Œuvres Complètes de Alfred de Musset — Tome 7.
—Celle-là me protégera, celle-là viendra à mon secours! Ah! que l'abbé avait raison de me dire qu'un regard déciderait de ma vie! Oui, ces yeux si fins et si doux, cette petite bouche railleuse et délicieuse, ce petit pied noyé dans un pompon... Voilà ma bonne fée!
Ainsi pensait, presque tout haut, le chevalier rentrant à son auberge. D'où lui venait cette espérance subite? Sa jeunesse seule parlait-elle, ou les yeux de la marquise avaient-ils parlé?
Mais la difficulté restait toujours la même. S'il ne songeait plus maintenant à être présenté au roi, qui le présenterait à la marquise?
Il passa une grande partie de la nuit à écrire à mademoiselle d'Annebault une lettre à peu près pareille à celle qu'avait lue madame de Pompadour.
Retracer cette lettre serait fort inutile. Hormis les sots, il n'y a que les amoureux qui se trouvent toujours nouveaux, en répétant toujours la même chose.
Dès le matin le chevalier sortit et se mit à marcher, en rêvant dans les rues. Il ne lui vint pas à l'esprit d'avoir encore recours à l'abbé protecteur, et il ne serait pas aisé de dire la raison qui l'en empêchait. C'était comme un mélange de crainte et d'audace, de fausse honte et de romanesque. Et, en effet, que lui aurait répondu l'abbé, s'il lui avait conté son histoire de la veille?—Vous vous êtes trouvé à propos pour ramasser un éventail; avez-vous su en profiter? Qu'avez-vous dit à la marquise?—Rien.—Vous auriez dû lui parler.—J'étais troublé, j'avais perdu la tête.—Cela est un tort; il faut savoir saisir l'occasion; mais cela peut se réparer. Voulez-vous que je vous présente à monsieur un tel? il est de mes amis; à madame une telle? elle est mieux encore. Nous tâcherons de vous faire parvenir jusqu'à cette marquise qui vous a fait peur, et cette fois, etc., etc.
Or le chevalier ne se souciait de rien de pareil. Il lui semblait qu'en racontant son aventure, il l'aurait, pour ainsi dire, gâtée et déflorée. Il se disait que le hasard avait fait pour lui une chose inouïe, incroyable, et que ce devait être un secret entre lui et la fortune; confier ce secret au premier venu, c'était, à son avis, en ôter tout le prix et s'en montrer indigne.—Je suis allé seul hier au château de Versailles, pensait-il; j'irai bien seul à Trianon (c'était en ce moment le séjour de la favorite).
Une telle façon de penser peut et doit même paraître extravagante aux esprits calculateurs, qui ne négligent rien et laissent le moins possible au hasard; mais les gens les plus froids, s'ils ont été jeunes (tout le monde ne l'est pas, même au temps de la jeunesse), ont pu connaître ce sentiment bizarre, faible et hardi, dangereux et séduisant, qui nous entraîne vers la destinée: on se sent aveugle, et on veut l'être; on ne sait où l'on va, et l'on marche. Le charme est dans cette insouciance et dans cette ignorance même; c'est le plaisir de l'artiste qui rêve, de l'amoureux qui passe la nuit sous les fenêtres de sa maîtresse; c'est aussi l'instinct du soldat; c'est surtout celui du joueur.
Le chevalier, presque sans le savoir, avait donc pris le chemin de Trianon. Sans être fort paré, comme on disait alors, il ne manquait ni d'élégance, ni de cette façon d'être qui fait qu'un laquais, vous rencontrant en route, ne vous demande pas où vous allez. Il ne lui fut donc pas difficile, grâce à quelques indications prises à son auberge, d'arriver jusqu'à la grille du château, si l'on peut appeler ainsi cette bonbonnière de marbre qui vit jadis tant de plaisirs et d'ennuis. Malheureusement, la grille était fermée, et un gros suisse, vêtu d'une simple houppelande, se promenait, les mains derrière le dos, dans l'avenue intérieure, comme quelqu'un qui n'attend personne.
—Le roi est ici! se dit le chevalier, ou la marquise n'y est pas. Évidemment, quand les portes sont closes et que les valets se promènent, les maîtres sont enfermés ou sortis.
Que faire? Autant il se sentait, un instant auparavant, de confiance et de courage, autant il éprouvait tout à coup de trouble et de désappointement. Cette seule pensée: «Le roi est ici!» l'effrayait plus que n'avaient fait la veille ces trois mots: «Le roi va passer!» car ce n'était alors que de l'imprévu, et maintenant il connaissait ce froid regard, cette majesté impassible.
—Ah, bon Dieu! quel visage ferais-je si j'essayais, en étourdi, de pénétrer dans ce jardin, et si j'allais me trouver face à face devant ce monarque superbe, prenant son café au bord d'un ruisseau?
