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Voyages loin de ma chambre t.1

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Jusques à quand, peuple farouche,
Vivras-tu de haine et de fiel?

Comme contraste, j’ai quitté Westminster pour parcourir en voiture un quartier excentrique, un de ces quartiers où jamais millionnaire n’a songé à habiter. A l’extrémité orientale de Londres se trouvent des régions très vastes, très peuplées, très mal connues, et dont la réputation n’est pas bonne.

«Toute cette partie est une métropolis à part—celle du travail manuel—aussi énorme, plus extraordinaire que l’autre, qu’elle fait vivre, qu’elle ignore et qui ne la connaît pas—ou qui la découvre par les divinations intermittentes de la charité privée.

Whitechapel est surtout le quartier du travail. Les métiers surabondent dans le fourré de ruelles qui écoulent sur la grande rue, dans les soirs d’été, une population drue, pullulante, énervée, secouée par des besoins d’espace, d’air, de tapage et de divertissement. Les femmes y portent souvent des chapeaux à plumes avec des caracos d’indienne troués, et c’est d’une esthétique fâcheuse.

A mesure que l’heure s’avance, les retardataires retrouvent les noctambules sur les trottoirs ou dans le ruisseau.

Hommes et femmes se rejoignent dans les tavernes, c’est là qu’ils vont finir la journée et ce spectacle n’a rien de réjouissant ni de rassurant.»

Du côté de la cité il y a aussi des quartiers infects tout ce qu’on peut imaginer de plus horrible, sorte de cour des miracles comme autrefois à Paris. A moins d'être en nombre, les policemen même n’osent pas y aller; un ou deux s’aventurant là n’en reviendraient pas, on les ferait disparaître suivant l’expression de Suzette, comme de simple muscade.

Je trouve que la cuisine laisse fort à désirer. Pour bouillon on vous sert du Liebig qui ressemble à de la colle un peu claire et on vous vend cet empoisonnement quarante-huit sous, et quelle patience il faut: on se met à table à sept heures et l’on mange à huit. Volontiers j’écrirais comme Voltaire qui revenait furieux d’avoir si mal mangé en Angleterre: «C’est à Londres qu’il faut aller pour jeûner, et que penser d’un peuple qui compte quatre-vingt-dix cultes et une seule sauce!» N’est-ce pas M. de Lauraguais qui disait à son retour de Londres: «l’Angleterre, c’est un pays où il n’y a de fruits mûrs que les pommes cuites, et de poli que l’acier, et il ajoutait pour compléter le tableau: à Londres il fait huit mois d’hiver et quatre mois de mauvais temps.» Sans doute ce sont là des boutades fort spirituelles, mais aussi fort exagérées. Il y a eu chez nos voisins progrès dans l’art culinaire comme en toutes choses, cependant le sceptre de la cuisine raffinée reste à la France comme le sceptre de la mode. Pour tout ce qui est futile et charmant à la fois, nous n’avons pas de rivaux.

Aujourd’hui je ne trouve plus exagéré ce qu’un ami m’écrivait de Londres à la date du 18 juin:

«Les Anglais sont en liesse ces jours-ci: ils appellent ces petites fêtes le culte des gloires nationales; en fait de gloires, les Anglais ne sont pas difficiles. Ils célèbrent chaque année l’anniversaire de la défaite de l’Armada, détruite par une tempête en 1588; de plus, ils se sont adapté Waterloo, comme ils se sont adapté les romans, les pièces de théâtre... Leurs histoires ad usum studiosæ juventutis feraient la joie de l’univers si l’on s’amusait à la lire de l’autre côté de la Manche. Ce ne sont que succès, ce ne sont que conquêtes et l’on se garde bien de mentionner qu’on était cent contre un dans ces lâches coalitions décorées du nom de victoires. Parlez-moi de la gloire de l’armée anglaise en Zoulouland, chez les Boers, en Egypte... Voilà de vrais succès, et bien digne de la grande nation désagréable.

«Quant à la bataille d’Yorktown, ce Waterloo anglais, qui, en 1791, a assuré l’indépendance de l’Amérique, les historiens du jingoism daignent à peine en parler... Ce système, du reste, a du bon, puisqu’il donne ici à la jeune génération cette absolue confiance en soi, ce mépris inouï pour le reste du monde, ce souverain dédain pour tout ce qui n’est pas l’Angleterre.»

«Aujourd’hui Waterloo-Day, une trentaine de régiments, les Horse-Guards, les Coldstream Royal Highlanders, etc., etc., ont paradé solennellement; tous leurs drapeaux sont cravatés de guirlandes de laurier. Ce soir, les officiers banquetteront ferme, dans les casernes l’on chantera force couplets patriotiques sur l’air-scie de Ta-ra-ra-Boom! de ay!

