Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome II.
Au Caire, le 15 frimaire an 7 (5 décembre 1798).
Au général Leclerc.
Comme nous avons grand besoin d'argent, citoyen général, faites verser dans la caisse du payeur général les 30,000 fr. que vous avez dans votre caisse.
Les souliers vont vous arriver, ainsi que les deux harnois pour votre pièce.
Occupez-vous sans relâche à vous procurer des chevaux: vous savez le besoin que nous en avons.
Douze cents hommes de cavalerie bien montés et bien armés partent demain pour se mettre aux trousses de Mourad-Bey. J'espère, moyennant les chevaux que toutes les provinces envoient, en avoir bientôt encore autant.
BONAPARTE.
Au Caire, le 15 frimaire an 7 (5 décembre 1798).
Au général Marmont.
Je vous ai fait connaître, par mes dernières lettres, l'importance extrême qu'il y avait à retenir tous les matelots napolitains, génois, espagnols, etc.: cette mesure a été exécutée en partie par le citoyen Dumanoir; mais elle est bien loin de l'être entièrement, puisque les Napolitains seuls étaient trois cent quatre-vingt. Les états que l'on m'a remis de la force du convoi, portaient deux cent soixante-dix-sept bâtimens et deux mille cinq cent soixante-quatorze matelots. Je pense qu'aujourd'hui il sera réduit à deux mille. Il est indispensable que vous parveniez à me procurer encore huit cents hommes.
Si les nouvelles recherches que vous ferez pour trouver des jeunes gens ayant moins de vingt-cinq ans, ne suffisent pas, pour trouver ce nombre vous aurez recours à une réquisition, d'un quart de chaque équipage, ayant soin de prendre les plus jeunes: ceci doit avoir lieu pour tous les bâtimens du convoi, soit français ou étrangers.
Ne donnez communication de cette lettre qu'au citoyen Dumanoir, et concertez-vous avec lui pour nous procurer huit cents hommes. Ce ne sera qu'après l'exécution préalable de cet ordre, que je lèverai l'embargo mis sur une partie du convoi.
Visez vous-même tous les passeports de ceux qui s'en vont, et ne laissez partir personne qui puisse faire un soldat. Ceux qui s'en vont n'ont pas besoin de domestiques, à moins qu'ils n'aient plus de vingt-cinq ans.
BONAPARTE.
Au Caire, le 15 frimaire an 7 (5 décembre 1798).
Au même.
Je vous envoie, citoyen général, un ordre que je vous prie d'exécuter avec la plus grande exactitude. Après que vous aurez fait arrêter ce citoyen, faites venir chez vous tous les administrateurs de la marine, et lisez-leur mon ordre. Vous leur direz que je reçois des plaintes de tous côtés sur leur conduite, et qu'ils ne secondent en rien le citoyen Leroy; que je punirai les lâches avec la dernière sévérité, et avec d'autant moins d'indulgence, qu'un homme qui manque de courage n'est pas français.
BONAPARTE.
Au Caire, le 17 frimaire an 7 (7 décembre 1798).
À l'intendant-général de l'Égypte.
J'ai reçu, citoyen, la lettre que m'a écrite la nation cophte. Je me ferai toujours un plaisir de la protéger: désormais elle ne sera plus avilie, et, lorsque les circonstances le permettront, ce que je prévois n'être pas éloigné, je lui accorderai le droit d'exercer son culte publiquement, comme il est d'usage en Europe, en suivant chacun sa croyance. Je punirai sévèrement les villages qui, dans les différentes révoltes, ont assassiné des cophtes. Dès aujourd'hui, vous pourrez leur annoncer que je leur permets de porter des armes, de monter sur des mules ou sur des chevaux, de porter des turbans et de s'habiller de la manière qui peut leur convenir. Mais si tous les jours seront marqués de ma part par des bienfaits; si j'ai à restituer à la nation cophte une dignité et des droits inséparables de l'homme, qu'elle avait perdus, j'ai le droit d'exiger sans doute des individus qui la composent beaucoup de zèle et de fidélité au service de la république. Je ne peux pas vous dissimuler que j'ai eu effectivement à me plaindre du peu de zèle que plusieurs y ont mis. Comment en effet, lorsque tous les jours des principaux scheicks me découvrent les trésors des mameloucks, ceux qui étaient leurs principaux agens ne me font-ils rien découvrir?
Je rends justice à votre zèle et a celui de vos collaborateurs, ainsi qu'à votre patriarche, dont les vertus et les intentions me sont connues, et j'espère que, dans la suite, je n'aurai qu'à me louer de toute la nation cophte.
Je donne l'ordre pour que vous soyez remboursé, dans le courant du mois, des avances que vous avez faites.
BONAPARTE.
Au Caire, le 17 frimaire an 7 (7 décembre 1798).
Au citoyen Poussielgue.
Vu les pertes que nous avons éprouvées sur les diamans, la femme de Mourad-Bey sera tenue de verser dans la caisse du payeur 8,000 talaris dans l'espace de cinq jours.
BONAPARTE.
Au Caire, le 18 frimaire an 7 (8 décembre 1798).
Au général Rampon.
Vous devez avoir reçu, citoyen général, du pain pour quatre jours.
Si cette lettre vous arrive à temps, vous partirez demain avec la plus grande partie de votre monde pour aller reconnaître la position de Géziré-Bili, qui est à quatre lieues de l'endroit que vous occupez. Quand vous serez à une demi-lieue de ladite position, vous ferez connaître à ladite tribu de Bili qu'elle n'a rien à craindre; qu'elle peut rester dans son camp, parce que vous avez été prévenu que le scheick était venu me voir et avait obtenu grâce.
Vous tiendrez note de tous les villages par où vous passerez pour arriver à Géziré, et vous observerez les différentes positions qu'occupent les Arabes, afin que, si les circonstances exigent que vous deviez y marcher, vous sachiez comment faire.
Vous aurez soin que les troupes ne fassent aucun mal, et après vous être promené en différens sens, avoir demandé s'il y a des mameloucks à El-Mansoura, qui est un village près de Géziré, avoir recommandé à tous les villages de payer exactement le miri au général commandant la province, et à ne pas cacher les mameloucks, à les déclarer s'il y en a, vous retournerez, s'il est possible, coucher à Birket-el-Hadji.
Si cette lettre vous arrivait demain trop tard, vous remettriez la partie à après-demain.
BONAPARTE.
Au Caire, le 19 frimaire an 7 (9 décembre 1798).
Au général Menou.
Je reçois votre lettre du 14, citoyen général: je venais d'ordonner la mesure que vous me proposez, de vendre soixante-quatre mille pintes de vin. Veillez autant qu'il vous sera possible à ce que ces fonds rentrent dans la caisse du payeur, et que les voleurs n'en vendent pas une plus grande quantité pour masquer leurs vols. Écrivez au général Marmont pour qu'il fasse vendre les vins les plus aigres et les plus près de se gâter, et que l'on profite de cette circonstance pour vérifier ce qu'il y a en magasin.
J'ai reçu votre lettre du 15, dans laquelle vous m'apprenez que messieurs les Anglais ont évacué Aboukir. Profitez-en pour faire passer à Alexandrie la plus grande quantité de blé possible.
BONAPARTE.
Au Caire, le 19 frimaire an 7 (9 décembre 1798).
Au général Ganteaume.
Vous voudrez bien, citoyen général, faire partir d'Alexandrie le brick le Lodi pour se rendre à Derne. Il prendra tous les renseignemens qu'il pourrait acquérir sur les nouvelles de France et d'Europe.
Je suis instruit que plusieurs tartanes de Marseille, expédiées par le gouvernement, y sont arrivées dans le courant de brumaire, et n'y ont séjourné que vingt-quatre heures, après avoir pris des renseignemens sur les Anglais et sur notre position. Comme il est extrêmement intéressant que la mission de ce brick soit ignorée, vous lui donnerez ses instructions à ouvrir en mer.
Vous lui ordonnerez de prendre des pilotes d'Alexandrie, connaissant la côte depuis Alexandrie jusqu'à Saint Jean-d'Acre et depuis Alexandrie jusqu'à Tripoli.
J'imagine que la tartane que j'avais ordonné d'envoyer depuis long-temps à Derne, sera partie: si elle ne l'était pas, vous ordonneriez, au préalable, au citoyen Dumanoir de n'expédier le Lodi que vingt-quatre heures après la tartane, en ayant bien soin que la tartane ignore que ce brick devait partir.
Ce brick portera le citoyen Arnaud, qui, parlant parfaitement la langue, et ayant eu des relations avec Derne, pourra plus facilement prendre tous les renseignemens nécessaires.
Vous spécifierez bien au commandant du brick que le citoyen Arnaud n'est rien sur son bord, et n'a point d'ordre à lui donner, et que lui seul est responsable de la manière dont sa mission sera remplie.
Vous lui ferez connaître qu'il faut qu'il retourne le plus tôt possible à Alexandrie.
Je compte que son absence sera de moins de quinze jours; que, sous quelque prétexte que ce soit, il ne doit point cingler vers l'Europe; que cela serait regardé par le gouvernement comme une lâcheté et une trahison, dont un Français ne peut être soupçonné.
Vous donnerez deux ordres au commandant du brick: 1°. de partir et d'ouvrir ses instructions à telle hauteur, et d'embarquer, au moment du départ, un homme qui lui sera remis par le général Marmont, commandant de la place;
2°. Son instruction à ouvrir en mer.
BONAPARTE.
Au Caire, le 19 frimaire an 7 (9 décembre 1798).
Instructions pour le citoyen Arnaud.
Le brick sur lequel vous êtes embarqué, citoyen, vous conduira à Derne.
Vous remettrez les lettres ci-jointes au commandant de Derne; vous prendrez tous les renseignemens sur les nouvelles d'Europe et de Tripoli.
Vous me rendrez compte de votre mission et de tout ce que vous aurez vu et appris en mer, en expédiant de Derne deux Arabes.
Le brick vous ramènera à Alexandrie, et, à peine débarqué, vous viendrez au Caire sans communiquer à personne les nouvelles que vous aurez pu apprendre.
Je compte sur votre zèle et sur vos lumières. Je saurai vous tenir compte du service que vous aurez rendu dans cette occasion à la république.
BONAPARTE.
Au Caire, le 19 frimaire an 7 (9 décembre 1798).
Au bey de Tripoli.
Je profite d'un bâtiment qui va à Derne pour vous renouveler l'assurance de vivre avec vous en bonne intelligence et amitié.
Dans plusieurs lettres que je vous ai écrites, je vous ai témoigné le désir que j'ai de vous être utile ainsi qu'à ceux qui dépendent de vous.
Je vous prie, lorsque vous aurez des nouvelles d'Europe, de me les envoyer par des exprès.
Croyez aux sentimens d'estime et à la considération que j'ai pour vous.
BONAPARTE.
Au Caire, le 20 frimaire an 7 (10 décembre 1798).
Au citoyen Poussielgue,
Vous voudrez bien, citoyen, ordonner sur-le-champ au citoyen Marco-Calavagi, agent du citoyen Rosetti à Terraneh, de verser dans la caisse du payeur, la valeur de deux mille moutons et de cinquante chameaux, que le général Murat avait pris aux Arabes et qu'il a fait restituer en disant que c'était mon intention.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 frimaire an 7 (11 décembre 1798).
Au commissaire du gouvernement, à Zante.
Je vous expédie le brick le Rivoli pour avoir de vos nouvelles et de celles de Corfou.
Faites-moi passer toutes les gazettes françaises, italiennes ou allemandes que vous auriez depuis le mois de messidor, ainsi que les nouvelles que vous pourriez avoir d'Italie ou de France, et de tous les bâtimens anglais, russes ou turcs qui auraient paru sur vos côtes depuis ledit mois de messidor.
Donnez-moi toutes les nouvelles que vous pourriez avoir sur Passwan-Oglou et sur Constantinople.
Envoyez-nous ici un Français intelligent qui puisse me donner de vive voix toutes les petites nouvelles que vous pourriez avoir oubliées.
Expédiez des bâtimens à Corfou et en Italie pour faire connaître au commandant de cette place et au gouvernement français que tout va au mieux ici.
Expédiez-moi souvent des bâtimens sur Damiette.
Les journaux et les imprimés que je vous fais passer vous mettront à même de connaître notre position.
Je vous, recommande de ne pas retenir le Rivoli plus de trois ou quatre heures, et de le faire repartir tout de suite, car je suis impatient d'avoir de vos nouvelles.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 frimaire an 7 (11 décembre 1798).
Au général Marmont.
Cette lettre, citoyen général, vous sera remise par le citoyen Beauchamp.
Vous ferez appeler le capitaine de la caravelle: vous lui direz que je consens à ce que son bâtiment parte pour Constantinople aux conditions suivantes:
1°. Qu'il laissera en ôtages ses deux enfans et l'officier de la caravelle, son plus proche parent, pour me répondre du citoyen Beauchamp, qui va s'embarquer à son bord pour se rendis à Constantinople.
2°. Qu'il passera devant l'île de Chypre; qu'il fera entendre au pacha que nous ne sommes pas en guerre avec la Porte; qu'il nous renvoie le consul et les Français qui sont à Chypre; qu'il les fera embarquer devant lui sur une djerme pour se rendre à Damiette; qu'en conséquence vous allez tenir en arrestation un officier et dix hommes de la caravelle pour répondre du consul et des Français à Chypre, lesquels seront envoyés à Damiette et renvoyés sur le même bâtiment qui amènera les Fiançais de Chypre à Damiette.
3°. Qu'il sortira du port d'Alexandrie de nuit, afin d'échapper à la croisière anglaise; qu'il évitera Rhodes, afin d'échapper aux Anglais.