Aussitôt se dessina devant le pauvre amoureux la silhouette désobligeante de la Bastille; au lieu de l'image charmante qu'il avait gardée de cette marquise passant en souriant, il vit des donjons, des cachots, du pain noir, l'eau de la question; il savait l'histoire de Latude. Peu à peu venait la réflexion, et peu à peu s'envolait l'espérance.
—Et cependant, se dit-il encore, je ne fais point de mal, ni le roi non plus. Je réclame contre une injustice; je n'ai jamais chansonné personne. On m'a si bien reçu hier à Versailles, et les laquais ont été si polis! De quoi ai-je peur? De faire une sottise. J'en ferai d'autres qui répareront celle-là.
Il s'approcha de la grille et la toucha du doigt; elle n'était pas tout à fait fermée. Il l'ouvrit et entra résolument. Le suisse se retourna d'un air ennuyé.
—Que demandez-vous? où allez-vous?
—Je vais chez madame de Pompadour.
—Avez-vous une audience?
—Oui.
—Où est votre lettre?
Ce n'était plus le marquisat de la veille, et, cette fois, il n'y avait plus de duc d'Aumont. Le chevalier baissa tristement les yeux, et s'aperçut que ses bas blancs et ses boucles de cailloux du Rhin étaient couverts de poussière. Il avait commis la faute de venir à pied dans un pays où l'on ne marchait pas. Le suisse baissa les yeux aussi, et le toisa, non de la tête aux pieds, mais des pieds à la tête. L'habit lui parut propre, mais le chapeau était un peu de travers et la coiffure dépoudrée:
—Vous n'avez point de lettre. Que voulez-vous?
—Je voudrais parler à madame de Pompadour.
—Vraiment! et vous croyez que ça se fait comme ça?
—Je n'en sais rien. Le roi est-il ici?
—Peut-être. Sortez, et laissez-moi en repos.
Le chevalier ne voulait pas se mettre en colère; mais, malgré lui, cette insolence le fit pâlir.
—J'ai dit quelquefois à un laquais de sortir, répondit-il, mais un laquais ne me l'a jamais dit.
—Laquais! moi? un laquais! s'écria le suisse furieux.
—Laquais, portier, valet et valetaille, je ne m'en soucie point, et très peu m'importe.
Le suisse fit un pas vers le chevalier, les poings crispés et le visage en feu. Le chevalier, rendu à lui-même par l'apparence d'une menace, souleva légèrement la poignée de son épée.
—Prenez garde, dit-il, je suis gentilhomme, et il en coûte trente-six livres pour envoyer en terre un rustre comme vous.
—Si vous êtes gentilhomme, monsieur, moi, j'appartiens au roi; je ne fais que mon devoir, et ne croyez pas...
En ce moment, le bruit d'une fanfare, qui semblait venir du bois de Satory, se fit entendre au loin et se perdit dans l'écho. Le chevalier laissa son épée retomber dans le fourreau, et, ne songeant plus à la querelle commencée:
—Eh, morbleu! dit-il, c'est le roi qui part pour la chasse. Que ne me le disiez-vous tout de suite?
—Cela ne me regarde pas, ni vous non plus.
—Écoutez-moi, mon cher ami. Le roi n'est pas là, je n'ai pas de lettre, je n'ai pas d'audience. Voici pour boire, laissez-moi entrer.
Il tira de sa poche quelques pièces d'or. Le suisse le toisa de nouveau avec un souverain mépris.
—Qu'est-ce que c'est que ça? dit-il dédaigneusement. Cherche-t-on ainsi à s'introduire dans une demeure royale? Au lieu de vous faire sortir, prenez garde que je ne vous y enferme.
—Toi, double maraud! dit le chevalier, retrouvant sa colère et reprenant son épée.
—Oui, moi, répéta le gros homme.
Mais, pendant cette conversation, où l'historien regrette d'avoir compromis son héros, d'épais nuages avaient obscurci le ciel; un orage se préparait. Un éclair rapide brilla, suivi d'un violent coup de tonnerre, et la pluie commençait à tomber lourdement. Le chevalier, qui tenait encore son or, vit une goutte d'eau sur son soulier poudreux, grande comme un petit écu.
—Peste! dit-il, mettons-nous à l'abri. Il ne s'agit pas de se laisser mouiller.
Et il se dirigea lestement vers l'antre du Cerbère, ou, si l'on veut, la maison du concierge; puis là, se jetant sans façon dans le grand fauteuil du concierge même:
—Dieu! que vous m'ennuyez! dit-il, et que je suis malheureux! Vous me prenez pour un conspirateur, et vous ne comprenez pas que j'ai dans ma poche un placet pour Sa Majesté! Je suis de province, mais vous n'êtes qu'un sot.
Le suisse, pour toute réponse, alla dans un coin prendre sa hallebarde, et resta ainsi debout, l'arme au poing.
—Quand partirez-vous? s'écria-t-il d'une voix de Stentor.
La querelle, tour à tour oubliée et reprise, semblait cette fois devenir tout à fait sérieuse, et déjà les deux grosses mains du suisse tremblaient étrangement sur sa pique; qu'allait-il advenir? je ne sais, lorsque, tournant tout à coup la tête: Ah! dit le chevalier, qui vient là?
