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Vies des dames galantes

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Aussi ay-je ouy dire à ceux qui ont charge des harras des roys et grands seigneurs, qu'ils ont veu souvent sortir de meilleurs chevaux derobbez par leurs meres, que d'autres faits par la curiosité des maistres du haras et estallons donnez et appostez: ainsi est-il des personnes.

Combien en ay-je veu de dames avoir produit des plus beaux et honnestes et braves enfants! Que si leurs pères putatifs les eussent faits, ils fussent esté vrays veaux et vrayes bestes.

Voilà pourquoy les femmes sont bien advisées de s'ayder et accommoder de beaux et bons estallons, pour faire de bonnes races. Mais aussi en ay-je bien veu qui avoient de beaux marys, qui s'aidoient de quelques amys laids et vilains estallons, qui procréoyent de hideuses et mauvaises lignées.

Voilà une des signalées commoditez et incommoditez de cocuage.

—J'ay cogneu une dame de par le monde, qui avoit un mary fort laid et fort impertinent; mais, de quatre filles et deux garçons qu'elle eut, il n'y eut que deux qui valussent, estants venus et faits de son amy; et les autres venus de son chalant de mary (je dirois volontiers chat-huant, car il en avoit la mine), furent fort maussades.

Les dames en cela y doivent estre bien advisées et habiles, car coustumièrement les enfants ressemblent à leurs pères, et touchent fort à leur honneur quand ils ne leur ressemblent. Ainsi que j'ay veu par expérience beaucoup de dames avoir cette curiosité de faire dire et accroire à tout le monde que leurs enfants ressemblent du tout à leur père et non à elles, encor qu'ils n'en tiennent rien; car c'est le plus grand plaisir qu'on leur sçauroit faire, d'autant qu'il y a apparence qu'elles ne l'ont emprunté d'autruy, encore qu'il soit le contraire.

—Je me suis trouvé une fois en une grande compagnie de Cour où l'on advisoit le pourtrait de deux filles d'une très-grande reyne. Chacun se mit à dire son advis à qui elles ressembloient, de sorte que tous et toutes dirent qu'elles tenoient du tout de la mère; mais moy, qui estois très-humble serviteur de la mère, je pris l'affirmative, et dis qu'elles tenoient du tout du père, et que si l'on eust cogneu et veu le père comme moy, l'on me condescendroit. Sur quoy la sœur de cette mère m'en remercia et m'en sçeut très-bon gré, et bien fort, d'autant qu'il y avoit aucunes personnes qui le disoient à dessein, pour ce qu'on la soupçonnoit de faire l'amour, et qu'il y avoit quelque poussière dans sa fleute, comme l'on dit; et par ainsi mon opinion sur cette ressemblance du père rabilla tout. Donc sur ce point, qui aymera quelque dame et qu'on verra enfants de son sang et de ses os, qu'il dit tousjours qu'ils tiennent du père du tout, bien que non.

Il est vray qu'en disant qu'ils ont de la mère un peu il n'y aura pas de mal, ainsi que dit un gentilhomme de la Cour, mon grand amy, parlant en compagnie de deux gentilshommes frères assez favoris du roy[36], à qui ils ressembloient, au père ou à la mère; il respondit que celui qui estoit froid ressembloit au père, et l'autre qui estoit chaud ressembloit à la mere; par ce brocard le donnant bon à la mère, qui estoit chaudasse; et de fait ces deux enfants participoient de ces deux humeurs froide et chaude.

—Il y a une autre sorte de cocus qui se forme par le desdain qu'ils portent à leurs femmes, ainsi que j'en ay cogneu plusieurs qui, ayant de très-belles et honnestes femmes, n'en faisoient cas, les mesprisoient et desdaignoient, celles qui estoient habilles et pleines de courage, et de bonne maison, se sentants ainsi desdaignées, se revangeoient à leur en faire de mesme: et soudain après bel amour, et de là à l'effet; car, comme dit le refrain italien et napolitain, amor non si vince con altro che con sdegno[37].

Car ainsi une femme belle, honneste, et qui se sent telle et se plaise, voyant que son mary la desdaigne, quand elle luy porteroit le plus grand amour marital du monde, mesme quand on la prescheroit et proposeroit les commandements de la loy pour l'aymer, si elle a le moindre cœur du monde, elle le plante là tout à plat et fait un amy ailleurs pour la secourir en ses petites nécessitez, et élit son contentement.

—J'ay cogneu deux dames de la Cour, toutes deux belles-sœurs; l'une avoit espousé un mary favory, courtisan et fort habille, et qui pourtant ne faisoit cas de sa femme comme il devoit, veu le lieu d'où elle estoit, et parloit à elle devant le monde comme à une sauvage, et la rudoyoit fort. Elle, patiente, l'endura pour quelque temps, jusques à ce que son mary vint un peu défavorisé; elle, espiant et prenant l'occasion au poil et à propos, la luy ayant gardée bonne, luy rendit aussitost le desdain passé qu'il luy avoit donné, en le faisant gentil cocu: comme fit aussi sa belle-sœur, prenant exemple à elle, qui ayant esté mariée fort jeune et en tendre age, son mary n'en faisant cas comme d'une petite fillaude, ne l'aymoit comme il devoit; mais elle, se venant advancer sur l'age, et à sentir son cœur en reconnoissant sa beauté, le paya de mesme monnoye, et luy fit un présent de belles cornes pour l'intérest du passé.

—D'autres-fois ay-je cogneu un grand seigneur, qui, ayant pris deux courtisannes, dont il y en avoit une more, pour ses plus grandes délices et amyes, ne faisant cas de sa femme, encore qu'elle le recherchast avec tous les honneurs, amitiez et révérances conjugales qu'elle pouvoit; mais il ne la pouvoit jamais voir de bon œil ny embrasser de bon cœur, et de cent nuicts il ne luy en départoit pas deux. Qu'eust-elle fait la pauvrette là-dessus, après tant d'indignitez, si-non de faire ce qu'elle fit, de choisir un autre lict vaccant, et s'accoupler avec une autre moitié, et prendre ce qu'elle en vouloit?

Au moins si ce mary eust fait comme un autre que je sçay, qui estoit de telle humeur, qui, pressé de sa femme, qui estoit très-belle, et prenant plaisir ailleurs, lui dit franchement: «Prenez vos contentements ailleurs, je vous en donne congé. Faites de vostre costé ce que vous voudrez faire avec un autre: je vous laisse en vostre liberté; et ne vous donnez peine de mes amours, et laissez-moy faire ce qu'il me plaira. Je n'empescheray point vos aises et plaisirs: aussi ne m'empeschez les miens.» Ainsi, chacun quitte de-là, tous deux mirent la plume au vent; l'un alla à dextre et l'autre à senestre, sans se soucier l'un de l'autre; et voilà bonne vie.

J'aymerois autant quelque vieillard impotent, maladif, gouteux, que j'ay cogneu, qui dist à sa femme, qui estoit très-belle, et ne la pouvant contenter comme elle le desiroit, un jour: «Je sçay bien, m'amie, que mon impuissance n'est bastante pour vostre gaillard age. Pour ce, je vous puis être beaucoup odieux, et qu'il n'est possible que vous me puissiez être affectionnée femme, comme si je vous faisois les offices ordinaires d'un mary fort et robuste. Mais j'ai advisé de vous permettre et de vous donner totale liberté de faire l'amour, et d'emprunter quelque autre qui vous puisse mieux contenter que moy. Mais, surtout, que vous en élisiés un qui soit discret, modeste, et qui ne vous escandalise point, et moy et tout, et qu'il vous puisse faire une couple de beaux enfants, lesquels j'aymeray et tiendray comme les miens propres; tellement que tout le monde pourra croire qu'ils sont vrays et légitimes enfants, veu que encore j'ay en moy quelques forces assez vigoureuses, et les apparences de mon corps suffisantes pour faire paroir qu'il sont miens.»

Je vous laisse à penser si cette belle jeune femme fut aise d'avoir cette agréable, jolie petite remontrance, et licence de jouir de cette plaisante liberté, qu'elle pratiqua si bien, qu'en un rien elle peupla la maison de deux ou trois beaux petits enfants, où le mary, parce qu'il la touchoit quelquefois et couchoit avec elle, y pensoit avoir part, et le croyoit, et le monde et tout; et, par ainsi, le mary et la femme furent très-contents, et eurent belle famille.

—Voici une autre sorte de cocus qui se fait par une plaisante opinion qu'ont aucunes femmes, c'est à sçavoir qu'il n'y a rien plus beau ny plus licite, ny plus recommandable que la charité, disant qu'elle ne s'estend pas seulement à donner aux pauvres qui ont besoin d'estre secourus et assistez des biens et moyens des riches, mais aussi d'ayder à esteindre le feu aux pauvres amants langoureux que l'on voit brusler d'un feu d'amour ardent: «Car, disent-elles, quelle chose peut-il estre plus charitable, que de rendre la vie à un que l'on voit se mourir, et raffraîchir du tout celui que l'on voit se brusler?» Ainsi, comme dit ce brave palladin, le seigneur de Montauban, soustenant la belle Geneviève dans l'Arioste, que celle justement doit mourir qui oste la vie à son serviteur, et non celle qui la luy donne. S'il disoit cela d'une fille, à plus forte raison telles charitez sont plus recommandées à l'endroit des femmes que des filles, d'autant qu'elles n'ont point leurs bourses déliées ny ouvertes encor comme les femmes, qui les ont, au moins aucunes, très-amples et propres pour en eslargir leurs charitez.

Sur-quoy je me souviens d'un conte d'une fort belle dame de la Cour, laquelle pour un jour de Chandelleur s'estant habillée d'une robe de damas blanc, et avec toute la suitte de blanc, si bien que ce jour rien ne parut de plus beau et de plus blanc, son serviteur ayant gaigné une sienne compagne qui estoit belle dame aussi, mais un peu plus aagée et mieux parlante, et propre à intercéder pour luy; ainsi que tous trois regardoient un fort beau tableau où estoit peinte une Charité toute en candeur et voile blanc, icelle dit à sa compagne: «Vous portez aujourd'huy le mesme habit de cette Charité; mais, puisque la représentez en cela, il faut aussi la représenter en effet à l'endroit de vostre serviteur, n'estant rien si recommandable qu'une miséricorde et une charité, en quelque façon qu'elle se face, pourveu que ce soit en bonne intention, pour secourir son prochain. Usez-en donc: et si vous avez la crainte de vostre mary et du mariage devant les yeux, c'est une vaine superstition que nous autres ne devons avoir, puisque nature nous a donné des biens en plusieurs sortes, non pour s'en servir en espargne, comme une salle avare de son tresor, mais pour les distribuer honnorablement aux pauvres souffreteux et nécessiteux. Bien est-il vray que nostre chasteté est semblable à un tresor, lequel on doit espargner en choses basses: mais, pour choses hautes et grandes, il le faut despenser en largesse, et sans espargne. Tout de mesmes faut-il faire part de nostre chasteté, laquelle on doit eslargir aux personnes de mérite et vertu, et de souffrance, et la dénier à ceux qui sont viles, de nulle valeur, et de peu de besoin. Quant à nos marys, ce sont vrayement de belles idoles, pour ne donner qu'à eux seuls nos vœux et nos chandelles, et n'en départir point aux autres belles images! car c'est à Dieu seul à qui on doit un vœu unique, et non à d'autres.» Ce discours ne deplut point à la dame, et ne nuisit non plus nullement au serviteur, qui, par un peu de persévérance, s'en ressentit. Tels presches de charité pourtant sont dangereux pour les pauvres marys.

—J'ay ouy conter (je ne sçay s'il est vray, aussi ne veux-je affirmer) qu'au commencement que les Huguenots plantèrent leur religion, faisoient leurs presches la nuict et en cachettes, de peur d'estre surpris, recherchés et mis en peine, ainsi qu'ils furent un jour en la rue Saint-Jacques à Paris, du temps du roy Henri second, où des grandes dames que je sçay, y allans pour recevoir cette charité, y cuidèrent estre surprises. Après que le ministre avoit fait son presche, sur la fin leur recommandoit la charité, et incontinent après on tuoit leurs chandelles, et là un chacun et chacune l'exerçoit envers son frère et sa sœur chrestienne, se la départans l'un à l'autre selon leur volonté et pouvoir; ce que je n'oserois bonnement asseurer, encore qu'on m'asseurast qu'il estoit vray; mais possible que cela est pur mensonge et imposture. Toutefois je sçay bien qu'à Poitiers pour lors il y avoit une femme d'un advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle[38], que j'ay veue, qui estoit des plus belles femmes, ayant la plus belle grace et façon, et des plus désirables qui fussent en la ville pour lors; et pour ce chacun lui jettoit les yeux et le cœur. Elle fut repassée au sortir du presche, par les mains de douze escoliers, l'un après l'autre, tant au lieu du consistoire que sous un auvent, encore ay-je ouy dire sous une potence du Marche Vieux, sans qu'elle en fist un seul bruit ny autre refus; mais, demandant seulement le mot du presche, les recevoit les uns après les autres courtoisement, comme ses vrays freres en Christ. Elle continua envers eux cette aumosne long temps, et jamais elle n'en voulut prester pour un double à un papiste: si en eut-ils néantmoins plusieurs papistes qui, empruntans de leurs compagnons huguenots le mot et le jargon de leur assemblée, en jouirent. D'autres alloient au presche exprès, et contrefaisoient les Réformez, pour l'apprendre, afin de joüir de cette belle femme. J'étois lors à Poitiers jeune garçon estudiant, que plusieurs bons compagnons, qui en avoient leur part, me le dirent et me le jurèrent: mesme le bruit estoit tel en la ville. Voilà une plaisante charité, et conscientieuse femme, faire ainsi choix de son semblable en la religion!

Il y a une autre forme de charité qui se pratique, et s'est pratiquée souvent, à l'endroit des pauvres prisonniers qui sont ès prisons, et privez des plaisirs des dames, desquels les geollieres et les femmes qui en ont la garde, ou, les castellanes qui ont dans les chasteaux des prisonniers de guerre, en ayant pitié, leur font part de leur amour, et leur donnent de cela par charité et miséricorde; ainsi que dit une fois une courtisanne romaine à sa fille de laquelle un gallant estoit extresmement amoureux, et ne luy en vouloit pas donner pour un double. Elle luy dit: E da gli al manco per misericordia[39].

Ainsi ces geollieres, castellanes et autres, traittent leurs prisonniers, lesquels, bien qu'ils soient captifs et misérables, ne laissent à sentir les picqueures de la chair, comme au meilleur temps qu'ils pourroient avoir. Aussi dit-on en vieil proverbe: «L'envie en vient de pauvreté;» et aussi bien sur la paille et sur la dure messer Priape hausse la teste, comme dans le lict du monde le meilleur et le plus doux. Voilà pourquoy les gueux et les prisonniers, parmi leurs hospitaux et prisons, sont aussi paillards que les roys, les princes et les grands, dans leurs beaux pallais et licts royaux et délicats.

Pour en confirmer mon dire, j'allégueray un conte que me fit un jour le capitaine Beaulieu, capitaine de galleres, duquel j'ay parlé quelquefois. Il estoit à feu M. le grand-prieur de France, de la maison de Lorraine, et estoit fort aymé de luy: l'allant un jour trouver à Malthe dans une frégatte, il fut pris des galleres de Sicile, et mené prisonnier au Castel à Mare de Palerme, où il fut resserré en une prison fort estroite, obscure et misérable, et très-mal traité, l'espace de trois mois. Par cas, le castellan, qui estoit Espagnol, avoit deux fort belles filles, qui, l'oyant plaindre et attrister, demandèrent un jour congé au pere pour le visiter pour l'honneur de Dieu, qui leur permit librement. Et d'autant que le capitaine Beaulieu estoit fort gallant homme certes, et disoit des mieux, il les sceut si bien gagner dès l'abord de cette première visite, qu'elles obtinrent du pere qu'il sortist de cette meschante prison, et fust mis en une chambre assez honneste, et receust meilleur traitement. Ce ne fut pas tout, car elles obtindrent congé de l'aller voir librement tous les jours une fois et causer avec luy. Tout cela se demena si bien que toutes deux en furent amoureuses, bien qu'il ne fust pas beau et elles très-belles, que, sans respect aucun, ny de prison plus rigoureuse, ny d'hazard de mort, mais tenté de privautez, il se mit à joüir de toutes deux bien et beau tout à son aise; et dura ce plaisir sans escandale, et fut si heureux en cette conqueste l'espace de huict mois, qu'il n'en arriva nul escandale, mal, inconvénient, ni de ventre enflé, ny d'aucune surprise ny découverte: car ces deux sœurs s'entendoient et s'entredonnoient si bien la main, et se relevoient si gentiment de sentinelle, qu'il n'en fut jamais autre chose; et me jura, car il estoit fort mon amy, qu'en sa plus grande liberté il n'eut jamais si bon temps, ny plus grande ardeur, ny appetit à cela, qu'en cette prison, qui luy estoit très-belle, bien qu'on die n'y en avoir jamais aucunes belles. Et luy dura tout ce bon temps l'espace de huict mois, que la trève fut faite entre l'Empereur et le roi Henri second, que tous les prisonniers sortirent et furent relaschés: et me jura que jamais il ne se fascha tant que de sortir de cette si bonne prison; mais bien gasté laisser ces belles filles, tant favorisé d'elles, qui au départir en firent tous les regrets du monde.

Je luy demanday si jamais il appréhenda inconvenient s'il fust esté découvert. Il me dit bien qu'ouy, mais non qu'il le craignist: car, au pis aller, on l'eust fait mourir; et il eust autant aymé mourir que rentrer en sa première prison. De plus, il craignoit que s'il n'eust contenté ces honnestes filles, puisqu'elles le recherchoient tant, qu'elles en eussent conceu un tel desdaing et dépit, qu'il en eust eu quelque pire traitement encore; et pour ce, bandant les yeux à tout, il se hasarda à cette belle fortune. Certes on ne sçauroit assez louer ces bonnes filles espagnoles si charitables: ce ne sont pas les premieres ny les dernieres.

—On a dit d'autres fois en nostre France, que le duc d'Ascot, prisonnier au bois de Vincennes, se sauva de prison par le moyen d'une honneste dame, qui toutesfois s'en cuida trouver mal, car il y alloit du service du Roy[40]: et telles charitez sont réprouvables, qui touchent le party du général, mais fort bonnes et louables, quand il n'y va que du particulier, et que le seul joly corps s'y expose; peu de mal pour cela. J'alléguerois force braves exemples faisant à ce sujet, si j'en voulois faire un discours à part, qui n'en seroit pas trop mal plaisant. Je ne diray que cettuy-ci, et puis nul autre, pour estre plaisant et antique.

Nous trouvons dans Tite-Live que les Romains, après qu'ils eurent mis la ville de Capoue à totale destruction, aucuns des habitants vindrent à Rome pour représenter au sénat leur misere, le prierent d'avoir pitié d'eux. La chose fut mise au conseil: entr'autres qui opinèrent fut M. Atilius Regulus, qui tint qu'il ne leur falloit faire aucune grace, «car il ne sauroit trouver en tout, disoit-il, aucun Capoüan, depuis la révolte de leur ville, qu'on pust dire avoir porté le moindre brin d'amitié et d'affection à la république romaine, que deux honnestes femmes: l'une, Vesta Opia, atellane, de la ville d'Atelle, demeurant à Capoüe pour lors; et l'autre, Francula Cluvia;» qui toutes deux avoient esté autresfois filles de joye et courtisannes, en faisant le mestier publiquement. L'une n'avoit laissé passer un seul jour sans faire prieres et sacrifices pour le salut et victoire du peuple romain; et l'autre, pour avoir secouru à cachettes de vivres les pauvres prisonniers de guerre mourants de faim et pauvreté.

Certes voilà des charitez et piétez très-belles; dont sur ce un gentil cavalier, une honneste dame et moy, lisants un jour ce passage, nous nous entredismes soudain que, puisque ces deux honnestes dames s'estoient desjà avancées et estudiées à de si bons et pies offices, qu'elles avoient bien passé à d'autres, et à leur départir les charitez de leurs corps; car elles en avoient distribué d'autres fois à d'autres estans courtisannes, ou possible qu'elles l'estoyent encore; mais le livre ne le dit pas, et a laissé le doute-là; car il se peut présumer. Mais quand bien elles eussent continué le mestier et quitté pour quelque temps, elles le purent reprendre ce coup-là, n'estant rien si aisé et si facile à faire; et peut-estre aussi qu'elles y cogneurent et receurent encore quelques uns de leurs bons amoureux, de leurs vieilles connoissances, qui leur avoient autresfois sauté sur le corps, et leur en voulurent encor donner sur quelques vieilles erres, ou du tout: aussi que, parmi les prisonniers, elles y en purent voir aucuns incogneus qu'elles n'avoient jamais veu que cette fois, et les trouvoient beaux, braves et vaillants, de belles façons, qui méritoient bien la charité tout entière, et pour ce ne leur espargnant la belle joüissance de leur corps, il ne se peut faire autrement. Ainsi, en quelque façon que ce fust, ces honnestes dames méritoient bien la courtoisie que la république romaine leur fit et recogneut, car elle leur fit rentrer en tous leurs biens, et en joüirent aussi paisiblement que jamais; encor plus, leur firent à sçavoir qu'elles demandassent ce qu'elles voudroient, elles l'auroient; et pour en parler au vray, si Tite-Live ne fust esté si abstraint, comme il ne devoit, à la vérécondie et modestie, il devoit franchir le mot tout à trac d'elles, et dire qu'elles ne leur avoient espargné leur gent corps; et ainsi ce passage d'histoire fust esté plus beau et plaisant à lire, sans aller l'abbréger, et laisser au bout de la plume le plus beau de l'histoire. Voilà ce que nous en discourusmes pour lors.

—Le roy Jean, prisonnier en Angleterre, receut de mesme plusieurs faveurs de la comtesse de Salsberiq, et si bonnes, que, ne la pouvant oublier, et les bons morceaux qu'elle luy avoit donnés, qu'il s'en retourna la revoir, ainsi qu'elle luy fit jurer et promettre.

—D'autres dames y a-t-il qui sont plaisantes en cela pour certain poinct de conscientieuse charité; comme une qui ne vouloit permettre à son amant, tant qu'il couchoit avec elle, qu'il la baisast le moins du monde à la bouche, alléguant par ses raisons que sa bouche avoit fait le serment de foy et de fidélité à son mary, et ne la vouloit point souiller par la bouche qui l'avoit fait et presté; mais quant à celle du ventre, qui n'en avoit point parlé ni rien promis, lui laissoit faire à son bon plaisir, et ne faisoit point de scrupule de la prester, n'estant en puissance de la bouche du haut de s'obliger pour celle du bas, ny celle du bas pour celle du haut non plus; puisque la coustume du droit ordonnoit de ne s'obliger pour autruy sans consentement et parole de l'une et de l'autre, ny un seul pour le tout en cela.

—Une autre conscentieuse et scrupuleuse, donnant à son amy joüissance de son corps, elle vouloit toujours faire le dessus, et sous-mettre à soy son homme, sans passer d'un seul iota cette regle; et, l'observant estroitement et ordinairement, disoit-elle que si son mary ou autre lui demandoit si un tel luy avoit fait cela, qu'elle pust jurer et renier, et seurement protester, sans offenser Dieu, que jamais il ne luy avoit fait ny monté sur elle. Ce serment sceut-elle si bien pratiquer, qu'elle contenta son mary et autres par ses jurements serrez en leurs demandes, et la creurent, veu ce qu'elle disoit, «mais n'eurent jamais l'advis de demander, ce disoit-elle, si jamais elle avoit fait le dessus, surquoy m'eussent bien mespris et donner à songer.» Je pense en avoir encor parlé cy-dessus; mais on ne se peut pas toujours souvenir de tout; et aussi il y en a cettuy-cy plus qu'en l'autre, s'il me semble.

—Coustumièrement, les dames de ce mestier sont grandes menteuses, et ne disent mot de vérité; car elles ont tant appris et accoustumé à mentir (ou si elles font autrement sont des sottes, et mal leur en prend) à leurs marys et amants sur ces sujets et changements d'amour, et à jurer qu'elles ne s'adonnent à autres qu'à eux, que, quand elles viennent à tomber sur autres sujets de conséquence, ou d'affaires, ou discours, jamais ne font que mentir, et ne leur peut-on croire.

D'autres femmes ay-je cogneu et ouy parler, qui ne donnoyent à leur amant leur joüissance, si-non quand elles estoient grosses, afin de n'engroisser de leur semence; en quoy elles faisoient grande conscience de supposer aux marys un fruit qui n'estoit pas à eux, et le nourrir, alimenter et élever comme le leur propre. J'en ay encore parlé cy-dessus. Mais, estant grosses une fois, elles ne pensoient point offenser le mary, ny le faire cocu, en se prostituant. Possible aucunes le faisoient pour les mesmes raisons que faisoit Julia, fille d'Auguste, et femme d'Agrippa, qui fut en son temps une insigne putain, dont son pere en enrageoit plus que le mary. Luy estant demandé une fois si elle n'avoit point de crainte d'engroisser de ses amys, et que son mary s'en aperceust et ne l'affolast, elle respondit: «J'y mets ordre, car je ne reçois jamais personne ny passager dans mon navire, si-non quand il est chargé et plein.»

Voicy encore une autre sorte de cocus; mais ceux-là sont vrays martyrs, qui ont des femmes laides comme diables d'enfer, qui se veulent mesler de taster de ce doux plaisir aussi bien que les belles, ausquelles le seul privilége est deu, comme dit le proverbe: Les beaux hommes au gibet, et les belles femmes au bourdeau[41]: et, toutesfois, ces laides charbonnières font la folie comme les autres, lesquelles il faut excuser, car elles sont femmes comme les autres, et ont pareille nature, mais non si belle. Toutesfois, j'ai veu des laides, au moins en leur jeunesse, qui s'apprécient tant pourtant comme les belles, ayant opinion que femme ne vaut autant, si-non ce qu'elle se veut faire valloir et se vendre; aussi qu'en un bon marché toutes denrées se vendent et se dépositent[42], les unes plus, les autres moins, selon qu'on en a à faire, et selon l'heure tardive que l'on vient au marché après les autres, et selon le bon prix que l'on y trouve; car, comme l'on dit, l'on court toujours au meilleur marché, encore que l'estoffe ne soit la meilleure, mais selon la faculté du marchand et de la marchande. Ainsi est-il des femmes laides, dont j'en ay veu aucunes, qui, ma foy, estoient si chaudes et lubriques, et duites à l'amour aussi bien que les plus belles, et se mettoyent en place marchande, et vouloient s'avancer et se faire valloir tout de mesmes. Mais le pis que je vois en elles, c'est qu'au lieu que les marchands prient les plus belles, celles-cy laides prient les marchands de prendre et d'achepter de leurs denrées, qu'elles leur laissent pour rien et à vil prix: mesmes font-elles mieux; car le plus souvent leur donnent de l'argent pour s'accoster de leurs chalanderies et se faire fourbir à eux; dont voilà la pitié: car pour telle fourbissure, il n'y faut petite somme d'argent; si bien que la fourbissure couste plus que ne vaut la personne, et la lexive que l'on y met pour bien la fourbir, et cependant monsieur le mary demeure cocu et coquin tout ensemble d'une laide, dont le morceau est bien plus difficile à digérer que d'une belle; outre que c'est une misere extresme d'avoir à ses costez un diable d'enfer couché, au lieu d'un ange. Sur quoy j'ay ouy souhaitter à plusieurs galants hommes une femme belle et un peu putain, plustost qu'une femme laide et la plus chaste du monde; car en une laideur n'y loge que toute misere et desplaisir, et nul brin de félicité. En une belle, tout plaisir et félicité y abonde, et bien peu de misere, selon aucuns. Je m'en rapporte à ceux qui ont battu cette sente et chemin. A aucuns j'ay ouy dire que, quelques fois, pour les marys, il n'est si besoin aussi qu'ils ayent leurs femmes si chastes; car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don très-rare, que quasi vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs marys seulement, mais le ciel et les astres: voire qu'il leur semble, par telle orgueilleuse chasteté, que Dieu leur doive du retour. Mais elles sont bien trompées; car j'ay ouy dire à de grands docteurs que Dieu ayme plus une pauvre pécheresse, humiliante et contrite (comme il fit la Magdelaine), que non pas une orgueilleuse et superbe qui pense avoir gagné le paradis, sans autrement vous loir miséricorde ny sentence de Dieu.

