Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 7/8)
QUARTIER DU LUXEMBOURG.
Ce quartier, entièrement situé hors des murs de l'enceinte de Philippe-Auguste, n'offroit encore, sous le règne de Charles VI, qu'un petit nombre de rues placées au midi et à l'orient de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, qui en étoit le centre, et de vastes terrains remplis de cultures, presque tous dépendants de cette abbaye. Alors la chapelle qu'a remplacée l'église paroissiale de Saint-Sulpice étoit située à l'extrémité méridionale du bourg Saint-Germain, et presque au milieu des champs.
L'accroissement de cette partie des faubourgs se fit assez lentement jusqu'à la fin du règne de Henri IV; et le quartier du Luxembourg ne commence à se développer avec quelque rapidité qu'après la construction du superbe palais que Marie de Médicis y fit élever. Ce grand monument fut en quelque sorte le point intermédiaire qui unit entre eux les édifices bâtis à l'entrée de la porte Saint-Michel, lesquels formoient déjà un faubourg du même nom, avec les maisons de la partie septentrionale du quartier. C'est ce que la description des rues et des monuments fera plus particulièrement connoître.
L'ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-SULPICE.
Il est impossible de présenter une opinion positive sur l'origine de cette église. L'incertitude des traditions est telle, que des auteurs[121] en ont fait remonter l'antiquité jusqu'au commencement de la seconde race, lui donnant ainsi une existence de plus de dix siècles, tandis que d'autres l'ont mise au nombre des paroisses les plus modernes de Paris[122]. Le premier de ces deux sentiments, en le modifiant un peu, nous semble approcher davantage de la vérité.
On n'ignore pas, et nous avons eu souvent l'occasion de le faire remarquer dans le cours de cet ouvrage, que c'étoit un ancien usage de bâtir des chapelles ou oratoires près des basiliques. Saint Germain en avoit fait construire une sous le nom de Saint-Symphorien, à une petite distance et au midi de l'église Saint-Vincent, aujourd'hui Saint-Germain-des-Prés; c'est là qu'il fut enterré, et que le furent aussi son père et sa mère. Il existoit au nord une semblable chapelle sous le nom de Saint-Pierre, dans laquelle fut inhumé saint Droctové, premier abbé de Saint-Germain. Les titres de cette abbaye font encore mention d'une chapelle dite de Saint-Martin-le-Vieux, et depuis de Saint-Martin-des-Orges ou des-Bienfaiteurs. Enfin le martyrologe d'Usuard, dédié en 870 à Charles-le-Chauve, désigne une église dépendante de Saint-Germain, et dédiée à saint Jean-Baptiste, à saint Laurent, archidiacre, et à saint Sulpice, évêque.
Si ce dernier titre étoit authentique, point de doute qu'il ne fallût chercher uniquement ici l'origine de cette paroisse; mais il est prouvé jusqu'à l'évidence que ce passage a été ajouté au manuscrit d'Usuard plus de trois cents ans après la mort de cet auteur[123], et par conséquent qu'il faut absolument l'abandonner dans les recherches qu'on seroit tenté de faire sur l'antiquité de cette église. La seule induction qu'on en puisse tirer, c'est qu'il existoit, à cette dernière époque, une quatrième chapelle, sous l'invocation des trois saints que nous venons de nommer.
On a prétendu, dans un autre écrit[124], «que cette église fut bâtie en 563, pour être la paroisse des fermiers, colons et habitants de l'abbaye Saint-Germain.» Mais on ne voit pas comment on auroit pu ériger alors une chapelle sous le nom de Saint-Sulpice, qui ne mourut que quatre-vingts ans après cette époque; et tout porte à croire que c'étoit la chapelle Saint-Pierre qui avoit été choisie pour cet usage. Lorsqu'au dixième siècle l'abbé Morard fit rebâtir l'église Saint-Germain, cette chapelle et celle de Saint-Symphorien furent renfermées dans la nouvelle basilique, ainsi qu'on peut le voir dans le plan qu'en a donné dom Bouillart[125]. La dernière conserva son nom, et subsistoit encore avant la révolution; quant à l'autre, on jugea à propos de la transférer au bout du clos de l'abbaye[126].
Il est constant qu'alors elle continua de servir de paroisse aux serfs et aux habitants de ce canton, lequel n'étoit pas encore très peuplé. Tout ce vaste terrain qui forme le faubourg Saint-Germain du côté du couchant ne consistoit, à cette époque, qu'en vignobles, prés, marais potagers, terres labourables et autres cultures, entremêlés de quelques édifices isolés, servant de maisons de plaisance aux habitants de la ville, ou d'habitations pour les cultivateurs. Les concessions que les religieux de Saint-Germain firent successivement de diverses parties de leur territoire, soit par vente, soit sous la condition de redevances annuelles, ayant rapidement accru la population de ce petit canton, il est probable que, vers le XIIe siècle, la situation de la chapelle Saint-Pierre, élevée à l'une de ses extrémités, parut incommode pour le plus grand nombre des paroissiens, et qu'on imagina de la remplacer par cette chapelle dédiée à saint Jean, saint Laurent et saint Sulpice, située dès lors à la place où est aujourd'hui l'église dont nous parlons.
L'abbé Lebeuf n'est pas de ce sentiment; et sans nier que la chapelle Saint-Pierre fût paroisse du bourg Saint-Germain, il s'efforce de prouver qu'alors celle de Saint-Sulpice partageoit avec elle cet honneur. Les raisons qu'il apporte à l'appui de son sentiment ont été réfutées très solidement par Jaillot; il n'y a jamais eu deux paroisses dans ce faubourg, et nous pensons qu'il faut considérer, avec ce judicieux critique, le douzième siècle comme l'époque à laquelle se fit la mutation dont nous venons de parler[127].
Cependant les édifices continuoient à se multiplier autour de l'abbaye Saint-Germain; la population augmentoit de jour en jour davantage, et l'église Saint-Sulpice se trouva trop petite pour contenir la foule des fidèles qui venoient assister aux offices. Elle fut agrandie d'une nef sous François Ier; et en 1614 on ajouta trois chapelles de chaque côté de cette nef. Ces augmentations furent bientôt insuffisantes; d'ailleurs l'église menaçoit ruine; et cette double considération fit naître l'idée à ses plus illustres paroissiens de se réunir pour bâtir une église nouvelle. La première pierre en fut posée le 20 février 1646 par la reine Anne d'Autriche; et les bâtiments commencèrent à s'élever sur les dessins de Louis Levau. Sa mort, arrivée peu de temps après, fit confier la conduite des travaux à Daniel Gittard, architecte d'une grande réputation. Il acheva la chapelle de la Vierge d'après le plan de son prédécesseur, construisit le chœur, les bas côtés qui l'environnent et les deux croisées[128]. Le portail d'une de ces croisées fut alors commencé, et poussé jusqu'au premier ordre; mais les dettes considérables que la fabrique avoit été forcée de contracter pour élever un si grand monument forcèrent, en 1678, d'en suspendre tout à coup les travaux.
Ce ne fut qu'en 1718 qu'ils furent repris, par les soins de M. Languet de Gergi, alors curé de cette paroisse, lequel déploya dans cette grande entreprise un zèle et une activité qui tiennent du prodige. Une somme de 300 fr. étoit alors tout ce qu'il possédoit: elle fut employée à acheter quelques pierres, qu'il annonça publiquement devoir être employées à la continuation de son église. Ses prières, ses exhortations, firent le reste: elles émurent ses nombreux et riches paroissiens; la piété sincère de quelques uns, peut-être la vanité de plusieurs, surtout l'exemple si puissant sur les hommes, lui ouvrirent toutes les bourses; aux sommes considérables qu'il avoit ainsi recueillies, le roi daigna ajouter, en 1721, le bénéfice d'une loterie, qui assura l'exécution d'un si beau projet.
Le monument fut continué d'abord sous la conduite de Gille-Marie Oppenord, directeur général des bâtiments et des jardins du duc d'Orléans, architecte alors très célèbre, mais peu digne de sa réputation, et à qui nous devons bien certainement l'extrême corruption du goût, et tous ces ornements capricieux dont l'emploi caractérise les ouvrages exécutés sous le règne de Louis XV. Le point où les travaux étoient parvenus ne lui permit pas sans doute d'en surcharger davantage la nouvelle église, sans quoi toutes les formes en eussent été enveloppées. Il fit néanmoins en ce genre tout ce qu'il lui étoit possible de faire; et il n'y a pas long-temps qu'on a démoli des consoles ou encorbellements formés par des anges, et employés à soutenir des tribunes établies dans les croisées. Ces ornements, où étoit empreinte toute la bizarrerie du goût d'Oppenord, n'étoient heureusement exécutés qu'en carton.
Le portail de l'église, commencé en 1733, est d'un style bien différent: on le doit au célèbre chevalier Servandoni; et ses grandes proportions, la hardiesse de son dessin, les grands effets qu'il produit, tout décèle ici le génie élevé de ce décorateur fécond, dont les compositions pittoresques pour les fêtes publiques et les scènes théâtrales firent pendant si long-temps les délices de l'Europe. En établissant son portail sur une aussi grande échelle, en adoptant pour ses lignes un si grand parti, cet artiste fit triompher la noble et antique architecture de ce style maigre et sans caractère, de ces formes brisées et de ce tortillage continuel, dont le système bizarre, et qu'on peut regarder comme une espèce de mode françoise, étoit parvenu à dégrader jusqu'à la majesté des temples.
La direction des ordres dorique et ionique de ce portail[129], dont les entablemens suivent toute l'étendue de la façade, sur une longueur de cent quatre-vingt-quatre pieds sans aucun ressaut, est une de ces conceptions hardies qui caractérisent la grande manière de Servandoni, manière tellement opposée à celle de son siècle, qu'alors plus une ligne étoit ressautée et tourmentée de profils, plus les architectes, tant françois qu'italiens, s'imaginoient avoir fait preuve de science et de génie. Servandoni ne fut pas aussi heureux dans le dessin des tours qui devoient couronner son ouvrage: un architecte nommé Maclaurin, chargé d'y faire les changements nécessaires, ne tint pas ce qu'il avoit fait espérer; on peut en juger par celle de ces deux tours qui subsiste encore, et qui est placée à la droite du portail. Il étoit réservé à Chalgrin de mettre ces constructions en harmonie avec les ordres qu'elles accompagnent; et l'on peut dire que la tour déjà élevée sur ses dessins[130] ne seroit point désavouée par Servandoni lui-même. Ce fut en 1777 que cet architecte fut chargé de ce travail, interrompu par la révolution, et qui sans doute sera quelque jour achevé, pour l'honneur de l'architecture françoise. Le portail de Saint-Sulpice présentera alors une élévation de deux cent dix pieds, élévation qui surpasse d'une toise celle des tours de Notre-Dame.
Au dessus du second ordre, et entre les deux tours, Servandoni avoit élevé un fronton: frappé de la foudre en 1770, il parut menacer ruine, et sa suppression fut opérée peu de temps après. On ne doit point le regretter: il est résulté de cette suppression plus de tranquillité, un ensemble plus régulier dans la façade, dont le bel effet sera encore mieux senti lorsqu'elle se trouvera en harmonie avec la place qui doit l'environner, et dont les travaux sont déjà commencés[131].
Quant aux autres parties qui furent exécutées depuis 1718, voici de quelle manière on y procéda: M. Languet commença par faire élever le portail de la croisée à droite sur la rue des Fossoyeurs; le duc d'Orléans en posa la première pierre en 1719. C'est une construction pyramidale dans le genre de celles qui servent de façades aux églises de Paris; elle est composée de deux ordres de colonnes, dorique et ionique. Le portail de la croisée à droite, élevé presque en même temps et conçu dans le même système, présente aussi deux ordres, composés chacun de quatre colonnes, le premier corinthien, le second composite. Après l'exécution de ces deux parties du bâtiment, on commença, en 1722, à élever le côté gauche de la nef, laquelle ne fut entièrement terminée qu'en 1736. Alors on s'occupa de l'achèvement du portail, dont les travaux, comme nous venons de le dire, étoient déjà commencés depuis trois années.
Il étoit déjà fort avancé, lorsque le digne pasteur, dont l'activité infatigable avoit su procurer à son église une décoration intérieure digne d'un vaisseau aussi vaste et aussi magnifique, crut devoir profiter de l'occasion brillante que lui offroit l'assemblée du clergé pour en rendre la dédicace plus solennelle. Les prélats qui composoient cette assemblée voulurent bien se rendre à la prière qu'il leur fit de présider à cette consécration; la cérémonie s'en fit le 30 juin 1745, et l'église fut dédiée sous l'invocation de la sainte Vierge, de saint Pierre et de saint Sulpice.
Le maître-autel, construit à la romaine, et isolé entre la nef et le chœur, étoit élevé de sept degrés[132]. Le rond-point du chœur, percé d'une grande arcade, laisse apercevoir la chapelle de la Vierge, décorée d'abord sur les dessins de Servandoni, restaurée ensuite[133] par de Wailly, architecte. Le groupe de la Vierge et de l'enfant Jésus est éclairé avec art dans une niche ajoutée à la construction primitive, et supportée en dehors par une trompe en coupe de pierre très habilement exécutée. L'heureux emploi du marbre, de la dorure et de la peinture, rappelle, dans cette chapelle, les belles décorations des églises d'Italie, si différentes de cette profusion d'ornements dont on a si long-temps chargé l'intérieur de nos églises. La gravité du style sacré demande plus de retenue: c'est du choix des plus belles matières, de la perfection de la main d'œuvre et de la pureté des formes que doit se composer la richesse des temples; une noble simplicité est plus propre que le luxe des ornemens à y produire les impressions profondes de piété et de recueillement que l'on vient y chercher.
Au bas des tours sont deux chapelles, l'une destinée pour le baptistaire, l'autre pour le sanctuaire du saint-viatique. Elles sont décorées de huit colonnes corinthiennes, qui soutiennent une frise garnie de rinceaux d'ornements; le tout est surmonté d'un plafond en coupole avec caissons et rosaces, séparés par des bandes à l'aplomb des colonnes.
La nef et les bras de la croix sont, de même que le chœur, percés d'arcades, dont les pieds-droits, ornés de pilastres corinthiens, correspondent aux arcs doubleaux des voûtes. Tous les piliers de cette église sont revêtus de marbre à hauteur d'appui[134].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-SULPICE EN 1789.
TABLEAUX.
Dans la première chapelle, à côté de la grande sacristie, une nativité et un concert d'anges; par La Fosse.
Dans la troisième, une Sainte-Geneviève; par Hallé.
Dans la chapelle des mariages, deux anges peints sur le plafond; par le même.
Jésus-Christ bénissant les petits enfants; par le même.
Une nativité; par Carle-Vanloo.
Une présentation au temple; par Pierre.
Une fuite en Égypte; par le même.
Jésus-Christ au milieu des docteurs; par Frontier.
Dans la sacristie des messes, une apparition; par Hallé.
Une vierge à genoux; par Monier.
Dans la chapelle de la Vierge, des peintures entre les pilastres; par Carle-Vanloo. (Ces peintures ont été rendues à l'église.)
Dans la coupole, l'assomption de la Vierge; par François Lemoine[135].
Dans la première chapelle à droite en entrant par le grand portail, le baptême de N. S. et une cène.
Dans la seconde, un saint Jérôme.
Dans la troisième chapelle, Jésus-Christ chassant les marchands du temple, et l'esquisse du plafond de la chapelle de la Vierge.
Dans la quatrième chapelle à gauche, derrière le chœur, saint François et saint Nicolas; par Pierre. (Le premier de ces deux tableaux a été replacé dans une des chapelles.)
SCULPTURES.
Sur le maître-autel, de marbre bleu-turquin, orné de bronzes dorés, un tabernacle de même matière, et enrichi de pierreries. Deux anges de bronze doré soutenoient la table qui s'élevoit au dessus et formoit le propitiatoire. Toute cette décoration, d'un très mauvais goût, étoit d'Oppenord, et n'existe plus[136].
À l'entrée du chœur, deux anges de bronze doré, grands comme nature; par Bouchardon. (Ces deux figures ont été rendues à l'église.)
Sur des culs de lampes adaptés aux pilastres de l'intérieur du chœur, les statues, en pierre de Tonnerre, et plus grandes que nature, de Jésus-Christ, de la Vierge et des douze apôtres; par le même[137].
Dans la chapelle de la Vierge, une statue en marbre, de sept pieds de proportion, représentant cette mère du Sauveur; par Pigale[138].
Dans la même chapelle, des statues et une gloire en stuc; par Mouchy.
Dans la chapelle du Saint-Viatique, sur le maître-autel, un bas-relief représentant la mort de saint Joseph; par le même.
Dans quatre niches pratiquées autour de cette chapelle, quatre statues représentant la Religion, l'Espérance, l'Humilité et la Résignation; par le même.
Dans la chapelle du baptistaire, sur le maître-autel, un bas-relief représentant le baptême de Notre Seigneur; par Boizot.
Dans les quatre niches, quatre statues, représentant la Force, la Grâce, l'Innocence et la Sagesse; par le même.
Au milieu, une cuve de cinq pieds de diamètre, en marbre bleu-turquin, et ornée de bronze, servant de baptistaire; par le même.
Dans la chapelle de Saint-Jean-Baptiste, sur l'autel, la statue de ce saint; par le même. (Elle existe.)
Dans la chapelle du Sacré-Cœur, une vierge en marbre; par Michel-Ange Sloldtz.
Dans la croisée de l'église, deux urnes antiques en granit, apportées d'Égypte, et servant de bénitiers.
Au bas de l'église, deux belles coquilles, servant aussi de bénitiers, et données à François Ier par la république de Venise. (Elles servent encore au même usage.)
Dans la sacristie, un très beau lavoir, incrusté de marbre blanc et orné de bas-reliefs.
Dans les niches extérieures des deux portails de la croisée, les statues de saint Jean, de saint Joseph, de saint Pierre et de saint Jean; par François Dumont.
La tribune intérieure sur laquelle pose le buffet d'orgue, soutenue par un péristyle de colonnes isolées, d'ordre composite, a été élevée sur les dessins de Servandoni. Ce buffet d'orgue, exécuté par Clicquot, et renfermé dans une menuiserie dont les dessins ont été donnés par Chalgrin, passe pour le plus complet de l'Europe. Les sculptures dont il est orné sont de Duret. (Toute cette décoration est demeurée intacte.)
La chaire à prêcher, très riche, mais d'une forme bizarre, a été élevée sur les dessins de Wailly. (Elle existe.)
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Claude Dupuy, conseiller au parlement, et l'un des plus savants hommes de son temps, mort en 1594.
Michel de Marolles, auteur d'un grand nombre de mauvaises traductions de classiques latins, mort en 1681[139].
Pierre Bourdelot, médecin célèbre, mort en 1685.
François Blondel, seigneur des Croisettes, maréchal des camps et armées du roi, et célèbre architecte, mort en 1686.
Barthélemi d'Herbelot, savant orientaliste, mort en 1695.
Gaston-Jean Zumbo, habile sculpteur en cire, mort en 1701.
Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, comtesse d'Aulnoy, auteur de contes de fées très agréables, et de plusieurs autres ouvrages, morte en 1705.
Roger de Piles, peintre et auteur d'ouvrages sur la peinture, mort en 1709.
Élisabeth-Sophie Chéron, célèbre par ses talents pour la peinture et la poésie, morte en 1711.
Jean Jouvenet, l'un des meilleurs peintres de l'École françoise, mort en 1717.
Étienne Baluze, savant compilateur, mort en 1718.
Louis d'Oger, marquis de Cavoie, grand maréchal-des-logis de la maison du roi, mort en 1716.
Louise-Philippe de Coetlogon, son épouse, morte en 1729.
Allain-Emmanuel de Coetlogon, maréchal et vice-amiral de France, etc., mort en 1730.
Vincent Languet, comte de Gergi, frère du curé de cette paroisse auquel on doit l'achèvement de l'église, mort en 1734.
Philippe de Courcillon, marquis de Dangeau, mort en 1720.
Philippe Égon, marquis de Courcillon son fils, mort en 1719.
Jean-Victor de Bezenval, colonel des gardes suisses, mort en 1737. Sur son tombeau étoit un médaillon de bronze offrant son portrait, par Meyssonnier. (Détruit.)
Jean-Baptiste Languet de Gergi, curé de Saint-Sulpice. Son mausolée, placé dans la cinquième chapelle à droite du portail, étoit de la main de Michel-Ange Sloldtz[140].
La comtesse de Lauraguais; son tombeau avoit été exécuté par Bouchardon[141].
L'église souterraine de Saint-Sulpice, remarquable par son étendue, contenoit encore un très grand nombre de sépultures. On y voit d'anciens piliers de l'église primitive, qui prouvent combien le sol de Paris s'est exhaussé depuis quelques siècles.
CIRCONSCRIPTION.
La paroisse Saint-Sulpice comprenoit tout le faubourg Saint-Germain, et n'étoit bornée au couchant que par la portion de l'enceinte dans laquelle ce faubourg est renfermé. Pour bien connoître son étendue, il suffira donc d'en marquer les bornes du côté des paroisses Saint-Séverin, Saint-Côme et Saint-André. Elle touchoit aux limites de Saint-Séverin dans la rue d'Enfer, où elle avoit quelques maisons du côté du Luxembourg; elle en avoit aussi quelques unes vers le séminaire Saint-Louis. Son territoire embrassoit ensuite le côté occidental de la place Saint-Michel et de la rue des Fossés-de-Monsieur-le-Prince en descendant; la rue de Touraine des deux côtés, une partie de celle des Cordeliers, la rue qui la suit jusqu'au carrefour des anciens fossés, la rue des Fossés-Saint-Germain, quelques maisons dans les rues Dauphine et Saint-André lui appartenoient également; elle s'étendoit ensuite dans les deux côtés de la rue Mazarine, renfermoit quelques maisons de la rue Guénégaud, et descendoit ainsi jusqu'aux Quatre-Nations, où son territoire finissoit inclusivement.
Il y avoit à Saint-Sulpice six confréries et deux congrégations célèbres. La nomination de cette cure appartenoit à l'abbé de Saint-Germain[142].
En 1646, on abattit la partie la plus ancienne de l'église de Saint-Sulpice; cette construction paroissoit être du treizième siècle[143]. La nef, élevée sous François Ier, existait encore au commencement du siècle dernier.
LES RELIGIEUSES DE NOTRE-DAME DE LA MISÉRICORDE.
Voici une institution que l'on peut considérer comme un des miracles de la charité chrétienne et d'une confiance sans bornes dans la Providence. Son objet étoit de procurer un asile et l'existence à des filles de qualité ou du moins d'une bonne famille, qui n'auroient pas eu les ressources suffisantes pour remplir leur vocation et se consacrer à Dieu; et le projet en fut conçu par deux personnes dépourvues de biens, sans naissance, et alors sans considération, Madeleine Martin, fille d'un soldat, et Antoine Yvan, prêtre de l'Oratoire. La ville d'Aix en Provence fut, en 1633, le berceau de cette communauté naissante, qui toutefois n'y fut établie convenablement qu'en 1638. Elle obtint des lettres-patentes du roi en 1639; en 1642, Urbain VIII confirma l'ordonnance de l'archevêque d'Aix, par laquelle il érigeoit cette maison en monastère, sous le nom de Filles de Notre-Dame de la Miséricorde, et sous la règle de saint Augustin. Une bulle d'Innocent X la confirma de nouveau en 1648.
Anne d'Autriche, ayant entendu parler avec éloge de cet institut, désira en former un semblable à Paris. Contrariée d'abord dans ses vues par l'archevêque d'Aix, la mort de ce prélat fit, peu de temps après, évanouir toutes les difficultés, et la mère Madeleine arriva à Paris le 24 janvier 1649, avec trois de ses compagnes. Dans ce moment la reine se voyoit forcée par les frondeurs d'en sortir; et au milieu des embarras d'une aussi cruelle situation, elle ne put ni voir ces religieuses ni s'occuper de leur sort. Madame de Boutteville, qui les reçut d'abord dans sa maison, ne put leur accorder qu'une hospitalité passagère; et dans une ville livrée aux fureurs des factions et à tous les maux qui en sont la suite, ces malheureuses filles, abandonnées à elles-mêmes, se trouvèrent sans ressources, sans protecteurs, en proie à tous les besoins. Il ne faut pas s'étonner si, dans de telles circonstances, l'abbé de Saint-Germain refusa son consentement à l'établissement des Filles de la Miséricorde; la prudence humaine sembloit dicter ce refus. Mais le courage que la mère Madeleine puisoit dans son zèle religieux triompha d'obstacles que l'on pouvoit croire insurmontables. Elle ne possédoit absolument rien au monde; cependant elle ne craignit point d'acheter, en 1651, une grande maison rue du Vieux-Colombier, pour une somme de 50,000 f., qu'elle se vit en état de payer, lors de la signature du contrat, par les libéralités de plusieurs personnes de piété qu'avoient touchées son malheur et son dévouement. La duchesse d'Aiguillon donna seule 20,000 fr.; et la mère Madeleine, installée la même année dans l'asile qu'elle s'étoit créé, se trouva, dans l'espace de dix ans, assez riche des charités nouvelles qu'elle reçut de tous les côtés, pour acheter encore cinq petites maisons et une grande, situées rue des Canettes, acquisition qui lui fournit les moyens d'accroître son monastère, et des revenus suffisants pour rendre plus douce l'existence de ses religieuses. Dans les lettres-patentes que le roi donna en 1662 pour confirmer cette acquisition, il déclara la nouvelle institution de fondation royale, accorda aux religieuses le droit de Committimus, et la permission d'acquérir encore des fonds de terre jusqu'à la valeur de 10,000 liv. de rente[144].
Les religieuses de cette maison suivoient la règle de saint Augustin. Elles étoient vêtues de noir, avec un scapulaire blanc, et portoient en sautoir un Christ suspendu à un ruban noir. Les fruits de leurs travaux étoient destinés à remplir le but de leur fondation[145].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
Sur le maître-autel, un tableau estimé représentant Notre-Dame-des-Sept-Douleurs; par un peintre inconnu.
LES ENFANTS ORPHELINS DE SAINT-SULPICE.
La plupart de nos historiens ne sont entrés dans aucun détail sur cet établissement, et ont manqué d'exactitude dans le peu qu'ils en ont dit. M. Olier, curé de Saint-Sulpice, doit être considéré comme le premier, et ce nous semble, comme le seul qui ait conçu et exécuté le projet de procurer un asile et des secours à ces enfants infortunés que la mort de leurs parents laisse sans appui et sans autre ressource que la charité des fidèles. Ce fut principalement sur cette portion malheureuse de son troupeau que ce vertueux pasteur porta ses plus grandes sollicitudes. Il commença, en 1648, par placer les garçons dans différents ateliers pour y apprendre les métiers qui paroissoient convenir davantage à leur goût et à leur intelligence. Les filles furent rassemblées d'abord dans une maison de la rue de Grenelle, ensuite rue du Petit-Bourbon, dans un bâtiment que madame Lesturgeon donna libéralement pour ce pieux usage.
Il paroît, par quelques actes, qu'en 1675 cet établissement avoit encore changé de local, et qu'il étoit alors placé au coin des rues du Canivet et des Fossoyeurs[146]. C'est alors que ceux qui le dirigeoient[147], présentèrent requête au roi pour qu'il voulût bien confirmer cette communauté sous le titre d'Orphelins de la Mère de Dieu, ce que Sa Majesté accorda par lettres-patentes de 1678. On voit par ces lettres que cette fondation a été faite pour les orphelins des deux sexes, et que le nombre n'en est point déterminé; il a été porté jusqu'à cent dans les derniers temps.
Il y avoit dans cette maison une chapelle, sous le titre de l'Annonciation. On y recevoit les orphelins dès la plus tendre enfance; ils étoient élevés et instruits avec beaucoup de soin jusqu'à ce qu'ils eussent atteint l'âge convenable pour être mis en apprentissage ou placés avantageusement. Huit sœurs dirigeoient la maison, et s'étoient consacrées à cette œuvre de charité, sans s'y astreindre par aucun vœu[148].
SŒURS DE LA CHARITÉ.
La paroisse Saint-Sulpice possédoit un établissement de ces saintes filles, placé, en 1656, rue du Pot-de-Fer, et transféré dans la rue Férou en 1732[149].
COMMUNAUTÉS DE FILLES (rue des Fossoyeurs.)
Ces communautés, instituées pour l'instruction des jeunes filles et pour leur apprendre les travaux propres à leur sexe, existoient dans cette rue à la fin du dix-septième siècle. La première, dont Jaillot n'a pu découvrir ni le nom ni la fondation, étoit placée, en 1689, un peu en deçà de la rue du Canivet, du côté de celle de Vaugirard; la seconde, connue sous le nom de Filles de l'intérieur de la très sainte Vierge, et vulgairement sous celui de Communauté de madame Saujon, avoit été établie en 1663, et détruite environ quatorze ans après. Elle occupoit l'espace compris entre les rues Palatine, Garancière et des Fossoyeurs jusqu'à la rue du Canivet. Enfin la troisième, située un peu au dessus de celle-ci, s'appeloit la Communauté de madame Picart. Elle existoit en 1692; on ignore quand elle a été détruite.
COMMUNAUTÉ DE LA RUE NEUVE-GUILLEMIN.
Cette communauté profita des débris de celle de madame Picart. Lorsque ce dernier établissement eut été détruit par des causes que nous ignorons, la grande duchesse de Toscane, qui avoit contribué à le former par ses libéralités, transporta les rentes qu'elle y avoit attachées à une institution semblable, établie dans la rue que nous venons de nommer, par mademoiselle Seguier. Cette faveur n'empêcha point sa destruction, dont nous n'avons pu également découvrir ni l'époque ni la cause.
