Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome II.
Jaffa, le 12 ventose an 7 (2 mars 1799).
Au contre-amiral Ganteaume.
Vous donnerez l'ordre qu'on fasse partir d'Alexandrie les troupes qui s'y trouveraient sur les bâtimens de transport que l'on jugera les plus propices.
Vous donnerez l'ordre au contre-amiral Perrée, s'il peut sortir d'Alexandrie avec les trois frégates la Junon, l'Alceste et la Courageuse et deux bricks, sans que l'ennemi s'en aperçoive, de se rendre à Jaffa, où il recevra de nouveaux ordres. Si le temps le poussait devant Saint-Jean d'Acre, il s'informera si nous y sommes: il est probable que nous y serons. Alors il embarquera avec lui, sur chacune de ses frégates, une pièce de 24 et un mortier avec trois cents coups à tirer, et sur chaque frégate une forge pour rougir les boulets à terre. Il ne faut pas cependant que l'embarquement desdits objets retarde en rien son départ, si le temps était propice.
S'il pensait ne pouvoir sortir sans que l'ennemi eût connaissance de son mouvement, il tacherait de m'envoyer à Jaffa deux bons bricks, tels que le Salamine et l'Alerte.
Vous enverrez cet ordre par un officier de marine qui partira sur une djerme, qui débarquera à Damiette, et par le courrier qui part demain pour le Caire.
BONAPARTE.
El-Arich, le 15 ventose an 7 (5 mars 1799).
Au général Dugua.
Le chef de l'état-major doit vous avoir tenu instruit des différens mouvemens militaires qui ont eu lieu ici.
Vous recevrez une quinzaine de drapeaux avec six cachefs et une trentaine de mameloucks: mon intention est qu'ils soient bien traités. On leur restituera leurs maisons, mais on exercera sur eux une surveillance particulière. Vous leur réitérerez la promesse que je leur ai faite de leur faire du bien si, à mon retour, vous êtes content de leur conduite.
Je désire que vous voyiez le scheik Mahdieh et les différens membres du divan, que vous vous concertiez pour faire une petite fête à la réception des drapeaux, et, si cela se peut, faire naturellement qu'ils soient placés dans la mosquée de Geuil-Azur, comme un trophée de la victoire remportée par l'armée d'Égypte sur Djezzar et sur les ennemis des Égyptiens.
Arrangez tout cela comme vous pourrez. Faites connaître aux habitans du Caire, de Damiette, qu'ils peuvent envoyer des caravanes en Syrie; qu'ils vendront bien leurs marchandises, et que leurs propriétés seront respectées.
Faites filer du biscuit par toutes les occasions.
Faites dire à Ibrahim, scheick des Billis, que je désire qu'il vienne, ainsi que le kiaya des Arabes, qui est un Maugrabin qui me serait utile. Faites-nous passer, dès que vous le pourrez, cinq ou six cents coups à boulet de 8 et trois ou quatre cents de 12.
Envoyez-moi les lettres de l'armée par des convois sûrs, et ne m'écrivez par les Arabes que des lettres par duplicata de ce que vous m'écrirez par des détachemens: le désert est fort long, et les Arabes viennent de piller toutes les dépêches que le général Rampon m'envoyait de Catieh par un Arabe.
Je n'ai reçu de vous, depuis mon départ, qu'une seule lettre du 26. S'il venait surtout des lettres importantes, soit de la Haute-Égypte, soit de France, ne les hasardez pas légèrement; mais envoyez-les-moi par un officier et une bonne escorte, en me prévenant en gros, par un Arabe, de ce qui serait parvenu à votre connaissance.
J'ai enrôlé trois à quatre cents Maugrabins, qui marchent avec nous.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Au général Kléber.
Je vous envoie, citoyen général, une lettre au scheick de Naplouse, que je vous prie de lui faire passer. Je vous prie d'en faire faire plusieurs copies, et de les envoyer successivement, afin d'être sûr qu'une d'elles arrivera.
