Variétés Historiques et Littéraires (02/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers
Histoire veritable et divertissante de la naissance de Mie Margot et de ses aventures jusqu'à present. 1735.
Gr. in-4 de 2 feuillets[102].
Le bruit que fait tous les jours la célèbre Mie Margot est trop universellement repandu, tant dans Paris que dans la province, pour qu'on puisse garder le silence sur la naissance et l'origine de cette héroïne moderne. Son arrivée subite à Paris, annoncée d'abord par la plus épaisse populace, pouvoit faire soupçonner la noblesse de son extraction; mais, tous faits bien examinez, on en a fait une exacte découverte. Cette aimable fille naquit à Amboise au mois de février de l'année 1720, dans les jours les plus licentieux du carnaval. Son père, qu'on appeloit Eustache Dubois, et sa mère, nommée Jacqueline Rognon, ne purent contenir leur joye à la naissance de cet enfant de jubilation. Les songes qu'avoit faits sa mère, et qui avoient servi d'avant-coureurs à cette naissance illustre, les avoient avertis de la haute reputation à laquelle parviendroit leur fille Margot. Sa mère, Jacqueline Rognon, avoit, entr'autres songes, rêvé, quelques jours avant de mettre au monde cette singulière creature, qu'elle accouchoit d'un tambour, et que le bruit eclatant qu'il faisoit frappoit les oreilles de toute la ville. Ce rêve, joint à d'autres de mesme estoffe, engagea son père Eustache à faire tirer son horoscope. A la minute mesme que Margot vit la lumière, le plus fameux sorcier d'Amboise fut mandé. Après avoir fait passer toutes les etoiles par les quatre règles de l'arithmetique, et avoir malicieusement envisagé la gentille Margot, il resta comme en extase, et dit avec un ton de ravissement que cette fille feroit le plaisir du plus grand royaume de l'Europe, et qu'elle passeroit par les mains et par la langue de tout le monde. Comme les oracles sont toujours equivoques[103] ses parens prirent les termes de cette prediction du bon côté.
La petite Margot croissoit de jour en jour, et ses graces se developpoient à vüe d'œil. Il s'agit de vous faire son portrait: c'est l'usage des historiens. Vous n'attendrez pas long-tems, car le voici:
Ses cheveux étoient d'un blond tirant sur le tombac[103], ses yeux assez brillans et d'une fripponnerie à craindre, son nez entre le ziste et le zeste, ses dents inégales, mais d'une olive claire; sa bouche entre ronde et ovale, et son teint d'un blanc qui, joint avec le roux de sa chevelure et de ses sourcils, representoit un satin blanc de lait broché d'or; sa gorge sociable; sa taille etoit haute et menue, et son panier si large, que depuis la ceinture jusqu'à la tête, qu'elle avoit extremement bichonnée, elle ressembloit à un oranger en caisse[104].
Son père, qui n'etoit qu'un simple remouleur de couteaux d'ancienne fabrique, et sa mère, qui n'étoit qu'une tripière en détail, ne lui refusèrent rien de l'education qu'on donne à une fille de son rang. La petite Margot, qui, grace à ses manières affables et prevenantes pour tout le monde, avoit mérité le nom de ma Mie, fit voir une curiosité sans exemple pour les romans, et surtout pour les grandes histoires où il etoit parlé d'enlevement de filles et de femmes. J'oubliois à vous dire qu'on avoit predit à sa mère qu'elle seroit enlevée plus d'une fois en sa vie. Sa mère voulut la stiler dans les fonctions de son negoce; mais ma Mie Margot, qui n'avoit nulle inclination pour la tripe, sortit un jour de la maison paternelle, et arriva à Paris entre chien et loup; elle se logea dans le faubourg Saint-Germain, et, ayant eu l'indiscretion d'y decliner son nom, ce fut à qui publieroit le premier son arrivée. D'abord les ecosseuses de pois ne repetèrent autre chose au coin des ruës; les polissons furent leur echo: bientôt toute la ville en fut imbue.
Le penchant qu'elle avoit à devenir publique, et qui se manifestoit en elle de jour en jour, la porta bien vite à ne plus faire mystère de son séjour à Paris. Elle s'y fit voir, et la foire la vit avec plaisir et avec profit; les preaux retentirent de son nom; Polichinelle la chanta, et les theâtres la celebrèrent en chorus. Un jour qu'elle passoit sur le Pont-Neuf, où une douleur de dents la conduisoit pour se faire voir au gros Thomas[105], après quelques civilités materielles que lui fit ce massif esculape, on fut tout surpris de voir qu'il embrassa delicatement ma Mie Margot, et qu'il l'appella sa chère cousine. La reconnoissance se fit avec de vifs transports de part et d'autre, et la vanité de ma Mie Margot ne fut pas peu flattée de se voir parente de si près d'un homme qui faisoit une si grosse figure sur le Pont-Neuf, et qu'on peut appeler le pendant d'oreille du cheval de bronze.
Comme elle etoit d'une complexion fort amoureuse, l'air du Pont-Neuf fut favorable à ses inclinations; les guinguettes furent honorées de sa presence, et Vaugirard entre autres, comme le lieu le plus voisin du faubourg où elle avoit porté ses premiers pas en arrivant à Paris, disputa l'avantage de la preference aux autres tripots bacchiques. Enfin ma Mie Margot devint aussi publique que l'avoit eté la Tanturlurette, dont elle se trouva être la nièce dans une debauche qu'elles firent ensemble au Gros-Caillou.
On parla de la marier, et plusieurs partis se presentèrent. Ses charmes donnoient dans les yeux les plus en garde contre la beauté; il n'y eut pas un corps de metier dans Paris, un etat libre et mecanique, qui n'attentât sur sa personne; grands et petits, tout la voulut voir, et les vaudevilistes les plus fameux tinrent à honneur de travailler sur ma Mie Margot. Comme son humeur, aussi coquette que volage, l'empêchoit de se fixer en faveur d'aucun de ses soupirans, chacun resolut de l'enlever; elle le sçut et n'en fit que rire. Cependant le bruit en courut, et tout le monde en voulut avoir la gloire; on n'entendit plus que crier à pleine tête, dans tous les carrefours de Paris: La Mie Margot a eté enlevée! Tantôt c'etoit trois pâtissiers ensemble qui avoient fait ce coup, tantôt c'étoient trois rotisseurs, et tantôt c'étoient trois procureurs[106]. Ses ravisseurs etoient toujours au nombre de trois; on sçavoit que le nombre de trois etoit son nombre favori: elle etoit née le trois fevrier, son père demeuroit aux Trois-Andouilles, elle etoit venue au monde avec trois dents, elle avoit trois trous au menton, elle avoit dejà de la gorge à trois ans; sa mère avoit eu trois maris, et le bruit couroit qu'elle avoit eu trois pères; elle avoit trois guinguettes attitrées, sçavoir: Vaugirard, les Porcherons et la Courtille.
Semblable à la belle Helène, fameuse par son enlevement, ma Mie Margot a eu plus d'un Pâris, et a vu répandre du sang pour l'amour de son nom seul. Les femmes de ceux qui l'entretenoient à tour de rolle conçurent contre elle une si grande jalousie, qu'il y eut trois partis formidables qui conjurèrent contre sa vie. Les Dryades des Champs-Elisées, les Nymphes de la Grenouillère[107] et les Pomônes du Pilory, se distinguèrent entre autres par leur animosité; elles obligèrent la pauvre Mie Margot à songer à retourner dans le sein de sa famille, ou à porter la gloire de ses conquêtes dans les pays étrangers. En attendant l'occasion favorable pour disparoître, qui, je crois, grace à l'inconstance du public, ne tardera guères à se presenter, ma Mie Margot a pris le parti de se montrer moins frequemment. En vain ses ravisseurs entreprendroient de la defendre, ils ne pourroient rien contre l'armée femelle qui lui a declaré la guerre.
On apprendra au public le lieu de sa retraite et la suite de ses avantures au moindre changement qui arrivera. Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver à la fin de cette histoire la chanson composée, à ce sujet, par le marchand de bouteilles cassées, l'un de ses plus zelés partisans.
Chanson nouvelle sur les aventures de ma Mie Margot, par le Marchand de bouteilles cassées.
Sur l'air courant de Ma mie Margot.
En l'honneur de ma mie Margot,
Badauts, faites merveilles,
Faites chacun un bon écot
Et cassez vos bouteilles;
Les morceaux sont mon lot.
Vive, vive ma mie Margot!
Cassez bien des bouteilles.
Son nom fait grand bruit à Paris
Et nous rompt les oreilles;
De son air chacun est épris.
Où trouver ses pareilles?
Chantez tous à gogo:
Vive, vive ma mie Margot!
Mais cassez des bouteilles.
Un chacun la chante en chorus;
Elle amuse nos veilles;
Les poëtes, par leurs rébus,
Célèbrent ses merveilles.
Chantez tous à gogo:
Vive, vive ma mie Margot!
Mais cassez des bouteilles.
J'ai lu par ordre de M. le lieutenant général de police une Histoire divertissante de ma Mie Margot, dont on peut permettre l'impression.—A Paris, ce 12 octobre 1735.
Vu l'approbation, permis d'imprimer, à Paris, ce 12 octobre 1735.
De l'imprimerie de Valeyre père, rue de la Huchette.
Le Caquet des Poissonnières[108] sur le departement du roy et de la cour.
Un des jours de cette semaine, comme sur le soir je me pourmenois joyeux pour donner quelque trefve à mes labeurs, et m'esgayer un peu à l'escart, secouant le joug d'une griefve agitation d'esprit et mortelle inquiétude qui me travailloit, j'aperçois une certaine de ma cognoissance, que je ne veux nommer pour l'affection que je luy porte, qui entroit comme transportée de fureur chez un eschevin de ceste ville. Je prends resolution de la suivre, tant pour me divertir que pour sçavoir la cause pour laquelle elle alloit en ce logis. Elle estoit assistée d'une autre jeune femme que je ne cognois pas. Je la suis donc et me glisse derrière la porte subtilement, où je me cache afin d'entendre les discours qu'elles tiendroient, et venir à la cognoissance du motif qui les faisoit acheminer en ce lieu. Je suis esmerveillé que j'entends une grande assemblée de personnes qui n'avoient pas volonté de rire, mais qui estoient merveilleusement affligées; j'ouvrois les oreilles et estois attentif, comme un homme qui a quelque soupçon de sa femme, lequel escoute tousjours attentivement lorsqu'il l'entend parler avec quelqu'un (elle n'estoit certes pas ma femme, ne vous persuadez pas cela). Je demeure quelque temps que je ne pouvois facilement concevoir ce que la compagnie disoit.
Mais enfin j'entens que ceste femme icy (comme je l'entens à sa parole, la frequentant ordinairement) parle en ces termes à une de ses commères, nommée Jeanne Bernet, poissonnière de la place Maubert: Vrayement, ma commère, il semble à vous voir que vous n'estes nullement faschée de l'absence et du departement du roy[109]; au moins vous n'en donnez aucun tesmoignage ny aucune marque evidente. Mais je croy que peut-estre vous portez et couvez dans l'ame la tristesse qui vous gesne, et la douleur qui vous espoinct et bourrelle l'esprit.
Jeanne Bernet. Que profite-il de declarer son mal manifestement, et donner à cognoistre à tous le tourment qui vous accable, veu qu'il n'y a aucun moyen d'y donner remède? Le roy est parti, ma commère: c'en est faict, le coup est donné, voilà Paris encore une fois bien affligé. De retourner en bref, il n'y a pas d'apparence: les affaires que l'on dict qu'il a maintenant sont trop urgentes et de trop grande importance. Nous voicy au comble de nostre malheur.
—Mais, dites-moy, je vous prie, ma commère, quelles affaires a-il pour le présent? Tous les princes s'en vont, chacun fuit hors de Paris; le vieil papelard de Chancelier[110] mesme sortoit mardy par la porte de S.-Anthoine pour trainer sa queüe après le roy[111]. Que diable ne laisse-il vistement sa jaquette? Il ne voit plus pour manier les seaux; il semble qu'il est temps qu'il rende compte[112]: sa conscience est bien chargée. Voilà un estrange cas, que le roy sejourne si peu dans Paris[113].
Jean. B. J'en suis si affligée que je ne sçaurois ouvrir la bouche pour vous dire la raison. N'en sçavez-vous encore rien, pauvre femme? Il s'en va à Fontainebleau[114]. Mais il a une certaine chose qui lui ronge bien la cervelle! Hélas! le pauvre prince est grandement tourmenté, la cour est bien troublée; le père Siguerand ne sçait de quels traicts de rhetorique user pour apporter quelque consolation; le père Binet[115], avec ses brocards et ses railleries, y perdroit ses parolles. Le père Siguerant[116] alloit l'autre jour à S.-Louis pour demander conseil à ceux de sa compagnie; mais un certain frère Frappart, un de ceux qui a soin de faire tourner la broche et qui maintenant dispose des sausses et faict detremper le poisson, a promis de rescrire (à ce que m'a dit un père à calotte de la mesme société) en Espagne, car il est du pays. Le père, qui a l'oreille du roy, pourra appaiser la tourmente.
—Mort de ma vie! falloit-il que cela arrivât? Le roy d'Espagne[117] a-il envoyé quelque ambassadeur? Que n'est-il mort par les chemins, affin que ceste triste nouvelle ne fut parvenuë à l'oreille du roy? On dit que le conseil de France n'est pas beaucoup bon; mais celuy d'Espagne est cent fois pire, puisqu'il a suggeré un acte si estrange au roy. Bon Dieu! que l'Espagnol est mefiant! Il pense aux choses futures; je ne pense pas qu'il se laisse attraper si facilement: il est plus ruzé et plus cauteleux qu'on estime. Le François n'est pas pour estre parangonné[118] à luy. Maudite nation, qui nous a tousjours une inimitié et haine si estrange!
J. B. Voilà une chose estrange, que le roi ne sçauroit estre en repos. Il est tousjours traversé de quelque chose. Est-il possible que messieurs les Rochelois le contraignent encore d'aller vers eux? N'ont-ils pas assez experimenté son bras victorieux[119]?