—J'ay ouy parler d'une dame si glorieuse pour sa chasteté qu'elle vint tellement à mépriser son mary, que, quand on lui demandoit si elle avoit couché avec son mary: «Non, disoit-elle, mais il a bien couché avec moy.» Quelle gloire! Je vous laisse donc à penser comme ces glorieuses sottes femmes chastes gourmandent leurs pauvres marys, d'ailleurs qui ne leur sçauroient rien reprocher, et comme font aussi celles qui sont chastes et riches, d'autant que cette-cy, chaste et riche du sien, fait de l'olimbrieuse, de l'altière, de la superbe et de l'audacieuse, à l'endroit de son mary: tellement que, pour la trop grande présomption qu'elle a de sa chasteté et de son devant tant bien gardé, ne la peut retenir qu'elle ne fasse de la femme emperiere, qu'elle ne gourmande son mary sur la moindre faute qu'il fera, comme j'en ay veu aucunes, et sur tout sur son mauvais menage. S'il joüe, s'il dépend, ou s'il dissipe, elle crie plus, elle tempeste, fait que sa maison paroist plus un enfer qu'une noble famille: et s'il faut vendre de son bien pour subvenir à un voyage de cour ou de guerre, ou à ses procès, nécessitez, ou à ses petites folies et despenses frivolles, il n'en faut pas parler; car la femme a pris telle impériosité sur lui, s'appuyant et se fortifiant sur sa pudicilé, qu'il faut que le mary passe par sa sentence, ainsi que dit fort bien Juvenal en ses satyres.

Animus uxoris si deditus uni,
Nil unquam invitâ donabis conjuge vendes.
Hac obstante nihil hæc  si nolit emetur[43].

Il note bien par ces vers que telles humeurs des anciennes Romaines correspondoient à aucunes de nostre temps quant à ce poinct; mais, quand une femme est un peu putain, elle se rend bien plus aisée, plus sujette, plus docile, craintive, de plus douce et agréable humeur, plus humble et plus prompte à faire tout ce que le mary veut, et lui condescend en tout; comme j'en ay veu plusieurs telles, qui n'osent gronder, ny crier, ny faire des acariastres, de peur que le mary ne les menace de leur faute, et ne leur mette au devant leur adultere, et leur fasse sentir aux despens de leur vie; et si le galant veut vendre quelque bien du leur, les voilà plustost signées au contract que le mary ne l'a dit. J'en ay veu de celles-là force: bref, elles font ce que leurs marys veulent.

Sont-ils bien gastez ceux-là donc d'estre cocus de si belles femmes, et d'en tirer de si belles denrées et commoditez que celles-là, outre le beau et délicieux plaisir qu'ils ont de paillarder avec de si belles femmes, et nager avec elles comme dans un beau et clair courant d'eau, et non dans un salle et laid bourbier? Et puisqu'il faut mourir, comme disoit un grand capitaine que je sçay, ne vaut-il pas mieux que ce soit par une belle jeune espée, claire, nette, luisante et bien tranchante, que par une lame vieille, rouillée et mal fourbie, là où il y faut plus d'émeric que tous les fourbisseurs de la ville de Paris ne sçauroient fournir?

Et ce que je dis des jeunes laides, j'en dis autant d'aucunes vieilles femmes qui veulent estre fourbies et se faire tenir et nettes et claires comme les plus belles du monde (j'en fais ailleurs un discours à part[44] de cela): et voilà le mal; car, quand leurs marys n'y peuvent vacquer, les maraudes appellent des suppléments, et comme estants si chaudes, ou plus, que les jeunes: comme j'en ay veu qui ne sont pas sur le commencement et mitan prestes d'enrager, mais sur la fin. Et volontiers l'on dit que la fin en ces mestiers est plus enragée que les deux autres, le commencement et le mitan, pour le vouloir; car, la force et la disposition leur manquent, dont la douleur leur est très-griefve, d'autant que le vieil proverbe dit que c'est une grande douleur et dommage, quand un c... a très-bonne volonté, et que la force lui défaut. Si y en a-t-il toujours quelques-unes de ces pauvres vieilles haires qui passent par bardot[45], et departent leurs largesses aux despens de leurs deux bourses; mais celle de l'argent fait trouver bonne et estroite l'autre de leurs corps. Aussi dit-on que la libéralité en toutes chose est plus à estimer que l'avarice et la chicheté, fors aux femmes, lesquelles, tant plus sont libérales de leurs cas, tant moins sont estimées, et les avares et chiches tant plus. Cela disoit une fois un grand seigneur de deux grandes dames sœurs que je sçay, dont l'une estoit chiche de son honneur, et libérale de la bourse et despense, et l'autre fort escarce[46] de sa bourse et despense, et très-libérale de son devant.

—Or, voici encore une autre race de cocus qui est certes par trop abominable et exécrable devant Dieu et les hommes, qui, amouraschés de quelque bel Adonis, leur abandonnent leurs femmes pour jouir d'eux. La première fois que je fus jamais en Italie, j'en ouys un exemple à Ferrare, par un conte qui m'y fut fait d'un qui, espris d'un jeune homme beau, persuada à sa femme d'octroyer sa joüissance audit jeune homme qui estoit amoureux d'elle, et qu'elle luy assignast jour, et qu'elle fist ce qu'il luy commanderoit. La dame le voulut très-bien, car elle ne desiroit manger autre venaison que de celle-là. Enfin le jour fut assigné, et l'heure estant venue que le jeune homme et la femme estoient en ces douces affaires et alteres, le mary, qui s'estoient caché, selon le concert d'entre luy et sa femme, voici qu'il entra; et les prenant sur le fait, approcha la dague à la gorge du jeune homme, le jugeant digne de mort sur tel forfait, selon les loix d'Italie, qui sont un peu plus rigoureuses qu'en France. Il fut contraint d'accorder au mary ce qu'il voulut, et firent eschange l'un de l'autre: le jeune homme se prostitua au mary, et le mary abandonna sa femme au jeune homme; et par ainsi, voilà un mary cocu d'une vilaine façon.

—J'ai ouy conter qu'en quelque endroit du monde (je ne le veux pas nommer) il y eut un mary, et de qualité grande, qui estoit vilainement espris d'un jeune homme qui aimoit fort sa femme, et elle aussi luy: soit ou que le mary eust gaigné sa femme, ou que ce fust une surprise à l'improviste, les prenant tous deux couchés et accouplés ensemble, menaçant le jeune homme s'il ne luy complaisoit, l'investit tout couché, et joint et collé sur sa femme, et en joüit; dont sortit le problème, comme trois amants furent joüissants et contents tout à un mesme coup ensemble.

—J'ay ouy conter d'une dame, laquelle esperdument amoureuse d'un honneste gentilhomme qu'elle avoit pris pour amy et favory, luy se craignant que le mary luy feroit et à elle quelque mauvais tour, elle le consola, lui disant: «N'ayez pas peur; car il n'oseroit rien faire, craignant que je l'accuse de m'avoir voulu user de l'arrière-Vénus, dont il en pourroit mourir si j'en disois le moindre mot et le déclarois à la justice. Mais je le tiens ainsi en eschec et en allarme; si bien que, craignant mon accusation, il ne m'ose pas rien dire.» Certes telle accusation n'eust pas porté moins de préjudice à ce pauvre mary que de la vie: car les légistes disent que la sodomie se punit pour la volonté; mais possible que la dame ne voulut pas franchir le mot tout à trac, et qu'il n'eust passé plus avant sans s'arrêter à la volonté.

—Je me suis laissé conter qu'un de ces ans un jeune gentilhomme françois, l'un des beaux qui fust esté veu à la cour longtemps, estant allé à Rome pour y apprendre les exercices, comme autres ses pareils, fut arregardé de si bon œil, et par si grande admiration de sa beauté, tant des hommes que des femmes, que quasi on l'eust couru à force: et là où ils le sçavoient aller à la messe, ou autre lieu public et de congrégation, ne failloient, ny les uns, ny les autres, de s'y trouver pour le voir; si bien que plusieurs marys permirent à leurs femmes de lui donner assignation d'amours en leurs maisons, afin qu'y estant venu et surpris, fissent eschange, l'un de sa femme, et l'autre de luy: dont luy en fut donné advis de ne se laisser aller aux amours et volontez de ces dames, d'autant que le tout avoit esté fait et apposté pour l'attrapper; en quoy il se fit sage, et préféra son honneur et sa conscience à tous les plaisirs détestables, dont il en acquist une louange très-digne. Enfin, pourtant, son escuyer le tua. On en parle diversement pourquoy: dont ce fut très-grand dommage, car c'estoit un fort honneste jeune homme, de bon lieu, et qui promettoit beaucoup de luy, autant de sa physionomie, pour ses actions nobles, que pour ce beau et noble trait: car, ainsi que j'ay ouy dire à un fort gallant homme de mon temps, et qu'il est aussi vray, nul jamais b....., n'y bardasch, ne fut brave, vaillant et généreux, que le grand Jules César; aussi que par la grande permission divine telles gens abominables sont rédigés et mis à sens reprouvez: en quoy je m'estonne que plusieurs, que l'on a veu tachés de ce méchant vice, sont esté continuez du ciel en grands prospéritez; mais Dieu les attend, et à la fin on en voit ce que doit estre d'eux.

Certes, de telle abomination, j'en ay ouy parler que plusieurs marys en sont esté atteints bien au vif; car, malheureux qu'ils sont et abominables, ils se sont accommodez de leurs femmes plus par le derriere que par le devant, et ne se sont servis du devant que pour avoir des enfants; et traittent ainsi leurs pauvres femmes, qui ont toute leur chaleur en leurs belles parties de la devantière. Sont-elles pas excusables si elles font leurs marys cocus, qui ayment leurs ordes et salles parties de derriere?

Combien y a-t-il de femmes au monde, que si elles estoient visitées par des sages femmes, médecins et chirurgiens experts, ne se trouveroient non plus pucelles par le derrière que par le devant, et qui feroient le procès à leurs marys à l'instant; lesquelles le dissimulent, et ne l'osent découvrir, de peur d'escandaliser, et elles et leurs marys ou possible qu'elles y prennent quelque plaisir plus grand que nous ne pouvons penser; ou bien, pour le dessein que je viens de dire, pour tenir leurs maris en telle sujection, si elles font l'amour d'ailleurs, mesmes qu'aucuns marys leur permettent; mais pourtant tout cela ne vaut rien.

—Summa Benedicti dit que si le mary veut recognoistre sa partie ainsi contre l'ordre de nature, qu'il offense mortellement; et s'il veut maintenir qu'il peut disposer de sa femme comme il luy plaist, il tombe en détestable et vilaine hérésie d'aucuns Juifs et mauvais rabins, dont on dit que duabus mulieribus apud synagogam conquestis se fuisse à viris suis cognitu sodomiquo cognitis, responsum est ab illis rabinis, virum esse uxoris dominum, proinde posse uti ejus utcunque libuerit, non aliter quàm is qui piscem emit: ille enim, tam anterioribus quàm posterioribus partibus, ad arbitrium vesci potest. J'ay mis cela en latin sans le traduire en françois, car il sonne très-mal à des oreilles bien honnestes et chastes. Abominables qu'ils sont! laisser une belle, pure et concédée partie, pour en prendre une villaine, salle, orde et défendue, et mise en sens réprouvé!

Et si l'homme veut ainsi prendre la femme, il est permis à elle se séparer de luy, s'il n'y a autre moyen de le corriger: et pourtant, dit-il encore, celles qui craignent Dieu n'y doivent jamais consentir, ains plustost doivent crier à la force, nonobstant l'escandale qui pourroit arriver en cela, et le deshonneur ny la crainte de mort; car il vaut mieux mourir, dit la loy, que de consentir au mal. Et dit encor ledit livre une chose que je trouve fort estrange: qu'en quelque mode que le mary connoisse sa femme, mais qu'elle en puisse concevoir, ce n'est point péché mortel, combien qu'il puisse estre véniel: si y a-t-il pourtant des méthodes pour cela fort salles et villaines, selon que l'Arétin les représente en ses figures, et ne ressentent rien la chasteté maritale; bien que, comme j'ay dit, il soit permis à l'endroit des femmes grosses, et aussi de celles qui ont l'haleine forte et puante, tant de la bouche que du nez: comme j'en ay cogneu et ouy parler de plusieurs femmes, lesquelles baiser et alleiner autant vaudroit qu'un anneau de retrait; ou bien comme j'ai ouy parler d'une très-grande dame, mais je dis très-grande, qu'une de ses dames dit un jour que son halleine sentoit plus qu'un pot-à-pisser d'airain; ainsi m'usa-t-elle de ces mots: un de ses amis fort privé, et qui s'approchoit près d'elle, me le confirma aussi: si est-il vray qu'elle estoit un peu sur l'âge.

Là-dessus que peut faire un mary ou un amant, s'il n'a recours à quelque forme extravagante, mais surtout qu'elle n'aille point à l'arrière-Vénus? J'en dirois davantage, mais j'ai horreur d'en parler: encore m'a-t-il fasché d'en avoir tant dit; mais si faut-il quelquefois descouvrir les vices du monde pour s'en corriger.

—Or il faut que je die une mauvaise opinion que plusieurs ont eue et ont encores de la cour de nos roys, que les filles et femmes y bronchent fort, voire coustmièrement: en quoy bien souvent sont-il trompez, car il y en a de très-chastes, honnestes et vertueuses, voire plus qu'ailleurs, et la vertu y habite aussi-bien, voire mieux qu'en tous autres lieux, que l'on doit fort priser pour estre bien à preuve. Je n'allégueray que ce seul exemple de madame la grande duchesse de Florence d'aujourd'huy, de la maison de Lorraine, laquelle estant arrivé à Florence le soir que le grand-duc l'épousa, et qu'il voulut aller coucher avec elle pour la dépuceler, il la fit avant pisser dans un beau urinal de cristal, le plus beau et le plus clair qu'il put, et en ayant vue l'urine, il la consulta avec son médecin, qui estoit un très-grand et très-savant et expert personnage, pour savoir de luy par cette inspection si elle estoit pucelle, ouy ou non. Le médecin l'ayant bien fixement et doctement inspicée, il trouva qu'elle estoit telle comme quand sortit du ventre de sa mère, et qu'il y allast hardiement, et qu'il n'y trouveroit point le chemin nullement ouvert, frayé ni battu; ce qu'il fit, et en trouva la vérité telle; et puis, le lendemain en admiration, dit: «Voilà un grand miracle, que cette fille soit ainsi sortie pucelle de cette cour de France!» Quelle curiosité et quelle opinion! Je ne sçai s'il est vrai, mais il me l'a ainsi esté asseuré pour véritable. Voilà une belle opinion de nos cours; mais ce n'est d'aujourd'huy, ains de long-temps, qu'on tenoit que toutes les dames de Paris et de la cour n'estoient si sages de leur corps comme celles du plat pays, et qui ne bougeoient de leurs maisons, il y a eu des hommes qui estoient si consciencieux de n'espouser que des filles et femmes qui eussent fort paysé, et veu le monde tant soit peu. Si bien qu'en notre Guyenne, du temps de mon jeune aage, j'ay ouy dire à plusieurs gallants hommes et veu jurer qu'ils n'espouseroient jamais fille ou femme qui auroit passé le port de Pille, pour tirer de longue vers la France. Pauvres fats qu'ils estoient en cela, encor qu'ils fussent fort habiles et gallants en autres choses, de croire que le cocuage ne se logeast dans leurs maisons, dans leurs foyers, dans leurs chambres, dans leurs cabinets, aussi bien, ou possible mieux, selon la commodité, qu'aux palais royaux et grandes villes royales! car on leur alloit suborner, gagner, abattre et rechercher leurs femmes, ou quand ils alloient eux-mesmes à la Cour, à la guerre, à la chasse, à leurs procez ou à leurs promenoirs, si bien qu'ils ne s'en appercevoyent; et estoient si simples de penser qu'on ne leur osoit entamer aucun propos d'amour, si-non que de mesnageries, de leurs jardinages, de leurs chasses et oiseaux; et, sous cette opinion et legere creance, se faisoient mieux cocus qu'ailleurs; car, partout, toute femme belle et habile, et aussi tout homme honneste et gallant, sçait faire l'amour, et se sçait accommoder. Pauvres fats et idiots qu'ils estoient! Et ne pouvoient-ils pas penser que Vénus n'a nulle demeure prefisse, comme jadis en Cypre, en Paros et Amatonte, et qu'elle habite par-tout jusques dans les cabanes des pastres et girons des bergères, voire des plus simplettes?

Depuis quelque temps en çà, ils ont commencé à perdre ces sottes opinions; car, s'estant apperceu que par-tout y avoit du danger pour ce triste cocuage, ils ont pris femmes partout où il leur a plu et ont pu; et si ont mieux fait: ils les ont envoyées ou menées à la Cour, pour les faire valoir ou parestre en leurs beautez, pour en faire venir l'envie aux uns ou aux autres, afin de s'engendrer des cornes. D'autres les ont envoyées, et menées playder et solliciter leurs procez, dont aucuns n'en avoient nullement, mais faisoient à croire qu'ils en avoient; ou bien s'ils en avoient, les allongeoient le plus qu'ils pouvoient, pour allonger mieux leurs amours. Voire quelquefois les marys laissoient leurs femmes à la garde du palais, et à la galerie et salle, puis s'en alloient en leurs maisons, ayant opinion qu'elles feroient mieux leurs besognes, et en gaigneroient mieux leurs causes: comme de vray, j'en sçay plusieurs qui les ont gaignées mieux par la dextérité et beauté de leur devant, que par leur bon droit, dont bien souvent en devenoient enceintes; et, pour n'estre escandalisées (si les drogues avoient failly de leur vertu pour les en garder), s'encouroient vistement en leurs maisons à leurs marys, feignant qu'elles alloient quérir des tiltres et piéces qui leur faisoient besoin, ou alloient faire quelque enqueste, ou que c'estoit pour attendre la Sainct Martin, et que, durant les vacations, n'y pouvant rien servir, alloient au bouc, et voir leurs mesnages et leurs marys. Elles y alloient de vray, mais bien enceintes. Je m'en rapporte à plusieurs conseillers, rapporteurs et présidents, pour les bons morceaux qu'ils en ont tastez des femmes des gentilshommes.

—Il n'y a pas long-temps qu'une très-belle, honneste et grande dame que j'ay cogneue, allant ainsi solliciter son procez à Paris, il y eut quelqu'un qui dit: «Qu'y va-t-elle faire? Elle le perdra; elle n'a pas grand droit.—Et ne porte-t-elle pas son droit sur la beauté de son devant, comme César portoit le sien sur le pommeau et sur la pointe de son espée?» Ainsi se font les gentilshommes cocus au palais, en récompense de ceux que messieurs les gentilshommes font sur mesdames les présidentes et conseilleres: dont aussi aucunes de celles-là ay-je veu, qui ont bien vallu sur la monstre autant que plusieurs dames, damoiselles et femmes de seigneurs, chevaliers et grands gentilshommes de la Cour, et autres.

—J'ay cogneu une dame grande, qui avoit esté très-belle, mais la vieillesse l'avoit effacée. Ayant un procez à Paris, et voyant que sa beauté n'estoit plus pour ayder à solliciter et gaigner sa cause, elle mena avec elle une sienne voisine, jeune et belle dame; et pour ce l'appointa d'une bonne somme d'argent, jusques à dix mille escus; et, ce qu'elle ne put ou eust bien voulu faire elle-mesme, elle se servit de cette dame, dont elle s'en trouva fort bien, et la jeune aussi; et tout en deux bonnes façons. N'y a pas long-temps que j'ay veu une dame mere y mener une de ses filles, bien qu'elle fust mariée, pour luy ayder à solliciter son procez, n'y ayant autre affaire; et de fait elle est très-belle, et vaut bien la sollicitation.

Il est temps que je m'arreste dans ce grand discours de cocuage; car enfin mes longues paroles, tournoyées dans ces profondes eaux et ces grands torrents, seroient noyées, et n'aurois jamais fait, ny n'en sçaurois jamais sortir, non plus que d'un grand labyrinthe qui fust autresfois, encore que j'eusse le plus long et le plus fort fillet du monde pour guide et sage conduite. Pour fin je concluray que si nous faisons des maux, donnons des tourments, des martyres et des mauvais tours à ces pauvres cocus, nous en portons bien la folle enchere, comme l'on dit, et en payons les triples intérests; car la plupart de leurs persécuteurs et faiseurs d'amour, et de ces dameretz, en endurent bien autant de maux; car ils sont plus subjects à jalousies, mesmes qu'ils en ont des marys aussi bien que de leurs corrivals: ils portent des martels, des capriches, se mettent aux hazards en danger de mort, d'estropiements, de playes, d'affronts, d'offenses, de querelles, de craintes, peines et mort; endurent froidures, pluyes, vents et chaleurs. Je ne conte pas la vérole, les chancres, les maux et maladies qu'ils y gaignent, aussi bien avec les grandes que les petites; de sorte que bien souvent ils acheptent bien cher ce qu'on leur donne, et la chandelle n'en vaut pas le jeu. Tels y en avons-nous veu misérablement mourir, qu'ils estoient battants pour conquérir tout un royaume, tesmoin M. de Bussi, le nompair de son temps, et force autres. J'en alléguerois une infinité d'autres que je laisse en arrière, pour finir et dire, et admonester ces amoureux qu'ils pratiquent le proverbe de l'Italien qui dit: Che molto guadagna chi putana perde[47].

—Le comte Amé second disoit souvent: «En jeu d'armes et d'amours, pour une joie cent doulours;» usant ainsi de ce mot anticq pour mieux faire sa rime. Disoit-il encore que la colere et l'amour avoient cela en soy fort dissemblable, que la colere passe tost, et se deffait fort aisément de sa personne quand elle y est entrée, mais mal-aisément l'amour. Voilà comment il se faut garder de cette amour, car elle nous couste bien autant qu'elle nous vaut, et bien souvent en arrive beaucoup de malheurs. Et pour parler au vray, la pluspart des cocus patients ont cent fois meilleur temps, s'ils se sçavoient connoistre et bien s'entendre avec leurs femmes, que les agents; et plusieurs en ay-je veu, qu'encor qu'il y allast de leurs cornes, se mocquoient de nous et se rioient de toutes les humeurs et façons de faire de nous autres qui traittons l'amour avec leurs femmes, et mesmes quand nous avions à faire à des femmes rusées, qui s'entendent avec leurs marys et nous vendent: comme j'ay cogneu un fort brave et honneste gentilhomme qui, ayant longuement aymé une belle et honneste dame, et eu d'elle la joüissance, ce qu'il en desiroit long-temps, s'estant un jour apperceu que le mary et elle se mocquoient de luy sur quelque trait, il en prit un si grand depit qu'il la quitta et fit bien; et, faisant un voyage lointain pour en divertir sa fantaisie, ne l'accosta jamais plus, ainsi qu'il me dit. Et de telles femmes rusées, fines et changeantes, il s'en faut donner garde comme d'une beste sauvage; car, pour contenter et appaiser leurs marys, quittent leurs anciens serviteurs, et en prennent puis après d'autres, car elles ne s'en peuvent passer.

Si ay-je cogneu une fort honneste et grande dame, qui a eu cela en elle de malheur, que, de cinq ou six serviteurs que je luy ay veu de mon temps avoir, se sont morts tous les uns après les autres, non sans un grand regret qu'elle en portoit; de sorte qu'on eust dit d'elle que c'estoit le cheval de Séjan, d'autant que tous ceux qui montoient sur elle mouroient et ne vivoient guieres; mais elle avoit cela de bon en soy et cette vertu, que, quoy qui ait esté, n'a jamais changé ny abandonné aucun de ses amis vivants pour en prendre d'autres; mais, eux venans à mourir, elle s'est voulu tousjours remonter de nouveau pour n'aller à pied; et aussi, comme disent les légistes, qu'il est permis de faire valoir ses lieux et sa terre par quiconque soit, quand elle est déguerpie de son premier maistre. Telle constance a esté fort en cette dame recommandable; mais si celle-là a esté jusques-là ferme, il y en a eu une infinité qui ont bien branslé. Aussi, pour en parler franchement, il ne se faut jamais envieillir dans un seul trou, et jamais homme de cœur ne le fit: il faut estre aussi bien aventurier deçà et delà, en amour comme en guerre, et en autres choses; car si l'on ne s'asseure que d'une seule ancre en son navire, venant à se décrocher, aisément on le perd, et mesme quand l'on est en pleine mer et en une tempeste, qui est plus subjecte aux orages et vagues tempestueuses que non en une calme ou en un port. Et dans quelle plus grande et haute mer ne sçauroit-on mieux mettre et naviguer que de faire l'amour à une seule dame? Que si de soy elle n'a esté rusée du commencement, nous autres la dressons et l'affinons par tant de pratiques, que nous menons avec elle, dont bien souvent il nous en prend mal, en la rendant telle pour nous faire la guerre, l'ayant façonnée et aguerrie. Tant y a, comme disoit quelque galant homme, qu'il vaut mieux se marier avec quelque belle femme et honneste, encore qu'on soit en danger d'estre un peu touché de la corne et de ce mal de cocuage commun à plusieurs, que d'endurer tant de traverses à faire les autres cocus, contre l'opinion de M. du Gua pourtant, auquel moy ayant tenu propos un jour de la part d'une grande dame qui m'en avoit prié, pour le marier, me fit cette response seulement: qu'il me pensoit de ses plus grands amis, et que je luy en faisois perdre la créance par tel propos pour luy pourchasser la chose qu'il haïssoit plus, que le marier et faire cocu, au lieu qu'il faisoit les autres; et qu'il espousoit assez de femmes l'année, appelant le mariage un putanisme secret de réputation et de liberté, ordonné par une belle loy, et que le pis en cela, ainsi que je voy et ay noté, c'est que la pluspart, voire toute, de ceux qui se sont ainsi delectez à faire les autres cocus, quand ils viennent à se marier, infailliblement ils tombent en mariage, je dis en cocuage; et n'en ay jamais veu arriver autrement, selon le proverbe: Ce que tu feras à autruy, il te sera fait.

—Avant que finir je diray encore ce mot: que j'ay veu faire une dispute qui n'est encore indécise, en quelles provinces et régions de nostre chrestienté et de nostre Europe il y a plus de cocus et de putains. L'on dit qu'en Italie les dames sont fort chaudes, et par ce, fort putains, ainsi que dit M. de Beze en une épigramme, d'autant qu'où le soleil, qui est chaud et donne le plus, y eschauffe davantage les femmes, en usant de ce vers:

Credibile est ignes multiplicare suos[48].

L'Espagne est de mesme, encore qu'elle soit sur l'occident; mais le soleil y eschauffe bien les dames autant qu'en orient. Les Flamandes, les Suisses, les Allemandes, Anglaises et Escossaises, encore qu'elles tirent sur le midy, et septentrion, et soient régions froides, n'en participent pas moins de cette chaleur natule, comme je les ai cogneues aussi chaudes que toutes les autres nations. Les Grecques ont raison de l'estre, car elles sont fort sur le levant. Ainsi souhaitte-t-on en Italie Greca in letto: comme de vray elles ont beaucoup de choses et vertus attrayantes en elles, que, non sans cause, le temps passé elles ont esté les délices du monde, et en ont beaucoup appris aux dames italiennes et espagnolles, depuis le vieux temps jusques à ce nouveau; si bien qu'elles en surpassent quasi leurs anciennes et modernes maistresses aussi la reyne et impériere des putains, qui estoit Vénus, estoit Grecque.

