Variétés Historiques et Littéraires (02/10): Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers
La permission aux servantes de coucher avec leurs maistres. Ensemble l'arrest de la part de leurs maistresses. In-8. S. L. ni D.
C'estoit au temps, au siècle, en la durée, en l'egire, en l'olympiade, au cercle, en l'année, au mois, au jour, en la minute et sur les sept heures du matin, c'est-à-dire vendredy dernier, que les servantes, chambrières, filles de chambre, damoiselles de deux jours, suivantes, s'assemblèrent en la place auguste, renommée et authentique du Pilory-des-Halles, pour là consulter aux affaires de leur republique, disposer de tout ce qui appartenoit au bien de leur police, regler et mettre un ordre parmy la confusion de leur estat.
De tous costez arrivèrent servantes petites et grandes, vieilles et jeunes, de chambre et de cuisine, recommanderesses[227], nourrices, filles à tout faire. Là presidoit (comme maistresse passée dès long-temps en l'art de recoudre le pucellage) belle, admirable et excellentissime dame Avoye, de son temps le passe-partout[228] de la cour, la haguenée des courtisans, l'arrière-boutique du regiment des gardes, le reconfort des Suisses, et maintenant, faute d'autre besongne, la doctrine, enseignement, et la science des autres, l'instruction des jeunes, le truchement des nouvelles venuës et le reservoir de tout ce qu'on peut esperer, chercher, inventer de nouveau, en matière d'amour.
Elle est assise sur un trepied comme quelque sibille Cumeue; après avoir toussé, roté, craché, emeunti, mouché, regardant la noble compagnie qui l'environnoit:
Mes bonnes gens, dit-elle, puisque nous nous sommes si heureusement assemblez ce jourd'hui, je trouve à propos, cependant que les harangères, poissonnières, auront ouvert leurs mannequins et mis leurs maquereaux en vente, que nous songions à nos affaires et donnions ordre au retablissement de nostre ancienne fortune. Vous me cognoissez toutes pour l'unique clairvoyante de Paris; je sçay et cognois toutes les bonnes maisons, je vous y peux placer quant bon me semble, et vous trouver des conditions à centaines; et partant je vous prie de prendre garde aux choses qu'il faut que vous fassiez pour avoir tousjours de l'argent en bourse et vous entretenir honorablement.
Il faut premièrement sçavoir l'art de desguiser son parler, un visage simple, doux et complaisant, feindre estre devote, et de n'y pas songer, et aussi s'acquerir l'amitié de tout le monde; mais le nœud de la besongne, et le ressort de toute l'horloge, est soubs main de courtiser le maistre de la maison au deceu de la maistresse, et de gaigner ses bonnes graces. C'est où il faut pener, suer, travailler jour et nuict, parce que, quant vous estes venus en ce point, vous avez tout et ne manquez de rien; vous avez argent, hauts collets, cotillon, chemises, frottoirs et tout l'attirail de l'amour. Que si les femmes jalouses de leurs maris vous battent, frappent, interrompent, empeschent, ayent l'œil ouvert, vous soupçonnent, ou autrement, faudra faire les chatemites, les devotes par contenance, attester le ciel et la terre que ce qu'on vous impose est faux. Mais, afin de ne broncher en une matière si plausible, voicy une ordonnance (elle tira un papier de sa pochette) par laquelle vous cognoistrez ce que vous aurez à faire.
Ordonnance de dame Avoye, enjoignant à toutes servantes, chambrières, filles de chambre, damoiselles suivantes, de coucher avec leurs maistres.
Veu et consideré les profits, emoluments, richesses et exemptions qui arrivent continuellement aux servantes de la hantise leurs maistres, il est estroictement commandé ausdites servantes, tant de chambre, de cuisine que de garderobe, d'espier l'heure que leurs maistresses ne seront au logis, et d'aller au cabinet de leurs maistres les caresser, chatouiller, amadoüer, attraire, enflammer jusques à ce qu'il s'ensuive action copulative et simbolizambula. Que si, par la conjonction diverses fois reiterée, il advient enfleure hidropise, eslargissement de ventre, accroissement de boyaux, pieds-neufs[229], grossesse, etc., seront tenues lesdites servantes de faire la nique à leurs maistresses, comme la servante d'Abraham à Sara, demanderont pension, reparation d'honneur, mariage, à leur maistre, encor que l'enfant appartienne à quelque clerc, cocher ou vallet d'estable[230]; et, après s'estre gaillardement resjoüies et donné du bon temps, elles se retireront avec cent escus ou quatre cens livres, mettront leur enfant en nourrice, et tiendront par après boutique ouverte à tout le monde. Telle est nostre volonté en dernier ressort, contre laquelle il n'y a point d'appel. Faict le jour et an que dessus, aussi matin que vous voudrez.
Vramy voire! dit une grosse servante de la ruë Sainct-Honoré qui a desjà joué deux fois du mannequin à basse marche[231], vous nous la baillez belle avec vostre ordonnance! Croyez-vous que nous ayons attendu jusqu'icy? De ma part, je veux bien qu'on sçache que je suis en un logis où veritablement je ne gaigne pas grand gaige; mais en recompense je vais au marché. Depuis deux ans je me suis fait enfler le ventre deux fois par nos laquais, qui jouënt assez bien de la flutte, et si ay bien eu l'industrie de donner les enfans à nostre maistre. Il est vray que la maistresse n'en sçait rien, et que pour accoucher j'ay faict semblant d'aller en mon pays; mais il n'est que d'enfourner quand la paste est levée.
Une brunette d'auprès de la porte de Sainct-Victor, qui le faisoit autrefois à ceux qu'elle rencontroit, et maintenant le faict à tous venans, allonge le col et commence à dire: Pour moy, je suis d'une humeur que j'ayme mieux le futur que le passé, et la besongne à faire que celle qui est faicte, et ne suis pas si folle comme une esventée de nostre quartier, laquelle, ayant donné l'heure et le mot du guet à un honorable et authentique savetier qui la poursuivoit d'amour, après l'avoir faict despouiller et mettre entre deux draps, elle enferma ses habits et sa chemise dans un coffre et fit entrer deux soldats, ou pour mieux dire deux fillous et macquereaux, et fallut que le pauvre savetier prit la fuitte nud comme un ver, n'ayant rien que le tirepied en escharpe.
—De ma part, je trouvay ceste action mauvaise; et, toutes les fois que nostre maistre est venu en ma garde-robbe, si j'eusse crié au secours ou que je luy eusse faict tel affront, c'estoit perdre l'usufruit que j'en ay receu depuis.
—Pour mon particulier, dict une saffrette[232] de la ruë de Bièvre qui travaille derrière les tapisseries[233], je suis bien aise quand ma maistresse est dehors, car je n'ayme point à coucher toute seule, et est assez facile de juger en mon visage que je suis misericordieuse et que j'ayme mieux loger les nuds que de les laisser refroidir à ma porte; je leur laisse manger leur souppe dans mon escuelle, et preste le mien à ceux qui me le demandent. Mais je suis malheureuse en fricassée, car encore ceste nuict mon maistre s'est levé, feignant d'avoir un cours de ventre, et à peine a-t-il esté acroquillé sur moy, que la maistresse est venue et nous a trouvés brimbalant. J'ay bien peur qu'on m'oste le demy-ceint d'argent[234] que j'avois eu, et qu'on ne me donne la porte pour recompense.
Par la mercy de ma vie! dit la grosse Magdelon de la rue Sainct-Jacques, voilà bien comme il faut pondre! Que ne regardez-vous à vos affaires de plus près? ne sçavez-vous pas que les femmes sont jalouses de leurs maris, et qu'ils n'osent trancher une esclanche sans leur en donner le jus? J'ay un maistre que je gouverne mieux que cela; il est vray qu'il ressemble aux poreaux: il a la teste blanche, mais il a aussi la queue verte[235]. Je sçay prendre mon temps à propos: sur les montées, dans l'antichambre, dans son estude, il y a tousjours quelque petit coup en passant.—J'ay mieux faict, dit une bavolette[236] qui demeure en la rue Sainct-Anthoine: pour oster tout soupçon de ma maistresse, je luy ay dit que mon maistre me poursuivoit à outrance et que je m'en voulois aller, et, soubs cette feintise, nous faisons des coups fourrez. J'ay desjà gaigné plus de vingt escus depuis deux mois, et outre tout cela je ne laisse point de me faire fourbir à un jeune clerc qui demeure chez nous.
—Mon maistre n'est que chaudronnier, dit la petite Janne, mais il sçait bien adjouster la pièce au trou, et croy qu'il n'y a homme qui sçache mieux mettre un pied à une marmitte que luy. Il me charge tout au contraire des chevaux et des asnes, qui ne portent que sur le dos; mais il me charge sur le devant et j'en porte mieux.
—Lorsque mon maistre est absent, dit Jacqueline, la fille de chambre d'un marchand du pont Nostre-Dame, je ressemble à une statue, et ceux qui me verroient pourroient dire que je suis comme Andromède: je n'aspire que sa venue, car je ne puis tirer vent de ma pièce si je ne la mets en perce.
Là-dessus Margot la fine, qui tenoit un panier à son bras, se lève: On dit bien vray, dit-elle, que les hommes nagent mieux que les femmes, car ils ont deux vessies au bas du ventre; mais quand je suis avec mon maistre, qui est procureur du Chastelet, il me semble qu'il nage, et moy aussi, tant nous nous roulons avec contentement l'un sur l'autre, et ma maistresse a beau dire, en despit d'elle je le feray, y deussé-je demeurer embourbée jusques aux oreilles.
—Pour moy, dit Alison, je crois que mon... vous m'entendez bien, est tout plein de cirons, car plus je le gratte, plus il me demange, et suis resolue doresnavant de me faire esventer par mon maistre: il a une bonne queue de renard. A tout le moins m'ostera-il la demangeson. Il est vray que je ressemble à terre de marets: il y enfoncera jusques au ventre, mais il n'importe.
A peine achevoit-elle ces mots qu'on fit un grand bruit à la porte. Trois ou quatre vieilles megères arrivent avec un papier en leur main, signifiant de la part des maistresses à l'assemblée qu'elle eust promptement à se retirer. L'arrest portoit ces mots:
Arrest intervenu de la part des maistresses.
«Nous, damoiselles crottées, bourgeoises à petit chaperon, femmes mariées, vieilles sempiternelles, fiancées, et generalement toutes appetans copulation, enjoignons aux servantes de se departir de coucher avec nos maris, sur peines d'estre frottées, chassées, emprisonnées, testonnées, battues, pelaudées, estrillées, mal menées, despoüillées d'habits, etc., ayant interest qu'on ne vienne pas manger nostre viande, ny cuire en nostre four.»
Dame Avoye avoit quelque chose à respondre là-dessus; mais elle remit le tout à vendredy prochain.
A Monsieur des Yveteaux, precepteur du Roi.[237]
Ode.
Hé quoy! des Yveteaux, n'est-ce pas un grand fait
Qu'un poëte ignorant, un rimeur imparfait,
Trouve ce qu'il désire,
Et que le vray poëte, en ce mal-heureux temps,
Languit en son bien-dire,
Comme la fleur sechée au declin du printemps!
Que les moins relevés et les plus tard venus
Sont les plus en fortune et les mieux recogneus
De biens et de loüange;
Et qu'estant le sçavoir en l'oubliance mis,
Et le prix dans la fange,
L'erreur est au Pactole, ayant de bons amys!
Est-ce honte ou forfait de tesmoigner aux roys
Qui sont les bons esprits, qui sont les bonnes voix
Dignes de leurs merveilles!
Les cygnes verront-ils, à faute de secours,
Preferer les corneilles!
L'or, cedant à la paille, aura-t-il moins de cours!
Faut-il abandonner et les roys et leur cour!
Faut-il chercher loing d'eux un moins noble sejour
Pour avoir de la gloire!
Et pour estre en lumière (accident nompareil,
Hideux à la mémoire!)
Faut-il aimer l'ombrage en fuyant le soleil!
O le barbare siècle in-experimenté!
Qu'en diront les mieux nays de la posterité!
Car tousjours la froidure
Ne blanchit la campagne, et tousjours les frimas
Ne gastent la verdure:
C'est une loy d'en haut qui respond ici-bas.
Quand l'orage est passé l'on void rire les airs;
Quand la tempeste cesse on void flamber les mers
Soubs les frères d'Heleine.
On pourra voir de mesme un temps comme jadis,
Où la saincte neufvaine
Aura pour nostre enfer un heureux paradis.
Que les hommes sont froids! qu'ils ont peu de vouloir!
Ha! que leur amitié se fait bien peu valoir
Au climat où nous sommes!
Les bois et les rochers ont plus de sentiment
Aujourd'huy que les hommes:
La chose qui leur touche est leur seul élément.
Ceux qui vers l'Amerique ont la zone sur eux
Ont plus d'humanité dix mille fois, et ceux
Que l'amant d'Orithie
Fait marcher dessus l'onde avecques leurs maisons,
Es plaines de Scythie,
Où l'hiver a tousjours l'empire des saisons.
L'un ne veut dire un mot quand il en est prié;
L'autre en vous obligeant veut estre apparié[238]
D'un homme de creance;
L'autre met en privé la gloire sur les rangs,
Mais il est au silence,
Et prest à s'en desdire estant devant les grands.
L'un dessus la montée en bas vous cherira,
Qui dans la chambre en haut ne vous regardera;
L'autre avec du langage
Vous dira, le priant, qu'obeissant à Mars
On parle d'un voyage,
Et que l'heure n'est propre à maintenir les arts.
L'autre, faisant l'habile aux choses de la court,
Mettra devant les yeux que l'argent est bien court
Pour en donner aux muses.
Les museaux neantmoins en ont plus qu'il ne faut;
Mais c'est le temps des buses,
Qui met les esperviers et leur chasse en deffaut.
Les rois ont en l'esprit (digne de grands objets)
Les affaires d'Estat; mais les autres subjects
N'obligeant leur memoire,
C'est aux inferieurs à leur r'amenteveoir
En faveur de leur gloire,
Comme au nom de la muse ils le firent sçavoir.
Ronsard vivoit alors, Saincte-Marthe et Baïf,
Et Garnier, et Belleau qui parut si naïf;
Et toutesfois Desportes,
De Charles de Vallois, estant bien jeune encor,
En de telles escortes,
Eut pour son Rodomont huict cents couronnes d'or[239].
