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Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3: mises en ordre, revues et annotées d'après les manuscrits de l'auteur

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Ladies et gentlemen: Il est permis d'éprouver quelque embarras et quelque anxiété en présence d'un auditoire aussi imposant. Quant à moi, qui ai vu les commencements de la Ligue et ses premiers combats, quand je compare cette multitude assemblée avec le petit nombre d'hommes qui résolurent d'éveiller l'attention publique sur cette grave question, et de renoncer à tout repos jusqu'à ce qu'ils eussent vaincu le grand abus dont ils voyaient souffrir leurs concitoyens, je vous assure, mes amis, que je me sens encouragé, car j'éprouve que d'honorables et vertueux efforts trouvent toujours une digne récompense. (Applaudissements.) Nous avons tous une mission qui nous a été confiée par la Providence. Comme hommes, comme chrétiens, comme citoyens, nous avons des devoirs à remplir. La femme aussi a sa mission, sa haute et sainte mission! Sa présence dans cette enceinte nous prouve qu'elle en comprend toute l'étendue et qu'elle se sent appelée à porter l'efficace tribut de son concours dans la grande lutte où nous sommes engagés. (Bruyantes acclamations.) Les peuples ont aussi leur mission; et l'Angleterre, la plus grande des nations,—l'Angleterre, qui possède plus de pouvoir et d'influence qu'il n'en avait jamais été confié à aucune association d'êtres humains,—l'Angleterre, plus grande que la Phénicie, alors que Tyr et Sidon remplissaient le monde du bruit de leur renommée,—cette noble Angleterre, qui étend ses bras jusqu'aux extrémités du globe, qui a fait pénétrer son influence parmi les hommes de tous les climats, de toutes les races, de toutes les langues, de toutes les religions,—l'Angleterre a aussi la plus haute et la plus noble des missions, celle d'enseigner au monde que le commerce doit être libre (acclamations),—que tous les hommes sont faits pour s'aimer et s'entr'aider les uns les autres,—pour se communiquer réciproquement les avantages et les bienfaits divers qui leur ont été départis par la nature,—pour vivre en bon voisinage comme des frères, sans égard aux fleuves ou aux montagnes qui les séparent. Oui, c'est la mission de l'Angleterre de montrer aux hommes qu'ils remplissent un devoir commun, qu'ils font un moral usage des prérogatives qui leur ont été conférées par la Providence, qu'ils témoignent de leur fraternité comme enfants d'un même père, lorsqu'ils consacrent leurs efforts à émanciper le travail, lorsqu'ils ouvrent toute la terre aux libres et amicales communications des peuples, lorsqu'ils renversent ces barrières élevées, non dans l'intérêt de tous, mais dans l'intérêt du petit nombre, dans le sinistre intérêt d'une aristocratie qui, pour le malheur de l'humanité, ayant usurpé le pouvoir législatif, n'en usa jamais que dans des vues égoïstes et personnelles. (Applaudissements.) Que si les peuples ont leur mission, les cités ont aussi la leur. Birmingham a agité pour le bill de réforme électorale, pour l'émancipation politique de l'Angleterre. (Acclamations.) Manchester s'est levée à son tour pour l'accomplissement d'un devoir plus élevé, d'une œuvre plus grande et plus sainte; Manchester s'est levée pour émanciper le monde industriel; et Manchester,—honneur à cette cité!—a produit des hommes dignes que cette sublime mission leur fût confiée! (Acclamations prolongées.) Mes amis, je l'ai déjà dit, nous ne représentons point ici un égoïste et sinistre intérêt. Les doctrines que nous enseignons ici n'intéressent pas nous seuls, elles intéressent toute la grande confraternité humaine; car la voix de l'Angleterre, cette voix majestueuse, quand elle s'élève, retentit jusqu'aux confins de la terre, et les vérités que nous proclamons, revêtues de notre belle langue, sont portées sur les ailes de tous les vents du ciel. (Applaudissements.) J'ai devant moi un document venu de la Chine, cette terre fleurie du Céleste Empire; il est rempli des opérations de la Ligue. (Acclamations.) Là, vous avez fondé un nouveau pouvoir; vous avez porté la terreur de votre nom au milieu d'un peuple innombrable, et que vous dit l'écho qui revient de ce lointain pays? Il vous dit: Si vous voulez tirer parti de votre influence, affranchissez votre commerce, mettez-nous à même d'échanger avec vous, réalisez les opinions que votre premier ministre a proclamées devant votre Chambre des communes; prouvez-nous que lorsque sir Robert Peel a déclaré que «acheter à bon marché et vendre cher, était la politique du sens commun,» il croyait à ses propres paroles; faites pénétrer dans vos lois cette théorie qu'il a exaltée comme celle de tout homme consciencieux et de toute nation intelligente et honnête. (Applaudissements.) J'ai encore devant moi une longue lettre d'Ava, le royaume du seigneur au pied d'or et de l'éléphant blanc, et cette lettre m'annonce que ce qui se passe en Angleterre produit une telle excitation dans ces lointaines contrées, que l'on s'y est soulevé contre les monopoles. Le peuple s'est aperçu que son souverain le pille sous prétexte de le protéger, et il est en train de lui donner une leçon qui promet des modifications dans les conseils de l'empire. (Rires et applaudissements.) Voyez l'Égypte! Il y a dans cette assemblée des hommes distingués venus des bords du Nil. Ils désirent savoir si on laissera enfin les surabondantes productions de cette terre privilégiée venir rassasier le peuple affamé de l'Angleterre. Les patriarches des anciens temps descendirent en Égypte pour y trouver du soulagement contre les maux de la famine, à une époque que nous qualifions de barbare, et cependant aucune loi n'empêcha les fils de Jacob d'aller sur les rives du Nil, et de rapporter en Palestine la nourriture dont ils avaient besoin. Au temps de la révélation mosaïque, et même dans les temps antérieurs, aucun obstacle ne s'opposait à ces communications. Sera-t-il dit que le christianisme a laissé dégénérer les hommes au-dessous du niveau moral auquel ils étaient parvenus dès ces temps reculés! Est-ce ainsi que nous devons appliquer le commandement de faire aux autres ce que nous voudrions qui nous fût fait? Est-ce là l'interprétation que nous donnons à la plus sublime de toutes les leçons: «Aimez-vous les uns les autres comme des frères?» Ah! l'enseignement du monopole est: «Haïssez-vous, dépouillez-vous les uns les autres.» (Bruyantes acclamations.)—Mais la liberté du commerce enseigne une tout autre doctrine. Elle introduit parmi les hommes et dans leurs transactions journalières la religion de l'amour. La liberté du commerce, j'ose le dire, c'est le christianisme en action. (Applaudissements.) C'est la manifestation de cet esprit de bénignité, de bienveillance et d'amour qui cherche partout à éloigner le mal, qui s'efforce en tous lieux d'augmenter le bien. (Immenses acclamations.)—On parle de l'Orient. Il a été dans ma destinée d'errer parmi les ruines de ces anciennes cités auxquelles je faisais tout à l'heure allusion. J'ai vu les colonnes de Tyr dans la poussière. J'ai vu ce port vers lequel affluaient jadis les vaisseaux de ses marchands fastueux, princes et dominateurs de la terre, vêtus de pourpre et de lin, et maintenant, il n'y a pas une colonne qui soit restée debout; elles sont cachées sous le flot et sous le sable; la gloire s'est exilée de ces lieux!—Et qui en a recueilli l'héritage? qui, si ce n'est les enfants de l'Angleterre? Quand je compare ces vicissitudes et ces destinées, quand je me rappelle qu'au temps de la prospérité de Tyr et de Sidon, au temps où la Phénicie représentait tout ce qu'il y avait de grand et de glorieux sur la terre, notre île n'était qu'un désert habité par une poignée de sauvages, je puis bien me demander à quelle cause l'une doit son déclin, et l'autre sa prodigieuse élévation. C'est le commerce qui nous a faits grands; c'est le travail de nos mains industrieuses qui a élevé notre puissance. L'industrie a créé nos richesses, et nos richesses ont créé cette influence politique qui attire sur nous les regards de l'humanité. Et maintenant le monde se demande quel enseignement nous allons lui donner. Ah! nous n'avons que trop disséminé sur le globe des leçons de folie et d'injustice! Le temps n'est-il pas venu où il est de notre devoir de donner des leçons de vertu et de sagesse?—Et cette cité,—cette cité qui dans ces temps reculés échappait aux regards de la renommée; cette cité qui surpasse par le nombre des habitants plusieurs des nations et royaumes qui se sont fait un nom dans l'histoire,—ne voudra-t-elle pas aussi se montrer digne de sa destinée? (Applaudissements.) Non, elle ne restera pas en arrière. (Nouveaux applaudissements.) Des réunions comme celle-ci ne laissent aucune incertitude, et répondent éloquemment à ceux qui disent que la Ligue travaille en vain, qu'elle se lassera de son œuvre, et que le monopole peut dormir en paix à l'ombre du mancenillier qu'il a planté sur le sol de la patrie. Oh! qu'il ne compte pas sur un tel avenir! Si l'effort que nous faisons maintenant, pour affranchir le commerce, le travail et l'échange, ne suffit pas, nous en ferons un plus grand (acclamations), et puis un plus grand encore. (Tonnerre d'applaudissements.) Nous creuserons de plus en plus la mine sous le temple du monopole; nous y amoncellerons de plus en plus les matières explosibles, jusqu'à ce que le Parlement en approche l'étincelle fatale, et que l'orgueilleux édifice vole en éclats dans les airs. Alors de libres relations existeront entre toutes les nations de la terre, et ce sera la gloire de l'Angleterre d'avoir ouvert la noble voie. S'il fallait des exemples pour prouver les fatales conséquences du monopole, l'histoire nous en fournirait de toutes parts. Considérez les plus belles portions du globe. Voyez l'Espagne. Vous avez entendu parler de ses fleuves, qui, selon les poëtes, roulent des sables d'or; vous avez entendu parler de ses riches vallées, de ses huiles, de ses vins et de ses troupeaux; vous avez entendu raconter ses gloires navales et militaires, alors que ses grands hommes, marchant de conquêtes en conquêtes, ajoutaient des mondes entiers aux domaines de ses souverains. L'Espagne ne manifesta pas moins sa supériorité intellectuelle par la voix de ses poëtes, de ses fabulistes et de ses romanciers. Et maintenant qu'est-elle devenue? Vainement elle a subjugué un monde, planté ses bannières au nord et au sud des continents américains, acquis des îles innombrables, rapporté de l'hémisphère occidental des trésors qu'elle ne comptait pas, exercé en Europe une prépondérance à laquelle aucune nation n'était parvenue,—l'Espagne a adopté le système prohibitif et protecteur, et la voilà plongée dans l'ignorance et la désolation. (Applaudissements.) Ses marchands sont des fraudeurs, ses négociants des contrebandiers; et ces grandes cités, d'où s'élancèrent les Pizarre et les Cortez, voient l'herbe croître dans leurs rues et le lézard familier se réchauffer sur leurs murs.—Reportez maintenant vos regards vers une autre contrée à qui la nature avait refusé tant d'avantages. Regardez la Hollande, votre voisine. Son sol est placé au-dessous du niveau de la mer; il n'a pu être arraché aux flots de l'Atlantique que par la plus haute intelligence et la plus active industrie, unies au plus ardent patriotisme. Mais la Hollande a découvert le secret de la grandeur des nations: la liberté. Par la liberté du commerce, bientôt elle soumit, dompta, enchaîna l'Espagne; et tant qu'elle fut fidèle à ses principes, tant qu'elle professa et mit en pratique les doctrines de ses grands hommes, elle fut, malgré ses étroites limites, assez influente pour être comptée parmi les plus puissantes associations humaines. Et voyez combien, dans des régions éloignées, la tradition porte haut le nom de la Hollande! Parmi les importations récemment arrivées de la Chine, se trouve un exemplaire de la géographie enseignée dans les écoles du Céleste Empire. Comment croyez-vous qu'on y décrit l'Angleterre? le voici: «L'Angleterre est une petite île de l'Occident, subjuguée et gouvernée par les Hollandais.» (Hilarité prolongée.) D'après cette exhibition de l'état de l'instruction en Chine, vous ne serez point surpris que l'Empereur ait été saisi d'une inconcevable stupéfaction, lorsque son commissaire Ke-Shen lui apprit qu'une poignée de ces barbares avait mis en déroute la plus forte armée qu'il lui eût été possible de rassembler. Vous vous rappelez qu'il ordonna que Ke-Shen fût scié en deux quand celui-ci arriva avec la malencontreuse nouvelle. Mais je ne doute pas qu'avant que la présente année ait fini son cours, une nouvelle géographie, ou du moins une édition revue et corrigée ne soit introduite dans les écoles du Royaume du Milieu. (Rires et applaudissements.)—Portez maintenant vos yeux vers l'Italie; il n'est pas de pays plus fertile en utiles enseignements. Ses pieds sont baignés par la Méditerranée, tous ses habitants ont une commune origine; mais les uns sont livrés aux bienfaisantes influences de la liberté commerciale, tandis que les autres reçoivent les secours et la protection du monopole. Comparez la situation de la Toscane à celle des États Pontificaux. En Toscane, tout présente l'aspect d'une riante félicité.—Le cœur s'y réjouit à la vue d'une population satisfaite, d'une moralité élevée, d'un commerce florissant et d'une production toujours croissante; car depuis le temps de Léopold, elle a été fidèle aux principes posés par cet admirable souverain.—Passez la frontière.—Entrez dans les États Romains. C'est le même sol, le même climat, le même soleil radieux et vivifiant; ce sont les mêmes puissances de production; les hommes s'y vantent d'une plus haute origine, et s'y proclament avec orgueil les fils des plus illustres héros qui aient jamais foulé la surface de ce globe. Je me rappelle avoir été introduit auprès du Pape par son secrétaire qui se nommait Publio-Mario. Il affirmait descendre de Publius-Marius, et il vivait, disait-il, sur les mêmes terres que ses ancêtres occupaient avant la venue de Jésus-Christ. (Rires.) Eh bien! dans quel état est l'industrie de Rome? Pourriez-vous croire qu'à l'heure qu'il est, sous le régime protecteur, les Romains foulent la laine de leurs pieds nus, et que les moulins à farine sont d'un usage peu répandu dans les États du Pape infaillible?

En fait, que faut-il entendre par l'émancipation du commerce? Pourquoi combattons-nous? pourquoi sommes-nous réunis? Nous voulons donner à tout homme, à tout ouvrier, à toute entreprise, les plus grandes raisons possibles de marcher de perfectionnement en perfectionnement. Nous désirons que les Anglais disent au monde: «Nous n'appréhendons rien dans la carrière où nous entrons. Nous ne demandons qu'à être délivrés des liens qui pèsent sur nos membres. Brisez ces chaînes; et nous, race de Saxons, nous qui avons porté notre langue, la langue de Shakespeare et de Milton aux quatre coins de la terre; nous qui avons enseigné le grand droit de représentation au monde altéré de liberté; nous qui avons semé des nations destinées à nous surpasser nous-mêmes en nombre, en puissance, en gloire et en durée, nous ne craignons aucune rivalité (bruyants applaudissements), pourvu, car il faut toujours en venir à cette simple proposition, que nous soyons libres de vendre aussi cher et d'acheter à aussi bon marché que nous pourrons le faire. (Applaudissements.) Et quelle est, mes amis, la signification de ces magnifiques meetings, tels que celui auquel je m'adresse? Ils signifient que vous avez compris ce langage du premier ministre de la Grande-Bretagne; que vous ne souffrirez pas que ce langage se dissipe aux vents comme une oiseuse théorie qui ne doit être l'héritage de personne; que vous l'avez relevé; que vous avez conquis sir Robert Peel; que vous lui ferez de sa déclaration un cercle de fer (applaudissements); que vous réclamerez du Parlement d'Angleterre, au dedans de l'enceinte législative, la même vigueur, la même énergie que le peuple déploie au dehors. (Applaudissements.) Mes amis, on dit que, dans cette Chambre des communes, nous ne sommes qu'une minorité désespérante. Mais, là aussi, il y en a plusieurs qui ont rendu d'admirables services à la cause populaire, dont l'énergie n'a jamais fait défaut, dont les voix n'ont jamais été étouffées, dont les votes ne se sont jamais égarés, et qui en appellent toujours à vous pour marcher, sans cesse et sans relâche, vers le noble but placé au bout de la carrière. (Applaudissements.) Mais après tout, mes amis, nous ne sommes, nous, que le petit nombre, et vous, vous êtes le grand nombre, et c'est à vous de décider s'il appartient aux intérêts, à la voix, à la volonté du grand nombre, de prédominer, ou si la Chambre continuera à rester aveugle, sourde, insoucieuse et indifférente à la détresse qui l'entoure de toutes parts. En ce qui me concerne, je nourris dans mon cœur des espérances plus hautes et plus consolantes, car je crois fermement que l'énergique volonté de l'Angleterre n'a qu'à se déclarer, comme elle le fait en ce moment, pour que toute résistance s'évanouisse. (L'orateur reprend son siége au bruit des applaudissements enthousiastes.)

MM. Elphinstone, Burnet et Heyworth se font entendre; une proclamation au peuple est votée à l'unanimité, et la séance est levée à 10 heures.

MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE.
26 avril 1843.

L'affluence est aussi considérable que dans les précédentes occasions. On remarque dans l'assemblée plusieurs des membres les plus respectables de la société des wesleyens.

À 7 heures, le président, M. Georges Wilson, ouvre la séance. Il expose les travaux et les progrès de la Ligue depuis la dernière réunion.—«Nous avons distribué, dit-il, des plis contenant douze brochures (tracts), à chacun des électeurs de 160 bourgs et de 24 comtés.—Pendant la lecture de la liste de ces bourgs et comtés, l'assemblée applaudit avec véhémence, principalement quand il s'agit de circonscriptions électorales placées sous l'influence de l'aristocratie.—Le président annonce que ce système de distribution sera étendu à tout le pays, jusqu'à ce qu'il n'y ait pas un seul électeur dans tout le royaume qui ne soit sans excuse, s'il émet un vote contraire aux intérêts de ses concitoyens.—Depuis notre dernière réunion, de nombreux meetings ont eu lieu, auxquels assistait la députation de la Ligue, lundi à Plymouth, mardi à Devonport, mercredi à Tavistock, jeudi à Devonport, samedi à Liskeard, dans le comté de Cornouailles. En outre, mardi, les ouvriers de Manchester ont donné une soirée à laquelle assistaient quatre mille personnes, et qui a eu lieu dans les salons de la Ligue (free-trade hall). Elle avait pour objet la présentation d'une adresse à M. Cobden. Jeudi il y a eu meeting à Sheffield, vendredi à Wakefield, lundi à Macclesfield. Il y a eu aussi des réunions dans le Cheshire et dans le Sunderland, présidées par les premiers officiers municipaux, et j'ai la satisfaction d'annoncer qu'elles seront suivies de beaucoup d'autres.—C'est le 9 mai prochain que M. Pelham Villiers portera à la Chambre des communes sa motion annuelle pour le retrait des lois-céréales. (Bruyantes acclamations.) Des délégués de toutes les associations du royaume affiliées à la Ligue seront à Londres pour surveiller les progrès de notre cause pendant la discussion[28]. La parole est au Révérend Thomas Spencer.» (Applaudissements.)

