← Retour

Traité du Pouvoir du Magistrat Politique sur les choses sacrées

16px
100%

Il est maintenant aisé de se convaincre que les Écrivains Ecclésiastiques ont indifféremment appliqué le nom de Prêtres, ou de Senieurs, soit aux Vieillards, autant qu'ils étoient dans l'Église, soit aux Magistrats qui en sont une portion, soit aux Pasteurs: instruction pour ceux qui expliqueront témérairement, & sans des motifs puissans, les passages de l'Écriture-Sainte qui parlent des Prêtres, autrement que les Pères, contemporains des Apôtres, & mieux instruits de la vraie signification de ce terme.

3°. Il est tems de développer les Oracles que les Saintes Écritures ont dictés. Ces Assesseurs, choisis pour aider les Pasteurs, ne sont pas d'institution divine: penser autrement, ce seroit tacitement reprocher à l'Église d'avoir pendant plusieurs siècles éludé le précepte divin, reproche que je me garderai bien de lui faire: aussi l'opinion contraire n'a-t'elle aucune vraisemblance, quoique les Sçavans l'ayent déjà renversée. L'exécution de mon projet veut que je répète ce qui a été si habilement manié, & que j'y joigne des réflexions, qui répandront un nouveau jour sur cette question.

Le premier passage qu'on oppose, est tiré de S. Mathieu, où J. C. parle ainsi: Dites à l'Église. On conclut de là que J. C. a prescrit l'établissement d'un Sanhédrin, composé de Prêtres & de Citoyens pour veiller au Gouvernement de l'Église. C'est ainsi qu'on compose les Sanhédrins ecclésiastiques: les anciens & les modernes ont différemment commenté les paroles de J. C. Comme il seroit long de copier leurs observations, je dirai ce que j'en pense, & cela les renfermera presque toutes. Il ne faut pas aisément désespérer du salut d'un homme qui nous aura nui, il est des degrés de correction; l'aller d'abord trouver sans témoins, & tâcher de le ramener, s'il est possible; si cette démarche n'a aucun succès, se faire escorter d'un, deux, ou trois amis, aux instances desquels peut-être il fléchira.

J. C. jusqu'à présent ne donne pas un conseil inconnu aux Juifs. Le Livre, nommé Musar, expose, s'il ne veut pas se réconcilier, par la médiation de deux ou trois amis, qu'on l'abandonne à lui-même, car il est incorrigible. Ce Livre ajoute dans un endroit un nouveau degré: «Si l'autorité d'amis n'a aucun effet, qu'on lui en fasse l'affront devant plusieurs, J. C. dont la clémence ne sçait point se lasser, & à laquelle il veut que nous nous conformions, loin de désapprouver ces tentatives, nous invite à tout tenter, avant que de regarder cet homme comme incorrigible; mais après cela, dit-il, qu'il vous soit comme un Payen & un Publicain, c'est-à-dire, qu'il vous soit Étranger». L'Évangile unit souvent les Publicains & les Pécheurs. Les Gentils y sont appellés les Pêcheurs. J.C. dit que «les Juifs le mettront dans les mains des Pécheurs.» Avant de perdre toute espérance, si les amis ne peuvent rien obtenir, J. C. demande qu'on traduise cet obstiné devant un petit nombre de gens pieux, dont le poids & l'autorité le ramènent au Salut, ou par les réprimandes de plusieurs, comme dit Saint Paul: ainsi dans le Musar il est dit, plusieurs, J. C. dit l'Église, & Saint Paul met la plupart: ce mot Église chez les Septante ne désigne pas une nombreuse Assemblée; Saint Paul même la restraint à une famille de personnes pieuses; comment imaginer après cela que le passage de Saint Mathieu ait trait à la question.

En effet l'Assemblée des Pasteurs & des non Pasteurs peut exister sans ces Adjoints; l'induction que l'on tire du Sénat des Juifs est aussi foible; les Synagogues des Juifs étoient les unes des écoles, dit Philon, les autres des Tribunaux: on lisoit & on expliquoit dans les premières les Lettres sacrées, «pour exciter les Juifs, continue Philon, à l'amour de Dieu, de la vertu & du Prochain»: ces trois mots de S. Paul, Piété, Sagesse & Justice y répondent: là on ne rendoit point la Justice, mais dans les Tribunaux, où les Juges connoissoient également des choses sacrées & profanes, & dont le jugement étoit fondé sur la Loi; car chez les Peuples Hébreux la Religion & la Police n'étoient point séparés. Ces Juges habitoient en partie dans les Villes particulieres, & en partie dans la Capitale; celles-là avoient les petits Sanhédrins, celle-ce renfermoit le grand, pour marquer la prééminence. L'institution des petits Sanhédrins est dans l'Exode XVIII. 21. & Deuter. 1-13, on nommoit les Juges Senieurs, c'est-à-dire, Sénateurs.

Ils connoissoient des assassinats, Deuter. XIV. 12. ils informoient d'un assassinat commis en cachette, Deuter. XXI. 6. ils jugeoient un fils rebelle, Deuter. XXI. 19. ils accordoient un azile à qui avoit tué un homme par mégarde, Josué XX. 7. Comme ces Jugemens émanent de la puissance souveraine, je suis étonné qu'un Sçavant les emploie, pour prouver que l'Église a retenu ces Assemblées, tandis qu'il est constant que l'Église & les Apôtres n'ont jamais été revêtus de la puissance souveraine. Quand J. C. prédit à ses Disciples, qu'ils seroient fouettés, c'étoit de ces Senieurs que devoit émaner la Sentence.

Il ne reste plus dans les Villes aucunes traces, aucuns vestiges de ce Sanhédrin ecclésiastique; il est vrai que les Prêtres ou les Lévites versés dans la Loi, assistoient à ces Assemblées, L'Historien Joseph le remarque. Le Deut. X X. le dit: «Toute affaire civile & criminelle se portoit devant ces Prêtres»; c'est-à-dire, aucun procès ne sera jugé qu'en leur présence. Moïse dit, en parlant des Lévites: «ils enseigneront vos Jugemens à Jacob, & votre Loi à Israël; & Josaphat, rétablissant les Juges des Villes, ne fait mention que d'une seule espèce.»

Par rapport au grand Sanhédrin quelques-uns en comptent deux, l'un Laïc, l'autre, Ecclésiastique. Ils fondent leur opinion sur des témoignages respectables mais trop récens, & sur des preuves trop foibles. I°. Quels sont les Auteurs de l'Histoire Juive les plus dignes de foi? Sans doute les Juifs eux-mêmes, comme les Historiens Grecs dans l'Histoire Grecque, les Romains dans la Romaine. Joseph commente avec soin un passage du Deut. Chap. XVII. & un des Paralip. XIX. sur lesquels se fondent ceux qui comptent deux Tribunaux. Voici celui du Deut.: «Si les Juges n'osent décider les affaires portées devant eux, défiance assez ordinaire chez les hommes, qu'ils renvoyent la cause à Jérusalem, & que le Pontife, les Prophètes & le Sénat assemblés, prononcent ce qui leur paroitra juste.»

