The Letters of a Portuguese Nun
LETTRES
PORTVGAISES
TRADVITES
EN FRANÇOIS
A PARIS,
Chez CLAVDE BARBIN, au
Palais, sur le second Perron
de la sainte Chapelle.
M. DC. LXIX
Avec Privilege du Roy
AV LECTEVR
I AY trouué les moyens auec beaucoup de soin & de peine, de recouurer vne copie correcte de la traduction de cinq Lettres Portugaises, qui ont esté écrites a un Gentilhomme de qualité, qui seruoit en Portugal. I’ay veu tous ceux qui se connoissent en sentimens, ou les loüer, ou les chercher auec tant d’empressement, que j’ay crû que ie leur ferois un singulier plaisir de les imprimer. Ie ne sçay point le nom de celuy auquel on les à écrites, ny de celuy qui en a fait la traduction, mais il m’a semblé que ie ne deuois pas leur déplaire en les rendant publiques. Il est difficile quelles n’eussent, enfin, parû auec des fautes d’impression qui les eussent défigurées.
CONSIDERE, mon amour, jusqu’à quel excez tu as manqué de preuoyance. Ah mal-heureux! tu as esté trahy, & tu m’as trahie par des esperances trompeuses. Vne passion sur laquelle tu auois fait tant de projets de plaisirs, ne te cause presentement qu’vn mortel desespoir, qui ne peut estre comparé qu’à la cruauté de l’absence, qui le cause. Quoy? cette absence, à laquelle ma douleur, toute ingenieuse qu’elle est, ne peut donner vn nom assez funeste, me priuera donc pour toujours de regarder ces yeux, dans lesquels je voyois tāt d’amour, & qui me faisoient connoître des mouuemēs, qui me combloient de joye, qui me tenoient lieu de toutes choses, & qui enfin me suffisoient? Helas! les miens sont priuez de la seule lumiere, qui les animoit, il ne leur reste que des larmes & je ne les ay employez à aucun vsage, qu’à pleurer sans cesse, depuis que j’appris que vous estiez enfin resolu à vn éloignement, qui m’est si insupportable, qu’il me fera mourir en peu de temps. Cependant il me semble que j’ay quelque attachement pour des malheurs, dont vous estes la seule cause: Ie vous ay destiné ma vie aussi-tost que je vous ay veu; & je sens quelque plaisir en vous la sacrifiant. I’ enuoye mille fois le jour mes soupirs vers vous, ils vous cherchent en tous lieux, & ils ne me rapportent pour toute recompense de tant d’inquietudes, qu’vn aduertissement trop sincere, que me dōne ma mauuaise fortune, qui a la cruauté de ne souffrir pas, que je me flatte, & qui me dit à tous momens; Cesse, cesse Mariane infortunée de te consumer vainement: & de chercher vn Amant que tu ne verras iamais; qui a passé les Mers pour te fuir, qui est en France au milieu des plaisirs, qui ne pense pas vn seul moment à tes douleurs, & qui te dispense de tous ces transports, desquels il ne te sçait aucun gré? mais non, je ne puis me resoudre à juger si injurieusement de vous, & je suis trop interessée à vous justifier: Ie ne veux point m’imaginer que vous m’auez oubliée. Ne fuis-je pas assez malheureuse sans me tourmenter par de faux soupçons? Et pourquoy ferois-je des efforts pour ne me plus souuenir de tous les soins, que vous auez pris de me temoigner de l’amour? I’ay esté si charmée de tous ces soins, que je serois bien ingrate, si je ne vous aymois auec les mesmes emportemens, que ma Passion me donnoit, quand je joüissois des témoignages de la vostre. Comment se peut-il faire que les souuenirs des momens si agreables, soient deuenus si cruels? & faut-il que contre leur nature, ils ne seruent qu’à tyranniser mon cœur? Helas! vostre derniere lettre le reduisit en vn estrange état: il eut des mouuemens si sensibles qu’il fit, ce semble, des efforts, pour se separer de moy, & pour vous aller trouuer: Ie fus si accablée de toutes ces émotions violentes, que je demeuray plus de trois heures abandonnée de tous mes sens: je me défendis de reuenir à vne vie que je dois perdre pour vous: puis que je ne puis la cōnserver pour vous, je reuis enfin, malgré moy la lumiere, je me flatois de sentir que je mourois d’amour; & d’ailleurs j’estois bien-aise de n’estre plus exposée à voir mon cœur déchiré par la douleur de vostre absence. Apres ces accidens, j’ay eu beaucoup de differētes indispositions: mais, puis-je jamais estre sans maux, tant que je ne vous verray pas? Ie les supporte cependant sans murmurer, puis qu’ils viennent de vous. Quoy? est-ce là la recompēse, que vous me donnez, pour vous auoir si tendrement aymé? Mais il n’importe, je suis resoluë à vous adorer toute ma vie, & à ne voir jamais personne; & je vous asseure que vous ferez bien aussi de n’aymer personne. Pourriez vous estre content d’vne Passion moins ardente que la miēne? Vous trouuerez, peut-estre, plus de beauté (vous m’auez pourtant dit autrefois, que j’estois assez belle) mais vous ne trouuerez jamais tant d’amour, & tout le reste n’est rien. Ne remplissez plus vos lettres de choses inutiles, & ne m’escriuez plus de me souuenir de vous? Ie ne puis vous oublier, & je n’oublie pas aussi, que vous m’auez fait esperer, que vous viēdriez passer quelque temps auec moy. Helas! pourquoy n’y voulez vous pas passer toute vostre vie? S’il m’estoit possible de sortir de ce malheureux Cloistre, je n’attendrois pas en Portugal l’effet de vos promesses: j’irois, sans garder aucune mesure, vous chercher, vous suiure, & vous aymer par tout le monde: je n’ose me flater que cela puisse estre, je ne veux point nourrir vne esperance, qui me donneroit asseurément quelque plaisir, & je ne veux plus estre sensible qu’aux douleurs. I’auouë cependant que l’occasion, que mon frere m’a donnée de vous escrire, a surpris en moy quelques mouuemens de joye, & qu’elle a suspendu pour vn moment le desespoir, où je suis. Ie vous coniure de me dire, pourquoy vous vous estes attaché à m’enchanter, comme vous auez fait, puisque vous sçauiez bien que vous deuiez m’abandonner? Et pourquoy auez vous esté si acharné à me rendre malheureuse? que ne me laissiez vous en repos dans mon Cloistre? vous auois-ie fait quelque iniure? Mais ie vous demande pardon: ie ne vous impute rien: ie ne suis pas en estat de penser à ma vengeance, & i’accuse seulement la rigueur de mon Destin. Il me semble qu’en nous separant, il nous a fait tout le mal, que nous pouuiōs craindre; il ne sçauroit separer nos cœurs; l’amour qui est plus puissant que luy, les a vnis pour toute nostre vie. Si vous prenez quelque interest à la mienne, escriuez moy souuent. Ie merite bien que vous preniez quelque soin de m’apprendre l’estat de vostre cœur, & de vostre fortune, sur tout venez me voir. Adieu, ie ne puis quitter ce papier, il tombera entre vos mains, ie voudrois bien auoir le mesme bon-heur: Helas! insensée que ie suis, ie m’apperçois bien que cela n’est pas possible. Adieu, ie n’en puis plus. Adieu, aymez moy toûjours; & faites moy souffrir encore plus de maux.