Une damoiselle des halles, qui etoit plus loing avec l'assemblée de messieurs les gros marchands, s'escarte et s'en vient vers ces femmes icy, et leur tient ces propos: Que dites-vous maintenant, mesdames? Il semble que vous avez l'esprit rompu et agité de quelque chose aussi bien que moy! Voilà donc bien tout perdu! le malheur nous accable bien. Je commençois à gaigner ma pauvre vie, et tout d'un coup j'ai esté mise au blanc[120]. Je croyois avoir amassé une bonne pièce d'argent pour passer l'année à mon aise, moy et mes enfans; mais un meschant prouvoyeur m'a emporté deux cens escus: c'est le prouvoyeur de monsieur de Nemours[121]. Il m'a presenté deux ou trois fois de la monnoye de Flandre pour excuse, disant qu'il n'en avoit pas d'autres; mais au refus il s'en est allé, et je ne l'ay plus reveu. Sans doute c'est de l'argent de monsieur d'Aumale. Je ne croy pas pourtant que monsieur de Nemours soit party, car il imiteroit volontiers l'empereur Domitian: il s'amuseroit à prendre des mouches en sa chambre, tant il est lache et coüard. Il faut pourtant que je sois payée. Je ne crois pas que ce prouvoyeur oze faire cela, pour le respect de son maistre, car, si cela venoit à ses oreilles, il en seroit repris.
—Vrayment, ma commère (dit une autre petite friande), les maistres ne s'en font que mocquer. L'autre jour je m'allois plaindre à un certain Camus des Marests du Temple, que chacun cognoist assez pour sa vaillance et grandeur de courage, que son prouvoyeur me devoit quatre cens francs (je craignois qu'il s'en allast avec le roi). Il m'a fort bien faict response, en sousriant, que ce n'estoit pas à luy qu'il se failloit adresser, et qu'il ne pouvoit que faire à cela. Mais j'ai entendu depuis peu de jours que Dieu l'a puny, car il a perdu environ vingt mille escus au jeu, ce qui afflige fort madame sa femme, car elle ayme l'esclat de l'or, et voudroit volontiers, pour assouvir sa cupidité, se veautrer sur l'or et l'argent, tant elle a son cœur attaché aux biens de ce monde, ne suivant pas en cela l'exemple de son père, qui a foullé au pied les trésors et meprisé les richesses.—Mais une vieille edentée, aagée environ de quatre vingts ans, qui affectionnoit cette maison, commence, toute bouffie de colère, à repliquer: Comment! vous avez tort de parler ainsi. Je fournis le poisson chez son frère, mais j'en suis fort bien payée; l'argent est tousjours comptant, pas de crédit. Dieu mercy, on ne me doit rien de ce coté-là; je voudrois, à la mienne volonté, que tous ceux ausquels je livre ma marchandise me payassent aussi bien comme on me faict chez luy.
L'argent est toujours comptant,
Mais les cornes y sont, pourtant.
—Vrayement (dit monsieur Martin, qui prestoit les oreilles à leur jargon), voilà de beaux discours que vous faictes là! Ne sçavez-vous pas que cet homme a trouvé la caille au nid? Les pistoles ne luy manquent pas; il a moyen de faire bonne chère et de bien payer. Les tresors luy sont venus en dormant: il a une belle femme et de beaux escus.
—Mais c'est dommage, respondit de la Vollée, qu'il a trouvé le cabinet ouvert, et qu'il n'a pas premier fouillé dans le buffet. Toutefois, si elle a faict ouvrir la serrure, il n'y a remède. L'argent faict tout; pourveu qu'il ne porte pas les cornes, tout va bien.
Ma femme s'est donné carrière,
Et elle a pris tous ses esbas;
Elle est une bonne guerrière
Qui ne craint beaucoup les combats.
Encor qu'elle ayt souillé sa gloire,
Je n'en pleureray pas, pourtant;
Je mets cela hors ma memoire:
C'est assez si j'ay de l'argent.
Une jeune camarde vient faire ses plaintes à monsieur Montrouge de ce qu'elle estoit reduicte à l'extremité. Je voulois (disoit-elle) fournir le poisson au logis de monsieur le president Chevry[122] et chez monsieur Feydeau[123]. J'estois riche si d'aventure le roy n'eust pas recherché ses financiers[124]; mais du depuis l'ordinaire n'a plus bien esté; tout est allé à décadence. Au lieu de prendre pour six à huict escus de poissons, ils n'en prennent plus que pour trois ou quatre. Le pauvre president Chevry estoit tellement espouvanté qu'il n'avoit pas le courage de prendre ses repas. Je croy qu'il avoit crainte de danser sous la corde après avoir tant dansé au Louvre, comme il a faict autrefois. Ses escus ont faict miracle: ils l'ont faict ressusciter, car il estoit mort d'apprehension qu'il avoit. Voilà ce que c'est de tant plumer la poule[125]. Il porte sa croix sur le manteau, tel qu'il est. Je ne sçay si ce n'estoit pas un presage et un augure qu'il devoit avoir pour tombeau la croix. Feydeau estoit en pareilles affaires; il luy est bien venu qu'il avoit un tel gendre pour le deffendre. Voilà quel profit on reçoit de marier sa fille à des courtisans et gens d'espée[126]. Mais j'eusse esté bien marry qu'on luy eusse faict tort, car j'ay eu beaucoup de son argent. Dieu luy donne bonne vie et longue! Si ce malheur ne luy fut arrivé, j'aurois à ceste heure pour payer un certain papelard, nommé le notaire Rossignol, qui demeure en la rue S.-Anthoine, à qui nous devons quelque somme d'argent. Il seroit content d'avaler toute la marée; il nous envoye presque tous les jours demander le meilleur poisson que nous avons, et ce, en tesmoignage du delay que nous faisons à le payer. C'est un estrange personnage. Je ne sçay ce qu'il veut faire de ses escus. Il se laisseroit volontiers mourir auprès, tant il est avare, chiche et vilain.
Veritablement, le bien de l'eglise est fort mal employé: jamais une fille ne se doit rendre religieuse pour laisser ses moyens à telles gens. Son gendre est plus honneste homme; il a une meilleure ame et meilleure conscience; personne des officiers de l'artillerie ne se plainct de luy.
—Quoy! respondit une jeune poissonnière du cimetière S. Jean, le mary de laquelle est un des officiers. Vrayement, vous dites bien! Vous ne cognoissez pas le disciple: luy et son commis Aubert[127] sont les deux plus hardis voleurs qui soient dans la ville de Paris. On dit que monsieur Donon, je veux dire Larron, a gaigné (s'il faut appeller gaigner un larcin evident) à l'armée cent mille escus pour payer ses debtes, ce qui enorgueillit sa femme. Il y a plus de deux mois que mon mary va tous les jours chez luy pour en estre payé de ses gages. Il est impossible de pouvoir parler à luy; il se faict celer; il s'enferme dans son cabinet. Quand le pape de Rome viendroit et l'iroit demander pour luy donner l'absolution de son larcin, il ne sortiroit pas, tant il est empesché à dresser ses comptes. Sa femme ne l'est pas tant: elle se resjouit et passe le temps joyeusement, allant visiter ses courtisans d'un costé et d'autre, et, lorsque son mary n'est pas au logis, elle loge ses amis. C'est se gouverner en femme de bien d'exercer ainsi les actes de charité, logeant les pauvres et consolant les affligez.
Quand mon mary s'en va en ville,
Je demeure dans la maison,
Là où d'une façon gentille
J'entonne une douce chanson.
Je fais venir mon Bragelonne
Pour m'entretenir de discours,
Et, quand nous n'entendons personne,
Nous jouissons de nos amours.
Gentil mary, prend bon courage;
Si tu es au rang des cocus,
Ferme les yeux et fais le sage:
Mon père a encor des escus.
—Vrayement, c'est bien faict (dict une drolesse qui estoit de la place Maubert). Pour moy, puisque mon mary s'en est allé avec le roy, et que j'ay perdu quinze ou vingt escus que le valet d'un vieil reveur de pedant m'a emporté, je tascheray d'avoir de l'argent d'ailleurs. Je n'ay pas envie de faire encore banqueroutte à ceux qui m'ont fait credit. Si je ne les paye d'une façon, je les payeray d'une autre, pourveu qu'ils me veullent croire. Voicy les bons jours, il faut gaigner de l'argent auparavant que chacun s'adonne à la devotion. Il me faut faire les œuvres de charité, logeant les aveugles, comme faict la femme d'un procureur du Chastelet qui fait la devote; et lors que son badaut de mary va vendre son caquet et gratter le papier, elle va à confesse dans la chambre d'un qui luy donne l'absolution par le devant.
Jeanne le Noir, du marché Neuf, se tient offensée de tels discours. Elle la fait taire, et luy parle en ces termes: Il n'est pas temps de compter icy des sornettes; il ne faut pas chanter devant un affligé, ny rire devant un qui pleure.
—Il est vray, dit le sieur Bonard; certes, vous avez raison. Je ne sçaurois maintenant ouyr parler que de l'infortune qui nous est arrivé. Mon cœur fond en larmes quand j'y pense. Je voudrois bien prendre patience, et toutesfois je ne puis. Contentez-vous donc, ma bonne amie, si nous sommes assez affligez; n'augmentez pas l'affliction par vos sales et importuns discours. Je perds ce caresme presque deux mille escus; je n'ay pas occasion de rire. Je suis pour le moins autant affligé que monsieur de Crequy[128], qui perdit ces jours passez vingt mille escus, avec un beau diamant d'un fort grand pris. Toutesfois il me semble qu'il ne doit avoir aucune occasion de s'atrister, car, outre que ses coffres sont assez fournis, le connestable[129] en amasse pour luy. L'espérance qu'il a luy doit apporter une consolation et bannir de son esprit toute tristesse. Les frères de Luyne[130] ont bien plus grande occasion de detester leur sort et s'affliger, car ils sont comme chahuans qui n'osent paroistre au jour. Ils ont voulu, comme papillons, s'approcher trop près de la chandelle; ils se sont bruslez les ailes, et ne doivent plus à rien aspirer qu'à vivre doucement avec leurs femmes, qui mordent souvent leurs lèvres de fascherie qu'elles ont d'avoir esté deceues. Bon Dieu! j'esperois faire un grand gain ce Caresme, mais le subit departement du roy m'en a bien osté le moyen.
L'evesque, lequel escoutoit ces discours, comme c'est un fort bon cors d'homme, tasche à les consoler tous, et par des paroles douces et amiables prend peine de leur oster l'ennuy et la tristesse qui les surmontoit. Mes amis, et chère compagne (dit-il), il faut prendre patience parmi les misères du temps: nous sommes en un miserable siècle; nous ne sommes pas seuls qui sommes affligez. J'ay aussi bien perdu comme vous; mais neantmoins je ne me laisse pas emporter ainsi à l'ennuy; je combats la douleur qui me vient environner. Que si j'ay perdu ce caresme, l'année prochaine ma perte sera remplie, avec la grace de Dieu. Je suis d'un naturel que j'espère tousjours; semblable à celui qui esperoit avoir les seaux, et espère encore, mais en vain, possible. Que profite-il à un homme de se desesperer pour chose qui arrive? Celuy qui a vendu son office soubs l'esperance de faire une meilleure fortune par la faveur de feu monsieur de Caumartin[131] a subject de s'attrister, car, pauvre homme, il se voit pipé et frustré de son esperance, et recognoist qu'il ne faut pas tant mettre sa confiance ès choses de ce monde: la mort a empesché son dessein, et il est contrainct de gemir et souspirer amerement.
—Certes vous dittes bien (respondit monsieur de la Volée); nous avons des compagnons, et ne sommes pas seuls qui sommes tombez en la disgrace de la fortune; je vois que les plus grands princes et les plus grandes princesses de la cour trempent dans un mesme malheur. Je cognois une pauvre dame qui estoit retournée d'Italie pour le mauvais traittement de son mary, esperant de se venir ranger sous les ailes de son frère; mais le sort a voulu, au grand regret de tout le royaume, qu'il a ressenti devant Montauban[132] les traicts funestes et rigoureux de la cruelle Parque; tellement qu'elle souspire et sanglotte jour et nuict, et est contraincte de faire comme les jeunes filles que leurs parens ne veulent assez tost marier: elle prend sa queue entre ses mains et prend patience. Pour moy, je ne seray pas saisi d'un desespoir comme celuy qui nous a devancé, que chacun cognoit assez pour le traict digne d'admiration qu'il a faict, lequel, ne pouvant obtenir de Sa Majesté ce qu'il desiroit et accomplir ses desseins, s'est fait enterrer au point où vous sçavez. O sepulcre merveilleux! ô tombeau honorable! Sa sottise estoit grande et son aveuglement estrange. J'ay peur toutefois que quelqu'un de la compagnie fasse le mesme; Dieu ne veuille! J'ay resolu, pour moy, d'estre tousjours comme un ferme rocher contre les tribulations qui me surviendroient. Si je ne fais pas bien mes affaires en ce monde, et si la fortune m'est contraire, il n'y a remède; c'est signe que Dieu m'ayme, et que j'auray mes souhaits en l'autre monde. Belle resolution! Courage donc, vous autres qui estes tombés en affliction. Monsieur de Schomberg, resjouissez-vous: c'est une marque que le Ciel vous favorise; si le brigand et voleur de Mercure est mis au nombre des dieux, pourquoy n'y seriez-vous pas mis aussi bien comme luy[133]?
Martin, un de ceux qui reçoit les deniers, entendant qu'il parloit ainsi, et admirant sa constance, commence à secouer le joug de la douleur et s'esgayer, luy parlant en ces termes: Vrayement, nous sommes insensez de nous tant affliger pour les biens de ce monde! N'avez-vous pas parlé aujourd'huy à monsieur Chanteau? On m'a dict qu'il veut vendre son lict en broderie.... Est-il possible? Je ne le crois pas. Certes, s'il le fait, c'est une marque evidente qu'il a bien perdu, aussi bien comme nous.
Madame Roberde, qui estoit en un coing, triste et toute esplorée, comme saisie de fureur et de rage, et faisant destiller de ses yeux un torrent de pleurs, accusant la severité du ciel et blasmant son sort, s'escrie en ces termes (ses cheveux espars ventilloient de toutes parts; sa face estoit toute battue; bref, elle estoit en un triste et deplorable esquipage):
Voilà la chance retournée!
Au diable soit le poisson!
Je voudrois que de ceste année
N'en eusse veu en ma maison.