J'ai écrit à Djezzar-Pacha: s'il prend le parti d'envoyer quelqu'un, comme je le lui propose, recommandez à vos avant-postes de le bien traiter.
À l'instant nous prenons deux bâtimens, un chargé de deux mille quintaux de poudre, et l'autre de riz.
La garnison de Jaffa était de quatre mille hommes: deux mille ont été tués dans la ville, et près de deux mille ont été fusillés entre hier et aujourd'hui.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Aux scheicks, ulémas, et autres habitans des provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa.
Dieu est clément et miséricordieux.
Je vous écris la présente pour vous faire connaître que je suis venu dans la Palestine pour en chasser les mameloucks et l'armée de Djezzar-Pacha.
De quel droit, en effet, Djezzar a-t-il étendu ses vexations sur les provinces de Jaffa, Ramleh et Gaza, qui ne font pas partie de son pachalic? De quel droit avait-il également envoyé ses troupes à El-Arich? Il m'a provoqué à la guerre, je la lui ai apportée; mais ce n'est pas à vous, habitans, que mon intention est d'en faire sentir les horreurs.
Restez tranquilles dans vos foyers: que ceux qui, par peur, les ont quittés, y rentrent. J'accorde sûreté et sauvegarde à tous. J'accorderai à chacun la propriété qu'il possédait.
Mon intention est que les cadis continueront comme à l'ordinaire leurs fonctions et à rendre la justice, que la religion surtout soit protégée et respectée, et que les mosquées soient fréquentées par tous les bons musulmans: c'est de Dieu que viennent tous les biens, c'est lui qui donne la victoire.
Il est bon que vous sachiez que tous les efforts humains sont inutiles contre moi, car tout ce que j'entreprends doit réussir. Ceux qui se déclarent mes amis, prospèrent; ceux qui se déclarent mes ennemis, périssent. L'exemple de ce qui vient d'arriver à Jaffa et à Gaza doit vous faire connaître que si je suis terrible pour mes ennemis, je suis bon pour mes amis, et surtout clément et miséricordieux pour le pauvre peuple.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Aux scheicks, ulémas et commandant de Jérusalem.
Je vous fais connaître par la présente que j'ai chassé les mameloucks et les troupes de Djezzar-Pacha des provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa; que mon intention n'est pas de faire la guerre au peuple; que je suis l'ami des musulmans; que les habitans de Jérusalem peuvent choisir la paix ou la guerre. S'ils choisissent la première, qu'ils envoient au camp de Jaffa des députés pour promettre de ne jamais rien faire contre moi. S'ils étaient assez insensés pour préférer la guerre, je la leur porterai moi-même. Ils doivent savoir que je suis terrible comme le feu du ciel envers mes ennemis, clément et miséricordieux envers le peuple et ceux qui veulent être mes amis.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Aux scheicks de Naplouse.
Je me suis emparé de Gaza, Ramleh, Jaffa et de toute la Palestine. Je n'ai aucune intention de faire la guerre aux habitans de Naplouse, car je ne viens ici que pour faire la guerre aux mameloucks, à Djezzar-Pacha, dont je sais que vous êtes les ennemis.
Je leur offre donc, par la présente lettre, la paix ou la guerre. S'ils veulent la paix, qu'ils chassent les mameloucks de chez eux, et me le fassent connaître, en promettant de ne commettre aucune hostilité contre moi. S'ils veulent la guerre, je la leur porterai moi-même; je suis clément et miséricordieux envers mes amis, mais terrible comme le feu du ciel envers mes ennemis.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
À Djezzar-Pacha.
Depuis mon entrée en Égypte, je vous ai fait connaître plusieurs fois que mon intention n'était pas de vous faire la guerre, que mon seul but était de chasser les mameloucks; vous n'avez répondu à aucune des ouvertures que je vous ai faites.