IL me semble que je fais le plus grād tort du monde aux sentimēs de mon cœur, de tascher de vous les faire connoistre en les écriuant: que je serois heureuse, si vous en pouuiez biē iuger par la violence des vostres! mais ie ne dois pas m’en rapporter a vous, & ie ne puis m’empescher de vous dire, bien moins vivement, que je ne le sens, que vous ne devriez pas me maltraitter, comme vous faites, par vn oubly, qui me met an desespoir, & qui est mesme honteux pour vous; il est bien iuste au moins, que vous souffriez que ie me plaigne des malheurs, que i’avois bien preveus, quand ie vous vis resolu de me quitter ie connois bien que ie me suis abuseé lorsque i’ay pensé, que vous auriez vn procedé de meilleure foy, qu’on n’a accoustumé d’auoir, parce que l’excez de mon amour me mettoit, ce semble, au dessus de toutes sortes de soupçons, & qu’il meritoit plus de fidelité, qu’on n’en trouue d’ordinaire: mais la dispositiō, que vous auez à me trahir, l’emporte enfin sur la justice, que vous deuez à tout ce que i’ay fait pour vous, ie ne laisserois pas d’estre bien malheureuse, si vous ne m’aymiez, que parce que ie vous ayme, & ie voudrois tout deuoir à vostre seule inclination mais ie suis si éloignée d’estre en cét estat, que ie n’ay pas receu vne seule lettre de vous depuis six mois: j’attribuë tout ce mal-heur à l’aueuglement, auec lequel ie me suis abandonnée à m’attacher a vous: ne deuois-je pas preuoir que mes plaisirs finiroient plûtost que mon amour? pouuois-ie esperer, que vous demeureriez toute vostre vie en Portugal, & que vous renonceriez à vostre fortune & à vostre Pays, pour ne penser qu’à moy? mes douleurs ne peuuent receuoir aucun soulagement, & le souuenir de mes plaisirs me comble de desespoir: Quoy! tous mes desirs seront donc inutiles, & ie ne vous verray iamais en ma chambre avec toute l’ardeur, & tout l’emportement, que vous me faisiez voir? mais helas! je m’abuse, & je ne connois que trop, que tous les mouuemens, qui occupoient ma teste, & mon cœur, n’estoient excitez en vous, que par quelques plaisirs, & qu’ils finissoient aussi-tost qu’eux; il falloit que dans ces momens trop heureux j’appellasse ma raison à mon secours pour moderer l’excez funeste de mes delices, & pour m’annoncer tout ce que ie souffre presentement: mais ie me donnois toute à vous, & ie n’estois pas en estat de penser à ce qui eût pû empoisonner ma ioye, & m’empescher de ioüyr pleinement des témoignages ardens de vostre passion; ie m’apperceuois trop agreablement que i’estois auec vous pour penser que vous seriez vn iour éloigné de moy: ie me souuiens pourtant de vous auoir dit quelquefois que vous me rendriez malheureuse: mais ces frayeurs estoient bien-tost dissipées, & ie prenois plaisir, à vous les sacrifier, & à m’abandonner à l’enchantement, & à la mauuaise foy de vos protestations: ie voy bien le remede à tous mes maux, & i’en ferois bien-tost déliurée si ie ne vous aymois plus: mais, helas! quel remède; non i’ayme mieux souffrir encore dauantage, que vous oublier. Helas! cela dépend il de moy? Ie ne puis me reprocher d’auoir souhaité vn seul moment de ne vous plus aymer: vous estes plus à plaindre; que je ne suis, & il vaut mieux souffrir tout ce que je souffre, que de ioüir des plaisirs languisans, que vous donnent vos Maitresses de France: ie n’enuie point vostre indifference, & vous me faites pitié: Ie vous défie de m’oublier entierement: Ie me flatte de vous auoir mis en estat de n’auoir sans moy, que des plaisirs imparfaits, & ie suis plus heureuse que vous, puisque ie suis plus occupée. L’on m’a fait depuis peu Portiere en ce Conuent: tous ceux qui me parlent, croyent que ie sois fole, ie ne sçay ce que ie leur répons: Et il faut que les Religieuses soyent aussi insensées que moy, pour m’auoir crû capable de quelque soin. Ah! i’enuie le bon-heur d’Emanuel, & de Francisque; pourquoy ne suis-je pas incessamment auec vous, comme eux? ie vous aurois suiuy, & ie vous aurois asseurément seruy de meilleur cœur, ie ne souhaite rien en ce mōde, que vous voir; au moins souuenez vous de moy? ie me contente de vostre souuenir: mais ie n’ose m’en asseurer; ie no bornois pas mes esperances à vostre souuenir, quād ie vous voyois tous les iours: mais vous m’auez bien apris, qu’il faut que ie me soûmette à tout ce que vous voudrez: cependāt ie no me repēs point de vous auoir adoré, ie suis bien-aise, que vous m’ayez seduite: vostre absence rigoureuse, & peut-estre éternelle, ne diminuë en rien l’emportement de mon amour: ie veux que tout le mond le sçache, ie n’en fais point vn mystere, & ie suis rauie d’auoir fait tout ce que i’ay fait pour vous contre toute sorte de bien-seance: ie ne mets plus mon honneur, & ma religion qu’à vous aymer éperdüement toute ma vie, puisque i’ay commencé à vous aymer: ie ne vous dis point toutes ces choses, pour vous obliger à m’escrire. Ah! ne vous contraignez point; ie ne veux de vous, que ce qui viendra de vostre mouuement, & ie refuse tous les témoignages de vostre amour dont vous pourriez vous empescher: j’auray du plaisir à vous excuser, parce que vous aurez, peut-estre, du plaisir à ne pas prendre la peine de m’écrire: & ie sens vne profonde disposition à vous pardonner toutes vos fautes. Vn Officier François a eu la charité de me parler ce matin plus de trois heures de vous, il m’a dit que la paix de France estoit faite: si cela est, ne pourriez vous pas me venir voir, & m’emmener en Frāce? Mai’s ie ne le merite pas, faites tout ce qu’il vous plaira, mon amour ne depend plus de la maniere, dont vous me traiterez; depuis que vous estes party, je n’ay pas eu vn seul moment de santé, & je n’ay aucun plaisir qu’en nomment vostre nō mille fois le iour; quelques Religieuses, qui sçauent l’estat deplorable, où vous m’auez plongée, me parlent de vous fort souuent: je sors le moins qu’il m’est possible de ma chambre, où vous estes venu tant de fois, & ie regarde sans cesse vôtre portrait, qui m’est mille fois plus cher que ma vie, il me donne quelque plaisir: mais il me donne aussi bien de la douleur, lors que ie pense que ie ne vous reuerray, peut-estre jamais; pourquoy faut-il qu’il soit possible que ie ne vous verray, peut-estre, iamais? M’auez vous pour toûjours abandonnée? Ie suis au desespoir, vostre pauure Mariane n’en peut plus, elle s’éuanoüit en finissant cette Lettre. Adieu, adieu, ayez pitié de moy.
