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Voyages du capitaine Robert Lade en differentes parties de l'Afrique, de l'Asie et de l'Amérique

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Le 20 de Mai, douze Indiens, sujets du Prince des Cuscudahs, arriverent dans sept Canots. Leur Prince les amena au Fort. Ils dirent au Gouverneur qu'il ne falloit pas s'attendre cette année à voir venir beaucoup de Sauvages des Terres d'en haut, parce que les François les avoient engagés à tourner du côté du Canada. Cet avis n'empêcha point le Gouverneur de faire préparer sa Chaloupe pour remonter la Rivière. L'arrivée des douze Indiens, entre lesquels étoit le Frere de leur Prince, fut l'occasion d'une Fête éclatante pour tous ces Barbares. Ils s'assirent tous en cercle. Un homme de la Troupe, qui étoit parent du Roi, partagea la viande, & sur-tout la graisse, en petites pièces. Le Roi fit ensuite un petit discours, dont la substance fut qu'ils devoient prendre courage contre leurs Ennemis. Alors toute l'Assemblée jetta un grand cri, après quoi le Distributeur fit le partage de la viande. Il est impossible de s'imaginer la prodigieuse quantité de nourriture que ces affamés dévorerent. La chair de toutes sortes d'animaux les flattoit indistinctement. Ils avaloient, pour liqueur, l'eau qui avoit servi à la cuire, grasse, épaisse, & noire comme de l'encre. Ce dégoutant repas ne dura pas moins d'une heure. Ensuite on distribua dans l'Assemblée de petits bouts de tabac. Ils commencerent à fumer tous ensemble. Ce fut comme le second acte de la Fête. Le troisiéme fut la danse, & le chant, au son d'une espece de timbale, c'est-à-dire d'un chaudron sur lequel ils avoient tendu une peau sechée. Ils passerent dans cet exercice le jour entier jusqu'à la nuit; & lorsqu'ils se retirerent, chacun apporta les restes du festin pour en faire part à sa famille; car il est rare qu'ils y amenent leurs femmes.

Le 22 de Mai il y eut une autre cérémonie, qui ne parut pas moins extraordinaire à nos Anglois. Les Indiens avoient avec eux une sorte de Devin, ou de prétendu Magicien. Ils lui bâtirent une petite tour, haute d'environ huit pieds, découverte par le sommet; mais si bien environnée de peaux que la vûë n'y pouvoit pénétrer. À l'entrée de la nuit, le Devin, qu'ils nommoient Pouaou, se renferma dans la Tour. Tous les Sauvages, s'étant attroupés aux environs, vinrent successivement le consulter sur les événemens dont ils vouloient sçavoir le succès. Quelques-uns lui demanderent s'il n'étoit point à craindre que les Nodways vinssent les attaquer. Il répondit qu'ils viendroient bien-tôt, & que sa Nation devoit être sur ses gardes, aussi-bien que les Mistigouses; c'est le nom qu'ils donnent aux Anglois.

Ils renouvellent souvent cette cérémonie, suivant leurs craintes ou leurs espérances; mais sur-tout lorsqu'ils commencent leurs chasses, & lorsqu'ils se marient. Chaque Sauvage a communément deux femmes, qu'il tient dans une dépendance qui approche de l'esclavage. Ils leur font couper du bois, faire du feu, nettoyer les peaux. Les hommes tuent les animaux sauvages, & ce sont les femmes qui les ramassent, qui en coupent les chairs, & qui prennent soin de les conserver ou de les préparer.

Le 24 de Mai, M. Baily, accompagné de quelques Anglois, & de quelques Sauvages, alla jusqu'au fond de la Baye, pour découvrir les Nodways, & s'assurer si le bruit qui s'étoit répandu de leur approche avoit quelque fondement; mais il ne rencontra ni eux, ni personne qui pût l'éclaircir.

À la fin de Mai, les oyes partirent pour gagner le Nord, où elles vont faire leurs œufs.

Le 27, il arriva, sur vingt-deux Canots, cinquante Sauvages, tant hommes que femmes & enfans. Ils avoient peu de castors. Leur Nation étoit celle des Pichapacanos, qui est fort voisine de celle des Esquimaux. Elles sont également pauvres. M. Bayly conçut mieux que jamais que les François attiroient vers eux la meilleure partie du commerce. Cependant, comme il avoit fait ses préparatifs pour remonter la Rivière, il envoya M. des Groseliers, le Capitaine Cole, & M. Gorst, avec quelques autres Anglois, & plusieurs Sauvages, pour tenter quelque chose par cette route. Ils revinrent, après un voyage de quinze jours, avec deux cens cinquante peaux. Le Chef de la Nation des Tabitis leur avoit dit que les Missionnaires Jésuites engageoient tous les Indiens de cette Contrée à fuir les Anglois, & à se lier avec les Nations qui étoient en Traité avec les François.

M. Bayly résolut d'attendre pendant une partie de la belle saison, à quoi pourroit aboutir le commerce de ceux qui venoient volontairement. Dans les entretiens qu'ils avoient avec eux par le moyen de M. des Groseliers & de quelques Anglois qui sçavoient leur langue, il leur demanda comment ils avoient fait dans un hyver aussi rude que le dernier, pour se procurer des alimens. La plûpart avoient eu des provisions si abondantes qu'ils s'étoient peu ressentis des incommodités de la saison. Mais ils avouerent que dans d'autres tems, lorsqu'ils avoient été pressés par la faim, ils avoient été jusqu'à tuer leurs enfans pour les manger. Il s'étoit même trouvé des occasions où le mari & la femme s'étoient battus jusqu'à ce que le plus fort avoit tué & mangé l'autre. Ces affreux récits se trouvent confirmés par toutes les Relations. Un Sauvage, qui avoit dévoré dans un hyver sa femme & six enfans, disoit qu'il n'avoit été attendri qu'au dernier qu'il avoit mangé, parce qu'il l'aimoit plus que les autres, & qu'en ouvrant la tête pour en manger la cervelle, il s'étoit senti touché de l'affection naturelle qu'un pere doit ressentir pour ses enfans. La pitié l'avoir tellement saisi qu'il n'avoit point eu la force de lui casser les os pour en succer la moële.

Quoique ces gens-là essuient beaucoup de misere, ils ne laissent pas de vivre fort vieux. Lorsqu'ils arrivent dans un âge tout-à-fait décrépit, qui les met hors d'état de travailler, ils font un festin, si leurs facultés le permettent, auquel ils invitent toute leur famille. Après avoir fait une longue harangue par laquelle ils les invitent à se bien conduire & à vivre dans une parfaite union, ils choisissent celui de leurs enfans qu'ils aiment le mieux, ils lui présentent une corde qu'ils se passent eux-mêmes au col, & prient cet enfant de les étrangler pour les délivrer de cette vie où ils se croient à charge aux autres. L'enfant charitable ne manque pas d'obéir aussi-tôt aux ordres de son père & l'étrangle le plus promptement qu'il lui est possible. Les Vieillards s'estiment heureux de mourir à cet âge, parce qu'ils croyent qu'en mourant vieux ils doivent renaître dans un autre monde comme de jeunes enfans à la mamelle & vivre de même toute l'éternité; au lieu que lorsqu'ils meurent jeunes, ils croyent renaître vieux, & par consequent toujours incommodés comme les vieilles gens.

Cependant ils n'ont aucune espece de religion; chacun se fait un Dieu suivant son caprice. Ils l'appellent Maneto; & dans leurs besoins ou dans leurs maladies, ils ont recours à ce Dieu imaginaire qu'ils invoquent en chantant, en hurlant autour du malade, & en faisant des contorsions & des grimaces moins propres à le secourir qu'à précipiter sa mort. Ils n'ont pas moins de confiance à leur Pouaou. Ils croyent si aveuglément ce que ce Charlatan leur dit qu'ils n'osent rien lui refuser, de sorte qu'il en obtient tout ce qu'il veut dans leurs maladies. Lorsqu'on lui demande la guerison de quelque fille ou de quelque jeune femme, il ne consent à les servir qu'après en avoir obtenu quelque faveur. Quoique tous ces Barbares vivent dans une ignorance & une grossiereté qui fait honte à la nature, ils ne laissent pas d'avoir une connoissance confuse de la création du monde & du déluge, dont les Vieillards font des histoires absurdes aux jeunes gens.

Ils sont d'ailleurs fort charitables à l'égard des veuves & des orphelins. Ils donnent tout ce qu'ils possedent avec beaucoup de désinteressement. Aussi sont-ils aussi riches les uns que les autres. Leurs tentes sont de peaux d'Orignaux ou de Cariboux, qu'ils portent resté sur leur dos lorsqu'ils décampent d'un lieu pour aller dans un autre; & l'hiver ils les traînent sur la neige. Ils se servent de raquettes pour marcher sur la neige, comme les Sauvages du Canada.

Il y a beaucoup de Castors dans la Baye de Hudson, & meilleurs même que ceux du Canada. Mais il est surprenant de voir la peine que les Sauvages ont à les prendre en hiver, parce que la peau n'en vaut rien l'Été & qu'elle n'a point de poil. Il faut qu'ils rompent les glaces à coups de haches & d'autres ferremens, quoique la glace ait dans le fort de l'hiver plus de quatre on cinq pieds d'épaisseur. Ces animaux ont un instinct particulier pour se loger. Ils choisissent une petite Rivière qu'ils barrent dans l'endroit le moins large, pour arrêter l'eau qui leur sert d'étang, au bord duquel ils font une cabane qu'ils couvrent de terre assez épaisse. Ils y font leurs amas de branches d'arbres, pour en manger l'écorce pendant l'hiver.

Ils ont divers appartemens dans ces cabanes. Ils ne mangent point dans le lieu où ils couchent, pour n'y pas faire de saleté. Le jour, ils n'approchent de leurs lits que lorsqu'ils ont envie de dormir. Ils sont ordinairement dans ces cabanes, deux, quatre ou six, toujours nombre pair, mâles & femelles, parmi lesquels il y a un maître qui a soin de faire travailler les autres. S'il se rencontre quelque paresseux, les autres le battent tant qu'ils le contraignent d'abandonner la cabane & de chercher parti ailleurs. Les castors ont les jambes fort courtes. Leur ventre traîne toujours à terre. Ils ont quatre dents fort grandes, deux dessous, deux dessus, avec lesquelles ils coupent le bois si facilement que dans un espace très court, ils abbatent un arbre aussi gros qu'un homme l'est par le corps. Ils ont la queüe platte comme une truelle de Maçon, avec laquelle ils portent la terre & maçonnent leurs cabanes & leurs écluses, avec plus d'industrie que l'Artisan le plus habile.

Outre le Castor, il se trouve des Loups cerviers, des Ours, des Martres, des Pequans, des Orignaux, des Elans, enfin de toutes sortes d'animaux dont les peaux sont les plus recherchées en Europe. La Baye de Hudson est sans contredit le lieu de toute l'Amérique, qui est le plus fecond dans cette sorte de richesse. On y a aussi l'agrément de la pêche pendant l'Été. On tend des filets dans les Rivières, avec lesquelles on prend des Brochets, des Truites, des Carpes, & quantité de cette sorte de poissons qu'on appelle du poisson blanc. Il ressemble à peu près au Harang blanc, & c'est sans contredit la meilleure espece de poisson qu'il y ait dans l'univers. On en peut faire des provisions pour l'hiver, en les mettant dans la neige, comme on y met la viande qu'on veut conserver. Lorsqu'ils sont une fois gelés, ils ne se gâtent plus jusqu'à ce qu'il dégele. On conserve aussi de cette manière, des Oyes, des Canards & des Outardes, que l'on met à la broche pendant l'hiver, pour accompagner les Perdrix & les Lievres; de sorte que pour ceux qui ayant passé la belle saison dans le Païs ont eu le tems de se précautionner pour l'hiver, il y a mille moyens de se rendre la vie commode sous un si mauvais climat, pourvû qu'on y ait seulement du pain & du vin de l'Europe. Quoique l'Été soit fort court, il donne le tems de cultiver de petits jardins, d'où l'on tire des laitues, des choux verds & d'autres légumes qu'on peut même saler pour l'hiver.

Enfin les Nodways se firent voir à un mille du Fort, & l'allarme fut aussi vive parmi les Indiens que pour les Anglois. Mais l'ennemi n'eut point la hardiesse d'avancer plus loin. M. Bayly se mit en marche pour tomber sur ces Barbares dans leur retraite. N'ayant pû les joindre, il profita de la tranquillité que leur départ lui laissa pour faire un voyage sur differentes Rivières, d'où il rapporta 1500 peaux. Le 24 de Juin, tous les Indiens qui étoient proche du Fort abandonnerent leurs Wigwams pour commencer leur grande chasse.

Le Gouverneur entreprit un autre voyage pour découvrir la Rivière de Shechitawam, dans le dessein de gagner de là le Port Nelson où l'on n'avoit point encore bâti de Fort. Dans le même tems M. Gorst qui étoit demeuré dans le Fort avec la qualité de Lieutenant, envoya quatre hommes bien armés dans une Barque jusqu'à la Rivière des Nodways, à laquelle ils trouverent cinq mille de largeur dans le lieu où les chûtes d'eau les obligerent de s'arrêter. Elle est pleine de Rocs & de petites Isles, qui servent de retraite à une prodigieuse quantité d'Oyes.

Après deux mois d'absence M. Bayly revint au Fort, & fit cette relation de son voyage. Il avoit trouvé la Rivière de Shechitawam où les Anglois n'avoient point encore pénetré. Il y étoit demeuré jusqu'au 21 de Juillet, à la recherche des Castors dont il n'avoit trouvé qu'un fort petit nombre. Cette Rivière est belle. Elle est au 52e degré de Latitude du Nord. Ses bords & les environs sont habités par une Nation assez nombreuse dont il avoit vû le Roy. Ayant promis à ce Prince de venir l'année suivante avec un Vaisseau bien fourni de Marchandises, on s'étoit engagé aussi à tenir prête une bonne provision de Castors, & à faire naître aux Indiens d'enhaut l'envie de venir trafiquer avec les Anglois. Le 21, M. Bayly ayant continué de voguer dans sa Chaloupe vers le Cap Henriette-Marie, avoit decouvert à quatorze lieuës de l'embouchure de la même Rivière, une grande Isle, entre le Nord-Nord-Est, & le Sud-Sud-Est. Il ne lui croioit pas moins de trente lieuës de tour, & ne lui connoissant point de nom il lui donna celui d'Isle de Viner.

Le 23, suivant la Côte pour doubler une pointe, il decouvrit une épaisse fumée, qui lui fit prendre le parti de descendre à terre. Il trouva sept Indiens dans une affreuse langueur. Les ayant pris dans sa Chaloupe, il les conduisit jusqu'à une petite Rivière nommée Equan, au bord de laquelle on trouva plusieurs cadavres de Sauvages. La mortalité s'étoit mise parmi eux après les souffrances du dernier hiver. M. Bayly laissa des vivres à ceux qu'il avoit laissés à bord, & leur vit remonter la Rivière d'Equan dans un Canot; mais la trouvant trop étroite, il n'osa s'y engager avec sa Chaloupe.

Le 27 sa Chaloupe faillit d'être submergée entre les glaces. Son Pilote étoit un Sauvage de la Nation des Washaos, qui avoit aux deux machoires une double rangée de dents. Il ne pouvoit supporter la présence de l'aiguille aimantée, parce qu'il la prenoit pour quelque dangereux animal; ce qui le rendit si incommode aux gens de M. Bayly qu'on prit de concert le parti de le mettre à terre. On ne trouvoit point de Castors, & quelques Sauvages, qu'on rencontroit toujours sur les Côtes assurerent qu'au delà du Cap, la Mer étoit encore remplie de glaces. Les vivres d'ailleurs commençoient à manquer dans la Chaloupe. M. Bayly resolut de s'en retourner au Fort. Il fut forcé, dans son retour, d'aborder à l'Isle de Charlton, où il souffrit pendant deux jours une faim violente, sans y rien trouver qui fût propre à la soulager. Enfin il arriva au Fort le 30 d'Août.

Quelques jours après son arrivée, on vît descendre dans la Rivière un Canot, chargé de deux hommes. L'un étoit un Missionaire Jesuite, né en France de parens Anglois; & l'autre, qui n'étoit avec lui que pour l'accompagner, se donna pour un Sauvage de la Nation des Cusdidahs & parent du Prince. Le Jesuite présenta au Gouverneur Anglois une lettre du Gouverneur de Québec, dattée le 8 d'Octobre 1673, par laquelle il prioit les Anglois, en vertu de la bonne intelligence qui regnoit entre les deux Couronnes, de traiter civilement ce Missionaire. Il étoit parti depuis longtems de Québec, mais il avoit été arrêté par divers avantures & par l'exercice de sa Mission. Quoiqu'il prétendît que sa lettre n'étoit qu'une recommandation hazardée, pour les occasions où il pourroit rencontrer des Anglois, M. Bayly s'imagina avec beaucoup de vraisemblance qu'il étoit envoyé pour observer nos établissemens; & sans le traiter avec moins de civilité, il prit le parti de le garder jusqu'à l'arrivée des Vaisseaux d'Angleterre. Ces soupçons furent augmentés par une lettre que le Missionaire remit à M. des Groseliers. Elle étoit de son Gendre, qui demeuroit à Québec, & qui s'étant mis en chemin avec le Jesuite & trois autres François, pour venir jusqu'à la Baye de Hudson, s'étoit rebuté des fatigues du voyage & du risque de passer entre tant de Nations Sauvages. Il étoit retourné à Québec avec les trois François. M. des Groseliers même ne fut pas à couvert de la défiance de M. Bayly, & tous les Anglois ne jugerent pas mieux de cette correspondance avec son Gendre.

Cependant lorsqu'on eut donné des habits au Jesuite, qui avoit été dépoüillé des siens dans sa route, & qu'on lui eut fait assez de caresses pour lui inspirer de la reconnoissance & de la tranquillité, il s'ouvrit d'un air si naturel qu'on revint aisement sur le sujet de son voyage. Quelque zele qu'il conservât pour la conversion des Sauvages, il déclara que ses soins ayant eu peu de succès, il n'étoit pas d'humeur à recommencer un voyage de quatre cens milles pour regagner Québec, & que son dessein étoit de repasser en Europe sur les Vaisseaux Anglois.

M. Bayly étoit souvent alarmé par la crainte des incursions d'un certain nombre de Nations Indiennes, qui s'étoient retirées mécontentes, parce qu'elles prétendoient que les Anglois leur avoient vendu leurs denrées trop cher. Il fit mettre toutes ses marchandises en sureté dans sa grande Barque, & se voyant à la veille de manquer de bien des choses nécessaires, il commença serieusement à reflechir sur sa situation. On étoit au 7 de Septembre, & jusqu'a lors il n'étoit point encore arrivé de Vaisseau d'Angleterre plus tard que le 22. La poudre lui manquoit. Il ne lui restoit pas plus de trois cens livres de farine ou de biscuit. Il ne falloit plus compter sur la viande fraîche, puisque ses gens ne pouvoient plus faire usage de leurs fusils, & les provisions de chair salée n'étoient pas assez abondantes pour lui faire envisager tranquillement l'avenir. La pêche étoit une ressource; mais il se souvenoit que la patience avoit manqué plus d'une fois à ses gens, & de quoi ne devoit-il pas se croire menacé si la saison se passoit sans qu'ils vissent arriver aucun Vaisseau d'Angleterre? Toutes ces réflexions lui causerent tant d'inquiétude, que dans le chagrin qu'il eut lui-même de se voir négligé par la Compagnie, il fixa un terme, au-delà duquel il prit la résolution de tout entreprendre pour retourner en Angleterre. C'étoit le dix-sept qu'il devoit partir, & ce dessein, qu'il déclara publiquement fut applaudi de tout le monde. On n'avoit à la vérité qu'une Chaloupe & deux grandes Barques; mais le désespoir rend tout facile, ou fait perdre du moins la vûë du danger à des gens accoutumés à la Mer.

Telle étoit la disposition de toute la Colonie, lorsque le Jesuite, étant vers le soir dans ses exercices de Religion, à quelque distance du Fort, avec M. des Groselliers, & un autre Catholique crut avoir entendu fort distinctement sept coups de canon. Ils revinrent au Fort dans le mouvement de leur joie, pour communiquer cette nouvelle au Gouverneur. On tira aussi-tôt les plus gros canons du Fort, quoique sur une nouvelle si incertaine on eut peut-être mieux fait d'épargner la poudre. Cependant un Sauvage de la pointe de Confort vint donner avis le jour suivant qu'on y avoir entendu plusieurs coups de canon. Comme on avoit fait partir la Chaloupe pour aller à la découverte jusqu'à cette pointe, l'impatience fut extrême jusqu'à son retour. Le jour entier se passa sans qu'on la vît paroître, & tout le monde auguroit mal de ce retardement. Enfin elle se fit voir, mais sans signal. Ce fut un nouveau sujet de défiance qui réduisit tous les Anglois presqu'au désespoir. Mais à son approche on découvrit six Matelots, qui n'étoient pas du Fort, & qui avoient été députés pour avertir que le Capitaine Gillam étoit arrivé à la pointe de Confort, commandant le Prince Rupert, à bord duquel il avoit M. Willam Lyddal nouveau Gouverneur.

Le jour suivant M. Baily & M. Gorst se rendirent à la pointe de Confort, où le Shafhbury, commandé par le Capitaine Shepherd, arriva aussi d'Angleterre. Le nouveau Gouverneur ayant lû sa Commission, tout le monde ne pensa plus qu'à réparer les Vaisseaux qui avoient beaucoup souffert du voyage, & qu'à les charger promptement, avant que la saison devînt plus mauvaise pour le retour.

Le 18 de Septembre M. Lydal arriva au Fort, & prit possession de son Gouvernement. Mais l'air étoit déja si froid, & les pronostics si fâcheux pour l'hyver suivant, que les Matelots les plus expérimentés commencerent à douter s'il n'y auroit pas trop d'imprudence à se remettre en Mer. On tint là dessus plusieurs Conseils. Enfin l'on résolut que les deux Vaisseaux passeroient l'hyver dans la Baye, & que, pendant quelques beaux jours qui restoient à esperer, les deux Équipages s'employeroient à couper du bois, à bâtir des maisons pour eux-mêmes, & à construire quelques édifices communs.

Mais en calculant les provisions qui étoient arrivées par les deux Vaisseaux, & le nombre de bouche qu'il y avoit à nourrir pendant un hyver, dont la durée pouvoit aller jusqu'à dix mois, M. Baily fit confesser à M. Lidal que la résolution du Conseil étoit beaucoup moins prudente que celle du départ. Il se trouvoit, par un compte clair, qu'on ne pouvoit faire fond pour chaque tête que sur quatre livres de farines par semaines. M. Liddal, qui avoit l'humeur fort vive, répondit à cette objection que le pis aller étoit de mourir de faim tous ensemble. Mais les raisonnemens de M. Baily prévalurent enfin, & les deux Vaisseaux retournerent cette année avec une partie des gens qui avoient souffert les rigueurs de l'hyver précedent. Entre plusieurs curiosités qu'ils rapporterent, on a conservé, dans les papiers de la Compagnie, quelques mots du langage des Indiens de la Baye, que M. Bayly même avoit pris soin d'écrire de sa main.

Arakana,du pain.
Astam,venez ici.
Assine,du plomb.
Apit,un gril.
Arremitogisy,parler.
Anotch,tout-à-l'heure.
Chickahigon,une hache.
Esckon,des ciseaux.
Pishihs,une petite chose.
Pastofigon,un canon.
Pistosigou à hish,un pistolet.
Pihikeman,un grand couteau.
Petta à Shum,donnez-moi une piece.
Peguish à con gau moon,   je mange du potage ou du pudding.
Spog,une pipe.
Stenna,du tabac.
Shckahoun,un peigne.
Tapoy,cela est vrai.
Manitohinggin,un habit rouge.
Metus,des souliers.
Mokeman,un couteau.
Mickedy, ou Pickau,de la poudre.
Mekihs,des colliers.
Moustodauhish,une pierre.
No munnish e to ta,je ne vous entend point.
Owma,celui-ci, ceci.
Tancey,ou.
Tinisonec iso?comment appellez-vous cela?
Tequan?que dites-vous?

M. Bayly, à son retour en Angleterre, rendit compte de toutes ses observations, & des facilités qu'on pouvoit trouver à donner plus d'étendue à notre commerce dans la Baye de Hudson. Les espérances qu'il fit concevoir, dépendant particuliérement de la certitude des vivres pendant l'hyver, on résolut de pourvoir si libéralement à cet article, qu'il y eût toujours pour chaque tête le double de la nourriture nécessaire. Ce fut sur ce fondement qu'on résolut de fortifier l'année suivante Port Nelson, qui avoit été si négligé jusqu'alors, que M. des Groseliers avoit été forcé de l'abandonnée avec le petit nombre d'Anglois qu'il y avoit eu pendant quelque tems. M. Jean Bridger fut nommé pour cette entreprise, sous le titre de Gouverneur de la partie Occidentale de la Baye de Hudson, depuis le Cap Henriette Marie, qui fut compris dans le Gouvernement de la partie Occidentale.

M. Jean Nixon succeda l'année suiyante à M. Liddal, & ce fut sous lui que la Compagnie transfera l'Établissement du Fort Rupert à la Rivière de Chickewan, lieu plus fréquenté par les Indiens. L'isle de Charlton commença aussi dans le même tems à se peupler, & à devenir le rendez-vous de tous les Facteurs de la Baye, qui y transporterent leurs marchandises, pour y charger les Vaisseaux à mesure qu'ils arrivoient d'Angleterre.