Je vous avais fait connaître que je désirais que vous éloignassiez Ibrahim-Bey des frontières de l'Égypte: bien loin de là, vous avez envoyé des troupes à Gaza, vous avez fait de grands magasins, vous avez publié partout que vous alliez entrer en Égypte: effectivement vous avez effectué votre invasion en portant deux mille hommes de vos troupes dans le fort d'El-Arich, enfoncé à six lieues dans le territoire de l'Égypte. J'ai dû alors partir du Caire, et vous apporter moi-même la guerre que vous paraissiez provoquer.
Les provinces de Gaza, Ramleh et Jaffa sont en mon pouvoir. J'ai traité avec générosité celles de vos troupes qui s'en sont remises à ma discrétion, j'ai été sévère envers celles qui ont violé les droits de la guerre; je marcherai sous peu de jours sur Saint-Jean d'Acre. Mais quelle raison ai-je d'ôter quelques années de vie à un vieillard que je ne connais pas? Que font quelques lieues de plus à côté des pays que j'ai conquis? et puisque Dieu me donne la victoire, je veux, à son exemple, être clément et miséricordieux, non-seulement envers le peuple, mais encore envers les grands.
Vous n'avez point de raisons réelles d'être mon ennemi, puisque vous l'étiez des mameloucks. Votre pachalic est séparé par les provinces de Gaza, Ramleh et par d'immenses déserts de l'Égypte. Redevenez mon ami, soyez l'ennemi des mameloucks et des Anglais, je vous ferai autant de bien que je vous ai fait et que je peux vous faire de mal. Envoyez-moi votre réponse par un homme muni de vos pleins pouvoirs et qui connaisse vos intentions. Il se présentera à mon avant-garde avec un drapeau blanc, et je donne ordre à mon état-major de vous envoyer un sauf-conduit, que vous trouverez ci-joint.
Le 24 de ce mois, je serai en marche sur Saint Jean d'Acre; il faut donc que j'aie votre réponse avant ce jour.
BONAPARTE.
Jaffa, le 19 ventose an 7 (9 mars 1799).
Au général Dugua.
J'ai reçu, citoyen général, fort peu de lettres de vous; elles ont, j'imagine, été interceptées par cette nuée d'Arabes qui couvrent le désert: la dernière que j'ai reçue de vous est du 6 ventose.
L'état-major vous instruira des détails de la prise de Jaffa. Les 4,000 hommes qui formaient la garnison ont tous péri dans l'assaut, ou ont été passés au fil de l'épée.
Il nous reste encore Saint-Jean d'Acre.
Avant le mois de juin, il n'y a rien de sérieux à craindre de la part des Anglais.
Quant à l'affaire de la mer Rouge, on ne comprend pas grand'chose au rapport qui vous a été envoyé. Il faut espérer que les officiers de marine qui s'y trouvent, en donneront un plus intelligible.
La victoire du général Desaix doit avoir tout tranquillisé dans la haute Égypte. Nos victoires en Syrie doivent apaiser les troubles de la Scharkieh.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
Au général Marmont.
L'état-major vous aura instruit, citoyen général, des différens événemens militaires qui se sont succédé et auxquels nous devons la conquête de toute la Palestine. La prise de Jaffa a été brillante; 4,000 hommes des meilleures troupes de Djezzar et des meilleurs canonniers de Constantinople ont été passés au fil de l'épée. Nous avons trouvé dans cette ville soixante pièces de canon, des munitions, et beaucoup de magasins. Ces pièces sont toutes fondues à Constantinople et de calibre français.
Jaffa a une rade assez sûre et une petite anse où nous avons trouvé un bâtiment de cent cinquante tonneaux. Comme nous avons ici beaucoup de savon et autres objets, si quelques bâtimens de convoi de cent à cent cinquante tonneaux veulent se hasarder à venir, on les frétera.
Les dernières nouvelles que j'ai de Damiette sont du 4 ventose, d'où je conclus qu'il n'y avait rien de nouveau à Alexandrie. Le 1er ventose, il a fait des vents très-violens qui auront éloigné les Anglais.