Je le tiens de luy-mesme, et qu'il eut de Henry,
Dont il estoit alors le poëte favori,
Dix mille escus pour faire
Que ses premiers labeurs honorassent le jour
Sous la bannière claire[240]
Et desous les blasons de Vénus et d'Amour.
O le bel age d'or aux effets inoüis!
Capable de regner au regne de Louys
Victorieux et juste!
Comme roy meritant et la gloire et le nom
De l'empereur Auguste,
En Mecènes plus riche, et non pas en renom.
Mecènes genereux, qui n'eussent veu jamais
Un poëte vingt ans suer après les faits
Des rois sans recompense.
Tairay-je ou puniray-je aux siècles advenir,
Maintenant que la France
A de ce qu'elle estoit perdu le souvenir?
Comme je blanchiroy, par debvoir engagé,
Les hommes de vertu qui m'auraient obligé,
Noirciray-je de mesme
Ceux qui de la vertu ne daignent faire cas?
Plein de colère extrême
Envoiray-je leurs noms au fleuve du trespas?
Jupiter nous enseigne, en retenant ses feus,
Que le patienter en un cœur genereux
Se donne la victoire.
Ainsi, des Yveteaux, nous patienterons;
Mais l'oseray-je croire?
Et l'estimerez-vous que ce bien nous aurons?
Il est très difficile; en cour on n'aime plus
Ces vers ronsardisez, que l'on dit superflus,
Et de la vieille guerre.
Les bois et les forêts y perdent leurs valeurs;
On n'y veut qu'un parterre
Sans fueille et sans ombrage esmaillé de couleurs.
Il faut que le bon mot y glisse dans les vers,
Comme fait la chenille entre les rameaux vers,
Et forcer la nature,
Ou que, tournant le dos à la veine des Grecs,
On batte la mesure
Des chantres espagnols quand ils font leurs regrets.
En may, les rossignols desgoisant leurs chansons,
Ne peuvent imitter la gorge des pinçons;
Un luth, ou je me trompe,
Ne sçait du flageolet ensuivre les accords,
Ni moins l'air d'une trompe
Dont un lacquais se joüe à la porte en dehors.
Voilà ce que j'en dis à la barbe de tous,
Et, le disant ainsi, je prens congé de vous,
Digne maistre du maistre.
Des peuples de la France et du plus grand des rois;
Qui sçauront jamais estre
Du levant au couchant pour y faire des loix.
Vous estes un bon juge au fait des bons escrits,
L'on n'y peut contredire, et n'avez point de prix
A les mettre en usage.
Vostre plume, où Cesar apprend à se regler[241],
En donne tesmoignage.
C'est pourquoy je vous parle avant que de cingler.
Adieu! la nef est preste; elle est dessus le bord,
Attendant, pour lui faire abandonner le port,
Que l'arondelle chante;
Et rien ne l'en sçauroit empescher nullement
Qu'une lettre-patente,
Où je suis recogneu d'un entretennement:
Car de languir ici, me tuant jour et nuict,
En despensant le mien, sans tirer aucun fruict
De mes veilles perduës,
Seroit estre abusé par une illusion,
N'embrassant que des nuës,
Comme l'on nous a dit que faisoit Ixion.
A Monsieur de Belin, escuyer de la feu reyne Marguerite.
O Belin! quels effects! en quels temps sommes-nous!
L'ignorance a la palme, elle a toute la gloire:
La corneille à chanter se donne la victoire,
Et le cigne est en cour à l'oreille moins doux.
Quand Ronsard reviendroit, il iroit au dessous
Des escrivains du temps, et le chantre de Loire,
Et ces autres mignons des Filles de memoire,
Desportes et Garnier, dont ils se gaussent tous.
Qui n'habite au pays de la Samaritaine,
Il est nommé barbare, eust-il meilleure veine
Que le meilleur des Grecs. Quiconque y fait sejour,
Fust-il comme un Cherille, ignorant à merveille,
On en fait un miracle. En ce temps, à la cour,
Voilà comme pour cigne on volle pour corneille.
Remontrance aux nouveaux mariez et mariées et ceux qui desirent de l'estre, ensemble pour cognoistre les humeurs des femmes, trouvées dans le cabinet d'une femme après sa mort. Sur l'imprimé à Troyes, chez Jean Oudot.
M.DC.XXXXIIII.
In-8.
Deux choses desplaisent:
Rire souvent, et parler superbement.
Deux choses sont mauvaises:
Estre vaincu de ses ennemis, estre surmonté en bien-fait de ses amis.
Deux sortes de larmes aux yeux des femmes:
Les unes de douleur, et les autres de finesse et tromperie.
Trois choses belles et agreables:
La concorde entre les frères, l'amitié entre les voisins, et l'amour entre l'homme et sa femme.
Trois choses sont desagreables:
Un pauvre superbe, un riche menteur, et un vieillard lascif et des-honneste.
Trois choses sont dignes de compassion:
Un pauvre soldat estropiat, un sage meprisé, et celuy qui se destourne de son chemin.
Il se faut souvenir de trois choses:
Des commandemens de Dieu, du bienfait de ses amis, et des trespassez qui ont fait du bien.
Trois choses contentent l'homme:
Estre sain, beau et prudent.
A trois personnes faut dire verité:
Au confesseur, au medecin et à l'advocat.
Trois choses difficiles à supporter:
Attendre quelqu'un qui ne vient point, estre au lict ne pouvant dormir, et servir sans guerdon et recompense.
On trouve trois choses qu'on ne voudroit point trouver:
Les souliers rompus, un serviteur vilain, et femme lubrique.
De grande depense sont trois choses:
Amour des femmes qui toujours demandent, caresses des chiens, et invist[243] d'hostes.
La fille à marier trois choses doit avoir:
Qu'elle soit belle, bien née, et instruite aux bonnes mœurs.
Trois choses necessaires pour entretenir un amy:
L'honorer en sa presence, le loüer en son absence, et le secourir au besoin.
Trois choses resjouïssent l'homme:
Estre en la grace de Dieu, parler de Dieu, et penser à Dieu.
A trois choses on doit obeyr:
A la parole de Dieu, à ceux qui conseillent le bien, et aux commandemens du père et de la mère.
Trois choses doit avoir le pecheur:
Contrition de cœur, confession de bouche, et satisfaction d'œuvre.
Un bon chapon requiert trois choses:
Bien gras, bien cuit, et un bon compagnon qui ait bon appetit.
Trois qualitez doit avoir le bon vin:
Bon de saveur, beau de couleur, et qu'il resjouïsse l'esprit.
Trois qualitez au bon soldat:
Plein de courage, adroit aux armes, et patient à la fatigue.
Quatre choses ne te doivent estre fascheuses:
Te marier legitimement; aller à l'estude, ayder à celuy qui est oppressé, et ne delaisser celuy qui se convertit de sa mauvaise vie.
Quatre choses sont bonnes en un logis:
Bonne cheminée, bonne gelinière, bon chat, et une bonne femme.
Quatre choses nuisent au logis:
Un degré rompu, un serviteur amoureux, une cheminée fumeuse et une femme de mauvaise vie.
On ne se doit vanter de quatre choses:
D'avoir du bon vin, du bon formage, une belle femme, et d'avoir force pistoles.
Quatre choses doit avoir un comedien:
La hardiesse, se plaire à ce qu'il dit, estre sçavant, et avoir l'usage.
On ne doit prester quatre choses:
Un bon cheval, une femme loyale, un serviteur fidèle, et une belle armure.
Quatre choses crient vengeance devant Dieu:
Espandre le sang innocent[244], opprimer les pauvres, pecher contre nature, et retenir le salaire des serviteurs.
Quatre choses sont inestimables:
Sagesse, santé, liberté, et vertu.
Quatre choses arrivent sans y penser:
Ennemis, pechez, ans, et debtes.
Quatre choses sont meilleures vieilles que nouvelles:
Vin vieil, formage vieil, vieil huille, et vieil amy.
Garde-toi de quatre choses:
De faim, de feu, de rivière, et de mauvaise femme.
Quatre choses sont bonnes:
Un œuf d'une heure, un pain d'un jour, chair d'un an, et vin de deux.
Quatre choses desire la fille à marier:
Avoir un beau mary, du bien à son desir, avoir de beaux enfans, et estre maistresse en l'opinion.
Le mary souhaite quatre choses:
Richesse à suffisance, parfaite conscience, continuel repos, et plaisir d'ame et de corps.
Le père doit procurer quatre choses à son fils:
Le faire instruire aux bonnes mœurs, luy faire apprendre ung mestier, le reduire à son obeyssance, et le chastier mediocrement.
L'enfant doit quatre choses au père:
Honneur et respect, luy obeyr en bien faisant, ne le provoquer à courroux, et procurer le bien et utilité de la maison.
Quatre choses doit faire un mary à sa femme:
La tenir en crainte, la maintenir en santé de l'ame et du corps, luy porter amour, et l'habiller honnestement.
Quatre choses doit faire la femme à son mary:
L'aymer avec plaisir et patience, ne lui respondre point quand il est fasché, le tenir en bon regime de vivre, et le tenir net.
Quatre choses doit avoir uns fille:
Sobre en son manger, propre en habits, modeste en parler, et grave à marcher.
La femme doit avoir quatre qualités:
Honneste en son alleure, soigneuse de son mesnage, devote en l'eglise, et obeyssante à son mary.
Quatre choses doivent avoir l'homme et la femme envers Dieu:
Foy, esperance, charité, humilité.
Quatre fins dernières de l'homme:
La mort, le jugement, l'enfer, et le royaume des cieux.
Cinq choses deplaisent à Dieu:
La langue mensongère, le sang innocent espandu, le cœur qui pense en mal, le faux témoignage, et celuy qui allume la discorde.
Cinq pauvretez acquièrent les chercheurs de pierre philosophale:
Faim, froid, puanteur, travail, et fumée.
Six choses sans profit à la maison:
Femme jeune esventée, enfans desobeyssans, serviteurs qui se mirent, servante enceinte, bource sans argent, et geline qui ne pont point.
Cinq choses contre nature:
Belle femme sans amour, ville marchande sans larrons, jeunes enfans sans gaillardise, greniers sans rats, et chiens sans puces.
Cinq choses appauvrissent l'homme:
La femme de mauvaise vie, hanter mauvaise compagnie, procez mal intenté, l'ivrognerie, et ne croire bon conseil.
Neuf choses s'accordent bien ensemble:
Bonne compagnie et le plaisir, une poste[245] et un goulu, une belle femme et un bel habit, femme opiniastre et un baston, mauvais enfant et les verges, avare et force argent, bon escolier et beaux livres, larron et bonne foire, grand appetit et table bien garnie.
La lune et la femme legère sont d'une mesme qualité.
La lune seroit tousjours noire
Si le soleil ne la baisoit,
Et la femme seroit sans gloire
Si l'homme ne la caressoit.
Souvent la lune entre en furie,
Jalouse des amours des dieux,
Et la femme, par jalousie,
Trouble l'air, la terre et les cieux.
La lune renverse, cruelle,
L'esprit leger et vacillant;
Mais il n'est si ferme cervelle
Que la femme n'aille troublant.
Il est bien vray qu'en contre-eschange
Ces deux ne se suivent tousjours:
Car tous les mois la lune change;
La femme change tous les jours.
La lune pleine enfle les sources
Et les moësles des os creux;
La femme desenfle nos bourses
Et vuide nos os moësleux.
La lune est fidèle et n'estime
Qu'Endimion, son bel amant;
Mais la femme n'est qu'un abisme
Qui n'a point d'assouvissement.
Donc la lune, en tout peu constante,
Est constante en fidelité;
Mais la femme, en tout inconstante,
Est constante en desloyauté.
Bref, ce qui plante plus de bornes
Et qui les fait plus differer,
C'est que la lune porte cornes,
Et les femmes les font porter.
Le Tocsin des filles d'amour.
A Paris, chez Joseph Bouïllerot, ruë de la Calandre, près le Palais.
M.D.C.XVIII.
In-8.
Messieurs,
Autant de frais comme de salé, autant de bond comme de volée[246], disposé de tout sens, ainsi qu'un compteur de fagots à la douzaine[247], de vous reciter de quoy satisfaire à vos curiositez plus curieuses, et sçachant bien qu'il estoit permis de mentir à ceux-là qui viennent de loing, j'ay tracé ces plaisantes nouvelles qui vous serviront de cure-dent (si bon vous semble) et à telle heure qu'il vous plaira.
In primo loco, dans l'université de Vaugirar, quatre sophistes de haut appareil, disputant sur la misère du monde, dont ils estoient grandement entachez, par leurs conclusions m'ont appris que quiconque est à son aise, à gogo, et qui est dans la paille jusques au ventre, ne doibt estre estimé pour partisan de la necessité, aut omnino regula fallit.
Secundo, vous tiendrez pour article de foy, en forme probante, et passé par l'alambic de mes plus fertiles curiositez, qu'il est arrivé un grand miracle dans Monceaux[248] lorsque j'estois à la suitte de la cour. Les uns vous diront que c'est un grand bien que la multiplication; les autres soutiendront que non, et, faisant des argumens à boisseaux sur la pointe d'un esguille, diront, avec le bonnet sur le coin de l'aureille: Vel est, vel non est; aut est verum, aut est falsum. Ainsi ce sera un plaisant, passe-temps d'Antimèmes, qui eschauferont plus la teste que l'estomach. Revenons à nostre matière (je ne dis pas à celle qui vous pourroit bien brider le nez), mais à ce miracle extraordinaire de nature. Vous apprendrez donc, Messieurs, qu'un jeune homme ne fut pas si tost marié qu'il eut une femme, et bien davantage, car, deux jours après ses nopces, il trouva, revenant de quelque visite, deux plaisans resveil-matin au chevet de son lict, qui, luy rompant la teste plus que de coustume, attendu que c'estoit de la façon de sa chaste femme, il en voulut avoir raison par la justice. Donc grand debat entre les parties; mais, sur toutes leurs contestations, à cause de la grande diligence et du grand mesnage de la dite femme (dont le juge mesme en pouvoit discourir pertinement), et veu l'orgueil du compagnon, l'on mit les parties hors de cour et de procez, sauf au pauvre badin de se pourvoir par devers les rentrayeurs pour retressir sa dite femme.