4°. Qu'après que le citoyen Beauchamp aura causé avec le grand-visir à Constantinople, il sera chargé de le faire revenir à Damiette, et que, sur le même bâtiment qui ramènera le citoyen Beauchamp, je ferai placer ses enfans et l'officier qu'il aura laissés en ôtages.
5°. Que du reste il peut compter que, dans tous les événemens, je serai fort aise de lui être utile.
Vous dresserez de votre séance avec lui un procès-verbal en turc et en français, qu'il signera avec vous, et dont vous et lui garderez une copie, en me faisant passer l'original.
Cette conversation devra avoir lieu à neuf heures du matin: vous lui mènerez le citoyen Beauchamp à bord. Vous aurez soin auparavant que l'on tienne tout prêts sur un bâtiment les affûts et tous les objets qu'on aurait à lui rendre.
Dès l'instant que le procès-verbal sera signé et que les ôtages seront remis, vous lui ferez rendre ses effets; et la nuit, si le temps est beau, il devra partir, ayant bien soin:
1°. Que votre entretien et la mission du citoyen Beauchamp soient parfaitement secrets;
2°. Que le commandant de la caravelle, en arrivant à la conférence, ait avec lui ses enfans et les personnes que vous voulez garder pour ôtages, que vous lui désignerez pour qu'ils se rendent à la conférence, et que vous laisserez dans un autre appartement.
3°. Qu'il n'ait plus, le reste de la journée, aucune espèce de communication avec la terre sous quelque prétexte que ce soit, afin que personne ne sache le départ de la caravelle: sans quoi ces gens-là embarqueraient beaucoup de marchandises et beaucoup de monde.
Il faut que le lendemain à la pointe du jour, les Français et les gens du pays soient tout étonnés de ne plus voir la caravelle.
Quelque observation qu'il puisse vous faire, vous déclarerez que, s'il ne part pas dans la nuit, il vous faudra de nouveaux ordres pour le laisser partir.
Je vous envoie deux ordres que vous remettrez au commandant des armes, deux ou trois heures avant l'exécution.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 frimaire an 7 (11 décembre 1798).
Instruction pour le citoyen Beauchamp.
Vous vous rendrez à Alexandrie; vous vous embarquerez sur la caravelle; vous aborderez à Chypre, vous demanderez au pacha, de concert avec le commandant de la caravelle, qu'on envoie à Damiette le consul et les Français qu'on a arrêtes dans cette île.
Vous prendrez à Chypre tous les renseignemens possibles sur la situation actuelle de la Syrie, sur une escadre russe qui serait dans la Méditerranée, sur les bâtimens anglais qui auraient paru ou qui y seraient constamment en croisière, sur Corfou, sur Constantinople, sur Passwan-Oglou, sur l'escadre turque, sur la flottille de Rhodes, commandée par Hassan-Bey, qui a été pendant un mois devant Aboukir, sur les raisons qui empêchent qu'on apporte du vin à Damiette, enfin sur les bruits qui seraient parvenus jusque dans ce pays-là sur l'Europe.
Vous m'expédierez toutes ces nouvelles avec les Français, si on les relâche, sur un petit bâtiment qui viendrait à Damiette; ou, lorsque vous verrez l'impossibilité de porter ces gens-là à relâcher les Français, vous expédieriez un petit bateau avec un homme de la caravelle pour me porter vos lettres, et sous le prétexte de me mander que le capitaine de la caravelle, ayant fait tout ce qu'il a pu, je fasse relâcher les matelots de la caravelle.
À toutes les stations que le temps ou les circonstances vous feraient faire dans les différentes échelles du Levant, vous m'expédierez des nouvelles par de petits bâtimens envoyés exprès à Damiette, et qui seront largement récompensés.
Arrivé à Constantinople, vous ferez connaître à notre ministre notre situation dans ce pays-ci; de concert avec lui, vous demanderez que les Français qui ont été arrêtés en Syrie soient mis en liberté, et vous ferez connaître le contraste de cette conduite avec la nôtre.
Vous ferez connaître à la Porte que nous voulons être ses amis; que notre expédition d'Égypte a eu pour but de punir les mameloucks, les Anglais, et empêcher le partage de l'empire ottoman que les deux empereurs, ont arrêté; que nous lui prêterons secours contre eux, si elle le croit nécessaire, et vous demanderez impérieusement et avec beaucoup de fierté qu'on relâche tous les Français qu'on a arrêtés; qu'autrement cela serait regardé comme une déclaration de guerre; que j'ai écrit plusieurs fois au grand-visir sans avoir eu une réponse, et qu'enfin la Porte peut choisir et voir en moi ou un ami capable de la faire triompher de tous ses ennemis, ou un ennemi aussi redoutable que tous ses ennemis.
Si notre ministre est arrêté, vous ferez ce qu'il vous sera possible pour pouvoir causer avec des Européens: vous reviendrez en apportant toutes les nouvelles que vous pourrez recueillir sur la position actuelle politique de cet empire.
Vous aurez soin de vous procurer tous les journaux en quelque langue qu'ils soient depuis messidor.
Si jamais on vous faisait la question: Les Français consentiront-ils à quitter l'Égypte? Pourquoi pas, pourvu que les deux empereurs fassent finir la révolte de Passwan-Oglou et abandonnent le projet de partager la Turquie européenne? Que, quant à nous, nous ferons tout ce qui pourrait être favorable à l'Empire ottoman et le mettre à l'abri de ses ennemis: mais que le préliminaire à toute négociation, comme à tout accommodement, est un firman qui fasse relâcher les Français partout où on les a arrêtés, surtout en Syrie.
Vous direz et ferez tout ce qui pourra convenir pour obtenir cet élargissement; vous déclarerez que vous ne répondez pas que je n'envahisse la Syrie, si on ne met pas en liberté tous les Français qu'on a arrêtés; et, dans le cas où on voudrait vous retenir, que si, sous tant jours, je ne vous voyais pas revenir, je pourrais me porter à une invasion.
Enfin le but de votre mission est d'arriver à Constantinople, d'y demeurer, de voir nos ministres sept à huit jours, et de retourner avec des notions exactes sur la position actuelle de la politique et de la guerre de l'empire ottoman.
Profitez de toutes les occasions pour m'écrire et pour m'expédier des bâtimens à Damiette.
De Constantinople, expédiez une estafette à Paris par Vienne avec tous les renseignemens qui pourraient être nécessaires au gouvernement: vous lui ferez passer les relations et imprimés que je joins ici à cet effet.
Ainsi, si la Porte ne nous a point déclaré la guerre, vous paraîtrez à Constantinople comme pour demander qu'on relâche le consul français et qu'on laisse libre le commerce entre l'Égypte et le reste de l'empire ottoman.
Si la Porte nous avait déclaré la guerre et avait fait arrêter nos ministres, vous lui direz que je lui renvoie sa caravelle comme une preuve du désir qu'a le gouvernement français de voir se renouveler la bonne intelligence entre les deux états, et en même temps vous demanderez notre ministre et les autres Français qui sont à Constantinople.
Vous lui ferez plusieurs notes pour détruire tout ce que l'Angleterre et la Russie pourraient avoir imaginé contre nous, et vous reviendrez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 frimaire an 7 (11 décembre 1798).
Au grand-visir.
J'ai écrit plusieurs fois à votre excellence pour lui faire connaître les intentions du gouvernement français, de continuer à vivre en bonne intelligence avec la Sublime Porte. Je prends aujourd'hui le parti de vous en donner une nouvelle preuve en vous expédiant la caravelle du grand-seigneur et le citoyen Beauchamp, consul de la république, homme d'un grand mérite, et qui a entièrement ma confiance.
Il fera connaître à votre excellence que la Porte n'a point de plus véritable amie que la république française, comme elle n'aurait pas d'ennemie plus redoutable, si les intrigues des ennemis de la France parvenaient à avoir le dessus à Constantinople: ce que je ne pense pas, connaissant la sagesse et les lumières de votre excellence.
Je désire que votre excellence retienne le citoyen Beauchamp à Constantinople le moins de temps possible, et me le renvoie pour me faire connaître les intentions de la Porte.
Je prie votre excellence de croire aux sentimens d'estime et à la haute considération que j'ai pour elle.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 frimaire an 7 (11 décembre 1798).
Au citoyen Talleyrand, ambassadeur à Constantinople.
Je vous ai écrit plusieurs fois, citoyen ministre; j'ignore si mes lettres vous sont parvenues; je n'en n'ai point reçu de vous.
J'expédie à Constantinople le citoyen Beauchamp, consul à Mascate, pour vous faire connaître notre position, qui est extrêmement satisfaisante, et pour, de concert avec vous, demander qu'on mette en liberté tous les Français arrêtés dans les échelles du levant et détruire les intrigues de la Russie et de l'Angleterre.
Le citoyen Beauchamp vous donnera de vive voix tous les détails et toutes les nouvelles qui pourraient vous intéresser.
Je désire qu'il ne reste à Constantinople que sept à huit jours.
BONAPARTE.
Au Caire, le 22 frimaire an 7 (12 décembre 1798).
Au général Reynier.
Je désirerais, citoyen général, qu'avant de faire un tour à Salahieh, vous envoyassiez cinq ou six colonnes mobiles dans les différens points de votre province.
Tous les villages qui n'auront pas vu la troupe ne se regarderont pas comme soumis: c'est le seul moyen, d'ailleurs, de faire lever le miri et les chevaux. Votre province est celle qui est le plus en retard.
Le général Lagrange porte avec lui des outres. Mon intention serait que vous lui procurassiez une quinzaine de chameaux; et, après qu'il aura passé quelques jours a Salahieh pour y organiser son service et rendre des visites aux villages qui se sont mal conduits pendant l'inondation, je désire qu'on aille occuper Catieh, où mon intention est de faire construire un fort.
BONAPARTE.
Au Caire, le 22 frimaire an 7 (12 décembre 1798).
Au général Marmont.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 14.
Il est toujours plus intéressant de rendre compte d'une mauvaise nouvelle que d'une bonne, et c'est vraiment une faute que vous avez faite, d'oublier de rendre compte des neuf prisonniers qu'ont faits les Anglais à la quatrième demi-brigade.
L'état-major donne l'ordre à la légion nautique de se rendre à Foua, d'où je la ferai venir au Caire pour l'habiller et l'organiser, afin qu'elle puisse retourner, si les circonstances l'exigeaient, et servir utilement.
Envoyez-moi au Caire tous les individus inutiles. J'ai ordonné le désarmement de la galère, qui a quatre ou cinq cents hommes qui mangent beaucoup et ne nous rendraient pas un service utile les armes à la main.
Dès l'instant que vous aurez envoyé ici beaucoup d'hommes du convoi, et qu'il n'y aura plus que des vieillards ou des hommes inutiles, j'en ferai partir la plus grande partie.
Vous devez avoir beaucoup de pèlerins; débarrassez-vous-en le plus tôt possible, ou par terre ou par mer.
Envoyez aussi des Arabes à Derne pour avoir des nouvelles; il y arrive souvent des tartanes de Marseille.
BONAPARTE.
Au Caire, le 23 frimaire an 7 (13 septembre 1798).
Au général Bon.
J'ai reçu, citoyen général, vos lettres des 20 et 21.
Il est parti hier un convoi.
Vous avez dû recevoir, par le premier convoi, du riz, du biscuit, de l'eau-de-vie, des matelots, des ouvriers de toute espèce, des outils et des sapeurs.
Je vous ai mandé hier de faire venir tous les chameaux qui vous ont porté du biscuit; joignez-y les chameaux qui ont porté notre artillerie. Ne gardez que les chameaux qui doivent porter l'eau à votre troupe. Ayez soin surtout que les chameaux des Arabes soient parfaitement libres: il faut faire ce que ces gens-là veulent. Laissez passer les lettres pour Djedda sans les décacheter, et laissez aller et venir chacun librement. Le commerce est souvent fondé sur l'imagination. La moindre chose est un monstre pour ces gens-ci, qui ne connaissent pas nos moeurs.
Je vous recommande de faire mettre une corde au puits d'Adjeroud, de manière que l'on puisse s'en servir. On dit que l'eau est bonne pour les chevaux.
Gardez spécialement les matelots, les sapeurs et les Turcs d'Omar, une partie de la trente-deuxième, et renvoyez l'autre partie.
BONAPARTE.
Au Caire, le 23 frimaire an 7 (13 décembre 1798).
Au général Leclerc.
Je vous préviens, citoyen général, que j'ai fait arrêter Cheraïbi: si vous êtes encore à Nay, vous vous rendrez à Kélioubé pour mettre le scellé sur tous ses biens. Vous écrirez au divan de la province et aux scheicks des Arabes que Cheraïbi a été arrêté, parce qu'il m'a trahi, parce qu'il a, malgré ses sermens de fidélité, correspondu avec les mameloucks, et, le jour de la révolte du Caire, appelé les habitans des différens villages qui environnent cette ville, à se joindre aux révoltés; qu'ils doivent d'autant plus sentir la justice de l'arrestation de Cheraïbi, qu'ils ont été témoins de ses crimes, et que je l'avais comblé de bienfaits.
BONAPARTE.
Au Caire, le 23 frimaire an 7 (13 décembre 1798).
Au commandant de la place du Caire.
Je vous envoie, citoyen général, Cheraïbi, chef de la province de Kélioubé. Vous le ferez mettre en prison à la citadelle et au secret, afin qu'il n'ait de communication avec qui que ce soit. Vous prendrez toutes les mesures nécessaires pour qu'il ne puisse pas s'échapper.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 frimaire an 7 (15 décembre 1798).
Au général Bon.
L'adjudant-général Valentin, citoyen général, est parti hier de Berket-el-Hadji. J'ai reçu votre lettre du 22.
