tient à demi suspendue l’eau qui veut tomber, les divers filets de cette pluie finissent par se rassembler inférieurement en un même faisceau, et cette masse prend la forme d’un entonnoir qui a sa bouche dans la nue en dissolution, et sa pointe sur la mer où se fait le versement de l’eau rendue à son poids naturel. Cette forme de cône ou d’entonnoir a exactement la même cause mécanique, quoiqu’en sens inverse, que les flammes des grands incendies dont les défrichements offrent de fréquents exemples aux États-Unis: lorsqu’on y déboise un terrain pour le cultiver, on rassemble les arbres abattus en un seul monceau au milieu du champ devenu libre, afin de les mieux brûler, et de ne pas communiquer le feu aux arbres qui entourent encore de toutes parts: l’on allume l’énorme bûcher, qui couvre quelquefois un arpent entier, et quand les flammes l’ont saisi de tous côtés, l’on remarque qu’elles ne montent pas perpendiculairement chacune à elle même, mais que toutes se courbent et vont se rassembler en un faisceau au centre du bûcher, où elles s’élèvent en cône droit ou en entonnoir renversé dont la pointe s’élance dans l’air, toujours avec ce mouvement de tourbillon et de spirale qui a lieu en sens inverse dans le cône de la trombe: de tous les points de la circonférence, l’air afflue et se porte également au centre du brasier, auquel il porte l’aliment: la seule différence entre ces deux opérations, est que dans la trombe c’est un liquide pesant qui gravite, tandis que dans l’incendie, c’est un fluide essentiellement léger qui s’élève; tous les deux réunissant leurs parties pour percer plus facilement l’obstacle qui les presse, et dont la pression cause la forme spirale, et tous les deux se versant à leur manière, l’un en bas et l’autre en l’air.
Il serait possible aussi que la trombe fût occasionée par le frottement de deux courants d’air en sens opposés, puisque ce frottement serait une cause efficace du mouvement tourbillonnaire; il suffirait que l’un des deux fût plus frais que l’autre pour faire entrer ses nuages en dissolution: mais tous les autres effets et termes de comparaison n’en restent pas moins les mêmes.
Résumant les faits énoncés dans le cours de ce long article, je pense avoir clairement démontré que le vent de sud-ouest aux États-Unis, n’est autre chose que le vent alisé des tropiques dévié et modifié, et que par conséquent l’atmosphère du pays d’ouest n’est autre chose que l’atmosphère du golfe de Mexique, et primitivement de la mer des Antilles, transportée sur le Kentucky: de cette donnée découle une solution simple et naturelle du problème, qui au premier aspect a pu paraître embarrassant, savoir: pourquoi la température du pays d’ouest est plus chaude de 3 degrés de latitude que celle de la côte atlantique, avec la seule séparation de la chaîne des Alleghanys: les raisons en sont si palpables, que ce seroit fatiguer le lecteur que d’y insister: une autre conséquence de cette donnée est que le vent de sud-ouest étant la cause d’une température plus élevée, il en étendra d’autant plus la sphère qu’il aura plus de facilité à pénétrer dans le pays; et de là un présage favorable aux contrées situées sur son passage et sous son influence, c’est-à-dire aux pays voisins des lacs Érié et Ontario, et même à tout le bassin du fleuve Saint-Laurent, dans lequel le sud-ouest pénètre. L’on peut espérer de ce côté une amélioration de climat plus prompte, plus sensible que dans des parties beaucoup plus méridionales de l’autre côté des monts: or, cette amélioration arrivera à mesure que l’on abattra les forêts qui ferment le passage au fleuve aérien.—Et déja cette cause a commencé de produire ses effets, puisque depuis les premiers temps de la colonie du Canada, les époques de la clôture du fleuve par les glaces ont retardé de près d’un mois, et qu’au lieu d’assurer les vaisseaux sous la condition d’être sortis à la fin de novembre, comme il étoit spécifié au commencement du siècle dernier, la clause actuelle d’assurance n’a plus lieu que pour le vingt-cinq décembre, ou jour de Noël: malheureusement de plus grandes espérances à cet égard sont fortement contrariées par le vent de nord-ouest dont il me reste à tracer l’histoire. Mais avant d’examiner le pour et le contre de cette question d’amélioration, je ne puis me dispenser de dire un mot d’un phénomène intimement lié au sujet que je quitte, et qui dans nos études géographiques ordinaires, n’occupe pas la place qu’il mérite: je veux parler du courant du golfe mexicain, très-bien connu des Anglais et des Américains sous le nom de Gulph-stream.
§ IV.
Du courant du golfe de Mexique.