J'ai cité plus haut un morceau de Philon, qui décrivant le Jugement de Moïse sur un affaire importante, ajoute: «Que les Prêtres siégeoient. Joseph dans l'Histoire des Paralipomènes, raconte que Josaphat prit des Juges d'entre les Prêtres, les Lévites & les Grands, à qui il recommanda de dispenser la Justice avec soin; que si quelques Juges des Tribunaux établis dans les autres Villes (où il y avoit auparavant de ces Jurisdictions inférieures) les consultoient, ils devoient promptement y satisfaire, parce qu'il étoit juste de composer de Juges éclairés, le Tribunal d'une Ville, où Dieu avoit bâti son Temple, & le Roi son Palais; il mit à la tête le Prêtre Amazias & Sabadias, qui étoit de la Tribu de Juda, c'est-à-dire, il les déclara Collègues.»

Ce passage désigne bien clairement une Assemblée qui jugeoit & qui donnoit des consultations aux autres Juges, dans laquelle on voyoit le Grand Prêtre & des Prêtres, & un Grand tiré de la Nation. L'Historien Joseph nomme les Prêtres les Surveillans & les Juges de toutes les affaires. Leur pouvoir n'étoit donc pas limité aux seules affaires ecclésiastiques, les Maîtres Hébreux sçavans dans ces matières, prétendent que le grand Sanhédrin connoissoit de tous les procès qu'on instruisoit devant lui, surtout, & privativement à tout autre Tribunal; il se reservoit la connoissance de la Paix, de la Guerre, des impôts, de la superstition, du souverain Pontife, des maladies & des crimes des Prêtres & des faux Prophètes.

J. C. semble le confirmer, lorsqu'il dit, «qu'un Prophète ne sçauroit mourir qu'à Jérusalem». Les Hébreux ajoutent que le nombre de ces Sénateurs étoit de soixante-dix, outre le Président, & qu'ils étoient, établis par l'imposition des mains, tant ceux qui étoient du Grand Sanhédrin, que ceux qui habitoient les Villes d'Israël. L'art XI des Nombres, & l'art. XVII. du Deut. se rapportent à eux. Maimonides extrait des anciens Thalmuldistes que ce Sanhédrin, étoit pour la plupart de Prêtres & de Lévites, parce que cette Tribu fournissoit plus de gens habiles dans la Loi, attendu qu'elle étoit toute leur étude & toute leur occupation.

Le Grand Prêtre y avoit sa place, à moins qu'il ne fût encore incapable de prendre les opinions: l'usage des siècles postérieurs parle en faveur de ces monumens, il serviroit du moins de conjectures, si le contraire n'étoit clairement avéré, & si les Juifs n'avoient pas été de tout tems, comme ils le sont aujourd'hui, jaloux de maintenir les anciennes coutumes. Esdras, à la tête du Sanhédrin, menace les contumaces de la perte de leurs biens, & d'être bannis de l'Assemblée: ce Sanhédrin décerne la même peine contre les Disciples de J. C. Il fit emprisonner J. C. le fit crucifier, fit fouetter les Apôtres, il donna tout pouvoir à S. Paul de charger de chaînes les Chrétiens, de les jetter en prison & de les faire fouetter. Pour lever jusqu'au plus léger scrupule, ceux enfin, qui dans l'Écriture Sainte, chez Joseph, chez les Thalmuldistes, sont les principaux Prêtres & les Senieurs du Peuple, avec le nom de Sénat, sont ceux qui informent sur le fait de Religion, contre J. C. & les Apôtres: des-là il est aisé de comprendre que la Religion, & le pouvoir souverain leur étoient également confiés. Il est vrai que l'on croit qu'ils ont confondu un peu tard, & par un abus des anciens usages; mais, & je l'ai prouvé plus haut il seroit dangereux de se porter à ce système, s'il n'est pas évidemment démontré.

C'est donc le moment d'examiner si les Saintes Lettres combattent l'opinion de tous les Juifs, & l'usage qui a prévalu. Personne n'ignore que chez les Hébreux les Vieillards ou les Prêtres étoient regardés comme des hommes vénérables par leur âge & par leurs moeurs. Le Peuple d'Israël même, pendant son exil, ne manqua pas de tels personnages; aussi Moïse & Aaron, inspirés d'en haut, convoquent en Égypte tous les Vieillards: ce n'étoit point une Assemblée ordinaire, mais la qualité seule y donnoit entrée, & ces Vieillards représentoient la Nation.

Le beau-père de Moïse rapporte qu'il n'avoit point établi sur tout le Peuple les Septante, mais d'autres Magistrats, sous le nom de Chiliarques, d'Hecatontarques, & qu'il s'étoit réservé la connoissance des affaires les plus importantes. Moïse étoit prêt de monter sur la montagne, lorsque Dieu lui ordonna de prendre Aaron, Nadab, Abiu & septante entre les Vieillards. Dieu ne forme pas encore ici une Assemblée; Aaron ne convoque point les septante Vieillards, pour leur remettre le pouvoir & la puissance de faire des Loix. On choisit septante entre les Vieillards, pour des fonctions momentanées, & pour accompagner Moïse.

Le nombre de septante fut toujours en vénération chez les Juifs; le Patriarche Jacob en avoit conduit autant en Égypte. L'Écriture dit si clairement qu'ils n'étoient pas Juges, qu'il n'est pas possible d'en douter. Moïse, sur le point de partir, tint ce discours au Peuple de Dieu: «Demeurez jusqu'à mon retour, Aaron & Hur resteront parmi vous, adressez-vous à eux dans vos différends»: il dit à eux, non à vous, substituant, pour juger le Peuple, Aaron & Hur, non les septante Vieillards. Dieu parla ainsi à Moïse, accablé du poids des affaires: «Prenez septante Vieillards d'Israël que vous sçavez être les Senieurs du Peuple & ses Sages.» Il obéit donc, & ces Vieillards furent appellés Prêtres, aussitôt que ce Conseil eut été composé. Je ne suis point surpris que le Grand Prêtre Aaron, quelques Prêtres & quelques Lévites ayent eu place dans ce nouveau Tribunal: «ils portoient avec Moïse le fardeau du Peuple»: je veux dire, ils étoient à la tête de l'État. L'art. XVII. du Deut. les a en vue, quand il dit que les affaires étoient ordinairement portées devant le Roi, ou le Grand Conseil. Les Auteurs qui croyent deux Sanhédrins, n'oublient point cette particule disjonctive du Deut. «qui ne se soumettra point aux Prêtres ou aux Juges?» il est étonnant qu'ils ayent fait plus d'attention à ce disjonctif qu'au conjonctif qui précède: «Vous irez trouver les Prêtres & les Lévites & le Juge qui sera de service.» Pourquoi enfin l'Écriture s'énonceroit-elle ainsi: «Vous jugerez du Sang, de toute affaire & de toutes sortes de blessures; c'est-à-dire, de tous les différends les plus graves».