Quant à nos belles Françoises, on les a veues le temps passé fort grossieres, et qui se contentoient de le faire à la grosse mode; mais, depuis cinquante ans en ça, elles ont emprunté et appris des autres nations tant de gentillesses, de mignardises, d'attraits et de vertus, d'habits, de belles graces, lascivetez, ou d'elles-mesmes se sont si bien estudiées à se façonner, que maintenant il faut dire qu'elles surpassent toutes les autres en toutes façons; et, ainsi que j'ay ouy dire, mesme aux estrangers, elles valent beaucoup plus que les autres, outre que les mots de paillardise françoise en la bouche sont plus paillards, mieux sonnants et esmouvants que les autres. De plus, cette belle liberté françoise, qui est plus à estimer que tout, rend bien nos dames plus desirables, accostables, aimables et plus passables que toutes les autres: et aussi que tous les adulteres n'y sont si communément punis comme aux autres provinces, par la providence de nos grands sénats et législateurs françois, qui, voyant les abus en provenir par telles punitions, les ont un peu bridés, et un peu corrigé les loix rigoureuses du temps passé des hommes, qui s'estoient donnez en cela toute liberté de s'esbattre et l'ont ostée aux femmes; si bien qu'il n'estoit permis à la femme innocente d'accuser son mary d'adultere, par aucunes lois impériales et canon (ce dit Cajetan). Mais les hommes fins firent cette loy pour les raisons que dit cette stance italienne, qui est telle:

Perche di quel che natura concede
Nel vieti tutan dura legge d'honore.
Ella a noi liberal largo ne diede
Com' agli altri animai legge d'amore.
Ma l'huomo fraudulento, e senza fede,
Che fu legislator di quest' errore,
Vedendo nostre forze e buona schiena ,
Copri la sua debolezza con la pena[49].

Pour fin, en France il fait bon faire l'amour. Je m'en rapporte à nos authentiques docteurs d'amour, et mesme à nos courtisans, qui sçauront mieux sophistiquer là-dessus que moi: et, pour en parler bien au vray, putains par-tout, et cocus par-tout, ainsi que je le puis bien tester, pour avoir veu toutes ces régions que j'ay nommées, et autres; et la chasteté n'habite pas en une région plus qu'en l'autre.

Si feray-je encore cette question, et puis plus, qui possible n'a point esté recherchée de tout le monde, ny possible songée: à sçavoir mon, si deux dames amoureuses l'une de l'autre, comme il s'est veu et se voit souvent aujourd'huy, couchées ensemble, et faisant ce qu'on dit, donna con donna, en imitant la docte Sapho lesbienne, peuvent commettre adultere, et entre elles faire leurs maris cocus. Certainement, si l'on veut croire Martial en son Ier livre, épigram. CXIX, elles commettent adultere; où il introduit et parle à une femme nommée Bassa, tribade, luy faisant fort la guerre de ce qu'on ne voyoit jamais entrer d'hommes chez elle, de sorte qu'on la tenoit pour une seconde Lucrèce: mais elle vint à estre descouverte, en ce que l'on y voyoit aborder ordinairement force belles femmes et filles; et fut trouvé qu'elle-mesme leur servoit et contrefaisoit d'homme et d'adultere, et se conjoignoit avec elles, et use de ces mots: geminos committere cunnos. Et puis s'escriant, il dit et donne à songer et deviner cette énigme par ce vers latin:

Hic ubi vir non est, ut sit adulterium[50].

Voilà un grand cas, dit-il, que, là où il n'y a point d'homme, il y ait de l'adultere.

J'ai cogneu une courtisanne à Rome, vieille et rusée s'il en fust oncques, qui s'appeloit Isabelle de Lune, Espagnolle, laquelle prit en telle amitié une courtisanne qui s'appeloit la Pandore, l'une des belles pour lors de tout Rome, laquelle vint à estre mariée avec un sommeiller de M. le cardinal d'Armaignac, sans pourtant se distraire de son premier mestier: mais cette Isabelle l'entretenoit, et couchoit ordinairement avec elle; et, comme desbordée et désordonnée en paroles qu'elle estoit, je luy ay souvent ouy dire qu'elle la rendoit plus putain, et lui faisoit faire des cornes à son mary plus que tous les ruffiants que jamais elle avoit eus. Je ne sçay comment elle entendoit cela, si ce n'est qu'elle se fondast sur cette épigramme de Martial.

On dit que Sapho de Lesbos a esté une fort bonne maistresse en ce mestier, voire, dit-on, qu'elle l'a inventé, et que depuis les dames lesbiennes l'ont imitée en cela et continué jusques aujourd'huy, ainsi que dit Lucian, que telles femmes sont les femmes de Lesbos, qui ne veulent pas souffrir les hommes, mais s'approchent des autres femmes, ainsi que les hommes mesmes; et telles femmes qui aiment cet exercice ne veulent souffrir les hommes, mais s'adonnent à d'autres femmes, ainsi que les hommes mesmes, s'appellent tribades, mot grec dérivé, ainsi que j'ai appris des Grecs, de τρἱβω, τρἱβειν, qui est autant à dire que fricare, frayer, ou friquer, ou s'entrefrotter; et tribades se disent fricatrices, en françois fricatrices, ou qui font la friquarelle en mestier de donne con donne, comme l'on l'a trouvé ainsi aujourd'huy.

Juvenal parle aussi de ces femmes quand il dit: frictum Grissantis adorat, parlant d'une pareille tribade qui adoroit et aimoit la fricarelle d'une Grissante.

Le bon compagnon Lucian en fait un chapitre, et dit ainsi que les femmes viennent mutuellement à conjoindre comme les hommes, conjoignants des instruments lascifs, obscurs et monstrueux, faits d'une forme stérile, et ce nom, qui rarement s'entend dire de ces fricarelles, vacque librement partout, et qu'il faille que le sexe féminin soit Filenes, qui faisoit l'action de certaines amours hommasses. Toutesfois il adjouste qu'il est bien meilleur qu'une femme soit adonnée à une libidineuse affection de faire le masle, que n'est à l'homme de s'efféminer; tant il se monstre peu courageux et noble. La femme donc, selon cela, qui contrefait ainsi l'homme, peut avoir réputation d'estre plus valeureuse et courageuse qu'une autre, ainsi que j'en ay cogneu aucunes, tant pour leurs corps que pour l'ame.

En un autre endroit, Lucian introduit deux dames devisantes de cet amour; et une demande à l'autre si une telle avoit esté amoureuse d'elle, et si elle avoit couché avec elle, et ce qu'elle luy avoit fait. L'autre luy respondit librement. «Premièrement, elle me baisa ainsi que font les hommes, non pas seulement en joignant les levres, mais en ouvrant aussi la bouche, cela s'entend en pigeonne, la langue en bouche; et encore qu'elle n'eust point le membre viril, et qu'elle fust semblable à nous autres, si est-ce qu'elle disoit avoir le cœur, l'affection et tout le reste viril; et puis je l'embrassay comme un homme, et elle me le faisoit, me baisoit et allentoit[51] (je n'entends point bien ce mot), et me sembloit qu'elle y prit plaisir outre mesure, et cohabita d'une certaine façon beaucoup plus agréable que d'un homme.» Voilà ce qu'en dit Lucian.

Or, à ce que j'ay ouy dire, il y a en plusieurs endroits et régions force telles dames lesbiennes, en France, en Italie et en Espagne, Turquie, Grèce et autres lieux; et où les femmes sont recluses et n'ont leur entière liberté, cet exercice s'y continue fort; car telles femmes bruslantes dans le corps, il faut bien, disent-elles, qu'elles s'aydent de ce remède, pour se rafraischir un peu ou du tout qu'elles bruslent. Les Turques vont aux bains plus pour cette paillardise que pour autre chose, et s'y adonnent fort: mesme les courtisannes qui ont les hommes à commandement et à toute heure, encore usent-elles de ces friquarelles, s'entre-cherchent et s'entr'aiment les unes les autres, comme je l'ay ouy dire à aucunes en Italie et en Espagne. En nostre France, telles femmes sont assez communes; et si dit-on pourtant qu'il n'y a pas long-temps qu'elles s'en sont meslées, mesme que la façon en a esté portée d'Italie par une dame de qualité que je ne nommeray point.

—J'ay ouy conter à feu M. de Clermont-Tallard le jeune, qui mourut à La Rochelle, qu'estant petit garçon, et ayant l'honneur d'accompagner M. d'Anjou, depuis nostre roy Henry troisiesme, en son estude, et estudier avec lui ordinairement, duquel M. de Gournay estoit précepteur, un jour, estant à Thoulouse, estudiant avec son dit maistre dans son cabinet, et estant assis dans un coin à part, il vid, par une petite fente (d'autant que les cabinets et chambres estoient de bois, et avoient esté faits à l'improviste et à la haste, par la curiosité de M. le cardinal d'Armaignac, archevesque de là, pour mieux recevoir et accommoder le Roy et toute sa cour), dans un autre cabinet, deux fort grandes dames, toutes retroussées et leurs caleçons bas, se coucher l'une sur l'autre, s'entrebaiser en forme de colombe, se frotter, s'entrefriquer, bref, se remuer fort, paillarder, et imiter les hommes; et dura leur esbattement près d'une bonne heure, s'estant si très-fort eschauffées et lassées, qu'elles en demeurèrent si rouges et si en eau, bien qu'il fist grand froid, qu'elles n'en peurent plus et furent contraintes de se reposer autant; et disoit qu'il veid joüer ce jeu quelques autres jours, tant que la Cour fut là, de mesme façon; et oncques plus n'eut-il la commodité de voir cet esbattement, d'autant que ce lieu le favorisoit en cela, et aux autres il ne put. Il m'en contoit encore plus que je n'en ose escrire, et me nommoit les dames. Je ne sçay s'il est vray; mais il me l'a juré et affirmé cent fois par bons serments; et, de fait, cela est bien vray-semblable; car telles deux dames ont bien eu tousjours cette réputation de faire et continuer l'amour de cette façon et de passer ainsi leur temps.

J'en ay cogneu plusieurs autres qui ont traité de mesmes amours, entre lesquelles j'en ay ouy conter d'une de par le monde, qui a esté fort superlative en cela, et qui aimoit aucunes dames, les honoroit et les servoit plus que les hommes, et leur faisoit l'amour comme un homme à sa maistresse; et si les prenoit avec elle, les entretenoit à pot et à feu, et leur donnoit ce qu'elles vouloient. Son mary en estoit très-aise et fort content; ainsi que beaucoup d'autres martyrs que j'ay eus, qui estoient fort aises que leurs femmes menassent ces amours plutost que celles des hommes (n'en pensant leurs femmes si folles ny putains). Mais je croy qu'ils sont bien trompez, car ce petit exercice, à ce que j'ay ouy dire, n'est qu'un apprentissage pour venir à celuy grand des hommes; car après qu'elles se son eschauffées et mises bien en rut les unes les autres, leur chaleur ne se diminuant pour cela, faut qu'elles se baignent par une eau vive et courante, qui raffraischist bien mieux qu'une eau dormante, ainsi que je tiens de bons chirurgiens, et veu que, qui veut bien panser et guérir une playe, il ne faut qu'il s'amuse à la médicamenter et nettoyer alentour ou sur le bord, mais il la faut sonder jusques au fond, et y mettre une sonde et une tente bien avant.

Que j'en ay veu de ces Lesbiennes, qui, pour toutes leurs fricarelles et entre-frottements, n'en laissent d'aller aux hommes! mesme Sapho, qui en a esté la maistresse, ne se mit-elle pas à aymer son grand amy Phaon, après lequel elle mouroit? Car, enfin, comme j'ay ouy raconter à plusieurs dames, il n'y a que les hommes; et que de tout ce qu'elles prennent avec les autres femmes, ce ne sont que des tiroüers pour s'aller paistre de gorges-chaudes avec les hommes: et ces fricarelles ne leur servent qu'à faute des hommes; que si elles les trouvent à propos et sans escandale, elles lairroient bien leurs compagnes pour aller à eux et leur sauter au collet.

J'ay cogneu de mon temps deux belles et honnestes damoiselles de bonnes maisons, toutes deux cousines, lesquelles ayant couché ensemble dans un mesme lit l'espace de trois ans, s'accoustumèrent si fort à cette fricarelle, qu'après s'estre imaginées que le plaisir estoit assez maigre et imparfait au prix de celuy des hommes, se mirent à le taster avec eux, et en devinrent très bonnes putains, et confessèrent après à leurs amoureux que rien ne les avoit tant desbauchées et esbranlées à cela que cette fricarelle, la détestant pour en avoir esté la seule cause de leur desbauche: et, nonobstant, quand elles se rencontroyent, ou avec d'autres, elles prenoient tousjours quelque repas de cette fricarelle, pour y prendre tousjours plus grand appetit de l'autre avec les hommes. Et c'est ce que dit une fois une honneste damoiselle que j'ay cogneue, à laquelle son serviteur demandoit un jour si elle ne faisoit point cette fricarelle avec sa compagne, avec qui elle couchoit ordinairement. «Ah! non, dit-elle en riant, j'ayme trop les hommes;» mais pourtant elle faisoit l'un et l'autre.

Je sçay un honneste gentilhomme, lequel, désirant un jour à la Cour pourchasser en mariage une fort honneste damoiselle, en demanda l'advis à une sienne parente. Elle luy dit franchement qu'il y perdroit son temps; «d'autant, me dit-elle, qu'une telle dame, qu'elle me nomma, et de qui j'en savois des nouvelles, ne permettra jamais qu'elle se marie.» J'en cogneus soudain l'encloüeure, parce que je sçavois bien qu'elle tenoit cette damoiselle en ses délices à pot et à feu, et la gardoit précieusement pour sa bouche. Le gentilhomme en remercia sa dite cousine de ce bon advis, non sans lui faire la guerre en riant, qu'elle parloit ainsi en cela pour elle comme pour l'autre; car elle en tiroit quelques petits coups en robbe quelquesfois: ce qu'elle me nia pourtant. Ce trait me fait ressouvenir d'aucuns qui ont ainsi des putains à eux qu'ils ayment tant, qu'ils n'en feroient part pour tous les biens du monde, fust à un prince, à un grand, fust à leur compagnon, ni à leur amy, tant ils en sont jaloux, comme un ladre de son barillet; encore le présente-t-il à boire à qui en veut. Mais cette dame vouloit garder cette damoiselle toute pour soy, sans en départir à d'autres: pourtant si la faisoit-elle cocue à la dérobade avec aucunes de ses compagnes.

On dit que les belettes sont touchées de cet amour, et se plaisent de femelle à femelle à s'entreconjoindre et habiter ensemble; si que par lettres hiéroglyfiques les femmes s'entr'aimantes de cet amour estoient jadis représentées par des belettes. J'ay ouy parler d'une dame qui en nourrissoit tousjours, et qui se mesloit de cet amour, et prenoit plaisir de voir ainsi ses petites bestioles s'entre-habiter.

Voici un autre poinct, c'est que ces amours féminines se traittent en deux façons, les unes par friquarelle, et par, comme dit ce poëte, geminos committere connos.

Cette façon n'apporte point de dommages, ce disent aucuns, comme quand on s'aide d'instruments façonnés de....., mais qu'on a voulu appeler des g........[52].

J'ay ouy conter qu'un grand prince, se doutant de deux dames de sa cour qui s'en aydoient, leur fit faire le guet si bien qu'il les surprit, tellement que l'une se trouva saisie et accommodée d'un gros entre les jambes, gentiment attaché avec de petites bandelettes à l'entour du corps, qu'il sembloit un membre naturel. Elle en fut si surprise qu'elle n'eut loisir de l'oster; tellement que ce prince la contraignit de luy monstrer comment elles deux se le faisoient. On dit que plusieurs femmes en sont mortes, pour engendrer en leurs matrices des apostumes faites par mouvements et frottements point naturels. J'en sçay bien quelques-unes de ce nombre, dont ç'a esté grand dommage, car c'estoient de très-belles et honnestes dames et damoiselles, qu'il eust bien mieux vallu qu'elles eussent eu compagnie de quelques honnestes gentilshommes, qui pour cela ne les font mourir, mais vivre et ressusciter ainsi que j'espere le dire ailleurs; et mesmes, que, pour la guérison de tel mal, comme j'ay ouy conter à aucuns chirurgiens, qu'il n'y a rien plus propre que de les faire bien nettoyer là-dedans par ces membres naturels des hommes, qui sont meilleurs que des pesseres qu'usent les médecins et chirurgiens avec des eaux à ce composées; et toutesfois il y a plusieurs femmes, nonobstant les inconvénients qu'elles en voyent arriver souvent, si faut-il qu'elles en ayent de ces engins contrefaits.

—J'ay ouy faire un conte, moy estant lors à la cour, que la Reyne-mere ayant fait commandement de visiter un jour les chambres et coffres de tous ceux qui estoient logés dans le Louvre, sans épargner dames et filles, pour voir s'il n'y avoit point d'armes cachées et mesmes des pistolets, durant nos troubles, il y en eut une qui fut trouvée saisie dans son coffre par le capitaine des gardes, non point de pistolets, mais de quatre gros g........ gentiment façonnez, qui donnèrent bien de la risée au monde, et à elle bien de l'estonnement. Je cognois la damoiselle: je croy qu'elle vit encores: mais elle n'eut jamais bon visage. Tels instruments enfin sont très dangereux. Je feray encore ce conte de deux dames de la cour qui s'entr'aimoient si fort, et estoient si chaudes à leur mestier, qu'en quelque endroit qu'elles fussent ne s'en pouvoient garder ny abstenir que pour le moins ne fissent quelques signes d'amourettes ou de baiser, qui les escandalisoient si fort, et donnoient à penser beaucoup aux hommes. Il y en avoit une veufve, et l'autre mariée; et comme la mariée, un jour d'une grand magnificence, se fust fort bien parée et habillée d'une robe de toile d'argent, ainsi que leur maistresse estoit allée à vespres, elles entrèrent dans son cabinet, et sur sa chaise percée se mirent à faire leur fricarelle si rudement et si impétueusement, qu'elle en rompit sous elles, et la dame mariée qui faisoit le dessous tomba avec sa belle robe de toille d'argent à la renverse tout à plat sur l'ordure du bassin, si bien qu'elle se gasta et souilla si fort, qu'elle ne sçeut que faire que s'essuyer le mieux qu'elle peut, se trousser, et s'en aller à grande haste changer de robbe dans sa chambre, non sans pourtant avoir esté apperceue et bien sentie à la trace, tant elle puoit: dont il en fut ryt assez par aucuns qui en sceurent le conte; mesme leur maistresse le sceut, qui s'en aidoit comme elles, et en rist son saoul. Aussi il falloit bien que cette ardeur les maistrisast fort, que de n'attendre un lieu et un temps à propos, sans s'escandaliser. Encore excuse-t-on les filles et femmes veufves pour aimer ces plaisirs frivoles et vains, aimans bien mieux s'y adonner et en passer leurs chaleurs, que d'aller aux hommes et de se faire engroisser et se deshonorer, ou de faire perdre leur fruict, comme plusieurs ont fait et font; et ont opinion qu'elles n'en offensent pas tant Dieu, et n'en sont pas tant putains comme avec les hommes: aussi y a-t-il bien de la différence de jeter de l'eau dans un vase, ou de l'arrouser seulement alentour et au bord. Je m'en rapporte à elles. Je ne suis pas leur censeur ny leur mary, s'ils le trouvent mauvais, encore que je n'en ay point veu qui ne fussent très-aises que leurs femmes s'amourachassent de leurs compagnes, et qu'ils voudroient qu'elles ne fussent jamais plus adultères qu'en cette façon; comme de vray telle cohabitation est bien différente de celle d'avec les hommes, et, quoy que die Martial, ils n'on sont pas cocus pour cela. Ce n'est pas texte d'Évangile, que celuy d'un poëte fol. Donc, comme dit Lucian, il est bien plus beau qu'une femme soit virile ou vraye amazone, ou soit ainsi lubrique, que non pas un homme soit féminin, comme un Sardanapale et Héliogabale, ou autres force leurs pareils; car d'autant plus qu'elle tient de l'homme, d'autant plus elle est courageuse: et de tout cecy je m'en rapporte à la décision du procès.

M. du Gua et moy lisions une foi un petit livre italien, qui s'intitule de la Beauté, fait en dialogue par le seigneur Angello Fiorenzolle, Florentin, et tombasmes sur un passage où il dit qu'aucunes femelles qui furent faites par Jupiter au commencement, furent créées de cette nature, qu'aucunes se mirent à aymer les hommes, et les autres la beauté de l'une et de l'autre; mais aucunes purement et saintement, comme de ce genre s'est trouvée de notre temps, comme dit l'auteur, la très-illustre Marguerite d'Austriche, qui ayma la belle Laodamie, forte en guerre; les autres lascivement et paillardement, comme Sapho Lesbienne, et de nostre temps à Rome la grande courtisanne Cécile vénétienne; et icelles de nature haissent à se marier, et fuyent la conversation des hommes tant qu'elles peuvent. Là-dessus M. du Gua, reprit l'auteur, disant que cela estoit faux que cette belle Marguerite aimast cette belle dame de pur et saint amour; car puis qu'elle l'avoit mise plustost sur elle que sur d'autres qui pouvoient estre aussi belles et vertueuses qu'elle, il estoit à présumer que c'estoit pour s'en servir en délices, ne plus ne moins comme d'autres; et pour en couvrir sa lasciveté, elle disoit et publioit qu'elle l'aimoit saintement, ainsi que nous en voyons plusieurs ses semblables, qui ombragent leurs amours par pareils mots. Voilà ce qu'en disoit M. du Gua; et qui en voudra outre plus en discourir là-dessus, faire se peut. Cette belle Marguerite fust la plus belle princesse qui fust de son temps en la chrestienté. Ainsi, beautez et beautez s'entr-aiment de quelque amour que ce soit, mais du lascif plus que de l'autre. Elle fut remariée en tierces nopces, ayant en premieres espousé le roi Charles huitiesme, en secondes Jean, fils du roi d'Arragon, et le troisiesme avec le duc de Savoye qu'on appeloit le Beau; si que, de son temps, on les disoit le plus beau pair et le plus beau couple du monde; mais la princesse n'en joüit guierre de cette copulation, car il mourut fort jeune, et en sa plus grande beauté, dont elle en porta les regrets très-extrêmes, et pour ce ne se remaria jamais. Elle fit faire bastir cette belle église qui est vers Bourg en Bresse, l'un des plus beaux et plus susperbes bastiments de la chrestienté. Elle estoit tante de l'empereur Charles-Quint, et assista bien à son nepveu; car elle vouloit tout appaiser, ainsi qu'elle et madame la régente au traité de Cambray firent, où toutes à deux se virent et s'assemblèrent là, où j'ay ouy dire aux anciens et anciennes qu'il faisoit beau voir ces deux grandes princesses.

—Corneille Agrippa a fait un petit traité de la vertu des femmes, et tout en la loüange de cette Marguerite. Le livre en est très-beau, qui ne peut estre autre pour le beau sujet, et pour l'auteur, qui a esté un très-grand personnage.

—J'ay ouy parler d'une grande dame princesse, laquelle, parmi les filles de sa suite, elle en aimoit une par-dessus toutes et plus que les autres: en quoy on s'estonnoit, car il y en avoit d'autres qui la surpassoient en tout; mais enfin il fut trouvé et descouvert qu'elle estoit hermaphrodite, qui lui donnoit du passe-temps sans aucun inconvénient ni escandale. C'estoit bien autre chose qu'à ses tribades: le plaisir pénétroit un peu mieux. J'ay ouy nommer une grande qui est aussi hermaphrodite, et qui a ainsi un membre viril, mais fort petit, tenant pourtant plus de la femme, car je l'ay veu très-belle. J'ay entendu d'aucuns grands medecins qui en ont veu assez de telles, et surtout très-lascives. Voilà enfin ce que je diray du sujet de ce chapitre, lequel j'eusse pu allonger mille fois plus que je n'ay fait, ayant eu matière si ample et si longue, que si tous les cocus et leurs femmes qui les font se tenoient tous par la main, et qu'il s'en peust faire un cercle, je crois qu'il seroit assez bastant pour entourer et circuir la moitié de la terre.

—Du temps du roy François fut une vieille chanson, que j'ay ouy conter à une fort honneste et ancienne dame, qui disoit:

Mais quand viendra la saison
Que les cocus s'assembleront,
Le mien ira devant, qui portera la bannière;
Les autres suivront après, le vostre sera au darrière,
La procession en sera grande,
L'on y verra une très-longue bande.

Je ne veux pourtant taxer beaucoup d'honnestes et sages femmes mariées, qui se sont comportées vertueusement et constamment en la foy saintement promise à leurs marys; et en espere faire un chapitre à part à leur louange, et faire mentir maistre Jean de Mun[53], qui, en son Roman de la Rose, dit ces mots: «Toutes vous autres femmes estes ou fustes, de fait ou de volonté, putes;» dont il encourut une telle inimitié des dames de la cour pour lors, qu'elles par une arrestée conjuration et avis de la Reyne, entreprirent un jour de le foüetter, et le dépouillèrent tout nud; et estant prestes à donner le coup, il les pria qu'au moins celle qui estoit la plus grande putain de toutes commençast la première: chacune, de honte, n'osa commencer; et par ainsi il évita le fouet. J'en ay veu l'histoire représentée dans une vieille tapisserie des vieux meubles du Louvre. J'aimerois autant un prescheur qui, preschant un jour en bonne compagnie, ainsi qu'il reprenoit les mœurs d'aucunes femmes, et leurs marys qui enduroient estre cocus d'elles, il se mit à crier: «Oui, je les connois, je les vois, et m'en vais jetter ces deux pierres à la teste des deux plus grands cocus de la compagnie;» et, faisant semblant de les jetter, il n'y eut homme du sermon qui ne baissast la teste, ou mist son manteau, ou sa cape, ou son bras au-devant, pour se garder du coup. Mais luy, les retenant, leur dit: «Ne vous dis-je pas? je pensois qu'il n'y eust que deux ou trois cocus en mon sermon; mais, à ce que je voy, il n'y en a pas un qui ne le soit.» Or, quoy que disent ces fols, il y a de fort sages et honnestes femmes, ausquelles s'il falloit livrer bataille à leurs dissemblables, elles l'emporteroient, non pour le nombre, mais par la vertu, qui combat et abat son contraire aisément. Et si ledit maistre Jean de Mun blasme celles qui sont de volonté putes, je trouve qu'il les faut plustost loüer et exalter jusqu'au ciel, d'autant que si elles bruslent si ardemment dans le corps et dans l'ame, et, ne venant point aux effets, font parestre leur vertu, leur constance et la générosité de leur cœur, aymant plustost brusler et se consumer dans leurs propres feux et flammes, comme un phénix rare, que de forfaire ni souiller leur honneur, et comme la blanche hermine, qui aime mieux mourir que de se souiller (devise d'une très-grande dame que j'ay cogneue, mais mal d'elle pratiquée pourtant), puisqu'estant en leur puissance d'y pouvoir remédier, se commandent si généreusement, et puisqu'il n'y a plus belle vertu ny victoire que de se commander et vaincre soy-mesme. Nous en avons une histoire très-belle dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, de cette honneste dame de Pampelune, qui, estant dans son ame et de volonté pute, et bruslant de l'amour de M. d'Avanes, si beau prince, elle ayma mieux mourir dans son feu que de chercher son remede, ainsi qu'elle luy sceut bien dire en ses derniers propos de sa mort. Cette honneste et belle dame se donnoit bien la mort très-iniquement et injustement; et, comme j'ouys dire sur ce passage à un honneste homme et honneste dame, cela ne fut point sans offenser Dieu, puisqu'elle se pouvoit délivrer de la mort; et se la pourchasser et avancer ainsi, cela s'appelle proprement se tuer soy-mesme; ainsi plusieurs de ses pareilles qui, par ces grandes continences et abstinences de ce plaisir, se procurent la mort, et pour l'ame et pour le corps.