Tertio, estant à Soissons, j'allay loger en une hostellerie qui ne se nomme point, où l'on estoit fort bien traicté pour son argent et où l'on n'engendroit point de melancolie; mais au reste une grande question estoit agitée à chaque quart d'heure entre la maistresse du logis, sa fille et sa servante. Si vous estes bons coursiers, je vous baille de bonne avoyne; si vous n'estes que des asnes, vous n'aurez qu'une baye[249] en forme de chardons. Donc disposez de vos qualitez, aages, noms et demeurances. Pour moy, je suis resolu de cotter dans ces croniques boufonnesques que ces trois espèces de foureaux estoient fort avides et desireuses de pistolets. Je ne sçay si c'estoit à cause que le vuide en bonne philosophie est un vice en la nature, ou si leur contentement estoit limité à tirer plus tost au noir qu'au blanc. Quoy que ce soit, la dite maistresse, authorisée de ses propres volontez au reffus de son mary, se rendit tellement diligente à conduire en haut ceux qui abordoient chez elle, que la fille en avoit mal au cœur et à la teste; si bien que, feignant la vouloir soulager de cette peine, elle luy faisoit maintes remonstrances familières pour parvenir à ses desseings, ausquels la servante s'opposant formellement, et d'autant qu'elle ne pouvoit esteindre le feu de sa cheminée que par l'ayde et le secours des bons ramoneurs, elle ne fut honteuse de dire en bonne compagnie qu'elle ne s'estoit point loüée à si bon marché, si ce n'estoit soubs l'esperance des profits. Sur quoy, grand desordre dans le dit logis, l'une prenant le pot à pisser à la main, l'autre la marmite, l'autre la clef de la cave; et en effet querelle qui eust esté de durée si je ne fusse arrivé avec mes compagnons, qui faisions en nombre douze ou treize escuyers, sans le regiment de nos goujats, laquelle nous fismes cesser en moins de rien, ce pendant que le maistre du logis nous faisoit à chacun un bouillon pour nous sallarier de nos peines, et de cecy experto crede Roberto.
Quarto, pour ne rien oublier que ce qui est mis hors de mon souvenir, suivant mon mesme stille, ma mesme intention, mes semblables inventions, mensonges et consors, vous apprendrez que je n'eus pas plustost recogneu que les Picardes avoient le cul plus chaud que la teste, que je leur fis promesse de les servir le jour du jugement si j'avois le loisir. Si bien que, sortant par la porte de derrière et n'oubliant rien qu'à dire à Dieu, je fus contrainct de louer un viel asne galeux pour aller en poste jusques à Reims, où je ne fus pas sitost arrivé qu'une jeune bourgeoise, me prenant pour un marchand d'huille, me conjura d'affection de lui bailler trois ou quatre dragmes de la mienne. Ma courtoisie fut cause que je la pris au mot, de sorte qu'elle tendit sa lampe, où j'en fis distiller à bon escient: à quoi je fus employé près de huict jours entiers sans recevoir aucun argent pour parachever mon voyage; et d'avantage j'eusse demeuré en ce bel exercice sans que messire Jean Cornette, propre mary de ceste affetée, revint de vendange, qui, me trouvant mettre le feu au lumignon, me fit prendre en diligence très humble congé de la compagnie. Ainsi je partis de cette fameuse cité pour revenir en cette ville, d'où estant proche environ de sept ou huict lieues, je rencontray un courier assez mal monté qui venoit au devant de moy affin de m'apprendre les stratagèmes qui s'estoient passez au marché aux pourceaux[250]; sur quoy, l'interrogeant particulierement, il me dict qu'un frippon d'advocat, voyant que sa practique n'estoit bonne que pour enveloper des andoüilles ou des cervelas, s'en estoit allé audit marché avec un charlatan, et que là ils avoient affronté un marchand, mais toutes fois que le retour avoit esté pire que les matines, d'autant qu'au bout de trois sepmaines son logis fut descouvert, où l'on chanta de terribles Gaudeamus.
Quinto, si je croyois que l'on me deubt croire, je reciterois un faict estrange arrivé pendant ces vendanges dernières, proche du village de Fontenay sur Baigneux. Qu'on me croye ou qu'on ne me croye pas, puisque j'ay entrepris de reciter tant en gros qu'en destail les nouvelles de ce temps, je vous diray qu'une fille aagée de vingt deux à vingt-trois ans, ayant les vazes plus secrets de la nature bouchez et obtuperez, en sorte qu'elle ne pouvoit faire la lescive au declin de la lune, ainsi qu'elle avoit accoustumé, trouva un remède très souverain pour sa douleur: c'est qu'elle fist accroire à sa mère qu'elle estoit subjecte à un mal pour le remède duquel son confesseur luy avoit conseillé de faire un voyage en Brie, tellement que le bon naturel de ceste mère permist à nostre petite effrontée d'y aller descharger son pacquet, où elle accreut le nombre des veaux; toutes fois c'estoit un veau retourné, car il portoit la queüe devant, et les autres la portent derrière.
Si je passe plus outre et que l'humeur me prenne de vous faire rire à gueule bée, je ne sçay si vous dirés que je suis un drolle et que j'en sçais de bonnes. Je l'espère ainsi: voilà pourquoy, messiores drolissimi, galandissimi et curiosissimi, sachez in globo qu'estant retourné de par deçà je n'estois plus par les chemins, et que j'ay trouvé aux fauxbourgs S.-Germain, en une fameuse académie[251] où l'on ne court jamais en lice que l'on ne rompe, une certaine damoiselle natifve de Paris, des mieux equipées et caparasonnées, gouluë au possible, qui, s'estant delectée dans les jardinages du père d'Amour, et qui, pour avoir mis trop souvent le cul contre terre, le ventre luy en est tellement enflé pendant l'absence de son mary, que quelque dix ou onze mois après elle a remis le paradis terrestre au monde en produisant le fruict de vie, que l'on dit pourtant avoir esté planté aux despens d'une abbaye: Et hoc plusquam verum.
Item, si le loisir me permettoit de faire deduction de la force, de l'honneur et de l'utilité des cornes d'un jeune Gascon de la paroisse S.-Paul, je vous dirois que pour avoir rembouré le bas d'une vieille mule, qu'il avoit fait une assez jolie fortune, mais que son indiscretion l'ayant conduit aveuglement au bordel, qu'il y trouva une jeune Bourguignote, à qui il fit franchement cession et transport de ses bonnes volontez; mesmes, pour la faire damoiselle, qu'il vendit l'office dont il estoit assez honoré. Ainsi le drolle est tombé de fièvre en chaud mal, qui neantmoins n'apporte pas grand dommage en sa maison: car la saincte Escriture y est fort enseignée. Devinez si bon vous semble.
Pour conclusion de la presente histoire, vous remarquerez une grande justice et une grande debonnaireté en la personne d'un gros prebendé de cette ville, lequel donne en faveur de mariage à sa monture la somme de douze mille livres argent content, sans comprendre les menus suffrages, et sans specifier comme il a promis et promet de faire eslever, nourir et entretenir jusques en aage de maturité le fruict qui est prevenu des hantes[252] qu'il a faites plus en fante qu'en escusson avec la dite monture.
Toutes lesquelles choses cy-dessus je vous certifie estre vrayes et avoir esté faites de la façon, vous promettant que, si vous les croyez, de vous en descouvrir dans peu de jours des plus nouvelles et des mieux couzues: car ainsi a esté accordé et stipulé entre mes plus joyeuses fantaisies les an et jour que dessus.
Plaisant Galimatias d'un Gascon et d'un Provençal, nommez Jacques Chagrin et Ruffin Allegret.
A Paris, chez Pierre Ramier, ruë des Carmes, à l'Image Sainct-Martin.
M.DC.XIX. In-8.
Au Lecteur.
Si ce dialogue ne vous duit,
Que la fin luy soit pardonnée;
De peu de perte peu de bruit:
S'il ne dure qu'une journée,
Il ne me couste qu'une nuict.
Allegret. Bon-jour, compagnon, bon-jour et bien à boire, camarade.
Chagrin. Ce dernier bon-heur que tu me desires te convient merveilleusement bien, Allegret, qui ouvres en mesme temps la bouche et les yeux. Je ne m'estonne pas si tes chevaux vont mieux que les miens, car c'est un dire commun que les chevaux des charretiers (sans toutefois que les comparaisons des qualitez nous puissent nuire ny prejudicier, puisque nous botant à la savaterie on nous donne aussi bien du Monsieur par le nez qu'aux autres courtisans), les chevaux, veux-je dire, marchent plus viste quand les maistres, cochez ou charretiers, ont bien beu, parce qu'alors nous les foüettons comme tous les diables; et dit-on (pour entrer tousjours plus avant en similitude avec la noblesse) qu'il n'appartient qu'à eux et à nous de jurer Dieu, eux lorsqu'ils sont endebtez, et que, pressez de leurs creanciers, ils voudroient rendre avec le pied ce qu'ils ont receu avec la main, et nous, quand sommes embourbez, ne sommes pas moins jureurs. Mais parlons d'un plus haut style et de choses plus relevées. Je m'asseure, Allegret, que tu es dans la paille jusques au ventre, as plus d'argent qu'un chien n'a de puces, manges tous les jours la souppe grasse, travailles fort peu et disnes beaucoup; soit que tu montes et que je descende, gardons-tous deux que, de riches marchans que nous nous estimons, devenus enfin pauvres poulaliers, ne nous rencontrions l'un à la descente du pont aux oyseaux[255], sifflant des linottes, et l'autre pas loing de là, à la vallée de Misère, vendant des cocqs chastrez pour des chappons du Mans.
Allegret. Parbieu! Chagrin, tu verras beau jeu si la corde ne rompt; si tu me croy, del tempo et de la seignoria non si da melancolia. On diroit, à te voir ainsi pasle et deffait, que tu ne manges que des ails, qui sont le poivre de ton pays de Gascongne, encores qu'en Provence on vive assez sobrement et frugalement, et que pour telle raison la saignée et phlebotomie ne soit pas tant en usage qu'à Paris, où nos chirurgiens viennent tant seulement pour mieux apprendre l'anatomie. Je me suis accoustumé à la façon de vivre des autres; j'ai retenu ce proverbe italien: Secondo che tu ti senti socca di denti. J'estens plus de nappe maintenant que j'ay plus de table et que ma bourse s'enfle, outre que de mon naturel j'ayme extremement à faire bonne chère et gros feu. Je me plais à porter la devise des enfans de Lyon: Le dos au feu, le ventre à table, et une escuèle bien profonde. Ma carogne de femme a beau me dire: Aujourd'hui bon, demain meilleur, nous font bientost monstrer le cul. Je n'y sçaurois que faire, tous les mestiers qui ont le C pour la première lettre de leur nom, comme cochers, charretiers, cuisiniers, crocheteurs, prennent, selon l'ordre de l'alphabet, la suivante, qui est D, débauché, drolle, etc.
C'est pourquoy j'estime que de là m'est venüe cette mauvaise habitude et naturelle inclination culinaire que j'ay au couvercle du pot et à la fumée du rost, car, à mesure que je m'esveille en sursaut, je fais un saut du lict à la cuisine, et cours plus viste à la table qu'à l'estable. Mon asne m'est plus en recommendation que les chevaux de mon maistre. Il me fait bon voir depescher besongne, vuider les escuelles, de peur que le cuisinier n'en ait à faire. Si j'ai haste, au lieu de mascher, j'avalle, ressemblant à ces pages et lacquais qu'on fait disner quand monsieur est au fruict et fait mine de sortir promptement du logis. Trefve pour maintenant des mots de gueule; monstrons que nous avons la teste bien faite, participons au soin qu'ont nos maistres. Que deviendront ces orages et tempestes que chacun d'eux tasche de destourner de son chef? Vertu bleu! j'entens bien d'autre cliquetis que celuy des plats! Le bruit des armes, le son des trompettes et clairons, le colin-tan-pon des tambours, feront sans doute taire tout court les cornemuses de Poictou. Que je prévoy de pleurs, que de malheurs si Dieu n'a pitié de nous! Gardez vos femmes et vos filles, bonnes gens; serrez de bonne heure vos poules et poulets. Manans à la longue jacquette, puisque les sous-de-lards sont aux champs, tout va passer par Angoulesme[256] et Angoulement. Peu s'en faut que je ne dise clairement la verité de ce que la lunette de mon jugement m'a fait voir dans le mal-entendu de la cour, et, comme les soldats de Philippe, je ne nomme toutes choses par leurs noms. Aussi bien dit-on que les grands n'ont faute que d'une chose, sçavoir, des gens qui leur disent leurs veritez. Nous autres Provençaux, qui sommes nais en un pays solaire, avons l'esprit par consequent esveillé, cognoissons bientost une verte entre deux meures, et si avons la teste chaude et près du bonnet, ne portons pas volontiers croppière, aimons trop nostre liberté. C'est pourquoy nous nous contentons en nos maisons d'une honneste pauvreté, estimans que qui est content est riche; n'importunons pas tant le roy comme vous autres Gascons, qui vous dittes tous neantmoins cadets de dix mil livres de rente. Il faut donc que vos aisnez soient tous des mille-soudiers[257] d'Orleans, et que, si je n'avois esté en ce païs, on m'en feroit accroire de belles. Toutes les bordes de Gascongne ne sont pas semblables: à Saint-Germain ou à Fontainebleau, ce sont bourdes que vous nous contez. Vous vous mecontez en vos supputations; vous sçavez faire valoir le triomphe toutefois, et soustenez mieux une menterie que nous autres Provençaux, dissimulez une injure long-temps à l'italienne, promettez à la normande sans jamais vous engager par vos paroles, et parlez ambigüement par monosyllabes en galimatisant, hardis et prompts en rodomontades. Bref, vous autres Gascons estes fins en diable et demy; aussi en avez-vous la plus part le poil et les griffes, et, meschans comme vieux singes qui tirent les marrons du feu avec la patte du levrier et du chat, vous dressez en sorte vos parties que, faisant tenir le dedans à ceux ausquels vous vous accouplez, vous gardez les galleries et faites beau jeu de l'argent et reputation d'autruy. Mais prenez garde aussi que ceux qui tiennent le dedans, recognoissent les seconds foibles, ne tirent souvent aux galleries ou frisent des coups que vous ne sçauriez parer sans mettre sous la corde[258]. Je trouve escrit en un grand livre couvert de bazane verte, que mon fils porte à l'eschole, que la plus grande finesse est d'estre homme de bien, et non point si fin, et qu'on aura beau faire, car il faudra tousjours rendre à Cesar ce qui appartiendra à Cesar, par brevet ou autrement, en quelque façon que ce soit, termes de parler que j'ay appris des refferendaires de Rome, qui voyoient souvent le cardinal que je servois. Que si cette viande est de mauvaise digestion, prenez quelques onces de poudre digestive d'une saine et saincte obeïssance, et ne donnez jamais sujet de preparer les pillules corrosives et destructives du grand maistre de l'artillerie, qui font bien d'autre effect que le cotignac gluant qu'on sert dans ces boistes de Flandres dont on a usé naguères. Ha! mais je sçay bien que vous estes baillans comme l'espée de Rolland, qui, à la journée de Roncevaux, fendit un grand rocher en deux, pensant trouver de l'eau pour appaiser son ardeur, et si mourut de soif le brave cavalier, et fut un très grand dommage. C'est pourquoy j'estime que les Suisses, ayant leu cette deplorable histoire, craignant un semblable malheur, portent en tout temps une bouteille pendüe à la ceinture. Croy-moy, que la petite verge du grand capitaine Moyse fit bien autre effect que ceste espée rollandine: car, au premier coup qu'il en frappa, maistre Guillaume m'a juré, comme present en cette action, qu'il rejalit de la dure pierre une telle abondance d'eau, que tant de milliers de peuples beurent à leur benoist saoul.