M. Spencer: Je n'ai jamais porté la parole devant une aussi imposante assemblée, quoique je sois habitué aux grandes réunions, ce dont je me félicite en ce moment; car si je n'étais enhardi par l'expérience, le courage me manquerait en présence d'un tel auditoire. Je me présente ici comme un témoin indépendant dans la lutte entre la classe manufacturière et la classe agricole. Je n'appartiens ni à l'une ni à l'autre. J'ai observé la marche de toutes les deux, sans intérêt personnel dans leur conflit; je n'ai de préférence pour aucune, et je respecte dans tous les partis les hommes bien intentionnés. C'est pourquoi j'espère que ce meeting me permettra d'exposer ce qui est ma conviction sincère dans cette grande lutte nationale. (Approbation.)—J'ai observé depuis son origine les procédés de la Ligue; j'ai entendu beaucoup de discours, j'ai lu beaucoup d'écrits émanés de cette puissante association, et, du commencement à la fin, je n'y ai rien vu qui ne fût juste, loyal et honorable; rien qui tendît le moins du monde à sanctionner la violence, et quoiqu'on ait accusé les membres de la Ligue de vouloir ravir la protection aux fermiers, tout en la conservant pour eux-mêmes, je dois dire que je les ai toujours entendus repousser cette imputation, et proclamer qu'ils n'entendaient ni laisser profiter personne ni profiter eux-mêmes de ce système de priviléges. (Applaudissements.) Spectateur désintéressé de ce grand mouvement, je me suis efforcé de le juger avec impartialité d'esprit, et de rechercher s'il portait en lui-même les éléments du succès.—J'ai vu naître des entreprises qui ne pouvaient réussir, et des projets placés sous le patronage de préjugés que le temps devait dissiper.—Mais, quant à cette grande agitation, j'aperçois clairement qu'il est dans sa nature de triompher, et je vous en dirai la raison. Je vois des changements dans mon pays, et l'histoire m'enseigne qu'il ne recule pas, mais qu'il avance; qu'il ne se modifie pas dans un sens rétrograde, mais dans un sens progressif. Sans remonter bien loin, dans mon enfance on ne connaissait ni l'éclairage au gaz, ni les bateaux à vapeur, ni les chemins de fer, et maintenant le gaz illumine toutes nos rues, la vapeur parcourt toutes nos rivières, les rails sillonnent toutes les provinces de l'empire. (Applaudissements.) Dans mon enfance, un catholique romain, quelles que fussent sa bonne foi et ses lumières, ne pouvait entrer au Parlement, il n'en est pas de même aujourd'hui; dans mon enfance, nul ne pouvait être chargé d'une fonction publique, s'il n'avait reçu les sacrements de l'Église établie, il n'en est pas de même aujourd'hui; dans mon enfance, aucun Anglais, n'importent ses scrupules, ne pouvait être marié que par un ministre de cette église, il n'en est pas de même aujourd'hui. (Applaudissements.) De cette progression, qui n'est pas, si l'on veut, arithmétique ou géométrique, mais qui certes est une progression intellectuelle, politique et nationale, je tire cette conclusion, que non-seulement d'autres progrès nous attendent, mais qu'on en pourrait presque calculer la rapidité. Le temps passé étant donné, on pourrait presque dire ce que sera le temps qui le suit. En astronomie, des savants avaient remarqué dans le système solaire un mystère qui leur semblait inexplicable: ils avaient vu que les distances du soleil aux planètes étaient entre elles comme des nombres harmoniques, sauf qu'il y avait dans la série une lacune qui les confondait. À tel point du ciel, disaient-ils, il devrait y avoir une planète.—Et en effet, les astronomes modernes, armés de plus puissants télescopes, ont découvert à la place indiquée quatre petites planètes qui complètent la série des nombres harmoniques et prouvent la justesse du raisonnement qui avait soupçonné leur existence. Et moi, je dis qu'en considérant la série des progrès dans les affaires humaines, j'y vois aussi une place vide, quelque chose qui manque, et jugeant par le passé, je dis que si le principe de la liberté des transactions est vrai, il doit triompher. (Applaudissements.) J'ai un autre motif pour espérer ce triomphe: quiconque est engagé dans une grande entreprise doit avoir foi dans le succès, sous peine de sentir ses mains faiblir et ses genoux plier. C'est là d'ailleurs un résultat qu'il est dans les lois de la civilisation d'amener. Plusieurs personnes agitaient, il y a quelque temps, la question de savoir si la civilisation était favorable au bonheur de l'homme; quelques-unes se prononçaient pour la négative. Je leur demandai ce qu'elles entendaient par civilisation, et je découvris, bien plus, elles avouèrent qu'elles avaient donné à ce mot une interprétation erronée. Il y a plusieurs degrés de civilisation: si vous enseignez à un sauvage quelque chose des mœurs de la vieille Europe, il mettra probablement son honneur dans ses vêtements; il s'adonnera à la mollesse, aux liqueurs spiritueuses, et votre civilisation lui donnera la mort. Il en sera de même si vous prodiguez l'or à un indigent. Mais regardez dans les rangs élevés de la société; considérez un membre de vos nobles familles, qui toute sa vie a été accoutumé à ces jouissances et à ce luxe, et remarquez cet autre niveau de civilisation qui prévaut dans les classes supérieures; et, à cet égard, je puis dire avec sincérité que l'aristocratie anglaise donne un grand et utile exemple à toutes les aristocraties du monde; elle les a devancées de bien loin dans la saine entente de la vie civilisée. Les lords d'Angleterre ont abandonné l'orgueil des vêtements, et ils ont jeté leurs livrées à leurs domestiques; fuyant la mollesse et les excès, ils couchent sur la dure et ont introduit la simplicité sur leurs tables; ils ont renoncé aux excès de la boisson. Plus vous vous élevez dans l'échelle sociale, plus vous trouverez que les hommes agissent sur ce principe, de conserver un esprit sain dans un corps vigoureux. Le bonheur de l'homme ne consiste pas dans les jouissances des sens, mais dans le développement des facultés physiques, intellectuelles et morales, qui le rendent capable de faire du bien pendant une longue vie. (Applaudissements.) S'il est dans la nature de la civilisation de tendre à tout simplifier, qu'y a-t-il de plus simple, en matière d'échanges, que la liberté; et si l'Angleterre est le pays du monde le plus civilisé, ne dois-je pas m'attendre à voir, dans un temps prochain, ce grand résultat du progrès, la simplification, s'introduire dans nos lois commerciales? Il est une autre chose qui doit résulter aussi du progrès de la civilisation, c'est que le Parlement se rende un compte plus éclairé de sa propre mission. Les membres du Parlement, dans les deux Chambres, ont blâmé, et quelquefois dans un langage brutal, les ministres de la religion, pour avoir pris part à cette agitation au sujet d'une chose aussi temporelle, disent-ils, que les lois-céréales. Ils demandent ce qu'il y a de commun entre ces lois et le saint ministère; mais ils savent bien que tout être humain qui paye une taxe, et qui travaille pour subsister, est profondément affecté par ces lois; ils savent bien que tout homme qui aime son frère, et qui voit ce qui se passe dans le pays, est tenu en conscience de prendre part à cette grande agitation. (Approbation.) Eh quoi! les ministres de la religion n'ont-ils pas été spécialement appelés à considérer cette question? et la lettre de la reine, qui leur a été envoyée pour être lue dans toutes les paroisses, ne leur en fait-elle pas, pour ainsi dire, un devoir? (Approbation.) Cette lettre, que je dois moi-même lire dans l'église de ma paroisse, établit qu'une profonde détresse règne sur les districts manufacturiers, que cette détresse a pour cause la stagnation du commerce, et elle provoque des souscriptions pour subvenir aux besoins des indigents. Certes il n'appartient pas à un être intelligent, après avoir appris que la détresse pèse sur son pays, de rentrer dans l'inaction sans s'inquiéter des causes qui l'ont amenée. L'Écriture nous dit: «Occupez votre esprit de tout ce qui est juste, vrai, honnête et aimable.» Mais pourquoi en occuper votre esprit? Qui voudrait penser, sans jamais réaliser sa pensée dans quelque effet pratique? S'il est bon de penser, il est bon d'agir, et s'il est bien d'agir, il est bien de se lever pour prendre part à ce grand mouvement. (Bruyantes acclamations.) Je suis enclin à croire que les personnes, dans l'une et l'autre Chambre, qui accusent les ministres de la religion de sortir de leur sphère pour s'immiscer dans cette agitation, sont à moitié envahies par les erreurs du Puséisme. (Applaudissements.) Le Puséisme établit une profonde démarcation entre l'ordre du clergé et les autres ordres, distinction injuste et indigne de tout esprit libéral et éclairé. Ne voyez-vous pas d'ailleurs que le même argument par lequel on voudrait m'empêcher d'intervenir, servirait également à prévenir l'intervention de toute autre personne, à moins qu'elle n'intervînt du côté du monopole, auquel cas on est toujours bien reçu. (Applaudissements prolongés.) N'ont-ils pas dit, dans leurs assemblées, que M. Bright n'avait que faire de parcourir et d'enseigner le pays, et qu'il ferait mieux de rester dans son usine? N'en ont-ils pas dit autant des dames qui assistent à ces réunions? Avec cet argument, il n'est personne qu'ils ne puissent exclure de toute participation à la vie publique. Nous avons tous un emploi, une profession spéciale; mais notre devoir n'en est pas moins de nous occuper en commun de ce qui intéresse la communauté. Je crains bien que le Parlement ne cherche à endormir le peuple par cette argumentation. Et lui aussi a sa mission spéciale qui est de faire des lois pour le bien de tous; et lorsqu'il fait des lois au détriment du grand nombre, ne peut-on pas lui reprocher de se mêler de ce qui ne le regarde pas? Ce n'est pas le clergé dissident qui sort de sa sphère, c'est le Parlement. Nous supportons le poids des taxes, en temps de paix comme en temps de guerre; nous partageons les souffrances et le bien-être du peuple. Nous sommes donc justifiés dans notre résistance; mais le Parlement n'est pas justifié lorsqu'il entrave le commerce et envahit le domaine de l'activité privée. (Applaudissements.) Lorsqu'il intervient et dit: «Je connais les intérêts de cet homme mieux qu'il ne les connaît lui-même; je lui prescrirai sa nourriture et ses vêtements, je m'enquerrai du nombre de ses enfants et de la manière dont il les élève (applaudissements prolongés), les citoyens seraient fondés à répondre: Laissez-nous diriger nos propres affaires et élever nos enfants, ces choses-là ne sont point dans vos attributions; autant vaudrait que nous nommions aussi des commissions d'enquête pour savoir si les membres de l'aristocratie gouvernent convenablement leurs domaines et leurs familles.» Mais c'est là un jeu dans lequel le droit n'est pas plus d'un côté que de l'autre. Que l'aristocratie sache donc qu'il ne lui appartient pas de restreindre les échanges et le commerce de la nation.

J'ai dit que je me présentais comme un témoin indépendant et impartial dans cette lutte entre les intérêts manufacturiers et les intérêts agricoles; mais je déclare que, dans ma conviction, les intérêts, bien compris, ne font qu'un. Ce qui affecte l'un affecte l'autre.

Supposez qu'il n'y eût au monde qu'une seule famille. Un des membres laboure la terre, un autre garde et soigne les troupeaux, un troisième confectionne les vêtements, etc.—Si, pendant que le laboureur porte la nourriture au berger, il rencontre des entraves et des taxes, ne regarderiez-vous pas ces taxes et ces entraves comme un dommage pour toute la famille? Tout ce qui empêche, tout ce qui retarde, tout ce qui entraîne des dépenses, est une perte pour la communauté. Le même raisonnement s'applique aux nations, quelles que soient la multiplicité des professions et la complication des intérêts.

En ce qui concerne l'état actuel de ce pays, vous avez été informés par une haute autorité, par un ministre d'État, que la misère, le paupérisme et le crime régnaient sur cette terre désolée. C'est à celui qui admet l'existence de ces maux à prouver que la Ligue en méconnaît la cause lorsqu'elle les attribue à cette législation qui s'interpose entre l'homme et l'homme; lorsqu'elle affirme que la liberté du commerce entraînerait l'augmentation des salaires, que l'augmentation des salaires amènerait la satisfaction des besoins et la diffusion des connaissances, et enfin que l'extinction du paupérisme serait suivie de l'extinction de la criminalité. (Applaudissements.) Si la Ligue a raison, que la législation soit changée; si elle a tort, que ses adversaires le prouvent.

Je sais qu'il est de mode de railler les manufacturiers et leur prétendu égoïsme; de dire qu'ils exploitent à leur profit des milliers d'ouvriers. J'ai visité les districts manufacturiers aussi bien que les districts agricoles, et je demande quels sont ceux qui fournissent les cotisations les plus abondantes quand il s'agit d'une souscription nationale? Où recueille-t-on 1,000 l. s. dans une seule séance? À Manchester. J'ai dans les mains la liste de plusieurs individus qui donnent 63 liv. par an aux missions étrangères, c'est-à-dire de quoi entretenir un missionnaire. Je ne vois rien de semblable dans les districts agricoles, je ne connais aucun gentilhomme campagnard qui maintienne à ses frais un de ces hommes utiles qui s'expatrient pour faire le bien. La semaine dernière, j'ai visité une des grandes manufactures de Bolton, et je n'ai jamais rencontré nulle part une sollicitude plus éclairée pour le bien-être, l'instruction et le bonheur des ouvriers.

L'orateur continue à examiner le système restrictif dans ses rapports avec l'union des peuples, et termine au milieu des applaudissements.

M. Ewart et M. Bright prennent successivement la parole. Ce dernier rend compte des nombreux meetings auxquels il a assisté dans les districts agricoles.

SEPTIÈME MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE.
5 mai 1843.

Longtemps avant l'ouverture de la séance, toutes les places sont envahies et l'entrée a dû être refusée à plus de trois mille personnes.

Le président annonce que, par suite d'une nouvelle résolution prise par le directeur du théâtre de Drury-Lane, cet édifice ne sera plus à la disposition de la Ligue! Mais les intrigues du monopole seront encore déjouées. À Manchester nous avons construit en six semaines une salle capable de contenir dix mille personnes. Nous ferons de même à Londres, s'il le faut.—Il rend compte des meetings tenus dans les provinces pendant cette semaine.

Le Rév. docteur Cox: Si l'on me demandait pourquoi je me présente devant vous, moi, ministre protestant, étranger aux pompes du théâtre (rires), quoique familier avec la chaire, je répondrais: Homo sum, nil humani alienum puto; je suis homme, et, comme tel, je ne suis étranger à rien de ce qui intéresse mon pays et l'humanité. (Approbation.) J'ai eu ma part de blâme pour m'être réuni avec mes confrères à Manchester, il y a deux ans.—J'entendis alors, je ne dirai pas les murmures, mais les clameurs d'une partie de la presse (honte!), qui nous reprochait de nous être rassemblés à l'occasion d'une loi étrangère à notre position et à nos études. Maintenant l'on dit qu'en se réunissant à Manchester, les ministres protestants avaient fait tout ce qu'ils avaient à faire. Monsieur, je ne puis adhérer à ces sentiments. Je dis que notre cause réclame toujours nos efforts, et j'adopte sans hésiter la maxime de César: «Rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire!» (Applaudissements.) Il ne m'appartient pas de décider si une nouvelle Convention des Ministres dissidents serait convenable; mais engagés, comme nous le sommes, au nombre de sept cents, dans notre caractère collectif, je ne vois pas pourquoi nous ne nous efforcerions pas individuellement de faire triompher cette cause que nous avons embrassée avec vous, Monsieur, avec M. Cobden, avec les membres de la Ligue, cause que nous regardons comme intéressant au plus haut degré le bien-être de nos frères. (Approbation.) Et quel est mon frère? Ce n'est pas celui qui vit dans mon voisinage, dans la rue ou la ville prochaine,—mais c'est l'homme. (Applaudissements.) L'homme, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouve. Le christianisme m'enseigne la sympathie pour toute la race humaine, et d'atteindre, si je le puis, par mon influence morale, jusqu'aux extrémités du monde. On nous dit que comme Ministres nous devons nous en tenir à nos fonctions spirituelles;—que nous ne sommes point présumés comprendre des questions d'économie politique. Ma réponse est celle-ci: Je ne me reconnais pas plus incompétent pour comprendre une question, si je veux l'étudier, que tout autre individu doué d'honnêteté et de quelque sens commun. J'ai d'ailleurs présent à l'esprit que le Sauveur du monde, Notre-Seigneur, ne montra pas moins de sollicitude pour les intérêts temporels que pour les intérêts spirituels des hommes. (Écoutez, écoutez.) Il ne se borna pas à enseigner son éternel Évangile, mais il eut aussi compassion de la multitude et lui donna une nourriture miraculeuse; ce qui doit me déterminer à faire tous mes efforts pour lui donner une nourriture naturelle; et si ceux qui font profession d'être les disciples de Jésus-Christ, je veux dire les évêques de ce pays (grands cris de honte! honte!), qui occupent une si haute position et qui s'assoient sur les siéges de velours du Parlement, si les évêques, dis-je, combattaient au lieu de les soutenir ces lois-céréales qui ont infligé tant de maux à la communauté, je leur pardonnerais d'occuper une situation que je regarde comme incompatible avec leur caractère sacré (applaudissements), et j'oublierais, pour un moment, que j'ai vu la pompe de l'hermine et l'éclat de la mitre, là où je me serais attendu à rencontrer le manteau de bure et la couronne d'épines! (Écoutez, écoutez.) J'ai fait allusion au Parlement, c'est pour moi un sujet délicat à traiter; je crois que nous sentons tous que c'est là que nos intérêts ont été sacrifiés à l'esprit de parti. (Bruyantes acclamations.) C'est là, je crois, que les luttes et les rivalités pour le pouvoir et l'influence, pour les places et les honneurs, ont fait obstacle à plusieurs des grands principes que nous voulons faire prévaloir; et cependant nous pouvons tourner nos regards vers cette enceinte élevée avec quelque espérance, dans la conviction que le sentiment populaire, qui ne peut y être toujours méconnu, y fera tôt ou tard assez d'impression pour déterminer le triomphe des principes que nous avons à cœur.