Mais une autre poissonnière, la voyant en ce piteux estat, commence à luy repartir: A la verité, je ne sçay pourquoy vous vous affligez tant. Sus, quittez vos pleurs et vos sanglots. Je devrois bien donc avoir juste occasion de me laisser saisir à la douleur, moy qui ay tant presté que je suis pauvre maintenant! Vous sçavez que chacun m'a abuzé; il n'y a provoyeur ny cuisinier qui ne m'ait trompé: les uns m'ont emporté cent francs, les autres deux cens, et les autres cent escus. J'ay encore un cheval d'argent chez nous, comme vous sçavez, lequel est pour gage.... Il me faut mourir de faim auprès, car de le vendre ou de l'engager je n'ozerois, veu que celuy auquel il appartient a trop de credit et de puissance: il me ruineroit. Il n'y a rien qui me puisse consoler, sinon que l'on me doit encore un peu d'argent chez monsieur le chancelier; mais ce vieux radoteur-là est si chiche, qu'il est impossible de tirer de l'argent de luy. Ses officiers sont aucune fois au desespoir.... Quand on luy parle d'aller fouiller dans ses coffres, il a la goutte; mais quand on luy parle d'aller recevoir de l'argent, il va gaillardement; vous diriez, à le voir, qu'il n'a jamais eu les gouttes. Regardez comment il suit le roi! Il a envie d'emplir ses seaux, pour le certain. Je n'ay pas tant de peine d'estre payée de monsieur de Beaumarché: c'est un honneste homme[134]; tous ses serviteurs se louent bien de luy. C'est dommage que cet homme-là n'a de l'esprit; mais j'ay entendu que c'est une vraye pecore. Aux asnes tousjours l'avoine vient, mais elle manque aux chevaux qui sont capables de quelque chose de bon.
Un bon compagnon de serviteur qui estoit derrière, entendant tous ces discours, se lève et leur dict: Mais on se plaint bien icy de tous les bourgeois et messieurs de la ville qu'on perd à la vente du poisson; mais personne ne parle de ce que vous avez perdu après messieurs de la religion. Le pauvre ignorant ne sçavoit pas, ou bien il le dissimuloit, que telles gens n'usent point de ceste viande. J'ai veu, dict-il, un certain qui venoit de Charenton, lequel se gabboit de vous autres, disant qu'il vous faudroit saller votre poisson pour l'année prochaine; mais il esperoit, à l'entendre, que le pape avoit resolu de deffendre le caresme. Je ne sçay si c'est la verité. Les Celestins alors auroient beau manger poisson, vrayment nous les verrions encore une fois aussi gras qu'ils sont. Il feroit bon de prendre la robbe en ceste religion, afin de faire bonne chère, encore bien que leur trongne ordinaire demonstre assez evidemment qu'ils ne jeusnent nullement, ou, s'ils jeusnent, qu'ils font de bons repas. Je cognois un bon père là-dedans qui m'a confessé qu'il mange tous les jours de quarante sortes de mets pour un seul repas avec une quarte de bon vin à vingt-cinq ou trente escus le muys et demy-douzaine de bonnes miches. Ne voilà pas un bon traictement?
—Certes, je ne sçay comment ils ne deviennent pas amoureux: car tant plus qu'un homme est bien traicté, d'autant plus sa concupiscence s'allume et s'enflamme. Toutefois, quand ils le seroient, leur prelat[135] l'est bien. Celuy qui doit estre la lumière, le flambeau et le phare de l'Eglise, se laisse trahyr et piper par ses passions. C'est peut-estre qu'il ne sçauroit à quoy passer le temps. L'oysiveté engendre beaucoup de maux. De feuilleter les livres, je ne sçay s'il a la teste chargée de science. Pour moy, j'estimerois que c'est un asne coiffé d'une mitre, sauve le respect que je luy dois. Quand cela seroit, il n'est pas seul: j'en cognois d'autres, tant prelats que pasteurs, comme le pasteur de Sainct-Germain le Vieil[136], qui, avec sa grande barbe de bouc, ne meriteroit que conduire les oysons. Qu'il ne s'en fasche pas, car je sçay qu'il s'estime estre un grand prophète entre messieurs les curez de Paris.
Monsieur l'eschevin, cependant, qui s'amusoit à parler à ceux de son logis touchant le soupper, vient rejoindre la compagnie, et, voyant qu'il estoit environ huict heures du soir, il les congedie, les conjurant tous de ne se pas attrister, et promettant qu'il mettroit ordre à tout. Cependant de vous dire ce qui fut dict à la sortie je ne sçaurois: car, de peur d'estre descouvert, je commençay à esquiver et fuir vistement. Ils pourront faire une autre assemblée; peut-estre vous en entendrez parler; quant à moy, je n'y veux plus aller, car, vers Sainct-Innocent, je courus grand risque et grand peril de perdre mon manteau et avoir les epaulles graissées d'une graisle de coups de baston.
La Moustache des filous arrachée, par le sieur Du Laurens[137].
Muse et Phebus, je vous invoque.
Si vous pensez que je me mocque,
Baste! mon stil est assez doux;
Je me passeray bien de vous.
Je veux conchier la moustache,
Et si je veux bien qu'il le sçache,
De cet importun fanfaron
Qui veut qu'on le croye baron,
Et si n'est fils que d'un simple homme.
Peu s'en faut que je ne le nomme.
Il se veut mettre au rang des preux
Pour une touffe de cheveux,
Et se jette dans le grand monde
Sous ombre qu'elle est assez blonde,
Qu'il la caresse nuict et jour,
Qu'il l'entortille en las d'amour[138],
Qu'il la festonne, qu'il la frise,
Pour entretenir chalandise,
Afin qu'on face cas de luy:
Car c'est la maxime aujourd'huy
Qu'il faut qu'un cavalier se cache
S'il n'est bien fourny de moustache.
S'il n'en a long comme le bras,
Il monstre qu'il ne l'entend pas,
Qu'il tient encor la vieille escrime,
Qu'il ne veut entrer en l'estime
D'estre un de nos gladiateurs,
Mais plustost des reformateurs,
Et qu'avec son nouveau visage
Il pretend corriger l'usage,
Ce qu'il ne pourroit faire, eust-il
Glosé sur le docteur subtil[139].
L'usage est le maistre des choses;
Il fait tant de metamorphoses
En nos mœurs et en nos façons,
Que c'est le subject des chansons.
Quiconque ne le veut pas suivre,
Fait bien voir qu'il ne sçait pas vivre.
Les roses naissent au printemps;
Il faut aller comme le temps.
Le sage change de methode:
On luy voit sa barbe à la mode,
Et ses chausses et son chappeau;
En ce differant du bedeau,
Qui porte, quelque temps qu'il fasse,
Mesme bonnet, et mesme masse[140];
Son habit fort bien assorty,
Comme une tarte my-party,
Toutesfois sans trous et sans tache.
Il n'entreprend sur la moustache
De nostre baron pretendu,
De peur de faire l'entendu
Et en quelque façon luy nuire,
Car c'est elle qui le fait luire,
Qui fait qu'il se trouve en bon lieu
Et qu'il disne où il plaist à Dieu;
Car il n'a point de domicille,
Et s'il ne disnoit point en ville,
Sauf vostre respect, ce seigneur
Disneroit bien souvent par cœur.
Bien que pauvreté n'est pas vice,
Ceste moustache est sa nourrice,
Son honneur, son bien, son esclat.
Sans elle, ô dieux! qu'il seroit plat!
Ce beau confrère de lipée,
Avecque sa mauvaise espée
Qui ne degaine ny pour soy
Ny pour le service du roy.
Quoy qu'il ait eu mainte querelle,
Elle a fait vœu d'estre pucelle[141]
Comme son maistre le baron
Fait estat de vivre en poltron,
Je dis plus poltron qu'une vache,
Nonobstant sa grande moustache,
Qui le fait, estant bien miné,
Passer pour un determiné,
Capable, avec ceste rapière,
De garder une chenevière[142].
Il tient que c'est estre cruel
Que de s'aller battre en duël.
Qu'on le soufflette, il en informe,
Et vous dit qu'il tient cette forme
D'un postulant du Chastelet,
Qui n'avoit pas l'esprit trop let,
Et le monstra dans une affaire
Qu'il eut contre un apotiquaire
Pour de pretendus recipez
Où il y en eust d'attrapez.
La loy de la chevalerie,
C'est l'extrême poltronnerie.
Il fait pourtant le Rodomont
A cause qu'il fut en Piedmont,
Ou, que je n'en mente, en Savoye,
D'où vient ce vieux habit de soye,
Qui merite d'estre excusé
Si vous le voyez tout usé:
Il y a bien trois ans qu'il dure.
Fust-il de gros drap ou de bure,
Aussi bien qu'il est de satin,
Il eust achevé son destin.
Mais sa moustache luy repare
Tout ce que la nature avare
Refuse à son noble desir.
C'est son delice et son plaisir,
C'est son revenu, c'est sa rente,
Bref, c'est tout ce qui le contente,
Et fait, tout gueux qu'il est, qu'il rit
Qu'avec grand soin il la nourrit;
Qu'il ne prend jamais sa vollée
Qu'elle ne soit bien estallée;
Que son poil, assez deslié,
D'un beau ruban ne soit lié,
Tantost incarnat, tantost jaune.
Chacun se mesure à son aune:
Il y a presse à l'imiter.
Les filoux osent la porter
Après les courtaux de boutique;
Tous ceux qui hantent la pratique,
Laquais, soudrilles[143] et sergens,
Quantité de petites gens
Qui veulent faire les bravaches,
Tout Paris s'en va de moustaches.
Ils suivent leur opinion
Contre la loy de Claudion.
Vous n'entendez que trop l'histoire...
Nos gueux s'en veulent faire à croire
En se parant de longs cheveux.
Pensez qu'au temple ils font des vœux
Et prières de gentils-hommes.
O Dieux! en quel siècle nous sommes!
Qu'il est bizarre et libertin!
Quant à moy, j'y perds mon latin,
Et suis d'advis que l'on arrache
A ce jean-f..... sa moustache.
Le mestier n'en vaudra plus rien,
Nostre baron le prevoit bien:
C'est ce qui le met en cervelle.
La sienne n'est pas la plus belle.
Il sent bien que son cas va mal.
Je le voy dans un hospital,
Ou qui se met en embuscade
Pour nous demander la passade.
Il peut reüssir en cet art,
Car il est assez beau pendart
Pour tournoyer dans une eglise;
Mais je luy conseille qu'il lise,
S'il veut estre parfait queman[144],
Les escrits du brave Gusman,
Dit en son surnom Alpharache[145].
Bran! c'est assez de la moustache.
Accident merveilleux et espouvantable du desastre arrivé le 7e jour de mars de ceste presente année 1618, d'un feu inremediable, lequel a bruslé et consommé tout le palais de Paris[146]. Ensemble la perte et la ruyne de plusieurs marchands, lesquels ont esté ruynez et tous leurs biens perdus.
A Paris, chez la vefve Jean du Carroy, rue S.-Jean-de-Beauvais, au Cadran.
M. DC. XVIII.
Messieurs, l'auteur, estant curieux de vous faire entendre une chose prodigieuze et espouvantable, laquelle est du tout digne de memoire et remarquée de plusieurs hommes de qualité, tant spirituels que temporels, voyant un accident arriver au meilleur morceau de ceste fameuse ville de Paris, lieu où l'on doit faire la vraye et naturelle justice, nommé le Pallais des roys de France, et le plus digne de tout cet univers, à cause d'une chapelle vrayement nommée Saincte, non d'un seul homme, mais de toute la chrestienté, laquelle Dieu a preservé d'un gouffre de feu abominable et inremediable, lequel est descendu du ciel en façon d'une grosse estoile flamboyante, de la grosseur d'une coudée de longueur et un pied de large[147], sur la minuict[148], lequel feu a bruslé et consommé l'espasse d'un jour et demy durant, dans la grande salle du Palais de Paris, sans y savoir mettre aucun remède, comme demonstrant que ce feu voulloit demonstrer la justice de Dieu et l'ire et le courroux de la très saincte Trinité, demonstrant aux pecheurs qu'il faut qu'ils se convertissent et ayent tousjours Dieu en leur memoire, sans s'amuser à amasser des biens terriens et delaisser les moyens de parvenir au royaume de Dieu; tellement que ce feu commença le septiesme jour de mars, à une heure après minuit, à monstrer sa force et brusler et consommer toutes les anciennes antiquittez de ce royaume françois, car en une nuict fait plus de deluge que cent hommes ne sçauroient avoir refaict en un an. C'est une chose impossible à l'homme, tel qu'il soit, d'avoir veu un feu si vehement et si cruel qu'estoit celuy-là: car vingt mille personnes ne pouvoient, avec toutes leurs forces et à force d'eauë, estaindre la grande furie de ce feu. Premierement, la chapelle où on cellebroit la messe, dans la grande salle du Pallais, est du tout consommée; tous les roys[149] qui estoient en statue de pierre de taille, sont du tout consommez; la voûte de la grande salle flamboyoit ainsi comme si la pierre eust esté du souffre; toutes les boutiques des marchands, tant de l'entrée que dans la salle, ont esté toutes bruslées et consommées, si bien que la perte faicte par ce feu est cause de la ruyne de beaucoup de pauvres marchands, lesquels avoient tous leurs moyens dans leur boutique[150].
Alors ce feu se jetta dans le derrière du costé de la rivière, et commença à gaigner la prison de la conciergerie[151], et montra sa force, evidemment à cause du vent qu'il faisoit, et aussi de la grande secheresse du bois, lequel estoit anciennement servant à la dicte prison: de façon que sur les cinq heures du matin jusques à huict heures, l'on voyoit d'une lieue autour de Paris flamber ce feu et consommer tousjours plus de vingt heures durant, sans que jamais les forces des hommes, milliers à milliers, ne l'ont sceu estaindre, tant par eauë que par industrie artificielle, et mesmes des pauvres prisonniers, lesquels ont enduré de grandes fatigues à cause de la furie de ce feu; tellement que tout le meilleur du Pallais a esté bruslé, sauf la galerie des prisonniers, laquelle a esté sauvée, tant par les marchands qui avoient interest que par ceux qui y ont donné confort et ayde, si bien qu'à la fin l'on y a donné si bon ordre que peu à peu on a trouvé le moyen le faire mourir et esteindre, après une grande perte et un grand travail de corps de plus de deux milles personnes y travaillans; mais nostre Dieu a preservé sa saincte Chapelle, demonstrant à son peuple qu'il desire estre honoré et glorifié.