QV’est-ce que je deuiendray, & qu’est-ce que vous voulez que ie fasse? Ie me trouue bien éloignée de tout ce que j’auois preueu: I’esperois que vous m’écririez de tous les endroits, où vous passeriez, & que vos lettres seroient fort longues; que vous soustiēdrez ma Passion par l’esperance de vous reuoir, qu’vne entiere confiance en vostre fidelité me donneroit quelque sorte de repos, & que ie demeurerois cependant dans vn estat assez supportable sans d’extrèmes douleurs: j’auois mesme pensé à quelques foibles projets de faire tous les efforts dont ie serois capable, pour me guerir, si ie pouuois connoistre bien certainement que vous m’eussiez tout à fait oubliée; vostre éloignement, quelques mouuemens de deuotiō; la crainte de ruiner entierement le reste de ma santé par tant de veilles, & par tant d’inquietudes; le peu d’apparence de vostre retour: la froideur de vostre Passion, & de vos derniers adieux; vostre depart, fondé sur d’assez meschās pretextes, & mille autres raisons, qui ne sont que trop bonnes, & que trop inutiles, sembloient me promettre vn secours assez asseuré, s’il me deuenoit necessaire: n’ayant enfin à combatre que contre moy mesme, ie ne pouuois jamais me défier de toutes mes foiblesses, ny apprehender tout ce que ie souffre aujourd’huy. Helas! que ie suis à plaindre, de ne partager pas mes douleurs auec vous, & d’estre toute seule malheureuse: cette pensée me tuë, & je meurs de frayeur, que vous n’ayez iamais esté extrémement sensible à tous nos plaisirs: Oüy, ie connois presentement la mauuaise foy de tous vos mouuemens: vous m’auez trahie toutes les fois, que vous m’auez dit, que vous estiez rauy d’estre seul auec moy; ie ne dois qu’a mes importunitez vos empressemens, & vos transports; vous auiez fait de sens froid vn dessein de m’enflamer, vous n’auez regardé ma Passion que comme vne victoire, & vostre cœur n’en a jamais esté profondement touché, n’estes vous pas bien malheureux, & n’auez vous pas bien peu de delicatesse, de n’auoir sçeu profiter qu’en cette maniere de mes emportemens? Et comment est-il possible qu’auec tant d’amour ie n’aye pû vous rendre tout a fait heureux? ie regrette pour l’amour de vous seulement les plaisirs infinis, que vous auez perdus: faut-il que vous n’ayez pas voulu en ioüir? Ah! si vous les cōnoissiez, vous trouueriez sans doute qu’ils sont plus sensibles, que celuy de m’auoir abusée, & vous auriez esprouué, qu’on est beaucoup plus heureux, & qu’on sent quelque chose de bien plus touchant, quand on ayme violamment, que lors’qu’on est aymé. Ie ne sçay, ny ce que ie suis, ny ce que ie fais, ny ce que ie desire: ie suis deschirée par mille mouuemens contraires: Peut-on s’imaginer vn estat si deplorable? Ie vous ayme éperduëment, & ie vous mesnage assez pour n’oser, peut-estre, souhaiter que vous soyez agité des mesmes transports: ie me tuërois, ou ie mourrois de douleur sans me tuër, si j’estois asseurée que vous n’auez jamais aucun repos, que vostre vie n’est que trouble, & qu’agitation, que vous pleurez sans cesse, & que tout vous est odieux; je ne puis suffire à mes maux, comment pourrois-je supporter la douleur, que me donneroient les vostres, qui me seroient mille fois plus sensibles? Cependant ie ne puis aussi me resoudre à desirer que vous ne pensiez point à moy; & à vous parler sincerement, ie suis ialouse auec fureur de tout ce qui vous donne de la joye, & qui touche vostre cœur, & vostre goust en France. Ie ne sçay pourquoy ie vous écris, ie voy bien que vous aurez seulement pitié de moy, & ie ne veux point de vostre pitié; j’ay bien du depit cōtre moy-mesme, quand ie sais reflexion sur tout ce que ie vous ay sacrifié: j’ay perdu ma reputation, je me suis exposée a la fureur de mes parens, à la severité des loix de ce Païs contre les Religieuses, & à vostre ingratitude, qui me paroist le plus grand de tous les malheurs: cependant je sens bien que mes remors ne sont pas veritables, que ie voudrois du meilleur de mon cœur, auoir couru pour l’amour de vous de plus grans dangers, & que i’ay vn plaisir funeste d’auoir hazardé ma vie & mō honneur, tout ce que i’ay de plus precieux, ne devoit-il pas estre en vostre disposition? Et ne dois-je pas estre bien aise de l’auoir employé, comme i’ay fait: il me semble mesme que ie ne suis gueres contente ny de mes douleurs, ny de l’excez de mon amour, quoi que ie ne puisse, helas! me flater assez pour étre contente de vous; je vis, infidelle que ie suis, & ie fais autant de choses pour conserver ma vie, que pour la perdre, Ah! j’en meurs de honte: mon desespoir n’est donc que dans mes Lettres? Si je vous aimois autant que ie vous l’ay dit mille fois, ne serois-je pas morte, il y a long-temps? Ie vous ay trompé, c’est à vous à vous plaindre de moy: Helas! pourquoy ne vous en plaignez vous pas? Ie vous ay veu partir, ie ne puis esperer de vous voir iamais de retour, & ie respire cependant: ie vous ay trahy, ie vous en demande pardon: mais ne me l’accordez pas? Traittez moy seueremēt? Ne trouuez point que mes sentimens soient assez violens? Soyez plus difficile à contēter? Mandez moy que vo’ voulez que ie meure d’amour pour vous? Et ie vous conjure de me donner ce secours, afin que ie surmonte la foiblesse de mon sexe, & que ie finisse toutes mes irresolutions par vn veritable desespoir; vne fin tragique vo’ obligeroit sans doute à penser souuent à moy, ma memoire vous seroit chere, & vous seriez, peut-estre, sensiblement touché d’vne mort extraordinaire, ne vaut-elle pas mieux que l’estat, où vous m’auez reduite? Adieu, ie voudrois bien ne vous auoir iamais veu. Ah! ie sens viuement la fausseté de ce sentiment, & ie connois dans le moment que ie vous écris, que i’aime bien mieux estre malheureuse en vo’ aimant, que de ne vous auoir iamais veu; je consens donc sans murmure à ma mauuaise destinée, puisque vous n’auez pas voulu la rendre meilleure. Adieu, promettez, moy de me regretter tendrement, si ie meurs de douleur, & qu’au moins la violence de ma Passion vous donne du dégoust & de l’éloignement pour toutes choses; cette consolation me suffira, & s’il faut que ie vous abandonne pour toûjours, ie voudrois bien ne vous laisser pas à vne autre. Ne seriez vous pas bien cruel de vous seruir de mon desespoir, pour vous rendre plus aimable, & pour faire voir, que vous auez donné la plus grande Passion du monde? Adieu encore vne fois, ie vous écris des lettres trop longues, je n’ay pas assez d’égard pour vous, ie vous en demande pardon, & j’ose esperer que vous aurez quelque indulgence pour vne pauure insensée, qui ne l’estoit pas, comme vous sçauez, auant qu’elle vous aimât. Adieu, il me semble que ie vous parle trop souuent de l’estat insuportable où ie suis: cependant ie vous remercie dans le fonds de mon cœur du desespoir, que vous me causez, & ie deteste la tranquillité, où j’ay vescu, auant que je vous connusse. Adieu, ma Passion augmente à chaque moment. Ah! que j’ay de choses à vous dire.