—Je tiens d'un très-grand médecin (et pense qu'il en a donné telle leçon et instruction à plusieurs honnestes dames) que les corps humains ne se peuvent jamais guieres bien porter, si tous leurs membres et parties, depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, ne font ensemblement leurs exercices et fonctions, que la sage nature leur a ordonné pour leur santé, et n'en fassent une commune accordance, comme d'un concert de musique, n'estant raison qu'aucunes desdites parties et membres travaillent, et les autres chaument. Ainsi qu'en une république il faut que tous officiers, artisans, manouvriers et autres, fassent leur besogne unanimement, sans se reposer ny se remettre les uns sur les autres, si l'on veut qu'elle aille bien, et que son corps demeure soin et entier: de mesme est le corps humain. Telles belles dames, putes dans l'ame et chastes du corps, méritent d'éternelles loüanges; mais non pas celles qui sont froides comme marbre, lasches et immobiles plus qu'un rocher, et ne tiennent de la chair, n'ayant aucuns sentiments (il n'y en a guieres pourtant), qui ne sont point ny belles ny recherchées, et, comme dit le poëte,

. . . . casta quam nemo rogavit,

chaste qui n'a jamais été priée. Sur quoy je cognois une grande dame qui disoit à aucunes de ses compagnes qui estoient belles: «Dieu m'a fait une grande grace de quoy il ne m'a fait belle comme vous autres, mesdames; car aussi bien que vous j'eusse fait l'amour, et fusse esté pute comme vous.» A cause de quoy peut-on loüer ces belles ainsi chastes, puisqu'elles sont de telle nature. Bien souvent aussi sommes-nous trompez en telles dames; car aucunes y en a qu'à les voir mesme mineuses, piteuses, marmiteuses, froides, discrètes, serrées, et modestes en leurs paroles, et en leurs habits réformez, qu'on les prendroit pour des saintes et très-prudes femmes, qui sont au dedans et par volonté, et au dehors par bons effets, bonnes putains. D'autres en voyons-nous qui, par leur gentillesse et leurs paroles follastres, leurs gestes gays et leurs habits mondains et affectés, on les prendroit pour fort débauchées, et prestes pour s'adonner aussi-tost: mais pourtant de leurs corps sont fort femmes de bien devant le monde: en cachette, il s'en faut rapporter à la vérité aussi cachée. J'en alléguerois force exemples que j'ai veus et sceus; mais je me contenteray d'alleguer cettuy-ci, que Tite-Live allégue et Bocace encore mieux, d'une gentille dame romaine nommée Claudie Quintiene, laquelle, paroissant dans Rome par-dessus toutes les autres en ses habits pompeux et peu modestes, et en ses façons gayes et libres, mondaine plus qu'il ne le falloit, acquit très-mauvais bruit touchant son honneur; mais, le jour venu de la réception de la déesse Cybelle, elle l'esteignit du tout; car elle eut l'honneur et la gloire, pardessus toutes les autres, de la recevoir hors du bateau, la toucher et la transporter à la ville; dont tout le monde en demeura estonné; car il avoit esté dit que le plus homme de bien et la plus femme de bien estoient dignes de cette charge. Voilà comme le monde est fort trompé en plusieurs de nos dames. L'on doit premierement fort les cognoistre et examiner avant que de les juger, tant d'une que de l'autre sorte.

Si faut-il, avant que fermer ce pas, que je die une autre belle vertu et propriété que porte le cocuage, que je tiens d'une fort honneste et belle dame de bonne part, au cabinet de laquelle estant un jour entré, je la trouvay sur le point qu'elle venoit d'achever d'escrire un conte de sa propre main, qu'elle me monstra fort librement, car j'estois de ses bons amis, et ne se cachoit point de moy: elle estoit fort spirituelle et bien disante, et fort bien duite à l'amour; et le commencement du conte estoit tel: »Il semble, dit-elle, qu'entr'autres belles propriétez que le cocuage peut apporter, c'est ce beau et bon sujet par lequel on peut bien connoistre combien gentiment l'esprit s'exerce pour le plaisir et contentement de la nature humaine, d'autant que c'est luy qui veille, et qui invente et façonne l'artifice nécessaire à y pourvoir sans que la nature y fournisse que le désir et l'appetit sensuel, comme l'on peut cacher par tant de ruses et astuces qui se pratiquent au mestier de l'amour, qui est celuy qui imprime les cornes; car il faut tromper un mary jaloux, soupçonneux et colere; il faut tromper et voiler les yeux des plus prompts à recevoir du mal, et pervertir les plus curieux de la connoissance de la vérité, faire croire de la fidélité là où il n'y a que toute déception; plus de franchise là où il n'y a que dissimulation et crainte, et plus de crainte là où il n'y a plus de licence: bref, par toutes ces difficultez, et pour venir dessus ces discours, ce ne sont pas actes à quoy la vertu naturelle puisse parvenir; il en faut donner l'advantage à l'esprit, lequel fournit le plaisir et bastit plus de cornes que le corps qui les plante et cheville.» Voilà les propres mots du discours de cette dame, sans les changer aucunement, qu'elle fait au commencement de son conte, qui se faisoit d'elle-mesme; mais elle l'adombroit par d'autres noms et puis, poursuivant les amours de la dame et du seigneur avec qui elle avoit à faire, et pour venir là et à la perfection, elle allégue que l'apparence de l'amour n'est qu'une apparence de consentement. Il est du tout sans forme jusqu'à son entière joüissance et possession, et bien souvent l'on croit qu'elle soit venue à cette extrémité, que l'on est bien loin de son compte, et, pour récompense, il ne reste rien que le temps perdu, duquel l'on porte un extrême regret (il faut bien peser et noter ces dernières paroles, car elles portent coup, et de quoy à blasonner). Pourtant il n'y a que la joüissance en amour et pour l'homme et pour la femme, pour ne regretter rien du temps passé. Et pour cette honneste dame, qui escrivoit ce conte, donna un rendez-vous à son serviteur dans un bois, où souvent s'alloit pourmener en une fort belle allée, à l'entrée de laquelle elle laissa ses femmes, et le va trouver sous un beau et large chesne ombrageux; car c'estoit en esté! «Là où, dit la dame en son conte par ces propres mots, il ne faut point douter la vie qu'ils demenèrent pour un peu, et le bel autel qu'ils dressèrent au pauvre mary au temple de Cératon, bien qu'ils ne fussent en Delos, qui estoit fait tout de cornes: pensez que quelque bon compagnon l'avoit fondé.» Voilà comment cette dame se moquoit de son mary, aussi bien en ses escrits comme en ses délices et effects: et qu'on note tous ses mots, ils portent de l'efficace, estans prononcés mesmes et escrits d'une si habile et honneste femme.

Le conte en est très-beau, que j'eusse volontiers ici mis et inséré; mais il est trop long, car les pourparlers, avant que de venir là, sont fort beaux et longs aussi, reprochant à son serviteur, qui la loüoit extremement, qu'il y avoit en luy plus d'œuvre de naturelle et nouvelle passion qu'aucun bien qui fust en elle, bien qu'elle fust des belles et honnestes; et, pour vaincre cette opinion, il fallut au serviteur faire de grandes preuves de son amour, qui sont fort bien spécifiées en ce conte: et puis estant d'accord, l'on y voit des ruses, des finesses et tromperies d'amour en toutes sortes, et contre le mary et contre le monde, qui sont certes fort belles et très-fines. Je priay cette honneste dame de me donner le double de ce conte; ce qu'elle fist très-volontiers, et ne voulust qu'autre le doublast qu'elle, de peur de surprise. Cette dame avoit raison de donner cette vertu et propriété au cocuage; car avant que se mettre à l'amour, elle estoit fort peu habile; mais l'ayant traité, elle devint l'une des spirituelles et habiles femmes de France, tant pour ce sujet que pour d'autres. Et de fait, ce n'est pas la seule que j'ay veue qui s'est habilitée, pour avoir traité l'amour, car j'en ay veu une infinité très-sottes et mal-habiles à leur commencement; mais elles n'avoient demeuré un an à l'académie de Cupidon et Vénus madame sa mère, qu'elles en sortoient très-habiles et très-honnestes femmes en tout; et quant à moy je n'ay veu jamais putain qui ne fust très-habile et qui ne levast la paille.

—Si feray-je encor cette question; en quelle saison de l'année se fait plus de cocus, et laquelle est plus propre à l'amour, et à esbranler une fille, une femme ou une veuve? Certainement la plus commune voix est qu'il n'y a pour cela que le printemps, qui esveille les corps et les esprits endormis de l'hyver fascheux et mélancolique; et puisque tous les oiseaux et animaux s'en réjoüissent et entrent tous en amours, les personnes qui ont autres sens et sentiment s'en ressentent bien davantage, et surtout les femmes (selon l'opinion de plusieurs philosophes et médecins), qui entrent lors en plus grande ardeur et amour qu'en tout autre temps, ainsi que je l'ay ouy dire à aucunes honnestes et belles dames, et mesmes à une grande qui ne failloit jamais, le printemps venu, en estre plus touchée et picquée qu'en autre saison; et disoit qu'elle sentoit la pointe de l'herbe et hannissoit après comme les juments et chevaux, et qu'il falloit qu'elle en tastast, autrement elle s'amaigriroit; ce qu'elle faisoit, je vous en asseure, et devenoit lors plus lubrique. Aussi, trois ou quatre amours nouvelles que je luy ay veu faire en sa vie, elle les a faites au printemps, et non sans cause; car de tous les mois de l'an, avril et may sont les plus consacrez, et dédiés à Vénus, où lors les belles dames s'accommencent, plus que devant, à s'accommoder, dorloter, et se parer gentiment, se coiffer follastrement, se vestir légèrement; qu'on dirait que tous ces nouveaux changements, et d'habits et de façons, tendent tous à la lubricité, et à peupler la terre de cocus, marchant dessus, aussi bien que le ciel et l'air en produisent de volants en avril et en may. De plus, ne pensez pas que les belles femmes, filles ou veuves, quand elles voient de toutes parts en leurs pourmenades de leurs bois, de leurs forests, garennes, parcs, prairies, jardins, bocages et autres lieux récréatifs, les animaux et les oiseaux s'entrefaire l'amour et lascivement paillarder, n'en ressentent d'estranges piqueures en leur chair, et n'y veulent soudain rapporter leurs remèdes; et c'est l'une des persuasives remonstrances qu'aucuns amants et aucunes amantes s'entrefont, s'entrevoyants sans chaleurs, ny flamme, ny amour, en leur remonstrant les animaux et oyseaux, tant des champs que des maisons, comme les passereaux et pigeons domestiques et lascifs, et ne faire que paillarder, germer, engendrer, et foissonner jusqu'aux arbres et plantes; et c'est ce que sceut dire un jour une gente dame espagnole à un cavalier froid ou trop respectueux: Sa, gentil cavallero, mira como los amores de todas suertes se tratan y trionfan en este verano, y V.S. queda flaco y abatrido! C'est-à-dire: «Voici[54], gentil cavalier, comme sortes d'amours se mennent et triomphent en cette prime; et vous demeurez flac et abattu.» Le printemps passé fait place à l'esté, qui vient après et porte avec soy ses chaleurs: et ainsi qu'une chaleur amène l'autre, la dame par conséquent double la sienne; et nul rafraischissement ne la luy peut oster si bien qu'un bain chaud et trouble de sperme vénériq: ce n'est pas contraire par son contraire et guérir, ains semblable par son semblable; car, bien que tous les jours elle se baignast, se plongeast dans la plus claire et fraische fontaine de tout un pays, cela n'y sert, ny quelques légers habillements qu'elle puisse porter pour s'en donner fraischeur, et qu'elle les retrousse tant qu'elle voudra, jusques à laisser les calessons, ou mettre le vertugadin dessus eux, sans les mettre sur le cotillon, comme plusieurs le font; et là c'est le pis, car, en tel estat, elles s'arregardent, se ravissent, se contemplent à la belle clarté du soleil, que, se voyant ainsi belles, blanches, caillées, poupines et en bon point, entrent soudain en rut et tentation; et, sur ce, faut aller au masle ou de tout brusler toutes vives, dont on en a veu fort peu; aussi seroient-elles bien sottes: et si elles sont couchées dans leurs beaux lits ne pouvants endurer ny couvertes, ny linceux, se mettent en leurs chemises retroussées à demy nues, et le matin, le soleil levant donnant sur elles, et venants à se regarder encore mieux à leur aise de tous costez et toutes parts, souhaitent leurs amys, et les attendent: que si par cas ils arrivent sur ce point, sont aussitost les bien venus, pris et embrassés; «car lors, disent-elles, c'est la meilleure embrassade et joüissance d'aucune heure du jour; d'autant, disoit un jour une grande, que le c.. est bien confit, à cause du doux chaud et feu de la nuict, qui l'a ainsi cuit et confit, et qu'il en est beaucoup meilleur et savoureux.» L'on dit pourtant par un proverbe ancien: Juin et juillet, la bouche mouillée et le v.. sec; encor met-on le mois d'aoust: cela s'entend pour les hommes, qui sont en danger quand ils s'échauffent par trop en ces temps; et mesme quand la chaude canicule domine, à quoy ils y doivent adviser; mais s'ils se veulent brusler à leur chandelle, à leur dam. Les femmes ne courent jamais ceste fortune, car tous mois, toutes saisons, tous temps, tous signes leur sont bons. Or les bons fruits de l'esté surviennent, qui semblent devoir rafraischir ces honnestes et chaleureuses dames. A aucunes j'en ay veu manger peu, et à d'autres prou. Mais pourtant on ny a guieres veu de changement de leur chaleur ny aux unes ny aux autres, pour s'en abstenir ny pour en manger; car le pis est que, s'il y a aucuns fruits qui puissent rafraischir, il y a bien force autres qui reschauffent bien autant, auxquels les dames courent le plus souvent, comme à plusieurs simples qui sont en leur vertu et bons et plaisants à manger en leurs potages et salades, et comme aux asperges, aux artichaux, aux truffles, aux morilles, aux mousserons et potirons, et aux viandes nouvelles, que leurs cuisiniers, par leurs ordonnances, sçavent très-bien accoustrer et accoustumer à la friandise et lubricité, et que les médecins aussi leur sçavent bien ordonner. Que si quelqu'un bien expert et gallant entreprenoit à desduire ce passage, il s'en acquitteroit bien mieux que moy. Au partir de ces bons mangers, donnez-vous garde, pauvres amants et marys. Que si vous n'estes bien préparez, vous voilà déshonorez, et bien souvent on vous quitte pour aller au change. Ce n'est pas tout; car il faut avec ces fruits nouveaux, et fruits des jardins et des champs, y adjouter de bons grands pastez que l'on a inventez depuis quelques temps, avec force pistaches, pignons, et autres drogues d'apoticaires scaldives, mais sur-tout des crestes et c........ de cocq, que l'esté produit et donne plus en abondance que l'hyver et autres saisons; et se fait aussi plus grand massacre en général de ces jolets et petits cocqs qu'en hyver des grands cocqs, n'estant si bons et si propres que les petits, qui sont chauds ardents et plus gaillards que les autres. Voila un entr-autres, des bons plaisirs et commoditez que l'esté rapporte pour l'amour. Et de ces pastez ainsi composez de menusailles de ces petits cocqs et culs d'artichaux et truffles, ou autres friandises chaudes en usent souvent quelques dames que j'ai ouy dire; lesquelles, quand elles en mangent et y peschent, mettant la main dedans ou avec les fourchettes, et en rapportant et en remettant en la bouche ou l'artichault, ou la truffle, ou la pistache, ou la creste de cocq, ou autre morceau, elles disent avec une tristesse morne: Blanque; et quand elles rencontrent les gentils c........ de cocq, et les mettent sous la dent, elles disent d'une allégresse: Bénéfice; ainsi qu'on fait à la blanque en Italie, et comme si elles avaient rencontré et gagné quelque joyau très-précieux et riche. Elles en ont cette obligation à messieurs les petits cocqs et jolets, que l'esté produit avec la moitié de l'automne pourtant, que j'entremesle avec l'esté, qui nous donne force autres fruits et petits volatiles qui sont cent fois plus chaudes que celles de l'hyver et de l'autre moitié de l'automne prochaine et voisine de l'hyver, qui, bien qu'on les puisse et doive joindre ensemble, si n'y peut-on si bien recueillir tous ces bons simples en leur vigueur, ny autre chose comme en la saison chaude, encore l'hyver s'efforce de produire ce qu'il peut, comme les bonnes cardes qui engendrent bien de la bonne chaleur et de la concupiscence, soit qu'elles soient cuittes ou crues, jusques aux petits chardons chauds, dont les asnes vivent et en baudoüinent mieux, que l'esté rend durs, et l'hyver les rend tendres et délicats, dont l'on en fait de fort bonnes salades nouvellement inventées. Et outre tout cela, on fait tant d'autres recherches de bonnes drogues chez les apoticaires, drogueurs et parfumeurs, que rien n'y est oublié, soit pour ces pastez, soit pour les bouillons: et ne trouve-t-on à dire guieres de la chaleur en l'hyver par ce moyen et entretenement tant qu'elles peuvent; «car, disent-elles, puisque nous sommes curieuses de tenir chaud l'extérieur de nostre corps par des habits pesants et bonnes fourrures, pourquoy n'en ferons-nous de mesme à l'intérieur?» Les hommes disent aussi: «Et de quoy leur sert-il d'adjouster chaleur sur chaleur, comme soye sur soye, contre la Pragmatique, et que d'elles-mesmes elles sont assez chaleureuses, et qu'à toute heure qu'on les veut assaillir elles sont tousjours prestes de leur naturel, sans y apporter aucun artifice? Qu'y feriez-vous? Possible qu'elles craignent que leur sang chaud et bouillant se perde et se resserre dans les veines et devienne froid et glacé si on ne l'entretient, ny plus ny moins que celuy d'un hermite qui ne vit que de racines.»

Or laissons-les faire: cela est bon pour les bons compagnons; car, elles estant en si fréquente ardeur, le moindre assaut d'amour qu'on leur donne, les voilà prises, et messieurs les pauvres marys cocus et cornus comme satyres. Encor font-elles mieux, les honnestes dames: elles font quelquesfois part de leurs bons pastez, bouillons et potages à leurs amants par miséricorde, afin d'estre plus braves et n'estre atténuez par trop quand ce vient à la besogne, et pour s'en ressentir mieux et prévaloir plus abondamment et leur en donnent aussi des receptes pour en faire faire en leur cuisine à part: dont aucuns y sont bien trompez, ainsi que j'ay ouy parler d'un galant gentilhomme, qui, ayant ainsi pris son bouillon, et venant tout gaillard aborder sa maîtresse, la menaça qu'il la meneroit beau et qu'il avoit pris son bouillon, et mangé son pasté. Elle lui respondit: «Vous ne me ferez que la raison; encore ne sçay-je:» et s'estant embrassez et investis, ces friandises ne luy servirent que pour deux opérations de deux coups seulement. Sur quoy elle luy dit ou que son cuisinier l'avoit mal servy ou y avoit espargné des drogues et compositions qu'il y falloit, ou qu'il n'avoit pas pris tous ses préparatifs pour la grande médecine, ou que son corps pour lors estoit mal disposé pour la prendre et la rendre: et ainsy elle se moqua de luy. Tous simples pourtant, toutes drogues, toutes viandes et médecines, ne sont propres à tous; aux uns elles opèrent, aux autres blanque, encore ay-je veu des femmes qui, mangeant ces viandes chaudes et qu'on leur en faisoit la guerre que par ce moyen il pourroit avoir du débordement ou de l'extraordinaire ou avec le mary ou l'amant, ou avec quelque pollution nocturne, elles disoient, juroient et affirmoient que, pour tel manger, la tentation ne leur en survenoit en aucune manière; et Dieu sait il falloit qu'elles fissent ainsi des rusées. Or les dames qui tiennent le party de l'hiver disent que, pour les bouillons et mangers chauds, elles en sçavent assez de receptes d'en faire d'aussi bons l'hyver qu'aux autres saisons: elles en font assez d'expérience, et pour faire l'amour le disent aussi très-propre; car, tout ainsi que l'hyver est sombre, ténébreux, quiete, coy, retiré de compagnies et caché, ainsi faut que soit l'amour et qu'il soit fait en cachette, en lieu retiré et obscur, soit en un cabinet à part, ou en un coin de cheminée près d'un bon feu qui engendre bien, s'y tenant de près et long-temps autant de chaleur vénéricque que le soleil d'esté. Comme aussi fait-il bon en la ruelle d'un lit sombre, que les yeux des autres personnes, cependant qu'elles sont près du feu à se chauffer, pénétrent fort mal-aisément, ou assises sur des coffres et lits à l'escart faisant aussi l'amour, ou les voyant se tenir près les unes des autres, et pensant que ce soit à cause du froid, et se tenir plus chaudement; cependant font de bonnes choses, les flambeaux à part bien loin reculez, ou sur la table, ou sur le buffet. De plus, qui est meilleur quand l'on est dans le lit? c'est tous les plaisirs du monde aux amants et amantes de s'entr'embrasser, de s'entreserrer et se baiser, s'entre-trousser l'un sur l'autre de peur de froid, non pour un peu, mais pour un long temps, et s'entre-eschauffer doucement, sans se sentir nullement du chaud démesuré que produit l'esté, et d'une sueur extrême, qui incommode grandement le déduit de l'amour; car, au lieu de s'entretenir au large et fort à l'escart: et qui est le meilleur, disent les dames, par l'advis des médecins, les hommes sont plus propres, ardants et déduits à cela l'hyver qu'en l'esté.

—J'ay cogneu d'autres fois une très-grande princesse, qui avoit un très-grand esprit et parloit et escrivoit des mieux. Elle se mit un jour à faire des stances à la louange et faveur de l'hyver, et sa propriété pour l'amour. Pensez qu'elle l'avoit trouvé pour elle très-favorable et traitable en cela. Elles estoient très-bien faites, et les ay tenues long-temps en mon cabinet, et voudrois avoir donné beaucoup et les tenir pour les insérer ici; l'on y verroit et remarqueroit-on les grandes vertus de l'hyver, propriétés et singularitez pour l'amour.

—J'ay cogueu une très-grande dame et des belles du monde, laquelle, veufve de frais, faisant semblant ne vouloir, pour son nouvel habit et estat, aller les après-soupers voir la Cour, ni le bal, ni le coucher de la Reine, et n'estre estimée trop mondaine, ne bougeoit de la chambre, laissoit aller ou renvoyoit un chacun ou une chacune à la danse, et son fils et tout, se retiroit en une ruelle; et là son amant, d'autres fois bien traité, aymé et favorisé d'elle estant en mariage, arrivoit, ou bien, ayant soupé avec elle, ne bougeoit, donnant le bonsoir à un sien beau-frère, qui estoit de grand garde, et là traitoit et renouvelloit ses amours anciennnes, et en pratiquoit de nouvelles pour secondes noces, qui furent accomplies en l'esté après. Ainsi que j'ay considéré depuis toutes ces circonstances, je croy que les autres saisons ne fussent esté si propres pour cet hyver, et comme je l'ay ouy dire à une de ses dariolettes. Or, pour faire fin, je dis et affirme que toutes saisons sont propres pour l'amour, quand elles sont prises à propos, et selon les caprices des hommes et des femmes qui les surprennent: car, tout ainsi que la guerre de Mars se fait en toutes saisons et tout temps, et qu'il donne ses victoires comme il luy plaît et comme aussi il trouve ses gens d'armes bien appareillés et encouragés de donner leur bataille, Vénus en fait de mesmes, selon qu'elle trouve ses troupes d'amants et d'amantes bien disposées au combat: et les saisons n'y font guères rien, ny leur acception ny élection n'y a pas grand lieu; non plus ne servent guères leurs simples, ny leur fruits, ny leurs drogues, ny drogueurs, ny quelque artifice que fassent ny les unes ny les autres, soit pour augmenter leur chaleur, soit pour la rafraischir. Car, pour le dernier exemple, je connois une grande dame à qui sa mère, dez son petit age, la voyant d'un sang chaud et bouillant qui la menoit un jour tout droit au chemin du bourdeau, luy fit user par l'espace de trente ans, ordinairement en tous ses repas, du jus de vinette, qu'on appelle en France ozeille, fust en ses viandes, fust en ses potages et avec bouillons, fust pour en boire de grandes escüelles à oreilles, sans autres choses entremeslées; bref, toutes ses sausses estoient jus de vinette. Elle eut beau faire tous ces mystères réfrigératifs, qu'enfin ç'a esté une très-grandissime et illustrissime putain, et qui n'avoit point besoin de ces pastés que j'ay dit pour luy donner de la chaleur, car elle en a assez; et si pourtant elle est aussi goulue à les manger que toute autre. Or je fais fin, bien que j'en eusse dit davantage et eusse rapporté davantage de raisons et exemples; mais il ne faut pas tant s'amuser à ronger un mesme os; et aussi que je donne la plume à un autre meilleur discoureur que moi, qui sçaura soustenir le party des unes et des autres raisons: me rapportant à un souhait et désir que fairoit une fois une honneste dame espagnole, qui souhaitoit et désiroit de devenir hyver, quand sa saison seroit, et son ami un feu, afin, quand elle viendroit s'eschauffer à luy par le grand froid qu'elle auroit, qu'il eust ce plaisir de la chauffer, et elle de prendre sa chaleur quand elle s'y chaufferoit, et de plus se présenter et se faire voir à luy souvent et à son aise, et se chauffant retroussée, escarquillée, et eslargie de cuisses et de jambes, pour participer à la vüe de ses beaux membres cachés sous son linge et habillements d'auparavant; aussi pour la reschauffer encore mieux et luy entretenir son autre feu du dedans et sa chaleur paillarde. Puis desiroit venir printemps, et son amy un jardin tout en fleurs, desquelles elle s'en ornast sa teste, sa belle gorge, son beau sein, voire s'y veautrant parmy elles son beau corps tout nud entre les draps. De mesmes après desiroit devenir esté, et par conséquent son amy une claire fontaine ou reluisant ruisseau, pour la recevoir en ses belles et fraisches eaux quand elle iroit s'y baigner et esgayer, et bien à plein se faire voir à luy, toucher, retoucher et manier tous ses membres beaux et lascifs. Et puis, pour la fin, desiroit pour son automne retourner en sa première forme et devenir femme et son mary homme, pour puis après tous deux avoir l'esprit le sens et la raison à contempler et rememorer tout le contentement passé, et vivre en ces belles imaginations et contemplations passées, et pour sçavoir et discourir entr'eux quelle saison leur avoit esté plus propre et delicieuse. Voilà comment ceste honneste dame départoit et compassoit les saisons; en quoy je me remets au jugement des mieux discourants, quelle des quatre en ces formes pouvoit estre à l'un et à l'autre plus douce et plus agréable.

—Maintenant à bon escient je me départs de ce discours. Qui en voudra sçavoir davantage et des diverses humeurs des cocus, qu'il fasse une recherche d'une vieille chanson qui fut faite à la Cour, il y a quinze ou seize ans, des cocus, dont le refrain est

Un cocu meine l'autre, et toujours sont en peine,
Un cocu l'autre meine.