Je vous envoie une proclamation en arabe, faite aux habitans du pays: si vous avez encore une imprimerie, faites-la imprimer et répandre dans le Levant, la Barbarie et partout où il sera possible. Dans le cas où vous n'auriez plus d'imprimerie, je donne ordre qu'on l'imprime au Caire et que l'on vous envoie deux cents exemplaires de cette proclamation.
S'il partait des bâtimens pour France, je vous autorise à écrire au gouvernement ce que vous savez de notre position: vous sentez qu'il ne doit rien y avoir de politique, mais seulement des faits.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
Au général du génie.
Des personnes arrivées d'El-Arich m'instruisent qu'on n'y a rien fait, pas même rétabli la brèche: veuillez donner des ordres pour que les réparations d'un fort si essentiel n'éprouvent aucun retard. Vous sentez qu'il peut arriver des événemens tels qu'El-Arich devienne notre tête de ligne, laquelle pouvant tenir quinze jours ou un mois, pourrait donner des résultats incalculables.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
À l'adjudant-général Almeyras.
L'état-major vous aura instruit, citoyen général, de la prise de Jaffa, où nous avons trouvé beaucoup de riz, et nous en avions besoin, car notre flottille nous manque toujours.
Nous y avons trouvé une grande quantité d'artillerie, beaucoup d'obusiers, de pièces de 4 du calibre français.
Comme il y a ici de l'huile et du savon, et d'autres objets qui sont utiles en Égypte, et que la Palestine a besoin de riz, engagez les négocians de Damiette à ouvrir un commerce avec Jaffa. Assurez-les qu'ils seront protégés et n'essuieront aucune avanie.
Si la flottille n'était pas partie, prenez toutes les mesures pour la faire sortir. Envoyez-moi aussi des djermes avec du biscuit, droit à Jaffa.
BONAPARTE.
Jaffa, le 20 ventose an 7 (10 mars 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Je vous fais passer une proclamation que j'ai faite aux habitans de ces provinces. Faites-la imprimer et répandez-la par tous les moyens possibles; envoyez-en deux cents exemplaires à Damiette et à Alexandrie, pour qu'il s'en répande dans le Levant, à Constantinople et dans la Barbarie.
Je renvoie au Caire le chef des scheicks, celui qui avait la place que j'ai donnée au scheick El-Bekri. Vous assurerez ce dernier que cela ne doit l'inquiéter en rien, et que je sais mettre de la différence entre mes vieux amis et les nouveaux.
Engagez les négocians de Damiette à venir vendre leur riz à Jaffa. Nous avons ici une grande quantité de savon; engagez les négocians du Caire à venir en acheter. Ils savent que je protège le commerce; ils n'ont à craindre ni avanies ni tracasseries. Il y a ici des articles qui manquent en Égypte, tels que le savon, l'huile; qu'ils apportent en échange du riz et du blé; prenez toutes les mesures pour activer, autant que possible, ce commerce.
Faites imprimer en arabe tout ce que Venture écrit au divan, en y faisant mettre les ornemens que le scheick Mahdi jugera à propos, et répandez-le dans l'Égypte.
BONAPARTE.
Jaffa, le 21 ventose an 7 (11 mars 1799).
Au général Dugua.
J'ai reçu, citoyen général, par mon aide-de-camp Lavalette le duplicata des lettres que vous m'avez écrites. Vous aurez reçu des lettres de Gaza et le récit de l'affaire de Jaffa.
L'événement arrivé à Cosseir est d'autant plus inconcevable, que le contre-amiral Ganteaume avait donné pour instructions au citoyen Collot, que, s'il y avait des bâtimens à Cosseir, il s'en tînt à croiser pour les empêcher de sortir.
L'état-major envoie l'ordre au général Menou de se rendre à Jaffa pour prendre le commandement de la Palestine.