LES FILLES DU SAINT-SACREMENT.
Nous avons déjà parlé de la seconde maison fondée à Paris par ces religieuses[150], sans rien dire alors de leur origine et de leur établissement dans cette ville. Lorsque les continuelles inconstances de Charles IV, duc de Lorraine, eurent soulevé contre lui les premières puissances de l'Europe, et rendu son pays le théâtre d'une guerre violente et de toutes les calamités qui en sont ordinairement la suite, les religieuses bénédictines de la Conception-de-Notre-Dame de Rambervilliers, exposées chaque jour aux excès d'une soldatesque effrénée, et aux dernières extrémités du besoin, se virent forcées d'abandonner leur monastère et de se retirer à Saint-Mihel. Elles y vécurent plus en sûreté, mais dans une telle misère, que les missionnaires envoyés par M. Vincent-de-Paul pour répandre des charités dans cette province désolée ne virent d'autre moyen de les arracher au sort affreux qui les menaçoit que de les envoyer à Paris. L'abbesse de Montmartre consentit à en recevoir quelques unes dans son monastère. Catherine de Bar, dite du Saint-Sacrement, l'une de ces religieuses infortunées, s'y rendit avec une de ses compagnes en 1641, et sut tellement intéresser la communauté par le récit touchant qu'elle fit de ses malheurs, que douze autres sœurs, parmi celles qui restoient encore à Saint-Mihel, en furent appelées pour être placées à Paris dans différentes abbayes. Réunies en 1643 dans un hospice qu'une dame pieuse leur avoit procuré à Saint-Maur, elles ne tardèrent pas à s'en voir expulsées de nouveau par les troubles qui commençoient à agiter Paris, et qui attiroient la guerre dans ses environs. Pour échapper une seconde fois à ce fléau, elles se réfugièrent, en 1650, dans cette capitale, où elles habitèrent quelque temps une petite maison située rue du Bac. Cependant la sœur Catherine de Bar, qui étoit retournée à Rambervilliers quelques années auparavant, vint les rejoindre, ramenant avec elle les quatre dernières religieuses de sa communauté, jusque là restées en Lorraine. Elle avoit des vertus et un mérite qui jetèrent bientôt un grand éclat, et contribuèrent à procurer un établissement plus solide à son petit troupeau.
Les outrages faits au Saint-Sacrement par les hérétiques et les impies affligeoient profondément quelques pieuses personnes, qui méditoient le projet de réparer, autant qu'il étoit possible, ces profanations. La marquise de Beauves en avoit conçu la première idée: la comtesse de Châteauvieux, mesdames de Sessac et Mangot de Villeran entrèrent avec ardeur dans des vues si louables, et toutes réunies formèrent un fonds de 30,000 fr., destiné au premier établissement d'une institution dont l'objet principal seroit d'honorer d'une façon particulière le mystère ineffable de l'Eucharistie. Elles jetèrent les yeux sur la mère Catherine de Bar pour diriger cette communauté nouvelle; et le contrat fut passé le 14 août 1652. Cependant les circonstances où se trouvoit alors la ville de Paris leur suscitèrent, dès le commencement, des obstacles: Anne d'Autriche rejeta d'abord toutes les demandes qui lui furent faites à cet égard, et engagea même l'abbé de Saint-Germain à ne pas permettre qu'il se fît de nouveaux établissements sur son territoire; mais il arriva, par une grâce spéciale de la Providence, que, peu de temps après, cette reine, dont la piété étoit grande, dans l'espoir de fléchir le ciel irrité contre la France et de faire cesser les maux qui l'accabloient, chargea un saint prêtre de la communauté de Saint-Sulpice, nommé Picoté, de faire tel vœu qu'il jugeroit convenable, lui promettant de l'accomplir sur-le-champ. On prétend que, sans avoir aucune connoissance du projet dont nous venons de parler, il conçut, comme par inspiration, l'idée d'une maison religieuse consacrée au culte perpétuel du Saint-Sacrement. L'application de son vœu s'étant faite naturellement à l'établissement déjà formé, l'abbé de Saint-Germain, sur les ordres de la reine, donna son consentement le 19 mars 1653, et le roi, ses lettres-patentes au mois de mai suivant.
Ces religieuses furent d'abord placées rue Férou, dans une maison que l'on avoit arrangée le plus convenablement possible; la croix y fut posée le 12 mars 1654, et la reine, qui s'étoit déclarée fondatrice du nouveau couvent, donna un exemple frappant de son ardente et sincère dévotion, en prenant elle-même le flambeau, et faisant réparation la première des outrages commis contre le plus saint de nos mystères.
Indépendamment des vœux ordinaires, les filles de ce monastère faisoient le vœu particulier de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Chaque jour une sœur se mettoit à genoux vis-à-vis d'un poteau placé au milieu du chœur, une torche allumée à la main et la corde au cou: dans cette humble posture, elle faisoit amende honorable de tous les outrages que l'impiété des hommes commet chaque jour contre cet auguste mystère.
Cependant l'habitation qu'occupoient ces religieuses, prise d'abord plutôt par nécessité que par choix, étoit incommode et trop resserrée; leurs bienfaitrices achetèrent presque aussitôt un grand terrain dans la rue Cassette, et y firent construire un monastère, qui fut béni en 1659, et où elles furent transférées dans la même année.
Cet institut, dont la mère Catherine de Bar[151] avoit dressé elle-même les constitutions, fut approuvé, en 1668, par le cardinal de Vendôme, alors légat en France, et confirmé depuis, en 1676 et 1705, par Innocent XI et Clément XI[152].
CURIOSITÉS.
TABLEAUX ET SCULPTURES.
Dans l'église, qui étoit petite, mais très propre, des peintures de plafond et deux tableaux représentant saint Benoît et sainte Scolastique; par Nicolas Montaignes.
Deux statues d'anges soutenant le tabernacle; par Lespingola.
LES PRÉMONTRÉS RÉFORMÉS.
L'ordre que saint Norbert avoit institué au commencement du douzième siècle, et dont il a déjà été fait mention dans cet ouvrage[153], avoit, comme tant d'autres, éprouvé les effets funestes du relâchement. La sévérité des premières lois s'étoit adoucie par degrés, et il ne restoit plus que de foibles traces de l'ancienne discipline, lorsque le P. Daniel Picart, abbé de Sainte-Marie-aux-Bois en Lorraine, conçut le dessein de la faire revivre dans toute la vigueur qu'elle avoit eue aux anciens jours. Secondé dans ce projet par le P. Gervais Lairuels, abbé de Saint-Paul de Verdun, il introduisit dans l'ordre une réforme qu'approuvèrent plusieurs papes[154], et qu'embrassèrent plusieurs maisons de Prémontrés, ce qui donna naissance à une nouvelle congrégation sous le titre de la Réforme de saint Norbert. Elle avoit été confirmée par des lettres-patentes dès 1621; cependant, en 1660, elle n'avoit point encore d'établissement à Paris. Il fut résolu d'en former un, dans le chapitre général tenu, cette même année, à Saint-Paul de Verdun. Toutes les maisons de l'ordre consentirent à en partager la dépense, et l'on députa le P. Paul Terrier pour faciliter l'exécution de ce projet. La reine Anne d'Autriche, à laquelle il s'adressa, voulut l'aider non seulement de sa protection, mais encore de ses libéralités. Soutenus par une main si puissante, les Prémontrés achetèrent, en 1661, un terrain fort étendu et une maison appelée les Tuileries, située à l'angle que forment les rues de Sèvre et du Chasse-Midi. Ils y pratiquèrent les lieux réguliers nécessaires dans une communauté, obtinrent, en 1662, le consentement de l'abbé de Saint-Germain, et des lettres-patentes dans lesquelles le roi se déclare leur fondateur, et les qualifie de Chanoines réguliers de la réforme de l'étroite observance de l'ordre de Prémontré.
La reine-mère posa, le 13 octobre 1662, la première pierre de l'église, qui fut achevée en 1663, et bénite sous le titre du Très saint Sacrement de l'autel et de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge; mais se trouvant trop petite pour le nombre des personnes pieuses qui se plaisoient à y entendre les offices, les Prémontrés la firent rebâtir en 1719 sur un plan plus spacieux. La première pierre en fut posée par l'évêque de Bayeux, au nom du roi: du reste, cet édifice, élevé sur les dessins d'un architecte nommé Simonet, n'avoit rien de remarquable[155].
CURIOSITÉS.
Dans le chœur, huit tableaux, dont trois par Frontier et cinq par Jollain.
On estimoit la menuiserie du chœur et des stalles, exécutée par un frère convers de cette maison.
SÉPULTURES.
Dans l'église avoient été inhumés le chevalier Turpin, seigneur de Crissé, mort en 1684, et Anne de Salles, son épouse. Leur épitaphe, sur une table de marbre blanc, étoit appliquée à l'un des murs des bas côtés.
Cette église contenoit encore les épitaphes de plusieurs autres personnes de distinction.
L'ABBAYE DE NOTRE-DAME-AUX-BOIS.
Cette abbaye avoit été fondée, en 1202[156], par Jean de Nesle, châtelain de Bruges, et par Eustache, sa femme, au milieu d'un bois, dans un lieu nommé le Batiz, situé au diocèse de Noyon, sous le titre de la franche abbaye de Notre-Dame-aux-Bois. Elle s'y maintint florissante jusqu'au milieu du dix-septième siècle, que le passage des gens de guerre, les incursions des ennemis, et la crainte de se voir exposées à toutes les horreurs de la guerre, déterminèrent ses religieuses à la quitter, et à venir, en 1650, implorer la protection de la reine Anne d'Autriche. Leur espérance ne fut pas trompée, et la pieuse princesse leur fournit, peu de temps après, l'occasion et les moyens de se fixer à Paris. Nous avons parlé, dans la description du quartier Saint-Antoine, de quelques religieuses Annonciades arrivées de Bourges dans cette capitale, établies successivement dans deux endroits différents, et forcées enfin, en 1654, de quitter leur dernier asile, situé dans la rue de Sèvre, près des Petites-Maisons. Ce fut cette demeure abandonnée que les religieuses de l'Abbaye-aux-Bois achetèrent, non pour y former un établissement fixe, mais pour y rester jusqu'à ce que les événements leur permissent de retourner dans leur première habitation. Elles avoient commencé à faire réparer les bâtiments de ce monastère, et quelques unes d'entre elles y étoient déjà retournées, lorsqu'en 1661 un incendie consuma l'église et les lieux réguliers. Cet accident les détermina à se fixer entièrement dans leur maison de Paris, et à y faire transférer les titres et les biens de l'abbaye. Le pape et les supérieurs donnèrent leur consentement à cette translation, et le roi les y autorisa par des lettres-patentes délivrées en 1667. En 1718 on construisit une nouvelle église, dont la première pierre fut posée par la duchesse d'Orléans, et qui fut dédiée, en 1720, sous le nom de Notre-Dame et de Saint-Antoine. Ces religieuses suivoient la règle de Cîteaux[157].
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une descente de croix; par Canis.
LE PRIEURÉ DE NOTRE-DAME-DE-CONSOLATION, DIT DU CHASSE-MIDI.
Des religieuses Augustines de la congrégation de Notre-Dame, établies à Laon pour l'instruction gratuite des jeunes filles, crurent que l'exercice de leur ministère seroit plus utile à Paris que dans le monastère qu'elles habitoient. Elles y vinrent en 1633, achetèrent, en 1634, des sieurs et dame Barbier, l'emplacement sur lequel leur monastère étoit bâti, et, d'après le consentement de l'abbé de Saint-Germain, obtinrent, dans la même année, des lettres-patentes qui confirmèrent leur établissement. Leur chapelle fut bénite sous l'invocation de saint Joseph, dont elles ajoutèrent le nom à celui de leur institut.
Soit que leurs revenus fussent trop modiques, soit qu'ils n'eussent pas été administrés avec la prudence et l'économie nécessaires, leurs affaires se trouvèrent dans un tel dérangement, que, par arrêt du 3 mars 1663, il fut ordonné que leur maison seroit vendue par décret. Avant que cet arrêt eût été rendu, et pendant le cours de la procédure qui l'avoit amené, ces religieuses, pour prévenir l'extinction de leur monastère, avoient su intéresser en leur faveur la vertueuse abbesse de Malnoue, madame Marie-Éléonore de Rohan, lui offrant, si elle vouloit leur accorder sa protection, d'embrasser la règle de saint Benoît, et de se mettre sous sa dépendance. En conséquence du concordat qui fut passé entre elles et cette illustre dame, leur maison fut rachetée en 1669 de ses propres deniers; les religieuses obtinrent la permission de prendre l'habit et la règle de saint Benoît, et le roi autorisa ces changements par des lettres-patentes de la même année, dans lesquelles l'érection de ce prieuré est approuvée sous le nom de Religieuses bénédictines de Notre-Dame-de-Consolation-du-Chasse-Midi. Depuis ce temps les abbesses de Malnoue n'ont eu d'autre droit que celui de confirmer l'élection des prieures de ce couvent, sans pouvoir ni les changer ni les rejeter[158].
En 1737 ces religieuses entreprirent de faire bâtir une nouvelle église. La première pierre en fut posée par le cardinal de Rohan, et la seconde par madame de Mortemart. Elle fut achevée dès l'année suivante, et bénite solennellement le 20 mars par le supérieur de cette maison.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, un tableau représentant le Christ entre la Vierge et saint Jean; sans nom d'auteur.
Dans la nef, plusieurs tableaux représentant des sujets pris dans la vie de la sainte Vierge; également sans nom d'auteur.
SÉPULTURES.
Dans cette église se lisoit l'épitaphe de madame de Rohan, morte en 1681, au milieu de ce petit troupeau qui lui devoit sa conservation, et qu'elle avoit édifié par ses vertus[159].
LES FILLES DE SAINT-THOMAS-DE-VILLENEUVE.
Cette communauté reconnoît pour son fondateur le P. Ange Proust, augustin réformé de la province de Bourges, et qui étoit, en 1659, prieur du couvent de Lamballe en Bretagne. Animé d'un zèle ardent de charité, il résolut de ranimer cette vertu dans le canton qu'il habitoit, voyant que le nombre des pauvres et des malades y étoit considérable, parce que la misère étoit grande, et qu'on n'avoit généralement ni le courage ni l'instruction nécessaires pour procurer à ces infortunés des secours efficaces. Ses discours et ses exemples réveillèrent l'humanité dans tous les cœurs, et il ne tarda pas à former une congrégation de filles destinée à rétablir les hôpitaux et à les desservir. L'utilité d'un tel établissement se fit sentir dès le premier moment; Louis XIV, à qui on en rendit compte, le confirma par des lettres-patentes données en 1661, avec autorisation de créer de semblables sociétés dans tous les endroits où elles seroient jugées nécessaires pour servir les malades dans les hôpitaux, pourvoir à leur subsistance, élever gratuitement les pauvres filles orphelines, et même recevoir les personnes du sexe qui voudroient faire des retraites de piété.
Cette institution se répandit bientôt, tant en Bretagne que dans les provinces, avec un succès égal à toutes les espérances qu'on en avoit conçues. Quoiqu'il y en eût déjà plusieurs à Paris du même genre, les besoins extrêmes d'une aussi grande ville firent penser qu'il seroit utile d'y attirer les Filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve. Elles y vinrent donc en 1700, et le roi leur permit d'avoir dans cette capitale une maison particulière, tant pour élever des sujets propres à remplir cette charitable vocation que pour servir de retraite aux sœurs devenues inutiles par l'âge ou par les infirmités, et devenir ainsi le chef-lieu à l'institut. Elles s'établirent, dès ce temps-là, rue de Sèvre, où elles sont restées jusque dans les derniers temps.
Louis XV confirma leur établissement en 1726, et leur permit d'acquérir jusqu'à vingt mille livres de rente pour l'entretien de quarante sœurs. Ces filles étoient hospitalières, et suivoient la règle de saint Augustin; mais elles ne faisoient que des vœux simples.
Après la mort du P. Proust, leur instituteur, arrivée en 1697, elles élurent le curé de Saint-Sulpice pour supérieur-général, titre que ses successeurs ont gardé jusqu'à la fin. Ces filles avoient encore un hospice dans la rue Copeau, et étoient de plus chargées de diriger la maison de l'Enfant-Jésus, dont nous ne tarderons pas à parler[160].
LES PETITES-MAISONS.
Cet hôpital a été bâti sur l'emplacement qu'occupoit autrefois celui de Saint-Germain, lequel étoit vulgairement nommé la maladrerie Saint-Germain. On ne trouve aucune trace de son origine; mais comme la lèpre ou ladrerie étoit une maladie ancienne et assez commune, il est à présumer que l'on créa des asiles pour les lépreux à Paris avant le règne de Louis-le-Jeune, époque à laquelle le commissaire Delamare place, sur son troisième plan, l'établissement de cette maladrerie. Nous avons déjà dit que le caractère contagieux de leur affreuse maladie ayant fait interdire l'entrée des villes aux lépreux, les bâtiments destinés à les recevoir étoient toujours à une certaine distance des portes: telles furent les maladreries de Saint-Lazare et de Saint-Germain. C'est donc une grande erreur de la part de plusieurs historiens de Paris[161], d'avoir dit que le mal de Naples ayant fait des progrès rapides dans cette capitale, la ville prit à loyer, en 1497, une place vide au faubourg Saint-Germain, y fit construire à la hâte des logements pour y recevoir ceux qui étoient attaqués de ce mal, et que ce fut là l'origine de la maladrerie de Saint-Germain, laquelle fut employée à cet usage jusqu'en 1544, époque à laquelle cet hôpital fut détruit et l'emplacement vendu. Il est évident que ces historiens se sont copiés les uns les autres, mêlant ainsi, sans la moindre critique, des objets différents, et qui leur étoient entièrement inconnus; il suffiroit de parcourir les titres de Saint-Germain pour reconnoître que le maladrerie de cette abbaye n'avoit jamais été affectée qu'aux lépreux; mais ces mêmes titres désignoient: «une maison aboutissant par derrière au cimetière des malades de la maladrerie, et dans la rue du Four une maison tenant, d'une part, aux granges où furent les malades de Naples, de l'autre part, au chemin qui tend de la rue du Four à la Justice.» Ce sont ces granges qu'ils ont confondues avec l'hôpital Saint-Germain[162].
Le parlement ayant été informé que les lépreux qui continuoient à se retirer dans cette maladrerie, où la charité leur procuroit des secours suffisants pour leur subsistance, ne s'en répandoient pas moins par la ville pour y demander l'aumône, ce qui pouvoit avoir des suites dangereuses, ordonna, en 1544, que les bâtiments en seroient détruits, et les matériaux réservés pour en bâtir une autre dans un lieu plus éloigné, ou vendus au profit des pauvres. Ces matériaux furent effectivement vendus, ainsi que l'emplacement, contenant deux arpents et demi, mais au profit du cardinal de Tournon, alors abbé de Saint-Germain, qui revendiqua ses droits, auxquels le parlement eut égard.
La ville acheta ce terrain en 1557, et y fit construire l'hôpital que nous voyons aujourd'hui. Elle le destina à recevoir les mendiants incorrigibles, les personnes pauvres, vieilles et infirmes, les femmes sujettes au mal caduc, les teigneux, les fous et les insensés. Jean Luillier de Boulencourt, président à la chambre des comptes, fut un de ceux qui, par leurs libéralités, contribuèrent le plus à ce charitable établissement. Il donna des rentes et des meubles, et fit élever plusieurs des bâtiments qui le composent. La forme de leur construction les fit appeler les Petites-Maisons, parce qu'effectivement ces édifices étoient petits et séparés les uns des autres. La chapelle, rebâtie en 1615, fut dédiée sous le titre de Saint-Sauveur, et l'on bénit, en 1656, celle de l'infirmerie, sous l'invocation de la sainte Vierge.
Cet hôpital, qui ne formoit qu'un seul et même établissement avec le grand bureau des pauvres, étoit destiné, à l'époque où a commencé la révolution, 1o pour quatre cents personnes vieilles et infirmes des deux sexes; 2o pour les insensés; 3o pour ceux qui étoient affectés de maladies honteuses; 4o pour les enfants teigneux[163]. Le procureur-général en étoit le chef: il y avoit en outre huit administrateurs[164].
LES FILLES DU BON-PASTEUR.
Cette communauté doit son établissement à Marie-Magdeleine de Ciz, veuve du sieur Adrien de Combé. Née à Leyde d'une famille noble, mais protestante, restée veuve à vingt-un ans, cette dame eut l'occasion de venir à Paris et le bonheur d'y faire abjuration. Comme elle étoit sans bien, et que cette action la fit abandonner par sa famille, le curé de Saint-Sulpice, M. de la Barmondière, lui procura une pension de 200 liv. sur l'économat de l'abbaye Saint-Germain, pension au moyen de laquelle il la fit entrer dans une communauté; mais elle y resta peu de temps, et revint demeurer sur la paroisse Saint-Sulpice. Elle y étoit à peine, qu'un saint ecclésiastique, entre les mains duquel elle avoit fait abjuration, vint la prier de se charger d'une pauvre fille qui cherchoit à se retirer du désordre dans lequel elle avoit vécu, ce que madame de Combé accepta très volontiers. Ceci se passoit en 1686. Quelques autres jeunes personnes, tombées dans les mêmes fautes, et touchées du même repentir, sollicitèrent une semblable faveur, et la maison de cette dame devint en peu de temps une communauté de filles pénitentes. Malgré le dénûment auquel elle étoit réduite, dénûment qui approchoit de l'indigence, la pieuse directrice de ce foible troupeau se confia à la Providence, et ne désespéra point du succès de sa charitable entreprise. L'ardeur de son zèle dédaignant même toute prudence humaine, elle ne craignit point d'offrir sa maison aux infortunées victimes du libertinage que leur pauvreté empêchoit d'entrer dans les asiles destinés à ces sortes de personnes. Louis XIV eut connoissance des efforts prodigieux de madame de Combé, et désirant contribuer au succès d'une si bonne œuvre, il lui donna, en 1688, une maison située rue du Chasse-Midi, et confisquée sur un protestant qui s'étoit retiré à Genève, et 1,500 livres pour y faire les réparations convenables. On y construisit une chapelle, et la messe y fut dite, pour la première fois, le jour de la Pentecôte de la même année. Plusieurs personnes, excitées par l'exemple du monarque, ajoutèrent à ses libéralités des dons considérables, qui fournirent à cette vertueuse dame les moyens d'augmenter ses bâtiments, et de loger jusqu'à deux cents filles. Elle mourut le 16 juin 1692, âgée seulement de trente-six ans.
La maison du Bon-Pasteur étoit composée de deux sortes de personnes: de filles qu'on nommoit sœurs, dont la conduite avoit toujours été régulière, lesquelles se consacroient à la conversion et à la sanctification des pénitentes, et de filles qui, touchées de la grâce et revenues des égarements de leur jeunesse, suivoient, de leur plein gré, les exemples des premières, et partageoient avec elles les travaux, la retraite et la mortification. Elles jouissoient d'environ 10,000 liv. de rente, et travailloient en commun pour le soutien de la maison[165].
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, le Bon Pasteur; des deux côtés saint Pierre et saint Paul; sans nom d'auteur.
SCULPTURES.
Au milieu du retable de l'autel, un bas-relief doré représentant aussi le Bon Pasteur.
Dans le sanctuaire, l'Adoration des Rois et la sépulture de Jésus-Christ, bas-reliefs.
HOSPICE DES HIBERNOIS.
Sauval parle de religieux Hibernois de l'observance de saint François, qui, sous la conduite du P. Diléon, obtinrent, en 1653, de l'abbé de Saint-Germain, la permission d'avoir un hospice dans ce faubourg[166], et il ajoute qu'en conséquence ils prirent une petite maison rue du Chasse-Midi. Il ne paroît pas que cet établissement ait été de longue durée, car on n'en trouve nulle mention ni dans l'histoire de l'abbaye ni sur les plans de cette époque.
FILLES DE L'ANNONCIATION.
Quelques historiens prétendent aussi qu'en 1698 il y avoit dans cette rue une communauté de filles dite de l'Annonciation, qui tenoient des écoles pour les jeunes personnes de leur sexe. Nous ignorons dans quel temps elle a été établie et quand elle a cessé d'exister.
LES INCURABLES.
On doit la première pensée de ce charitable établissement à Mme Marguerite Rouillé, épouse du sieur Jacques Le Bret, conseiller au Châtelet. En 1632, elle donna pour cet effet, à l'Hôtel-Dieu de Paris, une rente de 622 liv., avec les maisons et jardins qu'elle avoit à Chaillot, sous la condition d'y établir un hôpital qu'on appelleroit les Pauvres incurables de Sainte-Marguerite.
Dans le même temps, un saint prêtre nommé Jean Joullet, de Châtillon, concevoit un dessein entièrement semblable. Le premier établissement n'étoit pas encore entièrement fondé, et le projet du second étoit à peine formé, que le cardinal de La Rochefoucauld résolut de faire exécuter les intentions de M. Joullet, qui venoit de mourir, et de se déclarer lui-même le fondateur et le bienfaiteur des pauvres incurables. Il donna d'abord plusieurs sommés assez considérables, pour déterminer les administrateurs de l'Hôtel-Dieu à céder dix arpents sur dix-sept que possédoit cet établissement le long du chemin de Sèvre, au delà des Petites-Maisons. C'est là que l'on commença à élever le nouvel hospice. Madame Le Bret consentit à y transférer la fondation qu'elle avoit ordonnée à Chaillot; le legs de feu M. Joullet fut appliqué à cette maison; et de nouvelles libéralités, tant de la part du cardinal que d'une personne qui ne voulut pas se faire connoître, fournirent les moyens de monter trente-six lits dans deux salles, pour un nombre égal de malades des deux sexes. Des lettres-patentes confirmèrent cet établissement en 1637, et l'abbé de Saint-Germain donna, la même année, son consentement.
Cet hôpital étoit sous la même administration que celui de l'Hôtel-Dieu; mais les revenus en étoient séparés et employés au seul usage des incurables. Les fondations s'en sont successivement accrues, et l'on y comptoit, avant la révolution, près de quatre cents lits, qui étoient à la nomination des administrateurs, des curés et des héritiers des fondateurs. Les malades y étoient servis avec beaucoup de soins par les sœurs de la Charité[167].
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Annonciation; par Perrier.
Dans la chapelle à droite, une Fuite en Égypte; par Philippe de Champagne.
Dans la chapelle à gauche, l'Ange gardien; par le même.
SCULPTURES.
Dans la salle des hommes, les bustes de saint Charles-Borromée, de saint François-de-Salles, du cardinal de la Rochefoucauld, et de M. Camus, évêque de Bellay; les deux premiers par Durand, et les deux autres par Buister.
SÉPULTURES.
Dans l'église avoient été inhumés Jean-Pierre Camus, évêque de Bellay, mort en 1652.
Jean-Baptiste Lambert, l'un des bienfaiteurs de cette maison, mort en 1644.
Matthieu de Morgues, aumônier de Marie de Médicis, mort en 1670.
Au bas des marches du grand autel avoient été déposées les entrailles du cardinal de la Rochefoucauld, mort en 1645.
Dans la salle des hommes, on lisoit l'épitaphe de Pierre Chandelier, auditeur en la chambre des comptes, et l'un des administrateurs de cette maison, mort en 1679.
LES BÉNÉDICTINES DE NOTRE-DAME-DE-LIESSE.
Ces religieuses, établies en 1631 à Rhétel, diocèse de Reims, se virent forcées, par la marche des gens de guerre dans cette province, et par les désordres qu'ils y commettoient, de venir, dès 1636, chercher un asile à Paris. Elles y louèrent, du consentement de l'abbé de Saint-Germain, une maison rue du Vieux-Colombier, où elles reprirent les exercices de leur institut, dont l'éducation des jeunes filles étoit le principal objet. Madame Anne de Montafié, comtesse de Soissons, s'étoit déclarée leur fondatrice en leur assignant 2,000 liv. de rente; et madame de Longueville avoit bien voulu joindre à cette dotation une rente de 500 liv. Mais ces deux sommes étoient encore bien insuffisantes pour une communauté qui n'avoit ni maison ni chapelle, et qui avoit déjà reçu huit novices, lorsque la Providence lui fournit une occasion favorable de former un établissement fixe et avantageux.
Mme Marie Brissonet, veuve de M. Le Tonnelier, conseiller au grand conseil, avoit donné, en 1626, à trois saintes filles une pièce de terre de trois arpents et demi sur le chemin de Sèvre, au lieu dit le Jardin d'Olivet, à l'effet d'y faire construire une maison, dans laquelle on éleveroit de jeunes filles, en attendant qu'on pût réunir les fonds nécessaires pour y faire construire un monastère de religieuses. Les bâtiments et la chapelle avaient été achevés en 1631; mais cette petite communauté n'ayant point de revenus assurés, et n'ayant pu obtenir de lettres-patentes, Barbe Descoux, l'une des trois personnes que nous venons de citer, et qui en étoit alors supérieure, crut prendre un parti convenable, et même remplir les intentions de la fondatrice, en cédant cette maison aux religieuses de Notre-Dame-de-Liesse. Cette cession, datée de 1645, et autorisée par lettres-patentes de la même année, fut faite sous la condition de réciter certaines oraisons, d'y conserver les filles séculières qui s'y trouvoient alors, et d'admettre à la profession religieuse celles qui voudroient l'embrasser. Cependant, malgré de telles dispositions, qui tendoient à l'augmentation de cette communauté, douze ans s'étoient à peine écoulés qu'elle se trouvoit réduite à dix ou douze religieuses. Quelques personnes intéressées essayèrent de profiter de cette conjoncture pour s'introduire à leur place; mais cette tentative n'eut aucun succès, et des lettres du roi, envoyées en 1657 à l'abbé de Saint-Germain, lui défendirent de permettre aucun changement. La chapelle de ce couvent ne fut bâtie qu'en 1663.