Et ces petites fêtes recommencent souvent, il n’y a d’ailleurs pas de raisons pour que cela finisse.

«Le 18 juin il faut absolument que l’Angleterre se gobe. Avec un tact infini, tous les insulaires que j’ai rencontrés aujourd’hui m’ont lancé ce brocart: What about the battle of Waterloo?»

«Il n’y avait qu’une chose à leur répondre: What about the battle of Yorktown? cela ne rate jamais son effet. It is a tit for tat. It shuts them up. Cela leur rive leur clou.»

«L’étranger qui arrive à Londres et qui débarque à Waterloo-station, prend un cab qui traverse Waterloo-Street, Waterloo-Place, Waterloo-Bridge et qui le conduit à Waterloo-Hôtel, Waterloo-Square. Dans l’antichambre ou hall, une réduction du Lion de Waterloo; dans les chambres à coucher, des bustes de Wellington; dans la salle à manger, des tableaux représentant l’armée française en déroute. Au menu du dîner figurent des bombes... glacées à la Waterloo, et si avant de vous coucher vous désirez prendre un verre de vin mousseux, votre stupéfaction ne connaîtra plus de bornes, quand le garçon vous apportera une bouteille revêtue de l’étiquette: Waterloo-Champagne!»

«C’est un vrai cauchemar. On rêve de Waterloo toute la nuit et quand vous vous éveillez le matin, on vous apporte du Waterloo-chocolate, du Waterloo-soap pour vous laver les mains, vous trouvez le plan de la bataille jusque dans les W...-C..., et pour comble le chien de l’hôtel a nom... Waterloo! Et il n’est pas muselé!»

«Quelle douce chose que cette confiance en soi, qui fait de l’Angleterre, qui n’a pas d’armée, une nation forte; qui fait de l’Angleterre, qui n’a pas de religion, une nation croyante; qui fait de l’Angleterre, qui n’a pas de mœurs, une nation très morale (à la surface); qui fait de l’Angleterre, qui n’est pas monarchique, une nation essentiellement dévouée à la dynastie victorienne.»

Décidément, Paris et Londres sont deux villes bien différentes et qui ne se copient nullement. Même contraste existe dans le caractère des deux nations: le fond du caractère français est plein de bonhomie, le fond du caractère anglais est plein de morgue. En France, les jeunes filles sont surveillées; en Angleterre, elles sont libres, une fois mariées leur situation respective change, les jeunes femmes françaises deviennent libres, et les jeunes femmes anglaises cessent de l'être.

Le cocher parisien prend sa droite et s’asseoit sur le devant de la voiture, le cocher anglais prend sa gauche et s’asseoit derrière sa voiture pour la conduire.

Paris est une ville agglomérée, Londres est une ville très espacée; l’aspect de Paris, bâti en pierres blanches, est gai; l’aspect de Londres bâti en pierres et briques rouges, est sombre; à Londres les maisons sont basses et habitées par famille, à Paris elles sont hautes et habitées par étages. Les besoigneux de Paris en parlant du Mont-de-Piété disent «ma tante», ceux de Londres disent «mon oncle.»

Les Anglais sont froids mais polis, les gens de service sont bien stylés et les gens du monde surtout lorsque vous leur avez été présentés sont remarquables par leur serviabilité. Ceci est l’Anglais pris individuellement, car, en principes, l’Angleterre est l’ennemie de la France. Elle lui a toujours été contraire et souvent néfaste. C’est elle qui, après avoir ameuté toute l’Europe contre Napoléon Ier se chargea simplement de le mettre en prison à Sainte-Hélène. Sous Louis-Philippe elle témoigna la même hostilité sourde à la France: par exemple elle la trouva bonne pour faire la guerre de Crimée et y dépenser son or, son sang et lui rendre service, mais en 1870 quand elle nous vit écraser par l’Allemagne, elle ne nous accorda pas une seule petite note d’intervention diplomatique; impassible, elle assistait à nos désastres avec calme et sérénité.

«Prendre la défense de la France: Oh! no, no, je n’y ai aucun profit, répondait la juste et tendre Albion. On le sait, d’ailleurs, les Anglais ne se batteront jamais pour un principe, pour une idée chevaleresque; mais, pour leur seul intérêt.

Mettez-vous en avant, mes petits amis, disent les Anglais aux autres peuples, brûlez-vous les doigts pour rôtir et peler les marrons, nous nous trouverons à point pour les manger ensuite.

Gaspard de Saulx-Tavannes écrivait, dès 1546, ce qui suit:

«Les Anglais se sont conservés en troublant leurs voisins. Il y a trente ans qu’ils entretiennent la guerre civile en France et en Flandre, désirant épuiser l’argent de l’un et de l’autre, et voilà trente ans aussi qu’ils meuvent les guerre entre les Espagnols et les Français, sèment, dilatent, embrasent le feu et le sang en la maison d’autruy pour faire prospérer la leur.»

