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Traité élémentaire de chimie, tome 1: Présenté dans un ordre nouveau et d'après les découvertes modernes; avec Figures

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CHAPITRE VI.

De la nomenclature des Acides en général, & particulièrement de ceux tirés du salpêtre & du sel marin.

Rien n'est plus aisé, d'après les principes posés dans le Chapitre précédent, que d'établir une nomenclature méthodique des acides: le mot acide sera le nom générique; chaque acide sera ensuite différencié dans le langage comme il l'est dans la nature, par le nom de sa base ou de son radical. Nous nommerons donc acides en général, le résultat de la combustion ou de l'oxygénation du phosphore, du soufre & du charbon. Nous nommerons le premier de ces résultats acide phosphorique, le second acide sulfurique, le troisième acide carbonique. De même, dans toutes les occasions qui pourront se présenter, nous emprunterons du nom de la base la désignation spécifique de chaque acide.

Mais une circonstance remarquable que présente l'oxygénation des corps combustibles, & en général, d'une partie des corps qui se transforment en acides, c'est qu'ils sont susceptibles de différens degrés de saturation; & les acides qui en résultent, quoique formés de la combinaison des deux mêmes substances, ont des propriétés fort différentes, qui dépendent de la différence de proportion. L'acide phosphorique, & sur-tout l'acide sulfurique, en fournissent des exemples. Si le soufre est combiné avec peu d'oxygène, il forme à ce premier degré d'oxigénation un acide volatil, d'une odeur pénétrante, & qui a des propriétés toutes particulières. Une plus grande proportion d'oxygène le convertit en un acide fixe, pesant, sans odeur, & qui donne dans les combinaisons des produits fort différens du premier. Ici le principe de notre méthode de nomenclature sembloit se trouver en défaut, & il paroissoit difficile de tirer du nom de la base acidifiable deux dénominations qui exprimassent, sans circonlocution & sans périphrase, les deux degrés de saturation. Mais la réflexion, & plus encore peut-être la nécessité, nous ont ouvert de nouvelles ressources, & nous avons cru pouvoir nous permettre d'exprimer les variétés des acides par de simples variations dans les terminaisons. L'acide volatil du soufre avoit été désigné par Stahl sous le nom d'acide sulfureux: nous lui avons conservé ce nom, & nous avons donné celui de sulfurique à l'acide du soufre complettement saturé d'oxygène. Nous dirons donc, en nous servant de ce nouveau langage, que le soufre, en se combinant avec l'oxygène, est susceptible de deux degrés de saturation; le premier constitue l'acide sulfureux, qui est pénétrant & volatil; le second constitue l'acide sulfurique, qui est inodore & fixe. Nous adopterons ce même changement de terminaison pour tous les acides qui présenteront plusieurs degrés de saturation; nous aurons donc également un acide phosphoreux & un acide phosphorique, un acide acéteux & un acide acétique, & ainsi des autres.

Toute cette partie de la chimie auroit été extrêmement simple, & la nomenclature des acides n'auroit rien présenté d'embarrassant, si, lors de la découverte de chacun d'eux, on eût connu son radical ou sa base acidifiable. L'acide phosphorique, par exemple, n'a été découvert que postérieurement à la découverte du phosphore, & le nom qui lui a été donné a été dérivé en conséquence de celui de la base acidifiable dont il est formé. Mais lorsqu'au contraire l'acide a été découvert avant la base, ou plutôt lorsqu'à l'époque où l'acide a été découvert, on ignoroit quelle étoit la base acidifiable à laquelle il appartenoit, alors on a donné à l'acide & à la base des noms qui n'avoient aucun rapport entr'eux, & non-seulement on a surchargé la mémoire de dénominations inutiles, mais encore on a porté dans l'esprit des commençans & même des Chimistes consommés, des idées fausses que le tems seul & la réflexion peuvent effacer.

Nous citerons pour exemple l'acide du soufre. C'est du vitriol de fer qu'on a retiré cet acide dans le premier âge de la Chimie; & on l'a nommé acide vitriolique, en empruntant son nom de celui de la substance dont il étoit tiré. On ignoroit alors que cet acide fût le même que celui qu'on obtenoit du soufre par la combustion.

Il en est de même de l'acide aériforme auquel on a donné originairement le nom d'air fixe; on ignoroit que cet acide fût le résultat de la combinaison du carbone avec l'oxygène. De-là une infinité de dénominations qui lui ont été données & dont aucune ne transmet des idées justes. Rien ne nous a été plus facile que de corriger & de modifier l'ancien langage à l'égard de ces acides: nous avons converti le nom d'acide vitriolique en celui d'acide sulfurique, & celui d'air fixe en celui d'acide carbonique; mais il ne nous a pas été possible de suivre le même plan à l'égard des acides dont la base nous étoit inconnue. Nous nous sommes trouvés alors forcés de prendre une marche inverse; & au lieu de conclure le nom de l'acide de celui de la base, nous avons nommé au contraire la base d'après la dénomination de l'acide. C'est ce qui nous est arrivé pour l'acide qu'on retire du sel marin ou sel de cuisine. Il suffit, pour dégager cet acide, de verser de l'acide sulfurique sur du sel marin; aussitôt il se fait une vive effervescence, il s'élève des vapeurs blanches d'une odeur très-pénétrante, & en faisant légèrement chauffer, on dégage tout l'acide. Comme il est naturellement dans l'état de gaz au degré de température & de pression dans lequel nous vivons, il faut des précautions particulières pour le retenir. L'appareil le plus commode & le plus simple pour les expériences en petit, consiste en une petite cornue G, planche V, fig. 5, dans laquelle on introduit du sel marin bien sec; on verse dessus de l'acide sulfurique concentré, & aussi-tôt on engage le bec de la cornue sous de petites jarres ou cloches de verre A, même figure, qu'on a préalablement remplies de mercure. A mesure que le gaz acide se dégage, il passe dans la jarre & gagne le haut en déplaçant le mercure. Lorsque le dégagement se rallentit, on chauffe légèrement & on augmente le feu jusqu'à ce qu'il ne passe plus rien. Cet acide a une grande affinité avec l'eau, & cette dernière en absorbe une énorme quantité. On peut s'en assurer en introduisant une petite couche d'eau dans la jarre de verre qui le contient; en un instant l'acide se combine avec elle & disparoît en entier. On profite de cette circonstance dans les laboratoires & dans les arts, pour obtenir l'acide du sel marin sous la forme de liqueur. On se sert à cet effet de l'appareil représenté planche IV, figure première. Il consiste 1o. dans une cornue A, où l'on introduit le sel marin, & dans laquelle on verse de l'acide sulfurique par la tubulure H; 2o. dans le ballon CB destiné à recevoir la petite quantité de liqueur qui se dégage; 3o. dans une suite de bouteilles à deux gouleaux LL'L''L''', qu'on remplit d'eau à moitié. Cette eau est destinée à absorber le gaz acide qui se dégage pendant la distillation. Cet appareil est plus amplement décrit dans la dernière partie de cet Ouvrage.

Quoiqu'on ne soit encore parvenu ni à composer, ni à décomposer l'acide qu'on retire du sel marin, on ne peut douter cependant qu'il ne soit formé, comme tous les autres, de la réunion d'une base acidifiable avec l'oxygène. Nous avons nommé cette base inconnue base muriatique, radical muriatique, en empruntant ce nom, à l'exemple de M. Bergman & de M. de Morveau, du mot latin muria, donné anciennement au sel marin. Ainsi, sans pouvoir déterminer quelle est exactement la composition de l'acide muriatique, nous désignerons sous cette dénomination un acide volatil, dont l'état naturel est d'être sous forme gazeuse au degré de chaleur & de pression que nous éprouvons, qui se combine avec l'eau en très-grande quantité & avec beaucoup de facilité; enfin dans lequel le radical acidifiable tient si fortement à l'oxygène, qu'on ne connoît jusqu'à présent aucun moyen de les séparer.

Si un jour on vient à rapporter le radical muriatique à quelque substance connue, il faudra bien alors changer sa dénomination & lui donner un nom analogue à celui de la base dont la nature aura été découverte.

L'acide muriatique présente au surplus une circonstance très-remarquable; il est, comme l'acide du soufre & comme plusieurs autres, susceptible de différens degrés d'oxygénation; mais l'excès d'oxygène produit en lui un effet tout contraire à celui qu'il produit dans l'acide du soufre. Un premier degré d'oxygénation transforme le soufre en un acide gazeux volatil, qui ne se mêle qu'en petite quantité avec l'eau: c'est celui que nous désignons avec Stahl sous le nom d'acide sulfureux. Une dose plus forte d'oxygène le convertit en acide sulfurique, c'est-à-dire en un acide qui présente des qualités acides plus marquées, qui est beaucoup plus fixe, qui ne peut exister dans l'état de gaz qu'à une haute température, qui n'a point d'odeur & qui s'unit à l'eau en très-grande quantité. C'est le contraire dans l'acide muriatique; l'addition d'oxygène le rend plus volatil, d'une odeur plus pénétrante, moins miscible à l'eau, & diminue ses qualités acides. Nous avions d'abord été tentés d'exprimer ces deux degrés de saturation, comme nous l'avions fait pour l'acide du soufre, en faisant varier les terminaisons. Nous aurions nommé l'acide le moins saturé d'oxygène acide muriateux, & le plus saturé acide muriatique; mais nous avons cru que cet acide qui présente des résultats particuliers, & dont on ne connoît aucun autre exemple en Chimie, demandoit une exception, & nous nous sommes contentés de le nommer acide muriatique oxygéné.

Il est un autre acide que nous nous contenterons de définir, comme nous l'avons fait pour l'acide muriatique, quoique sa base soit mieux connue: c'est celui que les Chimistes ont désigné jusqu'ici sous le nom d'acide nitreux. Cet acide se tire du nitre ou salpêtre par des procédés analogues à ceux qu'on emploie pour obtenir l'acide muriatique. C'est également par l'intermède de l'acide sulfurique qu'on le chasse de la base à laquelle il est uni, & l'on se sert de même à cet effet de l'appareil représenté planche IV, fig. 1. A mesure que l'acide passe, une partie se condense dans le ballon, l'autre est absorbée par l'eau des bouteilles LL'L''L''' qui devient d'abord verte, puis bleue, & enfin jaune, suivant le degré de concentration de l'acide. Il se dégage pendant cette opération une grande quantité de gaz oxygène mêlé d'un peu de gaz azotique.

L'acide qu'on tire ainsi du salpêtre, est composé, comme tous les autres, d'oxygène uni à une base acidifiable, & c'est même le premier dans lequel l'existence de l'oxygène ait été bien démontrée. Les deux principes qui le constituent tiennent peu ensemble, & on les sépare aisément en présentant à l'oxygène une substance avec laquelle il ait plus d'affinité qu'il n'en a avec la base acidifiable qui constitue l'acide du nitre. C'est par des expériences de ce genre qu'on est parvenu à reconnoître que l'azote ou base de la mofète entroit dans sa composition, qu'elle étoit sa base acidifiable. L'azote est donc véritablement le radical nitrique, ou l'acide du nitre est un véritable acide azotique. On voit donc que pour être d'accord avec nous-mêmes & avec nos principes, nous aurions dû adopter l'une ou l'autre de ces manières de nous énoncer. Nous en avons été détournés cependant par différens motifs; d'abord il nous a paru difficile de changer le nom de nitre ou de salpêtre généralement adopté dans les arts, dans la société & dans la Chimie. Nous n'avons pas cru, d'un autre côté, devoir donner à l'azote le nom de radical nitrique, parce que cette substance est également la base de l'alkali volatil ou ammoniaque, comme l'a découvert M. Berthollet. Nous continuerons donc de désigner sous le nom d'azote la base de la partie non respirable de l'air atmosphérique, qui est en même tems le radical nitrique & le radical ammoniaque. Nous conserverons également le nom de nitreux & de nitrique à l'acide tiré du nitre ou salpêtre. Plusieurs Chimistes d'un grand poids ont désapprouvé notre condescendance pour les anciennes dénominations; ils auroient préféré que nous eussions dirigé uniquement nos efforts vers la perfection de la nomenclature, que nous eussions reconstruit l'édifice du langage chimique de fond en comble, sans nous embarrasser de le raccorder avec d'anciens usages dont le tems effacera insensiblement le souvenir: & c'est ainsi que nous nous sommes trouvés exposés à la fois à la critique & aux plaintes des deux partis opposés.

L'acide du nitre est susceptible de se présenter dans un grand nombre d'états qui dépendent du degré d'oxygénation qu'il a éprouvé, c'est-à-dire, de la proportion d'azote & d'oxygène qui entre dans sa composition. Un premier degré d'oxygénation de l'azote constitue un gaz particulier que nous continuerons de désigner sous le nom de gaz nitreux: il est composé d'environ 2 parties en poids d'oxygène & d'une d'azote, & dans cet état il est immiscible à l'eau. Il s'en faut beaucoup que l'azote dans ce gaz soit saturé d'oxygène, il lui reste au contraire une grande affinité pour ce principe, & il l'attire avec une telle activité, qu'il l'enlève même à l'air de l'atmosphère sitôt qu'il est en contact avec lui. La combinaison du gaz nitreux avec l'air de l'atmosphère est même devenue un des moyens qu'on emploie pour déterminer la quantité d'oxigène contenu dans ce dernier, & pour juger de son degré de salubrité. Cette addition d'oxygène convertit le gaz nitreux en un acide puissant qui a une grande affinité avec l'eau, & qui est susceptible lui-même de différens degrés d'oxygénation. Si la proportion de l'oxygène & de l'azote est au-dessous de trois parties contre une, l'acide est rouge & fumant: dans cet état nous le nommons acide nitreux; on peut en le faisant légèrement chauffer, en dégager du gaz nitreux. Quatre parties d'oxygène contre une d'azote donnent un acide blanc & sans couleur, plus fixe au feu que le précédent, qui a moins d'odeur, & dont les deux principes constitutifs sont plus solidement combinés: nous lui avons donné, d'après les principes exposés ci-dessus, le nom d'acide nitrique.

Ainsi l'acide nitrique est l'acide du nitre surchargé d'oxygène; l'acide nitreux est l'acide du nitre surchargé d'azote, ou, ce qui est la même chose, de gaz nitreux; enfin le gaz nitreux est l'azote qui n'est point assez saturée d'oxygène pour avoir les propriétés des acides. C'est ce que nous nommerons plus bas un oxide.


CHAPITRE VII.

De la décomposition du Gaz oxygène par les métaux, & de la formation des Oxides métalliques.