VOstre Lieutenant vient de me dire, qu’vne tempeste vous a obligé de relascher au Royaume d’Algarve: je crains que vous n’ayez beaucoup souffert sur la mer, & cette apprehension m’a tellement occupée; que je n’ay plus pensé à tous mes maux, estes vous bien persuadé que vostre Lieutenant prenne plus de part que moy à tout ce qui vous arriue? Pourquoy en est-il mieux informé, & enfin pourquoi ne m’auez vous point écrit? Ie suis bien malheureuse, si vous n’en aués trouué aucune occasion depuis vostre depart, & ie la suis bien dauantage, si vous en aués trouué sans m’écrire; vostre injustice & vostre ingratitude sont extrémes: mais ie serois au desespoir, si elles vous attiroient quelque malheur, & j’aime beaucoup mieux qu’elles demeurent sans punition, que si j’en estois vangeé: je resiste à toutes les apparences, qui me deuroient persuader, que vous ne m’aimés gueres, & ie sens bien plus de disposition à m’abandonner aueuglement à ma Passion, qu’aux raisons, que vo’ me donnez de me plaindre de vostre peu de soin: que vous m’auriés épargné d’inquietudes, si vostre procedé eust esté aussi languissant les premiers jours, que je vous vis, qu’il m’a parû depuis quelque temps! mais qui n’auroit esté abuseé, comme moy, par tant d’empressement, & à qui n’eussent-ils paru sinceres? Qu’on a de peine à se resoudre à soupçonner longtemps la bonne foy de ceux qu’on aime! ie voy bien que la moindre excuse vous suffit, & sans que vous preniez le soin de m’en faire, l’amour que i’ay pour vous, vous sert si fidelemēt, que ie ne puis consentir à vo’ trouuer coupable, que pour joüir du sensible plaisir de vous justifier moy-même. Vous m’auez consommée par vos assiduitez, vous m’auez enflamée par vos transports, vo’ m’auez charmée par vos complaisances, vous m’auez asseurée par vos sermens, mon inclinatiō violente m’a seduite, & les suites de ces commencemēs si agreables, & si heureux ne sont que des larmes, que des soûpirs, & qu’vne mort funeste, sans que ie puisse y porter aucun remede. Il est vray que i’ay eu des plaisirs bien surprenans en vous aimant: mais ils me coustent d’estranges douleurs, & tous les mouuemēs, que vous me causez, sont extrémes. Si i’auois resisté auec opiniâtreté à vostre amour, si je vous auois donné quelque sujet de chagrin, & de jalousie pour vous enflamer dauantage, si vous auiez remarqué quelque mesnagement artificieux dans ma conduite, si i’auois enfin voulu opposer ma raison à l’inclination naturelle que j’ay pour vous, dont vo’ me fistes bien-tost apperceuoir (quoy que mes efforts eussent esté sans doute inutiles) vous pourriez me punir seuerement, & vous seruir de vostre pouuoir: mais vous me parustes aimable, auant que vous m’eussiez dit, que vous m’aimiez, vous me témoignastes vne grande Passion, j’en fûs rauie, & ie m’abandonnay à vous aimer éperduëment, vous n’estiés point aueuglé, comme moy, pour-quoy aués vo’ donc souffert que ie deuinsse en l’estat où ie me trouue? qu’est-ce que vous vouliez faire de tous mes emportemens, qui ne pouuoient vous estre que tres-importuns? Vous sçauiez bien que vous ne seriez pas toûjours en Portugal, & pourquoy m’y aués vous voulu choisir pour me rendre si malheureuse, vous eussiés trouué sans doute en ce Païs quelque femme qui eust esté plus belle, auec laquelle vous eussiés eu autant de plaisir, puisque vous n’en cherchiés que de grossiers, qui vo’ eut fidelement aimé aussi long-temps qu’elle vous eut veu, que le temps eust pû consoler de vostre absence, & que vous auriés pû quitter sans perfidie, & sans cruauté: ce procedé est biē plus d’vn Tyran, attaché à persecuter, que d’vn Amant, qui ne doit penser qu’à plaire; Helas! Pourquoy exercés vous tant de rigueur sur vn cœur, qui est à vous? Ie voy bien que vous estes aussi facile à vous laisser persuader contre moy, que ie l’ay esté à me laisser persuader en vostre faueur; j’aurois resisté, sans auoir besoin de tout mon amour, & sans m’apperceuoir que j’eusse rien fait d’extraordinaire, à de plus grandes raisons, que ne peuuēt estre celles, qui vo’ ont obligé à me quitter: elles m’eussent parû bien foibles, & il n’y en a point, qui eussent jamais pû m’arracher d’aupres de vous: mais vous aués voulu profiter des pretextes, que vous aués trouués de retourner en Frāce; vn vaisseau partoit, que ne le laissiés vous partir? vostre famille vous auoit escrit, ne sçaués vous pas toutes les persecutions, que j’ay souffertes de la mienne? Vostre hōneur vous engageoit à m’abandonner, ay-je pris quelque soin du mien? Vous estiés obligé d’aller seruir vostre Roy, si tout ce qu’on dit de luy, est vray, il n’a aucun besoin de vostre secours, & il vous auroit excusé; j’eusse esté trop heureuse, si nous auions passé nostre vie ensemble: mais puisqu’il falloit qu’vne absence cruelle nous separât, il me semble que je dois estre bien aise de n’auoir pas esté infidele, & ie ne voudrois pas pour toutes les choses du mōde, auoir commis vne action si noire: Quoy! vous auez connu le fonds de mon cœur, & de ma tendresse, & vous auez pû vous resoudre à me laisser pour iamais, & à m’exposer aux frayeurs, que ie dois auoir, que vous ne vous souuenez plus de moy, que pour me sacrifier à vne nouuelle Passion? Ie voy bien que ie vous aime, comme vne folle: cependant ie ne me plains point de toute la violence des mouuemens de mō cœur, ie m’accoustume à ses persecutions, & ie ne pourrois viure sans vn plaisir, que ie descouure, & dont ie joüis en vous aimāt au milieu de mille