Toutes ces affaires s'instruisoient devant les Prêtres, les Lévites, le Juge: aucune partie n'étoit du ressort des Prêtres & des Lévites, & l'autre du ressort du Juge. «Les Prêtres, dit Ezechiel, assisteront pour juger conformément à ma Loi.» C'est ne rien dire que d'avancer que les Prêtres jugeoient le droit, & les Juges le fait. (Outre qu'on ne résout point la difficulté, cette proposition n'établiroit qu'un Sanhédrin;) car tout Juge doit juger du fait & du droit: aussi la formule du Sanhédrin, dans les affaires criminelles, étoit: «Il est digne de mort, ou il n'est pas digne de mort». Or celui-là ne pouvoit la prononcer qu'il ne sçût la Loi, & auquel les informations n'eussent dévoilé le crime. La Loi donne l'espèce, le témoignage, l'avis; le Juge décide; juger autrement ce n'est pas être Juge, c'est être le ministre d'une volonté étrangère.

Pour expliquer la particule disjonctive, il faut remarquer que les Magistrats, qui entroient dans le Sénat, avoient des Départemens particuliers. Le Sénat de Rome contenoit les Pontifes, les Consuls; les Pontifes commandoient aux Flamines & regloient la Religion. Les Consuls gouvernoient & faisoient arrêter les Citoyens: ils avoient la Police extérieure; ils étoient tous soumis au Sénat, & le Sénat ne commandait aux Citoyens que par la voie des Consuls & des autres Magistrats.

De même le Sanhédrin des Juifs avoit le Gouvernement & la Religion; mais quelqu'un veilloit particulièrement à la Religion, & ce pouvoir regardoit le Grand Prêtre, tandis que le Juge faisoit la Police: par-là on obéissoit à l'un & à l'autre, l'un au Temple, l'autre au Camp. On punissoit avec raison celui qui résistoit aux Décrets des deux Puissances qui tenoient la main à l'exécution des décisions du Sénat, sans qu'il y eût deux Sénats.

L'Histoire du Roi Josaphat observe, qu'après avoir donné des Juges aux Villes: «Josaphat érigea à Jérusalem un Conseil de Lévites, de Prêtres, & de Pères de famille d'Israël, pour apprendre au Peuple les préceptes du Seigneur, & terminer les procès», (il choisit des Lévites, des Prêtres & des Pères de famille) qui sont dans l'Evangile, les Princes des Prêtres & les Senieurs du Peuple; «de retour à Jérusalem, il les avertit d'avoir devant les yeux la crainte du Seigneur, la Foi, un coeur pur, de juger toutes les affaires que leurs frères des autres Villes porteroient devant eux, soit qu'elles touchassent l'intérieur des familles, soit qu'elles intéressassent la Loi, le précepte, les Statuts & les Jugemens.» Nulle espèce n'est oubliée ni divisée; il répète au Peuple, «de ne point abandonner Dieu, de peur que sa colère ne s'étende sur eux & leurs Frères: comportez-vous de la sorte, & vous ne pécherez point».

Ces témoignages réunis établissent si nettement une seule Assemblée, qu'il me seroit difficile d'exprimer mieux ma pensée; le passage suivant la combattroit-il? «Amazias votre Prêtre pour ce qui concerne la Religion, & Zabadias, Fils d'Ismael, Conducteur & Chef de la Maison de Juda dans ce qui regarde le Gouvernement; & les Lévites préposés, sont devant vous; rassurez-vous, travaillez, Dieu vous secondera»: voilà d'où on prétend faire deux Sanhédrins.

L'argument seroit plus conséquent, si l'on disoit, qui sont ceux qu'Amazias commande pour la Religion? qui sont ceux à qui Sabadias commande pour le Gouvernement? à qui les Lévites doivent-ils obéir? & de qui exécutent-ils les Décrets? L'Écriture-Sainte les met souvent dans ce devoir; tout cela n'est qu'un Sanhédrin. Rendons la chose plus sensible; d'abord les Paralipomènes se sont deux fois servis de cette expression XXVI. «Asbias & sa famille veillent sur le Pays qui est au Couchant du Jourdain, pour entretenir la Religion & le Gouvernement Royal. Gerias & sa famille ont les Rubinites, les Gadites, & une partie des Manassites, pour y affermir le culte divin & le Gouvernement Royal». Ces Juges unissent le civil & le sacré: pourquoi le Sanhédrin, qui représente la Nation, ne les embrasseroit-il pas?

Je veux bien que les choses de Dieu soient la Religion, & que les choses du Prince soient le Gouvernement extérieur; quoiqu'il soit plus conforme à l'Écriture-Sainte de comprendre sous les choses de Dieu, tout ce que la Loi de Dieu a défini, & ce qu'on doit juger par la Loi: «C'est le Jugement de Dieu, dit Moïse aux Juges; vous tenez la place de Dieu, ajoute Josaphat aux Juges des Villes: le Peuple, continue Moïse, est venu à moi pour consulter Dieu, c'est-à-dire, pour recevoir le Jugement de Dieu; & ailleurs, que le témoin & le coupable se présentent tous deux devant Dieu: Moïse l'interprète, devant les Prêtres & les Juges, non, comme quelques-uns, devant ceux qui seroient ces jours-là.»

Telles sont les choses de Dieu; celles du Roi, sont toutes les choses que la Loi divine n'a pas définies: de ce genre est l'examen de ce qu'il est à propos de faire ou non; c'est pourquoi le Prêtre étant plus versé dans la Loi, le Laïc plus au fait de la police; le Sénat pouvoit & devoit avoir plus de confiance en Amazias, dans la Police, & en Sabadias, dans le Gouvernement.

L'Historien Joseph les appelle Collègues. L'Histoire d'Esdras est remarquable: ce Prince, chargé par le Roi de Perse de rendre aux Juifs la liberté de vivre sous leurs Loix, reçut ordre d'établir un Conseil de gens les plus versés dans la Loi divine, pour décider les différends des particuliers, & punir de mort, d'exil, ou de peines arbitraires, les coupables de lèze-majesté royale & divine: cet endroit distingue la Loi divine & Royale, & leur donne les mêmes Juges: cependant la Loi de Dieu, & du Roi n'est pas autre que les choses de Dieu & du Roi.

Enfin l'exemple de Jérémie, dont la cause fut instruite devant les Grands & les Senieurs du Peuple, n'annonce point que les Prêtres ne jugeoient point dans le Sanhédrin: ils étoient ses Accusateurs; pouvoient-ils être ses Juges? Au reste, combien de Prêtres n'étoient point du Sanhédrin.