Ce ne fut qu'en 1682, que M. Bridger s'embarqua pour le Port Nelson. Avant qu'il y put arriver, Benjamin Gillam, Capitaine d'un Vaisseau de la nouvelle Angleterre, & fils du Capitaine Gillam, qui eommandoit le Prince Rupert au service de la Compagnie, s'étoit établi au même lieu; & par un autre hazard, à peine y avoit-il passé quinze jours que MM. des Groselers & Ratisson, qui avoient quitté le service de la Compagnie Angloise sur quelques mécontentemens, y étoient venus aussi du Canada, à la tête d'une nouvelle Compagnie de François. Gillam n'avoit point été assez fort pour les repousser. Mais il étoit demeuré au Port Nelson, où M. Bridger arriva dix jours après les François. À son arrivée MM. des Groseliers & Ratisson lui firent signifier, sur son Vaisseau, qu'il eût à se retirer promptement, parce qu'ils avoient pris possession de ce lieu au nom du Roi de France. M. Bridger ne laissa point de débarquer une partie de ses marchandises, & de mettre ses gens à l'ouvrage pour former son Établissement. Les François demeurerent aussi sans aucune marque d'hostilité. M. Ratisson se lia même fort étroitement avec M. Bridger, & cette amitié dura depuis le mois d'Octobre 1682 jusqu'au mois de Février de l'année suivante; mais sur quelque differend qui s'éleva, Groseliers & Ratisson se saisirent de Bridger, de Gillam, & de leurs gens, & de tous leurs effets. Les ayant gardés Prisonniers pendant quelques mois, ils partirent enfin pour Québec, où ils menerent avec eux Bridger & Gillam; mais ce fut après avoir embarqué le reste des Anglois dans une fort mauvaise Barque, avec laquelle ils eurent le bonheur de joindre un Vaisseau Anglois près du Cap Henriette Marie.

Groseliers & Ratisson repasserent de Québec en France. La Compagnie d'Angleterre ayant appris leur retour en Europe, leur écrivit pour leur promettre d'oublier le tort qu'ils lui avoient fait, & de les employer avec des appointemens considérables, s'ils vouloient entreprendre de chasser du Port Nelson les François qu'ils y avoient établis, & faire tomber entre les mains des Anglois toute la pelleterie qu'ils y avoient amassée, comme une sorte de dédommagement pour les pertes que la Compagnie avoit essuyées. Cette proposition leur fut si agréable, que s'étant rendus en Angleterre, ils reprirent la route du Port Nelson, d'où ils chasserent en effet leurs compatriotes. Le Capitaine Jean Abraham fut nommé Gouverneur à la place de M. Bridger, & conserva cet emploi jusqu'en 1684.

De l'autre côté, M. Nixon, Gouverneur du Fort Rupert, fut rappellé en 1683, & reçut pour successeur Henry Sergeant, sous lequel, ou du moins par les instructions duquel je trouve que cet Établissement fut transferé sur la Rivière de Chickewan, qu'on a nommée depuis la Rivière d'Albany. On y bâtit un nouveau Fort, dont le Gouverneur fit le lieu de sa résidence. Il est au fond de la Baye, au-dessous de la Rivière Rupert. M. Sergeant eut ordre d'apporter tous les ans, au commencement du printems, toutes les pelleteries qu'il auroit amassées à l'Isle de Charlton, pour y attendre les Vaisseaux de la Compagnie, & de visiter les autres Établissemens, pour en faire apporter la pelleterie au même rendez-vous.

Les choses demeurerent dans cet état jusqu'en 1686, que M. le Chevalier de Troies vint de Québec avec un corps de François, qui nous chasserent de nos Établissemens. Nous y rentrâmes en 1696; mais l'année suivante, nous perdîmes dans les glaces, à l'entrée de la Baye deux Vaisseaux, le Hamshire & l'Owners. Cette perte découragea la Compagnie, & le commerce fut languissant jusqu'à la guerre du commencement de ce siécle, qui nous fit tout perdre, à l'exception du seul Fort d'Albanie, où M. Knight eut l'art de se soutenir jusqu'en 1706, qu'il resigna son Poste à M. Fullerton. Rien ne marque mieux la décadence de nos affaires que le silence de tous nos gens de Mer jusqu'à la paix d'Utrecht. Mais on trouve dans la relation d'un étranger, nommé M. Jéremie, le récit suivant. Il parle comme témoin.

»J'étois de l'embarquement qui se fit en France par les soins de M. de la Forêt. Nous nous rendimes à Plaisance avec quatre Vaisseaux, dont M. d'Iberville Gouverneur du Canada, prit le commandement. Il s'embarqua sur le Pelican, de 50 canons. M. de Serigny, son frere commandoit le Palmier, de 40 canons. Le Profond, étoit commandé par M. du Gué; & M. de Charrier commandoit le Vespe.

Lorsque nous fûmes entrés dans le Détroit de Hudson, les glaces nous forcerent de nous separer. M. d'Iberville prit le devant & M. du Gué fut poussé par les courans, tout-à-fait du côté du Nord, où il rencontra trois Navires Anglois contre lesquels il se battit depuis huit heures du matin jusqu'à onze heures du soir, sans que les Anglois le pussent prendre. M. d'Iberville arriva le 5 de Septembre à la rade de Port Nelson, que les François avoient nommé en 1694 le Fort Bourbon, comme ils avoient donné à la Rivière le nom de Sainte Therese, parce qu'ils avoient réduit ce jour-là le Païs sous leur obéïssance. Il envoya sa Chaloupe à terre, avec 25 hommes de son Équipage.

Le 6 les Navires Anglois arriverent. M. d'Iberville se disposa à les recevoir. Il leva les ancres & fut au devant d'eux. Le voyant seul contre trois, ils se flattoient de l'enlever; mais ils furent extrêmement surpris de l'intrépidité avec laquelle il alla les attaquer. Dès sa première volée, il en traita un si mal qu'il le força de se rendre sans oser plus remuer. Ensuite, il perça le côté à l'Amiral qui étoit de 50 pièces de canon, contre lequel il fit tirer si à propos sa volée, qu'avant que les Anglois eussent le tems de changer de bord, ils virent la moitié de leurs voilures dans l'eau, & coulerent à fond devant leur troisiéme Vaisseau qui ne pensa qu'à se sauver. M. d'Iberville lui donna la chasse, mais il ne put l'empêcher de s'éloigner à la faveur de la nuit, & retournant vers sa prise il s'en mit en possession.

La nuit du sept au huit, il s'éleva une si furieuse tempête du vent du Nord, que M. d'Iberville & sa prise furent jettés sur la Côte sans pouvoir l'éviter. Le Navire Anglois fut perdu comme l'autre, avec vingt trois hommes qui se noïerent. Tous les autres se sauverent à terre, parce qu'heureusement la marée se trouva basse.

Tous nos Vaisseaux s'étant rassemblés, nous commençâmes l'attaque du Fort. Les Anglois firent peu de resistance, & lorsqu'ils eurent appris de leurs gens mêmes le sort de leurs Navires, ils se rendirent sans capitulation. M. d'Iberville ayant fait son entrée dans le Fort, y mit l'ordre qui convenoit aux interêts de la France; après quoi il s'embarqua le 14 de Septembre sur le Profond pour retourner en Europe. Il n'emmena que le Vespe, parce ce que le Palmier avoit cassé son Gouvernail en touchant sur une barre; & M. Serigny qui le commandoit, demeura Gouverneur du Fort.

En 1698, il vint un autre Navire à qui l'on avoit eu soin de faire apporter un Gouvernail, parce que dans tout ce Païs, qui n'est couvert que de Sapins, on ne trouve point de bois qui puisse servir à cet usage. Alors les deux Vaisseaux repasserent en France, & M. de Serigny laissa le commandement du Fort à M. de Matigny son parent. Pour moi j'y restai avec le titre de Lieutenant & ma qualité d'Interprete. Il y eut successivement trois Gouverneurs, sous lesquels il ne se passa rien de remarquable.

En 1707, après avoir demandé plusieurs fois mon congé à MM. de la Compagnie pour repasser en France, j'eus le bonheur enfin de l'obtenir. À mon arrivée à la Rochelle, je fus proposé à la Cour pour aller relever celui qui commandoit au Fort Bourbon. C'étoit alors M. de Lille, frere de M. de Saint Michel, qui étoit autrefois Capitaine de Port à Rochefort.

Je levai une nouvelle Garnison à la Rochelle, avec laquelle je partis en 1708. Mais lorsque nous eûmes gagné l'entrée de la Baye de Hudson, les vents nous furent si longtems contraires, qu'ils nous forcerent de relâcher à Plaisance, où nous tirâmes des vivres du Canada. L'année suivante ayant eu le vent plus favorable, je me rendis au Fort Bourbon, & j'y trouvai M. de l'Isle dans le dernier embarras. Il étoit à la veille de manquer de vivres. Comme j'étois arrivé fort tard, & que le Navire avoit été fort maltraité par les glaces, il fallut faire un second hivernement, ce qui causa une perte considérable à MM. de la Compagnie, qui avoient tout à la fois deux Garnisons, avec un gros Équipage, à payer & à nourrir. Pendant l'hiver M. de l'Isle fut attaqué d'un asthme dont il mourut. Je suis resté pendant six ans Gouverneur du Fort Bourbon, où j'avois eu l'honneur d'être établi par une commission du Roy que je garde encore, quoique mes Prédécesseurs n'eussent jamais eu cet avantage; & je n'ai quitté mon emploi qu'en 1714, lorsque je reçus des ordres de la Cour, avec des lettres de M. de Pontchartrain, pour remettre le Poste aux Anglois, suivant le Xe & le XIe article du Traité d'Utrecht, par lesquels la France restituoit aux Anglois tout ce qu'ils avoient possedé dans la Baye de Hudson, avec les Stipulations contenues dans ces deux articles.

J'ai acquis dans un si long intervalle des connoissances dont je ne suis redevable qu'à mes observations. Quoique le Fort soit bâti sur la Rivière que nous avons nommée Sainte Therese, c'est par la Rivière de Bourbon que descendent tous les Sauvages qui viennent en traite. Cette Rivière est d'une si grande étendue qu'elle passe par plusieurs grands Lacs, dont le premier, éloigné de la Mer d'environ 150 lieues, n'a pas moins de 100 lieues de circonférence. Les Sauvages le nomment Tatusquoiaousecahigan, ce qui veut dire Lac des Forts. Il s'y décharge du côté du Nord une Rivière que l'on nomme Quisisquatchiouen, c'est à dire Grand courant. Cette Rivière prend sa source d'un Lac éloigné du premier de plus de 300 lieuës, qui se nomme Michinipi ou Grande Eau, parce qu'en effet il est le plus grand & le plus profond de de tous les Lacs. Il a plus de 600 lieues de tour, & reçoit plusieurs Rivières, dont les unes correspondent avec la Rivière Danoise & les autres dans le Païs des Placotes de Chiens. Autour de ce Lac & le long de toutes ces Rivières, il y a quantité de Sauvages, dont les uns se nomment Gens de la grande Eau & les autres sont les Assinibouels. Il faut remarquer qu'autant que les Esquimaux sont farouches & barbares, autant ceux-ci sont humains & affables, aussi-bien que ceux avec qui l'on entretient commerce dans la Baye de Hudson. Ils ne traitent les François qu'avec les noms de peres & de patrons. Ils sont amis de la vérité & de la justice, & le mensonge passe parmi eux pour un grand crime.

À l'extrêmité du Lac des Forts, la Rivière Bourbon reprend son cours, qui procede d'un autre Lac, nommé Anisquaounigamou, c'est à dire, jonction des deux Mers, parceque dans son milieu les terres s'approchent & se joignent presqu'entierement. La partie du côté de l'Est, qui est située en long, à peu près Nord & Sud, est un Païs de terres épaisses, où l'on trouve beaucoup de Castors & d'Orignaux. Là commence le Païs des Cristimaux. Le climat y est beaucoup plus temperé qu'au Fort Bourbon. Le côté de l'Ouest de ce Lac est rempli de fort belles prairies, dans lesquelles il y a quantité de bestiaux. Ce sont des Assinibouels qui occupent tout ce Païs. Ce Lac n'a pas moins de 400 lieues de tour, & 200 lieues environ du premier.

À 100 lieues plus loin, vers l'Ouest-Sud-Ouest, toujours le long de cette Rivière, il y a un autre Lac qu'ils nomment Ouenipigouchi, ou la petite Mer. C'est à peu près le même Païs que le précedent. Ce sont des Assinibouels, des Cristimaux & des Sauteurs, qui occupent les environs de ce Lac. Il a 300 lieues de tour. À son extrémité, est une Rivière qui se décharge dans un Lac que l'on nomme Tacamiouen, & qui est moins grand que les autres. C'est dans ce Lac que se décharge la Rivière du Cerf, qui est d'une si grande étendue que les Sauvages de la Baye n'ont encore pû aller jusqu'à sa source. Par cette Rivière on en peut joindre une autre, qui porte son courant du côté de l'Ouest, au lieu que toutes celles, dont je viens de parler, se déchargent dans la Baye de Hudson, ou dans la Rivière du Canada. J'ai fait tous mes efforts, pendant que j'étois au Fort de Bourbon, pour envoyer des Sauvages de ce côté là, dans la vûë de découvrir s'il n'y a point quelque mer dans laquelle cette Rivière se décharge. Mais ils sont en guerre continuelle avec une Nation qui leur barre le passage; j'ai interrogé des Prisonniers de cette Nation que nos Sauvages avoient amenés exprès pour me les faire voir. Ils me dirent qu'ils étoient en guerre avec un autre Nation beaucoup plus éloignée qu'eux à l'Ouest; & cette Nation, ajouterent-ils, avoit pour voisins des hommes barbus qui se fortifient avec de la pierre & se logent de même. Ces hommes portant barbe ne sont pas vêtus comme eux & se servent de chaudieres blanches. Ils cultivent la terre avec des outils qui sont aussi d'un métal blanc; & de la manière dont le Sauvage que j'interrogeois me dépeignit le grain qu'ils recueillent, il faut que ce soit du maïs.

Pendant que j'étois à Québec, M. Begon, Intendant du Canada, me pria de lui donner les connoissances que j'avois de ce Pays-là, pour faire entreprendre quelque découverte par la nouvelle France. Mais elle seroit beaucoup plus facile par les routes que je viens de marquer, si nous possedions encore le Fort Bourbon. Outre que le chemin seroit beaucoup plus court, ce sont presque toujours de beaux Pays, où l'on ne manqueroit point de chasse par la quantité d'animaux de toutes sortes d'especes qu'on rencontre dans toutes ces Contrées; sans compter que la terre y produit quantité de fruits sans culture, tels que des pommes, des prunes, du raisin, &c. Au Sud-Ouest du Lac Tacamiouen, on trouve une Rivière qui se décharge dans un autre Lac, nommé le Lac des chiens, & qui n'est pas fort éloigné du Lac supérieur, ou nos Voyageurs vont tous les jours par la Rivière de Montreal.

La Rivière de Sainte Therese, que les Anglois nomment Rivière de Port Nelson, n'a pas plus d'une demie lieue de large à son embouchure où le Fort est situé. En 1710, on fit bâtir, à deux lieues du Fort, du côté du Sud, le Fort Phelipeaux, & un grand Magasin, pour servir de retraite dans les cas pressans. C'est dans ce lieu que commencent les Isles dont la Rivière est entrecoupée. À vingt lieues du Fort, elle se partage en deux bras, & celui qui vient du côté du Nord, que les Sauvages nomment Apitsibi, ou Rivière du Barefeux, communique à la Rivière de Bourbon. C'est par cette route que la plûpart des Sauvages qui viennent en traite, descendent, à l'aide d'un Portage qu'ils font, du Lac des Forêts jusqu'à cette Rivière.

Vingt lieues au-dessous de cette première division, il y en a une autre qui vient du Sud, & qui communique à la Rivière des Saintes Huiles dont je vais parler. Le bras qui vient de l'Ouest n'a pas beaucoup d'étendue. Il est divisé en plusieurs petits ruisseaux, sur lesquels on trouve quantité de castors, de loups-cerviers, de martres & d'autres pelleteries.

Entre le Fort Bourbon, & celui de Phelipeaux, est une petite Rivière, qu'on nomme l'Egarée, par laquelle on tire quelquefois du bois de chaufage; commodité précieuse, parce qu'il est fort rare autour du Fort. Plus bas, tout-à-fait à l'ouverture de la Mer, il y a une autre petite Rivière, nommée la Gargousse, dans laquelle les hautes marées amenent quantité de Marsoüins. Elle est si étroite qu'il seroit facile d'y tendre une pêche; & si cette entreprise étoit une fois bien établie, on y feroit tous les ans plus de six cens Bariques d'huile. Les premiers frais ne monteroient peut-être pas à 2000 écus, & la dépense annuelle de l'entretien ne surpasseroit pas 2000 francs; ce qui feroit néanmoins d'un grand profit en France, où les huiles valent toujours de l'argent.

Il n'y a de remarquable au long de la Mer, vers le fond de la Baye de Hudson, que la Rivière que nous nommons des Saintes Huiles, & que les Anglois appellent Hayes, où ils avoient formé un Établissement pour faciliter leur commerce avec les Sauvages. Mais se voyant attaqués par les François, ils mirent volontairement le feu à leur Fort, & brûlerent tout ce qu'ils ne purent emporter. Leur espérance étoit de se réfugier par terre au Fort Bourbon; mais ils furent poursuivis & faits prisonniers. Alors ce poste fut abandonné jusqu'en 1702, que M. de Flamanville, Commandant au Fort Bourbon, reçut ordre de MM. de la Compagnie de Canada d'envoyer M. de Beaumesnil son frere pour le rétablir. Il y fit construire une petite Maison, qu'on ne put entretenir plus de deux ans, parce qu'il en coutoit plus à la Compagnie qu'elle n'en retiroit de profit. Cependant le haut de cette Rivière est rempli de castors. Il y viendroit quantité de Sauvages en traité. On pourroit même y attirer une grande quantité de ceux qui trafiquent avec les Anglois, & qui sont établis au fond de la Baye. La Rivière est fort plate à son entrée, ce qui n'en permettroit l'accès qu'à des Bâtimens de 50 à 60 tonneaux. Il seroit facile de s'y loger, parce que le bois y est commun. Je ne connois pas le Continent de la Baye qui tire vers le poste que les Anglois occupoient pendant la durée de mon emploi. Mais pour revenir au Fort Bourbon, j'ai reconnu que ce poste est très-avantageux pour son commerce lorsqu'il est bien entretenu. On y traite avec les Sauvages à des conditions très-favorables, pourvu qu'on ait des marchandises telles qu'ils les demandent. Le Fort est situé au 57e degré de latitude du Nord. Par conséquent le froid y est extrême pendant l'hyver, qui commence à la Saint Michel & ne finit qu'au mois de Mai. Le Soleil se couche dans le mois de Décembre à 2 heures ¼, & se leve à 9 heures ¼. Lorsque le tems s'adoucit un peu, les perdrix & les lievres y paroissent en abondance. Pendant un hyver que M. de la Grange, Capitaine de Flute de Roi, passa au Fort Bourbon avec son Équipage, nous eûmes la curiosité de compter combien il en feroit apporter au Fort. Au printems nous trouvâmes qu'entre 80 hommes que nous étions, tant de Garnison que d'Équipage, nous avions mangé 90 mille perdrix & 25 mille lievres.

À la fin d'Avril les oyes, les outardes, & les canards, arrivent dans le Pays pour s'y arrêter deux mois. Ces animaux sont en si grand nombre qu'on en peut tuer autant qu'on en veut, & lorsque les Chasseurs de la Garnison sont occupés au travail, on envoye des Sauvages à la chasse, en leur donnant une livre de poudre & quatre livres de plomb, pour vingt oiseaux qu'ils sont obligés d'apporter. Les cariboux passent aussi dans ce tems, pour repasser au mois d'Août, & leurs troupes sont véritablement innombrables. On les tue dans les bois, & plus facilement encore au passage des Rivières, qu'ils traversent à la nage.

Quoique les peuples qui habitent tous ces Pays soient fort dociles, & naturellement amis des François, il m'arriva une avanture fort triste à l'occasion des cariboux. En 1712, je me trouvai dans la nécessité d'envoyer une partie de mes gens à cette chasse, parce que je n'avois point reçu de secours de France depuis que j'en étois parti en 1708, & que je n'avois plus assez de plomb & de poudre pour faire chasser au gibier avec des fusils. J'avois député mon Lieutenant, les deux Commis, & les meilleurs hommes de ma Garnison, ausquels je m'étois efforcé de donner tout ce que je pouvois retrancher de ma poudre, & de mon plomb. Ils se camperent malheureusement proche d'un camp de Sauvages, qui jeûnoient beaucoup & manquoient de poudre, parce que je ne voulois pas en trafiquer avec eux, & que je la conservois précieusement pour ma défense. Ces Sauvages se voyant bravés par mes gens, qui tuoient toute sorte de gibier, & qui faisoient bonne chere à leurs yeux sans leur en faire part, formerent le dessein de les massacrer pour se saisir de leur proie. Il y avoit deux François qu'ils redoutoient plus que les autres. Pour les surprendre, ils les inviterent à une fête qu'ils devoient faire la nuit dans leurs Cabanes. Les deux François s'y rendirent sans défiance, & leurs Compagnons, qui étoient au nombre de six, se coucherent tranquillement, parce qu'ils se croyoient en sûreté. Lorsque les deux Convives voulurent entrer dans la Cabane des Sauvages, ils trouverent ces perfides rangés en haye, avec des bayonettes à la main, dont ils se servirent pour les poignarder. Après cette exécution, ils ne penserent qu'à prendre des mesures pour égorger les six autres. Ils prirent des armes à feu avec leurs bayonettes, & fondant sur ces malheureux, qui étoient ensevelis dans le sommeil, ils commencerent par faire leur décharge, & les acheverent à coups de poignard. Il y en eut un néanmoins, qui n'ayant eu que la cuisse percée d'un coup de balle, feignit d'être mort: les assassins le voyant sans mouvement se contenterent de lui ôter ses habits comme aux autres, avec toute la précipitation qu'inspirent le remord & la crainte. Mais lorsque le François se vit seul, & qu'il n'entendit plus de bruit, il laissa ses compatriotes étendus, & se traîna de son mieux jusqu'au bois, où dans l'effort qu'il fit pour se lever, il s'apperçut que le coup n'avoit percé que les chairs. Il boucha ses plaies avec des feüilles d'arbres, parce qu'il perdoit tout son sang, & revint au Fort, nud, & presque sans forces. Il avoir fait dix lieues dans cet état. Son récit me causa autant d'inquiétude que de douleur. Je ne pensai plus qu'à me tenir sur mes gardes, dans la crainte que ces perfides ne fissent quelque tentative sur le Fort. Comme nous ne restions que neuf hommes, en y comprenant l'Aumonier, un petit garçon, un Chirurgien, il m'étoit impossible de garder les deux Postes. Je rappellai autour de moi la petite garnison qui me restoit, pour faire bonne garde nuit & jour, sans oser sortir du Fort. Les Sauvages affamés de nos marchandises autant que de nos vivres, vinrent au Fort Phelipeaux, où ils ne trouverent personne. Ils pillerent tout ce qui tomba sous leurs mains; & ce qu'il y eut de plus chagrinant pour moi, ils me prirent onze cens livres de poudre que je n'avois pas eu le tems de faire transporter au Fort Bourbon, & qui étoit absolument mon reste. Ainsi nous passâmes tout l'hyver dans le Fort sans oser mettre le pied hors du Fort, sans vivres & sans poudre, toujours dans la crainte de revoir ces malheureux à notre porte. Mais heureusement ils n'ont pas paru depuis.

En 1713, Messieurs de la Compagnie envoyerent un Navire qui nous apporta toutes sortes de rafraîchissemens, & de marchandises pour la traite. Les Sauvages avoient un besoin extrême de notre secours; car il y avoit quatre ans qu'ils étoient dans la disette parce que je n'avois plus de marchandises à trafiquer avec eux. Aussi en étoit-il mort de faim un grand nombre. Ayant perdu l'usage des fleches depuis que les Européens leur portent des armes à feu, ils n'ont d'autre ressource pour la vie que le gibier qu'ils tuent au fusil. Ils ne sçavent ce que c'est que de cultiver la terre pour faire venir des légumes. Ils sont toujours errans, & jamais on ne les voit plus de huit jours dans le même endroit. Lorsqu'ils sont tout-à-fait pressés par la faim, le pere & la mere tuent leurs enfans pour les manger; ensuite le plus fort des deux mange l'autre.»

Voilà ce que j'ai pû tirer des Relations Françoises, pour remplir le vuide des nôtres depuis le commencement de ce siécle. Le Traité d'Utrecht ayant été fidellement exécuté, nos Anglois recommencerent à former des projets de commerce, & d'établissement dans la Baye de Hudson. Mais après un si long intervalle il ne se trouvoit personne qui connût assez cette Mer & le Pays pour faire renaître la confiance des Marchands. Il se passa quelques années, pendant lesquelles il n'y eut point de Compagnie réguliere, & le premier Vaisseau qui fût envoyé dans la Baye, n'ayant trouvé que des masures dans les Forts, ne rapporta rien qui fût propre à ranimer les espérances. Le Fort d'Albanie & l'Isle de Charlton paroissoient toujours les lieux les plus commodes & les plus sûrs pour rentrer dans les anciennes voies. On sçavoit que les raisons qui avoient déterminé la première Compagnie à choisir l'un pour le principal établissement, & l'autre pour l'entrepôt de toutes les marchandises, étoient celles qui devoient encore engager les Marchands au même choix. Mais il falloit un guide, dont la fidélité & les lumiéres fussent également sûres, & ce n'étoit pas du hazard qu'on devoit l'attendre. Enfin, il se présenta un Capitaine de Vaisseau, nouvellement arrivé d'Antejo, nommé Georges Best, arriere-petit-fils d'un des premiers Avanturiers, qui avoient fait, avec le Chevalier Frobisher, la découverte des Pays qu'on nommoit alors Meta incognita. Il conservoit dans sa famille un Mémoire de son Ayeul, qui faisoit foi des lumiéres qui s'y étoient perpétuées. Cette Piece mérite d'autant plus de voir le jour qu'elle en peut jetter beaucoup sur les anciennes Relations de Frobisher.

MÉMOIRE

DU

CAPITAINE BEST.