Les effets de l’alisé du tropique ne se bornent pas à entasser l’air dans le golfe du Mexique: à force de souffler depuis les côtes d’Afrique vers celles d’Amérique, et de pousser les flots dans un même sens sur une ligne de douze cents lieues de longueur, le vent d’est finit par amonceler les eaux dans le cul-de-sac formé par les rivages du Mexique et de la Louisiane; il est fâcheux que nous n’ayons pas à cet égard des données précises de hauteur, et que le gouvernement espagnol, qui s’est quelquefois occupé de la communication des deux mers par l’isthme de Panama, n’ait pas fait mesurer leurs niveaux respectifs; mais je n’en assurerai pas moins avec confiance que les eaux du golfe de Mexique sont effectivement élevées de plusieurs pieds au-dessus de l’espace qu’elles laissent derrière elles, même à partir des Antilles, et davantage encore au-dessus de l’océan Pacifique qui est de l’autre côté. Je me fonde sur l’analogie de ce qui arrive dans la Méditerranée et dans les lacs et les étangs d’une certaine étendue, où les vents qui soufflent deux ou trois jours du même point occasionent à l’extrémité opposée une espèce de reflux de deux ou trois pieds de hauteur perpendiculaire: cet effet est sensible dans le port de Marseille, dont j’ai vu les eaux monter jusqu’à 28 pouces par les vents d’est; et il a lieu en inverse par les vents d’ouest et de sud-ouest sur les côtes de Syrie et d’Égypte, où les ingénieurs français ont trouvé jusqu’à 31 pouces de variation. J’oserais assurer que dans le cas présent leur élévation est beaucoup plus considérable à raison de la puissance et de la continuité de la cause efficiente; et lorsque je considère que ces mêmes ingénieurs français ont constaté que la mer Rouge à Suez est élevée d’environ 28 pieds au-dessus de la Méditerranée à Peluse[113], je suis porté à croire que quelque chose de semblable a lieu dans le golfe de Mexique relativement à la côte de l’océan Pacifique, et à celle des États-Unis. Mais, me dira-t-on, admettant un excédant quelconque de niveau, il faut bien néanmoins que l’équilibre du liquide se rétablisse de quelque côté.—Oui, sans doute, il le faut; or, cela ne se peut par le canal entre Youcatan et Cuba, attendu que le double courant de l’air et de la mer arrive de ce côté dans toute sa force. La surabondance des eaux n’a donc de ressource et d’issue que par le canal de Bahama: et en effet, c’est de cet autre côté que les eaux, après avoir tournoyé sur les rivages du Mexique, de la Louisiane et de la Floride, s’échappent à la pointe de la presqu’île, sous la précaution et l’abri de la terre de Cuba et des nombreux écueils et îles Lucayes, qui de ce côté rompent les efforts de l’Océan et le cours du vent alisé. La rapidité du courant de ces eaux dans le canal de Bahama, en même temps qu’elle est un fait trop connu pour y insister, devient une preuve de l’élévation de leur source dans le golfe. Au sortir du canal, elles conservent dans l’Océan un caractère très-distinct, non-seulement par la vitesse de leur courant qui est de 4 et 5 milles à l’heure, c’est-à-dire plus vif que la Seine; mais encore par leur couleur et par leur température, plus chaude de cinq à dix degrés (R.) que celle de l’Océan qu’elles traversent; cette espèce singulière de fleuve prolonge ainsi toute la côte des États-Unis avec une largeur variable que l’on estime, terme moyen, à 15 ou 16 lieues; et il ne perd sa force et ses caractères que vers le grand banc de Terre-Neuve, où il se dilate comme dans son embouchure alors dirigée vers le nord-est: il paraît que l’habile navigateur François Drake est le premier qui, dès la fin du 16e siècle, remarqua ses effets et devina sa cause; mais l’une des plus curieuses circonstances, celle de la température, lui échappa: ce ne fut que vers 1776 que le docteur Blagden, faisant des expériences sur la température de l’Océan à diverses profondeurs, trouva que vers le 31° de latitude nord à la hauteur du cap Fear, le thermomètre plongé dans l’eau, après avoir marqué 72° Fahrenheit (17¾ R.), vint tout à coup à marquer 78 (20½ R.), continua tel pendant plusieurs milles, et ensuite baissa graduellement à 16½, puis à 14⅔ R., en s’approchant, de la côte, quand la sonde prit fond et que l’eau devint olivâtre. Ce phénomène, alors nouveau, fit sensation en Angleterre, et Franklin, qui, dans la même année, venait en Europe et faisait les mêmes observations, lui donna encore plus de célébrité. Son neveu et compagnon de voyage, M. Jonathan Williams, a continué et multiplié les recherches sur ce sujet; et maintenant l’on peut établir comme théorie complète les faits suivants:
1º Le courant du golfe marque sa route depuis le canal de Bahama jusqu’au banc de Terre-Neuve.
2º Il côtoie les rivages des États-Unis à une distance que les vents rendent variable, mais qui, en terme moyen, s’estime à un degré ou vingt lieues.
3º A mesure qu’il s’éloigne de son origine, il dilate son volume et diminue sa vitesse.
4º Il paraît qu’au fond de l’Océan il s’est creusé un lit particulier très-profond; car les sondes y perdent terre ou deviennent tout à coup très-longues.
5º Il ronge la côte sud des États-Unis, malgré la résistance des écueils Hatteras qui le détournent vers l’est d’une pointe et demie de compas[114], et il menace de les détruire eux-mêmes tôt ou tard. Les îles sableuses de Bahama, les atterrissements de même nature sur la côte du continent, les bas-fonds de Nantoket, paroissent n’être que des dépôts formés par lui; et je suis tenté de dire que les bancs de Terre-Neuve ne sont que la barre de l’embouchure de cet énorme fleuve marin.
6º Sur chacun de ses côtés il forme un eddy ou contre-courant qui, aidé du côté de terre par les fleuves du continent, arrête les dépôts vaseux qu’on nomme les sondes.
7º De longs vents de sud-ouest le rendent moins sensible, parce qu’ils poussent les flots dans son sens; mais les vents de nord-est, en le heurtant de front, le rendent plus saillant, et comme disent les marins, creusent tellement sa vague, que les navires à un seul pont et à haut bordage courent risque de sombrer sous les fortes lames qu’ils embarquent.
8º On entre sur son domaine quand on voit la couleur de l’eau devenir bleue-indigo au lieu de bleue-ciel qu’elle est en plein Océan, et de verdâtre ou olivâtre qu’elle est du côté de terre, sur les sondes de la côte. Cette eau vue dans un verre est sans couleur comme sous les tropiques, et d’une salure plus forte que l’eau de l’Atlantique qu’elle traverse.
9º Beaucoup d’herbes sur l’eau n’assurent pas de la présence du courant: elles en sont seulement l’indice.
10º L’on sent son atmosphère plus tiède que celle de l’Océan: en hiver, la gelée fond sur le pont du vaisseau qui y entre: l’on se trouve assoupi, et l’on étouffe de chaleur dans les entreponts.
Quelques expériences donneront des idées fixes de cette différence de température.