Monsieur, je défendrai la cause de la Ligue au point de vue de l'humanité, du patriotisme et de la religion. (Applaudissements.) Je dis d'abord, quant à la question d'humanité, que la population de ce pays s'est accrue et s'accroît tous les jours, et que la première loi de la société est que l'homme doit gagner son pain à la sueur de son front. Mais ici, pendant que la population s'accroît d'année en année, pendant que le travail de l'homme s'accroît de jour en jour, l'ouvrier ne peut gagner son pain à la sueur de son front, parce qu'il y a des obstacles sur son chemin, et ce sont ces obstacles que la Ligue a pour but de renverser. (Applaudissements.) Je plaide cette cause sur le terrain de l'humanité, parce que si les intérêts manufacturiers souffrent, tous les autres ne peuvent manquer de souffrir aussi, et la détresse s'étend sur tout le pays. Je me souviens qu'il y a bien des années, M. Fox, combattant dans la Chambre des communes les mesures de son antagoniste, M. Pitt, disait ces paroles prophétiques: «Si vous persistez dans ce que vous appelez des guerres justes et nécessaires, vous finirez par être chargé d'une dette nationale de huit cents millions et d'un fardeau de taxes qui écrasera et ruinera le pays.» Les législateurs de l'époque se moquèrent de M. Fox; ils riaient de ses prévisions et de ce qu'ils appelaient ses folles prophéties; qu'est-il arrivé cependant? N'avons-nous pas cette dette nationale qui avait été prédite? N'avons-nous pas cette taxe que les citoyens ne peuvent supporter, à moins d'avoir quelques moyens extraordinaires, quelques propriétés héréditaires—ou, ce qui est la propriété du peuple, le droit de chercher et d'obtenir du travail?—Je plaide cette cause sur le terrain de l'humanité, car sans m'appesantir sur la condition profondément misérable des habitants des comtés septentrionaux, je pourrais signaler dans cette métropole,—à nos portes,—des circonstances de la nature la plus affligeante. J'ai en main un rapport qui me vient de la source la plus authentique, qui constate que dans le mois de mars dernier et dans une seule semaine, il y a eu quatre cas de mort provenant d'inanition. (Écoutez, écoutez.) Il est établi par les verdicts que deux de ces malheureux sont morts d'épuisement; un à la suite d'un complet dénûment, et le quatrième d'inanition absolue. (Écoutez, écoutez.) Mais au fait, tous ces mots sont synonymes, et ils signifient que, dans Londres, au sein du luxe et de l'abondance, quatre personnes dans une semaine sont mortes littéralement de faim. (Honte! honte!) Vous faites allusion à l'enceinte où se tiennent nos séances; vous parlez de tragédies! Voilà certainement de la tragédie, non point de celle qui a pour but de distraire le peuple, mais de la tragédie faite pour arracher des larmes et éveiller la sympathie la plus profonde. Me plaçant donc sur le terrain de l'humanité, lorsqu'il a été prouvé surabondamment que, par l'effet des lois-céréales, des milliers et des millions d'hommes sont dénués, non-seulement des moyens de vivre dans l'aisance, mais encore, à strictement parler, des moyens de vivre, quand le peuple souffre depuis le centre de cette métropole jusques aux districts les plus reculés du royaume,—lorsque le dénûment, la stagnation du travail, la famine, avec tous les maux qu'elles engendrent, pèsent de tout leur poids sur le pays,—lorsque l'humanité saigne par tous les pores, alors, Monsieur, je ne regarde pas si je suis un ministre de la religion, mais je me lève en dépit du blâme et de la calomnie pour défendre la cause de l'homme, qui est essentiellement la cause de Dieu. (Tonnerre d'applaudissements.)

J'ai dit, en second lieu, que je soutiendrais la cause de la Ligue sur le terrain du patriotisme, et ici je devrais me répéter, car les souffrances des manufactures ne sont-elles pas les souffrances de la masse? La détresse du centre ne s'étend-elle pas aux extrémités? Je maintiens qu'en principe il est faux qu'une partie de la communauté prospérera par la détresse d'une autre partie de cette même communauté; que l'aristocratie, par exemple, s'élèvera par l'abaissement des classes ouvrières. Que j'entende ou non l'économie politique, j'en sais assez sur cette matière, j'en sais assez surtout sur la morale du christianisme, pour dire que la vraie prospérité d'un peuple consiste en ce que chacun trouve le contentement de son cœur dans la prospérité de tous; en ce que les volontés soient unanimes pour porter le pays au plus haut degré de gloire et de félicité temporelle. Ce n'est qu'alors que l'Angleterre s'élèvera comme un monument digne d'attirer les regards de l'univers; ce n'est qu'alors qu'elle apparaîtra brillante à la clarté du jour, et répandra sa gloire sur toutes les nations; ce n'est qu'alors, quand tout privilége aura disparu, quand chaque classe, chaque parti se réjouira du bonheur des autres, quand ils travailleront tous à leur mutuelle satisfaction, que l'Angleterre sera pour l'étranger un objet d'étonnement et d'envie, et pour ses enfants un objet d'orgueil et de délices!

Après quelques autres considérations, l'orateur continue ainsi:

Enfin, je défends la cause de la liberté commerciale au point de vue religieux; je dis que la misère engendre l'égoïsme, les mauvais penchants, les dissensions domestiques.—Elle engendre l'abattement d'esprit; elle aboutit au suicide et trop souvent au meurtre. Les liens les plus tendres, les sympathies les plus douces de la vie domestique ont été brisées par la pression de la détresse, par l'impuissance de se procurer des moyens de subsistance au sein du pays ruiné. L'insanité s'en est suivie, et le tombeau prématuré s'est fermé sur ses victimes infortunées[29]. Dans ces circonstances je dis, Monsieur, que les dominateurs de ce monde se sont placés sous une effrayante responsabilité. (Écoutez, écoutez.) C'est pour nous un devoir de chrétiens de secourir le pauvre dans sa souffrance et dans sa détresse; mais prier pour son soulagement et son bien-être, n'est que la moitié de notre devoir. Nous devons encore plaider sa cause et faire tous nos efforts pour relever sa condition. À cet égard, permettez-moi une citation que je recommande à vos méditations. «Les affections qui cimentent la société ne sont guère moins importantes que les affections domestiques. Le sentiment de l'indépendance et de la dignité personnelle, l'amour de la justice, le respect des droits de la propriété, la satisfaction de notre position sociale, l'attachement éclairé aux institutions qui nous régissent,—ce sont là des éléments essentiels au corps politique, et dont la destruction ne peut être considérée que comme une calamité nationale. Cependant nous les voyons périr autour de nous. Quelque noble répugnance que les classes ouvrières aient montrée à accepter le secours de la paroisse, il n'est que trop vrai que le cœur de plusieurs a été courbé par un long désespoir devant cette humiliation; le sentiment du droit s'est évanoui aux approches de la famine, et les hommes ont appris à se demander s'il n'existait pas un droit primordial, antérieur au droit de propriété, qui les justifie de prendre là où ils le rencontrent, ce qui est indispensable au soutien de la vie; et finalement, nos institutions nationales si longtemps et si cordialement vénérées, ont été accusées, sinon d'être la source incurable du mal, du moins de constituer toute la force agressive et défensive de ceux qui perpétuent cet abus intolérable.» (Écoutez, écoutez.) Nous sommes dans un temps d'agitation, de grande et juste agitation parmi le peuple, le tonnerre commence à gronder; des bruits prophétiques se font entendre sur tous les points de l'horizon, cris pleins d'agonie, de désespoir et de détermination; l'électricité s'accumule et la tempête commence à éclater. Le peuple est résolu,—non comme tant d'autres fois l'épée à la main et en esprit de rébellion, mais en esprit de paix et de légalité,—à revendiquer les droits qu'il tient de l'auteur des choses, et dont il a été si injustement dépouillé. Le peuple veut vaincre et il vaincra. Le flot s'avance, les vagues grossissent, et rien ne pourra les arrêter.—Les effets de ces lois ont été à un haut degré préjudiciables aux intérêts de la religion. En beaucoup d'endroits, les hommes du peuple, faute de vêtements convenables, se sont éloignés du service divin. (Écoutez.) Les lois-céréales tendent en outre directement à restreindre les effets de ces institutions charitables, dont l'étendue et la bienveillance ont jeté tant de gloire sur le nom britannique, car à mesure que la détresse gagne du terrain, toutes les classes sont successivement envahies, toutes, excepté celles que défendent la naissance aristocratique et les possessions héréditaires. Ces lois ont encore un plus funeste résultat en prévenant l'extension de l'éducation, ce grand objet que le gouvernement pourrait abandonner à lui-même si la misère ne forçait à avoir recours à lui. (Écoutez, écoutez.) Je n'ajouterai qu'un mot, comme ami de la liberté en toutes choses. Liberté d'action, liberté de pensée, liberté d'échange,—car tout ce qu'il y a de bon sur cette terre est né de la liberté,—je défendrai cette grande cause tant que j'aurai un cœur pour sentir, une voix pour parler et un bras pour agir. (Bruyantes acclamations.)

M. Cobden s'avance au bruit des applaudissements et s'exprime en ces termes:

Le Révérend Ministre qui vient de s'asseoir s'est rendu coupable au moins d'une œuvre de surérogation (rires) lorsqu'il a jugé nécessaire de défendre les Ministres du culte pour la noble part qu'ils ont prise à cette agitation. (Bruyantes acclamations.) Si je regrette quelque chose dans le cours de nos opérations relatives aux lois-céréales, c'est de ne les avoir peut-être pas suffisamment considérées comme affectant les mœurs, la religion et l'éducation. On parle d'éducation; l'on demande si le peuple désire l'éducation. Je puis affirmer qu'il n'est aucune classe, même la plus humble, où les hommes, s'ils en avaient les moyens, ne se montrassent aussi empressés de procurer à leurs enfants le bienfait de l'éducation qu'on peut l'être dans les classes supérieures. Dans les années 1835 et 1836, lorsque le nord de l'Angleterre florissait, lorsque l'énergie du peuple n'était pas assoupie, lorsque nous n'étions pas engagés comme aujourd'hui dans un humiliant combat pour du pain.—Je me rappelle qu'il y eut plusieurs magnifiques meetings à Manchester pour l'avancement de l'éducation, et dans l'espace de quelques mois on recueillit 12,000 livres parmi les classes manufacturières, dans le but de construire des maisons d'école convenables. (Applaudissements.) Mais la loi-céréale s'élève comme un obstacle sur le seuil de toute amélioration morale. Qu'elle soit abrogée, et les classes industrieuses auront le moyen, comme elles ont la volonté, d'élever leurs enfants. Je regarde encore la question de la liberté commerciale comme impliquant la question de la paix universelle. Si, comme on peut me l'objecter, de grandes puissances, de grandes cités commerciales ont été renommées pour leurs guerres et leurs conquêtes, c'est parce qu'elles ne pouvaient accroître leur commerce que par l'agrandissement du territoire. Il est certain cependant que toutes les fois que les villes commerciales se sont confédérées, elles ont eu pour but de conserver la paix et non de faire la guerre. (Approbation.) Telle fut la confédération des villes Anséatiques. Nous nous efforçons maintenant de réaliser une ère nouvelle; nous cherchons, par la liberté du commerce, à accroître nos richesses et notre prospérité, tout en accroissant les richesses et la prospérité de toutes les nations du monde. (Bruyantes acclamations.) Introduisez le principe de la liberté commerciale parmi les peuples, et la guerre sera aussi impossible entre eux qu'elle l'est entre Middlesex et Surrey. Nos adversaires ont cessé de nous opposer des arguments, du moins des arguments dignes d'une discussion sérieuse. Mais, quoiqu'ils en soient venus à admettre à peu près nos principes, ils refusent de les mettre en pratique, sous prétexte que ces principes, quelque justes et incontestables qu'ils soient, ne sont pas encore adoptés par les autres nations. Ces Messieurs se lèvent à la Chambre des communes et nous disent que nous ne devons pas recevoir le sucre du Brésil et le blé des États-Unis jusqu'à ce que ces peuples admettent, sur le pied de l'égalité, nos fers et nos tissus. Mais ce que nous combattons, ce n'est point les marchands brésiliens ou américains, c'est la peste des monopoles intérieurs. (Acclamations prolongées.) La question n'est pas brésilienne ni américaine, elle est purement anglaise, et nous ne la laisserons pas compliquer par des considérations extérieures. Telle qu'elle est, notre tâche a assez de difficultés.—Que demandons-nous? Nous demandons la chute de tous les monopoles, et d'abord, et surtout, la destruction de la loi-céréale, parce que nous la regardons comme la clef de voûte de l'arche du monopole. Qu'elle tombe, et le lourd édifice s'écroulera tout entier. (Écoutez, écoutez.) Et qu'est-ce que le monopole? C'est le droit ou plutôt le tort qu'ont quelques personnes de bénéficier par la vente exclusive de certaines marchandises. (Écoutez, écoutez.) Voilà ce que c'est que le monopole. Il n'est pas nouveau, dans ce pays. Il florissait en Angleterre il y a deux cent cinquante ans, et la loi-céréale n'en est qu'une plus subtile variété. Le système du monopole avait grandi au temps des Tudors et des Stuarts, et il fut renversé, il y a deux siècles et demi, au moins dans ses aspects les plus odieux, sous les efforts de nos courageux ancêtres. Il est vrai qu'il revêtait, dans ces temps reculés, des formes naïvement grossières; on n'avait pas encore, à cette époque, inventé les ruses de l'échelle mobile (écoutez, écoutez); mais ce n'en étaient pas moins des monopoles, et des monopoles très-lourds. Voici en quoi ils consistaient: les ducs de ces temps-là, un Buckingham, un Richmond, sollicitaient de la reine Élisabeth ou du roi Jacques des lettres-patentes en vertu desquelles ils s'assuraient le monopole du sel, du cuir, du poisson, n'importe. Ce système fut poussé à une exagération si désordonnée que le peuple refusa de le supporter, comme il le fait aujourd'hui. Il s'adressa à ses représentants au Parlement pour appuyer ses doléances. Nous avons les procès-verbaux des discussions auxquelles ces réclamations donnèrent lieu, et quoique les discours n'y soient point rapportés assez au long pour nous faire connaître les arguments qu'on fit valoir de part et d'autre, il nous en reste quelques lambeaux qui ne manquent pas d'intérêt. Voici ce que disait un M. Martin, membre de la Ligue, assurément (rires), et peut-être représentant de Stockport (nouveaux rires,) car il s'exprimait comme j'ai coutume de le faire. «Je parle pour une ville qui souffre, languit et succombe sous le poids de monstrueux et intolérables monopoles. Toutes les denrées y sont accaparées par les sangsues de la république. Tel est l'état de ma localité, que le commerce y est anéanti; et si on laisse encore ces hommes s'emparer des fruits que la terre nous donne, qu'allons-nous devenir, nous qu'ils dépouillent des produits de nos travaux et de nos sueurs, forts qu'ils sont des actes de l'autorité suprême auxquels de pauvres sujets n'osent pas s'opposer?» (Acclamations.) Voilà ce que disait M. Martin, il y a deux cent cinquante ans, et je pourrais aujourd'hui tenir pour Stockport le même langage.—On nous fait ensuite connaître la liste des monopoles dont le peuple se plaignait. Nous y voyons figurer drap, fer, étain, houille, verre, cuir, sel, huile, vinaigre, fruit, vin, poisson. Ainsi ce que lord Stanhope et le Morning-Post appellent protection de l'industrie nationale, s'étendait à toutes ses branches. (Rires et acclamations prolongés.) Le malin journaliste ajoute: «Lorsque la liste des monopoles a été lue, une voix s'est écriée: et le monopole des cartes à jouer! ce qui a fait rougir sir Walter Raleigh, car les cartes sont un de ses monopoles.» Les hommes de cette époque étaient délicats sans doute; car, quoique nous ayons un lustre puissant à la Chambre des communes, jamais, depuis que j'en fais partie, je n'ai vu le rouge monter au front de nos monopoleurs. (Éclats de rire.) Le journal continue: «Après la seconde lecture de la liste des monopoles, M. Hackewell (autre ligueur sans doute) (rires) se lève et dit: Le pain ne figure-t-il point dans cette liste?—Le pain! dit l'un;—Le pain! s'écrie un second.—Cela est étrange, murmure un troisième.—Eh bien, reprend M. Hackewell, retenez mes paroles, si l'on ne met ordre à tout ceci, le pain y passera.» (Bruyantes acclamations.)—Et le pain y a passé, et c'est pour cela, Messieurs, que nous sommes réunis dans cette enceinte. (Applaudissements prolongés.) Le journaliste continue: «Quand la reine Élisabeth eut connaissance des plaintes du peuple, elle se rendit au Parlement et le remercia d'avoir attiré son attention sur un si grand fléau.» S'indignant ensuite d'avoir si longtemps été trompée par ses varlets (c'est le terme dont elle jugea à propos de se servir à l'égard de ses ministres monopoleurs), «pensent-ils, s'écria-t-elle, demeurer impunis, ceux qui vous ont opprimés, qui ont méconnu leurs devoirs et l'honneur de la reine? Non, assurément. Je n'entends pas que leurs actes oppressifs échappent au châtiment qu'ils méritent. Je vois maintenant qu'ils en ont agi envers moi comme ces médecins (rires, écoutez, écoutez) qui ont soin de relever par une saveur aromatique le breuvage amer qu'ils veulent faire accepter, ou qui, voulant administrer une pilule (cris répétés: Écoutez, écoutez, c'est le docteur Tamworth), ne manquent pas de la dorer.» (Rires universels et applaudissements.) Vraiment, on pourrait presque soupçonner dans ces paroles quelques rapports prophétiques avec un certain docteur homme d'État de notre époque. (Nouveaux éclats de rire.) Telle fut, Messieurs, la conduite de la reine Élisabeth. Nous vivons maintenant sous une reine qui occupe dignement le trône de cette souveraine. (Acclamations.) J'ai la conviction que Sa Majesté ne voudrait pas sanctionner personnellement un tort fait au plus pauvre ou au plus humble de ses sujets, et quoiqu'elle ne soit pas disposée, sans doute, à venir à la Chambre des lords pour y dénoncer ses ministres comme des varlets (rires), je crois qu'elle donnerait sans difficulté son assentiment à l'abolition absolue des lois-céréales. (Applaudissements et cris répétés: Dieu sauve la reine!) Tels étaient les priviléges autrefois; aujourd'hui les monopoleurs, agissant suivant des principes identiques, si ce n'est pires, ont introduit de grands raffinements dans les dénominations des choses; ils ont inventé l'échelle mobile et le mot protection. En reconstruisant ces monopoles, l'aristocratie de ce pays s'est formée en une grande société par actions pour l'exploitation des abus de toute espèce; les uns ont le blé, les autres le sucre, ceux-ci le bois, ceux-là le café, ainsi de suite. Chacune de ces classes de monopoleurs dit aux autres: «Aidez-moi à arracher le plus d'argent possible au peuple, et je vous rendrai le même service.» (Écoutez.) Il n'y a pas, en principe, un atome de différence entre le monopole de nos jours et celui d'autrefois. Et si nous n'avons pas réussi à nous débarrasser des abus qui pèsent sur nous, il faut nous en prendre à notre ignorance, à notre apathie, à ce que nous n'avons pas déployé ce mâle courage que montrèrent nos ancêtres dans des circonstances bien moins avantageuses, à une époque où il n'y avait pas de liberté dans les communes, et où la Tour de Londres menaçait quiconque osait faire entendre la vérité. (Écoutez.) Quelle différence pourrait-on trouver dans les deux cas? Voici des hommes qui se sont rendus possesseurs de tout le blé du pays, qui ne suffit pas, selon eux-mêmes, à la consommation. Cependant ils n'admettent de blé étranger que ce qu'il leur plaît, et jamais assez pour ne pas retirer le plus haut prix possible de celui qu'ils ont à vendre. (Écoutez, écoutez.) Que faisaient de plus les monopoleurs du temps d'Élisabeth? Les monopoleurs de sucre ne fournissent pas au peuple d'Angleterre la moitié de celui qu'il pourrait consommer, s'il était libre de s'en procurer au Brésil, à prix débattu, et en échange de son travail. Il en est de même pour le café et autres articles de consommation journalière. Combien de temps faudra-t-il donc au peuple d'Angleterre pour comprendre ces choses et pour faire ce que firent ses ancêtres il y a plus de deux siècles? Ils renversèrent l'oppression: pourquoi ne le ferions-nous pas? (Applaudissements.)