Je passe au terme de Prêtres, dont le Nouveau Testament, au rapport de quelques-uns, qualifie les Clercs qui soulageoient les Pasteurs. Je n'y souscris point: je découvre trois significations différentes dans le Nouveau Testament, les mêmes que les Pères ont expliquées; la première qui dénote l'âge, lorsqu'on compare les Vieillards avec les Jeunes, I. Tim. 5. v. i. La seconde qui caractérise la Puissance ou le Pouvoir, lorsqu'on nomme les Hébreux qui siègent au grand & petit Sanhédrin; la troisième qui est propre aux Prédicateurs de l'Evangile; je n'en connois point de quatrième. On demanderoit volontiers, pourquoi les Apôtres ont appellé Prêtres des Pasteurs qu'ils établissoient; seroit-ce parce qu'ils partageoient le ministère avec les Vieillards? Seroit-ce parce que les Maîtres de la Synagogue portoient ce nom par excellence? seroit-ce, (j'en doute,) par comparaison, aux Maîtres des Juifs? J. C. en formant le Gouvernement de l'Église, pour montrer qu'il étoit Roi, & pour effacer en même tems des esprits des Hommes ces idées d'un Royaume terrestre, arrangea sur la République des Juifs, le Gouvernement de son Église, quoiqu'elle n'eût aucun pouvoir extérieur, & il l'éleva par-là à l'espérance d'un Royaume céleste. Un seul Roi occupoit le Trône d'Israël; J. C. est le seul Monarque de son l'Église. Douze Phylarques partageoient le Royaume des Hébreux; J. C. choisit douze Apôtres, & dans la crainte qu'on ne comprît pas son dessein, il leur promit douze Trônes, sur lesquels ils devoient juger les douze Tribus d'Israël. Le grand Sanhédrin étoit de septante personnes; il y eut septante Évangélistes. Les Juges des Villes avoient le troisième rang chez les Hébreux; leur nom Hébreu revient au mot Grec Évêque; les Prêtres suivent immédiatement les Apôtres & les Évangélistes: le nom de leurs Chefs, interprété par le Grec, étoit Senieurs; les Chefs des Prêtres sont les Évêques: ces Juges avoient au-dessous d'eux des Ministres appellés Diacres; l'Église les a conservés, les a placés au-dessous des Prêtres. Les Apôtres détaillent en plusieurs endroits les fonctions des Prêtres. S. Paul convoque à Milet les Prêtres d'Éphèse, & leur apprend «qu'ils sont élus pour paître le troupeau de J. C. S. Jacques recommande aux malades de faire venir les Prêtres pour prier sur eux, & & les oindre au nom de Dieu. S. Pierre, qui étoit Prêtre, traite les Prêtres de Collègues en fonctions: ils étoient donc Pasteurs, & le Symbole de leur vocation étoit l'imposition des mains»; témoin ce qu'on a dit de Thimotée, de penser que les autres endroits qui parlent des Prêtres, sans les décrire, entendent des Prêtres d'une autre espèce: ce seroit hazarder des conjectures mal fondées, à moins que l'arrangement des termes ne force à abandonner la signification ordinaire.

Un seul passage de Saint Paul servira de prétexte plausible à ceux qui veulent créer des Prêtres non Pasteurs. Les Prêtres éminents acquièrent un double honneur, «sur-tout ceux qui ont la parole & l'instruction.» On infère de ce mot sur-tout, qu'il y avoit, du tems de l'Apôtre, des Prêtres qui présidoient & qui n'étoient point chargés de la parole & de l'instruction. Si cela eût été, quelqu'autre monument parleroit de cette espèce de Prêtres; ils ne paroissent nulle part: comme l'antiquité a précieusement transmis l'origine des Diacres, elle n'auroit point oublié la naissance & l'auteur de ces Prêtres, & elle n'auroit point effleuré une partie essentielle du Gouvernement ecclésiastique dans un endroit, où il n'étoit point question des différens genres de fonctions ecclésiastiques.

Du moins les Pères de l'Église, voisins du siècle des Apôtres, ne l'auroient point laissé ignorer: habiles dans leur langue, ils n'auroient point échappé l'explication d'un terme que l'on prend de cette sorte à cause de la construction des mots. Dès qu'aucun Interprète, jusqu'à présent, n'a conçu de cette maniere le passage de Saint Paul; peut-être se rapporteroit-il aux passages de l'Écriture-Sainte. L'idée de S. Paul est de rendre aux Prêtres un double honneur, ce qui précède dévoile quel est cet honneur; ensuite de respecter les Veuves, c'est-à-dire, de subvenir à leurs besoins. Il enjoint d'honorer les Veuves qui sont vraiement Veuves, qui n'ont ni enfans ni parens en état de les entretenir; si elles en ont, il ne veut point qu'elles soient à charge à l'Église: après avoir pourvu au soulagement des Veuves, il exhorte à fournir aux Prêtres pour vivre honnêtement: le mot honneur en prépare le motif; car il est écrit: «Vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le bled; il avoit quelque part employé ce passage: Qui est-ce qui combat à ses frais? qui plante la vigne & ne goûte pas de ses fruits? qui paît le troupeau & ne se nourrit pas de son lait? Est-ce comme homme que je parle ainsi? la Loi ne le dit-elle pas? car il est écrit, vous ne lierez point la bouche au boeuf qui foule le bled; ensuite il ajoute: Si nous semons les choses spirituelles, n'est-il pas juste de recueillir les corporelles?»

S. Chrysostome, S. Jérôme, S. Ambroise, Calvin, Bullinger, reconnoissent de bonne foi que l'Apôtre exhortoit les fidèles à contribuer à la vie & à l'entretien des Prêtres; mais on ne voit pas & on n'a jamais vu que l'Église se soit chargée de la subsistance de ces Assesseurs. Présumera-t'on que Saint Paul, qui épargnoit les Églises pauvres alors, ait eu intention de les accabler d'un poids inutile? aussi n'eut'il pas été prudent de produire ces Adjoints dans un moment, où il prescrivoit la nourriture des Prêtres: plusieurs ont assez bien expliqué ces paroles de S. Paul. La glose la plus simple est celle-ci: non-seulement l'entretien est du à tous les Prêtres, qui paissent le troupeau, mais il l'est sur-tout à ceux, qui ayant tout quitté, se livrent tout entiers à la prédication, à la propagation de la Foi, & n'épargnent aucuns travaux: ce Commentaire n'introduit point deux genres de Prêtres; mais il distingue différens degrés de travaux. Beze & tant d'autres conviennent que ce terme travailler ne désigne pas toute sorte d'ouvrages, mais un travail extrêmement pénible.

Saint Paul dit qu'il n'a pas donné des soins ordinaires à l'Evangile, mais infinis; il ajoute qu'il a souffert les fatigues, la faim, la soif, les veilles & toutes sortes d'incommodités. J. C. écrivant à l'Évêque d'Éphèse, je connois vos oeuvres, il ajoute, comme quelque chose de plus fort, & votre travail. Saint Paul s'approprie souvent le mot travailler; il en honore même quelques saintes femmes, qui avoient quitté leurs biens pour l'Evangile, & qui parcouroient le pays.