Au mois de décembre 1789, M. Jonathan Williams parti de la baie de Chesapeak, observa que le mercure marquait dans l’eau de l’Océan,
| Fahrenheit. | Réaum. | |
1º Sur les sondes ou bas-fonds de la côte |
47° | 6°¾ |
2º Un peu avant d’entrer dans le courant |
60 | 12⅔ |
3º Dans le courant |
70 | 17¼ |
4º Avant Terre-Neuve, dans le courant même |
66 | 15¼ |
5º Sur Terre-Neuve hors du courant |
54 | 10 |
6º Au delà du banc en pleine mer |
60 | 12⅔ |
7º Puis en approchant des côtes d’Angleterre, il baissa graduellement à |
48 | 7⅓ |
En juin 1791, le capitaine Billing allant en Portugal, observa à son départ, sur la côte d’Amérique, et dans les eaux des sondes |
61 | 13 |
Puis dans l’eau du courant |
77 | 20 |
C’est-à-dire, une différence de 7° Réaumur, ou 16° Fahrenheit. En hiver, M. Williams avait trouvé 47° et 70°; différence 23° F. ou 10° de R.; donc en été la différence est moindre qu’en hiver; et cela devait être.
Ces recherches ont conduit à une autre découverte qui peut devenir utile aux navigateurs: à force d’essayer la température de l’Océan en des lieux divers, l’on s’est aperçu qu’elle était d’autant plus froide que l’eau avait moins de profondeur, et l’on en a tiré un double indice, tantôt de l’approche des terres et des rivages, tantôt du voisinage des écueils sous-marins. En juillet 1791, le même capitaine Billing observa que, trois jours avant de voir la côte de Portugal, le thermomètre avait baissé en peu d’heures de 65 F. (15 R.) à 60 (12⅔ R.), et cette différence arriva précisément sur la frontière de l’Océan sans fond, et de la mer sondable qui borde notre continent. M. Williams observa également au mois de novembre, dans un autre voyage, qu’à l’approche des côtes d’Angleterre le thermomètre tomba de 53 (9⅔) à 48 (7⅔); et il remarque avec le capitaine Billing, que, si en mer le thermomètre baisse subitement, c’est l’indication d’un écueil sous l’eau; soit parce que sous mer la terre serait plus froide que l’eau[115], soit parce que l’effet refroidissant de l’évaporation se fait plus sentir dans les eaux minces que dans les eaux profondes.
Ce que je viens d’exposer de la marche du courant du golfe mexicain, devient un moyen satisfaisant d’expliquer deux incidents d’histoire naturelle, dignes de remarque, sur la côte des États-Unis.
1º Admettant, comme je l’ai avancé, que le courant est la cause des atterrissements qui bordent son lit, par l’abandon que son remous y fait des matières charriées, l’on trouve une raison naturelle et simple de la présence des produits fossiles du tropique à des latitudes très-avancées vers le nord. Il est très-probable que les bancs de coquilles pétrifiées, découvertes en fouillant et sondant les rivages d’Irlande[116], et qui n’ont leurs analogues que vers les Antilles, doivent leur origine à cette cause ou à toute autre semblable; du moins son action jusqu’au delà du banc de Terre-Neuve est incontestable.
2º En considérant la dilatation du courant sur ce même banc de Terre-Neuve, comme l’embouchure de cette espèce de fleuve marin, l’on obtient encore une raison plausible de l’affluence des poissons-morues à cet endroit, et de leur prédilection pour ses eaux: car, en prolongeant toute la côte du continent depuis la Floride, le courant devient le véhicule de toutes les substances végétales et animales charriées et jetées en mer par les fleuves nombreux et volumineux des États-Unis; et ces matières légères, telles que poissons, insectes, vermisseaux, etc., ne cessant de flotter que là où l’eau amortit son cours, il est très-naturel que les morues qui s’en nourrissent se rassemblent au lieu de la subsidence ou du dépôt.
3º Enfin j’y vois l’explication des éternels brouillards qui affectent ce parage, et à qui l’on ne connaît pas de cause spéciale. En effet, le courant déposant là continuellement un volume d’eaux tropicales, dont la température est plus chaude de 4½ de R. ou 9 de F. que celle de la mer environnante, il en doit résulter le double effet d’une évaporation plus abondante, provoquée par la tiédeur de ces eaux exotiques, et d’une condensation plus étendue, à raison de la froideur des eaux indigènes et de leur atmosphère, qui précisément se trouve dans la direction et sous l’influence des vents du nord-est, et de ceux de la baie glaciale de Hudson... Mais il est temps de revenir à mon sujet dont je ne me suis cependant pas écarté, puisque parlant de courants en général, ceux des eaux ne sont pas une digression étrangère à ceux de l’air, qui en sont habituellement la cause motrice[117].
§ V.
Du vent de nord-ouest.
Le vent de nord-ouest, le troisième et presque le principal dominant aux États-Unis, diffère du sud-ouest sous tous les rapports; il est essentiellement froid, sec, élastique, impétueux et même tempétueux; il est plus fréquent l’hiver que l’été, et plus habituel sur la côte atlantique qu’à l’ouest des Alleghanys, c’est-à-dire dans les bassins du Saint-Laurent, de l’Ohio et du Mississipi: l’on ne peut mieux le comparer qu’au mistral provençal, qui est aussi un vent de nord-ouest, mais d’une origine très-différente; car le mistral, inconnu au nord des Alpes, des montagnes du Vivarais et de l’Auvergne, ne va point chercher sa source par-delà notre Océan tempéré; il la tire évidemment de la région supérieure des montagnes qui environnent les bassins du Rhône et de la Durance, théâtre spécial de sa furie; et il me paraît venir principalement des sommets des Alpes, dont la couche d’air refroidie par les neiges et par les glaciers, se verse dans les vallées pendantes au midi, et surtout dans celle du Rhône où son cours réfléchi et dévié par les chaînes vivaraises, prend la direction de nord-ouest pour toute la Provence; il s’y précipite avec d’autant plus de violence qu’outre sa pesanteur spécifique et la pression de l’atmosphère élevée d’où il se verse, il trouve encore sur la Méditerranée un vide habituel occasioné par l’aspiration des côtes et du continent brûlant de l’Afrique. Aussi se fait-il toujours sentir d’abord sur la mer, et il ne s’établit que successivement et en remontant dans l’intérieur des terres; peut-être à ce torrent aérien qui tombe des Alpes, se mêle-t-il des courants du haut des chaînes du Vivarais et de l’Auvergne; mais ils n’y sont qu’accessoires, et le foyer ou réservoir principal est évidemment le haut pays alpin, sans lequel il serait impossible d’expliquer et de concevoir les apparitions du mistral, subites comme un coup de canon après chaque pluie, surtout dans la saison chaude.