Vous me demandez de vous envoyer Mustapha-Effendi; mais il doit être avec vous. Il n'est pas au Caire; il est parti immédiatement après votre colonne. Si, à l'heure qu'il est, il n'est pas à Suez, je crains fort qu'il n'ait été assassiné. Au reste, je vais prendre des renseignemens.
L'adjudant-général Valentin doit être arrivé, et vous allez vous trouver approvisionné pour long-temps.
On enverra, par la première occasion, de l'argent pour les Turcs et pour les fortifications.
Envoyez-nous les chameaux qui ont porté vos pièces. Comme elles doivent rester à Suez, ils vous sont inutiles, et serviront à vous en porter d'autres.
Si vos rhumatismes, au lieu de se guérir, continuaient à empirer, vous laisseriez le commandement à l'adjudant-général Valentin, et vous vous rendriez au Caire.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 frimaire an 7 (16 décembre 1798).
Au contre-amiral Perrée.
Je vous envoie, citoyen général, un sabre en remplacement de celui que vous avez perdu à la bataille de Chebreisse. Recevez-le, je vous prie, comme un témoignage de la reconnaissance que j'ai pour les services que vous avez rendus à l'armée dans la conquête de l'Égypte.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 7 (17 décembre 1798).
Au général Dugua.
Je reçois, citoyen général, votre lettre du 20 frimaire, de Mansoura, relative au commerce de Damiette avec la Syrie. Mon intention est que le commerce soit entièrement libre. L'inconvénient d'aider à la subsistance de nos ennemis est compensé par d'autres avantages.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 7 (17 décembre 1798).
Au même.
J'ai lu avec surprise dans votre lettre, citoyen général, que l'on employait l'argent du miri à acheter du blé. Ce doit être une coquinerie des intendans; je vais m'en faire rendre compte. Mais je vous prie de tenir la main à ce que le produit de toutes les impositions entre dans la caisse des préposés du payeur général, et n'en sorte plus sans l'ordre du payeur.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 7 (17 décembre 1798).
Au contre-amiral Villeneuve.
Je n'ai point reçu de vos lettres, citoyen général; je vous envoie un aviso. Faites-moi connaître par son retour quelle est votre position et ce que vous pourriez avoir appris des mouvemens et du nombre des ennemis dans la Méditerranée.
Les ennemis n'ont que deux vaisseaux de guerre et deux frégates devant Alexandrie.
Vous devez actuellement avoir trois ou quatre vaisseaux et trois ou quatre frégates de Malte. Nous désirons bien vous voir arriver ici.
Nous aurions besoin de cinq ou six mille fusils; chargez-en un millier sur l'aviso que je vous expédie, et envoyez-nous le reste sur des bâtimens qui viendraient aborder à Damiette.
Vous devez avoir reçu du contre-amiral Ganteaume des lettres qui ont dû vous faire connaître le besoin où nous sommes d'avoir des nouvelles d'Europe, et de recevoir notre second convoi.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 7 (17 décembre 1798).
Au directoire exécutif.
Je vous ai expédié un officier de l'armée, avec ordre de ne rester que sept à huit jours à Paris, et de retourner au Caire.
Je vous envoie différentes relations de petits événemens et différens imprimés.
L'Égypte commence à s'organiser.
Un bâtiment arrivé à Suez a amené un Indien qui avait une lettre pour le commandant des forces françaises en Égypte: cette lettre s'est perdue. Il paraît que notre arrivée en Égypte a donné une grande idée de notre puissance aux Indes, et a produit un effet très-défavorable aux Anglais: on s'y bat.
Nous sommes toujours sans nouvelles de France; pas un courrier depuis messidor. Cela est sans exemple dans les colonies même.
Mon frère, l'ordonnateur Sucy et plusieurs courriers que je vous ai expédiés, doivent être arrivés.
Expédiez-nous des bâtimens sur Damiette.
Les Anglais avaient réuni une trentaine de petits bâtimens, et étaient à Aboukir; ils ont disparu. Ils ont trois vaisseaux de guerre et deux frégates devant Alexandrie.
Le général Desaix est dans la Haute-Égypte, poursuivant Mourad-Bey, qui, avec un corps de mameloucks, s'échappe et fuit devant lui.
Le général Bon est à Suez.
On travaille avec la plus grande activité aux fortifications d'Alexandrie, Rosette, Damiette, Belbeis, Salahieh, Suez et du Caire.
L'armée est dans le meilleur état et a peu de malades. Il y a en Syrie quelques rassemblemens de forces turques. Si sept jours de désert ne m'en séparaient, j'aurais été les faire expliquer.
Nous avons des denrées en abondance, mais l'argent est très-rare, et la présence des Anglais rend le commerce nul.
Nous attendons des nouvelles de France et d'Europe; c'est un besoin vif pour nos âmes: car si la gloire nationale avait besoin de nous, nous serions inconsolables de ne pas y être.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 7 (17 décembre 1798).
Au chef de division Dumanoir.
Vous voudrez bien, citoyen, faire partir, le plus promptement possible, un bâtiment pareil à celui dans lequel s'est embarqué le citoyen Louis Bonaparte: il sera approvisionné pour un mois d'eau et deux de vivres. Il prendra à son bord le citoyen ... chargé d'une mission.
Vous remettrez au commandant du bâtiment que vous expédierez, l'ordre que je vous envoie qu'il ouvrira à trois lieues en mer.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 7 (17 décembre 1798).
Au citoyen ... officier, chargé de dépêches.
Le bâtiment sur lequel vous vous embarquerez, vous conduira à Malte. Vous remettrez les lettres que je vous envoie à l'amiral Villeneuve et au général commandant de Malte.
Le commandant de la marine, à Malte, vous donnera sur-le-champ un bâtiment pour vous conduire dans un port d'Italie qu'il jugera le plus sûr, d'où vous prendrez la poste pour vous rendre en toute diligence à Paris et remettre les dépêches que je vous fais passer au gouvernement.
Vous resterez huit à dix jours à Paris: après quoi vous reviendrez en toute diligence, en venant vous embarquer dans un port du royaume de Naples ou à Ancône.
Vous éviterez Alexandrie et aborderez avec votre bâtiment à Damiette.
Avant de partir, vous aurez soin de voir un de mes frères, membre du corps législatif; il vous remettra tous les papiers et imprimés qui auraient paru depuis messidor.
Je compte, dans tous les événemens imprévus qui pourraient survenir dans votre mission, sur votre zèle, qui est de faire parvenir vos dépêches au gouvernement, et d'en apporter les réponses.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 frimaire an 6 (17 décembre 1798).
Au citoyen ...
Vous vous dirigerez sur Malte, citoyen, en passant hors de vue de toute terre. Si vous apprenez que le port soit bloqué, vous aborderez de préférence à la cale de Massa-Sirocco, où il y a des batteries qui vous mettront à l'abri de toute insulte.
Là, vous débarquerez l'officier que vous avez à votre bord.
Vous instruirez le Commandant de la marine à Malte et le contre-amiral Villeneuve, de tout ce que vous aurez vu en mer, et du nombre des vaisseaux qui sont devant Alexandrie, et vous demanderez les ordres du commandant de la marine.
Vous reviendrez m'apporter les dépêches du général commandant à Malte, et du contre-amiral Villeneuve, et, si vous ne pouvez pas aborder à Alexandrie, vous aborderez à Damiette ou sur tout autre point de la côte, depuis le Marabou jusqu'à Orum-Faregge à trente lieues de Damiette.
Vous ne resterez que vingt-quatre heures à Malte.
Je compte sur votre zèle dans une mission aussi importante, qui, indépendamment des nouvelles qu'elle doit nous faire avoir de l'Europe, doit nous faire venir des objets essentiels pour l'armée.
Vous chargerez sur votre bâtiment les armes que le commandant de Malte vous remettra.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 frimaire an 7 (18 décembre 1798).
Au général Bon.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 25. J'ai lu avec le plus vif intérêt ce que vous m'avez dit relativement à l'Indien des états de Tippoo Saïb.
Il serait nécessaire que vous fissiez sonder la rade pour savoir si des frégates de l'île de France que j'attends, pourraient, étant arrivées à Suez, s'approcher de la côte jusqu'à deux cents toises, de manière à être protégées par les batteries de la côte.
Le chef de bataillon Say est arrivé. La caravelle que je vous ai envoyée, chargée de riz et d'avoine pour les chevaux, sera sans doute arrivée également.
J'ai ordonné au kiaka des Arabes de me faire venir deux bouteilles d'eau de la source chaude qui se trouve à deux journées de Suez, sur la côte de la mer Rouge.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 frimaire an 7 (18 décembre 1798).
Au général Marmont.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 19 frimaire. La correspondance commence à être bien lente par le Nil.
Le citoyen Beauchamp, et mon aide-de-camp Lavalette, doivent être arrivés.
Si un bâtiment, dans la principale passe, peut favoriser l'entrée des bâtimens qui vous viendraient de France, il est nécessaire, je crois, que vous vous concertiez avec le commandant des armes pour en faire mettre un.
Envoyez à Rosette toutes les djermes, chaloupes et petits bâtimens qui peuvent passer la barre, afin de charger à Rosette pour Alexandrie des riz, du biscuit, du blé, de l'orge et autres objets. Je vais faire filer sur Rosette jusqu'à cent mille quintaux de blé; mais prenez toutes les mesures pour qu'il ne soit pas dilapidé.
Tâchez d'envoyer des Arabes à Derne. Faites écrire par un habitant d'Alexandrie à un habitant de Derne, afin de lui faire connaître que si, toutes les fois qu'il arrive des nouvelles de France, il nous les fait passer, ses courriers seront bien payés, et que lui aura une bonne récompense.
Il part demain cent mille rations de biscuit pour Rosette, et deux mille quintaux de farine.
Au Caire, le 29 frimaire an 7 (19 décembre 1798).
Bonaparte, général en chef, voulant favoriser le couvent du mont Sinaï:
1°. Pour qu'il transmette aux races futures la tradition de notre conquête;
2°. Par respect pour Moïse et la nation juive, dont la cosmogonie nous retrace les âges les plus reculés;
3°. Parce que le couvent du mont Sinaï est habité par des hommes instruits et policés, au milieu de la barbarie des déserts où ils vivent;
Ordonne:
ART 1er. Les Arabes bédouins, se faisant la guerre entre eux, ne peuvent, de quelque parti qu'ils soient, s'établir ou demander asile dans le couvent, ni aucune subsistance ou autres objets.
2. Dans quelque lieu que résident les religieux, il leur sera permis d'officier, et le gouvernement empêchera qu'ils ne soient troublés dans l'exercice de leur culte.
3. Ils ne seront tenus de payer aucun droit ni tribut annuel, comme ils ont été exemptés suivant les différens titres qu'ils en conservent.
4. Ils sont exempts de tout droit de douane pour les marchandises et autres objets qu'ils importeront et exporteront pour l'usage du couvent, et principalement pour les soieries, les satins et les produits des fondations pieuses, des jardins, des potagers qu'ils possèdent dans les îles de Scio et de Chypre.
5. Ils jouiront paisiblement des droits qui leur ont été assignés dans diverses parties de la Syrie et au Caire, soit sur les immeubles, soit sur leurs produits.
6. Ils ne paieront aucune épice, rétribution et autres droits attribués aux juges dans les procès qu'ils pourront avoir en justice.
7. Ils ne seront jamais compris dans les prohibitions d'exportation et d'achat de grains pour la subsistance de leur couvent.
8. Aucun patriarche, évêque ou autre ecclésiastique supérieur, étranger à leur ordre, ne pourra exercer d'autorité sur eux ou dans leur couvent; cette autorité étant exclusivement remise à leurs évêques et au corps des religieux du mont Sinaï.
Les autorités civiles et militaires veilleront à ce que les religieux du mont Sinaï ne soient pas troublés dans la jouissance desdits privilèges.
BONAPARTE.
Au Caire, le 1er. nivose an 7 (21 décembre 1798).
Aux habitans du Caire.
Des hommes pervers avaient égaré une partie d'entre vous: ils ont péri. Dieu m'a ordonné d'être clément et miséricordieux pour le peuple; j'ai été clément et miséricordieux envers vous.
J'ai été fâché contre vous de votre révolte; je vous ai privés pendant dix mois de votre divan; mais aujourd'hui je vous le restitue: votre bonne conduite a effacé la tache de votre révolte.
Chéryfs, eulémas, orateurs de mosquées, faites bien connaître au peuple que ceux qui, de gaîté de coeur, se déclareraient mes ennemis, n'auraient de refuge ni dans ce monde ni dans l'autre. Y aurait-il un homme assez aveugle pour ne pas voir que le destin lui-même dirige toutes mes opérations? y aurait-il quelqu'un assez incrédule pour révoquer en doute que tout, dans ce vaste univers, est soumis à l'empire du destin?
Faites connaître au peuple que, depuis que le monde est monde, il était écrit qu'après avoir détruit les ennemis de l'islamisme, fait abattre les croix, je viendrais du fond de l'occident remplir la tâche qui m'a été imposée. Faites voir au peuple que, dans le saint livre du Qoran, dans plus de vingt passages, ce qui arrive a été prévu, et que ce qui arrivera est également expliqué.
Que ceux donc que la crainte seule de nos armes empêche de nous maudire, changent; car, en faisant au ciel des voeux contre nous, ils sollicitent leur condamnation; que les vrais croyans fassent des voeux pour la prospérité de nos armes.
Je pourrais demander compte à chacun de vous des sentimens les plus secrets du coeur; car je sais tout, même ce que vous n'avez dit à personne: mais un jour viendra que tout le monde verra avec évidence que je suis conduit par des ordres supérieurs, et que tous les efforts humains ne peuvent rien contre moi: heureux ceux qui, de bonne foi, sont les premiers à se mettre avec moi!