DEux Voyages qu'on avoit fait successivement au Nord, dans l'espérance de trouver quelque ouverture qui conduisît à la Mer du Sud, & de pénétrer jusqu'au Catay par cette route, n'avoient encore procuré que la connoissance de plusieurs Terres ignorées; mais le mauvais succès de ces deux entreprises, & les dangers terribles qu'on y avoit essuyées, n'avoient pas refroidi l'ardeur des Matelots, ni diminué les espérances de la Cour. Les derniers Avanturiers avoient rapporté une grande quantité de pierres minerales, où quelques veines jaunes qu'on y voyoit briller, faisoient esperer de trouver de l'or. Soit qu'ils fussent persuadés de la réalité de ce trésor, soit que ce fût une amorce pour exciter leurs Compatriotes à favoriser leurs projets, l'opinion qui s'en répandit servit beaucoup à répandre la même ardeur dans toute la Nation. La Cour nomma des Commissaires pour examiner la matiére minerale, & leur rapport, vrai ou feint, fit recevoir ces nouvelles espérances comme une religion. Enfin la Cour, après avoir fait toutes sortes de caresses au Chevalier Frobisher, & à ses Compagnons, résolut d'envoyer un plus grand nombre de Vaisseaux à la découverte, & de leur faire prendre la route du Nord-Ouest. On fit faire une maison portative qui pouvoit se démonter, & l'on régla que cent hommes, dont quarante seroient Matelots, trente Soldats, & le reste pour les Mines, hyverneroient dans ce Pays-là, & feroient provision de marcassites pour l'année qui suivroit leur hyvernement. On leur donna un Chef, des Rafineurs, des Boulangers, des Charpentiers; & tous ceux-ci furent compris sous le nom de Soldats.

La Flote, qui fut de quinze Vaisseaux, mit à la voile le 31 de Mai, avec on vent si favorable que le 6 Juin nous étions déja sur les Côtes d'Islande, à la hauteur du Cap Cleare. Nous fîmes route au Nord-Ouest avec un vent médiocre. La force du Courant nous fit dériver, suivant notre calcul, beaucoup plus au Nord que nous ne le souhaitions. On jugea que ce Courant portoit aux Côtes de Norvegue, & aux parties les plus Septentrionales. Il ressembloit à celui que les Portugais trouverent au Sud de l'Afrique, & qui les porta du Cap de Bonne Espérance au Détroit de Magellan. Ce Courant ne passe point dans le Détroit, parce que la Mer y est trop pressée; mais il revient du Sud au Nord dans le Golfe de Mexique, d'où étant repoussé par les terres, il reprend son cours au Nord-Est. Du 6 au 20 de Juin nous naviguâmes sans voir de terre, & sans rencontrer aucun autre animal vivant que quelques oifeaux. Le 20 à deux heures du matin notre Amiral cria terre. C'étoit celle d'Ouestfrise, qui fut nommée cette fois-ci Ouest Angleterre. L'Amiral débarqua avec quelques Volontaires. Il prit possession de ce Pays au nom de la Nation. On y découvrit un fort bon Havre pour nos Vaisseaux, & quelques Cabanes des Habitans du Pays, construites à peu près comme celles qu'on avoit vûes dans les premiers voyages. Ces Gens sauvages & farouches, s'imaginant sans doute qu'ils étoient seuls au monde, ne nous virent pas plûtôt paroître qu'ils se mirent à fuir, abandonnant leurs Cabanes, & tout ce qui étoit dedans. Nous y trouvâmes entr'autres choses une espece de tiroir avec des clous, des harangs, des feves rouges, des planches de sapin assez bien faites, & plusieurs autres choses qui portoient des marques d'industrie; d'où nous conclûmes que si les Sauvages ne sont pas plus adroits que ceux des autres Pays, ils doivent être en commerce avec quelqu'autre Peuple plus poli qu'eux. Nous ne leur prîmes que deux chiens, que nous amenâmes; & pour échange on leur laissa des sonnettes, de petits miroirs, & quelques bagatelles de verre. On pourroit croire que cette Ouestfrise, que nous nommâmes Ouest Angleterre, ne fait qu'un même Continent avec le Meta incognita, par le côté de cette derniere Terre qui regarde le Nord-Est, & qu'elle peut même être jointe au Groenland. Cette conjecture est fondée sur la ressemblance des Habitans d'Ouestfrise avec ceux de Groenland, & sur ce que leurs Cabanes, & leurs armes ne se ressemblent pas moins.

Nous remîmes à la voile le 23 & nous prîmes avec un bon vent vers le Détroit, auquel M. Frobisher avoit donné son nom. Le trente nous vîmes des Baleines en si grand nombre, que nous les prîmes pour des Marsoüins. Un de nos Vaisseaux passa à pleines voiles sur un de ces monstrueux animaux, mais non sans danger, puisqu'il demeura d'abord comme échoué sur son corps, sans aucune sorte de mouvement. La Baleine se haussant ensuite, fit rejaillir l'eau d'un grand coup de queüe, & replongea aussi-tôt. Deux jours après ayant trouvé un très monstrueux poisson mort & flottant sur l'eau, nous fûmes persuadés que c'étoit celui sur lequel le Vaisseau avoit sillé. Le 2 de Juillet, nous eûmes la vûe de Queens Fore-land, que M. Frobisher avoit découvert dans son premier voyage. C'est un Cap fort haut qui est à la bouche du Détroit auquel il avoit donné son nom. Après avoir sillé toute la journée au travers des glaces, nous voulûmes entrer le soir dans le Détroit; mais nous le trouvâmes absolument fermé par les glaces, accumulées à l'entrée, qui formoient comme une multitude de Montagnes. Dans les efforts que nous fîmes pour gagner un Havre, nous perdîmes de vûë deux de nos Vaisseaux, la Judith & la Minerve, & nous passâmes vingt jours sans en avoir aucune nouvelle. Le sort du Denis fut beaucoup plus triste. Il fut brisé par les glaces à la vûë du reste de la Flotte. Tout l'Équipage se sauva dans la Chaloupe, mais nous perdîmes avec ce Vaisseau une partie de la maison portative qui étoit destinée pour hiverner.

Un affreuse tempête qui suivit cette perte nous fit apprehender la même infortune. Nous étions environnés de glaces qui ne nous permettoient pas de retourner & beaucoup moins d'avancer. Dans cette situation nous essuiâmes en pleine Mer un orage du Sud-Ouest. Il fut terrible par la nécessité où nous étions continuellement de nous défendre contre le choc des glaces. Nous ne pouvions nous en garentir que par des cables, des planches & des paillasses dont nous armions les flancs des Vaisseaux. Il y falloit joindre le secours des piques, des planches & des crocs pour detourner l'impétuosité des coups. Encore y en eut-il de si violens que des planches de trois pouces d'épaisseur furent coupées plus net qu'elles ne le seroient avec la hache. La pression des glaces qui nous serroient de tous côtés éleva plusieurs de nos Bâtimens au dessus de l'eau. Nous passâmes quatorze heures dans cette effrayante situation. Enfin l'obscurité se dissipa, & le vent d'Ouest-Nord-Ouest chassa les glaces. Tout le monde apporta ses efforts à relever les Mats & à radouber les Vaisseaux; après quoi l'on resolut de tenir la Mer jusqu'à ce que le Soleil & le vent eussent achevé de fondre les glaces.

Nous tournâmes le 7 de Juillet vers la terre que nous prîmes pour la Côte Septentrionale du Détroit. On crut que ce pouvoit être le North Foreland. Mais le brouillard & la neige ne nous permettoient pas d'en porter un jugement certain. Notre situation fut dangereuse pendant vingt jours que le brouillard nous cacha notre route. Nous avions été poussés au Sud-Ouest par un courant du Nord-Est; & lorsque nous nous croyions au Nord-Est du Détroit de Frobisher, nous nous trouvions au Sud-Ouest de Queen's-Fore-land.

Ici nous découvrîmes une pointe, que nous prîmes mal-à-propos pour le Mont Warwick dans le Détroit. Cependant les plus habiles de nos Matelots ne purent se persuader qu'en si peu de tems on se fût si fort avancé. Les courans étoient à la vérité plus sensibles, & faisoient tourner nos Vaisseaux comme des tourbillons. Mais M. Beare, Lieutenant de l'Anne, qui avoit dressé dans les deux voyages précédens une Carte exacte des Côtes, ne put se reconnoître; & notre premier Pilote, homme fort entendu, déclara que la terre que nous découvrions ne pouvoit être dans l'interieur du Détroit.

Le brouillard & la neige continuant d'obscurcir le jour, on balança si l'on ne devoit pas retourner au travers des glaces, pour chercher une Mer libre, ou se livrer au courant pour se laisser porter dans une Mer inconnue. Le Vice-Amiral, à bord duquel étoit notre premier Pilote, & deux autres Vaisseaux perdirent la Flotte de vûë & prirent le parti de tenir la Mer. L'Anne qui s'égara seul, fit la même chose, & rejoignit néanmoins la Flotte aussi-tôt que le tems fut éclarci. L'Amiral & toute la Flotte, à la reserve des trois Vaisseaux égarés firent plus de 60 lieues en se flattant toujours d'être dans le Détroit. Mais la neige ou le brouillard, qui recommençoient sans cesse, nous déroboient à tous momens les uns aux autres. L'Amiral auroit avancé à tout hazard, s'il n'eût eu des ordres précis de ne pas s'éloigner de sa Flotte; car il ne doutoit pas que cette route ne pût le conduire dans la Mer du Sud. Il remarquoit, en avançant, que la Mer s'élargissoit & qu'on y rencontroit moins de glaces, parce que la force des courans les écartent à l'Est & au Nord. Suivant le rapport de quelques-uns de nos gens, ils trouverent à plus de 60 lieues dans ce prétendu Détroit, une terre peuplée, fertile en pâturage, abondante en gibier & en bétail. Ils trafiquerent même avec les Habitans du Païs, des couteaux, des sonettes, des miroirs, &c. pour des Oiseaux, & de la Pelleterie. Leur désir auroit été d'enlever quelques Sauvages, mais ils ne purent en engager un seul à se laisser approcher, & leur traite se fit en laissant sur le bord de la Mer ce qu'ils vouloient donner en échange. Après une navigation de plusieurs jours, l'Amiral jugea que son devoir le rappelloit vers sa Flotte. On fit voile entre une Côte qui est le derriere du Continent de l'Amérique & la terre de Queen's-Fore-land. Mais en faisant route dans ce parage, on remarqua une espece de Baye qui s'étendoit jusqu'au Détroit de Frobisher. On y envoya le Gabriel, pour essaïer si l'on pouvoit la traverser d'un bout à l'autre & rentrer ensuite par l'autre côté dans le Détroit. Cette entreprise réussit, & l'on ne put douter après cela, que Queen's-Fore-land ne fût une Isle. Il y a beaucoup d'apparence qu'une partie de ces terres sont aussi des Isles. Enfin comme la saison demandoit qu'on cherchât serieusement les Havres, où nos Vaisseaux devoient se délivrer de leur charge; nous reprîmes vers l'entrée du Détroit de Frobisher par un tems extrêmement obscur, à travers diverses terres, & entre des Rochers à fleur d'eau; c'est-à-dire dans un continuel danger. L'Anne tourna pendant plus de vingt jours autour de Queen's-Fore-land pour découvrir le Havre où nous devions relâcher, sans pouvoir s'ouvrir un passage au travers des glaces. Il eut enfin le bonheur d'arriver le ving-trois de Juillet à Haltons-Headland, dans le Détroit, où nous étions à l'ancre au nombre de sept Vaisseaux. Le François nous rejoignit auffi le 24. Il nous donna des nouvelles du Vice-Amiral, du Bridgewater, & des deux autres qui nous manquoient. Le Gabriel étoit entré dans le Détroit de Frobisher par une autre ouverture que nous, où il avoit trouvé le courant si impétueux que sans un vent favorable, il ne l'auroit pas surmonté. Le 27 nous vîmes arriver le Bridgewater près de nous, en si triste état que pour le tenir à flot on en tiroit par heure une prodigieuse quantité d'eau. Nous apprîmes de lui que le Détroit étoit barricadé par les glaces, & que le passage étoit impossible pour nous rendre à la Baye de Warwick.

Ce rapport jetta une consternation incroiable dans tous les Équipages. Les plaintes & les murmures s'étant bien tôt fait entendre, l'Amiral qui sçavoit combien j'étois attaché à notre entreprise, me chargea de ramener les Mutins à la soumission. Mais sans me soucier des murmures, je fis donner brusquement le signal pour se rendre à bord, à quoi l'on obeit avec joie, dans l'opinion que c'étoit un ordre pour le retour. L'Amiral par mon conseil mit aussi-tôt à la mer. En dérivant à petites voiles vers les glaces, il y trouva heureusement un passage. La Flotte suivit sans rien distinguer à la route; & le 31 de Juillet, après mille inquiétudes & mille fatigues, l'on se vit enfin réunis au lieu qu'on cherchoit. À l'entrée de la Baye de Warwick, l'Amiral fut heurté si violemment par un glaçon, qu'après avoir sauté de dessus ses ancres, il s'y fit une large voie d'eau. Le Lieutenant Amiral, commandé par M. Fenton, arriva dix jours après les autres.

Tous les Officiers étant à terre, on tint conseil sur l'ordre qu'on devoit observer, & sur le lieu qu'on choisiroit pour bâtir un Fort & une maison. Le second jour d'Août, après avoir fait débarquer les Soldats & les Travailleurs, on en fit la revûë & l'on publia au nom de l'Amiral Frobisher le resolutions du Conseil. Mais sur l'examen qu'on fit ensuite de ce que chaque Vaisseau avoit apporté pour l'édifice de la maison, il se trouva qu'il n'y avoit de matiére que pour deux côtés. Outre ce qui s'étoit perdu dans le Denis, il avoit fallu employer diverses planches, des appuis, des poteaux & d'autres pièces de bois contre le tranchant des glaces. Dailleurs l'absence de 4 Vaisseaux qui nous manquoient encore, retardoit nécessairement le travail, parce qu'ils avoient à bord les meilleurs Ouvriers, & la plus grande partie des provisions de bouche. On reconnut après un calcul exact, que si les 4 Vaisseaux ne reparoissent pas, on n'auroit point assez de boisson pour les cent hommes qui étoient destinés à passer l'hiver dans le Païs. Je m'offris d'hyverner à toutes sortes de risques avec soixante hommes. On appella les Maçons & les Charpentiers, qui demanderent neuf semaines pour construire un logement capable de mettre soixante hommes à couvert. Ils supposoient même qu'on pût leur fournir assez de bois. Mais comme on ne pouvoit retarder le départ de la Flotte plus de 26 jours, l'Amiral conclut qu'il falloit renoncer au dessein de faire une habitation, & cette résolution fut enregistrée pour en rendre compte à la Cour & à la Compagnie de Commerce. Le 6 d'Août trois de nos Vaisseaux gagnerent avec beaucoup de peine la pointe de Leycester, dans l'espérance de trouver le côté méridional du détroit sans glaces; mais ils furent pris d'un calme qui leur ôta le pouvoir d'avancer, & bien-tôt ils se trouverent plus engagés que jamais dans les glaces, qui étoient sans cesse amenées par le courant.

Tant de disgrâces, les dangers continuels dont on étoit menacé, & l'impossibilité de s'arrêter plus long-tems dans une Mer où les cordages durcissoient tellement par la gelée qu'on ne pouvoit plus faire la manœuvre, sembloient faire une loi de prendre incessament d'autres resolutions. On proposa au Conseil de chercher un Port dans le Détroit, pour rétablir les Vaisseaux & l'Équipage, & de retourner ensuite en Angleterre. Mais cet avis me parut si honteux que je le combattis de toute ma force, en protestant que je demeurerois plûtôt seul que de me couvrir d'opprobre par un retour si précipité. Je representai aussi que chercher un Port dans un lieu si dangereux, c'étoit augmenter le danger; qu'il falloit pour cela ranger longtems les Côtes, & que si l'on avoit le bonheur d'éviter les rochers qui y étoient en grand nombre, on n'échapperoit pas si près du rivage à la fureur des glaces, que les courans & les marées y jettent continuellement. Dailleurs que faire dans un Port, où l'on courroit risque d'être renfermé tout l'hyver! L'air étoit déja si froid qu'il menaçoit d'une violente gelée. Mon sentiment fut donc qu'il valoit mieux tenir la Mer, & continuer, suivant les occasions, nos recherches & nos découvertes. J'avois dans mon Vaisseau une Chaloupe de cinquante tonneaux en fagots, qui avoit été destinée pour ceux qui devoient hyverner. J'offris de la monter, & de m'en servir pour essayer de franchir les glaces. Je promettois de courir au long de la Côte, & de chercher si les Vaisseaux qui nous manquoient n'auroient pas trouvé quelque abri où ils étoient peut-être à se radouber. Enfin je m'en tins à la résolution de croiser le plus longtems qu'on pourrait dans le voisinage de la haute Mer, parce qu'il y avoit moins à craindre des glaces; & si l'on vouloit chercher un bon moüillage, je soutins qu'il falloit laisser ce soin aux Chaloupes, sous la conduite de deux ou trois de nos meilleurs Pilotes, mais que les Vaisseaux ne devoient plus s'exposer au risque de s'écarter les uns des autres.

Malgré la vérité de ces raisonnemens, qui fut reconnue du plus grand nombre, l'Ipswich nous quitta la nuit suivante pour retourner en Angleterre. Mais je ne laissai pas d'éxécuter ce que j'avois proposé. J'allai, avec la Chaloupe & le Canot de la Lune, vers les Isles qui sont situées au-dessous de Hatton's-head-land. Il fallut beaucoup de précautions & d'adresse pour nous défendre des glaces. Enfin je trouvai un ancrage qui me parut assez bon, dans une grande Isle dont la terre est noirâtre, & ressembloit beaucoup à celle d'où l'on avoit tiré de la matiére minerale. Je ne perdis pas un moment pour en faire mon rapport aux Équipages, & j'engageai deux de nos Vaisseaux à venir tenter l'avanture. Nous trouvâmes en effet dans l'Isle une si prodigieuse quantité de mineral, que si la bonté eût répondu à l'épreuve qu'on prétendoit en avoir faite à Londres, il y auroit eu de quoi satisfaire les plus avides. Une découverte qui nous parut si heureuse fit donner mon nom à l'Isle, avec l'addition d'un mot qui marquoit mon bonheur, Best-Blessing. Mais la joie que tout le monde en ressentit fut troublée par le malheur de l'Anne, qui en entrant dans le Havre échoua sur un rocher à fleur d'eau. On le délivra néanmoins d'un si grand danger, & pendant que les Travailleurs se hâtoient de recueillir le plus de matiére minerale qu'il leur fût possible, les Matelots n'épargnerent rien pour radouber & calfeutrer les Vaisseaux. J'entrepris de faire monter la Chaloupe que j'avois apportée en fagot; mais il se trouva qu'il ne nous restoit plus assez de clous & de chevilles de fer pour achever cette ouvrage. J'avois heureusement un Forgeron dans mon Équipage, quoique je n'eusse ni enclume ni marteau. La nécessité excite l'industrie. Deux petits soufflets tinrent lieu d'un grand; une piece d'artillerie servit d'enclume, les pincettes, les grils, & les pêles furent employées à faire des cloux & des chevilles de fer. Tandis qu'on poussoit cet ouvrage, je pris avec moi quelques-uns de mes gens, & j'allai au Cap de Hatton's-head-land, qui est la partie la plus élevée de tout le Détroit, dans le dessein de monter au sommet, & non-seulement d'y découvrir, autant qu'il seroit possible, s'il restoit beaucoup de glaces dans le passage, mais encore d'y lever le plan de toutes les parties basses de cette Côte. Je n'eus pas autant de peine que je l'avois apprehendé à gagner le sommet du Cap. Dans l'a saison où nous étions encore, tandis que la Mer étoit remplie de glaces, les terres étoient découvertes, & dans un grand nombre d'endroits elles ne se sentoient plus des rigueurs de l'hyver précedent. Nous trouvâmes en chemin quantité de cette matiére qu'on croyoit propre à donner de l'or. Étant arrivé le 13 d'Août au sommet du Cap, j'y fis dresser une Croix de pierre, pour marquer qu'il y étoit venu des Chrétiens. Après avoit levé mes plans, sans avoir tiré beaucoup d'éclaircissement de ma situation pour ce qui concernoit les glaces, je ne pensai qu'à rejoindre nos Vaisseaux. Mais en descendant au long d'une forêt de sapins, nous vîmes venir à nous un grand ours blanc, qui sembloit chercher sa proye. Noue pensâmes si peu à l'éviter que souhaitant au contraire d'en faire notre nourriture, nous nous disposâmes a l'attaquer. L'entreprise n'étoit pas téméraire puisque j'avois six hommes avec moi. Cependant il se défendit avec tant de force & de furie que deux de mes gens furent blessés, & qu'après avoir essuyé cinq ou six coup de feu, il paroissoit encore en état de se faire redouter; mais un coup de pique, la seule que nous eussions avec nous, l'abbatit à nos pieds; & le bras de celui qui l'avoit frappé fut si vigoureux, que le tenant ferme contre la terre au bout de sa pique, il nous donna le tems de l'achever avec nos autres armes. Comme nous n'avions qu'à descendre, il nous fut aisé de faire rouler ce monstrueux animal jusqu'au rivage, & de le mettre dans la Chaloupe. Les vingt hommes dont mon Équipage étoit composé eurent de quoi se nourrir de sa chair pendant plusieurs jours.

Le 18, ayant trouvé à mon retour la Chaloupe montée par l'industrie de mes Matelots, je résolus de m'y hazarder avec les plus résolus, pour trouver, au travers des glaces, le moyen d'entrer dans le Détroit de Frobisher. Tout le monde s'efforça de me faire abandonner cette entreprise, & les Charpentiers mêmes qui avoient monté la Chaloupe me protesterent qu'ils ne s'y hazarderoient pas eux-mêmes, parce que ce petit Bâtiment n'étoit lié qu'avec de mauvaises chevilles de fer. Leur témoignage refroidit ceux qui devoient m'accompagner. Je n'aurois pas voulu moi-même qu'on eût pû m'accuser d'obstination & d'imprudence. Ainsi me tournant vers mon Lieutenant, & mes plus fideles Matelots, je leur representai que l'honneur ne nous permettoit pas d'abandonner légerement notre entreprise; qu'il falloit du moins retrouver notre Amiral, dont nous n'avions point eu de nouvelles depuis plusieurs jours; qu'avec le grand dessein de trouver une route à la Mer du Sud, qui faisoit l'attente commune de toute l'Angleterre, nous avions le motif de nous enrichir par le mineral que nous avions découvert, & qu'il falloit nous donner le tems de recueillir; qu'à la vûe seule il paroissoit plus riche que celui dont on avoit déja fait l'essai à Londres, quoiqu'au fond il pût fort bien être vrai que l'un & l'autre ne fussent que des pierres inutiles; mais enfin que le bon sens nous obligeoit de ne pas négliger de si belles apparences. Et m'adressant ensuite aux Charpentiers, je les sommai publiquement de me dire en conscience si la Chaloupe étoit assez forte pour s'y pouvoir hazarder. Après s'être consultés un moment, ils me répondirent qu'oüi, pourvu qu'on évitât les glaces, & qu'il ne s'élevât point d'orage.

Il ne m'en falloit pas davantage, & je m'apperçus aisement que la reponse des Charpentiers avoit rendu le courage à mes Matelots. Ceux mêmes de quelques autres Vaisseaux s'offrirent à partager avec moi les perils & la gloire de mon entreprise, & Jean Gray Pilote de l'Anne, declara genereusement que rien ne seroit capable de l'en empêcher. Je partis enfin dans la Chaloupe, accompagné de dix-neuf personnes, avec des vivres & d'autres provisions. Mon Vaisseau que je laissai à l'ancre, demeura sous la conduite de mon Écrivain, rien n'ayant pû engager mon Lieutenant & mon Pilote à me voir partir sans me suivre.

Il fallut ranger d'abord la côte en ramant l'espace de trente lieues, c'est-à-dire jusqu'à l'endroit le plus dangereux du Détroit. Nous passâmes alors à l'autre bord, & le suivant au Nord, nous tinmes route vers l'Isle Comtesse dans la Baye de Warwick, esperant ainsi découvrir l'Amiral & les autres Vaisseaux qui nous manquoient, ou trouver quelques debris de leur naufrage. Ce ne fut pas sans risque que nous traversâmes vers l'autre rivage. La force du courant nous fit dériver avec tant de vitesse, que la nuit suivante nous fûmes obligés de mouiller entre des rochers, près de la Côte brisée de l'Isle de Gabriel, un peu au-dessus de la Baye de Warwick. Nous trouvâmes près du rivage des pierres élevées en Croix, signe qu'il y étoit venu des Chrétiens.

Le 22 d'Août nous eûmes la vûe de la Baye de Warwick. Nous descendîmes à terre pour nous en assurer encore davantage, en la reconnoissant du sommet d'une Colline. Nous continuâmes de ranger la Côte du Nord; mais en passant sous une montagne, nous apperçûmes de la fumée, & lorsque nous fûmes plus près du Rivage, on distingua des hommes qui faisoient voltiger une espece de drapeau. L'usage des naturels du Païs étant de nous donner ces figures quand ils apperçoivent quelque Chaloupe, nous fûmes portés à croire que c'étoient des Sauvages. On découvrit ensuite quelques tentes, & l'on distingua la couleur de ces drapeaux qui étoient blancs & rouges. Cependant comme on ne voyoit ni Vaisseau ni Havre à quatre ou cinq lieues à la ronde, & que d'ailleurs on ne s'imaginoit pas qu'aucun de nos gens eût pris cette route, on ne sçavoit à quel jugement s'arrêter. Je résolus, à tout hazard, de descendre à terre avec la meilleure partie de mes gens, & si c'étoit des Sauvages, de fondre brusquement sur eux; non pour leur causer aucun mal, mais dans l'espérance d'en saisir quelqu'un au milieu du désordre, pour les engager au contraire à traiter sans crainte avec nous. Aucun de nos Vaisseaux n'avoit encore pû parvenir à commercer personnellement avec eux, & nous admirions néanmoins la bonne foi avec laquelle ils n'avoient pas manqué d'apporter des équivalents pour nos marchandises dans les lieux où nous leur en avions laissées.