Je prie toutes les honnestes dames qui liront dans ce chapitre aucuns contes, si par cas elles y passent dessus, me pardonner s'ils sont un peu gras en saupiquets, d'autant que je ne les eusse sceu plus modestement déguiser, veu la sauce qu'il leur faut; et diray bien plus, que j'en eusse allégué d'autres encore bien plus saugreneux et meilleurs, n'estoit que, ne les pouvant ombrager bien d'une belle modestie, j'eusse eu crainte d'offenser les honnestes dames qui prendront cette peine et me feront cet honneur de lire mes livres; et si vous diray de plus, que ces contes que j'ay faits icy ne sont point contes menus de villes ny villages, mais viennent de bons et hauts lieux; et si ce sont de viles et basses personnes, ne m'estant voulu mesler que de coucher les grands et hauts subjets, encore que j'aye le dire bas; et, en ne nommant rien, je ne pense pas scandaliser rien aussi.

Femmes, qui transformez vos marys en oiseaux,
Ne vous en lassez point, la forme en est très-belle;
Car si vous les laissez en leurs premières peaux,
Ils voudront vous tenir toujours en curatelle,
Et comme homme voudront user de leur puissance;
Au lieu qu'estants oiseaux ne vous feront d'offense.
 
AUTRE.
 
Ceux qui voudront blasmer les femmes amiables
Qui font secrètement leurs bons marys cornards,
Les blasment à grand tort et ne sont que bavards;
Car elles font l'aumosne et sont fort charitables
En gardant bien la loy à l'aumosne donner,
Ne faut en hypocrit la trompette sonner.

Vieille rime du jeu d'amours, que j'ay trouvée dans des vieux papiers.

Le jeu d'amours, ou jeunesse s'esbat,
A un tablier se peut comparer.
Sur un tablier les dames on abat,
Puis il convient le trictrac préparer.
Et en celui ne faut que se parer.
Plusieurs font Jean: n'est-ce pas jeu honneste,
Qui par nature un joüeur admoneste
Passer le temps de cœur joyeusement?
Mais en défaut de trouver la raye nette
Il s'en ensuit un grand jeu de torment.

Ce mot raye nette s'entend en deux façons: l'une, pour le jeu de la raye nette du trictrac; et l'autre, que, pour ne trouver la raye nette de la dame avec qui l'on s'esbat, on y gagne bonne vérole, de bon mal et du torment.

DISCOURS SECOND

Sur le sujet qui contente le plus en amour, ou le toucher, ou la veuë, ou la parole.

INTRODUCTION.

Voici une question en matière d'amours qui mériteroit un plus profond et meilleur discoureur que moy, sçavoir qui contente plus en la joüissance d'amour, ou le tact qui est l'attouchement, ou la parole, ou la veuë? M. Pasquier, très-grand personnage certes, en sa jurisprudence, qui est sa profession, comme en autres belles et humaines sciences, en fait un discours dans ses lettres qu'il nous a laissées par escrit; mais il a esté trop bref, et, pour estre si grand homme, il ne devoit tant là-dessus espargner sa belle parole comme il a fait; car, s'il l'eust voulue un peu eslargir et en dire bien au vray et au naturel ce qu'il en eust sceu dire, sa lettre qu'il en fait là-dessus en eust esté cent fois bien plus plaisante et agréable.

Il en fonde son discours principal sur quelques rimes anciennes du comte Thibault de Champagne, lesquelles je n'avois jamais vues, sinon ce petit fragment que ce M. Pasquier produit là; et trouve que ce bon et brave et ancien chevalier dit très-bien, non en si bons termes que nos gallants poëtes d'aujourd'hui, mais pourtant en très-bon sens et bonnes raisons; aussi avoit-il un très-beau et digne sujet pourquoy il disoit si bien, qui estoit la reyne Blanche de Castille, mère de saint Louis, de laquelle il fut aucunement espris, voire beaucoup, et l'avoit prise pour maistresse. Mais, pour cela, quel mal? et quel reproche pour cette reyne? encore qu'elle fust esté très-sage et vertueuse, pouvoit-elle engarder le monde de l'aymer et brusler au feu de sa beauté et de ses vertus, puisque c'est le propre de la vertu et d'une perfection que de se faire aymer? Le tout est de ne se laisser aller à la volonté de celuy qui ayme.

Voylà pourquoy il ne faut trouver estrange ny blasmer cette reyne si elle fut tant aimée, et que, durant son regne et son autorité, il y ait eu en France des divisions, séditions et querelles: car, comme j'ay ouy dire à un très-grand personnage, les divisions s'esmeuvent autant pour l'amour que pour les brigues de l'Estat; et, du temps de nos pères, il se disoit un proverbe ancien que tout le monde voloit du c.. de la reine folle.

Je ne sçay pour quelle reyne ce proverbe se fit, comme possible, fit ce comte Thibault, qui, possible, ou pour n'estre bien traité d'elle comme il vouloit, ou qu'il en fust desdaigné, ou un autre mieux aimé que luy, conceut en soy ces dépits qui le précipitèrent et firent perdre en ces guerres et tumultes, ainsi qu'il arrive souvent quand une belle ou grande reyne ou dame, ou princesse, se met à régir un Estat: un chacun désire la servir, honorer et respecter, autant pour avoir l'heur d'estre bien venu d'elle et estre en ses bonnes graces, comme de se vanter de régir et gouverner l'Estat avec elle et en tirer du profit. J'en alléguerois quelques exemples, mais je m'en passeray bien.

Tant y a, que ce comte Thibault prit sur ce beau sujet, que je viens de dire, à bien escrire, et possible à faire cette demande que nous représente M. Pasquier, auquel je renvoye le lecteur curieux, sans en toucher icy aucunes rimes; car ce ne seroit qu'une superflüité. Maintenant, il me suffira d'en dire ce qu'il m'en semble tant de moy que de l'avis des plus gallants que moy.


ARTICLE PREMIER.

De l'attouchement en amour

Or, quant à l'attouchement, certainement il faut avouer qu'il est très délectable, d'autant que la perfection de l'amour c'est de joüir, et ce joüir ne se peut faire sans l'attouchement; car, tout ainsi que la faim et la soif ne se peut soulager et appaiser, sinon par le manger et le boire, aussi l'amour ne se passe ny par l'ouye ny par la veuë, mais par le toucher, l'embrasser et par l'usage de Vénus: à quoi le badin fat Diogène cynique rencontra badinement, mais salaudement pourtant, quand il souhaitoit qu'il peust abattre sa faim en se frottant le ventre, tout ainsi qu'en se frottant la verge il passoit sa rage d'amour. J'eusse voulu mettre cecy en paroles plus nettes, il le faut passer fort légèrement; ou bien comme fit cet amoureux de Lamia, qui, ayant esté par trop excessivement rançonné d'elle pour joüir de son amour, n'y put ou n'y voulut entendre; et, pour ce, s'advisa, songeant en elle, se corrompre, se polluer, et passer son envie en son imagination: ce qu'elle ayant sceu, le fit convenir devant le juge qu'il eust à l'en satisfaire et la payer, lequel ordonna qu'au son et tintement de l'argent qu'il lui monstreroit, elle seroit payée, et en passeroit ainsi son envie, de mesme que l'autre par songe et imagination, avoit passé la sienne.

Il est bien vray que l'on m'alléguera force especes de Vénus que les anciens philosophes deguisent; mais de ce, je m'en rapporte à eux et aux plus subtils qui en voudront discourir. Tant y a, puisque le fruit de l'amour mondain n'est autre chose que la joüissance, il ne faut point la penser bien avoir, qu'en touchant et embrassant. Si est-ce que plusieurs ont bien eu opinion que ce plaisir estoit fort maigre sans la veuë et la parole; et de ce nous en avons un bel exemple dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, de cet honneste gentilhomme, lequel, ayant joüy plusieurs fois de cette honneste dame de nuict, bouchée avec son touret de nez (car les masques n'estoient encore en usage), en une galerie sombre et obscure, encore qu'il cogneust bien au toucher qu'il n'y avoit rien que de bon, friant et exquis, ne se contenta point de telle faveur, mais voulut savoir à qui il avoit à faire: par quoy, en l'embrassant et la tenant un jour, il la marqua d'une craye au derrière de sa robe, qui estoit de velours noir; et puis le soir après souper (car leurs assignations estoient à certaine heure assignée), ainsi que les dames entroient dans la salle du bal, il se mit derrière la porte; et, les espiant attentivement passer, il vient à voir entrer la sienne marquée sur l'espaule, qu'il n'eust jamais pensé, car, en ses façons, contenances et paroles, on l'eust prise pour la Sapience de Salomon, et telle que la Reyne la descrit. Qui fust esbahy, ce fut ce gentilhomme, pour sa fortune assise sur une femme qui n'eust jamais creu moins d'elle que de toutes les dames de la Cour; vray est qu'il voulut passer plus outre, et ne s'arrester là, car il luy voulut le tout descouvrir, et sçavoir d'elle pourquoy elle se cachoit ainsi de luy, et se faisoit ainsi servir à couvert et cachettes; mais elle, très-bien rusée, nia et renia tout, jusques à sa part de paradis et la damnation de son ame, comme est la coustume des dames, quand on leur va objecter des choses de leur cas qu'elles ne veulent qu'on les sache, encore qu'on en soit bien certain et qu'elles soient très-vrayes. Elle s'en dépita; et par ainsi ce gentilhomme perdit sa bonne fortune. Bonne, certes, elle estoit; car la dame estoit grande et valoit le faire, et, qui plus est, parce qu'elle faisoit de la sucrée, de la chaste, de la prude, de la feinte; en cela il pouvoit avoir double plaisir: l'un pour cette joüissance si douce, si bonne, si délicate; et le second, à la contempler souvent devant le monde en sa mixte cointe mine, froide et modeste, et sa parole toute chaste, rigoureuse et rechignarde, songeant en soy son geste lascif, folastre maniement et paillardise, quand ils estoient ensemble. Voilà pourquoy ce gentilhomme eut grand tort de luy en avoir parlé, mais devoit tousjours continuer ses coups et manger sa viande, aussi bien sans chandelle qu'avec tous les flambeaux de sa chambre. Bien devoit-il sçavoir qui elle estoit, et en faut loüer sa curiosité, d'autant que, comme dit le conte, il avoit peur avoir à faire avec quelque espèce de diable; car volontiers ces diables se transforment et prennent la forme des femmes pour habiter avec les hommes, et les trompent ainsi; auxquels pourtant, à ce que j'ay ouy dire à aucuns magiciens subtils, est plus aisé de s'accommoder de la forme et visage de femme, que non pas de la parole. Voilà pourquoy ce gentilhomme avoit raison de la vouloir voir et cognoistre; et, à ce qu'il disoit luy-même, l'abstinence de la parole lui faisoit plus d'appréhension que la veuë, et le mettoit en resverie de monsieur le diable; dont en cela il monstra qu'il craignoit Dieu. Mais, après avoir le tout descouvert, il ne devoit rien dire. Mais quoy! ce dira quelqu'un, l'amitié et l'amour n'est point bien parfaite, si on ne la déclare et du cœur et de la bouche; et pour ce, ce gentilhomme la luy vouloit faire bien entendre; mais il n'y gagna rien, car il y perdit tout. Aussi, qui eust cogneu l'humeur de ce gentilhomme, il sera pour excusé, car il n'estoit si froid ny discret pour joüer ce jeu, et se masquer d'une telle discrétion; et, à ce que j'ay ouy dire à ma mère, qui estoit à la Reyne de Navarre, et qui en sçavoit quelques secrets de ses Nouvelles, et qu'elle en estoit l'une des devisantes, c'estoit feu mon oncle de La Chastaigneraye, qui estoit brusq, prompt et un peu volage. Le conte est déguisé pourtant pour le cacher mieux, car mon dict oncle ne fut jamais au service de la grand princesse, maistresse de cette dame, ouy bien du roy son frère: et si n'en fut autre chose, car il estoit fort aymé et du Roy et de la princesse. La dame, je ne la nommeray point, mais elle estoit veufve et dame d'honneur d'une très-grande princesse, et qui sçavoit faire la mine de prude plus que dame de la Cour.

—J'ay ouy conter d'une dame de la cour de nos derniers roys, que je cognois, laquelle, estant amoureuse d'un fort honneste gentilhomme de la Cour, vouloit imiter la façon d'amour de cette dame précédente: mais autant de fois qu'elle venoit de son assignation et de son rendez-vous, elle s'en alloit à sa chambre, et se faisoit regarder de tous costez à une de ses filles ou femmes de chambre si elle n'estoit point marquée; et, par ce moyen, se garda d'estre méprise et reconnue. Aussi ne fut-elle jamais marquée qu'à la neufiesme assignation, que la marque fut aussitost descouverte et recogneue de ses femmes; et pour ce, de peur d'estre scandalisée, et tomber en opprobre, elle brisa là, et oncques puis ne retourna à l'assignation. Il eust mieux valu, ce dit quelqu'un, qu'elle luy eust laissé faire ses marques tant qu'il eust voulu, et autant de faites les deffaire et effacer; et pour ce eust eu double plaisir, l'un de ce contentement amoureux, et l'autre de se mocquer de son homme, qui travailloit tant à cette pierre philosophale pour la descouvrir et cognoistre, et n'y pouvoit jamais parvenir.

—J'en ay ouy conter d'un autre du temps du roy François, de ce beau escuyer Gruffy, qui estoit un escuyer de l'escurie du dit roy, et mourut à Naples au voyage de M. de Lautrec, et d'une très-grande dame de la Cour, dont en devint très-amoureuse: aussi estoit-il très-beau et ne l'appeloit-on ordinairement que le beau Gruffy, dont j'en ay veu le pourtrait qui le monstre tel. Elle attira un jour un sien vallet-de-chambre en qui elle se fioit, pourtant incogneu et non veu, en sa chambre, qui luy vint dire un jour, luy bien habillé, qu'il sentoit son gentilhomme, qu'une très-honneste et belle dame se recommandoit à luy, et qu'elle en estoit si amoureuse qu'elle en désiroit fort l'accointance plus que d'homme de la Cour, mais par tel si, qu'elle ne vouloit, pour tout le bien du monde, qu'il la vist ni la connust; mais qu'à l'heure du coucher, et qu'un chacun de la Cour seroit retiré, il le viendroit quérir et prendre en un certain lieu qu'il lui diroit, et de là il le meneroit coucher avec cette dame; mais par telle pache aussi, qu'il luy vouloit bouscher les yeux avec un beau mouchoir blanc, comme un trompette qu'on meine en ville ennemie, afin qu'il ne peust voir ny recognoistre le lieu ny la chambre là où il le meneroit, et le tiendroit tousjours par les mains afin de ne deffaire ledit mouchoir; car ainsi luy avoit commandé sa maistresse luy proposer ces conditions, pour ne vouloir estre connue de luy jusques à quelque temps certain et préfix qu'il luy dit, et lui promit; et pour ce qu'il y pensast et advisast bien s'il y vouloit venir à cette condition, afin qu'il luy sceut dire lendemain sa response; car il le viendroit quérir et prendre en un lieu qu'il luy dit, et surtout qu'il fust seul, et il le meneroit en une part si bonne, qu'il ne s'en repentiroit point d'y estre allé. Voilà une plaisante assignation et composée d'une estrange condition. J'aimerois autant celle-là d'une dame espagnole, qui manda à un une assignation, mais qu'il portast avec lui trois S. S. S., qui estoient à dire: sabio, solo, segreto; sage, seul, secret: l'autre luy manda qu'il iroit, mais qu'elle se garnist et fournist de trois F. F. F., qui sont qu'elle ne fust fea, flaca n'y fria; qui ne fust n'y laide, flaque n'y froide. Attant, le messager se départit d'avec Gruffy. Qui fut en peine et en songe, ce fut luy, ayant grand sujet de penser que ce fust quelque partie jouée de quelque ennemy de Cour, pour luy donner quelque venue, ou de mort ou de charité envers le Roy. Songeoit aussi quelle dame pouvoit-elle estre, ou grande, ou moyenne, ou petite, ou belle, ou laide, qui plus luy faschoit (encore que tous chats sont gris la nuict, ce dit-on, et tous c... sont c... sans clarté). Par-quoy, après en avoir conféré à un de ses compagnons les plus privez, il se résolut de tenter la risque, et que pour l'amour d'une grande, qu'il présumoit bien estre, il ne falloit rien craindre et appréhender. Par-quoy, le lendemain que le Roy, les Reynes, les dames et tous et toutes de la Cour se furent retirez pour se coucher, ne faillit de se trouver au lieu que le messager lui avoit assigné, qui ne faillit aussi-tost l'y venir trouver avec un second, pour luy aider à faire le guet si l'autre n'estoit point suivy de page ni de laquais, ny vallet, ny gentilhomme. Aussi-tost qu'il le vit, luy dit seulement: «Allons, monsieur, madame vous attend.» Soudain il le banda, et le mena par lieux obscurs, estroits, et traverses incogneues, de telle façon que l'autre luy dit franchement qu'il ne sçavoit là où il le menoit; puis il entra dans la chambre de la dame, qui estoit si sombre et si obscure qu'il ne pouvoit rien voir ni cognoistre, non plus que dans un four. Bien la trouva-t-il sentant à bon, et très-bien parfumée, qui luy fit esperer quelque chose de bon; parquoy le fit deshabiller aussi-tost, et luy-même le deshabilla, et après le mena par la main, luy ayant osté le mouchoir, au lict de la dame qui l'attendoit en bonne dévotion, et se mit auprès d'elle à la taster, l'embrasser, la carresser, où il n'y trouva rien que très-bon et exquis, tant à sa peau qu'à son linge et lict très-superbe, qu'il tastonnoit avec les mains; et ainsi passa joyeusement la nuict avec cette belle dame, que j'ay bien ouy nommer. Pour fin, tout lui contenta en toutes façons, et cogneut bien qu'il estoit très-bien hébergé pour cette nuict; mais rien ne lui faschoit, disoit-il, si-non que jamais il n'en sceut tirer aucune parole. Elle n'avoit garde, car il parloit assez souvent à elle le jour comme aux autres dames, et, pour ce, l'eust cogneue aussitost. De folatries, de mignardises, de carresses, d'attouchements et de toute autre sorte de démonstrations d'amour et paillardises, elle n'y espargnoit aucune: tant y a qu'il se trouva bien. Le lendemain, à la pointe du jour, le messager ne faillit de venir esveiller, et le lever et habiller, le bander et le retourner au lieu où il l'avoit pris, et recommander à Dieu jusques au retour, qui seroit bien-tost; et ne fut sans lui demander s'il luy avoit menty, et s'il se trouvoit bien de l'avoir creu, et ce qu'il luy en sembloit de luy avoir servi de fourrier, et s'il luy avoit donné bon logement. Le beau Gruffy, après l'avoir remercié cent fois, luy dit adieu, et qu'il seroit tousjours prest de retourner pour si bon marché, et revoler quand il voudroit; ce qu'il fit, et la feste en dura un bon mois, au bout duquel fallut à Gruffy partir pour son voyage de Naples, qui prit congé de sa dame et luy dit adieu à grand regret, sans en tirer d'elle un seul parler aucunement de sa bouche, sinon soupirs et larmes qu'il lui sentoit couler des yeux. Tant y a qu'il partit d'avec elle sans la cognoistre nullement ny s'en appercevoir. Depuis on dit que cette dame pratiqua cette vie avec deux ou trois autres de cette façon, se donnant ainsi du bon temps: et disoit-on qu'elle s'accommodoit de cette astuce, d'autant qu'elle estoit fort avare, et par ainsi elle espargnoit le sien et n'estoit sujette à faire présents à ses serviteurs; car enfin, toute grande dame pour son honneur doit donner, soit peu ou prou, soit argent, soit bagues ou joyaux, ou soyent riches faveurs: par ainsi la gallante se donnoit joye à son c.., et espargnoit sa bourse, en ne se manifestant seulement quelle estoit; et pour ce, ne se pouvoit estre reprise de ses deux bourses, ne se faisant jamais cognoistre. Voilà une terrible humeur de grand dame. Aucuns ne trouveront la façon bonne, autres la blasmeront, autres la tiendront pour très-excorte, aucuns l'estimeront bonne mesnagere; mais je m'en rapporte à ceux qui en discourront mieux que moy: si est-ce que cette dame ne peut encourir tel blasme que cette reyne qui se tenoit à l'hostel de Nesle à Paris, laquelle, faisant le guet aux passants, et ceux qui lui revenoyent et agréoient le plus, de quelques sortes de gens que ce fussent, les faisoit appeler et venir à soy; et, après en avoir tiré ce qu'elle en vouloit, les faisoit précipiter du haut de la tour, qui paroist encores, en bas en l'eau, et les faisoit noyer[55]. Je ne puis dire que cela soit vray; mais le vulgaire, au moins la pluspart de Paris, l'affirme; et n'y a si commun, qu'en luy monstrant la tour seulement, et en l'interrogeant, que de luy-mesme ne le die.

Laissons ces amours, qui sont plustost des avortons que des amours, lesquelles plusieurs de nos dames d'aujourd'hui abhorrent, comme elles en ont raison, voulant communiquer avec leurs serviteurs, et non comme avec rochers ou marbres: mais après les avoir bien choisis, se sçavent bravement et gentiment faire servir et aimer d'eux. Et puis, en ayant cogneu leurs fidélitez et loyale persévérance, se prostituent avec eux par une fervente amour, et se donnent du plaisir avec eux, non en masques, ny en silence, ny muettes, ny parmi les nuicts et ténèbres, mais en beau plein jour se font voir, taster, toucher, embrasser, les entretiennent de beaux et lascifs discours, de mots folastres et paroles lubriques: quelques fois pourtant s'aident de masques, car il y a plusieurs dames qui quelques fois sont contraintes d'en prendre en le faisant, si c'est au hasle qu'elles le facent, de peur de se gaster le teint ou ailleurs, afin que, si elles s'échauffent par trop, et si sont surprises, qu'on ne cognoisse leur rougeur ny leur contenance estonnée, comme j'en ay veu: et le masque cache tout, et ainsi trompent le monde.


ARTICLE II.

De la parole en amour.

J'ay ouy dire à plusieurs dames et cavalliers qui ont mené l'amour, que, sans la veüe et la parole, elles aymeroient autant ressembler les bestes brutes, lesquelles, par un appétit naturel et sensuel, n'ont autres soucy ne amitié que de passer leur rage et chaleur. Aussi ay-je ouy dire à plusieurs seigneurs et gallants gentilshommes qui ont couché avec de grandes dames, ils les ont trouvées cent fois plus lascives et débordées en paroles, que les femmes communes et autres. Elles le peuvent faire à finesse, d'autant qu'il est impossible à l'homme, tant vigoureux soit-il, de tirer au collier et labourer tousjours; mais, quand il vient à la pose et au relasche, il trouve si bon et si appétissant quand sa dame l'entretient de propos lascifs et mots folastrement prononcés, que, quand Vénus seroit la plus endormie du monde, soudain elle est esveillée; mesmes que plusieurs dames, entretenant leurs amants devant le monde, fust aux chambres des reynes et princesses et ailleurs, les pipoient, car elles leur disoient des paroles si lascives et si friandes qu'elles et eux se corrompoient comme dedans un lict: nous, les arregardans, pensions qu'elles tinssent autres propos. C'est pourquoy Marc Antoine aima tant Cléopatre et la préféra à sa femme Octavia, qui estoit cent fois plus aimable et belle que la Cléopatre; mais cette Cléopatre avoit la parole si affettée, et le mot si à propos, avec ses façons et graces lascives, qu'Antoine oublia tout pour son amour. Plutarque nous en fait foy sur aucuns brocards ou sobriquets qu'elle disoit si gentiment, que Marc Antoine, la voulant imiter, ne ressembloit à ses devis (encore qu'il voulust faire du gallant) qu'un soldat et gros gendarme, au prix d'elle et de sa belle frase de parler. Pline fait un conte d'elle que je trouve fort beau, et, par ce, je le répéteray ici un peu. C'est qu'un jour, ainsi qu'elle estoit en ses plus gaillardes humeurs, et qu'elle s'estoit habillée à l'advenant et à l'advantage, et surtout de la teste d'une guirlande de diverses fleurs convenante à toute paillardise, ainsi qu'ils estoient à table, et que Marc Antoine voulut boire, elle l'amusa de quelque gentil discours, et cependant qu'elle parloit, à mesure elle arrachoit de ses belles fleurs de sa guirlande, qui néantmoins estoient toutes semées de poudre empoisonnée, et les jettoit peu à peu dans la coupe que tenoit Marc Antoine pour boire; et ayant achevé son discours, ainsi que Marc Antoine voulut porter la coupe au bec pour boire, Cléopatre luy arreste tout court la main, et ayant aposté un esclave ou criminel qui estoit là près, le fit venir à luy, et lui fit donner à boire ce que Marc Antoine alloit avaler, dont soudain il en mourut; et puis, se tournant vers Marc Antoine, lui dit: «Si je ne vous aimois comme je fais, je me fusse maintenant défaite de vous, et eusse fait le coup volontiers, sans que je vois bien que ma vie ne peut estre sans la vostre.» Cette invention et cette parole pouvoient bien confirmer Marc Antoine en son amitié, voire le faire croupir davantage aux costez de sa charnure. Voilà comment servit l'éloquence à Cléopatre, que les histoires nous ont escrite très-bien disante: aussi ne l'appeloit-il que simplement la Reyne, pour plus grand honneur, ainsi qu'il escrit à Octave César, avant qu'ils fussent déclarés ennemys. «Qui t'a changé, dit-il, pour ce que j'embrasse la Reyne? elle est ma femme. Ay-je commencé dès ast heure? Tu embrasses Drusille, Tortale, Leontile, ou Rufile, ou Salure Litiseme, ou toutes: que t'en chaut-il sur quelle tu donnes, quand l'envie t'en prend?» Par là Marc Antoine louoit sa constance et blasmoit la variété de l'autre d'en aimer tant au coup, et luy n'aimoit que sa Reyne, dont je m'estonne qu'Octave ne l'aima après la mort de Marc Antoine. Il se peut faire qu'il la vit quand il la vit et la fit venir seule en sa chambre, et qu'elle l'harangua: possible qu'il n'y trouva pas ce qu'il pensoit, ou la meprisa pour quelque autre raison, et en voulut faire son triomphe à Rome et la monstrer en parade; à quoi elle remédia par sa mort advancée.

Certes, pour retourner à notre dire premier, quand une dame se veut mettre sur l'amour, ou qu'elle y est une fois bien engagée, il n'y a orateur au monde qui die mieux qu'elle. Voyez comme Sophonisba nous a esté descrite de Tite Live, d'Appian et d'autres, si bien disante à l'endroit de Massinissa, lorsqu'elle vint à luy pour l'aimer, gaigner et réclamer, et après quand il lui fallut avaller le poison. Bref, toute dame, pour estre bien aimée, doit bien parler, et volontiers on en voit peu qui ne parlent bien et n'ayent des mots pour esmouvoir le ciel et la terre, et fust-elle glacée en plein hyver. Celles surtout qui se mettent à l'amour, et si elles ne savent rien dire, elles sont si dessavourées, que le morceau qu'elles vous donnent n'a ny goust ny saveur: et quand M. du Bellay, parlant de sa courtisanne et déclarant ses mœurs, dit qu'elle estoit sage au parler et folastre à la couche[56], cela s'entend en parlant devant le monde et entretenant l'un et l'autre; mais lorsque l'on est à part avec son amy, toute gallante dame veut estre libre en sa parole et dire ce qu'il luy plaist, afin de tant plus esmouvoir Vénus.

J'ay ouy faire des contes à plusieurs qui ont joüi de belles et grandes dames, ou qui ont esté curieux de les escouter parlant avec d'autres dedans le lict, qu'elles estoient aussi libres et folles en leur parler que courtisannes qu'on eust sceu connoistre: et qui est un cas admirable, est que, pour estre ainsi accoustumées à entretenir leurs marys, ou leurs amys, de mots, propos et discours sallaux et lascifs, mesmes nommer tout librement ce qu'elles portent au fond du sac sans farder, et pourtant, quand elles sont en leurs discours, jamais ne s'extravaguent, ni aucun de ces mots sallaux leur vient à la bouche: il faut bien dire qu'elles se savent bien commander et dissimuler; car il n'y a rien qui frétille tant que la langue d'une dame ou fille de joie. Sy ay-je cogneu une très-belle et honneste dame de par le monde, qui, devisant avec un honneste gentilhomme de la Cour des affaires de la guerre durant ces civiles, elle lui dit: «J'ay ouy dire que le Roy à fait rompre tous les c... de ce pays-là.» Elle vouloit dire les ponts. Pensez que, venant de coucher d'avec son mary, ou songeant à son amant, elle avoit encore ce nom frais en la bouche: et le gentilhomme s'en eschauffa en amours d'elle pour ce mot.