ART 1er. Il y aura au Caire un grand divan composé de soixante personnes ci-après nommées:
(Suivent les noms).
2. Il y aura auprès du divan un commissaire français, le citoyen Cloutiers, et un commissaire musulman, Dzulfekar Kiaka.
3. Le général commandant la place fera réunir le 5 nivose, à neuf heures du matin, les membres qui doivent composer le divan général.
4. Ils procéderont à la nomination d'un président, de deux secrétaires, au scrutin et à la majorité absolue des suffrages.
5. Après quoi ils procéderont à la nomination des quatorze personnes qui devront composer le petit divan, au scrutin et à la pluralité absolue. Les séances du divan général doivent être terminées en trois jours: il ne pourra être réuni que par une convocation extraordinaire.
6. Lorsque le général en chef aura accepté les membres nommés par le divan général pour faire partie du divan, ceux-ci se réuniront et procéderont à la nomination d'un président pris dans les quatorze, d'un secrétaire, de deux interprètes pris hors des quatorze, d'un huissier, d'un chef de bâtonniers et de dix bâtonniers.
7. Les membres composant le petit divan se réuniront tous les jours, et s'occuperont sans relâche de tous les objets relatifs à la justice, au bonheur des habitans, et aux intérêts de la république française.
8. Le président aura cent talaris par mois, les autres treize membres quatre-vingt talaris par mois, les secrétaires auront vingt-cinq talaris par mois, l'huissier soixante parahs par jour, le chef des bâtonniers quarante parahs, les autres bâtonniers quinze parahs.
BONAPARTE.
Belbeis, le 13 nivose an 7 (3 janvier 1799).
Au divan du Caire.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite, que j'ai lue avec le plaisir que l'on éprouve toujours lorsqu'on pense à des gens que l'on estime et sur l'attachement desquels on compte.
Dans peu de jours je serai au Caire.
Je m'occupe, dans ce moment-ci, à faire faire les opérations nécessaires pour désigner l'endroit par où l'on peut faire passer les eaux pour joindre le Nil et la mer Rouge. Cette communication a existé jadis, car j'en ai trouvé la trace en plusieurs endroits.
J'ai appris que plusieurs pelotons d'Arabes étaient venus commettre des vols autour de la ville. Je désirerais que vous prissiez des informations pour connaître de quelle tribu ils sont; car mon intention est de les punir sévèrement. Il est temps enfin que ces brigands cessent d'inquiéter le pauvre peuple qu'ils rendent bien malheureux.
Croyez, je vous prie, au désir que j'ai de vous faire du bien.
BONAPARTE.
Au Caire, le 18 nivose an 7 (7 janvier 1799).
Au général Marmont.
À mon retour d'une course dans le désert, je reçois vos lettres des 21, 25 et 28 frimaire, et 4 et 6 nivose.
J'approuve les mesures que vous avez prises dans les circonstances essentielles où vous vous êtes trouvé.
Vous sentez bien que le moment d'augmenter la garnison d'Alexandrie n'est pas celui dans lequel vous êtes, d'autant plus que la saison vous débarrassant des Anglais, vous êtes tranquille de ce côté-là.
Que la caravelle parte le plus tôt possible, que le Lodi parte lorsque le citoyen Arnaud sera guéri.
Multipliez vos relations avec Damanhour, où se trouve le quartier-général de la province. Vous recevrez l'ordre de l'état-major, pour que l'adjudant-général Leturcq vous rende compte exactement.
Le citoyen Boldoni part.
J'attends les quatre à cinq cents matelots que vous m'avez annoncés et surtout les Napolitains.
Je donne ordre pour que le village du schérif d'Alexandrie lui soit donné.
Je vous autorise à envoyer un parlementaire aux Anglais: vous leur direz que vous avez appris qu'ils avaient la peste à bord, et que dans ce cas vous leur offrez tous les secours que l'humanité pourrait exiger.
Envoyez un homme extrêmement honnête, qui soit peu parleur et qui ait de bonnes oreilles.
Si Lavalette était à Alexandrie, et que vous eussiez l'idée de l'y envoyer, ce n'est point mon intention; il faut y envoyer un homme qui ait le grade tout au plus de capitaine, qui leur pourra porter les gazettes d'Égypte, et qui tâchera de tirer des gazettes d'Europe, s'ils en ont et s'ils veulent en donner.
Recommandez que l'officier seul monte à bord, de manière qu'à son retour dans la ville il n'y soit pas fait de caquets, et qu'il vous confie seul tout ce qui se sera passé.
Tous les engagemens que vous avez pris avec le divan seront ponctuellement exécutés.
BONAPARTE.
Au Caire, le 22 nivose an 7 (11 janvier 1799).
Au général Murat.
Vous partirez demain, citoyen général, à huit heures du matin. Vous sortirez comme pour aller à Belbeis, dehors de la ville; vous gagnerez le Mokattam; vous vous enfoncerez à deux lieues dans le désert, et vous vous dirigerez en suivant toujours le désert sur le village de Gamasé, province d'Alfiéli, où se trouvent les tribus des Aydé et des Masé, qui ont cent hommes montés sur des chameaux, et qui sont des tribus ennemies.
Le citoyen Venture vous donnera un conducteur qui est un des grands ennemis de ces tribus.
Vous combinerez votre marche de manière à vous reposer pendant la nuit à deux ou trois lieues de ces Arabes, et pouvoir, à la pointe du jour, tomber sur leur camp, prendre tous leurs chameaux, bestiaux, femmes, enfans, vieillards, et la partie de ces Arabes qui sont à pied.
Vous tuerez tous les hommes que vous ne pourrez pas prendre.
Comme le village où ils sont n'est pas éloigné du Nil, vous ferez embarquer sur des djermes, pour nous les envoyer, les femmes, bestiaux, et tous les prisonniers. Vous vous mettrez à la poursuite des fuyards qui nécessairement se porteront du côté de Gendeli et de Toueritz. Vous irez dans l'un et l'autre de ces endroits; de là vous irez jusqu'à la mer Rouge, et vous vous trouverez pour lors à peu près à trois lieues de Suez, au commandant duquel vous écrirez un mot.
Vous mènerez avec vous le chef de brigade Lédé avec quatre-vingts hommes du dix-huitième et du troisième. Vous le chargerez, avec ce détachement, de la garde des prisonniers, du détail de l'embarquement, de la conduite des prisonniers et de tout ce que vous aurez pris.
Indépendamment de quatre jours de vivres que vous avez eu l'ordre d'emporter sur des chameaux, faites-en prendre pour deux jours à la troupe; ce qui vous fera pour six jours.
Dans toute votre marche dans le désert, vous pousserez toujours sur votre droite et votre gauche, à une lieue, un officier et quinze hommes de cavalerie, et vous marcherez sur tous les convois de chameaux que vous rencontrerez dans votre route. Je compte que votre course en produira plusieurs centaines.
BONAPARTE.
Au Caire, le 23 nivose an 7 (12 janvier 1799).
Au général Lanusse.
Je désire, citoyen général, que vous fassiez arrêter le fils d'Abou-Chaïr, et que vous l'envoyiez sous bonne escorte à la citadelle du Caire: c'est un ôtage qu'il est bon d'avoir. Ses biens seront confisqués au profit de la république.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 nivose an 7 (14 janvier 1799).
Au général Caffarelli.
Demain, citoyen général, le général Junot part pour Suez.
Je désire que la position du puits qui se trouve vers la moitié du chemin soit déterminée; que les ingénieurs se munissent de tout ce qui sera nécessaire pour descendre dans ce puits; qu'ils reconnaissent si l'on a creusé jusqu'au roc, et s'il serait possible de creuser davantage; enfin qu'ils mesurent la distance du Caire à Suez.
Après demain d'autres ingénieurs partiront escortés par cinquante hommes, que le général Junot laisse à cet effet. Ils mesureront aussi la distance du Caire à Suez, par la vallée de l'Égarement.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 nivose an 7 (14 janvier 1799).
Au général commandant à Alexandrie.
Je ne conçois pas, citoyen général, comment les consuls étrangers ont pu recevoir une lettre de l'amiral anglais sans que vous en soyez instruit, et je conçois encore moins comment l'ayant reçue, ils l'aient publiée sans votre permission.
Faites-vous rendre compte par les consuls qui leur a remis cette lettre, et faites-leur connaître que si, à l'avenir, ils ne vous remettaient pas toutes cachetées les lettres qu'ils recevraient, vous les feriez fusiller. Si ce cas se représentait, vous m'enverriez la lettre toute cachetée.
Vous ferez mettre le scellé sur tous les effets du nommé Jennovisch, capitaine impérial qui s'est rendu à Alexandrie, et vous me l'enverrez sous bonne escorte au Caire; vous aurez soin de le faire mettre nu, et de prendre tous ses habillemens que vous ferez découdre pour vous assurer qu'il n'y a rien dedans. Vous lui ferez donner d'autres habits.
L'envoi de cet homme à Alexandrie me paraît suspect: du reste, je suis fort aise qu'il y soit, puisqu'il nous donnera des nouvelles du continent; mais qu'il ne parle à personne.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 nivose an 7 (15 janvier 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Nous avons le plus grand besoin d'argent. Les fermes doivent six mille talaris; les sagats, mille; les négocians de Damas, sept cents. Voyez de les faire payer dans les vingt-quatre heures.
Vous me ferez demain un rapport sur nos ressources et nos moyens d'avoir de l'argent. Tâchez de nous avoir deux à trois cent mille francs.
Les deux bâtimens de café qui sont arrivés à Suez doivent avoir payé quelques droits; faites-vous-en remettre le montant.
Je vous envoie un ordre pour que les Cophtes versent demain dix mille talaris, après demain dix mille autres; le 1er. pluviose, dix mille; le 3, dix mille autres; le 5, dix mille autres: en tout cinquante mille talaris.
Vous hypothéquerez pour le paiement dudit argent, les blés qui sont dans la Haute-Égypte, et vous leur ferez connaître qu'il est indispensable que cela soit soldé, parce que j'en ai le plus grand besoin.
Vous me ferez demain un rapport sur la quantité d'obligations qu'a en ce moment l'enregistrement, en comptant depuis aujourd'hui, décade par décade.
Enfin, vous me ferez un rapport sur la quantité des villages et terres qui ont été affermés et sur les conditions desdits affermages.
Vous demanderez deux mois d'avance à tous les adjudicataires des différentes fermes.
BONAPARTE.
Au Caire, le 16 nivose an 7 (15 janvier 1798).
Au contre-amiral Ganteaume.
Vous vous rendrez à Suez, citoyen général; vous y passerez une inspection rigoureuse de tous les établissemens de la marine de Suez; vous donnerez les ordres pour que tous les magasins et établissemens soient conformes au projet que j'ai d'organiser et de maintenir à Suez un petit arsenal de construction.
La chaloupe canonnière la Castiglione sera sans doute de retour.
Si les trois autres chaloupes canonnières sont prêtes, bien armées, et dans le cas de remplir une mission dans la mer Rouge, vous partirez avec elles.
Vous vous rendrez à Cosseir, Vous vous emparerez de tous les bâtimens appartenant aux mameloucks, qui sortiront du port.
Vous vous emparerez du fort, et vous le ferez mettre sur-le-champ dans le meilleur état de défense.
Vous tâcherez de correspondre avec le général Desaix. Vous laisserez en croisière, devant le port de Cosseir, une partie de vos chaloupes canonnières.
Vous mènerez avec vous un commissaire de la marine, et un officier intelligent que vous établirez à Cosseir, commissaire et commandant des armes.
Vous ferez tous les réglemens que vous jugerez nécessaires pour l'établissement de la douane, pour la formation des magasins nationaux, la recherche de tout ce qui appartenait aux mameloucks, et pour le commerce.
Vous écrirez à Yamb'o, Gedda et Mokka, pour faire connaître que l'on peut venir, en toute sûreté, commercer dans le port de Suez; que toutes les mesures ont été prises pour l'organisation du port, et pour pouvoir fournir aux bâtimens tous les secours dont ils auront besoin.
Vous embarquerez sur chacune de vos chaloupes canonnières vingt hommes, dont quarante de la légion maltaise, dix canonniers que vous laisserez en garnison à Cosseir, et trente hommes de la trente-deuxième demi-brigade.
Vous ferez embarquer deux pièces de quatre, de campagne, que vous laisserez pour armer le fort de Cosseir, si on n'y en trouve pas.
Du reste, vous combinerez votre marche de manière que, autant que les vents pourront le permettre, vous soyez, de votre personne, de retour au Caire du 15 au 20 pluviose.
Je vous enverrai, par l'officier qui part dans deux jours, des lettres pour Mascate et Djedda, que vous ferez parvenir à leur destination.
Si les quatre armemens n'étaient pas achevés, vous enverriez alors les trois qui seraient prêts, avec les mêmes instructions que je vous donne; mais vous resteriez à Suez, et donneriez le commandement à un capitaine de frégate.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 nivose an 7 (15 janvier 1799).
Bonaparte, général en chef, ordonne:
Tous les adjudicataires des fermes ou douanes de la république paieront, du 1er au 10 pluviose, les mois de pluviose et ventose d'avance.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 nivose an 7 (15 janvier 1799).
Bonaparte, général en chef, ordonne:
Les Cophtes verseront cinquante mille talaris, à titre d'emprunt, savoir: demain, dix mille talaris; après demain, dix mille; le 1er. pluviose, dix mille; le 3 idem, dix mille; le 5 id., dix mille. En tout, cinquante mille talaris.