Un jeune page, montant un cheval superbe (non pas anglais; dans ce temps-là les jambes maigres n'étaient pas à la mode), accourait à toute bride et au triple galop. Le chemin était trempé par la pluie; la grille n'était qu'entr'ouverte. Il y eut une hésitation; le suisse s'avança et ouvrit la grille. Le page donna de l'éperon; le cheval, arrêté un instant, voulut reprendre son train, manqua du pied, glissa sur la terre humide et tomba.
Il est fort peu commode, presque dangereux, de faire relever un cheval tombé à terre. Il n'y a cravache qui tienne. La gesticulation des jambes de la bête, qui fait ce qu'elle peut, est extrêmement désagréable, surtout lorsque l'on a soi-même une jambe aussi prise sous la selle.
Le chevalier, toutefois, vint à l'aide sans réfléchir à ces inconvénients, et il s'y prit si adroitement que bientôt le cheval fut redressé et le cavalier dégagé. Mais celui-ci était couvert de boue, et ne pouvait qu'à peine marcher en boitant. Transporté, tant bien que mal, dans la maison du suisse, et assis à son tour dans le grand fauteuil:
—Monsieur, dit-il au chevalier, vous êtes gentilhomme, à coup sûr. Vous m'avez rendu un grand service, mais vous m'en pouvez rendre un plus grand encore. Voici un message du roi pour madame la marquise, et ce message est très pressé, comme vous le voyez, puisque mon cheval et moi, pour aller plus vite, nous avons failli nous rompre le cou. Vous comprenez que, fait comme je suis, avec une jambe écloppée, je ne saurais porter ce papier. Il faudrait, pour cela, me faire porter moi-même. Voulez-vous y aller à ma place?
En même temps, il tirait de sa poche une grande enveloppe dorée d'arabesques, accompagnée du sceau royal.
—Très volontiers, monsieur, répondit le chevalier, prenant l'enveloppe. Et, leste et léger comme une plume, il partit en courant sur la pointe du pied.
V
Quand le chevalier arriva au château, un suisse était encore devant le péristyle:
—Ordre du roi, dit le jeune homme, qui, cette fois, ne redoutait plus les hallebardes; et, montrant sa lettre, il entra gaiement au travers d'une demi-douzaine de laquais.
Un grand huissier, planté au milieu du vestibule, voyant l'ordre et le sceau royal, s'inclina gravement, comme un peuplier courbé par le vent, puis, de l'un de ses doigts osseux, il toucha, en souriant, le coin d'une boiserie.
Une petite porte battante, masquée par une tapisserie, s'ouvrit aussitôt comme d'elle-même. L'homme osseux fit un signe obligeant: le chevalier entra et la tapisserie, qui s'était entr'ouverte, retomba mollement derrière lui.
Un valet de chambre silencieux l'introduisit alors dans un salon, puis dans un corridor, sur lequel s'ouvraient deux ou trois petits cabinets, puis enfin dans un second salon, et le pria d'attendre un instant.
—Suis-je encore ici au château de Versailles? se demandait le chevalier. Allons-nous recommencer à jouer à cligne-musette?
Trianon n'était, à cette époque, ni ce qu'il est maintenant, ni ce qu'il avait été. On a dit que madame de Maintenon avait fait de Versailles un oratoire et madame de Pompadour un boudoir. On a dit aussi de Trianon que ce petit château de porcelaine était le boudoir de Madame de Montespan. Quoi qu'il en soit de tous ces boudoirs, il paraît que Louis XV en mettait partout. Telle galerie où son aïeul se promenait majestueusement était alors bizarrement divisée en une infinité de compartiments. Il y en avait de toutes les couleurs; le roi allait papillonnant dans ces bosquets de soie et de velours.—Trouvez-vous de bon goût mes petits appartements meublés? demanda-t-il un jour à la belle comtesse de Séran.—Non, dit-elle, je les voudrais bleus. Comme le bleu était la couleur du roi, cette réponse le flatta. Au second rendez-vous, madame de Séran trouva le salon meublé en bleu, comme elle l'avait désiré.
Celui dans lequel, en ce moment, le chevalier se trouvait seul, n'était ni bleu, ni blanc, ni rose, mais tout en glaces. On sait combien une jolie femme qui a une jolie taille gagne à laisser ainsi son image se répéter sous mille aspects. Elle éblouit, elle enveloppe, pour ainsi dire, celui à qui elle veut plaire. De quelque côté qu'il regarde, il la voit; comment l'éviter? Il ne lui reste plus qu'à s'enfuir, ou à s'avouer subjugué.