Lorsque les substances métalliques sont échauffées à un certain degré de température, l'oxygène a plus d'affinité avec elles qu'avec le calorique: en conséquence toutes les substances métalliques, si on en excepte l'or, l'argent & le platine, ont la propriété de décomposer le gaz oxygène, de s'emparer de sa base & d'en dégager le calorique. On a déjà vu plus haut comment s'opéroit cette décomposition de l'air par le mercure & par le fer; on a observé que la première ne pouvoit être regardée que comme une combustion lente; que la dernière au contraire étoit très-rapide & accompagnée d'une flamme brillante. S'il est nécessaire d'employer un certain degré de chaleur dans ces opérations, c'est pour écarter les unes des autres les molécules du métal, & diminuer leur affinité d'aggrégation, ou ce qui est la même chose, l'attraction qu'elles exercent les unes sur les autres.

Les substances métalliques pendant leur calcination augmentent de poids à proportion de l'oxygène qu'elles absorbent; en même-tems elles perdent leur éclat métallique & se réduisent en une poudre terreuse. Les métaux dans cet état ne doivent point être considérés comme entièrement saturés d'oxygène, par la raison que leur action sur ce principe est balancée par la force d'attraction qu'exerce sur lui le calorique. L'oxygène dans la calcination des métaux, obéit donc réellement à deux forces, à celle exercée par le calorique, à celle exercée par le métal; il ne tend à s'unir à ce dernier qu'en raison de la différence de ces deux forces, de l'excès de l'une sur l'autre, & cet excès en général n'est pas fort considérable. Aussi les substances métalliques, en s'oxygénant dans l'air & dans le gaz oxygène, ne se convertissent-elles point en acides, comme le soufre, le phosphore & le charbon: il se forme des substances intermédiaires qui commencent à se rapprocher de l'état salin, mais qui n'ont pas encore acquis toutes les propriétés salines. Les anciens ont donné le nom de chaux, non-seulement aux métaux amenés à cet état, mais encore à toute substance qui avoit été exposée long-tems à l'action du feu sans se fondre. Ils ont fait en conséquence du mot chaux un nom générique, & ils ont confondu sous ce nom, & la pierre calcaire, qui d'un sel neutre qu'elle étoit avant la calcination, se convertit au feu en un alkali terreux, en perdant moitié de son poids, & les métaux qui s'associent par la même opération une nouvelle substance dont la quantité excède quelquefois moitié de leur poids, & qui les rapproche de l'état d'acide. Il auroit été contraire à nos principes de classer sous un même nom des substances si différentes, & sur-tout de conserver aux métaux une dénomination si propre à faire naître des idées fausses. Nous avons en conséquence proscrit l'expression de chaux métalliques, & nous y avons substitué celui d'oxides, du grec οξυς.

On voit d'après cela combien le langage que nous avons adopté est fécond & expressif; un premier degré d'oxygénation constitue les oxides; un second degré constitue les acides terminés en eux, comme l'acide nitreux, l'acide sulfureux; un troisième degré constitue les acides en ique, tels que l'acide nitrique, l'acide sulfurique; enfin nous pouvons exprimer un quatrième degré d'oxigénation des substances, en ajoutant l'épithète d'oxygéné, comme nous l'avons admis pour l'acide muriatique oxygéné.

Nous ne nous sommes pas contentés de désigner sous le nom d'oxides la combinaison des métaux avec l'oxygène; nous n'avons fait aucune difficulté de nous en servir pour exprimer le premier degré d'oxygénation de toutes les substances, celui qui, sans les constituer acides, les rapproche de l'état salin. Nous appellerons donc oxide de soufre, le soufre devenu mou par un commencement de combustion; nous appellerons oxide de phosphore la substance jaune que laisse le phosphore quand il a brûlé.

Nous dirons de même que le gaz nitreux, qui est le premier degré d'oxygénation de l'azote, est un oxide d'azote. Enfin le règne végétal & le règne animal auront leurs oxides, & je ferai voir dans la suite combien ce nouveau langage jettera de lumières sur toutes les opérations de l'art & de la nature.

Les oxides métalliques ont, comme nous l'avons déjà fait observer, presque tous des couleurs qui leur sont propres, & ces couleurs varient non-seulement pour les différens métaux, mais encore suivant le degré d'oxygénation du même métal. Nous nous sommes donc trouvés obligés d'ajouter à chaque oxide deux épithètes, l'une qui indiquât le métal oxidé, l'autre sa couleur; ainsi nous dirons oxide noir de fer, oxide rouge de fer, oxide jaune de fer; & ces expressions répondront à celles d'éthiops martial, de colcothar, de rouille de fer ou d'ocre.

Nous dirons de même oxide gris de plomb, oxide jaune de plomb, oxide rouge de plomb; & ces expressions désigneront la cendre de plomb, le massicot & le minium.

Ces dénominations seront quelquefois un peu longues, sur-tout quand on voudra exprimer si le métal a été oxidé à l'air, s'il l'a été par la détonation avec le nitre ou par l'action des acides; mais au moins elles seront toujours justes & feront naître l'idée précise de l'objet qui y correspond.

Les tables jointes à cet Ouvrage, rendront ceci plus sensible.


CHAPITRE VIII.

Du principe radical de l'Eau, & de sa décomposition par le charbon & par le fer.

Jusqu'a ces derniers tems on avoit regardé l'eau comme une substance simple, & les anciens n'avoient fait aucune difficulté de la qualifier du nom d'élément: c'étoit sans doute une substance élémentaire pour eux, puisqu'ils n'étoient point parvenus à la décomposer, ou au moins puisque les décompositions de l'eau qui s'opéroient journellement sous leurs yeux, avoient échappé à leurs observations: mais on va voir que l'eau n'est plus un élément pour nous. Je ne donnerai point ici l'histoire de cette découverte qui est très-moderne, & qui même est encore contestée. On peut consulter à cet égard les Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1781.

Je me contenterai de rapporter les principales preuves de la décomposition & de la recomposition de l'eau; j'ose dire que quand on voudra bien les peser sans partialité, on les trouvera démonstratives.

EXPÉRIENCE PREMIÈRE.

Préparation.

On prend un tube de verre EF, planche VII, fig. 11, de 8 à 12 lignes de diamètre, qu'on fait passer à travers un fourneau, en lui donnant une légère inclinaison de E en F. A l'extrêmité supérieure E de ce tube, on ajuste une cornue de verre A, qui contient une quantité d'eau distillée bien connue, & à son extrêmité inférieure F, un serpentin SS' qui s'adapte en S' au gouleau d'un flacon H à deux tubulures; enfin à l'une des deux tubulures du flacon s'adapte un tube de verre recourbé KK, destiné à conduire les fluides aériformes ou gaz dans un appareil propre à en déterminer la qualité & la quantité.

Il est nécessaire, pour assurer le succès de cette expérience, que le tube EF soit de verre vert bien cuit & d'une fusion difficile; on l'enduit en outre d'un lut d'argile mêlée avec du ciment fait avec des poteries de grès réduites en poudre; & dans la crainte qu'il ne fléchisse par le ramollissement, on le soutient dans son milieu avec une barre de fer qui traverse le fourneau. Des tuyaux de porcelaine sont préférables à ceux de verre; mais il est difficile de s'en procurer qui ne soient pas poreux, & presque toujours on y découvre quelques trous qui donnent passage à l'air ou aux vapeurs.

Lorsque tout a été ainsi disposé, on allume du feu dans le fourneau EFCD, & on l'entretient de manière à faire rougir le tube de verre EF, sans le fondre; en même tems on allume assez de feu dans le fourneau VVXX, pour entretenir toujours bouillante l'eau de la cornue A.

Effet.

A mesure que l'eau de la cornue A se vaporise par l'ébullition, elle remplit l'intérieur du tube EF, & elle en chasse l'air commun qui s'évacue par le tube KK; le gaz aqueux est ensuite condensé par le refroidissement dans le serpentin SS', & il tombe de l'eau goutte à goutte dans le flacon tubulé H.

En continuant cette opération jusqu'à ce que toute l'eau de la cornue A soit évaporée, & en laissant bien égoutter les vaisseaux, on retrouve dans le flacon H une quantité d'eau rigoureusement égale à celle qui étoit dans la cornue A, sans qu'il y ait eu dégagement d'aucun gaz; en sorte que cette opération se réduit à une simple distillation ordinaire, dont le résultat est absolument le même que si l'eau n'eût point été portée à l'état incandescent, en traversant le tube intermédiaire EF.

Expérience seconde.

Preparation.

On dispose tout comme dans l'expérience précédente, avec cette différence seulement qu'on introduit dans le tube EF vingt-huit grains de charbon concassé en morceaux de médiocre grosseur, & qui préalablement a été long-tems exposé à une chaleur incandescente dans des vaisseaux fermés. On fait, comme dans l'expérience précédente, bouillir l'eau de la cornue A jusqu'à évaporation totale.

Effet.

L'eau de la cornue A se distille dans cette expérience comme dans la précédente; elle se condense dans le serpentin, & coule goutte à goutte dans le flacon H; mais en même tems il se dégage une quantité considérable de gaz, qui s'échappe par le tuyau KK, & qu'on recueille dans un appareil convenable.

L'opération finie, on ne retrouve plus dans le tube EF que quelques atômes de cendre; les vingt-huit grains de charbon ont totalement disparu.

Les gaz qui se sont dégagés examinés avec soin, se trouvent peser ensemble 113 grains 7/10[4]; ils sont de deux espèces, savoir 144 pouces cubiques de gaz acide carbonique, pesant 100 grains, & 380 pouces cubiques d'un gaz extrêmement léger, pesant 13 grains 7/10, & qui s'allume par l'approche d'un corps enflammé lorsqu'il a le contact de l'air. Si on vérifie ensuite le poids de l'eau passée dans le flacon, on la trouve diminuée de 85 grains 7/10.

Ainsi dans cette expérience, 85 grains 7/10 d'eau, plus 28 grains de charbon ont formé 100 grains d'acide carbonique, plus 13 grains 7/10 d'un gaz particulier susceptible de s'enflammer.

Mais j'ai fait voir plus haut, que pour former 100 grains de gaz acide carbonique, il falloit unir 72 grains d'oxygène à 28 grains de charbon; donc les 28 grains de charbon placés dans le tube de verre ont enlevé à l'eau 72 grains d'oxygène; donc 85 grains 7/10 d'eau sont composés de 72 grains d'oxygène & de 13 grains 7/10 d'un gaz susceptible de s'enflammer. On verra bientôt qu'on ne peut pas supposer que ce gaz ait été dégagé du charbon, & qu'il est conséquemment un produit de l'eau.

J'ai supprimé dans l'exposé de cette expérience quelques détails qui n'auroient servi qu'à la compliquer & à jetter de l'obscurité dans les idées des lecteurs: le gaz inflammable, par exemple, dissout un peu de charbon, & cette circonstance en augmente le poids & diminue au contraire celui de l'acide carbonique; l'altération qui en résulte dans les quantités n'est pas très-considérable; mais j'ai cru devoir les rétablir par calcul, & présenter l'expérience dans toute sa simplicité, & comme si cette circonstance n'avoit pas lieu. Au surplus, s'il restoit quelques nuages sur la vérité des conséquences que je tire de cette expérience, ils seroient bientôt dissipés par les autres expériences que je vais rapporter à l'appui.

Troisième Expérience.

Préparation.

On dispose tout l'appareil comme dans l'expérience précédente, avec cette différence seulement, qu'au lieu des 28 grains de charbon, on met dans le tube EF, planche VII, fig. 11, 274 grains de petites lames de fer très-doux roulées en spirales. On fait rougir le tube comme dans les expériences précédentes; on allume du feu sous la cornue A, & on entretient l'eau qu'elle contient toujours bouillante, jusqu'à ce qu'elle soit entièrement évaporée, qu'elle ait passé en totalité dans le tube EF, & qu'elle se soit condensée dans le flacon H.

Effet.

Il ne se dégage point de gaz acide carbonique dans cette expérience, mais seulement un gaz inflammable 13 fois plus léger que l'air de l'atmosphère: le poids total qu'on en obtient est de 15 grains, & son volume est d'environ 416 pouces cubiques. Si on compare la quantité d'eau primitivement employée avec celle restante dans le flacon H, on trouve un déficit de 100 grains. D'un autre côté, les 274 grains de fer renfermés dans le tube EF se trouvent peser 85 grains de plus que lorsqu'on les y a introduits; & leur volume se trouve considérablement augmenté: ce fer n'est presque plus attirable à l'aimant, il se dissout sans effervescence dans les acides; en un mot, il est dans l'état d'oxide noir, précisément comme celui qui a été brûlé dans le gaz oxygène.

Réflexions.

Le résultat de cette expérience présente une véritable oxidation du fer par l'eau; oxidation toute semblable à celle qui s'opère dans l'air à l'aide de la chaleur. Cent grains d'eau ont été décomposés; 85 d'oxygène se sont unis au fer pour le constituer dans l'état d'oxide noir, & il s'est dégagé 15 grains d'un gaz inflammable particulier: donc l'eau est composée d'oxygène & de la base d'un gaz inflammable, dans la proportion de 85 parties contre 15.

Ainsi l'eau indépendamment de l'oxygène qui est un de ses principes, & qui lui est commun avec beaucoup d'autres substances, en contient un autre qui lui est propre, qui est son radical constitutif, & auquel nous nous sommes trouvés forcés de donner un nom. Aucun ne nous a paru plus convenable que celui d'hydrogène, c'est-à-dire, principe générateur de l'eau, de υδορ eau, & de γεινομαι j'engendre. Nous appellerons gaz hydrogène la combinaison de ce principe avec le calorique, & le mot d'hydrogène seul exprimera la base de ce même gaz, le radical de l'eau[A].

Voilà donc un nouveau corps combustible, c'est-à-dire, un corps qui a assez d'affinité avec l'oxygène pour l'enlever au calorique & pour décomposer l'air ou le gaz oxygène. Ce corps combustible a lui-même une telle affinité avec le calorique, qu'à moins qu'il ne soit engagé dans une combinaison, il est toujours dans l'état aériforme ou de gaz au degré habituel de pression & de température dans lequel nous vivons. Dans cet état de gaz, il est environ 13 fois plus léger que l'air de l'atmosphère, il n'est point absorbable par l'eau, mais il est susceptible d'en dissoudre une petite quantité; enfin il ne peut servir à la respiration des animaux.