Le nord-ouest américain a bien quelque chose de cette vivacité; et j’aurai occasion de montrer que dans plusieurs cas il dérive aussi de la couche supérieure de l’atmosphère; mais à l’ordinaire et dans ses longues tenues, il vient jusque des mers glacées du pôle, et des déserts également glacés qui sont au nord-ouest du lac Supérieur. Dans les premiers temps, l’on a cru que ce lac et les quatre autres qui lui sont contigus, étaient la cause principale et même première du froid que le vent de nord-ouest apporte sur la côte atlantique. Aujourd’hui que tout le continent est mieux connu, cette opinion ne conserve de partisans que dans le vulgaire; de bons observateurs avaient déja remarqué que dans les cantons du Vermont et du New-York, qui ne sont point sous le vent des lacs, le froid n’était pas moins violent qu’ailleurs; les récits des Canadiens qui vont à la traite des fourrures bien au delà des lacs, ont achevé de dissiper tout doute: ces traitants attestent unanimement que plus ils s’avancent dans le grand-nord[118], plus le vent de nord-ouest est violent et glacial, et qu’il est leur principal tourment dans les plaines déboisées et marécageuses de cette Sibérie, et même en remontant le Missouri jusqu’aux monts Chipewans; il faut donc reconnaître que primitivement le nord-ouest américain tire sa source, et de ces déserts qui depuis les 48 et 50° sont glacés pendant neuf et dix mois de l’année, et de la mer Glaciale qui commence vers le 72e degré, et enfin de la partie nord des monts Stony ou Chipewans qui paraît être couverte de neige pendant toute l’année; il est à remarquer que par-delà ces monts, sur la côte de Vancouver, le nord-ouest qui vient de l’Océan et du bassin de Baring, est déja plus humide et moins froid; et comme il souffle bien moins habituellement, il appartient à un autre système[119].
Sur la côte atlantique, le vent de nord-ouest qui a parcouru le continent, amène aussi quelquefois des ondées de neige ou de pluie, ou même de grêle; mais ces nuages appartiennent plutôt à d’autres courants d’air, tels que le nord-est et le sud-ouest qu’il force de se replier, et qu’il dépouille en les chassant; d’autres fois ils sont le produit des surfaces humides qu’il trouve sur sa route; tels les cinq grands lacs du Saint-Laurent, les marécages, et même les fleuves pris dans les longues lignes de leur cours; c’est par cette raison que sous le vent de ces lacs et des longues lignes du Mississipi et de l’Ohio, le vent de nord-ouest prend un caractère humide en hiver, et orageux en été qu’on ne lui trouve point en d’autres cantons. Car depuis Charleston jusqu’à Halifax, parler du nord-ouest, c’est désigner un vent violent, froid, incommode, mais sain, élastique et ranimant les forces abattues. Seulement il a cela de perfide en hiver, que tandis qu’un ciel pur et un soleil éclatant réjouissent la vue et invitent à respirer l’air, si en effet l’on sort des appartements, l’on est saisi d’une bise glaciale dont les pointes taillent la figure et arrachent des larmes, et dont les rafales impétueuses, massives, font chanceler sur un verglas glissant. Moins rude en été, on le désire pour calmer la violence des chaleurs; et en effet, il lui arrive alors assez souvent de se montrer après une ondée de pluie d’orage; et comme il est impossible que le laps d’une demi-heure lui ait suffi à venir de loin, il est évident qu’il tombe de la région supérieure qui, à ces latitudes, n’est pas distante de plus de 2,800 à 3,000 mètres: le vide étant formé près de terre par la condensation des nuages en pluie, la couche supérieure s’y abaisse pour le remplir; sa direction de nord-ouest vers sud-est lui est imprimée, parce que l’atmosphère du côté de l’Océan jusqu’au tropique, est composée d’un air léger et chaud qui ne peut soutenir l’équilibre contre ce courant froid et lourd; et cette direction n’est pas du nord vers le sud, parce que de ce côté elle serait repoussée par le reflux du vent de sud-ouest et de l’alisé tropical, dont le contre-courant vient remplir les latitudes moyennes. Il paraît que tous ces courants se joignent ensemble pour former sur l’Océan atlantique depuis les 35 jusqu’aux 48 et 50 degrés de latitude, ce vent d’ouest que nous voyons être le dominant presque perpétuel des côtes d’Angleterre, de France et d’Espagne.
Cette attraction ou aspiration de l’atmosphère atlantique est constatée par l’observation de M. Williams: «On remarque, dit-il, que nos vents de nord-ouest et d’ouest commencent toujours du côté de la mer; c’est-à-dire que si plusieurs voiles se trouvent à la file, c’est la plus avancée en mer qui s’enfle la première, et successivement les autres jusqu’à la plus voisine du rivage qui s’enfle la dernière[120]».