«Trois siècles ont passé sur cette définition de la politique anglaise sans l’affaiblir: voilà ce qu’elle était hier, voilà ce qu’elle est aujourd’hui, voilà ce qu’elle sera demain.»

Je termine mon chapitre par cet autre portrait si vrai de l’Angleterre.

«Le peuple romain fut guerrier, théologien et légiste; le peuple anglais est un peuple de commerçants, de jurisconsultes et de théologiens.

«L’un et l’autre sont esclaves des formules religieuses et des formules légales, à tel point qu’ils n’osent former la plus légère entreprise sans leur appui.

«Mais donnez-leur une formule ou une interprétation même pharisaïque, qui les mette en paix avec leur conscience, et vous les verrez tenter les usurpations les plus prodigieuses, commettre les crimes les plus horribles.

«Pour le peuple anglais, il n’existe que deux races dans le monde: la race humaine et la race anglaise, la première, abjecte, la seconde, très noble.

«Dieu mit la race humaine en possession de tous les continents et de toutes les mers, puis il créa la race anglaise pour la mettre en possession de la race humaine.

«Quand le peuple anglais ouvre la main et prend un empire, comme l’aigle ouvre sa serre et prend une colombe, vous avez beau chercher, vous ne trouverez pas sur sa physionomie la trace que laisse le remords sur la face de l’usurpateur, mais, au contraire, vous y remarquerez le signe de satisfaction d’un homme qui recouvre son bien.

«En entrant dans une ville qu’il met à feu et à sang, le peuple anglais est plus sûr de son droit que la cité même qui se défend contre lui.

«Ce peuple est le symbole de l’égoïsme humain en adoration devant lui-même et élevé par l’extase à sa dernière puissance.

«Et que va faire en Italie ce grand peuple avec son égoïsme gigantesque?

«Il y va faire ce qu’il fait en Portugal, en Espagne, en Grèce[9].

«Il va jeter les bases de sa domination sur les ruines des autres dominations.»

Voilà le portrait.

Quel est le peintre?

Donoso Cortès, dans son appréciation du règne de Pie IX.

JOURNAL DE SUZETTE

Les distances sont énormes à Londres; voilà trois jours que nous roulons du matin au soir. Madame appelle cela voir Londres à vol d’oiseau, moi j’appelle cela voir Londres à vol de cab.

Le cab est une petite voiture à deux places, à deux roues, avec capote et siège derrière d’où le cocher conduit.

Dans les hôtels et restaurants, le service se fait fort lentement. On attend des petits quarts d’heure qui finissent par faire une heure. Notre impatience française est mise à rude épreuve, les Anglais attendent fort calmes devant leur assiette vide; leur soupe ici est une affreuse colle qu’il est impossible d’avaler, ils ignorent la saveur agréable et bienfaisante d’un bon consommé. Au second potage de ce genre, Madame a juré sur la soupière de n’en jamais redemander; par exemple, le rôti de bœuf est excellent, les cuisiniers indigènes feraient bien de s’en tenir là, ils n’ont aucune idée de ce qui est associable en cuisine, ni des mélanges savoureux, et je ne serais pas étonnée de voir un morceau de lard ayant mijoté pendant douze heures dans une purée d’oignons et de groseilles vertes se présenter ensuite entouré d’une ceinture de gelée d’abricots.

Même assemblage aussi ridicule dans les toilettes robe blanche en mousseline et pèlerine de fourrure. Les petites bourgeoises s’en vont ainsi costumées au marché, comme on le voit, l’été et l’hiver, promener continuellement bras dessus bras dessous. Malgré leurs chapeaux patagoniens, les femmes pour la plupart sont jolies.

Beaucoup de vieilles Anglaises, celles qui ont abdiqué toute coquetterie, portent les cheveux courts, coupés en brosse. C’est commode, mais ce n’est pas seyant. En somme, on voit plus de femmes jolies qu’en France, mais elles ont moins de physionomie et moins d’élégance, il leur manque la grâce, plus belle encore que la beauté.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE IV

Mariage salutiste

Aujourd’hui, repos complet; en ma qualité d’étrangère, la maîtresse d’hôtel pensant m'être agréable m’a offert une place pour assister à un mariage salutiste, je n’ai eu garde de refuser. Un mariage salutiste est un friand morceau qu’il n’est pas donné à tout le monde de savourer.

Voici dans tous ses détails cette cérémonie d’un nouveau genre.

«L’armée du Salut s’est mobilisée en masse, pour assister à la bénédiction du mariage de deux de ses hauts dignitaires.

Dès deux heures et demie, il n’y a même plus un petit banc de disponible au quartier général.

