← Retour

Œuvres Complètes de Frédéric Bastiat, tome 3: mises en ordre, revues et annotées d'après les manuscrits de l'auteur

16px
100%

«Les fermiers et les ouvriers de campagne ont plus souffert que tous autres des lois-céréales, et, à cet égard, j'invoque le témoignage de ceux d'entre eux qui m'écoutent. Depuis 1815, époque où passa cette loi, la Chambre des communes ne s'est pas réunie moins de six fois en comité pour s'enquérir de la détresse agricole, et, depuis 1837, elle a été solennellement proclamée cinq fois dans le discours de la reine à l'ouverture du Parlement. J'ai parcouru le pays dans tous les sens; j'ai assisté à une multitude de meetings; partout j'ai posé aux fermiers cette question: «Avez-vous, dans un certain nombre d'années, et avec un capital donné, réalisé autant de profits que les personnes engagées dans des industries qui ne reçoivent pas de protection, tels que les drapiers, carrossiers, épiciers,» etc.—Partout, invariablement, on m'a fait la même réponse: «Non, l'industrie agricole est la moins rémunérée.» Si le fait est incontestable, il doit avoir une cause, et comme ce ne peut être l'absence de la protection, c'est sans doute la protection elle-même. Pour moi, je crois qu'il est mauvais de taxer l'industrie; il n'y a qu'une chose qui soit pire, c'est de la protéger. (Applaudissements.) Montrez-moi une industrie protégée, et je vous montrerai une industrie qui languit. Si l'on accordait, par exemple, des priviléges aux épiciers qui habitent tel quartier, pensez-vous que les propriétaires des maisons n'en exigeraient pas de plus forts loyers? Ils le feraient indubitablement; et c'est ce qu'ont fait les landlords, à l'égard des fermiers, sous le manteau de la loi-céréale. Un pauvre fermier gallois, nommé John Jonnes, a parfaitement expliqué le jeu de cette loi. Il disait: «La loi a promis aux fermiers des prix parlementaires. Sur cette promesse, les fermiers ont promis aux seigneurs des rentes parlementaires. Mais à la halle, le prix parlementaire ne s'est presque jamais réalisé, et il n'en a pas moins fallu acquitter la rente parlementaire.» Toute la question-céréale est là.

«Pour persuader aux fermiers qu'ils ne peuvent soutenir la concurrence étrangère, on leur dit qu'ils ont de lourdes taxes à payer, et cela est vrai. Ils payent la taxe des routes, mais ils ont les routes, et je puis vous assurer que les fermiers russes et polonais voudraient bien en avoir au même prix. Essayez de porter vos denrées au marché, par monts et par vaux et à dos de mulet, et vous vous convaincrez que l'argent mis sur les chemins n'est pas perdu, mais placé, et placé à bon intérêt.—Ils payent encore la taxe des pauvres et les taxes ecclésiastiques; mais il y a aussi des prêtres et des pauvres sur le continent.»

M. Cobden cite plusieurs exemples pour démontrer que les industries libres prospèrent mieux que les industries protégées.

«Voyez la laine; c'est un fait notoire que c'est, depuis qu'elle n'est plus favorisée, une branche beaucoup plus lucrative que la culture du froment.—Voyez le lin. Pendant que M. Warnes se donnait beaucoup de mouvement, dépensait beaucoup d'encre et de paroles pour prouver que le fermier anglais ne pouvait soutenir la concurrence du dehors, lui-même substituait, et avec succès, la culture du lin, qui n'est pas protégée, à celle du froment, qui est l'objet de tant de prédilections législatives.....

«Quant aux avantages que la loi-céréale est censée conférer aux simples ouvriers des campagnes, j'avance ce fait, et je défie qui que ce soit de le contredire: c'est que les salaires vont toujours diminuant à mesure qu'on s'éloigne des districts manufacturiers et qu'on s'enfonce au cœur des districts agricoles. En arrivant dans le Dorsetshire, le plus agricole et par conséquent le plus protégé de tous les comtés, on trouve le taux des salaires fixé à 6 sh. par semaine. Pour moi, je donne 12 sh. au moindre de mes ouvriers. J'en ai qui gagnent 20, 30 et même 35 sh. Mais quant à ceux qui ne donnent que le travail le plus brut, qui ne font que ce que tout homme peut faire, ils reçoivent au moins 12 sh.—Je n'en tire pas vanité. Ce n'est ni par plaisir ni par philanthropie que j'accorde ce taux; je le fais parce que c'est le taux établi par la libre concurrence. Voilà un fait général qui ne permet plus de dire que la loi-céréale favorise l'ouvrier des campagnes. (Écoutez! écoutez!)—Mais j'aperçois ici bon nombre d'ouvriers des fabriques. Quant à eux, il est certain que la loi-céréale les dépouille, sans aucune compensation, et j'expliquerai comment cela se fait. Il y a une certaine doctrine à l'usage des ignorants imberbes, selon laquelle les salaires peuvent être fixés par acte du Parlement. Je mettrai en lumière et cette doctrine et le caractère de la loi-céréale, par une anecdote qui se rapporte à un fait parlementaire qui m'est personnel. Lorsque sir Robert Peel présenta la dernière loi-céréale à la Chambre des communes, loi qui avait pour but avoué de maintenir le prix du blé à 56 sh., ainsi que l'auteur le déclare expressément, je fis, par voie d'amendement, cette motion: Qu'il est expédient, avant de fixer le prix du pain par acte du Parlement, de rechercher les moyens de fixer aussi un taux relatif des salaires qui soit en harmonie avec ce prix artificiel des aliments.» Proposition bien raisonnable, à ce qu'il me paraît, mais qui fut combattue par MM. Peel, Gladstone et leurs collègues, au dedans et au dehors des Chambres, par cette réponse: «Oh! nous ne pouvons régler ou fixer le prix du travail, cela est au-dessus de notre puissance. Le taux des salaires s'établit par la concurrence sur le marché du monde.»—Néanmoins, quoique je reconnusse la validité de ce raisonnement, comme je le crois aussi bien applicable au blé qu'au travail, et que je n'aime pas à voir des règles différentes appliquées à des cas intrinsèquement identiques, j'insistai pour que ma motion fût mise aux voix; et elle fut soutenue par vingt ou trente membres qui pensaient, comme moi, que le taux des salaires devait être positivement fixé, si l'on était décidé à dépouiller l'ouvrier, par un prix des aliments artificiellement élevé. Mais, ainsi que je m'y attendais, les monopoleurs de la Chambre refusèrent de faire une franche et loyale application de leur propre principe, et tous, jusqu'au dernier, votèrent contre ma motion.—Sans doute, il est incontestable que le régulateur naturel des salaires, c'est le marché, la concurrence, le rapport de l'offre à la demande. Mais n'est-il pas évident que le blé doit être soumis à la même règle, et valoir plus ou moins, selon les besoins d'une part et la faculté de payer de l'autre? Qu'on laisse donc le prix du blé s'établir dans le même marché où le travail est contraint de chercher sa rémunération. Oh! qui pourrait sonder la profonde immoralité de ces hommes qui s'adjugent à eux-mêmes un certain prix pour leur blé, et qui néanmoins refusent de fixer un prix proportionnel pour les salaires qui doivent acheter ce blé?» (Applaudissements prolongés.)

GREENOCK.
Extrait du Greenock-Advertiser, 15 janvier 1844.

Lundi, 15 de ce mois, une députation de la Ligue, composée de M. Bright, m. P., et du col. Thompson, a assisté à un grand meeting tenu à la chapelle de...

Le prévôt occupait le fauteuil.

Des discours ont été prononcés par MM. Steete, Stewart, m. P., col. Thompson, Bright, Robert Wallace, m. P.

Nous avons remarqué, dans le discours du colonel Thompson, la démonstration suivante, qui présente, sous une forme sensible, les inconvénients des lois restrictives.

«Suivons vos marchandises sur les marchés étrangers, et observons ce qui arrive. Je suppose que vous les envoyez à Hambourg. Le capitaine débarque, et, s'adressant à un négociant de cette ville, il lui dit: «J'amène de Greenock tant de balles de marchandises que je désire vendre.—Bien, dit le marchand, je vous en donnerai dix thalers.—J'accepte, répond le capitaine; et maintenant que pourrais-je acheter avec dix thalers, car je désire revenir à Greenock avec un chargement de retour?—Je trouve, dit le Hambourgeois, que le blé est à meilleur marché ici qu'en Angleterre; achetez du blé.—Oh! répond le capitaine, je ne puis pas rapporter du blé, car nous avons dans notre pays une loi qui le défend.—Eh bien! prenez du bois de construction.—Nous avons encore une loi qui l'empêche.—Dieu me pardonne! s'écrie le Hambourgeois, je crois que, vous autres Anglais, vous repoussez les choses qui vous sont les plus nécessaires, et n'admettez que ce qui ne vous est bon à rien, des sifflets et des cure-dents, peut-être. (Éclats de rire.)—Je crains bien qu'il n'en soit ainsi, reprend l'Anglais, et je vois que ce que j'ai de mieux à faire, c'est de m'en retourner sur lest et de ne plus remettre les pieds à Hambourg.»—C'est ainsi que prennent fin nos relations avec Hambourg, et successivement avec les autres ports étrangers.—Et ne voyez-vous pas que le chargeur de Greenock sera forcé de limiter sa fabrication plus qu'il n'aurait fait, si son capitaine lui eût porté de meilleures nouvelles? Que si la fabrication se ralentit, le travail est moins demandé, les salaires sont plus dépréciés, en même temps que les subsistances renchérissent?» etc........

ABERDEEN.
Extrait de l'Aberdeen-Herald, 15 janvier 1844.

La démonstration en faveur de la Ligue a dépassé tout ce que l'on pouvait attendre. Lundi, 15 de ce mois, deux meetings ont été tenus, l'un le matin, l'autre le soir, et, dans l'un et l'autre, l'accueil le plus enthousiaste a été fait à MM. Cobden et Moore. Le meeting du matin a eu lieu dans la vaste salle du théâtre, qui s'est trouvée cependant trop étroite pour le grand nombre de citoyens distingués qui désiraient assister à la séance. Rien n'égale l'intérêt qu'a excité le discours clair et nerveux de M. Cobden, et nous avons pu remarquer que des hommes, qui prennent rarement part à des démonstrations publiques, joignaient chaleureusement leurs applaudissements à ceux de la foule.

Le soir, les classes ouvrières et laborieuses affluaient à la salle de la Société de Tempérance, et nous avons entendu dire à M. Cobden qu'il n'avait jamais parlé devant un auditoire plus attentif et plus intelligent.

Nous avons assisté à bien des meetings publics, nous avons entendu tous les grands orateurs de l'époque, mais nous devons dire que jamais nous n'avons assisté à un spectacle plus imposant et plus instructif que celui qui a été offert aujourd'hui à la population d'Aberdeen. (Suit le compte rendu de la séance.)

DUNDEE.
16 janvier 1844.

Mardi soir, 16 du courant, une soirée a été donnée, dans le cirque royal, à MM. Cobden et Moore, députés de la Ligue nationale. M. Edouard Baxter, esquire, occupait le fauteuil.

Les orateurs qui se sont fait entendre, outre MM. Cobden et Moore, sont MM. Baxter, James Brow, lord Kinnaird, Georges Duncan, m. P., etc.

PAISLEY.
Extrait du Glasgow-Argus, 16 janvier 1844.

Mardi soir, 16 de ce mois, une soirée a eu lieu, dans une des églises dissidentes de Paisley (secession church), à l'effet d'accueillir MM. Thompson et Bright, membres de la Ligue, et sous la présidence du prévôt Henderson. Nous avons remarqué sur l'estrade MM. Stewart, Wallace et Hastie, membres du Parlement, et un grand nombre de ministres du culte.

Nous croyons devoir nous dispenser de donner en détail le compte rendu de ce meeting, ainsi que de ceux qui suivent, pour éviter de dépasser les bornes que nous nous sommes prescrites.

AYR.
Extrait de l'Ayr-Advertiser.

Mardi matin, 16 de ce mois, un grand meeting public a été tenu au théâtre de cette ville, sous la présidence du prévôt Miller pour entendre MM. Bright et Thompson, membres de la Ligue.

MONTROSE.
Extrait du Montrose-Review, 16 janvier 1844.

MM. Cobden et Moore, de passage dans cette ville, pour se rendre d'Aberdeen à Dundee, ont été sollicités de s'arrêter quelques heures dans l'objet de tenir un meeting public. Malgré la brièveté du temps qu'avaient devant eux les amis de la liberté commerciale, une telle affluence s'est portée à Guild-Hall, à l'heure désignée, que le meeting a dû immédiatement se transporter à George Free Church. Le prévôt Paton a été unanimement appelé au fauteuil.

Après un discours de M. Cobden, qui a fait sur l'assemblée une profonde impression, M. Alexandre Watson fait cette motion:

«Que le meeting approuve hautement les infatigables travaux de la Ligue, et en particulier les virils et nobles efforts de MM. Cobden et Moore, pour propager les principes de la liberté commerciale; et que, pour offrir aux citoyens de Montrose l'occasion de contribuer au fonds de la Ligue, il nomme, à l'effet de recueillir les souscriptions, une commission composée de MM. etc.»

La motion est votée à l'unanimité.

FORFAR.

Le même journal rend compte du meeting tenu à Forfar, le samedi 10 janvier, à l'occasion de la présence en cette ville, de MM. Cobden et Moore. Les honorables députés de la Ligue n'ont pas eu plutôt accédé aux vives instances qui leur étaient adressées pour qu'ils s'arrêtassent un moment à Forfar, que toute la population a été convoquée à l'église de la paroisse au son du tambour. Les fonctions de président étaient remplies par le Rév. ministre, M. Lowe, etc.

KILMARNOCK.

Un grand meeting a été tenu dans cette ville, le mardi 16 janvier 1844, à l'effet d'entendre M. Bright et le colonel Thompson, membres de la Ligue.

CUPAR.
Extrait du Fife-Sentinel, 18 janvier 1844.

L'annonce de la visite d'une députation de la Ligue avait excité au plus haut degré l'intérêt du comté. Des délégations de toutes les villes environnantes s'étaient rendues à Cupar.—MM. Cobden et Moore sont arrivés le 18, à 2 heures. Le meeting avait été convoqué à l'église de Westport; mais cet édifice étant insuffisant à contenir la foule qui se pressait, il a été décidé qu'on se transporterait dans Old-Church.

Le prévôt Nicol occupait le fauteuil.

LEITH.
Extrait du Caledonian-Mercury, 19 janvier 1844.

Un meeting nombreux a été tenu, vendredi soir 19 du courant, dans Relief-Church. MM. Cobden, Thompson, Moore, ont été écoutés avec l'intérêt le plus manifeste et la plus vive sympathie, etc.

DUMFRIES.
Extrait du Dumfries-Courrier, 17 janvier 1844.

Ce journal rend compte du meeting tenu le mercredi 17 janvier, à l'occasion de la visite de MM. Bright et Thompson; il présente le même caractère que les précédents.

Si nous avons donné au lecteur cette nomenclature aride des nombreux meetings que la députation de la Ligue a provoqués en Écosse, pendant un séjour de si courte durée, c'est que nous sommes nous-même convaincu qu'en France, comme en Angleterre, comme dans tous les pays constitutionnels, le seul moyen d'emporter une grande question, c'est d'éclairer et de passionner le public. Notre but a été d'appeler l'attention sur l'activité et l'énergie que déploie la Ligue, et dont les premiers résultats se montrent aujourd'hui aux yeux de l'Europe étonnée dans le plan financier de sir Robert Peel.

GRAND MEETING DE COVENT-GARDEN.
25 janvier 1844.

Après une interruption de deux mois, la Ligue a repris ses meetings au théâtre de Covent-Garden. Jeudi soir, la foule avait envahi le vaste édifice. Dans aucune des précédentes occasions elle n'avait montré plus de sympathie et d'enthousiasme.

À 7 heures, le président, M. George Wilson, monte au fauteuil. Il ouvre la séance par le rapport des travaux de la Ligue, dont nous extrayons quelques passages.

«Ladies et gentlemen: Je ne doute pas que la première question que vous m'adresserez au moment de la reprise de nos séances, ne soit: «Qu'a fait la Ligue depuis la dernière session?» D'abord, je n'ai pas besoin de vous dire qu'elle n'est pas morte, ainsi que ses ennemis l'ont tant de fois répété. Il est vrai que le duc de Buckingham ne s'y est pas encore rallié; le duc de Richmond ne nous a pas signifié son approbation; sir Edward Knatchbull compte toujours sur le monopole pour payer des dots et des hypothèques, et le colonel Sibthorp a gratifié de 50 l. s. l'association protectionniste. (Rires.) Mais d'un autre côté, le marquis de Westminster a donné 500 l. s. à la Ligue. (Applaudissements.) Que nous ayons fait quelques progrès, c'est ce que nos adversaires ne pourront nier, et ce dont vous jugerez vous-mêmes d'après les meetings qui ont eu lieu et dont je vais vous faire l'énumération.»

Ici le président nomme les villes où ont été tenus les meetings et les sommes qui y ont été souscrites.

Liverpool, 6,000   l. s.
Ashton, 4,300  
Leeds, 2,700 ; la maison Marshall a souscrit pour 800 l. s.
Halifax, 2,000  
Huddersfield, 2,000  
Bradford, 2,000  
Bacup, 1,345  
Bolton, 1,205  
Leicester, 800  
Derby, 1,200 ; la maison Strutt a donné 500 l. s.
Nottingham, 520  
Burnley, 1,000  
Oldham, 1,000  
Todmorden, 611  
Strond, 558  

(M. Wilson cite encore une douzaine de meetings où des sommes moindres ont été recueillies.)

«En outre, une députation de la Ligue, composée de MM. Cobden, Bright, Thompson, Moore, Ashworth a parcouru l'Écosse. Nous avons reçu:

Glasgow, 3,000 l. s.
Édimbourg, 1,500  
Dundee, 500  
Leith, 350  
Paisley, 230  
Hawick, 70  

(De bruyants applaudissements accompagnent cette lecture.) Tel est le témoignage que nous avons à rendre des progrès que fait notre cause dans l'esprit public. C'est un nouveau gage d'union, un nouveau pacte, un nouveau covenant auquel les amis de la Ligue en Écosse et dans le nord de l'Angleterre ont attaché leur nom, s'engageant tous envers eux-mêmes, envers vous et envers le pays, à persévérer dans la voie qu'ils se sont tracée, et à ne prendre aucun repos tant qu'ils se sentiront un reste de force et que la Ligue n'aura pas atteint le but qu'elle a en vue......»

M. Bouverie prononce un discours instructif sur la situation financière de l'Angleterre et sur la répartition des taxes entre les diverses classes de la société.