Les marins font journellement la même observation sur les brises littorales, dont celle de jour, appelée brise de mer, commence toujours dans l’intérieur des terres au sommet des montagnes et des collines, qui vers midi deviennent le foyer de chaleur, je dirais presque la cheminée d’aspiration: en sorte que le vent y est senti un quart d’heure ou une demi-heure avant de l’être au rivage, et cela proportionnellement à la distance entre les deux points, ainsi que je l’ai souvent remarqué en Syrie et en Corse; la brise dite de terre commence aussi sur ces mêmes sommets, parce que là se fait le premier refroidissement, et que l’air se verse par son poids du haut des montagnes en bas vers la mer, comme un courant d’eau. Cette différence dans la manière d’agir de certains vents ou courants d’air, mérite d’être étudiée, comme servant à caractériser la nature de l’air qui les compose; mais elle n’est pas moins dans tous les cas l’effet des vides relatifs, et des densités alternatives que cause l’absence ou la présence du soleil, tantôt sur la terre, tantôt sur la mer; effet qui est une sorte de diastole et de systole qu’éprouve l’air tour à tour échauffé, dilaté, grimpant, ou refroidi, condensé et retombant[121].
Une objection me reste à lever contre un fait qui n’a pu manquer de frapper le lecteur.—J’ai dit que le vent de nord-ouest était beaucoup plus fréquent à l’est qu’à l’ouest des Alleghanys: l’on demandera comment il est possible qu’il arrive au second pays sans avoir passé sur le premier qui est sur sa route: comme le fait est avéré, il faut bien qu’il ait un moyen de solution, et ce moyen est de l’espèce du précédent que je viens de citer (à la note); c’est-à-dire, que les Alleghanys sont la digue d’un lac aérien dont le fond, nivelé par cette digue, est, sous sa protection, dans un état de repos ou de fluctuation indépendant de la couche au-dessus du trop-plein; en sorte que tandis que le vent de sud-ouest traverse le bassin de Mississipi et le pays de Kentucky, d’Ohio, etc., jusqu’au bassin du Saint-Laurent, par lequel il s’écoule, le courant de nord-ouest glisse par-dessus lui diagonalement, et va par-dessus les Alleghanys et au niveau de leur cime, se verser sur la côte atlantique, où il acquiert trois motifs d’accélération; savoir: 1º le poids de son fluide; 2º la pente du terrain; 3º le vide de l’Océan dans la direction de sud-est.
Le même cas a lieu pour le Saint-Laurent et le Bas-Canada, où les voyageurs s’accordent à dire que le vent le plus habituel est le sud-ouest, et après lui le nord-est; très-souvent le nord-ouest n’est point senti à Québec, tandis qu’il l’est dans le Maine et dans l’Acadie. Il est évident qu’il a glissé par-dessus le lit concave du fleuve Saint-Laurent, sans déplacer l’air qui y est stagnant; et si l’on fait attention que dans un appartement où deux fenêtres sont ouvertes en face l’une de l’autre, il passe un vent très-vif sans éteindre et sans même agiter une chandelle placée dans les coins ou dans les côtés, hors du courant, l’on concevra que l’air a quelque chose de tenace et d’huileux qui le rend plus difficile à déplacer que ne le supposent les idées que l’on en a vulgairement.
Enfin, un dernier fait curieux à citer sur le vent de nord-ouest, c’est qu’aux États-Unis le ciment et le mortier des murs exposés à son action directe, sont toujours plus durs, plus difficiles à démolir qu’à aucune des autres expositions; sans doute à raison du hâle extrême qui l’accompagne: pareillement dans les forêts, l’écorce des arbres est plus épaisse et plus dure de son côté que de tout autre: et cette remarque est l’une de celles qui guident les sauvages dans leurs courses à travers les bois, par le ciel le plus brumeux.—C’est à des faits, à des observations de cet ordre, aussi simples et aussi naturels, que cette espèce d’hommes doit la sagacité que nous admirons en elle; et lorsque des voyageurs romanciers ou des écrivains qui jamais n’ont quitté le coin de leur cheminée, s’extasient sur la finesse des sauvages, et en prennent occasion d’attribuer à leur homme de la nature une supériorité absolue sur l’homme civilisé, ils nous prouvent seulement leur ignorance en fait de chasse, et du perfectionnement des sens de l’odorat et de la vue par l’habitude et la pratique d’un exercice quelconque. Aujourd’hui que l’on a aux États-Unis des exemples innombrables de colons de frontière, irlandais, écossais, kentokais, qui sont devenus en peu d’années des hommes-de-bois aussi habiles et aussi rusés, des guerriers plus vigoureux et plus infatigables que les hommes-rouges[122], l’on ne croit plus à la prétendue excellence ni du corps, ni de l’esprit, ni du genre de vie de l’homme sauvage; et ce que j’aurai occasion d’en exposer ailleurs avec plus de détail et avec un esprit impartial, excitera sans doute bien moins les sentiments de l’admiration ou de la jalousie, que ceux de l’effroi et de la pitié.
CHAPITRE X.
Comparaison du climat des États-Unis avec celui de l’Europe quant aux vents, à la quantité de pluie, à l’évaporation et à l’électricité.
D’après tout ce que j’ai dit des vents, de leurs lits, de leur marche, de leurs qualités propres ou respectives aux États-Unis, il devient de plus en plus facile de se faire une idée nette et générale du climat de ce vaste pays. De ce que l’on sait que les vents les plus habituels y viennent presque immédiatement, les uns de la zone du tropique, les autres de la zone polaire, l’on conçoit pourquoi ils ont des qualités de froid et de chaud si contractantes, et pourquoi le climat est si variable et si bourru: de ce que l’on sait que l’un des dominants (le sud-ouest) vient d’une mer chaude, l’autre (le nord-est) d’une mer très-froide, le troisième (le nord-ouest) de déserts glacés, l’on sent pourquoi chacun d’eux est sec et clair, pluvieux ou brumeux.—L’on devine même les cas d’exception que quelques localités peuvent et doivent apporter à ces règles générales, et l’on infère naturellement qu’un vent sec peut devenir pluvieux s’il rencontre sur sa route des surfaces humides, telles que des lacs, des marais, et des lignes prolongées de rivières, ainsi qu’il arrivé au pays de Genesee, où il pleut par vent de nord-ouest à cause des lacs Ontario et Huron; par vent du sud-ouest à cause du lac Érié: tandis que le nord-est et l’est, si pluvieux à la côte, y sont secs[123]: par inverse un vent pluvieux peut devenir sec en se dépouillant sur les montagnes de l’humidité qu’il transporte: enfin, dans les violentes agitations de l’atmosphère, les courants venant à se mêler, ils peuvent momentanément échanger et confondre leurs attributs et leurs propriétés.