La saine raison dicte que ces Prêtres, qui n'ont d'occupation que l'Evangile, & qui affrontent en le prêchant tous les dangers, méritent plus que les autres; S. Paul ne le dissimule point dans sa Lettre aux Thessaloniciens: «Nous vous prions, mes Frères, de reconnoître ceux qui travaillent parmi vous, qui sont la cause de vos progrès, par leurs prédications fréquentes, afin que votre charité s'étende plus sur eux, à cause de leurs travaux.» L'illusion des nouveaux Interprètes est de se jetter dans l'emphase; car alors ils abusent, ils se trompent également sur les paroles de S. Paul aux Corinthiens, touchant la Cène. «Que chaque homme s'éprouve soi-même.» Ils insistent sur le mot soi-même, comme «ne signifiant rien, mais bien celui de s'éprouver, & que le mot soi-même n'est pas placé distinctivement, mais déclarativement»: le premier membre du premier passage n'auroit pas souffert ces termes dans la parole & l'instruction comme le second, parce qu'ils s'accordent avec le travail, & non avec la préséance. Je vais donner des façons de parler, que personne ne récusera: «Les Maîtres qui se dévouent à l'éducation de la jeunesse, sont utiles à la République; ceux-là sur-tout qui sont nuit & jour occupés à former le coeur & l'esprit. Les Médecins qui ont soin de notre santé doivent nous être bien chers; ceux-là sur-tout qui n'épargnent ni attention ni peines, pour sa conservation & son rétablissement.»

En rapprochant la façon de parler de Saint Paul; tout quadrera; les autres passages sont moins forts & tombent d'eux-mêmes, Rom. XII. On proportionne la récompense aux actions & aux dons, sans inférer des fonctions différentes: comme le même peut avoir compassion & donner, rien n'empêche qu'il ne soit Orateur & Directeur: il paroit par ces deux passages que les Pasteurs conduisoient & présidoient, Heb. XIII. 7. S. Paul détaille aux Corinthiens différentes fonctions & plusieurs dons propres à la même fonction. Or, dès que la puissance & le don de guérir ne demandent point des fonctions diverses, la charité & la direction n'en veulent pas plus, ils servent d'ornemens & de secours au devoir Pastoral.

Il est aisé de comprendre quel a été mon dessein, en m'étendant sur ces Prêtres Assesseurs, il est clair qu'ils ne sont pas de droit divin: observation d'autant plus importante, qu'elle disculpe l'ancienne Église & la Réforme qui ne les connoissent pas. Je ne cacherai pourtant point les avantages de cet établissement. I° Le Magistrat politique a pu les créer, ou bien l'Église, lorsque le Prince ne se mêloit pas de ce qui la regardoit, ou qu'il en remettoit le soin à l'Église même. Comme il a le pouvoir de veiller sur les actions des Pasteurs, étant hors d'état de remplir ce devoir par lui-même, il a été le maître de nommer des Prêtres qui feroient corps avec le Clergé, & de leur communiquer telle portion du pouvoir qu'il jugeoit nécessaire. Le Chapitre suivant approfondira cette matière: de son côté la Loi divine n'a point défendu à l'Église les offices propres à la conservation, & à l'édification de l'Ordre: elle a cette liberté tant que le Magistrat politique ne l'arrête point: la preuve est inutile, & il seroit difficile de produire une Loi divine contraire.

2° L'Écriture-Sainte ne témoigne point que cette institution déplût à Dieu. 1°. Le Magistrat politique ne s'y est point opposé, témoin l'Assemblée du Sanhédrin des Juifs, où siégeoient avec des Prêtres, des Laïcs choisis d'entre le Peuple, & qui décidoient des affaires civiles & sacrées, comme je l'ai expliqué plus haut: dès que le Nouveau Testament ne l'a point proscrite, il est tout naturel d'imaginer que la Jurisdiction sur la Religion, c'est-à-dire, le Jugement public joint avec le pouvoir, peut être partagé entre les Pasteurs, & quelqu'un de la Nation; sur-tout si les Pasteurs conservent la portion la plus précieuse. Comme Amazias avoit plus d'autorité dans la Religion que Sabadias, c'est dans cet esprit que l'Électeur Palatin a établi un Sénat ecclésiastique, composé de Pasteurs & de sages Magistrats, qui gouvernent l'Église & l'État. 2° L'Église ne l'a point combattu: il étoit permis à l'Église de Corinthe, même sans pressentir l'autorité apostolique, de nommer des Juges pour discuter les contestations particulieres: l'Apôtre même reprend les Corinthiens de n'avoir point déjà fait ce qu'il les conseille de faire. Si l'Église en a profité, pour éviter les procès, pourquoi n'en profiteroit-elle pas, pour prévenir les maux de l'Oligarchie? outre cela, n'est-il pas souvent à propos de consulter tous les Fidèles sur les affaires de l'Église? pourquoi n'associeroit-elle pas aux Pasteurs des Laïcs qui délibéreroient quelles affaires devroient être communiquées à l'Église? elle a encore choisi ceux qui leveroient, & distribueroient l'argent en son nom. Les Pasteurs ayant l'inspection sur les Diacres, l'Église a pu donner des Associés aux Pasteurs, de crainte que quelqu'un ne blamât le pouvoir illimité qu'ils ont, dit l'Apôtre. Enfin l'Église d'Antioche députa des fidèles pour assister au Synode des Apôtres, & du Clergé de Jérusalem, & pour attester que la parole de Dieu, & non des vues humaines, animoit & dirigeoit leurs délibérations.

3°. Il est des exemples dans l'antiquité, qui sans constater cet usage, en approchent en quelque sorte. De la part du Magistrat politique, il est sûr que les Empereurs nommoient des Juges & des Sénateurs qui avoient place dans les Conciles, & qui y exerçoient la Police. De plus, on comptoit leurs voix quand il étoit question de déposer des Évêques, ou d'agiter d'autres matières importantes; témoin la déposition de Photin & de Dioscore: s'ils se comportoient de la sorte au milieu des Conciles, pourquoi n'auroient-ils pas ce droit dans les différens Clergés? tandis que, proportion gardée, le Clergé a autant d'autorité dans son territoire, qu'un Concile universel dans l'Empire Romain.

Les Empereurs accordoient des Défenseurs Laïcs aux Églises qui en demandoient; leurs devoirs étoient d'étouffer toutes les dissentions qui s'élévoient dans l'Église, & entre les Pasteurs; de réprimer tout ce que la violence & l'avarice oseroient tenter: ils sont placés dans la nouvelle Constitution 56. dans le Canon 201. du Concile de Calcédoine, dans le Canon 76. du Concile de Carthage, dans la Réponse de Maxence au Pape Hormisdas & ailleurs. Les siècles suivans les ont qualifié d'Avoués des Églises: les Métropolitains avoient coutume d'envoyer aux Églises des Curateurs, qui examinoient avec les Évêques les comptes des Trésoriers Ecclésiastiques.

De la part de l'Église, je répète ce que j'ai avancé plus haut, on ne consultoit pas toujours la multitude, mais quelquefois les anciens. Or, puisqu'il étoit libre d'enlever à la multitude la connoissance des affaires, pour les traduire devant les anciens, le nombre en étant beaucoup augmenté, on a pu n'en choisir qu'un petit nombre, sur-tout quand la multitude n'a point réclamé. Combien de fois dans l'élection des Pasteurs, ce qui appartenoit à la multitude a-t'il été remis par compromis à la décision d'un petit nombre?