Nous pouvons bien cognoistre que ce feu nous signifie un commencement de l'ire de Dieu, et Dieu est couroucé contre nous, car ce feu nous signifie l'achevement du monde et une ferme croyance que nous devons avoir en la misericorde spirituelle de Dieu, et nous tenir tousjours prêts pour combattre contre l'ennemy de nos ames et embrasser la croix de nostre vray Dieu et sauveur pour nous asseurer; et mesme, en ce sainct temps de caresme, nous nous devons reconcilier en Dieu et lui demander pardon et misericorde de nos pechez, pour et à celle fin que nous parvenions à l'heritage qu'il nous a acquis par sa mort et passion, le suppliant d'avoir pitié de nous et nous preserver doresnavant de tels accidens.
Arrest de la cour de Parlement sur le divertissement faict au Palais, pendant l'incendie y advenu, des sacs, procez, pièces et registres qui y estoient[152].
A Paris, par Fed. Morel et P. Mettayer, imprimeurs ordinaires du Roy.
M.DC.XVIII.
Avec privilége de Sa Majesté.
La cour, sur la plainte à elle faite par le procureur general du roy du divertissement faict au Palais, pendant l'incendie y advenu, des sacs, procez, pièces et registres qui y estoient, a enjoint et enjoint à toutes personnes, de quelque qualité, estat et condition qu'ils soient, qui ont pris et emporté, trouvé par accident ou autrement parvenu en leurs mains, en quelque façon que ce soit, des sacs, procez, pièces, tiltres, registres, minuttes et autres papiers, qu'ils ayent promptement à iceux porter et mettre ès mains de M. Jehan du Tillet, greffier de ladite cour, ou son commis, en sa maison, seize rue de Bussi, en ceste ville de Paris, sans aucuns retenir par dol, fraude ou autrement, à peine de punition exemplaire; desquels sacs, registres, papiers et tiltres ledit greffier ou son commis tiendra registre des noms, surnoms et demeure de ceux qui les auront portez, dont il en baillera descharge, et faict taxe s'il y eschet, pour estre lesdits sacs et pièces par après remis aux greffiers civil, criminel et autres qu'il appartiendra; fait inhibitions et defenses, sur les mesmes peines, à tous marchands, apothicaires, papetiers, cartiers, merciers, espiciers et autres, achepter directement, ou indirectement par personnes interposées, aucuns parchemins, papiers escrits en minutte ou grosses, ny employer à leurs pacquets et mestiers, ains, si aucuns leur sont offerts et portez, leur enjoinct les retenir et denoncer à justice. Et à ce qu'aucun n'en pretende cause d'ignorance, sera le present arrest leu et publié tant à son de trompe, cry public, que aux prosnes des eglises des paroisses; ordonne que le procureur general du roy aura commission pour informer de la retention et recellement, et luy permet obtenir monition afin de revelation. Faict en parlement le huictiesme mars mil six cens dix-huict.
Ordonnances generalles d'amour, envoyées au seigneur baron de Mirlingues, chevalier des isles Hyères, pour faire estroitement garder par tous les secretaires, procureurs, postulans et advocats de la Samaritaine, tant en la dicte juridiction qu'au ressort de la Pierre au Laict et autres lieux endependant[154].
A Paris, par Jean Sara, devant les Escoles de decret. 1618.
In-8o.
Genius, par la grace de Dieu, archiprestre d'amour, vicaire et lieutenant general pour Sa Majesté en tous ses païs et contrées, à tous presents et advenir, salut.
Comme de toute memoire, mesme dès le commencement du monde, nous avons pris soubs nostre charge toutes les affaires de nostre grand et souverain prince d'amour, au maniement desquelles nous nous y sommes comportez comme tout bon et loyal vassal est tenu de faire envers son seigneur et patron, toutesfois n'y avons sceu tenir telle main que, par longue traicte de temps, les opinions de nos subjects ne se soient trouvées fluctuantes, pour l'incertitude qu'ils disoient avoir par faute de bonnes ordonnances, disans pour excuse generalle qu'à la verité ils estoient fondez en quelques longues coustumes qu'ils tenoient de père en fils, non toutesfois reduictes et redigées par escrit, au moyen de quoy ils estoient infiniment travaillez, par ce que, lorsqu'il se presentait quelque different sur l'usage desdites coustumes, ils n'en pouvoient faire la verification par tourbes, d'autant que, selon leurs anciens statuts, ils ne pouvoient à la confection de leurs preuves y employer plus de deux temoins; nous requerant, pour ceste cause, que leur voulussions bailler par escrit loix et constitutions certaines, afin de tranquilliter entre eux toutes choses, et qu'aucune ne se peut d'icy en avant masquer d'aucun pretexte d'ignorance:—Parquoy nous, enclinans à leurs supplications et prières, mesmement pour satisfaire, en tant qu'à nous est, à l'office et devoir auquel nous sommes appelez, après avoir le tout deliberé meurement avec les gens de nostre conseil estroit, avons, par leur advis, de nostre certaine science, pleine puissance et auctorité qui nous est octroyée par amour, statué et ordonné, statuons et ordonnons, pour loy et edict à jamais irrevocable, ce qui suit:
1. Premierement, pour autant que nostre intention generalle est de bannir et exterminer le vice le plus qu'il nous sera possible d'entre nos subjects, lequel, la pluspart du temps, prend ses racines de la loy mesme, parce que nous ne reconnoissons point le peché, sinon qu'il est prohibé par la loy; pour ceste cause, declarons que là où ès autres lieux tous legislateurs se debordent en une infinité de prohibitions et defences, au contraire nous entendons estre fort sobres en icelles, et estendre nos ordonnances à toutes permissions honnestes et naturelles, aymans mieux, par telles permissions, recevoir obeissance de nos subjects que par multiplicité de loix prohibitoires les accoustumer à se rendre refractaires et desobeissans à nous par un instinct particulier de leurs natures.
2. Et, par ce que nous desirons establir de fond en comble nostre republique de telle façon qu'il n'y ait jamais à redire, et que ce ne soit qu'un corps composé de plusieurs membres, pour laquelle cause nostre opinion est d'insinuer entre nous sur toutes choses la charité et amour reciproque, voulons et nous plaist que ceste nostre republique sera desormais appellée le Convent de la Charité, dont les supposts seront dicts et nommez confrères, ausquels tous nous enjoignons sur toutes choses de vacquer au contentement des uns et des autres.
3. Ce neantmoins, sur les difficultez qui se sont presentées en ce premier establissement de police, les aucuns des confrères disans que, pour le contentement d'un chacun, il falloit que toutes choses fussent communes, et les autres, au contraire, approuvans seulement le mien et le tien, Nous, pour satisfaire aux uns et aux autres, et suyvre une moyenne voye, n'ostons en tout et par tout la communauté, aussi ne la permettons de tout poinct, mais y etablissons entre deux la compassion, qui sera une reigle à chacun pour sçavoir ce qui luy doit estre propre ou commun.
4. Pour extirper les abus qui ont par cy-devant eu vogue, par faute d'avoir preste par les curez residence actuelle sur les lieux de leurs benefices, il n'y aura autres beneficiers que commandataires et prieurs, dont ceux-là seront mariez et ceux-ci non, ausquels nous enjoignons de resider actuellement sur les benefices dont ils seront jouissans; autrement se pourront pourvoir les plus diligens encontre eux par devolutz[155], sur lesquels benefices ceux-là qui seront en quelque faculté graduez seront tenus d'insinuer leurs nominations en personne, et non par procureurs.
5. Et, toutesfois encore que tels beneficiez facent residence sur leurs benefices, si est-ce que là, et au cas que par maladie, ancien aage ou autrement, ils ne pourront bien et deuement vacquer au fait de leurs charges, ils seront tenus prendre coadjuteurs, vicaires et vicegerantz, ou viportants[156] de qualitez requises, pour suppleer le deffaut de leurs impuissances.
6. Comme ainsi soit que le principal but de tout bon legislateur doive estre l'union et concorde de ses subjects en une mesme religion, en laquelle nous voyons pour le jourd'huy les meilleurs esprits bigarrez et partialisez[157], n'entendons en rien remuer les anciens statuts qui nous ont esté prescripts et proposez par nos pères, ains, ensuyvant leurs bonnes et louables traces, approuvons les vœux, professions, offrandes, merites et confessions auriculaires, et encores que nous retenions les prières qui se font pour les morts et la veneration des images; si avons-nous en specialle recommandation les prières qui se font pour les vifs et celles qui s'adressent aux images vifves.
7. Et, au surplus, d'autant que nous avons depuis quelques revolutions d'années cognu par experience que plusieurs, abusans du mot de fidelité, l'avoient de religion tourné en partialité, nous, pour obvier à toutes seditions intestines qui nous pourroient estre par telles sortes de mots procurées, exterminons et rejettons[158] de nostre convent tous fidelles.
8. Cognoissans que l'une des premières et principalles corruptions de toute republique est l'oysiveté, comme celle par laquelle non seulement tout peché prend sa source, mais aussi sa nourriture et accroissement; desirant songneusement que ce vice ne provigne[159] aucunement entre nous, nous prohibons et defendons toute oysiveté en nostre convent, en quoy entendons que chacun soit si estroit et religieux observateur de ceste loy, que ne voulons qu'il soit proferé aucune parolle oyseuse et sans effect.
9. Ce neantmoins, par ce que nous ne sçaurions du tout estranger les pauvres de nous, suyvant ce qui est escript: Pauperes semper vobiscum habebitis[160], nous, pour ceste occasion, ne voulans en rien dementir l'Escripture, ne rejectons d'entre nous les pauvres et mendians, ores qu'ils fussent valides, lorsqu'il ne tient point à eux qu'il ne soient mis en besongne; et singulièrement recommandons à toutes dames et damoiselles avoir pitié des pauvres honteux qui ne demandent l'aumosne publiquement aux portes, sur quoy nous chargeons leurs consciences. Aussi enjoignons auxdicts pauvres que, s'ils trouvent à estre mis en œuvre, ils s'y emploient fort et ferme; surtout ordonnons que toutes aumosnes se feront par devotion, et non par police.
10. Pour l'abreviation des procez, nous ostons tous contredictz et reproches entre le mary et la femme.
11. Et pour autant que la malice des plaideurs a introduict plusieurs cavillations[161] en practique, faisans, la pluspart d'entre eux, pour la multiplicité des appoinctemens[162] qui s'y trouvent, une banque de tromperie; à quoy nous, desirans couper toute broche[163], voulons et nous plaist que doresnavant n'y ait plus qu'un appoinctement, qui sera que les parties se pourront appoincter en droict et joinct, et produire d'une part et d'autre tout ce que bon leur semblera.
12. S'entrecommuniqueront lesdites partyes leurs pièces respectivement, puis se vuydera le procès à huys clos, par compromis et amiable composition; et à ce faire seront speciallement appellez les vidames[164], auxquels nous commandons, et très rigoureusement enjoignons n'aller mollement, ains roidement et rondement en besongne, sur peine de suspension de leurs estats, pour la première fois, et de privation, pour la seconde.
13. Nous n'ostons cependant les consignations; mais, au lieu qu'elles se payent ès autres endroicts dès l'entrée du procès, seront les partyes tenues de consigner en communiquant leurs pièces.
14. Pour la verification[165] des procès, ne seront les espices ostées, mais bien seront reduictes à l'instar qu'elles estoient au temps passé, en dragées et confitures[166], à la charge, comme dit est, que ceux qui visiteront les pièces seront tenus de bien et diligemment les feuilleter et approfonder, en sorte que tout se face à la conservation du droict des parties.
15. En toutes les dites matières y aura lieu de prevention.
16. Sur les vacations requises par les gens mariez, avons renvoyé leur requeste pour en deliberer plus amplement à nostre conseil. Toutefois, par provision, et jusques à ce qu'autrement en ait esté par nous ordonné, sera l'arrest des arreraiges requis par les femmes à l'encontre de leurs maris[167] en tout et partout executé selon sa forme et teneur.
17. Defendons de faire le procès extraordinaire à quelque personne que ce soit, si ce n'est chez les accouchées[168] ou autres bureaux solennels à ce expressement dediez; ausquels lieux seront traictez et decidez tous affaires d'estat, et signamment ceux qui concernent les mariages inegaux, soit pour le regard de l'aage, des mœurs ou des biens, et pareillement les bons ou mauvais traictemens des maris à l'endroict de leurs femmes, et, au reciproque, des femmes envers leurs maris. Les entreprinses qui se font par unes et autres dames au pardessus de leurs puissances et dignitez, et, à peu dire, toutes telles matières qui regardent tant la police que le criminel. En quoy nous enjoignons et très expressement commandons à toutes dames, damoiselles et bourgeoises, de quelque estat et condition qu'elles soient, vuyder sommairement et de plein telles matières, sans aucun respect ou acception des personnes.
18. Defendons les injures verbales; permettons toutesfois aux maris, pour la primauté et puissance qu'ils ont dessus leurs femmes, de se pouvoir rire et gausser d'elles en toutes compaignies, à la charge que leurs femmes s'en pourront revencher en derrière.
19. D'autant que la multitude et pluralité d'officiers n'apporte autre chose qu'une confusion en toutes republiques, et ny plus ny moins que la tourbe des medecins est la ruine de nos corps, à ceste cause, avons, par edict perpetuel et irrevocable, cassé, supprimé et annullé, cassons, supprimons et annullons tous estats de judicature, horsmis nostre Parlement et la basse marche des maistres des requestes ordinaires de nostre hostel; et, au lieu des comtes, prevosts, baillifs et seneschaux, avons retenu les vicomtes, viguiers, vidames, erigeans en officiers nouveaux les vibaillifs et les viseneschaulx.
20. Aussi, recognoissans que la pluspart des procès s'immortalise de jour en autre par le moyen de nos chancelleries, qui furent autrement introduictes pour ayder aux affligez, et non pour couvrir et perpetuer la malice des chicaneurs, avons en cas semblable supprimé et annullé toutes nos dites chancelleries, et se pourvoiront les parties par devant les juges ordinaires des lieux. Interdisons toutefois toutes manières de reliefs[169] aux hommes, de quelque aage qu'ils puissent estre, sinon qu'ils veuillent estre declarés niays[170]. Et quand aux femmes, leur permettons d'estre relevées après bonne et meure cognoissance de cause, c'est à sçavoir, après que leur cas aura esté expedié et depesché par nos vidames, vicomtes, viguiers, vibaillifs et viseneschaux, lesquels, pour le soulagement du public, nous voulons en cest endroit faire estat des maistres des requestes et des secretaires.