M. W. J. Fox s'avance au bruit des applaudissements; quand le silence est rétabli, il s'exprime en ces termes:

«Je suis appelé à prendre la parole à l'entrée de cette nouvelle année d'agitation, dans un moment où la confusion, l'anxiété et l'incertitude règnent dans le pays. La législature est convoquée; le peuple attend plutôt qu'il n'espère; la Ligue a recruté des adhérents, augmenté ses moyens et discipliné ses forces; les partis politiques épient les chances de se maintenir dans leur position ou de conquérir celle de leurs adversaires; des anti-Ligues se forment dans plusieurs comtés. Dans ces circonstances, il est à propos d'établir le principe autour duquel se rallie notre association, ce principe que nous avons tant de fois, mais pas encore assez proclamé; ce principe qui est l'objet et le but d'efforts et de travaux qui ne cesseront qu'au jour de son triomphe:—la liberté absolue des échanges,—et, en ce qui concerne sa réalisation pratique et actuelle,—l'abrogation immédiate, totale et sans condition[34] de la loi-céréale! (Bruyants applaudissements.) Voilà notre étoile polaire; voilà le point unique vers lequel nous naviguons, sans nous préoccuper d'aucune autre considération. Nous n'avons rien de commun avec les factions politiques; nous n'avons aucun égard aux démarcations qui séparent les partis de vieille ou de fraîche date; peu nous importent les inconséquences de tel ou tel meneur d'une portion de la Chambre des communes.—L'abrogation totale, immédiate, sans condition des lois-céréales, voilà ce que nous demandons, tout ce que nous demandons.—Nous n'exigeons pas plus, nous n'accepterons pas moins—de Robert Peel ou de John Russell,—de lord Melbourne d'un côté, ou de lord Wellington de l'autre, ou de lord Brougham de tous les côtés. (Rires et approbation.) Nous sommes en paix avec tous ceux qui reconnaissent ce principe. Mais nous ferons une guerre éternelle à ceux qui ne l'accordent pas.—Et précisément parce que c'est un principe, il n'admet, dans nos esprits, aucune transaction quelconque. (Applaudissements.) C'est là notre mot d'ordre. Il y a une classe dans le pays qui ne cesse de crier: «Pas de concessions.» Et nous, nous lui répondons: «Pas de transaction.» Si ce mouvement, ainsi qu'on l'a quelquefois faussement représenté, n'était qu'une pure combinaison industrielle; s'il avait pour objet de relever telle ou telle branche de fabrication ou de commerce;—ou bien s'il était l'effort d'un parti et s'il aspirait à déplacer le pouvoir au détriment d'une classe et au profit d'une autre classe d'hommes politiques; ou encore si notre cri: Liberté d'échanges, n'était qu'un de ces cris populaires, mis en avant dans des vues personnelles ou politiques, comme le cri: À bas le papisme! et autres semblables, qui ont si souvent égaré la multitude et jeté la confusion dans le pays, oh! alors, nous pourrions transiger. Mais nous soutenons un principe à l'égard duquel notre conviction est faite, et qui est comme la substance de notre conscience; nous revendiquons pour l'homme un droit antérieur même à toute civilisation, car s'il est un droit qu'on puisse appeler naturel, c'est certainement celui qui appartient à tout homme d'échanger le produit de son honnête travail, contre ce qu'il juge le plus utile à sa subsistance ou à son bien-être. (Approbation.) Ce n'est pas là une question qui admette des degrés, ni qui se puisse arranger par des fractions. Nous respectons tous les droits; mais nous ne respectons aucun abus. (Applaudissements.) Nous ne comprenons pas cette doctrine qui consiste à tolérer un certain degré de vol, d'iniquité ou d'oppression, au préjudice d'un individu ou de la communauté. Nous considérons au point de vue du juste et de l'injuste la propriété, quelle qu'elle soit, réalisée par le travail et sanctionnée par les lois et les institutions humaines. Nous proclamons notre profond respect pour la propriété de cette classe qui est la plus ardente à s'opposer à nos réclamations. Les domaines du seigneur lui appartiennent, nous ne prétendons pas y toucher, mettre des limites à leur agglomération et à leur division. Nous n'intervenons pas dans l'administration de ce qui lui est acquis par achat ou par héritage. Qu'il en fasse ce qu'il jugera à propos; il est justiciable de l'opinion s'il viole les lois des convenances ou de la moralité. Tant qu'il se renferme dans les limites que lui prescrivent les nécessités des sociétés humaines, nous respectons tous ses droits. Qu'il proscrive ou tolère la chasse; qu'il abatte ou conserve ses forêts; qu'il accorde ou refuse des baux, nous ne nous en mêlons pas. Les produits de ses domaines sont à lui ou à ceux à qui il les loue. Mais il y a une chose qui n'est pas à lui, et c'est le travail d'autrui, c'est l'industrie de ses frères, et leur habileté, et leur persévérance, et leurs os et leurs muscles, et nous ne lui reconnaissons pas le droit de diminuer, par des taxes à son profit, le pain qui est le fruit de leurs travaux et de leurs sueurs. (Bruyantes acclamations.) Ils sont ses frères, et non pas ses esclaves. Les bras de l'ouvrier sont sa propriété, et non pas celle du landlord. Nous réclamons pour nous ce que nous accordons aux seigneurs, et notre principe exige le même respect, la même vénération pour la propriété de celui qui n'a au monde que sa force physique pour se procurer le pain du soir par le travail du jour, que pour celle de l'héritier du plus vaste domaine dont on puisse s'enorgueillir dans la Grande-Bretagne. (Applaudissements.) Dans notre attachement à ce principe, nous nous opposons à tout empiétement sur la propriété de la classe industrieuse, de quelque forme qu'on le revête, quel que soit le but auquel on veuille le faire servir. Notre principe exclut le droit fixe aussi bien que le droit graduel. (Approbation.) L'un est aussi bien que l'autre une invasion sur les droits du peuple, car quelle est leur commune tendance? Évidemment d'élever le prix des aliments, et tout ce qui élève le prix des aliments, diminue le légitime bien-être des classes laborieuses. Lorsque nous nous rappelons la condition de ces classes; quand nous venons à songer que l'ouvrier se lève avant le jour, et qu'il est déjà bien tard quand il peut goûter quelque repos et manger le pain de l'anxiété; quand nous nous rappelons par quels fatigants efforts il obtient dans ce monde sa chétive pitance, et combien il y a de malheureuses créatures autour de nous dont toute l'histoire est résumée dans ces tristes vers si populaires:

Travaillons, travaillons, travaillons
Jusqu'à ce que nos yeux soient rouges et obscurcis;
Travaillons, travaillons, travaillons
Jusqu'à ce que le vertige nous monte au cerveau.

«Quand nous sommes témoins d'une telle destinée, nous disons que le droit fixe ne doit pas prendre même un farthing sur la part exiguë du pauvre pour augmenter les trésors d'un duc de Buckingham ou de Richmond. (Applaudissements prolongés.) Bien plus, il est des cas où le droit fixe aurait plus d'inconvénients que l'échelle mobile elle-même. On a déjà fait cette objection contre le droit fixe, et je crois qu'elle a déjà frappé ses partisans. «Que ferez-vous de votre droit de 10, de 8, de 5 sh. lorsque le blé s'élèvera, comme cela peut et doit quelquefois arriver, à un prix de famine, a famine price? (Écoutez! écoutez!) Et l'on a répondu: «Alors, on le suspendra.»—Mais quel est le pouvoir qui décidera cette suspension, et sur quelle épreuve? Réalisez dans votre imagination la situation d'un premier ministre obligé d'observer le pays pour décider si le temps approche, si le temps est arrivé où le droit fixe sur le blé sera remis, parce que les aliments ont atteint le prix de famine! Il faudra qu'il compte dans les journaux combien d'êtres humains ont été relevés dans nos rues, tombés par défaut de nourriture. Combien faudra-t-il de cas de morts par inanition? quelle somme de maladies, de typhus, de mortalité sera-t-il nécessaire de constater pour justifier la remise du droit? Voilà donc les occupations d'un premier ministre! Il faudra donc qu'il veille auprès du pays, qu'il compte ses pulsations, comme fait le médecin d'un régiment quand on flagelle un soldat,—la main sur son poignet, l'œil sur la blessure saignante, l'oreille attentive au bruit du fouet tombant sur les épaules nues, prêt à s'écrier: Arrêtez; il se meurt! (Acclamations.) Est-ce là le rôle du premier ministre du gouvernement d'un peuple libre? (Non, non.)—La pente est glissante quand on quitte le sentier de la justice. Oubliez la justice, et vous oublierez bientôt la charité, et l'humanité vous trouvera sourde à ses cris.—Un droit fixe! Mais c'est toujours la protection sous un autre nom, et la protection, c'est cela même que la Ligue est résolue de combattre et d'anéantir à jamais.—Et qu'entend-on protéger? L'agriculture, dit-on; mais quelle branche d'agriculture? quelle classe de personnes? Non, non, dépouillée de sophismes, d'énigmes, de circonlocutions, cette protection, c'est la protection des rentes, et rien de plus. (Approbation.) Protection aux fermiers!—Et quel fermier s'est jamais enrichi par elle?—Protection à l'ouvrier des campagnes! Oh! oui! vous l'avez protégé jusqu'à ce qu'il ait descendu tous les degrés de l'échelle sociale; jusqu'à ce que ses vêtements aient été convertis en haillons; sa chaumière en une hutte; jusqu'à ce que sa femme et ses enfants, faute de vêtements, aient été forcés de fuir le service divin. Votre protection l'a poursuivi du champ à la maison de travail, et de la maison de travail à la cour de justice, et de la cour de justice au cachot, et du cachot à la tombe. C'est sous la froide pierre qu'il trouvera enfin plus de protection réelle qu'il n'en obtint jamais de vos lois. (Acclamations prolongées).....

«Et pourquoi privilégier une classe? Qu'y a-t-il dans la condition d'un rentier qui lui donne droit à être protégé aux dépens de la communauté? Pourquoi pas protéger aussi le philosophe, l'artiste, le poëte? À pareil jour naquit un poëte, et les Écossais qui m'entendent savent à qui je fais allusion, car beaucoup de leurs compatriotes sont réunis aujourd'hui pour célébrer l'anniversaire de Robert Burns. La nature en avait fait un poëte; la protection aristocratique en fit un employé. Mais la seule protection qui lui convint, c'est celle qu'il devait à ses bras vigoureux et à son âme élevée. Le servilisme lui faisait dire:

Je n'ai pas besoin de me courber si bas,
Car, grâce à Dieu, j'ai la force de labourer;
Et quand cette force viendra à me faire défaut,
Alors, grâce à Dieu, je pourrai mendier.

«Et il se sentait l'indépendance du mendiant, et, en réalité, elle est plus digne et plus respectable que l'indépendance pécuniaire de ceux qui l'ont acquise par la rapine et l'oppression.

..... «Et pourquoi la Ligue transigerait-elle aujourd'hui? Si elle n'y a pas songé quand elle était faible, comment y songerait-elle quand elle est forte? Si nous avons repoussé toute transaction quand nous n'étions qu'un petit nombre, pourquoi l'accepterions-nous quand nous sommes innombrables? Habitants de Londres, permettez-moi de vous le dire, vous n'avez pas l'idée de la puissance de la Ligue, et il serait à désirer que vous envoyassiez dans les comtés du Nord une députation chargée d'observer la nature de cette puissance, sa progression, son intensité. (Écoutez! écoutez!) Là, vous verriez les multitudes, hommes, femmes, enfants, accourir, s'assembler et mettre la main à cette œuvre si bien faite pour éveiller les plus intimes sympathies du cœur humain; les maîtres et les ouvriers porter leur cordiale contribution; les femmes payer leur tribut, car elles ont compris qu'il leur appartient de soulager ceux qui souffrent, et de sympathiser avec les opprimés, et l'enfant même, respirer comme une atmosphère d'agitation patriotique, pressentant qu'un jour viendra,—alors que tant de glorieux dévouements auront assuré le triomphe de la liberté commerciale,—où il pourra dire avec orgueil:—«Et moi aussi j'étais, encore enfant, un soldat de la Ligue!» Oh! si vous pouviez voir l'ardeur qui les anime, vous comprendriez que l'arrêt de mort du monopole est prononcé; oui, le jour où Londres prendra le rôle qui lui revient, le jour où la voix des provinces réveillera l'écho de la métropole, le jour où votre libéralité, votre enthousiasme, votre ferme résolution, votre foi dans la vérité égalera la libéralité, l'enthousiasme, la détermination et la foi de vos frères du Nord, ce jour-là, l'œuvre sera consommée et le monopole anéanti. (Acclamations prolongées.) L'idée de transiger n'entrerait pas dans la tête des chefs de la Ligue, alors même qu'ils seraient seuls dans la lutte. Rappelez-vous qu'ils n'étaient que sept quand ils proclamèrent pour la première fois le principe de l'abrogation immédiate et totale. Ils persévéreraient encore, quand bien même l'opinion publique n'aurait pas été éveillée, quand bien même ces vastes meetings n'auraient pas encouragé leurs efforts, car, lorsqu'une fois un principe s'empare de l'âme, il est indomptable. C'est ce qui fait le martyre ou la victoire! Il peut y avoir des victimes, mais il n'y a pas de défaite.—C'est à cette foi individuelle, à cette résolution de ne jamais transiger sur un principe, que nous devons tout ce qu'il y a de grand et de beau sur cette terre. Sans cette foi, nous n'aurions pas eu la liberté politique, la réformation, la religion chrétienne. Si la Ligue pouvait fléchir dans sa marche; si ceux qui la dirigent pouvaient la trahir, eh bien! qu'importe? ils ne sont que l'avant-garde, la grande armée leur passerait sur le corps et marcherait toujours jusqu'à la grande consommation. (Acclamations.)

«Je le répète donc, pas de transactions. On nous défie, on nous appelle au combat; les seigneurs nous jettent le gant et ils veulent, disent-ils, abattre la Ligue. (Rires ironiques.) Eh bien, nous en ferons l'épreuve.—Ce ne sont plus les fiers barons de Runnêymède. Le temps de la chevalerie est passé; il est passé pour eux surtout, car il n'y a rien de chevaleresque à se faire marchand de blé et à fouler le pays pour grossir son lucre.—Mais où veulent-ils en venir en s'isolant ainsi au milieu de la communauté? Ils créent la méfiance parmi les fermiers, la haine et l'insubordination parmi les ouvriers; ils se déclarent en guerre avec tous les intérêts nationaux; ils rejettent les Spencer, les Westminster, les Ducie, les Radnor; ils se dépouillent de ce qui constitue leur force et leur dignité; où veulent-ils en venir, en se séparant du mouvement social, en rêvant qu'ils seront toujours assez forts pour écraser leurs concitoyens? Ils n'ont rien à attendre de cette politique, si ce n'est ruine et confusion! S'ils y persistent, ils ne tarderont pas à s'apercevoir qu'ils n'ont d'autre perspective qu'une vie de dangers et d'appréhensions; ils sentiront la terre trembler sous leurs pas, comme on dit qu'elle tremblait partout où se posait le pied du fratricide Caïn. Qu'ils parcourent l'univers; nulle part ils ne rencontreront la sympathie de l'affection et le sourire de la bienveillance. Ah! qu'ils se joignent à nous; qu'ils s'unissent à la nation; c'est là que les attendent le respect, la richesse, le bonheur; mais s'ils lui déclarent la guerre, la destruction menace cette caste orgueilleuse.»

L'orateur discute quelques-uns des sophismes sur lesquels s'appuie le régime restrictif, et en particulier le prétexte tiré de l'indépendance nationale. Il poursuit en ces termes:

«Être indépendants de l'étranger, c'est le thème favori de l'aristocratie. Elle oublie qu'elle emploie le guano à fertiliser les champs, couvrant ainsi le sol britannique d'une surface de sol étranger qui pénétrera chaque atome de blé, et lui imprimera la tache de cette dépendance dont elle se montre si impatiente. Mais qu'est-il donc ce grand seigneur, cet avocat de l'indépendance nationale, cet ennemi de toute dépendance étrangère? Examinons sa vie. Voilà un cuisinier français qui prépare le dîner pour le maître, et un valet suisse qui apprête le maître pour le dîner. (Éclats de rire.) Milady, qui accepte sa main, est toute resplendissante de perles qu'on ne trouve jamais dans les huîtres britanniques, et la plume qui flotte sur sa tête ne fut jamais la queue d'un dindon anglais. Les viandes de sa table viennent de la Belgique; ses vins, du Rhin et du Rhône. Il repose sa vue sur des fleurs venues de l'Amérique du Sud, et il gratifie son odorat de la fumée d'une feuille apportée de l'Amérique du Nord. Son cheval favori est d'origine arabe, son petit chien de la race du Saint-Bernard. Sa galerie est riche de tableaux flamands et de statues grecques. Veut-il se distraire, il va entendre des chanteurs italiens vociférant de la musique allemande, le tout suivi d'un ballet français. S'élève-t-il aux honneurs judiciaires, l'hermine qui décore ses épaules n'avait jamais figuré jusque-là, sur le dos d'une bête britannique. (Éclats de rire.) Son esprit même est une bigarrure de contributions exotiques. Sa philosophie et sa poésie viennent de la Grèce et de Rome; sa géométrie, d'Alexandrie; son arithmétique d'Arabie, et sa religion de Palestine. Dès son berceau, il presse ses dents naissantes sur le corail de l'océan Indien, et lorsqu'il mourra, le marbre de Carrare surmontera sa tombe. (Bruyants applaudissements.) Et voilà l'homme qui dit: Soyons indépendants de l'étranger! Soumettons le peuple à la taxe; admettons la privation, le besoin, les angoisses et les étreintes de l'inanition même; mais soyons indépendants de l'étranger! (Écoutez!) Je ne lui dispute pas son luxe; ce que je lui reproche c'est le sophisme, l'hypocrisie, l'iniquité de parler d'indépendance, quant aux aliments, alors qu'il se soumet à dépendre de l'étranger pour tous ces objets de jouissance et de faste. Ce que les étrangers désirent surtout nous vendre, ce que nos compatriotes désirent surtout acheter, c'est le blé; et il ne lui appartient pas, à lui, qui n'est de la tête aux pieds que l'œuvre de l'industrie étrangère, de s'interposer et de dire: «Vous serez indépendants, moi seul je me dévoue à porter le poids de la dépendance.» Nous ne transigeons pas avec de tels adversaires, non, ni même avec la législature. Nous ne recourrons pas à la législature dans cette session. (Écoutez! écoutez!) Plus de pétitions. (Approbation.) Membres de la Chambre des communes, membres de la Chambre des lords, faites ce qu'il vous plaira et comme il vous plaira,—nous en appelons à vos maîtres. (Tonnerre d'applaudissements qui se renouvellent à plusieurs reprises.) La Ligue en appelle à vos commettants, aux créateurs des législateurs; elle leur dit qu'ils ont mal rempli leur tâche, elle leur enseigne à la mieux remplir à la première occasion. (Nouveaux applaudissements.) C'est sur ce terrain que nous transportons la lutte; et nos moyens sont, non point, comme on l'a dit faussement, la calomnie, l'erreur, la corruption, mais de persévérants efforts pour faire pénétrer dans ceux qui possèdent le pouvoir politique, l'intelligence et l'indépendance qui ennoblissent l'humanité. Remarquons qu'un notable changement s'est déjà manifesté dans les élections, depuis que la Ligue a adopté cette nouvelle ligne de conduite. Tandis que ses adversaires recherchent tous les sales recoins, toutes les taches de boue qui peuvent se trouver dans le caractère de l'homme, pour bâtir là-dessus; tandis que les gens qui exploitent en grand le monopole du sol britannique, vont chassant au tailleur et au cordonnier et lui disent: «N'avez-vous pas aussi quelque petit monopole? Soutenez-nous, nous vous soutiendrons.» Tandis qu'ils gouvernent avec les mauvaises passions, avec ce qu'il y a de folie et de bassesse dans la nature humaine, la Ligue s'efforce de mettre en œuvre les principes, la vérité; et réveillant, non la partie brutale, mais la partie divine de l'âme, de réaliser cet esprit d'indépendance sans lequel ni les institutions, ni les garanties politiques, ni les droits de suffrage, ne firent et ne feront jamais un peuple grand et libre. C'est pour cela qu'ils nous appellent des étrangers et des intrus...»