Notre incertitude ne dura pas longtems. C'étoient les gens de l'York, notre Vice-Amiral, qui se hâterent de venir au-devant de nous. On s'embrassa tendrement, avec toute la joie qu'on devoit trouver à se revoir, après avoir essuyé tant de dangers. Leur Vaisseau étoit depuis peu de jours dans un fort bon Havre, qu'ils avoient découvert sur cette Côte, & s'étant hazardés à pénétrer plus de dix lieues dans les Terres sans avoir pû joindre un seul Sauvage, ils y avoient trouvé une mine qu'ils avoient foüillée fort heureusement. Ils m'assurerent que le Chevalier Frobisher étoit dans la Baye de Warwick. Je pris le parti de le chercher aussi-tôt, pour lui faire voir le mineral que j'avois découvert dans l'Isle Best-blessing, & dont j'avois apporté des montres. La route me fut si facile, que ne perdant point la terre de vûe, rien ne m'empêcha d'y descendre à chaque occasion que j'eus de voir quelque Hute des Sauvages, & d'esperer de pouvoir les y joindre. Après l'avoir tenté deux fois inutilement, je me déterminai enfin, aux premières Hutes que j'apperçus, à demeurer caché le long du rivage jusqu'à l'entrée de la nuit; & suivant dans l'obscurité la route que mes yeux s'étoient tracés pendant le jour, je gagnai, avec dix de nos gens, une Hute dont je me flattai que les Habitans ne pourroient pas m'échapper. La porte en étoit fermée. J'avois apporté une chandelle & tout ce qui étoit nécessaire pour allumer du feu. Mais ayant frapé modestement à la porte aussi-tôt que j'eus de la lumiére, je fus obligé de redoubler mes coups pour m'assurer que la Hute étoit sans Habitans, puisqu'il ne s'y faisoit aucun bruit, & qu'elle tardoit si longtems à s'ouvrir. Il ne fallut pas de grands efforts pour l'enfoncer. Nous n'y trouvâmes personne; mais quelques instrumens de fer, & quantité de pieux qui paroissoient avoir été travaillés nouvellement me firent juger que les Sauvages y étoient venus pendant le jour. Je résolus d'y passer le reste de la nuit, dans l'espérance qu'ils y reviendroient le lendemain, & qu'ils ne pourroient point nous échapper. En effet, un quart d'heure après la pointe du jour, nous vîmes, par un trou que nous avions menagé dans le mur, deux hommes qui s'approchoient, avec une femme qui portoit un enfant dans ses bras. Nous les laissâmes venir si près, qu'étant sortis brusquement à leur rencontre, ils prirent en vain la fuite pour se dérober à nous. Nos caresses les firent bien-tôt revenir de leur effroi. Ils étoient vêtus de peaux de chiens marins. Nous les conduisîmes à la Chaloupe, où tout l'Équipage s'empressa par mon ordre de les traiter avec amitié, & lorsqu'on les eut fait bien boire & bien manger, je remis l'un des deux hommes sur le rivage avec plusieurs petits presens, dans l'espérance qu'il retourneroit aussi-tôt vers les gens de sa Nation. Mais, soit que la femme & l'enfant fussent à lui, & que cette raison le retint, soit qu'il fût arrêté par d'autres motifs que nous ne pûmes pénétrer, il ne s'éloigna pas d'un seul pas, comme s'il eut attendu pour partir qu'on lui rendît les autres. Je balancai si je ne les emmenerois pas tous trois. Enfin je leur rendis la liberté, & je me figurai que s'il restoit quelque espoir de tirer d'entre leurs mains cinq hommes qu'ils nous avoient pris dans les navigations précedentes, c'était par la douceur qu'ils pourroient s'y laisser engager. Mais je ne voulus point m'écarter sans avoir retourné vers leurs Hutes. Celles que nous avions vûes n'étoient que des especes de tentes qui leurs servent dans la belle saison. M'étant avancé avec la meilleure partie de mes gens, je découvris une douzaine de ces misérables, qui prirent la fuite à notre approche. Nous apperçumes leurs Habitations d'hyver, ou plûtôt leurs trous, que nous ne pûmes regarder sans surprise & sans compassion. Ce sont des lieux souterrains qui ont deux toises de profondeur sous terre, & qui sont rondes comme nos fours. Ils sont si près les uns des autres qu'on les prendroit pour des tanieres de renards, ou pour des trous de lapins. Les Sauvages les creusent tellement par dessous que l'eau qui vient d'enhaut s'y écoule sans les incommoder. Leur situation est à l'abri des vents, & l'entrée regarde le Sud. Les parois de ces logis souterrains sont comme incrustés d'os de baleine depuis le bas jusqu'au haut, & l'ordre en est aussi industrieux que celui de nos aix. Les ouvertures sont fermées exactement par des nerfs, qui joignent des peaux de chiens marins au lieu de tuiles. Ces maisons n'ont qu'un appartement, dont la moitié plus élevée d'un pied que l'autre est pavée de larges pierres, & l'autre, qui est couverte de mousse, sert aux fonctions du menage. Tout ce que nous y apperçumes me fit juger qu'ils y vivent comme des bêtes, & qu'ils séjournent dans un même lieu jusqu'à ce que l'extrême saleté les en chasse. Nous y trouvâmes plusieurs arcs, & nous en emportâmes quelques-uns. Ils ont pour armes, avec l'arc, la fronde & le dard. Leurs arcs sont de bois, de la longueur d'une aulne d'Angleterre. Ils sont renforcés par des nerfs, & les cordes sont aussi de nerf. Leurs fléches sont de trois pièces: le devant & le derriere est d'os, le milieu de bois, & la longueur est de deux pieds. Chaque fléche a deux plumes taillées sur le devant du tuyau, & pour la décocher ils font reposer le plat de la plume sur le bois de l'arc. Elles ont trois différentes têtes, de pierre, ou d'os, ou de fer en forme de cœur; ces têtes sont aiguisées des deux côtés, & fort pointues. Elles sont peu fermes, parce qu'elles sont mal jointes à la fléche; ce qui les rend peu dangereuses si elles ne sont décochées de fort près. Leurs dards sont de deux sortes. Ils en ont à diverses pointes qui avancent par-devant. Le milieu est d'os. Ils ont des instrumens de bois qui leur servent à lancer ces dards avec beaucoup de vîtesse. L'autre espece est plus grande, & ressemble assez à nos épées.

Ils chassent aux oiseaux & aux autres bêtes avec leurs autres armes, & prennent le poisson au dard. Cependant tous ces instrumens sont si mal faits qu'ils ne peuvent s'en servir qu'avec peine; & pour le fer dont ils les garnissent, je m'imagine qu'ils sont en commerce avec quelque Nation qui leur en fournissent. Ils ont sur la tête une espece de capuchon long & pointu. S'ils veulent marquer de l'amitié à quelqu'un, ils lui font présent de la pointe de ce capuchon. Les hommes ne le portent pas tout-à-fait si pointu que les femmes. L'un & l'autre sexe porte la même chaussure, qui va jusqu'aux genoux sans aucune ouverture. Elle est de cuir, & les femmes en mettent deux ou trois paires l'une sur l'autre. Ils portent dans ces chaussures leurs couteaux, leurs aiguilles, & les autres petits instrumens de la même espece; & pour empêcher qu'elles ne tombent, ils y passent un os qui les soutient, depuis le talon jusqu'au genou. Ils préparent leurs peaux avec le poil. Elles sont douces & unies. En hyver, & dans le tems humide, le poil est en dedans. Telle est leur parure. On n'a pû sçavoir encore quelle est leur Religion, ni s'ils en ont une. On ignore aussi s'ils sont Antropophages; mais ils mangent crues toutes les sortes de viande qui leur servent d'alimens, chair & poisson. Je ne découvris aucun de leurs Bateaux au long de cette Côte; mais j'en ai vû dans plusieurs autres occasions. Ils en ont de deux sortes, qui sont de cuir, garnis en dedans de planches quarrées, jointes par des courroies avec beaucoup d'industrie. Les grands ressemblent à nos Bateaux à rame, & peuvent tenir seize, dix-huit, & même vingt personnes. Ils mettent vers la proue une voile de boiaux de bêtes, cousus fort proprement ensemble. L'autre sorte de Canots est si petite qu'ils ne contiennent qu'un homme. En général les Pays qui environnent tous ces Détroits sont hauts & pierreux. On y voit dans toutes les saisons des Montagnes couvertes de neige. Il n'y a presque rien de plain & d'uni, & point du tout d'herbe, excepté un peu de mousse qui se trouve dans les lieux bas & humides. À la réserve du sapin on peut dire aussi qu'il n'y a point de bois, & que le Pays est sans arbre & sans plantes. Mais il n'en est pas moins rempli de gibier. On y trouve des ours blancs en grand nombre, des loups, des cerfs à peu près de la couleur de nos ânes, & dont le bois est beaucoup plus large & plus élevé qu'aux nôtres. Leur pied a sept ou huit pouces de tour, & ressemble à celui de nos bœufs. On y trouve des liévres, des perdrix, &c. Il n'y a point de Rivière, ni d'eau courante dans le Détroit de Frobisher, & dans la Baye de Warwick, ce qui n'est pas surprenant puisque le froid y durant sans cesse pendant les quatre saisons de l'année, endurcit & resserre tellement la terre que les eaux ni peuvent avoir d'issuë comme dans les autres Pays, ni former un bassin & se répandre dans un lit. Dans plusieurs endroits la terre se trouve gelée à quatre ou cinq brasses de profondeur, & les pierres attachées si fortement ensemble qu'on ne peut les séparer qu'a coups de marteau. Cependant une partie des neiges fond en Eté, & coule des montagnes dans des cavités, comme dans un vivier ou dans un marais. À la longue elles s'y imbibent dans la terre.

Je trouvai l'Amiral vers le soir du même jour. Son Vaisseau étoit en fort bon état, par le soin qu'il avoit pris de le faire radouber. Il avoit ramassé beaucoup de matiére minerale. Il me donna ses ordres, dont le principal étoit de nous rassembler tous à Haton's-head-land, où j'avois laissé mon Vaisseau. Mais il parut fâché que j'eusse rendu la liberté aux trois Sauvages que j'avois eus dans ma Chaloupe. Son désir auroit été non-seulement d'en emmener quelques-uns en Angleterre, mais de s'en servir pour apprendre leur langue, ou leur donner quelque connoissance de la nôtre. Il en paroissoit de tems en tems, & l'on en avoit vû jusqu'à sept ou huit Barques à la fois, qui rodoient sans doute pour surprendre ceux de nos gens qui travailloient aux mines. On se flatta de pouvoir les surprendre avec les Chaloupes, car ils se gardoient bien de paroître lorsqu'ils decouvroient un gros Bâtiment. Mais avant que nos Chaloupes se fussent rassemblées, ils furent avertis de ce mouvement par d'autres Sauvages qu'ils avoient postés sur les hauteurs; ils prirent la fuite, & laisserent près de leurs trous un des plus grands Javelots dont ils ayent l'usage. Cette défiance, qui leur avoit appris à fuire dès qu'ils nous soupçonnoient de vouloir nous approcher, venoit sans doute, de la pensée, que nous cherchions à vanger la captivité ou la mort de nos cinq hommes.

Je me rendis le 24 à Haton's-head-land, où je trouvai mon Vaisseau chargé, & prêt à faire voile. Les autres Navires n'avoient pas négligé non plus leur carguaison, & quoique les plus sensés d'entre nous ne pussent se persuader qu'une matiére si commune dans des lieux maltraités de la nature, pût nous rendre tous les trésors qu'on nous avoit fait esperer, la simple imagination d'un si grand bien animoit tout le monde au travail & nous faisoit regreter toutes les pierres minerales que nous ne pouvions emporter. Je retournai le 28 à la Baye de Warwick. Ou y tint conseil à bord de l'Anne, & l'hyver qui commençoit sensiblement à s'approcher, nous forçant de penser au départ, on prit des mesures pour la conduite qu'on tiendroit dans un autre voyage. La maison qu'on avoit apportée en fagot étoit enfin achevée dans l'Isle de Warwick, où Fenton avoit voulu qu'elle fût bâtie. Nous avions jugé à propos qu'elle le fut à chaux & à sable, afin qu'étant plus capable de résister aux injures de l'air, on pût voir l'année suivante si les neiges, les glaces, & les Sauvages mêmes l'auroient épargnée. Il nous paroissoit toujours d'une importance extrême d'apprivoiser ces hommes farouches & brutaux; & pour les rendre plus dociles à notre retour, nous laissâmes dans la maison un grand nombre de bagatelles, comme des couteaux, des sonettes, des figures d'hommes, de femmes & de Cavaliers, en plomb, des miroirs, des pipes, des colliers de verre, & des sifflets. Nous y fîmes faire un four, où nous voulûmes qu'il restât du pain, afin qu'ils en pussent goûter. Le bois que nous avions apporté pour bâtir un Fort fut enterré dans un lieu que nous couvrimes avec beaucoup de soin. Et quoique le fond du terroir, tel que je l'ai représenté, ne pût être que fort sterile, nous ensemençâmes quelques endroits moins pierreux, de froment, de pois & d'autres grains, pour essayer ce que la terre pourroit produire. Outre les raisons qui ne nous avoient pas permis de bâtir le Fort, on comprend bien que le plus puissant motif pour s'établir sous un climat si triste étant les espérances qu'on fondoit sur le mineral, le doute qui nous restoit de sa valeur diminuoit le penchant qui nous y auroit arrêtés si nous avions eu plus de certitude; surtout lorsqu'étant tous chargés, nous nous sentions le même empressement pour aller faire la vérification de notre matiére à Londres. Aussi M. Frobisher ne remit-il pas plus loin à nous assembler. Il nous dit qu'il auroit souhaité que nous eussions pû étendre beaucoup plus loin nos découvertes, & qu'il prévoyoit que cet honneur nous seroit ravi par des Avanturiers plus heureux; mais que les obstacles qui nous avoient empêchés jusqu'àlors, devant augmenter incessamment par les brouillards, les neiges, les orages & les glaces que l'hyver alloit redoubler, il falloit se contenter cette année d'avoir chargé si heureusement les Vaisseaux; d'autant plus que si nous avions le malheur d'être surpris par les vents contraires, nous devions nous attendre à périr de froid, de faim & de misere. Son discours & la résolution de partir furent encore fortifiés par la perte de l'Anne, auquel les rochers & les glaces firent huit ouvertures qu'il fut impossible de réparer. Le mouvement que cette disgrâce causa parmi les autres Vaisseaux, excita sans doute la curiosité des Sauvages. On en vit un s'approcher dans un canot, & l'Amiral qui avoit encore quelques-uns de ses gens sur la Côte dont on l'avoit vû partir, ne douta point qu'ils n'y fissent attention, & qu'ils ne trouvassent le moyen de prendre le canot par derriere. En effet nous fimes partir une Chaloupe avec dix Rameurs, qui rangerent quelque temps le rivage, & qui parurent tout d'un coup entre la terre & le Sauvage. La facilité qu'il avoit de passer sur les glaçons, tandis que la Chaloupe en étoit souvent arrêtée, n'auroit pas laissé de le sauver de nos mains, si deux gens de la Chaloupe désespérant de le prendre n'eussent pris le parti de lui tirer chacun leur coup de fusil, donc ils l'abbatirent. Ils nous amenerent le canot avec le corps de ce misérable, qui étoit encore dans son trou. Ces petits canots, qui sont de cuir, n'ont qu'une petite ouverture au milieu, pour la place d'un homme assis. Cette ouverture est entourée d'une bourse qui se lie au travers du corps, de manière que les vagues peuvent passer sur la tête du Sauvage, sans que le canot se remplisse d'eau. Ils ont des avirons plats par les deux bouts; ce qui leur sert comme de balancier, sans lequel ils auroient peine à se tenir dans leur situation. Aussi le canot étoit-il panché sur le côté en arrivant à nous. L'Amiral le fit prendre pour l'emporter en Europe. Mais il se fâcha beaucoup contre ses gens qui avoient usé de cette violence. Cependant avant que de partir, il voulut faire encore une nouvelle tentative pour surprendre quelque Sauvage. Ne pouvant douter qu'il ne s'en trouvât plusieurs dans le lieu d'où le mort étoit parti, il me pressa d'y aller sur le champ avec ma grande Chaloupe. J'exécutai ses ordres, quoiqu'àprès l'experience que j'avois déja faite, j'espérasse peu de reussir. Je descendis à terre, & je m'avancai plus d'une lieue dans les terres, sans rencontrer une seule créature vivante. À mon retour mes gens tuerent un Cerf qui se leva subitement devant nos pieds & qui fut abbatu aussi-tôt de plusieurs coups de fusil.

Enfin nous sortimes de la Baye de Warwick le 1 de Septembre, & tous les autres Vaisseaux se rassemblerent autour de nous le jour suivant. Le temps devint si fâcheux, que nous fumes exposés à mille nouveaux dangers au travers des rochers & des glaces. Une partie de la Flotte se dispersa & ne se rejoignit qu'à Londres. J'eus le bonheur de ne pas m'éloigner de l'Amiral, mais nous fumes poussés par un vent fort impétueux vers la terre ou l'Isle de Frisland. Nous ne la reconnûmes qu'à notre hauteur, qui étoit de 60 degrés & demi. Les montagnes y sont entiérement couvertes de neiges, & toutes les Côtes de glace, comme d'un boulevart qui ne permet pas d'en approcher. On prétend que cette Isle est aussi grande que l'Angleterre & que les Habitans y sont fort bons Chrétiens. Elle fut découverte au quatorziéme siécle par deux freres Venitiens, Nicolo & Antonio Zeni que la Tempête poussa des Côtes d'Islande en Frisland, où ils firent naufrage. Ils en ont laissé la Relation; & ce qu'il y a de certain, c'est que nous trouvâmes la disposition des Côtes tout-à-fait conforme à leur cartes. Il est fort remarquable que dans cette Mer, on trouve des Isles de glace de plus d'une demi-lieue de tour, extrêmement élevées, & qui ont 70 ou 80 brasses de profondeur dans la Mer. Cette glace, qui est douce s'est peut-être formée dans les Détroits des terres voisines, ou peut-être sous le Pole, d'où les vents & les courans l'ont détachée.

M. Frobisher qui avoit une parfaite connoissance de tous les effets de la nature par l'excès du froid, & qui avoit passé l'année précédente jusques dans la Mer du Nord qui est derriere les Détroits d'où nous venions, m'a dit plus d'une fois, que ces Isles ou montagnes de glace étoient si mobiles, que dans les temps orageux, il en avoit vû qui suivoient la course d'un Vaisseau comme si elles eussent été entraînées dans le même sillon. Par cette raison, il ne les craignoit jamais que lorsqu'il avoit le vent contraire, parce qu'alors la détermination des vagues les amenoit à sa rencontre; & dans les Tempêtes, son principe étoit de se laisser toujours entraîner par le vent, dans quelque lieu qu'il pût être jetté. Cependant le dernier Orage que nous essuiâmes en sortant de la Baye de Warwick le fit changer de méthode, au mepris des glaçons qui nous choquoient avec la derniere violence; & la raison qu'il en eût, c'est que le vent nous poussant directement à l'Ouest,[F] nous courions risque d'être jettés dans une Mer inconnue, dont nous ne serions jamais sortis avant l'hyver. Aussi les efforts qu'on fit pour suivre ses ordres servirent-ils à disperser toute la Flotte, qui ne se rejoignit qu'en Angleterre, après mille affreux dangers.

Telle étoit la relation que M. Best, petit-Fils de celui qui l'avoit écrite, présenta aux Directeurs de la nouvelle Compagnie. Cette Mer à l'Ouest, où son Ayeul avoit craint d'être jetté, étoit celle qui conduisoit directement à la Baye de Hudson. Ainsi, peu s'en fallut que M. Frobisher ne l'eut découverte 30 ans avant M. Henry Hudson, & même avant les Danois qui prétendent y être entrés les premiers. Il ne sera pas inutile pour la perfection de ce morceau d'Histoire, de joindre ici ce qu'on trouve de plus certain touchant ce voyage des Danois.

On ne marque point l'année de leur entreprise; mais il suffit de sçavoir qu'elle est entre le dernier voyage de Frobisher & celui de Hudson. Après avoir navigué longtems en droite ligne, vis-à-vis de leurs Côtes, ils arriverent au travers de milles périls à l'entrée d'un Détroit, qui est aujourd'hui celui de Hudson, & dont l'Écrivain qui me sert de Guide ne donne pas la même mesure que nos Anglois. Voici la description qu'il en fait. Il a, dit-il, 120 lieues de long, & 16 ou 18 de large. Il est bordé des deux côtés par des rochers escarpés d'une hauteur prodigieuse, tous entrecoupés de collines sombres, où le soleil ne communique jamais sa lumiére. La neige & les glaces s'y voyent toute l'année; ce qui cause des froidures terribles, & si l'on ne profitoit pas des tems où elles sont moins fortes, il seroit impossible d'y entrer. On ne peut y passer que depuis le 15 de Juillet jusqu'au 15 d'Octobre. Encore dans ces saisons-là est-on obligé de donner dans des bancs de glaces, & l'on ne s'imagine pas aisément comment un Navire peut s'y faire passage; car elles sont quelquefois si pressées les unes contre les autres, qu'autant que la vûë peu s'étendre, on ne voit pas même une goutte d'eau. On se grapine, c'est-à-dire qu'à force de crocs on appuie les Navires contre les glaces, & lorsque par la force des vents ou par la violence des courans, il se fait quelque ouverture aux glaces, alors on met les voiles au vent pour se faire un passage avec de long bâtons ferrés qui servent à pousser ou à écarter les glaces. Mais malgré tous ces efforts on reste quelquefois un mois entier sans pouvoir avancer.

Quoique les Côtes du Détroit soient un Païs tout-à-fait inculte, & le plus sterile de tous les Païs du monde, il y a cependant des Sauvages qui habitent ces malheureux déserts. On les nomme Esquimaux. Ils ont cela de commun avec le Païs qu'ils occupent, qu'ils sont si farouches & si intraitables, qu'on n'a pu jusqu'à présent les engager dans aucun commerce. Ils font la guerre à tous leurs voisins, & lorsqu'ils tuent ou prennent quelques-uns de leurs Ennemis, ils les mangent tous crus & en boivent le sang. Ils en font même boire à leurs enfans, qui sont à la mammelle, pour leur communiquer dès leur plus tendre jeunesse la barbarie & l'ardeur de la guerre.

Ils sont presque toujours sans feu, à cause de la rareté du bois. Le froid y est cependant excessif dans quelque saison que ce soit. Ils logent pendant l'hyver dans le creux des rochers, où ils se renferment avec leurs familles, & couchent tous ensemble, sans distinction de sexe & de parenté. Ils n'y restent pas moins de huit mois sans voir l'air, ni rien qui approche de la lumiére. Pendant les trois ou quatre mois d'Été, ils ont la précaution d'amasser de la chair de Baleine & de Vaches marines, dont il se trouve une grande quantité dans tous ces Païs-là. Ils vont à chasse & tuent des animaux de toutes les especes. Ils n'ont pas l'usage du fer, à moins qu'ils ne surprennent quelques-unes de nos Chaloupes. Après avoir déchiré & mangé nos pauvres Matelots, ils se servent de ces petits Bâtimens pour aller d'un lieu à l'autre, & lorsqu'ils les voyent hors de service ils les brisent afin de profiter des cloux, qu'ils forgent entre deux cailloux pour leur usage. Ils ont des canots de leur propre invention,[G] qui leur servent à passer d'un côté à l'autre.

Cette farouche Nation differe des autres en ce que communément les autres Sauvages n'ont point de barbe, & que ceux-ci au contraire en ont jusqu'aux yeux; cette abondance de poil, qu'ils ne coupent jamais, les rend si affreux qu'ils ont moins la figure humaine que celle d'autant de bêtes farouches. Ils n'ont que les bras & les jambes qui leur donnent quelque ressemblance avec les autres hommes.

À l'extrémité de ce Détroit du côté du Nord, il y a une Baye que nous nommons Baye de l'Assomption, dont on n'a pas encore de connoissance certaine. Quelques-uns de nos Navigateurs s'étant engagés insensiblement dans cette Baye, environ quarante lieuces, ils s'apperçurent que leurs Boussoles n'avoient plus leurs proportions ordinaires; ce qui fait juger qu'il y a infailliblement quelque mine le long de cette Baye, qui attire l'Aiman de tous côtés. On croit qu'il y a une communication du fond de cette Baye au Détroit de Davis. C'est de la même Baye que sortent presque toutes les glaces qui se déchargent par le Détroit de Hudson. On ne sçait point encore comment toutes ces glaces se forment. Il y en a de si grosses que leur superficie au dessus de l'eau surpasse l'extrémité des Mats des plus gros Navires. Nous avons eu la curiosité de sonder au pied d'une glace qui étoit échouée. On y fila cent brasses de lignes, sans trouver le fond. Plus avant, du côté de l'Ouest, il y a une grande Isle que les François ont nommée Phelipeaux, où il y a quantité de Vaches marines; & sans doute que si la saison permettoit d'y descendre, on pourroit y ramasser beaucoup d'yvoire. Les dents des Vaches marines ont une coudée de long, & sont grosses comme le bras, d'une yvoire presqu'aussi belle que celle de l'Elephant. Cette Isle n'est point élevée comme toutes les terres du Détroit. Elle est au contraire fort platte; & son rivage sabloneux forme un aspect tout-à-fait agréable.

Mais pour revenir aux Danois, après avoir passé tout le Détroit, continuant toujours leur route vers le Nord, ils aborderent enfin la terre ferme, près d'une Rivière que l'on a nommé la Rivière Danoise & que les Sauvages nomment Manotcousibi, qui signifie Rivière des Étrangers. Là ils mirent leurs Vaisseaux en hyvernement, & s'y logerent le mieux qu'ils purent, n'ayant aucune expérience du Païs, & ne se défiant pas du froid extrême qu'ils avoient à combattre. Enfin, ils essuierent tant de misere & de souffrances, que la maladie s'étant mise entre eux, ils moururent tous pendant l'hyver, sans qu'aucun Sauvage en eût connoissance.