21. En continuant les anciens priviléges qui ont esté de tout temps et ancienneté octroyez aux clercs tonsurez et non mariez, les declarons francs et exempts de toutes aides, subsides, et n'y aura que les gens mariez qui seront desormais sujects, tout ainsi comme auparavant.
22. Entre gentilshommes et damoyselles, permettons la venerie, fors que nous leurs defendons et sur toutes choses inhibons de chasser aux grosses bestes.
23. Semblablement defendons, entre toutes les voleries, celle du faulcon.
24. Ne derogeons cependant aux priviléges des gentilshommes, ausquels permettons de fureter aux connils[171] dans les garennes, et aux gens de condition roturière dans les clapiers; et toutesfois n'empeschons aux nobles de chasser quelquefois aux clapiers, ny aux roturiers de chasser aux garennes, selon que les occasions se presenteront.
25. Jaçoit ce que cy-devant, pour les inconveniens et scandales qui sont survenus, nous ayons defendu le port d'armes entre nos confrères, toutesfois, voyant que la plupart d'iceux s'aneantissoient, ce qui pourroit au long aller tomber au grand detriment et dommage de nostre convent, advenant nouvelle guerre, sera à l'advenir permis à chacun de porter pistolets, batons de feu[172] pour gibier; et afin qu'il n'y ait aucun mescontentement, et que les dames et damoiselles ne se plaignent, comme si par nous estoit octroyé plus de prerogative aux hommes qu'aux femmes, voulons qu'elles en portent le rouet.
26. S'il se trouve quelque abbatie, nous l'adjugeons en forme d'espave à celuy qui en sera le premier occupant, sans qu'il soit tenu de la reveler ou communiquer aux gruyer et capitaine de nos forests.
27. Par ce que nous voyons les forests de nostre convent se depeupler de jour à autre par les degradations et mauvais mesnages de plusieurs nos predecesseurs, ce qui est venu en tel excès qu'il y a danger que les bois ne nous defaillent par cy-après; d'ailleurs la plus grande partie de nos terres a esté employée en vignes, qui tourne au grand interest de tout le public; nous, pour tenir le moyen à l'un et à l'autre point, defendons de coupper plus bois de haulte fustaye, jusques à ce qu'autrement en ait esté par nous et nostre conseil ordonné; et au surplus, à l'imitation de quelques anciens empereurs, voulons que la troisiesme partie du vignoble soit arrachée et reduicte en terre labourable[173]; et, pendant cette surseance de coupper, les gentilshommes et damoiselles se chaufferont de serment, et les pauvres de paille ardant.
28. Tous arbres esquels croissent noix[174] ou noisettes seront arrachez. Aussi ne seront semez en nos jardins souciz ny pensées.
29. Quant aux jeux et autres recreations d'esprit, nous permettons toutes sortes de jeux honnestes. Entre lesquels recommandons par especial le trou madame, le jeu du billart, tous jeux de dame souz le tablier[175], ausquels gardans les severitez, il sera joué à tous jeux, mesme à dame touchée dame jouée; ne sera joué à la renette[176], sinon à qui fait l'un fait l'autre[177]; approuvons semblablement le jeu du fourby et de cubas[178], aux cartes, excepté que des cartes françoises nous ostons les picques, tresfles et careaux, retenants seulement les cœurs, et des cartes d'Italie les espées, bastons et deniers, retenans seulement les couppes[179], et sera doresnavant le jeu de cartes composé de cœurs, couppes, las d'amours et fleurs. Louons aussi grandement le jeu de paulme, auquel jouant à fleur de corde[180], sçaura donner bas et roide dedans la belouse, tous lesquels jeux nous ne rejetons, et autres de mesme marque, moyennant que le tout se face sans opinion d'avarice ou argent, pour laquelle cause, entre tous les jeux, deffendons notamment le jeu de la pille[181].
30. Recevons entre gentilshommes et gentilzfemmes les esbats qui leur sont destinez d'ordinaire: jeux de luitte, courre la bague, faire des combats plaisans, à la charge que, s'il se trouve gentilhomme qui refuse, ou d'entrer en la lice, ou de mettre la lance en l'arrest quand l'occasion se presentera, le declarons indigne de porter les armes, et le degradons du tiltre et qualité de noblesse, avecques sa postérité.
31. Et pour le regard des luittes, par ce que les femmes sont ordinairement plus foibles, et qu'il leur est de besoin destourner la force de leurs combatans par leurs subtilitez et engins, permettons seulement aux femmes de bailler le sault de Breton[182]. Pourront neantmoins les hommes leur donner roidement le crocq en jambe, selon que les necessitez leur apprendront.
32. Authorisons, entre les dances, tous branles, et par spécial les branles gay, et branle double[183], branle de la touche[184]; et combien que ce soit chose de dangereuse consequence de permettre aux particuliers, en une republique, d'innover aucune chose, toutesfois nous, pour aucunes bonnes causes et considerations à ce nous mouvans, permettons à un chascun et chascune d'inventer telles diversitez de branle qu'il luy plaira. Aussi advoüons les basses dances et gaillardes; et sur tout enjoignons à ceux qui pendant les dits branles ne pourront faire l'amour de la langue, le facent de la main et des yeux.
33. Pour ce qu'il n'est en nostre puissance eslongner les guerres de nous, lorsqu'il plaira à Dieu nous les envoyer, voire que le plus du temps elles nous sont suscitées par nostre propre et particulier instinct, n'y ayant celuy de nous lequel n'ait naturellement quelque inclination à conquerre, voire appetons amasser ambitieusement, affectionnez d'autre part d'estre dits vaillans combatans, voulons que ès assaux et batteries des villes il n'y ait aucun de nos soldats qui y ait le bras engourdi, ains face ses approches hardiment, sans rien toutesfois alterer de la discipline militaire. Puis, quand la brèche sera nette et raisonnable, y entrent gayment, et, comme l'on dit, de cul et de teste, sans reboucher, comme s'exposantz à un lict d'honneur. Et neantmoins, afin qu'ils soyent tousjours tenus en haleine, ordonnons que pendant qu'ils pousseront leur fortune dans la dicte brèche, l'artillerie jourra tousjours vigoureusement, vistement et vivement, jusques à ce que la ville soit totalement rendue, auquel cas sera seulement sonné la retraite; et sur tout inhibons à tous coüarts de s'exposer à tels hazards, sur peine d'estre dicts niaiz.
34. Et par ce qu'il n'y a pas moindre peine et industrie à conserver qu'à conquerir, voire que l'on ne doibt faire aucun estat d'une conqueste, qui n'employe puis après son entendement et estude à la conservation du conquis, voulons que, la ville estant prise, elle soit bien deuëment et diligemment envitaillée.
35. Aussi qu'elle soit encourtinée de tous costez de fortes murailles, ramparts, scarpes et contrescarpes; et y aura ordinairement gens exprès, lesquels, pour éviter les eschauguettes[185] et embuches de l'ennemy, feront sentinelle jour et nuit. Au demeurant, enjoignons qu'il n'y ait si petite forteresse qui ne soit pour le moins flanquée de deux bastions, que les ingénieurs appellent ordinairement coüillons, qui se mireront l'un l'autre, sur lesquels sera l'artillerie braquée, preste à jouer, si le temps et la necessité le requièrent. Toutefois ne voulons plus qu'ès forteresses on y face des faulses brayes; et si le soldat a besoin de confort, le pourra aller chercher chez ses voisins.
36. Deffendons à tous marchans de n'apporter du poivre en nostre convent.
37. Exterminons d'iceluy tous saffranniers[186], ensemble tous vendeurs de quinquaillerie[187].
38. Sur les remonstrances qui nous ont esté faictes par les damoiselles et bourgeoises, au moyen de quelques drogueries que les marchants vont querir ès païs loingtains, et huilles non aucunement necessaires, espuisantz par ce moyen nos pays et contrées d'or et d'argent, combien que nous ayons les huilles à nos portes, deffendons à tous marchans d'aller achepter huilles ailleurs qu'en nostre bonne ville de Reins.
39. Toutes choses qui sont indifferentes, comme habits et vestemens, ne seront subjects à correction et mesdisance sinon par la bouche des sots, reservé que ceux ou celles qui en introduiront les premières coustumes pourront passer par le bureau et contre-rolle des accouchées, suyvant le privilége qui leur est de tout temps acquis.
40. Et neantmoins, sur les doleances qui nous ont esté faites par les dites damoiselles sur les gros haulx de chausses, disans qu'ils avoient esté expressement inventez pour empescher leur deduict et contentement, joinct que tels habillemens ne servent que d'ypocrisie et de masque, representans par l'exterieur chose grosse et grande, combien que le plus du temps il n'y ait rien ou bien peu dedans; et au contraire se pleignent les gentilshommes des vasquines[188], vertugales et grans devans que portent aujourd'huy les femmes[189], nous pour ce sujet en avons osté et ostons la coustume, nous rapportans à la mode d'Italie.
41. Entre les viandes, nous deffendons, ainsi qu'en plusieurs autres païs, le porc, et en outre voulons que l'on s'abstienne du veau, oyson, becasse; et des herons, deffendons principalement la cuisse[190].
42. Afin que chacun apprenne de demourer en cervelle et sache rendre raison de son faict, toutes bestes qui se trouveront en dommage seront rigoureusement chastiées, à la charge que, si elles sont surprises sur le fait, les dites choses seront tenües pour non advenües.
43. Et sur tout, deffendons de fascher aux champs les bestes cornües qui se trouveront ombrageuses.
44. Tout ainsi que nous bannissons de nostre convent les medecins reubarbatifs, ne voulans que l'on en face un estat particulier et exprès, aussi, au contraire, nous ne rejettons pas les medecines, entre lesquels nous approuvons grandement les simples.
45. N'empeschons que, selon les occurences des maladies, de deux simples l'on ne puisse faire une mixtion et composition bonne et saine, moyennant qu'en toute composition l'on y mette toujours six ou sept doibts de casse, en corne et tuyau.
46. Nous approuvons les suppositions, ostons toutesfois toutes seignées, sinon celles qui se feront de la veine d'entre les deux gros orteils.
47. Seront et sont, dès à présent, tous vieux escus, ensemble les grands vieux doubles ducats, descriez, et auront seulement cours entre nous les desirez[191], saluts et jocondalles, nobles et marionnettes[192].
48. Pour oster toute occasion de rongner les pièces, ne vaudront chascunes pièces que leur poix. Toutes fois si aucun, par une negligence supine[193] et prepostère[194], est si temeraire d'en prendre sans les pezer, ils ne s'en pourront prendre à justice.
49. Voyant la plupart de nos confrères, par une malediction specialle, tenir conte par dessus tous autres peuples de diamants, rubis, emeraudes et autres sortes de baguenaudes, que la populasse appelle par un abus de langage pierres precieuses, comme si ce fussent reliques, en quoy mesmement nos dits confrères se desbordent de telle façon qu'ils estiment ès dictes pierres resider des effets miraculeux et qu'elles ayent puissance de faire tumber, tant sur le devant qu'en arrière, les personnes qui s'estiment les plus fortes et advisées, nous, pour deraciner tels abus, qui équipollent à une vraye idolatrie, et cognoissans que telles pierres ne vallent que ce que l'œil les estime, afin que d'icy en avant on ne se hazarde si hardiement à en achepter, permettons à un chacun de vendre indifferemment doublet[195] et happelourdes[196] si avec le dit rubis et diamant, et ordonnons que, si aucun par fortune se charge d'une happelourde, il ne s'en pourra prendre qu'à soy-mesme.
50. Sur aultres plaintes et remonstrances qui sont venues par devers nous de la part des dames et damoyselles, exposans qu'il y avoit aujourd'huy une infinité de changeurs qui debitoyent pièces legères et de bas aloy, lesquels toutesfois, par une insolence très grande, ne vouloyent permettre aux vefves et femmes mariées, pendant l'absence de leurs maris, en recevoir de bonnes et de bon aloy, chose contrevenant à tout droict, parce que tant les femmes mariées que vefves doyvent jouyr du privilége de maris: Nous, en attendant autre disposition plus expresse de nous et de nostre conseil, et jusques à ce que autrement y ayons pourveu, cognoissans l'utilité qui provient du change, qui est nommement introduite pour l'entretenement du commun trafique et commerce, sans lequel prendroit bientost fin ceste humaine société, permettons à un chacun de exercer l'estat de changeur, oultre celuy auquel il est particulièrement appelé; voulons neantmoins, pour oster la confusion des estats, que chacun vaque à son mestier particulier ès lieux et boutiques publiques; et, quant à celuy de changeur, en interdisons l'exercice fors ès cabinets, garde-robbes, chambres et salles domestiques et privées; et aussi à la charge que ceux ou celles qui se voudront mesler de ce mestier seront si dextres et bien apprins, que les autres ausquels ils debiteront leurs pièces les estiment non legières, ains bonnes et loyalles; autrement leur en deffendons le mestier comme à personnes inhabiles et insuffisantes à exercer iceluy. Si donnons en mandement aux gens tenans nostre cour de Parlement de la Basse-Marche, maistres des requestes ordinaires de nostre hostel, vicomtes, vidames, viguiers, vibaillifs, visenechaux, et à chascun deux en droict soy, et si comme à eux appartiendra, que nos presentes ordonnances ils entretiennent, gardent et observent, et facent inviolablement observer, lire, publier et enregistrer sans venir directement ou indirectement au contraire, sur peine de grandes amandes et punitions corporelles encontre les infracteurs d'icelles, car tel est nostre plaisir. Donné à nostre chasteau de Plaisance, près Beauté, au moys de may mil cinq cens soixante-quatre, et de nostre gouvernement le trentième. Ainsi signé:
Et au dessous, par le vicaire et lieutenant general d'Amour, estant en son conseil estroict:
Et scellé d'un grand scel de cire verde avec un las d'Amour.