Chagrin. Si tu avois l'appetit aussi subtil, Allegret, comme nous avons la main habile (qui est la cause qu'on ne nous donne guères de bources à garder, et que du costé que nous sommes on les change promptement en l'autre), tu ne t'arresterois pas à ces comparaisons d'Onosandre[259].
Allegret. Veritablement, Dieu est un bon gouverneur et un grand maistre! Il peut hausser et abaisser, et faire de nous comme un potier de ses vases de terre, voire plus que cela. C'est luy sans doute qui nous a donné le beau temps dont nous avons jouy trois ou quatre mois. O! que les cochez à douzaine qu'on ira enfin louer chez les recommanderesses[260] à la descente du pont Nostre-Dame, tirant devers la Grève, ont eu beau se bransler les jambes attendant leurs maistres et maistresses aux portes des hostels, au lieu qu'ils trembloient le grelot auparavant! car l'hyver cette année a esté long, rude et tardif, comme tu sçais.
Chagrin. J'en suis encore tout morfondu, et si je n'ay pas fait la sentinelle, car je suis des appointez, marchant sous l'enseigne couronnelle. Mal de terre! je me promettois bien que tant de cochons et cocherots eussent du foye de connil et de la cassette, quand j'entendis publier ces belles deffences contre les carrosses[261], et qu'on parloit qu'il y avoit un si beau reiglement dressé pour distinguer les qualitez des personnes de merite d'avec les autres. Grand cas, rien ne s'observe, tant la licence est grande en France, où l'on se plaist de vivre en confusion. L'on dit aux pays estrangers qu'en ce royaume nous avons les plus belles lois et ordonnances du monde, mais qu'elles sont très mal observées; tous les François veullent estre égaux comme de cire. C'est l'un des principaux pactes de mariage que de stipuler une maison à porte cochère[262] et un carrosse pour madamoiselle. Et Dieu sçait, s'il manque en après quelque chose, si on court au voisin ou à l'amy! Ceux qui ont donné le nom de macquerelle à ceste isle agreable proche le Pré aux Clercs[263], s'ils retournoient en vie, pourroient bien appeller les carrosses macquereaux et les cochez maccabées. Teste d'un petit poisson! si les putains par Paris n'alloient point en carrosse, comme il est deffendu à Rome aux courtisanes, on verroit un beau retranchement! Vous ne voyez que carrosses de ces femmes courir de çà, courir de là, et carrognes dedans. Entendez parler ces perroquets et ces chèvres coiffées: Je vous envoyeray mon coché; vous cognoistrez bien la livrée de mon coché? Il attendra à cette porte, il fera, il dira; bref, il aura autant d'occupation et d'affaires qu'un greffier commissionnaire. C'est bien vrayement le paradis des femmes que Paris, qui ont gaigné en ce temps leur cause contre les hommes: car, leur requeste tendante à bransler et brimballer, elles vont en des carrosses branslans et suspendus[264], et que, pour entretenir souvent ce train, leurs maris jouent parfois à se faire pendre, par le moyen de mille meschancetez et volleries qu'ils commettent. Paris, dis-je encores, est plus que jamais l'enfer des chevaux, plus cruel qu'on le vit onques. Le bon Panurge, autrefois chez maistre François Rabelais, avoit appellé cette ville la ville des bouteilles et des lanternes; j'adjouste: et des carrosses[265]; et est le purgatoire encores non seulement des plaidans, mais de toute sorte de gens qui vont à pied, bottez et non bottez, appuyez sur baguettes et non baguettez, qui sont tousjours en cervelle pour se garder, non des charrettes ferrées, mais bien des carrosses, tousjours courant comme si la foire estoit sur le pont. Que j'ay plusieurs fois desiré d'introduire en France cette gravité de marcher des carrosses de Rome, lesquels, au moindre signal du carrossier d'un cardinal, font alte! Et à Paris à peine s'arreste-on pour le carrosse du roy. O! que les gondoliers de Venise sont bien heureux, qui, ayant mené leurs seigneurs Pantalons chez eux (gens qui ne veulent point entretenir des animaux qui mangent leur bien cependant qu'eux dorment), les gonfalins, dis-je, ne font qu'attacher leurs esquifs, et puis bassa la man! Non pas en ce païs, où il y a plus d'affaires à atteller et harnacher un carrosse qu'à Venise de construire un vaisseau ou d'armer une galère.
Allegret. De quoy vas-tu, Chagrin, emberliquoquer ta pauvre cervelle? Si à Paris n'ont assez d'aller en carrosse, qu'ils se fassent traisner dans une broüette de vinaigrier, ou porter par la ville sur les espaules, comme à Aix, en Provence, on porte le duc d'Urbin[266]. Il est vray que vous autres Gascons ne prenez pas beaucoup de plaisir à cette feste, non plus que d'ouyr renouveller vos douleurs pendant le fort d'Aix[267], où plusieurs des vostres, pour n'avoir sceu dire Cabre, ains Crabe, furent malmenez, et fit-on déloger les autres sans trompette et plus viste que le pas. Vous avez beau dire: Va, Provençal, pis je ne te puis dire: car, outre que la Provence a des pertinens objects et reproches contre l'autheur et inventeur de ce blason, on dit qu'il est permis sur la chaude, à un qui pert sa cause, d'injurier la justice et ceux qui l'administrent. Ainsi cestuy-cy se trouvant depossédé de son tiltre, tout luy estoit loisible, comme à nous de faire des chansons sur tous les tons et semy-tons de musique: il n'est pas que tu n'ayes ouy chanter le Hay Bernard et autres, touchées sur diverses cordes. Prend seulement, garde que le roy, pour le service du quel nous formions telles oppositions, n'aye suject de dire de plusieurs de vous autres Gascons (sans blesser la nation, car de toute taille bon levrier): Allez, Gascons, ou plustost Gavestons, pis je ne vous puis dire; ou que, par permission divine, la bien heureuse ame de Henry III ne se represente à eux en songe ou autrement, et ne leur dise, avec une voix terrible et menaçante de quelque grand malheur: Petits cadets, je vous ay autrefois eslevé par dessus vos frères, comme un autre Joseph en Ægypte; j'ay garenty vos pas de tant d'embusches, que mes autres courtisans, envieux de vos fortunes, vous dressoient pour vous ruiner et perdre; je vous ay comblez d'honneurs et de moyens: vous en voudriez-vous bien rendre indignes maintenant, et, ingrats envers moy, vous rebeller contre mon digne successeur, petit-fils de sainct Louys et imitateur de ses vertus? Si vous faites dessein d'employer le glaive ennemy contre le roy vostre seigneur et maistre, qu'à jamais le glaive puisse regner dans vos maisons! que vos propres enfans se bandent contre vous! que plus tost ils soüillent leurs mains parricides dans vostre sang! et que le soleil, après avoir veu ce scandale, pallisse d'horreur d'un tel crime, perpetré et permis par juste jugement de Dieu! Par ce, je supplie tous les jours la divine bonté d'illuminer vos entendemens, à fin de vous faire recognoistre vostre erreur et venir à un amendement. Certes, Chagrin, proferant ces belles paroles, forgées dans le tymbre de mon jugement et alambyquées dans le cerveau de ma grande capacité, je pense avoir aussi bien parlé qu'un savetier qui list la Bible, et si je ne suis pas Thessalonicien. Çà, reprenons nos flustes; aille comme voudra l'affaire des carrosses: j'ayme autant l'entier que le rompu. Tout m'est indifferent; qu'il y ait reglement ou non, peu m'importe: je n'en boiray pas un coup moins. Ne meiné-je pas avec le mien la faveur, et par consequent Cesar et sa fortune? L'herbe sera bien courte si je ne puis paistre. Quel retranchement qu'il y ait de colonel, maistre de camp ou regiment de cette grande armée de carrosses qu'on voit par Paris, le mien roulera tousjours, en despit des Simons et Simonets[268]. Comme nos maistres changent quelquefois de livrées, aussi ils changent parfois de devises. Je porte maintenant la mesme qu'un grand-duc, fils de Mars, a ès vieilles tapisseries de son hostel. Chacun à son tour: la Gascogne n'a-elle pas tenu assez long-temps le haut bout à la cour? L'on dit qu'un contraire succède volontiers à son contraire: les Anglois et les Ecossois, les Portugais et les Espagnols, les Normans aux Parisiens, principalement aux marchandes du Palais (qui disent qu'elles ont fait un Normand quand quelqu'un se dedit), ne sont pas plus diametralement opposés que les Gascons aux Provençaux. Je croy que cette grande haine provient de ce que vous autres vous voulustes opiniatrer de manger nos figues de Marseille, avec du sel, contre la coutume du pays, ou bien de ce que vous mangiez les plus belles prunes de Brignoles et nous donniez la trialle[269]. C'est pourquoy on vous fist sauter des pruniers en bas, sortir bien viste du clos sans vendanger, et eustes contraires jusques aux bœufs et aux bouviers, qui vous coururent à force et vous firent arpenter la Provence au grand dextre et pied de roy. Quelle merveille si maintenant les braves et courageux Provençaux ont sceu prendre leur tems et leur advantage! La conjectura de lor cosse est le plus beau secret qu'ayent les prudens Italiens en matière de cœur. Les Provençaux, dis-je, sont venus à la cadance croiser leurs picques d'une parfaicte obeïssance aux volontez du roy et grande fidelité à son service, et pour le soustien de ses favoris, l'honneur de la nation provençale; et à ces fins, comme on n'entendoit autrefois à Paris que: De cap de jou! et Mal de terre! à present vous n'oyez dire que: Corps de stioure! otte vez et le Dieu me damne! de Languedoc. La faveur durera tant qu'il pourra, gauderemo questo pocco, et dirons avec les astrologues: Dieu sur tout. Pour moy, je suis si bon François et tellement passionné au service de mon roy, que, si j'estimois que Messieurs de la faveur luy fussent un jour si ingrats qu'on bruit de quelques seigneurs gascons, je conjurerois dès asture tous les astres de leur influer un pareil desastre que naguères arriva à ce superbe Phaëton, qui, par son arrogance, fut precipité du chariot de sa presomption, et traisné après sa mort, ayant laissé emporter durant sa vie le char triomphant de la raison, le siége de nostre ame, par les chevaux indomptables de ses passions aveuglées et cruelles vengeances, ausquelles il avoit par trop lasché les resnes d'une grande indiscretion et inconsideration, pensant, par ce moyen, parvenir au but de sa damnable et fole ambition. Nous ne verrons jamais, Dieu aidant, de tels spectacles. L'exemple de la punition de ce temeraire et presomptueux fera aller bride en main tous les courtisans judicieux, et ceux de mon pays entendront mon langage, que mal usa non pou dura. Les exemples n'en sont que trop frequens, et les histoires remplies de pareils accidens. Je recognois une humeur si douce, un naturel si humain et une disposition si grande en ces trois genereuses ames, aimées et animées de l'air de la faveur de mon prince, qu'elles ne respireront jamais que l'air de son très humble service, et diront franchement: Il n'y a pas un de nous si fol et insensé qui se vueille joüer à son maistre, s'opposer à la volonté de son roy et bienfaicteur, sur la grandeur et puissance duquel jettant les yeux de nostre consideration, nous nous estimons petits mouscherons envers cet aigle royal. Qu'il frappe, qu'il tuë, qu'il taille en pièces et morceaux ceux qui seront rebelles à ses commandements! Quand ce seroient nos femmes, nos enfans et proches parens, ce sera sans aucune resistance qu'il chastiera les coupables de crime de léze-majesté. Nous garderons ce commandement jusques à la mort d'avoir preste tout devoir et obeïssance à nostre prince legitime et naturel, sans violer ny contrevenir jamais aux lois de nostre Dieu. Voilà comme j'ay ouy prescher autrefois un bon religieux au village de mon maistre, et qui luy dit un jour, et à ses frères, en sortant de la predication: Retenez cela, mes enfans; soyez gens de bien, craignans Dieu et bons serviteurs du roy: vostre fortune n'est pas perdue.—Non, vrayement, ay-je dit depuis; car ils l'ont bien trouvée. Je fais ce jugement de mes maistres qu'ils continueront de servir le roy, encores que je ne vueille respondre de rien: car qui respond paye le plus souvent. Je sçay qu'il a mal pris à mon père pour avoir cautionné mon grand-oncle Magloire. Cela le mit si bas, qu'il fut contraint à boire de l'eau, la chose du monde qu'il a tousjours la plus haïe jusques à la mort, et ne voulut jamais humer bouillon, de peur d'en mettre dans son ventre. Or, se voyant proche de sa fin, il s'en fit apporter un plein verre; et, comme on luy eust demandé quelle humeur le prenoit, veu le mal qu'il avoit voulu toute sa vie à cette liqueur: C'est la raison, dit-il, pour laquelle j'en veux boire à cest heure; car il se faut reconcilier avec ses ennemis. Mais tout ce discours est un peu hors de propos: je reviens à mon affaire. S'il m'estoit aussi aisé de mettre une cheville à la roüe de leur fortune comme aux roües de leurs carrosses, j'en mettrois une qui tiendroit bien, et regarderois souvent s'il y auroit rien à refaire: car malheureux est qui se fie à fortune, disent nos anciens.