Vraiment, je sens qu'il y a quelque chose de vrai dans ce que disait hier soir mon ami John Bright: «Nous ne sommes, à la Chambre des communes, que de beaux diseurs à la langue mielleuse et dorée.» Nous ne savons pas parler comme les Martin et les Hackewell d'autrefois. (Écoutez! écoutez!) Bien que, après tout, ce n'est point dans de rudes paroles mais dans de fortes actions qu'il faut placer notre confiance. (Applaudissements.) Ainsi que je vous le disais tout à l'heure, lorsque nous demandons au gouvernement de mettre un terme à ce système, il nous envoie au dehors, au Brésil par exemple, et nous dit de décider ce peuple à recevoir nos marchandises contre son sucre; mais quelle est donc cette déception dont on nous berce depuis si longtemps? Quel est l'objet pratique de ces traités de commerce si attendus? Y a-t-il quelque pays, à un degré de latitude donné, qui produise des choses que ne puissent produire d'autres pays dans la même latitude? Pourquoi, je le demande, devons-nous nous adresser au Portugal, et lui donner le privilége exclusif de nous vendre ses vins, lui conférant ainsi un monopole contre nous-mêmes? Pourquoi nous priver de l'avantage de la concurrence de notre voisine, la France, dont le Champagne est décidément supérieur, dans mon opinion, au vin épais de Porto? (Applaudissements.) On nous dit qu'en donnant la préférence au Portugal, nous forcerons la France à réduire ses droits sur nos fils et tissus de lin. Mais cela ne pourrait-il pas avoir l'effet contraire? l'expérience en est faite. Voilà plus de cent ans que nous avons conclu le fameux traité de Methuen, et au lieu de concilier les peuples il les a divisés, et a, plus que toute autre chose, provoqué ces guerres désastreuses qui ont désolé l'Europe. Au lieu de forcer cette brave nation de l'autre côté du canal à venir acheter nos produits, il n'a eu d'autre effet que de la décider à doubler les droits sur nos marchandises. (Approbation.) Non, non, agissons à la façon des ligueurs du temps d'Élisabeth. Renversons nos propres monopoles; montrons aux nations que nous avons foi dans nos principes; que nous mettons ces principes en pratique, en admettant, sans condition, le blé, le sucre et tous les produits étrangers. S'il y a quelque chose de vrai dans nos principes, une prospérité générale suivra cette grande mesure, et lorsque les nations étrangères verront, par notre exemple, ce que produit le renversement des barrières restrictives, elles seront infailliblement disposées à le suivre. (Applaudissements.) Ce sophisme, qu'un peuple perd l'excédant de ses importations sur ses exportations, ou qu'un pays peut toujours nous donner sans jamais recevoir de nous, est de toutes les déceptions la plus grande dont j'aie jamais entendu parler. Elle dépasse les cures par l'eau froide et les machines volantes. (Éclats de rires.) Cela revient tout simplement à dire qu'en refusant les produits des autres pays, de peur qu'ils n'acceptent pas nos retours, nous obéissons à la crainte que l'étranger, saisi d'un soudain accès de philanthropie, ne nous inonde jusqu'aux genoux de blé, de sucre, de vins, etc. (Applaudissements.) Au lieu de mesurer l'étendue de notre prospérité commerciale par nos exportations, j'espère que nous adopterons la doctrine si admirablement exposée hier à la Chambre des communes par M. Villiers, et que c'est par nos importations que nous apprécierons les progrès de notre industrie. (Approbation.) Quels sont les pays qui aient adopté le système des libres importations, et qui ne témoignent pas, par leur prospérité, de la bonté de ce système! Parcourez la Méditerranée. Visitez Trieste et Marseille, et comparez leurs progrès. Le commerce de Marseille est protégé et encouragé, comme on dit, depuis des siècles par la plus grande puissance du continent. Mais il n'a fallu que quelques années à Trieste pour dépasser Marseille.—Et pourquoi? parce que Trieste jouit de la liberté d'importation en toutes choses. (Bruyants applaudissements.) Voyez Hambourg; c'est le port le plus important de toute la partie occidentale de l'Europe.—Et pourquoi? parce que l'importation y est libre! La Suisse vous offre un autre exemple de ce que peut la liberté. J'ai pénétré dans ce pays par tous les côtés: par la France, par l'Autriche et par l'Italie, et il faut vouloir tenir ses yeux fermés pour ne pas apercevoir les remarquables améliorations que la liberté du commerce a répandues sur la république; le voyageur n'a pas plutôt traversé la frontière, qu'elles se manifestent à lui par la supériorité des routes, par l'activité et la prospérité croissante des habitants. D'où cela provient-il? de ce que, en Suisse, aucune loi ne décourage l'importation. Les habitants des pays voisins, les Italiens, les Français, les Allemands y apportent leurs produits sans qu'il leur soit fait la moindre question, sans éprouver ni empêchement ni retard. Et pense-t-on que pour cela le sol ait moins de valeur en Suisse que dans les pays limitrophes? J'ai constaté qu'il valait trois fois plus qu'au delà de la frontière, et je suis prêt à démontrer qu'il y vaut autant qu'en Angleterre, acre par acre, et à égalité de situation et de nature, quoiqu'en Suisse la terre seule paye la moitié de toutes les taxes publiques. (Écoutez! écoutez!) Et d'où vient cette grande prospérité? de ce que tout citoyen qui a besoin de quelques marchandises, de quelque instrument, ou de quelque matière première, est libre de choisir le point du globe sur lequel il lui convient de s'en approvisionner. Je me souviens d'avoir visité, avec un ami, le marché de Lausanne, un samedi. La ville était remplie de paysans vendant du fruit, de la volaille, des œufs, du beurre et toute espèce de provisions. Je m'informai d'où ils venaient?—De la Savoie, pour la plupart, me dit mon ami, en me montrant du doigt l'autre rive du lac de Genève.—Et entrent-ils sans payer de droit? demandai-je.—Ils n'en payent d'aucune espèce, me fut-il répondu, ils entrent librement et vendent tant que cela leur convient. Je ne pus m'empêcher de m'écrier: «Oh! si le duc de Buckingham voyait ceci, il en mourrait assurément.» (Rires et acclamations.) Mais comment ces gens-là reçoivent-ils leur payement? demandai-je, car je savais que le monopole fermait hermétiquement la frontière de Savoie, et que les marchandises suisses ne peuvent y pénétrer. Pour toute réponse, mon ami me mena en ville dans l'après-dînée, et là, je vis les paysans italiens fourmillant dans les boutiques et magasins, où ils achetaient du tabac, des tissus, etc., qu'on arrangeait en paquets du poids de 6 livres environ, pour en faciliter l'entrée en fraude en Italie. (Rires.) Eh bien, si vous ouvrez les ports d'Angleterre, et si les autres nations ne veulent pas retirer les droits qui pèsent sur nos produits, j'ose prédire que les étrangers qui nous porteront du blé ou du sucre rapporteront de nos marchandises en ballots de 6 livres, pour éviter la surveillance de leur douane. Mais, après tout, ce ne sont là que des excuses et de vains prétextes; nous y sommes accoutumés, nous y sommes préparés, on ne peut plus nous y prendre; et le mieux est de ne pas les écouter. Sommes-nous d'accord sur ce point, qu'il est juste de renverser le monopole? Qu'on ne nous parle pas de la Russie, du Portugal ou de l'Espagne; nous nous en occuperons plus tard (bien, bien); nous ne manquons pas chez nous d'ennemis d'une pire espèce (bravos); ne perdons pas de vue l'objet de notre association, qui est d'emporter le retrait des lois-céréales, absolument, immédiatement et sans condition[30]. Si nous renoncions au mot sans condition, nous aurions un nouveau débordement de prétextes à chaque semaine.

Ici l'orateur rend compte de la tournée qu'il a faite dans les districts agricoles et de l'état de l'opinion parmi les fermiers.

J'ai assisté dans le comté de Hertford, à un meeting où étaient réunis plus de deux mille fermiers; il avait été annoncé longtemps à l'avance. Je m'y suis présenté seul (applaudissements) sans être accompagné d'un ami, sans avoir une seule connaissance dans tout le comté. (Bravos.) Nous nous réunîmes d'abord dans le Shire Hall (salle du comté); mais n'étant pas assez spacieuse, nous tînmes le meeting à ciel ouvert, à Plough-Meal où se font ordinairement les élections. Je pris ma place sur un wagon; je débitai mon thème pendant près de deux heures (rires et applaudissements); et sur le champ même où, il y a près de deux ans, la fine fleur de la chevalerie du comté, sous la bannière du conservatisme, fit élire par les fermiers trois partisans du monopole et de la protection, sur ce même champ, je plaidai, il y a une semaine, la cause de l'abrogation totale et immédiate des lois-céréales. (Applaudissements.)... Les fermiers se divisèrent; les uns parlèrent pour, les autres contre; je ne pris plus aucune part aux débats et abandonnai entièrement la discussion à elle-même. Vous avez su qu'au moment du vote, la motion en faveur du maintien de la protection n'avait pas réuni plus de douze suffrages.

Ici M. Cobden annonce qu'un des fermiers de Hertford, M. Latimore, est auprès de lui et se fera entendre pendant la séance. L'assemblée applaudit avec enthousiasme. M. Cobden continue:

Saisissons cette occasion, puisque nous avons parmi nous un représentant de cette digne et excellente classe d'hommes, de lui exprimer les sentiments dont nous sommes animés pour l'ordre dont il est un membre si distingué. Disons à la landocratie du pays, qui prétend maintenir son injuste suprématie,—je dis injuste, parce qu'elle se fonde sur le monopole,—disons-lui qu'il n'est plus en son pouvoir de séparer, d'exciter l'une contre l'autre ces deux grandes classes industrieuses, les manufacturiers et les fermiers (applaudissements), identifiés désormais dans les mêmes intérêts publics, économiques et sociaux. Présentons la main de l'amitié à M. Latimore et à l'ordre auquel il appartient, et qu'il soit bien convaincu que toute la puissance qu'exerce la Ligue sur l'opinion publique, sera employée à obtenir pour les fermiers la même justice que nous réclamons pour nous-mêmes. Le temps approche où, industriels et fermiers, serrant leurs rangs, marcheront côte à côte à l'attaque des monopoles. (Applaudissements.) Souvenez-vous de mes paroles! le temps approche où la foule des fermiers, mêlée à la foule des Ligueurs, tous animés de la même ardeur, tous sous le poids de la même anxiété, attendront dans les couloirs de la Chambre des communes le dénoûment de cette grande question; et j'avertis la landocratie qu'elle se trompe complétement si elle compte sur le concours de ses tenanciers pour combattre la population urbaine, quand elle se lève pour la cause de la justice. J'en ai vu assez pour être assuré que c'est autour des châteaux de l'aristocratie que se trouvent les penchants les moins aristocratiques. Que les lois-céréales opèrent quelque temps encore leur œuvre destructive parmi les fermiers, et je ne voudrais pas être chargé de braver l'indignation morale qui s'élèvera des districts agricoles... Je voudrais bien savoir où les landlords iront désormais chercher leur appui. Je les ai combattus jusque dans leurs places fortes. (Applaudissements.) Je les ai rencontrés dans les comtés de Norfolk, de Hertford et de Somerset. (Applaudissements.) La semaine prochaine je serai dans le Buckinghamshire, la semaine d'après à Dorchester, et le samedi suivant dans le Lincoln. (Applaudissements.) Je l'annonce ici publiquement. Je sais que les landlords n'ont pas vu jusqu'ici mes pérégrinations avec indifférence, et quand ils n'ont pas détourné nos fermiers d'assister à nos meetings, ils les ont engagés à y occasionner du désordre. Je leur dis publiquement où je vais, et ils n'osent pas venir m'y regarder en face. S'ils n'osent pas justifier leur loi en présence de leurs propres tenanciers, où donc pouvons-nous espérer de les rencontrer, si ce n'est à la chambre des communes et à la chambre des lords?...

J'ai eu un attachement si passionné pour la liberté du commerce, que je n'ai jamais regardé au delà; mais il y a des hommes qui regardent au delà et qui comptent sur la Ligue pour une œuvre bien autrement radicale que celle qu'elle a en vue. Je n'ai pas d'avis à donner à l'aristocratie de ce pays; mon affection pour elle ne va pas jusque-là; mais si elle ferme les yeux, dans son orgueil, sur le travail qui s'opère au-dessous d'elle, elle verra peut-être la question se porter fort au delà d'une simple lutte de liberté commerciale, par des hommes qui, après avoir accompli une utile réforme, en poursuivront une autre bien autrement profonde. (Acclamations.) Si l'on persévère dans ce système, alors que le pays rend contre lui un témoignage unanime, je répète ici ce que j'ai dit dans une autre enceinte (bruyantes acclamations), la responsabilité tout entière en retombera sur le pouvoir exécutif (applaudissements), et cette responsabilité deviendra tous les jours plus terrible. (Nouveaux applaudissements.) Sir Robert Peel dirige le gouvernement en sens contraire de ses propres opinions. (Assentiment.) Je n'incrimine les intentions de personne; j'observe la conduite des hommes publics, et c'est sur elle que je les juge. Mais quand je trouve qu'un ministre suit une marche diamétralement opposée à ses opinions avouées, j'ai le droit de m'enquérir de ses intentions, parce qu'alors sa conduite n'est pas dirigée par les règles ordinaires. Et de qui se sert-il pour faire triompher ses résolutions? il les obtient d'une majorité brutale. Je dis brutale, parce qu'elle est irrationnelle; et je ne l'appelle pas irrationnelle parce qu'elle ne s'accorde pas avec moi, mais parce qu'elle suit un chef qui s'accorde avec moi en principe, et adopte une autre marche en pratique. Le ministre qui dirige l'administration avec un tel instrument, sachant qu'il est le produit de l'intrigue, de l'erreur et de la corruption, lorsqu'il voit les mêmes hommes, autrefois trompés par ses créatures, s'assembler aujourd'hui à la clarté du jour, et, au milieu de l'aristocratie à cheval, voter comme un seul homme contre cet odieux système, ce ministre, dis-je, encourt une immense responsabilité.

L'orateur annonce que le théâtre de Drury-Lane n'est plus à la disposition de la Ligue; et répondant aux personnes qui voudraient que les meetings se tinssent en plein air, il dit:

Les personnes se méprennent sur ce qui constitue l'opinion publique, qui disent que des meetings à Islington-Green auraient plus d'influence que ceux-ci. Ce ne sont pas les tacticiens de l'école moderne qui pensent qu'une grande question d'intérêt public peut être résolue devant une armée de trente à quarante mille hommes rassemblés à Islington ou ailleurs. Mon opinion est que depuis la réforme électorale, qui a mis la puissance politique aux mains de plus d'un million de personnes appartenant à la classe éclairée de ce pays, si cette classe veut agir, sa puissance ne sera pas ébranlée, ni par les efforts de l'aristocratie d'un côté, ni par les démonstrations populaires de l'autre.—Sans vouloir négliger la coopération d'aucune classe, je pense que ceux qui veulent emporter une grande question, doivent le faire précisément par cette classe dont je suis en ce moment entouré. Les applaudissements de la foule, l'enthousiasme manifesté par un grand chœur de voix humaines, à Islington, pourraient bien nous amuser ou flatter notre amour-propre, mais si nous sommes animés d'une passion sincère, si nous voulons faire triompher la liberté, ainsi que nous y avons engagé nos fortunes, et s'il le faut, nos vies, alors nous prendrons conseil de quelque chose de mieux que de la vanité, et nous choisirons parmi nos moyens ceux qui sont les plus propres à amener le succès. Rien n'est plus propre à le garantir que de semblables réunions. C'est un axiome parmi les auteurs dramatiques, que le jugement du public est sans appel. Au foyer, les critiques peuvent différer et se combattre. Mais si la pièce a réussi à Drury-Lane, elle réussira dans tout le royaume. Vous devez bien penser que ce n'est pas sans quelque anxiété que nous avons porté notre œuvre devant vous. Mais forts de nos précédents, nous rappelant que le succès n'avait jamais manqué à nos démarches les plus hardies, nous résolûmes d'affronter votre jugement à Drury-Lane. Vous l'avez prononcé, ce jugement, après plusieurs épreuves réitérées. De semaine en semaine votre enthousiasme a grandi; de séance en séance, les dames, cette meilleure partie de la création, sont venues en plus grand nombre sourire à nos efforts. (Acclamations.) Maintenant, qu'ils nous retirent l'usage de cette enceinte privilégiée!—Nous les remercions de ce qu'ils ont fait.—Vous avez condamné le monopole; votre verdict est prononcé.... Il n'en sera pas fait appel. (L'honorable gentleman s'assoit au milieu des acclamations enthousiastes. L'assemblée se lève dans un état d'excitation tumultueux qui se prolonge plusieurs minutes.)