L'orateur établit ici des documents statistiques qui prouvent que la mortalité et la criminalité ont toujours été en raison directe de l'élévation du prix des aliments. Il continue ainsi:

«Voilà l'expérience d'un grand nombre d'années résumée en chiffres. Elle fait connaître les résultats de ce système, horrible calcul, qui montre l'âme succombant aussi bien que les corps, les tendances les plus généreuses et les plus naturelles conduisant au crime, l'amour de la famille transformé en un irrésistible aiguillon au mal, et la perversité décrétée pour ainsi dire par acte de la législature. (Écoutez! écoutez!) Oh! je le déclare à la face du ciel et de la terre, j'aimerais mieux comparaître à la barre d'Old-Bailey comme prévenu d'un de ces crimes auxquels poussent fatalement ces lois iniques, que d'être du nombre de ceux qui profitent de ces lois pour extraire de l'or des entrailles, du cœur et de la conscience de leurs frères. (Immenses acclamations, l'auditoire se lève en masse, agitant les chapeaux et les mouchoirs.)

«Nous dira-t-on qu'il faut attendre une plus longue expérience? Qu'il faut éprouver encore le tarif de R. Peel ou de nouvelles formes du monopole? Mais, c'est expérimenter la privation, l'incertitude, la souffrance, la faim, le crime et la mort. C'est un vieil axiome médical que les expériences doivent se faire sur la vile matière. Mais voici des lois qui expérimentent cruellement sur le corps même d'une grande et malheureuse nation. (Applaudissements.) Oh! c'en est assez pour réveiller tous les sentiments de l'âme; hommes, femmes, enfants, levons-nous, prêchons la croisade contre cette horrible iniquité, et fermons l'oreille à toute proposition jusqu'à ce qu'elle soit anéantie à jamais. Habitants de cette métropole, prenez dans nos rangs la place qui vous convient. Combinons nos efforts, et ne nous accordons aucun repos jusqu'à ce que nos yeux soient témoins de ce spectacle si désiré: le géant du travail libre assis sur les ruines de tous les monopoles. (Applaudissements.) C'est pour cela que nous agitons d'année en année, et tant qu'il restera un atome de restriction sur le statute-book, tant qu'il restera une taxe sur la nourriture du peuple, tant qu'il restera une loi contraire aux droits de l'industrie et du travail; nous ne nous désisterons jamais de l'agitation, jamais! jamais! jamais! (Applaudissements enthousiastes.) Nous marchons vers la consommation de cette œuvre, convaincus que nous réalisons le bien, non de quelques-uns, mais de tous, même de ceux qui s'aveuglent sur leurs vrais intérêts, car l'universelle liberté garantit aussi bien le plus vaste domaine que l'humble travail de celui qui n'a que ses bras. Nous croyons que la liberté commerciale développera la liberté morale et intellectuelle, enseignera à toutes les classes leur mutuelle dépendance, unira tous les peuples par les liens de fraternité, et réalisera enfin les espérances du grand poëte qui fut donné, à pareil jour, à l'Écosse et au monde:

Prions, prions pour qu'arrive bientôt
Comme il doit arriver, ce jour
Où, sur toute la surface du monde,
L'homme sera un frère pour l'homme!»

(Longtemps après que l'honorable orateur a repris son siége, les acclamations enthousiastes retentissent dans la salle.)

MM. Milner Gibson et le Rév. J. Burnett parlent après M. Fox. La séance est levée à 11 heures.

SECOND MEETING AU THÉÂTRE DE COVENT-GARDEN.
1er février 1844.

Le second meeting hebdomadaire de la Ligue avait attiré, mardi soir, au théâtre de Covent-Garden, une foule nombreuse et enthousiaste. Le nom de lord Morpeth circule dans toute la salle. On parle d'une entrevue qui eut lieu à Wakefield, hier, entre le noble lord, membre de la dernière administration, et M. Cobden. Cette nouvelle provoque une vive satisfaction, à laquelle succède le désappointement lorsqu'on apprend que Sa Seigneurie n'a pas complétement répondu aux espérances que la Ligue avait fondées sur son noble caractère, son humanité et son patriotisme.

Le président rend compte des nombreux meetings qui ont été tenus dans les provinces depuis la dernière séance, ainsi que des sommes qui ont été recueillies.

Au moment où nous sommes parvenus, un grand changement s'est opéré dans l'attitude de l'aristocratie. Jusqu'ici nous l'avons vue dédaigner le réveil de l'opinion publique, et chercher à l'égarer en lui présentant, comme remède aux souffrances du peuple, des plans plus ou moins charitables, plus ou moins réalisables, tantôt le travail limité par la loi (le bill des dix heures), tantôt l'émigration forcée.

Aujourd'hui que l'action intellectuelle et morale de la Ligue menace de devenir irrésistible, l'aristocratie sort enfin de sa dédaigneuse apathie. L'apaisement de l'agitation irlandaise et la dissolution du meeting de Clontarf lui donnent l'espérance d'étouffer l'agitation commerciale par l'intervention de la loi. Et en même temps qu'elle dénonce, comme dangereux et illégaux, les meetings de la Ligue, par une contradiction manifeste, elle organise un vaste système d'associations affiliées entre elles, ayant pour but, sous le nom d'anti-Ligue, le maintien des monopoles et de la protection.—La lutte devient donc plus serrée, plus personnelle, plus animée. Chacune de son côté, la Ligue et l'anti-Ligue avaient espéré que leurs efforts, influant sur la marche des affaires, trouveraient quelque écho dans le discours de la reine. Les free-traders espéraient que Sir Robert Peel donnerait, dans la présente session, quelque développement à son plan de réforme financière et commerciale. Les prohibitionnistes ne doutaient pas, au contraire, que le premier ministre, cédant à la pression de cette majorité qui l'a porté au pouvoir, ne revînt sur quelques-unes des mesures libérales adoptées en 1842. Mais le discours du trône, prononcé dans la journée même, a trompé l'attente des deux partis. Le ministère y garde le silence le plus absolu à l'égard de la détresse publique et des moyens d'y remédier.

Tels sont les objets qui servent de texte aux discours prononcés, dans le meeting du 1er février, par le docteur Bowring, le col. Thompson et M. Bright. Bien qu'ils doivent avoir pour le public anglais un intérêt plus actuel, plus incisif, que des dissertations purement économiques, fidèles à la loi que nous nous sommes imposée de sacrifier ce qui peut plaire à ce qui doit instruire, nous nous abstenons d'appeler l'attention du public français sur cette nouvelle phase de l'agitation.

Nous croyons utile, cependant, de donner une relation succincte de l'entrevue de lord Morpeth avec M. Cobden. Lord Morpeth, ayant été un des chefs influents de l'administration whig, renversée en 1841 par les torys, on comprend que son adhésion aux principes absolus de la Ligue devait être considérée comme un fait grave, et de nature à exercer une grande influence sur le mouvement des majorités et des partis. L'attitude de ces deux hommes d'ailleurs, la franchise de leurs explications, leur fidélité aux principes, nous ont semblé une peinture de mœurs constitutionnelles, dignes d'être proposées pour exemple à nos hommes politiques.

WAKEFIELD.
Extrait du Morning-Chronicle, 31 janvier 1844.

La démonstration des free-traders du West-Riding du Yorkshire a eu lieu ce soir dans la vaste salle de la Halle aux blés, qui était magnifiquement décorée de draperies et ornée de fleurs. Six cent trente-trois siéges avaient été préparés autour de la table du banquet.

Vingt-cinq villes du Yorkshire avaient envoyé des délégués à la séance.—Le fauteuil est occupé par M. Marshall, qui a, à sa droite, lord Morpeth, et à sa gauche M. Cobden.

Après les toasts d'usage, le président se lève et dit:

«Nous sommes réunis aujourd'hui, en dehors de toute distinction de partis et d'opinions politiques, pour discuter les avantages de la liberté absolue de l'industrie, du travail et du commerce. Nous reconnaissons ce grand principe comme l'unique objet du meeting. Il y a dans cette enceinte des hommes qui représentent toutes les nuances des opinions politiques, et ils entendent bien se réserver, à cet égard, toute leur indépendance. Quand nous jetons nos regards autour de nous, quand nous voyons ce qu'est l'Angleterre, ce que l'industrie l'a faite, et que nous venons à penser que le peuple, qui a élevé la nation à ce degré de grandeur, travaille sous le poids des chaînes, sous la pression des monopoles, au milieu des entraves de la restriction, ne sentons-nous pas la honte nous brûler le front? Pouvons-nous être témoins d'un phénomène aussi étrange, sans sentir profondément gravé dans nos cœurs le désir de vouer toute notre énergie à combattre une telle servitude, jusqu'à ce qu'elle soit radicalement détruite, jusqu'à ce que notre industrie soit aussi libre que nos personnes et nos pensées? Je ne m'étendrai pourtant pas sur ce sujet qu'il appartient à d'autres que moi de traiter. Je me bornerai à rapporter une preuve, et de la bonté de notre cause, et de l'efficacité avec laquelle elle a été soutenue; et cette preuve, c'est le nombre toujours croissant de nouveaux adhérents à nos principes qui, de toutes les classes de la société, et de tous les points du royaume, accourent en foule dans notre camp. Ces conquêtes n'ont été acquises à la ligue par aucune concession, par aucune transaction sur son principe. C'est au principe qu'il faut nous attacher; il est le gage de notre union et de notre force. Ce n'est pas un de nos moindres encouragements que de voir maintenant nos plus fermes soutiens sortir des rangs les plus nobles et des plus opulents propriétaires terriens (applaudissements), des plus habiles et des plus riches agriculteurs, aussi bien que des classes manufacturières. Mais si nous offrons notre accueil hospitalier à tant de nouveaux adhérents, il en est un surtout dont nous devons saluer la bienvenue, lord Morpeth. (Ici l'assemblée se lève comme un seul homme, et des salves d'applaudissements se succèdent pendant plusieurs minutes. Parfois, il semble que le silence va se rétablir, mais les acclamations se renouvellent à plusieurs reprises avec une énergie croissante.) Lord Morpeth n'est pas un nouveau converti aux principes de la liberté du commerce; ce n'est pas la première fois qu'il assiste aux meetings du West-Riding. C'est parce que nous le connaissons bien, parce que nous apprécions en lui l'homme privé aussi bien que l'homme d'État, parce que nous admirons la puissance de son intelligence comme les qualités de son cœur, c'est pour ce motif que le retour de lord Morpeth parmi nous est accueilli avec ce respect, cette cordialité que devait exciter la coopération à notre œuvre d'un nom aussi distingué. Gentlemen, je propose la santé du très-honorable vicomte Morpeth.»

Lord Morpeth se lève (applaudissements), et après avoir remercié, il s'exprime ainsi:

«Si je ne me trompe, le principal objet de cette réunion est, de la part du West-Riding du Yorkshire, d'honorer et d'encourager la Ligue, ainsi que sa députation ici présente, et de déterminer, autant que cela dépend d'elle, l'abrogation totale et immédiate des lois-céréales. (Bruyants applaudissements.) Vous m'informez que c'est bien là le but de cette assemblée. (Oui, certainement.) Eh bien, je sais qu'il me sera demandé par les amis comme par les ennemis: «Êtes-vous préparé à aller aussi loin?» La dernière fois, ainsi que vous vous le rappelez sans doute, que je me suis occupé des lois-céréales, c'était en 1841, alors que, comme membre du cabinet de cette époque, j'étais un des promoteurs du droit fixe de 8 shillings. (Écoutez! écoutez!) Cette proposition entraîna notre chute, parce que les défenseurs du système actuel, qui étaient nos adversaires alors, comme ils sont les vôtres aujourd'hui, pensèrent que nous accordions trop, et que notre mesure était surabondamment libérale envers le consommateur. Mais bien loin que l'insuccès m'ait changé et que notre chute m'ait ébranlé, je crois qu'il est maintenant trop tard pour transiger sur ces termes (ici l'assemblée se lève en masse et applaudit avec enthousiasme), et que ce qui était alors considéré comme trop par les constituants de l'empire, serait trop peu aujourd'hui. En outre, le fait même de ma présence dans cette enceinte, libre de toute influence, sans avoir pris conseil de personne, sans m'être entendu avec qui que ce soit, agissant entièrement et exclusivement pour moi-même, tout cela, gentlemen, vous donne la preuve que je ne refuse pas de reconnaître le zèle et l'énergie déployés par la Ligue (sans accepter naturellement la responsabilité de tout ce qu'elle a pu dire ou pu faire); que je ne refuse pas ma sympathie à cette lutte que vous, mes commettants du Yorkshire, vous soutenez avec tant de courage, et comme vous l'avez prouvé récemment, avec tant de libéralité, dans une cause où vous pensez, et vous pensez avec raison (applaudissements), que vos plus chers intérêts sont profondément engagés. Mais, gentlemen, quoiqu'il me fût facile de m'envelopper dans de vagues généralités, et de m'abstenir de toute expression contraire même à ceux d'entre vous dont les idées sont les plus absolues, cependant en votre présence, en présence de vos hôtes distingués, dussé-je réprimer ces applaudissements que vous avez fait retentir autour de moi, et refroidir l'ardeur qui se montre dans votre accueil, je me fais un devoir de déclarer que je ne suis pas préparé à m'interdire pour l'avenir,—soit que je vienne à penser que l'intérêt bien entendu du trésor le réclame, ou que je ne voie pas d'autre solution plus efficace à la question qui nous agite, soit encore que je le considère comme un grand pas dans la bonne voie,—dans ces hypothèses et autres semblables, je ne m'interdis pas la faculté d'acquiescer à un droit fixe et modéré. (Grands cris: «Non, non, cela ne nous convient pas.» Marques de désapprobation.) Je m'attendais à ce que la liberté que je dois néanmoins me réserver provoquerait ces signes de dissentiment. Mais après m'être prononcé comme je crois qu'il appartient à un honnête homme, qui ne saurait prévoir dans quel concours de circonstances il peut se trouver engagé, je déclare, avec la même franchise, que je ne suis nullement infatué du droit fixe. À vrai dire, réduit au taux modéré que j'ai indiqué, je ne lui vois plus cette importance qu'y attachent ses défenseurs et ses adversaires; et je suis sûr au moins de ceci: que je préférerais l'abrogation, même l'abrogation totale et immédiate, à la permanence de la loi actuelle pendant une année. (Tonnerre d'applaudissements.) Et même, si dans le cours de la présente année l'abrogation totale et immédiate pouvait être emportée,—comme je me doute que cela arriverait, gentlemen, si la décision dépendait de vous,—je ne serais certainement pas inconsolable, ni bien longtemps à en prendre mon parti. (Applaudissements.)—Sa Seigneurie déclare qu'elle a partagé la satisfaction de l'assemblée lorsque M. Plint a rendu compte des progrès de la cause de la liberté. Elle annonce qu'elle va porter ce toast: «À la prospérité du West-Riding; puissent les classes agricoles, manufacturières et commerciales, reconnaître que leurs vrais et permanents intérêts sont indissolublement unis et ont leur base la plus solide dans la liberté du travail et des échanges.» Après avoir peint en termes chaleureux les heureux résultats du commerce libre, le noble lord ajoute: «Je ne veux pas, gentlemen, développer ici une argumentation sérieuse et solennelle, peu en harmonie avec le caractère de cette fête, quoique je ne doute pas que votre détermination ne soit calme, mais sérieuse. (Oui! oui! nous sommes déterminés.) Mais ce que je voudrais faire pénétrer dans l'esprit de nos adversaires, des adversaires de la liberté de l'industrie, c'est que leur système lutte contre la nature elle-même et contre les lois qui régissent l'univers. (Applaudissements.) Car, gentlemen, quelle est l'évidente signification de cette diversité répandue sur la surface du globe, ici tant de besoins, là tant de superflu; tant de dénûment sur un point, et, sur un autre, une profusion si libérale? Les poëtes se sont plu quelquefois à peupler de voix les brises du rivage, et à prêter un sens aux échos des montagnes; mais les mots réels que la nature fait entendre, dans l'infinie variété de ses phénomènes, c'est: Travaillez, échangez,» etc.

Le maire de Leeds porte la santé de MM. Cobden, Bright et des autres membres de la députation de la Ligue.

M. Cobden. (Pendant plusieurs minutes les acclamations qui retentissent dans la salle empêchent l'orateur de se faire entendre. Quand le silence est rétabli, il déclare qu'il n'accepte pour lui et pour M. Bright qu'une partie des éloges qui ont été exprimés par le maire de Leeds. Il y a dans la Ligue d'énergiques ouvriers dont le nom n'est guère entendu au delà de la salle du conseil, et qui cependant ne travaillent pas avec moins de dévouement et d'efficacité que ceux qui, par la nature de leurs fonctions, sont plus en contact avec le public. Après quelques autres considérations, l'orateur continue ainsi): On nous a objecté dans une autre enceinte que le blé était une matière imposable. Gentlemen, comme free-traders, nous n'entendons pas nous immiscer dans le système des taxes levées sur le pays, et si l'on proposait de lever loyalement et équitablement un impôt sur le blé, sans que cet impôt, par une voie insidieuse, impliquât un odieux monopole, je ne pense pas qu'en tant que membres de la Ligue nous soyons appelés à intervenir, quoique une taxe sur le pain soit une mesure dont je ne connais aucun exemple dans l'histoire des pays même les plus barbares. Mais que nous propose-t-on? De taxer le blé étranger sans taxer le blé indigène; et l'objet notoire de ce procédé, c'est de conférer une protection au producteur national. Eh bien! nous nous opposons à cela, parce que c'est du monopole; nous nous opposons à cela en nous fondant sur un principe, et notre opposition est d'autant plus énergique, qu'il s'agit d'une taxe qui n'offre aucune compensation à la très-grande majorité de ceux qu'elle frappe. Il n'est pas au pouvoir du gouvernement, en effet, de donner protection aux manufacturiers et aux ouvriers; et, quant à eux, le monopole du pain est une pure injustice. S'il y a quelques personnes qui désirent, en toute honnêteté, asseoir une taxe sur le blé, qu'elles proposent, afin de montrer la loyauté de leur dessein, de prélever cette taxe, par l'accise, et sur le blé, à la mouture. Personnellement, je résisterai à cet impôt. Mais parlant comme free-trader, je dis que si l'on veut une loi céréale qui n'inflige pas un monopole au pays, il faut taxer les céréales de toutes provenances à la mouture, et laisser entrer librement les grains étrangers. Alors quiconque mangera du pain paiera la taxe; et quiconque produira du blé ne bénéficiera pas par la taxe. Je crois que lorsque la proposition se présentera sous cette forme, elle ne rencontrera pas l'agitation dans le pays, pas plus que la taxe du sel qui ne confère à personne d'injustes avantages (Applaudissements.) S'il faut que le trésor public prélève un revenu sur le blé, il en tirera dix fois plus d'une taxe à la mouture que d'un droit de douane, sans que le premier mode élève plus que le second le prix du pain[35].