douleurs: mais ie suis sans cesse persecutée auec un extréme desagréemēt par la haine, & par le dégoustt que j’ay pour toutes choses; ma famille, mes amis & ce Conuent me sont insuportables; tout ce que ie suis obligeé de voir, et tout ce qu’il faut que ie fasse de toute necessité, m’est odieux: je suis si jalouse de ma Passion, qu’il me semble que toutes mes actions, & que tous mes deuoirs vous regardent: Oüy, ie fais quelque scrupule, si ie n’employe tous les momens de ma vie pour vous; que ferois-je, helas! sans tant de haine, & sans tant d’amour, qui remplissent mon cœur? Pourrois-je surviure à ce qui m’occupe incessamment, pour mener vne vie tranquille & languissante? Ce vuide & cette insensibilité ne peuuent me conuenir. Tout le monde s’est apperceu du changement entier de mon humeur, de mes manieres, & de ma persōne, ma Mere m’en a parlé auec aigreur, & ensuite auec quelque bonté, ie ne sçay ce que ie luy ay répondu, il me semble que ie luy ay tout auoüé. Les Religieuses les plus seueres ont pitié de l’estat où je suis, il leur donne mesme quelque consideration, & quelque menagemēt pour moy; tout le monde est touché de mon amour. & vo’ demeurez dans vne profonde indiference, sans m’escrire, que des lettres froides; pleines de redites; la moitié du papier n’est pas remply, & il paroist grossierement que vous mourez d’enuie de les auoir acheuées. Dona Brites me persecuta ces jours passez pour me faire sortir de ma chambre, & croyant me diuertir, elle me mena promener sur le Balcon, d’où l’on voit Mertola, je la suiuis, & je fûs aussi-tost frapée d’vn souuenir cruel, qui me fit pleurer tout le reste du jour: elle me ramena, & ie me jettay sur mon lict, où ie fis mille réflexions sur le peu d’apparence, que ie voy de guerir jamais: ce qu’on fait pour me soulager, aigrit ma douleur, & ie trouue dans les remedes mesmes des raisons particulieres de m’afliger: je vous ay veu souuent passer en ce lieu auec vn air, qui me charmoit, & j’estois sur ce Balcon le jour fatal, que ie cōmençay à sentir les premiers effets de ma Passion malheureuse: il me sembla que vous vouliez me plaire, quoy que vous ne me connussiez pas: je me persuaday que vous m’auiez remarquée entre toutes celles, qui estoient auec moy, ie m’imaginay que lors que vous vous arrestiez, vous estiez bien aise, que ie vous visse mieux, & i’admirasse vostre adresse, & vostre bonne grace, lors que vous poussiez vôtre cheual, i’estois surprise de quelque frayeur, lors que vous le faisiez passer dans vn endroit difficile: enfin je m’interessois secrettement à toutes vos actions, je sentois bien que vous ne m’estiez point indifferent, & ie prenois pour moy tout ce que vous faisiez: vous ne connoissez que trop les suites de ces commencemens, & quoy que ie n’aye rien à mesnager, ie ne dois pas vous les escrire, de crainte de vous rendre plus coupable, s’il est possible que vous ne l’estes, & d’auoir à me reprocher tant d’efforts inutiles pour vous obliger à m’estre fidele, vous ne le serez point: Puis-je esperer de mes lettres & de mes reproches ce que mon amour & mon abandonnement n’ont pû sur vostre ingratitude? Ie fuis trop asseurée de mon malheur, vostre procedé injuste ne me laisse pas la moindre raison d’en douter, & ie dois tout apprehender, puisque vous m’auez abandonée. N’aurez vous de charmes que pour moy, & ne paroistrez vous pas agreable à d’autres yeux? Ie croy que ie ne seray pas fâchée que les sentimens des autres iustifient les miens en quelque façon, & ie voudrois que toutes les femmes de France vous trouuassent aimable, qu’aucune ne vous aimât, & qu’aucune ne vous plût: ce projet est ridicule, & impossible: neantmoins j’ay assez éprouué que vous n’estes gueres capable d’vn grand entestement, & que vous pourrez bien m’oublier sans aucun secours, & sans y estre contraint par vne nouuelle Passion: peut-estre, voudrois-je que vous eussiez quelque pretexte raisonnable? Il est vray, que ie serois plus malheureuse, mais vous ne seriez pas si coupable: je voy bien que vovs demeurerez en Frāce sans de grands plaisirs, auec vne entiere liberté; la fatigue d’vn long voyage, quelque petite bien-seance, & la crainte de ne répondre pas à mes transports, vous retiennent: Ah! ne m’apprehendez point? Ie me contenteray de vous voir de temps en temps, & de sçauoir seulement que no’ sommes en mesme lieu: mais ie me flatte, peut-estre, & vous serez plus touché de la rigueur & de la seuerité d’vne autre, que vous ne l’auez esté de mes faueurs; est-il possible que vous serez enflammé par de mauuais traittemens? Mais auant que de vous engager dans vne grande Passion, pensez bien à l’excez de mes douleurs, à l’incertitude de mes projets, à la diuersité de mes mouuemens, à l’extrauagance de mes Lettres, à mes confiances, à mes desespoirs, à mes souhaits, à ma jalousie? Ah! vous allez vous rendre malheureux; je vous conjure de profiter de l’estat où ie suis, & qu’au moins ce que ie souffre pour vous, ne vous soit pas inutile? Vous me fites, il y a cinq ou six mois vne fascheuse confidēce, & vo’ m’auoüâtes de trop bonne foy, que vous auiez aimé vne Dame en vostre Païs: si elle vous empesche de reuenir, mādez-le moy sans ménagement? afin que ie ne languisse plus? quelque reste d’esperance me soustiēt encore, & ie seray bien aise (si elle ne doit auoir aucune suite) de la perdre tout à fait, & de me perdre moy-mesme; enuoyez moy son portrait auec quelqu’vne de ses Lettres? Et escriuez moy tout ce qu’elle