Leues, publiées et enregistrées, ce requerant les gens d'Amour, au Parlement de la Basse-Marche, avec modifications contenues au registre de la dicte cour, qui sont telles que quand au cinquiesme article, qui veut que les beneficiez qui se trouveront par maladie, ancienneté ou autrement, ne pouvoir vacquer au deu de leurs charges, prendront coadjuteurs et vicaires; la cour, en declarant le dict article, ordonne qu'ils ne seront tenus d'en prendre, mais s'ils s'en presentent aucuns pour estre coadjuteurs qui soyent agreables à ceux ou à celles qui y auront interest, en ce cas, et non autrement, ils pourront desservir comme vicaires avec les dicts beneficiers. Et quand au dixiesme article, qui oste les contredicts et reproches entre le mary et la femme, demeurera cest article en surseance jusques à ce que l'on ayt faict plus ample remonstrance au dict seigneur. Au regard du vingt-neufvième, qui veut que l'on joue à dame touchée dame jouée, n'aura ledict article lieu, sinon que du commencement il eust été ainsi accordé entre ceux et celles qui joueront; et quant à tous les autres articles, celuy qui usera le moins de ces presentes ordonnances sera estimé le plus sage, et trompera son compagnon.
Fait en la ville de Congnac, aux grands arrests prononcez en robbe rouge[197], la veille de la solemnité des Roys, l'an mil cinq cens soixante-quatre.
Le jeu de paulme et le Palais
Sont (ce me semble) de grands frais;
Les tripots et les plaideries
Sont le vray jeu du Coquimbert[200]:
Car il en couste aux deux parties,
Et en tous deux qui gaigne pert.
Adieu, mon or et mes pistolles,
Adieu mes belles espagnolles[201],
Adieu mes escus au soleil:
Messieurs les maistres des requestes
Et les advocats du conseil
Auront de quoy passer les festes.
Adieu mes amoureux testons[202],
Adieu mes larges ducatons,
Adieu mes quarts d'escus de France:
Les coppistes et les commis
Ne m'ont point laissé de finances
Et m'ont pillé mes bons amis.
Adieu mon or et ma monnoye,
Adieu mon amour et ma joye,
Adieu mes gentils pistollets[203]:
Que mal-heureuse soit la vie
Et des maistres et des valets
Qui m'ostent vostre compagnie!
Vray'ment, il n'estoit ja besoin
De vous apporter de si loin,
O belles et riches medailles,
Pour vous donner à des larrons,
A des voleurs, à des canailles,
Qui vous font servir de jettons!
Race de gens abominable
Qui vous prise moins que le sable,
Et ne fait presque point d'estat
Des bourses mesmes mieux garnies!
N'est-ce pas estre trop ingrat
En prenant l'argent des parties?
Qui penseroit qu'auprès du roy
Des voleurs nous donnent la loy,
Et que leurs vols et brigandages
Surpassent mesme les larcins,
Les rapines et les outrages
Qui se font sur les grands chemins?
Plaideurs qui avez des affaires,
Que dites-vous des secretaires
Et des clercs de vos rapporteurs?
Que dites-vous de l'avarice
Et de l'humeur de ces voleurs
Qui vendent ainsi la justice?
Et vous qui ne sçavez que c'est
De faire donner un arrest,
Escoutés à combien d'harpies
Vous faites manger vostre bien
En procez et chicanneries
Qui ne valurent jamais rien.
Si vous avez un bon affaire,
Auparavant que de rien faire
Il faut prendre beaucoup d'argent;
Il en faut trouver sur des gages,
Et obliger à cent pour cent
Vos rentes et vos heritages.
Allez-vous plaider au conseil?
On ne vous void point de bon œil
Si vous n'y portez des pistolles.
Il y faut laisser vos escus
Et n'emporter que des paroles
Pour y estre les bien venus
Il faut quitter vostre patrie,
Il faut hazarder vostre vie,
Suivant le roy par le pays,
Et, pensant faire vos affaires,
Peut-estre serez-vous trahis
Par des coquins de secretaires.
Il faut presenter le ducat
Et l'escu d'or à l'advocat
Pour acquerir ses bonnes graces,
Et si le clerc n'a de l'argent,
Il vous fera laides grimaces
Et ne sera jamais content.
Il faut, pour appaiser ce drolle,
Vous deffaire d'une pistolle;
Il en faut pour vous presenter,
Pour faire dresser vos deffences,
Et aussi pour vous appointer
Sur des legères consequences.
Il faut suivre le reglement,
Il faut lever l'appointement,
Il faut dresser un inventaire,
Il faut produire dans trois jours[204],
Et pour quelque petit affaire
Il faut faire de longs discours.
C'est icy qu'on serre l'anguille,
Et c'est icy que l'on vous pille,
Car les cent francs n'abondent rien,
Et, de la façon qu'on vous volle,
Il faut donner tout vostre bien
Pour payer un escu du rolle.
Cependant vous suivez la cour,
Où vous faites un long sejour
Avec une grande despence.
Jamais personne n'est content,
Et tout le monde recommence
A vous demander de l'argent.
Ayant payé vos escritures,
Voicy de nouvelles blessures:
Il faut estre solliciteur,
Il faut gagner la bonne grace
Du clerc de vostre rapporteur,
Ou bien il est froid comme glace.
Vous l'irez voir cinq et six fois;
Mais si vous ne parlez françois
Et ne jetiez dessus la table
Vos pleines mains de quarts d'escus,
Vous le verrez inexorable,
Et vous ne luy parlerez plus.
Ne pensez pas qu'il se contente
De cet argent qu'on luy presente;
Sçachez que ce n'est jamais faict:
Si vous perdez ceste coustume,
Il ne fera point son extraict,
Et n'aura ny encre ny plume.
Tant que vous aurez un teston,
Vous n'en aurez jamais raison;
Si vous ne vuidez vostre bourse,
Vous n'en aurez que du mespris,
Et faut recourir à la source
Lorsque les ruisseaux sont taris.
Il faut descoudre vos pistolles
Qui sont dedans vos camisoles,
Et, luy en donnant deux ou trois,
Il minuttera quelque page,
Sous esperance toutesfois
Qu'il en aura bien davantage.
Il faut despenser vostre bien
Pour achepter son entretien
Et avoir l'oreille du maistre,
Encore n'est-il pas content
Si vous ne le sçavez repaistre
De l'esperance d'un present.
S'il vous fait voir, par courtoisie,
Les pièces de vostre partie,
Il luy faut payer le festin,
Il luy faut faire bonne chère
Et le traitter un beau matin
Au logis de la Boisselière[205].
Pauvre plaideur, ce n'est pas tout,
Encore n'es-tu pas au bout
De ce grand poids de la justice,
Où se trouve tant de voleurs
Et où demeure l'avarice,
Qui est cause de tels malheurs.
Voicy un huissier qui exige
Plus que sa charge ne l'oblige,
Et si tu ne le rends content
Il employe ses artifices
Pour tirer de toy plus d'argent
Qu'on n'en baille pour les espices.
Encores en fait-il refus
Si ce ne sont des quarts d'escus:
Car le moyen, disent ces drolles,
De diviser en tant de parts
Des escus d'or et les pistolles
Comme on fait les escus en quarts!
Ayant consigné les espices,
On exerce d'autres malices
Sur ta bourse, qui n'en peut mais:
Car, si ta cause est terminée,
Ton arrest ne se fait jamais
Que ta bourse ne soit vuidée.
Il faut aller chez le greffier
Voir ton arrest, et le prier
Que sur-le-champ il l'expedie;
Il faut trois livres pour le veoir,
Et, quelque chose qu'on luy die,
Il en faut douze pour l'avoir.
Il faut un escu au coppiste,
Autrement il fera le triste
Et te lairra le fin dernier;
Il te fera beaucoup de grace
S'il t'expedie le premier,
Quelque present que l'on luy face.
Maintenant garde bien ta peau:
Car, quand il faut aller au sceau,
C'est une vraye escorcherie
Où l'on prend l'argent d'un chacun.
Hé! bon Dieu! que de vollerie
De prendre quatre sceaux pour un!
Enfin, pour tant de grandes sommes,
En ce maudit temps où nous sommes,
Tu n'auras que du parchemin
Avec un peu de cire jaune.
Il vaudrait mieux les mettre en vin
De Gaillac[206], de Grave ou de Beaune.
Or, parce qu'il m'est arrivé
Que Messieurs du conseil privé
N'ont jugé le fond de ma cause,
Ains m'ont remis au Parlement,
Il est bien raison que j'en cause,
Puis qu'il aura de mon argent.
Primo, je crains fort la chicane
De quelque procureur marrane[207]
Qui sçaura nourrir mon procez;
J'apprehende ses procedures,
Et crains qu'il n'y ait de l'excez
Parmy toutes ses escritures.
Je crains fort un clerc affamé,
Lequel ne soit point estimé
Que pour frequenter les beuvettes,
Demander pinte et puis le pot,
Et qui n'a jamais de pochettes
Quand il faut payer son escot.
Ces drolles n'ont point de memoire,
Si ce n'est quand on les fait boire;
Ils disent à de pauvres gens
Qu'ils sont tousjours en l'audience,
Qu'ils sçavent faire les despens,
Et s'en mocquent en leur presence.
L'audience est un cabaret;
Le bon vin blanc et le clairet
Sont les despens qu'ils sçavent faire.
L'un est assis, l'autre debout,
L'autre en mangeant parle d'affaire;
Mais la partie paye tout.
Cependant qu'ils font bonne chère,
Leurs maistres boivent la poussière
Et les atomes du Palais;
Et puis ils vont à leurs maistresses,
Le front joyeux et le teint frais,
Faire leurs jeux et leurs caresses.
J'espargnerois les procureurs;
Mais on m'a dit que les meilleurs
Sont les plus grands larrons de France.
Ils sont donc beaucoup de larrons,
Car je vous dis en asseurance
Que les procureurs sont tous bons.
Il faut que j'escrive le stile
Du plus savant et plus habile
Qui soit dedans le Parlement.
Premierement, il faut escrire
Et luy envoyer de l'argent
Pour avoir un morceau de cire.
Quelquesfois ce petit morceau
Demeure long-temps sous le sceau,
Et par après on expedie
Le relief[208] en vertu duquel
Vous intimez vostre partie
Pour aller plaider sur l'appel.
Vous rescrivez par l'ordinaire
Qu'on prenne soin de cest affaire;
Vous priez vostre procureur
Que dans tel jour il se presente;
Mais, si vous n'estes bon payeur,
Jamais cela ne le contente.
Ayant touché de vostre argent,
Il se monstre plus diligent,
Mais c'est pour prendre davantage:
Car, ayant pris tout ce qu'il faut,
Il vous rescrit en son langage
Qu'il vous faut lever un deffaut.
Vous asseurant à ses paroles,
Vous envoyez quelques pistolles
Pour cest avare chicaneur,
Car vos parties d'ordinaire
Ont comparu par procureur,
Quand il vous mande le contraire.
Il vous escrit ainsi souvent
Pour avoir tousjours de l'argent;
Si vostre cause n'est instruitte,
Il faut envoyer des quibus,
Afin d'en faire la poursuite:
Autrement on n'y songe plus.
La maladie continuë
Quand le procez se distribuë,
Et les habiles procureurs
Mettent l'argent sous leurs serrures,
Que les miserables plaideurs
Envoyent pour leurs escritures.
Or vous n'avez le plus souvent
Ny escritures ny argent,
Car l'avarice est bien si grande,
Qu'au lieu de payer l'advocat,
Monsieur le procureur vous mande
Que le procez est en estat.
Et cependant, tout au contraire,
Car il arrive d'ordinaire
Qu'on n'a pas conclu au procez;
Vous quittez lors vostre mesnage,
Mais il vous fasche par après
D'avoir fait si tost le voyage.
Car, arrivant au Parlement,
Il faut encores de l'argent
Pour retirer vos escritures;
Et ainsi vostre procureur
Se paye de ses impostures,
Et l'advocat de son labeur.
Un advocat jamais ne volle,
Ne prenant que vingt sols du roole,
Mais escrivant trop amplement,
Il est indigne, ce me semble,
De plaider dans un Parlement
Et d'y escrire tout ensemble.
Or, pour les jeunes advocats,
Ils ayment mieux fripper les plats
Que d'avoir le bruit de trop prendre;
Aussi ne vont-ils au Palais
Que pour gausser et pour reprendre,
Mais non pas pour plaider jamais.
Ils sont plustost aux galleries,
Auprès des marchandes jolies,
Que non pas dedans le barreau.
L'un courtise sa librairesse,
Voyant quelque livre nouveau;
L'autre fait une autre maistresse.
Laissons-les donc, jeunes et vieux:
Car tout le mal ne vient pas d'eux,
Mais des soutanes d'estamines,
Je veux dire des procureurs,
Qui n'eurent jamais bonne mine
Qu'aux depens des pauvres plaideurs.
Revenons à leurs procedures
Et inutiles escritures,
Qu'on paye sans sçavoir que c'est,
Qu'on fait payer à la partie
Auparavant qu'avoir arrest,
Et que jamais on n'expedie.
Mais posons mesmes que la cour
Juge quelqu'un au premier jour:
Il luy faut payer les espices;
Autrement il n'a point d'arrest,
Car ceux qui tiennent les offices
En veulent toucher l'interest.
Après la fin de son instance,
Il faut trouver d'autre finance
Pour faire taxer ses despens;
Et, bien qu'il gagne la victoire,
Il faut payer beaucoup de gens
Pour avoir son executoire.
Un procureur garde par fois
Cette pièce plus de deux mois
Sans l'envoyer à sa partie;
Et puis il luy fait d'autres frais
Et excuse sa volerie
Dessus les longueurs du Palais.
A la fin il luy fait à croire
Que ce certain executoire
Est demeuré dessous le sceau;
Encore la cire est si chère
Qu'on n'en a qu'un petit morceau
De la longueur du caractère.
Enfin, après tant de longueurs
Qu'inventent tant de chicaneurs,
Vostre procureur vous demande
Ce qu'il a desboursé du sien,
Quoy que ceste race brigande
Vous ait volé tout vostre bien.
Bon Dieu! qui sçavez nos affaires,
Preservez-nous de ces corsaires,
Gardez des voleurs les marchands,
Et les mariniers des pirates;
Preservez-nous de tels brigands,
Et nous delivrez de leurs pattes.
Pour moy, si je plaide jamais,
Ou au Conseil, ou au Palais,
Faites qu'on ne me desemplume,
Afin que ces larrons fameux
Qui ne volent que par la plume
Me voyent voler dessus eux.
Dizain.
Maudits soient les procez, et non pas les plaideurs!