D’autre part, en considérant que le territoire des États-Unis n’est traversé que par des montagnes d’un ordre inférieur, et qui n’offrent pas un obstacle suffisant à rompre la marche des courants, l’on aperçoit pourquoi les vents y sont et y doivent être presque toujours généraux, c’est-à-dire balayer, selon l’expression anglaise, toute la surface du pays en long et en large. Et en effet, à cette règle générale, il n’y a d’exception remarquable que les brises littorales qui ont lieu pendant les six mois d’été, et qui se modifient selon le gisement soit de la côte, soit des lits de rivières, et à raison de la distance, de la pente et de la direction des chaînes et sillons de montagnes. Par exemple, depuis la Floride jusqu’au New-Jersey, la brise incline au sud-est, et l’on voit que le terrain verse, et que la côte tourne de ce côté. Au contraire, depuis le New-York jusqu’au cap Cod, la brise est de sud direct; et du cap Cod jusqu’à l’Acadie, elle vient de l’est et du nord-ouest, toujours par l’application du même principe à des cas divers: de même encore elle est plus lente ou plus vive, plus forte ou plus faible, plus en avance ou plus en retard, selon le degré plus ou moins intense de la chaleur, selon la pente plus ou moins inclinée des terres, et l’éloignement plus ou moins grand des hauteurs où se trouve le foyer d’aspiration[124], ainsi que l’on en a l’expérience très-connue en marine.
De ces faits dérivent deux vérités lumineuses en géographie physique;
L’une, que ce sont les courants habituels de l’air, les vents, qui déterminent la température, ou le climat d’un pays.
L’autre, que la configuration du sol exerce sur ces courants une influence de direction ordinairement décisive, et qu’elle devient par là un agent constitutif, une partie intégrante du climat.
Notre Europe offre l’exemple et l’application de ces deux principes dans un sens inverse de l’Amérique-nord. Dans l’Europe occidentale, les vents d’ouest sont les grands pluvieux, parce qu’ils viennent de l’Océan atlantique; et ils se montrent plus frais en Angleterre, plus chauds en France et en Espagne, à raison des latitudes d’où ils viennent sur ce même Océan: aux États-Unis, les vents d’ouest sont les plus secs, parce qu’ils y viennent de la partie la plus large du continent: en France, ils sont les plus généraux, les plus habituels, parce que la haute chaîne des Alpes, est un foyer d’aspiration et de condensation, qui sans cesse les appelle vers elle: aux États-Unis, ils sont les plus rares, parce qu’il n’y existe pas de point dominant d’aspiration. En Europe, les vents ne sont presque jamais généraux, mais plutôt divisés en systèmes indépendants, parce que les hautes chaînes des montagnes, telles que les Pyrénées et les Alpes, forment des enceintes et comme de grands lacs d’atmosphère séparés et distincts; et parce qu’ensuite une foule de chaînes secondaires, telles que les Asturies et les autres sillons de l’Espagne[125], les Cévennes, les Vosges, les Ardennes, les Apennins, les Krapatz, le Dofre de Norwège et les montagnes d’Écosse, presque toutes supérieures aux Alleghanys forment d’autres subdivisions également caractérisées.
Dans la France seule nous avons autant de systèmes de vents que de bassins de rivières principales, telles que le Rhône, la Garonne, la Loire et la Seine. La Belgique a son système distinct du nôtre par les Ardennes; elle tire du canal de la Manche un courant d’air, qui primitivement ouest, puis dévié dans la direction de sud-ouest, y est la cause de cette humidité qui la rend si fertile et si pâturagère.
D’autre part, si notre Europe occidentale est plus tempérée que l’orientale, ce peut être, comme l’a dit Pallas, parce qu’elle est abritée par les montagnes d’Écosse et de Norwège; mais c’est encore plus parce que les vents les plus généraux et les plus régnants sont de l’ouest et du sud-ouest, et qu’ils y arrivent par la mer, toujours plus tempérée que la terre.
C’est par cette raison que la côte de Norwège diffère totalement de celle de Suède, et que la température de Berghen ne ressemble pas plus à celle de Stokholm, que la température de Londres ne ressemble à celle de Saint-Pétersbourg: c’est aux vents d’est et de nord-est, originaires de la Sibérie, que l’orient de l’Europe doit son climat froid, sec et salubre; et si de hautes montagnes eussent fermé la Russie sur sa frontière orientale; si quelques remparts eussent abrité la Sibérie vers la mer du pôle, cette contrée, ainsi que la Pologne et le pays de Moscou, ne seraient pas plus froids que le Danemarck et la Saxe.
Cette différence de configuration entre l’Europe et l’Amérique-nord, me paraît être la cause principale, et peut-être unique, de plusieurs différences météorologiques que l’on remarque dans les atmosphères de ces deux continents. L’on y trouve une explication satisfaisante de deux ou trois phénomènes et problèmes singuliers, savoir: par exemple, pourquoi la quantité de pluie annuelle et moyenne est plus grande aux États-Unis qu’en France, en Angleterre, en Allemagne:—Pourquoi la chute de ces pluies est généralement plus brusque et leur évaporation ensuite plus vive en Amérique qu’en Europe:—Pourquoi enfin les vents sont habituellement plus forts, les tempêtes et les ouragans plus fréquents dans le premier de ces pays que dans le second: quelques détails deviennent nécessaires pour rendre ces faits plus précis, et leur solution plus probable et plus persuasive.
§ I.
De la quantité de pluie qui tombe aux États-Unis.