La propriété de brûler & de s'enflammer n'étant pour ce gaz comme pour tous les autres combustibles, que la propriété de décomposer l'air & d'enlever l'oxygène au calorique, on conçoit qu'il ne peut brûler qu'avec le contact de l'air ou du gaz oxygène. Aussi lorsqu'on emplit une bouteille de ce gaz & qu'on l'allume, il brûle paisiblement au gouleau de la bouteille & ensuite dans son intérieur, à mesure que l'air extérieur y pénètre; mais la combustion est successive & lente, elle n'a lieu qu'à la surface où le contact des deux airs ou gaz s'opère. Il n'en est pas de même lorsqu'on mêle ensemble les deux airs avant de les allumer: si par exemple après avoir introduit dans une bouteille à gouleau étroit une partie de gaz oxygène, & ensuite deux de gaz hydrogène, on approche de son orifice un corps enflammé, tel qu'une bougie ou un morceau de papier allumé, la combustion des deux gaz se fait d'une manière instantanée & avec une forte explosion. On ne doit faire cette expérience que dans une bouteille de verre vert très-forte qui n'excède pas une pinte de capacité & qu'on enveloppe même d'un linge, autrement on s'exposeroit à des accidens funestes par la rupture de la bouteille dont les fragmens pourroient être lancés à de grandes distances.

Si tout ce que je viens d'exposer sur la décomposition de l'eau est exact & vrai, si réellement cette substance est composée, comme j'ai cherché à l'établir, d'un principe qui lui est propre, d'hydrogène combiné avec l'oxygène, il en résulte qu'en réunissant ces deux principes, on doit refaire de l'eau, & c'est ce qui arrive en effet, comme on va en juger par l'expérience suivante.

Quatrième Expérience.

Recomposition de l'eau.

Préparation.

On prend un ballon A de cristal, planche IV, fig. 5, à large ouverture, & dont la capacité soit de 30 pintes environ; on y mastique une platine de cuivre BC percée de quatre trous auxquels aboutissent quatre tuyaux. Le premier Hh est destiné à s'adapter par son extrêmité h à une pompe pneumatique par le moyen de laquelle on peut faire le vuide dans le ballon. Un second tuyau gg communique par son extrêmité MM avec un réservoir de gaz oxygène, & est destiné à l'amener dans le ballon. Un troisième dDd' communique par son extrêmité dNN avec un réservoir de gaz hydrogène: l'extrêmité d' de ce tuyau se termine par une ouverture très-petite & à travers laquelle une très-fine aiguille peut à peine passer. C'est par cette petite ouverture que doit sortir le gaz hydrogène contenu dans le réservoir; & pour qu'il ait une vîtesse suffisante, on doit lui faire éprouver une pression de un ou deux pouces d'eau. Enfin la platine BC est percée d'un quatrième trou, lequel est garni d'un tube de verre mastiqué, à travers lequel passe un fil de métal GL, à l'extrémité L duquel est adaptée une petite boule, afin de pouvoir tirer une étincelle électrique de L en d' pour allumer, comme on le verra bientôt, le gaz hydrogène. Le fil de métal GL est mobile dans le tube de verre afin de pouvoir éloigner la boule L de l'extrémité d' de l'ajutoir Dd'. Les trois tuyaux dDd', gg, Hh sont chacun garnis de leur robinet.

Pour que le gaz hydrogène & le gaz oxygène arrivent bien secs par les tuyaux respectifs qui doivent les amener au ballon A, & qu'ils soient dépouillés d'eau autant qu'ils le peuvent être, on les fait passer à travers des tubes MM, NN d'un pouce environ de diamètre qu'on remplit d'un sel très-déliquescent, c'est-à-dire, qui attire l'humidité de l'air avec beaucoup d'avidité, tels que l'acétite de potasse, le muriate ou le nitrate de chaux. Voyez quelle est la composition de ces sels dans la seconde partie de cet Ouvrage. Ces sels doivent être en poudre grossière afin qu'ils ne puissent pas faire masse, & que le gaz passe facilement à travers les interstices que laissent les morceaux.

On doit s'être prémuni d'avance d'une provision suffisante de gaz oxygène bien pur; & pour s'assurer qu'il ne contient point d'acide carbonique, on doit le laisser long-tems en contact avec de la potasse dissoute dans de l'eau, & qu'on a dépouillée de son acide carbonique par de la chaux: on donnera plus bas quelques détails sur les moyens d'obtenir cet alkali.

On prépare avec le même soin le double de gaz hydrogène. Le procédé le plus sûr pour l'obtenir exempt de mêlange, consiste à le tirer de la décomposition de l'eau par du fer bien ductile & bien pur.

Lorsque ces deux gaz sont ainsi préparés, on adapte la pompe pneumatique au tuyau Hh, & on fait le vuide dans le grand ballon A: on y introduit ensuite l'un ou l'autre des deux gaz, mais de préférence le gaz oxygène par le tuyau gg, puis on oblige par un certain degré de pression le gaz hydrogène à entrer dans le même ballon par le tuyau dDd', dont l'extrémité d' se termine en pointe. Enfin on allume ce gaz à l'aide d'une étincelle électrique. En fournissant ainsi de chacun des deux airs, on parvient à continuer très-long-tems la combustion. J'ai donné ailleurs la description des appareils que j'ai employés pour cette expérience, & j'ai expliqué comment on parvient à mesurer les quantités de gaz consommés avec une rigoureuse exactitude. Voyez la troisième partie de cet Ouvrage.

Effet.

A mesure que la combustion s'opère, il se dépose de l'eau sur les parois intérieures du ballon ou matras: la quantité de cette eau augmente peu à peu; elle se réunit en grosses goutes qui coulent & se rassemblent dans le fond du vase.

En pesant le matras avant & après l'opération, il est facile de connoître la quantité d'eau qui s'est ainsi rassemblée. On a donc dans cette expérience une double vérification; d'une part le poids des gaz employés, de l'autre celui de l'eau formée, & ces deux quantités doivent être égales. C'est par une expérience de ce genre que nous avons reconnu, M. Meusnier & moi, qu'il falloit 85 parties en poids d'oxygène, & 15 parties également en poids d'hydrogène, pour composer 100 parties d'eau. Cette expérience qui n'a point encore été publiée, a été faite en présence d'une Commission nombreuse de l'Académie; nous y avons apporté les attentions les plus scrupuleuses, & nous avons lieu de la croire exacte à un deux-centième près tout au plus.

Ainsi, soit qu'on opère par voie de décomposition ou de recomposition, on peut regarder comme constant & aussi bien prouvé qu'on puisse le faire en Chimie & en Physique, que l'eau n'est point une substance simple; qu'elle est composée de deux principes, l'oxygène & l'hydrogène, & que ces deux principes séparés l'un de l'autre, ont tellement d'affinité avec le calorique, qu'ils ne peuvent exister que sous forme de gaz, au degré de température & de pression dans lequel nous vivons.

Ce phénomène de la décomposition & de la recomposition de l'eau s'opère continuellement sous nos yeux, à la température de l'atmosphère & par l'effet des affinités composées. C'est à cette décomposition que sont dus, comme nous le verrons bientôt, au moins jusqu'à un certain point, les phénomènes de la fermentation spiritueuse, de la putréfaction, & même de la végétation. Il est bien extraordinaire qu'elle ait échappé jusqu'ici à l'œil attentif des Physiciens & des Chimistes, & on doit en conclure que dans les sciences comme dans la morale il est difficile de vaincre les préjugés dont on a été originairement imbu, & de suivre une autre route que celle dans laquelle on est accoutumé de marcher.

Je terminerai cet article par une expérience beaucoup moins probante que celles que j'ai précédemment rapportées, mais qui m'a paru cependant faire plus d'impression qu'aucune autre sur un grand nombre de personnes. Si on brûle une livre ou seize onces d'esprit-de-vin ou alkool dans un appareil propre à recueillir toute l'eau qui se dégage pendant la combustion, on en obtient 17 à 18 onces[5]. Or une matière quelconque ne peut rien fournir dans une expérience au-delà de la totalité de son poids; il faut donc qu'il s'ajoute une autre substance à l'esprit-de-vin pendant sa combustion: or j'ai fait voir que cette autre substance étoit la base de l'air, l'oxygène. L'esprit-de-vin contient donc un des principes de l'eau, l'hydrogène; & c'est l'air de l'atmosphère qui fournit l'autre, l'oxygène: nouvelle preuve que l'eau est une substance composée.


CHAPITRE IX.

De la quantité de Calorique qui se dégage des différentes espèces de combustion.

Nous avons vu qu'en opérant une combustion quelconque dans une sphère de glace creuse, & en fournissant pour l'entretenir de l'air à zéro du thermomètre, la quantité de glace fondue dans l'intérieur de la sphère, donnoit une mesure, sinon absolue, du moins relative des quantités de calorique dégagé. Nous avons donné, M. de la Place & moi, la description de l'appareil que nous avons employé dans ce genre d'expériences. Voyez Mémoires de l'Acad. des Sciences, année 1780, page 355. Voyez aussi la 3e partie de cet Ouvrage. Ayant essayé de déterminer les quantités de glace qui se fondoient par la combustion de trois des quatre substances combustibles simples, savoir, le phosphore, le carbone & l'hydrogène, nous avons obtenu les résultats qui suivent.

Pour la combustion d'une livre de phosphore, 100 livres de glace.

Pour la combustion d'une livre de carbone, 96 livres 8 onces.

Pour la combustion d'une livre de gaz hydrogène, 295 livres 9 onces 3 gros & demi.

La substance qui se forme par le résultat de la combustion du phosphore, étant un acide concret, il est probable qu'il reste très-peu de calorique dans cet acide, & que par conséquent cette combustion fournit un moyen de connoître, à très-peu de chose près, la quantité de calorique contenue dans le gaz oxygène. Mais quand on voudroit supposer que l'acide phosphorique retient encore une quantité considérable de calorique, comme le phosphore en contenoit aussi une portion avant la combustion, l'erreur ne pourroit jamais être que de la différence, & par conséquent de peu d'importance.

J'ai fait voir, page 60, qu'une livre de phosphore en brûlant absorboit 1 livre 8 onces d'oxygène; & puisqu'il y a en même tems 100 livres de glace fondue, il en résulte que la quantité de calorique contenue dans une livre de gaz oxygène, est capable de faire fondre 66 livres 10 onces 5 gros 24 grains de glace.

Une livre de charbon en brûlant ne fait fondre que 96 livres 8 onces de glace; mais il s'absorbe en même tems 2 livres 9 onces 1 gros 10 grains de gaz oxygène. Or, en partant des résultats obtenus dans la combustion du phosphore, 2 liv. 9 onc. 1 gros 10 grains de gaz oxygène, devroient abandonner assez de calorique pour fondre 171 livres 6 onces 5 gros de glace. Il disparoît donc dans cette expérience une quantité de calorique qui auroit été suffisante pour faire fondre 74 liv. 14 onc. 5 gros de glace; mais comme l'acide carbonique n'est point, comme le phosphorique, dans l'état concret après la combustion, qu'il est au contraire dans l'état gazeux, il a fallu nécessairement une quantité de calorique pour le porter à cet état, & c'est cette quantité qui se trouve manquante dans la combustion ci-dessus. En la divisant par le nombre de livres d'acide carbonique qui se forment par la combustion d'une livre de charbon, on trouve que la quantité de calorique nécessaire pour porter une livre d'acide carbonique de l'état concret à l'état gazeux, feroit fondre 20 liv. 15 onces 5 gros de glace.

On peut faire un semblable calcul sur la combustion de l'hydrogène & sur la formation de l'eau; une livre de ce fluide élastique absorbe en brûlant 5 liv. 10 onc. 5 gros 24 grains d'oxygène, & fait fondre 295 livres 9 onces 3 gros & demi de glace.

  liv. onc. gros.
Or, 5 liv. 10 onces 5 gros 24 grains de gaz oxygène, en passant de l'état aériforme à l'état solide, perdroient, d'après les résultats obtenus dans la combustion du phosphore, assez de calorique pour faire fondre une quantité de glace égale à 377 12 3
Il ne s'en dégage dans la combustion du gaz hydrogène, que 295 2 3
Il en reste donc dans l'eau qui se forme, lors même qu'elle est ramenée à zéro du thermomètre, 82 9 1/2

Or, comme il se forme 6 liv. 10 onc. 5 gros 24 grains d'eau dans la combustion d'une livre de gaz hydrogène, il en résulte qu'il reste dans chaque livre d'eau, à zéro du thermomètre, une quantité de calorique égale à celle nécessaire pour fondre 12 liv. 5 onc. 2 gros 48 grains de glace, sans parler même de celui contenu dans le gaz hydrogène, dont il est impossible de tenir compte dans cette expérience, parce que nous n'en connoissons pas la quantité. D'où l'on voit que l'eau, même dans l'état de glace, contient encore beaucoup de calorique, & que l'oxygène en conserve une quantité très-considérable en passant dans cette combinaison.

De ces diverses tentatives on peut résumer les résultats qui suivent.

Combustion du Phosphore.

  liv. onc. gros gr.
Quantité de phosphore brûlé, 1 » » »
Quantité de gaz oxygène nécessaire pour la combustion, 1 8 » »
Quantité d'acide phosphorique obtenu, 2 8 » »
Quantité de calorique dégagé par la combustion d'une livre de phosphore, exprimé par la quantité de livres de glace qu'il peut fondre,       100,00000
Quantité de calorique dégagé de chaque livre de gaz oxygène dans la combustion du phosphore,       66,66667
Quantité de calorique qui se dégage dans la formation d'une livre d'acide phosphorique,       40,00000
Quantité de calorique resté dans chaque livre d'acide phosphorique,       0,00000

On suppose ici que l'acide phosphorique ne conserve aucune portion de calorique, ce qui n'est pas rigoureusement vrai: mais la quantité (comme on l'a déjà observé plus haut) en est probablement très-petite, & on ne la suppose nulle que faute de la pouvoir évaluer.