Maudits soient les exploits, et non pas les libelles!
Je veux et ne veux point de mal aux chicaneurs;
J'ayme les differends, et non pas les querelles;
J'ayme fort de plaider, et c'est ce que je fuis;
J'abhorre le Palais et c'est ce que je suis;
Je veux mal aux larrons, et veux bien qu'on desrobe;
Je veux mal aux procez et les ayme par fois:
Or, qu'est-ce que je veux? En un mot, je voudrois
Que tout le monde en eust, hormis ceux de la robbe.
Rencontre et naufrage de trois astrologues judiciaires, Mauregard, J. Petit et P. Larivey, nouvellement arrivez en l'autre monde.
A Paris, chez Jean Mestais, imprimeur, demeurant à la porte Saint-Victor.
M.D.C.XXXIIII.
Avec permission.
Si nous pouvions avoir des nouvelles de l'autre monde par quelque voye reglement asseurée, nous les donnerions au public chaque semaine, ou pour le moins chaque mois, et ferions des gazettes aussi fecondes qu'on en ait jamais veu; mais, à faute de courier ordinaire qui nous rapporte ce qui s'y passe, nous sommes si pauvres de nouvelles que nous ne sçaurions en departir que rarement; au moins sont-elles sans aucun doute. Nous ne changeons jamais d'advis pour avoir esté convaincu de faux. Il n'y a point d'homme vivant qui nous puisse desmentir avec des preuves contraires. Le chemin est si long qu'on choisira plus tost de nous croire que de l'aller sçavoir en ce pays-là.
Il y a quelque temps que, la cadence des astres ayant fait un faux pas contre toutes sortes de reigles communes et imaginées, trois des plus curieux astrologues de l'Europe trouvèrent leur an climaterique[209] bien au deçà du terme qu'ils s'estoient prefix.
Ces trois pauvres docteurs avoient laissé la moitié de leur cervelle attachée au globe de la lune, qui doit souffrir une eclypse ceste année, dont ils recherchoient les effets perilleux pour quelque monarchie, ou malevoles pour quelque grand prince.
Le premier qui se trouva proche du barc fust Mauregard[210]. Il estoit si alteré d'avoir accouru en ce second monde pour eviter les misères de celuy-cy, où il avoit esté trop mal traité[211] pour un homme de si rare merite et de si haute folie, qu'il fut près de boire de l'eau du fleuve d'oubly. Comme il s'estoit desjà baissé pour avaler à gosier ouvert de quoy faire mourir sa soif, telles exhalaisons ensoufrées de ceste puante rivière, qui pousse des bouillons comme de poix, et jette une odeur qui empeste si fort qu'elle feroit mourir ceux qui en approcheroient encore vivans, le degoustèrent, et plus de la moitié de son ardeur s'esteignit par la seule senteur de ceste eau.
Le batelier estoit au milieu de la rivière, qui conduisoit avec grande peine son vaisseau chargé de plus de quinze cens Espagnols de l'armée de Feria, que le froid et le fer a fait passer le Lethé au lieu du Rhin[212]. Leur orgueil estoit si pesant et leur gravité si orgueilleuse, qu'on eust dit à les voir que le batteau estoit plein d'Hercules; ils ne respiroient que menaces et bravoient insolemment le nocher, pour le payer à la descente comme ils payoient leurs hostes en ce monde.
Si tost qu'il les eust mis à terre, il revint à l'autre bord, qu'une foule importune de peuple vieil et jeune occupoit. Mauregard se jette des premiers dans le vaisseau, avec bien plus de joye qu'il n'estoit entré aux galères à Marseille[213]. Il reconneut de dessus la proüe deux autres astrologues: ils sont marquez au front d'une tache d'extravagance qu'ils ne sçauroient couvrir de toute la main.
Icy, compagnons! s'escria-t-il. Mais Charon, qui se faschoit de le voir parler en maistre chez soy: Je ne sais que faire de ces foux, dit-il; qu'ils attendent à un autre temps. Tous les faiseurs d'horoscope meurent si gueux, que je n'ay jamais esté payé d'un que de Bellantius, Italien qui traitoit de la medecine par le cours des planettes.
Ah! Charon, respondit Mauregard, si tu sçavois quels hommes tu refuses de porter, des hommes qui ont porté le ciel, les plus grands génies de la nature, qui connoissent tout avec evidence, qui sans aucun livre d'histoire peuvent lire dans le ciel toutes les annales du monde, qui mesme en pourroient faire pour dix mil ans par delà l'embrasement universel; en un mot, des personnages qui n'ont point ny prix ny de pareils! Jamais ta barque n'a esté chargée de si excellens hommes; quelque jour cessera la bassesse de ta fortune pour avoir eu l'honneur de les passer; mais parce que ceux de ta profession regardent plus au gain present qu'à l'honneur à venir, ils ont de quoy te payer, j'en réponds; ils ont vendu avant que de mourir les coppies de deux almanachs si bien calculez qu'ils semblent avoir voulu faire, avant que de descendre icy, un miracle de doctrine sans imitation comme il est sans faute. Pour moy, je ne te seray pas inutile: je sçay bien ramer, j'aideray à la conduite de ta barque. Charon le creut et laissa l'entrée libre à Jean Petit[214], à Pierre de Larivey[215]. Le batteau, chargé deux fois plus qu'à l'ordinaire, chanceloit et commençoit à deux cens pas du bord de deçà à s'enfoncer. Chacun vouloit bien se sauver, mais pas un ne vouloit se defaire de ses petits meubles. L'un portoit avec soy la superbe, un autre l'avarice, un autre la pedanterie et la suffisance, un autre des badineries, des bagatelles d'amour et de galanterie; mais chacun cherissoit tant ses pacquets qu'ils eussent consenty d'estre noyez et de mourir de rechef plustost que de s'en deffaire. Le vaisseau, ainsi surchargé, alloit perir; mais voicy un accident qui hasta sa perte. Un ajusté de Paris, qui avoit payé M. Jean Petit pour estre trompé en son horoscope, l'advise en un coing, qui se cachoit comme fait un mauvais payeur: Ah! trompeur, imposteur, tu m'as abusé! Tu ne m'avois pas adverty d'un si prompt depart.... Je devois vivre cinquante-huit ans, et je suis mort à vingt-huit, si promptement que je n'ay peu dire adieu à ma maistresse.—Est-ce donc vous, Monsieur, repartit Petit. Ah! mon Dieu, je ne le sçaurois croire: les astres sont trop reguliers, il n'y avoit pas un seul point qui vous fust fatal jusques au 58 de vostre aage. Estes-vous donc mort?—Ouy, affronteur, s'ecrie une vefve; et moy aussi.... Tu m'avois promis trois hommes, et je n'en ay eu qu'un.—Je ne sçaurois souffrir cette impudence, Messieurs, dit Petit; jugez si elle n'a pas eu davantage que je n'avois promis: elle n'en devoit avoir que trois; elle a anticipé, et en a pris plus de trente. La vefve, offensée, se jette à ses yeux, et luy arrache le droit, dont il contemploit les astres. Il la renverse dans l'eau, mais tombe après. La populace se mutine; on crie aux imposteurs. Mauregard s'escrime de l'aviron et se fait largue. Les ames tomboient dru et menu dans le courant du fleuve, si bien que le batteau, presque tout à fait deschargé, n'eust point esté en danger de perir s'il n'eust desjà pris eau de toutes parts, estant balancé par les continuelles secousses de ceux qui fuyoient et s'entrepoussoient.
Desjà l'eau victorieuse faisoit couler à fond cette vieille barque, qui n'avoit point encore ressenty un tel malheur depuis qu'elle a esté establie en ce passage. Le bonhomme Charon invoquoit tous les dieux, comme fait un patron dans un extrême desespoir. Mercure y arriva trop tard; la barque estoit à fonds, et ce pauvre vieillard, quoiqu'il sceust bien nager, ne se sauva pas sans boire. Mauregard s'en tira presque à aussi bon marché: il avoit appris à la perfection au port de Marseille; mais Pierre de Larivey se laissoit emporter au fil de l'eau et avaloit de grandes gorgées de ce breuvage amer et chaud, et Petit, accroché par ceste vefve opiniastre, estoit au fond sans pouvoir s'en depestrer: les femmes ne laschent jamais prise, non plus que ceux qui les gouvernent, et quoyque Mercure, frappant de sa baguette sur la rivière, eust fait revenir le batteau à bord et toutes les ames, ces deux neantmoins, attachées l'une à l'autre, ne paroissoient point, mais faisoient seulement lever sur l'eau de gros bouillons, si bien que Mercure fut contraint de faire le plongeon pour les aller querir et les transporter sur l'autre bord.
Qui a jamais veu une troupe d'Allemands, après avoir vuidé deux ou trois muids, estendus sur le pavé, remesurer par la bouche le breuvage qu'ils avoient pris sans mesure, qu'il s'imagine de voir mille pauvres ames, penchées sur le bord du fleuve d'Enfer, revomir à gros bouillons les flots qu'elles ont avallez, et rejetter la rivière dans la rivière. Heureuses en cela que le malheur leur fist oublier toutes les peines passées et perdre le souvenir de tous les plaisirs qui leur ont esté un remords éternel! Elles y avoient toutes noyé leurs mauvaises humeurs, et laissé les pacquets qu'ils aymoient si fort.
Mais les trois astrologues ne peurent oublier leur folie, ny laisser leurs astrolabes. La judiciaire est une roüille si fort attachée à l'esprit de ceux qui l'ont pratiquée une fois, que ny l'eau ny le feu ne sçauroient jamais l'arracher. Après qu'ils se furent un peu reposez sur le rivage, ils se mirent tous trois de compagnie à faire chemin vers l'antre de Cerbère. Larivey, qui aperceut ce grand dogue: Ah! mon Dieu, s'escria-t-il, je dois estre mordu d'un chien; mon horoscope le marque ainsi. Mais Cerbère ne mord point les ombres: il les laisse passer sans s'en lever seulement. Ils approchoient de la haute tour de Tartare, d'où s'entend une horrible confusion de cris des criminels qu'on y gesne, quand ils apperceurent sur les creneaux le grand Nostradamus, à qui deux ou trois demons faisoient avaler des comètes toutes flambantes. Auprès de luy estoit un autre astrologue attaché à une rouë qui avoit le mouvement perpetuel, et rouloit tout d'une autre façon que ne font les planettes. Ah! Dieu, dit Mauregard, quel extraordinaire mouvement! Quel orbe est-ce là? Dieu nous garde d'estre changez en une telle planette! Un nombre sans nombre d'ames qui estoient à la question maudissoient et detestoient les propheties judiciaires: Seducteur! disoit l'une (c'estoit l'ame d'une grande dame), je suis icy pour t'avoir creu avec trop de superstition; tu m'avois predit que si je tuois mon mary j'espouserois un prince souverain. Je l'ay fait, et n'ay vescu qu'un mois depuis, et j'ay achepté par un crime si detestable les peines eternelles. Un autre crioit: Ah! que tu as mal calculé! Tu avois pris mon horoscope une demi-heure plus bas; ma planette estoit plus mal logée que tu ne disois. Ainsi plusieurs, dans la rigueur des tourmens, n'accusoient que les judiciaires Larivey, Mauregard et Petit, qui entendoient les plaintes qu'on faisoit d'eux et de leur science, voulurent s'esloigner du Chastelet d'Enfer; mais derrière estoit Lethé, à costé le grand marescage de Stix: ils ne pouvoient ny reculer ny gauchir, il falloit passer par là. On les a reconnus à leur marque et emprisonnez dans la tour Noire, où on leur fait leur procez, et Mauregard n'en sera pas quitte pour les gallères. Vous sçaurez le reste à la première narration que nous vous ferons de ce pays-là.
Discours sur l'inondation[216] arrivée au faux-bourg S.-Marcel lez Paris, par la rivière de Bièvre, le lendemain de la Pentecoste, 1625, et moyen d'empescher à l'advenir telles inondations et conserver la dite rivière, à cause de son incomparable proprieté pour les teintures, nonobstant le destour des sources de Rungis. Plus autre advis pour l'establissement des tueries, tanneries et megisseries, par le moyen du destour de la dite rivière au dessus de la ville de Paris.
A Paris, de l'imprimerie de Jean Barbote, en l'isle du Palais, rue de Harlay, à l'Alloze.
M.D.C.XXV.
In-8.
Ornari res ipsa negat, contenta doceri.
La possession vitieuse, clandestine et violente de plusieurs proprietaires des heritages situez le long de la rivière de Bièvre et ancien cours d'icelle estant cause des inondations et deluges survenus ès faux-bourgs Sainct-Marcel et Sainct-Victor, requiert qu'on en mette au jour les remèdes et moyens certains, non seulement pour prevenir les dites inondations, mais aussi pour remedier à la perte et ruine d'icelle rivière durant les grandes secheresses, à cause du destour du ruisseau venant des sources de Rungis[217] pour l'embelissement et necessité de la ville de Paris.
Ce qui est dict, non pour bastir des dedales et labirinthes de procez, ains pour donner et laisser à la posterité ce que nos predecesseurs, avec tant de peine, nous ont laissé, et encor quelque chose davantage.
La fontaine Bouviers[218], près Guyencourt, est la source de la rivière de Bièvre[219], laquelle remplit trois estangs, appelez de Braque[220], Regnard et du Val, dans lesquels la dite rivière est retenue durant les grandes secheresses, et la pesche d'iceux faite durant les grandes inondations, de la descharge desquels estangs le moulin Regnard prend son eau, laquelle se perd au dessouz, n'ayant aucune forme de ruisseau, se respandant dans les prez sauvages et aulnayes, l'egoust desquelles eaux fait moudre le moulin du Val, au dessous duquel la dite rivière se perd encor dans un autre estang, qu'on a converty en aulnaye, au dessouz de laquelle se fait un petit ruisseau qui fait moudre le moulin de Launoy, et un quart de lieüe au dessouz le moulin de Buc, lesquels cessent durant les grandes secheresses, comme aussi durant les grandes inondations, faute de descharge et curage de la dite rivière. Un quart de lieue au dessouz est le moulin de Vaupetain, et plus bas, de demie-lieuë en demie-lieuë, les moulins de Sainct-Martin, de Jouy-en-Josas, du Rat, de Vauboyan, Bièvre, d'Ignis, d'Amblainvilliers, des Grez, de Mineaux et d'Anthony, auquel lieu se joinct le ruisseau de Vauharlantz à la rivière de Bièvre, provenant des goulettes que les particuliers font à la dite rivière pour arrouser leurs prez et descharges des estangs de Massy, lesquels deux ruisseaux, joincts ensemble au pont Sainct-Anthony, ne subsistant que des ravines d'eaux, peuvent estre appelez torrens jusques au moulin de Lay, où ils rencontrent le ruisseau provenant des sources de Rongis, qui seul donne estre à la dite rivière durant les grandes secheresses, et, partant, ne coulant doresnavant plus dans la dite rivière, ains dans l'aqueduct pour les fontaines de Paris, la secheresse d'icelle rivière sera plus à craindre et ruineuse que l'inondation; auquel lieu d'Anthony se rencontre une chose grandement remarquable: c'est que les trois ruisseaux de Bièvre, Vouharlant et Rungis, joincts ensemble au lieu appelé la Mer-Morte, Molières et Croulières de Lay et Chevilly, ne se trouve non plus d'eau tous ensemble qu'en chacun d'eux separement; auquel lieu aussi se trouve des terres propres à brusler, appellées tourbières, et plusieurs abysmes d'eaüe, dont le plus grand est appellé de Laridan.
