Œuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 22
NOTE.
Fort comme la Mort a paru dans la Revue Illustrée du 15 février au 15 mai 1889.
Le roman fut commencé au printemps de 1888. Maupassant écrivait à sa mère (Paris, 2 mai 1888): «Je prépare tout doucement mon nouveau roman et je le trouve très difficile, tant il doit avoir de nuances, de choses suggérées et non dites. Il ne sera pas long d’ailleurs, il faut qu’il passe devant les yeux comme une vision de la vie terrible, tendre et désespérée.»
Le manuscrit de Fort comme la Mort est couvert de corrections et de surcharges. La seconde partie surtout semble avoir coûté beaucoup d’efforts à l’auteur. Avant d’être définitives, les phrases y sont laborieusement travaillées; les épithètes sont souvent modifiées, adoucies, rendues plus élégantes. La page 289, de 40 lignes (page 315 de notre édition), n’a que 8 lignes non surchargées, et plus on approche de la fin, plus les pages sont nombreuses dans ce cas.
Le manuscrit de Fort comme la Mort est composé de 327 feuillets paginés 1 à 327, écrits au recto, puis, à part, d’un fragment de 26 feuillets paginés 122 à 147 où l’auteur a remanié la scène de la mort d’Olivier Bertin. C’est la version de ce fragment qui a servi à l’impression du volume, à l’exception des deux derniers feuillets qui ont été écrits de nouveau, avec des modifications, sur deux autres feuillets paginés 131, 132. C’est là qu’apparaît pour la première fois, sous sa forme définitive, la dernière phrase de Fort comme la Mort: Il était détendu, impassible, inanimé, indifférent à toute misère, apaisé soudain par l’Éternel Oubli.
Cette phrase, si belle d’harmonie, a été longuement cherchée par Maupassant. Elle existe, dans le manuscrit que nous venons de décrire, sous les formes suivantes:
1o Il ouvrit la bouche comme pour parler encore, battit des paupières, fit une grimace, eut un frisson, poussa un petit soupir, puis demeura immobile, la figure soudain calmée par l’Éternel Apaisement;
2o Puis il se tordit sous ses draps, poussa un gémissement, grinça des dents, agita ses paupières, ouvrit la bouche comme pour parler encore, poussa un long soupir, eut un grand frisson, puis demeura immobile, la figure détendue, apaisée soudain par l’Éternel Oubli;
3o Était-ce vrai? non, peut-être? Elle avait perçu cependant le contact de quelque chose d’inexprimable, et s’étant soulevée ivre de peur, elle regardait le visage. Il était tranquille, détendu, sans angoisse et sans souffle, apaisé soudain par l’Éternel Oubli;
4o Enfin nous la distinguons, à travers les corrections dernières, sous cette forme: Il était tranquille, détendu, impassible à tout chagrin, insensible à toute misère, sans angoisse et sans souffle, apaisé soudain par l’Éternel Oubli.
Nous donnons ci-après la version de la mort d’Olivier Bertin d’après le manuscrit de 327 feuillets, version qui n’a jamais été publiée jusqu’alors.