La maréchale Booth préside, assistée du commissaire général Clibborn, son époux dans le Seigneur. La salle est brillamment pavoisée d’étendards de tous les pays; Anglais, Russes, Américains, Français, Suisses, etc., tout l’état-major salutiste est là.

On entonne la Marseillaise du Salut... avec accompagnement de cimbales et de grosse caisse... Zim, boum, boum...

Le général Clibborn se lève, invoque Jésus et fait l’éloge des nouveaux époux. Le héros de la cérémonie, le marié porte le jersey rouge sans ornements.

A côté de la maréchale, se tient une toute jeune fille, au long visage pâle, mystique, encadré d’une chevelure brune; son pur profil, d’une candeur pensive, rappelle les vierges d’Overbeck. Elle est vêtue d’une robe noire en fourreau, tête nue; sur sa poitrine brille, en lettres d’or cette devise: De progrès en progrès.

Le sermon de Monsieur Clibborn, coupé de «vive Jésus» et d'«Amen», chaque fois que la chute des périodes amène le nom du Christ, alterne avec des cantiques sur des airs connus et les sons éclatants des cuivres sacrés. C’est d’une gaieté qui exclut toute solennité et ramène forcément l’esprit aux souvenirs des parades foraines.

Mais voici l’instant décisif. Le général Clibborn invite les époux unis dès le matin devant la loi profane, à s’approcher. Il fait subir à chacun d’eux un petit interrogatoire sur ses devoirs de salutiste, reçoit leur engagement de se consacrer perpétuellement à l'œuvre commune, puis les laisse seul à seule.

Le capitaine passe au doigt de sa fiancée l’anneau nuptial et échange avec elle de mystérieuses paroles.

Tout est consommé:

A toi, notre reconnaissance,
A toi, Jésus, nos cœurs,
Nous te devons la délivrance,
La paix et le bonheur.

La maréchale Booth appelle la bénédiction d’en haut sur le couple. Mais, les hautes envolées de l’inspiration piétiste ne l’empêchent pas de penser aux réalités terrestres. Son discours se termine par un appel de fonds; il manque mille cinq cents francs pour dégager la signature du capitaine. Le Seigneur, qui est au milieu des fidèles, les procurera.

—Amen, répond le chœur.

On attendait avec curiosité le «témoignage» que, suivant le rite, devaient rendre les nouveaux époux. Le capitaine a remercié le Seigneur des bienfaits qu’il lui accordait, précieux encouragement à persévérer dans le bien. Mais tout le succès de la séance a été pour sa jeune femme; elle a parlé avec un aplomb ingénu qui désarmait le rire, et les applaudissements ont éclaté lorsque, résumant les sentiments qui l’animaient, elle a dit: «Le mariage n’est pour moi qu’une étape du salut. Le capitaine et moi nous sommes liés l’un à l’autre à la façon de ces Gaulois qui s’attachaient pour combattre et mourir ensemble.»

Et les psaumes de reprendre, et l’orchestre de faire tapage; en avant la musique! zim, boum, boum!! La cérémonie est terminée.[10]

JOURNAL DE SUZETTE

Pendant que madame était à son mariage salutiste, la longue miss m’a emmenée à Sydenham voir le Palais de Cristal. Je m’attendais donc à un palais j’ai vu plutôt un immense serre renfermant des statues en petit nombre, des pianos, des dentelles, des tapisseries, des brimborions comme on en voit à tous les étalages, enfin une infinité de choses qu’il me serait impossible d’énumérer.

L’exposition chinoise est intéressante, ce qui est exotique attire toujours. Il y avait beaucoup de fils du ciel, ce sont des gens à figure jaune, yeux obliques, cheveux nattés comme une mèche de fouet; Miss a parlé avec un Chinois et un Turc qui brodait assis à la mode de son pays. Ensuite nous avons vu une reproduction délicieuse d’une habitation de Grenade, c’est ce que j’ai trouvé de plus beau; nous avons parcouru une galerie renfermant des animaux empaillés dont quelques-uns habillés en homme et en femme, c’était comme une petite représentation des animaux peints par eux-mêmes.

Madame parle d’aller aux courses de Newmarket, moi je resterai à l’hôtel et j’aurai deux jours pour me promener à ma guise. J’en profiterai pour voir Londres plus tranquillement.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE V

Le tunnel sous la Tamise, La chapelle Saint-Louis de France.