MM. Latimore et Moore prennent successivement la parole.

MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE À LA SALLE DE L'OPÉRA.
13 mai 1843.

À l'occasion de la discussion sur les lois-céréales, discussion qui a occupé cinq séances entières de la Chambre des communes et qui n'est pas encore terminée, la Ligue s'est réunie, samedi 13 mai, à la salle de l'Opéra. Après un discours éloquent de M. Fox, la parole est à M. Cobden.

M. Cobden: C'est avec surprise que j'ai vu figurer mon nom sur l'affiche de la distribution des rôles. (Rires.) Notre président est d'un despotisme achevé, et ne laisse ni voix délibérative ni voix consultative à ce sujet. Si j'étais libre, j'aimerais mieux, pardonnez-le-moi, aller me reposer, car il était cinq heures ce matin quand je suis sorti du Parlement, après avoir assisté à une scène..... comment la qualifierai-je?..... Une scène digne des bêtes sauvages d'Éphèse. (Rires et applaudissements.) Ce n'est pas d'ailleurs une tâche aisée que de succéder à M. Fox. Je regrette qu'il ne puisse pas répéter, lundi prochain, l'éloquent discours que vous venez d'entendre, à la Chambre des communes, où son grand talent, vous en conviendrez avec moi, devrait lui assurer une place. Mais quoique l'occasion lui en soit refusée, je pense qu'il en sera dit quelque chose lundi soir, car autant les membres du Parlement sont impatients de la critique qui s'attache à leurs représentations de Saint-Stephen, autant ils aiment à critiquer nos représentations de Drury-Lane et de l'Opera-House. Il n'a guère été question d'autre chose dans les derniers débats, et nos opérations sont devenues le thème favori du Parlement. Un autre sujet inépuisable pour ces Messieurs, c'est le blâme et les plaintes dirigés contre le représentant de Stockport. (Rires.) Je ne suis pas surpris que les membres des communes supportent impatiemment la critique du public, et puisque leurs belles manières devaient se manifester par une violence si inusitée, ils ont agi prudemment d'exclure de l'enceinte législative les étrangers et les journalistes.—Je voudrais que mes compatriotes de la classe ouvrière eussent été derrière les coulisses pour voir comment se comportent, en quelques occasions, ceux qui se disent leurs supérieurs. (Rires et applaudissements.)

Je ne sais vraiment que vous dire sur le fond de la question; je me sens tout à fait dans la thèse de sir Robert Peel. Je n'ai pas de nouveaux arguments à faire valoir, et je ne puis que vous chanter toujours le même refrain. (Rires.) Mais, croyez-moi bien, les plus vieux arguments sont les meilleurs. (Écoutez! écoutez!) Le tout est de les bien comprendre. Je ne suis pas bien sûr que vous ayez aucune raison, ni même aucun droit à obtenir la liberté des échanges, si vous ne la comprenez parfaitement, si vous ne la désirez avec ardeur. Mais, une chose dont je suis sûr, c'est qu'en l'absence de cette intelligence et de cette volonté, vous l'auriez aujourd'hui, que vous la perdriez demain.—Je vais donc continuer mon cours; ce sera sans doute toujours le vieux refrain. Mais je vois parmi vous des jeunes gens; pourquoi ne les instruirions-nous pas? pourquoi ne les mettrions-nous pas à même de convertir les vieux monopoleurs, en retournant à leurs foyers? (Approbation.) Qu'est-ce que le monopole du pain? c'est la disette du pain. Vous êtes surpris d'apprendre que la législation de ce pays, à ce sujet, n'a pas d'autre objet que de produire la plus grande disette de pain qui se puisse supporter? et cependant ce n'est pas autre chose. (Écoutez! écoutez!) La législation ne peut atteindre le but qu'elle poursuit que par la disette. Ne vous semble-t-il pas que c'est assez clair?—Quelle chose dégoûtante de voir la Chambre des communes....., je dis dégoûtante ici, ailleurs le mot ne serait pas parlementaire. Mon ami, le capitaine Bernal, leur a dit le mot en face; mais rappelé à l'ordre par le président, il a dû s'excuser et retirer l'expression. Mais allez, comme je l'ai fait, d'abord à la barre de la Chambre des lords, et puis à la Chambre des communes, et vous verrez que le fond de leurs discours c'est: rentes! rentes! rentes! cherté! cherté! cherté! rentes! rentes! rentes! (Rires et applaudissements.) Qu'est-ce que cela signifie? Voilà une collection de grands seigneurs, de dignes gentilshommes assurément, et faisant figure sur les coussins de soie de la Chambre des lords, mais, du reste, ne dépassant guère le niveau de l'intelligence ordinaire, et fort peu au-dessus de la médiocrité, selon ce que j'en puis savoir, en vertus et en connaissance;—mais enfin les voilà. Et que sont-ils?—des marchands de blé et de viande. (Bruyants applaudissements.) C'est là ce qui les fait vivre, et ils vont à la législature, pour assurer, par acte du parlement, un prix élevé, un prix de monopole, à la chose qu'ils mettent en vente. C'est là leur grande affaire. Ce que je dis peut n'être pas parlementaire, mais c'est la vérité. (Applaudissements.) Voilà encore de grands seigneurs à la Chambre des communes, très-dignes gens sans doute, et qui représentent fidèlement les lumières et les vertus de leurs commettants. Cependant, je suis fâché de le dire, la plupart d'entre eux tirent leurs revenus de la vente des blés et des bestiaux; et quelle a été leur occupation pendant toute cette semaine? de combattre vigoureusement pour maintenir, par acte du Parlement, le prix de leurs marchandises. (Applaudissements.) S'il y avait un Pasquin sur les murs de Saint-Stephen, j'écrirais en vers, au-dessus de son effigie: Ici résident les marchands de grains.—Vous ne voyez pas les hommes qui ont des cotons, des draps, des soieries, ou des fers à vendre, quelle que soit la détresse de leur commerce, entrer d'un pas délibéré à la Chambre des communes, et y faire des lois pour s'assurer des prix élevés; pourquoi les maîtres de forges, les imprimeurs sur étoffes, n'auraient-ils pas aussi leur échelle mobile? Ils pourraient s'adjuger 1 sh. 2 d. de protection. Et pourquoi pas 1 sh. 6 d.? on peut bien être généreux quand on l'est envers soi-même. Mais il n'y a pas jusqu'aux grooms qui gardent leurs chevaux à la porte de la Chambre qui ne riraient après eux. Pourquoi donc tolérez-vous que les grands seigneurs aillent à la Chambre des communes, et convertissent en une halle ce qui devrait être le temple de la justice? (Approbation.) Pourquoi le peuple tolère-t-il cela? parce que, fasciné par le vieux système féodal, il voit avec indulgence, que dis-je? avec vénération, de la part des possesseurs du sol, des actions pour lesquelles il honnirait les hommes qui dirigent, dans la boutique ou l'atelier, une honnête industrie. (Applaudissements.) Mais mon devoir est d'instruire les enfants mêmes, afin que, rentrés chez eux, ils catéchisent jusqu'à leurs grand'mères. (Éclats de rire.) Ces enfants entendront dire sans doute que la protection n'a pas pour but d'élever le prix du blé, mais d'en augmenter la production intérieure. Et comment veut-on arriver à ce résultat? d'abord le moyen est bizarre, et le sens commun peut trouver étrange qu'on essaye de procurer l'abondance en excluant l'abondance. (Écoutez!) Mais voyons les effets. Le peuple est-il nourri de pain blanc? Selon le docteur Marsham, cinq millions d'habitants vivent de pain d'avoine, et cinq autres millions de pommes de terre. Que l'enfant revienne donc vers sa grand'mère, et qu'il lui dise: Le plan a failli, car le peuple n'est pas nourri. Quelle objection peut-on faire alors à l'essai de notre plan, en laissant entrer le blé étranger? Qui le mangera? Ce ne sont pas sans doute ceux qui assistent à ce meeting; ils en ont plus qu'il ne leur en faut. Si donc il en entre davantage, il sera consommé par ceux qui n'en mangent pas assez ou ceux qui n'en mangent pas du tout. (Applaudissements.) Donc, laissez arriver le blé. Mais ici vous êtes assaillis d'un débordement d'arguments tirés des charges qui pèsent sur le sol, du danger de dépendre de l'étranger, du développement exagéré des machines, etc. La réponse à laquelle l'enfant doit se tenir attaché, est celle-ci: Toutes ces choses peuvent être très-fâcheuses, mais rien n'est plus fâcheux que la rareté des aliments; il pourrait être bon de ne pas dépendre de l'étranger, si nous ne dépendions pas de gens qui nous traitent plus mal chez nous. Mes malheureux commettants de Stockport dépendent de la production intérieure, et ils se trouvent si mal nourris, depuis tantôt cinq ans, qu'ils aimeraient mieux dépendre des Russes, des Polonais, des Allemands ou des Américains, ou de quelque nation que ce soit sur la surface de la terre, plutôt que de se fier aux nobles marchands qui ont érigé le système exclusif. Mais les landlords objectent qu'ils payent de plus lourdes taxes que les autres classes de la société. En admettant que, possédant le pouvoir de manipuler les taxes, ces anges de désintéressement les aient toutes placées sur leurs propres épaules, comme Sancho Pança; eh bien! dans ce cas même, qu'ils les rectifient, qu'ils les fassent passer sur d'autres; mais cela ne justifie point la rareté des aliments. Il y a une autre grande duperie mise en avant par l'ennemi, et qui a trompé beaucoup d'enfants de tous âges. C'est la question des machines. Mais une aiguille est une machine, un dé à coudre est une machine, c'est un grand progrès sur l'ongle du pouce. (Rires.) J'ai toujours trouvé que les plus grandes clameurs contre les machines partent de gens qui, d'une façon ou d'une autre, se servent de machines pour leurs propres affaires. Mais ils ont entendu parler de quelque merveilleuse invention dans le nord de l'Angleterre, et les monopoleurs se sont empressés de les mettre sur une fausse quête, en leur persuadant que c'est là ce qui nuit au peuple, et non la taxe du pain. J'ai rencontré à Yarmouth un de ces hommes qui vont vociférant contre les machines. Je lui demandai de quelle espèce de machine il se plaignait; il me répondit: Du power-loom. Vous en servez-vous à Yarmouth? lui dis-je.—À Yarmouth, nous ne tissons ni ne filons, mais nous prenons du poisson.—Et quel poisson?—Du hareng.—De quoi vous servez-vous pour le prendre?—De filets, et de très-grands filets encore.—Pourquoi ne vous servez-vous pas de lignes et d'hameçons? (Acclamations.)—La réponse me prouva qu'il est dangereux de s'immiscer dans les affaires des autres, car un vieux pêcheur prit ma question en très-mauvaise part, et me dit: Nous n'avons que faire d'hameçons.—Mais pourquoi? insistai-je.—Parce que ce serait trop de peine, répondit le vieux pêcheur.—Voilà tout le secret; voilà aussi la raison pour laquelle on ne file plus avec la quenouille et le fuseau.—Ce serait trop de peine.

En ce qui concerne le manque d'emploi occasionné par les machines, il n'y a jamais eu de plus grande méprise depuis le commencement du monde. Il y a dans le comté de Lancastre un million cinq cent mille habitants, dont cinq cent mille n'y sont pas nés, mais sont venus des comtés où les machines sont inconnues, vers celui où les inventions les plus merveilleuses épargnent de plus en plus le travail de l'homme. C'est là que la population s'est le plus rapidement accrue depuis vingt ans. Que pensez-vous que soient devenus les enfants dans les villages où la population se montre stationnaire? Il y a, dans les districts ruraux du Lancastre, des villages qui ne sont pas maintenant plus populeux qu'à l'époque où Guillaume le Conquérant fit dresser le doomsday-book. Cela peut paraître étonnant, mais cela est vrai. Un de mes amis, qui est à côté de moi, s'est beaucoup occupé de réfuter cette erreur. Il a pris la peine de parcourir une grande partie du Lancastre, principalement là où les machines n'ont pas été introduites; il a compulsé les registres des baptêmes et des funérailles, et il a trouvé, en général, trois naissances contre deux décès; qu'est donc devenue cette population excédante? Elle a afflué vers Blackburn, vers Bolton, vers les villes où elle a été employée par ces mêmes machines qu'on accuse de détruire l'emploi des bras. Je vous dirai quelle est l'utilité des machines: c'est d'accroître la puissance de la production; mais à mesure qu'elles se multiplient, il faut que le marché du monde s'ouvre devant nous. Si nous avions la liberté du commerce, chaque perfectionnement mécanique serait suivi d'une diminution dans le prix de revient du produit, diminution qui mettrait le marchand à même de lui trouver de nouveaux débouchés. Le bon marché toujours croissant pousserait toujours nos produits plus loin vers les extrémités du globe.—À 1 shilling, tel article peut être envoyé en Allemagne;—réduisez-le à 8 d., et il ira en Italie; diminuez-le jusqu'à 6 d., et il pénétrera en Turquie;—à 4, il se montrera en Perse; à 2, il pénétrera jusque dans les régions les plus éloignées de l'Asie centrale. (Bruyants applaudissements.) Mais comment le marchand pourrait-il étendre ses opérations, s'il ne lui était pas permis de rapporter chez nous, en échange de nos produits, les produits que les autres peuples ont à nous donner? Le statute-book laisse nos négociants exploiter le monde entier, y chercher des objets de convenance et de luxe pour la classe riche; mais il ne permet pas qu'ils rapportent cette denrée, qui, parmi toutes les autres, pourrait contribuer au bien-être et au bonheur des ouvriers et de leurs familles, et cependant c'est le rude travail de leurs mains calleuses qui paye ces superfluités qu'on tolère, comme il payerait les denrées utiles qu'on exclut. Les législateurs donnent un libre accès aux objets de luxe qui peuvent décorer leurs personnes et embellir leurs fastueux palais: mais pourquoi défendent-ils l'entrée du blé? Pourquoi empêchent-ils la Russie, la Pologne, l'Amérique de nous fournir du blé? Pourquoi? Parce qu'ils sont marchands de blé! Ils devraient inscrire sur la porte de leurs demeures ces mots: «Marchands de blé; aucune concurrence n'est permise.» (Bruyantes acclamations.)—Je vous ai dit que les étourdis qui se laissent prendre à de pareilles jongleries, ne sont que des enfants, quel que soit leur âge, et en effet, ne faut-il pas être bien novice, que ce soit faute d'années ou faute d'intelligence, pour tomber dans des piéges aussi grossiers? Les lois-céréales affectent également toute la communauté, et la taxe du pain coûte plus aux habitants de Londres qu'à tous ceux du Lancastre; et n'est-ce point une véritable puérilité que de se laisser mettre sur une fausse quête, et d'aller chercher la cause du mal dans le Lancastre, sans regarder autour de nous et chez nous? Mais enfin, admettons que les machines aient l'effet qu'on leur attribue;—condamnons ces puissantes inventions, ces merveilleuses applications de la science, qui ont arraché l'espèce humaine à l'état sauvage, et qui ont fait, pour ainsi dire, le fer lui-même participant de la vie; ne voyons dans ces merveilles que malédictions pour le pays; élevons-nous contre la Divinité elle-même: reprochons-lui d'avoir soufflé dans l'esprit humain le désir et la faculté de s'élever dans le champ indéfini des découvertes; accordons tout cela. Qu'en résultera-t-il? Est-ce que les choses en iront mieux, parce qu'une taxe sur le pain viendra ajouter ses nuisibles effets aux nuisibles effets de ces machines maudites? (Véhémentes acclamations.) Je le répète, il n'y a que l'enfance, l'enfance morale, qui puisse être dupe de ces clameurs contre les machines, puisque nos maux sont les mêmes, que les machines soient une malédiction, ou qu'elles soient un bienfait; puisqu'ils pèsent également sur nous tous, soit que nous travaillions avec nos dents et nos ongles, soit que nous appelions à notre aide les forces des vents et de la vapeur,—et ce que je dis des machines, je le dis aussi de toutes autres clameurs élevées pour faire perdre de vue le grand fléau, la grande iniquité:—la rareté des aliments.