Combustion du Charbon.

  liv. onc. gros gr.
Quantité de charbon brûlé, 1 » » »
Quantité de gaz oxygène absorbé pendant la combustion, 2 9 1 10
Quantité d'acide carbonique formé, 3 9 1 10
Quantité de calorique dégagé par la combustion d'une livre de charbon, exprimé par la quantité de livres de glace qu'il peut fondre,       96,50000
Quantité de calorique dégagé de chaque livre de gaz oxygène,       37,52823
Quantité de calorique qui se dégage dans la formation d'une livre de gaz acide carbonique,       27,02024
Quantité de calorique que conserve une livre d'oxygène dans cette combustion,       29,13844
Quantité de calorique nécessaire pour porter une livre d'acide carbonique à l'état de gaz,       20,97960

Combustion du Gaz hydrogène.

  liv. onc. gros gr.
Quantité de gaz hydrogène brûlé, 1 » » »
Quantité de gaz oxygène employé pour la combustion, 5 10 5 24
Quantité d'eau formée, 6 10 5 24
Quantité de calorique dégagé par la combustion d'une livre de gaz hydrogène,       295,58950
Quantité de calorique dégagé par chaque livre de gaz oxygène,       52,16280
Quantité de calorique qui se dégage pendant la formation d'une livre d'eau,       44,33840
Quantité de calorique que conserve une livre d'oxygène dans sa combustion avec l'hydrogène,       14,50386
Quantité de calorique que conserve une livre d'eau à zéro,       12,32823

De la Formation de l'Acide nitrique.

Lorsque l'on combine du gaz nitreux avec du gaz oxigène pour former de l'acide nitrique ou nitreux, il y a une légère chaleur produite; mais elle est beaucoup moindre que celle qui a lieu dans les autres combinaisons de l'oxygène; d'où il résulte par une conséquence nécessaire que le gaz oxygène, en se fixant dans l'acide nitrique, retient une grande partie du calorique qui lui étoit combiné dans l'état de gaz. Il n'est point impossible sans doute de déterminer la quantité de calorique qui se dégage pendant la réunion des deux gaz, & on en concluroit facilement ensuite celle qui demeure engagée dans la combinaison. On parviendroit à obtenir la première de ces données, en opérant la combinaison du gaz nitreux & du gaz oxygène dans un appareil environné de glace: mais comme il se dégage peu de calorique dans cette combinaison, on ne pourroit réussir à en déterminer la quantité, qu'autant qu'on opéreroit très en grand avec des appareils embarrassans & compliqués; & c'est ce qui nous a empêchés jusqu'ici, M. de la Place & moi, de la tenter. En attendant, on peut déjà y suppléer par des calculs qui ne peuvent pas s'écarter beaucoup de la vérité.

Nous avons fait détonner, M. de la Place & moi, dans un appareil à glace une proportion convenable de salpêtre & de charbon, & nous avons observé qu'une livre de salpêtre pouvoit, en détonant ainsi, fondre 12 livres de glace.

Mais une livre de salpêtre, comme on le verra dans la suite, contient:

  onc. gros grains.
Potasse 7 6 51,84 = 4515,84.
Acide sec 8 1 20,16 = 4700,16.

Et les 8 onces 1 gros 20 grains 16 d'acide, sont eux-mêmes composés de

  onc. gros grains.
Oxygène 6 3 66,34 = 3738,34.
Mofète 1 5 25,82 = 961,82.
On a donc réellement brûlé dans cette opération 2 gros 1 grain 1/3 de charbon, à l'aide de 3738,34 grains, ou 6 onces 3 gros 66,34 grains d'oxygène; & puisque la quantité de glace fondue dans cette combustion a été de 12 livres, il en résulte qu'une livre de gaz oxygène brûlé de la même manière, fondroit 29,58320
A quoi ajoutant pour la quantité de calorique que conserve une livre d'oxygène dans sa combinaison avec le charbon, pour constituer l'acide carbonique dans l'état de gaz, & qui est, comme on l'a vu plus haut, de 29,13844
On a pour la quantité totale de calorique que contient une livre d'oxygène, lorsqu'il est combiné dans l'acide nitrique, 58,72164
On a vu par le résultat de la combustion du phosphore, que dans l'état de gaz oxygène il en contenoit au moins 66,66667
Donc, en se combinant avec l'azote pour former de l'acide nitrique, il n'en perd que 7,94502

Des expériences ultérieures apprendront si ce résultat déduit par le calcul, s'accorde avec des opérations plus directes.

Cette énorme quantité de calorique que l'oxygène porte avec lui dans l'acide nitrique, explique pourquoi dans toutes les détonations du nitre, ou pour mieux dire, dans toutes les occasions où l'acide nitrique se décompose, il y a un si grand dégagement de calorique.

Combustion de la Bougie.

Après avoir examiné quelques cas de combustions simples, je vais donner des exemples de combustions plus composées; je commence par la cire.

Une livre de cette substance, en brûlant paisiblement dans l'appareil à glace destiné à mesurer les quantités de calorique, fond 133 liv. 2 onces 5 gros 1/3 de glace.

Or une livre de bougie, suivant les expériences que j'ai rapportées, Mém. de l'Acad. année 1784, page 606, contient:

  onc. gros grains.
Charbon 13 1 23
Hydrogène 2 6 49
  liv. de glace.
Les 13 onces 1 gros 23 grains de charbon, d'après les expériences ci-dessus rapportées, devoient fondre 79,39390
Les 2 onces 6 gros 49 grains d'hydrogène, devoient fondre 52,37605
Total, 131,76995

On voit par ces résultats, que la quantité de calorique qui se dégage de la bougie qui brûle, est assez exactement égale à celle qu'on obtiendroit en brûlant séparément un poids de charbon & d'hydrogène égal à celui qui entre dans sa combinaison. Les expériences sur la combustion de la bougie ayant été répétées plusieurs fois, j'ai lieu de présumer qu'elles sont exactes.

Combustion de l'Huile d'olives.

Nous avons enfermé dans l'appareil ordinaire une lampe qui contenoit une quantité d'huile d'olives bien connue; & l'expérience finie, nous avons déterminé exactement le poids de l'huile qui avoit été consommée, & celui de la glace qui avoir été fondue; le résultat a été qu'une livre d'huile d'olives en brûlant pouvoit fondre 148 livr. 14 onc. 1 gros de glace.

Mais une livre d'huile d'olives, d'après les expériences que j'ai rapportées, Mémoires de l'Acad. année 1784, & dont on trouvera un extrait dans le chapitre suivant, contient:

  onc. gros grains.
Charbon 12 5 5
Hydrogène 3 2 67
  liv. de glace.
La combustion de 12 onces 5 gros 5 grains de charbon, ne devoit fondre que 76,18723
Et celle de 3 onces 2 gros 67 grains d'hydrogène, 62,15053
Total, 138,33776
Il s'en est fondu 148,88330
Le dégagement de calorique a donc été plus considérable qu'il ne devoit l'être d'une quantité équivalente à 10,54554

Cette différence qui n'est pas au surplus très-considérable peut tenir ou à des erreurs inévitables dans les expériences de ce genre, ou à ce que la composition de l'huile n'est pas encore assez rigoureusement connue. Mais il en résulte toujours qu'il y a déjà beaucoup d'ensemble & d'accord dans la marche des expériences relatives à la combinaison & au dégagement du calorique.

Ce qui reste à faire dans ce moment & dont nous sommes occupés, est de déterminer ce que l'oxygène conserve de calorique dans sa combinaison avec les métaux pour les convertir en oxides; ce que l'hydrogène en contient dans les différens états dans lesquels il peut exister; enfin de connoître d'une manière plus exacte la quantité de calorique qui se dégage dans la formation de l'eau. Il nous reste sur cette détermination une incertitude assez grande qu'il est nécessaire de lever par de nouvelles expériences. Ces différens points bien connus, & nous espérons qu'ils le seront bientôt, nous nous trouverons vraisemblablement obligés de faire des corrections, peut-être même assez considérables, à la plupart des résultats que je viens d'exposer; mais je n'ai pas cru que ce fût une raison de différer d'en aider ceux qui pourront se proposer de travailler sur le même objet. Il est difficile quand on cherche les élémens d'une science nouvelle, de ne pas commencer par des à-peu-près; & il est rare qu'il soit possible de la porter dès le premier jet à son état de perfection.


CHAPITRE X.

De la combinaison des Substances combustibles les unes avec les autres.

Les substances combustibles étant en général celles qui ont une grande appétence pour l'oxygène, il en résulte qu'elles doivent avoir de l'affinité entr'elles, qu'elles doivent tendre à se combiner les unes avec les autres: quæ sunt eadem uni tertio sunt eadem inter se; & c'est ce qu'on observe en effet. Presque tous les métaux, par exemple, sont susceptibles de se combiner les uns avec les autres, & il en résulte un ordre de composés qu'on nomme alliage dans les usages de la société. Rien ne s'oppose à ce que nous adoptions cette expression: ainsi nous dirons que la plupart des métaux s'allient les uns avec les autres; que les alliages, comme toutes les combinaisons, sont susceptibles d'un ou de plusieurs degrés de saturation: que les substances métalliques dans cet état sont en général plus cassantes que les métaux purs, sur-tout lorsque les métaux alliés diffèrent beaucoup par leur degré de fusibilité; enfin nous ajouterons que c'est à cette différence des degrés de fusibilité des métaux que sont dus une partie des phénomènes particuliers que présentent les alliages, tels, par exemple, que la propriété qu'ont quelques espèces de fer d'être cassans à chaud. Ces fers doivent être considérés comme un alliage de fer pur, métal presqu'infusible, avec une petite quantité d'un autre métal, quel qu'il soit, qui se liquéfie à une chaleur beaucoup plus douce. Tant qu'un alliage de cette espèce est froid, & que les deux métaux sont dans l'état solide, il peut être malléable: mais si on le chauffe à un degré suffisant pour liquéfier celui des deux métaux qui est le plus fusible, les parties liquides interposées entre les solides doivent rompre la solution de continuité, & le fer doit devenir cassant.

A l'égard des alliages du mercure avec les métaux, on a coutume de les désigner sous le nom d'amalgame, & nous n'avons vu aucun inconvénient à leur conserver cette dénomination.

Le soufre, le phosphore, le charbon sont également susceptibles de se combiner avec les métaux; les combinaisons du soufre ont été en général désignées sous le nom de pirites; les autres n'ont point été nommées, ou du moins elles ont reçu des dénominations si modernes que rien ne s'oppose à ce qu'elles soient changées.

Nous avons donné aux premières de ces combinaisons le nom de sulfures, aux secondes celui de phosphures, enfin aux troisièmes celui de carbures. Ainsi le soufre, le phosphore, le charbon oxygénés forment des oxides ou des acides; mais lorsqu'ils entrent dans des combinaisons sans s'être auparavant oxygénés, ils forment des sulfures, des phosphures & des carbures. Nous étendrons même ces dénominations aux combinaisons alkalines; ainsi nous désignerons sous le nom de sulfure de potasse la combinaison du soufre avec la potasse ou alkali fixe végétal, & sous le nom de sulfure d'ammoniaque la combinaison du soufre avec l'alkali volatil ou ammoniaque.

L'hydrogène, cette substance éminemment combustible est aussi susceptible de se combiner avec un grand nombre de substances combustibles. Dans l'état de gaz il dissout le carbone, le soufre, le phosphore & plusieurs métaux. Nous désignerons ces combinaisons sous le nom de gaz hydrogène carboné, de gaz hydrogène sulfuré, de gaz hydrogène phosphoré. Le second de ces gaz, le gaz hydrogène sulfuré est celui que les chimistes ont désigné sous le nom de gaz hépatique, & que M. Schéele a nommé gaz puant du soufre; c'est à lui que quelques eaux minérales doivent leurs vertus; c'est aussi à son émanation que les déjections animales doivent principalement leur odeur infecte. A l'égard du gaz hydrogène phosphoré, il est remarquable par la propriété qu'il a de s'enflammer spontanément lorsqu'il a le contact de l'air ou mieux encore celui du gaz oxigène, comme l'a découvert M. Gengembre. Ce gaz a l'odeur du poisson pourri, & il est probable qu'il s'exhale en effet un véritable gaz hydrogène phosphoré de la chair des poissons par la putréfaction.

Lorsque l'hydrogène & le carbone s'unissent ensemble sans que l'hydrogène ait été porté à l'état de gaz par le calorique, il en résulte une combinaison particulière connue sous le nom d'huile, & cette huile est ou fixe ou volatile, suivant les proportions de l'hydrogène & du carbone.

Il ne sera pas inutile d'observer ici qu'un des principaux caractères qui distingue les huiles fixes retirées des végétaux par expression d'avec les huiles volatiles ou essentielles, c'est que les premières contiennent un excès de carbone qui s'en sépare lorsqu'on les échauffe au-delà du degré de l'eau bouillante: les huiles volatiles au contraire étant formées d'une plus juste proportion de carbone & d'hydrogène, ne sont point susceptibles d'être décomposées à un degré de chaleur supérieur à l'eau bouillante; les deux principes qui les constituent demeurent unis; ils se combinent avec le calorique pour former un gaz, & c'est dans cet état que ces huiles passent dans la distillation.

J'ai donné la preuve que les huiles étoient ainsi composées d'hydrogène & de carbone dans un mémoire sur la combinaison de l'esprit de vin & des huiles avec l'oxygène, imprimé dans le recueil de l'Académie, année 1784, page 593. On y verra que les huiles fixes en brûlant dans le gaz oxygène se convertissent en eau & en acide carbonique, & qu'en appliquant le calcul à l'expérience, elles sont composées de 21 parties d'hydrogène & de 79 parties de carbone. Peut-être les substances huileuses solides, telles que la cire, contiennent-elles en outre un peu d'oxigène auquel elles doivent leur état solide. Je suis au surplus occupé dans ce moment d'expériences qui donneront un grand développement à toute cette théorie.

C'est une question bien digne d'être examinée, de savoir si l'hydrogène est susceptible de se combiner avec le soufre, le phosphore & même avec les métaux dans l'état concret. Rien n'indique sans doute à priori que ces combinaisons soient impossibles; car puisque les corps combustibles sont en général susceptibles de se combiner les uns avec les autres, on ne voit pas pourquoi l'hydrogène feroit exception. Mais en même-tems aucune expérience directe ne prouve encore ni la possibilité ni l'impossibilité de cette union. Le fer & le zinc sont de tous les métaux ceux dans lesquels on seroit le plus en droit de soupçonner une combinaison d'hydrogène: mais en même-tems ces métaux ont la propriété de décomposer l'eau; & comme dans les expériences chimiques il est difficile de se débarrasser des derniers vestiges d'humidité, il n'est pas facile de s'assurer si les petites portions de gaz hydrogène qu'on obtient dans quelques expériences sur ces métaux leur étoient combinées, ou bien si elles proviennent de la décomposition de quelques molécules d'eau. Ce qu'il y a de certain, c'est que plus on prend soin d'écarter l'eau de ce genre d'expérience, plus la quantité de gaz hydrogène diminue, & qu'avec de très-grandes précautions on parvient à n'en avoir que des quantités presque insensibles.