Il leur sera vendu, pour cette somme, une quantité de blés de la Haute-Égypte.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 nivose an 7 (15 janvier 1799).
Bonaparte, général en chef, ordonne:
Il sera formé un conseil des finances, chez l'administrateur des finances, qui se réunira demain à deux heures après-midi. Il sera composé des citoyens Monge, Caffarelli, Blanc, James, et de l'ordonnateur en chef.
Ce conseil s'occupera: 1°. du système et du tarif des monnaies et des changemens possibles à y faire, les plus avantageux à nos finances; 2°. des opérations que dans la position actuelle de l'Égypte, on pourrait faire pour procurer de l'argent à l'armée et accroître ses ressources; 3°. du plan raisonnable que l'on pourrait adopter pour, sans diminuer les revenus de la république, donner aux soldats de l'armée une récompense qu'ils ont méritée à tant de titres.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 nivose an 7 (16 janvier 1799).
Au général Marmont.
Faites faire, tous les cinq jours, une visite des hôpitaux par un officier supérieur de ronde, qui prendra toutes les précautions nécessaires à cet effet, qui visitera tous les malades, et fera fusiller sur-le-champ dans la cour de l'hôpital les infirmiers ou employés qui auraient refusé de fournir aux malades tous les secours et vivres dont ils ont besoin. Cet officier, en sortant de l'hôpital, sera mis pour quelques jours en réserve dans un endroit particulier.
Vous avez bien fait de faire donner du vinaigre et de l'eau-de-vie à la troupe. Épargnez l'un et l'autre; il y a loin d'ici au mois de juin.
BONAPARTE.
Au Caire, le 29 nivose an 7 (18 janvier 1799).
Au général Verdier.
Je reçois, citoyen général, vos lettres des 24 et 25. J'ai appris avec intérêt l'expédition que vous avez faite contre les Arabes de Derne.
Le scheick du village de Mit-Massaout est extrêmement coupable; vous le menacerez de lui faire donner des coups de bâton, s'il ne vous désigne pas l'endroit où il y aurait d'autres mameloucks et d'autres pièces qu'ils auraient cachées. Vous vous ferez donner tous les renseignemens que vous pourrez sur les bestiaux appartenant aux Arabes de Derne qui pourraient être dans son village: après quoi vous lui ferez couper la tête, et la ferez exposer avec une inscription qui désignera que c'est pour avoir caché des canons.
Vous ferez également couper la tête aux mameloucks, et vous enverrez à Gizeh les trois pièces de canon que vous avez trouvées dans ce village. Faites une proclamation dans la province, pour que tous les villages qui auraient des canons, aient à les envoyer dans le plus court délai.
BONAPARTE.
Au Caire, le 3 pluviose an 7 (22 janvier 1799).
Bonaparte, général en chef, ordonne:
La maison qu'occupe le général Lannes dans l'île de Baouda avec vingt feddams de terre, dix de chaque côté, lui sont donnés en toute propriété.
La maison qu'occupe le général Dommartin et le jardin qui est vis-à-vis, à gauche du nouveau chemin, lui sont donnés en toute propriété.
La maison qu'occupe le général Murat lui est donnée en toute propriété.
L'île de Baouda sera partagée en dix portions: seront exceptées la partie sud, où est le Mekkias, et la partie nord, où il y a une batterie, avec un arrondissement convenable.
L'île vis-à-vis Boulac, où est le lazaret, sera partagée en dix portions.
Le général en chef se réserve le soin de donner ces vingt portions à des officiers de l'armée qui les mériteront.
L'administrateur général des finances fera rédiger, dans la journée de demain, par le bureau d'enregistrement, les actes de propriété de ces différens officiers, et prendra des mesures pour exécuter d'ici au 20 pluviose l'article 2 du présent ordre. Les actes de propriété seront remis chez le payeur.
Le chef de l'état-major général fera connaître aux généraux en chef Dommartin, Lannes et Murat, que ces biens leur sont donnés en gratification extraordinaire pour les services qu'ils ont rendus dans la campagne et pour les dépenses qu'elle leur a occasionnées.
BONAPARTE.
Au Caire, le 6 pluviose an 7 (25 janvier 1799).
À l'iman de Mascate.
Je vous écris cette lettre pour vous faire connaître ce que vous avez déjà appris sans doute, l'arrivée de l'armée française en Égypte.
Comme vous avez été de tout temps notre ami, vous devez être convaincu du désir que j'ai de protéger tous les bâtimens de votre nation, et que vous les engagiez à venir à Suez, où ils trouveront protection pour leur commerce.
Je vous prie aussi de faire parvenir cette lettre à Tipoo-Saïb, par la première occasion qui se trouvera pour les Indes.
BONAPARTE.
Au Caire, le 6 pluviose an 7 (25 janvier 1799).
À Tipoo-Saïb.
Vous avez déjà été instruit de mon arrivée sur les bords de la mer Rouge avec une armée innombrable et invincible, remplie du désir de vous délivrer du joug de fer de l'Angleterre.
Je m'empresse de vous faire connaître le désir que j'ai que vous me donniez, par la voie de Mascate et de Mokka, des nouvelles sur la situation politique dans laquelle vous vous trouvez. Je désirerais même que vous pussiez envoyer à Suez ou au grand Caire quelque homme adroit qui eût votre confiance, avec lequel je pusse conférer.
BONAPARTE.
Au Caire, le 6 pluviose an 7 (25 janvier 1799).
Au sultan de la Mecque.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez écrite, et j'en ai compris le contenu. Je vous envoie le règlement que j'ai fait pour la douane de Suez, et mon intention est de le faire exécuter ponctuellement. Je ne doute pas que les négocians de l'Hygiaz ne voient avec gratitude la diminution des droits que j'ai faite pour le plus grand avantage du commerce, et vous pouvez les assurer qu'ils jouiront ici de la plus ample protection.
Toutes les fois que vous aurez besoin de quelque chose en Égypte, vous n'avez qu'à me le faire savoir, et je me ferai un plaisir de vous donner des marques de mon estime.
BONAPARTE.
Au Caire, le 6 pluviose an 7 (25 janvier 1799).
Au général Berthier.
Vous partirez, citoyen général, le 10 pluviose, pour vous rendre à Alexandrie: vous vous y embarquerez sur la frégate la Courageuse: vous aurez avec vous deux bâtimens du convoi, bons voiliers, que j'ai fait arranger à cet effet.
Dès l'instant que vous aurez rencontré quelque bâtiment qui vous aura donné des nouvelles, vous m'en expédierez un sur Damiette, le lac Bourlos ou même sur Alexandrie, si les vents l'y portaient. Vous m'expédierez l'autre dès l'instant que vous aurez appris d'autres nouvelles, ce que je désirerais être avant que vous ne touchassiez aucune terre d'Europe.
Le plus sûr paraît être que vous vous dirigiez sur les côtes d'Italie du côté du golfe de Tarente, du port de Crotone, et, si le temps le permet, de remonter le golfe Adriatique jusqu'à Ancône. Soit que vous touchiez à Corfou ou à Malte, ou dans un point quelconque, ne manquez pas de m'envoyer toutes les nouvelles que vous pourriez avoir, en m'expédiant des bâtimens, auxquels vous donnerez l'instruction spéciale de se diriger sur Damiette.
Vous prendrez aussi des mesures pour que l'on nous envoie de l'une de ces places des sabres, des pistolets, des fusils, dont vous savez que nous avons besoin.
Vous aurez bien soin que la frégate qui vous portera, dès l'instant qu'elle sera approvisionnée de ce qui pourrait lui manquer, reparte sur-le-champ, se dirigeant sur Jaffa, et là elle saura où je suis. Arrivée à Jaffa, elle mouillera au large et avec précaution, afin de s'assurer si l'armée y est; si elle n'y était pas, elle se dirigerait vers Damiette.
Si vous pouvez faire charger sur la frégate quelques armes, vous le ferez; si les événemens qui se passeront sur le continent font que votre présence n'y soit pas nécessaire, vous rejoindrez l'armée à la prochaine mousson.
Vous remettrez les paquets que je vous envoie au gouvernement, et vous remplirez la mission dont vous êtes chargé.
BONAPARTE.
Au Caire, le 7 pluviose an 7 (26 janvier 1799).
Au général Kléber.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 3. Comme les lettres que je reçois de Mansoura me font craindre que la maladie de la deuxième demi-brigade ne soit contagieuse, je crois qu'il serait dangereux de la mettre en libre communication avec les autres demi-brigades. Faites-vous faire un rapport détaillé sur la situation de cette demi-brigade, et, dans le cas où la maladie serait contagieuse, vous pourriez la renvoyer à Mansoura: je la ferais remplacer à votre division par un bataillon de la vingt-cinquième demi-brigade.
BONAPARTE.
Au Caire, le 9 pluviose an 7 (28 janvier 1799).
Au général Marmont.
J'imagine, citoyen général, que vous aurez changé la manière de faire le service d'Alexandrie. Vous aurez placé aux différentes batteries et aux forts de petits postes stables et permanens: ainsi, par exemple, à la hauteur de l'observatoire, à la batterie des bains, vous aurez placé douze à quinze hommes qui ne devront pas en sortir, et que vous tiendrez là sans communication. Ces douze à quinze hommes fourniront le factionnaire nécessaire pour garder le poste. La position de la mer vous dispense d'avoir aujourd'hui une grande surveillance; vous vous trouvez ainsi avoir besoin de fort peu de monde. Pourquoi avez-vous des grenadiers pour faire le service en ville? Je ne conçois rien à l'obstination du commissaire des guerres Michaux à rester dans sa maison, puisque la peste y est. Pourquoi ne va-t-il pas camper sur un monticule du côté de la colonne de Pompée?
Tous vos bataillons sont, l'un de l'autre, au moins à une demi-lieue. Ne tenez que très-peu de chose dans la ville, et, comme c'est le poste le plus dangereux, n'y tenez point de troupe d'élite... Mettez le bataillon de la soixante-quinzième sous ces arbres où vous avez été long-temps avec la quatrième d'infanterie légère. Qu'il se baraque là en s'interdisant toute communication avec la ville et l'Égypte. Mettez le bataillon de la quatre-vingt-cinquième du côté du Marabou: vous pourrez facilement l'approvisionner par mer. Quant à la malheureuse demi-brigade d'infanterie légère, faites-la mettre nue comme la main, faites-lui prendre un bon bain de mer; qu'elle se frotte de la tête aux pieds; qu'elle lave bien ses habits, et que l'on veille à ce qu'elle se tienne propre. Qu'il n'y ait plus de parade; qu'on ne monte plus de garde que chacun dans son camp. Faites faire une grande fosse de chaux vive pour y jeter les morts.
Dès l'instant que, dans une maison française, il y a la peste, que les individus se campent ou se baraquent; mais qu'ils fuient cette maison avec précaution, et qu'ils soient mis en réserve en plein champ. Enfin, ordonnez qu'on se lave les pieds, les mains, le visage tous les jours, et qu'on se tienne propre.
Si vous ne pouvez pas garantir la totalité des corps où cette maladie s'est déclarée, garantissez au moins la majorité de votre garnison. Il me semble que vous n'avez encore pris aucune grande mesure proportionnée aux circonstances. Si je n'avais pas à Alexandrie des dépôts dont je ne puis me passer, je vous aurais déjà dit: partez avec votre garnison, et allez camper à trois lieues dans le désert. Je sens que vous ne pouvez pas le faire. Approchez-en le plus près que vous pourrez. Pénétrez-vous de l'esprit des dispositions contenues dans la présente lettre; exécutez-les autant que possible, et j'espère que vous vous en trouverez bien.
BONAPARTE.
Au Caire, le 9 pluviose an 7 (28 janvier 1799).
Au contre-amiral Ganteaume.
Je reçois, citoyen général, votre lettre du 5. L'intention où vous êtes de vouloir suivre vous-même l'expédition de Cosseir fait honneur à votre zèle; mais j'ai besoin de vos lumières pour une expédition considérable. Vous savez que, lorsque je vous ai envoyé à Suez, j'espérais que vous seriez de retour du 20 au 30: nous sommes au 10, et vous n'êtes pas encore parti. Les événemens arrivés à la Castiglione me persuadent qu'une fois parti, je ne vous verrai plus d'ici à deux mois; et les événemens sont tels, que je ne puis me passer de vous. Donnez les instructions nécessaires à l'officier qui commandera l'expédition, et rendez-vous de suite au Caire, où je vous attends avant le 15. Vous pouvez ramener mes vingt-cinq guides. J'écris au général Junot de compléter votre escorte au moins à cinquante ou soixante hommes.
Donnez au commandant des armes et à Feraud toutes les instructions nécessaires à votre départ. Je désirerais que la construction de la goëlette pût être tellement en train d'ici au 20, que le citoyen Feraud, avec un petit détachement d'ouvriers, pût être disponible pour se porter ailleurs.
Un gros brick anglais a fait côte à Bourlos. Sur cinquante-six hommes d'équipage, quarante se sont noyés, et seize sont en notre pouvoir. Je les attends à chaque instant. Ils nous donneront des renseignemens sur les mouvemens des Anglais. Il paraît que, cette année, les temps sont terribles.
BONAPARTE.
Au Caire, le 10 pluviose an 7 (29 janvier 1799).
Au payeur-général.
Vous passerez, citoyen, les douze actions de la compagnie d'Égypte qui appartiennent à la république, à la disposition des citoyens: Boyer, chef de brigade de la dix-huitième; Darmagnac, id. de la trente-deuxième; Conroux, id. de la soixante-unième; Lejeune, id. de la vingt-deuxième; Delorgne, id. de la treizième; Grezins, adjudant-général; Maugras, chef de brigade de la soixante-quinzième; le chef de la neuvième; Venoux, id. de la vingt-cinquième; Duvivier, colonel du quatorzième de dragons; Bron, id. du troisième; Pinon, id. du quinzième, à titre de gratification extraordinaire.