Quelques personnes parlent d'un changement dans la valeur des espèces métalliques. Nous ne nous y opposons pas; mais ce dont souffre le pays, ce n'est pas la rareté du numéraire, c'est la rareté des aliments, et jamais nos efforts ne se ralentiront, jusqu'à ce que nous ayons renversé toutes les barrières qui nous en séparent. (Bruyantes acclamations.) J'appelle une lourde responsabilité, comme chrétien et comme citoyen, sur quiconque néglige de plaider l'abrogation de la loi-céréale. Je ne veux pas qu'on infère de mes paroles qu'il n'y a pas, selon moi, des hommes consciencieux parmi nos adversaires; mais, dans l'état présent du pays, la neutralité n'a pas d'excuse. Une loi, parmi les Spartiates, condamnait à mort les citoyens qui ne prenaient pas parti dans les grandes questions d'intérêt public. Quoique la Ligue n'entende pas infliger à ceux qui restent neutres d'exclusion physique, il est une exclusion civile dont elle frappera les citoyens qui n'entrent pas dans ses rangs. Si les banquiers, les armateurs et les marchands de la cité de Londres ne trouvent pas de loisirs pour étudier cette grande question, qu'ils soient moralement déposés du rang qu'ils occupent dans l'opinion publique, qu'ils descendent dans l'estime de leurs concitoyens au niveau de leurs commis et de leurs portiers; ils ne méritent pas d'être élevés sur un piédestal d'or pour être vénérés comme des idoles. Qu'ils soient jugés selon leur mérite. (Applaudissements.) Tout homme qui comprend la question doit sortir de l'inaction et s'efforcer de rallier ses semblables à la vérité, car ce n'est que par la force de l'opinion que cette grande réforme peut être résolue. Il n'est personne qui ne puisse beaucoup pour l'avancement de notre cause. Des hommes, dont les noms étaient jusqu'ici inconnus, ont rendu de grands services en propageant autour d'eux les doctrines de la liberté commerciale. Je citerai un membre de la Société des Amis, qui, depuis deux années, a mis à distribuer les pamphlets de la Ligue une prodigieuse activité. Il a parcouru à pied tout le pays, depuis le comté de Warwick jusqu'au Hampshire, et a disséminé partout les vérités et les lumières. Avec le secours de tels auxiliaires, il nous est bien permis d'entretenir l'espoir d'un triomphe prochain et définitif. Cet humble serviteur de notre œuvre n'a été dirigé que par la conscience d'accomplir envers ses frères un grand devoir de charité. (Bruyantes acclamations.) Voilà un homme qui ne verserait pas une goutte de sang, même pour défendre sa propre vie, qui a visité plus de vingt mille maisons, y a déposé le germe de la vérité et de la justice, et qui, pour cette grande cause, a supporté plus de fatigues et de travaux que ne fit jamais le duc de Wellington lui-même. (Nouvelles acclamations.) Et quand le monde saura apprécier la vraie moralité des actions, c'est à la mémoire de ce quaker obscur et modeste, plutôt qu'à celle de Wellington, qu'il dressera des statues. (Bravos.) Cet homme excellent, de même que beaucoup d'autres de ses frères en religion, s'est efforcé de propager les principes de la Ligue, non-seulement parce qu'il croit que la liberté commerciale fera descendre l'aisance et le bien-être dans la masse du peuple, mais encore parce qu'il la considère comme le seul moyen humain d'unir toutes les nations par les liens d'une paix durable, de faire cesser à jamais le fléau de la guerre et d'extirper du sein des nations cette force brutale qui, maintenue sous prétexte de les défendre, retombe sur elles d'un poids accablant, sous la forme de marine militaire et d'armée permanente, funestes et prodigieuses créations qui n'ont servi jusqu'ici qu'à élever par une route sanglante les Clives et les Wellington. (Acclamations prolongées.) Vous avez entendu dire, dans le dernier débat du Parlement, que le principe de la liberté des échanges, quoique vrai, ne s'adaptait pas aux circonstances actuelles. Un honorable membre a dit que c'était la vérité abstraite et sans application aux temps modernes. (Écoutez! écoutez!) Quoi donc! Faut-il conclure de là que nos chambres législatives n'ont rien de commun avec la justice et la vérité? La mission du Parlement est de faire justice; et depuis quand la justice n'est-elle point applicable à la population de ce pays? Voulez-vous savoir pourquoi la justice n'est pas applicable? C'est que la plupart des membres de cette assemblée sont intéressés au maintien de l'injustice. Le chef des monopoleurs s'est levé dans la chambre et il a dit en propres termes au ministre de sa création: «Tu iras jusque-là, tu n'iras pas plus loin.» Que penser d'un premier ministre qui se soumettrait à une telle domination? (Tonnerre d'applaudissements.) Pour moi, si je me complais dans la défense du grand principe de la liberté, c'est que, dans ma profonde conviction, il implique les plus chers intérêts de l'humanité; il tend à unir de plus en plus les nations de la terre, à faire prévaloir la paix, la moralité, la sage administration; à saper la domination des classes privilégiées. J'en appelle à mon pays, j'adjure tous nos concitoyens de se rallier à ce grand mouvement contre le monopole, s'ils veulent partager la douce satisfaction qui naît de l'accomplissement d'un devoir et de la conscience qu'on n'a point refusé aide et assistance à la cause de l'humanité. (Applaudissements.)

Au mois d'octobre 1843, la ville de Londres dut procéder à l'élection d'un membre de la Chambre des communes. Le candidat était M. Baring, chef de la première maison de banque d'Angleterre, frère de lord Ashburton, appuyé tout à la fois par l'aristocratie, la banque, le haut commerce, le monopole et le gouvernement. C'est dans ces circonstances que la Ligue voulut essayer ses forces et son influence. Elle suscita pour concurrent à M. Baring un de ses membres, M. Pattison. Un grand meeting tenu à Liverpool, le 4 octobre, prit à l'unanimité la résolution suivante: «Qu'une vacance ayant lieu dans la représentation de la cité de Londres, ce meeting remontrera sérieusement aux électeurs de la métropole qu'ils sont appelés à exercer leurs droits dans un moment décisif; qu'il importe que la première cité commerciale du monde dise si elle entend soutenir un ami ou un ennemi de ce commerce qui est la base de sa grandeur; que ce meeting fera un appel aux citoyens de Londres pour qu'ils accordent leurs suffrages à un avocat de l'abolition totale, immédiate et sans condition des lois-céréales, et de tous les monopoles, et pour qu'ils aident ainsi les amis de la liberté commerciale à faire consacrer le droit, pour tout Anglais, de disposer du fruit de son travail sur le marché du monde.»

Dès que cette résolution fut prise, la Ligue commença à agiter, comme elle a coutume de le faire dans toutes les circonstances importantes. Il n'entre pas dans notre sujet de consigner ici tous les épisodes cette lutte. Les principaux traits s'en sont reproduits dans la séance tenue à Covent-Garden le 10 octobre, séance dont nous donnons un extrait. On sait d'ailleurs que la Ligue remporta un signalé triomphe par la nomination de M. Pattison.

GRAND MEETING À COVENT-GARDEN.
Octobre 1843.

L'objet spécial de ce meeting explique l'affluence extraordinaire qu'il attire. Malgré qu'il ait été construit des galeries supplémentaires, la salle ne peut contenir la moitié des personnes qui se présentent.

À sept heures, M. Villiers, m. P., monte au fauteuil et prononce un discours fréquemment interrompu par les applaudissements.

M. Cobden....... Le président vous a clairement expliqué l'objet de ce meeting. Nous ne cherchons pas à cacher que notre but est d'en appeler à vos suffrages, de réclamer votre concours électoral. À vrai dire, tous nos meetings ont un caractère électoral. Mais, dans cette circonstance, tous les électeurs de Londres ont été invités à assister à la séance..... Nous sommes venus vous demander si vous voulez donner vos voix au monopole ou à la liberté. Par liberté, nous n'entendons pas l'abolition de tous droits de douane, ainsi que l'un de vos candidats, M. Baring, nous l'impute, sans doute par ignorance. Nous avons répété mille fois que nous n'aspirons point à arracher de la douane les agents de Sa Majesté, mais les agents que des classes particulières y ont introduits dans leur intérêt privé, et pour y percevoir des droits qui ne vont pas au trésor public. (Applaudissements.) Il y a quelque chose de si évidemment juste et honnête dans notre cause, que tout écrivain qui se recueille dans le silence du cabinet, et qui aspire à voir son œuvre survivre au terme d'une année, est d'accord avec nous en doctrine. Bien plus, nous avons assez vécu pour voir les hommes d'État les plus pratiques, pendant qu'ils sont aux affaires, amenés par la force de la logique et les lumières de leur siècle, à admettre la justesse de notre principe, quoiqu'ils condescendent bassement à gouverner par le principe opposé. Il y a plus encore; vos candidats, aussi bien M. Baring que M. Pattison, se placent en théorie sur le même terrain. Il n'y a entre eux que cette différence: l'un promet d'être conséquent avec lui-même, et l'autre s'y refuse. (Bruyants applaudissements.) Eh bien! nous venons demander si vous voulez choisir pour votre représentant un homme qui, reconnaissant la justice de la liberté en matière d'échanges, nous la refuse néanmoins. Le préférez-vous à un homme qui s'engage à mettre d'accord sa conduite et ses opinions?—M. Baring admet que nos principes sont vrais, in abstracto; cela veut dire que sa pratique sera fausse in abstracto. (Applaudissements.) Quoi! avez-vous jamais ouï parler d'un père qui enseigne à ses enfants l'obéissance aux commandements de Dieu, in abstracto? Avez-vous jamais entendu un accusé, après le verdict de condamnation, s'écrier: «J'ai volé ce mouchoir, mais c'est une abstraction.»

—Et le monopole est-il une abstraction? S'il en est ainsi, je cède volontiers la place à M. Baring et à son élection. Mais c'est là une abstraction qui se montre sous la forme très-corporelle de certains monopoleurs, qui se permettent d'abstraire ou de soustraire la moitié de votre sucre et de votre pain. (Rires et applaudissements.)—Mais plaçons-nous un moment sur le terrain de nos adversaires et examinons leur raisonnement, quoiqu'à vrai dire ils se sont eux-mêmes interdit la faculté de raisonner en admettant que ce qui est vrai en principe est faux en conséquence. Sur quel fondement refusent-ils de mettre leur théorie en pratique? «Si vous abandonnez le monopole, disent-ils d'abord, il vous sera impossible de prélever des taxes suffisantes.» Mais, si je comprends bien l'objection, elle signifie que nous serons hors d'état de payer à la reine des impôts pour la marine, l'armée, la magistrature, à moins que nous ne nous mettions sur le dos des taxes à peu près égales en faveur du duc de Buckingham, du duc de Richmond et compagnie. (Rires.—Écoutez! écoutez!) L'objection signifie cela, ou elle ne signifie rien. C'est un pauvre compliment à faire à notre siècle que de lui attribuer la découverte de cet argument, car il n'était certes venu à l'esprit de personne quand on établit les monopoles. Mais voyons comment les monopoles favorisent les recettes publiques. En 1834, 35, 36 et 37, le prix du blé fut en moyenne à 45 sh. Il arriva que le chancelier de l'Échiquier eut des excédants de recettes, et put diminuer les impôts. En 1838, 39, 40 et 41, lorsque le monopole, s'il froissait le peuple, devait au moins, selon nos adversaires, favoriser le trésor, qu'est-il arrivé? les recettes ont baissé; et pendant que le blé était à 65 sh., nous avons entendu le premier ministre déclarer que la puissance contributive du peuple était épuisée, et qu'il ne lui restait d'autre ressource que de mettre un income-tax sur les classes moyennes. J'avoue que les faits et l'expérience me paraissent des guides plus sûrs, pour se faire une opinion, que l'autorité, et notamment l'autorité de M. Baring.—Venons au sucre. Que fait le sucre pour le trésor?—quel est le prix du sucre à l'entrepôt? 21 sh. Que le payez-vous? 41 sh.[31]. Vous payez donc un excédant de 20 sh. par quintal, sur 4 millions de quintaux. Il vaut la peine de lutter, n'est-ce pas? (Applaudissements.) Et vous, boutiquiers, artisans, ouvriers, boulangers de Londres, que vous revient-il de ce monopole? Le monopole! oh! c 'est un personnage mystérieux qui s'assoit avec votre famille autour de la table à thé, et quand vous mettez un morceau de sucre dans votre coupe, il en prend vitement un autre dans le sucrier (rires et applaudissements); et lorsque votre femme et vos enfants réclament ce morceau de sucre qu'ils ont bien gagné et qu'ils croient leur appartenir, le mystérieux filou, le monopole, leur dit: je le prends pour votre protection. (Éclats de rire.) Et combien prend le trésor sur le sucre? M. Mac-Grégor, secrétaire du Board of trade, dans l'enquête de 1840, affirme que si le droit protecteur était aboli, la consommation serait double, et le trésor gagnerait trois millions sterling. M. Mac-Grégor est encore secrétaire du Board of trade, position qu'il est certes bien digne d'occuper, et son témoignage est là qui nous condamne aux yeux du monde. Quel est donc le prétexte du monopole du sucre? On ne peut pas dire qu'il est établi dans l'intérêt du trésor, ni dans celui des fermiers anglais, ni dans celui des nègres des Antilles? Quel est donc le prétexte qu'on met en avant? que nous ne devons pas acheter du sucre-esclave[32].

Je crois que l'ambassadeur du Brésil est ici présent, et sans le blesser, je puis lui faire jouer un rôle dans une petite scène avec le ministre du commerce. Son Excellence est admise à une audience avec toute la courtoisie due à son rang. Il présente ses lettres de créance, et annonce qu'il vient pour arranger un traité de commerce. Il me semble voir le ministre prendre une attitude recueillie, solennelle et religieuse[33] (rires) et dire: «Vous êtes du Brésil. Nous serions heureux de faire des échanges avec votre pays, mais nous ne pouvons, en conscience, recevoir des produits-esclaves.» Son Excellence entend bien les affaires (cela est assez ordinaire aux gens qui viennent du dehors pour traiter avec nous). (Écoutez! écoutez!) «Eh bien, dit-elle, nous verrons à vous payer de quelque autre manière. Qu'avez-vous à nous vendre?—Des étoffes de coton, dit le ministre, nous sommes en ce genre les plus grands pourvoyeurs du monde.—Du coton, s'écrie l'ambassadeur, et d'où le tirez-vous?—Des États-Unis.—Et est-il produit par des esclaves ou par des hommes libres?» Je vous laisse à penser la réponse et la contenance de notre président du Board of trade. (Applaudissements.) (Ici quelque confusion se manifeste dans la salle par suite de la chute d'un banc.) Ne vous effrayez pas, dit M. Cobden, c'est le présage et le symbole de la chute des monopoleurs. (Éclats de rire.)—Y en a-t-il quelques-uns parmi vous dont l'humanité et les sympathies se soient laissé prendre à ces clameurs contre le sucre-esclave! Connaissez-vous la loi à cet égard? Nous envoyons nos produits manufacturés au Brésil, par exemple; nous les échangeons contre du sucre-esclave. Ce sucre, nous le raffinons dans des entrepôts, c'est-à-dire dans des magasins où les Anglais seuls ne peuvent pas acheter. De là, il est envoyé par nos marchands, par ces mêmes marchands qui déclament aujourd'hui contre le sucre-esclave, et envoyé en Russie, en Chine, en Turquie, en Égypte, en un mot, aux quatre coins de la terre. Il se distribue parmi cinq cents millions d'hommes, et vous seuls ne pouvez y toucher; et pourquoi? parce que vous êtes ce que ne sont pas les autres hommes, les esclaves de votre oligarchie. Oh! hypocrites! hypocrites!...

M. Baring a dit, à ce que m'apprennent les journaux du jour, que nous, hommes du Lancastre, nous n'avons rien à voir dans l'élection de Londres. Je voudrais bien savoir s'il se fait une loi qui n'oblige pas dans le Lancastre aussi bien que dans le Middlesex? L'oligarchie du sucre se borne-t-elle à piller ses commettants?—Au reste, cette prétention va bien aux monopoleurs. Il est assez naturel que les hommes qui prétendent isoler les nations, veuillent aussi isoler les provinces. Ils sont conséquents, et nous montrent jusqu'où ils portent leurs vues. (Applaudissements.)

Ici, M. Cobden dit qu'en parlant de l'opposition que certains négociants font à l'élection de M. Pattison, il n'entend pas prétendre que toute la classe des négociants est contraire à la liberté illimitée du commerce. Il cite l'opinion de MM. Rothschild, Samuel-Jones Lloyd et autres riches banquiers. Il continue ainsi:

De toutes parts on alarme, on stimule les propriétaires; on les appelle à venir défendre les droits de la propriété qu'on accuse la Ligue de vouloir renverser, et je suis personnellement l'objet de ces vaines clameurs. J'ose dire que s'il est un homme en Angleterre qui plaide la cause de la propriété, cet homme, c'est moi. Et que fais-je autre chose depuis cinq ans? à quoi sont consacrés tous les travaux de ma vie publique, si ce n'est à rendre leurs droits de propriété à ceux qui en ont été injustement dépouillés? (Véhémentes acclamations.) Comme il y a une espèce particulière de propriété, que M. Baring semble perdre entièrement de vue, je ne crois pas pouvoir mieux faire que de le renvoyer à Ad. Smith. Cet écrivain s'exprime ainsi: «La propriété du travail, étant le fondement de toutes les autres, est la plus sacrée et la plus inviolable. Le patrimoine du pauvre consiste dans la vigueur et la dextérité de ses bras. L'empêcher d'employer cette vigueur et cette dextérité, comme il l'entend, sans nuire à autrui, c'est une violation de la plus sacrée de toutes les propriétés; c'est une usurpation manifeste des droits de l'ouvrier et de ceux qui pourraient l'occuper.» Fort de l'autorité d'Adam Smith, je dis que M. Baring et ceux qui l'appuient, en tant qu'ils soutiennent les monopoles, violent le droit de propriété dans la personne des ouvriers, et en agissant ainsi, je répète ici ce que je leur ai dit au dernier meeting, je les avertis qu'ils sapent les fondements mêmes de la propriété de quelque espèce qu'elle soit. (Applaudissements.)

Ici, l'orateur démontre par des faits nombreux que la prospérité de chaque industrie dépend de la prospérité de toutes les autres.

Il vient à parler ensuite de la corruption électorale. Nous traduirons un extrait de cette partie du discours de M. Cobden, pour montrer l'importance et la hardiesse des résolutions de la Ligue.