Quoi qu'il en soit, que les corps combustibles, notamment le soufre, le phosphore & les métaux, soient susceptibles ou non d'absorber de l'hydrogène, on peut assurer au moins qu'il ne s'y combine qu'en très-petite quantité; & que cette combinaison loin d'être essentielle à leur constitution, ne peut être regardée que comme une addition étrangère qui en altère la pureté. C'est au surplus à ceux qui ont embrassé ce systême à prouver par des expériences décisives l'existence de cet hydrogène, & jusqu'à présent ils n'ont donné que des conjectures appuyées sur des suppositions.


CHAPITRE XI.

Considérations sur les Oxides & les Acides à plusieurs bases, & sur la composition des matières végétales & animales.

Nous avons examiné dans le chapitre cinquième & dans le chapitre huitième quel étoit le résultat de la combustion & de l'oxygénation des quatre substances combustibles simples, le phosphore, le soufre, le carbone & l'hydrogène: nous avons fait voir dans le chapitre dixième que les substances combustibles simples étoient susceptibles de se combiner les unes avec les autres, pour former des corps combustibles composés, & nous avons observé que les huiles en général, principalement les huiles fixes des végétaux, appartenoient à cette classe, & qu'elles étoient toutes composées d'hydrogène & de carbone. Il me reste à traiter dans ce chapitre de l'oxygénation des corps combustibles composés, à faire voir qu'il existe des acides & des oxides à base double & triple, que la nature nous en fournit à chaque pas des exemples, & que c'est principalement par ce genre de combinaisons qu'elle est parvenue à former avec un aussi petit nombre d'élémens ou de corps simples une aussi grande variété de résultats.

On avoit très-anciennement remarqué qu'en mêlant ensemble de l'acide muriatique & de l'acide nitrique, il en résultoit un acide mixte qui avoit des propriétés fort différentes de celles des deux acides dont il étoit composé. Cet acide a été célébre par la propriété qu'il a de dissoudre l'or, le Roi des métaux dans le langage alchimique, & c'est de-là que lui a été donnée la qualification brillante d'eau régale. Cet acide mixte, comme l'a très-bien prouvé M. Berthollet, a des propriétés particulières dépendantes de l'action combinée de ses deux bases acidifiables, & nous avons cru par cette raison devoir lui conserver un nom particulier. Celui d'acide nitro-muriatique nous a paru le plus convenable, parce qu'il exprime la nature des deux substances qui entrent dans sa composition.

Mais ce phénomène qui n'a été observé que pour l'acide nitro-muriatique se présente continuellement dans le règne végétal: il est infiniment rare d'y trouver un acide simple, c'est-à-dire qui ne soit composé que d'une seule base acidifiable. Tous les acides de ce règne ont pour base l'hydrogène & le carbone, quelquefois l'hydrogène, le carbone & le phosphore, le tout combiné avec une proportion plus ou moins considérable d'oxygène. Le règne végétal a également des oxides qui sont formés des mêmes bases doubles & triples, mais moins oxygénées.

Les acides & oxides du règne animal sont encore plus composés; il entre dans la combinaison de la plupart quatre bases acidifiables, l'hydrogène, le carbone, le phosphore & l'azote.

Je ne m'étendrai pas beaucoup ici sur cette matière sur laquelle il n'y a pas long-tems que je me suis formé des idées claires & méthodiques: je la traiterai plus à fond dans des Mémoires que je prépare pour l'Académie. La plus grande partie de mes expériences sont faites, mais il est nécessaire que je les répète & que je les multiplie davantage, afin de pouvoir donner des résultats exacts pour les quantités. Je me contenterai en conséquence de faire une courte énumération des oxides & acides végétaux & animaux, & de terminer cet article par quelques réflexions sur la constitution végétale & animale.

Les oxides végétaux à deux bases sont le sucre, les différentes espèces de gomme que nous avons réunies sous le nom générique de muqueux, & l'amidon. Ces trois substances ont pour radical l'hydrogène & le carbone combinés ensemble, de manière à ne former qu'une seule base, & portés à l'état d'oxide par une portion d'oxygène; ils ne diffèrent que par la proportion des principes qui composent la base. On peut de l'état d'oxide les faire passer à celui d'acide en leur combinant une nouvelle quantité d'oxygène, & on forme ainsi, suivant le degré d'oxygénation & la proportion de l'hydrogène & du carbone, les différens acides végétaux.

Il ne s'agiroit plus pour appliquer à la nomenclature des acides & des oxides végétaux les principes que nous avons précédemment établis pour les oxides & les acides minéraux, que de leur donner des noms relatifs à la nature des deux substances qui composent leur base. Les oxides & les acides végétaux seroient alors des oxides & des acides hydro-carboneux: bien plus on auroit encore dans cette méthode l'avantage de pouvoir indiquer sans périphrases quel est le principe qui est en excès, comme M. Rouelle l'avoit imaginé pour les extraits végétaux: il appeloit extracto-résineux celui où l'extrait dominoit, & résino-extractif celui qui participoit davantage de la résine.

En partant des mêmes principes, & en variant les terminaisons pour donner encore plus d'étendue à ce langage, on auroit pour désigner les acides & les oxides végétaux, les dénominations suivantes:

  • Oxide hydro-carboneux.
  • Oxide hydro-carbonique.
  • Oxide carbone-hydreux.
  • Oxyde carbone-hydrique.
  • Acide hydro-carboneux.
  • Acide hydro-carbonique.
  • Acide hydro-carbonique oxygéné.
  • Acide carbone-hydreux.
  • Acide carbone-hydrique.
  • Acide carbone-hydrique oxygéné.

Il est probable que cette variété de langage sera suffisante pour indiquer toutes les variétés que nous présente la nature, & qu'à mesure que les acides végétaux seront bien connus, ils se rangeront naturellement & pour ainsi dire d'eux-mêmes dans le cadre que nous venons de présenter. Mais il s'en faut bien que nous soyons encore en état de pouvoir faire une classification méthodique de ces substances: nous savons quels sont les principes qui les composent, & il ne me reste plus aucun doute à cet égard; mais les proportions sont encore inconnues. Ce sont ces considérations qui nous ont déterminés à conserver provisoirement les noms anciens; & maintenant encore que je suis un peu plus avancé dans cette carrière que je ne l'étois à l'époque où notre essai de nomenclature a paru, je me reprocherois de tirer des conséquences trop décidées d'expériences qui ne sont pas encore assez précises: mais en convenant que cette partie de la Chimie reste en souffrance, je puis y ajouter l'espérance qu'elle sera bientôt éclaircie.

Je me trouve encore plus impérieusement forcé de prendre le même parti à l'égard des oxides & des acides à trois & quatre bases, dont le règne animal présente un grand nombre d'exemples, & qui se rencontrent même quelquefois dans le règne végétal. L'azote, par exemple, entre dans la composition de l'acide prussique; il s'y trouve joint à l'hydrogène & au carbone, pour former une base triple; il entre également, à ce qu'on peut croire, dans l'acide gallique. Enfin presque tous les acides animaux ont pour base l'azote, le phosphore, l'hydrogène & le carbone. Une nomenclature qui entreprendroit d'exprimer à la fois ces quatre bases, seroit méthodique sans doute; elle auroit l'avantage d'exprimer des idées claires & déterminées: mais cette cumulation de substantifs & d'adjectifs grecs & latins, dont les Chimistes même n'ont point encore admis généralement l'usage, sembleroit présenter un langage barbare, également difficile à retenir & à prononcer. La perfection d'ailleurs de la science doit précéder celle du langage, & il s'en faut bien que cette partie de la Chimie soit encore parvenue au point auquel elle doit arriver un jour. Il est donc indispensable de conserver, au moins pour un tems, les noms anciens pour les acides & oxides animaux. Nous nous sommes seulement permis d'y faire quelques légères modifications; par exemple, de terminer en eux la dénomination de ceux dans lesquels nous soupçonnons que le principe acidifiable est en excès, & de terminer au contraire en ique le nom de ceux dans lesquels nous avons lieu de croire que l'oxygène est prédominant.

Les acides végétaux qu'on connoît jusqu'à présent, sont au nombre de treize; savoir:

  • L'acide acéteux.
  • L'acide acétique.
  • L'acide oxalique.
  • L'acide tartareux.
  • L'acide pyro-tartareux.
  • L'acide citrique.
  • L'acide malique.
  • L'acide pyro-muqueux.
  • L'acide pyro-ligneux.
  • L'acide gallique.
  • L'acide benzoïque.
  • L'acide camphorique.
  • L'acide succinique.

Quoique tous ces acides soient, comme je l'ai dit, principalement & presqu'uniquement composés d'hydrogène, de carbone & d'oxygène, ils ne contiennent cependant, à proprement parler, ni eau, ni acide carbonique, ni huile, mais seulement les principes propres à les former. La force d'attraction qu'exercent réciproquement l'hydrogène, le carbone & l'oxygène, est dans ces acides dans un état d'équilibre qui ne peut exister qu'à la température dans laquelle nous vivons: pour peu qu'on les échauffe au-delà du degré de l'eau bouillante, l'équilibre est rompu; l'oxygène & l'hydrogène se réunissent pour former de l'eau; une portion du carbone s'unit à l'hydrogène pour produire de l'huile; il se forme aussi de l'acide carbonique par la combinaison du carbone & de l'oxygène; enfin il se trouve presque toujours une quantité excédente de charbon qui reste libre. C'est ce que je me propose de développer un peu davantage dans le Chapitre suivant.

Les oxides du règne animal sont encore moins connus que ceux du règne végétal, & leur nombre même est encore indéterminé. La partie rouge du sang, la lymphe, presque toutes les sécrétions sont de véritables oxides; & c'est sous ce point de vue qu'il est important de les étudier.

Quant aux acides animaux, le nombre de ceux qui sont connus se borne actuellement à six; encore est-il probable que plusieurs de ces acides rentrent les uns dans les autres, ou au moins ne diffèrent que d'une manière peu sensible. Ces acides sont:

  • L'acide lactique.
  • L'acide saccho-lactique.
  • L'acide bombique.
  • L'acide formique.
  • L'acide sébacique.
  • L'acide prussique.

Je ne place pas l'acide phosphorique au rang des acides animaux, parce qu'il appartient également aux trois règnes.

La connexion des principes qui constituent les acides & les oxides animaux, n'est pas plus solide que celle des acides & des oxides végétaux; un très-léger changement dans la température suffit pour la troubler, & c'est ce que j'espère rendre plus sensible par les observations que je vais rapporter dans le Chapitre suivant.


CHAPITRE XII.

De la décomposition des Matières végétales & animales par l'action du feu.

Pour bien concevoir ce qui se passe dans la décomposition des substances végétales par le feu, il faut non-seulement considérer la nature des principes qui entrent dans leur composition, mais encore les différentes forces d'attraction que les molécules de ces principes exercent les unes sur les autres, & en même-tems celle que le calorique exerce sur eux.

Les principes vraiment constitutifs des végétaux se réduisent à trois, comme je viens de l'exposer dans le Chapitre précédent; l'hydrogène, l'oxygène & le carbone. Je les appelle constitutifs, parce qu'ils sont communs à tous les végétaux, qu'il ne peut exister de végétaux sans eux; à la différence des autres substances qui ne sont essentielles qu'à la constitution de tel végétal en particulier, mais non pas de tous les végétaux en général.

De ces trois principes, deux, l'hydrogène & l'oxygène, ont une grande tendance à s'unir au calorique & à se convertir en gaz; tandis que le carbone au contraire est un principe fixe & qui a très-peu d'affinité avec le calorique.

D'un autre côté, l'oxygène qui tend avec un degré de force à peu près égale à s'unir, soit avec l'hydrogène, soit avec le carbone, à la température habituelle dans laquelle nous vivons, a au contraire plus d'affinité avec le carbone à une chaleur rouge; l'oxygène quitte en conséquence à ce degré l'hydrogène, & s'unit au carbone pour former de l'acide carbonique.

Je me servirai quelquefois de cette expression chaleur rouge, quoiqu'elle n'exprime pas un degré de chaleur bien déterminée, mais beaucoup supérieure cependant à celle de l'eau bouillante.

Quoique nous soyons bien éloignés de connoître la valeur de toutes ces forces, & de pouvoir en exprimer l'énergie par des nombres, au moins sommes-nous certains par ce qui se passe journellement sous nos yeux, que quelque variables qu'elles soient en raison du degré de température, ou, ce qui est la même chose, en raison de la quantité de calorique avec lequel elles sont combinées, elles sont toutes à peu près en équilibre à la température dans laquelle nous vivons; ainsi les végétaux ne contiennent ni huile, ni eau, ni acide carbonique[B]; mais ils contiennent les élémens de toutes ces substances. L'hydrogène n'est point combiné, ni avec l'oxygène, ni avec le carbone, & réciproquement; mais les molécules de ces trois substances forment une combinaison triple, d'où résultent le repos & l'équilibre.

Un changement très-léger dans la température suffit pour renverser tout cet échaffaudage de combinaisons, s'il est permis de se servir de cette expression. Si la température à laquelle le végétal est exposé n'excède pas beaucoup celle de l'eau bouillante, l'hydrogène & l'oxygène se réunissent & forment de l'eau qui passe dans la distillation; une portion d'hydrogène & de carbone s'unissent ensemble pour former de l'huile volatile, une autre portion de carbone devient libre, & comme le principe le plus fixe, il reste dans la cornue. Mais si au lieu d'une chaleur voisine de l'eau bouillante on applique à une substance végétale une chaleur rouge, alors ce n'est plus de l'eau qui se forme, ou plutôt même celle qui pouvoit s'être formée par la première impression de la chaleur se décompose; l'oxygène s'unit au carbone avec lequel il a plus d'affinité à ce degré; il se forme de l'acide carbonique, & l'hydrogène devenu libre s'échappe sous la forme de gaz, en s'unissant au calorique. Non-seulement à ce degré il ne se forme point d'huile, mais s'il s'en étoit formé, elle seroit décomposée.

On voit donc que la décomposition des matières végétales se fait à ce degré, en vertu d'un jeu d'affinités doubles & triples, & que tandis que le carbone attire l'oxygène pour former de l'acide carbonique, le calorique attire l'hydrogène pour former du gaz hydrogène.