Dix actions existent dans votre caisse; je donne à l'administrateur des finances l'ordre de s'arranger avec la compagnie d'Égypte pour avoir les deux autres.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 pluviose an 7 (30 janvier 1799).
Au citoyen Poussielgue.
La femme Selti-Nefsi, veuve d'Ali-Bey et femme actuelle de Mourad-Bey, conservera la partie de ses biens qui lui vient d'Ali-Bey: je veux par-là donner une marque d'estime pour la mémoire de ce grand homme.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 pluviose an 7 (30 janvier 1799).
Au divan du Caire.
J'ai reçu votre lettre du 10 pluviose. Non-seulement j'ai ordonné à l'aga des janissaires et aux agens de la police de publier que l'on jouira, pendant la nuit du Rhamadan, de toute la liberté d'usage, mais encore je désire que vous-même fassiez tout ce qui peut dépendre de vous pour que le Rhamadan soit célébré avec plus de pompe et de ferveur que dans les autres années.
BONAPARTE.
Au Caire, le 13 pluviose an 7 (31 janvier 1799).
Au général Kléber.
L'état-major, citoyen général, vous fera passer l'ordre de mouvement pour l'occupation d'El-Arich. Pour y arriver, vous avez deux ennemis à vaincre, la faim et la soif, et les ennemis qui sont à Gaza, et qui, en deux jours, peuvent retourner à El-Arich.
Vous direz aux gens du pays que vous pourriez rencontrer, que vous n'avez ordre d'occuper qu'El-Arich, Kan-Iounes, et de chasser Ibrahim-Bey; que c'est à lui seul que vous en voulez.
Les moyens de transport que vous avez dans ce moment-ci à Catieh peuvent seuls décider de la quantité de troupes que vous pourrez envoyer à El-Arich. L'avant-garde du général Reynier épuisera tous les moyens de transport: car il est indispensable que les soldats portent pour trois jours sur eux, et qu'il ait avec lui un convoi qui assure la subsistance pour douze jours.
Arrivé à Kan-Iounes, vous pouvez écrire à Abdallah-Pacha que le bruit public nous a instruits que le grand-seigneur l'avait nommé pacha d'Égypte; que si cela est vrai, nous avons lieu d'être étonnés qu'il ne soit pas venu; que nous sommes les amis du grand-seigneur; que vous n'avez aucune intention hostile contre lui; que vous n'avez ordre de moi que d'occuper le reste de l'Égypte, et de chasser Ibrahim-Bey; que vous ne doutez pas que, s'il me fait connaître l'ordre qui le nomme pacha d'Égypte, je ne le reçoive avec tous les honneurs dus à son poste; que, du reste, vous êtes persuadé que, s'il est véritablement officier de la Sublime-Porte, il n'a rien de commun avec un tyran tel qu'Ibrahim-Bey, à la fois ennemi de la république française et de la Sublime-Porte.
Les divisions Bon et Lannes, la cavalerie et le parc de réserve sont en mouvement; je compte partir moi-même le 17. Je suivrai la route de Birket-el-Haldji, Belbeis, Corice, Salahieh, le pont Kautaxeh et Cathieh. Vous m'enverrez par cette route les rapports que vous aurez à me faire.
BONAPARTE.
Au Caire, le 15 pluviose an 7 (3 février 1799).
Au général Desaix.
Votre dernière lettre que j'ai reçue hier, citoyen général, est datée du 16 nivose. Je n'ai eu depuis aucune nouvelle de vos opérations ultérieures.
Le général Davoust m'a écrit de Syout le 23 nivose: il m'a annoncé le succès qu'il a obtenu sur les différens rassemblemens de fellahs qui s'étaient révoltés.
Depuis le 3 nivose nous sommes à Catieh et nous y avons établi un fort et des magasins assez considérables.
Le général Reynier part le 16 de Catieh pour se rendre à El-Arich.
Une grande partie de l'armée est en mouvement pour traverser les déserts et se présenter sur les frontières de Syrie.
Le quartier-général va incessamment se mettre en marche.
Mon but est de chasser Ibrahim-Bey du reste de l'Égypte, dissiper les rassemblemens de Gaza, et punir Ibrahim-Bey de sa mauvaise conduite.
Le citoyen Collot, lieutenant de vaisseau, est parti avec quatre chaloupes canonnières de Suez, portant quatre-vingts hommes de débarquement: il a ordre de croiser devant Cosseir et même de s'en emparer. Dès l'instant qu'il aura effectué son débarquement, il vous en préviendra en vous expédiant des Arabes. De votre côté, expédiez d'Esneh des hommes, pour pouvoir être instruit de son arrivée, correspondre avec lui et lui envoyer des vivres dont il pourrait se trouver avoir besoin.
Défaites-vous, par tous les moyens et le plus tôt possible, de ces vilains mameloucks.
BONAPARTE.
Au Caire, le 17 pluviose an 7 (5 février 1799).
Au général Kléber.
Nous avons reçu enfin, citoyen général, des nouvelles de France. Un bâtiment ragusais, chargé de vins, est arrivé, ayant à son bord les citoyens Hamelin et Liveron. Ils apportent des lettres que je n'ai pas encore reçues, parce que Marmont m'a écrit par un Arabe.
Jourdan a quitté le corps législatif, et commande l'armée sur le Rhin. Le congrès de Rastadt était toujours au même point: on y parlait beaucoup sans avancer.
Joubert commande l'armée d'Italie. Schawenburg commande à Malte. Pléville est parti pour Corfou. Passwan-Oglou a détruit entièrement l'armée du capitan-pacha, et est maître d'Andrinople.
La Marguerite, expédiée après la prise d'Alexandrie, et la Petite-Cisalpine, expédiée de Rosette un mois après le combat d'Aboukir, sont toutes deux arrivées.
Descoutes était en route pour Constantinople.
Au commencement de novembre, l'ambassadeur turc à Paris faisait encore ses promenades à l'ordinaire.
Les Espagnols, au nombre de vingt-quatre vaisseaux, se laissent bloquer par seize vaisseaux anglais.
On a pris des mesures pour recruter les armées: il paraît que l'on a requis tous les jeunes gens de dix-huit ans, que l'on a appelés les conscrits.
Les choses de l'intérieur sont absolument dans le même état que lorsque nous sommes partis: on ne remarque, dans l'allure du gouvernement, que le changement qu'a pu y apporter le nouveau membre qui y est entré.
Le général Humbert, avec quinze cents hommes, est arrivé en Irlande. Il a réuni quelques Irlandais autour de lui, et, quinze jours après, a été fait prisonnier avec toute sa troupe.
On arme en Europe de tous côtés; cependant on ne fait encore que se regarder.
Je retarde mon départ de deux jours, afin de recevoir des lettres avant de partir.
La trente-deuxième doit être arrivée à Catieh. Le général Bon, avec le reste de sa division, est à Salahieh. Si des événemens pressans vous rendaient un secours nécessaire, vous lui écririez: il n'aurait pas besoin de mon ordre pour marcher à vous.
BONAPARTE.
Au Caire, le 17 pluviose an 7 (5 février 1799).
Au général Marmont.
J'ai reçu, citoyen général, la lettre que vous m'avez écrite le 7, m'annonçant l'arrivée du citoyen Hamelin à Alexandrie. Toutes les troupes dans ce moment-ci traversent le désert, et j'étais moi-même sur le point de partir. Je retarde mon départ pour voir le citoyen Hamelin, ou recevoir au moins les lettres de Livourne et de Gênes que vous m'annoncez.
Vous ferez sortir un parlementaire, par lequel vous préviendrez le commandant anglais que plusieurs avisos anglais ont, à différentes époques, échoué sur la côte; que nous avons sauvé les équipages; qu'ils sont dans ce moment-ci au Caire, où ils sont traités avec tous les égards possibles; que, ne les regardant pas comme prisonniers, je les lui enverrai incessamment.
BONAPARTE.
Au Caire, le 20 pluviose an 7 (8 février 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Je donne ordre au payeur d'envoyer un de ses préposés sur une djerme armée à Mehal-el-Kebir et Menouf, pour ramasser l'argent et le rapporter au Caire le plus promptement possible.
Donnez ordre à l'agent de la province de Gizeh de se mettre en course pour lever le deuxième tiers du miri.
Pressez de tous vos moyens la rentrée du premier tiers que doivent payer les adjudicataires. Joignez-y tout ce que rend la monnaie et tout ce que doit rendre l'enregistrement; car il est indispensable que vous ramassiez, d'ici au 1er ventose, 500,000 fr., et que vous me les fassiez passer à l'armée. Ils seront escortés par un adjudant-général de l'état-major et le troisième bataillon de la trente-deuxième, qui ont ordre de partir le 30.
Envoyez des exprès de tous côtés, et écrivez que l'on active la rentrée des impositions.
Donnez ordre à Damiette pour que l'on recouvre les 150,000 fr. qui restent à recouvrer, et que l'on fasse rentrer le deuxième tiers du miri; de manière que le payeur de cette place puisse nous envoyer le 30, par Tineh et Catieh, 200,000 fr.
Donnez ordre également que les impositions se lèvent dans la Scharkieh, de manière que l'on puisse nous envoyer, d'ici au 1er du mois prochain, 100,000 fr.
Vous sentez combien il est nécessaire que, surtout dans ce premier moment, nous ayons de quoi subvenir à l'extraordinaire de l'expédition.
BONAPARTE.
Au Caire, le 20 pluviose an 7 (8 février 1799).
Au Directoire exécutif.
Plusieurs généraux et officiers m'ayant fait connaître que leur santé ne leur permettait point de continuer à servir dans ce pays-ci, surtout la campagne redevenant plus active, je leur ai accordé la permission de passer en France.
Je vous ai expédié et je vous expédie ces jours-ci plusieurs bâtimens avec des courriers: j'espère que quelques-uns vous arriveront.
L'on nous annonce à l'instant l'arrivée à Alexandrie d'un bâtiment ragusais chargé de vins, et porteur de lettres pour moi de Gênes et d'Ancône: depuis huit mois c'est la première nouvelle d'Europe qui nous arrive. Je ne recevrai ces lettres que dans deux ou trois jours, et je désire bien vivement qu'il y en ait de vous, et du moins que je puisse être instruit de ce qui se passe en Europe, afin de pouvoir guider ma conduite en conséquence.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 pluviose an 7 (9 février 1799).
Au général Marmont.
Vous verrez par l'ordre du jour, citoyen général, que tous les fonds des provinces d'Alexandrie, de Rosette et de Bahhireh doivent être versés dans la caisse du payeur d'Alexandrie. Le citoyen Baude a été investi de toute l'autorité du citoyen Poussielgue.
Le commissaire Michaud est investi de toute l'autorité de l'ordonnateur en chef sur l'administration de ces trois provinces, dont les fonds seront exclusivement destinés à pourvoir à vos services.
Ordonnez que le troisième bataillon de la soixante-quinzième se réunisse, avec deux bonnes pièces d'artillerie, à Damanhour; que cette colonne puisse se porter dans toute cette province, et même dans celle de Rosette, pour lever les impositions et punir ceux qui ce comporteraient mal. Cette mesure aura l'avantage de tirer tout le parti possible de ces deux provinces; détenir une bonne réserve éloignée de l'épidémie d'Alexandrie; et, selon les événemens, vous la feriez revenir à Alexandrie, où sa présence relèverait le moral de toute la garnison: car il est d'axiome que, dans l'esprit de la multitude, lorsque l'ennemi reçoit des renforts, elle doit en recevoir pour se croire égalité de force; et, enfin, s'il arrivait quelque événement dans le Delta, ce bataillon pourrait s'y porter, et être d'un grand secours.
Mettez-vous en correspondance avec le général Lanusse, qui commande à Menouf, et le général Fugières, qui commande à Mehal-el-Kebir. Ne vous laissez point insulter par les Arabes. Le bon moyen de faire finir votre épidémie, est peut-être de faire marcher vos troupes. Saisissez l'occasion, et calculez une opération de quatre à cinq cents hommes sur Mariout: cela sera d'autant plus essentiel, que, partant demain pour me rendre en Syrie, l'idée de mon absence pourrait les enhardir.
Si des événemens supérieurs arrivaient, le commandant de Rosette doit se retirer dans le fort de Catieh, qui doit être approvisionné pour cinq ou six mois. Maître de ce fort, il le serait de la bouche du Nil, et dès-lors empêcherait de rien faire de grand contre l'Égypte. Faites donc armer et approvisionner le fort de Raschid; mettez dans le meilleur état celui d'Aboukir, et profitez de tous les moyens possibles et du temps qui vous reste d'ici au mois de juin, pour mettre Alexandrie à l'abri d'une attaque de vive force pendant, 1°. cinq a six jours qu'une armée puisse débarquer et l'investir; 2°. quinze jours pour qu'elle commence le siège; 3°. quinze à vingt jours de siège.
Vous sentez que, lorsque cette opération pourrait être possible, je ne serais pas éloigné de dix jours de marche d'Alexandrie.
Faites lever exactement la carte des provinces de Bahhireh, Rosette et Alexandrie, et dès l'instant qu'elle sera faite, envoyez-la moi, afin qu'elle puisse me servir si votre province devenait le théâtre de plus grands événemens.
Dans ce moment-ci, la saison ne permet pas aux Anglais de rien faire de dangereux. Envoyez-moi des Arabes par Damiette et par le Caire pour me donner de vos nouvelles: dans ces deux villes, on saura où je me trouve.