Le Printems étant venu, les glaces déborderent avec leur impétuosité ordinaire. Elles emporterent le Vaisseau Danois avec tout ce qu'il contenoit, à la reserve d'un canon de fonte d'environ huit livres de balles, qui y resta, & qui y est encore tout entier, excepté le tourillon de la culasse que les Sauvages ont cassé avec des pierres. Ces Barbares furent extrémement surpris l'Esté suivant, lorsqu'en arrivant dans ce lieu ils virent tant de corps morts, & des hommes ausquels ils n'en avoient jamais vû de semblables. La terreur s'empara d'eux, & les obligea de prendre la fuite. Mais lorsque la peur eut fait place à la curiosité, ils retournerent dans le lieu où ils s'attendoient à faire un riche pillage. Malheureusement il y avoit de la poudre, dont ils ne connoissoient pas les propriétés. Ils y mirent imprudemment le feu, qui les fit tous sauter, brûla l'édifice des Danois & tout ce qui étoit dedans, de sorte que ceux qui vinrent après eux ne profiterent que des cloux & d'autres ferremens qu'ils ramasserent dans les cendres.

La Rivière Danoise dans son embouchure n'a pas plus de 500 pas de largeur. Elle est fort profonde; ce qui forme un grand courant, lorsque la Mer entre & fort rapidement à toutes les marées. Ce Détroit n'a pas plus d'un quart de lieue de long, après quoi la Rivière s'élargit & devient fort navigable pendant l'espace de 150 lieues. Tout le Païs est presque sans bois, hors les Isles dont cette Rivière est toute entrecoupée. Au bout des 150 lieues, il y a une chaîne de hautes montagnes qui rendent la navigation impossible plus loin, à cause des chûtes d'eau qui s'y rencontrent; après quoi elle reprend sa forme ordinaire.

À 15 lieues de la Rivière Danoise on en trouve un autre qui est remplie de Loups marins, & qui en tire son nom. Entre ces deux Rivières, il y a une espece de Bœufs qu'on nomme Bœufs musqués, parce qu'ils sentent si fort le musc que dans certaine saison de l'année il est impossible d'en manger. La laine de ces animaux est fort belle,[H] & plus longue que celle des Moutons de Barbarie. Quoiqu'ils soient plus petits que nos Bœufs, ils ont les cornes beaucoup plus grosses & plus longues. Leurs racines se joignant sur le haut de la tête, forment un espece de bourlet & descendent à côté des deux yeux, presqu'aussi bas que les Nazeaux. Ensuite le bout remonte en haut, & forme une espece de croissant. Il y en a de si grosses qu'on en voit de séparées du crâne qui pesent ensemble 60 livres. Ils ont les jambes si courtes, que leur laîne traîne par terre lorsqu'ils marchent; ce qui les rend si difformes qu'on a peine à distinguer d'un peu loin de quel côté ils ont la tête. Il n'y a pas une grande quantité de ces animaux, & les Sauvages les auroient d'autant plûtôt détruits, s'ils s'étoient avisés d'en faire la chasse, qu'ayant les jambes très-courtes, on les tue dans les tems de neige sans qu'ils puissent fuir. Il y a dans le même Païs une mine de cuivre rouge, si abondante & si pure, que sans le passer par la forge, les Sauvages ne font que le frapper entre deux pierres, tel qu'ils le recueillent dans la mine, & lui font prendre la forme qu'ils veulent lui donner.

Les Nations qui habitent de ce côté-là sont d'une physionomie fort douse & fort humaine; mais le Païs est d'ailleurs fort ingrat. Il n'y a point de Castors ni d'autres pelleteries. Ils ne vivent que de Poissons, & de Cerfs qu'on nomme Cariboux. Les Lievres y sont beaucoup plus grands qu'en France. Ils sont blancs l'hyver, & gris l'Été: leurs oreilles sont fort grandes & toujours noires. Leur poil ne tombe point, comme aux Lievres de l'Europe; de sorte que des peaux d'hyver on feroit de fort beaux manchons.

En suivant la Mer vers le Nord, on trouve un autre Détroit, dont on découvre facilement les terres d'un bord a l'autre. Mais on n'a pû jusqu'à présent pénétrer jusqu'au bout. Les glaces y sont prodigieuses, & les courans insurmontables. Il y a beaucoup d'apparence que ce bras de Mer communique à la Mer de l'Ouest. Ce qui donne lieu à cette conjecture, c'est que lorsque les vents soufflent du Nord, la Mer dégorge par ce Détroit avec tant d'abondance que l'eau s'éleve dans toute la Baye de Hudson dix ou douze pieds plus que la hauteur ordinaire. Les Sauvages racontent qu'après avoir marché plusieurs mois à l'Ouest-Sud-Ouest, ils ont trouvé la Mer, sur laquelle ils ont vû de grands Navires, avec des hommes qui ont de la barbe & des bonnets, & qui ramassent de l'or sur le bord de la Mer, c'est à dire sans doute à l'embouchure des Rivières.

Il y a fort loin dans les terres une Nation nombreuse, qu'on appelle les Plats-Côtés, qui n'a point d'autres ferremens que ceux qu'elle est venue ramasser dans les débris de l'incendie des Danois, ou qu'elle a ravis aux autres Sauvages qui y étoient venus avant elle. Ils se croioient bien payés de la fatigue d'un long voyage, lorsqu'ils avoient pû recueillir trois ou quatre petits clous longs comme le doigt, & tout mangés de rouille. Les Esquimaux du Détroit de Hudson y alloient aussi dans la même vûë; & cette avidité commune pour le fer des Danois, a donné lieu à plusieurs batailles sanglantes.

Au reste, en prétendant que les Danois ne sont entrés qu'après nous dans la Baye de Hudson, nous ne désavouons point que notre premier Établissement n'ait été posterieur à leur infortune. Ce fut Nelson, comme je l'ai déja remarqué, qui bâtit le premier un Fort dans la Rivière à laquelle il donna son nom, & que les François ont nommée depuis la Rivière de Bourbon. Il y arriva d'abord en Automne & fit sa descente dans cette Rivière du côté du Nord. Tous les Sauvages s'étoient déja retirés dans la profondeur des Bois. Nelson s'apercevant qu'il étoit trop tard pour se procurer la connoissance du Païs, & craignant de s'exposer au même malheur que les Danois, dont on ne dit pas néanmoins comment il avoit appris l'avanture, se contenta de planter un poteau auquel il arbora les Armes d'Angleterre pour titre de possession, avec un grand carton sur lequel étoit dessiné un Navire. Il pendit aussi à une branche d'arbre une grande chaudiere pleine de petites marchandises, dont les Sauvages profiterent à leur retour. Comme ils étoient déja instruits de la nature de ces denrées par l'avanture des Danois, ils ne douterent pas que les mêmes Étrangers qui avoient quitté leur Païs en y laissant un si riche dépot, ne revinssent l'année suivante. Ils attendirent jusqu'à la dernière saison. En effet les Anglois arriverent, & trouverent ces Sauvages, qui les reçurent humainement & qui les conduisirent dans les Isles où ils bâtirent le Port Nelson, c'est-à-dire à sept lieues dans la Rivière. Ce fut-là, comme on l'a rapporté, que M. des Groseliers fut surpris de trouver des Anglois lorsqu'il y vint de Québec, & que s'étant emparé du Port Nelson, il en fut mal recompensé par les François.

Quoique nous ayons joui paisiblement de nos droits depuis le Traité d'Utrecht, il s'est passé plusieurs années pendant lesquelles on n'a pas vû renaître l'ancienne ardeur pour le commerce de ces rudes climats. Le gout de la Pelleterie étoit déchû en Angleterre. Celui des nouvelles découvertes étoit encore moins ardent, & l'on étoit assez occupé du soin des anciennes Colonies. Celle de la Georgie a fait une nouvelle diversion du Côté méridional. Mais il faut espérer que ce qui commence à paroître utile sera poussé avec une chaleur proportionnée aux avantages qu'on s'y propose. D'ailleurs, puisqu'il n'y a que la force des obstacles qui ait refroidi l'espérance de trouver par le Nord-Ouest un passage à l'autre Hémisphere, il se trouvera peut-être quelqu'un qui joindra plus de bonheur à la hardiesse & qui réussira dans l'entreprise que tant d'autres ont manquée. Il est certain que M. Frobisher qui a tenté le premier ce grand dessein n'avoit point alors d'autre vûë. Il en avoit parlé pendant quinze ans à tous ses amis; il avoit sollicité tous les Marchands de Londres; enfin lorsqu'Ambroise Dudley Comte de Warwick lui fournit les moyens de l'executer, il partit de Londres sans aucun projet de commerce, & poussé par la seule espérance de trouver le passage qu'il vouloit chercher. Pourquoi ne se trouveroit-il personne aujourd'hui qui se sente le même courage, lorsque la moitié des difficultés est vaincue, & que s'il en reste encore de fort grandes, la vraisemblance du succès n'en subsiste pas moins toute entiere? Dans le dernier voyage de Frobisher, le Bridgewater, un des Vaisseaux de sa Flotte, qu'il avoit laissé en danger à son départ de la Baye de Warwick, fut contraint de prendre sa route du côté du Nord par un passage inconnu, très-dangereux & plein de rochers au-dessus de Bearbay, d'où il passa néanmoins fort heureusement dans la mer du Nord, cette Mer qui est derriere le Détroit de Frobisher, dans laquelle Frobisher, comme on l'a dit, & d'autres après lui ont navigué, & où l'on a découvert une grande terre qui s'avance dans la Mer. Le Bridgewater découvrit au Sud-Est de Frisland, à 57 dégrés & demi de latitude, une grande Isle inconnue auparavant. Cette Isle, dont il rasa la Côte pendant trois jours, lui parut fertile & agréable. Rien ne l'auroit empêché de pénetrer plus loin, si les vivres ne lui eussent manqué. Il n'avoit plus de glaces à combattre. On n'étoit qu'à la fin du mois d'Août. Le chagrin que le Capitaine & les Gens de l'équipage ressentirent de se voir forcés à retourner par les plus courtes voiës, leur fit tenter une descente dans l'Isle, pour y chercher de quoi ravitailler leur Vaisseau. Ils la trouverent sans Habitans, & sans autre créature vivante que des Oiseaux & des Serpens. Le courage des Matelots alla jusqu'à leur faire essaïer si les Serpens ne pouvoient pas leur servir de nourriture. Ils en tuerent quelques-uns, dont ils firent manger la chair à un chien qu'ils avoient à bord. Le chien s'en remplit d'autant plus avidement qu'on avoit pris soin de la faire cuire, pour lui ôter par le feu tout ce qu'elle pouvoit perdre de sa qualité venimeuse. Mais au bout d'un quart-d'heure il enfla prodigieusement, & peu de tems après il mourut dans des convulsions fort violentes.

Les gens du Bridgewater tuerent d'abord facilement une assez grande quantité d'Oiseaux. Ensuite ces animaux effarouchés par l'odeur & par le bruit de la poudre, se retirerent dans l'épaisseur des bois. Les arbres ressembloient à ceux de l'Europe & portoient des feuilles fort vertes. L'herbe étoit fort abondante dans les Prairies, & les montagnes couvertes d'une sorte de mousse. Il y avoit des restes de glaces, qui firent juger à nos Anglois que l'hyver y devoit être assez rude; mais ils jugerent aussi qu'il n'y pouvoit pas être fort long, puisque les feuilles y étoient d'une grandeur à faire croire qu'elles étoient ouvertes depuis long-tems, & d'une force qui leur persuada qu'elles étoient encore éloignées de leur chûte. Mais quoiqu'ils reconnussent divers arbres à fruit, tels que des Poiriers, & même des Noyers dont l'écorce & le bois sont plus tendres, ils n'y découvrirent ni noix ni poires, & le seul fruit qu'ils trouverent fut aux Chênes & à d'autres arbres où il n'est d'aucun usage. Quoiqu'ils eussent raison de croire que l'Isle n'étoit point habitée, puisque le côté qu'ils parcoururent, & qui leur parut le plus agréable, étoit désert, ils virent en differens endroits des arbres coupés & les vestiges de plusieurs pieds; ce qui leur fit croire qu'il devoit se trouver à peu d'éloignement quelque terre ou quelque autre Isle peuplée, dont les Habitans passoient quelquefois dans celle-ci. Enfin la nécessité força le Bridgewater de remettre à la voile.

Les Anglois ne sont pas les seuls qui ayent tenté de trouver un passage du côté du Nord. On trouve ce projet dans plusieurs Relations Françoises & Hollandoises. Non-seulement les Vaisseaux de ces deux Nations l'ont entrepris par la Mer, mais depuis que les François sont en possession du Canada, ils ont cherché le moyen de pénétrer au travers du Continent jusqu'à la Mer du Sud par la communication des Rivières. N'ôtons point au célebre M. Cavelier de la Salle le mérite qu'on a voulu lui donner de n'avoit entrepris tous ses voyages en Amérique, que pour y répandre la Religon Chrétienne. «Il résolut, dit l'Auteur d'une fort belle Relation, d'entrer dans ces terres jusqu'alors inconnues pour faire connoître aux Habitans malgré leur barbarie, la vérité du Christianisme & la puissance de notre grand Monarque. Plein de cette idée il vint à la Cour pour la communiquer au Roi qui ne se contenta point d'approuver son dessein, mais qui lui fit expédier des ordres avec tout ce qui étoit nécessaire pour les exécuter.» Celui qui commence ainsi sa Relation[I] étoit un Officier, homme d'esprit & d'honneur, qui accompagnoit M. de la Salle, & qui partit de France avec lui le 24 Juillet 1668 pour le suivre dans tous ses voyages.

Cependant un Missionnaire,[J] qui ne paroît pas moins honnête homme, & qui avoit comme, d'Officier le mérite d'être temoin oculaire, s'explique en ces termes: «J'ai demeuré près de trois ans en qualité de Missionnaire, avec le Sieur Robert Cavelier de la Salle, natif de Rouen, dans le Fort de Frontenac, dont il étoit Gouverneur & propriétaire. Pendant ce séjour nous nous occupions souvent à lire les voyages de Jean Ponce de Léon, de Pamphile Narvaez, de Cristophe Colomb, de Ferdinand Soto, & de plusieurs autres, pour nous préparer aux découvertes que nous avions dessein de faire. M. de la Salle étoit capable des plus grandes entreprises, & mérite avec justice la qualité de célebre Voyageur. En effet il s'est épuisé pour achever la plus grande, la plus importante, & la plus traversée découverte qui ait été faite de notre siécle. Il a conservé son monde dans des Païs où tous ces grands Voyageurs ont péri, à la réserve de Christophe Colomb, sans avoir remporté aucun avantage de leur entreprise, quoiqu'ils y ayent employé plus de deux cent mille hommes. Jamais personne, avant M. de la Salle & moi, ne s'est engagé dans un tel dessein avec si peu de monde. Notre première pensée, lorsque nous étions au Fort de Frontenac, avoit été de trouver, s'il étoit possible, le passage qu'on cherche depuis longtems à là Mer du Sud, sans passer la ligne Equinoctiale. Quoique le fleuve de Mississipi n'y conduise pas, cependant M. de la Salle avoit tant de lumiéres & de courage qu'on esperoit de le trouver par ses soins. Je ne doute pas qu'il n'eût réussi dans son dessein si Dieu lui eût conservé la vie. Mais il fut massacré dans cette recherche; & il semble que Dieu ait permis que je survêcusse au Sr de la Salle afin que je fournisse au Public le moyen de trouver le chemin de la Chine & du Japon par le moyen de ma découverte».

Mais je n'ai fait cette remarque que pour relever les affectations des Voyageurs, car il importe peu quel étoit le principal motif & la première pensée de M. de la Salle, lorsqu'il paroît constant qu'il y joignoit du moins la vûë & l'espérance de découvrir un passage au Sud. Il est plus difficile de pénétrer ce que le Pere Hennepin a voulu dire, lorsqu'il se vante d'avoir fourni au Public par sa découverte le moyen de trouver le chemin de la Chine & du Japon. S'il n'entend par sa découverte que celle du grand fleuve Mississipi, sur lequel il s'attribue la gloire d'avoir navigué le premier, on sent combien il est demeuré loin de son projet, puisqu'il reste de là une immense partie du Continent à traverser. Et l'on ne peut croire qu'il ait supposé autre chose, puisqu'après avoir rapporté dans la même Relation les circonstances tragiques de la mort de M. de la Salle, il ajoute; «Nos découvertes nous ayant fait connoître la plus grande partie de l'Amérique Septentrionnale, je ne doute point que si l'on nous y renvoyoit pour achever ce que nous avons si heureusement commencé, on ne développât enfin ce qu'on n'a pû éclaircir jusqu'à présent, quelque tentative qu'on ait faite pour cela. Il a été impossible jusqu'ici d'aller au Japon par la Mer glaciale. On a tâché plusieurs fois d'en faire le voyage, mais on n'a pû y réussir, & je suis moralement assuré qu'on n'en pourra jamais venir à bout, qu'au préalable on n'ait découvert le Continent tout entier des terres qui sont entre la Mer glaciale & le nouveau Méxique.»

Il ne parle donc de sa découverte que comme d'un premier dégré qu'il a cru nécessaire pour aller plus loin, dans la supposition que l'entreprise soit en effet possible, mais qui n'a rien ajoûté jusqu'à present à la certitude de la possibilité. Dans un autre lieu, il dit, «que le Pays des Illinois est le centre des découvertes qui peuvent conduire à la connoissance d'un passage au Sud, & qu'il faut que les Princes qui travailleront à cette entreprise s'assurent de ce vaste Continent par des Forts & par des Colonies, qu'ils établiront de lieux en lieux.» Des indications si vagues sont-elles dignes d'un homme à qui l'on ne peut refuser l'honneur d'avoir fait des voyages fort utiles dans le Continent de l'Amérique.

La difficulté se réduit donc toujours, ou à trouver le passage par les Détroits des Mers glaciales, ou à découvrir, dans le Continent, des Rivières dont la communication puisse conduire jusqu'aux rivages du Sud. On a publié à Londres, depuis quelques années, un Voyage de quelques Anglois de la Virginie, qui prétendent avoir traversé tout le Continent au travers des Terres. Quand le succès de cette entreprise seroit bien vérifié, leur Relation ne serviroit qu'à satisfaire la curiosité des Lecteurs, & l'on ne voit point qu'on en puisse tirer d'autre fruit. Il est question de trouver une voie qui soit propre au Commerce, sans quoi il sert peu de nous apprendre qu'à force de marches & de fatigues on peut traverser le Continent. Cependant il est agréable de voir confirmer par le récit de nos Anglois ce que le Pere Hennepin, & d'autres Voyageurs nous racontent de la beauté des campagnes, de la fertilité des terres, & de la multitude des Nations différentes qu'on trouve au milieu du Continent. Ce ne sont point des Pays déserts & sans culture, tels que les François & les Anglois ont trouvé ceux où ils ont planté leurs premières Colonies. Des fruits & des grains de toute espece y enrichissent les campagnes. Plusieurs Peuples y sont policés, jusqu'à se vêtir d'étoffes très-fines. Ils ont l'usage des chevaux avec des selles. Leurs Villes sont bien bâties & réguliérement fortifiées. Enfin la nouvelle France, la Virginie & la Caroline semblent n'être, suivant ces Relations, que des limites stériles & désertes d'une immense étendue de Pays auquel toutes les faveurs de la nature ont été prodiguées; à peu près comme la Moscovie & la Tattarie à l'égard de toutes les autres Parties de l'Europe. Je ne citerai point la Relation de nos Anglois, parce qu'elle n'a point de caractère qui puisse forcer de la recevoir comme un Histoire véritable; mais celle du Pere Hennepin, je parle de la troisiéme, étant l'ouvrage d'un Missionnaire, ne peut être regardée comme une fable, lorsqu'il prend toutes sortes de précautions pour en garantir la vérité. Voici quelques-unes de ses remarques.

«Après avoir cotoyé la plus grande partie du Lac des Illinois, nous vinmes aborder le 1 de Novembre de l'année 1679, à l'embouchure de la Rivière des Miamis, qui se décharge dans ce Lac. Ce Pays, situé entre le 35 & le 40 degré de latitude, confine d'un côté à celui des Iroquois, & de l'autre à celui des Illinois, à l'Orient de la Virginie & de la Floride. Il est très-abondant en toutes choses, en poissons, en bétail, & en toutes sortes de grains & de fruits.... Nous partîmes de cette Contrée au commencement de Décembre. Il fallut conduire notre Équipage & nos Canots par des traîneaux. Après quatre jours de marche nous nous trouvames sur un des bords de la même Rivière, qui nous parut très-navigable. Nous nous y embarquames au nombre de quarante personnes. Nous la descendîmes à petites journées, tant pour nous donner le tems de reconnoître les Habitans & les terres, que pour nous fournir de gibier. Il est vrai que tout ce Pays est aussi charmant à la vûe qu'utile à la vie. Ce ne sont que vergers, bois, prairies; tout y est rempli de fruits: en un mot, on y voit une agréable confusion de tout ce que la nature a de plus délicieux pour la subsistance des hommes, & pour la nourriture des animaux. Cette varieté si agréable, qui entretenoit notre curiosité, nous faisoit aller fort lentement.»

Dans un autre endroit: Plus avant ils trouverent une belle Rivière, plus grande & plus profonde que la Seine. Elle étoit bordée des plus beaux arbres du monde, comme si on les y avoit plantés exprès, & l'on y voyoit des prairies d'un côté & des bois de l'autre. On la passa avec des Canaux, & on l'appella la Maligne. En passant ainsi au travers de ces beaux Pays, de ces campagnes & de ces prairies charmantes, bordées de vignes, de vergers, d'arbres fruitiers, & entr'autres de meurriers... «Après quelques jours de marche, on entra dans des Contrées encore plus agréables & beaucoup plus délicieuses, où nous trouvames une Nation nombreuse, qui nous reçut avec toutes sortes de témoignages d'amitié. Les femmes mêmes alloient embrasser les hommes qui étoient de notre Troupe. Elles les firent asseoir sur des nattes très-bien travaillées...» Beaucoup plus loin le Missionnaire rapporte qu'on trouva des peuples qui n'ont rien de barbare que le nom. Un de ces Sauvages, qui fut le premier qu'on rencontra, revenoit de la chasse avec sa famille. Il fit présent au Chef des François d'un de ses chevaux, & de quelque viande, le priant par signes d'aller chez lui avec tous ses gens. Enfin pour les engager mieux il leur laissa volontairement sa femme, sa famille & sa chasse, comme pour leur servir de gages, & cependant il se rendit au Village, pour faire sçavoir leur arrivée. Au bout de deux jours, il revint avec des chevaux chargés de provisions, & plusieurs Chefs des Sauvages qui l'accompagnoient. Ils étoient suivis de guerriers habillés fort proprement de peaux passées & ornées de plumes. On les recontra à trois lieues de l'habitation. Les François y furent reçus comme en triomphe, & furent logés chez le Grand Capitaine. C'étoit un concours surprenant de peuple, dont la jeunesse étoit rangée sous les armes. Elle se releva jour & nuit pour les garder, les comblant de biens & de toutes sortes de vivres. Ce Village, qu'on appelle les Cenis, est un des plus considérables de toute l'Amérique, par sa grandeur & par le nombre de ses habitans. Il a bien vingt lieues de long au moins. Ce n'est pas qu'il soit contigument habité; les maisons sont distribuées par dix ou douze, qui font comme des cantons, & qui ont chacun des noms differens. Elles sont belles, longues de 40 ou 50 pieds, dressées en manière de ruches à miel, & environnées d'arbres, qui se rejoignent en haut par les branches. Nous trouvames chez ces Cenis plusieurs choses qui viennent indubitablement des Espagnols, comme des piastres,& d'autres monnoyes, des cuilleres d'argent, de la dentelle de toutes sortes, des habits, &c. Nous y vîmes entr'autres une Bulle du Pape, qui exempte du jeûne les Espagnols du Mexique pendant l'Été. Les chevaux y sont si communs qu'on en donnoit un à nos gens pour une hache. Un Cenis voulut donner un cheval pour le capuchon d'un Pere Récollet de la Troupe; parce qu'il en avoit envie.

Voici la Relation que l'Auteur fait d'une autre Nation plus éloignée, qu'il nomme les Tancas: «Je fus député avec deux guides, pour leur apprendre notre arrivée. Comme leur premier Village est au-delà d'un Lac qui a huit lieues de tour, à demi-lieue du bord, nous nous mîmes dans un Canot. Dès que nous fumes sur le rivage, je fus surpris de la grandeur du Village & de la disposition des cabanes. Elles sont disposées à divers rangs & en droite ligne autour d'une grande place. Nous en remarquames d'abord deux plus belles que les autres: L'une étoit la demeure du Chef, & l'autre le Temple. Les murailles en étoient hautes de dix pieds, & épaisses de deux. Le comble, en forme de dôme, étoit couvert d'une natte de diverses couleurs. Devant la Maison du Chef étoient une douzaine d'hommes armés de piques. Lorsque nous nous presentames, un Vieillard s'adressant à moi me prit par la main, & me conduisit dans un vestibule, & delà dans une grande salle en quarré, pavée & tapissée de tous côtés d'une très belle natte. Au fond de cette salle, en face d'entrée, étoit un beau lit, entouré de rideaux, d'une étoffe fine, faite & tissue d'écorce de meurriers. Nous vîmes sur ce lit comme sur un trône, le Chef de ce Peuple, au milieu de quatre belles femmes, environné de plus de soixante Vieillards armés de leurs arcs & de leurs fléches. Ils étoient tous couverts de cappes blanches & fort déliées. Celle du Chef étoit ornée de certaines houpes d'une toison différemment colorée. Celles des autres étoient toutes unies. Le Chef portoit sur sa tête une thiare d'un tissu de jonc très-industrieusement travaillé, & relevé par un bouquet de plumes differentes. Tous ceux qui y étoient avoient la tête nue. Les femmes étoient parées de vestes de pareille étoffe, & portoient sur leurs têtes de petits chapeaux de jonc, garnis de diverses plumes. Elles avoient des bracelets tissus de poil, & plusieurs autres bijoux qui relevoient leur ajustement. Elles n'étoient pas tout-à-fait noires, mais bises, le visage un peu plat, les yeux noirs, brillans, bien fendus, la taille fine & dégagée, & toutes me parurent d'un air riant & fort enjoüé.