La prieure de ce monastère étoit à vie ou triennale, suivant la volonté de sa communauté, à qui appartenoit l'élection.
HOSPICE DE SAINT-SULPICE.
Cet hôpital fut institué sur la fin de l'année 1778, et par ordre du roi, dans les bâtiments de Notre-Dame-de-Liesse, dont la communauté venoit de s'éteindre. Il étoit destiné aux indigents de cette paroisse, la plus nombreuse de Paris, et disposé de la manière la plus salubre et la plus commode pour recevoir et soigner cent vingt malades. Quatorze sœurs de la Charité, aidées de quelques officiers subalternes, en faisoient le service; et les pauvres y étoient reçus sur un billet du curé de Saint-Sulpice ou de celui du Gros-Caillou[168].
LA COMMUNAUTÉ DES FILLES DE L'ENFANT-JÉSUS.
Tous nos historiens prétendent que cette maison fut fondée par la reine, épouse de Louis XV, à l'occasion de la naissance du duc de Bourgogne; Jaillot seul lui donne une autre origine: il dit qu'au commencement du siècle dernier on avoit établi, sous le titre de l'Enfant-Jésus, une pension sur un terrain assez étendu entre les chemins de Sèvre et de Vaugirard. Elle passa depuis en plusieurs mains jusqu'à l'année 1724, que le bail en fut cédé à M. Languet de Gergi, curé de Saint-Sulpice, par M. de Raphælix, supérieur de la communauté des Gentilshommes[169]. Le respectable pasteur en fit l'acquisition quelques années après (en 1732), dans l'intention d'y établir un hôpital destiné aux pauvres filles ou femmes malades de sa paroisse. Toutefois, sans abandonner ce projet, il crut devoir le modifier au moment de l'exécution, et le rendre en même temps profitable à la noblesse indigente. Trente jeunes demoiselles de qualité furent donc placées dans cette maison pour y être instruites et élevées d'une manière convenable à leur naissance, et sur le modèle de la maison royale de Saint-Cyr. Des lettres-patentes autorisèrent, en 1751, un si utile établissement. Au lieu d'y recevoir des malades, comme il l'avoit résolu d'abord, M. Languet se contenta de faire construire des bâtiments dans lesquels se rendoient tous les jours des filles ou femmes pauvres, auxquelles on procuroit du travail, et que l'on mettoit ainsi dans le cas de gagner leur vie sans être à charge à la paroisse. Les jeunes demoiselles mêloient aux instructions solides ou brillantes qu'elles recevoient tous les soins du ménage, de la basse-cour, de la laiterie, du blanchissage, de la lingerie, etc., et acquéroient ainsi ces qualités plus précieuses mille fois que les talents agréables, qui devoient un jour en faire des épouses vertueuses et de bonnes mères de famille.
On comptoit, dit-on, dans les derniers temps, plus de huit cents pauvres femmes qui alloient tous les jours chercher leur subsistance à l'Enfant-Jésus, et que l'on y occupoit à différents travaux, surtout à filer du lin et du coton. Les filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve avoient la direction de cette communauté[170].
LES RELIGIEUSES DE NOTRE-DAME-DES-PRÉS.
Nous sommes parvenus, en décrivant ces diverses institutions, jusqu'à l'extrémité occidentale du quartier; il faut maintenant y rentrer par la rue de Vaugirard, pour parvenir à son extrémité opposée. Cette partie de son territoire renferme les plus remarquables de ses édifices et de ses établissements.
Le premier monastère qui se présentoit autrefois à l'extrémité de cette rue, étoit celui des religieuses de Notre-Dame-des-Prés: il tiroit son origine d'un couvent de religieuses bénédictines, fondé en 1627, à Mouzon, dans le diocèse de Reims, par madame Henriette de La Vieuville, veuve d'Antoine de Joyeuse, comte de Grandpré. La guerre ayant forcé ces religieuses, en 1637, de quitter leur demeure, Catherine de Joyeuse, fille de la fondatrice, et prieure perpétuelle de ce couvent, obtint de M. de Gondi la permission de s'établir à Picpus avec ses religieuses; mais dès 1640 le prétexte de cette translation ayant cessé, elles retournèrent à Mouzon, où elles restèrent jusqu'en 1671. Vers cette époque le roi ayant jugé à propos de faire détruire les fortifications de cette petite ville, près desquelles leur monastère étoit situé, on leur permit de revenir à Paris et de s'y fixer. Cette seconde permission leur fut donnée sur la fin de l'année 1675; et elles s'établirent alors rue du Bac, attendant l'occasion de se procurer une maison convenable. Sans entrer dans les discussions qui se sont élevées entre les historiens, pour savoir au juste dans quelle année elles achetèrent la maison qu'elles habitoient[171], il nous suffit de dire qu'elles demeurèrent quatorze ans dans cette rue, et ne vinrent s'établir dans la rue de Vaugirard qu'en 1689.
Elles n'y demeurèrent qu'environ cinquante ans. Un concours de circonstances fâcheuses ayant diminué par degrés les revenus de leur maison, ces religieuses se trouvèrent hors d'état de subvenir à leurs dépenses les plus nécessaires, et même de satisfaire aux engagements qu'elles avoient contractés. Il fallut, dans ces extrémités, transférer en d'autres monastères dix religieuses qui s'y trouvoient encore en 1739. Le décret de suppression de l'archevêque, confirmé par lettres-patentes, fut donné le 18 avril 1741. En conséquence, la nuit du 30 au 31 août suivant, on exhuma les corps qui y étoient enterrés: ils furent transportés dans l'église Saint-Sulpice, et inhumés dans un caveau de la croisée méridionale.
Plusieurs auteurs ont donné le nom d'abbaye à ce monastère: ce n'étoit qu'un prieuré perpétuel. Ses religieuses avoient pris le nom de Notre-Dame-des-Prés, parce qu'un bref d'Innocent X avoit réuni, en 1649, à leur maison un monastère de Guillemites, fondé, en 1248, par Jean, comte de Rhétel, en un lieu appelé les Prés Notre-Dame, paroisse de Louvergni, diocèse de Reims.
LES FILLES DE SAINTE-THÈCLE.
On ignore dans quel temps et par qui fut instituée cette communauté, détruite au commencement du siècle dernier. On sait seulement qu'en 1678 ces religieuses demeuroient déjà rue de Vaugirard, et qu'en 1697 M. de Noailles, archevêque de Paris, approuva les règlements qu'elles avoient suivis jusqu'alors, lesquels avoient pour objet d'instruire les jeunes filles, et de leur apprendre à travailler, de donner un asile aux femmes de chambre et servantes qui n'avoient point de condition, et de tenir des écoles gratuites. Trois ans après elles allèrent habiter, dans la même rue, au coin de celle de Notre-Dame-des-Champs, une maison sans doute plus commode, et devenue vacante par la suppression d'une autre communauté que M. Moni, prêtre de la communauté de Saint-Sulpice, avoit établie sous le nom de Filles de la mort. Les filles de Sainte-Thècle se nommoient alors simplement Filles de Saint-Sulpice; elles prirent, peu de temps après, le nom de cette sainte, à l'occasion d'une de ses reliques qui fut déposée dans leur chapelle, et qu'on a depuis transportée à Saint-Sulpice.
La modicité des revenus casuels de cette communauté, et les dettes qu'elle avoit été forcée de contracter, mirent les sœurs qui la composoient dans la nécessité de vendre leur maison, en se réservant chacune une pension. M. Languet de Gergi, curé de Saint-Sulpice, en fit l'acquisition en 1720, au profit des orphelins de sa paroisse.
LES CARMES DÉCHAUSSÉS.
Nous avons parlé de l'origine de l'ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, et de la réforme que sainte Thérèse introduisit parmi ses religieuses[172]. Elle avoit également conçu le projet hardi de la faire adopter par les hommes de son ordre, et sans doute elle n'eût pu vaincre tous les obstacles qui s'élevèrent contre son exécution, si la Providence n'eût suscité un religieux d'un caractère propre à en assurer le succès. Jean d'Yépès, dit depuis Jean de saint Mathias, et révéré dans l'Église sous le nom de saint Jean de la croix, voulut être le compagnon des travaux de cette femme extraordinaire, prit l'esprit de la réforme, l'embrassa dans toute sa rigueur, et la conseilla par ses discours en même temps qu'il la prêchoit par ses exemples. Elle fit d'abord de grands progrès en Espagne, et se répandit ensuite si rapidement et avec tant de succès en Italie, que Paul V, prévoyant les services que cet ordre pourroit rendre à l'Église de France, écrivit en 1610 à Henri IV, pour l'engager à le recevoir dans son royaume. Deux carmes déchaussés, les pères Denis de la mère de Dieu, et de Vaillac, dit de Saint-Joseph, étoient porteurs de ce bref, et venoient d'entrer en France, lorsqu'ils reçurent la nouvelle inopinée de la mort de ce grand roi. La douleur qu'ils en ressentirent ne les empêcha point de continuer leur voyage; ils arrivèrent à Paris au mois de juin, et logèrent d'abord aux Mathurins, ensuite au collége de Cluni. Présentés au roi et à la reine-mère par le nonce du pape et par le cardinal de Joyeuse, ces pères obtinrent, l'année suivante, des lettres-patentes portant permission de s'établir à Paris et à Lyon. Ayant obtenu également le consentement de M. de Gondi, archevêque de Paris, ils prirent possession d'une grande maison et d'un jardin fort étendu, situés dans la rue de Vaugirard, qu'ils avoient obtenus des libéralités de M. Nicolas Vivien, maître des comptes. On bâtit à la hâte les bâtiments nécessaires, et l'on fit une chapelle dans une salle qui avoit autrefois servi de prêche aux protestants. Cependant, dès ce moment, on formoit le projet d'en construire une plus grande; et elle le fut en effet en 1611, aux frais de M. Jean du Tillet de La Buissière, greffier du parlement; mais le concours des fidèles devenant de jour en jour plus considérable, le parti fut pris de rebâtir et l'église et le couvent en entier. M. Vivien, comme fondateur, y mit la première pierre le 7 février 1613, et le 20 juillet de la même année, Marie de Médicis posa celle de l'église, qui subsiste encore aujourd'hui[173]. Elle fut achevée et bénite en 1620, par Charles de Lorraine, évêque de Verdun, puis dédiée, en 1625, sous l'invocation de saint Joseph, par Éléonor d'Estampes de Valençai, évêque de Chartres.
On a remarqué que cette église est la première qui ait eu saint Joseph pour patron, et dans laquelle on ait dit les prières de quarante heures pendant les trois jours qui précèdent le carême. On peut ajouter que son dôme est le premier qui ait été construit à Paris, si l'on en excepte celui de la chapelle de Notre-Dame, aux Petits-Augustins.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, dont la décoration avoit été faite aux frais du chancelier Seguier, la Présentation au temple; par Quentin Varin.
Dans une chapelle, l'apparition de Notre-Seigneur à sainte Thérèse et à saint Jean de La Croix; par Corneille.
Deux autres grands tableaux; par Sève aîné.
Sur le dôme, le prophète Élie enlevé au ciel; par Bertholet Flamael.
Dans le chapitre, les quatre Évangelistes, une Fuite en Égypte et un portement de croix.
Dans la chapelle de la Vierge, sa statue en marbre blanc; par Antonio Raggi, dit le Lombard, d'après un modèle de Bernin[174].
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumé Éléonor d'Estampes de Valençay, évêque de Chartres, depuis archevêque de Reims, mort en 1651.
Une tombe de bronze, ornée de bas-reliefs, fermoit l'entrée du caveau où l'on enterroit les religieux; elle avoit été exécutée sur les dessins d'Oppenord.
Le monastère étoit vaste, mais n'avoit rien que de très simple dans sa construction. La seule chose qu'on y remarquât, c'étoit la blancheur extrême des murs, enduits d'une sorte de stuc aussi brillant que le marbre, et dont la composition a été pendant long-temps un secret très soigneusement gardé par ces religieux, qui en étoient les inventeurs. C'est l'espèce d'enduit connu depuis sous le nom de blanc des carmes. Ils étoient aussi les inventeurs de l'eau de Mélisse, dont ils faisoient tous les ans un débit considérable.
La bibliothèque, distribuée en deux pièces, contenoit environ douze mille volumes, parmi lesquels il y avoit quelques manuscrits précieux. Les jardins étoient vastes et bien cultivés.
Indépendamment de l'espace qu'occupoit leur couvent, les carmes déchaussés possédoient autour de leur cloître de grandes portions de terrain sur lesquelles ils avoient fait bâtir, vers la fin du siècle dernier, plusieurs beaux hôtels qui donnoient dans la rue du Regard et dans la rue Cassette; ces propriétés nouvelles, dont ils tiroient un grand revenu, avoient rendu leur couvent l'un des plus riches de l'ordre[175].
LES RELIGIEUSES DU PRÉCIEUX SANG.
La réforme ayant été introduite dans un monastère de l'ordre de Cîteaux établi à Grenoble, les religieuses qui l'avoient reçue cherchèrent les moyens de la faire adopter dans d'autres couvents ou d'en fonder de nouveaux. Ce fut dans cette intention qu'elles sollicitèrent de l'abbé de Saint-Germain la permission de s'établir dans l'étendue de sa juridiction, ce qu'il leur accorda en 1635. Elles obtinrent des lettres-patentes à cet effet, et soutenues des bienfaits de madame la duchesse d'Aiguillon, achetèrent, rue Pot-de-Fer, au coin de la rue Mézière, une grande maison dans laquelle elles entrèrent dès 1636. Toutefois, pour s'y établir, ces religieuses contractèrent des dettes qu'il leur fut impossible d'acquitter, et qui les mirent dans la nécessité d'abandonner, en 1656, leur demeure à leurs créanciers, et d'aller se loger, rue du Bac, dans une maison prise à loyer[176].
Plusieurs personnes charitables, touchées de leur situation malheureuse, vinrent alors à leur secours, et, par leurs libéralités, les mirent en état de se procurer bientôt un établissement plus solide. Elles achetèrent donc, en 1658, une grande maison située rue de Vaugirard; la chapelle en fut bénite le 20 février de l'année suivante, sous le titre du Précieux sang de Notre-Seigneur, et le même jour elles furent mises sous la clôture dans ce nouveau monastère, qu'elles agrandirent depuis par l'acquisition, faite en 1662 et 1666, de deux maisons adjacentes.
Nous venons de dire que la chapelle étoit sous l'invocation du précieux sang de Notre-Seigneur. Ces religieuses avoient quitté, depuis quatre ans, le titre de Sainte-Cécile, qu'elles portoient dans l'origine, pour prendre celui-ci, en vertu d'un vœu particulier qu'elles avoient fait de se consacrer au culte du précieux sang d'une manière spéciale. La permission d'en faire l'office leur fut accordée en 1660.
Quoique ces religieuses fussent de l'ordre de Cîteaux, dont tous les membres dépendoient de l'abbé, elles étoient cependant sous la juridiction de l'ordinaire. Leur supérieure, élue par le chapitre, étoit triennale[177].
LES RELIGIEUSES DE LORRAINE.
Sauval, qui fait venir les religieuses du Précieux sang tantôt de Provence, tantôt de Grenoble[178], dit qu'en 1659 elles allèrent demeurer rue de Vaugirard, dans un monastère qu'avoient habité les religieuses de Lorraine. Il n'existe aucune preuve de cette assertion, qui n'a été adoptée que par un seul historien[179]. Il est certain toutefois que les religieuses Annonciades du Saint-Sacrement et de Saint-Nicolas en Lorraine furent obligées, en 1636, de venir chercher un asile à Paris. Avec la permission de l'abbé de Saint-Germain, elles s'établirent d'abord rue du Colombier, ensuite rue du Bac, enfin dans la rue de Vaugirard. Leur sort n'y fut pas heureux, car, en 1656, les lieux qu'elles occupoient furent vendus par décret. Quatre religieuses du couvent de l'Assomption leur succédèrent, y furent installées dans la même année, et alors le couvent prit le nom de monastère de la Présentation Notre-Dame, puis, en 1658, celui de Notre-Dame de grâces. Ce second établissement ne réussit pas mieux que le premier; et l'on voit que, dès 1664, elles furent également forcées de céder leur monastère à leurs créanciers, et de se retirer dans la rue Saint-Maur, où elles sont restées jusqu'en 1670, époque à laquelle cet hospice et plusieurs autres furent supprimés.
NOVICIAT DES JÉSUITES.
La maison qui servoit de noviciat aux jésuites étoit située dans la rue Pot-de-Fer. Avant l'édit donné en 1603 pour leur rétablissement, ils n'avoient eu que deux maisons à Paris, le collége et la maison professe. Cette circonstance leur parut favorable pour se procurer un troisième établissement, destiné à éprouver et à former ceux qui aspiroient à entrer dans leur société. Ils en obtinrent la permission du roi en 1610; mais leur projet ne put être exécuté qu'en 1612, époque à laquelle madame de Beuve leur transporta définitivement la propriété de l'hôtel de Mézière, qu'elle avoit acheté deux ans auparavant à leur intention. Les jésuites firent successivement l'acquisition de plusieurs maisons voisines, en sorte que leur terrain se trouvoit renfermé entre les rues Pot-de-Fer, Mézière, Cassette et Honoré-Chevalier. À l'extrémité du jardin de l'hôtel Mézière existoit alors une petite maison: ce fut sur son emplacement que M. François Sublet des Noyers, secrétaire d'état, fit construire à ses dépens l'église de cette communauté. La première pierre en fut posée par Henri de Bourbon, abbé de Saint-Germain; commencée en 1630, elle fut achevée en 1642, et bénite par l'évêque de Boulogne sous l'invocation de saint François-Xavier.
Cette église, élevée sur les dessins et sous la conduite de frère Martel-Ange, passoit autrefois pour une des constructions de ce genre les plus régulières de Paris. L'intérieur étoit décoré de pilastres doriques, à l'aplomb desquels s'élevoient des arcs-doubleaux enrichis d'ornements d'architecture. Le portail, construit dans la forme pyramidale, offroit deux ordres de pilastres dorique et ionique l'un sur l'autre, avec les ressauts et les enroulements adoptés à cette époque: cependant on peut remarquer que les lignes étoient ici moins tourmentées que dans la plupart des décorations du même genre[180].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, richement décoré par Jules-Hardouin Mansard, sous la conduite de Robert de Cotte, saint François-Xavier ressuscitant un mort au Japon; par Le Poussin[181].
Dans les chapelles des croisées, la Vierge; par Simon Vouet.
Jésus-Christ prêchant; par Stella.
SCULPTURES.
Un très beau Christ; par Sarrazin.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumé M. Sublet des Noyers, son fondateur, mort en 1645.
LES FILLES DE L'INSTRUCTION CHRÉTIENNE.
Cette communauté, connue aussi, dans le commencement de son institution, sous le nom de Filles de la très sainte Vierge, étoit située dans la rue Pot-de-Fer, du côté de celle de Vaugirard. On en devoit l'établissement à la piété charitable de Marie de Gournai, veuve de David Rousseau, l'un des marchands de vin du roi, morte en odeur de sainteté le 4 août 1688. Son intention avoit été de rassembler cinq à six femmes ou filles capables d'apprendre aux pauvres personnes de leur sexe les devoirs du christianisme, à lire, à écrire, et à acquérir une industrie suffisante pour se procurer l'existence par leur travail. Quelques personnes vertueuses la secondèrent dans cette utile entreprise, et l'on obtint des lettres-patentes en 1657. Madame Rousseau y consacra une maison qu'elle possédoit rue du Gindre, où cette communauté a subsisté jusqu'en 1738, qu'on la transféra dans son dernier local, à la fois plus vaste et mieux distribué. Cette maison étoit régie par une des maîtresses, qui, conformément aux statuts, ne prenoit que le titre de sœur aînée; dans les derniers temps on l'appeloit sœur première. La chapelle étoit dédiée sous le titre de la Conception de la sainte Vierge.
Ces filles, qui ne faisoient point de vœux, étoient recommandables par le zèle et l'exactitude avec lesquels elles n'ont cessé, jusqu'au dernier moment, de remplir tous les devoirs de leur institut[182].
LES DAMES DU CALVAIRE.
On regarde le P. Joseph, ce capucin si fameux sous le ministère de Richelieu, comme le premier instituteur de cet ordre. Il fut secondé dans cette entreprise par madame Antoinette d'Orléans-Longueville, restée veuve à vingt-deux ans par la mort de Charles de Gondi, marquis de Belle-Isle, son époux. Elle s'étoit d'abord retirée dans le couvent des Feuillantines de Toulouse, où elle avoit pris le voile en 1599. Étant passée ensuite à Fontevrauld, elle en embrassa la règle, et fut nommée coadjutrice de cette abbaye. C'est là, suivant toutes les apparences, que, de concert avec le P. Joseph, elle établit à Poitiers, dans un monastère de son ordre, la dévotion à la sainte Vierge accablée de douleur à la vue de Jésus-Christ expirant sur la croix, et qu'elle en fit l'objet d'une loi particulière. Par son bref du 25 octobre 1617, le pape Paul V lui permit de sortir de l'ordre de Fontevrauld, de prendre à Poitiers le nouvel habit qu'elle avoit choisi pour son institut, d'y mener tel nombre de filles qu'elle jugeroit à propos, et d'établir d'autres monastères semblables sous le titre de Notre-Dame du Calvaire. Comme elle s'apprêtoit à profiter de cette permission, elle mourut tout à coup l'année suivante. Toutefois une mort si prématurée n'arrêta point les progrès de cet ordre naissant: le P. Joseph en établit un couvent à Angers, et la reine Marie de Médicis, qui étoit alors dans cette ville, s'en déclara fondatrice. Elle fit plus: elle voulut procurer à ces religieuses un établissement à Paris, dans l'enceinte même du palais qu'elle faisoit bâtir. Le P. Joseph, qui lui en avoit inspiré le dessein, avoit en même temps cherché à leur procurer de nouveaux appuis; et madame de Lauzon, veuve d'un conseiller au parlement, entraînée par les sollicitations et par l'autorité de ce grave personnage, promit 1,200 liv. de rente et un capital de 18,000 liv. pour les frais de l'établissement. Ce fut sur de telles assurances que six religieuses de Notre-Dame-du-Calvaire de Poitiers se rendirent à Paris à la fin d'octobre 1620. Elles furent placées d'abord rue des Francs-Bourgeois, près la porte Saint-Michel, dans une maison que madame de Lauzon leur avoit fait préparer; l'année suivante leur ordre fut approuvé par une bulle de Grégoire XV; et Marie de Médicis passa avec elles un contrat de fondation, par lequel elle leur donnoit cinq arpents de terre joignant son palais, et 1,000 livres de rente. Mais on s'aperçut bientôt que les bâtiments d'une communauté élevés sur ce terrain auroient offusqué les vues du palais de la reine; et cette considération ayant déterminé à leur reprendre cette partie du don, elles se virent obligées d'acheter, en 1622, deux hôtels voisins[183], dans lesquels elles firent construire d'abord quelques cellules et une petite chapelle. Trois ans après, Marie de Médicis fit bâtir la chapelle que nous avons vue jusque dans les derniers temps qui ont précédé la révolution, laquelle fut bénite, en 1631, par l'évêque de Léon, et dédiée, en 1650, par celui de Quimper, sous l'invocation de saint Jean-Baptiste. La reine fit aussitôt construire le chœur, la tribune, le cloître, une chapelle intérieure, etc.; et des lettres-patentes données en 1634 confirmèrent cet établissement.
L'intention du P. Joseph ayant été d'établir spécialement ce couvent «pour honorer et imiter le mystère de la compassion de la Vierge aux douleurs de son adorable Fils», on en avoit conservé le souvenir en faisant sculpter sur la porte de la chapelle une Notre-Dame de Pitié tenant son fils mort sur ses genoux. La façade offroit, en plusieurs endroits, le chiffre de Marie de Médicis[184].
CURIOSITÉS DE LA CHAPELLE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, un Christ avec la Vierge, saint Jean et sainte Magdeleine; par Philippe de Champagne.
Jésus-Christ au jardin des Olives; par le même.
Une Résurrection; par le même.
Le Père Éternel entouré d'anges; par le même.
SÉPULTURES.
Dans cette chapelle avoit été inhumé:
Pierre de Patris, premier maréchal-des-logis de Gaston, frère de Louis XIII, poète du XVIIe siècle, mort en 1671.
LE PALAIS D'ORLÉANS,
DIT LE LUXEMBOURG.
C'étoit dans l'origine une grande maison accompagnée de jardins, que M. Robert de Harlai de Sanci avoit fait bâtir vers le milieu du seizième siècle; ce que prouve un arrêt de la cour des aides donné en 1564, dans lequel elle est qualifiée d'hôtel bâti de neuf. M. le duc de Pinei-Luxembourg en fit depuis l'acquisition, et y ajouta, en 1583 et années suivantes, plusieurs pièces de terres contiguës pour agrandir ses jardins. Enfin elle fut achetée en 1612 par la reine Marie de Médicis. Le contrat de vente, passé le 2 avril de cette année, dit «que cet hôtel consistoit en trois corps de logis, cour devant et autres cours et jardins derrière, tenant aux héritiers Pellerin, au pavillon appelé la ferme du Bourg, et au sieur de Montherbu; d'autre part, aux terres naguère acquises par ledit sieur duc de Luxembourg, par devant sur la rue de Vaugirard.... Item le parc... Item une maison devant l'hôtel du Luxembourg, aboutissant sur les rues de Vaugirard, Garancière et du Fer-à-Cheval.... Item trois arpents quarante-deux perches et demie, tenant à la muraille des Chartreux.... Item sept quartiers de terre audit lieu.... Item cinq quartiers de terre audit lieu, etc. Ladite vente faite moyennant 90,000 liv.»
L'année suivante, Marie de Médicis acheta la ferme de l'Hôtel-Dieu, contenant sept arpents et demi. Elle y joignit vingt-cinq autres arpents de terre au lieu appelé le Boulevard. En 1614 elle acquit d'un particulier deux jardins, contenant ensemble environ deux mille quatre cents toises de superficie, puis se fit céder plusieurs parties du clos de Vignerei, qui appartenoient aux Chartreux et à divers autres propriétaires. Ces religieux reçurent en échange des terres situées sur le chemin d'Issi, qui depuis ont formé leur petit clos et qu'ils ont possédées jusqu'au moment de la révolution[185].
Ce fut sur ce vaste emplacement que cette reine conçut le projet de faire élever une demeure royale, et de l'entourer de jardins somptueux. Les fondements en furent jetés en 1615, sous la direction et sur les dessins de Jacques Desbrosses, architecte de cette princesse; et l'on y travailla avec tant d'activité, qu'en peu d'années cet édifice fut achevé. Il devoit porter le nom de palais Médicis; mais la reine l'ayant légué à Gaston de France, son second fils, duc d'Orléans, ce prince y fit mettre le sien, ainsi que le témoignoit l'inscription restée sur la principale porte, jusqu'au moment de la révolution. Toutefois il ne conserva ni l'un ni l'autre de ces deux noms: l'ancienne habitude prévalut, et l'on continua de l'appeler vulgairement palais du Luxembourg.
Échu depuis pour moitié à la duchesse de Montpensier, il lui fut abandonné moyennant la somme de 500,000 liv. Une transaction faite en 1672 le fit passer ensuite à mademoiselle Élisabeth d'Orléans, duchesse de Guise et d'Alençon, laquelle en fit don au roi en 1694. Ce palais fut depuis occupé successivement par la duchesse de Brunswick et par mademoiselle d'Orléans, reine douairière d'Espagne. Enfin, étant rentré dans le domaine royal à la mort de cette princesse, Louis XVI le donna, en 1779, à Monsieur, depuis Louis XVIII.
Le palais dont nous venons de donner l'historique occupe à Paris le second rang après celui du Louvre; et plus uniforme dans toutes ses parties, il avoit eu jusqu'à présent sur lui l'avantage d'être entièrement terminé. On citeroit en Europe peu de monuments de ce genre qui réunissent plus de grandeur et un ensemble plus achevé. Le Bernin avouoit sincèrement qu'il n'en connoissoit point qui pût lui être préféré.
Son plan présente une dimension de soixante toises en longueur, et de cinquante sur les deux moindres côtés, qui sont ceux de la façade sur la rue de Tournon, et de la partie correspondante qui donne sur le jardin[186]. Ce plan, à la réserve du corps des bâtiments du jardin, forme un carré presque exact, dont toutes les parties se correspondent avec art et symétrie, avantage que l'on rencontre bien rarement dans les grands édifices.
La simplicité du plan répond à sa régularité. Il se compose d'une seule et vaste cour, environnée de portiques, et flanquée de quatre corps de bâtiments carrés qu'on appelle pavillons[187]. La seule irrégularité qu'on y remarque est causée par la saillie que produisent les deux pavillons du fond de la cour sur les ailes des portiques latéraux. Toutefois cette avance, qui annonce le corps principal du bâtiment, étoit autrefois motivée en ce qu'elle venoit à la rencontre d'une terrasse, pratiquée au devant de cette partie de l'édifice, et dont l'effet étoit très agréable. La terrasse a été, depuis peu, supprimée, pour donner aux voitures la facilité d'approcher du palais.