Le chevalier regardait aussi le jardin. Là, derrière les charmilles et les labyrinthes, les statues et les vases de marbre, commençait à poindre le goût pastoral, que la marquise allait mettre à la mode, et que, plus tard, madame Dubarry et la reine Marie-Antoinette devaient pousser à un si haut degré de perfection. Déjà apparaissaient les fantaisies champêtres où se réfugiait le caprice blasé. Déjà les tritons boursouflés, les graves déesses et les nymphes savantes, les bustes à grandes perruques, glacés d'horreur dans leurs niches de verdure, voyaient sortir de terre un jardin anglais au milieu des ifs étonnés. Les petites pelouses, les petits ruisseaux, les petits ponts, allaient bientôt détrôner l'Olympe pour le remplacer par une laiterie, étrange parodie de la nature, que les Anglais copient sans la comprendre, vrai jeu d'enfant devenu alors le passe-temps d'un maître indolent, qui ne savait comment se désennuyer de Versailles dans Versailles même.
Mais le chevalier était trop charmé, trop ravi de se trouver là pour qu'une réflexion critique pût se présenter à son esprit. Il était, au contraire, prêt à tout admirer, et il admirait en effet, tournant sa missive dans ses doigts, comme un provincial fait de son chapeau, lorsqu'une jolie fille de chambre ouvrit la porte et lui dit doucement:
—Venez, monsieur.
Il la suivit, et après avoir passé de nouveau par plusieurs corridors plus ou moins mystérieux, elle le fit entrer dans une grande chambre où les volets étaient à demi fermés. Là, elle s'arrêta et parut écouter.
—Toujours cligne-musette, se disait le chevalier.
Cependant, au bout de quelques instants, une porte s'ouvrit encore, et une autre fille de chambre qui semblait devoir être aussi jolie que la première, répéta du même ton les mêmes paroles:
—Venez, monsieur.
S'il avait été ému à Versailles, il l'était maintenant bien autrement, car il comprenait qu'il touchait au seuil du temple qu'habitait la divinité. Il s'avança le cœur palpitant; une douce lumière, faiblement voilée par de légers rideaux de gaze, succéda à l'obscurité; un parfum délicieux, presque imperceptible, se répandit dans l'air autour de lui; la fille de chambre écarta timidement le coin d'une portière de soie, et, au fond d'un grand cabinet de la plus élégante simplicité, il aperçut la dame à l'éventail, c'est-à-dire la toute-puissante marquise.
Elle était seule, assise devant une table, enveloppée d'un peignoir, la tête appuyée sur sa main, et paraissant très préoccupée. En voyant entrer le chevalier, elle se leva par un mouvement subit et comme involontaire.
—Vous venez de la part du roi?
Le chevalier aurait pu répondre, mais il ne trouva rien de mieux que de s'incliner profondément, en présentant à la marquise la lettre qu'il lui apportait. Elle la prit, ou plutôt s'en empara avec une extrême vivacité. Pendant qu'elle la décachetait, ses mains tremblaient sur l'enveloppe.
Cette lettre, écrite de la main du roi, était assez longue. Elle la dévora d'abord, pour ainsi dire, d'un coup d'œil, puis elle la lut avidement avec une attention profonde, le sourcil froncé et serrant les lèvres. Elle n'était pas belle ainsi, et ne ressemblait plus à l'apparition magique du petit foyer. Quand elle fut au bout, elle sembla réfléchir. Peu à peu, son visage, qui avait pâli, se colora d'un léger incarnat (à cette heure-là elle n'avait pas de rouge): non seulement la grâce lui revint, mais un éclair de vraie beauté passa sur ses traits délicats; on aurait pu prendre ses joues pour deux feuilles de rose. Elle poussa un demi-soupir, laissa tomber la lettre sur la table, et se retournant vers le chevalier:
—Je vous ai fait attendre, monsieur, lui dit-elle avec le plus charmant sourire, mais c'est que je n'étais pas levée, et je ne le suis même pas encore. Voilà pourquoi j'ai été forcée de vous faire venir par les cachettes; car je suis assiégée ici presque autant que si j'étais chez moi. Je voudrais répondre un mot au roi. Vous ennuie-t-il de faire ma commission?
Cette fois il fallait parler; le chevalier avait eu le temps de reprendre un peu de courage.
—Hélas! madame, dit-il tristement, c'est beaucoup de grâce que vous me faites; mais, par malheur, je n'en puis profiter.
—Pourquoi cela?
—Je n'ai pas l'honneur d'appartenir à Sa Majesté.
—Comment donc êtes-vous venu ici?
—Par un hasard. J'ai rencontré en route un page qui s'est jeté par terre, et qui m'a prié...
—Comment, jeté par terre! répéta la marquise en éclatant de rire. (Elle paraissait si heureuse en ce moment, que la gaieté lui venait sans peine.)
—Oui, madame, il est tombé de cheval à la grille. Je me suis trouvé là, heureusement, pour l'aider à se relever, et, comme son habit était fort gâté, il m'a prié de me charger de son message.
—Et par quel hasard vous êtes-vous trouvé là?
—Madame, c'est que j'ai un placet à présenter à Sa Majesté.
—Sa Majesté demeure à Versailles.
—Oui, mais vous demeurez ici.
—Oui-da! En sorte que c'était vous qui vouliez me charger d'une commission.
—Madame, je vous supplie de croire...