Il n'est point de substance végétale dont la distillation ne fournisse la preuve de cette théorie, si toutefois on peut appeler de ce nom un simple énoncé des faits. Qu'on distille du sucre; tant qu'on ne lui fera éprouver qu'une chaleur inférieure à celle de l'eau bouillante, il ne perdra qu'un peu d'eau de cristallisation; il sera toujours du sucre & il en conservera toutes les propriétés: mais sitôt qu'on l'expose à une chaleur tant soit peu supérieure à celle de l'eau bouillante, il noircit; une portion de carbone se sépare de la combinaison, en même tems il passe de l'eau légèrement acide, & un peu d'huile; le charbon qui reste dans la cornue, forme près d'un tiers du poids originaire.

Le jeu des affinités est encore plus compliqué dans les plantes qui contiennent de l'azote, comme les crucifères, & dans celles qui contiennent du phosphore; mais comme ces substances n'entrent qu'en petite quantité dans leur combinaison, elles n'apportent pas de grands changemens, au moins en apparence, dans les phénomènes de la distillation: il paroît que le phosphore demeure combiné avec le charbon, qui lui communique de la fixité. Quant à l'azote, il s'unit à l'hydrogène pour former de l'ammoniaque ou alkali volatil.

Les matières animales étant composées à peu près des mêmes principes que les plantes crucifères, leur distillation donne le même résultat; mais comme elles contiennent plus d'hydrogène & plus d'azote, elles fournissent plus d'huile & plus d'ammoniaque. Pour faire connoître avec quelle ponctualité cette théorie rend compte de tous les phénomènes qui ont lieu dans la distillation des matières animales, je ne citerai qu'un fait; c'est la rectification & la décomposition totale des huiles volatiles animales, appelées vulgairement huiles de Dippel. Ces huiles, lorsqu'on les obtient par une première distillation à feu nud, sont brunes, parce qu'elles contiennent un peu de charbon presque libre; mais elles deviennent blanches par la rectification. Le carbone tient si peu à ces combinaisons, qu'il s'en sépare par leur simple exposition à l'air. Si on place une huile volatile animale bien rectifiée & par conséquent blanche, limpide & transparente, sous une cloche remplie de gaz oxygène, en peu de tems le volume du gaz diminue & il est absorbé par l'huile. L'oxygène se combine avec l'hydrogène de l'huile, pour former de l'eau qui tombe au fond; en même tems la portion de charbon qui étoit combinée avec l'hydrogène, devient libre & se manifeste par sa couleur noire. C'est par cette raison que ces huiles ne se conservent blanches & claires, qu'autant qu'on les enferme dans des flacons bien bouchés, & qu'elles noircissent dès qu'elles ont le contact de l'air.

Les rectifications successives de ces mêmes huiles présentent un autre phénomène confirmatif de cette théorie. A chaque fois qu'on les distille, il reste un peu de charbon au fond de la cornue, en même tems il se forme un peu d'eau par la combinaison de l'oxygène de l'air des vaisseaux avec l'hydrogène de l'huile. Comme ce même phénomène a lieu à chaque distillation de la même huile, il en résulte qu'au bout d'un grand nombre de rectifications successives, sur-tout si on opère à un degré de feu un peu fort & dans des vaisseaux d'une capacité un peu grande, la totalité de l'huile se trouve décomposée, & l'on parvient à la convertir entièrement en eau & en charbon. Cette décomposition totale de l'huile par des rectifications répétées, est beaucoup plus longue & beaucoup plus difficile, quand on opère avec des vaisseaux d'une petite capacité, & sur-tout à un degré de feu lent & peu supérieur à celui de l'eau bouillante. Je rendrai compte à l'Académie, dans un Mémoire particulier, du détail de mes expériences sur cette décomposition des huiles; mais ce que j'ai dit me paroît suffire pour donner des idées précises de la constitution des matières végétales & animales, & de leur décomposition par le feu.


CHAPITRE XIII.

De la décomposition des Oxides végétaux par la fermentation vineuse.

Tout le monde sait comment se fait le vin, le cidre, l'hidromel & en général toutes les boissons fermentées spiritueuses. On exprime le jus des raisins & des pommes; on étend d'eau ce dernier; on met la liqueur dans de grandes cuves, & on la tient dans un lieu dont la température soit au moins de 10 degrés du thermomètre de Réaumur. Bientôt il s'y excite un mouvement rapide de fermentation, des bulles d'air nombreuses viennent crêver à la surface, & quand la fermentation est à son plus haut période, la quantité de ces bulles est si grande, la quantité de gaz qui se dégage est si considérable, qu'on croiroit que la liqueur est sur un brâsier ardent qui y excite une violente ébullition. Le gaz qui se dégage est de l'acide carbonique, & quand on le recueille avec soin, il est parfaitement pur & exempt du mêlange de toute autre espèce d'air ou de gaz.

Le suc des raisins, de doux & de sucré qu'il étoit, se change dans cette opération en une liqueur vineuse qui, lorsque la fermentation est complette, ne contient plus de sucre, & dont on peut retirer par distillation une liqueur inflammable qui est connue dans le commerce & dans les arts sous le nom d'esprit de vin. On sent que cette liqueur étant un résultat de la fermentation d'une matière sucrée quelconque suffisamment étendue d'eau, il auroit été contre les principes de notre nomenclature de la nommer plutôt esprit de vin qu'esprit de cidre, ou esprit de sucre fermenté. Nous avons donc été forcés d'adopter un nom plus général, & celui d'alkool qui nous vient des arabes nous a paru propre à remplir notre objet.

Cette opération est une des plus frappantes & des plus extraordinaires de toutes celles que la Chimie nous présente, & nous avons à examiner d'où vient le gaz acide carbonique qui se dégage, d'où vient l'esprit inflammable qui se forme, & comment un corps doux, un oxide végétal peut se transformer ainsi en deux substances si différentes, dont l'une est combustible, l'autre éminemment incombustible. On voit que pour arriver à la solution de ces deux questions, il falloit d'abord bien connoître l'analyse & la nature du corps susceptible de fermenter, & les produits de la fermentation; car rien ne se crée, ni dans les opérations de l'art, ni dans celles de la nature, & l'on peut poser en principes que dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant & après l'opération; que la qualité & la quantité des principes est la même, & qu'il n'y a que des changemens, des modifications.

C'est sur ce principe qu'est fondé tout l'art de faire des expériences en Chimie: on est obligé de supposer dans toutes une véritable égalité ou équation entre les principes du corps qu'on examine, & ceux qu'on en retire par l'analyse. Ainsi puisque du moût de raisin donne du gaz acide carbonique & de l'alkool, je puis dire que le moût de raisin = acide carbonique + alkool. Il résulte de-là qu'on peut parvenir de deux manières à éclaircir ce qui se passe dans la fermentation vineuse; la première, en déterminant bien la nature & les principes du corps fermentescible; la seconde, en observant bien les produits qui en résultent par la fermentation, & il est évident que les connoissances que l'on peut acquérir sur l'un conduisent à des conséquences certaines sur la nature des autres, & réciproquement.

Il étoit important d'après cela que je m'attachasse à bien connoître les principes constituans du corps fermentescible. On conçoit que pour y parvenir je n'ai pas été chercher les sucs de fruits très-composés, & dont une analyse rigoureuse seroit peut-être impossible. J'ai choisi de tous les corps susceptibles de fermenter le plus simple; le sucre dont l'analyse est facile, & dont j'ai déjà précédemment fait connoître la nature. On se rappelle que cette substance est un véritable oxide végétal, un oxide à deux bases; qu'il est composé d'hydrogène & de carbone porté à l'état d'oxide par une certaine proportion d'oxygène, & que ces trois principes sont dans un état d'équilibre qu'une force très-légère suffit pour rompre: une longue suite d'expériences faites par différentes voies & que j'ai répétées bien des fois, m'a appris que les proportions des principes qui entrent dans la composition du sucre sont à-peu-près les suivantes.

Hydrogène, 8 parties.
Oxygène, 64  
Carbone, 28  
Total, 100  

Pour faire fermenter le sucre il faut d'abord l'étendre d'environ quatre parties d'eau. Mais de l'eau & du sucre mêlés ensemble, dans quelque proportion que ce soit, ne fermenteroient jamais seuls, & l'équilibre subsisteroit toujours entre les principes de cette combinaison, si on ne le rompoit par un moyen quelconque. Un peu de levure de bierre suffit pour produire cet effet & pour donner le premier mouvement à la fermentation: elle se continue ensuite d'elle-même jusqu'à la fin. Je rendrai compte ailleurs des effets de la levure & de ceux des fermens en général. J'ai communément employé dix livres de levure en pâte pour un quintal de sucre, & une quantité d'eau égale à quatre fois le poids du sucre: ainsi la liqueur fermentescible se trouvoit composée ainsi qu'il suit: je donne ici les résultats de mes expériences tels que je les ai obtenus, & en conservant même jusqu'aux fractions que m'a données le calcul de réduction.

Matériaux de la fermentation pour un quintal de sucre.

      liv. onc. gr. gr.
Eau 400 » » »
Sucre 100 » » »
Levure de biere en pâte, composée de Eau 7 3 6 44
Levure seche 2 12 1 28
Total 510 » » »

Détail des principes constituans des matériaux de la fermentation.

      livres onces gros grains
407 livres 3 onces 6 gros 44 grains d'eau composées de Hydrogène 61 1 2 71,40
Oxygène 346 2 3 44,60
100 livres de sucre composées de Hydrogène 8 » » »
Oxygène 64 » » »
Carbone 28 » » »
2 livres 12 onces 1 gros 28 grains de levure seche composées de Carbone » 12 4 59,00
Azote » » 5 2,94
Hydrogène » 4 5 9,30
Oxygène 1 10 2 28,76
Total 510 » » »

Récapitulation des principes constituans des matériaux de la fermentation.

      liv. on. gr. grains.   liv. onc. gr. gr.
Oxygène de l'eau 340 » » » 411 12 6 1,36
de l'eau de la levure 6 2 3 44,60
du sucre 64 » » »
de la levure 1 10 2 28,76
Hydrogène de l'eau 60 » » » 69 6 » 8,70
de l'eau de la levure 1 1 2 71,40
du sucre 8 » » »
de la levure » 4 5 9,30
Carbone du sucre 28 » » » 28 12 4 59,00
de la levure » 12 4 59,00
Azote de la levure » » 5 2,94
Total 510 » » »

Après avoir bien déterminé quelle est la nature & la quantité des principes qui constituent les matériaux de la fermentation, il reste à examiner quels en sont les produits. Pour parvenir à les connoître, j'ai commencé par renfermer les 510 livres de liqueur ci-dessus dans un appareil, par le moyen duquel je pouvois, non-seulement déterminer la qualité & la quantité des gaz à mesure qu'ils se dégageoient, mais encore peser chacun des produits séparément, à telle époque de la fermentation que je le jugeois à propos. Il seroit trop long de décrire ici cet appareil, qui se trouve au surplus décrit dans la troisième partie de cet Ouvrage. Je me bornerai donc à rendre compte des effets.

Une heure ou deux après que le mêlange est fait, sur-tout si la température dans laquelle on opère est de 15 à 18 degrés, on commence à appercevoir les premiers indices de la fermentation: la liqueur se trouble & devient écumeuse; il s'en dégage des bulles qui viennent crêver à la surface: bientôt la quantité de ces bulles augmente, & il se fait un dégagement abondant & rapide de gaz acide carbonique très-pur accompagné d'écume qui n'est autre chose que de la levure qui se sépare. Au bout de quelques jours, suivant le degré de chaleur, le mouvement & le dégagement de gaz diminue, mais il ne cesse pas entièrement; & ce n'est qu'après un intervalle de tems assez long que la fermentation est achevée.

Le poids de l'acide carbonique sec qui se dégage dans cette opération est de 35 livres 5 onces 4 gros 19 grains.

Ce gaz entraîne en outre avec lui une portion assez considérable d'eau qu'il tient en dissolution, & qui est environ de 13 livres 14 onces 5 gros.

Il reste dans le vase dans lequel on opère une liqueur vineuse légèrement acide, d'abord trouble, qui s'éclaircit ensuite d'elle-même, & qui laisse déposer une portion de levure. Cette liqueur pèse en totalité 460 livres 11 onces 6 gros 53 grains.

Enfin en analysant séparément toutes ces substances, & en les résolvant dans leurs parties constituantes, on trouve après un travail très-pénible les résultats qui suivent, qui seront détaillés dans les mémoires de l'Académie.

Tableau des résultats obtenus par la fermentation.

      liv. on. gr. gr.
35 livres 5 onces 4 gros 19 grains d'acide carbonique composées d'oxygène 25 7 1 34
de carbone 9 14 2 57
408 livres 15 onces 5 gros 14 grains d'eau composées d'oxygène 347 10 » 59
d'hydrogène 61 5 4 27
57 livres 11 onces 1 gros 58 grains d'alkool sec, composées d'oxygène combiné avec l'hydrogène 31 6 1 64
d'hydrogène combiné avec l'oxygène 5 8 5 3
d'hydrogène combiné avec le carbone 4 » 5 »
de carbone 16 11 5 63
2 livres 8 onces d'acide acéteux sec composées d'hydrogène   2 4 »
d'oxygène 1 11 4 »
de carbone   10 » »
4 livres 1 once 4 gros 3 grains de résidu sucré composées d'hydrogène   5 1 67
d'oxygène 2 9 7 27
de carbone 1 2 2 53
1 livre 6 onces 50 grains de levure seche composées d'hydrogène   2 2 41
d'oxygène   13 1 14
de carbone   6 2 30
d'azote     2 37
510 livres     510 » » »

Récapitulation des résultats obtenus par la fermentation.

      liv. on. gr. gr.
409 livres 10 onces 54 grains d'oxygène de l'eau 347 10 » 59
de l'acide carbonique 25 7 1 34
de l'alkool 31 6 1 64
de l'acide acéteux 1 11 4 »
du résidu sucré 2 9 7 27
de la levure   13 1 14
28 livres 12 onces 5 gros 59 grains de carbone de l'acide carbonique 9 14 2 57
de l'alkool 16 11 5 63
de l'acide acéteux   10 » »
du résidu sucré 1 2 2 53
de la levure   6 2 30
71 livres 8 onces 6 gros 66 grains d'hydrogène de l'eau 61 5 4 27
de l'eau de l'alkool 5 8 5 3
combiné avec le carbone dans l'alkool 4 » 5 »
de l'acide acéteux   2 4 »
du résidu sucré   5 1 67
de la levure   2 2 41
2 gros 37 grains d'azote         2 37
510 livres     510 » » »

Quoique dans ces résultats j'aye porté jusqu'aux grains la précision du calcul, il s'en faut bien que ce genre d'expériences puisse comporter encore une aussi grande exactitude; mais comme je n'ai opéré que sur quelques livres de sucre, & que pour établir des comparaisons j'ai été obligé de les réduire au quintal, j'ai cru devoir laisser subsister les fractions telles que le calcul me les a données.

