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Un soir à Hernani, 26 février 1902

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II

J'avais dit: «Puisqu'il existe
Entre Irun et Tolosa
Un village fier et triste
Où la gloire se posa;
Puisqu'en descendant vers l'Èbre
On entend, près d'un roc nu,
Palpiter un nom célèbre
Sur un village inconnu;
Puisque, étant le nom d'un drame,
Et le nom d'un drame en vers.
Ce nom-là me touche l'âme
Comme avec des lauriers verts!
Et puisque d'ailleurs les choses
S'arrangent mal à ce point,
Las! que les apothéoses
Moi seul ne les verrai point;
Puisque, ô divin porte-lyre,
Je ne sais pas où je puis
Aller prier pour te dire
Que de ta suite j'en suis;
Puisque je n'irai pas boire,
Dans l'humble creux de ma main,
A ces fontaines de gloire
Qu'on fera couler demain...
Je prendrai devant ma porte
Ce chemin bleu qui conduit
A ce village qui porte
Ce nom qui chante et qui luit:
J'irai voir, passant la Rhune,
O vieux village hidalgo,
Ton chapeau de tuile brune
Empanaché par Hugo;
J'irai parmi le mystère
De la route et du buisson
Célébrer le centenaire
A ma modeste façon;
Aucune voix indiscrète
Ne viendra me faire un cours
(L'œuvre, l'homme, et le poète);
Le Vent fera les discours.
Oh! je n'aurai pas la pompe
D'un cortège officiel...
Mais le coteau qui s'estompe
Et les étoiles du ciel!
Un peu de brise française
En ce soir de Février
Soufflera dans le mélèze
Et dans le genévrier;
Je veux, pèlerin que grise
Un espoir d'être béni,
Être là quand cette brise
Soufflera sur Hernani!»
—Et j'étais parti. J'arrive,
Petite ville, et je vois
Ton arrogance pensive,
Ton noir profil d'autrefois!
Déjà je vois apparaître
Un toit fier et surplombant,
Des balcons qui semblent être
Dessinés par Artaban;
A mesure que j'approche
Je vois mieux se détacher
Cette fantastique roche
Qui domine ton clocher;
Je t'admire! je m'attarde
A t'admirer dans le soir!
Et pourquoi je te regarde
Tu ne peux pas le savoir.
Hernani-du-Val-Bleuâtre
N'a pas entendu le cor
Que Hernani-du-Théâtre
Fait sonner dans son décor!
Tandis que ton nom s'envole
Sur le grand drame français,
Petite ville espagnole,
Tu murmures: Je ne sais...
Et tu t'endors, fière et triste,
Entre Irun et Tolosa,
Au fron-fron d'un guitariste,
Au parfum d'un mimosa!
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