L'Histoire d'un grand Concile prouve, & le Pape Nicolas n'a osé le nier, que les Laïcs siégeoient au Concile, & y avoient leurs voix; monumens confirmés par Melancton, Panorme & Gerson: en effet, quel motif ôteroit aux Laïcs le soin des Églises particulieres? n'a-t'on pas vu dans l'ancienne Église des Matrones qui formoient les Femmes à une vie réglée & exemplaire, & qui avoient le titre d'Anciennes, & la première place à l'Église entre les Femmes? Elles subsistèrent jusqu'au Concile de Laodicée, qui les supprima par le onzième Canon. Balsamon le remarque. S. Paul les a en vue, quand il peint des Femmes de moeurs irréprochables, non livrées au vin, ni à la médisance, sçavantes dans le bien, & qui apprenoient aux jeunes Femmes à aimer leurs maris & leurs enfans. Fulgentius Ferrandius, dans son Bréviaire des Canons, prétend que S. Paul les a nommées les plus Anciennes d'entre les Femmes Ministres. Le Concile de Nicée les appelle des Femmes recherchées dans leur habillement. Si des Femmes incapables d'aucune fonction de l'Église, ont mérité de l'Église d'être les Directrices des autres Femmes, eut-il été défendu aux fidèles de prendre, outre les Pasteurs, des sujets qui, hors les fonctions pastorales, se seroient acquitté avec plus de diligence de ce qui est non-seulement permis à tout Chrétien, mais ordonné d'observer? Si les unes avoient le nom d'Anciennes, les autres par la même raison avoient celui d'Anciens.

Le devoir des Économes & des Assistans de l'Église Anglicane n'est pas autre que celui de ces Assesseurs: ils empêchent qu'on n'interrompe le Service divin, & qu'un Excommunié n'y assiste; ils exhortent les Libertins, & quand ils persévèrent dans leurs débauches, ils donnent leurs noms à l'Évêque. L'Église choisit ces personnes.

4°. Les Assesseurs sont d'une grande utilité. A considérer le Magistrat politique, il lui faut dans les Assemblées, des Pasteurs, des yeux, des oreilles, pour examiner si tout s'y passe selon la Foi & les Canons. A considérer le bien des Églises, il est nécessaire qu'elles ayent bonne opinion de leurs Pasteurs; chose qui arrivera si ces surveillans éclairent toutes leurs démarches.

Suivant ces notions générales on ne sçauroit blâmer l'établissement de ces Assesseurs, que l'on peut appeller Prêtres à tems, ou Prêtres Laïcs, & qui sont encore en usage en plusieurs Pays, pourvu qu'on y apporte ces modifications: 1°. de ne point soutenir qu'ils sont de droit divin, proposition qui tourneroit à la honte de l'ancienne Église, & à la ruine de la présente. 2°. De ne leur point prêter les Clefs de l'Evangile, que J. C. a confiées aux seuls Pasteurs, & qu'il n'est pas permis de donner à d'autres: ils n'ont que le conseil par rapport à l'excommunication, en tant qu'elle est l'ouvrage des Pasteurs, & en tant que l'excommunication est dévolue au Peuple, qui doit bannir tout coupable de son sein; ils peuvent dresser un Décret pour la faire ratifier par le Peuple. 3°. De ne point revêtir de ce ministère des gens incapables de gouverner l'Église, & de terminer les différends: cette démarche seroit funeste & indécente à l'Église; elle ouvriroit la voie à l'Oligarchie. 4°. On doit prendre garde aussi que ces Assesseurs n'exercent pas plus de Jurisdiction extérieure que la Puissance souveraine & que les Loix publiques ne leur en attribuent. 5°. Qu'ils soient bien convaincus que leurs fonctions sont dépendantes du pouvoir souverain, & ne sont point de la nature de celles des Pasteurs qui sont instituées par J. C. mais du nombre des établissemens humains, & par conséquent sujets au changement: ces deux modifications inconnues, ou négligées, il s'ensuit de grands troubles dans les États: des gens habiles l'ont prévu, & la Hollande l'éprouve tous les jours.

Plusieurs, prévenus que cette administration est de droit divin, vont jusqu'à refuser; ou à n'accorder an Magistrat politique qu'une Jurisdiction limitée sur l'Église; persuadés que Dieu a pourvu abondamment aux Pasteurs & aux autres Ministres, ils opposent perpétuellement la volonté divine à la politique humaine. Ce double empire indépendant nourit les factions, & ceux-là les fomentent sans cesse, qui aiment le trouble dans l'État & dans l'Église: notre Patrie ressent les tristes effets de cette vérité depuis plus de trente ans.

J'avoue que cette expérience m'a inspiré le dessein de traiter la question. A Genève (Ville qui a produit les plus grands Défenseurs de la Réforme, si elle n'a pas eu la gloire de donner les premiers) le petit Sénat a le choix de ces Anciens sur le Conseil des Pasteurs: non-seulement ils sont tirés du Sénat, mais d'entre les Sénateurs; sçavoir, deux du petit Sénat, & dix, tant du Sénat des soixante que du Sénat des deux cens. L'élection achevée, elle est soumise à l'examen des deux cens, & quoique ces Senieurs élus n'ayent aucune Juridiction, ils prêtent serment à la République: c'est être aveugle, que de ne pas appercevoir les maux que les Genevois rédoutoient, en pesant toutes les formalités de cette Élection.

CHAPITRE XII.

Comment le Magistrat politique substitue & délègue en ce qui concerne la Religion.

Il ne suffit pas au Magistrat politique de connoître ses droits, s'il n'apprend comment il en doit user; il s'acquitte par lui-même d'une partie de ses devoirs, tandis que des sujets choisis remplissent l'autre. J'ai expliqué plus haut jusqu'à quel point il devoit écouter les Conseils de Ministres éclairés dans la portion qu'il exerce par lui-même, je ne me lasserai point de répéter que les Empereurs Chrétiens, ensuite les Rois de France & les autres Princes ont toujours eu auprès d'eux des Pasteurs vertueux, par l'avis desquels ils n'ont pas moins bien réglé la discipline de l'Église, qu'ils ont administré le Gouvernement politique, sur les conseils de leurs autres Ministres; mais attendu que le Magistrat politique, dont la puissance embrasse tout, ne sçauroit pourvoir à tout par lui même, il lui est nécessaire d'emprunter des secours étrangers.

«Le fardeau pesant, dit un Auteur sage, que porte le Monarque de l'univers, veut de l'aide; beaucoup d'affaires demandent beaucoup de secours. Les Écoles de Jurisprudence retentissent de cette question; quelle est la portion du pouvoir souverain que le Magistrat politique peut confier?» Je n'entreprendrai point de la discuter; elle n'est pas même de mon projet: il en est qu'il n'est pas possible de détacher du Souverain; il en est qu'il ne seroit pas prudent de communiquer à cause de leur importance.

De la première espèce est la correction des règlemens de ses Prédécesseurs, de casser les Arrêts injustes, sinon par appel, du moins par supplication, & d'annuller les élections funestes à la République & à l'Église; de la seconde espèce est la protection de la Religion, l'élection & la déposition des Évêques, que le Magistrat politique s'est ordinairement reservé, quoiqu'il ne l'ait pas toujours fait; des circonstances ont souvent exigé que le soin de la Religion fût déposé entre les mains de certains Sujets, soit Princes, soit Universités. Conduite que les Perses, les Macédoniens, les Romains ont tenue envers les Juifs & les autres Nations tributaires, à qui ils ont abandonné la discipline de leur Religion. On sçait aussi que les Empereurs n'ont pas toujours nommé les Évêques de Rome & de Constantinople.