Des observations exactes et multipliées, faites par divers savants américains, en différents lieux de la côte atlantique, ont désormais constaté que la quantité annuelle et moyenne de pluie qui tombe aux États-Unis est beaucoup plus considérable que dans la plupart de nos pays d’Europe, en exceptant toutefois certaines localités des pays de montagnes[126] ou des fonds de golfe. Le tableau suivant en fournit la preuve. Aucun lieu du pays d’Ouest n’y est mentionné, parce que ce genre d’observation n’y a pas encore été pratiqué, du moins à ma connaissance.
| pouc. angl. | |
| A Charlestown (selon Ramsay), en 1795 | 71⅘ |
| Par terme moyen, de 1750—à 1759[127] | 41¾ |
| A Williamsburg[128] | 47 |
| Cambridge, près Boston[129] | 47½ |
| Andover (en Massachusets) | 51 |
| Salem[130] | 35 |
| Rutland en Vermont[131] | 41 |
| Philadelphie[132] | 30 |
En Europe, au contraire, il ne tombe que les quantités suivantes, savoir:
| pouc. franç. | |
| A Saint-Pétersbourg | 12 |
| Upsal | 14 |
| Abo | 24 |
| Londres | 21 |
| Paris | 20 |
| Utrecht | 27 |
| Brest, aucune observation.[133] | |
| Marseille | 20 |
| Rome | 28½ |
| Naples | 35 |
| Alger | 27½ |
| Padoue | 33 |
| Bologne | 24 |
| Vienne | 42 |
D’où il résulte qu’en Europe, par terme moyen, il tombe un tiers moins de pluie que dans l’Amérique-nord: néanmoins, dans son Mémoire déja cité, M. Holyhoke cite vingt villes d’Europe, qui, par terme moyen de 20 ans, ont eu 122 jours de pluie tandis que Cambridge n’en a eu que | 88 |
| et Salem | 95 |
Ainsi plus de pluies en moins de jours indique évidemment que les pluies ont tombé par ondées plus vives et plus fortes en Amérique, par arrosements plus doux, en Europe; et nous avons vu que les faits sont conformes à ce raisonnement.
§ II.
De l’évaporation et de la sécheresse de l’air.
D’autre part, des observations également exactes et nombreuses attestent que l’évaporation de ces mêmes pluies se fait beaucoup plus vite aux États-Unis qu’en Europe, et que par conséquent l’air y est habituellement plus sec et plus agité: Franklin avait déja fait et publié cette remarque, si contraire aux assertions du docteur Paw[134], en citant l’anecdote d’une boîte d’acajou à tiroirs, exécutée avec le plus grand soin par le célèbre Nairne: les tiroirs de cette boîte, justes et même serrés à Londres, s’étaient trouvés trop lâches à Philadelphie, et lorsqu’elle eut été renvoyée à Londres, ils redevinrent justes et serrés comme auparavant. Franklin en avait induit avec raison une plus grande sécheresse à Philadelphie qu’à Londres: mais le cas de ces deux villes était trop particulier pour en faire une règle générale: M. J. Williams[135] l’a mieux établie et développée par les faits suivans. Il a trouvé, par des expériences et des recherches suivies, que la quantité moyenne d’évaporation pendant 7 années à Cambridge près de Boston
| pouc. angl. | |
| avait été de | 56 |
| tandis qu’en sept villes d’Allemagne | |
| et d’Italie, par terme moyen de 20 | pouc. franç. |
| ans, elle n’a été que de | 46 |
| il est vrai que les 56 pouces anglais | |
| se réduisent à 54 pouces des nôtres, | |
| moins environ ¼. Différence | 7¼ |
Et cependant les villes d’Italie sont sous une latitude bien plus favorable à l’évaporation que le voisinage de Boston adjacent à l’Océan.
| Jours clairs. | |
| Dans un an, l’on a eu à Salem | 173 |
| Dans vingt villes d’Europe, l’on en a eu | 64 |
| Dans ces mêmes vingt villes, en | Jours nuageux. |
| 1785, l’on a eu | 113 |
| A Cambridge près de Boston | 69 |
| A Salem, par terme moyen de 7 ans, | 90[136] |
Ainsi, en termes généraux, il tombe aux États-Unis plus de pluie en moins de jours qu’en Europe, et l’on y compte moins de jours nuageux, plus de jours clairs, plus d’évaporation qu’en Europe: or, la cause de ces faits divers me paroît absolument univoque et simple; elle existe dans l’état particulier de l’atmosphère de chacun des deux continents, selon la modification que leur configuration respective y apporte.
Si donc aux États-Unis il pleut davantage qu’en Europe, c’est parce qu’à l’exception du nord-ouest, tous les autres rumbs, surtout les plus fréquents, y viennent de quelque mer, et par conséquent arrivent chargés de vapeurs.
Si les pluies y sont plus vives et plus brusques, c’est parce que les qualités des vents y sont très-contrastantes en chaud et en froid, ce qui est un premier moyen de dissolution; et le mélange de ces courants froids et chauds, y est fréquent, ce qui est une seconde cause d’abondance et de vivacité de pluie: nos pluies fines et douces y sont tellement étrangères, qu’on les appelle des pluies anglaises, un temps anglais; et lorsque l’on en voit, ce qui arrive quelquefois après l’équinoxe, il est du bon ton de sortir sans parapluie pour s’en faire mouiller comme des oiseaux d’eau. Or, ce mélange fréquent, qui constitue l’air variable, arrive parce que le pays est presque plat, et que les vents n’y trouvent aucun obstacle qui les arrête.—Ainsi, la configuration du sol influe radicalement sur l’abondance et la vivacité des pluies.
En Europe, au contraire, de hautes montagnes rompant les courants de l’air, l’atmosphère est plus calme, plus stationnaire; les mélanges de courants froids et de courants chauds sont moins faciles, moins fréquents; par suite, les dissolutions sont moins vives; les pluies sont plus lentes, plus douces; l’air reste plus chargé de vapeurs et d’humidité; il y a plus de brouillards et de jours nuageux, etc., et l’évaporation est plus lente.