«Surpris, ou plûtôt charmé des beautés de cette Cour Sauvage, j'adressai la parole à ce vénérable Chef, &c. Après m'avoir attentivement écouté, il m'embrassa, & me répondit d'un air doux & riant... qu'il auroit le lendemain l'honneur de voir notre Chef, & de l'assurer de son amitié. Là dessus je lui offris une épée damasquinée d'or & d'argent, quelques étuis garnis de rasoirs, cizeaux & couteaux, avec quelques bouteilles d'eau-de-vie. Je ne sçaurois exprimer avec qu'elle joie il reçut tous ces petits présens. Je m'apperçus cependant qu'une de ses femmes, maniant une paire de cizeaux, & en admirant la propreté, me sourioit de tems en tems & sembloit m'en demander autant. Je pris mon tems pour m'approcher d'elle. Je tirai de ma poche un petit étui d'acier travaille à jour, où il y avoit une paire de cizeaux & un petit couteau d'écaille, & feignant d'admirer la blancheur & la finesse de sa veste, je lui mis finement l'étui dans la main. En le recevant elle serra fortement la mienne. Une autre de la compagnie, qui n'étoit pas moins propre, ni moins agréable, nous étant venu joindre, me fit comprendre en me montrant les attaches de sa juppe, que je lui ferois plaisir de lui donner des épingles. Je lui en donnai un rouleau de papier garni, avec un étui d'éguilles, & un dez d'argent. Elle reçut ces colifichets d'un air fort joyeux. J'en donnai autant aux deux autres. La mieux faite, & celle qui paroissoit la plus aimable, ayant pris garde que j'admirois le collier qu'elle portoit au cou, le détacha adroitement & me l'offrit d'une manière tout-à-fait polie. Je me défendis quelques-tems de l'accepter; mais le Chef lui ayant fait signe de me le donner, je ne pus me dispenser de le recevoir, à dessein de le présenter à notre Chef. Pour lui marquer ma reconnoissance, je lui donnai dix brasses de rasade bleue, dont elle me parut aussi contente que je le fus de son présent. Cependant, comme le jour déclinoit, je voulus prendre congé du Chef de cette Nation; mais il me pria fortement d'attendre au lendemain, & me remit entre les mains de quelques-uns de ses Officiers, avec ordre de me faire bonne chere. Je n'eus pas beaucoup de peine à me rendre à ses offres, & l'envie que j'avois d'apprendre leurs mœurs & leurs maximes me fit demeurer avec plaisir. On me conduisit d'abord dans un appartement meublé à peu près comme celui du Prince. On m'y donna une collation mêlée de gibier & de fruit. Je bus même quelques liqueurs.

Pendant ce tems-là je m'entretenois avec un Vieillard qui me satisfit sur tout ce que je lui demandois. Pour ce qui concernoit leur politique, il me dit qu'ils ne se gouvernoient que par la seule volonté de leur Chef, & qu'ils le révéroient comme leur Souverain; qu'ils reconnoissoient ses enfans comme ses légitimes Successeurs; que lorsqu'il mouroit, on lui sacrifioit sa première femme, son Maître-d'Hôtel, & vingt hommes de sa Nation, pour l'accompagner dans l'autre monde; qu'on prend soin pendant sa vie, non-seulement de nettoyer les chemins par lesquels il passe, mais de le joncher d'herbes & de fleurs odoriferantes.»

Ce que l'Auteur ajoûte de la Religion & des usages des Tancas ne marque pas moins une Nation riche & policée. En parlant du Temple, qu'on lui fit voir: «Le dedans, dit-il, m'en parut très-beau. Je n'en pus voir que la voûte, au haut de laquelle étoient suspendus les corps de deux aigles déployées & tournées vers le Soleil. Je demandai à y entrer; mais on me dit que c'étoit-là le Tabernacle de leur Dieu, & qu'il n'étoit permis d'y entrer qu'à leur Grand-Prêtre. J'appris aussi que c'étoit-là le lieu destiné pour la garde de leurs trésors & de leurs richesses, c'est-à-dire, des perles fines, des pièces d'or & d'argent, des pierreries, &c. Après avoir vû toutes ces curiosités, je pris congé de ceux qui m'accompagnoient, &c. Quelque-tems après nous vîmes le Chef arriver dans une Pyrogue magnifique, au son du tambour & de la musique de ses femmes. Les unes étoient dans sa Barque, les autres voguoient à côté de la sienne..... Après ces protestations d'amitié de part & d'autre, on se fit des présens réciproques. Le Chef des François lui offrit deux brasses de rasade & quelques étuis pour ses femmes. Il donna à son tour six de ses plus belles robes, un collier de perles, une Pyrogue, toute remplie de munitions & de vivres.»

Mon dessein, dans ces extraits, que je crois dignes de foi par l'opinion que j'ai du caractere des Écrivains, est de faire remarquer plus particuliérement que je ne l'ai déja fait, qu'au fond il pourroit bien être du Continent de l'Amérique comme de celui de l'Europe, où plus on pénétre, plus on trouve d'opulence & de politesse; de sorte que, de l'aveu de tout le monde, la France, l'Angleterre, la Hollande & l'Allemagne, qui sont réellement au centre, l'emportent assez clairement sur toutes les autres Nations. Ainsi quand l'espérance de trouver la Mer du Sud par la communication des Rivières, comme on a déja trouvé le Golphe du Mexique par celles d'Ouabache & de Mississipi, ne suffiroit pas pour faire entreprendre sérieusement de pénétrer cette vaste étendue de Païs, d'autres vûes presqu'aussi importantes pour le Commerce, & la seule curiosité même devroient porter les François & les Anglois, que cette entreprise semble regarder par la situation de leurs Colonies, à pousser de ce côté-là leurs découvertes.

DESCRIPTION

DE LA

NOUVELLE ESPAGNE,

Depuis Panama jusques vers le 40e degré de latitude du Nord.

APrès avoir tiré de mes propres Journaux tout ce qui m'a paru propre à satisfaire la curiosité du Public, j'ai obtenu de M. Rindekly, mon Gendre, la communication des siens, dans l'espérance d'enrichir mon Ouvrage de quelques-unes de ses Remarques. Mais s'étant borné, comme je l'ai fait observer plusieurs fois, à tout ce qui concerne la navigation, je n'y ai trouvé que des détails de Géographie, de Marine & d'Astronomie, qui ne peuvent avoir d'utilité que pour nos Pilotes. Je suis convenu avec lui qu'un recueil de cette nature étoit fait pour demeurer au dépôt de l'Amirauté, où chacun est libre de prendre des instructions & des lumiéres, suivant les vûes qu'on se propose & les navigations qu'on entreprend. Cependant, entre une infinité d'observations inutiles à mon Ouvrage, j'en ai choisi quelques-unes, où mon Gendre, s'écartant un peu de sa méthode, semble avoir accordé quelque chose à sa propre curiosité. Elles m'ont d'autant plus attaché qu'elles regardent un voyage de la Mer du Sud que je n'ai pas fait avec lui. Quelques années avant notre association, il avoit été chargé d'une affaire importante à Panama, où il s'étoit rendu avec des Passeports; & dans le séjour qu'il y fit il composa cette Description de la Nouvelle Espagne, qui se sent toujours un peu de son goût pour les remarques de l'Art.

Ce Pays, si célébre par ses mines d'or & d'argent, & par l'abondance de ses autres biens, s'étend depuis Panama, qui est au neuvième degré de latitude du Nord, jusqu'au nouveau Mexique, qui est vers le 37e degré, c'est-à-dire, l'espace de 28 degrés, Nord & Sud; ce qui fait en droite ligne environ 520 lieues, à compter vingt lieues pour chaque degré.

Les Provinces qui composent cette riche Contrée de l'Amérique Septentrionnale, sont la Tierra firma, qui est la plus voisine de ligne équinoctiale, & qui forme une ligne de séparation entre les deux parties de l'Amérique; en suite la Province de Veragua, celles de Costa-Ricca, de Nicaragua, de Honduras, de Quatimala, de Vera-Paz, de Chiapa, de Soconusco, de Tabasco, de Jucatan, de Guexaca, de Tlascalo, de los Angelos, du Mexique, proprement dit, de Mechoacan, de Panuco, de Xalisco, de Guadalaxara, de Zacatecas, de la nouvelle Biscaye, de Culiacan, de Cinaloa, du nouveau Mexique; ausquelles on peut joindre aussi la Californie. Toutes ces Provinces étant soumises au Viceroi de la nouvelle Espagne, sont comprises sous le même nom.

Tierra firma contient la Ville de Panama, Port fameux de la Mer du Sud, où se rendent les richesses du Perou, qui delà se transportoient autrefois par terre à celui de Nombre de dios, mais qui vont aujourd'hui à Porto-Bello, & à Nata. Le Pays est généralement montagneux, l'air épais, chaud & humide, ce qui le rend par conséquent fort mal sain. La terre n'y produit guéres que du bled d'Inde; mais les pâturages y sont fort bons pour les troupeaux. Panama est la résidence d'une Cour Royale, qui étend sa Jurisdiction sur cette Province & sur celle de Veragua. Elle a son Evêque, Suffragant de l'Archevêché de Lima, & plusieurs Monastères. Le Port est d'une bonté médiocre. Il fut construit par Pierre Arias d'Avila, Gouverneur de la Castille d'or, en 1519. Nombre de dios, qui fut découvert par le grand Christophe Colomb, & bâti par Jean de Nicuosa, a été transporté à Porto-Bello, où l'air est plus sain, & le Port plus commode pour charger & décharger les Gallions. On va de Porto-Bello à Panama, ou par terre, la distance n'étant que de dix-huit lieues, ou par la Rivière de Chagro, qui, lorsqu'élle est remplie d'eau, conduit les marchandises jusqu'à cinq lieues de Panama. Nata est à trente lieues.

La Province de Veragua s'étend au-delà du 10 degré de latitude du Nord, borde à l'Ouest celle de Costa-Ricca, à l'Est celle de Tierra firma, & des deux côtés les deux Mers du Nord & du Sud. Elle a cinquante lieues de longueur de l'Est à l'Ouest, & vingt-cinq de largueur. Le Pays est montagneux, sec & stérile, sans être plus propre à nourrir les bestiaux qu'à produire du bled; mais il renferme quantité de mines d'or. Ses Villes sont la Conception, à quarante lieues de Nombre de dios; la Trinité, à six lieues à l'Ouest de la Conception; Santa-Fé, douze lieues au Sud de la Conception; & Carlos, à cinquante lieues de Santa-Fé.

Costa-Ricca joint Veragua à l'Est, & Nicaragua au Nord-Est. Sa longueur de l'Est à l'Ouest est de quatre-vingt-dix lieues. Le Pays est bon. Il renferme aussi plusieurs mines d'or & d'argent. Ses deux principales Villes sont Aranjuez, à cinq lieues des Indiens qui se nomment Chamos; & celle de Cartago, qui est située presqu'au milieu de la Province, à vingt lieues de la Mer. Cette Province a quelques petits Ports sur les deux Mers du Sud & du Nord.

Celle de Nicaragua, qui porta d'abord le nom de nouveau Royaume de Leon, touche du côté du Nord-Est à la Province de Guatemala; & du côté du Sud, à Costa Ricca. Les deux autres côtés sont lavés par les deux Mers. Elle a 150 lieues de longueur de l'Est à l'Ouest, & 80 du Nord au Sud. Le bled d'Inde, le cacao, le cotton & les bestiaux y sont en abondance. Les Villes principales sont Léon, qui n'est qu'à douze lieues de la Mer du Sud, proche d'un grand Lac; c'est la résidence du Gouverneur de la Province, & d'un Evêque. Grenade, à seize lieues de Léon au Sud-Ouest, sur les bords du même Lac, & proche d'une montagne brûlante qui s'appelle Massayatan: ces deux Villes furent fondées en 1523, par le Capitaine François Hernandez. Nueva Segovia; fondée par Pierre Arias Davila, à vingt lieues au Nord de Léon; le territoire de cette Ville est fort riche en or. Jaen, au fond du Lac, à trente lieues de la Mer du Nord. La Rivière de Desaguadero, qui sort de ce Lac, forme une communication entre Jaen & Porto-bello. Realejo, qui n'est qu'à une lieue du Port de même nom, où l'on construit des Vaisseaux, parce que le bois y est excellent. Les Indiens ont aussi quantité de bonnes Villes dans cette Province. Elle produit des fruits délicieux. Le grand Lac dont j'ai parlé a son flux & son reflux & communique à la Mer du Nord par la Rivière que j'ai nommeé. La montagne de Massayatan, qui est un volcan continuel, fit naître à un Moine Espagnol la pensée que ce ne pouvoit être que de l'or liquide, qui brûloit sans cesse. Il fit descendre un seau de fer, soutenu par des chaînes très-fortes, pour servir à puiser ce précieux métal; mais, avant que d'être arrivés au feu, le sceau & les chaînes fondirent comme s'ils eussent été de plomb. La Province a plusieurs petits Ports.

Honduras s'étend de l'Est à l'Ouest, au long de la Mer du Nord ou du Golfe de Honduras, l'espace de 150 lieues; & depuis la même Mer jusqu'à la Province de Nicaragua, sa largeur est de 80 lieues. Elle borde au Sud Nicaragua & Guatemala, & à l'Ouest Guatemala & Vera-Paz. Au Nord & à l'Est, elle a la Mer du Nord, sans toucher d'aucun côté à celle du Sud. Quoiqu'elle ait beaucoup de montagnes, elle produit abondamment du bled d'Inde & du froment de l'Europe, elle nourrit toutes sortes de Bestiaux, & n'est pas sans mines d'or & d'argent. Ses Villes sont Walladolid, que les Indiens appellent Comayagua, à seize degrés de latitude du Nord, & 40 lieues de la Mer du Nord; c'est le séjour du Gouverneur & d'un Evêque. Gracias à Dios, à 30 lieues de Walladolid, au Nord-Ouest; cette Ville à beaucoup de mines d'or aux environs. San-Pietro, à 30 lieues de Walladolid, au Nord: Saint Jean Puerto-Cavallos, au quinzième degré de latitude, à 11 lieues de San-Pietro; le Port est bon, mais l'air fort mal sain: Truxillo, à 60 lieues au Nord-Est de Valladolid, & 2 lieues de la Mer du Nord: Saint George de Olancho, à 40 lieues de Valladolid, du côté de l'Est; cette Ville n'a pas plus de quarante familles Espagnoles; mais elle a dans son territoire plus de 16000 Indiens, qui sont ses tributaires & l'or est abondant dans ses mines. La Province de Honduras touche aux Mers du Nord & du Sud; & la distance de l'une à l'autre, depuis le Porto Cavallos dans celle du Nord, jusqu'à la Baye de Fonseca dans celle du Sud, est de 53 lieues. C'est une erreur, dans la plûpart des Cartes, de mettre la Baye de Fonseca dans la Province de Guatemala.

Cette derniere Province s'étend au long de la Mer du Sud l'espace de 70 lieues en longueur, sur environ 30 de largeur. L'air y est temperé. Elle produit du bled d'Inde, du froment, du coton, & d'autres biens. Les pluies y sont rares, mais elles sont fort violentes entre les mois d'Avril & d'Octobre. Ses Villes sont au nombre de cinq, toutes bâties dans les années 1524 & 1525, par Dom Pierre de Alvarado. 1. Sant-jago de Guatemala, qui est la résidence d'une Cour Royale, dont la Jurisdiction s'étend sur plusieurs Provinces. Elle est au 14e degré 30 minutes de latitude, à douze lieues de la Mer du Sud, avec un Evêché Suffragant de Mexico, & plusieurs Monasteres. Son territoire contient vingt-cinq mille Indiens qui lui payent un tribut. La situation en est délicieuse, & l'on y trouve toutes sortes d'excellens fruits & de provisions. 2. San-Salvador, que les Indiens appellent Cuzcatlan, a quarante lieues au Sud-Ouest de Sant-jago. 3. La Trinité, nommée Sansonate par les Indiens, à 26 lieues au Sud-Ouest de Sant-jago, & 4 du Port d'Axacutla, lieu considérable par son commerce avec le Perou & le Mexique. 4. Saint-Michel, à 62 lieues de Sant-jago au Sud-Est, & 2 lieues de la Baye de Fonseca, qui est son Port. On compte aux environs de cette Ville 80 petites Villes Indiennes. 5. Xeres de la Frontera, sur la frontiere de Nicaragua, dans un terroir extrêmement fertile en bled d'Inde & en coton. Près de Sant-jago, est une montagne brûlante, qui cause souvent de grands ravages par les flammes, les pierres & la cendre qu'elle vomit dans les lieux voisins. Il n'est pas surprenant que cette Province ait des bains chauds de plusieurs especes. Mais elle porte aussi d'excellent baume, de l'ambre liquide, de la résine blanche, & plusieurs autres gommes; avec differens animaux (dans lesquels on trouve la pierre de Bezoar) & du Cacao de la meilleure espece.

Soconusco, qui suit à l'Ouest Guatemala, s'étend de même au long de la Mer du Sud. Sa longueur, comme sa largeur, est d'environ 34 lieues, & sa principale production, le Cacao. Cependant elle produit un peu de bled. Il ne s'y trouve qu'une Ville, nommée Guevetlan, qui est la résidence de son Gouverneur.

La Province de Chiapa est dans l'intérieur des Terres, renfermée au Sud par Soconusco, à l'Ouest par...., au Nord par Tabasco, & a l'Est par Vera-Paz. Elle a de longueur environ 40 lieues de l'Est à l'Ouest, & quelque chose de moins en largeur. On y trouve en abondance du bled d'Inde & d'Europe, toutes sortes d'autres grains, & des bestiaux, mais peu de moutons. Son unique Ville est Ciudad-Real, qui est un Evêché. Les Indiens y sont en grand nombre, & leur principale Ville, qui se nomme Chiapa, donne son nom à la Province. Ils nourrissent les meilleurs chevaux de la nouvelle Espagne; &, ce qu'on auroit peine à s'imaginer d'une Nation barbare, ils sont Musiciens, Peintres, & propres à toutes sortes d'arts. La Ville Espagnole est au milieu d'une délicieuse vallée, qui forme un cercle autour d'elle, au 13e degré 30 minutes de latitude, à 60 lieues de la Mer du Nord, & presqu'à la même distance de celle du Sud.

Les Religieux Dominiquains ont donné le nom de Vera-Paz à la Province suivante, parce qu'ils en firent la conquête par les seules armes de l'Evangile, qui sont la prédication, la priere & les exemples. Elle est aussi dans l'intérieur du Continent, au milieu des Provinces de Soconusco, de Chiapa, Jucatan, Honduras, & Guatemala. Elle a trente lieues d'étendue. Le Pays est humide, & par conséquent plus propre au bled d'Inde, qui croit deux fois par an, qu'à notre froment d'Europe. Elle produit du cacao & du coton; mais particuliérement une quantité surprenante d'oiseaux de toutes sortes de couleurs, dont les plumes sont employées à divers usages. Il s'y trouve aussi quantité de lions & de tigres. Les Espagnols n'y ont pas de Villes ni de Gouverneurs; mais les Dominiquains qui en sont comme les Rois, ont plusieurs Couvens dans les Villes Indiennes, où leurs instructions contiennent les habitans, qui étoient autrefois fort sauvages.

Jucatan est une Péninsule. Elle fut prise d'abord pour une Isle, parce qu'elle est environnée de tous côtés par la Mer du Nord, excepté dans sa jonction avec Chiapa, Vera-Paz, & Tabasco. Cette piece de Terre s'étend dans la Mer près de cent lieues en longueur, depuis le Continent, & n'a pas plus de vingt-cinq lieues dans sa plus grande largeur. La qualité de l'air y est tout à la fois chaude & humide. Quoiqu'il n'y ait ni Rivière ni Ruisseau dans un si long espace, l'eau est par-tout si proche pour les puits, & l'on trouve, en ouvrant la terre, un si grand nombre de coquillages, qu'on est porté à regarder cette vaste étendue comme un lieu qui a fait autrefois partie de la Mer. Elle est couverte de bois. Il n'y croit aucune sorte de grain, & l'on n'y voit point d'or ni d'autres métaux; mais les animaux sauvages & privés y sont en abondance. Le coton & l'indigo ne s'accommodent pas moins du terroir. Les habitans y multiplient beaucoup, & parviennent à l'extrême vieillesse. Ils élevent tous les bestiaux de l'Europe, & d'excellens chevaux.

La Province de Tabasco, subordonnée au Gouverneur de Jucatan, & située au long de la Mer du Nord ou du Golfe du Mexique, a 40 lieues de longueur, de l'Est à l'Ouest, depuis les bords de Jucatan jusqu'à ceux de Guazacoalco. Sa largeur est à peu près la même depuis la Mer jusqu'aux limites de Chiapa. Elle est remplie de Lacs, d'Étangs & de Marais; de sorte que les voyages s'y font sur des Canots & des Barques. L'air y est chaud & humide, & par conséquent les pâturages fort bons; le maïs & le cacao y sont communs. Aussi n'a t'elle guéres d'autre avantage: comme elle n'a point d'autre Ville que Tabasco, qu'on nomme plus ordinairement Na Sa de la Victoria, d'une insigne victoire que Ferdinand Cortez y remporta en 1519. Le tribut que les Indiens payent à cette Ville consiste en 2000 xiquipiles de cacao; chaque xiquipile contient 8000 noix, & trois xiquipiles font une charge.

Une des grandes Provinces de la nouvelle Espagne est celle de Guaxaca, qui a cent vingt lieues de longueur d'une Mer à l'autre, sur cent de largeur au long de celle du Sud, & 50 au long de celle du Nord. Sa Capitale est Antequera, Ville Épiscopale, dont on vante beaucoup la principale Église. On y compte plus de 600 familles Espagnoles. La Vallée où cette Ville est située donne le titre de Marquis Del Valle aux descendans de Cortez, Conquerant du Mexique. Il y coule une Rivière qui se cache sous terre à Cimatlan, & qui reparoît deux lieues plus loin, près des montagnes de Coatlan. La Province fournit beaucoup de soie, de froment, & de bled d'Inde. Les mines d'or y étoient autrefois en grand nombre, mais il paroît qu'elles sont épuisêes.

Au Sud-Ouest de cette Province sont celles de Tusepeque, qui a 60 lieues de longueur en suivant les Côtes de la Mer du Sud, celle de Zapotecas au Nord-Est, & celle de Guazacoalco, qui, malgré leur étendue, passent pour autant de parties de Guaxaca. Toutes ces Contrées forment un Pays fort rude, où les mines d'or ne laissent pas d'être en grand nombre, mais d'un accès si difficile qu'on en tire peu d'avantage. On y trouve les Villes de S. Ildefonso de los Zacatecos, à vingt lieues d'Antequera au Nord-Est; Sant-jago de Nexapa, à vingt lieues d'Antequera vers l'Est; Espirito Santo, sur le bord de la Mer du Nord. Toutes les Rivières de la Province de Guaxaca roulent de l'or. Les Indiens y menent une vie douce & commode, lorsqu'ils veulent se la procurer par le travail. Ils se servent du cacao au lieu d'argent. Le Pays est agréable & l'air fort sain. Comme les meurriers y sont en abondance, la soie y est fort commune.

La Province & l'Evêché de Tlascala, nommée autrement los Angelos, est entre le Mexique & Guaxaca. Elle a cent lieues de la Mer du Nord à celle du Sud, & 80 lieues de largeur au long de la Mer du Nord, mais dix-huit ou vingt seulement au long de celle du Sud. On y compte trois Villes Espagnoles; celle de los Angeles, qui n'est qu'à vingt lieues de Mexico, & qui est Épiscopale. On y vante un Collège où l'on instruit plus de 1500 jeunes Indiens. Elle est située dans le Canton de Cholula, au milieu d'une Plaine nommée Guetlaxcoapa, sur le bord d'une petite Rivière qui sorte du pied d'une Montagne brûlante. Ce Canton produit du bled, du vin, toutes sortes de fruits d'Europe, du sucre, du lin, & les meilleures légumes du monde. À peu de distance de Tlascala, on trouve quelques sources qui forment une assez grande Rivière. Elle va se décharger dans la Mer du Sud, proche de Zacatula, dans la Province de Mechoacan; mais ce qui la rend digne de remarque, c'est qu'elle est sans poissons, & qu'elle produit tant d'Alligators, espece de crocodiles, qu'ils ont fait abandonner plusieurs Villes voisines. La Ville de Tlascala n'est habitée que par des Indiens. Elle est au Nord de los Angelos, au-dessus du 20e degré de latitude, dans la Vallée d'Atelosco, qui n'ayant qu'une lieue & demie d'étendue, produit plus de 100000 mille boisseaux de froment. Aussi quantité d'Espagnols y exercent-ils l'Agriculture. À sept lieues de la même Ville est la Vallée d'Olumba, qui n'a guéres moins de fertilité. Cortez bâtit la Ville de Segara dans le Canton de Tepeaca, près de laquelle est la Vallée de Saint-Paul, ou l'on voit plus de 1300 familles Espagnoles qui cultivent la terre, & qui nourissent des troupeaux. Le bétail y multiplie si prodigieusement, qu'on parle d'un Fermier à qui deux brebis produisirent quarante mille bêtes de la même espece.