—Ne vous effrayez pas, vous n'êtes pas le premier. Mais à propos de quoi vous adresser à moi? Je ne suis qu'une femme... comme une autre.
En prononçant ces mots d'un air moqueur, la marquise jeta un regard triomphant sur la lettre qu'elle venait de lire.
—Madame, reprit le chevalier, j'ai toujours ouï dire que les hommes exerçaient le pouvoir, et que les femmes...
—En disposaient, n'est-ce pas? Eh bien! monsieur, il y a une reine de France.
—Je le sais, madame, et c'est ce qui fait que je me suis trouvé là ce matin.
La marquise était plus qu'habituée à de semblables compliments, bien qu'on ne les lui fît qu'à voix basse; mais dans la circonstance présente, celui-ci parut lui plaire très singulièrement.
—Et sur quelle foi, dit-elle, sur quelle assurance avez-vous cru pouvoir parvenir jusqu'ici? car vous ne comptiez pas, je suppose, sur un cheval qui tombe en chemin.
—Madame, je croyais,... j'espérais...
—Qu'espériez-vous?
—J'espérais que le hasard... pourrait faire...
—Toujours le hasard! Il est de vos amis, à ce qu'il paraît; mais je vous avertis que, si vous n'en avez pas d'autres, c'est une triste recommandation.
Peut-être la fortune offensée voulut-elle se venger de cette irrévérence; mais le chevalier, que ces dernières questions avaient de plus en plus troublé, aperçut tout à coup, sur le coin de la table, précisément le même éventail qu'il avait ramassé la veille. Il le prit, et, comme la veille, il le présenta à la marquise, en fléchissant le genou devant elle.
—Voilà, madame, lui dit-il, le seul ami que j'aie ici.
La marquise parut d'abord étonnée, hésita un moment, regardant tantôt l'éventail, tantôt le chevalier.
—Ah! vous avez raison, dit-elle enfin; c'est vous, monsieur! je vous reconnais. C'est vous que j'ai vu hier, après la comédie, avec M. de Richelieu. J'ai laissé tomber cet éventail, et vous vous êtes trouvé là, comme vous disiez.
—Oui, madame.
—Et fort galamment, en vrai chevalier, vous me l'avez rendu: je ne vous ai pas remercié, mais j'ai toujours été persuadée que celui qui sait, d'aussi bonne grâce, relever un éventail, sait aussi, au besoin, relever le gant; et nous aimons assez cela, nous autres.
—Et cela n'est que trop vrai, madame; car, en arrivant tout à l'heure, j'ai failli avoir un duel avec le suisse.
—Miséricorde! dit la marquise, prise d'un second accès de gaieté, avec le suisse! et pour quoi faire?
—Il ne voulait pas me laisser entrer.
—C'eût été dommage. Mais, monsieur, qui êtes-vous? que demandez-vous?
—Madame, je me nomme le chevalier de Vauvert, M. de Biron avait demandé pour moi une place de cornette aux gardes.
—Oui-da! je me souviens encore. Vous venez de Neauflette; vous êtes amoureux de mademoiselle d'Annebault...
—Madame, qui a pu vous dire?...
—Oh! je vous préviens que je suis fort à craindre. Quand la mémoire me manque, je devine. Vous êtes parent de l'abbé Chauvelin, et refusé pour cela, n'est-ce pas? Où est votre placet?
—Le voilà, madame; mais, en vérité, je ne puis comprendre...
—À quoi bon comprendre? Levez-vous, et mettez votre papier sur cette table. Je vais répondre au roi; vous lui porterez en même temps votre demande et ma lettre.
—Mais, madame, je croyais vous avoir dit...
—Vous irez. Vous êtes entré ici de par le roi, n'est-il pas vrai? Eh bien! vous entrerez là-bas de par la marquise de Pompadour, dame du palais de la reine.
Le chevalier s'inclina sans mot dire, saisi d'une sorte de stupéfaction. Tout le monde savait depuis longtemps combien de pourparlers, de ruses et d'intrigues la favorite avait mis en jeu, et quelle obstination elle avait montrée pour obtenir ce titre, qui, en somme, ne lui rapporta rien qu'un affront cruel du Dauphin. Mais il y avait dix ans qu'elle le désirait; elle le voulait, elle avait réussi. M. de Vauvert, qu'elle ne connaissait pas, bien qu'elle connût ses amours, lui plaisait comme une bonne nouvelle.
Immobile, debout derrière elle, le chevalier observait la marquise qui écrivait, d'abord de tout son cœur, avec passion, puis qui réfléchissait, s'arrêtait et passait sa main sur son petit nez, fin comme l'ambre. Elle s'impatientait: un témoin la gênait. Enfin elle se décida et fit une rature; il fallait avouer que ce n'était plus qu'un brouillon.
En face du chevalier, de l'autre côté de la table, brillait un beau miroir de Venise. Le très timide messager osait à peine lever les yeux. Il lui fut cependant difficile de ne pas voir dans ce miroir, par-dessus la tête de la marquise, le visage inquiet et charmant de la nouvelle dame du palais.