Du côté du jardin, il semble que le plan du monument eût été plus heureux sans cette addition de deux énormes pavillons, qui, avec le corps du milieu, doublent, dans cette partie, l'épaisseur du bâtiment, et donnent un aspect lourd et massif à son élévation[188]. On sait que ce genre de construction tire son origine des tours gothiques dont jadis étoient flanqués nos vieux châteaux. Le type s'en est conservé dans presque tous les édifices françois, et principalement dans les monuments du dix-septième siècle et du précédent; mais si, de loin, l'aspect y gagne, il n'en est pas ainsi de près, surtout lorsqu'on veut faire un mélange de ces constructions avec les ordonnances grecques, qui demandent surtout de l'égalité dans les lignes et de la régularité dans les masses.
Toutefois ce défaut, quoique assez considérable, n'empêche pas que l'élévation générale de ce palais ne mérite beaucoup d'éloges; et l'on n'en connoît aucun dont l'aspect soit à la fois plus symétrique et plus pittoresque. Ce double caractère est surtout remarquable dans la façade qui donne sur la rue de Tournon. Rien de mieux conçu que la disposition des deux pavillons, de la coupole qui s'élève au-dessus de la porte, et l'accord qui règne entre ces trois masses pyramidales; rien de plus heureux que cette idée de les lier ensemble par deux terrasses, et jamais rapports d'ordonnance n'ont présenté un ensemble plus harmonieux. Dans le principe, les corps de bâtiment qui forment ces terrasses étoient pleins, c'est-à-dire qu'entre les pilastres accouplés de l'ordonnance, régnoit un mur massif, coupé de bossages dans le goût général de l'édifice. Ce plein présentoit sans doute à l'œil un repos toujours favorable à l'architecture; cependant on ne sauroit dire qu'en ouvrant ce mur et en perçant ces massifs d'arcades, en tout point semblables à celles de la cour, le palais y ait perdu. Ces arcades s'accordent bien avec le reste de l'ordonnance, introduisent de la légèreté dans l'ensemble, et peuvent même, à quelques égards, passer pour une amélioration.
Nous le répétons, toute l'ordonnance des élévations de ce palais est conçue dans le système le plus régulier. Il n'y a point de partie qui ne corresponde avec exactitude à une autre. Quant à la décoration, au rez-de-chaussée, tant en dehors qu'en dedans il règne, sur toute la surface, un ordre prétendu toscan, ajusté par colonnes ou pilastres accouplés, produisant des ressauts dans tous les trumeaux. Les vides forment des arcades tantôt libres comme dans les portiques de la cour, tantôt rétrécies par des croisées inscrites dans leurs ouvertures.
Le premier étage, en tout conforme au rez-de-chaussée pour la disposition, est orné, dans le même style, d'un ordre dorique également accouplé, également ressauté sur les trumeaux, et d'un rang de croisées carrées avec chambranles. Une frise en métopes et en triglyphes, pratiquée à l'entour, est la seule différence qui existe entre cette ordonnance et l'ordonnance inférieure.
L'étage qui s'élève au dessus, ne règne ni généralement ni d'une manière uniforme dans toutes les parties de l'édifice: il n'existe point dans les ailes de la cour; dans les pavillons, sa hauteur est égale à celle du premier étage, et il y est décoré, selon le même style, d'un ordre dont le chapiteau est ionique. Au corps principal du bâtiment, ce second étage s'annonce sous la forme d'attique, et reçoit pour décoration l'espèce d'ordre auquel on est convenu de donner ce nom.
Une des choses qui frappent le plus dans tout l'ensemble de ce monument, est ce style un peu bizarre de bossages dont tous les murs, tous les ordres et tous les étages sont couverts. C'étoit alors le goût dominant à Florence. Marie de Médicis voulut, dit-on, que son nouveau palais lui rappelât ceux de sa patrie; et l'on est assez d'accord que Desbrosses, cherchant à satisfaire son désir, eut en vue d'offrir dans le palais du Luxembourg quelque imitation du palais Pitti. Ces deux édifices ont en effet, à plusieurs égards, des traits de ressemblance, surtout dans ce système d'ordonnances coupées par des bossages. Quant à ce genre d'ornement, en lui-même essentiellement défectueux, tout ce que l'on peut en dire, c'est que, lorsqu'il est traité avec hardiesse dans de grandes masses, il porte au plus haut degré l'idée de la force et de la solidité, ce qui donne toujours à l'architecture un caractère imposant. C'est ainsi que l'ont entendu les architectes florentins. Desbrosses, au contraire, voulant innover, perfectionner, et croyant adoucir la dureté des bossages en les arrondissant, n'a produit d'autre effet que de leur donner de la pesanteur et de la monotonie. Cependant, malgré le vice de cette innovation, et l'aspect étrange que présente un semblable style, surtout dans son application aux colonnes et aux ordonnances isolées, il faut toujours convenir que le palais du Luxembourg frappe par la solidité de sa construction, par la symétrie de sa disposition, par l'accord de ses masses, enfin par un ensemble régulier et fini qu'il est rare de rencontrer à Paris dans les grands édifices.
Les parties intérieures de ce palais n'avoient jamais été entièrement terminées quant à la décoration. Les appartements, distribués et ornés selon le goût du temps, n'offroient, au milieu de la richesse extrême de leurs énormes plafonds surchargés de dorures, rien qui, sous le rapport de l'art, méritât d'être remarqué. Mais les deux ailes qui donnent sur la cour étoient destinées à former des galeries à jamais célèbres dans l'histoire de la peinture: l'une devoit offrir la vie de Henri IV, l'autre, celle de Marie de Médicis, et toutes les deux avoient été confiées au pinceau de Rubens. Un projet si magnifique ne fut exécuté qu'à moitié: de la première galerie, il n'acheva que deux tableaux, qui se voient aujourd'hui à Florence; l'Europe entière connoît la galerie de Médicis[189].
CURIOSITÉS DU PALAIS DU LUXEMBOURG EN 1789.
TABLEAUX.
Dans la chapelle, dont l'architecture irrégulière ne répondoit pas à la beauté du reste de l'édifice, sur le maître-autel, un Christ au tombeau, attribué à Perrin del Vago.
Dans le salon qui précède la galerie de Rubens, David tenant la tête de Goliad; par Le Guide[190].
Les neuf muses en neuf tableaux; sans nom d'auteur.
Dans le plafond de l'appartement de mademoiselle de Montpensier, Flore et Zéphire; par La Fosse.
Galerie de Rubens.
Ce grand peintre y a représenté, en vingt-quatre tableaux allégoriques, et qui, sous le rapport de la couleur, doivent être mis au nombre de ses productions les plus parfaites, toute l'histoire de Marie de Médicis, depuis sa naissance jusqu'à l'accommodement fait, en 1620, entre elle et Louis XIII.
1o La destinée de la princesse; 2o sa naissance; 3o son éducation; 4o Henri IV délibérant sur le choix d'une épouse; 5o le mariage du roi et de la reine conclu à Florence en 1600; 6o le débarquement de la reine au port de Marseille dans la même année; 7o le mariage de ces deux augustes personnages accompli à Lyon aussi en 1600; 8o la naissance de Louis XIII en 1601; 9o la première régence de la reine, du vivant du roi; 10o le couronnement de la reine à Saint-Denis en 1610; 11o l'apothéose de Henri IV et la régence de la reine; 12o le bonheur du peuple sous le gouvernement de la régente; 13o son voyage au Pont-de-Cé; 14o l'échange fait, en 1615, d'Anne d'Autriche, infante d'Espagne, femme de Louis XIII, avec Isabelle de Bourbon, accordée à Philippe IV, roi d'Espagne; 15o seconde allégorie sur la félicité du temps de la régence; 16o le gouvernement du royaume remis à Louis XIII; 17o la disgrâce de la reine et sa retraite; 18o l'accommodement de la reine fait à Angers avec Louis XIII; 19o la réconciliation de la mère et du fils; 20o leur entrevue au château de Couzières, près de Tours, en 1619; 21o le Temps découvrant la Vérité; 22o le portrait de Marie de Médicis sous les attributs de Minerve; 23o et 24o les portraits de François de Médicis, son père, grand duc de Toscane, et de Jeanne d'Autriche, duchesse de Toscane, sa mère[191].
TABLEAUX DU CABINET DU ROI.
Cette collection précieuse, long-temps renfermée et comme ensevelie dans les appartements de la surintendance à Versailles, en fut tirée en 1750 par permission du roi, et transportée au palais du Luxembourg, dans les appartements de la reine d'Espagne, pour y être livrée, plusieurs jours par semaine, à la curiosité du public et aux études des artistes. Nous croyons qu'on verra avec plaisir une liste des tableaux dont elle étoit alors composée, tableaux qui sont aujourd'hui l'un des plus beaux ornements du Musée royal.
- Première Pièce.
- Le portrait du cardinal Hippolyte de Médicis; par Le Titien.
- Un Soleil couchant; par Claude Le Lorrain.
- Le Martyre de saint Georges; par Paul Véronèse.
- Le Portrait d'un homme et de son fils; par Vandyck.
- Les Israélites recevant la manne dans le désert; par Le Poussin.
- Une bataille; par Salvator-Rosa.
- La Peste des Philistins; par Le Poussin.
- Jupiter et Antiope; par Le Titien.
- Un Portrait de femme avec sa fille; par Vandyck.
- Jésus-Christ, la Vierge, saint Ambroise et saint Augustin, par Lanfranc.
- Le Débarquement de Cléopâtre; par Claude Le Lorrain.
- Portrait du cardinal Jules de Médicis; par Raphaël.
- La Charité; par André del Sarto.
- Un Christ en croix, saint Jean, la Vierge et la Magdeleine; par Rubens.
- Le Portrait de Louis XI; par Holbein.
- Petite Galerie.
- Jeanne de Clèves, l'une des femmes de Henri VIII; par Holbein.
- Victoire de Godefroy de Bouillon; par Breughel de Velours.
- Jésus-Christ chassant les marchands du temple; par Benedette.
- Judith; par Valentin.
- Un Paysage; par P. Bril.
- Le Déluge; par Alexandre Véronèse.
- Magdeleine pleurant devant la croix; par Le Guide.
- Le Déluge; par Le Poussin.
- Une Vendange; par J. Bassan.
- La Vierge au pilier; par Le Poussin.
- Les Envoyés dans la Terre promise; par Le Poussin.
- Moïse sauvé; par Paul Véronèse.
- La Charité romaine; par Le Guide.
- Saint Jérôme; par Le Titien.
- La Cène; par Tintoret.
- La Femme adultère; par Lorenzo Lotto.
- Le Buisson ardent; par Le Féti.
- Les Noces de Cana; par Vandyck.
- Un Portrait; par Holbein.
- Saint Pierre-ès-Liens; par Peter-Neefs et Poëlemburg.
- Suzanne et les vieillards devant Daniel; par Valentin.
- Booz et Ruth; par Le Poussin.
- L'Enlèvement des Sabines; par le même.
- Le Christ au tombeau; par J. Bassan.
- Le Jugement de Salomon; par Valentin.
- Adam et Ève; par Le Poussin.
- Salle du Trône.
- Le Portrait de Henri IV; par Porbus.
- La Reine de Saba devant Salomon; par Vleughels.
- Le Portrait de Henri IV; par Jeannet.
- Abigaïl devant David; par Vleughels.
- La Vierge et l'enfant Jésus; par Mignard.
- La Magdeleine; par Santerre.
- La Foi accompagnée de trois enfants; par Mignard.
- L'Élévation de la croix; par Lebrun.
- Diane au bain; par de Troy fils.
- La Victoire tenant Louis XIII entre ses bras; par Vouet.
- Marthe et Marie; par La Fosse.
- Le Portrait de l'électeur de Bavière; par Vivien.
- Le duc de Berri; par le même.
- Louis XV dans sa jeunesse; par Rigaud.
- Sainte Cécile; par Mignard.
- Une Sainte Famille; par le même.
- Esther devant Assuérus; par Antoine Coypel.
- Ptolémée donnant la liberté aux Juifs; par Noël Coypel.
- Solon expliquant les lois; par le même.
- Alexandre-Sévère faisant distribuer du blé aux Romains; par le même.
- Trajan donnant audience aux nations; par le même.
- Le ravissement de saint Paul; par Le Poussin.
- L'entrée de Notre-Seigneur dans Jérusalem; par Le Brun.
- Une Bacchanale; par le même.
- La Conquête de la Franche-Comté; par le même.
- Un Paysage; par Claude Le Lorrain.
- Une Marine; par le même.
- Un Concert; par F. Puget.
- Un Christ à la colonne; par Le Sueur.
- La Présentation au Temple; par Rigaud.
- La Trève de l'archiduc Albert avec la Hollande; par Porbus.
- Grande Galerie.
- La Vierge jardinière; par Raphaël.
- Herminie en bergère; par Francesco Mola.
- La Vierge, saint Jean et les saintes femmes au pied de la croix; par Paul Véronèse.
- Un Portrait d'homme; par Antoine Moro.
- La Fuite en Égypte; par Le Guide.
- Portrait du comte du Luc; par Vandyck.
- La Vierge, l'enfant Jésus, saint Georges, sainte Catherine et saint Benoît; par Paul Véronèse.
- Diane au bain; par Le Titien.
- Notre Seigneur au tombeau; par le même.
- Renaud et Armide; par Le Dominiquin.
- L'Adoration des Mages; par Paul Véronèse.
- Une Sainte Famille; par André del Sarte.
- La Vierge Couseuse; par Le Guide.
- Saint Georges combattant le dragon; par Raphaël.
- Une Sainte Famille avec saint Michel; par Léonard de Vinci.
- La Vierge au lapin; par Le Titien.
- La Vie champêtre; par Le Féti.
- Saint Michel; par Raphaël.
- Une Sainte Famille; par Le Guide.
- Le Mariage de sainte Catherine; par Piètre de Cortone.
- La Continence de Scipion; par Le Moyne.
- Le Père éternel dans sa gloire; par L'Albane.
- L'Intérieur d'une église; par Stenwick.
- Jupiter et Antiope; par Le Corrège.
- La Sainte Famille; par Raphaël.
- La Prédication de saint Jean; par L'Albane.
- Saint Bruno dans le désert; par Francesco Mola.
- Tobie prosterné devant l'ange; par Rembrandt.
- Le Portrait d'un grand-maître de Malte; par Michel-Ange de Caravage.
- Le Baptême de Notre-Seigneur; par L'Albane.
- Un Concert; par Le Dominiquin.
- Une Fête de village; par Rubens.
- Une Pastorale; par le même.
- Un Christ; par Vandyck.
- Un Paysage; par Berghem.
- Un autre; par le même.
- Une Écurie; par Wouwermans.
- Une Cavalcade; par le même.
- Caune et Biblis; par L'Albane.
- Apollon et Daphné; par le même.
- La Vierge, Jésus, saint Jean et sainte Agnès; par Le Titien.
- Les Vendeurs chassés du temple; par Jordaens.
- Le Déluge; par Augustin Carrache.
- SCULPTURES.
- Sur les portes d'entrée du principal corps de bâtiment, trois bustes de marbre offrant les portraits de Henri IV, de Marie de Médicis et de Louis XIII.
- Sur les frontons des pavillons, des statues couchées.
Le jardin du Luxembourg, très resserré d'abord et agrandi depuis par l'acquisition que fit Marie de Médicis d'une portion du terrain des Chartreux[192], étoit tombé, par la suite des temps, dans un état complet de délabrement. Du reste, il n'offroit rien de remarquable qu'un morceau d'architecture nommé la Grotte. Cette construction, qui existe encore, se compose d'une ordonnance de quatre colonnes toscanes, dont le fût est orné de congélations. Des trois entre-colonnements de cette grotte, celui du milieu est occupé par une niche à laquelle un attique, couronné d'un fronton circulaire, sert d'amortissement. Les deux petits entre-colonnements portent un fleuve et une naïade appuyés sur leurs urnes; dans la niche du milieu est une statue de nymphe[193].
Le parterre est en face du château; le bois, formant plusieurs belles allées, s'étend, du côté droit, le long de la rue de Vaugirard[194].
LE PETIT-LUXEMBOURG OU LE PETIT-BOURBON.
Cet hôtel, situé à côté du palais du Luxembourg, fut bâti par le cardinal de Richelieu, qui l'habita jusqu'à ce qu'on eût achevé le Palais-Cardinal qu'il faisoit construire. En le quittant, il en fit don à la duchesse d'Aiguillon sa nièce: cet édifice passa ensuite, à titre héréditaire, à Henri-Jules de Bourbon-Condé. La princesse Anne Palatine de Bavière, son épouse, l'ayant choisi pour sa demeure après la mort de ce prince, y fit faire des réparations et des augmentations considérables. On construisit, par ses ordres, et de l'autre côté de la rue, un hôtel pour ses officiers, ses cuisines, ses écuries, avec un passage sous la rue, servant de communication de l'un à l'autre édifice[195]. Ce palais a été successivement occupé par des princes et des princesses de la maison de Bourbon-Condé[196].
COMÉDIE FRANÇOISE.
Si l'on veut remonter à la première origine des spectacles en France, on trouvera qu'ils se lient pour ainsi dire aux derniers spectacles des Romains. La barbarie des conquérants de la Gaule en bannit d'abord tous ces arts agréables que les maîtres du monde y avoient introduits: les joutes, les tournois, les combats à outrance les remplacèrent. Mais bientôt adoucis par leur mélange avec les vaincus, et par le luxe qui accompagne presque toujours la jouissance paisible d'un grand pouvoir, les vainqueurs recherchèrent des plaisirs que, jusque là, ils avoient dédaignés. Nous apprenons par Cassiodore que Clovis fit prier Théodoric, roi des Ostrogoths, de lui céder un pantomime qui excellait dans son art, et qui joignoit à ce talent celui de la musique. Bientôt les histrions, mimes, farceurs de toute espèce, se répandirent de la cour des rois dans les provinces; on couroit en foule à leurs spectacles, et ils charmèrent des spectateurs grossiers, principalement par l'indécence de leurs attitudes et par l'obscénité de leurs chansons. Cet abus de leur art les rendit infâmes; et une ordonnance de Charlemagne, conforme au décret du concile d'Afrique, déclara que leur témoignage ne seroit pas reçu en justice contre des personnes de condition libre. Cependant ils n'en furent ni moins goûtés ni moins recherchés; à certaines époques de cet âge, où le désordre de la société politique altéroit même les institutions les plus saintes et produisoit partout le relâchement des mœurs, ils s'introduisirent jusque dans les lieux les plus sacrés, dans les églises, dans les monastères[197], ce qui est prouvé par plusieurs ordonnances, dans lesquelles on est obligé de défendre aux évêques, abbés, abbesses, non seulement de recevoir dans leurs maisons des mimes et des farceurs, mais encore de se livrer à l'exercice personnel d'une si honteuse profession.
La poésie provençale, s'introduisant à la cour de France sous les auspices de la princesse Constance, seconde femme du roi Robert, donna l'idée d'un plaisir plus noble et plus délicat. Effacés par les troubadours, les histrions eurent le bon esprit de prendre pour modèles leurs ingénieux rivaux. On vit paroître en France, sur les théâtres, une action renfermée dans un récit composé de chant et de déclamation. Ce nouveau genre de spectacle, qui demandoit le concours des poètes, des acteurs et des musiciens, réunit entre eux les troubadours, qui récitoient leurs vers, les musiciens, qui chantoient leurs romances, et les jongleurs ou ménestrels, qui les accompagnoient avec des instruments. Appelés dans les palais des rois, où ils étoient comblés de caresses et de présents, devenus nécessaires dans toutes les fêtes dont ils étoient le plus bel ornement, les nouveaux histrions se relevèrent du mépris où étoient tombés leurs prédécesseurs. Ils formèrent, dans les grandes villes, un corps particulier, de même que toutes les autres professions autorisées par le gouvernement, et vécurent ainsi réunis sous la direction d'un chef, ou, comme on s'exprimoit alors, d'un roi, chargé de maintenir l'ordre dans leur petite société. Plusieurs souverains ne dédaignèrent pas même de leur donner des statuts.
Ils jouirent ainsi pendant long-temps du privilége presque exclusif d'amuser les princes et la nation; et sans parler ici de cette foule de poésies inventées par les Trouvères et Troubadours, sous les noms de chant, chanterel, chanson, son, sonnet, layz, depport, soulas, pastorales, tensons, etc., on voit aussi, dans ce premier âge des lettres gauloises, des tragédies historiques et des drames satiriques, ou comédies, que les rois et seigneurs de châteaux faisoient jouer publiquement dans leurs cours et souvent avec une grande magnificence. Malheureusement pour eux, les auteurs de ces poésies dramatiques ne gardèrent point, dans leurs compositions, la mesure que sembloit leur prescrire la dépendance où ils étoient d'un si grand nombre de souverains: ils s'oublièrent jusqu'à représenter sur le théâtre les détails les plus secrets de la vie privée de plusieurs grands personnages; les crimes et les foiblesses de Jeanne, reine de Naples et de Sicile, n'échappèrent point à leur malignité, et cette hardiesse, jusqu'alors inouïe à l'égard d'une tête couronnée, causa leur perte. Alors défaillirent les Mécènes et défaillirent aussi les poëtes, dit Nostradamus.
Les jongleurs, retombés dans toute la bassesse de leur ancienne condition, furent, depuis ce temps, à peine tolérés dans les villes; et l'on trouve qu'à Paris ils étoient tous réunis, comme les juifs et les courtisanes, dans une rue, à laquelle ils avoient donné leur nom[198]; et qu'on y alloit louer ceux dont on pouvoit avoir besoin dans les fêtes ou assemblées de plaisir.
Long-temps auparavant, et lorsque les jongleurs et ménétriers étoient encore florissants, on avoit déjà vu paroître une espèce fort singulière de comédiens, qui devoit un jour les remplacer, et peut-être exciter encore un plus grand enthousiasme. Les croisades occupoient alors tous les esprits: l'imagination ardente des chrétiens de l'Europe se faisoit des objets de vénération de tous ceux qui échappoient à ces entreprises hasardeuses et lointaines; et s'exagérant encore les dangers très réels qu'on y couroit, la force et la férocité des ennemis qu'il y falloit combattre, le peuple écoutoit avec avidité, et croyoit sans examen toutes les merveilles les plus absurdes qu'on pouvoit en raconter. Pour accroître encore des dispositions si favorables, les croisés qui revenoient de la Palestine étoient dans l'usage de parcourir les villes, vêtus de l'habit de pèlerin, chantant des cantiques spirituels et récitant les singularités ou les miracles des diverses contrées qu'ils avoient visitées. Isolés d'abord, ils formèrent bientôt de petites troupes et imaginèrent de donner à leurs récits une forme dramatique, en les coupant en dialogues ou versets, que chacun d'entre eux déclamoit ou chantoit à son tour. Ces spectacles se donnoient dans les rues, quelquefois sur des échafauds dressés dans les carrefours ou sur les places publiques; et ce fut seulement en 1398 qu'une société de ces pieux histrions, parmi lesquels on comptoit, dit-on, quelques bourgeois de Paris, conçut le projet de donner une forme plus régulière à ces spectacles bizarres, et de mettre plus de magnificence dans leur représentation. Telle fut l'origine des confrères de la Passion. Nous avons déjà fait connoître le lieu qu'ils choisirent pour leurs premiers essais, le mystère qui y fut représenté, les obstacles qu'il leur fallut combattre, le succès prodigieux qu'ils obtinrent, leur transmigration de l'abbaye Saint-Maur à l'hôpital de la Trinité, que l'on peut considérer comme le berceau de la scène françoise, de là à l'hôtel de Flandre, et enfin à l'hôtel de Bourgogne, dont ils devinrent les propriétaires, et qui vit cesser presque aussitôt leurs spectacles, après cent cinquante ans d'existence[199]. Il convient peut-être de donner ici quelque idée de ce nouveau genre de composition dramatique.
Il n'offroit, comme on peut bien l'imaginer, ni unité d'action, ni unité de lieu, ni dessein, ni invention, ni conduite, enfin aucunes traces des règles du théâtre. Un de ces mystères, parmi ceux que le temps a laissé parvenir jusqu'à nous, se compose de cinq journées, subdivisées en une multitude infinie d'actions et de scènes écrites généralement d'un style plat et barbare, entièrement dépourvues d'intérêt, quelquefois même de sens commun[200], mais offrant des tableaux qui devoient émouvoir fortement un peuple ignorant et dévot, et par intervalles, des morceaux écrits avec une grâce naïve, qui pouvoient satisfaire même les personnes d'un goût délicat. Les vraisemblances n'étoient pas plus ménagées pour les yeux que pour les oreilles: la décoration du théâtre restoit toujours la même depuis le commencement jusqu'à la fin; tous les acteurs paroissoient à la fois, quelque nombreux qu'ils fussent, et une fois qu'ils étoient entrés sur la scène, n'en sortoient plus qu'ils n'eussent achevé leur rôle, ce qui semble d'abord impossible, si l'on n'a pas quelque idée de la construction de ce théâtre. L'avant-scène y avoit à peu près la même forme que dans nos théâtres actuels, mais le fond en étoit bien différent. Il étoit occupé par plusieurs échafauds placés les uns au-dessus des autres, et que l'on nommoit établies. Le plus élevé représentoit le paradis; celui qui étoit immédiatement au-dessous, l'endroit le plus éloigné du lieu de la scène; le troisième en descendant, le palais d'Hérode, la maison de Pilate, et ainsi des autres, suivant le mystère qu'on représentoit. Sur les parties latérales de ce même théâtre étoient pratiqués des gradins en forme de chaire; c'étoit là que les acteurs s'asseyoient lorsqu'ils avoient joué leur scène, ou qu'ils attendoient leur tour à parler. Ainsi, au moment même où le mystère commençoit, les spectateurs avoient sous les yeux tous ceux qui devoient y paroître; c'étoit là tout l'artifice; on n'y entendoit pas d'autre finesse, et un acteur étoit censé absent dès qu'il s'étoit assis. À la place de ces trappes, au moyen desquelles on descend aujourd'hui sous la scène, l'enfer étoit représenté par la gueule d'un énorme dragon, laquelle s'ouvroit et se refermoit pour laisser entrer et sortir les diables. Que l'on ajoute à cela une espèce de niche avec des rideaux, formant une chambre où se passoient les choses qui ne devoient pas être vues du public, telles que l'accouchement de sainte Anne, de la Vierge, etc., et l'on aura une idée assez complète de l'appareil théâtral des confrères de la Passion.
Tandis que ces pieux associés continuoient ainsi à amuser et à édifier, tout à la fois, le bon peuple de Paris, une troupe folâtre de jeunes gens des meilleures familles de la ville, unis entre eux par le goût du plaisir et par le penchant à la raillerie, créoient, en concurrence avec eux, un nouveau genre de spectacle, dont la gaieté faisoit les frais, et dans lequel ils offroient à la risée des spectateurs les extravagances humaines, les aventures scandaleuses du jour, et les ridicules de leurs contemporains. Ils se nommèrent eux-mêmes les Enfants sans souci[201]; leur chef prit le titre de prince des sots, et ils donnèrent à leur drame celui de sottises. À la fois auteurs et acteurs dans ces nouvelles attellanes, ils firent construire aux halles un théâtre, où ils charmèrent la cour et la ville par ces ingénieux badinages. Des lettres patentes de Charles VI confirmèrent la joyeuse institution; et le prince des sots fut reconnu monarque de l'empire qu'il venoit de fonder. Un capuchon, surmonté de deux oreilles d'âne, devint l'attribut de sa royauté; et tous les ans il fit son entrée à Paris, suivi de ses burlesques sujets.
Vers le même temps, les clercs des procureurs du parlement, connus sous le nom de Bazochiens[202], inventèrent une autre espèce de drame, qui fut désigné sous le nom de moralité. C'étoit un mélange d'êtres purement allégoriques, mêlés avec des personnages vivants, mélange dont ils reconnurent bientôt la froideur et l'insipidité, de manière que, pour rendre leurs spectacles plus piquants, ils transigèrent avec les Enfants sans souci, qui leur permirent de représenter des sottises et des farces, et reçurent en échange la liberté d'introduire des moralités sur leur théâtre. On abandonna les mystères pour ces spectacles, plus variés et plus piquants, de manière que les confrères, pour rappeler à leur théâtre le public que leur enlevoient les Enfants sans souci, se virent forcés de les admettre à jouer de concert avec eux. Les scènes pieuses se trouvèrent alors entrecoupées d'intermèdes profanes et de bouffonneries, ce qui fut appelé le jeu des pois pilés. Telles étoient les extravagances bizarres qui, pendant long-temps, firent les délices de nos aïeux. Toutefois il ne faut point oublier que toutes ces associations ou confraternités étoient composées de personnes libres, qui n'avoient d'autre but que de s'amuser ou de s'édifier. On ne voit point à cette époque de comédiens de profession établis à Paris; et si quelques uns tentèrent d'y fixer leur demeure, les confrères de la Passion, en vertu de leur priviléges, eurent toujours le pouvoir de les en faire sortir.