Chagrin. Tu es tellement transporté dans le bonheur de tes maistres, que tu vas à travers champ le chemin des ivrongnes partes discours extravagans, et je m'asseure que qui te laisserait parler, tu en aurois pour toute ta journée. Nous en sçavons assez, quoy que logez loing des cuisines du roy, et où tu as maintenant ton plat ordinaire. Dy-nous, de grace, quelque chose de la guerre. Je voy tant de milliers de personnes qui vont, viennent, courent, discourent à perte de veuë! Tout le monde se produit pour avoir des commissions, mais plustost de l'argent de l'espargne, où il se fait de grands barats[270], principalement des sacs qui viennent des receptes normandes. Il est vray que la pluspart de ces guerriers, s'appercevant de tels barats, disent comme l'advocat à qui un paysan avoit donné un escu qui n'estoit pas de poids: Mon advis et conseil est encores plus leger. Le service que je rendray à la guerre vaudra bien peu s'il ne vaut le payement qu'on m'a faict. Où es-tu maintenant, brave Castel Bayard, qui, ayant accompagné une fois le deffunct roy jusques à Saint-Germain t'en retournas coucher à Paris parceque ton valet de chambre avoit oublié d'apporter ton sac où estoient tes besongnes[271] de nuict, et qui te ventois neantmoins de coucher sur des matelats faits de moustaches de capitaines que tu avois tués en duel ou en combat general.
Allegret. Que c'est d'un homme qui ne sçait pas du latin, qui n'est pas congru, et veut neantmoins parler comme un qui entend l'art oratoire et la gregorique! En pençant louer ceux de ta nation, tu les mesprises, et tantost peut-estre tu compareras son espèce à celle de Gouville, Champenois, auquel le deffunct roy commanda de ne plus porter qu'un baston, avec lequel, neantmoins, il a souvent attaqué des personnes qui avoient espée et dague. Tu veux donc sçavoir des nouvelles de la guerre, vieux renard, le nom qu'ont donné les ministres fidèles du saint Evangile à un que je cognois bien, que le nouveau Aristarque appelle en ses visions hipocrite à visage d'hermite? Sçaches que, puisque je n'entens crier par Paris que des lettres, que ces mouvemens ne seront que remuemens des lèvres et de la langue, et mouvemens de plume que le vent emportera, quoy qu'on nous conte de ce vaillant comte[272], venu de Germanie, qui a fait de meilleures rodomontades en douze lignes de sa lettre que le non pareil don Pietro de Toledo[273], ou le duc d'Aussonne[274], en toute leur vie. Je loüe grandement son courage, car il n'en manque jamais, et son zèle au service du roy doit excuser l'essor de sa plume, qu'on ne doit pas pour cela tant rongner au Palais, comme certains Aristarques font, qui glosent sur la glose d'Orleans[275]. Si ces rongneurs et gloseurs ordinaires venoient ainsi corriger les actions des serviteurs du roy sur le pont Neuf, ils ne s'en retourneroient pas sans beste vendre, et seroient endossez comme les mandemens de l'Espagne: car il y a d'ordinaire une trouppe de Provençaux, frezez comme les testons de Lorraine, qui font corps de garde du costé de l'isle du Palais, et sont logez en garnison dans ces maisons ainsi que les lapins dans la garenne de Boulongne, les quels s'en font bien accroire, et ont tantost deslogé de ce pont les huissiers de la Samaritaine, qui vacquoient continuellement à exploicter de prinse de corps, ou donner des assignations aux masles pour se joindre, aux femelles, à celle fin de communiquer les pièces des quelles ils desirent s'aider au procez, dont le jugement ne peut estre jamais autre qu'un appointement de contraires. Que diable avons-nous affaire de guerre?
La guerre abbat l'honneur des villes,
Aneantist des lois civiles
La crainte, par impunité.
On ne voit alors que confusion et desordre: les capitaines et les chefs guerroyent la bource des riches laboureurs; les soldats font la guerre aux filles et femmes des paysans, cependant que leurs goujats, au coin d'un buisson, attendent qu'il passe quelque pauvre poulle pour l'estropier, ou bien vont querir la poire d'angoisse[276] pour la mettre dans la bouche de quelque marchand ou bon bourgeois prisonnier de guerre, pour le contraindre à promettre de payer une bonne rançon, ou indiquer où il tient serré son argent. Manans, si vous eussiez mal traicté ces goujats, comme ont fait ès guerres passées les Piemontois et Savoyards, ils ne vous feroient pas tant de mal. Nous voudrions desirer la guerre encores une fois, et retourner endurer les maux que nous avons soufferts! Je ne le pense pas, quoy que les François soient de ce naturel qu'ils ne se souviennent plus du mal qu'ils ont enduré quand ils se trouvent un peu à leur aise, font bonne chère et gros feu. Tels François, en un mot, ne sçavent ce qu'ils demandent: ils sont changeans comme le temps, et font voile à tout vent. On a si long-temps desiré en cour le Ver[277], et à present plusieurs le voudraient mettre à la pille au verjus. Il me souvient d'avoir ouy un Tourangeois, habitant de la ville de Marseille, qui disoit trois jours auparavant qu'on tuast ce tyran de Casau[278], qu'il voudroit avoir donné un tiers de son capital et que ce meschant fust assommé par quelque liberateur de la patrie; qu'un tel homme seroit adoré des Marseillois. Et cependant, deux ans après le coup fait, baissant à Orleans avec ce mesme marchand, il me dit pis que pendre de Libertat[279], vray liberateur, vainqueur et dompteur de ce monstre, et luy envyoit sa mediocre fortune. Quel bourgeois de Paris et bon François n'eust donné volontiers chose de grand pris pour voir representer la tragedie qui se joüa naguères! Et cependant, après la catastrophe, on commença d'envier les bien faits dont jouyssent ceux qui avoient combatu et abbatu ce monstre d'orgueil. Allez vous puis tourmenter pour le public, hazardez le pacquet pour le salut du peuple: tous joüent au mal content[280] après qu'ils ont eu ce qu'ils desirent! La devise de feu ce brave Philippes de Commines, que j'ay leuë quelquefois en la chappelle des Augustins de Paris, est par trop recogneuë véritable: c'est un monde representé par une boule avec la croix et un chou cabus[281]. Au monde n'y a qu'abus, et particulierement au royaume de France, où tous les mouvemens ne procèdent que d'une certaine envie que les courtisans ont les uns contre les autres, qui joüent à boute-hors[282], et chacun voudrait tenir le dez et gouverner son maistre. Lors que ces trois galans gentils-hommes jouyssoient d'une mediocre fortune, c'estoient, au dire de tous, les plus honnestes et courtois du monde; tous les courtisans, du plus grand jusques au moindre, honoroient extremement leur vertu et merite. Maintenant qu'ils sont eslevez en grade et dignité, voyez comme l'envie decoche ses traicts aiguz de medisance contre ces fermes et asseurez rochers de constance, que les foudres d'une haine et commune indignation pourront bien toucher, mais non pas brecher! Nous autres gens de basse estoffe, qui nous laissons emporter aux passions des grands, qui bien souvent commencent par un petit manquement, comme seroit une certaine espèce de desobeïssance au roy, laquelle, opiniastrement defendue, se trouve, au bout du compte, une grande erreur, du quel, pour l'ordinaire, les petits compagnons sont chastiez et portent tousjours la penitence, et payent la fole enchère des fautes commises par les grands. Qui pense bien à ce qu'il doit faire n'est pas oisif, et celuy qui pense le plus à une chose n'est jamais fautif. Il n'y a rien si aisé que de prendre les armes, donner des alarmes, troubler le repos public. Jouer et perdre, chacun le sait faire. Un fol qui cherche son malheur le trouve bien tost; il n'avance pas grand chose, car il est bien tost decouvert, et se laisse prendre à la parfin sans verd, parcequ'il s'est repeu de vaines esperances d'estre protegé de ceux qu'il a assistez, qui l'abandonnent incontinent qu'ils ont fait leur paix. Et cependant le roy, qui a du jugement, remarque ces factieux pour les chastier à la première occasion. C'est tousjours le plus seur de se retirer près de son maistre, embrasser son party: il y a, outre ce de l'honneur, il y a du profit. C'est un commun dire entre les courtisans que les fols aux eschets et les sages à la cour sont tousjours les plus proches du roy[283]. M. le mareschal de la Diguières dit qu'un bon courtisan ne doit jamais passer uni jour sans voir le roy. Efforcez-vous donc, nobles qui tenez rang de seigneurs, ducs et pairs, officiers de la couronne, de recognoistre vostre devoir; gardez-vous de perdre par vos desservices les moyens et les honneurs que vos merites et ceux que vos pères et ancestres vous ont acquis dans les bonnes graces de nostre prince; monstrez par vos actions que vous avez du ressentiment en ses interests, et generalement tous bons François:
Prions de cœur le souverain
Qu'il mette fin à ce discorde;
Que nostre roy, doux et humain,
Puisse vivre en paix et concorde;
Qu'il reçoive à misericorde
Ceux que l'envie a des-unis;
Que ce different tost s'accorde,
A fin que tous servent Louys.
Particularitez sur la conspiration et la mort du chevalier de Rohan, de la marquise de Villars, de Van den Ende, etc., tirées d'un manuscrit de l'abbaye royale de Sainte-Geneviève[284].
Par ma précédente, je me suis engagé à vous faire part de ce qui avoit causé la perte du chevalier de Rohan, de la marquise de Villars, du chevalier de Préault et de Van den Ende; j'en suis présentement si bien informé qu'on ne le sauroit être mieux, puisque j'ai parlé non seulement avec des personnes qui ont vu les pièces les plus secrètes du procès, mais qu'outre cela j'eus hier dans ma chambre, pendant trois heures, un gentilhomme de mes amis qui avoit été prié par le marquis de Bray, frère de madame de Villars, de prendre soin de son corps, et c'est de lui que j'ai appris des choses particulières, notre conversation n'ayant été que de cette triste aventure.
Vous saurez donc que, depuis le mois d'avril dernier, la Trueaumont[285], avec la participation du chevalier de Rohan[286], écrivit une lettre à Monterey[287] sans être datée ni signée. Par cette lettre, il lui marquoit que la Normandie étoit très disposée à se soulever, et que, s'il vouloit faire venir une flotte qui portât 6000 hommes, des armes pour armer 20000 hommes, des outils pour faire des siéges et deux millions de livres, qu'il y avoit un grand seigneur qui s'engageroit, pourvu qu'on lui assurât 30000 écus de pension, et dans cette lettre il demandoit 20000 écus pour lui, la Trueaumont, ce qui est plutôt, comme on peut remarquer, une façon d'adresse qu'une imprudence, se persuadant que son nom, qui étoit fort connu en ce pays-là, disposeroit plus facilement choses suivant son dessein, et engageroit le comte de Monterey à former cette entreprise. On devoit s'obliger, par les conditions, de livrer une ville maritime, Quillebeuf ou autre, et avec le secours on se faisoit fort de se rendre maître de toute la Normandie, de telle sorte qu'on pouvoit venir de là jusques à Versailles sans être obligé de passer aucun pont ni ruisseau, et parceque les lettres pouvoient être interceptées ou déchiffrées, on ne demandoit point de réponse; on convint seulement que, pour marquer que la proposition étoit acceptée, l'on feroit mettre dans la Gazette d'Hollande que le roi alloit faire deux maréchaux de France, et qu'un courrier de Madrid étoit arrivé à Bruxelles[288]. Sur cette simple lettre non signée, on dépêcha cette flotte que nous avons vu rôder si long-temps autour de nos côtes, et qui passa enfin dans la Méditerranée, ne voyant point qu'il y eût apparence de faire rien en Normandie.
Cependant, dès que la Trueaumont vit dans la Gazette d'Hollande l'article qui parloit des deux maréchaux de France et du courrier de Madrid arrivé à Bruxelles, il partit de Paris pour aller faire soulever les Normands.
La misère de ces malheureux conjurés étoit si grande, que, depuis le mois d'avril jusqu'au mois d'août, ils n'avoient pu trouver un sol, sinon qu'enfin on leur prêta 2000 écus, dont ils donnèrent 1000 livres à Van den Ende[289], qu'ils envoyèrent à Bruxelles pour conclure le traité avec Monterey, lequel, se plaignant du retardement de l'exécution de l'entreprise, fut extrêmement satisfait d'apprendre qu'on avoit cru qu'il falloit attendre quelque heureuse conjoncture, et qu'il ne s'en pourroit jamais trouver une plus favorable que celle qui se présentoit du ban et arrière-ban, dont ils profiteroient, pouvant, sous ce prétexte, faire des assemblées sans donner de l'ombrage à qui que ce fût.
C'étoit à peu près au commencement du mois de mai qu'on faisoit cette négociation, et qu'on vit sur les portes de plusieurs églises de Rouen ces fameux placards dont il n'est pas que vous n'ayiez ouï parler. On trouva dans le même temps quantité de billets qu'on avoit semés en divers endroits de la ville, qui tendoient à faire soulever le peuple; ce qui obligea M. Pelot, premier président, d'en faire informer et de s'appliquer fortement à découvrir les auteurs de ces dangereux billets.
Il sut que la Trueaumont, homme hardi, capable de tout entreprendre, séditieux et connu pour tel, étoit dans la province, et qu'il venoit souvent à Rouen, où il faisoit de grandes parties de débauche avec la noblesse du pays. Ayant pris garde qu'il étoit dans une perpétuelle agitation, il le soupçonna, et, pour s'éclairer de ses doutes, il en communiqua à un gentilhomme de ses amis très habile, qu'il pria de vouloir s'insinuer dans les compagnies avec lesquelles la Trueaumont se divertissoit, convenant qu'au fort de la débauche qu'il feroit avec lui il déchireroit le gouvernement, et témoigneroit adroitement qu'il étoit très mécontent; ce qui fut ponctuellement exécuté par ce gentilhomme, lequel se conduisit si bien en cela deux ou trois mois qu'il s'acquit l'amitié de la Trueaumont. Quelque confiance cependant que ce dernier pût avoir en sa discrétion, il ne lui avoit néanmoins jusque là fait aucune part de son projet et secret, et tous deux s'étoient contentés respectivement de plaindre le malheur de la Normandie.