Je tenais beaucoup à voir le tunnel de la Tamise, dont j’avais souvent entendu parler par un de mes oncles, qui l’avait traversé en 1844. Je tenais à voir cette chose curieuse; une route passant, non sous la terre, mais sous l’eau. C’est une œuvre, d’une scientifique originalité. De mon wagon de 1re classe, car ce tunnel est maintenant ligne de chemin de fer, je l’ai admiré sans jalousie, et même avec un certain orgueil, en pensant que c’est à un français que revient l’honneur d’avoir exécuté ce travail, d’avoir eu cette idée géniale, de réunir les deux rives de la Tamise, en passant dessous. Il s’appelait Brunel. Son entreprise, protégée par Wellington, subit cependant de grandes difficultés. On y travailla dix-huit ans, de 1825 à 1843, la dépense fut de douze millions et demi de francs. Cinq fois les travaux furent interrompus à la suite d’accidents. Ce tunnel a trois cent soixante-huit mètres de long, il est à cinq mètres, sous le lit du fleuve.

Cette œuvre si remarquable, n’eut aucun succès, au point de vue financier, et ne rapporta jamais un penny à ses actionnaires. Elle était même dans un complet état de délabrement, lorsqu’en 1865, le tunnel fut acheté cinq millions, par l’East-London-Railway.

La route de voitures fut transformée en voie de chemin de fer et, par ce moyen, les lignes du Nord et celles du Sud de Londres furent mises en communication en aval de London-Bridge, ce qui permit de gagner deux heures pour se rendre directement de Douvres ou de Folkestone à Liverpool ou en Ecosse.

J’ai aussi traversé le Tower-Subway vulgairement appelé le Tuyau de Pipe, qui date de 1870. Ce n’est qu’un simple tuyau de fer, n’ayant guère plus de deux mètres de diamètre. Deux personnes seulement peuvent y marcher de front. On accède au tuyau, par un vilain escalier en colimaçon. En bas, on trouve un tourniquet et un gardien auquel on donne un sou, l’on passe, et l’on se trouve dans le tuyau, dont le parquet est formé de trois planches. On y étouffe, on en sort baigné de sueur, tant la chaleur que dégagent les becs de gaz est forte et insupportable. Cependant, on estime à trois mille le nombre des personnes, qui traversent chaque jour la Tamise, dans le Tuyau de Pipe.

Saint-Louis de France, dans Little George Street Portman square, l’un des plus humbles sanctuaires de Londres, m’attirait invinciblement. J’y suis allée faire un pèlerinage. Ah! cette modeste chapelle rappelle de pieux et tristes souvenirs. Hélas! toutes les dynasties qui ont régné sur la France depuis près d’un siècle, sont venues prier là, dans l’exil et la douleur.

L’érection de cette chapelle remonte aux plus mauvais jours de la Révolution française. Elle fut fondée en 1793 par des prêtres, que la Terreur avait chassés de leur patrie. C’était le rendez-vous de tous les émigrés, qui venaient en grand nombre le dimanche, y entendre la messe. On y voyait les princes de la maison de Bourbon et la fleur de l’aristocratie française. Un jour, il fut donné à ces fidèles d’élite, de compter dans le chœur de l’humble chapelle, seize archevêques et évêques. «Lorsqu’arrivait le moment de la prière pour le roi, l’assistance se levait comme un seul homme et chantait le Domine salvum, avec un enthousiasme impossible à décrire.» On espérait alors contre toute espérance...

«Ce fut dans cette chapelle, que les obsèques de la reine, femme de Louis XVIII, furent célébrées sans pompe, mais avec une grande piété. Plus tard, après que la Révolution de 1848 eut envoyé la branche cadette en exil à son tour, ce fut dans la chapelle de Little George Street que le comte de Paris, le duc de Chartres, leurs cousins et leurs cousines firent leur Première Communion. Tous les princes et les princesses de la maison d’Orléans s’y rendaient chaque année pour les exercices de la Semaine Sainte et édifiaient les fidèles par leur recueillement.»

«Puis le vent des révolutions qui souffle périodiquement sur la France, comme le mistral sur les côtes de Provence, renversa l’Empire qui paraissait si fort, et Napoléon III vint avec sa famille demander une seconde fois asile à l’Angleterre. La veille de son départ pour le Zoulouland, d’où il ne devait pas revenir vivant, le prince impérial vint se confesser à la chapelle française de Little George Street. En sortant du Tribunal de la pénitence, il demeura longtemps en prière. On remarqua qu’il était agenouillé devant un tableau, don du roi Louis-Philippe, représentant la mise au tombeau de Notre-Seigneur. Le prince qui semblait animé d’une grande ferveur, ne pouvait détacher les yeux de cette toile. Etait-ce un pressentiment?»

Pauvre jeune prince! il dort maintenant du dernier sommeil à Windsor.

Dans cette petite chapelle, se sont fait entendre, tour à tour, les maîtres de l’éloquence sacrée.

L’abbé Combalot, le P. Milanta, le P. de Ravignan, l’abbé Deplace, le P. Félix, le P. Reculon, le P. Monsabré, le P. Didon, et d’autres encore.