Notre adversaire, si l'on en croit le bruit public, a eu recours ailleurs à des pratiques que nous ne devons pas tolérer à Londres. Il faut que l'on sache ce qui se passa à Yarmouth en 1835. On me dira que tout se fit à l'insu du candidat. Mais alors cette question se présente naturellement: Qui dirigeait ces manœuvres? (Écoutez! écoutez!) C'est ma ferme conviction qu'aucun acte corrupteur n'a lieu sans que le candidat l'autorise et le paye... Je dis cela après avoir été candidat moi-même. Je n'ai jamais dépensé 10 l. s. sans savoir pourquoi, et je ne présume pas que d'autres avancent des 12,000 l. sans en recevoir la contre-valeur en suffrages. (Rires et approbation.) Je vois dans les journaux que vraisemblablement on aura recours aux mêmes manœuvres dans un quartier de Londres. Le corps électoral (constituency) de Londres est le plus honnête parce qu'il est le plus nombreux. Mais il y a un cancer rongeur à l'une des extrémités de la métropole. Je crois utile de prévenir les personnes qui pourraient se laisser envelopper dans ces intrigues, qu'elles courent aujourd'hui un danger plus grand que par le passé, en acceptant des présents, ou d'être défrayées de leurs dépenses. Que si l'on dit à un pauvre électeur: «Allez en avant; tout s'arrangera quand le terme prescrit par la loi sera passé,» je le préviens qu'il n'y a pas de prescription pour la fraude. La Ligue, parmi les objets qu'elle a en vue, considère, comme un des plus importants, de vaincre la corruption électorale; et elle est bien décidée à mettre en œuvre, dans la présente élection, le plan qu'elle a conçu pour atteindre ce but. C'est notre intention de poursuivre criminellement quiconque pourra être convaincu d'avoir offert, reçu, donné ou demandé un présent. De plus, l'intention de la Ligue est d'accorder une récompense de 100 l. s. à celui dont le témoignage aura amené la condamnation du coupable. Que l'électeur pauvre sache que s'il offre son suffrage pour une somme d'argent, ou si quelqu'un lui offre de l'argent pour sa voix, ce sont là deux actes criminels passibles d'une peine. Je conseille donc au pauvre électeur, si on lui offre de l'argent, de saisir le corrupteur au collet, de le livrer à l'officier de police et de le suivre devant le premier magistrat, veillant bien à ce que, dans le trajet, l'accusé ne se défasse d'aucun objet, ou ne détruise aucun papier. (Rires et applaudissements.) Je crois que nous parviendrons ainsi à prévenir la corruption dans la Cité. Je ne dis rien des pétitions contre l'élection frauduleuse, parce que nous entendons bien que M. Baring ne sera pas élu; mais, élu ou non, tout homme que l'on pourra espérer de convaincre d'un acte corrupteur, sera poursuivi criminellement devant la Cour de justice. (Applaudissements.) Dans les cas ordinaires, la pénalité est d'un an de prison.—Nous préférerions de beaucoup poursuivre celui qui offre que celui qui reçoit un don corrupteur; c'est pourquoi nous disons au pauvre électeur d'y aviser et de voir s'il ne vaut pas mieux, pour lui, gagner 100 l. s. honnêtement, que 30 sh. en vendant son suffrage. Il est surprenant que l'on ait fait lois sur lois contre la corruption, qu'on les ait entassées jusqu'à en faire la risée du peuple, sans qu'on se soit jamais avisé d'un moyen aussi simple de la déjouer. On raconte que le chancelier Thurlow, s'embarrassant au milieu des définitions techniques qu'il voulait donner de la corruption, comme les gens de sa profession ont coutume de le faire, un plaisant de la Chambre s'écria: «Ne prenez pas tant de peine; il n'est aucun de nous qui ne sache fort bien ce que c'est.» (Éclats de rire.)—Voilà, Messieurs, ce que nous ferons pour en finir avec la corruption électorale. Nous ne nous adresserons pas au Parlement, nous ne lui demanderons pas de casser l'élection; nous en appellerons directement à un jury de nos concitoyens. Y a-t-il quelqu'un qui puisse dire qu'il n'y a pas autant de pureté dans notre but que dans nos moyens? Qu'on parle tant qu'on voudra de notre violence, du caractère révolutionnaire de nos procédés, nous ne nous sommes jamais écartés des voies légales et paisibles, etc.

L'orateur, après quelques autres considérations, termine au milieu des applaudissements.

M. Bright lui succède. Le caractère chaleureux de son éloquence a, comme toujours, le privilége d'exciter au plus haut degré l'enthousiasme de l'assemblée.

M. W. J. Fox: Dans le choix important que les électeurs de la cité de Londres vont être appelés à faire sous peu de jours, il est remarquable que le plus solide argument, en faveur d'un des candidats, a été fourni par l'autre. «Si l'on me demandait, a dit M. Baring, vendredi dernier, dans son exposition de principes aux électeurs: Reconnaissez-vous abstractivement la justice de la doctrine de la liberté en matière d'échanges? je répondrais: Oui. Si l'on me demandait: Désirez-vous voir le commerce dégagé de toutes les entraves qui le restreignent? je répondrais: Oui.» Voilà les principes proclamés par M. Baring, voilà ses vœux avoués. Ce sont précisément les principes que M. Pattison s'engage à faire pénétrer dans la pratique; ce sont précisément les vœux que sa carrière parlementaire aurait pour objet de transformer en réalités. (Applaudissements.) Pourquoi donc M. Baring ne se trouve-t-il pas parmi les partisans de M. Pattison? (Rires et applaudissements.) Pourquoi n'agit-il pas dans le sens de ses propres désirs? Pourquoi repousse-t-il l'application de ses propres principes? Est-ce lâcheté? est-ce hypocrisie? Est-il de ceux qui mettent toujours un «je n'ose» après un «je voudrais;» ou bien qui jettent en avant des phrases sonores pour leurrer les simples et les débonnaires? Étale-t-il le principe pour capter vos votes, et l'exception pour réserver le sien? (Applaudissements.)

C'est la vulgaire stratégie des sophistes, quand ils s'élèvent directement contre un grand principe, de lui rendre en paroles un hommage révérencieux, et d'envelopper le principe antagonique sous la forme d'une exception, et c'est là la stratégie qui est l'âme de tout le discours de M. Baring. Il adhère d'abord largement et clairement au principe de la liberté des échanges; mais ensuite tout le discours est calculé de manière à montrer comment et pourquoi ce principe ne doit pas être appliqué, comment et pourquoi il faut transiger dans l'intérêt d'une classe, d'un parti, du trésor, de la défense nationale, ou sous prétexte d'humanité envers les noirs. Mais la chose qu'il plaide, et qu'il nomme protection, tandis que le vrai nom est monopole, n'est pas une exception au principe de la liberté, c'est un autre principe antagonique à celui-là. Ce qu'il nomme protection, c'est ce qui élève le prix des subsistances. Protection signifie ce qui diminue la capacité d'acheter. Protection signifie ce qui arrache à l'honnête ouvrier une part de son juste salaire. Protection désigne toutes les formes variées du monopole, et, entre autres choses en ce moment, le fardeau de l'income-tax. (Applaudissements.) Et à qui entend-il accorder protection? Voyez ses votes. Il protége les établissements ecclésiastiques dans leur orgueil et leur splendeur, mais il ne protége pas le pauvre dissident contre la saisie de son lit et de sa Bible, pour parfaire la taxe de l'Église. Il protége le riche électeur qui peut se présenter au Poll, sûr de ne souffrir ni dans ses moyens pécuniaires, ni dans sa position sociale, mais il ne protége pas celui que la dureté des temps a arriéré d'un terme dans le paiement des taxes, et qui aurait besoin de la protection du scrutin contre les menaces et les persécutions des puissants du jour. (Applaudissements.) En un mot, sa protection est acquise aux riches, mais non aux pauvres; au petit nombre des oppresseurs, mais non aux multitudes opprimées et mises au pillage. (Applaudissements.) J'essaierai, si vous le permettez, de poursuivre, dans cette argumentation, la série des exceptions qu'il oppose à son propre principe. Il dit: «Les principes de la liberté du commerce doivent être modifiés par les besoins de la défense nationale, par les nécessités du trésor, par l'intérêt de quelques classes et par les exigences de l'humanité et de la philanthropie.» D'où il suit que ces principes de liberté auxquels il fait profession d'adhérer, il les croit en même temps en collision avec la sûreté du pays, avec ses ressources, avec quelques-unes de ses classes les plus importantes, et enfin avec les devoirs de la charité,—étrange manière de recommander un principe.... Je crains bien que son but, sous prétexte de la défense nationale, ne soit de favoriser quelques intérêts monopoleurs. Il cite Adam Smith, pour prouver que l'acte de navigation fut un des meilleurs règlements commerciaux de l'Angleterre. Mais il ne cite qu'une partie de l'opinion de ce grand homme, et ce n'est certainement pas celle qui a le mieux résisté à l'épreuve de l'examen et de l'expérience, car la loi dont parle Adam Smith n'est pas celle qui nous régit. L'intervention et les représailles de l'Amérique et de la Prusse nous forcèrent à la modifier profondément; les hommes d'État que M. Baring fait profession de révérer l'ont jugée inexécutable, l'ont effacée du statute-book, et M. Peel lui-même, à ce que je crois, a contribué à la réduire à ses minimes dimensions actuelles. Si M. Baring eût cité le passage entier, la portée de l'argument eût été toute différente, et il me semble que c'est manquer de probité logique que d'omettre ce membre de phrase. «L'acte de navigation n'est pas favorable au commerce extérieur, ni au développement de la richesse qui en provient. L'intérêt d'une nation, dans ses relations commerciales, comme l'intérêt du marchand dans ses transactions, est d'acheter au prix le plus bas et de vendre au prix le plus haut possible. En diminuant le nombre de nos vendeurs, nous diminuons nécessairement le nombre de nos acheteurs, et nous nous plaçons dans cette position, non-seulement d'acheter les produits étrangers plus cher, mais encore de vendre les nôtres à meilleur marché que si l'échange eût été libre.»—Après tout, que gagne la défense nationale à cette première exception au principe, en faveur de la navigation? La marine marchande d'Angleterre doit-elle sa supériorité au monopole? La cherté artificielle du bois de construction nous donne-t-elle de plus grands et de plus solides vaisseaux? La cherté artificielle des subsistances nous met-elle à même de les mieux approvisionner, et la liberté empêcherait-elle qu'il n'y eût des marins sur nos rivages? Qu'a donc fait l'acte de navigation pour notre puissance maritime, si ce n'est d'engendrer cette loi violente, opprobre de notre civilisation, la presse des matelots? La défense nationale en est réduite à ce qu'on peut arracher dans les rangs de l'industrie, par la pratique de la presse des matelots. (Applaudissements.) Nous n'avions pas besoin de l'intervention de cet usage odieux pour repousser les agressions du dehors, et un moyen beaucoup plus sûr de pourvoir, en tout temps et en toutes circonstances, à notre sûreté, c'eût été de laisser au peuple quelque chose à défendre de plus qu'il ne possède en ce moment. (Bruyantes acclamations.) Il ne se battra pas pour défendre la taxe du pain; il ne se battra pas pour servir l'oligarchie qui le foule aux pieds; il ne se battra pas pour maintenir des institutions qui favorisent le riche, mais qui écrasent le pauvre. Dans l'extension, la vaste et rapide extension d'affaires qui naîtrait de l'abolition de toutes les entraves commerciales, nous trouverions une défense plus sûre que celle des armes: la dépendance réciproque des peuples, et par là leur mutuelle bienveillance. Cela est plus sûr que l'acte de navigation et la loi sur la presse des matelots. La réponse d'un vieux maître de boxe trouve ici son application. Quelle est, lui demandait un jeune homme querelleur, quelle est la meilleure pose défensive?—La meilleure pose de défense, répondit le vétéran, c'est de n'avoir jamais dans votre bouche qu'une langue prudente et honnête. (Rires.) Le commerce travaillant sans cesse à entrelacer et égaliser les intérêts, les besoins et les jouissances des peuples, le progrès vers cette unité de sentiment et d'esprit, qui naît d'une communication universelle, d'un perpétuel échange de produits, de capitaux, d'énergies et d'idées, voilà pour la sûreté des nations des garanties plus solides que les armées, les marines, l'esprit de lutte et de jalousie. Et si Burke a pu dire que l'honneur était pour les nations le plus économique des moyens de défense, nous pouvons le dire à plus forte raison du commerce. Ce n'est pas seulement une défense économique, c'est une défense qui tend à abolir la pauvreté, à distribuer dans les masses des satisfactions et du bien-être. La seconde exception que fait M. Baring au principe de la liberté est fondée sur les intérêts du revenu public. Elle dénote une ignorance grossière qui a été souvent exposée dans cette enceinte. On vous a dit et répété bien souvent que cette agitation n'a rien à démêler avec les taxes qui ont pour but, qui ont honnêtement et prudemment pour but le revenu public, mais bien avec les taxes qui sont imposées au peuple pour satisfaire la rapacité de quelques classes particulières. Ses exemples me semblent d'ailleurs mal choisis. Il a dit qu'avec la liberté du commerce il serait impossible de taxer le tabac à 1,000 pour cent, et le thé à 300 pour cent. Une telle impossibilité le fait frissonner, et il y trouve une raison suffisante de modifier son principe (écoutez! écoutez!); car ne s'ensuivrait-il pas cet horrible événement, que vous ne payeriez plus quatre guinées pour un sou valant de tabac, et que vous auriez pour six sous le thé qui vous coûte aujourd'hui 2 sh.? Voilà un dénouement, un état de choses qui ne saurait être enduré, et il vient vous demander de l'envoyer au Parlement, pour s'opposer à ce que ses propres principes ne réalisent de si terribles résultats. (Rires.)—Arrivant ensuite à la troisième exception à son principe tirée des intérêts particuliers, M. Baring, candidat de la grande cité commerciale de Londres,—désigne cette classe qu'il s'agit de favoriser. Et quelle classe pensez-vous qu'il en a vue? les négociants de cette métropole? ses marchands, ses ouvriers? C'est la classe agricole dont il signale les intérêts particuliers, comme étant de ceux devant qui les principes de la liberté doivent courber la tête et passer outre, reconnaissant qu'ils sont sans aucune application en cette matière. Mais ce n'est là qu'un des traits de cette disposition que montre en toutes circonstances le candidat dont je commente les prétentions parlementaires. L'esprit des Ashburton vit en lui. Si vous l'envoyez au Parlement, il aura le pied sur le premier degré de cette échelle de Jacob, qui s'élève au-dessus des barons et des chevaliers, et le portera un jour au troisième ciel parmi les pairs du royaume. (Rires.) Dans sa première adresse, il exalte des services qu'il rendrait, comme membre de la Chambre des communes, aux intérêts commerciaux, «qui ont dans ce pays, dit-il, une importance nationale.» Il en parle comme d'une chose qui a assez grandi pour mériter son patronage, une chose à laquelle on peut tendre une main condescendante, tandis que, citoyen de Londres, il n'en devrait parler qu'avec fierté. Il ne comprend pas cette virile indépendance, cette noble franchise que l'industrie a soufflée dans l'esprit de l'homme, et qui valut naguère à un monarque de ce royaume cette fière réponse. Dans un moment d'humeur, il menaçait de s'éloigner avec sa cour, comme si la destruction de la cité avait dû s'ensuivre. «J'espère, lui dit respectueusement un citoyen, qu'il plaira à Sa Majesté de laisser la Tamise derrière elle.» (Rires.) Mais cette cité a nourri des hommes qui connaissent leurs droits et qui les maintiendront.....

L'orateur, avec une force de logique et une vigueur d'éloquence qui nous fait regretter d'être forcé d'abréger ce discours, discute ici les opinions de M. Baring, et le poursuit à travers ses nombreuses contradictions. Nous nous bornerons à citer quelques extraits, où il combat des sophismes qui ont aussi bien cours de ce côté que de l'autre côté de la Manche.

..... «Nous produisons» (dit M. Baring, et c'est un de ses arguments pour maintenir le monopole des aliments); «j'ose dire que, grâce à nos machines, les manufacturiers de ce pays disposent d'une puissance de production capable de répondre à tous les besoins des contrées qui pourraient nous fournir du blé.» S'il en est ainsi, ce doit être en effet une puissance merveilleuse que celle qui peut accroître indéfiniment la production, sans exiger plus de travail humain. Je n'ai jamais ouï parler de machines, quelque ingénieuses qu'elles soient, qui se passent de la direction de l'homme, et qui, ayant produit jusqu'ici des résultats déterminés avec un travail humain déterminé, soient en état de doubler ces résultats sans réclamer l'intervention d'un travail additionnel. Mais admettons ce phénomène. Quel en est le remède? Tant qu'il y aura des besoins à satisfaire, et que cette puissance de production sera le moyen d'atteindre ce but, on serait tenté de la considérer comme le don le plus précieux du ciel.—Mais admettant qu'elle soit funeste, quel en est le remède? L'arrêter, l'anéantir. Nous avons un excédant de pouvoir producteur qu'il ne faut pas mettre en exercice. N'est-ce point un singulier état de choses qu'une immense puissance de production, que la création de choses utiles doivent être réprimées et forcées à l'inertie? Eh quoi! si nous voulions suivre les conséquences logiques de cette doctrine, à quelles absurdités ne nous conduirait-elle pas? Elle nous induirait à remplacer une machine puissante par une machine moins puissante, et pourquoi pas diminuer aussi la puissance de la machine humaine qui met en œuvre toutes les autres? Si les hommes travaillent trop, s'ils ont le pouvoir d'acheter du pain au dehors et l'audace de réclamer ce droit, eh bien, diminuez cette puissance, coupez-leur les bras et qu'ils ne travaillent désormais que dans des limites raisonnables qui satisfassent le système protecteur. Je m'imagine que nous serions quelque peu surpris si un voyageur nous racontait que, dans ses pérégrinations, il a vu un pays où tous les ouvriers avaient subi l'amputation de deux doigts, et notre étonnement ne diminuerait pas sans doute si un homme politique,—un représentant de cette métropole, ou qui aspire à l'être, disait: Je devine que ces hommes s'étaient rendus coupables de sur-production. (Rires.) Ils travaillaient tant avec leurs cinq doigts infatigables que cela ne pouvait plus se tolérer. Le pays ne produisait pas assez de blé pour les satisfaire, et la production du blé devant être protégée, les propriétaires ont jugé à propos de couper les doigts aux ouvriers, en sorte que ce peuple tridigite nous offre le plus bel exemple de la sagesse du régime protecteur, et combien il est beau d'exclure les principes abstraits de la législation commerciale. (Applaudissements.)

L'orateur dit que M. Baring se contredit encore en manifestant sa préférence pour le droit fixe tout en s'engageant à soutenir l'échelle mobile.

..... Ainsi, dit-il, son opinion est pour le droit fixe, et sa volonté pour l'échelle mobile. Son opinion contredit sa volonté, et toutes deux violent le principe de la liberté, auquel M. Baring fait profession d'adhérer aussi.—Et voilà l'homme que soutiennent ceux qui mettaient naguère toute leur énergie à renverser l'administration whig parce qu'elle avait osé proposer un droit fixe!