vous dit? I’y trouuerois, peut-estre, des raisons de me consoler, ou de m’affliger dauantage, ie ne puis demeurer plus long-temps dās l’estat où ie suis, & il n’y a point de chāgement, qui ne me soit fauorable: Ie voudrois aussi auoir le portrait de vostre frere & de vostre Belle-sœur: tout ce qui vous est quelque chose, m’est fort cher, & ie suis entierement deuoüée à ce qui vous touche: je ne me suis laissé aucune disposition de moy-mesme; Il y a des momens, où il me semble que j’aurois affez de soûmission pour seruir celle, que vous aimez; vos mauuais traittemēs, & vos mépris m’ont tellement abatuë, que ie n’ose quelque fois penser seulement, qu’il me semble que ie pourrois estre jalouse sans vous déplaire, & que ie croy auoir le plus grand tort du monde de vous faire des reproches: je suis souuent conuaincuë, que ie ne dois point vous faire voir auec fureur, comme ie fais, des sentimens, que vo’ desauoüez. Il y a long-temps qu’vn Officier attend vostre Lettre, i’auois resolu de l’escrire d’vne maniere à vo’ la faire receuoir sans dégoust: mais elle est trop extrauagante, il faut la finir: Helas! il n’est pas en mon pouuoir de m’y resoudre, il me semble que je vous parle, quand ie vous escris, & que vous m’estes vn peu plus present; La premiere ne sera pas si longue, ny si importune, vous pourrez l’ouurir & la lire sur l’asseurance, que ie vous donne, il est vray que ie ne dois point vous parler d’vne passion, qui vous déplaist, & ie ne vous en parleray plus. Il y aura vn an dans peu de jours que ie m’abandonnay toute à vous sans ménagement: vostre Passion me paroissoit fort ardente, & fort sincere, & ie n’eusse jamais pensé que mes faueurs vo’ eussent assez rebuté, pour vous obliger à faire cinq cens lieuës, & à vous exposer à des naufrages, pour vo’ en éloigner; personne ne m’estoit redeuable d’vn pareil traittement: vous pouuez vous souuenir de ma pudeur, de ma confusion & de mon desordre, mais vous ne vous souuenez pas de ce qui vous engageroit à m’aimer malgré vous. L’Officier, qui doit vous porter cette Lettre, me mande pour la quatrième fois, qu’il veut partir, qu’il est pressant, il abandonne sans doute quelque malheureuse en ce Païs. Adieu, j’ay plus de peine à finir ma Lettre, que vo’ n’en auez eu à me quitter, peut-estre, pour toûjours. Adieu, ie n’ose vous donner mille noms de tendresse, ny m’abandonner sans cōtrainte à tous mes mouuemens: ie vo’ aime mille fois plus que ma vie, & mille fois plus que ie ne pense; que vous m’estes cher! & que vous m’estes cruel! vous ne m’escriuez point, ie n’ay pû m’empescher de vo’ dire encore cela; je vay recommencer, & l’Officier partira; qu’importe, qu’il parte, j’écris plus pour moy, que pour vous, ie ne cherche qu’à me soulager, aussi bien la longueur de ma lettre vous fera peur, vous ne la lirez point qu’est-ce que j’ay fait pour estre si malheureuse? Et pourquoy auez vous empoisonné ma vie? Que ne suis-je née en vn autre Païs. Adieu, pardonnez moy? Ie n’ose plus vous prier de m’aimer; voyez où mon destin m’a reduite? Adieu.
JE vous écris pour la derniere fois, & j’espere vous faire connoître par la differance des termes, & de la maniere de cette Lettre, que vous m’auez enfin persuadée que vous ne m’aymiez plus, & qu’ainsi je ne dois plus vous aymer: Ie vous r’enuoyeray donc par la premiere voye tout ce qui me reste encore de vous: Ne craignez pas que je vous écriue; je ne mettray pas mesme vostre nom audessus du pacquet; j’ay chargé de tout ce détail Dona Brites, que j’auois accoustumée à des confidences bien éloignées de celle-cy; ses soins me seront moins suspects que les miens, elle prendra toutes les precautions necessaires, afin de pouuoir m’asseurer que vous auez receu le portrait & les bracelets que vous m’auez donnés: Ie veux cependant que vous sçachiez que je me sens, depuis quelques jours, en estat de brûler, & de déchirer ces gages de vostre Amour, qui m’estoient si chers, mais ie vous ay fait voir tant de foiblesse, que vous n’auriés jamais crû que j’eusse peu deuenir capable d’vne telle extremité, je veux donc joüir de toute la peine que j’ay euë à m’en separer, & vous dormer au moins quelque dépit: Ie vous aduoüe à ma honte & à la vostre, que ie me suis trouuée plus attachée que ie ne veux vous le dire, à ces bagatelles, & que i’ay senty que j’auois vn nouueau besoin de toutes mes reflexions, pour me défaire de chacune en particulier, lors mesme que ie me flattois de n’estre plus attachée à vous: Mais on vient about de tout ce qu’on veut, auec tant de raisons: Ie les ay mises entre les mains de Dona Brites; que cette resolution ma cousté de larmes! Apres mille mouuements & milles incertitudes que vous ne connoissez pas, & dont ie ne vous rendray pas compte assurement. Ie l’ay coniurée de ne m’en parler iamais, de ne me les rēdre iamais, quand mesme ie les demanderois pour les reuoir encore vne fois, & de vous les renuoyer, enfin, sans m’en aduertir.
Ie n’ay bien connû l’excés de mon Amour que depuis que i’ay voulu faire to’ mes efforts pour m’en guerir, & ie crains que ie n’eusse osé l’entreprendre, si i’eusse pû préuoir tant de difficultées & tant de violences. Ie suis persuadée que j’eusse senti des mouuemens moins desagreables en vo’ aymant tout ingrat qve vous estes, qu’en vous quittant pour tousiours. I’ay éprouué que vous m’estiez moins cher que ma passion, & j’ay eu d’estranges peines à la combattre, apres que vos procedés iniurieux m’ont rendu vostre personne odieuse.