Le consulat et l’ambassade de France y ont des bancs réservés.

Cette chapelle, tout en rappelant l’instabilité des choses de la terre, est pour les cœurs français, comme un reliquaire sacré du passé. Elle évoque les générations évanouies, les couronnes détachées du front royal, les empires disparus. Les trônes sont tombés, mais l’autel est resté debout!

La Religion demeure, avec ses sublimes espérances, et elle plane immortelle sur les ruines accumulées par les hommes et le temps.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame est aux courses. La longue miss m’a procuré une matrone d'âge respectable, quarante-cinq ans (moi je lui accorde le demi-siècle), parlant bien l’anglais et pas mal le français. Fanny Smith, c’est son nom, consent à me piloter moyennant cinq francs par jour, les frais de voiture à ma charge, et la voilà déjà me traitant comme une dame. Je deviens sa maîtresse, c’est moi qui donnerai des ordres. Je vais trouver cela charmant, hein! Deux jours de commandement dans une absolue liberté.

J’ai commencé par Saint-Paul que je voulais voir plus en détail, car pendant les trois jours que Madame m’a fait rouler du matin au soir, je n’ai fait qu’entrevoir Londres. Les rues et monuments, tout cela apparaissait et disparaissait comme dans une lanterne magique.

L’église Saint-Paul est immense, c’est une masse imposante, grandiose, mais encaissée dans un cercle de maisons, elle ne fait aucun effet; il faudrait la contempler de loin et on est arrivé devant elle presqu’avant de l’avoir vue. Je pense qu’elle a bien cent cinquante mètres de long et les piliers de la nef n’ont pas moins de vingt à vingt-cinq mètres de tour. Elle peut contenir treize mille personnes à l’aise. L’intérieur est sévère et nu, j’y ai cependant remarqué quelques statues un peu décolletées pour un lieu de piété, même protestant. La statue de Wellington est, paraît-il, un marbre de grande valeur. Six bas-reliefs en marbre représentant des scènes de la Bible sont également fort beaux.

A mon avis Regents-park est plus agréable que Hyde-park, il a d’aussi beaux arbres, de jolis parterres dans le goût français, des fontaines, où tout le monde peut boire, et d’élégants pavillons où l’on trouve autre chose que de l’eau, des glaces, des pâtisseries et tous les rafraîchissements possibles.

La cité est le quartier qui me plaît le plus—c’est le commerce, le mouvement, l’animation comme à Paris.

La Tamise est bien large et bien sale.

En passant devant la caserne des Horse-guards miss Smith m’a fait entrer dans la cour pour admirer les plus beaux hommes du monde. Ils sont en effet d’une taille gigantesque et leur costume est superbe, culotte blanche, jaquette rouge chamarrée de blanc et or, bottes noires, shako couvert d’un immense panache blanc, avec cela six pieds, bien faits, l’air de le savoir, raides comme des piquets, et pas étonnés du tout qu’on les regarde, ils y sont habitués; à cheval, avec leur cuirasse d’acier et leur casque de même métal, ils ressemblent aux statues équestres de l’antiquité.

L’ambassade française n’est pas une belle demeure, c’est bien petit et il est honteux pour les Anglais de ne pas mieux loger notre ambassadeur. Le Consulat très éloigné de l’ambassade est aussi peu de chose.

Quand la reine est à Londres, ce qui est rare, elle habite le palais de Buckingham, assez grand, mais pas remarquable. Saint-James-park qui se trouve devant est très joli; les horse-guards donnent aussi dans ce park. Saint-James-palace, résidence de la cour, a l’air gai d’une prison. Malborough-palace où demeure le prince de Galles ressemble à une simple maison de particulier. Trafalgar-square est plus ornementé, une belle statue de Nelson en bronze s’élève au milieu, et aux quatre coins quatre lions en bronze plus gros que des éléphants complètent cet ensemble splendide. Là est la galerie nationale renfermant seulement quelques peintures de maîtres, mais je n’y suis pas entrée, il fallait encore payer.

Le British-muséum, est un beau monument, contenant d’intéressants manuscrits enluminés; des lettres d’Henry IV roi de France, d’Elisabeth d’Angleterre, de Marie Stuart, d’Henry VIII, d’Anne de Boleyn, de Marie de Médicis, etc. Les cachets et sceaux des rois anciens, ceux de la reine Victoria. Quelques bronzes, beaucoup de momies égyptiennes, des statues grecques, les têtes en plâtre de Néron, de Caïus-Caligula, de Jupiter, de Junon, de Vénus et une foule d’autres curiosités que l’on voit heureusement pour rien. J’ai repassé devant les ministères qui sont vraiment d’énormes maisons.

