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Voyage à Cayenne, dans les deux Amériques et chez les anthropophages (Vol. 2 de 2)

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Notes

1: Les roches de Kourou sont remarquables par la blancheur et la grosseur des veines qu'on y apperçoit; j'en ai mesuré plusieurs qui ont plus d'un pied de diamètre. Ces veines, d'un marbre blanc, noir et rouge, indiquent les momens de la pétrification. J'en ai tiré des ossemens de grand poisson semi-pétrifiés, et la plus considérable de ces masses se nomme techniquement, roche de la baleine. Le pied est arrosé d'eaux minérales, et le fer se trouve là et dans toute la Guyane, en si grande abondance, que les minéralogistes répondent d'en tirer 16 onces sur 20. On y soupçonne des mines de diamant. Le caillou de Sinnamary est un brillant connu et estimé des lapidaires. Il est aussi dur à tailler que la rose, mais ses veines et ses paillettes diminuent beaucoup de sa valeur.

2: Rien ne nous intéresse plus que la vie privée des hommes fameux, rentrés dans le néant, ou de force ou de plein gré. Dioclétien, Denis le jeune, Sylla et Charles XII, dépouillés de leurs ornemens royaux, éveillent la curiosité philosophique du spectateur impartial. Il seroit bon que l'histoire recueillît jusqu'aux plus petites particularités des hommes qu'elle ne pouvoit envisager au milieu du tourbillon de gloire ou de fumée qui les environnoit. Quand la foudre a brûlé l'auréole, et qu'ils survivent à leur chute, on se contente de dire, ils végètent... Non non, ils naissent pour nous, et ils vivent réellement pour tout le monde pensant.

3: Collot disoit à ceux qui frémissoient de voir en lui le président des désastres de Lyon; si je n'avois pas adouci les ordres du comité de salut public, j'aurois brûlé Lyon, élevé une colonne au milieu, et gravé dessus: ci gît Lyon.

4: Quand Jeannet eut appris par la Bayonnaise qu'il alloit être remplacé, il ne différa plus à exécuter le plan qu'il avoit conçu de réunir tous les déportés à Synnamary. Desvieux eut ordre de rejetter tout l'odieux sur Prévost, et il le destitua provisoirement pour avoir lu cet arrêté aux déportés: et que n'auroit-il pas fait si Prévost l'eût tu? Jeannet ne démentira pas plus le fait suivant que la pièce qu'on vient de lire. Quand Monsieur Noyer lui représentoit que nous péririons tous, il lui répondoit: «Ce sont si vous voulez de braves gens, bons à employer dans d'autres tems, mais qui ne valent rien dans celui-ci; d'ailleurs ils ont tort de n'être pas les plus forts; comme homme particulier, je ne leur en veux pas; comme agent du directoire qui ne les envoie pas ici pour leur amusement, je ne dois pas les ménager

5: Le sapyra est un plat rond coloré en banderoles, en forme de soupière, dont le fond est étroit et le ventre très-large, s'évase encore à son embouchure. C'est une poterie des femmes indiennes, les hommes la mettent en couleur et s'en servent pour boire du cachyery.

6: J'ai vu près de Cayenne, le pont de Montabo, dont le plan fut déposé au bureau de la marine bien avant la révolution. Le gouverneur qui a fait dessécher le pripris auquel ce pont donne écoulement, a envoyé en France le montant de l'ouvrage. C'est une mauvaise charpente en bois qui vaut douze cents livres, et qui a été payée cent mille écus, d'après les mémoires de prétendus architectes qui étoient censés l'avoir fait en pierre et à trois arcades; si dans un tems de paix il étoit si facile d'en imposer à la mère-patrie, combien des agens ont-ils eu de plus grands moyens en tems de guerre?

7: Guillaume III, surnommé le Politique, se déclara pour la Hollande, contre la France. Les flottes bataves et françaises étoient à la voile, et celle de la Grande-Bretagne sortoit de ses ports, commandée par l'amiral Thorinkton. «Suivez mes ordres, lui dit Guillaume; si les français sont les plus forts, vous gagnerez au large, pour n'éprouver aucun échec; s'ils sont inférieurs, vous donnerez pour avoir part au butin.» La flotte batave fut dispersée. Thorinkton prit la fuite sans brûler une amorce. La cause fut portée aux deux chambres. Guillaume, pour ménager ses intérêts et l'amitié de ses alliés, laissa faire le procès à l'amiral, le livra au peuple qui lui trancha la tête en criant: Vive Guillaume! (Extrait du Machiavel, ou Atlantis de madame Manley.)

8: Extrait des mémoires d'un officier de Pondichéry, imprimés à Londres et prohibés en France.

L'auteur de cet ouvrage fut sollicité sous main de vendre son manuscrit à Louis XV qui vouloit le brûler; il refusa les offres du ministre français en disant qu'il devoit la vérité aux manes de son chef; on ne négligea rien pour le conduire dans un lieu propre à l'embarquer pour la Bastille; il ne se laissa pas prendre au piège. Le même monarque employa le même stratagème contre un chevalier attaché à Choiseul disgrâcié, qui avoit fait recueillir la vie privée de la Dubary.