Si aux États-Unis l’évaporation est rapide, c’est encore parce que les courants sont libres, à raison de la planimétrie générale, et parce que l’un de ces courants, le nord-ouest, vent d’une sécheresse extrême, domine pendant les deux cinquièmes de l’année.
En Europe, au contraire, le grand dominant est le vent d’ouest, et il est aussi le grand humide.
Enfin, c’est encore cette forte évaporation de l’air aux États-Unis qui y cause des rosées énormes, inconnues dans nos climats tempérés. Elles y sont si fortes en été, que les premières nuits où je couchai dans les forêts désertes de l’Ohio et de la Wabash, je crus à mon réveil qu’il pleuvait à verse; et cependant, en considérant le ciel, je le trouvai clair et serein; bientôt je m’aperçus que les grosses gouttes qui tombaient avec bruit de feuille en feuille sur les arbres, n’étaient que la rosée du matin, c’est-à-dire, l’évaporation du jour précédent, dissoute et précipitée par la fraîcheur de l’aube du jour. Enfin, si les vents y sont plus rapides, et les ouragans plus fréquents que dans notre Europe, l’on peut dire que ce n’est pas seulement parce que le tropique est plus voisin, mais parce que les courants de l’air ne trouvent sur le continent aucun point d’appui qui les arrête et les fixe; et si le chaînon de l’Apalache avait 8 à 900 toises d’élévation, le système atmosphérique de tout le bassin d’ouest serait changé.
§ III.
De l’électricité de l’air.
Un dernier point météorologique sur lequel l’air du continent américain diffère encore de celui de l’Europe, est la quantité de fluide électrique dont l’air du premier est imprégné dans une proportion beaucoup plus forte: l’on n’a pas besoin des appareils mécaniques et artificiels pour rendre ce fait sensible; il suffit de passer vivement un ruban de soie sur une étoffe de laine pour le voir se contracter avec une vivacité que je n’ai jamais remarquée en France: les orages d’ailleurs en fournissent des preuves effrayantes par la violence des coups de tonnerre, et par l’intensité prodigieuse des éclairs. Dans les premières occasions où j’eus ce spectacle à Philadelphie, je remarquai que la matière électrique était si abondante, que tout l’air semblait en feu par la succession continue des éclairs; leurs zig-zags et leurs flèches étaient d’une largeur et d’une étendue dont je n’avais pas d’idée, et les battements du fluide électrique étaient si forts qu’ils semblaient à mon oreille et à mon visage être le vent léger que produit le vol d’un oiseau de nuit. Leurs effets ne se bornent point à la démonstration, ni au bruit; les accidents qu’ils occasionent sont fréquents et graves. Dans l’été de 1797, depuis le mois de juin jusqu’au 28 août, je comptai, dans les papiers publics, dix-sept personnes tuées par le tonnerre; et feu M. Bache, petit-fils de Franklin, auteur du journal Aurora, à qui je fis part de ma remarque, me dit qu’il avait compté quatre-vingts graves accidents. Ils sont fréquents en rase campagne, surtout sous les arbres; et l’on n’y connaît pas assez l’efficacité des toiles et des taffetas cirés ou vernissés, qui en pareil cas sont le meilleur préservatif, en même temps qu’ils garantissent de la pluie.
Cette abondance du fluide électrique est une nouvelle preuve de la sécheresse de l’air, de même que sa moindre quantité en France et en Europe est une preuve d’humidité: il paraît constant que le calorique est absorbé et neutralisé par l’eau réduite en vapeur, et qu’alors il ne développe plus ses propriétés naturelles; lorsqu’au contraire l’air est très-sec, fût-il d’ailleurs froid, la matière ignée qui ne trouve pas à se combiner surabonde et manifeste sa présence partout où le lui permettent ses lois. Ce doit être l’une des raisons pour lesquelles la végétation une fois développée est bien plus active aux États-Unis qu’en France; et l’on ne peut pas dire que la chaleur de la saison ou du tropique soit une cause nécessaire de l’abondance du fluide électrique ou igné, puisqu’il n’est jamais plus abondant que par le froid vent de nord-ouest, et que d’après les observations des savants russes Gmelin, Pallas, Muller et Georgi, etc., l’électricité est d’une abondance excessive dans l’air glacial et sec de la Sibérie[137]..... Ainsi la configuration plane de l’Amérique, en occasionant la rapidité des courants de l’air, la célérité de l’évaporation de l’eau et la sécheresse de l’atmosphère, devient une cause primordiale de l’abondance de l’électricité.
J’ajoute une remarque qui peut avoir son importance en physiologie. Il est connu que les brouillards et l’humidité sont une cause constante et féconde de maladies; qu’ils occasionent spécialement les catarrhes, les rhumes, les rhumatismes, c’est-à-dire, l’obstruction et l’atonie de tout le système vasculaire; qu’ils produisent des fièvres d’espèces variées, mais toutes avec le symptôme commun de frisson, auquel succède une vive chaleur. Or, si l’effet de l’humidité, soit en gouttes d’eau, soit en vapeurs, est d’attirer et de s’approprier le fluide électrique ou igné, de le soutirer des corps dans lesquels il est engagé; si ce fluide électrique ou igné dans notre organisation est un des principes de la vie, un des agents de la circulation du sang et des autres humeurs; s’il est surtout l’un des principes constituants, peut-être le principe radical du fluide nerveux, ne peut-on pas conclure que c’est en nous soustrayant ce principe de la vie, que l’eau en gouttes ou en vapeurs nous devient si nuisible? Que c’est en l’aspirant de notre tissu cellulaire et de nos nerfs qu’elle les paralyse, les réduit à l’atonie, à l’obstruction passagère ou durable, selon la force et la durée de l’action; et alors, outre l’indication du préservatif, celle du remède ne serait-elle pas de trouver le moyen de restituer ce feu par un procédé inverse, de la même espèce: les fomentations, les frottements de corps chauds, même des fers de tailleurs, ont un effet confirmatif de cette idée; mais il reste à découvrir une opération plus radicale, plus chimique, qui appelle les talents et les expériences des gens de l’art[138].