En rentrant nous avons rencontré un pauvre garçon qui vendait de la lavande, mais personne ne lui en achetait, par charité, je lui en ai pris deux paquets, il avait l’air si malheureux, sa vue m’a gonflé le cœur. Je voudrais être riche pour pouvoir donner. Un peu plus loin, une jeune fille pleurait de désespoir de ne pouvoir vendre ses fleurs. Achetons-lui un bouquet, m’a dit Miss Smith, cette pauvre fille paraît honnête, elle n’appartient certes pas au cercle des Street-Girls, ces pâles et cyniques pauvresses dont les albums conservent le type si particulier. Ah! les Street-Girls, a continué mon interlocutrice, ce sont elles qui, loqueteuses et malpropres offrent en passant, au coin des rues, les bouquets de violettes salies, ce sont elles aussi que l’on rencontre au crépuscule, dansant la gigue dans les sombres carrefours, au son d’un vieux clavier discord; et la nuit on les heurte parfois du pied sur le pavé, anéanties par les orgies du gin.

Que de misères à Londres; Miss Smith m’assure qu’il y a des maîtresses de piano qui donnent des leçons à quatorze sous l’heure, et quatorze sous en Angleterre ne représentent pas sept sous chez nous. Ce soir nous allons à Covent-Garden, à bon marché, pour vingt-quatre sous. Ah! En voilà une chance! Miss Smith est une débrouillarde, elle a le truc pour dénicher les bonnes occasions. Lorsque la saison théâtrale est finie, on donne, l’été, pendant un ou deux mois des concerts dans cette salle. Je ne verrai pas de représentation, mais je suis bien aise de connaître un des plus beaux théâtres de Londres.

Covent-Garden

Il y avait beaucoup de monde, des hommes graves et des femmes fardées qui n’arrivaient pas à les dérider; tout cela n’était pas une foule de premier choix. Miss Smith m’a glissé à l’oreille que la bonne classe, en Angleterre, ne va pas au théâtre.

La salle est très grande, éclairée par deux énormes lustres et des lampes à la lumière électrique. Les stalles sont blanches et or, mais les tentures sont fanées, aussi bien que les robes des chanteuses. Elles vocalisent délicieusement, mais quelle friperie que leur toilette; ce sont des rossignols que le costumier du théâtre affuble de ses vieux rossignols.

On applaudissait beaucoup, il y avait des nègres habillés en dandys, qui gesticulaient, une canne à pomme d’or en main, et se bouffissaient comme des paons, ils avaient autant de bijoux qu’un homme peut en porter, de grosses bagues aux doigts, une épingle de cravate large comme une broche de dame et une montre d’or avec chaîne et breloques, qui faisaient autant de bruit que d’effet. L’un d’eux, même, avait des boucles d’oreilles. L’attraction irréfléchie pour tout ce qui reluit est, paraît-il, un goût donné aux races noires: les nègres adorent les bijoux d’or et d’argent, le métal qui brille. Eh bien! c’est la même chose chez les corbeaux et les pies, qui sont la race noire des oiseaux.

A dix heures, nous avons été obligées de partir, pour ne pas rentrer trop tard. Il me semblait que nous venions seulement d’arriver.

L’air était doux et le ciel plein d’étoiles; en les regardant, j’ai senti soudain mes yeux se remplir de larmes. Je pensais que sous notre beau ciel de France, ces mêmes étoiles éclairaient ma vieille mère et mes sœurs.

Notre dernière journée avant l’arrivée de Madame a été aussi bien remplie: visite à l’Aquarium, à la Tour de Londres et à Greenwich.

On paie un schelling par personne, à l’entrée de l’aquarium. Je n’y ai pas vu grand chose, des phoques et des plantes vertes très belles. Mais l’aquarium a une autre attraction que je préfère. Au centre se trouve un cirque où l’on fait de la haute école à cheval et des exercices vélocipédiques très remarquables. On voit encore des lions en cage, stylés par un nègre et sautant des barrières; ce spectacle dure deux heures, on en a vraiment pour son argent. Miss Smith m’a fait remarquer l’aiguille de Cléopâtre; dame! celle-là ne se perdrait pas dans une botte de foin: c’est un magnifique monolithe apporté d’Egypte. J’ai croisé un Ecossais, mais trop rapidement, j’aurais voulu voir son costume plus en détail: jupon court plissé vert et noir, jambes nues, écharpe prenant de l’épaule droite rattachée sous le bras gauche et descendant presque jusqu’aux pieds, grand chapeau avec plumes retombantes, sabre au côté, fusil sur l’épaule, l’ensemble est charmant.