Je vous envoie la relation de la fête du Rhamadan et une proclamation du divan du Caire. Il est bon de répandre l'une et l'autre non-seulement dans votre province, mais encore par les bâtimens qui partiront.
Je ne puis pas vous donner une plus grande marque de confiance qu'en vous laissant le commandement du poste le plus essentiel de l'armée.
Le citoyen Hamelin est arrivé hier: j'ai trouvé beaucoup de contradictions dans tout ce qu'il a appris en route et j'ajoute peu de foi à toutes les nouvelles qu'il donne comme les ayant apprises en route: la situation de l'Europe et de la France jusqu'au 10 novembre me paraissait assez satisfaisante.
J'apprends qu'il est arrivé un nouveau bâtiment venant de Candie: interrogez-le avec le plus grand soin, et envoyez-moi les demandes et les réponses. Informez-vous de l'escadre russe.
Quoique je croie que nous soyons en paix avec Naples et l'empereur, cependant je vous autorise à retarder, sous différens prétextes, le départ des bâtimens napolitains, impériaux, livournais; concertez-vous avec le citoyen Leroy, et envoyez-en moi l'état: nous acquerrons tous les jours des renseignemens plus certains.
BONAPARTE.
Au Caire, le 21 pluviose an 7 (9 février 1799).
Au général Dugua.
Vous prendrez, citoyen général, le commandement de la province du Caire.
Les dépôts des divisions Bon et Reynier gardent la citadelle avec deux compagnies de vétérans.
Il y a à la citadelle des approvisionnemens de réserve pour nourrir pendant cinq à six mois la garnison et l'hôpital qui s'y trouvent.
Il y a au fort Dupuy un détachement de la légion maltaise et de canonniers.
Le fort Sullowski est gardé par les dépôts du septième de hussards et du vingt-deuxième de chasseurs.
Le fort Camin est gardé par un détachement du quatorzième de dragons.
La tour du fort de l'institut est gardée par un détachement des dépôts de la division Lannes, ainsi que le fort de la Prise d'eau, et de la maison d'Ibrahim-Bey. Dans cette dernière est notre grand hôpital.
Tous nos établissemens d'artillerie sont à Gizeh, ainsi que les dépôts de la division du général Desaix.
Tous les Français sont logés autour de la place Esbequieh. J'y laisse un bataillon de la soixante-neuvième, un de la quatrième légère et un de la trente-deuxième.
Le bataillon de la quatrième partira le 24, une compagnie de canonniers marins, le 27, et le bataillon de la trente-deuxième, le 30 pluviose. J'ai désigné le 30 pour le départ de ce bataillon, parce que je suppose que le général Menou sera arrivé à cette époque avec la légion nautique. Si elle n'était pas arrivée, vous garderez ce bataillon jusqu'à son arrivée, et dans ce cas vous feriez escorter le trésor qu'on doit envoyer à l'armée, par un détachement qui ira jusqu'à Belbeis.
Je laisse à Boulac tous les dépôts de dragons, ce qui, avec les dépôts des régimens de cavalerie légère, forme près de 300 hommes. Il leur reste à tous quelques chevaux; il en arrive d'ailleurs journellement que vous leur ferez distribuer.
La première opération que vous aurez à faire est de réunir chez vous les commandans des différens dépôts, de passer la revue de leurs magasins, et de prendre toutes les mesures afin que chacun de ces régimens puisse, en cas d'alerte, monter, tant bien que mal, un certain nombre de chevaux.
Ce sont principalement les selles qui manquent. Il y a à Boulac un atelier qui a déjà reçu 6,000 fr. et qui doit en fournir quatre cents, à trente par décade. Vous ne recevrez que des selles très-bonnes, puisqu'on les paie très-cher. Le quatorzième de dragons a deux cents selles qui sont en quarantaine à Rosette depuis vingt-cinq jours, et qui doivent être ici avant la fin du mois.
On doit monter à Gizeh au moins cinq à six cents sabres par jour; vous les ferez donner aux dépôts de cavalerie qui en ont le plus besoin. Vous passerez une réforme des chevaux, et je vous autorise à faire vendre au profit des masses des régimens de cavalerie tous les chevaux hors d'état de servir.
Il y a dans la province du Caire cinq tribus principales d'Arabes:
Les Billy: c'est la plus nombreuse; elle est en paix avec nous, elle a dans ce moment-ci son chef et plus de deux cents chameaux à l'armée.
Les Joualka: nous sommes en paix avec eux. Les fils des deux principaux scheicks sont en ce moment en ôtage chez Zulvekias, commissaire près le divan.
Les Terrabins; nous sommes en paix avec eux. Ils ont leurs scheicks et presque tous leurs chameaux dans les convois de l'armée.
Enfin, les Aouatah et les Haydé, qui sont nos ennemis. Nous avons brûlé leurs villages, détruit leurs troupeaux. Ils sont dans le fond du désert, mais ils pourraient revenir faire des brigandages aux environs du Caire.
Il faut que les forts Camin, Sullowski et Dupuy leur tirent des coups de canon, quand ils approchent de trop près.
Il faut toujours avoir un bâtiment armé, embossé plus bas que la ville, près du rivage, de manière à pouvoir tirer dans la plaine.
Il faut de temps en temps envoyer cent hommes à Kelioubeh, avec une petite pièce de canon, tant pour lever le miri, que pour connaître si ces Arabes sont retournés, et pouvoir les investir et surprendre leur camp.
Il faut aussi, de temps en temps, réunir une centaine d'hommes à Giza, faire une tournée surtout dans le nord de la province, lever le miri, et donner la chasse aux Arabes.
Je désirerais que, dès que le général Leclerc sera arrivé à Gizeh, vous l'envoyassiez avec cent hommes de Jerich et cinquante hommes de la garnison du Caire, faire, dans le nord de sa province, une tournée de cinq à six jours. Vous régleriez sa marche de manière à être instruit tous les jours où il se trouverait, afin de pouvoir le rappeler, si les circonstances l'exigeaient.
Le divan du Caire a une influence réelle dans la ville, et est composé d'hommes bien intentionnés; il faut le traiter avec beaucoup d'égards et avoir une confiance particulière dans le commissaire Zulvekias et dans le scheick Madich.
L'intendant-général cophte, le chef des marchands de Damas, Michaël-Kebil, que vous pouvez consulter secrètement lorsque vous aurez quelques inquiétudes, pourront vous donner des renseignemens sur ce qui se passerait dans la ville.
S'il y avait des troubles dans la ville, il faudrait vous adresser au petit divan, réunir même le divan général. Ils réussiront à tout concilier en leur témoignant de la confiance; enfin, prendre toujours des mesures de sûreté, telles que consigner la troupe, redoubler les gardes du quartier français, y placer quelques petites pièces de canon, mais n'arriver à faire bombarder la ville par le fort Dupuy et la citadelle qu'à la dernière extrémité: vous sentez le mauvais effet que doit produire une telle mesure sur l'Égypte et dans tout l'Orient.
S'il arrivait des événemens imprévus à Alexandrie et à Damiette, vous y feriez marcher le général Lanusse et même le général Fugières.
Si vous veniez à craindre quelque ruse de la populace du Caire, vous feriez venir le général Lanusse de Menouf; il viendrait sur l'une et l'autre rive, et son arrivée ferait beaucoup d'effet dans la ville.
J'ai donné des fonds au génie, à l'artillerie et à l'ordonnateur pour tout le service de ventose.
Vous correspondrez avec moi par des Arabes, et par tous les convois qui partiront.
Quels que soient les événemens qui se passent dans la Scharkieh, vingt-cinq hommes partant de nuit arriveront toujours à Birket-el-Hadji, à Belbeis et à Salahieh.
Le commandant des armes à Boulac vous remettra l'état des bâtimens armés que vous avez sur le Nil. Il est nécessaire que ces bâtimens fassent un service de plus en plus actif.
Le payeur a ordre de tenir à votre disposition 2,000 fr. par décade, pour payer les courriers que vous m'expédierez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 22 pluviose an 7 (10 février 1799).
Au général Desaix.
Je suis fort impatient de recevoir de vos nouvelles, quoique la voix publique nous apprenne que vous ayez battu les mameloucks; et que vous en ayiez détruit un grand nombre.
Les généraux Kléber et Reynier sont à El-Arich; je pars à l'instant même pour m'y rendre. Mon projet est de pousser Ibrahim-Bey au-delà des confins de l'Égypte, et de dissiper les rassemblemens du pacha qui sont faits à Gaza.
Écrivez-moi par le Caire, en m'envoyant des Arabes droit à El-Arich.
Le citoyen Collot, lieutenant de vaisseau, est parti le 12 de ce moi, avec un très-bon vent, de Suez avec les chaloupes canonnières, portant quatre-vingts hommes de débarquement pour se rendre à Cosseir: on m'écrit de Suez, qu'à en juger par le temps qu'il a fait, il doit être arrivé le 16. Écrivez-lui par des Arabes, et procurez-lui tous les secours que vous pourrez.
Les citoyens Hamelin et Liveron sont arrivés, le 7 pluviose, à Alexandrie: ils étaient partis le 24 octobre de Trieste; le 3 novembre, d'Ancône, et le 28 nivose, de Navarino, en Morée, où ils ont resté mouillés fort long-temps; ils sont venus sur un bâtiment chargé de vin, d'eau-de-vie et de draps. À leur départ d'Europe, tout était parfaitement tranquille en France; le congrès de Rastadt durait toujours; le corps législatif paraissait avoir repris un peu plus de dignité et de considération, et avoir dans les affaires un peu plus d'influence que lorsque nous sommes partis. On avait fait une loi pour le recrutement de l'armée. Tous les jeunes gens, depuis dix-huit ans, avaient été divisés en cinq conscriptions militaires.
Voulant activer les négociations de Rastadt, on avait envoyé Jourdan commander l'armée du Rhin, Joubert, celle d'Italie, et on avait demandé à la première conscription 200,000 hommes: cela paraissait s'effectuer.
Presque tous les avisos que j'avais envoyés en France, étaient arrivés.
On avait appris en Europe la prise d'Alexandrie un mois avant la bataille des Pyramides, et la bataille des Pyramides toujours avant le combat d'Aboukir.
Le vaisseau le Généreux, qui s'était retiré à Corfou, a pris, en différentes occasions, deux frégates anglaises et le vaisseau le Leander, de 64: ce dernier s'est battu quatre heures.
Au 5 novembre, la Cisalpine et deux autres avisos que j'avais expédiés, étaient en rade à Corfou, attendant, à chaque instant, le retour de leur courrier pour remettre à la voile et revenir ici.
Une escadre russe bloquait Corfou; les habitans s'étaient réunis à la garnison, forte de quatre mille hommes. Le blocus n'a pas empêché la frégate la Brune d'y entrer le 20 novembre. L'ancien ministre de la marine Pléville est à Corfou, où il cherche à réunir le reste de notre marine. Descoutes est parti, le 15 octobre, pour Constantinople, comme ambassadeur extraordinaire.
Dès l'instant que l'on a su à Londres que toute notre armée avait débarqué en Égypte, il y a eu en Angleterre une espèce de délire.
Nos dignes alliés, les Espagnols, avaient vingt-quatre vaisseaux dans le port de Cadix, et ils étaient bloqués par seize.
L'Angleterre a déclaré la guerre à toutes les républiques italiennes.
Le général Humbert, que vous connaissez bien, a eu la bonté de doubler l'Écosse et de débarquer avec deux à trois mille hommes en Irlande. Après avoir obtenu quelques avantages, il s'est laissé investir et a été fait prisonnier; l'adjudant-général Sarrasin était avec lui. Il me fâche de voir, dans une opération aussi ridicule, le brave troisième de chasseurs.
L'escadre de Brest était très-belle.
Les Anglais bloquaient Malte, mais plusieurs bâtimens chargés de vivres y étaient déjà entrés.
On était très-indisposé à Paris contre le roi de Naples.
Ne donnez pas de relâche aux mameloucks, détruisez-les par tous les moyens possibles.
Faites construire un petit fort capable de contenir deux à trois cents hommes, et capable d'en contenir un plus grand nombre dans l'occasion, dans l'endroit le plus favorable que vous pourrez, et il faut le choisir près d'un pays fertile.
Le but de ce fort serait de pouvoir réunir là nos magasins et nos bâtimens armés, afin que dans le mois de mai ou de juin, votre division devenant nécessaire ailleurs, on puisse laisser un général avec quatre ou cinq djermes armées, qui, de là, tiendra en respect toute la Haute-Égypte. Il y aura des fours et des magasins, de sorte que quelques bataillons de renfort le mettraient dans le cas de soumettre les villages qui se seraient révoltés, ou de chasser les mameloucks qui seraient revenus. Sans cela, vous sentez que si votre division est nécessaire ailleurs, cent mameloucks peuvent revenir et s'emparer de la Haute-Égypte; ce qui n'arrivera pas si les habitans voient toujours des troupes françaises, et dès-lors peuvent penser que votre division n'est absente que momentanément. Je désirerais, si cela est possible, qu'un fort fût à même de correspondre facilement avec Cosseir.
Je fais construire, dans ce moment, deux corvettes à Suez, qui porteront chacune douze pièces de canon de 6. Mettez la main, le plus tôt possible, à la construction de votre fort; prenez là vos larges. Assurez le nombre de pièces nécessaires pour armer votre fort. Je désire, si cela est possible, qu'il soit en pierre.
BONAPARTE.
Au Caire, le 11 pluviose an 7 (10 février 1799).
Au Directoire exécutif.