9: Le malheur avoit brisé leur lyre, ils se contentèrent de réciter cette hymne qui pourroit être mise en musique par ceux qui seroient touchés de nos malheurs... Elle l'a déjà été par M. de Beauvais, un de nos confrères, qui a peint Konanama sur les plans que je lui ai donnés, et d'après ce qu'on a lu.

10: L'auteur ne fait qu'analyser ici la procédure du citoyen Burnel, envoyée en France, le 28 brumaire an 8, par son successeur. Lesdites pièces sont signées du citoyen Franconie, de tous les habitans et des mulâtres eux-mêmes.

11: Burnel, en partant de France, avoit épousé civilement une jeune fille d'apothicaire, qui se voyant prête d'accoucher à Cayenne, voulut faire bénir son union par un prêtre insermenté. André Parisot, chanoine d'Auxerre déporté, fut appelé en secret et les maria. Burnel l'ayant soupçonné d'avoir ébruité cette grande affaire, l'exila pendant huit jours à Synnamary; il en fit autant à Germon qui étoit sur l'habitation Bremont, et le tout sur des rapports nègres.

(Extrait du mémoire de J. J. Aimé.)

12: La nuit du 20 au 21 brumaire (10 nov. 1798), a été éclairée à Cayenne, par un superbe feu d'artifice, par des étoiles tombantes. Ce phénomène céleste a duré jusqu'au jour. Ce n'étoit point une aurore boréale, c'étoit quelque chose de plus majestueux; tout le monde en a été frappé. Les nègres crédules ont vu des hommes de feu, des bataillons sous les armes, des couronnes, enfin tous les fantômes d'une imagination alarmée; les blancs ont également vu des choses surprenantes, car la superstition n'est que la suite d'une continuelle attache aux objets. Le malheur, l'anxiété et le grand désir de savoir, d'obtenir ou d'éviter un objet, nous font tenter toutes les chances pour nous satisfaire. J. J. Rousseau, dans les Charmettes, inquiet sur son sort dans l'autre monde, jeta une pierre à un arbre, et dit qu'il attacha sa destinée à la direction de cette pierre. Le Spectateur anglais se trouvant à dîner avec des savans, vit une dame aimable et instruite se lever brusquement de table, parce qu'il avoit mis en croix sa cuiller et sa fourchette. Tel qui traite ce fait de puérilité ne voudroit pas s'asseoir treizième convive à une table, de peur de mourir dans l'année. Quoi qu'il en soit, le 21 brumaire répond au jour de la clôture des jacobins de Paris, en l'an 2; à la sommation aux départemens de pourvoir à la subsistance de Paris, en l'an 4. Il répond aussi à la culbute du directoire, en l'an 8. Ce qui nous fait dire avec Bayle, dans ses pensées sur une comète qui parut de son tems: «Nous faisons plus d'attention aux choses simples qui sont au-dessus de nous, qu'aux merveilles qui se passent tous les jours sous nos yeux.»

13: Le boutou est une massue guerrière, faite d'un bois dur, de la longueur de deux pieds, ornée de brandebourgs ou de plumes, qu'on tient par le milieu; aux deux bouts sont incrustées deux hachettes de fer ou de pierre coupante. Les Indiens se servent de cette massue comme d'un bâton à deux bouts.

14: Banaret signifie en indien, mon bon ami; ils saluent tout le monde avec ce mot. Les créoles leur ont donné ce sobriquet, qui signifie paresseux et original.

15: Le couye est une gourde que produit une liane semblable au potiron. Le calebassier, grand arbre dont la feuille ressemble à celle du pommier, produit aussi des gourdes aussi grosses que nos cruches; on l'appelle Vaisselier indien.

16: Courmous, corbeaux; ce sont des oiseaux gros comme des dindes, très-nombreux dans les pays chauds, qui ne vivent que de corps morts ou pourris. Ils sont très-protégés, parce qu'ils rendent de très-grands services au pays en le purgeant des charognes. Tirer sur un corbeau est un crime capital dans les pays chauds. Les Surinamais pendent les nègres qui s'amusent à cette chasse, et ce n'est pas sans raison; car le corbeau mort ne sert absolument à rien, tandis que sa voracité exempte de la peste.

Le roi des courmous est blanc, a le bout des ailes noir; quand il se trouve à la tête d'une bande, il s'approche seul de la curée, et quelque vorace que soient les autres, ils lui en font librement l'honneur, et n'y touchent qu'après qu'il s'est retiré.