Mais il arriva un jour, dans la chaleur de la débauche, que, le gentilhomme s'emportant plus que de coutume contre le gouvernement, la Trueaumont s'échappa de lui dire qu'il ne suffisoit pas de connoître le mal si on n'y apportait le remède. Ce gentilhomme en demeura d'accord, mais dit en même temps que pour lui il n'y en voyoit point. Sur cela, la Trueaumont sourit, et dit que les Espagnols et les Hollandois tendoient les bras aux Normands, et que, s'ils vouloient s'aider de la bonne sorte, il ne doutoit point qu'on ne secouât le joug. Le gentilhomme, de son côté, lui dit que, dans une affaire de cette importance, il falloit avoir un bon chef, et qu'il n'en connoissoit point. Ce fut l'instant où la Trueaumont, achevant de donner dans le panneau qu'on lui avoit tendu, nomma le chevalier de Rohan; et comme le gentilhomme dit que c'étoit une tête trop légère pour s'embarquer avec lui, la Trueaumont répliqua que les fous rompoient toujours la glace en ces sortes d'affaires, et que les sages, comme lui et ses amis, suivoient après sans hésiter. Le gentilhomme, feignant d'entrer dans son sentiment et s'étant séparé de lui, fut, à l'entrée de la nuit, trouver le premier président, à qui il rendit un compte exact de toute la conversation qu'il avoit eue avec la Trueaumont[290]. A l'instant même le premier président prit la poste, et se rendit à Versailles, où il découvrit au roi toute la conspiration. La nuit suivante, il s'en retourna à Rouen avec les mêmes précautions qu'il avoit tenues pour venir à Versailles.
Dès que le roi fut ainsi informé de cette trahison, il donna ordre au comte d'Ayen, capitaine de ses gardes, de dire au sieur de Brissac, major des gardes du corps du roi, d'arrêter à la sortie de la messe le chevalier de Rohan. La chose fut exécutée, et ce chevalier conduit dans la chambre du sieur de Brissac, auquel il demanda à manger. Ce major lui en fit apporter, mais après en avoir demandé la permission au roi.
L'après-dînée, on le mit dans un carrosse, et on le mena à la Bastille, d'où je le vis sortir le jour qu'il fut exécuté, à demi mort, les lèvres toutes bleues, pâle et défiguré comme un trépassé, s'appuyant sur les bras des PP. Talon et Bourdaloue, et ne pouvant presque pas se soutenir, quoiqu'il parût faire tout ce qu'il pouvoit pour se tenir ferme.
Je vous ai ci-devant écrit tout ce qui se passa à sa mort, mais j'ai appris depuis des choses que j'avois ignorées, et dont je vais vous informer; et je vous dirai que, le propre jour qu'on l'exécuta, il communia à une heure après minuit, le P. Bourdaloue en ayant obtenu la permission de M. l'archevêque, ce qui n'a pas été approuvé des docteurs de Sorbonne. Deux heures avant que de mourir, il écrivit à madame de Guémené, sa mère, et l'on a cru qu'il avoit quelque espérance qu'on lui feroit grâce[291], car on observa que, pendant qu'il écrivoit, il ne passa personne sur le pont qu'il ne demandât avec empressement: Qui est-ce qui entre?
Quant au chevalier de Préault[292], écuyer de M. de Rohan, et à madame la marquise de Villars[293], de Préault a été regardé par ses juges comme un très malhonnête homme, en ce que, croyant se sauver, la première chose qu'il dit sur la sellette fut qu'il n'étoit entré dans l'affaire que pour penetrer le secret de son oncle, de son maître et de sa maîtresse, son dessein étant de revéler le tout au roi. Comme cette marquise étoit en commerce de lettres avec ce neveu de la Trueaumont, et qu'elle avoit été engagée par lui dans cette malheureuse affaire, il s'en trouva trois dans la cassette de ce Préault, qui sont les seules preuves qu'on ait trouvées contre elle. L'une de ces lettres portoit qu'elle avoit parlé au Chevalier, qui lui avoit promis de lui donner vingt-cinq bons hommes bien armés quand elle en demanderoit. Il y en avoit une autre à peu près de même sens, et l'autre étoit en ces termes: Il n'y fit jamais meilleur, et si l'on envoye dix mille hommes, on se rendra maître de tout.
Après qu'on lui eut prononcé son arrêt, elle lui reprocha d'avoir gardé ses lettres, et, de Préault lui en demandant pardon, elle lui dit que cela n'étoit plus de saison, et qu'il ne falloit songer qu'à bien mourir.
C'est maintenant que vous allez apprendre des choses bien particulières, puisque c'est de la conversation qu'elle eut avec ce gentilhomme de mes amis que je vais vous entretenir.
Vous saurez que, trois heures avant qu'on l'exécutât, mon ami demanda à MM. de Besons et de Pommereuil, commissaires, la permission de parler à cette dame en présence du sieur le Mazier, greffier. Cela lui étant accordé, il fit dire son nom, et elle voulut bien le voir. Dès qu'il entra dans la chapelle, où elle étoit assise près du feu avec son confesseur, elle se leva et le reçut avec autant de civilité qu'elle l'auroit pu s'il fût venu dans sa chambre lui rendre une visite ordinaire. Il lui témoigna d'abord le déplaisir qu'il avoit de la voir dans l'état où elle étoit, et lui dit ensuite qu'il avoit jugé qu'il ne la toucheroit pas tant que si c'eût été son cousin de Sanra, comme elle avoit cru, ayant même cette pensée que son nom et son visage ne lui étoient pas connus. Elle lui repondit sans hésiter qu'elle connoissoit l'un et l'autre, et même sa famille, à qui elle étoit très humble servante. Ce gentilhomme lui dit, après cela, qu'il n'avoit pu refuser à monsieur son frère de la venir voir pour lui témoigner de sa part la douleur qu'il ressentoit de son infortune, et lui dire en même temps qu'il avoit été se jeter aux pieds du roi, et lui demander grace pour elle; que le roi lui avoit répondu que cela n'étoit point en son pouvoir, mais qu'il lui donnoit la confiscation de son bien. Alors elle prit la parole et lui dit: Je suis bien aise que mon frère ait mes biens. Je crois qu'il en usera bien avec mes enfants, et j'aime mieux qu'il les ait que s'ils avoient à les partager entre eux, parcequ'ils ne le pourroient peut-être faire sans entrer en procès. Et quant à la grâce qu'on avoit demandée, elle dit que le roi, étant le maître, la faisoit à qui il vouloit. Le gentilhomme lui fit voir après, un mémoire d'affaires domestiques dont le marquis de Bray l'avoit chargé. Elle répondit à chaque article avec une grande netteté et une présence d'esprit admirable. A mesure qu'elle y répondoit, il écrivoit avec un crayon sur le dos du mémoire, et, ayant mis le tout au net sur le papier, il le fit voir et le fit signer au greffier, afin qu'il pût faire foi.
Cela fait, elle luy dit qu'elle desiroit trois ou quatre choses: la première, que son frère fît bien prier Dieu pour son âme; qu'il se souvînt tendrement d'elle; qu'on fît en sorte que son corps ne demeurât pas dans les rues; qu'on payât à M. Mannevillette, receveur du clergé, trente pistoles qu'elle lui devoit, dont il n'avoit pas d'écrit, et qu'elle prioit qu'on donnât à la demoiselle qui la servoit dans la prison non seulement les hardes qu'elle avoit sur elle, mais encore tout ce qui s'en trouverait dans la maison.
Ce discours fini, elle se tourna vers M. le Mazier, et lui dit que, ne voulant rien garder sur sa conscience, elle avouoit que, dans le mois de mai dernier, elle avoit fait part de l'affaire à un gentilhomme qu'elle nomma, qui s'étoit engagé à lui envoyer, quand elle voudroit, une compagnie de cavalerie. Le greffier en dressa son procès-verbal, et lui fit signer. On a cru que son confesseur l'avoit obligée à faire cette déclaration.
Tout cela se passa en présence de mon ami, qui, prenant congé de cette dame, lui dit qu'il avoit été prié par son frère de prendre soin de son corps, et qu'il s'en acquitteroit bien.
Comme ce gentilhomme fut dans la Bastille depuis les neuf heures du matin jusqu'à trois heures après midi, qui fut celle de l'exécution, il vit et entendit tout ce qui se passa, dont il m'entretint; et je vais vous en dire tout ce que ma mémoire m'en pourra fournir pour satisfaire autant que je pourrai votre curiosité.
Un peu auparavant les dix heures du matin, on fut éveiller cette pauvre dame, qui dormoit profondément, ce qui est bien extraordinaire. On lui dit qu'on la demandoit à la chapelle, ce qui, joint aux larmes qu'elle vit sur le visage de sa demoiselle, lui fut un presage assuré de sa perte. Elle demanda ses habits sans donner aucune marque de foiblesse, et dit qu'elle voyoit bien qu'il falloit se résoudre à mourir. Elle pria qu'on fît retirer sa demoiselle, qui l'attendrissoit, et descendit en bas avec une assurance qui surprit tout le monde. Dès que l'arrêt fut prononcé à tous ces criminels, le chevalier de Rohan se tourna vers elle, et lui dit qu'il croyoit ne l'avoir jamais vue, et que le chevalier de Préault leur causoit la mort, mais qu'il lui pardonnoit. Elle lui dit qu'en effet elle ne l'avoit jamais vu, et qu'elle pardonnoit aussi sa mort au chevalier, lequel, regardant sa maîtresse et touché de ce reproche, ne put s'empêcher de pousser un grand soupir. Elle lui dit qu'il n'étoit plus temps, et que, bien que ces lettres lui coûtassent la vie, elle louoit Dieu de ce qu'il lui faisoit la grâce de la faire mourir de la manière dont elle alloit finir ses jours, parceque, ayant vécu dans le fracas et l'éclat du monde, elle n'avoit pas eu lieu de se promettre une meilleure et plus heureuse fin; et, s'adressant à ceux qui devoient subir le même supplice qu'elle, elle leur dit qu'il falloit que chacun tâchât de faire un bon usage de la mort qu'il alloit souffrir.
Lorsqu'elle sortit de la Bastille pour aller au supplice, son confesseur la pria de faire une action d'humilité chrétienne en montant sur la charrette, ce qu'elle fit incontinent, en disant qu'elle feroit bien d'autres choses pour Dieu. Son confesseur ne lui demanda cela que pour éviter la peine qu'elle auroit eue de voir executer M. de Rohan, qui devoit pourtant mourir le dernier, suivant ce qui avoit été ordonné; mais le P. Bourdaloue, le voyant au pitoyable état où il étoit réduit, fut demander par grâce aux commissaires qu'on le fît mourir le premier, ce qu'on lui accorda. Cette pauvre dame devoit mourir la première, et, par un effet du hasard, elle mourut la dernière, le bourreau ayant trouvé sous sa main le chevalier de Préault plutôt qu'elle. On vient de me dire tout présentement qu'après qu'on lui eut lu son arrêt, elle dit qu'elle mouroit innocente, ce que disent ordinairement les gens que l'on a condamnés.
Dès qu'on lui eut exécuté la tête, mon ami, qui avoit des gens tout prêts, la fit envelopper dans un drap de lit et porter incontinent dans un carrosse de deuil. Il jeta deux pistoles à l'exécuteur et quelques écus à ses valets pour avoir la liberté de la faire emporter chez lui sans qu'on la dépouillât.
Elle étoit fille d'un secrétaire du roi et nièce de M. de Sanra, conseiller au Parlement. Le lendemain de cette exécution, le roi envoya faire compliment à madame de Guémené, qui fut reçu avec effusion de larmes et beaucoup de respect. J'ai parlé au gentilhomme qui en avoit été chargé. M. Colbert, par ordre du roi, en fit un pareil à madame de Chevreuse et à madame de Soubise. Lorsqu'on fit le récit au roi de la mort du chevalier de Rohan, il dit que, quand il auroit attenté à sa propre personne, il lui auroit volontiers pardonné, mais qu'il n'avoit pu lui faire grâce à cause de ce qu'il devoit à ses peuples.
Voilà l'histoire de cette malheureuse affaire. Chacun la conte à sa mode, mais je puis vous protester que cette relation que je vous en ai faite est très sincère et très véritable. Toute la France a su comme quoi la Trueaumont s'étoit fait blesser à mort lorsque M. de Brissac fut à Rouen pour l'arrêter[294], et comme Van den Ende avoit été pris au Bourget en allant à Bruxelles[295]; mais peut-être n'avez-vous pas su qu'un écolier qui étudioit chez lui l'a découvert. Ayant fait réflexion, après qu'on eut arrêté M. de Rohan, qu'il l'avoit vu souvent avec son maître, il fut trouver M. de Louvois[296], qui le mena au roi, qui lui a donné 1,000 livres de rente pour récompense.
Vous observerez, s'il vous plaît, que, quand Madame de Villars dit qu'elle étoit innocente, c'étoit parcequ'elle a toujours protesté qu'elle croyoit que ces gendarmes qu'on lui devoit envoyer devoient être employés pour l'enlèvement de mademoiselle d'Alègre, qu'elle disoit que le chevalier de Rohan devoit faire enlever; mais il me semble que la teneur des trois lettres qui parlent de dix mille hommes détruit entièrement ce qu'elle a dit, et par conséquent qu'elle n'étoit pas innocente, comme elle le prétendoit.
Cartels de deux Gascons et leurs rodomontades, avec la dissection de leur humeur espagnole.
M. D C. XV. In-8.
A l'unique brave de ce temps.
La valeur et les braves exploitz quy ne sont icy que feintes, ainsy qu'en la representation d'une tragedie, se remarquent veritablement en vous à voile descouvert; et comme des excès sans vices vous ont separé pour un temps (sans autre raison) de la compagnie de ceux quy s'estimoyent le plus en apparence, ainsy que d'autres Semella[297] quy ne pouvoyent souffrir la divinité et les foudres d'un dieu, comme creatures trop basses, c'est l'opinion de tous les vrayz François et ma resolution de mourir
Vostre plus humble serviteur, L. L. B.
Cartels de deux Gascons et leurs rodomontades, avec la dissection de leur humeur espagnole.