En réfléchissant sur les résultats que présentent les tableaux ci-dessus, il est aisé de voir clairement ce qui se passe dans la fermentation vineuse. On remarque d'abord que sur les cent livres de sucre qu'on a employées, il y en a eu 4 livres 1 once 4 gros 3 grains qui sont restées dans l'état de sucre non-décomposé, en sorte qu'on n'a réellement opéré que sur 95 livres 14 onces 5 gros 69 grains de sucre; c'est-à-dire, sur 61 livres 6 onces 45 grains d'oxygène, sur 7 livres 10 onces 6 gros 6 grains d'hydrogène, & sur 26 livres 13 onces 5 gros 19 grains de carbone. Or en comparant ces quantités on verra qu'elles sont suffisantes pour former tout l'esprit de vin ou alkool, tout l'acide carbonique & tout l'acide acéteux qui a été produit par l'effet de la fermentation. Il n'est donc point nécessaire de supposer que l'eau se décompose dans cette opération: à moins qu'on ne prétende que l'oxygène & l'hydrogène sont dans l'état d'eau dans le sucre; ce que je ne crois pas, puisque j'ai établi au contraire qu'en général les trois principes constitutifs des végétaux, l'hydrogène, l'oxygène & le carbone étoient entr'eux dans un état d'équilibre; que cet état d'équilibre subsistoit tant qu'il n'étoit point troublé, soit par un changement de température, soit par une double affinité, & que ce n'étoit qu'alors que les principes se combinant deux à deux formoient de l'eau & de l'acide carbonique.

Les effets de la fermentation vineuse se réduisent donc à séparer en deux portions le sucre qui est un oxide; à oxygéner l'une aux dépens de l'autre pour en former de l'acide carbonique; à désoxygéner l'autre en faveur de la première pour en former une substance combustible qui est l'alkool: en sorte que s'il étoit possible de recombiner ces deux substances, l'alkool & l'acide carbonique, on reformeroit du sucre. Il est à remarquer au surplus que l'hydrogène & le carbone ne sont pas dans l'état d'huile dans l'alkool; ils sont combinés avec une portion d'oxygène qui les rend miscibles à l'eau: les trois principes, l'oxygène, l'hydrogène & le carbone, sont donc encore ici dans une espèce d'état d'équilibre; & en effet, en les faisant passer à travers un tube de verre ou de porcelaine rougi au feu, on les recombine deux à deux, & on retrouve de l'eau, de l'hydrogène, de l'acide carbonique & du carbone.

J'avois avancé d'une manière formelle dans mes premiers Mémoires sur la formation de l'eau, que cette substance regardée comme un élément, se décomposoit dans un grand nombre d'opérations chimiques, notamment dans la fermentation vineuse: je supposois alors qu'il existoit de l'eau toute formée dans le sucre, tandis que je suis persuadé aujourd'hui qu'il contient seulement les matériaux propres à la former. On conçoit qu'il a dû m'en coûter pour abandonner mes premières idées; aussi n'est-ce qu'après plusieurs années de réflexions, & d'après une longue suite d'expériences & d'observations sur les végétaux, que je m'y suis déterminé.

Je terminerai ce que j'ai à dire sur la fermentation vineuse, en observant qu'elle peut fournir un moyen d'analyse du sucre & en général des substances végétales susceptibles de fermenter. En effet, comme je l'ai déjà indiqué au commencement de cet article, je puis considérer les matières mises à fermenter & le résultat obtenu après la fermentation, comme une équation algébrique; & en supposant successivement chacun des élémens de cette équation inconnus, j'en puis tirer une valeur, & rectifier ainsi l'expérience par le calcul & le calcul par l'expérience. J'ai souvent profité de cette méthode pour corriger les premiers résultats de mes expériences, & pour me guider dans les précautions à prendre pour les recommencer: mais ce n'est pas ici le moment d'entrer dans ces détails sur lesquels je me suis au surplus étendu fort au long dans le Mémoire que j'ai donné à l'Académie sur la Fermentation vineuse, & qui sera incessamment imprimé.


CHAPITRE XIV.

De la Fermentation putride.

Je viens de faire voir comment le corps sucré se décomposoit, lorsqu'il étoit étendu d'une certaine quantité d'eau & à l'aide d'une douce chaleur; comment les trois principes qui le constituent, l'oxygène, l'hydrogène & le carbone, qui étoient dans un état d'équilibre & qui ne formoient dans l'état de sucre ni de l'eau, ni de l'huile, ni de l'acide carbonique, se séparoient pour se combiner dans un autre ordre; comment une portion de carbone se réunissoit à l'oxygène pour former de l'acide carbonique; comment une autre portion de carbone se combinoit avec de l'hydrogène & avec de l'eau pour former de l'alkool.

Les phénomènes de la putréfaction s'opèrent de même en vertu d'affinités très-compliquées. Les trois principes constitutifs du corps cessent également, dans cette opération, d'être dans un état d'équilibre: au lieu d'une combinaison ternaire, il se forme des combinaisons binaires; mais le résultat de ces combinaisons est bien différent de celui que donne la fermentation vineuse. Dans cette dernière, une partie des principes de la substance végétale, l'hydrogène par exemple, reste uni à une portion d'eau & de carbone pour former de l'alkool. Dans la fermentation putride au contraire, la totalité de l'hydrogène se dissipe sous la forme de gaz hydrogène: en même tems l'oxygène & le carbone se réunissant au calorique, s'échappent sous la forme de gaz acide carbonique. Enfin quand l'opération est entièrement achevée, sur-tout si la quantité d'eau nécessaire pour la putréfaction n'a pas manqué, il ne reste plus que la terre du végétal mêlée d'un peu de carbone & de fer.

La putréfaction des végétaux n'est donc autre chose qu'une analyse complette des substances végétales dans laquelle la totalité de leurs principes constitutifs se dégage sous forme de gaz, à l'exception de la terre qui reste dans l'état de ce qu'on nomme terreau.

Je donnerai dans la troisième partie de cet Ouvrage, une idée des appareils qu'on peut employer pour ce genre d'expériences.

Tel est le résultat de la putréfaction, quand le corps qu'on y soumet ne contient que de l'oxygène, de l'hydrogène, du carbone & un peu de terre: mais ce cas est rare, & il paroît même que ces substances, lorsqu'elles sont seules, fermentent difficilement; qu'elles fermentent mal, & qu'il faut un tems considérable pour que la putréfaction soit complette. Il n'en est pas de même quand la substance mise à fermenter contient de l'azote; & c'est ce qui a lieu à l'égard de toutes les matières animales & même d'un assez grand nombre de matières végétales. Ce nouvel ingrédient favorise merveilleusement la putréfaction: c'est pour cette raison qu'on mêlange les matières animales avec les végétales, lorsqu'on veut hâter la putréfaction; & c'est dans ce mêlange que consiste presque toute la science des amendemens & des fumiers.

Mais l'introduction de l'azote dans les matériaux de la putréfaction, ne produit pas seulement l'effet d'en accélérer les phénomènes; elle forme, en se combinant avec l'hydrogène, une nouvelle substance connue sous le nom d'alkali volatil ou ammoniaque. Les résultats qu'on obtient en analysant les matières animales par différens procédés, ne laissent aucun doute sur la nature des principes qui constituent l'ammoniaque. Toutes les fois qu'on sépare préalablement l'azote de ces matières, elles ne donnent plus d'ammoniaque, & elles n'en donnent qu'autant qu'elles contiennent de l'azote. Cette composition de l'ammoniaque est d'ailleurs confirmée par des expériences analytiques, que M. Berthollet a détaillées dans les Mémoires de l'Acad. année 1785, page 316; il a donné différens moyens de décomposer cette substance & d'obtenir séparément les deux principes, l'azote & l'hydrogène, qui entrent dans sa combinaison.

J'ai déjà annoncé plus haut (voyez Chapitre dixième) que les corps combustibles étoient presque tous susceptibles de se combiner les uns avec les autres. Le gaz hydrogène a éminemment cette propriété; il dissout le carbone, le soufre & le phosphore, & il résulte de ces combinaisons ce que j'ai appelé plus haut, gaz hydrogène carboné, gaz hydrogène sulfuré, gaz hydrogène phosphoré. Les deux derniers de ces gaz ont une odeur particulière & très-désagréable: celle du gaz hydrogène sulfuré a beaucoup de rapport avec celle des œufs gâtés & corrompus; celle du gaz hydrogène phosphoré est absolument la même que celle du poisson pourri; enfin l'ammoniaque a une odeur qui n'est ni moins pénétrante, ni moins désagréable que les précédentes. C'est de la combinaison de ces différentes odeurs que résulte celle qui s'exhale des matières animales en putréfaction, & qui est si fétide. Tantôt c'est l'odeur de l'ammoniaque qui est prédominante, & on la reconnoît aisément à ce qu'elle pique les yeux; tantôt c'est celle du soufre, comme dans les matières fécales; tantôt enfin, c'est celle du phosphore, comme dans le hareng pourri.

J'ai supposé jusqu'ici que rien ne dérangeoit le cours de la fermentation, & n'en troubloit les effets. Mais M. de Fourcroy & M. Thouret ont observé, relativement à des cadavres enterrés à une certaine profondeur & garantis jusqu'à un certain point du contact de l'air, des phénomènes particuliers. Ils ont remarqué que souvent la partie musculaire se convertissoit en une véritable graisse animale. Ce phénomène tient à ce que, par quelque circonstance particulière, l'azote que contenoient ces matières animales aura été dégagé, & à ce qu'il n'est resté que de l'hydrogène & du carbone, c'est-à-dire, les matériaux propres à faire de la graisse. Cette observation sur la possibilité de convertir en graisse les matières animales, peut conduire un jour à des découvertes importantes sur le parti qu'on en peut tirer pour les usages de la société. Les déjections animales, telles que les matières fécales, sont principalement composées de carbone & d'hydrogène; elles se rapprochent donc beaucoup de l'état d'huile, & en effet elles en fournissent beaucoup par la distillation à feu nud. Mais l'odeur insoutenable qui accompagne tous les produits qu'on en retire, ne permet pas d'espérer de long-tems qu'on puisse les employer à autre chose qu'à faire des engrais.

Je n'ai donné dans ce Chapitre que des apperçus, parce que la composition des matières animales n'est pas encore très-exactement connue. On sait qu'elles sont composées d'hydrogène, de carbone, d'azote, de phosphore, de soufre; le tout porté à l'état d'oxide par une quantité plus ou moins grande d'oxygène: mais on ignore absolument quelle est la proportion de ces principes. Le tems complétera cette partie de l'analyse chimique, comme il en a complété déjà quelques autres.


CHAPITRE XV.

De la Fermentation acéteuse.

La fermentation acéteuse n'est autre chose que l'acidification du vin qui se fait à l'air libre par l'absorption de l'oxygène. L'acide qui en résulte est l'acide acéteux, vulgairement appelé vinaigre: il est composé d'une proportion qui n'a point encore été déterminée, d'hydrogène & de carbone combinés ensemble, & portés à l'état d'acide par l'oxygène.

Le vinaigre étant un acide, l'analogie conduisoit seule à conclure qu'il contenoit de l'oxygène; mais cette vérité est prouvée de plus par des expériences directes. Premièrement le vin ne peut se convertir en vinaigre qu'autant qu'il a le contact de l'air, & qu'autant que cet air contient du gaz oxygène. Secondement cette opération est accompagnée d'une diminution du volume de l'air dans lequel elle se fait, & cette diminution de volume est occasionnée par l'absorption du gaz oxygène. Troisièmement on peut transformer le vin en vinaigre, en l'oxygénant par quelqu'autre moyen que ce soit.

Indépendamment de ces faits qui prouvent que l'acide acéteux est un résultat de l'oxygénation du vin, une expérience de M. Chaptal, professeur de Chimie à Montpellier, fait voir clairement ce qui se passe dans cette opération. Il prend du gaz acide carbonique dégagé de la bière en fermentation; il en imprègne de l'eau jusqu'à saturation, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'elle en ait absorbé environ une quantité égale à son volume; il met cette eau à la cave dans des vaisseaux qui ont communication avec l'air, & au bout de quelque tems le tout se trouve converti en acide acéteux. Le gaz acide carbonique des cuves de bière en fermentation, n'est pas entièrement pur; il est mêlé d'un peu d'alkool qu'il tient en dissolution: il y a donc dans l'eau imprégnée d'acide carbonique dégagé de la fermentation vineuse, tous les matériaux nécessaires pour former de l'acide acéteux. L'alkool fournit l'hydrogène & une portion de carbone; l'acide carbonique fournit du carbone & de l'oxygène; enfin l'air de l'atmosphère doit fournir ce qui manque d'oxygène pour porter le mêlange à l'état d'acide acéteux.

On voit par-là qu'il ne faut qu'ajouter de l'hydrogène à l'acide carbonique pour le constituer acide acéteux, ou pour parler plus généralement, pour le transformer en un acide végétal quelconque, suivant le degré d'oxygénation; qu'il ne faut au contraire que retrancher de l'hydrogène aux acides végétaux pour les convertir en acide carbonique.

Je ne m'étendrai pas davantage sur la fermentation acéteuse à l'égard de laquelle nous n'avons pas encore d'expériences exactes; les faits principaux sont connus, mais l'exactitude numérique manque. On voit d'ailleurs que la théorie de l'acétification est étroitement liée à celle de la constitution de tous les acides & oxides végétaux, & nous ne connoissons point encore la proportion des principes dont ils sont composés. Il est aisé de s'appercevoir cependant que toute cette partie de la chimie marche rapidement comme toutes les autres, vers sa perfection, & qu'elle est beaucoup plus simple qu'on ne l'avoit cru jusqu'ici.


CHAPITRE XVI.

De la formation des Sels neutres, & des différentes bases qui entrent dans leur composition.

Nous avons vu comment un petit nombre de substances simples, ou au moins qui n'ont point été décomposées jusqu'ici, telles que l'azote, le soufre, le phosphore, le carbone, le radical muriatique & l'hydrogène, formoient en se combinant avec l'oxygène tous les oxides & les acides du règne végétal & du règne animal: nous avons admiré avec quelle simplicité de moyens la nature multiplioit les propriétés & les formes, soit en combinant ensemble jusqu'à trois & quatre bases acidifiables dans différentes proportions, soit en changeant la dose d'oxygène destiné à les acidifier. Nous ne la trouverons ni moins variée, ni moins simple, ni sur-tout moins féconde dans l'ordre de choses que nous allons parcourir.