M. Cobden répond à l'accusation qu'on a dirigée contre la Ligue, d'être trop absolue. Il adjure le meeting de ne se séparer jamais de la justice abstraite et des principes absolus. Nos progrès, dit-il, démontrent assez ce qu'il y a de force dans la ferme adhésion à un principe. Nous avions à instruire la nation, et qu'est-ce qui nous a soutenus? la vérité, la justice, le soin de ne nous laisser pas détourner par la séduction d'un avantage momentané, par aucune considération de parti, ou de stratégie parlementaire.

M. Cobden continue ainsi: Nous ne sommes point des hommes politiques; nous ne sommes point des hommes d'État, et n'avons jamais aspiré à l'être. Nous avons été arrachés à nos occupations presque sans nous y attendre. Je le déclare solennellement, si j'avais pu prévoir il y a cinq ans que je serais graduellement et insensiblement porté à la position que j'occupe, et dont je ne saurais revenir par aucune voie qui se puisse concilier avec l'honneur (bruyantes acclamations), si j'avais prévu, dis-je, tout ce que j'ai eu à sacrifier de temps, d'argent et de repos domestique à cette grande cause, quel que soit le dévouement qu'elle m'inspire, je crois que je n'aurais pas osé, considérant ce que je me dois à moi-même, ce que je dois à ceux qui tiennent de la nature des droits sacrés sur mon existence, accepter le rôle qui m'a été fait. (Acclamations.) Mais notre cause s'est peu à peu élevée à la hauteur d'une grande question politique et nationale; et maintenant que nous l'avons portée au premier rang entre toutes celles qui préoccupent le sénat, il nous manque des hommes dans ce sénat;—des hommes dont le caractère comme hommes d'État soit établi dans l'opinion,—des hommes qui, par leur position sociale, leurs priviléges et leurs précédents, soient en possession d'être considérés par le peuple comme des chefs politiques. Il nous manque de tels hommes dans la Chambre à qui nous puissions confier le dénoûment de cette lutte. (Applaudissements.) Et s'il est un sentiment qui, dans mon esprit, ait prévalu sur tous les autres, quand je suis entré dans cette enceinte, sachant que j'allais y rencontrer cet homme d'État distingué que ses commettants considèrent autant et plus que tout autre, comme le chef prédestiné à la conduite des affaires publiques de ce pays, si, dis-je, un sentiment a prévalu dans mon esprit, c'était l'espoir de saluer le nouveau Moïse qui doit, à travers le désert, nous faire arriver à la terre de promission. (Acclamations longtemps prolongées.) Je le déclare de la manière la plus solennelle, en mon nom, comme au nom de mes collègues, c'est avec bonheur que nous remettrions notre cause entre les mains d'un tel homme, s'il se faisait à la Chambre des communes le défenseur de notre principe; c'est avec bonheur que nous travaillerions encore aux derniers rangs, là où nos services seraient le plus efficaces, afin d'aider loyalement un tel homme d'État à attacher son nom à la plus grande réforme, que dis-je? à la plus grande révolution dont le monde ait jamais été témoin. (Applaudissements.)—Gentlemen, je ne désespère pas (les acclamations redoublent); nous travaillerons une autre année. (Applaudissements.) Je crois que le noble lord a parlé d'une année, il a demandé une année. Eh bien, nous travaillerons volontiers pour lui encore une année. (Applaudissements.) Et alors, quand il aura réfléchi sur nos principes; quand il se sera assuré de la justice de notre cause; quand ses calmes méditations, guidées par la délicatesse de sa conscience, l'auront amené à cette conviction que le droit et la justice sont de notre côté, j'espère qu'au terme de l'année qu'il se réserve, il se lèvera courageusement, pour imprimer à notre cause, au sein des communes, le sceau du triomphe. (Bruyantes acclamations.) Mais, après avoir exprimé cette sincère espérance, je dois vous rappeler que nous sommes ici comme membres de la Ligue. Nous sommes engagés à un principe, et je dois vous dire, habitants du West-Riding, qu'il est de votre devoir de montrer une entière loyauté dans votre attachement à ce principe. Vous pouvez être appelés à faire le sacrifice d'une affection personnelle aussi bien placée que bien méritée, à consommer, comme électeurs de ce pays, le plus douloureux sacrifice qui puisse vous être commandé. Je ne cherche ni à séduire ni à menacer le noble lord. Je sais qu'il est compétent, par l'étendue de son esprit et l'intégrité de son caractère, à juger par lui-même. Mais quant à nous, nos engagements ne sont pas envers les whigs ou envers les torys, mais envers le peuple. Je n'ajouterai qu'un mot. Le noble lord nous a dit: «Dieu vous protége; vous êtes dans la bonne voie, et j'espère que vous y avancerez sous votre bannière triomphante.» Et moi je lui dis: «Vous êtes dans le droit sentier, et Dieu vous protége tant que vous n'en dévierez pas!...»

Quelle que soit l'éloquence déployée par les orateurs qui se sont succédé, l'assemblée demeure longtemps encore sous l'impression de cette conférence qui laisse indécis un événement d'une haute importance.—Elle se sépare à minuit, des trains spéciaux ayant été retenus sur tous les chemins de fer, pour ramener chacun des assistants à son domicile.

MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE.
15 février 1844.

Le meeting hebdomadaire de la Ligue a eu lieu jeudi soir au théâtre de Covent-Garden.—En l'absence du président, M. George Wilson, M. Villiers, membre du Parlement, occupe le fauteuil. Nous avons extrait de son discours les passages suivants:

«Messieurs, notre estimable ami, M. Wilson, forcément retenu à la campagne, m'a requis d'occuper le fauteuil. Malgré mon inexpérience, j'ai accepté cette mission, parce que je crois que le temps est venu où il n'est permis à personne de rejeter le fardeau sur autrui, et de refuser sa cordiale assistance à l'œuvre de cette grande et utile association. L'objet de la Ligue est identifié avec le bien-être de la nation, mais le sinistre intérêt que nous combattons est malheureusement identifié avec le pouvoir et les majorités parlementaires. La Ligue a donc à surmonter de graves difficultés, et il lui faut redoubler d'énergie. (Applaudissements.) Nous vivons dans un temps où l'on ne manque pas de tirer avantage de ce qu'il reste au peuple d'ignorance et d'apathie à l'égard de ses vrais intérêts, et il ne faut pas espérer d'arriver à un gouvernement juste et sage, autrement que par la vigoureuse expression d'une opinion publique éclairée. C'est à ce résultat, c'est à réprimer le sordide abus de la puissance législative que la Ligue a consacré ses efforts incessants et dévoués. Le soin que mettent ses adversaires à calomnier ses desseins, montre assez combien ils redoutent ses progrès, et combien sa marche ferme et loyale trompe leur attente. L'objet que la Ligue a en vue a toujours été clair et bien défini; je ne sache pas qu'il ait changé. Elle aspire à populariser, à rendre manifestes, aux yeux de tous, ces doctrines industrielles et commerciales, qui ont été proclamées par les plus hautes intelligences. (Écoutez! écoutez!) Doctrines dont la vérité est accessible aux intelligences les plus ordinaires, dont l'application, commandée d'ailleurs par les circonstances de ce pays, a été conseillée par tout ce qu'il renferme d'hommes pratiques, prudents et expérimentés. Ce but, de quelque manière qu'il plaise aux monopoleurs et aux ministres qui leur obéissent de le présenter, mérite bien l'appui et la sympathie de quiconque porte un cœur ami du bien et de la justice. Depuis notre dernière réunion, je comprends que ce mot que l'autorité a mis à la mode, et sur lequel elle compte pour étouffer les plaintes de nos frères d'Irlande (immenses acclamations), je veux dire le mot conspiration, a été appliqué à ces meetings. (Rires ironiques.) Jusqu'à quel point ce mot s'applique-t-il avec quelque justesse à nos réunions? Je l'ignore. Ce que je sais, c'est que considérant le but pour lequel on allègue que nous sommes associés, il n'y a pas lieu de s'étonner si nos travaux ont répandu la colère et l'alarme dans le camp ennemi, et si nous sommes désignés comme des conspirateurs, sur l'autorité de celui à qui l'on attribue d'avoir proclamé que les doctrines que nous cherchons à faire prévaloir sont les doctrines du sens commun[36]. (Rires.) Car, certes, on ne saurait rien concevoir de plus funeste que le sens commun, à ceux qui ont fondé leur puissance sur les préjugés, l'ignorance et les divisions du peuple, à ceux qui ont tout à redouter de sa sagesse, et rien à gagner à son perfectionnement. (Applaudissements.) S'ils déploient maintenant contre la Ligue une nouvelle énergie, peut-être faut-il les excuser, car elle naît de cette conviction qui a envahi leur esprit, que nos doctrines font d'irrésistibles progrès, et que le temps approche où ce sentiment profond qu'on appelle sens commun prévaudra enfin dans le pays. En cela, du moins, je crois qu'ils ont raison, et tout—jusqu'aux procédés de l'anti-Ligue, qui a sans doute en vue autre chose que le sens commun,—concourt à ce résultat. Lorsqu'il s'agit de disculper une loi qui a provoqué contre elle cette puissante agitation, il faut autre chose, le sens commun réclame autre chose que l'invective, qui fait le fond de leur éloquence. Il faut autre chose pour disculper une loi accusée de n'avoir été faite à une autre fin que d'infliger la famine à une terre chrétienne (écoutez! écoutez!), alors surtout que cette loi, condamnée par les hommes de l'autorité la plus compétente, par les Russell et les Fitzwilliams, condamnée par le spectacle des maux qu'elle répand au sein d'une population toujours croissante, est maintenue par des législateurs qui ont à la maintenir un intérêt direct et pécuniaire. Je le répète, si l'invective grossière est la seule réponse que l'on sait faire à des imputations si graves et si sérieuses, c'est qu'il n'y en a pas d'autre; et alors le peuple est bien près de comprendre que demander pour le travail honnête sa légitime rémunération, pour les capitaux leurs profits naturels, sans la funeste intervention de la loi, que vouloir réduire la classe oisive et improductive à sa propriété, c'est proclamer non-seulement la doctrine du sens commun, mais la doctrine de l'éternelle justice. Les conspirateurs qui se sont unis pour répandre cette doctrine parmi le peuple, recueilleront, en dépit de l'injuste censure de l'autorité, l'honnête et cordial assentiment d'une nation reconnaissante.» (Applaudissements prolongés.)

Le meeting entend MM. Hume et Christie, membres du Parlement. La parole est ensuite à M. J. W. Fox.

M. Fox: Si les honorables membres du Parlement que vous venez d'entendre étaient condamnés à subir cet arrêt qui, grâces au ciel, se présente plus rarement qu'autrefois sur les lèvres du juge: «Qu'on les ramène d'où ils sont venus,» ils pourraient, je crois, annoncer à la Chambre des communes que la Ligue vit encore; car, pas plus tard qu'hier, on y affirmait que, depuis la déclaration de sir Robert Peel, au premier jour de la session, notre agitation était tombée dans l'insignifiance[37]. (Rires.) Oui, elle est tombée de chute en chute, d'un revenu de 50,000 liv. sterl. à un revenu de 100,000 liv.;—de petits meetings provinciaux à de splendides réunions comme celle qui m'entoure, et de l'humiliation de pétitionner la Chambre à l'honneur de guider dans la lutte les maîtres de cette assemblée. (Acclamations.) Quelle idée confuse, imparfaite, étrange, ne faut-il pas se faire de la Ligue, pour imaginer qu'elle va s'anéantir au souffle des membres du Parlement ou des ministres de la couronne! Eh quoi! les législateurs du monopole ne verraient-ils dans la Ligue qu'une mesquine coterie, qu'une pitoyable manœuvre de parti, choses qui leur sont beaucoup plus familières que les grands principes de la vérité et de la justice, que les puissants mouvements de l'opinion nationale? Et celui, entre tous, devant la volonté de qui la Ligue est le moins disposée à se courber, c'est ce ministre dont la bouche a si souvent soufflé le chaud et le froid, et qui dénonçait jadis, comme destructives de la constitution politique et de l'établissement religieux du royaume, ces mêmes mesures dont il se soumet maintenant à se faire l'introducteur. L'existence de la Ligue, le triomphe prochain qui l'attend, ne dépendent ni de Sir Robert Peel, ni d'aucun autre chef de parti. Nous abjurons toute alliance avec les partis. L'anti-Ligue s'enorgueillissait récemment d'avoir rallié à elle un grand nombre de whigs. Tant pis pour les whigs, mais non pas pour la Ligue. (Écoutez!) Notre force est dans notre principe; dans la certitude que la liberté du commerce est fatalement arrêtée dans les conseils de Dieu comme un des grands pas de l'homme dans la carrière de la civilisation. Les droits de l'industrie à la liberté des échanges peuvent être momentanément violés, confisqués par la ruse ou la violence; mais ils ne peuvent être refusés d'une manière permanente aux exigences de l'humanité. (Applaudissements.)... Mais ce que le monopole n'a pu faire avec toutes les ressources d'une constitution partiale, il espère le réaliser par le concours d'associations volontaires et d'efforts combinés. Non content de cette grande anti-Ligue, la Chambre des lords, et de cette anti-Ligue supplémentaire, la Chambre des communes, il couvre le pays de petites associations qui vont s'écriant:

Oh! laissez mon petit navire tendre aussi sa voile,
Partager la même brise et courir au même triomphe.

Et voyez jusqu'où les conduit l'esprit d'imitation! Elles se prennent à nous copier nous-mêmes. Elles commencent à pétitionner le Parlement, justement quand nous en avons fini avec les pétitions.—Elles dénoncent l'agitation. «L'agitation est immorale,» s'écrie le duc de Richmond, et disant cela, il se met à la tête d'une agitation nouvelle... Les monopoleurs déclarent que nous sommes passibles des peines de la loi. Mais s'il y a quelque impartialité dans la distribution de la justice, que font-ils autre chose, en nous imitant, que nous garantir contre ces peines? Non que je prenne grand souci du mot conspiration[38]; et en débutant tout à l'heure, j'aurais pu aussi bien choisir ce terme que tout autre et vous apostropher ainsi: «Mes chers conspirateurs.» Je ne tiens pas à déshonneur qu'on m'applique cette expression ou toute autre, quand j'ai la conscience que je poursuis un but légitime par des moyens légitimes. (Applaudissements.) Quel que soit l'objet spécial de notre réunion, je rougirais de moi-même et de vous, si nous usions du privilége de la libre parole et du libre meeting, sans exprimer notre sympathie envers ceux de nos frères d'Irlande que menacent des châtiments pour avoir usé des mêmes droits. (Acclamations enthousiastes et prolongées.) Je dis que c'est de la sympathie pour nous-mêmes et non pour eux. Car, entre tous les hommes, celui-là, sans doute, a moins besoin de sympathie que nul autre, qui, du fond de son cachot, si on l'y plonge, régnera encore sur la pensée, sur le cœur, sur le dévouement de la nation à laquelle il a consacré ses services. (Les acclamations se renouvellent.) C'est à nous-mêmes qu'elle est due, c'est au plus sacré, au plus cher des droits que possède le peuple de ce pays,—le droit de s'assembler librement,—en nombre proportionné à la grandeur de ses souffrances,—pour exposer ses griefs et en demander le redressement. Ce droit ne doit être menacé, où que ce soit, à l'égard de qui que ce soit, sans qu'aussitôt une protestation énergique et passionnée émane de quiconque apprécie la liberté publique et les intérêts d'une nation qui n'a d'autres garanties que la hardiesse de sa parole et son esprit d'indépendance. (Acclamations.)—Mais je reviens aux associations des prohibitionnistes. Incriminer la Ligue, semble être leur premier besoin et leur première pensée. Mais de quoi nous accusent-ils? Parmi leurs plates et mesquines imputations, les plus pitoyables figurent toujours au premier rang. La première résolution prise par une de ces associations agricoles consiste à déclarer que la Ligue fait une chose intolérable en envoyant dans le pays des professeurs salariés. Mais au moins elles ne peuvent pas nous accuser de salarier des rustres pour porter le désordre dans leurs meetings. Elles oublient aussi que la Ligue dispose d'une puissance d'enseignement qu'aucune richesse humaine ne saurait payer; puissance invisible, mais formidable, descendue du ciel pour pénétrer au cœur de l'humanité; puissance qui ouvre l'oreille de celui qui écoute et enflamme la lèvre de celui qui parle; puissance immortelle, partout engagée à faire triompher la liberté, à renverser l'oppression; et le nom de cette puissance, c'est l'amour de la justice. (Applaudissements.) Elles se plaignent aussi de nos pétitions, maintenant que nous y avons renoncé. Une foule d'anecdotes nous sont attribuées, parmi lesquelles celle d'un homme qui aurait inscrit de faux noms au bas d'une pétition contre la loi-céréale. Ils racontent, avec assez peu de discernement dans le choix de leur exemple, qu'un homme a été vu dans les cimetières inscrivant sur la pétition des noms relevés sur la pierre des tombeaux. (Rires.) Il ne manquait pas de subtilité, le malheureux, s'il en a agi ainsi, et il faut que le sens moral de nos adversaires soit bien émoussé pour qu'ils osent citer un tel fait à l'appui de leur accusation; car combien d'êtres inanimés peuplent les cimetières de nos villes et de nos campagnes, qui y ont été poussés par l'effet de cette loi maudite. Ah! si les morts pouvaient se mêler à notre œuvre, des myriades d'entre eux auraient le droit de signer des pétitions sur cette matière. Ils ont été victimes de ce système qui pèse encore sur les vivants, et s'il existait une puissance qui pût souffler sur cette poussière aride pour la réveiller, si ces pensées et ces sentiments d'autrefois pouvaient reprendre possession de la vie, si la tombe pouvait nous rendre ceux qu'elle a reçus sans cortége et sans prières:

«Car elle est petite la cloche qui annonce à la hâte le convoi du pauvre;»

s'ils accouraient du champ de repos vers ce palais où l'on codifie sur la mort et sur la vie, oh! la foule serait si pressée que les avenues du Parlement seraient inaccessibles; il faudrait une armée, Wellington en tête, pour frayer aux sénateurs un passage à travers cette multitude, et peut-être ils ne parviendraient à l'orgueilleuse enceinte que pour entendre le chapelain de Westminster prêcher sur ce texte: «Le sang de ton frère crie vers moi de la terre.» (Vive sensation.)