Deux prodiges de la nature, habillez à l'espagnole, que la Gascoygne a envoyé à pied à Paris pour la recognoissance ordinaire qu'elle luy a, se sont venuz loger avec une demy-douzaine de leur calibre, où pour paroistre dans le monde on faict en sorte de se pratiquer un habit, un bidet et un laquais, dont l'un faict parade à son tour pendant que les autres gardent la chambre sans avoir prins medecine; afin de se donner l'entrée aux meilleures compagnies par l'artifice de leur bonne mine, veulent que l'on croye qu'ils sont quelqu'un, et, se mirant dedans des plumes quy ne leur apartiennent pas, aussytost à se qualifier du nom de quelque arbre quy sera au carrefour de leur village ou de quelque pière ou morceau de vigne quy aura appartenu à quelques uns de leurs alliez dont on aura sceu tirer seulement les frayz du decret, puis, se relevant la moustache pour la meilleure contenance qu'ils ayent, pensent eblouir les yeux à tout le monde par l'eclat d'un diamant qui sera quelque happelourde du Palais[298], ou, en se retournant, comme par mespris pour quelqu'un, feront mille discours de la diminution du revenu des champs, du peu de seureté qu'il y a de donner son argent à constitution de rente, à cause des banqueroutes, du peu d'envie qu'ils ont de bastir, à cause de la meschanceté des ouvriers, se contentant, à leur dire, de faire bastir à cinq ou six endroicts aux environs de leurs terres seulement pour s'exercer, et crachent rond parmy leurs discours comme s'ils vouloient jeter des perles par la bouche; après viendront sur leur quant-à-moy et feront une dissection de leurs braves exploitz quy seront encore à naistre, ou de nouvelles du temps, dont ilz seront asseurement les autheurs, et, pour s'en faire accroire davantage, changeront de nouveaux noms à leurs laquais adoptifs pour montrer qu'ilz se font servir par douzaine, et luy feront changer aussy de diverses lyvrées acheteez à la friperye, afin qu'on les tienne pour quelque chose de plus qu'ils ne croyent eux-mesmes.
Et si d'advanture le revenu de leur invention ne peut fournir au luxe du rang qu'ilz veulent tenir, vous les verrez prendre la sotane à la romaine pour sauver autant d'étoffe[299] et se faire dire partout gentilhommes servantz de quelque illustrissime, ou bien aumoniers d'un tel seigneur ou beneficiers resinataires[300] dont ilz ne sont encore pourveuz; bref, ilz feront des pions damez des nobles et des bravaches, eux quy ne furent jamais jusqu'à present que les moindres roturiers et les plus malotrus de leur contrée.
Mais si l'occasion leur rit le moins du monde que de les faire estre quelque chose auprès d'un grand, vous les verrez aussy tost vouloir aller du pair avec luy-mesme et tirer leur extraction des cendres des plus valeureux et renommez quy ayent jamais esté, et ne jurer que par les eaux de Siloë, par les cornes de Pluton, par la barbe de Mars, par la machoire de Samson et par l'Alcoran de Mahomet, ainsy qu'il se remarque en ces deux braves bestes quy, s'estant rencontrez avec autant d'heur que de sympathie en l'hostel d'un des grands princes de ce royaume, où y estant bien apointez pour la rareté de leur perfection dont ilz ont l'apparence, s'y sont aussy tost renduz autant redoutables qu'inimitables, et ne pouvoit-on juger lequel des deux estoit le plus accomply, jusqu'à ce qu'un de ces deux atlantiques, engendré de la generosité, surnommé par la fortune et le hazard d'ALCHIER (quy n'a jamais usé, à son dire, d'autre etoffe et habitz que de cuirasses, ne vit que des mousquetz et pistoletz qu'il faict mestre sur la grille ou à la saulce Robert; son lit n'est dressé que sur des costes de geants, le mastelat remply que de moustaches de maistres de camp du grand Turc, le traversin que de cervelles qu'à coups de soufflets il a tiré de la teste de vieux capitaines, ses draps ne sont tissuz que de cheveux d'amazones, sa couverture que de barbe de Suisses, ses courtines que de sourcils ou paupières de hongres; les murailles de son logis sont basties de pieces, tant de casques que de testes entières, des porte-enseigne de la royne d'Angleterre, qu'il a trenché avec sa formidable espée; les plancherz de sa maison (au lieu de carreaux) sont pavez de dentz de jannissaires; les tapisseryes sont peaux d'Arabes et sorciers qu'il a escorché avec la pointe de sa dague, et les tuiles quy couvrent sa maison sont ongles de monarques et roys, les corps desquelz il y a long-temps qu'en depit d'eux, et à leur corps deffendant, il a mis à coups de pieds en la sepulture)[301], conceut neantmoins, à l'ombre des moustaches de son compagnon (quy ressembloyent plus tost à des defences de quelque sanglier furieux, et quy eussent à la moindre action fait trembler la terre, espouvanter le ciel, cesser les ventz, devenir la mer calme, avorter les femmes grosses, fuir les hommes, mesmes aux plus vaillantz les forcer de dire d'une voix tremblante: Libera me, Domine), je ne sçay quelle mauvaise impression, quy fust cause de le saluer d'une oreillade[302], suivy d'un tel desordre que les assistanz en tombèrent touz pamez, et les voisins si estonnez qu'ilz demeurèrent plus de huit jours sans oser sortir, croyant estre tous perduz ou que ce fust le jour du jugement quy commençoit, jusqu'à ce qu'un de ces furibonds, nommé Philippe le Hardy, fit appeler son ennemy et luy commander de se trouver près le chasteau de Vincennes pour tirer raison de la saluade qu'il avoit receüe, et luy escrivit ces motz:
«Voto a Dios, messer Bardachino (sans avoir égard à la grandeur de mon courage, qui ne peut estre limité), tu as esté si effronté que de regarder d'un œil de travers ma moustache furieuse, quy ne se relève qu'à coups de canons, que les dieux mesmes revèrent, pour menacer de sa pointe les cieux, d'où elle prend et tire son origine, foustre, et dont tu peux faire (te lardant un seul poil d'icelle) une telle ouverture à ton corps, que toute l'infanterie espagnole et la cavalerie françoise passeroit au travers sans toucher ny à l'un ny à l'autre costé. Le souvenir de cette presomption si temeraire me fait envoyer ce cartel, non que je desire et espère avoir à faire à toy seul, mais à demy-douzaine que tu choisiras, quand bien ce seroit des autres Morgands[303], Fiers-à-bras, ou toute la race des Othomans ou des Mammeluz ensemble; j'en feray des ruisseaux de sang plus longs que le Gange, plus larges que le Pô et plus terribles que le Nil, foustre; m'asseurant tirer telle raison de toy qu'il en sera parlé à la postérité, te redigeant avec tous les tiens en si petit volume, qu'un ciron les couvrira aisement de sa peau. Ce mien valet present porteur (quy seroit trop capable pour toy) te conduira où je t'attends avec deux espées et deux poignards, desquelz tu auras le choix, et si tu n'as ce combat pour agreable, un coup de petrinal[304], foustres, en fera raison. Ne viens, donc, et tu feras que sage, quoy attendant tu me tiendras toujours pour ton maistre.
Il despesche aussy tost un courrier à pied quy arryve incontinent au chasteau de cest autre Roland, pour estre tous deux logez sous une mesme ligne, quy fust cause d'espargner une chemise blanche pour un voyage de plus longue halaine; puis, voyant la resolution de son ennemy à l'ouverture du cartel, redouble de defi par ceste repartie qu'il ne manque de luy envoyer par le mesme messager, attendu avec autant d'impatience quy se sçauroit dire au lieu asseuré par ce hardy Mandricard, armé comme un rhinoceros, quy faisoit sa prière pendant que le Roland prit le chemin des Tuilleryes, où il prend acte de ce que son ennemy ne s'y estoit trouvé, et lui faict encore d'autres menaces que vous ne voyez ici et quy n'avoient garde de l'offencer, pour la distance du lieu:
«Philippe trop Hardy, ta temerité redoublera ma gloire aujourd'huy, puisque tu oses entreprendre ce quy a fait trembler huict elephanz, sept dragons, dix tigres, vingt-deux lions et soixante-cinq taureaux en leur furie, pour avoir la nature du basilic, et quelque chose de plus, quy ne tuë qu'un homme à la fois de sa vue; et moy, les regardant en cholère, je les fais tomber morts dix à dix, comme si mon regard estoit des balles d'artillerie, et pour n'avoir autre vice que la vaillance, ou je ne serois pas Gascon. Je reçois pourtant ton cartel farcy de rodomontades quy procèdent plus tost d'une ame effeminée que de quelque vaillant champion, et veux que tu sçache que si tost que j'auray endocé mon harnois enchanté et fabriqué de la propre main de Vulcain, mon ayeul, je te feray recognoistre que tu n'es reveré, chery et honoré des dieux comme tu penses; que ta fière moustache relevée vers le pole de Jupiter ne te garantira de sentir la pesanteur de mon bras, quy ne se desploye (comme l'oriflamme françois) qu'aux extremitez et contre des demy-dieux et braves champions, foustres; t'asseurant encore plus (de peur que tu ne m'attende) que je ne desire estre accompagné d'autres Fiers-à-Bras ny Morgantz que ma valeur seule, qui a dompté, faict descendre aux enfers et peuplé les champs elyseens d'un nombre infiny tant de ces braves Mammeluz que de ces fiers Othomans, te laissant tes espées et ne voulant qu'un baston pour donner quelque relasche à la mienne, à quy le temps defaudroit si elle pouvoit dire les exécutions qu'elle a faict en sa vie, et par quy j'ay tousjours esté redouté des hommes et aymé des dames, quy se reputent très heureuses de coucher avec moy, afin de pouvoir avoir un enfant de ma race. Je te pardonne comme ignorant de ce que je suis, car, si mon courage se pouvoit acheter à prix d'argent, il n'y auroit plus d'autre trafic au monde; ou, s'il estoit desparty entre personnes poltronnes et esprits mutins comme toy, il y auroit une perpetuelle revolte sur la terre, quy faict que je me soucie moins des volées de canons et de tes coups de petrinal, foustres, que des mouches quy volent autour de mes oreilles quand je dors, puis que Jupiter mesme, me redoutant, m'a laissé la terre entière pour mon partage, prenant les cieux pour le sien, et ne se sentant encore bien asseuré, me garde de tous encombres, de peur que, quittant ces bas lieux, je ne l'aille sortir de son throne et le culbuter du haut en bas, foustres encore, belles escapades. Je te vay donc trouver encore, en deliberation de te ravir l'ame, et là vider tout ensemble, si tu es si aise que d'attendre ma fureur, laquelle tu emporteras moins que ne faict l'aigle les rayons du soleil, et tu verras le cruel supplice qui t'est préparé, te faisant estre à jamais le plus miserable des miserables serviteurs des serviteurs.
Ces avaleurs de charettes ferrées, estant de retour, se menacent de loing et protestent (avec blasphesme de mesme estoffe que leurs discours) qu'à la première rencontre ils se traicteront reciproquement d'une façon dont personne n'a jamais entendu parler, et cependant furent aussi honteux, lorsqu'ils se virent, que des loups quy sont pris au piége, et n'y eut autre carnage pour ceste fois.
Le Hazard de la Blanque renversé, et la consolation des marchands forains.
A Paris, chez la vefve d'Anthoine Coulon, ruë d'Escosse, aux trois Cramaillères.
M. D. C. XLIX.
Avec permission[305].
In-4.
Un fameux bourgeois de cette ville de Paris, qui ne fut jamais riche que par le hazard de la blanque[306], et heureux qu'à cause qu'il n'est pas sage, m'entretenant, un des jours de la semaine, des mal-heurs du temps et des calamitez que cause la guerre, respandant des larmes grosses comme des citrouilles, me tesmoignoit les regrets qu'il avoit de ce que nous n'avions point eu cette année ny foire Sainct-Germain, ny de caresme-prenant, ny de masques, ny de comedies[307]. Il me disoit cecy à cause qu'en ces temps-là il avoit accoustumé de faire grand chère et beau feu, et mener une vie exempte de soin, d'inquiétude et de necessité.—Vrayement, luy respondis-je, vous avez grand tort de vous plaindre, puisque Paris n'eut jamais plus de divertissemens et les bourgeois plus de recreations: la ville est devenuë une foire, où l'on trouve des pièces très curieuses et des raretez très recherchées. Les violons y sont devenus gazetiers[308] et leurs femmes boulangères[309]; et, comme ils sont fort dispos et legers du pied, ils vont d'un bout de Paris à l'autre en quatre cabriolles; et, comme ils sont connus dans les grandes maisons, au lieu de sarabandes ils y donnent des pièces d'Estat, et courent mesme jusques à Sainct-Germain porter nouvelles certaines de tout ce qui se passe icy. Vous y voyez aussi des boutiques de peintres remplies de grotesques, de moresques[310] et mille autres fantaisies qui changent à tous momens, et qui, par un artifice merveilleux, prennent toutes sortes de couleurs, de postures et de visages, selon l'adresse du peintre, qui tantost les fait voir en pourfil, tantost en face; tantost demie-face, et puis incontinent après les couvre d'un voile desguisé. Vous y voyez aussi un tableau qui d'un côté represente l'image de l'Inconstance, et de l'autre celle de la Mort, qui se mocque de ceux qui la regardent[311], parce qu'elle les juge à leur maintien n'avoir pas assez de resolution pour se deffendre de sa tyrannie. Mais en autres vous y remarquez un pourtraict bien achevé, qui represente un grand navire au milieu des tempestes d'une mer courroucée, poussé des vents, agité des orages, sans arbre, sans voiles, sans timon, abandonné de son pilote et delaissé des autres, qui, prevoyant son prochain naufrage, n'ont autre esperance que de se sauver sur ses debris et de gaigner le havre. Vous voyez dans le mesme tableau quantité de personnes qui considèrent avec autant de pitié que d'estonnement la perte de ce prodigieux vaisseau, et semblent, à leur posture, estre entierement animés contre des traistres qui, ayant sous main couppé son mast, ont medité sa perte et procuré sa ruine. L'on voit aussi dans cette foire des tableaux qui representent des joüeurs de gobelets, des charlatans qui font mille tours de passe-passe et de souplesse, des fins couppeurs de bourses et d'autres gens qui se disposent à danser sur la corde; et tout auprès de ces tableaux vos yeux y en envisagent d'autres, presque de la mesme grandeur, qui portent la figure de personnes assez mal habillées, qui, avec un visage triste et morne, mettent le doigt dessus leur bouche, pour dire qu'elles n'oseroient se plaindre de ceux qui les joüent ou qui les volent, et qu'il faut celer un mal qui n'a point de remède, aussi bien qu'un tort que l'on ne peut vanger. Ne jugeriez-vous pas que cet homme, qui se plaignoit à moi de ce qu'il n'avoit point veu de caresme-prenant cette année, depuis le commencement de la guerre, estoit peu intelligent dans les affaires, ou pour le moins n'estoit pas grand politique du temps, puisque nous ne sçaurions mieux representer les choses comme elles se passent à present que sous la figure d'un jour de mardy-gras, où les uns font bonne chère cependant que les autres meurent de faim, où plusieurs s'engraissent aux despens d'autruy, où l'on voit plusieurs cuisines qui estoient auparavant mai eschauffées, et qui maintenant se bruslent en consommant les autres? N'est-ce pas estre à caresme-prenant, puisque chacun jouë son compagnon, et tasche de le piper au jeu? Mais ce qui est de plus deplorable, c'est que ceux qui joüent, après avoir bien battu et manié les cartes par une dexterité merveilleuse, ne laissent pas de les brouiller, et, par consequent, tousjours gaignent. D'ailleurs, ne sommes-nous pas veritablement à caresme-prenant, puisque nous ne voyons que fourbes et deguisemens, que visages empruntés et que masques colorés? Les plus adroits portent le masque de la devotion et de la complaisance, les autres de la pieté, de la vertu, de la religion; quelques uns portent une conscience masquée de zèle pour le service de leur prince, et ce n'est que pour couvrir leur ambition, leur avarice et leurs interests; les autres ont des paroles et des entretiens masqués de douceur, de civilité, de complimens, et ce n'est que pour surprendre les simples, afin de les jetter dans la medisance, de connoistre leurs pensées, leurs sentimens, leurs affections, et par ainsi juger quel party ils tiennent et de quel costé ils panchent. Les autres se couvrent et se masquent de la peau de lion, afin d'avoir de l'employ, et faire croire à ceux qui les voyent ou qui les entendent parler que l'on doit attendre de leur merite et de leur courage toutes les satisfactions imaginables, et qu'ils ne se destinent à la mort que pour le service du public. Enfin on ne vit jamais plus de comedies que l'on en voit à present, puis que les esprits les mieux sensez protestent hautement que tous nos desseins, nos entreprises, nos assemblées, ne sont qu'une veritable comédie, où les uns joüent le personnage de roy, les autres de prince, les autres de valets et les autres de fols. Mais certes, bien que cette comedie soit agreable aux uns, elle est pourtant ennuyeuse aux autres, parce qu'elle dure trop long-temps, et que l'on y laisse brusler la chandelle par les deux bouts, et que l'on fait payer double, bien que l'on ne soit placé qu'au parterre. Et ce qui est le plus à craindre, c'est que cette comedie ne se tourne enfin en une sanglante tragedie ou catastrophe funeste où le sang sera respandu, et où les spectateurs ne verront que des objets d'horreur, de larmes et de pitié. Dieu vueille, par sa bonté et ses misericordes infinies, mettre bientost à fin nos malheurs, et changer nos comedies et nos divertissemens en larmes de penitence, afin que sa colère irritée s'appaise, que les fleaux de la guerre se retirent de nous, et qu'au lieu de prendre les armes pour la destruction de nous-mesmes, nous les prenions pour vanger les blasphemateurs de son sainct nom!