Les substances acidifiables en se combinant avec l'oxygène, & en se convertissant en acides, acquièrent une grande tendance à la combinaison; elles deviennent susceptibles de s'unir avec des substances terreuses & métalliques, & c'est de cette réunion que résultent les sels neutres. Les acides peuvent donc être regardés comme de véritables principes salifians, & les substances auxquelles ils s'unissent pour former des sels neutres, comme des bases salifiables: c'est précisément de la combinaison des principes salifians avec les bases salifiables que nous allons nous occuper dans cet article.

Cette manière d'envisager les acides ne me permet pas de les regarder comme des sels, quoiqu'ils aient quelques-unes de leurs propriétés principales, telles que la solubilité dans l'eau, &c. Les acides, comme je l'ai déjà fait observer, résultent d'un premier ordre de combinaisons; ils sont formés de la réunion de deux principes simples, ou au moins qui se comportent à la manière des principes simples, & ils sont par conséquent pour me servir de l'expression de Stahl, dans l'ordre des mixtes. Les sels neutres, au contraire, sont d'un autre ordre de combinaisons, ils sont formés de la réunion de deux mixtes, & ils rentrent dans la classe des composés. Je ne rangerai pas non plus, par la même cause, les alkalis[6] ni les substances terreuses, telles que la chaux, la magnésie, &c. dans la classe des sels, & je ne désignerai par ce nom que des composés formés de la réunion d'une substance simple oxygénée avec une base quelconque.

Je me suis suffisamment étendu dans les chapitres précédens sur la formation des acides, & je n'ajouterai rien à cet égard; mais je n'ai rien dit encore des bases qui sont susceptibles de se combiner avec eux pour former des sels neutres; ces bases que je nomme salifiables, sont:

  • La potasse.
  • La soude.
  • L'ammoniaque.
  • La chaux.
  • La magnésie.
  • La baryte.
  • L'alumine.

Et toutes les substances métalliques.

Je vais dire un mot de l'origine & de la nature de chacune de ces bases en particulier.

De la Potasse.

Nous avons déjà fait observer que lorsqu'on échauffoit une substance végétale dans un appareil distillatoire, les principes qui la composent, l'oxygène, l'hydrogène & le carbone, & qui formoient une combinaison triple dans un état d'équilibre, se réunissoient deux à deux en obéissant aux affinités qui doivent avoir lieu suivant le degré de température. Ainsi à la première impression du feu, & dès que la chaleur excède celle de l'eau bouillante, l'oxygène & l'hydrogène se réunissent pour former de l'eau. Bientôt après une portion de carbone & une d'hydrogène se combinent pour former de l'huile. Lorsqu'ensuite par le progrès de la distillation on est parvenu à une chaleur rouge, l'huile & l'eau même qui s'étoient formées se décomposent; l'oxygène & le carbone forment l'acide carbonique, une grande quantité de gaz hydrogène devenu libre se dégage & s'échappe; enfin il ne reste plus que du charbon dans la cornue.

La plus grande partie de ces phénomènes se retrouvent dans la combustion des végétaux à l'air libre: mais alors la présence de l'air, introduit dans l'opération trois ingrédiens nouveaux, dont deux au moins apportent des changemens considérables dans les résultats de l'opération. Ces ingrédiens sont l'oxygène de l'air, l'azote & le calorique. A mesure que l'hydrogène du végétal ou celui qui résulte de la décomposition de l'eau est chassé par le progrès du feu sous la forme de gaz hydrogène, il s'allume au moment où il a le contact de l'air, il reforme de l'eau, & le calorique des deux gaz qui devient libre, au moins pour la plus grande partie, produit la flamme.

Lorsqu'ensuite tout le gaz hydrogène a été chassé, brûlé & réduit en eau, le charbon qui reste brûle à son tour, mais sans flamme; il forme de l'acide carbonique qui s'échappe, emportant avec lui une portion de calorique qui le constitue dans l'état de gaz: le surplus du calorique devient libre, s'échappe & produit la chaleur & la lumière qu'on observe dans la combustion du charbon. Tout le végétal se trouve ainsi réduit en eau & en acide carbonique; il ne reste qu'une petite portion d'une matière terreuse grise, connue sous le nom de cendre, & qui contient les seuls principes vraiment fixes qui entrent dans la constitution des végétaux.

Cette terre ou cendre dont le poids n'excède pas communément le vingtième de celui du végétal, contient une substance d'un genre particulier, connue sous le nom d'alkali fixe végétal ou de potasse.

Pour l'obtenir on passe de l'eau sur les cendres; l'eau se charge de la potasse qui est dissoluble, & elle laisse les cendres qui sont insolubles: en évaporant ensuite l'eau, on obtient la potasse qui est fixe, même à un très-grand degré de chaleur, & qui reste sous forme blanche & concrète. Mon objet n'est point de décrire ici l'art de préparer la potasse, encore moins les moyens de l'obtenir pure: je n'entre même ici dans ces détails que pour obéir à la loi que je me suis faite de n'admettre aucun mot qui n'ait été défini.

La potasse qu'on obtient par ce procédé est toujours plus ou moins saturée d'acide carbonique, & la raison en est facile à saisir: comme la potasse ne se forme, ou au moins n'est rendue libre qu'à mesure que le charbon du végétal est converti en acide carbonique par l'addition de l'oxygène, soit de l'air, soit de l'eau, il en résulte que chaque molécule de potasse se trouve au moment de sa formation en contact avec une molécule d'acide carbonique, & comme il y a beaucoup d'affinité entre ces deux substances, il doit y avoir combinaison. Quoique l'acide carbonique soit celui de tous les acides qui tient le moins à la potasse, il est cependant difficile d'en séparer les dernières portions. Le moyen le plus habituellement employé consiste à dissoudre la potasse dans de l'eau, à y ajouter deux ou trois fois son poids de chaux vive, à filtrer & à évaporer dans des vaisseaux fermés; la substance saline qu'on obtient est de la potasse presqu'entièrement dépouillée d'acide carbonique.

Dans cet état, elle est non-seulement dissoluble dans l'eau, au moins à partie égale; mais elle attire encore celle de l'air avec une étonnante avidité: elle fournit en conséquence un moyen de sécher l'air ou les gaz auxquels elle est exposée. Elle est également soluble dans l'esprit-de-vin ou alkool, à la différence de celle qui est saturée d'acide carbonique, qui n'est pas soluble dans ce dissolvant. Cette circonstance a fourni à M. Berthollet un moyen d'avoir de la potasse parfaitement pure.

Il n'y a point de végétaux qui ne donnent plus ou moins de potasse par incinération; mais on ne l'obtient pas également pure de tous, elle est ordinairement mêlée avec différens sels qu'il est aisé d'en séparer.

On ne peut guère douter que les cendres, autrement dit la terre que laissent les végétaux lorsqu'on les brûle, ne préexistât dans ces végétaux antérieurement à la combustion; cette terre forme, à ce qu'il paroît, la partie osseuse, la carcasse du végétal. Mais il n'en est pas de même de la potasse; on n'est encore parvenu à séparer cette substance des végétaux, qu'en employant des procédés ou des intermèdes qui peuvent fournir de l'oxigène & de l'azote, tels que la combustion ou la combinaison avec l'acide nitrique; en sorte qu'il n'est point démontré que cette substance ne soit pas un produit de ces opérations. J'ai commencé une suite d'expériences sur cet objet, dont je serai bientôt en état de rendre compte.

De la Soude.

La soude est, comme la potasse, un alkali qui se tire de la lixiviation des cendres des plantes, mais de celles seulement qui croissent aux bords de la mer, & principalement du kali, d'où est venu le nom d'alkali qui lui a été donné par les arabes: elle a quelques propriétés communes avec la potasse, mais elle en a d'autres qui l'en distinguent. En général ces deux substances portent chacune dans toutes les combinaisons salines des caractères qui leur sont propres. La soude, telle qu'on l'obtient de la lixiviation des plantes marines, est le plus souvent entièrement saturée d'acide carbonique; mais elle n'attire pas, comme la potasse, l'humidité de l'air; au contraire elle s'y desseche; ses cristaux s'effleurissent & se convertissent en une poussière blanche qui a toutes les propriétés de la soude, & qui n'en differe que parce qu'elle a perdu son eau de cristallisation.

On ne connoît pas mieux jusqu'ici les principes constituans de la soude que ceux de la potasse, & on n'est pas même certain si cette substance est toute formée dans les végétaux, antérieurement à la combustion. L'analogie pourroit porter à croire que l'azote est un des principes constituans des alkalis en général, & on en a la preuve à l'égard de l'ammoniaque, comme je vais l'exposer: mais on n'a, relativement à la potasse & à la soude que de légères présomptions qu'aucune expérience décisive n'a encore confirmées.

De l'Ammoniaque.

Comme nous n'avions aucune connoissance précise à présenter sur la composition de la soude & de la potasse, nous avons été obligés de nous borner dans les deux paragraphes précédens à indiquer les substances dont on les retire, & les moyens qu'on emploie pour les obtenir. Il n'en est pas de même de l'ammoniaque, que les anciens ont nommée alkali volatil. M. Berthollet, dans un Mémoire imprimé dans le recueil de l'Académie, année 1784, page 316, est parvenu à prouver par voie de décomposition que 1000 parties de cette substance en poids étoient composées d'environ 807 d'azote & de 193 d'hydrogène.

C'est principalement par la distillation des matières animales qu'on obtient cette substance; l'azote qui est un de leurs principes constituans, s'unit à la proportion d'hydrogène propre à cette combinaison, & il se forme de l'ammoniaque: mais on ne l'obtient point pure dans cette opération; elle est mêlée avec de l'eau, de l'huile, & en grande partie saturée d'acide carbonique. Pour la séparer de toutes ces substances, on la combine d'abord avec un acide tel, par exemple, que l'acide muriatique; on l'en dégage ensuite, soit par une addition de chaux, soit par une addition de potasse.

Lorsque l'ammoniaque a été ainsi amenée à son plus grand degré de pureté, elle ne peut plus exister que sous forme gazeuse, à la température ordinaire dans laquelle nous vivons; elle a une odeur excessivement pénétrante. L'eau en absorbe une très-grande quantité, sur-tout si elle est froide & si on ajoute la pression au refroidissement; ainsi saturée d'ammoniaque, elle a été appelée alkali volatil fluor: nous l'appellerons simplement ammoniaque ou ammoniaque en liqueur, & nous désignerons la même substance, quand elle sera dans l'état aériforme, par le nom de gaz ammoniac.

De la Chaux, de la Magnésie, de la Baryte & de l'Alumine.

La composition de ces quatre terres est absolument inconnue; & comme on n'est point encore parvenu à déterminer quelles sont leurs parties constituantes & élémentaires, nous sommes autorisés, en attendant de nouvelles découvertes, à les regarder comme des êtres simples: l'art n'a donc aucune part à la formation de ces terres, la nature nous les présente toutes formées. Mais comme elles ont la plupart, sur-tout les trois premières, une grande tendance à la combinaison, on ne les trouve jamais seules. La chaux est presque toujours saturée d'acide carbonique, & dans cet état elle forme la craie, les spaths calcaires, une partie des marbres, &c. Quelquefois elle est saturée d'acide sulfurique, comme dans le gypse & les pierres à plâtre; d'autres fois avec l'acide fluorique, & elle forme le spath fluor ou vitreux. Enfin les eaux de la mer & des fontaines salées en contiennent de combinée avec l'acide muriatique. C'est de toutes les bases salifiables celle qui est la plus abondamment répandue dans la nature.

On rencontre la magnésie dans un grand nombre d'eaux minérales; elle y est le plus communément combinée avec l'acide sulfurique; on la trouve aussi très-abondamment dans l'eau de la mer, où elle est combinée avec l'acide muriatique; enfin elle entre dans la composition d'un grand nombre de pierres.

La baryte est beaucoup moins abondante que les deux terres précédentes; on la trouve dans le règne minéral combinée avec l'acide sulfurique, & elle forme alors le spath pesant; quelquefois, mais plus rarement, elle est combinée avec l'acide carbonique.

L'alumine ou base de l'alun a moins de tendance à la combinaison que les précédentes; aussi la trouve-t-on souvent dans l'état d'alumine, sans être combinée avec aucun acide. C'est principalement dans les argiles qu'on la rencontre; elle en fait, à proprement parler, la base.

Des Substances métalliques.

Les métaux, à l'exception de l'or & quelquefois de l'argent, se présentent rarement dans le règne minéral sous leur forme métallique; ils sont communément ou plus ou moins saturés d'oxygène, ou combinés avec du soufre, de l'arsenic, de l'acide sulfurique, de l'acide muriatique, de l'acide carbonique, de l'acide phosphorique. La docimasie & la métallurgie enseignent à les séparer de toutes ces substances étrangères, & nous renvoyons aux ouvrages qui traitent de cette partie de la Chimie.

Il est probable que nous ne connoissons qu'une partie des substances métalliques qui existent dans la nature; toutes celles, par exemple, qui ont plus d'affinité avec l'oxygène qu'avec le carbone, ne sont pas susceptibles d'être réduites ou ramenées à l'état métallique, & elles ne doivent se présenter à nos yeux que sous la forme d'oxides qui se confondent pour nous avec les terres. Il est très-probable que la baryte que nous venons de ranger dans la classe des terres, est dans ce cas; elle présente dans le détail des expériences des caractères qui la rapprochent beaucoup des substances métalliques. Il seroit possible à la rigueur que toutes les substances auxquelles nous donnons le nom de terres, ne fussent que des oxides métalliques, irréductibles par les moyens que nous employons.

Quoi qu'il en soit, les substances métalliques que nous connoissons, celles que nous pouvons obtenir dans l'état métallique, sont au nombre de dix-sept; savoir:

L'arsenic. Le fer.
Le molybdène. L'étain.
Le tungstène. Le plomb.
Le manganèse. Le cuivre.
Le nickel. Le mercure.
Le cobalt. L'argent.
Le bismuth. Le platine.
L'antimoine. L'or.
Le zinc.  

Je ne considérerai ici ces métaux que comme des bases salifiables, & je n'entrerai dans aucun détail sur leurs propriétés relatives aux arts & aux usages de la société. Chaque métal sous ces points de vue exigeroit un traité complet, & je sortirois absolument des bornes que je me suis prescrites.

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