Près du dit lieu est le moulin de Cachan, au dessouz duquel est le grand clos, dans lequel la dite rivière coule et se decharge par des grilles de fer, lesquelles, se remplissant d'herbages et autres ordures par les ravines d'eaux, ferment le cours de la dite rivière, laquelle, par ce moyen, s'enfle et cause en partie les dites inondations; laquelle rivière, s'escoulant souz les arcades de l'acqueduct des fontaines de Rongis, va faire moudre le moulin d'Arcueil, puis ceux de la Roche, de Gentilly, Jantevil et Croulebarbe, puis, passant par les Gobelins, fait moudre le moulin Sainct-Marcel; puis, passant au pont aux Tripes, le faux ru, rivière morte, sont bouchez, usurpez et remplis de plusieurs plantars et atterissemens; tellement que la rivière, n'ayant sa descharge, a fait de temps en temps des degats inestimables. De là, coulant au faux-bourg Sainct-Victor, fait encore moudre les moulins de Coupeaux[221] et de la Tournelle jusques à sa descharge, qui rend la rivière de Seyne malade, à cause des grandes infections provenant des teintures, megisseries, tanneries, tueries et eschaudoirs qui sont sur et près de la dite rivière[222].
Voilà succinctement le cours de la dite rivière, remarquable par tout l'univers pour son incomparable propriété pour les teintures[223], deluges arrivez par icelle, et de ce que, contre le naturel des autres rivières, elle est portée (vraye cause des inondations) et coule contre le cours du soleil, ayant sa source et origine entre Guyencourt et Sainct-Cloud, descendant dans la rivière de Seyne au dessus de la porte Sainct-Bernard.
Les remèdes contre ces inondations et secheresses sont:
Que tous les meusniers des moulins siz sur la rivière de Bièvre soient tenuz d'avoir des pales et vannes nivellées à proportion de l'eaüe qu'ils doivent avoir, afin qu'elle ne se respande dans le vallon prochain;
Que tous les proprietaires des heritages tenans et aboutissans à la dite rivière, faux ru et rivière morte, soient tenuz de tenir la rivière en son ancienne largeur, ou du moins, suivant l'ordonnance, icelle curer, houdraguer trois fois l'année, et en certifier messieurs des eaux et forests, aux assises de Pâques et Sainct-Remy, et ce depuis la source de la fontaine Bouvière jusques à la rivière de Seyne;
Tenir la main à l'execution des ordonnances, à ce que les berges de la dite rivière soient entretenues d'un pied plus haut que les vannes des moulins;
Que l'eaüe de la dite rivière, durant les secheresses, ne soit destournée par les particuliers pour arrouser les prez, remplir leurs estangs et canaux, et mares, ny retenue faute du nettoyement de leurs grilles;
Que les defenses faites aux proprietaires des estangs de Braque, Regnard, du Val, Massy et autres, ayant viviers et canaux de la dite rivière, soient reiterées, de ne pescher leurs estangs ensemble durant les grandes inondations, ains durant les grandes secheresses;
Que tous les plantars et atterissemens de la dite rivière, faux ru, rivière morte et sangsues, seront ostés au moins sur la largeur de deux thoises pour la rivière et d'une thoise pour le faux ru et rivière morte;
Que le canal nouveau encommencé au lieu dit la Mer-Morte, Molières et Croulières de Lay et Chevilly, soit continué pour remplacer le destour des eaux de Rungis, attirer les eaux perdues au pont Anthony, servir de reservoir pour remplir la rivière durant les grandes secheresses, et empescher le debord d'icelle rivière au dit lieu;
Que la descharge de la rivière de Bièvre soit mise au dessoubz de la ville de Paris par un aqueduct sous-terrain soubs les fossez Sainct-Marcel, Sainct-Jacques et Sainct-Michel, et de là conduite dans le fossé de l'abbaye Sainct-Germain, le long de la rue du Colombier, et après au Pré-aux-Clercs, joindre le courant de la rivière de Seyne qui fait l'isle de Chaliot, près les Bonshommes;
Que plusieurs executeront volontiers, pour la pierre qui sortira des dits fossez faisant l'aqueduct, et des places vuides et non basties estant sur la pante des dits fossez, pour l'establissement des tueries, tanneries, megisseries, suivant et au desir des arrests de la cour.
Par ainsi la rivière de Bièvre, ayant sa descharge près Chaliot, ne regorgera dans les faux-bourgs Sainct-Marcel et Sainct-Victor; ne rendra la rivière de Seine malade; servira pour l'establissement necessaire des tueries, tanneries, megisseries[224], et conservera à la posterité les teintures d'escarlate, par le moyen desquelles la drapperie, seul et principal negoce de la ville de Paris, a esté jusques à present maintenu.
Ensuit l'advis du sieur Errard, ingenieur ordinaire du roy, pour le restablissement de la rivière de Bièvre, de l'ordonnance de M. le maistre particulier des eaux et forests de la prevosté et vicomté de Paris, ou son lieutenant, à la requeste des marchands teincturiers du bon teinct du faux-bourg Saint-Marcel-lez-Paris.
Nous, Alexis Errard[225], ingenieur ordinaire du roy, souz-signé, en vertu de certain jugement et ordonnance rendüe par M. le maistre particulier des eaux et forests de la prevosté, vicomte de Paris, du .. jour de ... 1623 et 19 mars 1624, à la requeste de Estienne et Henry Gobelins[226], marchands teincturiers, bourgeois de Paris, nous sommes transportez le long du cours de la rivière de Bièvre, dite des Gobelins, icelle veüe, visitée, nivelée où besoin a esté, aux fins du restablissement et conservation d'icelle; et trouvé que, pour y parvenir, il est besoin de curer, nettoyer et houdraguer la dite rivière, ruisseaux, sources, sangsuës, descendans en icelle depuis sa source jusques au faux-bourg Sainct-Marcel,—particulièrement les ruisseaux venant de Vauharlan et Bourg-la-Royne, comme plus considerables, pour avoir leur cours naturel et descharge en la dite rivière au pont Anthony et au dessouz du dit Bourg-la-Reyne; dans laquelle rivière de Vauharlan les sources et estangs de Massy, passant à Amblainviliers, ont aussi leur descharge, et rendent le dit ruisseau de Vauharlan à plus près aussi fort que la dite rivière de Bièvre à l'endroit de l'assemblage d'icelles.
Et d'autant qu'il nous est apparu que la dite rivière de Bièvre, le dit ruisseau de Vauharlan et le ruisseau venant de Rongis et fontaine de Vuissons sont, chacun à part, plus gros qu'estans joincts ensemble au dessouz de Berny, il est notoire que les dites eaux se perdent depuis le dit pont d'Anthony jusques à Cachan, et n'en est conservé que ce qui coule et descharge par le grand canal du dit Berny; partant, seroit necessaire, tant à cause de la sinuosité de la dite rivière qu'autrement, faire nouveau canal jusques à l'endroit du Trou de Laridan, près le moulin de Cachan, avec bon couroy où il se trouvera necessaire, et que l'eaüe ne se pourroit perdre comme dans le vieux canal à present.
Comme aussi sera besoin de curer et approfondir le fossé depuis l'enclos de Cachan jusques au Trou Laridan, pour luy donner cours et descharge dans la dite rivière, au dessous du dit moulin de Cachan, conjointement avec la source procedant des Molières, de Lay et Chevilly, lesquelles il faudra pareillement conduire, soit par tuyaux ou canaux souz la dite rivière ou autrement, jusques à la descharge du Trou Laridan, selon que, travaillant, il se trouvera plus à propos.
Ce qui sera facile à faire, d'autant que, depuis les dites sources jusques au Trou de Laridan, il se trouve plus de deux pieds de pante; et depuis le dit Trou Laridan jusqu'à la chute du dit moulin dans le dit enclos, trois pieds au plus.
Pareillement, d'autant que les eauës de la dite rivière, au dessouz du clos du sieur Vize à Arcueil, sont grandement fortes, et que, venant à grossir, la berge n'estant que de terre gazonnée, ne peut resister, l'eauë se respend dans le valon, pour y remedier, seroit necessaire d'y faire un versoir de pierre.
Et pour ce que tous les moulins sur les rivières portées comme celle des Gobelins ont et doivent avoir une descharge pour le curage d'icelles, il est aussi necessaire de curer les dites descharges, faux ru et rivière morte, en telle façon que l'eaüe retourne tousjours en la rivière et ne se perde estant espanchée dans les valons, comme elle fait.
Pour à quoi parvenir, sera besoin que les meusniers ayent les vannes et pales de leurs moulins nivelées à proportion de l'eaüe qu'ils doivent avoir, sans la respandre dans la prairie prochaine.
Et parce que les secheresses en temps d'esté et les deluges et inondations d'hyver proviennent des estangs de Braque, Regnard, Duval, Massy et autres viviers venans ou ayans descharge en la dite rivière, sçavoir celuy de Braque, Regnard et Duval, pour s'estre appropriez et mis le cours de la dite rivière dans leurs estangs, retiennent les eaües durant les grandes secheresses et en font la vuidange tous ensemble avec ceux de Massy en hyver, pour faire la pesche, il seroit besoin que le cours de la dite rivière soit libre, et ne soit retenu en aucune saison; et que, si aucune vuidange en doit estre faite, qu'ils soient tenuz d'en demander la permission, afin de pourveoir aux berges, secheresses de la dite rivière, et ruine qui en pourroit arriver, comme par cy-devant ès dits faux-bourgs Sainct-Marcel et Sainct-Victor.
Fait le dix-neufiesme mars mil six cens vingt-quatre.
En suit le dict advis pour les tueries, tanneries et megisseries.
La plus belle situation de ville de l'Europe est celle de Paris, aydée de quinze rivières navigables, joinctes en divers endroicts à la Seine, laquelle, courant à l'Ocean, retire des estrangers ce dont ils abondent, leur donnant en eschange ce qu'elle a de reste; plus bastie, plus populeuse que ville de France, à cause des grandes commoditez arrivans journellement en icelle par la rivière de Seine, troublée, indisposée par les immundicitez coulans de la rivière de Bièvre, tueries, escorcheries, tanneries, megisseries, teinturies, trempis du poisson sec et sallé, vrayes sources des maladies dont elle a esté et est à present affligée, des dix parts du peuple les neuf ne beuvans et ne se servans d'autre eaue que de la dite rivière pour paistrir le pain, laver le linge et autres necessitez domestiques; à quoy, comme aussi à la grande cherté des cuirs et mauvaise préparation d'iceux, il est très facile de remedier, faisant couler la rivière de Bièvre depuis la porte Sainct-Victor par un aqueduct sous terrain le long des fossez de la ville jusques à la porte de Nesle, establissant sur la pante de dehors des dits fossez les dites tueries, escorcheries, tanneries, megisseries, taintureries, trempis du poisson sec et salé, dont s'ensuivront plusieurs grandes commoditez qui ne se peuvent avoir par autre meilleur et asseuré moyen:
Premièrement, la conservation de la rivière de Seine par le detour des immundicitez de la rivière de Bièvre du dessus de la ville, sans aucune incommodité des faux-bourgs Sainct-Victor et Sainct-Marcel-lez-Paris;
La conservation des dits faux-bourgs Sainct-Victor et Sainct-Marcel durant les grandes inondations de la rivière de Bièvre, par la descharge d'icelle eslongnée des dits faux-bourgs, capacité du dit aqueduct et fossez de la ville;
La conservation des ponts, transports des denrées par le montage et avalage des bateaux le long des dits fossez par le dit aqueduct durant les grandes eaux, impossible par la Seine à cause de la bassesse des ponts;
La conjonction et transport hors la ville des eaux des tueries, tanneries, escorcheries, megisseries, teintureries, trempis de poisson sec et sallé, nettoyement de leurs ordures, par le facile transport d'icelles ès voiries dans des tonneaux, par le moyen des bateaux entrans et sortans du dit aqueduct en la rivière;
L'execution des ordonnances et arrests de la cour touchant les tanneries, pour remedier à la grande cherté et mauvaise preparation des cuirs, dechet d'iceux, faute d'icelles ès Païs-Bas, Lorraine, Allemagne, qui nous renvoyent et vendent cherement les pires et gardent les meilleurs;
La perte de l'escorce de nos taillis recouverte, qui est le vray tan, par le debit, employ ès dites tanneries, comme aussi du sel de saline, très propre pour la preparation des cuirs, dont la rivière est grandement infectée et le poisson gaté;
La construction des moulins à tan par le moyen du vent, à la façon de Hollande, ou par le moyen d'un cheval, attendu la facilité de la construction d'iceux.
Lieu seul plus proche de la ville et des eaux pour l'execution des ordonnances et arrests de la cour, aucune incommodité n'en pouvant arriver, à cause de la conjonction des dites tueries, escorcheries, tanneries, megisseries et trempis de saline, et facilité du nettoyement de leurs immundicitez par basteaux, rapidité, pante, profondeur et voulte du dit aqueduct, hauteur des murs de la ville.
Bref, lieu seul en l'Europe, auquel l'abatis des bestes, l'eau, le tan, le nombre d'artisans (moyennant la franchise), le grand et prompt debit de cuirs, sont en la plus apparente commodité.