Sermon du Cordelier aux Soldats, ensemble la responce des Soldats au Cordelier, recueillis de plusieurs bons autheurs catholiques.
Lisez hardiement, car il n'y a pas d'heresie.
A Paris, imprimé par Nicolas Lefranc, demeurant vis-à-vis les Cordeliers.
M.DC.XII.
In-8[312].
Sermon du Cordelier aux soldats.
Un cordelier tomba entre les mains
D'aucuns soldats, non pas trop inhumains,
Qui luy ont dit: Frère, qu'on se despeche:
Fay nous icy quelque beau petit presche
Pour resjouyr la compagnie toute.
Le cordelier, qui leur parler escoute
Sans s'estonner, ne leur refusa poinct,
Et pour prescher commença en ce poinct:
Je ne sçaurois assez vous collauder.
Messieurs, dit-il; je veux bien asseurer
Que vostre train, pur, innocent et munde,
A cil de Christ ressemble estant au monde.
Premièrement, il hantoit les meschans:
Sy faictes-vous, et les allez cherchans;
Il ne fuyoit les noces et banquetz:
A table on oit nuict et jour vos caquetz;
A luy venoient paillards et publicains:
Avecques vous sont tousjours les putains;
En croix pendu fut avec les larrons:
En tel estat de bref nous vous verrons;
Puis vous sçavez qu'aux enfers descendit:
Vous aurez bien un semblable credit;
Il en revint, puis au ciel s'envola:
Mais vous jamais ne bougerez de là.
Voilà sans faute, en oraison petite,
De vostre estat la louange deduicte.
La Responce des Soldats.
Ces bons soldats, ayant bien escouté
Du cordelier le sermon effronté,
L'un print propos, disant en ceste sorte:
Heu! compagnons, que nul ne se transporte
Hors de ce lieu tant qu'auray respondu
Au bon sermon de ce moine tondu.
Escoutez tous. Premierement, il dict
Que les meschans ont vers nous grand credit.
Confesser faut que sommes mal vivans,
Que la plupart de ceux qu'allons cherchans
Aussi pour nous nous montrent les effects
De ce en quoy l'on nous tient pour suspects.
Mais qui commet des maux en plus de guise
Que vous, moines, vous disant gens d'eglise?
Soubz vostre habit marqué de saincteté,
Passans le temps en toute oysiveté,
Et si allez suivans les bonnes tables,
Estant assis en pères venerables,
Où vous vuidez tasses et gobeletz,
Où vous mangez les frians morceletz,
Chapons, perdrix sautant de broche en bouche[313],
Et en bruslant la langue qui les touche,
Vous vous plaignez (sans que je le deguise)
Qu'avez du mal à servir saincte eglise[314].
Après pastez, andouilles aux espices,
Les cervelats et les bonnes saucisses,
Les bons jambons et belles eschinées[315],
Qui sont pendus à l'air des cheminées,
Que vous nommez les aiguillons de vin,
Les arrousant de mainte beau latin:
Temoings en sont vos belles rouges trognes,
Vos beaux rubis et ces gros nez d'yvrognes,
Nez que tousjours ceste eau benite lave
Qu'on va querir au profond de la cave;
Nez qu'on peut dire estre assez buvatif,
Nez coloré de teinct alteratif,
Nez dont je dis que mesme la roupie
Pisse tousjours vin de théologie,
Nez vrais gourmetz de vos très sainctz desirs,
Seuls alembics de vos plus beaux plaisirs.
Nez par qui sont seurement annoncez
L'aigre, le doux, l'esvent et le poussé[316].
Nez qui chantent les très grandes merveilles
Du vin hoché à deux ou une oreilles[317].
Nez suce-vin, vaillans roys des bouteilles,
Nez rougissans comme roses vermeilles,
Nez que je dis vrays nez de cardinal,
Vos heures sont et vostre doctrinal;
Nez vrays miroërs de zèle sorbonique
Qui ne pensa jamais estre heretique;
Nez vrays supports de nostre mère Eglise,
Très dignes nez, que l'on les canonise:
Le beau rebec, la belle cornemuse,
Dont la ronflante, harmonieuse muse,
Du blanc, du teinct et du clairet enflée,
Ose hardiement, voire d'une soufflée,
Le dieu Bacchus, avec tous ses enfans,
Je dis mesme jusqu'aux plus triomphans,
Ce dieu qui est assis sur un poinçon,
Desfier à beaux coups de gros flacons.
Voilà comment vous vivez en prelatz,
En regardant du monde les debatz;
Et nous, soldats, portons les corseletz,
Tandis que vous vuydez les gobeletz;
Avons en main harquebuses ou picques,
Et vous, messieurs, croix d'or ou des reliques;
Couchons souvent sur paille ou terre dure,
Souffrant la faim, soif, chaleur ou froidure,
Puis assaillis dans quelque forte place,
Puis assaillans l'ennemy plein d'audace,
Nous endurons des maux en mainte guyse
Pour deffendre ces sainctes gens d'eglise,
Qui cependant meritez paradis,
Pour vous et nous chantans De profundis
En vos manoirs et plaisantes demeures,
Où soustenez, comme en cavernes seures,
Les grands larrons, meurtriers et parricides;
Putiers, putains, perjures, homicides,
Incestueux, sodomites damnables,
Pour de l'argent vous sont tous agreables.
Or, sus, allons: pendant que suis dispos,
Poursuivre faut ton troisième propos.
Tu nous as dict que les putains tousjour
Avec nous sont et y font leur sejour;
Mais je voy bien, frater à rouge trogne,
Qu'en nous grattant tu n'as senti ta rongne.
Si quelque honte il te resté au museau,
Sçait-on trouver (dy-moy) plus grand bourdeau,
Où l'on commet d'ordures plus grand'somme,
Qu'en voz convens, vrays manoirs de Sodome?
Vous, Cordeliers, Jacopins, Jesuites,
Carmes, Chartreux, Augustins hypocrites,
D'où vient cela qu'on vous nomme beaux pères?
C'est qu'à l'ombre d'un joly crucifix
Gaignez souvent des filles ou des filz
En accoinctant vos sainctes belles-mères.
Quant aux parloirs et aux confessions,
Vous commetez vos dissolutions,
Attouchemens vilains et execrables,
Sales propos et faicts deraisonnables:
Là le peché s'abaisse jusqu'au centre,
Et les beaux fruits se font sentir au ventre
Que despescher faictes devant son jour
Avant que voir du beau monde l'entour,
Pour conserver la reputation
De l'ordre et de vostre religion,
Sçachant qu'il faut besoigner cautement,
Puis qu'on ne sçait soy tenir chastement.
Aussi avez au besoin vos novices
Qui ne sont pas ignorans de vos vices.
Hors des convens, bourgeoises, damoiselles,
Tombent aussi souvent dessoubz vos ailes;
Et si de là il en sorte quelque ange,
C'est peu de cas, il ne vous semble estrange;
Pas on n'accourt vous dire: «Tenez, frère,
Cest enfançon, vous en estes le père.»
La dame en rit, oyant crier: Papa!
Au pauvre Jean qui le père n'est pas.
Brief, frère gris, vous infectez le monde
Bien plus que nous de vostre ordure immonde,
Et pense bien que Sodome l'infecte
Auprès de vous sera dicte parfaicte.
Quatriemement, je l'ai bien entendu
Quand tu as dit que nous serons pendu
Au beau milieu des voleurs et larrons,
Et qu'un gibet pour sepulture aurons.
Mais telle mort nous servira de gloire,
Par cestuy-là qui en a eu victoire,
Tournant la croix en benediction
A ce brigant dont eut salvation,
En invoquant humblement ce Jesus,
Qui lui donna sans vous, moines tondus,
De ses pechez pleine remission,
Dont avoit fait humble confession
A cil qui seul les pouvoit pardonner,
Et sans argent paradis luy donner,
Car en ce temps ces moines bigarrez
N'estoient encor parmy le monde entrez;
N'estoit sorty de l'abysme du puits
Ce saint François qui vous couva depuis,
Monstres malins, mordantes sauterelles,
Bruyant, portant partout playes mortelles:
Car sous un veu d'obeissance feinte
Tenez le monde en erreur et en crainte,
Et soubs couleur de fausse pauvreté
Mainte present au couvent est porté.
Mais, je vous pry, quels pauvres sont ceux-cy,
Tant bien logez, dormans sans nul soucy,
Très bien vestus et nourris gros et gras,
Sans travailler ni d'esprit ni des bras?
Voz revenus, voz menus fruicts et rentes,
Terres et prez et vos bestes errantes,
Telle abondance, est-ce pauvreté saincte
Que pretendez par devotion feinte?
Sy en larrons donc nous sommes pendus,
Vous, Cordeliers, devez estre esperdus,
Craignans qu'enfin ne soyons camarades,
Et que facions ensemble les gambades:
Car qui depend et dict n'avoir nul bien,
Ny d'en gaigner ne sçait aucun moyen,
Sy le nommer on veut par son droit nom,
Les payens mesme en feront un larron.
Sy ne pillez les vivans seulement,
Comme faisons; mais les morts seurement
N'ont au sepulchre un asseuré repos,
Par vous, gourmans, qui leur rongez les os,
Et devorez, sous ombre d'oraisons,
Leurs orphelins et entières maisons,
Dont vous chantez, joyeux en vos soulaz.
Mais quelque jour ensuivront les helas
Pour tant avoir trompé de femmelettes,
Et pour deux glands attrappé leurs toilettes[318],
Et pratiqué tant de fraudes pieuses
Qui sont enfin à Dieu tant ennuyeuses,
Qu'il a desjà ses bras forts estendus
Pour desoler ces gros frères tondus.
Or, pour la fin, voicy le dernier poinct[319]:
Tu nous as dit qu'en enfer nous irons,
Et que de là jamais ne bougerons.
Mais, contemplant enfer au temps passé,
En son pourtraict j'y vis prestres assez.
Tu me diras: En quoy les as cogneus?
Je te respons: Pour les voir tous tondus,
Ainsi que vous, messieurs les cordeliers.
Mais les soldats, encor que par milliers
Soyent escrottez, regardant ces figures,
Pas un n'en veis mis en ces pourtraictures.
Trop bien j'y veis aussy des femmelettes,
Mais on me dict que ce sont beguinettes
Qui avec vous n'ont faict difficulté
De dispenser leur veu de chasteté,
Dont m'esbahis comment si sainctes gens
Sont reservé en ces lieux de tourmens.
Et par ainsy je conclus que soldats
Plustost sauvés seront que tels prelats.
Voylà, frater, quel est le tesmoignage
Que je donray à vostre parentage.
Epilogue.
Mais, pour chasser toute melancolie
Et resjouir la bonne compagnie,
Sus, sus, soldats! chantons joyeusement
Ces beaux huictains que nous apprit Clement,
Je dis Marot, qui le pot descouvrit,
Dont ces cagots creveront de despit.
Nos beaux pères religieux[320],
Vous disnez pour un grand mercy.
O gens heureux! ô demi-dieux!
Pleust à Dieu que fussions ainsy!
Comme nous vivrions sans soucy!
Car le veu qui l'argent vous oste,
Il est clair qu'il deffend aussy
Que ne payez jamais vostre oste.
Pause.
Voulez-vous voir un homme honneste?
Attachez-moy une sonnette
Sur le front d'un moine crotté,
Une oreille à chaque costé
Au capuchon de sa caboche:
Voilà un sot de la basoche
Aussi bien peinct que sçauroit homme
Depuis Paris jusques à Rome.
Autre plus briefve response au sermon du Cordelier, contenant la conference ou plustost la difference de Jesus-Christ et de sainct François[321].