—Une autre dame que j'ai cogneue, entretenant une autre grand dame plus qu'elle, et luy louant et exaltant ses beautez, elle lui dit après: «Non, madame, ce que je vous en dis, ce n'est point pour vous adultérer;» voulant dire adulater, comme elle le rhabilla ainsi: pensez qu'elle songeoit à l'adultère et à adultérer. Bref, la parole en jeu d'amours a une très-grande efficace; et où elle manque le plaisir en est imparfait: aussi, à la vérité, si un beau corps n'a une belle ame, il ressemble mieux son idole qu'un corps humain; et s'il se veut faire bien aimer, tant beau soit-il, il faut qu'il se fasse seconder d'une belle ame: que s'il ne l'a de nature, il la faut façonner par art.

—Les courtisannes de Rome se moquent fort des gentilles dames de Rome, lesquelles ne sont apprises à la parole comme elles; et disent que chiavano come cani, ma che sono quiete della bocca como sassi[57].

Et voilà pourquoy j'ai cogneu beaucoup d'honnestes gentilshommes qui ont refusé l'accointance de plusieurs dames, je vous dis très-belles, parce qu'elles estoient idiotes, sans ame, sans esprit et sans parole, et les ont quittées tout à plat: et disoient qu'ils aimoient autant avoir à faire avec une belle statue de quelque beau marbre blanc, comme celuy qui en aima une à Athenes jusques à en joüir.

Et pour ce, les estrangers qui vont par pays ne se mettent à guières aymer les femmes estrangères, ny volontiers s'en caprichent pour elles, d'autant qu'ils ne s'entendent point, ny leur parole ne leur touche aucunement au cœur; j'entends ceux qui n'entendent leur langage: et s'ils s'accostent d'elles, ce n'est que pour contenter autant nature, et esteindre le feu naturel bestialement, et puis andar in barca[58]; comme dist un Italien un jour desembarqué à Marseille, allant en Espagne, et demandant où il y avoit des femmes. On luy monstre un lieu où se faisoit le bal de quelques nopces. Ainsi qu'une dame le vint accoster et arraisonner, il lui dit: V. S. mi perdonna, non voglio parlare, voglio solamente chiavare, e poi me n'andar in barca[59].

Le François ne prend grand plaisir avec une Allemande, une Suisse, une Flamande, une Angloise, Écossoise, une Esclavonne ou autre estrangère, encore qu'elle babillast le mieux du monde, s'il ne l'entend; mais il se plaist grandement avec sa dame françoise ou avec l'Italienne ou l'Espagnolle, car coustumièrement, la plus part des François aujourd'hui, au moins ceux qui ont veu un peu, sçavent parler ou entendent ce langage; et Dieu sait s'il est affetté et propre pour l'amour? Car quiconque aura à faire avec une dame françoise, italienne, espagnolle ou grecque, et qu'elle soit diserte, qu'il die hardiment qu'il est pris et vaincu.

D'autres fois nostre langue françoise n'a esté si belle ny si enrichie comme elle l'est aujourd'hui; mais il y a long-temps que l'italienne, l'espagnolle et la grecque le sont: et volontiers n'ay-je guieres veu dame de cette langue, si elle a pratiqué tant soit peu le mestier de l'amour, qui ne sache très-bien dire. Je m'en rapporte à ceux qui ont traitté celles-là.

Tant y a qu'une belle dame et remplie de belle parole contente doublement.


ARTICLE III.

De la veuë en amour.

Parlons maintenant de la veuë. Certainement, puisque les yeux sont les premiers qui attaquent le combat de l'amour, il faut advouer qu'ils donnent un très-grand contentement quand ils nous font voir quelque chose de rare en beauté.

Hé, quelle est la chose au monde que l'on puisse voir plus belle qu'une belle femme, soit habillée ou bien parée, ou nue entre deux draps? Pour l'habillée, vous n'en voyez que le visage à nud; mais aussi, quand un beau corps, orné d'une riche et belle taille, d'un port et d'une grace, d'une apparence et superbe majesté, à nous se présente à plein, quelle plus belle monstre et agréable veuë peut-il estre au monde? Et puis, quand vous en venez à joüir tout ainsi couverte et superbement habillée, la convoitise et joüissance en redoublent, encore que l'on ne voye que le seul visage de tout le reste des autres parties du corps: car malaisément peut-on joüir d'une grande dame selon toutes les commoditez que l'on désireroit bien, si ce n'estoit dans une chambre bien à loisir et lieu secret, ou dans un lict bien à plaisir; car elle est tant éclairée.

Et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler, quand elle rencontroit son serviteur à propos, et hors de veuë et descouverte, elle prenoit l'occasion tout aussi-tost, pour s'en contenter le plus promptement et briefvement qu'elle pouvoit, en lui disant un jour: «C'estoient les sottes, le temps passé, qui, par trop se voulant délicater en leurs amours et plaisirs, se renfermoient, ou en leurs cabinets, ou autres lieux couverts, et là faisoient tant durer leurs jeux et esbats, qu'aussi-tost elles estoient descouvertes et divulguées. Aujourd'huy, il faut prendre le temps, et le plus bref que l'on pourra, et, aussi-tost assailly, aussi-tost investy et achevé; et par ainsi nous ne pouvons estre scandalisées.» Je trouve que cette dame avoit raison; car ceux qui se sont meslez de cet estat d'amour, ils ont toujours tenu cette maxime, qu'il n'y a que le coup en robbe.

Aussi, quand l'on songe que l'on brave, l'on foule, presse et gourmande, abat et porte par terre les draps d'or, les toiles d'argent, les clinquants, les estoffes de soye, avec des perles et pierreries, l'ardeur, le contentement, s'en augmentent bien davantage, et certes, plus qu'en une bergere ou autre femme de pareille qualité, quelque belle qu'elle soit.

Et pourquoy jadis Vénus fut trouvée si belle et tant désirée, sinon qu'avec sa beauté elle estoit toujours gentiment habillée, et ordinairement parfumée, qu'elle sentoit toujours bon de cent pas loin? Aussi tenoit-on que les parfums animent fort à l'amour.

Voilà pourquoy les empérieres et grandes dames de Rome s'en accommodoient bien fort, comme font aussi nos grandes dames de France, et sur-tout aussi celles d'Espagne et d'Italie, qui, de tout temps, en sont esté plus curieuses et exquises que les nostres, tant en parfums qu'en parures de superbes habits, desquelles nos dames en ont pris depuis les patrons et belles inventions; aussi les autres les avoient apprises des médailles et statues antiques de ces dames romaines, que l'on voit encor parmy plusieurs antiquitez qui sont encore en Espagne et en Italie; lesquelles, qui les contemplera bien, trouvera leurs coiffures et leurs habits en perfection, et très-propres à se faire aimer. Mais aujourd'huy, nos dames françoises surpassent tout: à la reyne de Navarre elles en doivent ce grand-mercy.

Voilà pourquoy il fait bon et beau d'avoir à faire à ces belles dames si bien en poinct, si richement et pompeusement parées.

De sorte que j'ay ouy dire à aucuns courtisans, mes compagnons, ainsi que nous devisions ensemble, qu'ils les aimoient mieux ainsi que desacoustrées et couchées nues entre deux linceux, et dans un lict le plus enrichy de broderies que l'on sceut faire.

D'autres disoient, qu'il n'y avoit que le naturel, sans aucun fard ny artifice, comme un grand prince que je sçay, lequel pourtant faisoit coucher ses courtisannes ou dames dans des draps de taffetas noir[60] bien tendus, toutes nues, afin que leur blancheur et délicatesse de chair parust bien mieux parmy ce noir, et donnast plus d'esbat.

Il ne faut douter vrayment que la veuë ne soit plus agréable que toutes celles du monde d'une belle femme toute parfaite en beauté; mais mal-aisément se trouve-t-elle.

Aussi on trouve par escrit que Zeuxis, cet excellent peintre, ayant este prié, par quelques honnestes dames et filles de sa connoissance, de leur donner le pourtrait de la belle Helaine et la leur représenter si belle comme l'on disoit qu'elle avoit esté, il ne leur en voulut point refuser; mais, avant qu'en faire le pourtrait, il les contempla toutes fixement, et en prenant de l'une et de l'autre ce qu'il y put trouver de plus beau, il en fit le tableau comme de belles pièces rapportées, et en représenta par icelles Helaine si belle, qu'il n'y avoit rien à dire, et qui fut tant admirable à toutes, mais, Dieu mercy, à elles, qui y avoient bien tant aidé par leurs beautez et parcelles, comme Zeuxis avoit fait par son pinceau. Cela vouloit dire, que de trouver sur Helaine toutes les perfections de beauté il n'estoit pas possible, encore qu'elle ait esté en extrémité très-belle.

En cas qu'il ne soit vrai, l'Espagnol dit que pour rendre une femme toute parfaite et absolue en beauté, il lui faut trente beaux sis[61], qu'une dame espagnolle me dit une fois dans Tolede, là où il y en a de très-belles, bien gentilles et bien apprises. Les trente donc sont telles:

Tres cosas blancas: el cuero, los dientes, y las manos.
Tres negras: los ojos, las cejas, y las pestannas.
Tres coloradas: los labios, las mexillas, y las unnas.
Tres longas: el cuerpo, los cabellos, y las manos.
Tres cortas: los dientes, las orejas, y los pies.
Tres anchas: los pechos, la frente, y el entrejeco.
Tres estrechas: la boca, l'una y otra, la cinta, y l'entrada del pie.
Tres gruessas: el braço, el muslo, y la paniorilla.
Tres delgaldas: los dedos, los cabellos, y los labios.
Tres pequennas: las tetas, la naris, y la cabeça.

Qui sont en françois, afin qu on l'entende:

Trois choses blanches: la peau, les dents et les mains.
Trois noires: les yeux, les sourcils et les paupières.
Trois rouges: les lèvres, les joues et les ongles.
Trois longues: le corps, les cheveux et les mains.
Trois courtes: les dents, les oreilles et les pieds.
Trois larges: la poitrine ou le sein, le front et l'entre-sourcil.
Trois estroites: la bouche, l'une et l'autre,  la ceinture ou la taille, et l'entrée du pied.
Trois grosses: le bras, la cuisse et le gros de la jambe.
Trois déliées: les doigts, les cheveux et les lèvres.
Trois petites: les tetins, le nez et la teste.
Sont trente en tout.

Il n'est pas inconvénient, et se peut que tous ces sis en une dame peuvent estre tous ensemble; mais il faut qu'elle soit faite au moule de la perfection; car de les voir tous assemblez sans qu'il y en ait quelqu'un à redire et qu'il ne soit en défaut, il n'est possible.

Je m'en rapporte à ceux qui ont veu de belles femmes, ou en verront, et qui voudront estre soigneux de les contempler et essayer ce qu'ils en sauront dire. Mais pourtant, encore qu'elles ne soient accomplies ny embellies de tous ces poincts, une belle femme sera tousjours belle, mais qu'elle en aye la moitié et en aye les points principaux que je viens de dire: car j'en ay veu force qui en avoient à dire plus de la moitié, qui estoient très-belles et fort aimables; ny plus ny moins qu'un bocage est trouvé tousjours beau en printemps, encore qu'il ne soit remply de tant de petits arbrisseaux qu'on voudroit bien; mais que les beaux et grands arbres touffus paroissent, c'est assez de ces grands qui peuvent estouffer la deffectuosité des autres petits.

M. de Ronsard me pardonne, s'il lui plaist; jamais sa maistresse, qu'il a faite si belle, ne parvint à cette beauté, ny quelqu'autre dame qu'il ait veue de son temps ou en ait escrit: et fust sa belle Cassandre qui je sçay bien qu'elle a esté belle, mais il l'a déguisée d'un faux nom: ou bien sa Marie, qui n'a jamais autre nom porté que celuy-là, quant à celle-là; mais il est permis aux poëtes et peintres dire et faire ce qu'il leur plaist, ainsi que vous avez dans Roland le furieux de très-belles beautez, descrites par l'Arioste, d'Alcine et autres.

Tout cela est bon; mais, comme je tiens d'un très-grand personnage, jamais nature ne sçauroit faire une femme si parfaite comme une ame vive et subtile de quelque bien-disant, ou le crayon et pinceau de quelque divin peintre la nous pourroient représenter. Baste, les yeux humains se contentent toujours de voir une belle femme de visage beau, blanc, bien fait: et encore qu'il soit brunet, c'est tout un; il vaut bien quelquefois le blanc, comme dit l'Espagnole: Aunque io sia mormica, no soy da menos preciar; «encor que je sois brunette, je ne suis à mépriser.» Aussi la belle Marfise era brunetta alquanto[62]. Mais que le brun n'efface le blanc par trop: un visage aussi beau, faut qu'il soit porté par un corps façonné et fait de mesme: je dis autant des grands que des petits; mais les grandes tailles passent tout.

Or, d'aller chercher des points si exquis de beauté, comme je viens de dire ou qu'on nous les dépeint, nous nous en passerons bien, et nous resjoüirons à voir nos beautez communes: non que je les veuille dire communes autrement, car nous en avons de si rares, que, ma foy, elles valent bien plus que toutes celles que nos poëtes fantasques, nos quinteux peintres et nos pindariseurs de beautez, sçauroient représenter.

Hélas! voicy le pis; telles beautez belles, tels beaux visages, en voyons-nous aucuns, admirons, desirons leur beau corps, pour l'amour de leurs belles faces, que néantmoins, quand elles viennent à estre descouvertes et mises à blanc, nous en font perdre le goust; car ils sont si laids, tarez, tachez, marquez et si hideux, qu'ils en démentent bien le visage; et voilà comme souvent nous y sommes trompez.

Nous en avons un bel exemple d'un gentilhomme de l'isle de Mojorque, qui s'appelloit Raymond Lulle, de fort bonne, riche et ancienne maison, qui, pour sa noblesse, valeur et vertu, fut appelé en ses plus belles années au gouvernement de cette isle. Estant en cette charge, comment souvent arrive aux gouverneurs des provinces et places, il devint amoureux d'une belle dame de l'isle des plus habilles, belles et mieux disantes de-là. Il la servit longuement et fort bien; et luy demandant toujours ce bon point de joüissance, elle, après l'en avoir refusé tant qu'elle put, luy donna un jour assignation, où il ne manqua ny elle aussi, et comparut plus belle que jamais et mieux en point. Ainsi qu'il pensoit entrer en paradis, elle luy vint à descouvrir son sein et sa poitrine toute couverte d'une douzaine d'emplastres, et, les arrachant l'un après l'autre, et de dépit les jetant par terre, luy monstra un effroyable cancer, et, les larmes aux yeux, luy remonstra ses misères et son mal, luy disant et demandant s'il y avoit tant de quoy en elle qu'il en dust estre tant espris; et sur ce, lui en fit un si pitoyable discours, que luy, tout vaincu de pitié du mal de cette belle dame, la laissa; et l'ayant recommandée à Dieu pour sa santé, se défit de sa charge et se rendit hermite. Et estant de retour de la guerre sainte, où il avoit fait vœux, s'en alla estudier à Paris sous Arnaldus de Villanova, sçavant philosophe, et ayant fait son cours, se retira en Angleterre, où le Roy pour lors le receut avec tous les bons recueils du monde pour son grand sçavoir, et qu'il transmua plusieurs lingots et barres de fer, de cuivre et d'estain, mesprisant cette commune et triviale façon de transmuer le plomb et le fer en or, parce qu'il sçavoit que plusieurs de son temps sçavoient faire cette besogne aussi bien que luy, qui sçavoit faire l'un et l'autre: mais il vouloit faire un pardessus les autres.

Je tiens ce conte d'un gallant homme qui m'a dit le tenir du jurisconsulte Oldrade, qui parle de Raymond Lulle au commentaire qu'il a fait sur le code de falsa Moneta. Aussi le tenoit-il, ce disoit-il, de Carolus Bovillus[63], Picard de nation, qui a composé un livre en latin de la vie de Raymond de Lulle[64].

Voilà comment il passa sa fantaisie de l'amour de cette belle dame; si que possible d'autres n'eussent pas fait, et n'eussent laissé à l'aimer et fermer les yeux, mesme en tirer ce qu'il vouloit, puisqu'il estoit à mesme; car la partie où il tendoit n'estoit touchée d'un tel mal.

J'ay cogneu un gentilhomme et une dame veufve de par le monde, qui ne firent pas ses scrupules; car la dame estant touchée d'un gros vilain cancer au tetin, il ne laissa de l'espouser, et elle aussi le prendre, contre l'advis de sa mère, et toute malade et maléficiée qu'elle estoit, et elle et luy s'esmeurent et se remuèrent tellement toute la nuict, qu'ils en rompirent et enfoncèrent le fond du chalit.

J'ai cogneu aussi un fort honneste gentilhomme, mon grand amy, qui me dit qu'un jour estant à Rome, il luy advint d'aimer une dame espagnolle, et des belles qui fust en la ville jamais. Quand il l'accostoit, elle ne vouloit permettre qu'il la vist, ny qu'il la touchast par ses cuisses nues, si-non avec ses callesons; si bien que quand il la vouloit toucher, elle lui disoit en espagnol: Ah! no me tocays, hareis me cosquillas[65], qui est à dire: «Vous me chatouillez.» Un matin, passant devant sa maison, trouvant sa porte ouverte, il monte tout bellement, où estant entré sans rencontrer ny fantesque ny page, ny personne, et entrant dans sa chambre, la trouva qui dormoit si profondément, qu'il eut loisir de la voir toute nue sur le lict, et la contempler à son aise, car il faisoit très-grand chaud; et il dit qu'il ne vid jamais rien de si beau que ce corps, fors qu'il vit une cuisse belle, blanche, pollie et refaite, mais l'autre elle l'avoit toute seiche, atténuée et estiomenée, qui ne paroissoit pas plus grosse que le bras d'un petit enfant. Qui fust estonné? ce fut le gentilhomme, qui la plaignit fort, et oncques plus ne la tourna visiter ny avoir à faire avec elle.

Il se voit force dames qui ne sont pas ainsi estiomenées de catherres; mais elles sont si maigres, dénuées, asséchées et descharnées, qu'elles n'en peuvent rien monstrer que le bastiment: comme j'ay cogneu une très-grande que M. l'evesque de Cisteron, qui disoit le mot mieux qu'homme de la Conr, en brocardant affermoit qu'il valoit mieux de coucher avec une ratoire de fil d'archal qu'avec elle; et, comme dit aussi un honneste gentilhomme de la Cour, auquel nous faisions la guerre qu'il avoit à faire avec une dame assez grande: «Vous vous trompez, dit-il, car j'aime trop la chair, et elle n'a que les os;» et pourtant, à voir ces deux dames, si belles par leurs beaux visages, on les eust jugées pour des morceaux très-charnus et bien friands.

Un très-grand prince de par le monde vint une fois à estre amoureux de deux belles dames tout à coup, ainsi que cela arrive souvent aux grands, qui ayment les variétez. L'une estoit fort blanche, et l'autre brunette, mais toutes deux très-belles et fort aimables. Ainsi qu'il venoit un jour de voir la brunette, la blanche jalouse luy dit: «Vous venez de voller pour corneille.» A quoy lui respondit le prince un peu irrité, et fasché de ce mot: «Et quand je suis avec vous, pour qui volle-je?» La dame respondit: «Pour un phénix.» Le prince, qui disoit des mieux, répliqua: «Mais dites plustost pour l'oiseau de paradis, là où il y a plus de plume que de chair;» la taxant par là qu'elle estoit maigre aucunement: aussi estoit-elle fort jovanote pour estre grasse, ne se logeant coustumièrement que sur celles qui entrent dans l'aage, qu'elles commencent à se fortifier et renforcer de membres et autres choses.

—Un gentilhomme la donna bonne à un grand seigneur que je sçay. Tous deux avoient belles femmes. Ce grand seigneur trouva celle du gentilhomme fort belle et bien advenante. Il luy dit un jour: «Un tel, il faut que je couche avec vostre femme.» Le gentilhomme, sans songer, car il disoit très-bien le mot, luy respondit: «Je le veux, mais je couche avec la vostre.» Le seigneur lui répliqua: «Qu'en ferois-tu? car la mienne est si maigre, que tu n'y prendrois nul goust.» Le gentilhomme respondit: «Je la larderay si menu, que je la rendray de bon goust.»

—Il s'en voit tant d'autres que leurs visages poupins et gentils font desirer leurs corps; mais quand on y vient, on les trouve si décharnées, que le plaisir et la tentation en sont bien-tost passez. Entr'autres, l'on y trouve l'os barré qu'on appelle, si sec et si décharné, qu'il foule et masche plus tout nud que le bast d'un mulet qu'il auroit sur luy. A quoy pour suppléer, telles dames sont coustumières de s'aider de petits coussins bien mollets et délicats à soutenir le coup et engarder de la mascheure; ainsi que j'ay ouy parler d'aucunes, qui s'en sont aidées souvent, voire de callesons gentiment rembourez et faits de satin, de sorte que les ignorants, les venants à toucher, n'y trouvent rien que tout bon, et croyent fermement que c'est leur embonpoint naturel; car par-dessus ce satin il y avoit des petits callesons de toile volante et blanche; si bien que l'amant, donnant le coup en robbe, s'en alloit de sa dame si content et satisfait, qu'il l'a tenoit pour très-bonne robbe.

D'autres y a-t-il encore qui sont de la peau fort maléficiées et marquetées comme marbre, ou en œuvre à la mosaïque, tavellées comme faons de bische, gratteleuses, et subjectes à dartes farineuses et fascineuses; bref, gastées tellement, que la veuë n'en est pas guieres plaisante.

—J'ay ouy parler d'une dame grande, et l'ay cogneue et cognois encore, qui est pelue, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur les espaules et le long de l'eschine, et à son bas, comme un sauvage.

Je vous laisse à penser ce que veut dire cela: si le proverbe est vray, que personne ainsi velue est ou riche, ou lubrique, celle-là a l'un et l'autre, je vous en asseure, et s'en fait fort bien donner, se voir et desirer.

D'autres ont la chair d'oison ou d'estourneau plumé, harée, brodequinée, et plus noire qu'un beau diable.

D'autres sont opulentes en tetasses avalées, pendantes plus que d'une vache allaitant son veau.

Je m'asseure que ce ne sont pas les beaux tetins d'Hélaine, laquelle, voulant un jour présenter au temple de Diane une coupe gentille par certain vœu, employant l'orfevre pour la luy faire, luy en fit prendre le modelle sur un de ses beaux tetins, et en fit la coupe d'or blanc, qu'on ne sçauroit qu'admirer de plus, ou la coupe ou la ressemblance du tetin sur quoy il avoit pris le patron, qui se monstroit si gentil et si poupin, que l'art en pouvoit faire desirer le naturel. Pline dit cecy par grande spéciauté, où il traite qu'il y a de l'or blanc. Ce qui est fort estrange est que cette coupe fut faite d'or blanc.

Qui voudroit faire des coupes d'or sur ces grandes tetasses que je dis et que je cognois, il faudroit bien fournir de l'or à monsieur l'orfevre, et ne seroit après sans coust et grand risée, quand on diroit: «Voilà des coupes faites sur le modelle des testins de telles et telles dames.»

Ces coupes ressembleroient, non pas coupes, mais de vrayes auges, qu'on voit de bois toutes rondes, dont on donne à manger aux pourceaux; et d'autres y a-t-il, que le bout de leur tetin ressemble à une vraye guine pourrie.

D'autres y a-t-il, pour descendre plus bas, qui ont le ventre si mal poly et ridé, qu'on les prendroit pour de vieilles gibessières ridées de sergents ou d'hosteliers; ce qui advient aux femmes qui on eu des enfants, et qui ne sont esté bien secourues et graissées de graisse de baleine de leurs sages-femmes. Mais d'autres y a-t-il, qui les ont aussi beaux et polis, et le sein aussi follet, comme si elles estoient encore filles.

D'autres il y en a, pour venir encore plus bas, qui ont leurs natures hideuses et peu agréables. Les unes y ont le poil nullement frisé, mais si long et pendant, que vous diriez que ce sont les moustaches d'un Sarrasin; et pourtant n'en ostent jamais la toison, et se plaisent à la porter telle, d'autant qu'on dit: Chemin jonchu et c.. velu sont fort propres pour chevaucher. J'ay ouy parler de quelqu'une très-grande qui les porte ainsi.

J'ay ouy parler d'une autre belle et honneste dame qui les avoit ainsi longues, qu'elle les entortilloit avec des cordons ou rubans de soye cramoisie ou autre couleur, et se les frisonnoit ainsi comme des frisons de perruques, et puis se les attachoit à ses cuisses, et en tel estat quelquefois se les présentoit à son mary et à son amant, ou bien se les destortoit de son ruban et cordon, si qu'elles paroissoient frisonnées par après, et plus gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.

Il y avoit bien là de la curiosité, et de la paillardise et tout; car, ne pouvant d'elle-mesme faire et suivre ses frisons, il falloit qu'une de ses femmes, de ses plus favorites, la servît en cela; en quoy ne peut estre autrement qu'il n'y ayt de la lubricité en toutes façons qu'on la pourra imaginer.

Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et porter raz, comme la barbe d'un prestre.

D'autres femmes y a-t-il, qui n'ont de poil point du tout, ou peu, comme j'ay ouy parler d'une fort grande et belle dame que j'aye cogneue; ce qui n'est guières beau, et donne un mauvais soupçon: ainsi qu'il y a des hommes qui n'ont que de petits boucquets de barbe au menton, et n'en sont pas plus estimez de bon sang, ainsi que sont les blanquets et blanquettes[66].

D'autres en ont l'entrée si grande, vague et large, qu'on la prendroit pour l'antre de la Sibylle.

J'en ay ouy parler d'aucunes, et bien grandes, qui les ont telles qu'une jument ne les a si amples, encore qu'elles s'aident d'artifice le plus qu'elles peuvent pour estrecir la porte; mais, dans deux ou trois fréquentations, la mesme ouverture tourne: et, qui plus est, j'ay ouy dire que, quand bien on les arregarde le cas d'aucunes, il leur cloise comme celuy d'une jument quand elle est en chaleur. L'on m'en a conté trois qui monstrent telles cloyses quand on y prend garde de les voir.

—J'ay ouy parler d'une dame grande, belle et de qualité, à qui un de nos roys avoit imposé le nom de Pan de c.., tant il estoit large et grand; et non sans raison, car elle se l'est fait en son vivant souvent mesurer à plusieurs merciers et arpenteurs, et que tant plus elle s'estudioit le jour de l'estrecir, la nuict en deux heures on le lui eslargissoit si bien, que ce qu'elle faisoit en une heure, on le défaisoit en l'autre, comme la toille de Penelope. Enfin, elle en quitta tous artifices, et en fut quitte pour faire élection des plus gros moules qu'elle pouvoit trouver.

Tel remède fut très bon, ainsi que j'ay ouy dire d'une fort belle et honneste fille de la Cour, laquelle l'eut au contraire si petit et si estroit, qu'on en désespéroit à jamais le forcement du pucelage; mais par advis de quelques médecins ou de sages-femmes, ou de ses amys ou amyes, elle en fit tenter le gué ou le forcement par des plus menus et petits moules, puis vint aux moyens, puis aux grands, à mode des talus que l'on fait, ainsi que Rabelais ordonna les murailles de Paris imprenables; et puis, par tels essays les uns après les autres, s'accoustuma si bien à tous, que les plus grands ne luy faisoient la peur que les petits paravant faisoient si grande.