Après cette folle disposition à calomnier la Ligue, ce qui caractérise le plus les sociétés monopolistes, c'est une avalanche de professions d'attachement à l'ouvrier. Cette tendresse défraye leurs résolutions et leurs discours; il semble que le bien-être de l'ouvrier soit la cause finale de leur existence. (Rires.) Il semble, à les entendre, que les landlords n'ont été créés et mis au monde que pour aimer les ouvriers. (Nouveaux rires). Ils aiment l'ouvrier avec tant de tendresse, qu'ils prennent soin que des vêtements trop amples et une nourriture trop abondante ne déguisent pas sa grâce et n'altèrent pas ses belles proportions. Ils aiment sans doute, sur le principe invoqué par certain pasteur à qui l'on reprochait une douteuse orthodoxie. Que voulez-vous? disait-il, je ne puis croire qu'à raison de 80 liv. sterl. par an, tandis que mon évêque croit sur le taux de 15,000 livres. (Éclats de rires.) C'est ainsi que, dans leurs meetings, les landlords font montre envers les ouvriers d'un amour de 50 et 80,000 livres par an, mais ceux-ci ne peuvent les payer de retour que sur le pied de 7 à 8 shillings par semaine. (Rires prolongés...) Mais quand donc a commencé cet amour? Quelle est l'histoire de cette tendresse ardente et passionnée de l'aristocratie pour l'habitant des campagnes? Dans quel siècle est-elle née? Est-ce dans les temps reculés où le vieux cultivateur était tenu de dénoncer sur son bail le nombre d'attelages de bœufs et le nombre d'attelages d'hommes? Lorsque l'on engraissait les esclaves dans ce pays pour les vendre en Irlande, jusqu'à ce qu'il y eût sur le marché engorgement de ce genre de produits? Est-ce dans le quatorzième siècle, lorsque la peste ayant dépeuplé les campagnes, et que le manque de bras eût pu élever le taux de la main-d'œuvre, l'aristocratie décréta le Code des ouvriers,—loi dont on a fait l'éloge de nos jours,—qui ordonnait que les ouvriers seraient forcés de travailler sous le fouet et sans augmentation de salaires? Est-ce dans le quinzième siècle, quand la loi voulait que celui qui avait été cultivateur douze ans, fût pour le reste de sa vie attaché aux manches de sa charrue, sans qu'il pût même faire apprendre un métier à son fils, de peur que le maître du sol ne perdît les services d'un de ses serfs? Est-ce dans le seizième siècle, quand un landlord pouvait s'emparer des vagabonds, les forcer au travail, les réduire en esclavage et même les marquer, afin qu'ils fussent reconnus partout comme sa propriété? Est-ce à l'époque plus récente qui a précédé immédiatement la naissance de l'industrie manufacturière, période pendant laquelle les salaires mesurés en froment, baissèrent de moitié, tandis que le prix de ce même froment haussa du double et plus encore? Est-ce dans les temps postérieurs, sous l'ancienne ou la nouvelle loi des pauvres, qui, tantôt assujettissait l'ouvrier à la dégradation de recevoir de la paroisse, à titre d'aumône, un salaire honnêtement gagné, tantôt lui disait: Tu arrives trop tard au banquet de la nature, il n'y a pas de couvert pour toi; sois indépendant? Est-ce maintenant enfin, où l'ouvrier est gratifié de 2 shillings par jour quand il fait beau, qu'il perd s'il vient à pleuvoir, et où sa vie se consume en un travail incessant, jour après jour, et de semaine en semaine? À quelle époque donc trouvons-nous l'origine, où lisons-nous l'histoire, où voyons-nous les marques de cette paternelle sollicitude, qui, à en croire l'aristocratie, a placé la classe ouvrière sous sa tendre et spéciale protection? (Acclamations bruyantes et prolongées.) Si tels sont les sentiments de l'aristocratie envers les ouvriers, pourquoi ne donne-t-elle pas une attention plus exclusive à leurs intérêts? Les législateurs de cette classe ne s'abstiennent pas, d'habitude, de se mêler des affaires d'autrui. Ils se préoccupent des manufactures, où les salaires sont pourtant plus élevés que sur leurs domaines; ils réglementent les heures de travail et les écoles; ils sont toujours prêts à s'ingérer dans les fabriques de soie, de laine, de coton, en toutes choses au monde; et, sur ces entrefaites, voilà ces ouvriers qu'ils aiment tant, les voilà les plus misérables et les plus abandonnés de toutes les créatures! Quelquefois peut-être on distribuera à ceux d'entre eux qui auront servi vingt ans le même maître un prix de 10 shillings, toujours accompagné de la part du révérend président du meeting de cette allocution: «Méfiez-vous des novateurs, car la Bible enseigne qu'il y aura toujours des pauvres parmi vous.» (Honte! honte!)

Et que dirons-nous de la prétention des propriétaires au titre d'agriculteurs? On n'est pas savant parce qu'on possède une bibliothèque; et comme l'a dit énergiquement M. Cobden: «on n'est pas marin parce qu'on est armateur.» Les propriétaires de grands domaines n'ont pas davantage droit au titre honorable «d'agriculteurs.» Ils ne cultivent pas le sol; ils se bornent à en recueillir les fruits, ayant soin de s'adjuger la part du lion. Si un tel langage prévalait en d'autres matières, s'il fallait juger des qualités personnelles et des occupations d'un homme, par l'usage auquel ses propriétés sont destinées, il s'ensuivrait qu'un noble membre de la Ligue, le marquis de Westminster[39] serait le plus grand tuilier de Londres (rires), que le duc de Bedfort[40] en serait le musicien et le dramatiste le plus distingué, et que les membres du clergé de l'abbaye de Westminster, dont les propriétés sont affectées à un usage fort équivoque, seraient d'éminents professeurs de prostitution. (Rires et applaudissements.) Entre la Ligue et ses adversaires toute la question, dégagée de ces vains sophismes, se réduit à savoir si les seigneurs terriens, au lieu de n'être dans la nation qu'une classe respectable et influente, absorberont tous les pouvoirs et seront la nation, toute la nation, car c'est à quoi ils aspirent. Ils reconnaissent la reine, mais ils lui imposent des ministres; ils reconnaissent la législature, mais ils constituent une Chambre et tiennent l'autre sous leur influence; ils reconnaissent la classe moyenne, mais ils commandent ses suffrages et s'efforcent de nourrir dans son sein les habitudes d'une dégradante servilité; ils reconnaissent la classe industrielle, mais ils restreignent ses transactions et paralysent ses entreprises; ils reconnaissent la classe ouvrière, mais ils taxent son travail, et ses os, et ses muscles, et jusqu'au pain qui la nourrit. (Applaudissements.) J'accorde qu'ils furent autrefois «la nation». Il fut un temps où les possesseurs du sol en Angleterre formaient la nation, et où il n'y avait pas d'autre pouvoir reconnu. Mais qu'était-ce que ce temps-là? Un temps où le peuple était serf, était «chose», pouvait être fouetté, marqué et vendu. Ils étaient la nation! Mais où étaient alors tous les arts de la vie? où étaient alors la littérature et la science? Le philosophe ne sortait de sa retraite que pour être, au milieu de la foule ignorante, un objet de défiance et peut-être de persécution; bon tout au plus à vendre au riche un secret magique pour gagner le cœur d'une dame ou paralyser le bras d'un rival. Ils étaient la nation! et on les voyait s'élancer dans leur armure de fer, conduisant leurs vassaux au carnage, tandis que les malheureux qu'ils foulaient aux pieds n'avaient d'autres chances pour s'en défaire que de les écraser, comme des crustacés dans leur écaille. Ils étaient la nation! et quel était alors le sort des cités? Tout citoyen qui avait quelque chose à perdre était obligé de chercher auprès du trône un abri contre leur tyrannie, et de renforcer le despotisme pour ne pas demeurer sans ressources devant ces oligarques; en ce temps-là, s'il y avait eu un Rothschild, ils auraient eu sa dernière dent pour arriver à son dernier écu. Quand ils étaient la nation, aucune invention n'enrichissait le pays, ne faisait exécuter au bois et au fer l'œuvre de millions de bras; la presse n'avait pas disséminé les connaissances sur toute la surface du pays et fait pénétrer la lumière jusque dans la mansarde et la cabane; la marine marchande ne couvrait pas la mer et ne présentait pas ses voiles à tous les vents du ciel, pour atteindre quelque lointain rivage et en rapporter le nécessaire pour le pauvre et le superflu pour le riche. Non, non, la domination du sol n'est pas la nationalité; la pairie n'est pas la nation. Les cœurs et les cerveaux entrent pour quelque chose dans la constitution d'un peuple. Le philosophe qui pense, l'homme d'État qui agit, le poëte qui chante, la multitude qui travaille; voilà la nation. (Applaudissements.) L'aristocratie y prend noblement sa place, lorsque, ainsi que plusieurs de ses membres qui appartiennent à notre association, elle coopère du cœur et du bras à la cause de la patrie et au perfectionnement de l'humanité. De tels hommes rachètent l'ordre auquel ils appartiennent et le couvrent d'un lustre inhérent à leur propre individualité. Nous regardons comme membre de la communauté quiconque travaille, soit par l'intelligence, soit d'une main calleuse, à rendre la nation grande, libre et prospère! Certes, si nous considérons la situation des seigneurs terriens dans ce pays, nous les voyons dotés de tant d'avantages, dont ils ne sauraient être dépouillés par aucune circonstance, aucun événement, à moins d'une convulsion sociale, terrible et universelle, qu'en vérité ils devraient bien s'en contenter, «trop heureux s'ils connaissaient leur bonheur.» Car il est vrai, comme on l'a dit souvent, que l'Angleterre est le paradis des propriétaires, grâce à l'indomptable énergie, à l'audacieux esprit d'entreprise de ses enfants. Que veulent-ils de plus? Le sol n'est-il pas à eux d'un rivage à l'autre? N'est-il pas à eux, l'air que sillonnent les oiseaux du ciel? Il n'est pas un coin de la terre où nous puissions enfoncer la charrue sans leur permission, bâtir une chaumière sans leur consentement; ils foulent le sol anglais comme s'ils étaient les dieux qui l'ont tiré du néant, et ils veulent encore élever artificiellement le prix de leurs produits! Maîtres du sol, ils veulent encore être les maîtres de l'industrie et s'adjuger une part jusque sur le pain du peuple! Que leur faut-il donc pour les contenter? Ils ont affranchi de toutes charges ces domaines acquis non par une honnête industrie, mais par l'épée, la rapine et la violence. Jadis ils avaient à soutenir l'Église et l'État, à lever les corps de troupes, quand il plaisait au roi de les requérir, pour la conquête, ou pour la défense nationale. Maintenant l'aristocratie a su convertir en sources d'émoluments les charges mêmes qui pesaient sur ses terres, et elle tire de l'armée, de l'église et de toutes nos institutions, des ressources pour ses enfants et ses créatures; et cependant elle veut encore écraser l'industrie sous le poids d'un fardeau plus lourd qu'aucun de ceux qui pesèrent jamais sur ses domaines!—Libre échange! ce fut, il y a des siècles, le cri de Jean Tyler et de ses compagnons, que le fléau des monopoles avait poussés à l'insurrection. L'épée qui le frappa brille encore dans l'écusson de la corporation de Londres, comme pour nous avertir de fuir toute violence, nous qui avons embrassé la même cause et élevé le même cri: Libre échange! (Applaudissements enthousiastes.) Libre échange, non pour l'Angleterre seulement, mais pour tout l'univers. (Acclamations.) Quoi! ils trafiquent librement de la plume, de la parole et des suffrages électoraux, et nous ne pouvons pas échanger entre nous le fruit de nos sueurs? Nous demandons que l'échange soit libre comme l'air, libre comme les vagues de l'Océan, libre comme les pensées qui naissent au cœur de l'homme! (Applaudissements.) Ne prennent-ils pas aussi leur part, et la part du lion, dans la prospérité commerciale? Qu'ont fait les machines, les bateaux à vapeur, les chemins de fer, pour le bien-être du peuple, qui n'ait servi aussi à élever la valeur du sol et le taux de la rente? Leurs journaux font grand bruit depuis quelques jours de ce qu'ils appellent un «grand fait». «Le froment, disent-ils, n'est pas plus cher aujourd'hui qu'en 1791, et comment le cultivateur pourrait-il soutenir la concurrence étrangère, lorsque, pendant cette période, ses taxes se sont accrues dans une si énorme proportion?» Mais ils omettent de dire que, quoique le prix du blé n'ait pas varié depuis 1791, la rente a doublé et plus que doublé. (Écoutez!) Et voilà le vrai fardeau qui pèse sur le fermier, qui l'écrase, comme il écrase tout notre système industriel.—Oh! que l'aristocratie jouisse de sa prospérité, mais qu'elle cesse de contrarier, d'enchaîner l'infatigable travail auquel elle la doit. Nous ne la craignons pas, avec ses forfanteries et ses menaces. Nous sommes ici librement, et ils siégent à Westminster par mandat royal; nos assemblées sont accessibles à tous les hommes de cœur, et leurs salles sénatoriales ne sont que des enceintes d'exclusion. Ici, nous nous appuyons sur le droit; là, ils s'appuient sur la force; ils nous jettent le gant, nous le relevons et nous leur jetons le défi à la face. (Acclamations, l'assemblée se lève saisie d'enthousiasme; on agite pendant plusieurs minutes les chapeaux et les mouchoirs.) Nous marcherons vers la lutte,—opinion contre force,—respectant la loi, leur loi, en esprit d'ordre, de paix et de moralité; nous ferons triompher cette grande cause, et ainsi nous affranchirons,—eux, de la malédiction qui pèse toujours sur la tête de l'oppresseur,—nous, de la spoliation et de l'esclavage,—le pays, de la confusion, de l'abattement, de l'anarchie et de la désolation. (Applaudissements.) Le siècle de la féodalité est passé; l'esprit de la féodalité ne peut plus gouverner ce pays. Il peut être fort encore du prestige du passé; il peut briller dans la splendeur dont les efforts de l'industrie l'ont environné; il peut se retrancher derrière les remparts de nos institutions; il peut s'entourer d'une multitude servile; mais l'esprit féodal n'en doit pas moins succomber devant le génie de l'humanité. L'esprit, le génie, le pouvoir de la féodalité, ont fait leur temps. Qu'ils fassent place aux droits du travail, aux progrès des nations vers leur affranchissement commercial, intellectuel et politique! (L'orateur reprend sa place au milieu d'applaudissements enthousiastes qui se renouvellent longtemps avec une énergie dont il est impossible de donner une idée.)

Le président: Ladies et gentlemen, les travaux du meeting sont terminés. Après l'admirable discours que vous venez d'entendre, je suis fâché de vous retenir un moment; mais un fait vient de parvenir à ma connaissance et je crois devoir le communiquer au meeting avant qu'il se disperse.—L'homme éminent auquel M. Fox a fait allusion dans son éloquent discours, ce grand homme qui, par la cause qu'il représente et le traitement qu'il a reçu, excite, j'ose le dire, plus d'intérêt et de sympathie que tout autre sujet de la reine, M. O'Connell (tonnerre d'applaudissements), a été prié d'assister au prochain meeting, et toujours fidèle à notre cause, il a déclaré qu'il saisirait la première occasion de manifester son attachement inébranlable aux principes de la Ligue. (Acclamations.)

Le meeting se sépare après avoir poussé trois hurrahs en faveur de M. O'Connell.

MEETING HEBDOMADAIRE DE LA LIGUE AU THÉÂTRE DE COVENT-GARDEN.
21 février 1844.

Le meeting métropolitain de la Ligue, tenu mercredi dernier au théâtre de Covent-Garden, formera certainement un des traits les plus remarquables dans l'histoire de l'agitation commerciale.

Le nombre des billets demandés pendant la semaine a dépassé trente mille. Il n'y a aucune exagération à dire que si la salle eût pu contenir ce nombre d'assistants, elle aurait été encore bien étroite relativement aux besoins de la circonstance. Longtemps avant cinq heures, la foule encombrait toutes les avenues du théâtre; elle est devenue telle, en peu de temps, qu'on a jugé à propos d'ouvrir toutes les portes. Aussitôt toutes les parties de la salle ont été envahies, une foule épaisse a stationné pendant toute la soirée dans les rues adjacentes, répondant par des applaudissements enthousiastes aux acclamations qui s'élevaient dans l'enceinte du meeting. À sept heures, le président, accompagné des membres du conseil et d'un grand nombre de personnages de distinction, s'est présenté sur l'estrade, mais M. O'Connell n'est arrivé qu'à près de 8 heures. Lorsque l'honorable membre a fait son entrée, l'enthousiasme de l'assemblée n'a plus connu de bornes. Les acclamations de l'auditoire, répétées au dehors, ont duré un quart d'heure, et il n'a fallu rien moins pour les apaiser que l'épuisement des forces physiques. Une autre circonstance, qui a excité au plus haut degré l'intérêt du meeting, c'est la présence de M. Georges Thompson, récemment arrivé de l'Inde. Nous avons remarqué, sur la plate-forme, des Aldermen, plusieurs généraux et une trentaine de membres du Parlement.

M. James Wilson a la parole. Malgré l'excitation de l'assemblée, ce profond économiste traite avec sa vigueur accoutumée quelques points relatifs à la liberté du commerce. Il est plusieurs fois interrompu par la fausse annonce de M. O'Connell. Enfin on apprend que le grand patriote irlandais va paraître. Toute l'assemblée se lève spontanément et ébranle les voûtes de Covent-Garden par des salves réitérées d'applaudissements. Les acclamations durent sans interruption pendant dix minutes consécutives. Toutes les voix s'unissent, tous les bras sont tendus, on agite les chapeaux, les mouchoirs, les shalls. M. O'Connell s'avance et salue l'assemblée à plusieurs reprises, mais chacun de ses saluts ne fait que provoquer de nouvelles manifestations d'enthousiasme. Enfin l'honorable gentleman prend sa place, et M. Wilson continue son discours. Mais c'est surtout quand M. O'Connell se présente devant la table des orateurs que l'enthousiasme atteint son paroxysme. Covent-Garden en est ébranlé jusques aux fondements. Il est impossible d'exprimer ce qu'il y a d'imposant dans les acclamations de six mille voix auxquelles répondent du dehors les applaudissements d'une multitude innombrable. M. O'Connell paraît très-ému. Il essaye en vain de se faire entendre. Enfin le silence s'étant fait, il s'exprime en ces termes:

En me présentant au milieu de vous, mon intention était de faire ce soir un discours éloquent; mais j'en cède la partie la plus sonore à un autre, et je commence par vous présenter 100 l. s. de la part d'un de mes amis qui est aussi un ami de la justice. (Applaudissements.) De telles souscriptions ont aussi leur éloquence, et si vous en obtenez 999 semblables, vous aurez vos 100,000 l. s. (Rires d'approbation.) Mais hélas! là s'arrête mon éloquence, car où trouverais-je des expressions, de quel langage humain pourrais-je revêtir les sentiments de gratitude et de reconnaissance dont mon cœur est en ce moment pénétré? On dit que ma chère langue irlandaise excelle à exprimer les affections tendres, mais il n'est pas au pouvoir d'une langue humaine, il n'est pas au pouvoir de l'éloquence, fût-elle imprégnée de la plus séraphique douceur, de rendre ces élans de gratitude, d'orgueil, d'excitation d'âme que votre accueil me fait éprouver. (Nouvelles acclamations.) Oh! cela est bien à vous! et c'est pour cela que vous l'avez fait. Cela est généreux de votre part, et vous avez voulu me donner cette consolation! À toute autre époque de ma vie j'aurais été justement fier de votre réception; mais je puis dire que je me trouve dans des circonstances, auxquelles je ne ferai pas autrement allusion[41],—qui décuplent et centuplent ma reconnaissance.—Je suis venu ici ce soir résolu à garder cette neutralité politique qui est le caractère distinctif de votre grande lutte. Il doit m'être permis de dire cependant, puisqu'aussi bien cela ne s'écarte pas de la question des lois-céréales, que je me réjouis de voir les ducs de Buckingham et de Richmond commencer à soupçonner qu'ils pourraient bien, eux aussi, être des «conspirateurs[42].» (Approbation et rires.) C'est pourquoi ils sont partis—couple de vaillants chevaliers,—et de peur de se laisser entraîner par trop de vaillance, ils s'adressent à un magicien, dans le temple—un certain M. Platt—bonne créature—et lui demandent humblement: Dites, sommes-nous des conspirateurs?—«Non, dit M. Platt, vous ne l'êtes pas.»—Il les regarde et voit qu'ils n'appartiennent pas à cette classe qui produit les conspirateurs, car le conspirateur penche toujours quelque peu du côté populaire. (Nouveaux rires.)—«Non, répète M. Platt, vous n'êtes pas des conspirateurs.» Mais malgré cette décision, je ne conseille pas aux nobles ducs de tenter l'épreuve de l'autre côté du canal. (Rires prolongés et acclamations.) Oui, votre réception m'est délicieuse, et je sens mon cœur prêt à éclater sous le sentiment de la joie, à l'aspect de cette sympathie entre les enfants de l'Angleterre et de l'Irlande. (Bruyantes acclamations.) Je vous ai dit que votre générosité me touche. Ah! croyez bien que s'il existe sous le ciel une vertu qui surpasse la virile générosité des Anglais, on ne pourrait la trouver que dans la reconnaissance des Irlandais.—Oui, je le répète, votre conduite est noble, mais elle ne s'adresse pas à un ingrat.