Cependant les lumières commençoient à pénétrer en France; et les honnêtes gens s'indignoient de ce mélange odieux de bouffonneries et de choses sacrées, qui déshonoroit la religion et profanoit nos mystères les plus redoutables et les plus saints. Un tel abus devenant de jour en jour plus insupportable, le parlement crut devoir profiter de la circonstance qui avoit occasioné le déplacement des confrères de la Passion, pour anéantir un genre de spectacle déjà proscrit dans l'opinion publique. Ainsi, lorsque la salle de l'hôtel de Bourgogne et les constructions qui en dépendoient furent achevées, la confrérie ayant présenté requête à cette compagnie pour qu'on lui permît de reprendre le cours de ses représentations, l'arrêt qui fut rendu en sa faveur, le 17 septembre 1548, la maintint effectivement dans le droit exclusif d'avoir un théâtre à Paris, mais lui défendit en même temps d'y représenter autre chose que des pièces profanes, honnestes et licites, lui interdisant désormais tous mystères tirés de l'Écriture sainte et autres sujets de piété. Cette défense, en faisant disparoître à jamais ces drames barbares, détermina les confrères à renoncer à une profession qui ne leur avoit semblé honorable qu'autant qu'elle avoit été de nature à instruire et à édifier les fidèles, seul but que pouvoit se proposer une corporation religieuse[203]. Cependant, ne voulant renoncer ni à leur propriété, ni aux avantages qui y étoient attachés, ils louèrent l'hôtel de Bourgogne à une troupe de comédiens qui se forma dans ce temps-là; et jusqu'en 1676, époque de leur entière destruction, ils continuèrent à jouir du privilége d'avoir seuls un théâtre à Paris, retirant une contribution des troupes à qui ils permettoient de s'y établir, et s'opposant à l'établissement de celles qui cherchoient à se soustraire à leur juridiction.
Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne jouèrent assez long-temps sans aucune concurrence. Ce fut chez eux que Jodèle[204], La Peruse, Robert Garnier, etc., retrouvant les traces si long-temps perdues des auteurs dramatiques de l'antiquité, jetèrent les premiers fondements du théâtre. On vit naître une foule de poètes et une multitude innombrable de tragédies et de comédies; alors parurent ces comédiens fameux dont la réputation s'est conservée plus long-temps que celle des auteurs qui travailloient pour eux, les Turlupin, les Gautier-Garguille, les Guillo-Gorju, les Bruscambille, les Tabarin, etc. Nous ne pouvons savoir au juste quel étoit le mérite de ces histrions; mais il reste encore un grand nombre des pièces qu'ils représentoient, et de ces pièces il n'en est pas une seule qui offre de la décence, de la régularité, un véritable intérêt; ce sont les essais informes d'un art dans son enfance, qui s'exerce dans une langue à demi formée. Parmi ces premiers poètes, Hardi se distingua par une facilité incroyable à faire des vers, et par quelques imitations assez heureuses de Sénèque et des tragiques grecs; Mairet et Rotrou, qui vinrent après, achevèrent de débrouiller ce chaos, et annoncèrent enfin ce siècle de merveilles littéraires, où Corneille, Racine et Molière devoient tout-à-coup porter l'art dramatique à son dernier degré de perfection.
Cependant l'hôtel de Bourgogne continuoit d'être le seul théâtre de la ville de Paris, lorsqu'en 1660 une troupe de comédiens de province obtint la permission d'ouvrir un nouveau théâtre dans une maison du Marais, connue sous le nom d'hôtel d'Argent[205]. Cette troupe, meilleure que l'autre, obtint plus de vogue, et, se trouvant bientôt trop à l'étroit dans son nouveau local, alla s'établir dans un jeu de paume de la rue du Temple, où elle demeura jusqu'à la mort de Molière, époque à laquelle elle fut réunie à la troupe dont ce grand auteur comique étoit directeur.
Il avoit commencé lui-même à jouer la comédie à Paris dès 1650, sur un théâtre dit de la Croix-Blanche, que des jeunes gens de famille avoient élevé dans le faubourg Saint-Germain; mais les représentations eurent peu de succès, et cette société ne tarda pas à se disperser. Molière courut alors la province avec quelques acteurs qu'il avoit engagés à le suivre, en enrôla d'autres dans ses voyages, et revint à Paris en 1658. Le prince de Conti, qui le protégeoit, l'ayant présenté à Monsieur, frère du roi, lui procura ainsi la faveur de jouer devant Louis XIV, sur un théâtre que l'on dressa au Louvre dans la salle des Gardes. Les acteurs qu'il avoit formés eurent le bonheur de plaire au monarque, qui voulut bien consentir à leur établissement à Paris. On leur assigna la salle du Petit-Bourbon près Saint-Germain-l'Auxerrois, et ils y jouèrent, alternativement avec les comédiens italiens qui en avoient la possession depuis quelques années. Dès lors la troupe de Molière prit le nom de Troupe de Monsieur; et ce prince, continuant de la protéger, lui fit accorder, deux ans après, la salle du Palais-Royal, qu'elle partagea encore avec les comédiens italiens, et dans laquelle elle joua sans interruption jusqu'à la mort de son illustre chef, arrivée en 1673.
Alors la salle du Palais-Royal fut donnée à Lulli, directeur de l'Académie royale de musique; et les comédiens de Monsieur, réunis à ceux du Marais, allèrent s'établir rue Mazarine dans la salle même où l'abbé Perrin avoit fait, quelques années auparavant, les premiers essais du grand opéra françois. Les principaux acteurs de l'hôtel de Bourgogne entrèrent aussi dans cette nouvelle association; et ces trois troupes réunies devinrent le fondement de la comédie françoise.
Ceci arriva en 1680; mais le collége des Quatre-Nations ayant commencé ses exercices en 1687, le voisinage d'une salle de spectacle parut offrir des inconvénients assez graves pour que l'on jugeât nécessaire d'obliger les comédiens à aller s'établir dans quelque autre lieu. Ils achetèrent, cette même année, l'hôtel de Lussan, situé rue des Petits-Champs; mais des obstacles qu'ils n'avoient pu prévoir ayant rendu cette acquisition inutile, un arrêt du conseil, rendu le 1er mars 1688, annulant toutes les transactions passées à cet effet, leur permit de se rendre propriétaires du jeu de paume de l'Étoile, rue des Fossés-Saint-Germain, ainsi que de la maison voisine, et d'y élever leur théâtre. Ils l'achetèrent le 8 du même mois; la salle fut construite sur les dessins de François d'Orbay, et ils ne cessèrent point d'y jouer jusqu'en 1770. Alors leur théâtre menaçant ruine, on leur accorda la permission de continuer leurs représentations sur le grand théâtre des Tuileries, en attendant qu'on leur eût élevé une salle nouvelle dont il fut résolu de faire un monument vraiment digne de la scène françoise. Les fondements en furent jetés, après quelques hésitations, sur l'emplacement de l'ancien hôtel de Condé, et les comédiens françois s'y installèrent en 1782, après la quinzaine de Pâques.
Cette salle, construite sur les dessins de MM. Wailly et Peyre aîné, présente un seul corps de bâtiment de dix-huit toises et demie de largeur, vingt-huit de profondeur et neuf d'élévation; il est décoré, du côté de l'entrée, d'un grand péristyle de huit colonnes doriques, dont l'entablement se continue à la même hauteur sur les quatre faces[206]. L'édifice, dans son pourtour, offre au rez-de-chaussée quarante-six arcades ouvertes, et un pareil nombre de croisées au premier étage: le second et le troisième sont éclairés par des ouvertures pratiquées dans les métopes de la frise et dans l'attique. Sur toutes les faces sont tracés du bas en haut des joints d'appareil, sans autre décoration. La face principale est appuyée de deux grandes voûtes dont la partie supérieure est en terrasse, et sous lesquelles on descend de voiture à couvert. Les galeries qui environnent le monument sont ouvertes et l'on peut s'y promener à pied.
Le style de cet édifice peut sembler un peu sévère pour un théâtre; mais il est sage et régulier.
Sous le porche, trois portes donnent l'entrée d'un vestibule orné de colonnes toscanes, qui soutiennent une voûte plate et d'une exécution légère. Deux portes, placées en face, conduisent au parterre et à toutes les loges du rez-de-chaussée; de droite et de gauche, deux grands escaliers vont aboutir au foyer public, lequel est vaste et d'une belle disposition; il représente un salon à l'italienne, dont la forme, carrée par le bas, est octogone au premier entablement, et circulaire au dernier qui soutient la coupole.
Dans l'intérieur de la salle, règnent au dessus du parterre un rang de loges grillées, une galerie et trois rangs de loges. Un quatrième rang au dessus de la corniche occupe les arcades qui supportent le plafond. Avant l'incendie qui consuma entièrement l'intérieur de cette salle[207], du fond des secondes loges s'élevoient, sur des piédestaux, douze pilastres ioniques qui séparoient les troisièmes loges en autant de balcons saillant, et soutenoient une corniche architravée du même ordre. Partie de ces troisièmes loges, n'ayant point de séparation intérieure, formoit une espèce de paradis dans l'espace de cinq travées; et les voussures qui contenoient les quatrièmes loges reposoient sur cette corniche, à l'aplomb des pilastres. Toute la salle étoit peinte en bleu, sur lequel se détachoient des ornements blancs en relief, entre autres les douze signes du Zodiaque, disposés à l'entour du plafond.
Le plan de cette salle est circulaire, et, du fond des loges, a soixante pieds de diamètre sur une profondeur de soixante-douze pieds. La scène, qui en a trente-six d'ouverture, étoit soutenue jadis par quatre pilastres ornés de cariatides: Chalgrin les remplaça par des colonnes. Ce plan étoit habilement tracé; la disposition en étoit heureuse; mais le plafond manquoit de légèreté et présentoit des irrégularités qui faisoient présumer que cette partie de l'édifice n'avoit pas été suffisamment étudiée.
Dans le foyer, séparé seulement par des vitrages, des deux escaliers qui y conduisent, étoient autrefois les bustes en marbre de Corneille, Racine, Voltaire, Crébillon, Molière, Regnard, Destouches, Dufresny, Piron. La statue en pied de Voltaire par Houdon étoit placée dans le vestibule, en face de l'entrée. Les sculptures de l'avant-scène avoient été exécutées par Caffiéri[208].
Une place demi-circulaire, en avant du monument, à laquelle viennent aboutir sept rues, en rend l'approche facile et les débouchés aussi sûrs que commodes.
LES FEUILLANTS-DES-ANGES-GARDIENS.
Nous avons déjà fait connoître l'origine de ces religieux et leur établissement à Paris[209]. Leur institut y acquit une telle célébrité, et il se présenta en très peu de temps un si grand nombre de sujets qui désiroient l'embrasser, qu'ils se virent dans la nécessité de chercher un lieu propre à l'établissement d'un noviciat. Ils pensèrent d'abord à acquérir la maison qu'ont occupée depuis les Carmes-Billettes; mais un emplacement plus commode qu'ils trouvèrent au faubourg[210] Saint-Michel, les fit bientôt changer de résolution. Ils en firent l'acquisition en 1630, avec la permission de l'archevêque de Paris, obtinrent l'année suivante des lettres-patentes, et firent élever sur-le-champ leur nouveau monastère, dont M. Seguier, garde-des-sceaux, posa la première pierre en 1633. Toutefois l'église ne fut commencée que vingt-six ans après (en 1659)[211]. Ayant été achevée dans la même année, elle fut bénite aussitôt, et dédiée sous le nom des Saints-Anges-Gardiens. Ce petit édifice n'avoit rien de remarquable[212].
LES CHARTREUX.
On sait que cet ordre doit son nom au désert de Chartreuse, près de Grenoble, où ses premiers membres fixèrent leur demeure, et qu'il reconnoît pour instituteur saint Bruno, qui en jeta les premiers fondements en 1086. Les austérités extraordinaires et les vertus angéliques de ses disciples, se perpétuant d'âge en âge sans la moindre altération, jetèrent un tel éclat, que saint Louis, dans le zèle qui l'animoit pour la propagation des ordres monastiques, forma la résolution de leur procurer un établissement près de Paris. Il écrivit en conséquence, dans l'année 1257, à dom Bernard de La Tour, alors prieur de la grande chartreuse et général de l'ordre, qui se hâta de remplir ses vœux et lui envoya quatre religieux, sous la conduite de dom Jean Jocerant. Le saint roi les reçut avec beaucoup de joie et les établit aussitôt à Gentilli, dans une maison à laquelle étoient attachées quelques dépendances en vignes et terres labourables, qu'il avoit acquise des héritiers d'un particulier nommé Pierre Le Queux. Mais à peine étoient-ils en possession de cette demeure, que, suivant Dubreul[213], ils demandèrent au roi son hôtel de Vauvert, situé vis-à-vis Notre-Dame-des-Champs, et qui passoit alors pour inhabitable. Cet auteur, un peu trop crédule sans doute, ajoute sérieusement que les démons s'étoient depuis quelque temps emparés de cette maison; que par cette raison saint Louis fit quelque difficulté de la donner aux Chartreux; mais que, dès qu'elle eut été accordée, ces malins esprits en furent chassés par les prières de ces religieux. Il cite à l'appui de son récit plusieurs historiens auxquels il a effectivement emprunté cette tradition; il prétend même qu'il faut y chercher l'étymologie du nom d'Enfer donné à la rue qui conduit à ce monastère; mais toutes ces preuves sont trop foibles pour que la saine critique ne rejette pas au nombre des fables légendaires et ce miracle et ces apparitions.
Tous nos historiens placent en 1259 l'établissement des Chartreux au lieu qu'ils ont occupé jusqu'au moment de la révolution, et la charte qui leur en confirme la donation est effectivement datée de cette année; mais les titres de ces religieux, cités par Jaillot[214], portent qu'ils en prirent possession dès l'année 1257; et ce même auteur rapporte un acte d'acquisition de quelques terres voisines du château de Vauvert, faite en 1258 par les prieur et frères de Vauvert, de l'ordre des Chartreux.
Cette maison de Vauvert, qu'on a qualifiée d'hôtel et de palais, avoit une chapelle qui servit d'abord aux religieux; on reconnut bientôt qu'elle étoit trop petite, et dès lors on jeta les fondements de l'église qui a subsisté jusque dans les derniers temps. Saint Louis, qui en avoit ordonné la construction, l'avoit confiée au célèbre architecte Pierre de Montreuil; mais ce ne fut point lui qui l'acheva. La mort du roi arrêta les travaux, qui furent repris en 1276, encore abandonnés depuis, repris une seconde fois, enfin terminés en 1324. Le 26 mai de l'année suivante, Jean d'Aubigni dédia cette église sous l'invocation de la sainte Vierge et de saint Jean-Baptiste. L'ancienne chapelle servit depuis de réfectoire[215].
L'intention de saint Louis avoit été de placer trente religieux dans ce couvent; toutefois il n'avoit encore fait bâtir que huit cellules lorsqu'il mourut, et jusqu'en 1270 il n'y en eut que deux nouvelles d'élevées par Marguerite d'Issoudun, comtesse d'Eu, épouse d'Alphonse de Brienne, grand chambellan de France, et par Thibaud II, roi de Navarre. Les choses restèrent en cet état jusqu'en 1291, que Jeanne de Châtillon, femme de Pierre, comte d'Alençon, fonda quatorze cellules nouvelles. Il paroît, par le titre de cette fondation, que, pensant qu'il y avoit déjà seize religieux d'établis, elle croyoit compléter ainsi le nombre des trente projetés par saint Louis. La mémoire de ce bienfait s'est perpétuée dans un monument sculpté dans le grand cloître, et dont nous ne tarderons pas à parler. Les six dernières cellules furent fondées par divers particuliers dans le siècle suivant; Jeanne d'Évreux, troisième femme de Philippe, fit bâtir l'infirmerie, une chapelle, et six nouvelles cellules accompagnées de jardins. Des legs pieux[216] fournirent depuis le moyen d'en construire plusieurs autres, de manière que, dans les derniers temps, cette chartreuse contenoit environ quarante religieux, sans compter les frères et les oblats.
L'église des chartreux étoit un monument gothique si peu orné, que l'abbé Lebeuf ne pouvoit croire qu'il eût été élevé dans le siècle de saint Louis[217]; mais Dubreul donne une raison satisfaisante de cette extrême simplicité, en prouvant qu'on fut obligé d'y mettre beaucoup d'épargnes, à cause du peu de fonds qu'on avoit pu recueillir pour sa construction. L'intérieur de cette église se partageoit en deux parties: le chœur des frères occupoit la première; on y voyoit deux petits autels. La seconde, plus considérable, formoit le chœur des pères, et toutes les deux étoient ornées de menuiseries très propres et assez élégantes. Selon l'usage de cet ordre, les chapelles jointes au chœur et à la nef ne pouvoient être aperçues par ceux qui entroient dans l'église, et avoient une entrée particulière et cachée.
L'église et la maison des chartreux étoient riches en monuments des arts, qui méritoient l'attention des curieux.
CURIOSITÉS DU COUVENT DES CHARTREUX.
TABLEAUX.
Dans l'église, sur le grand autel, Jésus-Christ au milieu des docteurs; par Philippe de Champagne.
Au dessus des stalles, et entre les vitraux:
- La Résurrection du Lazare; par Bon Boullogne.
- L'Aveugle de Jéricho; par Antoine Coypel.
- Le Miracle des cinq pains; par Audran.
- La Samaritaine; par Noël Coypel.
- La Cananéenne; par Corneille.
- La Résurrection du Lazare; par le même.
- La Guérison des malades sur les bords du lac de Génésareth; par Jouvenet.
- La Femme affligée du flux de sang et guérie en touchant la robe de Notre-Seigneur; par Boullogne le jeune.
- Le Centenier; par Corneille.
- Le Paralytique; par le même.
- Saint Jacques, saint Jean et leur père Zébédée raccommodant leurs filets; par Dumont Le Romain.
- Jésus-Christ ressuscitant la fille de Jaïre; par La Fosse.
Dans le chapitre:
- L'Adoration des Bergers; par Le Poussin.
- La Magdeleine et le Sauveur; par Le Sueur.
- Saint Bruno; par Restout.
- La Nativité de saint Jean-Baptiste, celle de Jésus-Christ et sa sépulture; par d'anciens peintres.
- La Présentation au temple; par Lagrenée jeune.
- L'Entrée de Notre-Seigneur dans Jérusalem; par Jollain.
Sur l'autel, fait en forme de tombeau, un Christ; par Philippe de Champagne.
Dans le petit cloître, les fameux tableaux de Le Sueur, représentant la vie de saint Bruno, arrangés dans l'ordre suivant:
- 1o Le Docteur Raymond Diocres prêchant au milieu d'un nombreux auditoire qui l'écoute avec attention.
- 2o Le Docteur au lit de mort.
- 3o Le même personnage sortant à demi de son cercueil pendant qu'on chante l'office des morts[218], et déclarant lui-même l'arrêt de sa damnation.
- 4o Saint Bruno frappé de ce terrible événement, et prosterné devant un crucifix.
- 5o Le même saint racontant à ceux qui l'environnent le dessein qu'il a formé de quitter le monde, et les touchant par l'onction de ses paroles.
- 6o Il engage six de ses amis à se joindre à lui et à embrasser le même genre de vie.
- 7o Trois anges lui apparoissent pendant son sommeil, et l'instruisent de ce qu'il doit faire.
- 8o Saint Bruno et ses compagnons distribuent leurs biens aux pauvres.
- 9o Hugues, évêque de Grenoble, reçoit saint Bruno chez lui, et trouve dans cette visite l'explication d'un songe qu'il avoit eu, relativement à l'établissement de l'ordre des Chartreux.
- 10o Ce même évêque, saint Bruno et ses compagnons traversent des montagnes affreuses pour arriver à la Chartreuse.
- 11o Saint Bruno et ses compagnons bâtissent une église et des cellules sur la croupe d'une montagne.
- 12o L'évêque Hugues donne l'habit à ces nouveaux religieux.
- 13o Le pape Victor III confirme, en plein consistoire, l'institut des Chartreux.
- 14o Saint Bruno donne lui-même l'habit à quelques nouveaux religieux.
- 15o Le saint fondateur reçoit une lettre du pape Urbain II, qui lui ordonne de se rendre à Rome pour l'aider de ses conseils.
- 16o Saint Bruno en présence du pape, et lui baisant les pieds.
- 17o Il refuse, par humilité, l'archevêché de Reggio que le pape lui offroit.
- 18o Saint Bruno, retiré dans les déserts de la Calabre, y établit un nouveau monastère de son institut.
- 19o Sa rencontre avec Roger, comte de Sicile, dans une chasse que faisoit ce seigneur, et le don que lui fait celui de l'église de Saint-Martin et de Saint-Étienne.
- 20o Saint Bruno apparoissant à Roger couché dans sa tente, et lui donnant avis d'une conjuration tramée contre lui.
- 21o La mort de saint Bruno.
- 22o Saint Bruno enlevé au ciel par des anges[219].
Aux extrémités de ce petit cloître:
- La vue de la ville de Paris telle qu'elle étoit au commencement du XVIIe siècle.
- Celle de la ville de Rome. (On prétend que ces deux vues, ornées de figures de demi-nature, étoient dues au pinceau de Le Sueur et de ses élèves.)
- La grande Chartreuse de Pavie, fondée par Jean Galéas Visconti.—La Chartreuse de Grenoble.
- On estimoit les vitraux de ce cloître. Ils représentoient les Pères du désert, et avoient été exécutés d'après un peintre nommé Sadeler.
SCULPTURES.
Dans le chœur des Pères, trois figures qui soutenoient le pupitre, représentant la Foi, l'Espérance et la Charité.
Dans le grand cloître, du côté de l'église, un grand bas-relief sculpté sur la muraille, où l'on voyoit Jeanne de Châtillon présentant à la sainte Vierge, qui tenoit l'Enfant Jésus dans ses bras, et à saint Jean Baptiste, quatorze Chartreux à genoux. Le haut de cette sculpture étoit orné de treize écussons aux armes de France et de Châtillon alternativement. On y lisoit aussi plusieurs inscriptions rapportées par Piganiol[220].
Dans le mur des ailes du même cloître, à gauche, la figure de Pierre de Navarre, ayant saint Pierre à ses côtés, et quatre Chartreux devant lui, tous aux pieds de la Vierge. Un ange, placé derrière ce groupe, soutenoit une inscription qui faisoit mention des quatre cellules fondées par ce prince.
Sur la porte de la seconde cour, une statue de la Vierge, aux pieds de laquelle un grand bas-relief faisoit voir saint Louis présentant plusieurs Chartreux à cette reine du ciel. À ses côtés étoient saint Jean-Baptiste, saint Antoine et saint Hugues, d'abord chartreux, depuis évêque de Lincoln.
SÉPULTURES.
Dans l'église avoient été inhumés:
- Philippe de Marigny, évêque de Cambrai, puis archevêque de Sens, mort en 1325. (Transporté de l'ancienne chapelle devant le maître-autel de l'église.)
- Jean de Blangi, docteur en théologie, évêque d'Auxerre, mort en 1344.
- Jean de Chissé, évêque de Grenoble, mort en 1350.
- Amé de Genève, frère du pape Clément VII, mort en 1359. (Il étoit représenté armé sur son tombeau.)
- Jean de Dormans, évêque de Beauvais, cardinal et chancelier de France; Guillaume de Dormans, aussi chancelier de France, morts tous les deux en 1373. (La statue en bronze du cardinal étoit couchée sur son tombeau)[221].
- Marguerite de Châlons, femme de Jean de Savoie, chevalier, morte en 1378.
- Guillaume de Sens, premier président du parlement de Paris, mort en 1399.
- Michel de Cernay, évêque d'Auxerre et confesseur de Charles VI, mort en 1409.
- Pierre de Navarre, fils de Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, mort en 1412. (Il étoit représenté en marbre blanc, couché sur son tombeau, avec Catherine d'Alençon sa femme, quoique cette princesse, morte en 1462, eût été inhumée à Sainte-Geneviève[222]).
- Philippe d'Harcourt, premier chambellan de Charles VI, mort en 1414.
- Jean d'Arsonvalle, évêque de Châlons et confesseur du dauphin, fils de Charles VI, mort en 1416.
- Jean de La Lune, neveu de l'antipape Benoît XIII, mort en 1424.
- Adam de Cambray, premier président de Paris, mort en 1456. Charlotte Alexandre, sa femme, morte en 1472.
- Louis Stuart, seigneur d'Aubigni, mort en 1665.
Dans le cloître et dans le grand cimetière:
- Jean Versoris, avocat et fameux ligueur, mort en 1588.
- Jean Descordes, chanoine de Limoges, dont la bibliothèque a fait le fond de celle du collége Mazarin, mort en 1642.
- Pierre Danet, curé de Sainte-Croix de la Cité, et auteur des dictionnaires qui portent son nom, mort en 1709.
Dans la chapelle des femmes:
- Laurent Bouchel, avocat fameux, mort en 1629, etc.
On entroit dans ce monastère par un portail situé sur la rue d'Enfer; une avenue assez longue et plantée d'arbres conduisoit à la porte intérieure de la maison. La première cour offroit à gauche une chapelle assez grande que l'on nommoit la chapelle des femmes, parce que c'étoit le seul endroit du couvent où il leur fût permis d'entrer. Elle avoit été consacrée en 1460, sous l'invocation de la Vierge et de saint Blaise[223]; dans la seconde cour on voyoit à droite un corps de logis bien bâti, qui avoit servi autrefois à loger les hôtes. À gauche se présentoit l'église dans toute sa longueur.
De l'église on passoit dans le petit cloître qui étoit orné de pilastres d'ordre dorique. Les tableaux de Le Sueur étoient encastrés dans les arcs de ce cloître.
Autour du grand cloître, qui avoit été bâti à plusieurs reprises, étoient les cellules. Chacun de ces petits logements se composoit d'un vestibule, d'une chambre, d'une autre pièce, qui servoit de bibliothèque ou de laboratoire, suivant le goût du religieux qui l'occupoit, d'une petite cour et d'un petit jardin. Du reste, la règle de saint Bruno, tout austère qu'elle étoit, s'est toujours maintenue chez les chartreux, sans altération et sans adoucissement; c'est de tous les ordres religieux le seul, ce nous semble, qui n'ait jamais eu besoin de réforme.
La sacristie et le chapitre avoient été bâtis aux dépens d'un cordonnier nommé Pierre Loisel et de sa femme. Tous les deux avoient été enterrés dans le chapitre en 1331 et 1343[224]. Nous avons déjà dit que le réfectoire avoit été établi dans la chapelle Vauvert. La bibliothèque du prieur étoit considérable, et estimée tant pour la quantité que pour la qualité des livres qui la composoient.
Les dépendances de cette maison, qui ne consistoient d'abord qu'en huit arpents et demi, n'étant plus suffisantes pour le nombre toujours croissant de ses religieux, ils firent successivement beaucoup d'acquisitions dans les clos de Vignerei et de Saint-Sulpice, acquisitions dont les titres et la preuve se trouvoient dans les archives de Saint-Germain. Marie de Médicis ayant eu besoin d'une partie de ce terrain pour son parc du Luxembourg, leur donna en échange des terres situées vis-à-vis de leur monastère et de l'autre côté du chemin d'Issy. Comme ce chemin étoit ouvert dans un fond humide et souvent impraticable, Louis XIII, par des lettres-patentes datées de 1617, leur en fit don dans une longueur de cent vingt-et-une toises, avec permission de l'enfermer dans leur enceinte. Ce terrain formoit leur petit clos. Le même monarque ordonna que l'on construiroit l'avenue plantée d'arbres qui conduisoit à leur monastère, et que la rue d'Enfer seroit continuée en ligne droite jusqu'aux Carmélites.
Le terrain qu'occupoient les chartreux étoit immense, si l'on considère qu'il étoit renfermé dans l'un des faubourgs de Paris; le seul jardin potager renfermoit au moins quinze arpents[225].
L'ABBAYE DE PORT-ROYAL.
Ce monastère étoit un démembrement de celui de Porroi ou Porrois et Porrais, fondé près de Chevreuse en 1204. Il fut nommé depuis, par altération, Port-du-Roi et Port-Royal. On y suivoit la règle de Cîteaux; mais les austérités qu'elle prescrit s'étoient adoucies par degrés, et le relâchement commençoit à s'y introduire, lorsqu'en 1609 la réforme y fut introduite par Jacqueline-Marie-Angélique Arnauld, qui alors en étoit abbesse. Cette réforme eut un si grand succès et fut embrassée par tant de personnes, que les bâtiments de cette maison devenant insuffisants, on pensa, peu de temps après, à former un second établissement; et ce parti devenoit d'autant plus urgent que le monastère de Port-Royal étoit situé dans une vallée marécageuse et très malsaine. Il est probable toutefois que l'exécution en eût souffert beaucoup de difficultés, sans les libéralités de madame Catherine Marion, veuve d'Antoine Arnauld, sieur d'Andilli, et mère de l'abbesse. Elle fit, au profit de cette abbaye, l'acquisition d'une grande maison accompagnée de jardins, nommée la maison de Clagni, et non de Glatigni, comme l'écrivent plusieurs historiens. M. de Gondi donna en 1625 les permissions nécessaires pour la translation des religieuses, translation qui fut exécutée le 28 mai de la même année; et les dons considérables d'un très grand nombre de personnes de la plus haute qualité fournirent bientôt les moyens d'y faire construire les lieux réguliers, ainsi que tous les autres bâtiments nécessaires à une communauté religieuse[226]. La mère Angélique, désirant consolider la réforme qu'elle avoit instituée, obtint du pape et du roi que son monastère seroit soustrait à la juridiction de Cîteaux, pour être soumis à celle de l'archevêque de Paris, et que l'élection des abbesses, jusque là perpétuelle, deviendroit triennale. Le roi lui ayant accordé à cet effet des lettres-patentes en 1629, elle donna sa démission en 1630.
Les fondements de l'église de ce monastère furent jetés en 1646; elle fut achevée et bénite en 1648. Dès l'année précédente madame Arnauld avoit obtenu du pape un nouveau bref pour établir dans son monastère l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement.