Après tous les accidens que nous apprenons de la mer, il ne vous paraîtra pas prudent que vous la traversiez dans ce moment-ci; vous penserez, sans doute, qu'il est nécessaire que vous attendiez d'autres circonstances.
Votre convoi de cent cinquante chameaux chargés de vivres et de munitions d'artillerie, nous est venu fort à propos, pour les munitions d'artillerie surtout, car nous avons grand besoin de boulets de 8 et de 12.
BONAPARTE.
Jaffa, le 23 ventose an 7 (13 mars 1799).
À l'adjudant-général Grezieux.
Vous aurez, citoyen, le commandement de la province de Jaffa et de celle de Ramleh.
Votre première opération sera de faire placer une pièce de canon sur chacune des tours, et de disposer les quatre plus grosses du côté du front, pour sa défense.
L'officier du génie a ordre de réparer sur-le-champ la brèche.
Vous vous assurerez que les portes puissent se fermer facilement. Comme les deux qui existent me paraissent très-rapprochées l'une de l'autre, il suffirait d'en tenir une ouverte.
Les Grecs doivent fournir des secours à l'hôpital des blessés.
Les chrétiens latins et les Arméniens doivent fournir des secours à l'hôpital des fiévreux.
Vous formerez un divan, composé de sept personnes; vous y mettrez des mahométans et des chrétiens.
Vous seconderez toutes les opérations du citoyen Gloutier, tendant à établir les finances et à procurer de l'argent à la caisse.
Aucun bâtiment de ceux qui sont actuellement dans le port, ne doit en sortir sous quelque prétexte que ce soit.
Le commerce avec Damiette et l'Égypte sera encouragé le plus possible.
Vous enverrez dans tous les villages une proclamation afin que les habitans vivent tranquilles. J'ai chargé le général Reynier d'organiser un divan à Ramleh.
Il reste ici un officier de marine.
Si vous aviez des nouvelles plus intéressantes à me faire passer, et que le temps fût beau, vous pourriez profiter à la fois de la terre et de la mer.
Toutes les fois qu'il y aura des occasions pour l'Égypte, vous ne manquerez pas de donner des nouvelles de l'armée à l'adjudant-général Almeyras, à Damiette, et au général Dugua, au Caire.
Ayez bien soin que les magasins soient tenus en bon état et ne soient pas gaspillés. Faites toutes les recherches possibles pour en découvrir de nouveaux.
BONAPARTE.
Jaffa, le 23 ventose an 7 (13 mars 1799).
Au directoire exécutif.
Le 5 fructidor, j'envoyai un officier à Djezzar, pacha d'Acre: il l'accueillit mal et ne répondit pas.
Le 29 brumaire, je lui écrivis une autre lettre: il fit couper la tête au porteur.
Les Français étaient arrêtés à Acre et traités cruellement.
Les provinces d'Égypte étaient inondées de firmans, dans lesquels Djezzar ne dissimulait point ses intentions hostiles et annonçait son arrivée.
Il fit plus: il envahit les provinces de Jaffa, Ramleh et Gaza. Son avant-garde prit position à El-Arich, où il y a quelques bons puits et un fort situé dans le désert à dix lieues dans le territoire de l'Égypte.
Je n'avais donc plus le choix: j'étais provoqué à la guerre; je ne crus pas devoir tarder à la lui porter moi-même.
Le général Reynier rejoignit le 16 pluviose son avant-garde, qui, sous les ordres de l'infatigable général Lagrange, était à Catieh, situé à trois journées dans le désert, où j'avais réuni des magasins considérables.
Le général Kléber arriva le 18 pluviose de Damiette sur le lac Menzaleh, sur lequel on avait construit plusieurs barques canonnières, débarqua à Peluse et se rendit à Catieh.
Combat d'El-Arich.