—Comme elle est jolie! pensait-il. C'est malheureux que je sois amoureux d'une autre; mais Athénaïs est plus belle, et d'ailleurs ce serait, de ma part, une si affreuse déloyauté!...
—De quoi parlez-vous? dit la marquise. (Le chevalier, selon sa coutume, avait pensé tout haut sans le savoir.) Qu'est-ce que vous dites?
—Moi, madame? j'attends.
—Voilà qui est fait, répondit la marquise, prenant une autre feuille de papier; mais, au petit mouvement qu'elle venait de faire pour se retourner, le peignoir avait glissé sur son épaule.
La mode est une chose étrange. Nos grand'mères trouvaient tout simple d'aller à la cour avec d'immenses robes qui laissaient leur gorge presque découverte, et l'on ne voyait à cela nulle indécence; mais elles cachaient soigneusement leur dos, que les belles dames d'aujourd'hui montrent au bal ou à l'Opéra. C'est une beauté nouvellement inventée.
Sur l'épaule frêle, blanche et mignonne de madame de Pompadour, il y avait un petit signe noir qui ressemblait à une mouche tombée dans du lait. Le chevalier, sérieux comme un étourdi qui veut avoir bonne contenance, regardait ce signe, et la marquise, tenant sa plume en l'air, regardait le chevalier dans la glace.
Dans cette glace, un coup d'œil rapide fut échangé, coup d'œil auquel les femmes ne se trompent pas, qui veut dire d'une part: «Vous êtes charmante» et de l'autre: «Je n'en suis pas fâchée.»
Toutefois la marquise rajusta son peignoir.
—Vous regardez ma mouche, monsieur?
—Je ne regarde pas, madame; je vois et j'admire.
—Tenez, voilà ma lettre; portez-la au roi avec votre placet.
—Mais, madame...
—Quoi donc?
—Sa Majesté est à la chasse; je viens d'entendre sonner dans le bois de Satory.
—C'est vrai, je n'y songeais plus; eh bien! demain, après-demain, peu importe.—Non, tout de suite. Allez, vous donnerez cela à Lebel. Adieu, monsieur. Tâchez de vous souvenir que cette mouche que vous venez de voir, il n'y a dans le royaume que le roi qui l'ait vue; et quant à votre ami le hasard, dites-lui, je vous prie, qu'il s'accoutume à ne pas jaser tout seul aussi haut que tout à l'heure. Adieu, chevalier.
Elle toucha un petit timbre, puis, relevant sur sa manche un flot de dentelles, tendit au jeune homme son bras nu.
Il s'inclina encore, et du bout des lèvres effleura à peine les ongles roses de la marquise. Elle n'y vit pas une impolitesse, tant s'en faut, mais un peu trop de modestie.
Aussitôt reparurent les petites filles de chambre (les grandes n'étaient pas levées), et derrières elles, debout comme un clocher au milieu d'un troupeau de moutons, l'homme osseux, toujours souriant, indiquait le chemin.
VI
Seul, plongé dans un vieux fauteuil, au fond de sa petite chambre, à l'auberge du Soleil, le chevalier attendit le lendemain, puis le surlendemain; point de nouvelles.
—Singulière femme! douce et impérieuse, bonne et méchante, la plus frivole et la plus entêtée! Elle m'a oublié. Oh, misère! Elle a raison, elle peut tout, et je ne suis rien.
Il s'était levé, et se promenait par la chambre.
—Rien, non, je ne suis qu'un pauvre diable. Que mon père disait vrai! La marquise s'est moquée de moi; c'est tout simple, pendant que je la regardais, c'est sa beauté qui lui a plu. Elle a bien été aise de voir dans ce miroir et dans mes yeux le reflet de ses charmes, qui, ma foi, sont véritablement incomparables! Oui, ses yeux sont petits, mais quelle grâce! Et Latour, avant Diderot, a pris pour faire son portrait la poussière de l'aile d'un papillon. Elle n'est pas bien grande, mais sa taille est bien prise.—Ah! mademoiselle d'Annebault! Ah! mon amie chérie! est-ce que moi aussi j'oublierais?
Deux ou trois petits coups secs frappés sur la porte le réveillèrent de son chagrin.
—Qu'est-ce?
L'homme osseux, tout de noir vêtu, avec une belle paire de bas de soie, qui simulaient des mollets absents, entra et fit un grand salut.
—Il y a ce soir, monsieur le chevalier, bal masqué à la cour, et madame la marquise m'envoie vous dire que vous êtes invité.
—Cela suffit, monsieur, grand merci.
Dès que l'homme osseux se fut retiré, le chevalier courut à la sonnette: la même servante qui, trois jours auparavant, l'avait accommodé de son mieux, l'aida à mettre le même habit pailleté, tâchant de l'accommoder mieux encore.
Après quoi le jeune homme s'achemina vers le palais, invité cette fois et plus tranquille en apparence, mais plus inquiet et moins hardi que lorsqu'il avait fait le premier pas dans ce monde encore inconnu de lui.