Votre vénéré président a daigné m'introduire auprès de vous par quelques paroles bienveillantes. Il m'a rendu justice en disant que je suis, que j'ai toujours été un constant ami de la Ligue. Je le suis non par choix ou par prédilection, mais par la profonde conviction que ses principes sont ceux du bien général. (Écoutez! écoutez!) J'ai été élu au présent Parlement par deux comtés d'Irlande qui présentent ensemble une population agricole de plus de 1,100,000 habitants: les comtés de Meath et de Cork. Je représente le comté de Cork qui contient 756,000 habitants voués à l'agriculture. Je n'avais aucun moyen d'acheter ou d'intimider leurs suffrages, aucun ascendant seigneurial pour influencer leurs convictions consciencieuses; mon élection ne m'a pas coûté un shilling, et une majorité de 1,100 votants, dans un district agricole, m'a envoyé au Parlement, sachant fort bien mes sentiments à l'égard des lois-céréales, et que j'étais l'ennemi très-décidé de toute taxe sur le pain du peuple. (Acclamations.) Bien plus, non-seulement mon opinion était connue, mais je l'avais si souvent émise et développée, que la même conviction s'était étendue dans tout le pays, à tel point que les monopoleurs n'ont pas essayé d'un seul meeting dans toute l'Irlande.—Je me trompe, ils en ont eu un où ils furent battus (rires); milord Mountcashel y assistait. (Murmures et sifflets.) Le pauvre homme! il y était, et en vérité il y faisait une triste figure; car il disait: «Nous autres, de la noblesse, nous avons des dettes, nos domaines sont hypothéqués, et nous avons des charges domestiques.» Un pauvre diable s'écria dans la foule: «Que ne les payez-vous?» (Rires.) Quelle fut la réponse, ou du moins le sens de la réponse? «Grand merci, dit milord, je ne paierai pas mes dettes, mais les classes laborieuses les paieront. J'obtiens un prix élevé de mes blés sous le régime actuel. Je serais disposé à être un bon maître et à réduire les fermages, si je le pouvais. Mais j'ai des dettes, je dois maintenir mes rentes, pour cela assurer à mes blés un prix élevé, et, au moyen de cette extorsion, je paierai mes créanciers... quand il me plaira.» (Rires.)—Il n'y a en tout cela qu'une proposition qui soit parfaitement assurée, c'est que milord Mountcashel obtiendra un grand prix de son blé; quant à l'acquittement des dettes, il reste dans ce qu'on appelle à l'école le paulò post futurum, c'est-à-dire cela arrivera une fois ou autre. (Rires.)

Et, pas plus tard qu'hier, voici que le duc de Northumberland s'écrie, dans une proclamation à ses tenanciers: «Vous devez former des associations pour le maintien des lois-céréales; car ces misérables et importuns conspirateurs de la Ligue vous disent que si ces lois sont abrogées, vous aurez le pain à bon marché. N'en croyez pas un mot,» ajoute-t-il.—Je pense pouvoir vous prouver qu'il ne s'en croit pas lui-même. Ne serait-ce pas une chose curieuse de voir un noble duc forcé de reconnaître qu'il ne croit pas à ses propres paroles? (Rires.) Cependant en voici la preuve. Il a conclu par ces mots: «La protection nous est nécessaire.» Mais quel est le sens de ce mot: protection? Protection veut dire 6 deniers de plus pour chaque pain. C'est là la vraie traduction irlandaise. (Rires et applaudissements.) Protection, c'est le mot anglais qui signifie 6 deniers additionnels, et, qui plus est, 6 deniers extorqués.—Vous voyez bien que protection, c'est spoliation (applaudissements) et spoliation du pauvre par le riche; car si le pauvre et le riche paient également ce prix additionnel de 6 deniers par chaque pain, le pain n'entre pas pour la millième partie dans la dépense d'un Northumberland, tandis qu'il constitue les neuf dixièmes de celle de la pauvre veuve et de l'ouvrier; mais c'est un de vos puissants aristocrates, un de vos excessivement grands hommes, et son ombre ose à peine le suivre. (Rires bruyants et prolongés.) En voici un autre qui est un Ligueur, mais de cette Ligue qui a pour objet la cherté du pain; c'est un autre protectionniste, c'est un autre homme de rapine. (Rires.) Il dit: «Oh! ne laissez pas baisser le prix du pain, cela serait horrible!» (Ici quelque confusion se manifeste au fond du parterre.)—Je crois qu'il y a là-bas quelques mangeurs de gens qui viennent troubler nos opérations.—Ce grand homme dit donc: «Cela serait horrible de vendre le pain à bon marché, car alors les bras seraient moins employés, et le taux des salaires baisserait.» Voyons comment cela peut être. Si le pain était à bon marché, ce serait parce que le blé viendrait des pays où on l'obtient à bas prix. Pour chaque livre sterling de blé que vous achèteriez dans ces pays, vous y enverriez pour une livre sterling d'objets manufacturés, de manière qu'au lieu de voir les salaires diminués, vous verriez certainement les bras plus recherchés. Cela est clair comme 2 et 2 font 4, et l'objection tombe complétement. Je parle ici comme un représentant de l'Irlande, et fort de la connaissance que j'ai de ce pays essentiellement agricole. Si votre législation devait avoir pour effet d'élever le taux des salaires, cet effet se serait fait sentir surtout en Irlande. Oserait-on dire qu'il en a été ainsi? Oh! non, car vous pouvez y faire travailler un homme tout un jour pour 4 deniers. (Honte! honte!) L'ouvrier regarde comme son bienfaiteur le maître qui lui paie 6 deniers, et il croit atteindre la félicité suprême quand il obtient 8 deniers.—Tel est l'effet de la loi-céréale, elle agit en Irlande dans toute sa force, elle fait pour ce pays tout ce qu'elle peut faire, et cependant voilà le taux des salaires, et ce qu'il y a de pis, c'est que l'on n'y trouve pas d'emploi, même à ce taux.—Voilà pourquoi le peuple d'Irlande, et ceux même de la noblesse qui étudient en conscience les affaires publiques, voient cette question au même point de vue que je la vois moi-même; en sorte que bien loin que l'Irlande soit un obstacle sur votre route, bien loin qu'elle soit une de vos difficultés (rires), elle est à vous tout entière, et de cœur et d'âme. (Applaudissements enthousiastes.) N'en avons-nous pas une preuve dans la présence au milieu de nous du représentant de Rochdale (acclamations), qui est un des plus grands propriétaires de l'Irlande, et un ami, vous le savez, de la liberté partout et pour tous. Je fais allusion à M. Crawford, qui représentait un comté d'Irlande avant de représenter un bourg d'Angleterre, et qui était Ligueur dans l'âme avant d'être membre du Parlement. (Bruyantes acclamations.) Il est donc clair que vous avez pour vous l'assentiment et les vœux de l'Irlande, et vous n'aurez pas peu de part dans sa reconnaissance, quand elle apprendra l'accueil que je reçois de vous. Non, Anglais, le bruit des acclamations dont vous avez salué ma présence n'expirera pas dans les murs de cette enceinte. Il retentira dans votre métropole; les vents d'orient le porteront en Irlande; il remontera les rives du Shannon, de la Nore, de la Suir et du Barrow; il réveillera tous les échos de nos vallées; l'Irlande y répondra par des accents d'affection et de fraternité; elle dira que les enfants de l'Angleterre ne doivent pas être affamés par la loi. (Acclamations qui durent plusieurs minutes.)—Je vous déclare que l'injustice et l'iniquité de l'aristocratie m'accablent d'une horreur et d'un dégoût que je suis incapable d'exprimer. Eh quoi! si la loi-céréale actuelle n'existait pas; si le ministère osait présenter un bill de taxes sur le pain; s'il plaçait un agent à la porte du boulanger, chargé d'exiger le tiers du prix de chaque pain, taxe que le boulanger se ferait naturellement rembourser par le consommateur, y a-t-il un homme dans tout le pays qui supporterait une telle oppression? (Grands cris: Écoutez! écoutez!) Il ne servirait de rien au ministre de dire: «Cet argent est nécessaire à mes plans financiers; j'en ai besoin pour l'équilibre des recettes et des dépenses.» John Bull vociférerait: «Taxez ce qu'il vous plaira, mais ne taxez pas le pain.» Mais ne voit-on pas que, par le chemin détourné de la protection, ils font absolument la même chose? Ils taxent le pain, non pour le bien de l'État,—du moins chacun y participerait,—non pour repousser l'invasion étrangère et pour maintenir la paix intérieure, mais pour le profit d'une classe, pour mettre l'argent dans la poche de certains individus. (Écoutez! écoutez!) Véritablement, c'est trop mauvais pour que vous le supportiez et prétendiez passer pour un peuple jaloux de ses droits. (Rires.)

Je ne voudrais pas sans doute en ce moment vous manquer de respect; mais tout ceci dénote quelque chose de dur et d'épais dans les intelligences que je ne m'explique pas. (Murmures d'approbation.) Duc de Northumberland! vous n'êtes pas mon roi! je ne suis pas votre homme-lige, je ne vous paierai pas de taxes. (Bruyantes acclamations.) Duc de Richmond! il y a eu des Richmond avant vous, vous pouvez avoir du sang royal dans vos veines; vous n'êtes pas mon roi cependant, je ne suis pas votre homme-lige, et je ne vous paierai pas de taxes! (Applaudissements.) Qu'ils s'unissent tous; c'est à nous de nous unir aussi,—paisibles, mais résolus,—tranquilles, mais fermes, décidés à en finir avec ces sophismes, ces tromperies et ces extorsions.—J'aimerais à voir un de ces nobles ducs prélever sa taxe en nature.—J'aimerais à le voir, pénétrant dans une des étroites rues de nos villes manufacturières, et s'avançant vers le pauvre père de famille qui, après le poids du jour, affecte d'être rassasié pour que ses enfants affamés se partagent une bouchée de plus,—ou vers cette malheureuse mère qui s'efforce en vain de donner un peu de lait à son nourrisson, pendant que son autre fils verse des larmes parce qu'il a faim.—J'aimerais, dis-je, à voir le noble duc survenir au milieu de ces scènes de désolation, s'emparer de la plus grosse portion de pain, disant: «Voilà ma part, la part de ma taxe, mangez le reste si vous voulez.» Si la taxe se prélevait ainsi, vous ne la toléreriez pas, et cependant, voilà ce que fait le lord, sous une autre forme. Il ne vous laisse pas entrevoir le fragment de pain, avant de l'emporter, seulement il prend soin qu'il ne vous arrive pas, et il vous fait payer de ce pain un prix pour lequel vous pourriez avoir et ce pain et le fragment en sus, si ce n'était la loi. (Écoutez! écoutez!) Oh! j'aurais mieux auguré de l'ancienne noblesse d'Angleterre; je me serais attendu à quelque chose de moins vil de la part de ces hommes qui, je ne dirai pas «conspirent», car ils ne sont pas conspirateurs,—je ne dirai pas «se concertent,» quoique ce soit un crime qu'on ne punit guère que chez les pauvres,—mais qui se réunissent pour décider que le peuple paiera le pain plus cher qu'il ne vaut. Je répéterai ma proposition encore et encore, parce que je désire la fixer dans l'esprit de ceux qui m'écoutent; c'est du vol, c'est du pillage. Ne nous laissons pas prendre à l'appât de l'augmentation des salaires. Augmentation des salaires! mais ouvrez le premier livre venu d'économie politique, vous y verrez que chaque fois que le pain a été à bas prix, les salaires ont été élevés; ils ont été doublement élevés puisque l'ouvrier avait plus d'argent et achetait plus de choses avec le même argent. Tout cela est aussi clair que le soleil—et nous nous laissons embarrasser par ces sophismes! Il semble que nous soyons des bipèdes sans tête et qui pis est sans cœur. Oh! finissons-en avec ce système! (Applaudissements.)

Le Parlement n'est-il pas composé de monopoleurs? n'y sont-ils pas venus en grande majorité, non-seulement des comtés, grâce à la clause Chandos, moins encore en achetant des bourgs[43]!

Il y a deux ans, on admettait ouvertement, aux deux côtés de la Chambre, que jamais la corruption n'avait autant influencé l'élection d'un Parlement. M. Roebuck le proclamait d'un côté; sir R. Peel l'admettait de l'autre sans difficulté. Quoique opposés en toute autre chose, ils étaient au moins parfaitement d'accord sur ce point. (Rires.)—Et voilà vos modèles de vertu et de piété; voilà les soutiens de l'Église; voilà les hommes qui puniraient volontiers un malheureux s'il venait à se tromper le dimanche sur le chemin qui conduit au temple; oui, ces grands modèles de moralité lèvent vers le ciel le blanc des yeux, contristés qu'ils sont par l'iniquité d'autrui, lorsqu'eux-mêmes mettent les mains dans les poches du malheureux qui a besoin de nourrir sa famille! (Immenses acclamations.) Oh! cela est trop mauvais. Voilà ce qu'il faudrait «proclamer» dans tout le pays. Voilà ce qui doit inspirer aux hommes justes et sages de la défiance, de la désaffection et du dégoût. Si les nobles seigneurs épousent la cause du pauvre et du petit, oh! que toutes les bénédictions du ciel se répandent sur eux; mais s'ils persistent à appauvrir le pauvre, à augmenter la souffrance de celui qui souffre, à accroître la misère et le dénûment,—afin que le riche devienne plus riche et fasse servir la taxe du pain à libérer ses domaines, alors je dis: Honte à eux, qui pratiquent l'iniquité; et honte à ceux qui ne font pas entendre leurs doléances, jusqu'à ce que la grande voix de l'humanité, comme un tonnerre, effraye le coupable, et donne au pays et au peuple la liberté. (Bruyantes acclamations.) Oui, mes seigneurs, vous entrez dans la bonne voie et je suis convaincu que vos efforts pour contre-balancer ceux de la Ligue auront un effet contraire. Nous voici donc à même d'argumenter avec eux. Amenez-les à raisonner, et ils sont perdus. Qu'ils viennent à l'école primaire (et beaucoup d'entre eux n'ont guère jamais été au delà), nous leur disputerons le terrain pied à pied; nous les combattrons de point en point. Plus ils entraîneront de monde à leurs meetings, plus nous aurons de chances de voir la vérité se répandre, et les fermiers surmonter l'illusion dont on les aveugle.—Pourquoi les seigneurs n'accordent-ils pas de baux aux fermiers? Ceux-ci ne seraient-ils pas mis à même par là de nourrir leurs ouvriers et de prendre part dans leur voisinage aux associations de bienfaisance? Mais non; le seigneur veut tout avoir. Son nom est Behemoth, et il est insatiable. (Rires et applaudissements.) Vous êtes engagés dans une lutte glorieuse, et je suis fier qu'il me soit donné d'y prendre part avec vous. C'est avec une joie profonde que j'y apporte la coopération de mes talents, quelque faibles qu'ils soient, et le secours d'une voix fatiguée par de longues épreuves. Tels qu'ils sont, je les consacre de grand cœur à votre cause sacrée. (Applaudissements.) Je me hasarderai à dire de moi-même qu'on m'a trouvé du côté de la liberté dans toutes les questions qui ont été agitées, depuis que je fais partie du Parlement. Je ne demande pas à quelle race, à quelle caste, à quelle couleur appartient une créature humaine, je réclame pour elle les priviléges et les droits de l'homme, et la protection, non du vol et du pillage, mais la protection contre l'iniquité quelle qu'elle soit. (Bruyantes acclamations.) Je ne puis donc que m'unir à vous; et, quel que soit le sort qui m'attend,—que ce soit la prison ou même l'échafaud (grands cris: Non, non, jamais! jamais!)—je suis convaincu que si cela dépendait de vos votes, il n'en serait pas ainsi. (Une voix: Nous ne sommes pas contre vous.) Je crois à votre sincérité (rires),—je me félicite d'être engagé avec vous dans cette lutte. J'en comprends toute la portée. Je sais combien la liberté des échanges favoriserait votre commerce en vous ouvrant des débouchés; je sais combien elle contribuerait à renverser l'ascendant politique d'une classe, ascendant qui me semble avoir sa racine dans la loi-céréale. C'est là un stimulant à tous les genres d'iniquité. L'aristocratie comprend l'injustice de sa position, et elle appelle à sa défense toute la force, toutes les formalités de la législation. Mais elle ne réussira pas,—les yeux du peuple sont ouverts; l'esprit public est éveillé. Jamais l'Angleterre n'a voulu et voulu en vain.—Jadis elle poussa sa volonté jusqu'à l'extravagance, et fit tomber sur l'échafaud la tête d'un monarque insensé. Ce fut une folie, car elle amena le despotisme militaire qui suit toujours la violence. Plus tard, le fils de ce roi viola les lois du pays, et le peuple, instruit par l'expérience, n'abattit pas sa tête, mais se contenta de l'exiler pour avoir foulé aux pieds les droits de la nation.—Ces violentes mesures ne sont plus nécessaires; elles ne sont plus en harmonie avec notre époque. Ce qui est nécessaire, c'est un effort concerté et public; cet effort commun qui naît de la sympathie, de l'électricité de l'opinion publique. Oh oui! cette puissante électricité de l'opinion s'étendra sur tout l'empire. L'Écosse partagera notre enthousiasme; les classes manufacturières sont déjà debout, les classes agricoles commencent à comprendre qu'elles ont les mêmes intérêts. Le temps approche... il est irrésistible. Ils peuvent tromper çà et là quelques électeurs; d'autres peuvent être intimidés; mais l'intelligence publique marche, comme les puissantes vagues de l'Océan. Le tyran des temps anciens ordonna aux flots de s'arrêter, mais les flots s'avancèrent malgré ses ordres et engloutirent l'insensé qui voulait arrêter leurs progrès.—Pour nous, nous n'avons pas besoin d'engloutir les grands seigneurs, nous nous contenterons de leur mouiller la plante des pieds. (Rires.) Mais, vraiment, cette lutte offre un spectacle magnifique; quel pays sur la surface de la terre aurait pu faire ce que vous avez fait? L'année dernière, vous avez souscrit 50,000 liv. sterl., c'est le revenu de deux ou trois petits souverains d'Allemagne. Cette année vous aurez 100,000 liv. sterl., et, s'il le faut, vous en aurez le double l'année prochaine. (Applaudissements.) Oui, ce mouvement présente le spectacle d'un majestueux progrès. Chaque jour de nouvelles recrues grossissent nos rangs; et nous, vétérans de cette grande cause, nous contemplons avec délices et la force toujours croissante de notre armée et l'esprit de paix qui l'anime.—La puissance de l'opinion se manifeste en tous lieux. Les plus violents despotes, à l'exception du monstre Nicolas, s'interdisent ces actes cruels qui leur étaient autrefois familiers. L'esprit de l'Angleterre veille, il ne s'endormira plus jusqu'à ce que le pauvre ait reconquis ses droits et que le riche soit forcé d'être honnête. (L'honorable et docte gentleman s'assoit au bruit d'acclamations véhémentes et prolongées.)