Le général Reynier partit le 18 pluviose de Catieh avec sa division, pour se rendre à El-Arich. Il fallut marcher plusieurs jours à travers le désert sans trouver d'eau; des difficultés de toute espèce furent vaincues: l'ennemi fut attaqué, forcé, le village d'El-Arich enlevé, et toute l'avant-garde ennemie bloquée dans le fort d'El-Arich.
Attaque de nuit.
Cependant la cavalerie de Djezzar-Pacha, soutenue par un corps d'infanterie, avait pris position sur nos derrières à une lieue, et bloquait l'armée assiégeante.
Le général Kléber fit faire un mouvement au général Reynier; à minuit, le camp ennemi fut cerné, attaqué et enlevé; un des beys fut tué. Effets, armes, bagages, tout fut pris: la plupart des hommes eurent le temps de se sauver, plusieurs mameloucks d'Ibrahim-Bey furent faits prisonniers.
Siège du fort d'El-Arich.
La tranchée fut ouverte devant le fort d'El-Arich: une de nos mines avait été éventée et nos mineurs délogés. Le 28 pluviose, une batterie de brèche fut construite, ainsi que deux batteries d'approche: on canonna toute la journée du 29. Le 30 à midi, la brèche était praticable; je sommai le commandant de se rendre, il le fit. Nous avons trouvé a El-Arich trois cents chevaux, beaucoup de biscuit, de riz, cinq cents Albanais, cinq cents Maugrabins, deux cents hommes de l'Adonie et de la Caramanie; les Maugrabins ont pris du service avec nous: j'en ai fait un corps auxiliaire.
Nous partîmes d'El-Arich le 4 ventose; l'avant-garde s'égara dans le désert et souffrit beaucoup du manque d'eau: nous manquâmes de vivres, nous fûmes obligés de manger des chevaux, des mulets, des chameaux.
Nous étions le 6 aux colonnes placées sur les limites de l'Afrique et de l'Asie; nous couchâmes en Asie le 6.
Le jour suivant, nous étions en marche sur Gaza: à dix heures du matin, nous découvrîmes trois ou quatre mille hommes de cavalerie qui marchaient à nous.
Combat de Gaza.
Le général Murat, commandant la cavalerie, fit passer les différens torrens qui se trouvaient en présence de l'ennemi par des mouvemens exécutés avec précision.
La division Kléber se porta par la gauche sur Gaza; le général Lannes, avec son infanterie légère, appuyait les mouvemens de la cavalerie, qui était rangée sur deux lignes. Chaque ligne avait derrière elle un escadron de réserve: nous chargeâmes l'ennemi près de la hauteur qui regarde Nebron, et où Samson porta les portes de Gaza. L'ennemi ne reçut point la charge et se replia: il eut quelques hommes tués, entre autres le kiaya du pacha.
La vingt-deuxième d'infanterie légère s'est fort bien conduite: elle suivait les chevaux au pas de course; il y avait cependant bien des jours qu'elle n'avait fait un bon repas ni bu de l'eau a son aise.
Nous entrâmes dans Gaza: nous y trouvâmes quinze milliers de poudre, beaucoup de munitions de guerre, des bombes, des outils, plus de deux cent mille rations de biscuit et six pièces de canon.
Le temps devint affreux: beaucoup de tonnerre et de pluie; depuis notre départ de France, nous n'avions pas vu d'orage.
Nous couchâmes le 10 a Eswod, l'ancienne Azot.
Nous couchâmes le 11 à Ramleh; l'ennemi l'avait évacué avec tant de précipitation, qu'il nous laissa cent mille rations de biscuit, beaucoup plus d'orge, et quinze cents outres que Djezzar avait préparées pour passer le désert.
Siège de Jaffa.
La division Kléber investit d'abord Jaffa, et se porta ensuite sur la rivière de la Hhayah, pour couvrir le siége; la division Bon investit les fronts droits de la ville, et la division Lannes les fronts gauches.
L'ennemi démasqua une quarantaine de pièces de canon de tous les points de l'enceinte, desquelles il fit un feu vif et soutenu.