Une grande princesse estrangere que j'ay cogneue, laquelle l'avoit si petit et estroit, qu'elle aima mieux de n'en taster jamais que de se faire inciser, comme les médecins le conseilloient. Grande vertu certes de continence, et rare!...

D'autres en ont les labies longues et pendantes plus qu'une creste de coq d'Inde quand il est en colere; comme j'ay ouy dire que plusieurs dames ont, non-seulement elles, mais aussi des filles.

—J'ay ouy faire ce conte à feu M. de Randan, qu'une fois estants de bons compagnons à la Cour ensemble, comme M. de Nemours, M. le vidame de Chartres, M. le comte de la Rochefoucault, MM. de Montpezaz, Givry, Genlis et autres, ne sachants que faire, allèrent voir pisser les filles un jour, cela s'entend cachés en bas et elles en haut. Il y en eut une qui pissa contre terre: je ne la nomme point; et d'autant que le plancher estoit de tables, elle avoit ses lendilles si grandes, qu'elles passèrent par la fente des tables si avant, qu'elle en monstra la longueur d'un doigt, si que M. de Randan, par cas fortuit, ayant un baston qu'il avoit pris à un laquais, où il y avoit un fiçon, en perça si dextrement ses lendilles, et les cousit si bien contre la table, que la fille, sentant la piqûre, tout à coup s'esleva si fort, qu'elle les escarta toutes, et de deux parts qu'il en avoit en fit quatre, et les dites lendilles en demeurerent decoupées en forme de barbe d'escrevisses, dont pourtant la fille s'en trouva très-mal, et la maistresse en fut fort en colere.

M. de Randan et la compagnie en firent conte au roy Henry, qui estoit bon compagnon, qui en rit pour sa part son saoul, et en apaisa le tout envers la Reyne sans rien en déguiser.

Ces grandes lendilles sont cause qu'une fois j'en demanday la raison à un médecin excellent, qui me dit que, quand les filles et femmes estoient en ruth, elles les touchoient, manioient, viroyent, contournoient, allongeoient et tiroient si souvent, qu'estants ensemble s'entredonnoient mieux du plaisir.

Telles filles et femmes seroient bonnes en Perse, non en Turquie, d'autant qu'en Perse les femmes sont circoncises, parce que leur nature ressemble de je ne sçay quoy le membre viril (disent-ils): au contraire, en Turquie, les femmes ne le sont jamais, et pour ce les Perses les appellent hérétiques, pour n'estre circoncises, d'autant que leur cas, disent-ils, n'a nulle forme, et ne prennent plaisir de les regarder comme les Chrestiens. Voilà ce qu'en disent ceux qui ont voyagé en Levant.

Telles femmes et filles, disoit ce médecin, sont fort sujettes à faire la fricarelle, donna con donna.

J'ay ouy parler d'une très-belle dame, et des plus qui ait esté en la Cour, qui ne les a si longues; car elles luy sont accourcies pour un mal que son mary luy donna, voire qu'elle n'a de levre d'un costé pour avoir esté tout mangé de chancres; si bien qu'elle peut dire son cas estropié et à demy demembré; et néanmoins cette dame a esté fort recherchée de plusieurs, mesme elle a esté la moitié d'un grand quelques fois dans son lict.

Un grand disoit à la Cour un jour qu'il voudroit que sa femme ressemblast à celle-là, et qu'elle n'en eust qu'à demy, tant elle en avoit trop.

J'ay aussi ouy parler d'une autre bien plus grande qu'elle cent fois, qui avoit un boyau qui luy pendilloit long d'un grand doigt au dehors de sa nature, et, disoit-on, pour n'avoir pas esté bien servie en l'une de ses couches par sa sage-femme; ce qui arrive souvent aux filles et femmes qui ont fait des couches à la dérobade, ou qui par accident se sont gastées et grevées; comme une des belles femmes de par le monde que j'ay cogneue, qui, estant veufve, ne voulut jamais se remarier, pour estre descouverte d'un second mary de cecy, qui l'en eust peu prisée, et possible mal-traitée.

Cette grande que je viens de dire, nonobstant son accident, enfantoit aussi aisément comme si elle eust pissé; car on disoit sa nature très-ample; et si pourtant elle a esté bien aimée et bien servie à couvert; mais mal-aisément se laissoit-elle voir là.

Aussi volontiers, quand une belle et honneste femme se met à l'amour et à la privauté, si elle ne vous permet de voir ou taster cela, dites hardiment qu'elle y a quelque tare, ou si que la veue ni le toucher n'approuvera guières, ainsi que je tiens d'une honneste femme; car s'il n'y en a point, et qu'il soit beau (comme certes il y en a et de plaisants à voir et manier), elle est aussi curieuse et contente d'en faire la monstre et en prester l'attouchement, que de quelqu'autre de ses beautez qu'elle ait, autant pour son honneur à n'estre soupçonnée de quelque défaut ou laideur en cet endroit, que pour le plaisir qu'elle y prend elle-mesme à le contempler et mirer, et surtout aussi pour accroistre la passion et tentation davantage à son amant.

De plus, les mains et les yeux ne sont pas membres virils pour rendre les femmes putains et leurs marys cocus, encore qu'après la bouche aident à faire de grands approches pour gaigner la place.

D'autres femmes y a-t-il qui ont la bouche de là si pasle, qu'on diroit qu'elles y ont la fievre: et telles ressemblent aucuns yvrognes, lesquels, encor qu'ils boivent plus de vin qu'une truie de laict, ils sont pasles comme trespassez: aussi les appelle-t-on traistres au vin, non pas ceux qui sont rubiconds: aussi telles par ce costé-là on les peut dire traistraisses à Vénus, si ce n'est que l'on dit pasle putain et rouge paillard. Tant y a que cette partie ainsi pasle et transie n'est point plaisante à voir, et n'a garde de ressembler à celle d'une des plus belles dames que l'on voye, et qui tient grand rang, laquelle j'ay veu qu'on disoit qu'elle portoit là trois belles couleurs ordinairement ensemble, qui estoient incarnat, blanc et noir: car cette bouche de là estoit colorée et vermeille comme corail, le poil d'alentour gentiment frisonné et noir comme ébene; ainsi le faut-il, et c'est l'une des beautez: la peau estoit blanche comme albastre, qui estoit ombragée de ce poil noir. Cette veuë est belle de celle-là, et non des autres que je viens de dire.

D'autres il y en a aussi qui sont si bas ennaturées et fendues jusques au cul, mesme les petites femmes, que l'on devroit faire scrupule de les toucher pour beaucoup d'ordes et salles raisons que je n'oserois dire; car on diroit que, les deux rivières s'assemblant et se touchant quasi ensemble, il est en danger de laisser l'une et naviguer à l'autre: ce qui est par trop vilain.

J'ay ouy conter à madame de Fontaine-Chalandray, dite la belle Torcy, que la reyne Eléonor sa maistresse, estant habillée et vestue, paroissoit une très-belle princesse, comme il y en a encor plusieurs qui l'ont veue telle en nostre Cour, et de belle et riche taille; mais, estant déshabillée, elle paroissoit du corps une géante, tant elle l'avoit long et grand: mais tirant en bas, elle paroissoit une naine, tant elle avoit les cuisses et les jambes courtes avec le reste.

D'une autre grande dame ay-je ouy parler qui estoit bien au contraire; car par le corps elle se monstroit une naine, tant elle l'avoit court et petit, et du reste en bas une géante ou colosse, tant elle avoit ses cuisses et jambes grandes, hautes et fendues et pourtant bien proportionnées et charnues, si qu'elle en couvroit son homme sous elle, mais qu'il fust petit, fort aisément, comme d'une tirasse de chien couchant.

—Il y a force marys et amys parmi nos Chrestiens, qui voulans en tout differer des Turcs, ne prennent plaiser d'arregarder le cas des dames, d'autant, disent-ils, comme je viens de dire, qu'ils n'ont nulle forme: nos Chrestiens au contraire qui en ont, disent-ils, de grands contentements à les contempler fort et se délecter en telles visions, et non-seulement se plaisent à les voir, mais à les baiser, comme beaucoup de dames l'ont dit et descouvert à leurs amants, ainsi que dit une dame espagnole à son serviteur, qui, la saluant un jour, luy dit: Bezo las manos y los pies, senora[67]; elle luy dit: Senor, en el medio esta la mejor station[68]. Comme voulant dire qu'il pouvoit baiser le mitant aussi-bien que les pieds et mains. Et, pour ce, disent aucunes dames que leurs marys et serviteurs y prennent quelque délicatesse et plaisir, et en ardent davantage: ainsi que j'ay ouy dire d'un très-grand prince, fils d'un grand roy de par le monde, qui avoit pour maistresse une très-grande princesse. Jamais il ne la touchoit qu'il ne luy vist cela et ne le baisast plusieurs fois. Et la première fois qu'il le fit, ce fut par la persuasion d'une très-grande dame, favorite du roy; laquelle, tous trois un jour estants ensemble, ainsi que ce prince muguettoit sa dame, luy demanda s'il n'avoit jamais veu cette belle partie dont il jouissoit. Il respondit que non: «Vous n'avez donc rien fait, dit-elle, et ne sçavez ce que vous aimez; vostre plaisir est imparfait, il faut que vous le voyiés.» Par-quoy, ainsi qu'il s'en vouloit essayer et qu'elle en faisoit de la revesche, l'autre vint par derrière, et la prit et renversa sur un lict, et la tint tousjours jusques à ce que le prince l'eust contemplée à son aise et baisée son saoul, tant qu'il le trouvoit beau et gentil; et pour ce, continua tousjours.

D'autres y a-t-il qui ont leurs cuisses si mal proportionnées, mal advenantes et si mal faites en olive, qu'elles ne méritent d'estre regardées et désirées, comme de leurs jambes, qui en sont de même, dont aucunes sont si grosses qu'on en diroit le gras estre le ventre d'une conille qui est pleine.

D'autres les ont si gresles et menues, et si heronnières, qu'on les prendroit plustost pour des fleutes que pour cuisses et jambes; je vous laisse à penser que peut estre le reste.

Elles ne ressemblent pas une belle et honneste dame dont j'ay ouy parler, laquelle estant en bon point; et non trop en extrémité (car en toutes choses il faut un medium), après avoir donné à coucher à son amy, elle lui demanda le lendemain au matin comment il s'en trouvoit. Il luy respondit que très-bien, et que sa bonne et grasse chair luy avoit fait grand bien. «Pour le moins, dit-elle, avez-vous couru la poste sans emprunter de coissinet.»

D'autres dames y a-t-il qui ont tant d'autres vices cachés, ainsi que j'en ay ouy parler d'une qui estoit dame de réputation, qui faisoit ses affaires fécales par le devant; et de ce j'en demanday la raison à un médecin suffisant, qui me dit parce qu'elle avoit esté percée trop jeune et d'un homme trop fourny et robuste; dont ce fut grand dommage, car c'estoit une très-belle femme et veufve, qu'un honneste gentilhomme que je sçay la vouloit espouser; mais, en sachant tel vice, la quita soudain, et un autre après la prit aussi-tost.

—J'ay ouy parler d'un gallant gentilhomme qui avoit une des belles femmes de la Cour et n'en faisoit cas. Un autre, n'estant si scrupuleux que luy, habitant avec elle, trouva que son cas puoit si fort qu'on ne pouvoit endurer cette senteur, et, par ainsi, cogneut l'encloüeure du mary.

J'ay ouy parler d'une autre, laquelle estant l'une des filles d'une grande princesse, qui petoit de son devant: des médecins m'ont dit que cela se pouvoit faire à cause des vents et ventositez qui peuvent sortir par-là, et mesmes quand elles font la fricarelle.

Cette fille estoit avec cette princesse lorsqu'elle vint à Moulins, la Cour y estant, du temps du roy Charles neuviesme, qui en fut abreuvé, dont on en rioit bien.

D'autres y en a-t-il qui ne peuvent tenir leur urine, qu'il faut qu'elles ayent toujours la petite esponge entre les jambes, comme j'en ay cogneu deux grandes, et plus que dames, dont l'une estant fille, fit l'évasion tout à trac dans la salle du bal, du temps du roy Charles neuviesme, dont fut fort scandalisée.

D'une autre grande dame ay-je ouy parler, que quand on lui faisoit cela, elle se compissoit à bon escient, ou sur le fait, ou après, comme une jument quand elle a esté saillie: à elle falloit-il jetter le seillaud d'eau comme à la jument, pour la faire retenir.

Tant d'autres y a-t-il qui sont ordinairement en sang et leurs mois, et autres qui sont viciées, tarottées, marquetées et marquées, tant par accident de vérolle de leurs marys ou de leurs amys, que par leurs mauvaises habitudes et humeurs; comme celles qui ont les jambes louventines et autres fluxions et marques, que par les envies de leurs mères estant enceintes d'elles, portent sur elles, comme j'en ay ouy parler d'une qui est toute rouge par une moitié du corps, et l'autre non, comme un eschevin de ville.

D'autres sont si sujettes à leurs flux menstruaux, que quasi ordinairement leur nature flue comme un mouton à qui on a coupé la gorge de frais; dont leurs marys ou amants ne s'en contentent guieres, pour l'assiduë fréquentation que Vénus ordonne et desire en ces jeux: car, si elles sont saines et nettes une semaine du mois, c'est tout, et leur font perdre le reste de l'année: si que des douze mois ils n'en ont cinq ou six francs, voire moins; c'est beaucoup, à la mode de nos soldats desbandez, auxquels à la monstre les commissaires et trésoriers font perdre, de douze mois de l'an, plus de quatre, en leur faisant monter les mois jusques à quarante et cinquante jours, si que les douze mois de l'an ne leur reviennent pas à huit. Ainsi s'en trouvent les marys et amants qui telles femmes ont et se servent, si ce n'est que, du tout, pour assoupir leur paillardise, se veulent souiller vilainement sans aucun respect d'impudicité; et leurs enfants qui en sortent s'en trouvent mal et s'en ressentent.

Si j'en voulois raconter d'autres, je n'aurois jamais fait, et aussi que les discours en seroient trop sallauds et déplaisants: et ce que j'en dis et dirois ce ne seroit des femmes petites et communes, mais des grandes et moyennes dames qui de leurs visages beaux font mourir le monde, et point le couvert.

Si feray-je encore ce petit conte, qui est plaisant, d'un gentilhomme qu'il me fit, qui est qu'en couchant avec une fort belle dame, et d'estoffe, en faisant sa besogne il luy trouva en cette partie quelques poils si piquants et si aigus, qu'avec toutes les incommodités il la put achever, tant cela le piquoit et le fiçonnoit. Enfin, ayant fait, il voulut taster avec la main: il trouva qu'alentour de sa motte il y avoit une demi-douzaine de certains fils garnis de ces poils si aigus, longs, roides et piquants, qu'ils en eussent servy aux cordonniers à faire des rivets comme de ceux de pourceaux, et les voulut voir; ce que la dame luy permit avec grande difficulté; et trouva que tels fils entournoient la pièce ny plus ny moins que vous voyez une médaille entournée de quelques diamants et rubis, pour servir et mettre en enseigne en un chapeau ou au bonnet.

—Il n'y a pas long-temps qu'en une certaine contrée de Guyenne, une damoiselle mariée, de fort bon lieu et bonne part, ainsi qu'elle advisoit estudier ses enfants, leur précepteur, par une certaine manie et frénésie, ou possible pour rage d'amour qui luy vint soudain, il prit une espée qui estoit de son mary sur le lict, et luy en donna si bien, qu'il luy perça les deux cuisses et les deux labies de sa nature de part en part, dont depuis elle en cuida mourir, sans le secours d'un bon chirurgien. Son cas pouvoit bien dire qu'il avoit esté en deux diverses guerres et attaqué fort diversement. Je crois que la veuë après n'en estoit guères plaisante, pour estre ainsi balafré et ses aisles ainsi brisées: je les dis aisles, par ce que les Grecs appellent ces labies hymenœa; les Latins les nomment alœ, et les François, labies, lèvres, landrons, landilles et autres mots: mais je trouve qu'à bon droit les Latins les appellent aisles; car il n'y a ny animal ny oiseau, soit-il faucon, niais ou sor, comme celuy de nos fillaudes, soit-il de passage, ou hagard ou bien dressé, de nos femmes mariées ou veufves, qui aille mieux ny ait l'aisle si viste.

Je le puis appeler aussi animal avec Rabelais, d'autant qu'il s'esmeut de soy-mesme; et, soit à le toucher ou à le voir, on le sent et le void s'esmouvoir et remuer de luy-mesme, quand il est en appetit.

D'autres, de peur de rhumes et catheres, se couvrent dans le lict de couvre-chefs alentour de la teste, par Dieu, plus que sorcières: au partir de-là, bien habillées, elles sont saffrettes comme poupines, et d'autres fardées et peintrées comme images, belles au jour, et la nuict dépeintes et très-laides.

Il faudroit visiter telles dames avant les aimer, espouser et en jouir, ainsi que faisoit Octave César avec ses amis, qui faisoit despouiller aucunes grandes dames et matrosnes romaines, voire des vierges mûres d'aage, et les visitoit d'un bout à l'autre, comme si ce fussent esclaves et serves vendues par un certain maquignon nommé Torane; et selon qu'il les trouvoit à son gré et son point, ny tarées, il en joüissoit.

De mesme en font les Turcs en leur bazestan de Constantinople et autres grandes villes, quand ils achettent des esclaves de l'un et de l'autre sexe.

Or je n'en parleray plus, encore pensé-je en avoir trop dit; et voilà comment nous sommes bien trompez en beaucoup de veuës que nous pensons et croyons très-belles. Mais, si nous y sommes bien autant édifiés et satisfaits en d'aucunes autres, lesquelles sont si belles, si nettes, propres, fraisches, caillées, si aimables et si en bon point, bref, si accomplies en toutes parties du corps, qu'après elles toutes veuës mondaines sont chétives et vaines; dont il y a des hommes qui, en telles contemplations, s'y perdent tellement, qu'ils ne songent qu'aux actions: aussi, bien souvent telles dames se plaisent à se monstrer sans nulle difficulté, pour ne se sentir taschées d'aucunes macules, pour nous faire plus entrer en tentation et concupiscence.

Nous estans un jour au siége de La Rochelle, le pauvre feu M. de Guise, qui me faisoit l'honneur de m'aimer, s'en vint me monstrer des tablettes qu'il venoit de prendre à Monsieur, frère du Roy, nostre général, dans la poche de ses chausses, et me dit: «Monsieur me vient de faire un desplaisir et la guerre pour l'amour d'une dame; mais je veux avoir ma revanche; voyez ce que j'y ai mis dedans et lisez.» Me donnant les tablettes, je vis escrits de sa main ces quatre vers qu'il venoit de faire, mais le mot de f...... y estoit tout à trac.

Si vous ne m'avez coguue
Il n'a pas tenu à moy;
Car vous m'avez bien veu nue,
Et vous ay monstré de quoy.

Puis, me nommant la dame, ou pour mieux dire fille, de laquelle je me doutois pourtant, je lui dis que je m'estonnois fort qu'il ne l'eust touchée et cogneue, d'autant que les approches en avoient esté grandes, et que le bruit en estoit par trop commun; mais il m'asseura que non, et que ce n'avoit esté que sa faute. Je luy replicquay: «Il falloit donc, Monsieur, ou qu'alors il fust si las et recreu d'ailleurs, qu'il n'y pust fournir, ou qu'il fust si ravi en la contemplation de cette beauté nue, qu'il ne se souciast de l'action!—Possible, me respondit ce prince, qu'il se pourroit faire; mais tant y a que ce coup il y faillit, et je luy en fais la guerre, et je luy vais remettre ces tablettes dans sa poche, qu'il visitera selon sa coustume, et y lira ce qu'il y faut; et, amprès, me voilà vengé.» Ce qu'il fit, et ne fut amprès sans en rire tous deux à bon escient, et s'en faire la guerre plaisamment; car, pour lors, c'estoit une très-grande amitié et privauté entr'eux deux, bien depuis estrangement changée.

—Une dame de par le monde, ou plustost fille, estant fort aimée et privée d'une très-grande princesse, estoit dans le lict se rafraischissant, comme estoit la coutume: vint un gentilhomme la voir, qui pour elle brusloit d'amour; mais il n'en avoit autre chose. Cette dame fille estant ainsi aimée et privée de sa maistresse, s'approchant d'elle tout bellement, sans faire semblant de rien, tout-à-coup vint à tirer toute la couverture de dessus elle, si bien que le gentilhomme, point paresseux de ses yeux aucunement, les jetta aussi-tost, dessus qui vid, à ce que depuis il m'a fait le conte, la plus belle chose qu'il vid ny qu'il verra jamais, qui estoit ce beau corps nud, et ses belles parties, et cette blanche, jolie et belle charnure, qu'il pensa voir les beautez du paradis. Mais cela ne dura guieres; car, tout aussi-tost la couverture fut tournée prendre par la dame, la fille en estant partie de là, et de bonheur. Cette belle dame, tant plus elle se remuoit à reprendre la couverture, tant plus elle se faisoit paroistre; ce qui n'endommageoit nullement la veuë et le plaisir du gentilhomme, qui autrement ne s'empeschoit à la recouvrir, bien sot fust esté: pourtant, tellement quellement, elle recouvra sa couverture, se remit, en se courouçant assez doucement contre la fille, et luy disant qu'elle le payeroit. La demoiselle luy dit, qui estoit un petit à l'escart: «Madame, vous m'en aviez fait une; pardonnez-moy si je vous l'ay rendue;» et, passant la porte, s'en alla. Mais l'accord fut fait aussi-tost.

Cependant le gentilhomme se trouva si bien de telle veuë, et en telle extase de plaisir et contentement, que je luy ay ouy dire cent fois qu'il n'en vouloit d'autre en sa vie, que de vivre au songer de cette ordinaire contemplation; et certes il avoit raison: car, selon la monstre de son beau visage, le non-pareil, et sa belle gorge, dont elle a tant repeu le monde, pouvoit assez monstrer que dessous il y avoit de caché de plus exquis; et me disoit qu'entre telles beautez, c'estoit la dame la mieux flanquée et le plus haut qu'il eust jamais veue: ainsi le pouvoit-elle estre, car elle estoit de très-riche taille; mesme entre les beautez il faut qu'elle le soit, ny plus ny moins qu'une forteresse de frontière.

Amprès que ce gentilhomme m'eut tout conté, je ne lui peus que dire: «Vivez donc, vivez, mon grand amy, avec cette contemplation divine et cette beatitude que jamais ne puissiez-vous mourir; et moy au moins, avant mourir, puisse-je avoir une telle veuë!»

Ledit gentilhomme en eut pour jamais cette obligation à la demoiselle, et tousjours depuis l'honora et l'aima de tout son cœur. Aussy luy estoit-il serviteur fort; mais il ne l'espousa, car un autre plus riche que luy la luy embla, ainsi qu'est la coustume à toutes de courir aux biens.

Telles veuës sont belles et agréables; mais il se faut donner garde qu'elles ne nuisent, comme celle de la belle Diane nuë au pauvre Actéon, ou bien une que je vais dire.

—Un Roy de par le monde aima fort en son temps une bien belle, honneste et grand dame veufve, si bien qu'on l'en tenoit charmé; car peu il se soucioit des autres, voire de sa femme, si non que par intervalles, car cette dame emportoit tousjours les plus belles fleurs de son jardin; ce qui faschoit fort à la Reyne, car elle se sentoit aussi belle et agréable que serviable, et digne d'avoir d'aussi friands morceaux, dont elle s'en esbahissoit fort; de quoy en ayant fait sa complainte à une sienne grand'dame favorite, elle complotta avec elle d'aviser s'il y avoit tant de quoy, mesmes espier par un trou le jeu que joüeroient son mary et la dame. Par quoy elle advisa de faire plusieurs trous au-dessus de la chambre de ladite dame, pour voir le tout et la vie qu'ils demeneroient tous deux ensemble: dont se mirent à tel spectacle; mais ils n'y virent rien que très-beau, car elles y apperceurent une femme très-belle, blanche, délicate et très-fraische, moitié en chemise et moitié nue, faire des caresses à son amant, des mignardises, des folastreries bien grandes, et son amant lui rendre la pareille, de sorte qu'ils sortoient du lict, et tout en chemise se couchoient et s'esbattoient sur le tapis velu qui estoit auprès du lict, affin d'éviter la chaleur du lict, et pour mieux en prendre le frais; car c'estoit aux plus grandes chaleurs.

Ainsi que j'ay cogneu aussi un très-grand prince, qui prenoit de mesme son déduit avec sa femme, qui estoit la plus belle femme du monde, affin d'éviter le chaud que produisoient les grandes chaleurs de l'esté, ainsi que luy-mesme disoit.

Cette princesse donc, ayant veu et apperceu le tout, de dépit s'en mit à plorer, gémir, souspirer et attrister, luy semblant, et aussi le disant, que son mary ne luy rendoit le semblable, et ne faisoit les folies qu'elle luy avoit veu faire avec l'autre.

L'autre dame qui l'accompagnoit se mit à la consoler et luy remonstrer pourquoy elle s'attristoit ainsi, ou bien, puisqu'elle avoit esté si curieuse de voir telles choses, quil n'en falloit pas espérer de moins.

La princesse ne respondit autre chose, si non: «Hélas, ouy! j'ay voulu voir chose que je ne devois avoir voulu voir, puisque la veuë m'en fait mal.»

Toutesfois, après s'estre consolée et résolue, elle ne s'en soucia plus, et le plus qu'elle put, continua ce passe-temps de veuë, et le convertit en risée, et possible en autre chose.

—J'ay ouy parler d'une grande dame de par le monde, mais grandissime, qui, ne se contentant de la lascivité naturelle, car elle estoit grand putain, et mariée et veufve, aussi estoit-elle fort belle: pour se provoquer et exciter davantage, elle faisoit despouiller ses dames et filles, je dis les plus belles, et se délicatoit fort à les voir; et puis elle les battoit du plat de la main sur les fesses avec de grandes claquades et plamussades assez rudes, et les filles qui avoient délinqué quelque chose, avec de bonnes verges; et alors son contentement estoit de les voir remüer et faire les mouvements et tordions de leur corps et fesses, lesquelles, selon les coups qu'elles recevoient, en monstroient de bien estranges et plaisantes.

Aucunes fois, sans les despouiller, les faisoit trousser en robbe (car pour lors elles ne portoient pas de calsons), et les claquetoit et foüettoit sur les fesses, selon le sujet qu'elles luy donnoient, ou pour les faire rire, ou pour plorer: et, sur ces visions et contemplations, y aiguisoit si bien ses appetis, qu'après elle les alloit passer bien souvent à bon escient avec quelque gallant homme bien fort et robuste.

Quelle humeur de femme! Si bien qu'on dit qu'ayant une fois veu par la fenestre de sont chasteau, qui visoit sur la rue, un grand cordonnier, estrangement proportionné, pisser contre la muraille dudit chasteau, elle eut envie d'une si belle et grande proportion; et de peur de gaster son fruit pour son envie, elle luy manda par un page de la venir trouver en une allée secrète de son parc, où elle s'estoit retirée, et là elle se prostitua à luy en telle façon qu'elle en engrossa. Voilà ce que servit la veuë à cette dame.

Et de plus, j'ay ouy dire qu'outre ses femmes et filles ordinaires qui estoient à sa suite, les estrangeres qui la venoient voir, dans les deux ou trois jours, ou toutes les fois qu'elles y venoient, elle les apprivoisoit aussi-tost à ce jeu, faisant monstrer aux siennes premierement le chemin, et aller devant elles, et les autres après; si bien qu'elles estoient estonnées de ce jeu les unes, et les autres non. Vrayment, voilà un plaisant exercice!