M. George Thompson s'avance au bruit des applaudissements et s'exprime en ces termes: M. le président, quand je suis venu ce soir dans cette enceinte pour assister à la réception de M. O'Connell, je ne pensais pas à être appelé à prendre la parole, et je sens bien que je ne puis guère être que cette ombre dont parlait M. O'Connell, qui ne suivait de loin son maître qu'avec crainte.

Messieurs, le spectacle dont je suis témoin est bien fait pour enivrer mon cœur. Depuis deux ans, j'ai été absent de mon pays, et j'ai parcouru des régions lointaines qui n'ont jamais vu des scènes, qui n'ont jamais entendu des accents tels que ceux qui viennent de réjouir ma vue et mes oreilles. Mais quoique je me sois éloigné de plus de 15,000 milles de l'endroit où nous sommes réunis, jamais je ne suis parvenu en un lieu où ne soit pas arrivé le bruit de vos glorieux travaux; partout j'ai entendu parler de cette association gigantesque, qui a entrepris de purifier, de diriger et de préparer pour un grand et définitif triomphe les sentiments et l'opinion publique de la Grande-Bretagne. Il a été dans ma destinée, sinon de m'associer intimement aux efforts de la Ligue, du moins de suivre ses progrès depuis son origine, et de compter mes meilleurs et mes plus vieux amis parmi ceux qui ont accepté avec tant de dévouement le poids du travail et la chaleur du jour. De retour sur ma terre natale, je me plais à comparer la situation de cette cause à ce qu'elle était quand je pris congé à Manchester d'un meeting rassemblé pour le même objet qui vous réunit dans cette enceinte. Je me séparai de la Ligue au milieu d'une assemblée provinciale de douze cents personnes, et je la retrouve représentée par six fois ce nombre dans le plus vaste édifice de la métropole. Alors, vous luttiez contre des adversaires silencieux,—pleins de confiance en leur rang, en leurs richesses, en leurs grandeurs,—spectateurs muets de vos progrès parmi les classes laborieuses.—Maintenant je vous retrouve combattant ouvertement et à armes courtoises ces mêmes adversaires; mais ils ont rompu le silence; leurs plans sont déconcertés, leurs espérances évanouies, leurs forces diminuées, et les voilà forcés, dans l'intérêt de leur défense, de recourir à ces mêmes mesures qu'ils ont tant de fois blâmées. (Acclamations.) Faut-il mal augurer de votre cause parce qu'ils imitent vos procédés? Non, certainement. Je crois au contraire que rien ne peut vous être plus favorable que d'être mis à même de connaître tous les arguments,—si on peut leur donner ce nom,—par lesquels ils s'efforcent de soutenir, au dedans comme au dehors des Chambres, les monopoles dont ils profitent. Gentlemen, je vous félicite de vos progrès; je vous félicite de la fermeté avec laquelle vous avez toujours adhéré aux vrais principes, et de l'assentiment que vous avez obtenu des intelligences les plus éclairées. Je vous félicite d'avoir maintenant réuni autour de votre bannière à peu près tout ce qu'il y a d'estimable et d'excellent dans notre chère patrie.—Partout où j'ai porté mes pas, en Égypte comme dans l'Inde, j'ai vu le plus vif intérêt se manifester pour les travaux de cette association; partout j'ai entendu exprimer le plus profond étonnement de la folie et de l'infatuation de ceux qui prétendent fonder leur prospérité sur les désastres et la pauvreté, et la faim, et la nudité et le crime du peuple, prospérité bien odieuse et bien coupable achetée à ce prix! Il n'y a qu'une opinion à cet égard parmi les hommes que n'aveuglent pas l'esprit de parti ou l'intérêt personnel. Ils ne peuvent traverser des plaines incommensurables, en calculer les ressources, estimer la facilité avec laquelle on pourrait transporter sur le rivage, et de là à travers l'Océan, vers notre pays, des objets propres à soutenir la vie de tant de nos frères qui périssent jusque sous nos yeux; ils ne peuvent savoir que la valeur de ces aliments reviendrait vers les lieux de leur origine sous une autre forme également avantageuse; ils ne peuvent, dis-je, voir et comprendre ces choses sans être frappés d'étonnement à l'aspect de la monstrueuse et révoltante spoliation qui se pratique dans ce pays. (Acclamations.) Gentlemen, je n'ai jamais eu qu'une vue sur le régime restrictif, et c'est une vue qui les embrasse toutes; qui satisfait pleinement mon esprit et qui a fait de moi ce que je suis: un ennemi déclaré absolu, universel, éternel des lois qui circonscrivent les bienfaits de la divine Providence, et disent aux dons que Dieu a répandus avec tant de libéralité sur la surface de la terre: «Vous irez jusque-là, vous n'irez pas plus loin.» (Tonnerre d'applaudissements.) Tout point de vue étroit,—je dirai même national,—de la question,—perd à mes yeux de son importance, quand je viens à penser qu'il n'a pu entrer dans les desseins de Dieu, qu'un peuple toujours croissant, dans l'enceinte de frontières immuables, dépendît de son sol pour sa subsistance; tandis que les routes de l'Océan, le génie des hommes de science, la bravoure de nos marins, l'audace de nos armateurs, la fécondité des régions lointaines, la prospérité du monde, et la variété qui se montre dans la dispensation et dans la paternelle sollicitude de notre Créateur, révèlent assez qu'il a voulu que les hommes échangeassent entre eux les dons divers qu'ils tiennent de sa munificence, et que l'abondance d'une région contribuât au bien-être et au bonheur de toutes. (Acclamations.) À mes yeux, l'offense commise par les promoteurs de ces lois, est une de celles qui atteint le trône de Dieu même. Le monopole, c'est la négation pratique des dons que le Tout-Puissant destinait à ses créatures. Il arrête ces dons au moment où ils s'échappaient des mains de la Providence pour aller réjouir le cœur et ranimer les forces défaillantes de ceux à qui elle les avait destinés. Sur une rive, les aliments surabondent; sur l'autre, voilà des hommes affamés qui commettraient un crime s'ils touchaient un grain de ces moissons jaunissantes qui ont été prodiguées à la terre pour le bien de tous. Que me parle-t-on d'intérêts engagés, de droits acquis, du droit exclusif de l'aristocratie à ces moissons? Je connais ces droits. Je respecte le rang de l'aristocratie, alors surtout qu'elle y joint ce qui est plus respectable que le rang, cette sympathie pour ses frères qui doit s'accroître en proportion de ce que Dieu a été bon pour elle, et qu'il a jugé à propos de leur retirer ses bienfaits temporels. (Acclamations.) Que le seigneur garde ce qui lui appartient loyalement; qu'il possède ses enclos, ses parcs et ses chasses; qu'il les entoure de murs, s'il le veut, et qu'il fasse inscrire sur les poteaux: «Ici on a tendu des piéges aux hommes.» Je n'entreprendrai pas sur ses domaines, je ne regarderai pas par-dessus ses murs, je me contenterai de suivre la route poudreuse, pourvu qu'arrivé au terme de mon voyage, je puisse acheter pour ma famille le pain que la bonté de Dieu lui a destiné. (Applaudissements.) L'opulent seigneur demande protection! Mais il la possède. Il la possède dans la supériorité de ses domaines, dans leur proximité des centres de population; il la possède dans l'éloignement des plaines rivales, dans les tempêtes et les naufrages auxquels sont exposés sur l'Océan les vaisseaux qui apportent dans ce pays les productions étrangères; dans les frais de toutes sortes, assurances, magasinages, commissions dont ces produits sont grevés. Voilà ce qui constitue en sa faveur une protection naturelle aussi durable que l'Océan et dont personne ne peut le priver. Mais il veut plus; il veut que la loi élève encore artificiellement le prix de son blé, et que le pauvre lui-même soit forcé de le lui acheter, ne lui rendant le droit de se pourvoir dans le marché du monde que lorsque la possibilité lui échappe de bénéficier par la confiscation de ce droit.

..... Gentlemen, la législation de ce pays a beaucoup pris sur elle. On parle de désaffection, d'insubordination, de conspiration! Je demande où sont les causes de ces maux. Je cherche le coupable; je m'adresse à celui qui tient en ses mains le châtiment, et je lui dis: c'est toi! (Écoutez!) Une loi injuste, c'est un germe révolutionnaire. Suivez-la dans son action jusqu'à ce qu'elle commence à flétrir, appauvrir, fouler et provoquer l'humanité. Puis vient le temps de l'appel des patriotes; puis celui de l'écho populaire; puis l'attitude de la détermination et du défi, et puis enfin les persécutions, la prison, l'échafaud, les martyres. (Acclamations.) Mais je remonte aux criminels originaires, aux hommes qui ont conçu la funeste loi, et je leur dis: Vous avez fomenté la désaffection, vous avez popularisé la résistance patriotique; vous avez provoqué les plaintes du peuple; vous avez organisé la persécution; c'est vous qui commettez le crime, c'est vous qui devez subir le châtiment. Gentlemen, telle est mon opinion; si les gouvernements étaient justes, l'esprit de sédition mourrait faute d'aliment (écoutez), et si les lois étaient équitables, les chaînes seraient livrées à la rouille. C'est pourquoi je m'en prends aux mauvaises lois, et j'en vois beaucoup dans cette île et plus encore dans une île voisine. Elles nous avertissent que si nous voulons rétablir la paix et l'amitié, maintenir l'union et la loyauté, si nous voulons que la Grande-Bretagne soit ce qu'elle a toujours été, «maîtresse des mers, invincible dans les combats,» nous devons faire justice au peuple, et non-seulement rendre la liberté aux noirs des Antilles, mais encore affranchir le pain de l'ouvrier anglais. (Applaudissements.)

Séance du 28 février 1844.

M. Ashworth: Ce n'est pas une chose ordinaire que de voir un manufacturier du Nord abandonner ses foyers et ses occupations pour se montrer devant une telle assemblée. Un manufacturier a autre chose à faire, et il est peu enclin à recourir à ses concitoyens alors même qu'il se sent lésé. Il répugne naturellement à l'agitation; et absorbé par l'étude pratique des sciences et des arts qui se lient à l'accomplissement de son œuvre, il aimerait à ne pas s'éloigner de ses intérêts domestiques, s'il n'y était forcé par des lois pernicieuses. Messieurs, c'est avec une pleine confiance que j'en appelle à vous, comme manufacturier, parce que j'ai la conviction que j'appartiens à une classe d'hommes qui ne réclame que ses droits. (Applaudissements.) On les a accusés d'être difficiles dans leurs marchés; ils ont cela de commun avec tous les hommes prudents, et vous comme les autres, sans doute. (Rires.) Mais on ne peut au moins leur imputer d'avoir une grande maison commerciale, sous le nom de Parlement, de s'en servir pour circonvenir les intérêts de la communauté, et fixer eux-mêmes le prix de leur marchandise. Messieurs, les manufacturiers ne jouissent d'aucune protection; ils n'en demandent pas; ils repoussent le système protecteur tout entier, et tout ce qu'ils réclament, c'est que tous les sujets de S. M. soient placés à cet égard, ainsi qu'eux-mêmes, sur le pied de l'égalité. (Écoutez! écoutez!) Est-ce là une exigence déraisonnable? (Bien.) Les landlords vous disent qu'ils ont besoin de protection; qu'ils ont droit à être protégés par certaines considérations. Je ne vous dirai pas quelles sont ces considérations. Je laisse ce soin à lord Mountcashel et sir Edward Knatchbull. Ils ne vous l'ont pas laissé ignoré[44]. (Rires et applaudissements.) Ils disent encore qu'ils ont besoin de protection pour lutter contre l'étranger. Pour ce qui me regarde, je ne sais pas sous quels rapports le peuple anglais est inférieur aux autres peuples. Je suis convaincu que les fermiers anglais, et notamment les ouvriers des campagnes, sont capables d'autant de travail que toute autre classe de la communauté; et il n'en est pas qui soient plus en mesure de soutenir la concurrence étrangère, pourvu que les landlords leur permettent de se procurer les aliments à un prix naturel. (Applaudissements.) Les manufacturiers sont bien exposés à cette concurrence. Pourquoi les landlords en seraient-ils affranchis? (Très-bien.) Je le répète, les manufacturiers ne jouissent d'aucuns priviléges; ils n'en veulent pas. Ils n'ont, sous le rapport des machines, aucun avantage qui ne soit commun au monde entier. (Écoutez! écoutez!) Nous empruntons aux autres peuples leurs inventions et leurs perfectionnements; nous les appliquons à nos machines et en augmentons ainsi la puissance; et si l'exportation de ces machines perfectionnées fut autrefois prohibée, elle est libre aujourd'hui, et il n'est aucun peuple qui ne puisse se les procurer à aussi bon marché que nous-mêmes. La loi prohibitive de l'exportation des machines a été abrogée, il y a un an ou deux; et quoique à cette époque notre industrie fût dans une situation déplorable,—quoiqu'il ne manquât pas de bons esprits qui regardaient la libre exportation de nos belles machines, comme une mesure hasardeuse pour le maintien de notre supériorité manufacturière,—cependant, nous ne fîmes aucune opposition à cette mesure, et nous la laissâmes s'accomplir sans hésiter, sans incidenter, en esprit de justice et de loyauté. (Acclamations.) Ainsi, après avoir conféré à l'étranger tous les avantages que nous pouvions retirer de la supériorité de nos machines, nous demandons à être affranchis de toutes restrictions, et nous posons en principe que, puisque les manufacturiers sont abandonnés à l'universelle concurrence, ils ont le droit de dire qu'il leur est fait injustice si une autre classe—et notamment l'opulente classe des landlords—jouit d'avantages exclusifs, d'avantages qui ne soient pas communs à toutes les autres.

On a dit que le marché intérieur était le plus important pour l'industrie manufacturière.—Je suis en mesure d'évaluer l'importance du marché intérieur en ce qui concerne ma propre industrie, l'industrie cotonnière. Elle s'alimente principalement par l'exportation. On voit dans l'ouvrage de Brom, qu'une balle seulement de coton sur sept est mise en œuvre pour la consommation du pays, et, par conséquent, cette consommation ne paie qu'un septième de la main-d'œuvre britannique qui est consacrée à cette branche, ou environ un jour par semaine. (Écoutez! écoutez!) Ne perdez pas de vue que c'est là la totalité de la consommation du pays. Ainsi, cette clientèle de l'aristocratie terrienne, qu'on nous dépeint en termes si pompeux, se réduit, quand nous venons à l'examiner de près, à payer une fraction d'un jour pour une semaine de travail; et quant aux débouchés que nous offrent les autres classes,—car les landlords ne sont pas nos seuls acheteurs,—je me bornerai à dire que cette métropole seule consomme plus que toute l'Irlande; et la ville de Manchester, plus que le comté de Buckingham. (Écoutez! écoutez!)—Venons aux exportations.—Je viens de vous dire qu'elles s'élèvent aux six septièmes de ce que nous fabriquons. Il en résulte que nous dépendons de l'étranger pour les six septièmes de notre travail, et comme nous n'avons aucun empire sur la législation étrangère, nous sommes incapables de recevoir aucune protection, dans cette mesure, alors qu'elle nous serait offerte.—Considérons maintenant l'intérêt agricole. La fabrication des aliments n'est pas, dans ce pays, une industrie d'exportation. Elle possède, dans le pays même, le meilleur marché du monde, et jouit encore de la protection. Il fut un temps où les produits agricoles de l'Angleterre étaient exportés, où les landlords vendaient leurs céréales au dehors. Ce temps n'est plus. Aujourd'hui notre population consomme tous les grains que le pays peut produire, et ses besoins en réclameraient bien davantage, s'il lui était permis d'en recevoir. (Écoutez! écoutez!) Ainsi, les propriétaires, voyant que notre population manufacturière consomme tous leurs produits, ont cessé de les exporter, car ils ont l'avantage de vendre cet insuffisant produit sur un marché où l'offre est constamment inférieure à la demande. Ce n'est point là, comme je viens de le démontrer, la situation de l'industrie manufacturière. Les six septièmes de ses produits sont exportés. Arrêtez un moment votre attention aux conséquences de cet état de choses, les aliments sont la matière première du travail, précisément comme le coton est la matière première de l'étoffe. Il s'ensuit que les balles de produits fabriqués que nous exportons contiennent virtuellement du froment et autres produits agricoles aussi bien que du coton. (Écoutez! écoutez!) C'est ainsi que les propriétaires du sol, tout en cessant de vendre directement au dehors, se sont déchargés de ce soin sur les manufacturiers, et se sont mis en possession d'un moyen indirect d'exportation beaucoup plus commode et surtout plus profitable. Ils se sont épargné les embarras de convertir leurs denrées en argent sur les marchés étrangers, et les manufacturiers, par la circulation que je viens de décrire, ont pris cette peine à leur charge. (Écoutez! écoutez!) Ainsi le manufacturier anglais, qui accomplit ses opérations sous l'influence des lois-céréales, est d'abord contraint de payer un prix législativement artificiel pour ses aliments et ceux de ses ouvriers; ensuite, puisque ses produits sont destinés à l'exportation, et puisqu'ils sont une sorte d'incarnation de denrées agricoles anglaises, combinées, sous forme de travail, avec le coton et autres matières premières, il devient l'intermédiaire malheureux de la revente de ces mêmes aliments, livré à la concurrence du monde entier, sur des marchés lointains, où les produits similaires se vendent peut-être pour la moitié du prix qu'ils lui ont coûté dans la Grande-Bretagne. (Applaudissements.) Ainsi, nous sommes devenus les instruments du propriétaire pour la défaite de ses denrées, et, ce qu'il y a de pire, l'opération nous constitue en perte pour la moitié de leur valeur. (Écoutez! écoutez!) Comme manufacturier travaillant pour l'exportation, je m'arrêterai encore un moment sur cette partie de mon sujet. Vous n'aurez pas de peine à comprendre cet axiome général: Les importateurs sont des acheteurs. Donc, le criterium de la prospérité d'un pays ce n'est pas ses exportations, mais ses importations. Je le répète, les importateurs sont des acheteurs. Permettez-moi d'éclairer ceci par un exemple. Le navire qui aborde nos rivages chargé de marchandises, n'importe la provenance, est la personnification d'un marchand étranger à la bourse bien garnie; car le chargement est bientôt converti en argent, et cet argent est à la disposition du consignataire pour être de nouveau converti en marchandises d'exportation. Plus donc il nous arrive de ces navires, plus il nous arrive d'acheteurs.—Au sujet de nos impôts, je vous ferai observer que les marchandises qui nous viennent du dehors ne passent pas directement du rivage au magasin du négociant. Elles s'arrêtent d'abord à la douane, et là, elles payent un droit fiscal. Comme free-traders nous n'avons pas d'objection contre un tel droit. Il est juste et convenable d'asseoir une partie des recettes publiques sur les marchandises étrangères. Mais ici nous distinguons et nous disons: S'il est juste que nous payions un droit pour le revenu public, il ne l'est pas que nous en payions un autre pour des avantages personnels, et notamment pour grossir les rentes des propriétaires du sol. Messieurs, nos importations devraient être libres. Dans un pays éclairé, elles seraient libres comme les vents qui les poussent vers nos rivages. (Applaudissements.) Supposez-vous transportés par la pensée dans un autre pays,—car je ne veux pas vous offenser inutilement en citant votre propre patrie,—supposez que vous voyez sur les côtes des hommes en uniforme, allant et venant, un mousquet d'une main et une lunette de l'autre. Si l'on vous disait qu'il s'agit d'un service préventif, d'un service destiné par le gouvernement à empêcher l'arrivage des navires, et, par suite, l'introduction des produits étrangers, ne déclareriez-vous pas que c'est là pour ce pays, l'indice d'une ignorance qui va jusqu'au suicide? et ne jugeriez-vous pas que ses lois commerciales remontent aux siècles les plus barbares? C'est pourtant l'esprit, je regrette de le dire, qui caractérise notre législation. Nos lois admettent les objets de luxe, les vins, les soieries, les rubans à l'usage des grands et des riches; elles laissent librement entrer ces choses moyennant un droit fiscal, et elles prohibent l'importation des aliments, c'est-à-dire de ce qui affecte le plus les classes pauvres et laborieuses. De telles lois sont le fruit de l'injustice, et nous nous élevons contre leur partialité. Les seigneurs disent que c'est là une question manufacturière. S'ils l'ont ainsi stigmatisée, c'est qu'ils ont surtout trouvé les manufacturiers prompts et persévérants à combattre leurs priviléges. Mais nous repoussons leur imputation. Non, ce n'est pas la cause des manufacturiers; c'est votre cause; c'est la mienne, c'est la cause de tous. Ce n'est pas une question individuelle, c'est une question générale, qui intéresse toute la communauté! Le manufacturier voit son industrie lésée, ses ouvriers affamés, et dès lors il lui appartient, il appartient à tout homme dans cette situation, de se plaindre.—Cette vaine clameur des landlords est suivie d'une autre. C'est la sur-production[45], disent-ils, qui fait tout le mal. On les entend crier: «Ces manufacturiers prétendent vêtir l'univers entier.» Peut-être feraient-ils mieux de nous laisser d'abord vêtir l'univers, et si, par là, nous portions le trouble et la misère dans le pays, ils seraient à temps de gémir. (Rires et approbations.) Cependant examinons la question de plus près. Supposez que nous parvinssions à habiller l'univers entier, nous n'avons pas encore trouvé le secret de faire des calicots éternels (rires), ils s'usent, et dès lors ceux que nous avons accoutumés à en porter en réclameront d'autres. Voilà donc une source permanente de travail. (Écoutez!) Ne serait-ce point une chose plaisante de voir venir à cette tribune un manufacturier du Lancastre, pleurant comme Alexandre, de ce qu'il ne lui reste point un autre monde, non à conquérir, mais à habiller? (Éclats de rire.) En tout cas, au milieu de son chagrin, il aurait au moins cette consolation, fondement d'une espérance légitime, que s'il parvient à vêtir l'univers, c'est bien le moins qu'il ait le droit d'être nourri. (Acclamations.) Je n'ai encore entendu personne se plaindre qu'il avait trop de vêtements. (Une voix dans les galeries: Je suis sans. Rire universel.) Quel que soit leur bas prix, nul ne se fâche de les avoir à trop bon marché. Les landlords se réunissent de temps à autre, et on les entend se flatter d'être de bons patriotes, parce qu'ils font deux coupes de foin là où ils n'en faisaient qu'une autrefois. Gentlemen, à ce compte, je puis aussi, comme manufacturier, réclamer le titre de patriote, car je fais maintenant deux chemises pour moins qu'une seule ne me coûtait il y a quelques années. (Rires). Mais je n'accepte ni pour les landlords ni pour moi-même la qualification de patriote ou de philanthrope à ce titre. La même cause, la même impulsion nous fait agir, et c'est notre intérêt éclairé. (Écoutez! écoutez!) Mais voici une autre clameur de l'aristocratie. Elle s'en prend aux machines.