Le 16, deux batteries d'approche, la batterie de brèche, une de mortiers, étaient en état de tirer. La garnison fit une sortie; on vit alors une foule d'hommes diversement costumés, et de toutes les couleurs, se porter sur la batterie de brèche: c'étaient des Maugrabins, des Albanais, des Kurdes, des Natoliens, des Caramaniens, des Damasquyns, des Alepins, des noirs de Tekrour; ils furent vivement repoussés, et rentrèrent plus vite qu'ils n'auraient voulu. Mon aide-de-camp Duroc, officier en qui j'ai grande confiance, s'est particulièrement distingué.
À la pointe du jour, le 17, je fis sommer le gouverneur; il fit couper la tête à mon envoyé, et ne répondit point. À sept heures, le feu commença; à une heure je jugeai la brèche praticable. Le général Lannes fit les dispositions pour l'assaut; l'adjoint aux adjudans-généraux, Netherwood, avec dix carabiniers, y monta le premier et fut suivi de trois compagnies de grenadiers de la treizième et de la soixante-neuvième demi-brigade, commandées par l'adjudant-général Rambaud, pour lequel je vous demande le grade de général de brigade.
À cinq heures, nous étions maîtres de la ville, qui, pendant vingt-quatre heures, fut livrée au pillage et à toutes les horreurs de la guerre, qui jamais ne m'a paru si hideuse.
Quatre mille hommes des troupes de Djezzar ont été passés au fil de l'épée; il y avait huit cents canonniers: une partie des habitans a été massacrée.
Les jours suivans, plusieurs bâtimens sont venus de Saint-Jean d'Acre avec des munitions de guerre et de bouche; ils ont été pris dans le port: ils ont été étonnés de voir la ville en notre pouvoir; l'opinion était qu'elle nous arrêterait six mois.
Abd-Oullah, général de Djezzar, a eu l'adresse de se cacher parmi les gens d'Égypte, et de venir se jeter à mes pieds.
J'ai renvoyé à Damas et à Alep plus de cinq cents personnes de ces deux villes, ainsi que quatre a cinq cents personnes d'Égypte.
J'ai pardonné aux mameloucks et aux kachefs que j'ai pris à El-Arich; j'ai pardonné à Omar Makram, cheikh du Caire; j'ai été clément envers les Égyptiens, autant que je l'ai été envers le peuple de Jaffa, mais sévère envers la garnison qui s'est laissé prendre les armes à la main.
Nous avons trouvé à Jaffa cinquante pièces de canon, dont trente formant l'équipage de campagne, de modèle européen, et des munitions, plus de quatre cent mille rations de biscuit, deux mille quintaux de riz, et quelques magasins de savon.
Les corps du génie et de l'artillerie se sont distingués.
Le général Caffarelli, qui a dirigé ces sièges, qui a fait fortifier les différentes places de l'Égypte, est officier recommandable par une activité, un courage et des talens rares.
Le chef de brigade du génie Samson a commandé l'avant-garde qui a pris possession de Cathieh, et a rendu dans toutes les occasions les plus grands services.
Le capitaine du génie Sabatier a été blessé au siége d'El-Arich.
Le citoyen Aimé est entré le premier dans Jaffa, par un vaste souterrain qui conduit dans l'intérieur de la place.
Le chef de brigade Songis, directeur du parc d'artillerie, n'est parvenu à conduire les pièces qu'avec de grandes peines; il a commandé la principale attaque de Jaffa.
Nous avons perdu le citoyen Lejeune, chef de la vingt-deuxième d'infanterie légère, qui a été tué a la brèche: cet officier a été vivement regretté de l'armée; les soldats de son corps l'ont pleuré comme leur père. J'ai nommé à sa place le chef de bataillon Magni, qui a été grièvement blessé. Ces différentes affaires nous ont coûté cinquante hommes tués et deux cents blessés.
L'armée de la république est maître de toute la Palestine.
BONAPARTE.