Cependant on ne cessoit point de travailler aux réparations de l'ancien monastère, à qui l'on donna alors, pour le distinguer de celui-ci, le nom de Port-Royal-des-Champs. Dès qu'elles furent achevées, l'abbesse et les religieuses demandèrent à l'archevêque la permission d'y envoyer quelques-unes de leurs sœurs, ce qui leur fut accordé en 1647, sous la condition expresse que cette maison ne formeroit point un corps de communauté particulière, et ne cesseroit point d'être soumise à l'autorité de l'abbesse et à la juridiction de l'ordinaire. Depuis, la résistance qu'opposèrent à la signature du formulaire les religieuses de Paris détermina l'archevêque à les transférer dans le Port-Royal-des-Champs; quelques unes même furent dispersées en divers couvents, ce qui dura jusqu'à la paix de Clément IX, arrivée en 1669. Alors un arrêt du conseil sépara les deux maisons de Port-Royal en deux titres d'abbayes indépendantes l'une de l'autre. Celle de Paris fut déclarée de nomination royale et perpétuelle, et l'autre, élective et triennale. On partagea en même temps tous les biens, dont les deux tiers furent attribués à Port-Royal-des-Champs.
Cette dernière maison a subsisté jusqu'en 1709, qu'en conséquence d'une bulle de Clément XI, M. le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, supprima le titre de cette abbaye et en réunit les biens à celle de Paris. Les religieuses furent dispersées dans divers monastères, et l'on détruisit leur couvent, en vertu d'un arrêt du conseil donné dans la même année[227].
L'église élevée sur les dessins de Le Pautre, architecte célèbre, passoit autrefois pour un chef-d'œuvre d'architecture[228].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE PORT-ROYAL.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Cène; par Philippe de Champagne. Ce n'étoit qu'une répétition du même sujet placé dans le chœur des religieuses, où l'on n'entroit point[229].
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
- Louis, seigneur de Pontis et d'Ubaie, maréchal de camp, mort en 1670.
- Marie-Angélique de Scoraille de Roussille, duchesse de Fontange, maîtresse de Louis XIV, morte en 1681.
- Catherine-Gasparde de Scoraille, marquise de Curton, sa sœur, morte en 1736.
L'INSTITUTION DE L'ORATOIRE.
Cette maison, située dans la rue d'Enfer, étoit consacrée à recevoir ceux qui se destinoient à entrer dans la congrégation de l'Oratoire. C'étoit là qu'ils recevoient les premières instructions du ministère auquel ils étoient appelés. Ce fut Nicolas Pinette, trésorier de Gaston, duc d'Orléans, qui l'acheta en 1650, la fit réparer d'une manière convenable, et la donna ensuite à cette congrégation en toute propriété. Les prêtres de l'Oratoire obtinrent, peu de temps après, par le crédit de Gaston lui-même, des lettres-patentes qui les gratifièrent de tous les priviléges dont jouissoient les maisons de fondation royale.
L'église, dont la première pierre fut posée au nom de ce prince le 11 novembre 1655, fut bénite en 1657, sous le titre de la Présentation au temple.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE L'INSTITUTION.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, la Présentation au Temple; par Simon-François; de Tours.
Sur la porte d'entrée, Notre-Seigneur devant Pilate; par Charles Coypel.
SÉPULTURES.
La chapelle de la Vierge renfermoit un mausolée élevé, en 1661, à la mémoire du cardinal de Bérulle. Ce saint prélat y étoit représenté à genoux dans une niche; au dessus, une grande urne de marbre noir renfermoit sa main et son bras droit. Ce monument avoit été exécuté par Jacques Sarrazin, auquel on devoit aussi la statue du même personnage que l'on voyoit aux Carmélites[230].
Dans diverses parties de l'église avoient été inhumés:
- Jeanne-Marie-Françoise Chouberne, l'une des bienfaitrices de cette communauté, morte en 1655.
- Henri de Barillon, évêque de Luçon, mort en 1699.
- Le maréchal de Biron, mort en 1756.
La maison de l'institution étoit également célèbre par les hommes distingués qu'elle a produits et par les personnages illustres qui s'y sont retirés pour s'occuper uniquement du soin de leur salut.
Ses bâtiments étoient accompagnés d'un vaste enclos bien cultivé[231].
La bibliothèque, peu considérable, offroit un choix de très bons livres et possédoit quelques manuscrits précieux.
PRÊTRES DE LA COMMUNAUTÉ.
C'étoit ainsi que l'on nommoit en 1658 une réunion d'ecclésiastiques qui s'étoit formée dans une maison de la rue Saint-Dominique. Ce sont les mêmes qui se rendirent depuis si malheureusement célèbres sous le nom de Solitaires de Port-Royal-des-Champs, où ils s'étoient retirés.
LA FOIRE SAINT-GERMAIN.
On arrivoit à cette foire, sur l'emplacement de laquelle vient d'être élevé le marché Saint-Germain[232], en revenant sur ses pas jusqu'à la rue du Brave, où se présentait une de ses entrées; les autres étoient dans la rue Guisarde et dans les petites rues qui aboutissent aux rues du Four et des Boucheries.
L'abbaye de Saint-Germain jouissoit de temps immémorial du droit de foire; mais la suite des temps amena de grands changements, soit à l'égard des lieux où se formoit ce rassemblement, soit dans sa durée. Le premier titre cité par Jaillot qui en fasse mention est une charte de Louis-le-Jeune, datée de 1176[233], par laquelle il paroît que l'abbé Hugues et ses religieux lui cèdent la moitié des revenus de cette foire. Toutefois cet acte ne dit point en quel lieu elle se tenoit, ni à quelle occasion cette cession fut faite; on y lit seulement qu'elle commençoit tous les ans, quinze jours après Pâques, et qu'elle duroit trois semaines. Il paroît probable que ce prince indemnisa l'abbaye en lui permettant d'établir une autre foire, puisqu'on trouve en 1200 que Philippe-Auguste confirma ce droit en reconnoissant qu'il avoit été accordé pour Louis VII[234]. Jaillot pense qu'elle pouvoit bien se tenir près du chemin d'Issy (rue d'Enfer), et cite plusieurs actes à l'appui de cette assertion[235].
Nous avons déjà fait mention de la rixe sanglante qui s'éleva en 1278, près du Pré-aux-Clercs, entre les domestiques de l'abbaye et les écoliers de l'Université[236]. Cette compagnie, qui jouissoit alors d'une autorité sans bornes, la fit valoir à cette occasion avec une violence qu'on a peine à concevoir aujourd'hui, et obtint de Philippe le Hardi un arrêt dont la rigueur est presque sans exemple. Les religieux de Saint-Germain furent condamnés à payer des sommes considérables et à fonder deux chapelles, chacune de 20 livre parisis de rente. Pour racheter cette rente de 40 livres, ils se décidèrent à céder au roi l'autre moitié des droits de leur foire, ce qui est prouvé par les lettres que Matthieu de Vendôme et le seigneur de Nesle firent expédier à ce sujet en 1284[237]. Philippe le Hardi transféra cette foire aux halles, ou pour mieux dire, il la supprima entièrement.
On la voit renaître sous le règne de Louis XI. Les pertes considérables que les religieux de Saint-Germain avoient essuyées sous les règnes désastreux de Charles VI et Charles VII engagèrent Geofroi Floreau, abbé de Saint-Germain, à demander à Louis XI, successeur de ce dernier roi, la permission d'établir dans le faubourg une foire franche, semblable à celle de Saint-Denis. Les lettres-patentes qui la lui accordent, datées du Plessis-lès-Tours en 1482[238], portent que cette foire de voit commencer le 1er octobre et durer huit jours. L'époque et le temps de la durée furent changés plusieurs fois sous les règnes suivants; enfin sous Louis XIV, qui en confirma le privilége en 1711, l'ouverture en fut fixée définitivement au 3 février. Elle se prolongeoit ordinairement jusqu'à la veille du dimanche des Rameaux.
Le terrain sur lequel on l'avoit établie étoit autrefois renfermé dans les dépendances de l'hôtel de Navarre. En 1398, Charles VI ayant fait don à son oncle, le duc de Berri, des jardins, places et masures qui se trouvoient sur cet emplacement[239], ce prince, pour éteindre une rente dont il étoit redevable aux religieux de Saint-Germain, leur céda, dès l'année suivante, sa nouvelle propriété. Ils la destinèrent aussitôt à leur foire, et, pour en faciliter l'accès, acquirent dans le siècle suivant (en 1489), d'un particulier nommée Étienne Sandrin, un passage qui conduisoit de la grande rue au clos de Navarre[240]. C'est ce passage qu'on a appelé depuis Porte-Greffière et passage de la Treille. Tel est le détail historique des circonstances de cet établissement, vérifié par Jaillot sur les titres originaux, et sur lequel Piganiol s'est considérablement trompé, tant pour les faits que pour les dates.
Dès l'année 1486, les religieux de Saint-Germain avoient fait construire trois cent quarante loges, mais avec si peu de solidité, qu'en 1511 Guillaume Briçonnet, abbé de Saint-Germain, jugea à propos de les faire rebâtir telles qu'on les a vues subsister jusqu'en 1762. Elles furent détruites dans la nuit du 16 au 17 mars de cette année, par un incendie si violent qu'en moins de cinq heures toutes les loges, boutiques, etc., furent totalement consumées. On commença à les reconstruire, dès le mois d'octobre suivant, et avec une telle activité, que la foire y fut tenue comme à l'ordinaire, l'année d'après et sans le moindre retard; mais il s'en falloit de beaucoup que cette nouvelle foire fût aussi commode que l'ancienne, et bâtie avec la même magnificence[241].
On vendoit dans cette foire toute espèce de marchandises, excepté des livres et des armes. Les marchands du dehors, les ouvriers qui n'étoient pas maîtres, pouvoient y apporter les objets de leur commerce et les produits de leur industrie, sans crainte d'être inquiétés par les jurés de la ville. La richesse et la variété de ces divers étalages y attiroient une affluence prodigieuse de curieux et toutes les classes de la société. Des danseurs de corde, des chanteurs, des comédiens, venoient y établir leurs spectacles; et l'on a vu que l'un des théâtres les plus renommés de Paris, l'Opéra comique, y avoit pris naissance. On y élevoit des salles de danse; on y établissoit des jeux de toute espèce; en un mot, c'étoit une fête continuelle dans laquelle se déployoit sans contrainte la gaieté bruyante et folâtre du peuple parisien[242].
PRÉAU DE LA FOIRE SAINT-GERMAIN.
Cet endroit, dans lequel se tient encore aujourd'hui le marché du faubourg Saint-Germain, étoit autrefois plus vaste qu'il n'est aujourd'hui: on y vendoit alors des bestiaux, ainsi que dans l'espace compris entre les rues de Tournon et Garancière. Ce dernier emplacement s'appeloit le Pré-Crotté ou le Champ de la Foire. Quant au Préau, son nom lui venoit du terrain même sur lequel il avoit été formé. En 1500, ce terrain étoit couvert d'herbes, et fut affermé à un particulier[243]. En 1608, on en retrancha un espace de cent cinquante-trois toises, lequel fut cédé au sieur La Fosse, secrétaire du prince de Conti, «à la charge d'y faire bâtir des boutiques, de laisser un passage libre pour la foire, et de conserver la petite maison au bout, pour servir d'audience.» C'est de cette maison que le passage de la Treille avoit reçu le nom de Porte-Greffière. Toutefois cette cession ne fut faite que pour vingt-neuf ans, après lequel temps tout cet espace devoit rentrer dans la propriété de l'abbé de Saint-Germain. C'est le passage qui avoit son entrée par la rue des Boucheries et qui conduisoit au Préau.
Quant au marché, il fut construit, en 1726, par ordre et aux dépens du cardinal de Bissi, alors abbé de Saint-Germain. Sur l'emplacement qu'il occupoit et où s'élève le marché neuf, avoient autrefois été les Halles de l'abbaye et successivement les jardins de l'hôtel de Navarre et le Préau dont nous venons de parler. Le cardinal en prit une partie qu'il fit environner de murs. Il fit en même temps construire les maisons qui formoient les rues de Bissi et les deux Halles, sous lesquelles, avant la révolution, il se tenoit, deux fois la semaine, un marché au pain très considérable.
COLLÉGES, ÉCOLES, SÉMINAIRES.
GRAND SÉMINAIRE SAINT-SULPICE.
(Rue du Vieux-Colombier.)
Il doit son origine à Jean-Jacques Ollier, abbé de Pébrac. Ce pieux personnage en avoit jeté les premiers fondements à Vaugirard dans l'année 1641. Il y vivoit en communauté avec quelques ecclésiastiques également recommandables par leurs lumières et par leurs vertus, lorsqu'au mois d'août suivant M. de Fiesque lui résigna la cure de Saint-Sulpice. Persuadé qu'il seroit plus avantageux de fixer à Paris et de faire croître sous ses propres yeux l'établissement qu'il venoit de former dans ses environs, il emmena avec lui ses associés, les logea au presbytère, et plaça dans une maison de la rue Guisarde quelques autres ecclésiastiques qui désiroient entrer dans cette réunion. Leurs exercices furent d'abord communs; mais le nombre des nouveaux sujets que l'on admettoit chaque jour devint si considérable, que le fondateur se décida à séparer ces deux communautés. Pour exécuter ce projet, il acheta, au mois de mai 1645, une grande maison avec un jardin et un terrain assez vaste qui en dépendoit, le tout situé dans la rue du Vieux-Colombier. Ce fut sur cet emplacement que, du consentement de l'abbé de Saint-Germain, donné en 1645, on construisit les édifices nécessaires à une communauté. Depuis, ces bâtiments furent considérablement augmentés. Dans cette même année, M. Ollier obtint pour l'établissement de son séminaire des lettres-patentes enregistrées au grand conseil en 1646, et à la chambre des comptes en 1650.
La chapelle fut bénite le 18 novembre de cette dernière année. C'étoit un petit édifice qui n'avoit rien de remarquable, mais que l'on visitoit à cause des belles peintures dont Le Brun l'avoit décoré.
CURIOSITÉS DE LA CHAPELLE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, la Descente du Saint-Esprit; par Le Brun. (Ce peintre célèbre s'étoit représenté lui-même dans un coin de ce tableau.)
Dans le plafond, l'Assomption de la Vierge; par le même.
Au dessus de la porte, une Descente de Croix; par Hallé.
Dans la nef, la Présentation au Temple; par Marot.
La Naissance de la Vierge; par Restout.
La Purification et les prophètes Isaïe et Ézéchiel; par le même.
La Visitation; par Verdier.
La Naissance du Sauveur; par Le Clerc.
L'Adoration des Mages; la Fuite en Égypte; Jésus-Christ prêchant dans le Temple; le Couronnement de la Vierge; sans nom d'auteurs.
SÉPULTURES.
Dans cette chapelle avoit été inhumé M. Ollier, fondateur du séminaire, mort en 1657.
Ce séminaire possédoit une belle bibliothèque, composée d'environ trois mille volumes dispersés dans diverses pièces. Il avoit aussi une collection choisie d'estampes et un cabinet d'histoire naturelle[244].
LE PETIT SÉMINAIRE (rue Férou).
La partie des bâtiments du grand séminaire qui donnoit sur la rue Férou étoit destinée à ceux qui composoient le petit séminaire. Il porta d'abord le nom de Saint-Joseph, et fut fondé, en 1686, dans une maison de cette rue, que la construction du portail de Saint-Sulpice força presque aussitôt de démolir; on le transféra, dès l'année suivante, dans une autre maison achetée par le séminaire, et toujours dans la même rue. La communauté des étudiants en philosophie, instituée en 1687, eut ses exercices communs avec ceux du petit séminaire jusqu'en 1713 qu'elle en fut séparée. En 1694 on avoit aussi réuni au petit séminaire une autre communauté nommée Sainte-Anne, établie en 1684 dans la rue Princesse.
COMMUNAUTÉ DES ROBERTINS (cul-de-sac Férou).
Cette petite communauté, composée d'ecclésiastiques qui se destinoient à entrer au séminaire, fut établie dans ce cul-de-sac en 1677 par M. Boucher, docteur de Sorbonne. Il engagea par son testament MM. de Saint-Sulpice à s'en charger, ce qu'ils acceptèrent le jour même de son décès, arrivé le 20 janvier 1708. Les libéralités dont les combla M. Robert, l'un de leurs supérieurs, leur fit donner le nom de Robertins.
Leur chapelle étoit décorée d'un très beau tableau de Le Sueur, représentant la Présentation au Temple.
LES ÉCOLES DE CHARITÉ OU LES SŒURS DE L'ENFANT JÉSUS
(rue
Saint-Maur).
Ces écoles, dont le but étoit de donner à de pauvres filles ces premiers principes d'une éducation religieuse, principes presque toujours ineffaçables, et que des parents peu éclairés et dans l'indigence sont hors d'état de communiquer à leurs enfants, avoient été instituées par un minime nommé le père Barré. Jaillot pense que les premiers fondements de cette institution charitable furent jetés à Rouen en 1666 et à Paris en 1667, sur la paroisse Saint-Jean en Grève. L'utilité de ces écoles fut bientôt tellement reconnue, que toutes les paroisses s'empressèrent de les adopter. Elles étoient établies par les curés sous l'administration d'une supérieure, et les personnes qui se destinoient à cette œuvre de charité n'y étoient engagées par aucun vœu solennel. La maison de Saint-Maur étoit le chef-lieu de leur institut[245].
LES FRÈRES DES ÉCOLES CHRÉTIENNES.
(Rue Notre-Dame-des-Champs.)
Cet établissement, formé dans les mêmes vues de charité et pour élever dans le travail et dans la piété de jeunes garçons nés de parents pauvres, succéda, dans cette rue, à une communauté de filles, connue sous le nom de Communauté de mademoiselle Cossart, ou des Filles du Saint-Esprit. Cette association, fondée en 1666 par cette pieuse demoiselle pour l'éducation des pauvres filles, ayant été supprimée, d'abord en 1670, ensuite et définitivement en 1707, il se trouva que la fondatrice, qui sembloit avoir prévu son peu de durée, avoit ordonné que, dans le cas de sa suppression, la propriété en reviendroit à l'hôpital général. Ses intentions furent remplies, et la maison, vendue par les administrateurs, après avoir eu plusieurs propriétaires, passa enfin en 1722 aux frères des écoles chrétiennes.
Ces frères, indistinctement nommés les frères des Écoles, les frères de l'Enfant-Jésus qui est leur véritable nom, et les frères de Saint-Yon, parce que leur noviciat y étoit établi, furent institués à Reims en 1679 par M. de La Salle, docteur en théologie et chanoine de cette cathédrale. Le succès de cet établissement fit naître la pensée d'en former de semblables à Paris. M. de La Salle y fut appelé en 1688, et les frères qu'il avoit amenés avec lui ouvrirent leurs écoles dans la rue Princesse. Elles procurèrent tout le bien qu'on en avoit attendu, et l'on en trouve sept, avant la fin de ce siècle, établies dans divers quartiers de cette partie méridionale de Paris. Enfin elles furent transférées, comme nous venons de le dire, rue Notre-Dame-des-Champs.
La chapelle du Saint-Esprit subsistoit encore dans les derniers temps, et l'on y disoit la messe tous les dimanches et fêtes[246].
COLLÉGE DU MANS (rue d'Enfer).
Ce collége fut fondé par Philippe de Luxembourg, évêque du Mans, cardinal et légat du Saint-Siége, lequel destina à cette bonne œuvre une somme de 10,000 fr., par son testament du 26 mai 1519. Ses exécuteurs testamentaires, afin de remplir ses intentions, achetèrent, 1o de François Ier, moyennant la somme de 8,000 fr., les émoluments du scel de la prévôté de Paris, qui produisoit alors 550 livres; 2o l'hôtel des évêques du Mans, situé rue de Reims, et alors en très mauvais état, pour le prix de 25 liv. de rente; 3o une place que leur céda l'abbé de Marmoutier, pour 5 liv. de rente et 17 sous de cens, sur laquelle ils firent construire une chapelle. Cette fondation fut faite pour un principal, un procureur qui seroit en même temps chapelain, et dix boursiers du diocèse, et à la nomination des évêques du Mans. On en dressa les statuts en 1526; mais, dès 1613, les revenus de la maison étoient tellement diminués, que les exercices furent interrompus et les bourses supprimées ou du moins suspendues. Les jésuites profitèrent de cette circonstance pour réunir ce collége au leur[247]; et sur la somme de 53,156 liv. 13 sous 4 deniers, que le roi donna pour cette acquisition, on prit celle de 28,000 liv., avec laquelle on acheta l'hôtel de Marillac, rue d'Enfer, dans lequel ce collége fut transféré en 1683. Il a subsisté jusqu'en 1764, époque de sa réunion au collége de l'Université[248].
LE SÉMINAIRE DE SAINT-PIERRE ET SAINT-LOUIS (même rue.)
La plupart de nos historiens, ayant négligé de faire des recherches sur l'origine de cet établissement, se sont contentés d'en fixer l'époque à l'année 1696. Il devoit son origine à M. François de Chansiergues, diacre. Ayant réuni quelques pauvres ecclésiastiques qu'il aidoit à subsister, il en forma de petites communautés et leur donna le nom de Séminaire de la Providence[249]. M. de Lauzi, curé de Saint-Jacques de la Boucherie, convaincu de l'utilité de semblables institutions, s'unit à M. de Chansiergues pour les perfectionner. Celle dont nous parlons fut placée d'abord dans une maison rue Pot-de-Fer, laquelle fut cédée, en pur don et en vue de cette œuvre de piété, par M. François Pingré, sieur de Farinvilliers, et dame Catherine Pépin son épouse. M. de Marillac, successeur de M. de Lauzi, voulut imiter son zèle et prendre la suite de ses projets. Propriétaire d'une maison assez vaste, rue d'Enfer, il la destina en 1687 pour recevoir le séminaire de la rue Pot-de-Fer. M. et madame de Farinvilliers y firent bâtir le corps de logis principal ainsi que la chapelle, et donnèrent 80,000 liv. pour la fondation de douze places gratuites, depuis réduites à dix. Elles étoient à la nomination du supérieur; mais pour donner plus d'émulation aux jeunes clercs, on les mettoit au concours.
M. de Marillac, de son côté, ne borna pas ses bienfaits à ces premières libéralités; il y joignit en 1696 une maison joignant celle de la rue Pot-de-Fer, deux autres maisons à Gentilli et 1150 livres de rente. Enfin M. le cardinal de Noailles et M. de Marillac, conseiller d'état, frère de l'instituteur, mirent la dernière main à cet établissement, en le faisant confirmer par des lettres-patentes qu'ils obtinrent en 1696. Le roi gratifia alors ce séminaire d'une pension annuelle de 3,000 livres, et le clergé lui en accorda une de 1,000 liv.
Outre les places gratuites fondées par M. de Farinvilliers, il y en avoit trois autres pour de jeunes clercs d'Aigueperse et de Riom, dont on étoit redevable à M. Fouet, docteur en théologie. Ce séminaire étoit en tout composé de cent quarante étudiants, sous l'inspection de quatre personnes nommées par l'archevêque, qui prenoit le titre de premier supérieur de cette maison, et payoit la pension de trente à quarante ecclésiastiques.
La chapelle étoit grande et bien ornée. La première pierre en fut posée en 1703 par le cardinal de Noailles, et le séminaire ne fut transféré dans cette nouvelle demeure que le 1er octobre de l'année suivante[250].
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, saint Pierre guérissant le boiteux; par Jeaurat.
Saint Louis, saint Charles, une Assomption, l'Ange consolant saint Pierre; par le même.
La bibliothèque de cette maison étoit un legs de M. Louis-Bernard Oursel, prêtre, docteur en théologie, chanoine et grand pénitencier de l'église de Paris.
HÔTELS.
ANCIENS HÔTELS DÉTRUITS.
HÔTEL DE CONDÉ (rue de Condé).
L'endroit où il étoit situé faisoit anciennement partie du clos Bruneau. Antoine de Corbie y fit bâtir un séjour ou maison de plaisance, que Jérôme de Gondi, duc de Retz et maréchal de France, acheta au mois de juillet 1610. Cet hôtel qu'il avoit agrandi, embelli, et rendu l'un des plus magnifiques d'alors, fut vendu et adjugé par décret, en 1612, à Henri de Bourbon, prince de Condé. Dans le siècle dernier, la famille de Condé l'ayant abandonné pour occuper le palais Bourbon, il fut démoli, et l'on choisit cet emplacement pour y construire le Théâtre-François.
Cet hôtel étoit composé de plusieurs corps de logis, bâtis à différentes époques et n'offrant aucune symétrie dans leur ensemble.
HÔTEL DE BOURBON (rue du Petit-Bourbon).
Cet hôtel, sur l'emplacement duquel on a vu depuis s'élever l'hôtel de Châtillon, occupoit l'espace renfermé entre les rues de Tournon et Garancière. Il appartenoit à Louis de Bourbon, duc de Montpensier. Sauval dit que sa veuve y demeuroit en 1588, lorsqu'à la nouvelle de la mort des Guise, tués à Blois les 23 et 24 décembre de cette année, elle parcourut la ville de Paris, excitant la populace à la révolte et allumant ainsi le feu de la guerre civile.
HÔTEL DE GARANCIÈRE (rue Garancière).
Il y avoit autrefois dans cette rue un hôtel Garancière qui lui avoit donné son nom. Il en est fait mention dans des actes de 1421 et 1427[251]. Mais en 1457 il étoit en ruine et ne fut point rebâti.
HÔTEL DE ROUSSILLON (rue du Four).
Cet hôtel, qui existoit encore au commencement du dix-septième siècle, appartenoit à Louis, bâtard de Bourbon, comte de Roussillon en Dauphiné; c'étoit un démembrement de l'ancien hôtel et des jardins de Navarre dont nous avons déjà parlé. Vers 1620, cet hôtel fut vendu à divers particuliers; on construisit des maisons sur l'emplacement qu'il occupoit, et l'on y ouvrit les rues Guisarde et Princesse.
Cet ancien hôtel occupoit la plus grande partie de la rue Cassette, dont le nom n'est qu'une altération de celui de Cassel. Il existoit dans le seizième siècle; nous ignorons l'époque de sa destruction.
HÔTEL MÉZIÈRE (même rue).
Cet hôtel appartenoit à une ancienne famille que l'on disoit issue de la maison d'Anjou; et ses jardins s'étendoient le long de la rue qui conserve encore aujourd'hui le nom de Mézière. Il fut vendu le 3 avril 1610, au prix de 24,000 liv., et changé, comme nous l'avons déjà dit, en une maison de noviciat pour les Jésuites.
HÔTEL SAINT-THOMAS (rue Saint-Thomas).
Cet hôtel assez remarquable avoit été bâti par les Jacobins. Il en est fait mention dans un titre nouveau du 17 avril 1636[252].
HÔTEL DU GRAND MOYSE (rue Princesse).
On ne sait rien autre chose de cet hôtel, sinon qu'il existoit au dix-septième siècle dans cette rue, au coin de laquelle on avoit placé une statue de Moyse, tenant les tables de la loi. L'opinion commune étoit que cette maison avoit appartenu à un Juif; mais on n'en a aucune preuve.
HÔTELS EXISTANTS EN 1789.
HÔTEL DE SOURDÉAC (rue Garancière).
Cet hôtel bâti par René de Rieux, évêque de Léon, étoit dans le principe appelé Hôtel de Léon; il passa en 1651 à Gui de Rieux, seigneur de Sourdéac, dont il a conservé le nom, quoique ce ne soit plus qu'une maison particulière.
HÔTEL DE NIVERNOIS (rue de Tournon).
Cet hôtel est célèbre pour avoir été habité par le fameux maréchal d'Ancre, Concino-Concini. On sait qu'après la mort de ce favori il fut pillé et confisqué au profit du roi. Louis XIII y demeura quelque temps. Il fut affecté depuis au logement des ambassadeurs extraordinaires; enfin on l'échangea avec M. le duc de Nivernois contre l'hôtel de Pontchartrain, et ce seigneur en fut le dernier propriétaire jusqu'au moment de la révolution. Cet hôtel avoit été restauré par M. Peyre aîné, architecte, et passoit alors pour une des plus agréables habitations de Paris.
HÔTEL DE VENDÔME (rue d'Enfer).
Cet hôtel, que les Chartreux avoient fait construire en 1706, en même temps que toutes les maisons contiguës jusqu'à la première porte d'entrée de leur monastère, avoit été fort augmenté et embelli par madame la duchesse de Vendôme qui l'avoit acheté à vie. Il fut depuis occupé par le duc de Chaulnes. La princesse d'Anhalt y ayant ensuite établi sa demeure, obtint du roi la permission de faire abattre une partie du mur, d'établir ainsi une communication avec le jardin du Luxembourg, et de fermer cette ouverture par une grille de fer qui subsiste encore aujourd'hui. Cet hôtel est bien bâti, et accompagné d'un vaste jardin[253].
AUTRES HÔTELS LES PLUS REMARQUABLES.
- Hôtel de Brancas, rue de Tournon.
- —— de Châlons, rue du Regard.
- —— de Charost, rue Pot-de-Fer.
- —— de Cayla, rue de Sèvre.
- —— de Clermont-Tonnerre, rue du Petit-Vaugirard.
- —— de Croy, rue du Regard.
- —— de Guerhoënt, rue de Sèvre.
- —— de Laval, rue de Tournon.
- —— de Laval, rue Notre-Dame-des-Champs.
- —— de Mailli, même rue.
- —— de Monteclerc, rue du Chasse-Midi.
- —— de Montréal, rue du Regard.
- —— de Peruse-Escars, même rue.
- —— de Rochambeau, même rue.
- —— de l'abbé Terrai, rue Notre-Dame-des-Champs.
- —— de Toulouse, rue du Regard.