L’orgueil ordinaire de mon sexe ne m’a point aydé à prendre des resolutions contre vous; Helas! j’ay souffert vos mepris, j’eusse supporté vôtre haisne & toute la jalousie que m’eust dōné l’attachement que vous eussiez peu auoir pour vn autre, j’aurois eu, au moins quelque passion à combattre, mais vostre indifference m’est insupportable; vos impertinantes protestations d’amitié, & les ciuilités ridicules de vostre derniere lettre, m’ōt fait voir que vous auiez receu toutes celles que je vous ay écrites, qu’elles n’ont causé dans vostre cœur aucun mouuement, & que cependant vous les auez luës: Ingrat, je suis encore assez folle pour estre au desespoir de ne pouuoir me flatter qu’elles ne soient pas venuës jusques à vous, & qu’on ne vous les aye pas renduës; Ie deteste vostre bonne foy, vous auois-je prié de me māder sinceremēt la verité, que ne me laissiez vous ma passion; vous n’auiez qu’à ne me point écrire; ie ne cherchois pas à estre éclaircie; ne suis-je pas bien malheureuse de n’auoir pû vous obliger à prēdre quelque soin de me tromper? & de n’estre plus en estat de vous excuser. Sçachez que je m’aperçois que vous estes indigne de tous mes sentimens, & que je connois toutes vous méchantes qualitez: Cependāt (si tout ce que j’ay fait pour vous peut meriter que vous ayez quelque petits égards pour les graces que ie vous demande) je vous coniure de ne m’écrire plus, & de m’ayder à vous oublier entierement, si vous me témoigniez foiblement, mesme, que vous auez eu quelque peine en lisāt cette lettre, je vo’ croirois peut-estre; & peut-estre aussi vostre adueu & vôtre consentement me donneroient du dépit & de la colere, & tout cela pourroit m’enflamer: Ne vous meslez donc point de ma conduite, vous renuerseriez, sans doute, tous mes proiets, de quelque maniere que vous voulussiez y entrer; je ne veux point sçauoir le succés de cette lettre; ne troublés pas l’estat que ie me prepare, il me semble que vous pouuez estre content des maux que vous me causés (quelque dessein que vous eussiez fait de me rendre mal’heureuse): Ne m’ostez point de mon incertitude; i’espere que j’en feray, auec le temps, quelque chose de tranquille: Ie vous promets de ne vous point hayr, ie me défie trop des sentimens violents, pour oser l’entreprendre. Ie suis persuadeé que ie trouuerois peut-estre, en ce pays vn Amant plus fidele & mieux fait; mais helas! qui pourra me donner de l’amour? la passion d’vn autre m’occupera-t’elle? La mienne a t’elle pû quelque chose sur vous? N’éprouue-je pas qu’vn cœur attendry n’oublie jamais ce qui l’a fait apperceuoir des trāsports qu’il ne connoissoit pas, & dont il estoit capable; que tous ses mouuemens sont attachés à l’Idole qu’il s’est faite; que ses premieres idées & que ses premieres blessures ne peuuent estre ny gueries ny effacées; que toutes les passions qui s’offrent à son secours & qui font des efforts pour le remplir & pour le contenter, luy promettent vainement vne sensibilité qu’il ne retrouue plus, que tous les plaisirs qu’il cherche sans aucune enuie de les rencontrer, ne seruent qu’à luy faire bien connoître que rien ne luy est si cher, que le souuenir de ses douleurs. Pourquoy m’auez vo’ fait connoître l’imperfectiō & le desagréement d’vn attachement qui ne doit pas durer eternellement, & les mal-heurs qui suiuent vn amour violent, lors qu’il n’est pas reciproque, & pourquoy vne inclinatiō aueugle & vne cruelle destineé s’attachent-elles, d’ordinaire, à nous déterminer pour ceux qui seroient sensibles pour quelque autre.
Quand mesme je pourrois esperer quelque amusemēt dans vn nouuel engagement, & que je trouuerois quelqu’vn de bonne foy, j’ay tant de pitié de moy-mesme, que je ferois beaucoup de scrupule de mettre le dernier homme du monde en l’estat où vous m’auez reduite, & quoy que je ne sois pas obligée à vous ménager; je ne pourrois me resoudre à exercer sur vous, vne vengeance si cruelle, quand mesme elle dependeroit de moy, par vn changement que je ne preuois pas.
Ie cherche dans ce moment à vous excuser, & je cōprend bien qu’vne Religieuse n’est guere aymable d’ordinaire: Cependant il semble que si on estoit capable de raisons, dans les choix qu’on fait, on deueroit plustost s’attacher à elles qu’aux autres femmes, rien ne les empesche de penser incessāment à leur passion, elles ne sont point détourneés par mille choses qui dissipent & qui occupent dans le monde, il me semble qu’il n’est pas fort agreable de voir celles qu’on ayme, tousiours distraites par mille bagatelles, & il faut auoir bien peu de delicatesse, pour souffrir (sans en estre au desespoir) qu’elles ne parlent que d’assembleés, d’aiustements, & de promenades; on est sans cesse exposé à de nouuelles jalousies; elles sont obligeés à des égards, à des complaisances, à des conuersations: qui peut s’asseurer qu’elles n’ont aucun plaisir dans toutes ces occasions, & qu’elles souffrent tousiours leurs marys auec vn extrême dégoust, & sans aucun consentement; Ah! qu’elles doiuent se défier d’vn Amant qui ne leur fait pas rendre vn compte bien exact là dessus, qui croit aisément & sans inquietude ce qu’elles luy disent, & qui les voit auec beaucoup de confiance & de tranquilité suietes à tous ces deuoirs: Mais je ne pretens pas vous prouuer par de bonnes raisons, que vous deuiez m’aymer; ce sont de tres-méchans moyens, & j’en ay employé de beaucoup meilleurs qui ne m’ont pas reüssi; je connois trop bien mon destin pour tâcher à le surmonter; je seray mal-heureuse toute ma vie; ne l’éstois-je pas en vous voyāt tous les iours, je mourois de frayeur que vous ne me fussiez pas fidel, je voulois vous voir à tous moments, & cela n’estoit pas possible, j’estois troubleé par le peril que vous couriez en entrant dans ce Conuent; ie ne viuois pas lors que vous estiez à l’armée, i’estois au desespoir de n’estre pas plus belle & plus digne de vous, ie murmurois contre la mediocrité de ma condition, ie croyois souuēt que l’attachement que vous paroissiez auoir pour moy, vous pourroit faire quelque tort, il me sembloit que je ne vous aymois pas assez, j’apprehendois pour vous la colere de mes parents, & j’estois enfin dans vn estat aussi pitoyable qu’est celuy où je suis presentement; si vous m’eussiez donné quelques témoignages de vostre passion depuis que vo’ n’estes plus en Portugal; j’aurois fait tous mes efforts pour en sortir, je me fusse déguisée pour vo’ aller trouuer; helas! qu’est-ce que je fusse deuenuë, si vous ne vous fussiez plus souciée de moy, apres que j’eusse esté en France; quel desordre? quel égarement? quel cōble de honte pour ma famille, qui m’est fort chere depuis que je ne vous ayme plus. Vous voyez bien que je cōnnois de sens froid qu’il estoit possible que je fusse encore plus à plaindre que ie ne suis; & ie vous parle, au moins, raisonnablement vne fois en ma vie; que ma moderatiō vous plaira, & que vous serez content de moy; je ne veux point le sçauoir, je vous ay desia prié de ne m’écrire plus, & je vous en coniure encore.