Un bâtiment ragusais est entré le 7 pluviose dans le port d'Alexandrie: il avait à bord les citoyens Hamelin et Liveron, propriétaires du chargement du bâtiment, consistant en vins, vinaigre et draps: il m'a apporté une lettre du consul d'Ancône en date du 11 brumaire, qui ne me donne point d'autre nouvelle que de me faire connaître que tout est tranquille en Europe et en France; il m'envoie la série des journaux de Lugano depuis le n°. 36 (3 septembre) jusqu'au n°. 43 (22 octobre), et la série du Courrier de l'armée d'Italie, qui s'imprime à Milan, depuis le n°. 219 (14 vendémiaire) jusqu'au n°. 280 (6 brumaire).
Le citoyen Hamelin est parti de Trieste le 24 octobre, a relâché à Ancône le 3 novembre et est arrivé a Navarino, d'où il est parti le 22 nivose.
J'ai interrogé moi-même le citoyen Hamelin, et il a déposé les faits ci-joints.
Les nouvelles sont assez contradictoires: depuis le 18 messidor je n'avais pas reçu de nouvelles d'Europe.
Le 1er. novembre, mon frère est parti sur un aviso. Je lui avais ordonné de se rendre à Crotone ou dans le golfe de Tarente: j'imagine qu'il est arrivé.
L'ordonnateur Sucy est parti le 26 frimaire.
Je vous expédie plus de soixante bâtimens de toutes les nations et par toutes les voies: ainsi vous devez être bien au fait de notre position ici.
Nous avons appris par Suez que six frégates françaises, qui croisent à l'entrée de la mer Rouge, avaient fait pour plus de 20,000,000 de prises aux Anglais.
Je fais construire dans ce moment-ci une corvette à Suez, et j'ai ma flottille de quatre avisos, qui navigue dans la mer Rouge.
Les Anglais ont obtenu de la Porte que Djezzar-Pacha aurait, outre son pachalic d'Acre, celui de Damas. Ibrahim-Pacha, Abdallah-Pacha et d'autres pachas sont à Gaza, et menacent l'Égypte d'une invasion: je pars dans une heure pour aller les trouver. Il faut passer neuf jours d'un désert sans eau ni herbes; j'ai ramassé une quantité assez considérable de chameaux, et j'espère que je ne manquerai de rien. Quand vous lirez cette lettre, il serait possible que je fusse sur les ruines de la ville de Salomon.
Djezzar-Pacha est un vieillard de soixante-dix ans, homme féroce, qui a une haine démesurée contre les Français; il a répondu avec dédain aux ouvertures amicales que je lui ai fait faire plusieurs fois. J'ai, dans l'opération que j'entreprends, trois buts:
1°. Assurer la conquête de l'Égypte en construisant une place forte au-delà du désert, et dès-lors éloigner tellement les armées de quelque nation que ce soit, de l'Égypte, qu'elles ne puissent rien combiner avec une armée européenne qui viendrait sur les côtes.
2°. Obliger la Porte à s'expliquer, et par-là appuyer la négociation que vous avez sans doute entamée, et l'envoi que je fais à Constantinople du citoyen Beauchamp sur la caravelle turcque.
3°. Enfin ôter à la croisière anglaise les subsistances qu'elle tire de Syrie, en employant les deux mois d'hiver qui me restent à me rendre, par la guerre et la diplomatie, toute cette côte amie.
Je me fais accompagner dans cette course du molah, qui est, après le muphti de Constantinople, l'homme le plus révéré dans l'empire musulman;
Des quatre scheicks des principales sectes; de l'émir Hadji ou prince de la caravane.
Le rhamadan, qui a commencé hier, a été célébré de ma part avec la plus grande pompe. J'ai rempli les mêmes fonctions que remplissait le pacha.
Le général Desaix est à plus de cent soixante lieues du Caire, près des Cataractes. Il fait des fouilles sur les ruines de Thèbes. J'attends à chaque instant les détails officiels d'un combat qu'il aurait eu contre Mourad-Bey, qui aurait été tué et cinq à six beys faits prisonniers.
L'adjudant-général Boyer a découvert dans le désert, du côté du Fayoum, des mines qu'aucun Européen n'avait encore vues.
Le général Andréossi et le citoyen Berthollet sont de retour de leur tournée aux lacs de Natron et aux couvens des Cophtes. Ils ont fait des découvertes extrêmement intéressantes; ils ont trouvé d'excellent natron que l'ignorance des exploiteurs empêchait de découvrir. Cette branche de commerce de l'Égypte deviendra encore par-là plus importante. Par le premier courrier, je vous enverrai le nivellement du canal de Suez, dont les vestiges se sont parfaitement conservés.
Il est nécessaire que vous nous fassiez passer des armes et que vos opérations militaires et diplomatiques soient combinées de manière que nous recevions des secours: les événemens naturels font mourir du monde.
Une maladie contagieuse s'est déclarée depuis deux mois à Alexandrie: deux cents hommes en ont été victimes. Nous avons pris des mesures pour qu'elle ne s'étende pas: nous la vaincrons.
Nous avons eu bien des ennemis à combattre dans cette expédition: déserts, habitans du pays; Arabes, mameloucks, Russes, Turcs, Anglais.
Si, dans le courant de mars, le rapport du citoyen Hamelin m'était confirmé, et que la France fût en guerre contre les rois, je passerais en France.
Je ne me permets, dans cette lettre, aucune réflexion sur les affaires de la république, puisque, depuis dix mois, je n'ai plus aucune nouvelle.
Nous avons tous une entière confiance dans la sagesse et la vigueur des déterminations que vous prendrez.
BONAPARTE.
Belbeis, le 23 pluviose an 7 (11 février 1799).
Au général Kléber.
Je suis parti hier soir à dix heures et je suis arrivé à minuit à Belbeis. Je reçois votre lettre du 19, et, deux heures après, celle du 20. Le parc d'artillerie est arrivé hier à Salahieh. J'ai ordonné que le reste de la division Bon partît demain de Salahieh pour se rendre à Catieh; la division Lannes ira ce soir à Corain, et demain à Salahieh; toute la division de cavalerie du général Murat, forte de plus de mille chevaux, part également, et sera demain soir à Salahieh; deux cents chameaux chargés d'orge doivent être arrivés ou sont en chemin pour Catieh. Nous ramassons dans la Scharkieh tous les chameaux nécessaires, et nous cherchons tous les vivres que nous pouvons. Si les officiers de marine ont trouvé un point de débarquement près d'El-Arich, et que l'un des deux convois y arrive, je crois que nous serons bien, grâce au mouvement que vous avez donné à Damiette pendant le peu de temps que vous y êtes resté.
Quand je suis parti du Caire, le général Desaix avait détruit une partie des mameloucks à trois journées des Cataractes. On disait trois beys pris et Mourad-Bey tué depuis trois jours: cette nouvelle était celle du Caire, et l'intendant-général l'avait presque reçue officiellement. Ainsi, il est sûr qu'il y a eu une affaire.
BONAPARTE.
À Belbeis, le 23 pluviose an 7 (11 février 1799).
Au général Bon.
Vous aurez reçu, citoyen général, l'ordre de vous rendre à Catieh: nous passerons sans doute par la route du fort, où il y a de l'eau. Je suis arrivé ici hier soir, et je repars ce matin. Je serai demain à Salahieh, où j'espère recevoir de vos nouvelles.
Plusieurs convois de chameaux sont en route, et vont arriver à Catieh: donnez les ordres pour qu'ils soient déchargés. Envoyez a Tineh pour y prendre les vivres venant de Damiette qui y seraient en dépôt, et faites-les filer le plus possible sur El-Arich.
BONAPARTE.
Catieh, le 26 pluviose an 7 (14 février 1799).
Au général Ganteaume.
Il est nécessaire, citoyen général, que vous vous rendiez demain à Tineh et à la bouche d'Omin Faredge.
Vous ferez passer des ordres au commandant de la marine, à Damiette, pour le départ, par El-Arich, du citoyen Slendelet avec sa flottille.
Vous ferez partir pour El-Arich le convoi qui est à Tineh ou Omin-Faredge, et qui est destiné pour El-Arich.
Vous activerez par tous les moyens possibles la navigation du lac Menzaleh, qui, dans ce moment, est notre moyen principal pour l'approvisionnement de l'armée.
Dès le moment que vous croirez que votre présence n'est plus nécessaire, vous viendrez par terre à Catieh, et de-là au quartier-général.
BONAPARTE.
Catieh, le 26 pluviose an 5 (14 février 1799).
Au général Kléber.
Le général Bon, avec le reste de sa division, citoyen général, part ce matin pour se rendre à la première journée.
La cavalerie part ce matin pour le même endroit.
J'ignore encore si le convoi par mer pour El-Arich est parti; je ne sais pas même si le convoi d'Omin-Faredge est arrivé à Tineh; cependant je le présume, la journée d'hier ayant été favorable.
On a envoyé hier quarante chameaux à Tineh: je les attends ce matin, et je ne partirai moi-même que lorsque je les aurai vu filer sur El-Arich.
Je fais partir deux cents chameaux appartenans au quartier-général, qui viennent du Caire pour se charger à Tineh de tout ce qui pourrait y rentrer, et, dans le cas où le convoi ne serait pas arrivé a Tineh, ils iront jusqu'à Omin-Faredge.
Vous devez avoir reçu un convoi commandé par l'adjudant-général Gillyvieux, un autre par l'adjudant-général Fouler: celui-ci est le troisième Arabe que je vous expédie sur un dromadaire depuis que je suis ici.
Je n'ai point de vos nouvelles depuis la lettre du général Reynier, que vous m'avez envoyée il y a trois jours.
BONAPARTE.
Catieh, le 27 pluviose an 7 (15 février 1799).
À l'adjudant-général Grezieux.
Vous allez partir pour Tineh, citoyen, avec 200 chameaux et cinquante hommes d'escorte et une compagnie de dromadaires. Arrivé à Tineh, vous ferez charger sur ces chameaux tout l'orge, le riz et le biscuit que vous pourrez; vous presserez le départ du bataillon de la quatrième et des trois compagnies de grenadiers de la dix-neuvième; vous écrirez à l'adjudant-général Almeyras, commandant à Damiette, et vous lui marquerez d'activer le plus possible le départ des convois de subsistances pour Tineh. Vous m'expédierez de Tineh un Arabe sur un dromadaire pour me rendre compte exactement de la situation des magasins de Tineh, et me donner des nouvelles du Caire et de Damiette.
Vos chameaux chargés, vous vous rendrez à Catieh; vous y trouverez un convoi de chameaux revenant à vide d'El-Arich; vous ferez charger dessus cinquante mille rations de riz, de biscuit, et si le nombre des chameaux n'était pas suffisant, vous prendriez dans les deux cents chameaux de quoi assurer le transport de ces cinquante mille rations; vous partirez avec ce convoi pour El-Arich, et vous remettrez les chameaux dont vous n'aurez plus besoin. Avant de partir, vous donnerez l'ordre au commandant de Catieh de faire filer continuellement sur El-Arich les vivres qui arriveraient de Tineh, et de m'envoyer des exprès pour m'instruire de sa situation, de celle de ses magasins et de celle de Tineh.
BONAPARTE.
P.S. Si, à Tineh, il y avait des denrées pour charger plus de deux cents chameaux, vous feriez un second voyage avec vos chameaux.
Le parc d'artillerie a ordre, dès l'instant qu'il sera arrivé, d'envoyer cent chameaux à Tineh.
Catieh, le 27 pluviose an 7 (15 février 1799).
À l'ordonnateur en chef.
L'adjudant-général Grezieux, qui part avec deux cents chameaux pour Tineh, a ordre de faire un second voyage, si cela est nécessaire, pour l'entière évacuation des magasins de Tineh. Le parc d'artillerie qui arrive ce soir enverra cent chameaux à Tineh, et, si cela est nécessaire, ces chameaux feront deux voyages.
Vous donnerez ordre au commissaire Sartelon de rester à Catieh jusqu'à nouvel ordre, et de faire filer, avec la plus grande activité, sur El-Arich tous les objets de subsistance qui se trouveraient à Catieh.
Il doit y avoir à Damiette, Menouf, Mehal-el-Kebir, une grande quantité de son; faites filer le tout sur Catieh: ce point est le plus essentiel tant pour avancer que pour la retraite, et doit être approvisionné par tous les moyens possibles.
Vous renouvellerez les ordres à Salahieh, Belbeis et au Caire, de faire filer avec activité des convois de biscuit, orge, fèves, son et riz sur Catieh.
BONAPARTE.
Kan-Jounes, le 6 ventose an 7 (24 février 1799).
Aux scheicks et ulemas de Gaza.
Arrivé à Kan-Jounes avec mon armée, j'apprends qu'une partie des habitans de Gaza ont eu peur et ont évacué la ville. Je vous écris la présente pour qu'elle vous serve de sauvegarde, et pour faire connaître que je suis ami du peuple, protecteur des ulemas et des fidèles.
Si je viens avec mon armée à Gaza, c'est pour en chasser les troupes de Djezzar-Pacha, et le punir d'avoir fait une invasion en Égypte.
Envoyez donc au devant de moi des députés, et soyez sans inquiétude pour la religion, pour votre vie, vos propriétés et vos femmes.
BONAPARTE.
Ramleh, le 12 ventose an 7 (2 mars 1799).
Au général Kléber.
Je pense que la lettre que vous avez fait écrire par votre capitaine des Maugrabins pourra faire un bon effet. Joignez-y une sommation en règle pour leur faire sentir que la place ne peut pas tenir.
Si vous pensez qu'un mouvement de votre division sur Jaffa en accélère la reddition, je vous autorise à le faire. Si vous entrez dans la ville, prenez toutes les mesures pour empêcher le pillage; vous placerez la cavalerie en avant sur le chemin de Saint-Jean d'Acre.
Nous avons trouvé ici une assez grande quantité de magasins, surtout beaucoup d'orge.
BONAPARTE.