- —— de Ventadour, rue de Tournon[254].
CHÂTEAU D'EAU.
Ce réservoir, situé à l'angle de la rue Maillet, et vis-à-vis la maison de l'Oratoire, avoit été bâti en 1615 en même temps que le palais du Luxembourg, pour recevoir quatre-vingt-quatre pouces d'eau, qui venoient du village de Rongis, en passant par le bel aqueduc d'Arcueil. Cette eau étoit ensuite distribuée dans divers quartiers de la ville[255].
CASERNE DES GARDES FRANÇOISES.
Cette caserne, construite pour une compagnie de ce régiment, étoit située dans la rue de Sèvre, au coin de celle de Saint-Romain.
BARRIÈRES.
Ce quartier est borné au midi par cinq barrières.
- 1o Barrière d'Enfer.
- 2o ——— du Mont-Parnasse.
- 3o ——— du Maine.
- 4o ——— des Fourneaux.
- 5o ——— de Sèvre.
RUES ET PLACES
DU QUARTIER DU LUXEMBOURG.
Rue des Aveugles. Elle commence à la petite place où étoit autrefois le presbytère de Saint-Sulpice, et finit à la rue du Petit-Bourbon, au coin de la rue Garancière. Sauval prétend qu'elle doit ce nom à un aveugle qui y demeuroit[256], et à qui appartenoient toutes les maisons dont elle étoit composée. Sans nous arrêter à vérifier cette tradition, il nous suffira de dire, avec Jaillot, que, dans plusieurs titres de 1636, elle est nommée rue de l'Aveugle; en 1642 elle est désignée rue des Prêtres; ce n'est qu'en 1697 qu'elle prend enfin le nom de rue des Aveugles. Vers le milieu du dix-huitième siècle, elle se prolongeoit jusqu'à la rue des Canettes; mais à cette époque le curé de Saint-Sulpice fit abattre quelques maisons pour construire en cet endroit une petite place qui fait maintenant partie de la place Saint-Sulpice[257].
Petite rue du Bac. Elle traverse de la rue de Sèvre à celle des Vieilles-Tuileries. Quelques auteurs la nomment petite rue du Barc, et d'autres du Petit-Bac. Sauval dit que: «quelque nouvelle que soit la petite rue du Bac, elle a changé de nom, et s'appelle la rue du Baril-Neuf[258].» Elle doit la première dénomination, qu'elle a reprise, à la grande rue du Bac, dont elle fait presque la continuation.
Rue de Bagneux. Elle aboutit d'un côté à la rue des Vieilles-Tuileries, et de l'autre à celle de Vaugirard. Cette rue est désignée ainsi sur les plans de Jouvin et de Bullet publiés en 1676. On en prit une partie, en 1749, pour en faire un des cimetières de Saint-Sulpice.
Rue Barouillère. Elle traverse de la rue de Sèvre à celle du Petit-Vaugirard. Tous les plans du dix-septième siècle l'indiquent sous le nom de rue des Vieilles-Tuileries, mais quelques uns marquent plus bas une rue Barouillère et de la Barouillerie. Sur un plan manuscrit de 1651, elle est indiquée simplement comme rue projetée sous le nom de Saint-Michel, et on la retrouve, en 1675, sous cette même dénomination. On ignore à quelle époque elle prit son dernier nom; mais il est certain qu'elle le doit à Nicolas Richard, sieur de la Barouillère, auquel l'abbé de Saint-Germain céda, en 1644, huit arpents de terre en cet endroit, sous diverses conditions, et principalement à la charge d'y bâtir.
Rue Beurière. Elle aboutit à la rue du Four et à celle du Vieux-Colombier. On l'appeloit, dans le dix-septième siècle, de la Petite-Corne, parce qu'elle étoit parallèle à la rue Neuve-Guillemin, nommée alors rue de la Corne. Jaillot croit la reconnoître dans le procès-verbal de 1636, sous le nom de petite rue Cassette.
Rue de Bissi. On appelle ainsi la principale entrée du marché Saint-Germain du côté de la rue du Four; elle doit ce nom au cardinal de Bissi, alors abbé de Saint-Germain, par les ordres duquel le marché avoit été construit[259].
Rue des Boucheries. Elle commence au carrefour des rue des Fossés-Saint-Germain, des Cordeliers et de Condé, et finit à celui que forment les rues de Buci, du Four et de Sainte-Marguerite. On l'a souvent nommée la grant rue Saint-Germain; et sa dernière dénomination lui vient de la boucherie que l'abbaye Saint-Germain y avoit établie. Cette boucherie y existoit de temps immémorial, quoique le commissaire Delamare n'en place l'origine qu'en 1370[260]; en effet, plusieurs actes du deuxième siècle en font mention, ainsi que de la maison des Trois-Étaux, située près le Pilori. La population du faubourg Saint-Germain s'étant augmentée depuis la construction de l'enceinte de Philippe-Auguste, l'abbé Gérard fit construire, en 1274, seize autres étaux[261].
Entre plusieurs erreurs que Sauval a commises au sujet de cette rue, il suffira de relever celle par laquelle il donne le nom des Boucheries à l'une de ses parties où l'on n'en avoit point établi. Cette partie, qui s'étendoit depuis la rue des Mauvais-Garçons jusqu'à celle des Fossés Saint-Germain, dite de la Comédie, étoit alors une place, qui fut vendue, au treizième siècle, à Raoul d'Aubusson, pour y faire un collége.
Rue de la Bourbe. Elle traverse de la rue d'Enfer à celle du faubourg Saint-Jacques; on la trouve désignée sous ce nom sur les plans de Gomboust, Jouvin et Bullet. Dans quelques titres elle est appelée de la Boue, aliàs de la Bourde[262].
Rue du Petit-Bourbon. Cette rue, qui commence à la rue de Tournon, et finit à celle des Aveugles, au coin de la rue Garancière, doit vraisemblablement son nom à Louis de Bourbon, duc de Montpensier, qui y avoit son hôtel[263].
Rue du Brave. Cette petite rue commence au bout de la rue des Quatre-Vents, et finit au coin de celle du Petit-Lion. Elle étoit connue sous ce nom dès 1626[264]. Cependant un titre de l'année suivante, cité par Jaillot[265], lui donne celui du Petit-Brave. On ignore l'origine de cette dénomination.
Rue de Buci. Cette rue, qui aboutit d'un côté au carrefour des rues Dauphine, Saint-André, des Fossés-Saint-Germain; de l'autre, au Petit-Marché, doit son nom à Simon de Buci, premier président du parlement, qui fit réparer et couvrir, en 1352, la porte Saint-Germain. Il prit à rente, de l'abbaye, cette porte, le logis qu'on avoit construit au dessus, les deux tours qui étoient à côté, et une grande place vague située vis-à-vis. C'est sur cet emplacement qu'il fit bâtir l'hôtel dont nous avons déjà parlé, lequel fut remplacé par le bureau des coches et des messageries.
Sauval a prétendu que, dès 1209, cette rue portoit, de même que la porte, le nom de Saint-Germain[266]. Il est certain qu'alors la porte n'étoit pas encore bâtie, et que la rue n'existoit pas. Les titres qui en font mention l'indiquent en 1388 «rue qui tend du Pilori à la porte de Buci, rue devant la porte de Buci, et rue du Pilori[267].» Elle portoit encore ce nom en 1555, époque à laquelle on ordonna de la paver. Ce n'est que vers ce temps qu'on a continué d'y bâtir; toutefois on y voyoit quelques maisons dès 1388, et le terrier de l'abbaye, de 1523, le nomme rue de Buci.
Rue des Canettes. Cette rue, qui aboutit à la rue du Four et à celle du Vieux-Colombier, étoit anciennement appelée rue Saint-Sulpice, parce qu'elle conduisoit à l'église qui porte ce nom. On trouve aussi sur un plan manuscrit de 1651 rue Neuve-Saint-Sulpice; mais le nom qu'elle porte aujourd'hui est indiqué dès 1636, et provient d'une maison où étoit une enseigne des trois Canettes[268].
Rue du Canivet. Elle traverse de la rue Férou dans celle des Fossoyeurs. Elle étoit ainsi nommée dès 1636, et l'on n'a de renseignements certains ni sur l'étymologie de ce nom, ni sur le temps où la rue a été percée. On a écrit Ganivet sur quelques plans.
Rue Carpentier. Elle traverse de la rue Cassette dans celle du Gindre. En 1636, elle est appelée Charpentier. On trouve sur quelques plans Apentier, Arpentier et Charpentière.
Rue Cassette. Cette rue commence à celle du Vieux-Colombier, et aboutit à la rue de Vaugirard. Son véritable nom est Cassel; elle le devoit à l'hôtel qui y étoit situé[269], et ce nom fut même donné aux rues Neuve-Guillemin et du Four. Celle dont nous parlons est ainsi appelée dès 1456. La dénomination de Cassette n'est qu'une corruption du nom primitif; on la trouve déjà dans le procès-verbal de 1636, et sur tous les plans publiés depuis.
Rue Sainte-Catherine. Elle traverse de la rue Saint-Thomas dans celle de Saint-Dominique. Tous les anciens plans la nomment rue de la Magdeleine.
Rue du Chasse-Midi. Cette rue commence au carrefour de la Croix-Rouge, et aboutit à la rue des Vieilles-Tuileries, au coin de celle du Regard. Elle portoit, dans le principe, le nom de rue des Vieilles-Tuileries, qu'elle conserve encore dans une partie, et le devoit aux tuileries qu'on avoit établies en cet endroit. On l'a depuis appelée du Chasse-Midi, et, par corruption, du Cherche-Midi: ce dernier nom se trouve sur plusieurs plans. Sauval en reporte l'origine à une enseigne «où l'on avoit peint un cadran et des gens qui y cherchoient midi à quatorze heures.» Il ajoute «que cette enseigne a été trouvée si belle, qu'elle a été gravée et mise à des almanachs, et même qu'on en a fait un proverbe: Il cherche midi à quatorze heures; c'est un chercheur de midi à quatorze heures.[270]» Jaillot, sans rejeter l'histoire de l'enseigne, croit trouver plutôt l'origine du proverbe dans cet usage où l'on est en Italie de compter les vingt-quatre heures de suite. «Midi peut, dit-il, se rencontrer, dans les grands jours, environ à quinze heures, mais jamais à quatorze. Ainsi, chercher midi à quatorze heures, c'est s'alambiquer l'esprit, et chercher ce qu'on ne peut trouver[271].»
Rue du Cœur-Volant. Elle aboutit à la rue des Boucheries et à celle des Quatre-Vents. Jusqu'au quinzième siècle cette rue ne se trouve indiquée dans les titres de Saint-Germain que sous le nom de ruelle de la Voirie de la Boucherie, et de rue de la Tuerie. Sauval la nomme, en 1476, rue des Marguilliers et de la Blanche-Oie[272]. Jaillot rejette ces deux noms. Celui qu'elle porte actuellement vient d'une enseigne où l'on avoit peint un cœur ailé.
Rue du Vieux-Colombier. Cette rue, qui commence à la place Saint-Sulpice, aboutit au carrefour de la Croix-Rouge. Plusieurs titres prouvent qu'elle reçut le nom qu'elle porte d'un colombier que les religieux de Saint-Germain y avoient fait bâtir. Au quinzième siècle, on la nommoit quelquefois rue de Cassel, parce qu'elle conduisent à l'hôtel de ce nom. En 1453 on lit rue de Cassel, dite du Colombier. Il paroît aussi, par plusieurs titres du même temps, que la partie de cette rue qui s'étendoit depuis la rue Férou jusqu'à celle Pot-de-Fer s'appeloit rue du Puits-de-Mauconseil, à cause d'un puits public situé en cet endroit. Elle prit le nom de rue du Vieux-Colombier lorsqu'on creusa des fossés autour de l'abbaye, et ce fut pour la distinguer de l'autre. Elle est indiquée généralement ainsi sur tous les plans; un seul (celui de Mérier), publié en 1654, la nomme rue de la Pelleterie, dans la partie située du côté de la Croix-Rouge.
Rue de Condé. Elle commence au coin de la rue des Boucheries, et aboutit à celle de Vaugirard. L'espace que les maisons de cette rue occupent étoit encore, au quinzième siècle, en jardins et vergers; et tout ce terrain, jusqu'aux fossés, s'appeloit alors le clos Bruneau; la rue en porta d'abord le nom. En 1510 on la nommoit rue Neuve, rue Neuve-de-la-Foire, et elle étoit déjà garnie d'édifices des deux côtés; depuis elle reçut la dénomination de rue Neuve-Saint-Lambert. Enfin le nom qu'elle porte encore aujourd'hui, lui venoit de l'hôtel bâti par Arnaud de Corbie, et acheté par Henri de Bourbon, prince de Condé.
Rue de Corneille. Cette rue, qui donne, d'un côté, rue de Vaugirard, de l'autre sur la place du Théâtre François, fut ouverte sur une partie de l'hôtel de Condé, et en même temps que l'on construisoit ce théâtre.
Rue de Crébillon. Elle aboutit d'un côté à la rue de Condé, de l'autre à la place du Théâtre François, et fut ouverte à la même époque et sur le même terrain que la précédente.
Carrefour de la Croix-Rouge. Ce carrefour se nommoit autrefois Carrefour de la Maladrerie, dénomination qui lui venoit, non de la maladrerie de Saint-Germain, située au delà du bourg, mais de quelques granges bâties à l'extrémité de la rue du Four, qui furent destinées à loger les malades attaqués du mal de Naples[273]. On lui donna le nom de carrefour de la Croix-Rouge à cause d'une croix peinte en cette couleur qu'on y avoit élevée. C'étoit anciennement l'usage de planter des croix dans les carrefours et dans les places publiques; on les supprima depuis, parce que l'on reconnut que ces monuments gênoient la voix publique, et occasionoient même quelquefois des accidents.
Rue Saint-Dominique. Elle donne d'un bout dans la rue d'Enfer, de l'autre dans celle du Faubourg-Saint-Jacques. Les religieux Jacobins ayant obtenu, en 1546, de François Ier, la permission de donner un clos de vignes qu'ils possédoient en cet endroit à cens et à rentes, à la charge d'y bâtir, le vendirent en 1550, exigèrent qu'on y perçât des rues, et voulurent en outre qu'on leur donnât les noms de quelques saints de leur ordre. La principale, bâtie vers 1585, reçut celui de Saint-Dominique[274].
Rue d'Enfer. Elle commence à la place Saint-Michel, et aboutit au grand chemin d'Orléans. Cette rue est très ancienne. Au treizième siècle, ce n'étoit encore qu'un chemin qui conduisoit à des villages, dont il avoit pris le nom; c'est pourquoi cette rue est tour à tour appelée, dans les titres de Saint-Germain, chemin d'Issy et chemin de Venves. Elle avoit aussi reçu le nom de rue de Vauvert, parce qu'elle conduisoit au château de Vauvert. En 1258 on la trouve sous celui de la porte Gibard. Sur le bruit populaire qui se répandit vers ce temps-là, que les démons habitoient ce château, cette rue prit, suivant plusieurs historiens, le nom d'Enfer[275], et ensuite celui des Chartreux, lorsque ces religieux se furent établis en cet endroit. Enfin, comme elle commençoit le faubourg Saint-Michel, on la trouve indiquée dans quelques actes rue Saint-Michel et rue du Faubourg-Saint-Michel. Elle a depuis repris le nom de rue d'Enfer, qu'elle conserve encore aujourd'hui.
Jaillot fait observer que la direction de cette rue n'étoit pas autrefois telle que nous la voyons aujourd'hui; elle se prolongeoit sur la droite, à quelque distance de l'endroit où est la porte du Luxembourg, passoit entre la première et la seconde cour des Chartreux, et séparoit leur petit clos du grand.
Rue Férou. Elle aboutit aujourd'hui, d'un côté à la nouvelle place Saint-Sulpice, de l'autre à la rue de Vaugirard. Les auteurs ont varié sur la manière d'écrire son nom: on lit Farou, Ferrou, Ferron, Feron, Faron, Farouls. Sauval s'est trompé lorsqu'il lui fait prendre le nom de rue des Prêtres[276]: ce nom fut effectivement donné, dans le dix-septième siècle, au cul-de-sac Férou, mais jamais à la rue. Piganiol, son copiste, est embarrassé d'en trouver l'étymologie; cependant, s'il eût visité exactement les titres de l'abbaye Saint-Germain, il auroit pu y voir, dans le terrier de 1523, que les quatre chemins qui aboutissoient en cet endroit au chemin de Vaugirard, s'appeloient ruelles Saint-Sulpice, parce qu'elles étoient ouvertes entre l'église et le clos Saint-Sulpice, enclavé aujourd'hui dans le jardin du Luxembourg. Celle dont nous parlons étoit du nombre, et reçut le nom de Férou, parce qu'Étienne Férou, procureur au parlement, y possédoit quelques maisons et jardins contigus au cimetière, situé alors au côté méridional de l'église. La construction du portail et de la nef de Saint-Sulpice mit dans la nécessité de retrancher une partie de cette rue, qui aboutissoit auparavant au presbytère.
Rue de la Foire. On appelle ainsi le passage qui conduisoit à l'ancienne Foire Saint-Germain. Il a son entrée dans la rue du Four.
Rue des Fossoyeurs[277]. Elle donne d'un côté dans la rue de Vaugirard, de l'autre dans la rue Palatine, vis-à-vis la porte méridionale de l'église Saint-Sulpice. Suivant Sauval[278], elle s'appeloit du Fossoyeur, parce que celui de cette paroisse y demeuroit; et plusieurs actes la présentent effectivement sous ce nom. Il paroît qu'elle a porté ceux du Fer-à-Cheval et du Pied-de-Biche, qui provenoient vraisemblablement de deux enseignes.
Rue du Four. Elle commence au carrefour des rues de Buci, des Boucheries, de Sainte-Marguerite, et aboutit à celui de la Croix-Rouge. Le nom de cette rue n'a pas varié: on le lui avoit donné parce que le four banal de l'abbaye Saint-Germain y étoit situé, au coin de la rue dite aujourd'hui rue Neuve-Guillemin. Toutefois il paroît, par tous les titres de l'abbaye, que, depuis l'endroit où elle commence maintenant jusqu'à la rue des Canettes, on l'appeloit rue de la Blanche-Oie, nom que Sauval a donné mal à propos à la rue des Boucheries et à celle du Cœur-Volant.
Rue des Francs-Bourgeois. Elle commence à la rue des Fossés-de-M.-le-Prince, au coin de celle de Vaugirard, et finit à la place Saint-Michel. Il y a apparence, suivant Jaillot[279], que ce nom vient de la confrérie aux Bourgeois, qui acquit le terrain sur lequel cette rue est située du côté du Luxembourg, et en faveur de laquelle Philippe-le-Hardi amortit cette acquisition, opinion qui semble plus probable que d'en chercher l'origine dans le parloir et le clos aux Bourgeois, qui en étoient plus éloignés. Sur plusieurs plans du dix-septième siècle cette rue n'est point distingué de celle des Fossés-de-M.-le-Prince.
Rue des Mauvais-Garçons. Elle traverse de la rue de Buci dans celle des Boucheries. En remontant à sa première origine, on trouve qu'en 1254 l'abbé de Saint-Germain et ses religieux vendirent à Raoul d'Aubusson un espace de terre de cent soixante pieds carrés, situé en face des murs de la ville, se réservant le droit de faire ouvrir derrière cet espace un chemin de trois toises de large, qui depuis a formé la rue dont nous parlons. On l'appela d'abord rue de la Folie-Reinier, à cause d'une maison qui portoit cette enseigne; ensuite (en 1399) de l'Écorcherie, parce qu'elle étoit destinée à cet usage. Sauval dit qu'elle doit le nom des Mauvais-Garçons à une autre enseigne; Jaillot pense qu'elle pourroit le tenir des bouchers qui l'habitoient, espèces d'hommes qu'à plusieurs époques, et principalement au commencement du quinzième siècle, on trouve mêlés à toutes les séditions, à tous les troubles qui agitèrent Paris.
Rue Garancière. Elle aboutit d'un côté au coin des rues du Petit-Bourbon et des Aveugles, de l'autre à la rue de Vaugirard. Ce nom a été altéré, car, suivant Sauval, on l'appeloit rue Garancée, et sur tous les plans du siècle passé, on lit rue Garance. Ce n'étoit, dans le principe, qu'une des ruelles dites de Saint-Sulpice, et elle n'avoit pas d'autre nom, même après qu'on y eut bâti l'hôtel de Garancière, auquel elle doit celui qu'elle porte aujourd'hui. Elle l'avoit pris dès 1540, quoiqu'elle ne fût encore qu'une ruelle ou chemin non pavé. Les titres du dix-septième siècle le lui donnoient également, et c'est par abréviation qu'on l'appeloit rue Garance[280].
Rue des Fossés-Saint-Germain. Elle commence au coin des rues Saint-André-des-Arcs et de Buci, et finit à celui de la rue des Boucheries et de celle des Cordeliers. Le procès-verbal de son alignement entre les portes de Buci et de Saint-Germain étoit daté de 1560, et la désignoit sous le nom de rue des Fossés. Sur quelques plans elle conserve ce nom, qu'elle partage avec la rue Mazarine; sur d'autres elle est nommée rue Neuve-des-Fossés, pour la distinguer des autres rues ouvertes sur les fossés de l'enceinte de Philippe-Auguste. Depuis l'année 1688, où les comédiens françois y établirent leur théâtre, on l'appeloit vulgairement rue de la Comédie; mais dans les actes ainsi que dans les inscriptions gravées à ses extrémités, on avoit conservé l'ancien nom[281].
Rue du Gindre. Elle aboutit à la rue Mézière et à celle du Vieux-Colombier. L'abbé Lebeuf a trouvé que gindre signifioit le maître-garçon d'un boulanger[282], et Ménage, qui l'a dit avant lui, veut qu'il dérive du mot latin Gener (gendre), «parce qu'il arrive assez ordinairement, dit-il, que les maîtres-garçons deviennent les gendres des boulangers chez lesquels ils travaillent.» Cette étymologie paroîtra sans doute bien forcée, et l'on doit préférer l'opinion de Jaillot, qui fait venir ce nom de junior, employé effectivement dans plusieurs titres anciens pour désigner un compagnon, un aide, un commis[283]. Il paroît que cette rue se prolongeoit autrefois jusqu'à la rue Honoré-Chevalier, et que, depuis la rue Mézière, elle se nommoit rue ou ruelle des Champs. Les jésuites obtinrent sans doute la permission d'enfermer cette dernière partie dans leur enclos.
Rue Neuve-Guillemin. Elle traverse de la rue du Four dans celle du Vieux-Colombier. Sauval a commis plusieurs erreurs au sujet de cette rue[284], qu'il appelle nouvelle, quoique, dès 1456, elle fût connue sous le nom de rue de Cassel, parce qu'elle conduisoit à l'hôtel de ce nom. Il ajoute qu'elle se nommoit rue de la Corne, ce qui est vrai, mais il ne l'est pas que ce fut plutôt parce qu'elle étoit habitée par des prostituées qu'à cause de l'enseigne d'une maison située dans cette rue, et dont il a même mal indiqué la situation. La rue avoit effectivement pris ce nom de cette enseigne, et le conservoit encore après l'expulsion des personnes de mauvaise vie qui y demeuroient. C'est ainsi qu'elle est désignée au milieu du dix-septième siècle sur divers plans, bien qu'on eût déjà changé son nom en celui de Guillemin. Ce dernier nom lui venoit d'une famille qui possédoit un grand jardin dans cette rue.
Rue Guizarde. Elle aboutit d'un côté à la rue des Canettes, de l'autre à l'une des portes de la foire. Il n'en est fait mention, ni dans le rôle des taxes de 1636, ni dans celui de 1641, mais les plans la désignent, dès 1643. Elle avoit été ouverte sur une partie de l'hôtel de Roussillon, ainsi que la rue Princesse, dont nous allons bientôt parler.
Rue Saint-Hyacinthe. Elle commence à la place Saint-Michel, et aboutit à la rue du Faubourg-Saint-Jacques. Les maisons qu'on y voit du côté des Jacobins ont été bâties sur l'emplacement de l'ancien Parloir aux bourgeois ou hôtel-de-ville. Après la bataille de Poitiers, les Parisiens ayant jugé nécessaire de fortifier leur ville, qui n'étoit défendue de ce côté que par l'enceinte de Philippe-Auguste, creusèrent un fossé au pied de cette enceinte, ce que rapporte le continuateur de Nangis, témoin oculaire[285]. En 1646, le roi ayant fait don à la ville de ces fortifications devenues inutiles, elle fit combler les fossés, et l'emplacement fut couvert de jardins et de maisonnettes pour loger ceux qui les cultivoient. Ces bâtiments se sont depuis multipliés, agrandis, élevés, et ont formé la rue dont nous parlons. Dans le principe, elle n'eut point de nom particulier; et les maisons qui la composoient, ainsi que les autres qu'on avoit bâties sur les fossés, n'étoient désignées que sous le nom général de maisons situées sur le rempart. On leur donna depuis le nom de rue des Fossés; la nouvelle rue reçut ensuite la dénomination particulière de rue des Fossés-Saint-Michel, à cause de sa situation près de la porte, et à l'entrée du faubourg du même nom. Mais les jacobins ayant fait bâtir des maisons dans leur clos, dont cette rue faisoit partie, on lui donna le nom de Saint-Hyacinthe, religieux de leur ordre.
Rue Honoré-Chevalier. Elle traverse de la rue Cassette dans la rue Pot-de-Fer; et c'est sous ce nom qu'elle est désignée dans un contrat de vente de 1611. Elle se trouve depuis indiquée rue Chevalier, du Chevalier, du Chevalier-Honoré; mais son véritable nom est le premier, qu'elle porte encore aujourd'hui. Il vient d'Honoré Chevalier, bourgeois de Paris, qui possédoit, rue Pot-de-Fer, trois maisons et de grands jardins, au travers desquels on ouvrit cette rue.
Rue du Petit-Lion. Elle donne d'un bout dans la rue de Tournon, de l'autre dans celle de Condé. Anciennement elle n'étoit désignée que sous la dénomination générale de ruelle descendant de la rue Neuve à la foire, et ruelle allant à la foire. Une enseigne lui avoit fait donner, dès le commencement du dix-septième siècle, le nom sous lequel elle est encore connue aujourd'hui.
Rue Maillet. Elle traverse de la rue d'Enfer à celle du Faubourg-Saint-Jacques. Sur les plans de Jouvin et de Bullet, ce n'est qu'un chemin sans nom. Elle est nommée rue des Deux Maillets sur le plan de Valleyre, et rue du Maillet sur tous les autres plans du dix-huitième siècle.
Rue Saint-Maur. Elle donne, d'un côté dans la rue de Sèvre, de l'autre dans celle des Vieilles-Tuileries. C'est ainsi qu'elle est nommée sur le plan de Gomboust et sur ceux qui en ont été copiés. Dans les archives de Saint-Germain, on lit qu'en 1644 cette abbaye donna, par bail à cens et à rente, une certaine quantité de terrain à un épicier nommé Pierre Le Jai, à la charge d'y bâtir et percer deux rues qui porteroient les noms de Saint-Maur et de Saint-Placide, deux religieux célèbres de l'ordre de saint Benoît.
Rue Mézière. Elle donne d'un côté dans la rue Pot-de-Fer, de l'autre dans la rue Cassette. Sauval a commis sur cette rue plusieurs erreurs qu'il est inutile de relever; il nous suffira de dire qu'elle devoit son nom à l'hôtel de Mézière, dont les jardins régnoient le long de cette rue[286].
Rue de Molière. Elle donne d'un bout dans la rue de Vaugirard, de l'autre sur la place du Théâtre-François, et date, comme toutes les rues environnantes, de l'origine de cet édifice.
Rue Notre-Dame-des-Champs. Elle aboutit aux rues de Vaugirard et d'Enfer, au coin de celle de la Bourbe. Son nom lui venoit de l'église Notre-Dame-des-Champs, occupée depuis par les carmélites, parce qu'anciennement ce chemin y conduisoit. Aux quatorzième et quinzième siècles on le nommoit le chemin Herbu, et depuis rue du Barc, sans qu'on sache bien précisément à quelle occasion. Peut-être, dit Jaillot, en avoit-on supprimé une partie, qui faisoit, en ligne droite, la continuation de la petite rue du Bac[287].
Rue de l'Odéon. Voyez Rue du Théâtre-François.
Place de l'Odéon. Voyez Place du Théâtre-François.
Rue Palatine. Elle règne le long de Saint-Sulpice, depuis la rue Garancière jusqu'à celle des Fossoyeurs, maintenant rue Servandoni. Le cimetière de cette paroisse étoit autrefois situé au chevet de l'église: lorsqu'au siècle passé on commença le monument que nous voyons aujourd'hui, il fallut prendre le terrain qu'occupoit ce cimetière, qui fut alors transféré au côté méridional. On ouvrit en même temps, parallèlement à ce côté, une rue, qui fut appelée d'abord rue Neuve-Saint-Sulpice, et ensuite rue du Cimetière. On la nomma depuis rue Palatine, en l'honneur de madame la princesse Palatine, veuve de M. le prince de Condé, qui, au commencement du siècle dernier, logeoit au Petit-Luxembourg.
Rue Saint-Placide. Elle traverse de la rue de Sèvre dans celle des Vieilles-Tuileries. Nous avons déjà dit, en parlant de la rue Saint-Maur, quand elle avoit été percée, et pourquoi on lui avoit donné le nom qu'elle porte encore aujourd'hui.
