← Retour
Un soir à Hernani, 26 février 1902
16px
100%
III
Oui, c'était bien ici qu'il fallait que je vinsse!
Car la roue en bois plein, toujours, dans l'ombre, grince:
Et tout est demeuré—choses et paysans—
Comme lorsqu'il passait, et qu'il avait dix ans!
Mais mon émotion, tout d'un coup, s'est accrue
Je n'ose pas entrer dans la fameuse rue.
Au seuil de Hernani j'hésite avec amour,
Et j'en fais tout d'abord, avec respect, le tour.
Je traverse un étrange et vaste jeu de paume
Où travaille à cette heure un vieux cordier fantôme
Qui dévide, et recule, et chante.—Un montagnard
Passe. Il est sans cuirasse. Il n'a pas de poignard.
Mais rien qu'à la façon dont il marche dans l'herbe,
Je le reconnais bien, le jeune amant imberbe!
C'est lui-même, et la nuit tu dois, ô Doña Sol,
Lorsque de ton balcon il tombe sur le sol,
—Sans bruit parce qu'il a ses bonnes alpargates!—
Dire pour ce bandit ton chapelet d'agates.
Oh! cet homme farouche, et qui possède l'art
D'enfoncer son chapeau par-dessus le foulard
Qui traverse son front d'un bandage vert-pomme,
Va crier: «Je suis Jean d'Aragon!» et cet homme
Va trouver trop petits pour lui des échafauds...
Non! cet homme se baisse et ramasse une faux.
Et jette cette faux sur son épaule, et rentre
Chez lui, d'un pas qui fait de sa chaumière un antre!
—Et je vois s'avancer un être singulier
Qui balance un bâton de bois de néflier.
Et c'est le celador du village, le garde
De l'alcade. Et surpris, soudain, je le regarde.
Je n'en crois pas mes yeux!
«Pourquoi donc, celador,
Sur votre béret noir ces deux lettres en or?
Que veut dire: V. H.?»
Il répond avec pompe:
«Villa dé Hernani.»
Cet Espagnol se trompe.
Oh! quand, pour te grandir encore, on t'exila.
Maître, tu n'aurais eu qu'à venir vivre là!
C'eût été somptueux, formidable,—et logique.
La ville était marquée à ton chiffre magique.
Certes, j'aime cette île où ta grande ombre erra.
Mais j'aperçois le roc de Santa Barbara
S'ériger âprement, et je regrette presque
En voyant un rocher tellement hugoesque
Que lorsqu'on t'exila tu ne sois pas venu,
Prince de Hernani, vivre sur ce roc nu!
Je te vois, habitant, là-haut, parmi les ailes,
—O grand dessinateur de tours et de tourelles!—
Cet espèce de noir donjon médiéval
Que tu faisais sortir avec un ciel, un val,
Et des machicoulis dont le créneau s'échancre,
De l'élargissement d'une arabesque d'encre!
Mais tu n'es pas absent, malgré que ton manoir
Soit construit seulement par les vapeurs du soir
Superbe castellan d'une invisible crête.
Tu restes à jamais perché sur la conquête!
Ce village orgueilleux sera toujours à toi:
Il n'est plus à l'Espagne, il n'est plus à son Roi;
En allongeant sur lui la griffe d'un poème
Tu l'as pris, ce village, à Don Carlos lui-même!
Mais que dis-je? tu n'as pas attendu si tard!
Enfant, tu l'avais pris, en passant, d'un regard!
Si bien que Hernani, que ton œuvre accapare,
Est bien plus dans Hugo qu'il n'est dans la Navarre!
Chargement de la publicité...