N’auez vous jamais fait quelque reflexion sur la maniere dont vous m’auez traitée, ne pensez vous iamais que vous m’auez plus d’obligation qu’à personne du monde; je vous ay aymé comme vne incensée; que de mépris j’ay eu pour toutes choses! vostre procedé n’est point d’vn honneste homme, il faut que vous ayez eu pour moy de l’auersion naturelle, puis que vous ne m’auez pas aymée éperduëment; je me suis laissée enchanter par des qualitez tres-mediocres, qu’auez vous fait qui deust me plaire? quel sacrifice m’auez vous fait? n’auez vous pas cherché mille autres plaisirs? auez vous renoncé au jeu, & à la chasse? n’estes vous pas parti le premier pour aller à l’Armée? n’en estes-vous pas reuenu apres tous les autres, vous vous y estes exposé folement, quoy que je vous eusse prié de vous ménager pour l’amour de moy, vous n’auez point cherché les moyens de vous establir en Portugal? où vous estiez estimé; vne lettre de vostre frere vous en a fait partir, sans hesiter vn moment, & n’ay-je pas sçeu que durant le voyage vous auez esté de la plus belle humeur du monde. Il faut aduoüer que ie suis obligée à vous haïr mortellement; ah! ie me suis attirée tous mes mal-heurs: je vous ay d’abord accoustumé à vne grande passion, auec trop de bonne foy, & il faut de l’artifice pour se faire aymer, il faut chercher auec quelque adresse les moyens d’enflâmer, & l’amour tout seul ne donne point de l’amour, vous vouliez que ie vous aymasse, & comme vous auiez formé ce dessein, il n’y a rien que vous n’eussiez fait pour y paruenir, vous vous fussiez mesme resolu à m’aymer, s’il eut esté necessaire; mais vous auez connu que vous pouuiez reussir dans vostre entreprise sans passion, & que vous n’en auiez aucun besoin, quelle perfidie? croyés vous auoir pû impunement me tromper, si quelque hazard vous r’amenoit en ce pays, ie vous declare que ie vous liureray à la vengeance de mes parents. I’ay vécu long-temps dans vn abandonnement & dans vne idolatrie qui me donne de l’horreur, & mon remords me persecute auec vne rigueur insupportable, ie sens viuement la honte des crimes que vo’ m’auez fait commettre, & ie n’ay plus, helas! la passion qui m’empeschoit d’en connoistre l’énormité; quand est-ce que mon cœur ne sera plus dechiré? quand est-ce que ie seray deliurée de cét embarras, cruel! cependant je croy que ie ne vous souhaitte point de mal, & que je me resouderois à consentir que vous fussiez heureux; mais cōmēt pourrés vous l’estre si vous aués le cœur biē fait; je veux vous écrire vne autre Lettre, pour vous faire voir que ie seray peut-estre plus tranquille dans quelque tēps; que j’auray de plaisir de pouuoir vous reprocher vos procedés iniustes aprés que ie n’en seray plus si viuement touchée, & lors que ie vous seray connoistre que ie vous méprise, que ie parle auec beaucoup d’indifference de vostre trahison; que j’ay oublié tous mes plaisirs, & toutes mes douleurs, & que ie ne me souuiens de vous que lors que ie veux m’en souuenir. Ie demeure d’accord que vous auez de grands aduantages sur moy, & que vous m’auez donné vne passion qui ma fait perdre la raison, mais vous deuez en tirer peu de vanité; j’estois jeune, j’estois credule, on m’auoit enfermée dans ce convēt depuis mon enfance, ie n’auois veu que des gens desagreables, je n’auois jamais entendu les loüanges que vous me donniez incessamment, il me sembloit que je vous deuois les charmes, & la beauté que vo’ me trouuiez, & dont vous me faisiez apperceuoir, j’entendois dire du bien de vous, tout le monde me parloit en vostre faueur, vous faisiez tout ce qu’il falloit pour me donner de l’amour; mais ie suis, enfin, reuenuë de cét enchantement, vous m’auez dōné de grands secours, & j’aduoüe que j’en auois vn extrême besoin: En vous renuoyant vos lettres, je garderay soigneusement les deux dernieres que vous m’auez écrites, & ie les reliray encore plus souuent que ie n’ay leu les premieres, afin de ne retomber plus dans mes foiblesses, Ah! quelles me coûtēt cher, & que i’aurois esté heureuse, si vous eussiez voulu souffrir que ie vous eusse toûjours aimé. Ie connois bien que ie suis encore vn peu trop occupée de mes reproches & de vostre infidelité; mais souuenez-vous que ie me suis promise vn estat plus paisible, & que j’y paruiendray, ou que ie prēdray contre moy quelque resolution extrême, que vous apprendrez sans beaucoup de déplaisir; mais ie ne veux plus rien de vous, ie suis vne folle de redire les mesmes choses si souuent, il faut vous quitter & ne penser plus à vous, ie croy mesme que je ne vous écriray plus, suis-je obligée de vous rendre vn compte exact de to’ mes diuers mouuements.
FIN.
Par Grace & Priuilege du Roy, donné à Paris le 28. jour d’Octobre 1668. Signé par le Roy en son Conseïl, Margeret. Il est permis à Clavde Barbin, Marchand Libraire, de faire imprimer vn Liure intitulé, Lettres Portugaises, pendant le temps & espace de cinq années; Et deffenses sont faites à tous autres de l’Imprimer, sur peine de quinze cent liures d’amande, de tous dépens, dommages & interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres de Priuilege.
Acheué d’imprimer pour la premiere fois le 4. Ianuier, 1669.
Les Exemplaires ont esté fournis.
Registré sur le Liure de la Communauté de Marchands Libraires & Imprimeurs de cette Ville, suiuant & conformement à Arrest de la Cour de Parlement du 8. Avril, 1653, aux charges & conditions portées par le present Priuilege. Fait à Paris le 17 Nouembre 1668.
Sovbron, Syndic.