La Province du Mexique a 130 lieues de longueur, Nord & Sud. Elle s'élargit de dix-huit lieues au long de la Mer du Sud, jusqu'à soixante dans l'intérieur des Terres. On y comprend les Cantons de Latcotlalpa, Meztilan, & de Xilotepeque, au Nord-Est; de Matalzingo & de Cultepeque, à l'Ouest; de Tezcuco, à l'Est; de Chalco, au Sud-Est; de Suchimilco et de Flaluc, au Sud; de Coyxca et d'Acapulco, au Sud-Ouest. Une si grande Province n'a pas plus de quatre Villes Espagnoles; mais quantité d'Espagnols sont établis dans les Villes Indiennes. La Ville de Mexico s'appelloit autrefois Tenoxtitlan. Elle est située au 19e degré 30 minutes de latitude, au milieu de deux grands Lacs qui l'environnent; l'un d'eau salée, dont le fond est de salpêtre; l'autre d'eau fraîche, prodiusant tous deux du poisson. Ils sont tous deux à peu près de la même grandeur, qui est cinq lieues de large sur huit de long. Les marécages qu'ils forment autour d'eux ont obligé de construire cinq chaussées, longues d'une demi-lieue, qui conduisent à la Ville. Elle n'a ni murs ni portes. Sa forme est un quarré d'une demi-lieue de diamétre, & de deux lieues de tour. Ses rues sont droites, larges, bien bâties, & presqu'à la même distance, ce qui donne l'air d'un échiquier. L'Italie à peu de Ville qui l'égalent en beauté, & l'on ne voit nulle part un si grand nombre de belles femmes. On y compte plus de cent mille habitans, dont la plûpart à la vérité sont Nègres ou Mulâtres. Les Monasteres n'y occupent pas peu de places, puisqu'il y en a 22 de femmes & 29 d'hommes, de tous les Ordres. Le revenu annuel de l'Archevêque monte à soixante mille pièces de huit, & celui de toute la Cathédrale, à trois cens mille. Il y a peu de Pays au monde où l'air soit si temperé. On n'y connoît ni le chaud ni le froid excessif. La terre produit trois fois chaque année; & le froment sur-tout rend avec une abondance merveilleuse. Aussi la dépense est-elle médiocre à Mexico pour les alimens. Cependant, comme il n'y a point de monnoye de cuivre, & que la moindre piece d'argent est un demi réal, qui fait trois sols, le fruit & les légumes y sont assez chers. Mais au marché, le cacao tient lieu de la petite monnoye, de sorte que 60 ou 80 noix de cacao font à peu près un réal. Pendant toute l'année les marchés sont remplis de fruits & de fleurs. Le Viceroi de la nouvelle Espagne, l'Archevêque, les Cours Souveraines pour la Justice & la Monnoye, enfin tous les Officiers qui appartiennent à la Capitale d'un Gouvernement ont leur résidence à Mexico. Les Suffragans de l'Archevêché sont les Évêques de Tlascala, de Guaxaca, de Mechoacan, de la nouvelle Gallice, de Chiapa, de Jucatan, de Guatemala, de Vera-Paz, & des Isles Philippines. On compte dans la Province du Mexique 250 Villes Indiennes, qui contiennent plus de cinq cens mille familles tributaires, & 150 Couvens de Dominiquains, de Francisquains & d'Augustins, sans compter les Collèges de Jésuites & les Séminaires.

Le Canton d'Acapulco est sur la Côte de la Mer du Sud, au 17e degré de latitude. La Ville est à six lieues de la Rivière Yopes. À peine mérite-t'elle le nom de Village, car les maisons n'y sont que de boue. Sa situation, au pied d'une Montagne, la couvre du côté de l'Est; ce qui rend l'air fort mal sain depuis le mois de Novembre jusqu'à la fin de Mai, parce que le climat étant sans pluie dans tout cet intervalle, la chaleur y est aussi violente au mois de Janvier qu'en Italie pendant la canicule. Cette mauvaise disposition de l'air & du terroir met Acapulco dans la nécessité de tirer ses provisions de plusieurs autres Pays, & les rend par conséquent fort cheres. La Ville d'ailleurs est fort sale, parce qu'elle est mal pavée, & manque des commodités les plus ordinaires, telles que des Hôtelleries pour les Étrangers. Aussi n'est-elle habitée que par des Nègres & des Mulâtres; car aussi-tôt que les Vaisseaux de Manila & du Perou sont déchargés, les Marchands Espagnols se retirent dans d'autres lieux. Le seul avantage d'Acapulco consiste dans l'excellence de son Port, qui fait un demi cercle autour de la place, & qui est entouré de montagnes comme d'une espece de mur. Il vaut par an au Gouverneur vingt mille pièces de huit, & presqu'autant au Contrôleur. Le revenu du Curé est de quatorze mille pièces. Enfin, comme le commerce d'Acapulco monte chaque année à plus de quatorze millions de pièces de huit, il n'y a point d'habitant qui n'y fasse beaucoup de profit; & chaque Nègre ne donneroit pas le sien, chaque jour, pour une de ces pièces.

À quatorze lieues de Mexico sont les mines de Pachuca; à 22 lieues, celles de Tusco; à 22 lieues, celles de Tmisquilpo; à 24 lieues, celles de Talpujaya; à 18 lieues, celles de Temazcaltepeque; à 20 lieues, celles de Zacualpa, à 40 lieues, celles de Zupango; à 60 lieues, celles de Guanaxato; à 67 lieues, celles de Comanja; à 18 lieus de los Angelos, celles d'Achachica; sans parler des mines de Guatla, de Zumatlan, & de Saint-Louis de la Paz. On y entretient habituellement plusieurs milliers d'Ouvriers. Toutes ces mines sont d'argent, à l'exception de celles de Tmisquilpo, qui sont d'étain.

La Province de Panuco, qui est au Nord de celle du Mexique, a presque également cinquante lieues dans sa largeur & sa longueur. La partie du Sud est abondante en provisions, & ne manque point de mines d'or; mais celle qui touche à la Floride est d'une misérable stérilité. Elle a trois Villes Espagnoles. Panuco, autrement Sant-Isteran del Puerto, située au 23e degré de latitude, à 65 lieues de Mexico au Nord-Est, à sept ou huit de la Mer, près d'une Rivière dont l'embouchure forme un Port; Sant-Jago de los Valles, à 25 lieues de Panuco, vers l'Ouest; Saint-Louis de Tampico, située proche de la Mer, à sept ou huit lieues au Nord-est de Panuco.

Mechoacan est une Province qui n'a pas moins de 80 lieues de longueur au long de la Mer du Sud, & qui s'étend en largeur l'espace de 60 lieues dans l'intérieur des Terres, entre le Mexique & la nouvelle Gallice. On y comprend les Cantons de Zacatula & de Colima, tous deux sur les Côtes de la Mer du Sud. La Capitale du Pays est Mechoacan, ou Pazcuare, un peu au-dessus du 19e degré de latitude, à 45 lieues de Mexico. Ses autres Villes sont Guayangarco, autrement Valladolid, Siège Episcopal, & Zinzonza. À 28 lieues de Mechouacan sont les mines de Guanaxnato, où le travail & la garde occupent habituellement 600 Espagnols. Saint-Michel est une autre Ville à 35 lieues au Nord-Est de Mechouacan, dans un Canton montagneux. La Conception de la Salaya, Ville sur la route de Chichimecas. Saint-Philippe, Ville à 50 lieues de la Capitale, du côté du Nord, dans un Pays froid & stérile. Le Territoire & la Ville de Zacatula sont sur la Mer du Sud, au 18e degré de latitude, à 40 lieues de Mechouacan. Le Territoire & la Ville de Colima sont un peu au-dessus du 18e degré, vers le Sud-Ouest. Ce Pays est chaud, fertile en cacao, en casse, en grains & en bestiaux. Le poisson & les fruits y sont en abondance. Il porte aussi de l'or, de la cochenille & du coton. En général les Indiens du Mechouacan sont de belle taille, industrieux, & capables de travail. Ils ont cent treize Villes. Cette Province ne s'étend point jusqu'à la Mer du Nord, mais elle a plusieurs Rivières qui se déchargent dans la Mer du Sud; & vers l'extrêmité de sa partie Occidentale, elle a, au 19e degré de latitude, le Port de la Nativité, dont l'excellence y rend le commerce florissant. Un peu à l'Est du même Port est celui de Sant-jago, qui a, dans le voisinage, de bonnes mines d'un cuivre si doux que les Indiens en font toutes sortes de vaisselles. Il s'y en trouve aussi d'un autre cuivre, qui est assez dur pour servir, au lieu de fer, à labourer la terre. Mais les Indiens sont redevables de ces découvertes & de ces usages à l'industrie des Espagnols.

La Province de Xalisco, fertile en maïs, mais peu fournie de bestiaux, n'a que deux Villes. Compostel, sur la Mer du Sud, à 33 lieues de Gaudalasara, & la Purification, près du Port de la Nativité. Cette Province est au 22e degré de latitude. Celle de Chiatmala, qui la suit au Nord, & qui touche aussi à la Mer du Sud, à 20 lieues de long, sur la même largeur. On y trouve quantité de mines d'argent, & la seule Ville de Saint-Sebastien. Elle est suivie au Nord, sur la même Côte, de la Province de Culiacan, qui porte toutes sortes de provisions, & quelques mines d'argent. Sa seule Ville est Saint-Michel. Cinaloa est la derniere Province au Nord de la nouvelle Gallice, qui est le nom général qu'on donne à toutes ces Contrés depuis celle du Mexique.

Zacatecas, dans l'intérieur des Terres, est une Province fort riche par ses mines d'argent, mais qui manque d'eau & de grains. Elle a trois Villes Espagnoles, & quatre mines célébres, dont la plus abondante est voisine de la Ville Capitale, & porte comme elle le nom de Zacatecas. On y emploie constamment 500 Espagnols, 500 Esclaves, & mille chevaux ou mulets. Les autres Villes sont Xeres de la Frontera, à vingt lieues au Nord de Guadolajara; Erena, Nombre de dios, & Durango, qui est dans un Canton extrêmement fertile. La mine de Sombrette est près d'Erena & celle de Saint-Martin, près de Durango.

La Nouvelle Biscaye, Province au Nord-Ouest de Xacatecas, est entiérement dans les Terres. Elle ne manque ni de bestiaux, ni d'aucunes provisions, & ses mines d'argent sont estimées. Elle en a trois principales, qui forment autant de petites Villes dans leur voisinage: Hindebe, Santa-Barbara, & Saint-Jean.

Quivira & Cibola sont deux autres Provinces qui suivent la Nouvelle Espagne, mais elles appartiennent au Nouveau Mexique, dont l'étendue n'est point encore connue. Les Espagnols n'y ont qu'une Ville, nommée Santa-Fé, ou le Nouveau Mexico, pour contenir les Indiens dans la soumission. Quoique ce Pays soit fort beau dans une infinité de Cantons, les habitans en sont encore fort sauvages, & n'ont point d'autres richesses que leurs bestiaux. La Ville de Santa-Fé, ou du nouveau Mexico, est vers le 37e degré de latitude.

Enfin, la Californie commence au 23e degré de latitude, par le Cap Saint-Luc, qui est à l'opposite de la Province de Culiacan, dans la Nouvelle Espagne. Elle s'étend vers le Nord & le Nord-Ouest, plus loin qu'on n'a pû jusqu'à present porter les découvertes. Les Espagnols ont marqué peu d'empressement pour y étendre leurs Conquêtes; mais ils entretiennent quelque commerce au Cap Saint-Luc & à Puerto Seguro.

M. Cooke, dans la Relation de son Voyage autour du Monde en 1711, fait une description de Puerto Seguro, qu'on ne trouve dans aucun autre Écrivain. Il paroît surprenant qu'un Pays découvert depuis si longtems porte encore toute les apparences de la plus grossiere barbarie.

«L'entrée de la Baye, dit-il, est pendant l'espace d'une lieue, à l'Est d'un Promontoire rond & couvert de sable, que plusieurs prennent pour le Cap Saint-Luc; mais je suis persuadé que le Cap Saint-Luc est une autre tête de terre qui se présente au Sud-Est de ce Promontoire, à trois lieues de distance, parce que, suivant l'ancienne Relation de sa découverte, il fait la pointe la plus Orientale. Quand on est au large, on prendroit ce Cap pour une Isle. Pour entrer dans la Baye, en venant du côté de l'Ouest, ce qui est presque toujours nécessaire à cause des Courans, on est dirigé par quatre grands rocs, dont les deux plus Occidentaux sont fort escarpés, & s'élèvent en pain de sucre. Le second, c'est-à-dire le plus intérieur, est percé de manière qu'il forme une arche, comme celle d'un Pont, au travers de laquelle la Mer s'est fait un passage. On s'avance ainsi au long des rocs jusqu'au fond de la Baye, où l'on peut jetter l'ancre sur un fond de dix ou douze brasses, jusqu'à vingt ou vingt-cinq. C'est-là qu'on trouve Puerto Seguro, qui n'est qu'un petit amas de mauvaises cabanes, habitées par environ 200 Indiens. Les hommes sont entiérement nuds. Les femmes portent autour des reins une peau de quelque animal, qui leur descend jusqu'aux genoux. L'occupation de ces Barbares est la pêche & la chasse. Ils preferent à l'or & à l'argent, un couteau, des ciseaux, des cloux, une serpe, & nos autres instrumens de fer. Leur taille est droite & bien proportionnée, leur chevelure longue & noire, & la couleur de leur peau fort brune. Les femmes n'ont rien d'agréable dans la physionomie. Elles s'employent à recueillir & à piler entre des pierres differentes sortes de grains, ou à faire des filets pour la pêche. Depuis les Montagnes jusqu'à la Mer, le Pays est rude & pierreux, quoi-qu'entremêlé de quelques plaines & de quelques vallées fort agréables. Mais en général le terrain, dans cette partie de l'Isle, n'est qu'un sable fort sec, qui produit, pour tout bien, quelques arbustes dont les fruits servent de pain aux misérables habitans. Ils sont mieux en poisson. La Baye est remplie de dauphins, de mulets, de bremines, & d'autres especes, qu'ils tuent fort adroitement avec leurs dards, ou qu'ils prennent avec leurs filets. Les bois ne leur fournissent pas moins d'animaux pour la chasse. Ils tuent une prodigieuse quantité de daims, de cerfs, & de renards; sans parler des perdrix, des pigeons, & d'autres oiseaux qui foisonnent dans la campagne. Les ruisseaux leur donnent de l'eau fort pure. Ils ont au long de la Côte beaucoup de crête marine. Les rocs sont couverts d'huitres, qui sont rarement sans perles. Nous trouvames dans le secours des habitans, tout ce qui nous étoit nécessaire pour la réparation de nos Vaisseaux. Ils s'approcherent de nous sans défiance, quoique nous ne pussions nous entendre, s'empressant de nous offrir leurs provisions en échange pour des choses de peu de valeur. Je leur trouvai tant de douceur, que j'ai peine à me persuader, sur le témoignage des Espagnols, qu'il soit impossible de leur inspirer des principes de Religion. Je ne remarquai parmi eux aucune apparence de culte; à moins qu'ils n'adorent le Soleil, vers lequel ils levent souvent les yeux. Les Espagnols racontent qu'au Nord de Porto Seguro, on trouve d'autres Nations plus sauvages, guerrieres & perfides, avec lesquelles on n'a jamais pû former aucune liaison. Pendant le séjour que nous fimes sur cette Côte, l'air fut toujours clair & serein; & la bonne constitution des habitans semble marquer qu'il est fort sain. À notre arrivée plusieurs de nos gens reçurent quelques perles des Indiens; mais je n'en vis plus paroître dans la suite. Quand je leur montrai de l'or, pour leur faire connoître qu'ils auroient à ce prix beaucoup de fer, ils firent des signes vers les montagnes; de sorte que pour tirer apparemment plus d'avantage de leur Pays, il auroit fallu les entendre.»

Vents & Courans de la Mer du Sud.

Cet article est un autre extrait des Journeaux de M. Rindekly. Quoique j'aie supprimé volontairement les Ports & les Rades, dans sa description de la nouvelle Espagne, pour ne pas repéter des noms qu'on a déja lûs à la Table de leurs longitudes & de leurs latitudes, je serai obligé ici d'en rappeller un fort grand nombre. Mais l'importance des observations suivantes doit me faire passer sur un inconvenient si leger.

Qu'on tire une ligne imaginaire depuis le Port Saint Marc d'Arica, jusqu'à la pointe d'Aguja, qui est proche du Port de Palta, elle sera de 30 lieues de Mer de l'un de ces Ports à l'autre. Dans tout espace, entre cette ligne & cette Côte, ce sont les vents de Sud-Est & de Sud-Sud-Est qui regnent toute l'année: en hyver ils sont furieux, & plus géneralement Sud-Est. Mais il faut observer qu'à une lieue ou deux de la Côte, ils sont quelquefois Nord & Nord-Est. Ils ne durent pas longtems, mais ils renaissent régulierement chaque semaine, & plus souvent dans les Bayes les plus larges & les plus ouvertes au long de la Côte.

Supposez une autre ligne depuis la pointe d'Aguja, jusqu'à la pointe de Santa Helena, vous aurez 20 lieues de Mer de l'une à l'autre pointe, & un grand espace dans l'arc de la Côte. C'est le vent du Sud qui regne toute l'année dans cet espace: mais à 5 ou 6 lieues du rivage, les vents Sud-Ouest se sont quelquefois sentir, surtout aux angles de la Côte. Ces vents sont moderés, & ne durent pas longtems.

De la pointe de Santa Helena au Cap Passado, l'espace renfermé entre une ligne imaginaire de 10 lieues & le fond de la Côte, est assujetti pendant toute l'année aux vents Sud-Ouest.

Une autre ligne du Cap Passado au Cap Saint François, renferme un espace qui n'est encore soumis qu'aux vents Sud-Ouest; cependant comme cet espace n'est que de 5 lieues, il se ressent quelquefois des vents de la haute Mer, & des vents de terre.

Tirez de même une ligne du Cap Saint François jusqu'à Morro de Puercos & tout ce qui est à l'Est du passage de Panama, qu'on a nommé la Traversia. Dans ce grand espace l'hyver & l'Été sont réglés d'une manière fort bizarre, & sans aucun rapport à l'éloignement ou à la proximité du Soleil. Suivant le cours de la nature, l'Été dans ce lieu devroit commencer le 25 de Mars, lorsque le Soleil passe l'Equinoctial vers le Nord, du côté duquel sont cette Côte & cette Mer; & l'on y devroit ressentir les effets ordinaires jusqu'au 25 de Septembre, que le Soleil repasse l'Equinoctial vers le Sud. Cependant l'expérience est contraire; car l'Été de la Traversia & de la Côte de Panama, commence au mois de Janvier, lorsque le Soleil, est le plus éloigné au Sud de l'Equinoctial; & l'hyver commence au mois de Juin, qui est le tems où le Soleil est du côté du Nord.

Au long des Côtes de Panama & sur la Mer qui leur est opposée, l'Été & l'hyver sont chacun de 6 mois. L'Été commence au mois de Janvier, & finit au mois de Juin. Pendant cette saison on n'y voit regner que les vents Nord, Nord-Est, & Nord-Ouest, qui sont très-violens dans le cours de Janvier, Février & Mars. Il ne tombe point alors de pluie au long de la Côte de Panama, de Port-Pinas, de Malpelo, de Puerto Quemado, & des autres lieux jusqu'au Cap Saint François. Dans le même tems au contraire, il pleut beaucoup sur la Côte de Manta & de Guayaquil; & la raison naturelle, c'est que ces vents regnans, poussent les nuées sur cette Côte, & que ne soufflant pas plus loin, les nuées qui s'arrêtent sont dissipées par l'action du Soleil & tombent en pluies fort épaisses. Les mêmes vents pendant les trois premiers mois de l'Été s'étendent quelquefois jusqu'à Manta, la pointe de Santa Elena, Cap Blanco, & quelquefois ne vont point jusqu'au Cap Saint François, suivant qu'ils ont plus ou moins de force sur la Côte de Panama.

Dans l'intervalle du même tems, il regne géneralement à Malpelo un vent d'Est-Nord-Est, qui est doux & reglé; mais entre Malpelo & Buonaventura, le vent devient Nord; & depuis Puerto Quemado jusqu'à l'Isle Gorgone, il est géneralement Nord-Ouest, Ouest-Nord-Ouest, & Ouest, avec des pluies très-abondantes.

Ainsi pendant les trois premiers mois de l'Été, rien n'est si varié que le tems, dans ces differens lieux. Mais dès les premiers jours d'Avril, la pluie commence à tomber dans le Golphe & sur la Côte de Panama. Les vents doux y prévalent, avec des calmes fréquens, on les appelle Virazones; ils sont Sud, Sud-Ouest, Sud-Sud-Ouest, & quelquefois Nord-Ouest, presque toujours accompagnés de violentes pluies. Cette variété de calmes, de vents doux, changeans, incertains, dure jusqu'à la fin du mois de Juin, qui est aussi celle de l'Été.

Au mois de Juillet commencent les vents que les Espagnols nomment Vendavales, & qui durent jusqu'à la fin de Decembre. Ils sont Sud & Sud-Ouest, avec de fortes pluies, du tonnerre & des éclairs. Leur plus grande furie est au mois de Septembre, d'Octobre & de Novembre; mais alors même, Panama & ses environs reçoivent d'assez beaux jours de ceux de Sud-Ouest, qui sont aussi moins nuisibles à la navigation. Quelquefois ils se changent en Nord & Nord-Est, avec des pluies impétueuses, sans s'étendre à plus de vingt lieues dans la Mer.

Pendant la même saison, il s'éleve quelquefois des vents d'Ouest & d'Est-Sud-Ouest, qui poussent les Vaisseaux sur les Côtes du Perou. Les nuits sont sujettes au vent du Nord-Ouest, accompagnés de grosses pluies, mais leur durée est fort courte. Lorsque le vent du Nord s'est établi à Panama, le calme regne ordinairement depuis le Cap Saint François jusqu'au Cap Blanco; & lorsque l'Été commence à Panama, l'hyver commence à Guayaquil, où il pleut alors pendant cinq mois; c'est-à-dire depuis le commencement de Janvier jusqu'à la fin de May. Les vents y soufflent de l'Isle de Santa Clara, vers la Rivière; le tonnerre & les éclairs y sont surprenans, particuliérement sur les montagnes de Cuenca, qui sont sur la droite en remontant la Rivière; ce qui n'empêche pas qu'ordinairement le tems ne soit calme & serain. Au long de la Rivière Guayaquil, l'Été commence au mois de Juin, & les pluies cessent. Mais le vent d'Ouest, que les Habitans nomment Chanduy, souffle alors avec beaucoup de violence.

Le Cap Blanco jouit d'un air fort serain pendant quatre mois de l'année, qui sont Janvier, Février, Mars & Avril. Tous les autres mois sont sombres & orageux, & les courans prennent alors leur direction de ce Cap vers le Sud.

La connoissance des courans est d'une nécessité si indispensable pour la navigation, qu'il est surprenant qu'on n'y apporte pas plus de soin dans les Cartes Marines. On ne conçoit point assez comment la force de l'eau triomphe de l'art & du veut. Un Pilote qui croit naviguer en droite ligne vers le lieu auquel il veut aborder, est étonné de se trouver insensiblement vis-à-vis d'une autre Côte, sans s'être appercu de rien qui l'ait pû détourner de sa route. Je ne parle pas des courans impetueux, dont le danger frappe la vûë. Il y en a de si imperceptibles, que leur réalité n'étant prouvée que trop souvent par les effets, on est porté à croire que le mouvement se passe quelquefois dans l'interieur de l'eau, tandis que la surface est tranquille. On a les latitudes pour guider la course; mais a-t-on toujours la lumiére du Soleil pour les prendre, & qu'a-t-on trouvé jusqu'à présent qui puisse y suppléer dans les tenebres?

Dans la Mer dont je parle, & qui est aujourd'hui si fréquentée, aussitôt que le Soleil a passé l'Equinoctial vers le Sud, ce qui fait commencer l'Été dans les parties méridionnales, l'eau commence ses courans, Sud & Sud-Ouest, depuis le Cap Saint François au long de la Côte, & les étend en largeur jusqu'à trente & quarante lieues dans la Mer. De même, lorsque le Soleil passe l'Equinoctial vers le Nord, les eaux se meuvent dans le sens contraire, c'est-à-dire que les courans sont Nord & Nord-Ouest au long des mêmes Côtes & dans la même largeur. Observez que comme le mouvement vers le Sud commence au Cap Saint François, le mouvement vers le Nord, commence au Port de Saint Marc d'Arica. L'un & l'autre semble tirer sa force du rivage, du moins dans la plûpart des lieux; car il y en a d'autres où l'on remarque absolument le contraire.

Depuis le Cap Saint François jusqu'à Malpelo, il est certain que la direction des courans est à l'Est & à l'Est-Sud-Est vers l'Isle Gorgone, & la Baye de Bonaventura. C'est ce qu'on remarque encore plus fréquemment en hyver. Dans d'autres tems ce mouvement cesse quelquefois tout-à-fait.

De Malpelo jusqu'au Cap Morro de Puercos, l'eau n'a jamais de courant sensible.

De l'Isle Gorgone jusqu'au Cap Saint François, le courant prend rarement sa direction vers le Sud-Ouest. Elle est ordinairement vers le Nord-Ouest. Quelquefois elle cesse tout-à-fait, & l'eau n'a point d'autre agitation que celle des vents.

De l'Isle de Gorgone au Cap Morro de Puercos, l'Hyver comme l'Été, le courant est aussi vers le Nord-Ouest.

Lorsque le vent de commerce prévaut, les courants, entre Morro de Puercos & Malpelo, sont vers le Sud-Ouest.

Cette variété dans les mouvemens de la Mer est un secret de la Nature que la raison humaine est incapable de pénétrer; mais elle est prouvée par une expérience si constante, que les Pilotes devroient avoir les yeux toujours ouverts pour en découvrir toutes les différences.

Fin du Second Tome.


APPROBATION.

J'Ai lû par ordre de Monseigneur le Chancelier un Manuscrit intitulé, Voyages du Capitaine Robert Lade, & je n'y ai rien trouvé qui doive en empêcher l'Impression, à Paris ce quatre May mil sept cent quarante trois, de Montcrif.


PRIVILEGE DU ROY.