Étourdi, presque autant que la première fois, par toutes les splendeurs de Versailles, qui, ce soir-là, n'était pas désert, le chevalier marchait dans la grande galerie, regardant de tous les côtés, tâchant de savoir pourquoi il était là; mais personne ne semblait songer à l'aborder. Au bout d'une heure, il s'ennuyait et allait partir, lorsque deux masques, exactement pareils, assis sur une banquette, l'arrêtèrent au passage. L'un des deux le visa du doigt, comme s'il eût tenu un pistolet; l'autre se leva et vint à lui:
—Il paraît, monsieur, lui dit le masque, en lui prenant le bras nonchalamment, que vous êtes assez bien avec notre marquise.
—Je vous demande pardon, madame, mais de qui parlez-vous?
—Vous le savez bien.
—Pas le moins du monde.
—Oh! si fait.
—Point du tout.
—Toute la cour le sait.
—Je ne suis pas de la cour.
—Vous faites l'enfant. Je vous dis qu'on le sait.
—Cela se peut, madame, mais je l'ignore.
—Vous n'ignorez pas, cependant, qu'avant-hier un page est tombé de cheval à la grille de Trianon. N'étiez-vous pas là, par hasard?
—Oui, madame.
—Ne l'avez-vous pas aidé à se relever?
—Oui, madame.
—Et n'êtes-vous pas entré au château?
—Sans doute.
—Et ne vous a-t-on pas donné un papier?
—Oui, madame.
—Et ne l'avez-vous pas porté au roi?
—Assurément.
—Le roi n'était pas à Trianon; il était à la chasse, la marquise était seule,... n'est-ce pas?
—Oui, madame.
—Elle venait de se réveiller; elle était à peine vêtue, excepté, à ce qu'on dit, d'un grand peignoir.
—Les gens qu'on ne peut pas empêcher de parler disent ce qui leur passe par la tête.
—Fort bien, mais il paraît qu'il a passé entre sa tête et la vôtre un regard qui ne l'a pas fâchée.
—Qu'entendez-vous par là, madame?
—Que vous ne lui avez pas déplu.
—Je n'en sais rien, et je serais au désespoir qu'une bienveillance si douce et si rare, à laquelle je ne m'attendais pas, qui m'a touché jusqu'au fond du cœur, pût devenir la cause d'un mauvais propos.
—Vous prenez feu bien vite, chevalier; on croirait que vous allez provoquer toute la cour; vous ne finirez jamais de tuer tant de monde.
—Mais, madame, si ce page est tombé, et si j'ai porté son message.... Permettez-moi de vous demander pourquoi je suis interrogé.
Le masque lui serra le bras et lui dit:—Monsieur, écoutez.
—Tout ce qui vous plaira, madame.
—Voici à quoi nous pensons, maintenant. Le roi n'aime plus la marquise, et personne ne croit qu'il l'ait jamais aimée. Elle vient de commettre une imprudence; elle s'est mis à dos tout le parlement, avec ses deux sous d'impôt, et aujourd'hui elle ose attaquer une bien plus grande puissance, la compagnie de Jésus. Elle y succombera; mais elle a des armes, et, avant de périr, elle se défendra.
—Eh bien! madame, qu'y puis-je faire?
—Je vais vous le dire. M. de Choiseul est à moitié brouillé avec M. de Bernis; ils ne sont sûrs, ni l'un ni l'autre, de ce qu'ils voudraient essayer. Bernis va s'en aller, Choiseul prendra sa place; un mot de vous peut en décider.
—En quelle façon, madame, je vous prie?
—En laissant raconter votre visite de l'autre jour.
—Quel rapport peut-il y avoir entre ma visite, les jésuites et le parlement?
—Écrivez-moi un mot: la marquise est perdue. Et ne doutez pas que le plus vif intérêt, la plus entière reconnaissance....
—Je vous demande encore bien pardon, madame, mais c'est une lâcheté que vous me demandez là.
—Est-ce qu'il y a de la bravoure en politique?
—Je ne me connais pas à tout cela. Madame de Pompadour a laissé tomber son éventail devant moi; je l'ai ramassé, je le lui ai rendu; elle m'a remercié, elle m'a permis, avec cette grâce qu'elle a, de la remercier à mon tour.
—Trêve de façons: le temps se passe: je me nomme la comtesse d'Estrades. Vous aimez mademoiselle d'Annebault, ma nièce;... ne dites pas non, c'est inutile; vous demandez un emploi de cornette,... vous l'aurez demain, et, si Athénaïs vous plaît, vous serez bientôt mon neveu.
—Oh! madame, quel excès de bonté!
—Mais il faut parler.
—Non, madame.
—On m'avait dit que vous aimiez cette petite fille.
—Autant qu'on peut aimer; mais si jamais mon amour peut s'avouer devant elle, il faut que mon honneur y soit aussi.
—Vous êtes bien entêté, chevalier! Est-ce là votre dernière réponse?
—C'est la dernière, comme la première.