Je passe à sa quatrième exception, fondée sur les exigences de ses sentiments philanthropiques. Je comprends qu'un homme hésite quand il sent qu'il y a contradiction entre les principes et les sentiments d'humanité, bien qu'une telle contradiction soit certainement une chose étrange. Mais ici quel est le prétexte de cet étalage de charité? On veut que le sucre consommé dans ce pays soit pur de la tache de l'esclavage. M. Baring a tant de sympathie pour les noirs qu'il exclut de l'Angleterre le sucre-esclave, tandis qu'il souffre très-bien que ces mêmes noirs adoucissent leur grog avec du sucre-esclave, venu du Brésil en Angleterre pour y être raffiné et en être réexporté. (Écoutez écoutez!) Singulière philanthropie, vraiment! Oh! ce ne sont pas les noirs, ce sont les planteurs qui vous préoccupent. Vous ne trouvez pas leurs profits satisfaisants. Le noir n'a que faire d'une sympathie de cette nature. Il ne regrette pas le fouet et la canne à sucre. Sa condition actuelle lui convient. Eh quoi! ne se plaint-on pas déjà de ce qu'il devient trop riche? de ce que sa femme porte des robes de soie, de ce que lui-même figure dans son cabriolet comme un homme «respectable,» et de ce qu'il marchande aujourd'hui la propriété qu'il bêchait autrefois?.... Et voilà sous quel vain prétexte on maintient un système qui restreint la consommation du sucre dans ce pays, à tel point que, malgré la population toujours croissante, elle est aujourd'hui ce qu'elle était il y a vingt ans, au détriment des jouissances et du bien-être des classes pauvres! Non, non, à travers toutes ces exceptions, règne un même esprit, un même principe. Déchirez le masque, et vous trouverez derrière la hideuse et dégoûtante figure du monopole.—Monopole de la navigation, monopole du blé, monopole du sucre, les voilà, se couvrant du manteau de la défense nationale, du revenu public, de l'humanité, mais au fond ne signifiant qu'une seule et même chose, la spoliation de la multitude laborieuse par le petit nombre. Et c'est pour maintenir un tel système qu'on nous invite à sacrifier nos principes, comme M. Baring méprise les siens. C'est pour maintenir ces anomalies, ces absurdités, cette oppression et ces abus que nous abandonnerions l'homme qui veut mettre de l'accord entre ses opinions et ses actes, pour nommer celui qui déclare publiquement que sa conduite politique ne sera qu'une perpétuelle exception, bien plus, une flagrante violation des principes que lui-même reconnaît fondés sur la justice et la vérité? Gentlemen, je ne suis pas un de ces hommes qui ont leurs foyers dans le Lancastre, ce qui, dans certains lieux, semble être une fâcheuse recommandation. Mais j'aimerais mieux être du Lancastre et avoir fait à mes compatriotes de Londres ce noble appel que leur adressent les citoyens de Liverpool, que d'être de Londres, et d'émettre, au mépris de cet appel, un vote favorable au monopole et funeste à mes frères. Eh! qu'importe d'où viennent ceux qui vous adjurent de nommer M. Pattison? J'augurerais mal de Londres, si je pouvais croire qu'on y sera arrêté par cette frivole objection. Londres s'est-il tellement rétréci et rapetissé qu'il n'y ait pas place, qu'il n'y ait pas droit de bourgeoisie pour quiconque porte un cœur dévoué et travaille avec ardeur au triomphe de la justice? La patrie de ces hommes du Lancastre est partout où prévaut l'amour du bien et du vrai. En quelque lieu que la science pénètre, en quelque lieu que parviennent leurs innombrables écrits, partout où leurs discours ont éclairé les intelligences et passionné les cœurs, c'est là qu'est la Ligue. Partout où un infatigable travail est privé de sa juste rémunération, partout où dans nos populeuses cités l'ouvrier n'a qu'une insuffisante nourriture à distribuer à sa famille, partout où, dans nos campagnes, le laboureur ne peut donner à sa femme et à ses enfants des habits décents qui leur permettent la fréquentation de l'église, c'est là qu'est la Ligue, pour relever l'abattement par l'espérance et inspirer à l'affliction la confiance en des jours meilleurs. Partout où, dans des contrées lointaines, la fertilité du sol est frappée d'inertie, partout où la terre est condamnée à une stérilité artificielle, parce que le monopole s'interpose entre les libres et volontaires échanges des hommes, c'est là qu'est la Ligue, promettant au moissonneur de plus abondantes récoltes et au vigneron de plus riches vendanges. Et partout aussi où se livrera cette grande lutte sur le terrain électoral, partout où le génie du monopole opposera ses derniers et convulsifs efforts au génie de la liberté, c'est là que la Ligue plantera sa tente pour stimuler les forts et encourager les faibles, saluer le candidat dévoué aux intérêts sociaux, et montrer que ce pays a encore une longue carrière de gloire à parcourir. (Applaudissements.) Et j'espère bien que le résultat de cette élection sera de montrer au monde que partout où il y a une représentation qui tient en mains les destinées d'un grand empire, c'est là que sera aussi l'esprit de la Ligue pour témoigner que la JUSTICE,—non point la justice abstraite, mais la justice réelle envers toutes les classes, depuis la plus élevée jusqu'à la plus infime,—que la justice, dis-je, est le guide le plus sûr de la législation, comme elle est la source la plus abondante de la prospérité nationale. (Applaudissements prolongés.)

L'AGITATION EN ÉCOSSE

Nous croyons devoir donner ici un compte rendu succinct des travaux de la Ligue en Écosse, du 8 au 18 janvier 1844.

Rien ne nous semble plus propre à donner une idée de la puissance de l'association, de la vie politique qu'elle fait circuler dans le corps social, et de son influence sur la diffusion des lumières. Comment ne pas admirer l'activité prodigieuse, le dévouement infatigable des Cobden, des Bright, des Thompson? Et quel est le but de tant d'efforts? propager, vulgariser un grand principe.

Nous aurions pu choisir toute autre semaine de l'année: elle nous aurait montré la même énergie. On devinera aisément pourquoi nous avons préféré suivre la Ligue en Écosse.—Il existe en France un préjugé contre les économistes anglais. On y est imbu de l'idée que s'ils proclament le principe de la liberté commerciale, s'ils paraissent même travailler à la réaliser dans la pratique, tout cela n'est que ruse, hypocrisie, machiavélisme. On répète contre l'agitation commerciale ce qu'on a dit contre l'agitation abolitionniste. Ce sont des démonstrations, dit-on, qui cachent un but secret et funeste aux intérêts des nations. Le caractère écossais est beaucoup moins impopulaire, et c'est le motif pour lequel j'ai, de préférence, rendu compte de l'agitation en Écosse. On sera peut-être bien aise de voir comment sont accueillis les principes de la liberté du commerce, sur cette terre loyale, parmi ce peuple éclairé, qui a le premier entendu la grande voix d'Adam Smith.

CARLISLE.
Extrait du Carlisle Journal, 8 janvier 1844.

Lundi soir, 8 janvier, il y a eu un thé à la salle de l'Athénée. L'objet de cette réunion était de recevoir une députation du conseil de la Ligue, et d'activer la souscription nationale (the League fund of l. s. 100,000).

Le meeting a commencé à 6 heures, sous la présidence de M. Joseph Fergusson. Vers 8 heures, M. John Bright, m. P., est entré dans la salle et a été reçu par des applaudissements enthousiastes. On remarquait dans cette réunion les principaux négociants et manufacturiers de la cité, et un grand nombre de dames.

Le président, après avoir exposé l'objet de la réunion, donne la parole à M. Bright.

M. Bright s'exprime avec sa vigueur et son éloquence accoutumée. Le cadre que nous nous sommes imposé ne nous permet pas de donner ici ce remarquable discours.

M. Pierre Dixon soumet au meeting la résolution suivante:

«Le meeting exprime son inaltérable confiance en la Ligue, et s'engage à l'aider de tous ses efforts dans sa grande lutte pour la liberté commerciale.»

Nous remarquons dans le discours de M. Dixon le passage suivant:

«J'ai été grandement désappointé par le bill de réforme électorale qui a tant agité ce pays. Nous avons eu un Parlement réformé, et qu'a-t-il fait? Au lieu de veiller aux intérêts des masses, les représentants n'ont paru s'occuper que de leurs propres intérêts. Qu'a fait lord Grey, si ce n'est procurer des places à ses cousins? (Rires; écoutez!) Nous lui devons sans doute le bill de réforme, mais on en a fait un mauvais usage, et cette mesure m'a, je le répète, extrêmement désappointé. Mais pendant que le Parlement oublie les souffrances du peuple, la Ligue s'est levée pure de tout esprit de parti. C'est l'esprit de parti qui ruine le pays, et nous venons d'entendre les membres de la Ligue déclarer leur ferme détermination d'en finir avec toutes ces questions de factions et de personnes. Le bon sens et la vérité prévaudront. À eux appartient l'empire du monde. Je sens une profonde reconnaissance envers ces hommes qui sacrifient généreusement leur temps et leur tranquillité à l'avancement de notre cause. À peine M. Bright a-t-il vu ses foyers depuis un an. Nous ne saurions trop honorer de tels services, puisqu'ils sont au-dessus de nos forces.»

Plusieurs autres orateurs se font entendre.—À la fin de la séance, on procède à la souscription. Elle s'élève à 403 l. s.—Nous remarquons sur la liste M. Marshal, m. P., pour 40 l. s.

GLASGOW.
BANQUET POUR LE SOUTIEN DES PRINCIPES DE LA LIBERTÉ COMMERCIALE.
Extrait du Glasgow-Argus, 10 janvier 1844.

Cette grande et imposante démonstration, en faveur de la liberté commerciale, et spécialement du rappel des lois-céréales, a eu lieu mercredi soir, 10 de ce mois, dans la salle de la Cité (City hall). Ainsi que nous l'avions prévu, jamais l'ouest de l'Écosse n'avait vu une semblable manifestation de l'opinion publique; jamais, à Glasgow, réunion n'avait présenté de tels caractères de distinction, d'ordre, de lumières et d'énergie. La vaste salle contenait plus de deux mille personnes, cent cinquante dames occupaient la galerie de l'ouest.

Le fauteuil était tenu par l'honorable lord prévôt.

Nous avons remarqué sur l'estrade MM. Fox Maule, m. P., James Oswald, m. P., le col. Thompson, le Rév. M. Moore, John Bright, m. P., Arch. Hastie, m. P., le prévôt Bain, et une foule d'autres personnages.

Lecture est faite des lettres d'excuses adressées par MM. Dunfermline, m. P., lord Kinnaird, m. P., Villiers, m. P., Stewart, m. P., Georges Duncan, m. P.

Ces honorables représentants ont été empêchés, malgré leur désir, d'assister au banquet de Glasgow, soit parce qu'ils sont appelés à d'autres meetings, qui ont pour objet la même cause, soit pour d'autres motifs.

Sur la demande du lord prévôt, le doct. Wardlaw, dans une belle et touchante prière, appelle sur l'assemblée la bénédiction divine.

Le lord prévôt est accueilli par des applaudissements enthousiastes, lorsqu'il se lève pour proposer le premier toast.

«Messieurs, dit-il, c'est avec une profonde satisfaction que j'occupe le fauteuil dans cette circonstance. Il y a longtemps que les principes de la liberté commerciale ont prévalu parmi les citoyens de Glasgow et beaucoup d'entre eux, vers la fin du dernier siècle, soutinrent avec zèle les saines doctrines si admirablement exposées et développées par l'immortel Adam Smith, lorsqu'il occupait une des chaires de notre Université. (Applaudissements.) Je suis heureux de voir qu'aujourd'hui les négociants et les manufacturiers si éclairés de cette cité prennent un intérêt toujours croissant à cette grande cause qui embrasse toutes les autres, savoir: l'abolition de tous les monopoles,—et rien ne peut m'être plus agréable que de remplir mon devoir de premier magistrat de la cité, en prêtant aide et assistance, quand l'occasion s'en présente, à ces réformes qui ont pour objet le bien-être des classes ouvrières et la prospérité de cette métropole commerciale de l'Écosse.»

Après quelques observations, le lord prévôt conclut en ces termes:

«Je vous invite à vous joindre à moi pour rendre hommage à notre gracieuse souveraine. La vie de son père, ses propres sentiments ne nous laissent aucun doute que nous avons en elle une amie éclairée de toute mesure qui tend au bien-être, à la prospérité et au bonheur du peuple. À la reine!» (Applaudissements prolongés. Toute l'assemblée se lève et reste debout pendant que l'orchestre exécute l'hymne national.)

M. Fox Maule, représentant de Perth,—après quelques réflexions, porte le second toast:

«À la liberté des échanges! Messieurs, je ne m'étendrai pas sur ces grands principes qui, s'ils vivent quelque part, doivent vivre surtout dans cette cité qui, la première, entendit les leçons d'Adam Smith. Ils pénètrent de jour en jour, et avec tant de force dans les esprits, qu'il serait inutile et pour ainsi dire déplacé, de les développer devant vous. Je considère que le but de cette réunion est d'examiner en commun les idées pratiques qui pourront nous être soumises sur le mode à la fois le plus prompt, le plus efficace et le plus sûr de faire enfin pénétrer ces principes dans notre gouvernement et notre législature. Vous admettez, je crois, que le vieux système des protections spéciales, alors même qu'on pourrait lui attribuer quelques effets momentanément favorables, n'est pas la base sur laquelle doivent reposer les grands intérêts permanents de ce pays. Le monopole est une plante qu'on peut à la rigueur élever en serre chaude, mais qui ne saurait enfoncer profondément ses racines dans notre sol, et exposer ses branches à tous les vents de notre climat. Nous sommes des hommes libres. Pourquoi n'aurions-nous pas un commerce libre? (Bruyants applaudissements.) La raison dit que ce système est le meilleur, le plus propre à répandre le bien-être parmi les hommes, qui met toutes les denrées du monde à notre portée et laisse refluer les produits de notre travail sur tous les points de la terre.»

L'orateur traite la question dans ses rapports avec l'agriculture; il témoigne toute son admiration pour les utiles efforts de la Ligue, et termine en portant ce toast:

«À la liberté du commerce; à la chute du monopole qui est le fléau du pays et du peuple.» (Applaudissements enthousiastes.)

Le lord prévôt porte la santé de la députation de la Ligue. M. Cobden remercie et prononce un discours qui fait sur l'assemblée une profonde impression.

M. Alexandre Graham: «Aux ministres de la religion qui se sont réunis à la cause de la liberté du commerce. Dans le cours de ces dernières années, deux appels ont été faits au clergé. La première fois, sept cents ministres dissidents de toutes les dénominations se sont réunis à Manchester, et plus de neuf cents, dans leurs lettres d'excuse, ont donné leur approbation à l'objet de la Ligue. La seconde réunion de plus de deux cents ministres, eut lieu à Édimbourg.»

L'orateur, dans un discours que nous supprimons à regret, examine les causes qui tiennent le clergé de l'Église établie éloigné de ce grand mouvement.—Il traite ensuite la question de la liberté commerciale, au point de vue religieux.

Le Rév. doct. Heugh: «Au progrès des connaissances, nécessaire et seule garantie de l'extension et de la permanence des institutions libres.» (Immenses applaudissements. Ce magnifique texte fait le sujet d'un discours du rév. ministre, qui est écouté avec recueillement.)

D'autres discours sont prononcés par MM. Bright, Thompson, Oswald, Hastie. La souscription de Glasgow, au fonds de la Ligue, paraît devoir s'élever à plus de 5,000 l. s. (125,000 fr.)

L'assemblée se sépare à 8 heures du soir.

GRAND MEETING D'ÉDIMBOURG POUR LE SOUTIEN DE LA LIGUE.
Extrait du Scotchman, 11 janvier 1844.

Mardi, 11 de ce mois, un grand meeting a eu lieu dans cette cité, pour recevoir la députation de la Ligue, composée de MM. Cobden, Bright, le col. Thompson et Moore.—L'objet spécial de la réunion était de concourir à la souscription au fonds la Ligue (the 100,000 l. League fund). La salle de la Société philharmonique, la plus vaste d'Édimbourg, était entièrement occupée, et, faute de places, plus de mille billets d'entrée ont dû être refusés.

On remarquait dans l'assemblée les citoyens les plus éclairés et les plus influents, un grand nombre de dames et trente-quatre ministres du culte. Le très-honorable lord prévôt occupait le fauteuil. Les villes de Leith, Dalkeith, Musselburgh avaient envoyé des députations.

Nous ne fatiguerons pas le lecteur par la traduction des discours prononcés dans cette mémorable séance. Nous nous bornerons à reproduire un passage du discours de M. Cobden, parce qu'il répond à un argument que l'on oppose souvent à l'affranchissement du commerce, aussi bien de ce côté que de l'autre côté de la Manche.

«Tout le monde, ou du moins toutes les personnes dont l'opinion a quelque poids, s'accordent sur ce point, que le principe de la liberté des échanges est le principe du sens commun, et que, considéré d'une manière abstraite, il est aussi juste qu'incontestable. (Assentiment.) Mais lorsque vous sommez ces personnes de réaliser dans la pratique des principes dont, en théorie, elles reconnaissent si volontiers la justice et la vérité, on vous objecte que les circonstances du pays s'y opposent. Quelles sont ces circonstances? D'abord, nous dit-on, par l'ancienneté de la protection, le pays se trouve dans une situation économique tout artificielle. À cela je réponds que si nous sommes dans une situation artificielle, c'est que nous y avons été amenés par des lois arbitraires contraires aux lois de la nature. Nous ne pouvons remédier à ce mal qu'en revenant aux lois naturelles et en mettant notre législation en harmonie avec les desseins visibles de la divine Providence.—Ensuite, on allègue que la dette publique et l'Échiquier imposent à l'Angleterre de lourdes charges,» etc.

PERTH.
Extrait du Perthshire-Advertiser, 12 janvier 1844.

Selon l'avis qui en avait été donné, un grand meeting public a eu lieu mercredi, 12 de ce mois, dans une des églises de cette ville (North-United secession church), pour entendre MM. Cobden, Thompson et Moore, députés de la Ligue nationale. Plus de deux mille personnes étaient présentes, presque toutes appartenant aux classes moyennes, et l'on a remarqué l'attention soutenue que les fermiers et les agriculteurs, venus de tous les points du comté, ont prêtée aux discours qui ont occupé une séance de plus de quatre heures.

M. Maule, m. P., occupait le fauteuil.

Nous ne pouvons rapporter ici les discours prononcés par MM. Maule, Cobden, lord Kinnaird, M'Kinloch, Moore, etc.—Cependant, comme les arguments qu'on fait valoir en faveur du monopole, sous le nom de protection, sont les mêmes en France qu'en Angleterre, nous croyons devoir citer de courts extraits du discours de M. Cobden, où quelques-uns de ces arguments sont heureusement réfutés.

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