Rue Pot-de-Fer. Elle donne d'un côté dans la rue du Vieux-Colombier, de l'autre dans celle de Vaugirard. Sauval dit qu'elle se nommoit d'abord rue du Verger[288], et que, de son temps, elle commençoit à prendre le nom de rue des Jésuites, parce que leur noviciat en occupoit une partie. Jaillot n'a lu ces noms dans aucun titre; il trouve seulement qu'au quinzième siècle cette rue n'étoit qu'une ruelle sans nom, indiquée, dans les titres de l'abbaye, ruelle tendante de la rue du Colombier à Vignerei. (Le clos de Vignerei étoit, comme nous l'avons déjà dit, enfermé dans le parc du Luxembourg). Dans d'autres titres elle porte, avec d'autres rues qui lui sont parallèles, le nom général de ruelle Saint-Sulpice. Enfin, dans le terrier de 1523, elle est désignée sous celui de Henri du Verger, bourgeois de Paris, dont la maison et les jardins occupoient une grande partie de cette rue. Il est probable que celui qu'elle porte aujourd'hui lui vient de quelque enseigne; cependant nous n'avons trouvé à ce sujet aucun renseignement.
Rue Princesse. Elle traverse de la rue du Four à la rue Guisarde. En parlant de cette dernière nous avons dit qu'elle avoit été ouverte en même temps que celle-ci sur l'emplacement de l'hôtel de Roussillon. On ignore du reste à quelle époque et en l'honneur de qui le nom qu'elle porte lui a été donné; mais elle est déjà désignée ainsi dans le procès-verbal de 1636.
Rue des Fossés-de-M.-le-Prince. Elle commence à la rue de Condé, et finit à l'extrémité de la rue de Vaugirard. Sa situation sur les fossés lui en avoit fait d'abord donner le nom sans aucune addition; ensuite on l'appela rue des Fossés-Saint-Germain, et enfin rue des Fossés-de-M.-le-Prince, parce que l'hôtel du prince de Condé s'étendoit jusque là. On y bâtit quelques maisons avant le milieu du dix-septième siècle, et à cette époque les fossés existoient encore du côté de l'hôtel de Condé; mais dès que le roi eut permis de les combler, on s'empressa de les couvrir de bâtiments, et de former ainsi la rue telle qu'elle est aujourd'hui.
Rue de Racine. Elle aboutit à la place du Théâtre-François et à la rue des Fossés-de-M.-le-Prince, et fut percée à l'époque où l'on bâtissoit ce théâtre.
Rue du Regard. Elle aboutit au coin des rues du Chasse-Midi et des Vieilles-Tuileries, puis à la rue de Vaugirard, vis-à-vis d'un regard de fontaine qui lui en a fait donner le nom. Sur quelques plans on la trouve appelée rue des Carmes, parce qu'elle régnoit le long de l'enclos des Carmes-Déchaussés.
Rue de Regnard. Elle donne d'un bout dans la rue de Condé, de l'autre sur la place du Théâtre-François, et son origine est la même que celle de la rue de Racine.
Rue Saint-Romain. Elle traverse de la rue de Sèvre dans celle du Petit-Vaugirard. Il y a quelque apparence, dit Jaillot, qu'on lui donna ce nom parce qu'elle fut ouverte dans le temps où D. Romain Rodayer étoit prieur de l'abbaye Saint-Germain. Quelques plans la présentent sous les noms d'Abrulle et du Champ-Malouin, sans en donner aucune raison.
Rue Servandoni. Voyez Rue des Fossoyeurs.
Rue de Sèvre. Elle commence au carrefour de la Croix-Rouge, et finit au nouveau boulevard. Dans les titres de l'abbaye Saint-Germain, du treizième siècle et des suivants, elle est nommée rue de la Maladrerie; et dans un rôle de taxes de 1641, rue de l'Hôpital des Petites-Maisons. On lui a donné le nom qu'elle porte aujourd'hui parce qu'elle conduit au village de Sèvre (Savara); ce qui doit faire préférer ce nom à celui de Sève, qu'on lit sur la plupart des plans et dans les nomenclatures.
Rue Saint-Thomas. Elle donne d'un bout dans la rue d'Enfer, de l'autre dans celle du Faubourg-Saint-Jacques. Nous avons déjà parlé du clos des Jacobins et des rues qu'on y avoit pratiquées, lorsque ces religieux eurent obtenu la permission d'y faire bâtir. Celle-ci, qui étoit du nombre, doit son nom à l'un des saints les plus célèbres de leur ordre, ainsi qu'à l'hôtel qu'ils y avoient fait élever.
Rue du Théâtre-François. Cette rue, qui prend naissance au carrefour de la rue des Fossés-Saint-Germain, et vient aboutir à la place du même nom, en face du monument, est la principale de celles qui furent percées à l'époque où l'on construisoit ce monument.
Place du Théâtre-François. Cette place, qui s'étend en demi-cercle devant le monument dont elle porte le nom, forme une espèce de centre auquel aboutissent toutes les rues percées pour servir d'issues à cet édifice. Elle a été pratiquée en même temps que toutes les constructions auxquelles elle est liée[289].
Rue des Vieilles-Tuileries. Elle commence au coin de la rue du Regard, et finit à celui de la rue de Bagneux. Cette rue a reçu mal à propos, sur les anciens plans, le nom du Chasse-Midi, parce qu'elle fait la continuation de celle-ci, tandis qu'on y donnoit le nom de Tuileries et de Vieilles-Tuileries à la rue Barouillère, parce qu'elle aboutissoit effectivement à des fabriques de tuiles. Dans les anciens titres elle est indiquée rue des Vieilles-Tuileries allant droit à Vaugirard.
Rue de Tournon. Elle commence au coin des rues du Petit-Lion et du Petit-Bourbon, et finit à la rue de Vaugirard, vis-à-vis le palais du Luxembourg, auquel elle sert d'avenue. Ce n'étoit anciennement qu'une ruelle désignée, comme celles qui lui sont parallèles, sous le nom général de ruelles de Saint-Sulpice. On la trouve aussi nommée ruelle du Champ-de-la-Foire, parce qu'il y avoit un champ où l'on vendoit des animaux, lequel occupoit une grande partie de l'espace entre les rues de Tournon et Garancière. Ce champ est désigné, dans plusieurs actes, sous le nom de Pré-Crotté.
Il y avoit des maisons bâties dans cette rue avant l'année 1541, et alors elle portoit déjà le nom de rue de Tournon qu'on lui avoit donné en l'honneur du cardinal François de Tournon, abbé de Saint-Germain-des-Prés. Toutefois cette rue ne fut point alors entièrement bâtie; car on trouve qu'en 1580 plusieurs particuliers y avoient obtenu des concessions de terrain, à la charge d'y faire construire des maisons.
Rue de la Treille. Ce n'est qu'un passage qui conduisoit de la rue des Boucheries au marché et à la foire. Il fut vendu à l'abbaye Saint-Germain en 1489. Dans plusieurs actes et sur quelques plans, il est appelé Porte-Gueffière, ou plutôt Greffière, parce que le greffier de l'abbaye y demeuroit.
Rue de Vaugirard. Elle commence à la rue des Fossés-de-Monsieur-le-Prince, au coin de celle des Francs-Bourgeois, et aboutit à la pointe du chemin qui conduit au village de ce nom: ce village est connu dans les anciens titres sous la dénomination de Valboitron et Vauboitron, et on l'appeloit encore ainsi en 1256. Mais, quelque temps après, Gérard, abbé de Saint-Germain, l'ayant fait rebâtir, et y ayant fait construire une chapelle et des lieux réguliers pour sa communauté, la reconnoissance des habitans leur fit substituer à l'ancien nom celui du bienfaiteur: on le nomma Vau-Gérard, et par corruption Vaugirard. La rue dont nous parlons s'appeloit simplement le chemin de Vaugirard, et les titres ne lui donnent point d'autre nom jusqu'au seizième siècle, que les bâtiments qu'on y éleva lui firent prendre le nom de rue. Tout ce que Sauval dit au sujet de cette rue, qu'il prétend avoir été successivement appelée des Vaches et de la Verrerie, est entièrement destitué de preuves[290]. On trouve seulement qu'en 1583 le duc de Pinei-Luxembourg ayant acquis un pavillon nommé la ferme du Bourg, ainsi que plusieurs fermes et héritages situés dans cette rue, elle commença à porter son nom; et en effet quelques actes de ce temps l'indiquent rue de Vaugirard, autrement dite de Luxembourg; en 1659 on trouve grande rue de Luxembourg[291].
Rue du Petit-Vaugirard. C'est la continuation de la rue des Vieilles-Tuileries jusqu'au chemin de Vaugirard, dont elle a tiré son nom.
Rue des Quatre-Vents. Elle aboutit d'un côté à la rue de Condé, et de l'autre à celle du Brave, vis-à-vis la porte de la foire. Anciennement ce n'étoit qu'une ruelle descendant à la foire. Au commencement du quinzième siècle, elle prit le nom de rue Combault, d'un chanoine de Romorantin qui y demeuroit. On la voit aussi sous celui du Petit-Brac dans les plans du siècle passé. Celui qu'elle porte aujourd'hui vient d'une enseigne[292].
Rue de Voltaire. Cette rue donne sur la place du Théâtre-François et dans la rue des Fossés-de-Monsieur-le-Prince. Elle a été percée, comme toutes celles qui aboutissent au même point, lors de la construction du théâtre.
MONUMENTS NOUVEAUX ET RÉPARATIONS AUX ANCIENS MONUMENTS, FAITES DEPUIS 1789.
ÉGLISE DE SAINT-SULPICE.
Cette église doit à la munificence du pasteur qui la gouverne maintenant[293], d'avoir recouvré une partie de son ancienne splendeur, et d'offrir un genre de décoration, dont il n'y a que très peu d'exemples à Paris: ce sont des peintures à fresque exécutées, dans plusieurs de ses chapelles, par plusieurs de nos peintres les plus distingués. Nous donnerons le détail des divers ornements dont elle a été enrichie, en commençant par la description des chapelles.
Deuxième chapelle, à droite en entrant. On la prépare maintenant pour être peinte à fresque.
Troisième chapelle, dite de Saint-Roch. Cette chapelle, peinte à fresque par M. Abel de Pujol, représente, dans le tableau qui est à droite, saint Roch guérissant miraculeusement des malades, dans un hôpital de Rome; dans le tableau de la gauche, sa mort dans une prison; dans le plafond, il est enlevé au ciel par des anges, et les quatre pendentifs représentent les quatre principales villes où s'exerça sa charité, Rome, Aquapendente, Plaisance et Cesène; au fond de la chapelle, un bas-relief couleur d'or offre le convoi du saint, mort à Montpellier en 1327.
L'ordonnance de ces diverses peintures est fort belle; on y retrouve la correction de dessin et le style élevé de M. Abel de Pujol; et l'on ne peut reprocher à ce dessin que d'offrir de la maigreur dans un certain nombre de figures; d'autres sont exemptes de ce défaut.
Quatrième chapelle, dite de Saint-Maurice. Cette chapelle, peinte également à fresque par M. Vinchon, nous montre, dans le tableau de la droite, Saint-Maurice, Exupère, Candide, et les autres héros de la légion thébéenne, qui refusent de sacrifier aux idoles; le tableau à gauche représente le moment où la légion est entourée et massacrée par les ordres du féroce Maximien; dans le plafond, des anges apportent des palmes à ces généreux martyrs; les figures de la Foi, de l'Espérance, de la Charité, de la Constance, ornent les quatre pendentifs; d'autres groupes d'anges soutiennent des écussons et une guirlande de verdure dont le plafond est entouré.
La statue de saint Maurice, de grandeur naturelle, occupe le fond de la chapelle.
Les compositions de cette chapelle sont d'une belle ordonnance, et les ornements en sont de bon goût.
Le monument de M. Languet de Gergy est dans la cinquième chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste.
À l'entrée de la sacristie, sur deux piédestaux carrés, sont élevées les statues en plâtre de saint Pierre et de saint Jean: la première par M. Pradier, la seconde par M. Petitot. Des inscriptions portent qu'elles ont été données par la Ville à l'église Saint-Sulpice, en 1822.
Sixième chapelle. 1o Deux copies d'apôtres, vus à mi corps, d'après le Valentin ou Michel-Ange de Caravage; 2o l'esquisse de la coupole de la chapelle de la Vierge.
Septième chapelle, dite de Saint-Fiacre. 1o Un très beau tableau par M. Dejuinne, qui représente le saint refusant la couronne d'Écosse; 2o la Résurrection de la fille de Jaïre (École de Jouvenet); tableau au dessous du médiocre.
Huitième chapelle. Dans une niche sur l'autel, une petite statue de Sainte-Geneviève, d'un style médiocre, mais exécutée avec naïveté et correction.
Neuvième chapelle. Sur l'autel une bonne copie du Saint-Michel de Raphaël; vis-à-vis, la Samaritaine, bon tableau de l'école de La Hire ou de Le Brun.
Deuxième chapelle, à gauche en entrant. Trois tableaux: 1o Sainte-Perpétue dans sa prison; 2o saint Vincent faisant une instruction aux orphelins en présence des sœurs de la Charité; 3o la mort de la Vierge, par Dandré-Bardon. Le premier de ces tableaux est très médiocre, les deux autres sont détestables.
Troisième chapelle. On la peint à fresque en ce moment.
Quatrième chapelle dite de Saint-Vincent de Paule. Cette chapelle, peinte à fresque par M. Guillemot, nous montre, dans le tableau de la droite, le saint assistant Louis XIII à ses derniers moments; dans celui de la gauche, le moment où il recommande les enfants trouvés à la pitié des dames de charité; dans les quatre pendentifs, des médaillons en bas-relief de couleur d'or représentent plusieurs actions de sa vie; dans le plafond, il est enlevé au ciel par des anges.
Il y a, dans ces peintures, le mérite de composition et de dessin qui distingue les ouvrages de M. Guillemot[294].
Cinquième chapelle. Dans cette chapelle, qui est ornée d'une très belle menuiserie, sur le maître-autel, un tableau allégorique représentant la Conversion des nations infidèles par saint François Xavier; sans nom d'auteur.
Sixième chapelle. Deux tableaux: 1o saint Jean écrivant son Apocalypse; sans nom d'auteur; 2o saint François en prière, par Pierre.
Septième chapelle. Un très beau tableau représentant saint Charles Borromée pendant la peste de Milan; par M. Granger. (Donné par la Ville à l'église de Saint-Sulpice, en 1817).
Huitième chapelle. Deux tableaux; 1o la Pentecôte; 2o l'Annonciation; sans nom d'auteur.
Au dessus des deux portes d'entrée, pratiquées des deux côtés de la chapelle de la Vierge, deux tableaux: 1o l'Annonciation; sans nom d'auteur; 2o la Vierge de douleur, bon tableau qui paroît appartenir à l'école de Le Brun.
Au dessus du banc des marguilliers, un tableau représentant l'intérieur de Saint-Sulpice; sans nom d'auteur; vis-à-vis, une Vierge tenant l'enfant Jésus entre ses bras; école de Mignard.
Grand autel. Il est fait en forme de sarcophage antique; au milieu on a pratiqué une niche recouverte d'une glace, où sont exposées des reliques. Le tabernacle, d'une forme carrée, est décoré, dans ses parties latérales, de colonnes d'ordre corinthien, et supporte une plinthe sur laquelle deux anges sont en adoration devant la croix. Toute cette partie de l'autel est en cuivre doré, et l'ensemble de cette composition est simple et de bon goût.
NOUVEAU SÉMINAIRE SAINT-SULPICE.
Ce monument, achevé depuis peu de temps, borde tout le côté méridional de la nouvelle place Saint-Sulpice. C'est une construction faite avec soin et d'une belle simplicité; mais elle n'a pas le caractère convenable à sa destination, et ressemble plutôt à une caserne qu'à un séminaire.
PALAIS DU LUXEMBOURG.
Ce palais, ayant été destiné aux séances du Sénat de Buonaparte et ensuite à celles de la Chambre des Pairs, a éprouvé, en raison de cette destination, plusieurs changements dans ses distributions intérieures: à droite, a été pratiqué un grand escalier qui conduit à la salle des séances; il est décoré de statues représentant quelques uns des généraux et des grands hommes qui ont illustré la France. À gauche et au dessus du rez-de-chaussée, est la galerie des tableaux. Ceux des anciens maîtres qu'elle contenoit ayant été transportés au musée du Louvre, cette galerie est maintenant destinée à recevoir les ouvrages des peintres vivants dont le gouvernement juge à propos de faire l'acquisition; cette collection de tableaux modernes change souvent d'aspect et pour ainsi dire, à chaque salon, un grand nombre d'ouvrages nouvellement exposés prenant la place des tableaux de l'exposition précédente qui sont alors distribués, ou dans les maisons royales, ou dans les musées des départements.
Ce palais, autrefois obstrué, comme la plupart de nos édifices publics, de bâtisses irrégulières ou de baraques qui y étoient attenantes, est maintenant, des deux côtés, parfaitement isolé au milieu d'un espace symétrique, et fermé de tous côtés par des grilles.
JARDIN DU LUXEMBOURG.
Ce jardin, considéré maintenant comme le plus beau jardin public de l'Europe, sans en excepter celui des Tuileries, qu'il surpasse par l'élégance du dessin et l'heureuse harmonie de toutes ses parties, mérite que nous nous arrêtions un moment sur les changements que le génie de Chalgrin y a opérés, et qui en ont fait, comme par enchantement, ce qu'il est aujourd'hui.
Planté sur un terrain irrégulier, toutes les irrégularités de l'espace dans lequel il est circonscrit se trouvent entièrement perdues dans les parties les plus reculées du bois qui l'environne, et ce bois, élevé en terrasse, vient se dessiner circulairement autour d'un parterre également circulaire dans sa partie centrale, et qui, à partir de la terrasse du château, se prolonge jusqu'à une seconde terrasse, laquelle précède une immense allée percée en face du palais. Cette allée, ouverte sur l'ancien terrain des Chartreux, termine, de ce côté, le jardin, et présente pour perspective le monument de l'Observatoire, dont l'axe s'est trouvé, par le plus heureux des hasards, absolument le même que celui du monument élevé par Desbrosses. Des deux côtés, et dans la partie basse de ce terrain, que l'on a fort élevé au dessus de son niveau, mais seulement sur l'espace où l'allée a été pratiquée, sont des pépinières expérimentales qui dépendent du palais, et sont renfermées dans l'enceinte du jardin.
Le bois symétriquement percé de larges allées, et dont la lisière forme, de tous les côtés, des terrasses en amphithéâtre d'où la vue embrasse tout le jardin, a, pour ces allées, des issues sur toutes les rues qui l'environnent[295], de manière que les promeneurs peuvent y aborder de tous les côtés. Le milieu du parterre, dont les compartiments sont dessinés avec goût et simplicité, est occupé par un grand bassin octogone avec jet d'eau; des pentes douces en fer à cheval lient cette partie du jardin, à son extrémité méridionale, avec les terrasses sur lesquelles s'élève le bois dont elle est entourée; les murs de ces terrasses sont revêtus de massifs disposés en talus et revêtus d'un gazon sur lequel on a planté des rosiers qui forment autour du jardin comme une immense ceinture de fleurs. On communique encore du parterre aux terrasses par plusieurs escaliers.
Enfin les deux entrées, du côté de la rue de Vaugirard où se trouve la façade du château, offrent un couvert d'arbres par lequel on arrive à la grande terrasse placée vis-à-vis de la façade opposée. De l'un et de l'autre côté, cette terrasse est accompagnée de deux grands espaces entourés de grillages et remplis de rosiers greffés sur des églantiers, et des espèces les plus rares et les plus variées. Ainsi, de quelque côté qu'on entre dans ce jardin, on y trouve de l'ombrage et les aspects les plus séduisants.
Sur les terrasses et dans la partie circulaire du parterre, on a placé comme ornement un assez grand nombre de statues.
| STATUES ET AUTRES ORNEMENTS DU JARDIN DU LUXEMBOURG. | ||
| Sur la terrasse, à droite. | Sur la terrasse, à gauche. | |
| Vulcain. | Flore. | |
| La Pudicité. | Mars. | |
| Romain. | Guerrier romain. | |
| Cérès. | Bacchus. | |
| Bacchus. | L'Été. | |
| Méléagre. | Vertumne. | |
| L'Été. | Mercure. | |
| Guerrier romain. | Apollon. | |
| Romain. | Bacchus. | |
| Vénus. | Vénus. | |
| Cérès. | Méléagre. | |
| Le Gladiateur Borghèse. | Diane chasseresse. | |
| Autour du parterre. | Autour du parterre. | |
| Minerve. | Diane. | |
| Junon. | Diane. | |
| Vénus. | Bacchus. | |
| Flore. | Vénus. | |
Dans le parterre, aux angles des grands tapis de verdure.
Quatre grands vases en marbre, forme de Médicis.
À l'origine des balustrades qui bordent le fer à cheval.
Des groupes d'enfants supportant des cuvettes.
Aux deux extrémités du fer à cheval.
Des copies des lutteurs, d'après les deux groupes antiques de la galerie de Florence.
Au milieu du tapis de verdure, dans la partie du bois, à droite.
Un grand vase, forme de Médicis.
Dans le carré de rosiers, du même coté.
Une statue de Mercure.
À l'entrée de la grande allée.
Sur deux piédestaux carrés, deux lions en marbre. Les deux portes qui donnent sur les rues de Fleurus et d'Enfer sont ornées des mêmes animaux sculptés en pierre.
Dans la partie du bois qui borde la rue d'Enfer.
Trois statues allégoriques.
La plupart de ces statues sont copiées d'après l'antique. Les meilleures de ces copies sont médiocres, ce qui ne peut choquer dans des figures destinées à l'ornement d'un jardin public; mais plusieurs d'entre elles offrent des nudités, et ces nudités sont choquantes, même pour l'œil le moins scrupuleux.
Les honnêtes gens s'étonnent avec juste raison que, dans la capitale d'un royaume où la religion chrétienne est du moins reconnue comme religion de l'État, on laisse encore subsister, dans des lieux ouverts à toute une population[296], et dont n'écartent ni le sexe ni l'âge, ces monuments hideux de la licence du paganisme, sur lesquels du moins on jettoit autrefois un voile, lorsque, très imprudemment encore, on les exposoit aux regards de la multitude. Puisqu'on juge à propos de ne point les y soustraire, la pudeur publique exigeroit qu'on leur rendît du moins ce voile, qui en a été arraché pendant les saturnales de la révolution.
THÉÂTRE-FRANÇOIS.
Ce théâtre, devenu, il y a quelques années, la proie d'un nouvel incendie qui, de même que le premier, en avoit détruit toutes les constructions intérieures, a été très promptement rétabli. La salle, dont la coupe est la même, offre une décoration élégante, exécutée sous la direction et d'après les dessins de M. Lafitte. Dans les compartiments du plafond, disposé en éventail, sont représentées les Muses et autres divinités du paganisme qui président aux beaux arts; vers l'entablement sont rassemblés, dans des médaillons, les portraits des grands auteurs tragiques, grecs et romains. Les autres parties de cette salle sont richement décorées en arabesques où domine l'or, au milieu d'une grande variété de couleurs. À l'extérieur, le fronton a été remplacé par un attique.
NOUVEAU MARCHÉ SAINT-GERMAIN.
Cette belle construction se compose, dans sa partie principale, d'un grand bâtiment carré-long, qui occupe tout l'espace sur lequel étoit placée autrefois la Foire Saint-Germain. Les deux façades du nord et du midi sont percées chacune de vingt-et-une arcades, dont trois seulement sont ouvertes au milieu, et deux à chacun des angles; les façades du levant et du couchant, qui n'ont que dix-sept arcades, présentent également trois arcades ouvertes au milieu, et une à chaque angle. Une rue sépare au midi ce bâtiment d'un autre qui sert de boucherie, et se prolonge dans toute la longueur de cette façade méridionale. Il contient aussi vingt-et-une arcades, et présente des ouvertures toutes semblables. Les toits de ces deux constructions sont plats et couverts de tuiles rondes; des ouvertures pratiquées au dessus de chaque arcade y entretiennent la libre circulation de l'air et y maintiennent la salubrité.
Au milieu de la cour du grand marché a été transportée une fontaine, autrefois placée sur la place Saint-Sulpice, et dont les dimensions étoient hors de proportion, et avec le monument en face duquel elle avoit été élevée, et avec la place immense dont elle devoit faire l'ornement. La composition en est simple et de bon goût: c'est une espèce de cippe carré, orné de quatre bas-reliefs, représentant le Commerce, l'Agriculture, les Sciences et les Arts. Ces bas-reliefs sont dus à M. Espercieux.
Au milieu du bâtiment destiné aux bouchers, s'élève une autre fontaine que surmonte une figure colossale en moulage.
Ce monument, pour la pureté de son exécution, la noble simplicité de ses lignes et l'accord parfait de toutes les convenances architecturales, peut être offert comme un modèle qu'il seroit difficile de surpasser.
THÉÂTRE FORAIN DU LUXEMBOURG.
Ce théâtre, très fréquenté par le peuple qui habite les quartiers environnants, est situé dans la rue de Fleurus, et à l'entrée du jardin du Luxembourg.
BARRIÈRE DU MONT-PARNASSE.
En dehors de cette barrière, est situé l'ancien cimetière de la Charité, que l'on a considérablement agrandi, et que l'on nomme maintenant cimetière du Midi. C'est là que la plupart des habitants de la rive méridionale de la Seine ont leur sépulture. Près de ce cimetière s'élève un petit théâtre très fréquenté, dans la belle saison, par les classes populaires de Paris. L'espace entre cette barrière et celle du midi est couvert de guinguettes de la construction la plus élégante, et dont plusieurs pourroient soutenir la comparaison avec les hôtels les plus brillants de la Chaussée-d'Antin.
RUES ET PLACES NOUVELLES.
Rue d'Assas. Elle donne d'un côté dans la rue du Cherche-Midi, de l'autre dans la rue de Vaugirard. Elle a été ouverte sur l'ancien terrain des Carmes-Déchaussés.
Rue Clément. Elle longe le côté nord du marché neuf Saint-Germain, et d'une part aboutit à la rue de Seine, de l'autre à la rue Mabillon.
Rue de l'Est. Elle commence au boulevard et vient aboutir dans la rue d'Enfer, à l'endroit où est ouvert le passage de Saint-Jacques-du-Haut-Pas.
Rue Félibien. Cette rue, formée par la façade méridionale du marché Saint-Germain et par le bâtiment qui lui est parallèle, aboutit d'un côté à la rue Neuve-de-Seine, et de l'autre à la rue Mabillon.
Rue de Fleurus. Cette rue aboutit d'un côté à la grille du Luxembourg (côté du couchant), de l'autre au cul-de-sac de la rue Notre-Dame-des-Champs, auquel elle a donné son nom.
Rue des Fourneaux. Cette rue, ouverte dans la rue de Vaugirard, vient aboutir à la barrière dont elle porte le nom.
Rue Duguay-Trouin. Elle est ouverte sur la rue de Fleurus, et vient aboutir en équerre à la rue de l'Ouest.
Rue Jean-Bart. Cette rue, ouverte dans la rue de Vaugirard et vis-à-vis la rue Cassette, donne par son extrémité dans la rue de Fleurus.
Rue de la Caille. Elle donne d'un côté dans la rue d'Enfer, et de l'autre aboutit aux nouveaux boulevards.
Rue Mabillon. Elle longe le côté occidental du marché Saint-Germain, et aboutit d'un côté à la rue des Aveugles, de l'autre à celle du Four Saint-Germain.
Rue Montfaucon. Elle aboutit d'un côté dans la rue Clément, de l'autre dans celle du Four Saint-Germain. C'est l'ancienne rue de Bissi.
Rue Neuve-de-Seine. Elle commence à la rue des Quatre-Vents, aboutit d'un côté à la rue de Seine, et de l'autre fait le prolongement de la rue de Tournon.
Rue de l'Ouest. Elle commence dans la rue de Vaugirard, longe l'ancien enclos des Chartreux, et vient aboutir au boulevard.
Place Saint-Sulpice. Elle a été formée devant l'église dont elle porte le nom, et là viennent aboutir les rues Palatine, Férou, Pot-de-Fer, du Vieux-Colombier, des Canettes et des Aveugles.
Rue Toustain. Elle aboutit d'un côté à la rue Félibien, de l'autre à la rue Neuve-de-Seine.
Rue du Val-de-Grâce. Elle a été ouverte en face de ce monastère, et vient aboutir à la rue d'Enfer.
Cul-de-sac Vaugirard. Il a été ouvert dans la rue dont il porte le nom, près de la maison de l'Enfant-Jésus.
BOULEVARD.
Boulevard d'Enfer. Il prend naissance au boulevard du Mont-Parnasse, et vient aboutir à la barrière dont il porte le nom[297].
FONTAINES.
Fontaine Garancière. Elle est située à l'entrée de cette rue, du côté de celle de Vaugirard, et avoit été construite, en 1715, aux frais de la princesse Anne, palatine de Bavière, veuve de Henri-Jules de Bourbon-Condé, ainsi que l'indique l'inscription suivante, détruite pendant la révolution, et qui a été rétablie:
Aquam præfecto et ædilibus acceptam hic, suis impensis, civibus fluere voluit serenissima princeps Anna Palatina ex Bavariis, relicta serenissimi principis Henrici-Borbonii, principis Condæi, anno Domini M. D. CC. XV.
Fontaine de la rue du Regard. Cette fontaine, qui existe depuis long-temps à l'angle de cette rue et de celle de Vaugirard, est ornée, depuis quelques années, d'un bas-relief de peu de saillie et d'un bon style, lequel représente une Naïade qui se joue avec des cignes.