—Vous refusez d'entrer aux gardes? Vous refusez la main de ma nièce?
—Oui, madame, si c'est à ce prix.
Madame d'Estrades jeta sur le chevalier un regard perçant, plein de curiosité; puis, ne voyant sur son visage aucun signe d'hésitation, elle s'éloigna lentement et se perdit dans la foule.
Le chevalier, ne pouvant rien comprendre à cette singulière aventure, alla s'asseoir dans un coin de la galerie.
—Que pense faire cette femme? se disait-il; elle doit être un peu folle. Elle veut bouleverser l'État au moyen d'une sotte calomnie, et, pour mériter la main de sa nièce, elle me propose de me déshonorer! Mais Athénaïs ne voudrait plus de moi, ou, si elle se prêtait à une pareille intrigue, ce serait moi qui la refuserais! Quoi! tâcher de nuire à cette bonne marquise, la diffamer, la noircir;... jamais! non, jamais!
Toujours fidèle à ses distractions, le chevalier, très probablement, allait se lever et parler tout haut, lorsqu'un petit doigt, couleur de rose, lui loucha légèrement l'épaule. Il leva les yeux, et vit devant lui les deux masques pareils qui l'avaient arrêté.
—Vous ne voulez donc pas nous aider un peu, dit l'un des masques, déguisant sa voix. Mais, bien que les deux costumes fussent tout à fait semblables, et que tout parût calculé pour donner le change, le chevalier ne s'y trompa point. Le regard ni l'accent n'étaient plus les mêmes.
—Répondrez-vous, monsieur?
—Non, madame.
—Écrirez-vous?
—Pas davantage.
—C'est vrai que vous êtes obstiné. Bonsoir, lieutenant.
—Que dites-vous, madame?
—Voilà votre brevet, et votre contrat de mariage.
Et elle lui jeta son éventail.
C'était celui que le chevalier avait déjà ramassé deux fois. Les petits amours de Boucher se jouaient sur le parchemin, au milieu de la nacre dorée. Il n'y avait pas à en douter, c'était l'éventail de madame de Pompadour.
—O ciel! marquise, est-il possible?...
—Très possible, dit-elle, en soulevant, sur son menton, sa petite dentelle noire.
—Je ne sais, madame, comment répondre....
—Il n'est pas nécessaire. Vous êtes un galant homme, et nous nous reverrons, car vous êtes chez nous. Le roi vous a placé dans la cornette blanche. Souvenez-vous que, pour un solliciteur, il n'y a pas de plus grande éloquence que de savoir se taire à propos....
Et pardonnez-nous, ajouta-t-elle en riant et en s'enfuyant, si, avant de vous donner notre nièce, nous avons pris des renseignements8.
FIN DE LA MOUCHE.
Ce conte a paru pour la première fois en 1853, dans le feuilleton du Moniteur.—C'est le dernier ouvrage d'Alfred de Musset qui ait été publié de son vivant.
NOTES:
On trouve, en effet, des pies blanches en Russie.
Ces descriptions du merle de la Chine et du merle du Sénégal sont exactes.
Il y a près du Mans un château de ce nom. L'auteur y passa quelques jours en septembre 1829.
Le gué de Mauny est un site pittoresque des environs du Mans et un but de promenade pour les habitants de la ville.
L'histoire romanesque de ce prétendu comte de Solar est restée un mystère. Un enfant sourd-muet, abandonné de ses parents, en 1773, fut recueilli par l'abbé de l'Épée. Après lui avoir appris à s'exprimer dans le langage des signes, l'abbé crut reconnaître en lui l'héritier des comtes de Solar, lui fit obtenir à ce titre une pension du duc de Penthièvre, et l'engagea à faire valoir ses droits. Il y eut procès.—Un jugement du Châtelet, de 1781, donna gain de cause au jeune sourd-muet; mais sa partie adverse en appela au parlement. Le procès demeura en suspens, l'abbé de l'Épée mourut, et la révolution survint. Enfin le 24 juillet 1792, un arrêt définitif cassa le jugement du Châtelet et interdit au nommé Joseph de porter à l'avenir le nom de Solar. M. Bouilli a écrit sur ce sujet un drame en cinq actes intitulé l'Abbé de l'Épée, qui a obtenu dans son temps un succès de larmes.
Deux sous pour livre du dixième du revenu. (Note de l'auteur.)
Il ne s'agit point ici de la salle actuelle, construite par Louis XV, ou plutôt par madame de Pompadour, mais terminée seulement en 1769 et inaugurée en 1770, pour le mariage du duc de Berri (Louis XVI) avec Marie-Antoinette. Il s'agit d'une sorte de théâtre mobile qu'on transportait dans une galerie ou un appartement, selon la coutume de Louis XIV. (Note de l'auteur.)
Madame d'Estrades, peu de temps après, fut disgraciée avec M. d'Argenson, pour avoir conspiré, sérieusement cette fois, contre madame de Pompadour. (Note de l'auteur.)
FIN DU TOME SEPTIÈME.