LOUIS, par la Grace de Dieu, Roy de France & de Navarre: À nos aimés & féaux Conseillers, les gens tenants nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénechaux, leurs Lieutenans Civils, & autres nos Justiciers qu'il appartiendra: Salut. Notre bien amé François Didot, Libraire, ancien Adjoint, nous a fait exposer qu'il désiroit faire imprimer & donner au Public un Manuscrit qui a pour titre: Voyages du Capitaine Robert Lade, traduit de l'Anglois, s'il nous plaisoit de lui accorder nos Lettres de Privilège pour ce nécessaires. À ces Causes, voulant favorablement traiter l'Exposant, Nous lui avons permis & permettons par ces Présentes de faire imprimer l'Ouvrage ci-dessus spécifié, en un ou plusieurs Volumes, & autant de fois que bon lui semblera, & de les vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royaume, pendant le tems de neuf années consécutives, à comprer du jour de la datte des Présentes; Faisons défenses a toutes sortes de personnes de quelque qualité & condition qu'elles soient d'en introduire d'Impression étrangere dans aucun lieu de notre obéissance; comme aussi à tous Imprimeurs & Libraires, d'imprimer, faire imprimer, vendre, faire vendre & contrefaire ledit Ouvrage, n'y d'en faire aucun extrait sous quelque prétexte que ce soit, d'augmentation, correction, changement, ou autre, sans la permission expresse & par écrit dudit Exposant, ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de confiscation des Exemplaires contrefaits, & de trois mille livres d'amande contre chacun des Contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'autre tiers audit Exposant, ou à celui qui aura droit de lui, & de tous dépens, dommages & intérêts; à la charge que ces Présentes seront enregistrées tout ou long sur le Régistre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la datte d'icelles; que l'impression dudit Ouvrage sera faite dans notre Royaume & non ailleurs, en bon papier & beaux caracteres, conformement à la feuille imprimée attachée pour modéle sous le contre-Scel desdites Présentes; que l'Impétrant se conformera en tout aux Reglemens de la Librairie, & nottament à celui du 10 Avril 1725, & qu'avant que de les exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé qui aura servi de copie à l'impression dudit Ouvrage, sera remis dans le même état où l'Approbation y aura été donnée ès mains de notre très-cher & féal Chevalier le Sieur Daguesseau, Chancelier de France, Commandeur de nos Ordres, & qu'il en sera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothéque Pubique; un dans celle de notre Château du Louvre, & un dans celle de notredit très-cher & féal Chevalier le Sieur Daguesseau, Chancelier de France: le tout à peine de nullité des Présentes; du contenu desquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Exposant & ses ayant cause, pleinement & paisiblement, sans souffrir qu'il lui soit fait aucun trouble ou empêchement: Voulons que la Copie desdites Présentes qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Ouvrage, soit tenue pour duëment signifiée, & qu'aux copies collationnées par l'un de nos amés & féaux Conseillers & Secrétaires, foi soit ajoûtée comme à l'Original. Commandons au premier notre Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire pour l'éxécution d'icelle tous Actes requis & nécessaires, sans demander autre permission, & nonobstant clameur de Haro, Chartre Normande & Lettres à ce contraires; car tel est notre plaisir. Donné à Paris le vingt-huitiéme jour du mois de Juin, l'an de grace mil sept cent quarante-trois, & de notre Règne, le vingt huitiéme. Par le Roy en son Conseil.

SAINSON.

Registré sur le Régistre 11 de la Chambre Royale des Libraires & Imprimeurs de Paris, n. 219. fol. 181, conformément aux anciens Reglemens, confirmés par celui du 28 Février 1723. À Paris le 9 Août 1743.

SAUGRAIN, Syndic.


CATALOGUE

Des Livres qui se vendent à Paris chez Didot, Quai des Augustins à la Bible d'Or. 1744.

ANtiquités Romaines de Denis d'Halicarnasse, traduites du Grec, avec des Notes Historiques, Critiques, & Géographiques, par le Pere le Jay de la Compagnie de Jesus, 2. vol. in-4. 10. l.

Amusemens du cœur & de l'esprit, Ouvrage périodique, 15. feuilles in-12. 2. l. 10. s.

Astrée de M. d'Urfé. Pastorale allégorique avec la clef, nouvelle Edition, où sans toucher au fond, ni aux épisodes, on s'est contenté de corriger le langage, & d'abréger les conversations, par M.... de l'Académie des Inscriptions & Belles Lettres, 10. vol. in-12. fig. 20. l.

Le saint Concile de Trente œcuménique & général nouvellement traduit, par M. l'Abbé Chanut, derniere édition, in-12. 2. l.

Corpus Juris Canonici, autore Gibert, 3. vol. in-fol. 26. l.

Le Comte de Gabalis, ou Entretiens sur les Sciences secrettes. Nouvelle Edition augmentée des nouveaux Entretiens, des Génies assistans, & du Gnome irréconciliable, &c. par l'Abbé de Villars, in-12. 2. vol. 4. l.

Chansons (Nouveau Recueil de) choisies, avec les airs notés, 8. vol. in-12. 24 l.

Le Chevalier des Essarts, & la Comtesse de Berci, ou Anecdotes de la Cour d'Henri IV. Roi de France, Histoire remplie d'événemens, 2. vol. in-12. sous presse.

Contes des Fées (les trois nouveaux) par M. de.... avec une Préface qui n'est pas moins sérieuse, par l'Auteur des Mémoires d'un Homme de qualité, in-12. 2. l.

Contes des Fées allégoriques, (nouveaux) contenant le Phœnix, Lisandre & Carline, Boca, &c. in-12. 2. l.

DEfense de la Grace efficace, par M. de la Broue, Evêque de Mirepoix, in-12. 2. l. 10. s.

Dissertation sur l'existence de Dieu, où l'on démontre cette vérité, par l'Histoire Universelle de la première Antiquité du Monde, par la réfutation du Système d'Epicure & de Spinosa; par les caractères de Divinité qui se remarquent dans la Religion des Juifs, & dans l'Établissement du Christianisme. Nouvelle Edition augmentée de la Révélation des Livres Sacrés, par M. Jacquelot, in 12. 3. vol. 7. l. 10. s.

Défense des Prophéties de la Religion Chrétienne contre Grotius, Simon, & ceux qui ont écrit sur ces matiéres, par le Pere Baltus, de la Compagnie de Jesus, 3. vol. in-12. 6. l.

Description Géographique, Historique, Ecclésiastique, Civile & Militaire de la Haute Normandie, 2. vol. in-4. avec des Cartes, 1740. 18. l.

Description des Isles de l'Archipel, traduite du Flamand d'O. Dapper, enrichie de Cartes Géographiques & de figures, in-fol. 15. l.

Les délices de l'Italie, contenant une Description exacte du Pays, des principales Villes, de toutes les Antiquités & des Raretés qui s'y trouvent, 4. vol. in-12. figures, 10. l.

EXplication des Prophéties de l'ancien & du nouveau Testament, qui regardent le Messie; dans laquelle ou prouve la venue du Messie contre les Juifs, & la vérité de la Religion Chrétienne contre les Déistes, in-12. sous presse.

Essai critique sur le Goût, par M. Carteau de la Vilate, in-12. 2. l. 10. s.

Essai Politique sur le Commerce, par M. Melon, in-12. 3. l. 10. s.

Études Militaires, & l'Exercice de l'Infanterie avec des figures, dédié au Roi, par Monsieur Bottée, Capitaine au Regiment de la Fere, in-12. 4. l.

GRammaire Italienne à l'usage des Dames, derniere Edition, par M. l'Abbé Antonini. in-12. 2 l.

La Guide des Pêcheurs, par le R. P. Louis de Grenade, traduite en François par M. Girard, nouvelle Edition, in-8. 3. l.

Méthode pour apprendre facilement la Géographie, contenant un abrégé de la Sphère, la division de la Terre en ses Continens, Empires, Royaumes, États, Républiques, Provinces, &c. avec la Table des principales Villes de chaque Province, septiéme Edition, par M. Robbe, 2. vol. in-12. avec des Cartes Géographiques, sous presse.

HIstoire Sainte des deux Alliances, &c. avec des Réflexions sur chaque Livre de l'Ancien & du Nouveau Testament, & un Supplément qui conduit l'Histoire des Machabées jusqu'à la naissance de Jesus-Christ, par M. de Saint-Aubin, Bibliothécaire de Sorbonne, 7. vol. in-12. 15. l.

Abrégé de l'Histoire de France, par M. de Mezeray, nouvelle Edition, avec les Remarques & Notes de feu M. Amelot de la Houssaye, in-12. 13. vol. 1740. 32. l. 10. s.

La même, 4. vol. in-4. 1740. 36. l.

L'on vend séparément l'Histoire de Louis XIII. & de Louis XIV. 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Histoire & Description générale du Japon, contenant les Mœurs & les Coutumes de ses Peuples, & les Plantes qu'il produit, par le Pere de Charlevoix de la Compag. de Jesus. Sous presse.

La même, in-12. 6. vol. 15. l.

Histoire & Description de la Nouvelle France, connue sous le nom du Canada, avec des figures & des Cartes Géographiques, in-4. 3. vol. par le P. de Charlevoix, de la Compagnie de Jesus. 30 l.

La même, in-12. 6. vol. 15. l.

Histoire Critique de l'Établissement de la Monarchie Françoise dans les Gaules, par M. l'Abbé Dubos, de l'Académie Françoise, seconde Edition, augmentée considérablement, 2. vol. in-4. 18. l.

La même, in-12. 4. vol. 10. l.

Histoire de l'Empire Ottoman, traduite de Sagredo. Nouvelle Edition continuée jusqu'à présent, avec une Table des Matieres à chaque Tome, 7. vol. in-12. 1730. 14. l.

Histoire de Pierre le Grand, Empereur de Russie, de l'Impératrice Catherine, & des Czars qui les ont précédés, nouvelle Edition, 5. vol. in-12. figures, 1740. 12. l. 10. s.

Histoire Généalogique & Chronologique de la Maison Royale de France, & des Grands Officiers de la Couronne, avec un Catalogue des Chevaliers du S. Esprit, derniere Edition, augmentée des anciens Barons du Royaume, par les RR. PP. Ange & Simplicien, avec les Armes des Familles, 9. vol. in-fol. 200. l.

Histoire d'Henri de la Tour d'Auvergne, Duc de Bouillon, où l'on trouve ce qui s'est passé de plus remarquable sous les Regnes de François II. Charles IX. Henri III. Henri IV. & la Minorité de Louis XIII. par M. de Marsolier, 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Histoire de l'Abbaye Royale de Saint Germain des Prez, depuis sa fondation, contenant la Vie de leurs Abbés, les Hommes illustres qu'elle a produits, les Privilèges qui lui ont été accordés, avec la description de ce qu'elle a de plus remarquable, enrichie de Plans & de figures, par Dom Jacques Bouillard, in-fol. 12. l.

Histoire de Madame Henriette d'Angleterre, première femme de Philippe de France, Duc d'Orléans, avec les Mémoires de la Cour de France pour les années 1688. & 1689. par Madame la Comtesse de la Fayette, 2. vol. in-12. en un. 2. l. 10. s.

Histoire de la Conquête du Mexique & de la Nouvelle Espagne, par Fernand Cortez. Traduite de l'Espagnol de Dom Antoine de Solis, par l'Auteur du Triumvirat, 2. vol. in-12. 5. l.

Histoire de la Découverte & de la Conquête du Perou, traduite de l'Espagnol d'Augustin de Zarate, par S. C. D. 2. vol. in 12. 5. l.

Histoire de Cyrus le jeune, & de la retraite des dix mille de Xenophon, avec un Discours, sur l'Histoire Grecque, par M. l'Abbé Pagi. in-12. 2. l

Histoire de Scipion l'Afriquain, pour servir de suite aux Hommes illustres de Plutarque, avec les Remarques de M. le Chevalier Follart, par M. l'Abbé de la Tour. in-12. 2. l. 10. s.

Histoire d'Epaminondas, pour servir de suite aux Hommes Illustres de Plutarque, avec les Remarques de M. le Chevalier Follart, & un Discours sur le grand homme & l'homme illustre de M. l'Abbé de S. Pierre, par M. l'Abbé de la Tour, in-12. 2. l. 10. s.

Histoire des Plantes usuelles, dans lesquelles on donne leur nom tant François que Latin, la manière de s'en servir, la dose & les principales compositions de Pharmacie dans lesquelles elles sont employées, par M. Chomel, Docteur en Médecine, derniere Edition, 3. vol. in-12. 6. l.

Huetii (Pet. Dan.) & Cl. Fr. Fraguerii Carmina, in-12. 2. l. 10. s.

LEttres du Cardinal d'Ossat, avec des Notes Historiques & Politiques de M. Amelot de la Houssaye. Nouvelle Edition, plus belle & plus correcte que les précédentes, 5. vol. in-12. 12. l. 10. s.

Lettres à Madame la Marquise de P. sur l'Opéra, in-12. 1. l. 15. s.

Lidéric, premier Comte de Flandre, ou Histoire anecdote de la Cour de Dagobert Roi de France, par M. le Commandeur de Vignacourt, 2. vol. in-12. 4. l.

MÉmoires & Réflexions sur les principaux Evénemens du Règne de Louis XIV. par le Marquis de la Fare, Nouvelle Edition avec des Notes, in-12. 2. l.

Mémoires de M. de la Colonie, contenant les Evénemens de la Guerre derniere depuis 1692. jusqu'à la Bataille de Belgrade en 1717. avec les aventures & les combats particuliers de l'Auteur, 2. vol. in-12. 5. l.

Métamorphoses d'Ovide traduites en François, avec des Remarques & des Explications Historiques, par M. l'Abbé Banier, de l'Académie des Inscriptions & Belles Lettres, avec figures à chaque sujet, 2. vol. in-4. 20. l.

---- Les mêmes avec des figures à chaque Livre, dessinées par Picard, 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Moliere, (Œuvres de) nouvelle édition revûe & corrigée, in-4. 6. vol. figures, 120. l.

NOuveau Traité de Physique sur toute la Nature, ou Méditations sur tous les corps dont la Médecine tire les plus grands avantages pour guérir le Corps Humain, in-12. 2. vol. en un, 2. l. 10. s.

Nouveau Traité d'Agriculture, contenant la Méthode de bien cultiver tous les Arbres à fruits, avec la manière d'élever les Treilles, par M.M. de la Rivière & Dumoulin, in-12. 2. l.

ŒUvres de Pieté de Saint Ephrem, Diacre d'Edesse, & Docteur de l\'Église, in-12. 2. vol. 4. l. 10. s.

Œuvres diverses de M. Pelisson de l'Académie Françoise, contenant ses Ouvrages d'Eloquence & de Poësie, &c. dont la plus grande partie n'avoit pas encore paru, avec une Préface instructive sur tous les Ouvrages de l'Auteur, 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Œuvres de Rousseau, nouvelle Edition corrigée & augmentée d'un grand nombre de Pieces qui n'ont point encore paru, 4. vol. in-12. 10. l.

Œdipe, Tragédie de Sophocle, & les Oiseaux, Comédie d'Aristophane; traduites par feu M. Boivin, de l'Académie Françoise, in-12. 2. l. 10. s.

Œuvres mêlées du Chevalier de S. Jory, contenant des Lettres galantes & singulieres, des Anecdotes, Romans, Factums, & Pieces du Théâtre Italien, 2. vol. in-12. 4. l.
—Les Femmes Militaires, par le même Auteur,
in-12. avec figures, 2. l.

Œuvres de Mathématique & de Physique de M. Mariotte, de l'Académie Royale des Sciences, comprenant les Traités de cet Auteur, tant ceux qui avoient déja paru séparément, que ceux qui n'avoient pas encore été publiés; nouvelle Edition, 2. vol. in-4. avec figures, 1740. 16. l.

Opera (Recueil de tous les) représentés à l'Académie Royale de Musique, 14. vol. in-12. figures, 28. l. —Les Tomes 15. 16. 17. sous presse.

Œuvres Poétiques de Melin de S. Gelais, nouvelle Edition augmentée d'un grand nombre de Pieces Latines & Françoises, in-12. 2. l. 10. s.

PAmela, ou la Vertu récompensée, traduit de l'Anglois, troisiéme Edition, 4. vol. in-12. 8. l.

Pausanias, ou Voyage Historique de la Grèce, avec des Remarques, par M. l'Abbé Gedoyn de l'Académie Françoise, 2 vol. in-4. figures, 20. l. ---- Le même en grand papier, 30. l.

Parallele des Romains & des François par rapport au Gouvernement, par M. De.... 2. vol. in-12. 1740. 5. l.

Quintiliani Institutiones oratoria, cum notis & animadversionibus Capperonerii. in-fol. 15. l.

RAisonnemens hazardés sur la Poësie Françoise, avec des Réflexions sur les Vers non aimés: Ouvrage curieux & singulier, in-12. 1. l. 15. s.

Recherches sur les Courbes à doubles courbures, par M. Clairault Mathématicien, in-4. figures, 5. l. 10. s.

Récréations Mathématiques & Physiques, qui contiennent plusieurs Problêmes d'Arithmétique, de Géométrie, de Musique, d'Optique, de Gnomonique, de Cosmographie, &c. avec un Traité des Horloges Elémentaires, par feu M. Ozanam; nouvelle Edition, 4. vol. in-8. avec figures, 20. l.

Remarques de M. de Vaugelas sur la Langue Françoise, avec les Notes de MM. Patru, Thomas Corneille & autres; nouvelle Edition, 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Réflexions sur les Passions & sur les Goûts, avec l'Epître aux Dieux Pénates, & autres Poësies, par M. L. de B. in-8 2. l.

SErmons & Homelies sur les Mysteres de N. S. par M. l'Abbé Jerôme de Paris, in-12. 2. l.

Du même. Les Mysteres de la Vierge, & les Panégyriques des Saints, 2. vol. in-12. 4. l.

Singularités Historiqucs & Littéraires, contenant plusieurs recherches & éclaircissemens sur l'Histoire, par Dom Liron, de la Congrégation de S. Maur, 4. vol. in-12. 14. l.

Le Songe d'Alcibiade, traduit du Grec; Brochure, 15. s.

TRaité de l'Abus, & du vrai sujet des Appellations qualifiées du nom d'Abus, par Charles Fevres, derniere Edition, 2. vol. in-fol. 30. l.

Traité de l'Art Métallique, extrait des Œuvres d'Alvare Isonse Barba, auquel on a joint un Mémoire concernant les Mines de France, in-12. figures, 2. l.

Traité de l'Indult du Parlement de Paris, par feu M. Cochot de Saint Valier, 2. vol. in-4. sous presse.

VIe du Vicomte de Turenne, par M. l'Abbé Raguenet, avec les Médailles frappées à l'occasion de ses Victoires, in-12. sous presse.

Voyage de la Mer du Sud aux Côtes de Chily & du Perou, fait pendant les années 1712. 1713. & 1714. avec une Réponse à la Préface critique des Observations Physiques du R. P. Feuillée, par M. Fraizier Ingénieur du Roi, in-4. figures, 7. l. 10. s.

Voyages de Cyrus, ou la nouvelle Cyropédie, avec un Discours sur la Mythologie, en Anglois & en François, par M. Ramsay, 2. vol. in-12. 6. l.

Ouvrages de M. BARREME.

LE Livre des Comptes faits, ou Tarif général de toutes les Monnoyes, tant anciennes que nouvelles, avec lequel on peut faire toutes sortes de Comptes, Multiplications par entier & par fraction, quelque difficiles qu'ils soient, pourvû qu'on sçache l'Addition, in-12. Nouvelle Edition, augmentée du Tarif des Glaces, 2. l. 10. s.

Le livre facile pour apprendre l'Arithmétique sans Maître. Nouvelle Edition augmentée de la Géométrie, servant à l'Arpentage & au Toisé, in-12. 2. l. 10. s.

Le Livre nécessaire, ou Tarif général des Escomptes, des Changes & des Divisions toutes faites, in-12. 2. l. 10. s.

Le Livre du grand Commerce, où l'on trouve les Tarifs généraux pour la réduction des Monnoyes de France, en Monnoyes d'Hollande & d'Angleterre; & des Monnoyes d'Hollande & d'Angleterre, en Monnoyes de France. Les Tarifs généraux pour la réduction des Monnoyes de France, en Monnoyes d'Espagne; & des Monnoyes d'Espagne, en Monnoyes de France. L'on peut apprendre dans cet Ouvrage à faire une Remise, une Traite, un Roulement, une Négociation, & un Arbitrage, in-8. 2. vol. grand papier, 16. l.

L'on vend séparément,

Les Tarifs généraux pour la réduction des Monnoyes d'Espagne en Monnoyes de France, &c. in-8. grand papier, 4. l.

Le Traité des Parties-Doubles, ou Méthode aisée, pour apprendre à tenir en Partie-Double les Livres du Commerce & des Finances, in-8. grand papier, 4. l.

Ouvrages de M. BOURSALT.

LEs Lettres, cinquième Edition, 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Le Théâtre, nouvelle Edition, 3. vol. in-12. sous presse.

L'on vend séparément,

Les Fables d'Esope, & Esope à la Cour, Comédies, 20 sols piece.

Les Romans, contenant le Prince de Condé; Ne pas croire ce qu'on voit; le Marquis de Chavigny, Artemise & Poliante, 2. vol. in-12. 5. l.

Ouvrages du Pere LAMY, Prêtre de l'Oratoire.

LEs Elémens de Géométrie, qui comprennent les Elémens d'Euclide, les Propositions d'Archimede, avec une idée de l'Analyse, & une Introduction aux Sections Coniques, in-12. 3. l.

Les Elémens de Mathématique, ou Traité de la Grandeur en général, qui comprend l'Arithmétique, l'Algébre, l'Analyse, & les Principes de toutes les Sciences qui ont la Grandeur pour objet, cinquiéme Edition, revûe & augmentée, in-12. 3. l.

La Rhétorique, ou l'Art de parler, Nouvelle Edition, augmentée des Réflexions sur l'Art poëtique. in-12. 2. l. 10. s.

Ouvrages de M. l'Abbé DE VERTOT, de l'Académie des Inscriptons & Belles-Lettres.

HIstoire des Révolutions arrivées dans le Gouvernement de la République Romaine, nouvelle Edition, 3. vol. in-12. 7. l. 10. s.

Histoire des Révolutions de Suede, où l'on voit les changemens arrivés dans ce Royaume, au sujet de la Religion & du Gouvernement, 2. vol. in-12. 5. l.

Histoire des Révolutions de Portugal, in-12. 7. l. 10. s.

Histoire Critique de l'Établissement des Bretons dans les Gaules, & de leur dépendance des Rois de France, & des Ducs de Normandie, 2. vol. in-12. 5. l.

Ouvrages de M. l'Abbé PREVOST.

MÉmoires & Avantures d'un Homme de qualité qui s'est retiré du monde, 8. vol. in-12. en 5. Tomes, 12. l. 10. s.

Histoire de M. Cleveland, fils de Cromwel, derniere Edition, 6. vol. in-12. 15. l.

Le Pour & Contre, Ouvrage périodique d'un goût nouveau, dans lequel on s'explique librement sur tout ce qui peut intéresser la curiosité du Public en matiére de Sciences, d'Arts, de Livres, &c. sans prendre parti, & sans offenser personne, 20. vol. in-12. 70. l.

Le Doyen de Killerine, Histoire Morale composée sur les Mémoires d'une illustre Famille d'Irlande, ornée de tout ce qui peut rendre une lecture utile & agréable, 6. vol. in-12. 12. l.

Histoire de Marguerite d'Anjou, Reine d'Angleterre, contenant les Guerres de la Maison de Lancastre contre la Maison d'York, 2. vol. in-12. 6. l.

Histoire d'une Grecque moderne, 2 vol. in-12. 4. l.

Mémoires pour servir à l'Histoire de Malthe, ou l'Histoire de la jeunesse du Commandeur de**** 2. vol. in-12. 4. l.

Campagnes Philosophiques, ou Mémoires de M. de Montcal, Aide de Camp de M. le Maréchal de Schomberg, contenant l'Histoire de la Guerre d'Irlande, 2. vol. in-12. 6. l.

Tout pour l'Amour, ou la mort d'Antoine & de Cléopatre, Tragédie, traduite de l'Anglois. 1. l. 4. s.

Histoire de Guillaume le Conquérant, Duc de Normandie & Roi d'Angleterre, 2. vol. 7. l.

Histoire de la Vie de Ciceron, tirée de ses Ecrits & des Monumens de son Siècle; avec les Preuves & des Eclaircissemens, composée sur l'Ouvrage Anglois de M. Midleton, 5. vol. in-12. 12. l. 10. s.

Voyages du Capitaine Robert Lade en différentes Parties de l'Afrique, de l'Asie & de l'Amérique: contenant l'histoire de sa fortune, & ses Observations sur les Colonies & le Commerce des Espagnols, des Anglois, des Hollandois, &c. Ouvrage traduit de l'Anglois. 2 vol. in-12. 5. l.

Lettres Familieres de Ciceron, traduites en François, avec des Notes critiques & historiques, sous presse.

Histoire génerale des Voyages depuis le commencement du XV siécle, contenant ce qu'il y a de plus curieux, de plus utile & de mieux vérifié dans toutes les Relations des différentes Nations de l'Europe; Ouvrage traduit de l'Anglois par ordre de Monseigneur le Chancelier de France, in-4. sous presse.

Ouvrages du Pere BUFFIER, de la Compagnie de Jesus.

LA Grammaire Françoise, in-12. sous presse.

La Mémoire artifiielle, pour apprendre l'Histoire Sainte & Prophane, l'Histoire de France & la Chronologie, in-12. 2. vol. 4. l. 10. s.

La Géographie universelle, exposée dans les différentes Méthodes qui peuvent abréger & faciliter l'usage de cette Science, avec le secours des Vers artificiels, in-12. 2. l. 10. s.

Elémens de Métaphisique à la portée de tout le monde, & Examen des Préjugés vulgaires, pour disposer l'esprit à juger sainement & précisement de tout, avec l'Analyse & l'usage morale de chaque chose, in-12 2. l.

L'on trouve chez le même Libraire les Livres nouveaux, tant de France que des Pays Étrangers.


De l'Imprimerie de Cl. Simon, pere.

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