Ici l'orateur combat l'erreur qui fait considérer les machines comme nuisibles à l'emploi du travail humain. Il établit, par des faits nombreux, qu'il y a dans tous les comtés où les machines ne sont pas employées, une tendance à émigrer vers ceux où elles sont le plus multipliées. Ce sujet ayant déjà été traité par d'autres orateurs, et notamment par M. Cobden, nous supprimons, quoiqu'à regret, cette partie du remarquable discours de M. Ashworth.

Séance du 17 avril.—Présidence de M. Cobden.

Le président rend compte des nombreux meetings auxquels les députations de la Ligue ont assisté, depuis la dernière réunion de Covent-Garden, à Bristol, Wolwerhampton, Liverpool, etc.—Il parle aussi des mesures prises par l'association pour porter principalement la discussion partout où se font des élections, afin de répandre la lumière précisément au moment où l'excitation, qui accompagne toujours les luttes électorales, dispose le public à la recevoir. C'est pourquoi dorénavant la Ligue portera toutes ses forces dans tout bourg où un certain nombre d'électeurs, quelque petit qu'il soit, sera disposé à appuyer la candidature d'un free-trader.

M. Ward, membre du Parlement, prononce un discours plein de faits curieux, de données statistiques et de solides arguments.

Le colonel Thompson succède à M. Ward. Ce vétéran de la cause de la liberté commerciale s'est acquis en Angleterre une immense réputation par ses discours et ses nombreux écrits. Nous aurions beaucoup désiré le faire connaître au public français. Malheureusement pour nous, le brave officier est dans l'usage de revêtir des pensées profondes de formes originales, et d'un langage incisif et populaire entièrement intraduisible.—Nous essayerons peut-être, à la fin de cet ouvrage, de faire passer dans notre langue, au risque de les affaiblir, quelques-unes de ses pensées.

Le président. J'ai l'honneur de vous présenter un des orateurs les plus accomplis de l'époque, un homme qui a déjà déployé des talents de l'ordre le plus élevé dans une grande cause humanitaire, égale en importance à celle qui nous réunit aujourd'hui. Il a puissamment contribué à l'émancipation des esclaves de nos colonies des Indes occidentales et, quant à moi, je n'ai jamais pu apercevoir la moindre différence entre spolier l'homme tout entier en le forçant au travail et le dépouiller du fruit de son travail. J'introduis auprès de vous M. George Thompson. (Tonnerre d'applaudissements.)

Les événements qui se passent dans la Grande-Bretagne ont naturellement leur retentissement dans les meetings de la Ligue, surtout quand ils ont quelque connexité avec la cause qu'elle défend. On a pu voir déjà l'opinion qui s'était manifestée au sein de cette puissante association au sujet de l'émigration forcée (compulsory emigration), quand cette question était traitée au Parlement. On a vu aussi l'effet qu'avait produit sur la Ligue l'accusation de conspiration dirigée contre O'Connell et l'agitation irlandaise.—À l'époque où nous sommes parvenus, une seconde modification dans les tarifs était soumise aux Chambres par le cabinet Peel, et comme elle servira dorénavant de texte à plusieurs orateurs, il n'est pas sans utilité de dire ici en quoi ces modifications consistent.

Le droit sur le sucre colonial était de 24 sh., et sur le sucre étranger de 63. La différence ou 39 sh. était ce qui constituait proprement la protection.—Le gouvernement proposait, tout en maintenant le droit sur le sucre des colonies à 24, de réduire le droit sur le sucre étranger à 34, c'est-à-dire de limiter la protection à 10 sh.—C'eût été un grand pas dans la voie de la liberté commerciale, si le cabinet anglais n'eût en même temps restreint le dégrèvement au sucre produit par le travail libre (free-grown sugar). Mais en laissant peser le droit de 63 sh. sur le sucre produit dans les pays à esclaves (slave-grown sugar), on excluait les sucres du Brésil, de Cuba, etc. Cette distinction étant évidemment un moyen indirect de maintenir le monopole, autant que la diffusion des lumières et les circonstances le permettaient, elle avait la chance de rallier beaucoup d'hommes honnêtes, en leur présentant la mesure proposée comme dirigée contre l'esclavage; et la preuve que les monopoleurs avaient bien calculé, c'est qu'ils sont parvenus à rallier à leurs vues un grand nombre d'abolitionnistes, et de se créer ainsi en Angleterre un appui sur lequel ils ne pouvaient compter que grâce à cette distinction hypocrite.—On verra dans la suite l'opinion des free-traders et les péripéties de ce débat.

M. George Thompson, après avoir réclamé, vu l'état de sa santé, l'indulgence de l'assemblée, s'exprime ainsi: Comme l'honorable et brave officier qui vient de s'asseoir, je pense que la question de la liberté commerciale, et notamment de l'abrogation des lois-céréales, en tant qu'elle touche au bien-être et au bonheur de la race humaine, à la stabilité et à l'honneur de l'empire britannique, ne le cède point en grandeur et en solennité à cette autre question à laquelle, dans d'autres temps, je consacrai mes efforts. Si je réclamais alors la liberté de l'homme, je réclame aujourd'hui la franchise de ses aliments. (Acclamations.) Dieu a voulu que l'homme fût libre; et je crois qu'il a voulu aussi que l'homme vécût. C'est un crime de lui ravir la liberté, mais c'est aussi un crime d'élever le prix, d'altérer la qualité ou de diminuer la quantité de ses aliments; et quand je viens à considérer que la loi-céréale affecte les salaires, rompt l'équilibre entre l'offre et la demande des bras, jette hors d'emploi des millions d'ouvriers, ne laisse à ceux qui sont assez heureux pour s'en procurer que la moitié d'une juste rémunération, et les force en outre de payer le pain à un prix double de celui qu'il aurait sans son intervention, alors je dis qu'une telle loi m'apparaît comme une monstrueuse spoliation (applaudissements), et comme la violation de cette charte descendue du ciel sur la terre: «Homme, tu mangeras les fruits de la terre; la saison de semer et la saison de moissonner, l'hiver et l'été se succéderont à perpétuité, afin que les créatures de Dieu ne soient pas privées de nourriture.» Quel est le grand principe d'économie sociale dont nous confions la propagation à nos concitoyens, pour leur bonheur, celui de la patrie et du monde? Quelle est cette doctrine que la Ligue, comme une mouvante université, prêche et enseigne en tous lieux? C'est que toutes les classes de la communauté doivent être abandonnées à leur libre action, dans la conduite de leurs transactions commerciales, tout autant que ces transactions soient en elles-mêmes honnêtes et honorables;—c'est qu'on ne doit souffrir aucune intervention, aucun contrôle, et moins encore aucune contrainte législative en matière de travail, d'industrie et d'échanges. (Écoutez! écoutez!) Nous avons foi dans la vérité de cette doctrine; mais nous ne nous bornons pas à l'ériger en un système abstrait, qu'on prend et qu'on laisse à volonté. Nous la regardons comme d'une importance pratique et capitale pour ce pays et pour tous les pays, pour ce temps et pour tous les temps. Dans son application honnête et impartiale, elle implique la chute de toutes les restrictions qui ont été si souvent dénoncées dans cette enceinte; elle ouvre le monde au travail de l'homme; elle soustrait au domaine de la loi anglaise l'échange des fruits de notre travail et de notre habileté avec les nations du globe; elle appelle sur nos rivages les innombrables tribus répandues sous tous les climats. Comme la piété, elle est deux fois bénie; bénie dans celui qui donne, bénie dans celui qui reçoit. (Écoutez!) Ce n'est pas sans un sentiment profond de douleur que nous pouvons, comme Anglais, contempler les scènes de désolation qui se sont passées sous nos yeux depuis deux ans; et si la situation de ce pays est pour nous un juste sujet d'orgueil, d'un autre côté elle est bien propre à exciter notre compassion. Notre grandeur comme nation est incontestable. Des rivages de cette île, nous nous sommes élancés sur le vaste Océan; nous y avons promené nos voiles aventureuses; nous avons visité et exploré les régions les plus reculées de la terre; nous avons fait plus, nous avons cultivé et colonisé les plus belles et les plus riches contrées du globe; aux hommes qui reconnaissent l'empire de notre gracieuse et bien-aimée souveraine, nous avons ajouté des hommes de tous les climats et de toutes les races; par la valeur de nos soldats et de nos marins, l'habileté de nos officiers de terre et de mer, l'esprit d'entreprise de nos armateurs et de nos matelots, les talents de nos hommes d'État au dedans et de nos diplomates au dehors, nous avons soumis bien des nations, formé des alliances avec toutes, fait reconnaître en tous lieux notre prééminence industrielle, et c'est ainsi que la puissance combinée de notre influence morale, physique et politique a rendu l'univers notre tributaire, le forçant de jeter à nos pieds ses innombrables trésors. (Acclamations prolongées.) En ce moment, nos capitaux surabondent, nos vaisseaux flottent sur toutes les eaux et n'attendent que le signal de cette nation,—que de voir se dérouler au vent le drapeau de la liberté illimitée du commerce pour amener et verser sur nos rivages les produits de notre mère commune. Des millions d'être humains ne demandent qu'à échanger les fruits de leur jeune civilisation contre les produits plus coûteux, plus élaborés de notre civilisation avancée. (Nouvelles acclamations.) Ici la puissance de la production est incommensurable; sous nos pieds gisent d'insondables couches de minéraux divers, dans un si étroit voisinage, que des métaux plus précieux que l'or peuvent être extraits, fondus et façonnés sur place pour l'usage des hommes de tous les pays. Dans nos vertes vallées, se précipitent des rivières capables de mouvoir dix mille fois dix mille machines, et l'homme règne sur cette île, qui est «comme un diadème de gloire sur la création.» Le premier, quoique entré le dernier dans la carrière de la civilisation, montrant au monde combien est vaste sa capacité et combien il doit à la libéralité de la nature; appréciant la valeur et la destination de toutes les puissances qui l'entourent, il a un œil pour la beauté, une intelligence pour la science, un bras pour le travail, un cœur pour la patrie, une âme pour la religion. (Applaudissements.) L'air, la terre, l'océan lui sont familiers dans tous leurs aspects, leurs changements, leurs usages et leurs applications. Chacun d'eux paye à ses investigations le tribut qu'il refuse à une apathique ignorance; chacun d'eux lui révèle ses secrets avec certitude, quoique avec une lente réserve. Le voilà debout, éternel objet d'étonnement et de terreur pour les peuples lâches, objet d'une noble émulation pour les nations dignes de la liberté. À la hauteur où il est parvenu, s'élever encore ou tomber, voilà sa seule alternative. Il ne peut s'arrêter, et il dédaigne de tomber, car la trempe de son esprit le soutient et la vigueur de son génie le pousse en avant. Telles sont quelques-unes des circonstances que j'avais à l'esprit quand je vous disais que, comme Anglais, nous sommes justifiés de nous complaire dans des sentiments d'orgueil national. Mais, hélas! combien de causes ne viennent-elles pas froisser ces sentiments et les convertir en une profonde humiliation! Car pourrait-on jamais croire que cette Angleterre, si illimitée dans son empire, si riche de ressources, si supérieure par ses armées et sa marine, si fière de ses alliances, si incomparable dans son génie productif, quelles que soient l'abondance de ses capitaux, la surabondance de ses bras et de son habileté, orgueilleuse de sa littérature puisée aux sources les plus pures, de sa moralité qui respire la bienveillance universelle, et de sa religion qui est divine,—que l'Angleterre ne peut pas, ne veut pas nourrir ses propres enfants; mais qu'elle les voit errer dans l'oisiveté, s'accroupir dans l'abattement, et languir et mourir d'inanition sous les murs de ses monuments, sur les marches de ses palais, sous les portiques et jusque dans le sanctuaire de ses temples! Quel est l'étranger connaissant notre position géographique, l'étendue et les ressources de notre empire, le génie, l'habileté et l'énergie de nos concitoyens, qui pourrait jamais croire qu'ici où siége le gouvernement, dans ce pays, la grande usine du monde, le centre du commerce; dans ce pays où s'entreposent tant de richesses, où s'élaborent tant d'idées et d'intelligence, il y a plus d'oisiveté, de misère, de privation, de souffrances physiques et morales, qu'on n'en pourrait trouver, à population égale, dans aucune autre contrée du monde? Et pourtant voilà où en est la puissante Angleterre. Peut-être les choses se sont-elles un peu améliorées dans quelques comtés de la Grande-Bretagne, et, s'il en est ainsi, nous en remercions le Dieu tout-puissant, au nom des malheureux et des indigents. Mais même en ce moment, vous pouvez rencontrer des multitudes d'hommes oisifs tout le jour, tandis que ceux qui sont occupés ne reçoivent que d'insuffisants salaires et n'obtiennent, après une longue semaine de travail incessant, qu'une chétive pitance à peine suffisante au soutien de la vie... Oh! si vous cherchez, vous trouverez bien des intérieurs désolés,—où le feu s'est éteint au foyer,—où la coupe est vide,—où les couches ont été dépouillées et les couvertures vendues pour du pain,—où la mère a laissé sur la paille l'enfant s'endormir au bruit de ses propres vagissements,—où le père de famille qui, s'il eût été libre, aurait pu et voulu être un artisan honnête, actif et satisfait, n'est qu'un vagabond affamé, sans ressources, sans courage et sans espoir;—triste famille, ou plutôt, quand elle est réunie dans sa sale nudité, triste juxtaposition de créatures dégradées, dont l'irrésistible action de la misère a détruit les mutuelles sympathies. Là, vous ne rencontrerez plus le sentiment de la dignité personnelle. Là, le murmure s'élève contre Dieu, comme la malédiction contre les gouvernants et les législateurs. Là, s'est éteinte toute vénération pour les lois sociales ou pour les divins commandements. Là, des projets de rapine se complotent sans remords. Là, enfin, des créatures proscrites, se croyant abandonnées de Dieu et de l'homme, se regardent comme les victimes de la législation, ou sentant du moins qu'elle n'est pour elles ni une protection ni un refuge, s'insurgent contre la société, puisque aussi bien le sort qui les attend ne saurait être pire que celui qu'elles endurent. (Bruyantes acclamations.) Voilà ce qui se passe en Angleterre.—Je veux que vous compreniez bien que l'existence d'un tel état de choses révèle l'existence de quelque mauvaise loi, qui étouffe le commerce de ce pays, qui nous ferme les marchés du monde, en empêchant les produits des autres contrées de venir ici pour satisfaire à nos besoins. Une misère aussi profonde, une indigence aussi abjecte, une souffrance aussi incurable n'existe ailleurs nulle part. Quoi qu'aient pu faire dans d'autres pays le despotisme et la superstition, ils ne sont point parvenus, comme nos lois, à affamer une population active et laborieuse, à qui il reste au moins la faculté d'échanger ce qu'elle produit contre ce dont elle a besoin. (Acclamations bruyantes et prolongées.)—J'ai beaucoup voyagé; j'ai vu l'ignorance la plus profonde; la superstition la plus sombre et la plus terrible; le despotisme le plus illimité et le plus rigoureux; la théocratie la plus orgueilleuse et la plus tyrannique; mais une misère semblable à celle que je vois ici et qui nous entoure, je ne l'ai vue nulle part. (Applaudissements.)

Ici l'orateur discute le principe et les effets des lois-céréales, et arrivant à la question des sucres, il continue en ces termes:

Chargement de la publicité...