Il y a deux manières de commettre son droit, la substitution & la délégation: la substitution est le mandat, qui est en vertu d'une Loi ou d'un privilége; la délégation est une grace spéciale.

Le Magistrat politique avoit coutume de se substituer des Évêques; de cette source coule le droit de faire des Canons, avec force de Loi, de déposer les Pasteurs, d'excommunier les fidèles: tous droits que l'on vient de voir communiqués aux Conciles & au Clergé. On puise encore dans les Diplômes des Empereurs & des Rois le droit du Clergé & des Chapitres pour procéder aux élections: monumens de la piété des anciens Princes & des Empereurs, qui se persuadoient sans doute, que les Ministres versés dans les choses sacrées, entre les mains desquels J. C. avoit déposé le ministère évangélique, dispenseroient avec fidélité cette portion du Gouvernement. Plût à Dieu que le succès n'eût pas été contraire à leurs pieuses intentions!

Il est bon de prévenir ceux qui ne pensent pas que les Pasteurs sont les Vicaires du Magistrat politique; pour dissiper cette erreur, ils n'ont qu'à consulter la raison, le droit & l'Histoire: d'ailleurs on trouve que les Princes associoient aux soins de l'Église les Laïcs vertueux & sçavans, non sans quelque exemple de l'autorité divine. J'ai fait voir précédemment que le Grand Sanhédrin, composé de septante personnes, occupés à veiller sur le Gouvernement & sur la Religion, étoit composé de Prêtres, de Lévites & de Sénieurs tirés du Peuple. Il est certain que le Grand Prêtre disoit le premier son avis dans les affaires ecclésiastiques, & même dans les autres, si je ne me trompe; en sorte cependant que le Vicaire du Roi, nommé Nasi, présidoit & recueilloit les voix: le Sénat du Palatinat a été formé sur ce modèle. Les Loix attestent cette union de Magistrats avec des Évêques: telle est la Novelle de Justinien XVII. chap. XI. il l'adresse au Gouverneur de la Province: «Ne souffrez point que personne soulève votre Province, sous prétexte de Religion & d'hérésie, ni qu'il enseigne aucun nouveau dogme. Vous veillerez utilement aux Finances & à la Police; & vous ne permettrez point qu'à l'occasion de la Religion on entreprenne rien contre nos règlemens; si ce qu'on vous demande regarde les Canons, disposez & décidez de concert avec le Métropolitain de la Province, soit que ce soit des Évêques, ou autres qui soient dans le doute, afin de donner à la cause de Dieu une issue heureuse & prompte, qui conserve la Foi orthodoxe, qui soit avantageuse à nos Finances, & qui affermisse la tranquillité de nos Sujets.»

On sçait que les Conciles, les Sénateurs & les Juges, que les Empereurs désignoient, ont eu part à la déposition des Évêques. La Sentence qui dégrade Photin, fut prononcée par les Évêques & les Sénateurs; leurs noms sont dans Epiphane. L'Empereur Valentinien commit des Sénateurs & des Prêtres du Conseil secret, pour connoître de l'affaire de l'Évêque Sixte III, Le Concile de Calcédoine confirme cette coutume dans la cause de Dioscore & dans celle des Évêques du Diocèse de Tyr: car on n'attribue pas moins aux Magistrats qu'aux Évêques la déposition & le rétablissement des Évêques. Quelquefois les Magistrats ont été appellés seulement pour prévenir le tumulte & la violence. Le Comte Candidien, le Bouclier de l'Église, assista au Concile d'Éphèse, & décida avec les Pères du Concile: la Loi de Justinien unit les Juges au Clergé de la Ville, pour élire l'Évêque. Théodoret dit, que cet usage n'est point de ce siècle, puisqu'à la mort de S. Athanase, on éleva Pierre sur le Siége d'Alexandrie, par la voix unanime du Clergé & des Magistrats. Les schismes & les divisions des Évêques obligèrent de remettre le soin de la Religion aux Magistrats, même sans le communiquer aux Évêques. Elien, Proconsul d'Afrique, délégué par Constantin, jugea seul les Donatistes; Marcellin, Ministre d'Hororius les jugea seul aussi: entre les Patrices de Constantinople, un étoit spécialement chargé des affaires de l'Église, d'où la fonction a tiré son nom: les Parlemens de France en connoissent, par l'Appel comme d'abus; les Conseils d'Espagne par la voie de l'opposition; les Cours de Hollande par les Mandats Pénaux. Enfin, il n'est plus douteux que les Laïcs seuls ont souvent élu les Pasteurs, en conservant aux Évêques l'Ordination & l'approbation; telle est l'origine du droit de Patronage, qui est non-seulement reçu en France, mais en Angleterre & dans le Palatinat: telle est la base des Canons d'Angleterre & des Constitutions des Palatins.

Comme je ne taxe point d'indiscrétion le zèle de certains esprits, qui craignent qu'à la faveur de ce droit on n'altère la tranquillité de l'Église, je ne puis de même souffrir le système dangereux de ceux qui ont hazardé que ce droit émane du Pape. L'Empereur Justinien étoit Orthodoxe, & son règne n'est pas si ancien. Je vais rapporter sa Loi qui établit ce droit: «Si un Laïc bâtit une maison & y place des Ecclésiastiques; si lui ou ses héritiers destinent des revenus à leur entretien, & qu'ils fassent choix des sujets capables, il faut les ordonner; mais si les Canons empêchent qu'ils ne soient promus aux Ordres, comme indignes, c'est à l'Évêque alors d'y faire entrer qui il jugera meilleur.»

Cette Loi est de 541, tems auquel les Papes étoient les Évêques des Empereurs, & étoient nommés par eux: une autre Constitution de cet Empereur de l'an 555 est adressée à l'Évêque de Constantinople. Elle accorde aux Fondateurs des Églises, ou à ceux qui les doteront, la présentation des Clercs, pourvu que l'Évêque les approuve, après les avoir examiné. L'an 553. le Concile de Tolède dressa ce Canon: «Nous décernons que les Fondateurs des Églises veilleront sur elles pendant leur vie, qu'ils en auront la principale inspection, & qu'ils présenteront à l'Évêque des sujets capables pour les administrer; que si l'Évêque, au mépris des Fondateurs, ose conférer, qu'il sache que sa collation est nulle, & qu'à sa honte on y maintiendra ceux que les Fondateurs auront choisis». Les Constitutions de Charlemagne, que Ansegise a recueillies en 827, contiennent ces mots: «Lorsque les Patrons Laïcs présentent aux Évêques des Clercs d'une vie irréprochable, & d'une bonne doctrine, rien ne les doit faire rejetter.»