17: Le représentant M. de Larue, déporté, écrivoit de Sinnamary, le 13 frimaire an 6 (3 décembre 1797):

«On a reçu depuis peu ordre de nous transférer dans un des coins de la colonie le plus propre à nous isoler, et l'on ne pouvoit pas mieux choisir que Sinnamary (il ne connoissoit ni Vincent Pinçon, ni le désert de Touga, ni Konanama), village éloigné à plus de trente lieues de Cayenne dans la grande terre sur les bords de la mer. C'est un groupe composé de douze maisons au-dessous de la plus hideuse de nos chaumières, et si rapproché des cantons habités, de ce qu'on appelle sauvages, ou naturels du pays, que nous ne sommes pas deux heures sans recevoir leurs visites; ils sont doux et obligeans; tout est ouvert ici, tout est à la discrétion du premier venu, et il n'y a pas d'exemple de vol de la part de ces sauvages qui manquent de tout ce que nous regardons comme indispensable, qui ont envie de tout ce qui est nouveau pour eux, qui disent même aux Européens, avec un flegme et une naïveté expressifs: vous prenez notre bien; qui vous le demandent avec la candeur qu'ils mettent à vous offrir ce qu'ils possèdent. Un d'eux m'a demandé ma montre, et sur-tout ma chaîne, en me promettant tout ce qu'il a: ma réponse négative n'a pas altéré son humeur joviale; il s'est trouvé bien dédommagé par un coup de rhum que je lui ai donné, qu'il a partagé avec toute sa famille. Ils aiment assez les blancs, mais fort peu les noirs, contre qui ils nous défendroient au besoin.

»Tout se ressent ici de cet état de simplicité d'une nature monotone et silencieuse. C'est un toit de feuilles que vont frapper mes soupirs.»

18: Il est enterré à Paris, sous l'orgue de Saint-Germain-l'Auxerrois.

19: Perroquet tapyré: on appelle ainsi un perroquet des déserts, à qui les Indiens arrachent le duvet et la peau pour le couvrir d'un vernis, détrempé dans le sang d'une grenouille de grand bois, nuancée de différentes couleurs. L'animal, greffé comme un arbre, s'incorpore à cette nouvelle nature, il se couvre de signes hiéroglyphiques les plus merveilleux; très-peu résistent à cette épreuve douloureuse, ce qui en augmente le prix.

20: L'hymen est un dur esclavage pour les femmes indiennes; elles servent de chien de chasse et de bête de somme à leurs maris; elles portent un koukrou, boîte ronde faite de roseaux, sans brassière, qu'elles suspendent à leurs fronts par une anse très-longue, de la manière que les bœufs portent le joug.

21: Lamentin, poisson très-commun dans les rivières de l'Amérique méridionale, est le sphinx de la fable. Horace le décrit assez bien dans le début de son art poétique:

Humano capiti cervicem pictor equinam
Jungere si velit et varias inducere plumas,
Undique collatis membris, ut turpiter atrum
Desinat in piscem mulier formosa supernè.

À la tête et l'encolure d'un cheval, le mufle d'un bœuf, les seins d'une femme et la queue d'un poisson; il a du poil de cochon jusqu'à la ceinture; il se retire dans les rivières, dont les bords sont verts de moucou moucou, oseille de rivage dont il mange la graine, qui est rouge et grosse comme de petites cerises. La femelle a deux nageoires au-dessus des côtes et deux ailerons qui lui servent de bras pour retenir ses deux petits qu'elle allaite, et se traîne sur la vase pour brouter l'herbe. Le mâle et la femelle ont les parties de la génération faites comme l'homme. On trouve des lamentins qui pèsent jusqu'à cinq cents; leur chair, bonne à manger, est comme celle du porc. Ils fuient à l'approche de l'homme: ainsi le sphinx se jeta dans la mer quand Œdipe eut deviné son énigme. Les Américains l'ont pris d'abord pour un enfant de dieu, d'où lui vient le nom de lamentin ou petit dieu lama; les superstitieux lui donnent encore le nom de Maman-Dileau, de Tonanery, de Vieux-Monde: ces expressions signifient, dans leur jargon, revenant, diable des eaux, esprits vengeurs, et autres rêveries renouvelées de la fable.

22: L'anguille tremblante ressemble aux autres poissons à qui on donne ce nom; elle est bonne à manger, et se trouve fréquemment dans les rivières du Sénégal et de la Zone-Torride; le fluide électrique dont elle est pleine, lui a fait donner l'épithète de tremblante; souvent elle fait tomber du canot le pêcheur imprudent qui se suspend trop au bord pour retirer son filet. On en voit de plus grosses que le bras; jetées à terre, elles déposent et reprennent sans cesse une dose de fluide suffisante pour renverser leur assassin, quand il ne prend pas la précaution de déposer son sabre pour les assommer avec un bâton. La Torpille, poisson de mer à qui celui-ci ressemble, n'a pas autant de force.

23: Les Indiennes des côtes se font honneur de percer leurs lèvres inférieures pour y passer leurs épingles qu'elles tirent avec leurs langues.

24: Voy. premier volume, seconde soirée, p. 75 et suivantes.

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