—J'ay ouy parler d'un grand aussi qui prenoit plaisir de voir ainsi sa femme nue ou habillée, et la fouetter de claquades, et la voir manier de son corps.

—J'ay ouy dire à une honneste dame qu'estant fille sa mère la fouettoit tous les jours deux fois, non pour avoir forfait, mais parce qu'elle pensoit qu'elle prenoit plaisir à la voir ainsi remuer les fesses et le corps, pour autant d'en prendre d'appetit ailleurs: et tant plus elle alla sur l'age de quatorze ans, elle persista et s'y acharna de telle façon, qu'à mode qu'elle l'accostoit elle la contemploit encore plus.

—J'ay bien ouy dire pis d'un grand seigneur et prince, il y a plus de quatre-vingts ans, qu'avant qu'aller habiter avec sa femme se faisoit fouetter, ne pouvant s'esmouvoir ny relever sa nature baissante sans ce sot remede. Je desirerois volontiers qu'un médecin excellent m'en dist la raison.

Ce grand personnage, Picus Mirandula, raconte avoir veu un certain gallant en son temps, qui, d'autant plus qu'on l'estrilloit à grandes sanglades d'estrivieres, c'estoit lors qu'il estoit le plus enragé après les femmes; et n'estoit jamais si vaillant après elles s'il n'estoit ainsi estrillé: après il faisoit rage. Voilà de terribles humeurs de personnes!

Encore celle de la veuë des autres est plus agréable que la derniere.

—Moy estant à Milan, un jour on me fit un conte de bonne part, que feu M. le marquis de Pescaire, dernier mort, vice-roy en Sicile, vint grandement amoureux d'une fort belle dame; si-bien qu'un matin, pensant que son mary fust allé dehors, l'alla visiter qu'il la trouva encores au lict; et, en devisant avec elle, n'en obtint rien que la voir et la contempler à son aise sous le linge, et la toucher de la main.

Sur ces entrefaites survint le mary, qui n'estoit du calibre du marquis en rien, et les surprit de telle sorte, que le marquis n'eut loisir de retirer son gand, qui s'estoit perdu, je ne sçai comment, parmy les draps, comme il arrive souvent. Puis, luy ayant dit quelques mots, il sortit de la chambre, conduit pourtant du gentilhomme, qui amprès estre retourné, par cas fortuit trouva le gand du marquis perdu dans les draps, dont la dame ne s'en estoit pas apperceue. Il le prit et le serra, et puis faisant la mine froide à sa femme, demeura long-temps sans coucher avec elle, ny la toucher: parquoy un jour elle seule dans sa chambre, mettant la main à la plume, se mit à faire ce quatrain:

Vigna era, vigna son.
Era podata, or più non son;
E son sò per qual cagion
Non mi poda il mio patron.

Et puis laissant ce quatrain escrit sur la table, le mary vint, qui vid ces vers sur la table, prend la plume et fait response:

Vigna eri, vigna sei,
Eri podata, e più non sei,
Per la granfa del leon,
Non ti poda il tuo patron.

Et puis les laissa aussi sur la table. Le tout fut appporté au marquis, qui fit response:

A la vigna che voi dicete
Io fui, e qui restete;
Alzai il pamparo, guardas la vite;
Mà non toccai, si Dio m' ajute.

Cela fut rapporté au mary, qui, se contentant d'une si honorable réponse et juste satisfaction, reprit sa vigne et la cultiva aussi-bien que devant; et jamais mary et femme ne furent mieux.

Je m'en vais les traduire en françois, afin que chacun l'entende.

Je suis esté une belle vigne et le suis encore,
Je suis esté d'autrefois très-bien cultivée;
Ast heure je ne le suis point; et si ne sçay
Pourquoi mon patron ne me cultive plus.

Response.

Ouy, vous avez esté vigne telle, et l'estes encore
Et d'autrefois bien cultivée, ast heure plus;
Pour l'amour de la griffe du lyon,
Vostre mary ne vous cultive plus.

Response du marquis.

A la vigne que vous autres dites
Je suis esté certes, et y restay un peu;
J'en haussay le pampre et en regardai la vis et le reasin.
Mais Dieu ne me puisse aider si jamais j'y ay touché!

Par cette griffe de lion il veut dire le gand qu'il avoit trouvé esgare entre les linceuls. Voylà encor un bon mary qui ne sombragea pas trop, et se despouillant de soubçon, pardonna ainsi à sa femme: et certes il y a des dames, lesquelles se plaisent tant en elles-mesmes, qu'elles se contemplent et se regardent nues, de sorte qu'elles se ravissent se voyans si belles, comme Narcissus. Que pouvons-nous donc faire les voyant et arregardant?

—Marianne, femme d'Hérode, belle et honneste femme, son mary voulant un jour coucher avec elle en plein midy et voir à plein ce qu'elle portoit, lui refusa à plat, ce dit Josephe. Il n'usa pas de puissance de mary, comme un grand seigneur que j'ay cogneu, à l'endroit de sa femme, qui estoit des belles, qu'il assaillit ainsi en plein jour, et la mit toute nue, elle le déniant fort. Après il luy renvoya ses femmes pour l'habiller, qui la trouverent toute honteuse et esplorée.

—D'autres dames y a-t-il lesquelles à dessein ne font pas grand scrupule de faire à pleine veuë la monstre de leur beauté, et se descouvrir nues, afin de mieux encapricier et marteller leurs serviteurs, et les mieux attirer à elles; mais ne veulent permettre nullement la touche précieuse, au moins aucunes, pour quelque temps; car, ne se voulans arrester en si beau chemin, passent plus outre, comme j'en ay ouy parler de plusieurs, qui ont ainsi long-temps entretenu leurs serviteurs de si beaux aspects. Bien-heureux sont-ils ceux qui s'y arrestent aux patiences, sans se perdre par trop en tentation: et faut que celuy soit bien enchanté de vertu, qui, en voyant une belle femme, ne se gaste point les yeux; ainsi que disoit Alexandre quelquesfois à ses amis, que les filles des Perses faisoient grand mal aux yeux à ceux qui les regardoient; et, pour ce, tenant les filles du roy Darius ses prisonnieres, jamais ne les saluoit qu'avec les yeux baissez, et encor le moins qu'il pouvoit, de peur qu'il avoit d'estre surpris de leur excellente beauté. Ce n'est dès-lors seulement, mais d'aujourd'hui, qu'entre toutes les femmes d'Orient les Persiennes ont le los et le prix d'estre les plus belles et accomplies en proportions de leur corps et beauté naturelle, gentilles, propres en leurs habits et chaussures, mesmement, et sur toutes, celles de l'ancienne et royale ville de Seiras, lesquelles sont tellement loüées en leurs beautez, blancheurs et plaisantes civilitez et bonne grace, que les Mores, par un antique et commun proverbe, disent que leur prophete Mahomet ne voulut jamais aller à Seiras, de crainte que s'il y eust veu une fois ces belles femmes, jamais amprès sa mort son ame ne fust entrée en paradis. Ceux qui y ont esté et en ont escrit le disent ainsi; en quoy on notera l'hypocrite contenance de ce bon marault et rompu prophete, comme s'il ne se trouvoit pas escrit, ce dit Belon, en un livre arabe, intitulé Des bonnes coustumes de Mahomet, le loüant de ses forces corporelles, qui se vantoit de pratiquer et repasser ces unze femmes qu'il avoit en une mesme heure l'une après l'autre. Au diable soit le marault! n'en parlons plus: quand tout est dit, je suis bien à loisir d'en parler. J'ay veu faire cette question, sur ce trait d'Alexandre que je viens de dire, et de Scipion l'Afriquain, lequel des deux acquist plus grand louange de continence. Alexandre, se défiant des forces de sa chasteté, ne voulut point voir ces belles dames persiennes: Scipion, après la prise de Carthage la neufve, vid cette belle fille espagnole que ses soldats luy amenerent, et luy offrirent pour la part de son butin, laquelle estoit si excellente en beauté et en si bel aage de prise, que par-tout où elle passoit elle animoit et admiroit les yeux de tous à la regarder, et Scipion mesme; lequel, l'ayant saluée fort courtoisement, s'enquist de quelle ville d'Espagne elle estoit, et de ses parents. Il luy fut dit, entr'autres choses, qu'elle estoit accordée à un jeune homme nommé Alucius, prince des Celtibériens, à qui il la rendit, et à ses pere et mere, sans la toucher; dont il obligea la dame, les parents et le fiancé, si bien qu'ils se rendirent depuis très-affectionnez à la ville de Rome et à la République. Mais que sçait-on si dans son ame cette belle dame n'eust point desiré avoir esté un peu percée et entamée premièrement de Scipion, de luy, dis-je, qui estoit beau, jeune, brave, vaillant et victorieux? Possible que si quelque privé ou privée des siennes et des siens luy eust demandé en foy et conscience si elle ne l'eust pas voulu, je laisse à penser ce qu'elle eust respondu, ou fait quelque petite mine approchant de l'avoir desiré, et, s'il vous plaist, si son climat d'Espagne et son soleil couchant ne la sçavoit pas rendre, et plusieurs autres dames d'aujourd'huy et de cette contrée, belles et pareilles à elle, chaudes et aspres à cela, comme j'en ay veu quantité. Il ne faut donc point douter si cette belle et honneste fille fut esté requise et sollicitée de ce beau jeune homme Scipion, qu'elle ne l'eust pris au mot, voire sur l'autel de ses dieux prophanes. En cela ce Scipion a esté certes loüé d'aucuns de ce grand don de continence; d'autres il en a esté blasmé: car en quoy peut monstrer un brave et valleureux cavallier la générosité de son cœur, qu'envers une belle et honneste dame, si-non luy faire parestre par effet qu'il prise sa beauté et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces respects, froideurs, modesties et discrétions, que j'ay veu souvent appeller, à plusieurs cavalliers et dames, plustost sottises et faillement de cœur que vertus. Non, ce n'est pas qu'une belle et honneste dame aime dans son cœur, mais une bonne joüissance, sage, discrete et secrete. Enfin, comme dist un jour une honneste dame lisant cette histoire, c'estoit un sot que Scipion, tout brave et généreux capitaine qu'il fust, d'aller obliger des personnes à soy et au party romain par un si sot moyen, qu'il eust pu faire par un autre plus convenable, et mesmes puis que c'estoit un butin de guerre, duquel en cela on doit triompher autant ou plus que de toute autre chose. Le grand fondateur de sa ville ne fit pas ainsi, quand les belles dames sabines furent ravies, à l'endroit de celle qu'il eust pour sa part, et en fit à son bon plaisir, sans aucun respect; dont elle s'en trouva bien, et ne s'en soucia guières, ny elle ny ses compagnes, qui firent leur accord aussi-tost avec leurs marys et ravisseurs, et ne s'en formalisèrent comme leurs peres et meres, qui en firent esmouvoir grosse guerre. Il est vray qu'il y a gens et gens, femmes et femmes, qui ne veulent accointance de tout le monde en cette façon: et toutes ne sont pareilles à la femme du roy Ortragon, l'un des roys gaulois d'Asie, qui fut belle en perfection; et, ayant esté prise en sa deffaite par un centenier romain, et sollicitée de son honneur, la trouvant ferme, elle qui eut horreur de se prostituer à luy, et à une personne si vile et basse, il la prit par force et violence, que la fortune et advanture de guerre lui avoit donné par droit d'esclavitude; dont bien-tost il s'en repentit et en eut la vengeance; car elle luy ayant promis une grande rançon pour sa liberté, et tous deux estants allez au lieu assigné pour en toucher l'argent, le fit tuer ainsi qu'il le contoit, et puis l'emporta et la teste à son mary, auquel confessa librement que celuy-là lui avoit violé véritablement sa chasteté, mais qu'elle en avoit eu la vengeance en cette façon: ce que son mary l'approuva et l'honora grandement. Et depuis ce temps-là, dit l'histoire, conserva son honneur jusques au dernier de sa vie avec toute sainteté et gravité: enfin elle en eut ce bon morceau, fust qu'il vint d'un homme de peu. Lucrèce n'en fit pas de mesme, car elle n'en tasta point, bien qu'elle fust sollicitée d'un brave roy: en quoy elle fit doublement de la sotte, de ne luy complaire sur-le-champ et pour un peu, et de se tuer.

Pour tourner encore à Scipion, il ne sçavoit point encore bien le train de la guerre pour le butin et pour le pillage: car, à ce que je tiens d'un grand capitaine des nostres, il n'est telle viande au monde pour cela qu'une femme prise de guerre, et se mocquoit de plusieurs autres de ses compagnons, qui recommandoient sur toutes choses, aux assauts et surprises des villes, l'honneur des dames, mesmes aux autres lieux et rencontres: car elles aiment les hommes de guerre toujours plus que les autres, et leur violence leur en fait venir plus d'appetit et puis on n'y trouve rien à redire, le plaisir leur en demeure, l'honneur des marys et d'elles n'en est nullement honny; et puis les voilà bien gastées! et qui plus est, sauvent les biens et les vies de leurs marys, ainsi que la belle Eunoe, femme de Bogud ou Bocchus, roy de Mauritanie, à laquelle César fit de grands biens et à son mary, non tant, faut-il croire, pour avoir suivy son party, comme Juba, roy de Bithynie, celuy de Pompée, mais parce que c'estoit une belle femme, et que César en eut l'accointance et douce joüissance. Tant d'autres commoditez de ces amours y a-t-il que je passe: et toutesfois, ce disoit ce grand capitaine, ses autres grands compagnons pareils à luy, s'amusants à de vieilles routines et ordonnances de guerre, veulent qu'on garde l'honneur des femmes, desquelles il faudroit auparavant sçavoir en secret et en conscience l'advis, et puis en décider: ou possible sont-ils du naturel de notre Scipion, lequel, ne se contentant tenir de celuy du chien de l'ortolan, lequel, comme j'ay dit cy-devant, ne voulant manger des choux du jardin, empesche que les autres n'en mangent. Ainsi qu'il fit à l'endroit du pauvre Massinissa, lequel ayant tant de fois hazardé sa vie pour luy et pour le peuple romain, tant peiné, sué et travaillé pour lui acquérir gloire et victoire, il luy refusa et osta la belle reyne Sophonisba, qu'il avoit prise et choisie pour son principal et précieux butin: il la luy enleva pour l'envoyer à Rome à vivre le reste de ses jours en misérable esclave, si Massinissa n'y eust remedié. Sa gloire en fust esté plus belle et plus ample si elle eust comparu en glorieuse et superbe reyne, femme de Massinissa, et que l'on eust dit, la voyant passer: «Voilà l'une des belles vestiges des conquestes de Scipion;» car la gloire certes gist bien plus en l'apparence des choses grandes et hautes, que des basses. Pour fin, Scipion en tout ce discours fit de grandes fautes, ou bien il estoit ennemy du tout du sexe féminin, ou du tout impuissant de le contenter, bien qu'on die que sur ses vieux jours il se mit à faire l'amour à une des servantes de sa femme: ce qu'elle comporta fort patiemment pour des raisons qui se pourroient là-dessus alléguer. Or, pour sortir de la digression que je viens d'en faire, et pour rentrer au plain chemin que j'avois laissé, je dis, pour faire fin à ce discours, que rien au monde n'est si beau à voir et regarder qu'une belle femme pompeusement habillée, ou délicatement deshabillée et couchée, mais qu'elle soit saine, nette, sans tare, suros ny mallandre, comme j'ay dit. Le roy François disoit qu'un gentilhomme, tant superbe soit-il, ne sçauroit mieux recevoir un seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou chasteau, mais qu'il y opposast à sa vue et première rencontre une belle femme sienne, un beau cheval et un beau levrier: car, en jettant son œil tantost sur l'un, tantost sur l'autre, et tantost sur le tiers, il ne se sçauroit jamais fascher en cette maison; mettant ces trois choses belles pour très-plaisantes à voir et admirer, et en faisant cet exercice très-agréable. La reyne de Castille disoit qu'elle prenoit un très-grand plaisir de voir quatre choses: Hombre d'armas en campo, obisbo puesto en pontifical linda dama en la cama, y ladron en la horca. C'est-à-dire: «Un homme d'armes sur les champs, un évesque en son pontifical, une belle dame dans un lict, et un larron au gibet.»

J'ay ouy raconter à feu M. le cardinal de Lorraine le Grand, dernier décédé, que, lorsqu'il alla à Rome vers le pape Paul IV, pour rompre la treve faite avec l'Empereur, il passa à Venise, où il fut très-honorablement receu. Il n'en faut point douter, puis qu'il estoit un si grand favory d'un si grand roy. Tout ce grand et magnifique sénat alla au-devant de luy; et, passant par le grand canal, où toutes les fenestres des maisons estoient bordées de toutes les femmes de la ville, et des plus belles, qui estoient là accourues pour voir cette entrée, il y en eut un des plus grands qui l'entretenoit sur les affaires de l'Estat, et luy en parloit fort: mais, ainsi qu'il jettoit fort les yeux fixement sur ces belles dames, il luy dit en son patois langage: «Monseigneur, je crois que vous ne m'entendez, et avez raison, car il y a bien plus de plaisir et difference de voir ces belles dames à ces fenestres, et se ravir en elles, que d'ouyr parler un fascheux vieillard comme moy, et parlast-il de quelque grande conqueste à vostre advantage.» M. le cardinal, qui n'avoit faute d'esprit et de mémoire, luy respondit de mot à mot à tout ce qu'il avoit dit; laissant ce bon vieillard fort satisfait de luy, et en admirable estime qu'il eut de luy qui, pour s'amuser à la veuë de ces belles dames, il n'avoit rien oublié ny obmis de ce qu'il luy avoit dit. Qui aura veu la Cour de nos roys François premier et Henry deuxiesme et autres roys ses enfants, advouera bien, quel qu'il soit, et eust-il veu tout le monde, n'avoir rien veu jamais de si beau que nos dames qui sont estées en leur Cour, et de nos reynes, leurs femmes, meres et sœurs; mais plus belle chose encore eust-il veu, ce dit quelqu'un, si le grand-pere de maistre Gonnin eust vescu, qui, par ses inventions, illusions et sorcelleries et enchantements, les eust peu représenter devestues et nues, comme l'on dit qu'il le fit une fois en quelque compagnie privée, que le roy François luy commanda; car il estoit un homme fort expert et subtil en son art; et son petit-fils, que nous avons veu, n'y entendoit rien au prix de luy. Je pense que cette veuë seroit aussi plaisante comme fut jadis celle des dames égyptiennes en Alexandrie à l'accueil et réception de leur grand dieu Apis, au devant duquel elles alloient en très-grande cérémonie, et levant leurs robbes, cottes et chemises, et les retroussant le plus haut qu'elles pouvoient, les jambes fort eslargies et escarquillées, leur montroient leur cas tout-à-fait; et puis, ne le revoyant plus, pensez qu'elles cuidoient l'avoir bien payé de cela. Qui en voudra voir le conte, pu'il lise Alexand. ab Alexandra, au sixiesme livre des Jours jovials. Je pense que telle veuë en estoit bien plaisante, car pour lors les dames d'Alexandrie estoient belles, comme encor sont aujourd'huy. Si les vieilles et laides faisoient de mesme passe, car la veuë ne se doit jamais estendre que sur le beau, et fuir le laid tant que l'on peut.

En Suisse, les hommes et les femmes sont pesle mesle aux bains et estuves sans faire aucun acte deshonneste, et en sont quittes en mettant un linge devant: s'il est bien délié, encor peut-on voir chose qui plaist ou desplait, selon le beau ou le laid.

Avant que finir ce discours, si diray-je encor ce mot. En quelles tentations et récréations de veuë pouvoient entrer aussi les jeunes seigneurs, chevaliers, gentilshommes, plébéans et autres Romains, le temps passé, le jour que se célébroit la feste de Flora à Rome, laquelle on dit avoir esté la plus gentille et la plus triomphante courtisanne qu'oncques exerça le putanisme dans Rome, voire ailleurs! et qui plus la recommandoit en cela, c'est qu'elle estoit de bonne maison et de grande lignée; et, pour ce, telles dames de si grande estoffe volontiers plaisent plus, et la rencontre en est plus excellente que des autres. Aussi cette dame Flora eut cela de bon et de meilleur que Lays, qui s'abandonnoit à tout le monde comme une bagasse, et Flora aux grands; si bien que sur le seuil de sa porte elle avoit mis cet escriteau: «Roys, princes, dictateurs, consuls, censeurs, pontifes, questeurs, ambassadeurs, et autres grands seigneurs, entrez, et non d'autres.» Lays se faisoit tousjours payer avant la main, et Flora point, disant qu'elle faisoit ainsi avec les grands, afin qu'ils fissent de mesme avec elle comme grands et illustres, et aussi qu'une femme d'une grande beauté et haut lignage sera tousjours autant estimee qu'elle se prise: et si ne prenoit si non ce qu'on luy donnoit, disant que toute dame gentille devoit faire plaisir à son amoureux pour amour, et non pour avarice, d'autant que toutes choses ont certain prix, fors l'amour. Pour fin, en son temps elle fit si gentiment l'amour, et se fit si bravement servir, que quand elle sortoit du logis quelquesfois pour se promener en ville, il y avoit assez à parler d'elle pour un mois, tant pour sa beauté, ses belles et riches parures, ses superbes façons, sa bonne grace, que pour la grande suite des courtisans et serviteurs, et grands seigneurs qui estoient avec elle, et qui la suivoient et accompagnoient comme vrays esclaves, ce qu'elle enduroit fort patiemment: et les ambassadeurs estrangers, quand ils s'en retournoient en leurs provinces, se plaisoient plus à faire des contes de la beauté et singularité de la belle Flora que de la grandeur de la république de Rome, et sur-tout de sa grande libéralité, contre le naturel pourtant de telles dames; mais aussi estoit-elle outre le commun, puisqu'elle estoit noble. Enfin elle mourut si riche et si opulente, que la valeur de son argent, meubles et joyaux, estoit suffisante pour refaire les murs de Rome, et encor pour desengager la République. Elle fit le peuple romain son héritier principal, et pour ce luy fut édifié dans Rome un temple très-somptueux, qui de Flora fut appelé Florian.

La première feste que l'empereur Galba célébra jamais fut celle de l'amoureuse Flora, en laquelle estoit permis aux Romains et Romaines de faire toutes les desbauches, deshonnestetez, sallauderies et débordements à l'envy dont se pourroient adviser; en sorte que l'on estimoit la plus sainte et la plus gallante celle qui, ce jour-là, faisoit plus de la dissolue et de la deshonnestetez débordée. Pensez qu'il n'y avoit ny fiscaigne (que les chambrieres et esclaves mores dansent les dimanches à Malthe en pleine place devant le monde), ny sarabande qui en approchast, et qu'elles n'y oublioient ny mouvement ny remuements lascifs, ny gestes paillards, ny tordions bizarres; et qui en pouvoit escogiter de plus dissolus et débordez, tant plus gallante estoit la dame; d'autant que telle opinion estoit parmi les Romains, que, qui alloit au temple de cette déesse en habit et geste et façon plus lascive et paillarde, auroit mesme grace et opulents biens que Flora avoit eu. Vrayment voilà de belles opinions et belle solemnisation de festes; aussi estoient-ils payens: là-dessus ne faut douter si elles y oublioient nul genre de lasciveté, et si longtemps avant ces bonnes dames estudioient leurs leçons, ny plus ny moins que les nostres à apprendre un ballet, et si elles estoient affectionnées en cela. Les jeunes hommes, voire les vieux, y estoient bien autant empressez à voir et contempler telles lascives simagrées. Si telles se pouvoient représenter parmy nous, le monde en feroit bien son proffit en toutes sortes; et pour estre à telles veuës le monde se tueroit de la presse. Il y a assez-là à gloser qui voudra; je le laisse aux bons galands: qu'on lise Suetone, Pausanias grec et Manilius latin, aux livres qu'ils ont fait des dames illustres, fameuses et amoureuses, on verra tout. Ce conte encor, et puis plus.

Il se lit que les Lacédémoniens allèrent une fois pour mettre le siége devant Messene, à quoy les Mecéniens les prévindrent, car ils sortirent d'abord sur eux les uns et les autres, tirerent et coururent à Lacédémone, pensant la surprendre et la piller cependant qu'ils s'amusoient devant leur ville; mais ils furent valeureusement repoussés et chassés par les femmes qui estoient demeurées: ce que sçachants, les Lacédémoniens rebroussèrent chemin et tournerent vers leur ville: mais de loin ils decouvrent leurs femmes toutes en armes, qui avoient donné la chasse, dont ils furent en alarme; mais elles se firent aussi-tost à eux recognoistre et leur racontèrent leur fortune, dont ils se mirent de joie à les baiser, embrasser et caresser, de telle sorte que, perdants toute honte, et sans avoir la patience d'oster leurs armes, ny eux ni elles, leur firent cela bravement en mesme place qu'ils les rencontrèrent, où l'on put voir choses et autres, et ouyr un plaisent son et cliquetis d'armes et d'autre chose; en mémoire de quoy ils firent bastir un temple et simulacre à la déesse Vénus, qu'ils appelèrent Vénus l'armée, au contraire de tous les autres, qui la peignent toute nue. Voilà une plaisante cohabitation, et un beau sujet de peindre Vénus armée, et l'appeler ainsi! Il se voit souvent parmi les gens de guerres, mesmes aux prises de villes par assauts, force soldats tous armés joüir des femmes, n'ayant le loisir et la patience de se désarmer pour passer leur rage et appetit, tant ils sont tentez; mais de voir le soldat armé habiter avec la femme armée, il s'en void peu. Il faut là-dessus songer le plaisir qui s'en peut ensuivre, et quel plus grand pouvoir estre en ce beau mystère, ou pour l'action ou pour la veuë, ou pour la sonnerie des armes. Cela gist en l'imagination qu'on en pourroit faire, tant pour les agents que pour les arregardants qui estoient là pour lors. Or c'est assez, faisons fin: j'eusse fait ce discours plus ample de plusieurs exemples, mais je craignois que, pour estre trop lascif, j'en eusse encouru mauvaise reputation.

Si faut-il qu'après avoir tant loüé les belles femmes, que je fasse le conte d'un Espagnol qui, voulant mal à une femme, me le dépeignit un jour comme il falloit, et me dit: Senor, vieja; es como la lampada azeintunada d'iglesia, y de hechura del armario larga y desvayada, el color y gesto como mascara mal pintada, et talle como una campana ò mola de molino, la vista como idolo del tiempo antiquo, el andar y vision d'una antigua fantasma de la noche, que tanto tuviesse encontrar la de noche, come ver una mandagora. Iesus, Iesus, Dios me libre de su malencuentro, no se contenta de tener en su casa por huesped al provisor de obisbo, ny se contenta con la demasia da conversacion del vicario, ny del guardian, ny de la amistad antigua del deen, sino que agora de nuevo atomado al que pide para las animas de purgatorio, paracabar su negra vida. C'est-à-dire: «Voyez-la; elle est comme une lampe vieille et toute graisseuse d'huile d'église; de forme et façon, elle ressemble un armoire grand et vague et mal basti; la couleur et la grace comme d'un masque mal peint; la taille comme une cloche de monastère ou meule de moulin; le visage comme d'un idole du temps passé; le regard et l'aller comme un fantosme antique qui va de nuict: de sorte que je craindrois autant de la rencontrer de nuict comme de voir une mandragore. Jesus! Jesus! Dieu m'en garde de telle rencontre! Elle ne se contente pas d'avoir pour hoste ordinaire chez soy le proviseur de l'evesque, ny se contente de la demesurée conversation du vicaire, ny de la continuë visite du gardien, ny de l'ancienne amitié du doyen, sinon qu'à cette heure de nouveau elle a pris en main celui qui demande pour les ames du Purgatoire, et ce pour achever sa noire vie.» Voilà comment l'Espagnol, qui a si bien dépeint les trente beautez d'une dame, comme j'ay dit cy-dessus en ce discours, quand il veut, la sçait bien déprimer.

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