Loin de resserrer ce droit dans les Bénéfices Cures, les Empereurs de Germanie ont gratifié les Ducs de Bavière & de Saxe de celui de pourvoir aux Évêchés, attendu qu'il appartient à l'Empereur seul d'investir les Évêques, ainsi qu'Helmodus l'a autrefois soutenu. Ce pouvoir tire son origine de la Constitution & de la concession des Empereurs & des Rois, & c'est une pure émanation du Magistrat politique; il ne vient point de la libéralité des Papes, c'est pourquoi les Auteurs qui l'ont maintenu & interprété, n'ont rien eu tant à coeur que de persuader le Public, que les Bénéfices sont le Patrimoine du Pape. Panorme est à la tête de ces Auteurs: j'aime mieux l'avoir à combattre en cette matière, que de l'avoir pour sectateur. Covarruvias & Duaren l'ont repris; Covar. p. 2. Rel. chap. Posses. §. 10. nom. 2. Duar. l. 3. nom. de Eccle. Mini. chap. II. D'autres Jurisconsultes l'ont aussi réfuté, & les Sçavans de ces siècles & du nôtre n'ont point souscrit en ce point aux prétentions du Clergé.

Il est bon de transcrire les notes du Sénat de Hollande sur les Canons du Concile de Trente, qui autorise des maximes contraires aux anciens usages. A la Session IV. chap. 12. il semble gréver les Patrons Laïcs: «il faut remarquer, poursuit-il, si l'expression ou l'esprit du Concile tend à priver un Laïc du droit de Patronage, dans le cas où le Bénéfice, dont les Patrons ont le droit, ou plutôt le conservent, n'est pas suffisamment doté. A la Sess. 21. ch. V. & Sess. 25. chap. IV. Qu'on examine si l'union des Cures, même des Bénéfices simples, ne préjudicie point aux Patrons Laïcs. Au chap. IX. Sess. 22. comme il est de droit, que les Laïcs peuvent administrer les Églises, & que la Hollande en a conservé l'usage, c'est devant le Juge Laïc qu'on doit instruire de leur administration: il continue ainsi, cette connoissance appartient aux Seigneurs temporels, même ceux appellés Ambachts-Heeren & autres Magistrats séculiers, il seroit triste d'innover. Chap. XVIII. Sess. 23. on blesseroit les droits des Patrons Laïcs.»

Telles sont les Loix fondamentales que le Sénat a cru devoir maintenir, & qu'il est plus raisonnable de défendre, que celle que les Flamans ont jugé insupportable, au milieu des horreurs d'une guerre civile. Pourquoi les Papes & Panorme n'ont-ils pas exigé des Patrons Laïcs ce qu'ils usurpent maintenant à la faveur de leur autorité? Je ne disputerai point sur le terme, si la présentation du Patron est une vraie élection, le passage de Clément III. paroît résoudre la question; chap. du droit de Patron, ex. D.C. «Il est plus de la dignité de l'Église de demander le consentement du Patron après l'élection qu'avant». Je passe la suite, les termes sont importans, à moins que son droit ne soit constant. En effet, l'usage contraire a prévalu depuis plusieurs siècles & en plusieurs lieux, sur-tout en Hollande; témoin notre Sénat au chap. I. Sess. 5. du Concile de Trente: «Il est essentiel de considérer, que si la première Prébende vacante est destinée dans les Églises Collégiales aux Lecteurs en Théologie, le Prince & les Patrons Laïcs, qui ont volontiers en Hollande la présentation des Églises Collégiales, seroient frustrés, dans chaque Chapitre, de la nomination de la première Prébende vacante»: l'erreur est grossière d'interpréter au chap. I. Nobis, que le Bénéfice de l'Église conventuelle est celui qui regarde la Prêtrise, ou qui demande les fonctions publiques. On cite Panorme, sans doute afin que du haut de leur Tribunal il les condamne; car voici ses mots: «Le Patron à le droit de présenter le Pasteur dans chaque Église non Collégiale, même Paroissiale, parce que les droits n'excluent point le Patron de présenter le Recteur, à moins que ce ne soit dans une Église Collégiale. Doute-t'on que l'Église conventuelle & Collégiale ne soit la même? Le Glossateur, au mot Chap. dit, que l'Église conventuelle est une Communauté composée de deux ou trois.» Le Collège est le Chapitre des Chanoines, à se prêter aux vues du Pape: un tel Collège admet à peine un Patron Laïc; mais les Empereurs, les Rois, & les Princes de Hollande en ont reconnu jusqu'à nos Pères: aussi le Pape, dans la crainte qu'on n'obéît pas, joint à son Décret l'exception de la coutume, que plusieurs ne passeroient pas, du moins à les voir, si on leur offroit la Thiare.

Comment imaginer après cela que les États Généraux ont éteint le droit de Patronage? le dire, ce seroit leur faire injure: ils n'ont point oublié que les Actes du Concile de Trente ont été un des principaux sujets des troubles, & que l'obstacle le plus fort à leur publicité, a été les cris des Patrons Laïcs, qui se sont plaint hautement des atteintes qu'ils donnoient à leurs droits. On a lu plus haut le sentiment des États sur cette matière. Il est en même tems plus vrai, que le Souverain a le pouvoir de casser, par de bons motifs le choix du Patron: ce droit comme tous les autres, qu'exercent les Sujets, est soumis au pouvoir des Loix; ajoutez encore l'information du Peuple, & l'Ordination des Évêques, la destruction de l'Église ne sera pas moins à craindre de la part des Patrons, que de la part des hommes les plus grossiers.

Je finirai par deux réflexions, l'une que la Loi divine n'a confié aux Magistrats inférieurs aucune autorité sur la Religion: ils tiennent du Prince celle dont ils sont revêtus, & je l'ai expliqué ailleurs. Joseph le Décurion, & le Proconsul Sergius n'étoient pas plus dans l'Église que tout Fidèle, parce que ni l'un ni l'autre n'avoient reçu ou de l'Empereur ou du Grand Sanhédrin aucun pouvoir d'ordonner de la discipline: or personne ne doit s'arroger l'autorité du glaive ni même d'une partie du glaive.

L'autre observation est, que comme la protection de l'Église est la portion la plus précieuse de la Puissance absolue; c'est agir sagement que d'en faire part rarement aux Magistrats, & si les circonstances obligent le Souverain de la communiquer, que du moins il ne se repose de cet important devoir, que sur les puissances qui approchent le plus de sa personne. Dès qu'on interdit aux Juges des Villes la connoissance des Monnoies & des Domaines, & qu'on forme pour ces matières des Cours supérieures, à plus forte raison il intéresse la sûreté publique & la dignité de l'Église, que sa discipline ne dépende point des Tribunaux inférieurs: en France les Appels comme d'abus se portent directement aux Parlemens, & autrefois en Hollande au Sénat de la province.

Ces commissions, qui concernent l'Église, ne doivent point être mises entre les mains de gens qui ne la reconnoissent pas. Pour cette raison il étoit défendu aux Juifs & aux Chrétiens de porter leurs différends particuliers devant des Juges qui ne professoient pas leur Religion: il seroit donc honteux que les dogmes de Foi, ou les playes de l'Église, fussent dévoilés à des hommes qui ne sont pas ses enfans.

FIN

Chargement de la publicité...