La Tour de Londres se compose de bien des tours, mais on n’en visite que deux. Celle qui contient les joyaux de la couronne ne m’a pas émerveillée: il y a peu de bijoux, mais beaucoup de vaisselle d’or, des sallières particulièrement. Les joyaux se composent de trois couronnes dont la plus belle, celle de la reine, est couverte de diamants; la couronne du Prince de Galles m’a paru fort modeste. On nous a montré la chambre très étroite au pied d’un escalier où les enfants d’Edouard ont été tués. Nous parcourons plusieurs salles garnies d’armes et d’armures. On nous fait aussi remarquer une statue de la reine Elisabeth à cheval et le plan en relief du monument que nous visitons, cette fameuse tour de Londres où les souvenirs ne sont pas gais. Nous entrons ensuite dans la tour des personnages célèbres; les murs sont couverts des initiales, noms, et armoiries des malheureux qui ont passé par là. Dans la cour on montre la pierre où furent décapitées Anne de Boleyn, Jeanne Seymour et Catherine Howard, cela donne le frisson; autrefois les favorites des rois payaient bien cher leur triomphe.

Les gardiens ont un costume moyen-âge très chic, le voici: chapeau de velours noir tout froncé et entouré de faveurs rouges, bleues et blanches, pantalon noir et rouge, tunique noire avec plastron de flanelle rouge représentant des fleurs de lys et les lettres V. R., Victoria Reine; cette tunique est serrée à la taille par une ceinture de cuir fermée avec une grosse boucle en cuivre.

Nous avons pris le bateau pour aller à Greenwich, une grande ville sur la Tamise, à deux lieues de Londres; pendant tout ce parcours, les bords de la Tamise sont entièrement livrés au commerce, et la rivière aux bateaux, elle en est littéralement encombrée, c’est un mouvement extraordinaire.

On va voir à Greenwich, 1º le magnifique hôpital des Invalides de la marine, bâti en 1696, sur l’emplacement d’un ancien palais des rois d’Angleterre. 2º l’Observatoire, qui est célèbre; il fut fondé en 1775, par le roi Charles II. Une fabrique d’instruments d’optique et de navigation y est attachée. L’observatoire est très haut perché, dans un parc superbe, dessiné par un Français, Le Nôtre. Nous sommes grimpées jusqu’au haut, bien résolues à tout voir... hélas! on ne peut pénétrer à l’intérieur. Nous avons dû nous contenter de la vue qui de cette hauteur embrasse un vaste horizon. De petites marchandes établies dans le parc nous ont vendu des gâteaux et de la bière. Après nous être restaurées, nous avons visité une salle de peinture, dont Nelson est le héros; on le voit à différents âges et dans toutes les positions, assis et debout, de profil, de trois quarts et de face. Nous avons aussi donné un coup d'œil à la station des yachts royaux. En face, de l’autre côté de la Tamise, se trouvent les docks et chantiers de la Compagnie des Indes.

Après avoir parcouru quelques rues, comme je ne voulais pas m’attarder, à cause de l’arrivée de Madame, nous avons repris la route de Londres.

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CHAPITRE VI

Les courses de Newmarket.

Il me semble impossible de venir en Angleterre, sans y voir au moins une de ses courses tant vantées. J’aurais bien désiré aller à celles d’Epsom, fondées depuis plus d’un siècle, en 1779, et qui ont un si grand renom, mais nous sommes bien loin du 21 mai, jour où elles ont lieu chaque année, et je suis allée à Newmarket, dont les courses classiques, demi-classiques, les steeples, les handicaps, sont également célèbres.

Newmarket est une petite ville où l’on se rend de Londres, en deux heures, par le chemin de fer Great-Eastern. Les courses y sont organisées sur une grande échelle. Quarante-cinq entraîneurs publics ont sous leur direction deux mille chevaux de courses. Les courses et les régates sont pour l’extérieur les solennités mondaines par excellence, la great attraction des Anglais, c’est leur passion dominante. Les parieurs, les uns pour les chevaux, les autres pour les bateaux, se lancent dans la carrière à fond de train, c’est le cas de le dire; les paris sont insensés!

En définitive, c’est toujours le jeu, le jeu sur un tapis vert de gazon ou d’eau, au lieu d'être sur un tapis de drap. Je me suis fait mettre au courant des principaux termes de la langue chevaline, termes que nous avons empruntés, je me demande pourquoi, car il me semble que le français est une langue assez riche par elle-même, pour se suffire, sans avoir recours aux autres. Il y a plus de deux cents ans qu’Amyot disait: «La langue française n’est plus cette pauvre gueuse à laquelle le grec et le latin faisaient l’aumône» et aujourd’hui nous avons encore moins besoin d’emprunter ailleurs, surtout aux Anglais, qui seront toujours nos voisins sans jamais vouloir être nos amis.

On me répond: c’est la mode, il faut la suivre. Soit, je m’incline, mais non sans faire quelques restrictions. Sport veut dire en anglais divertissement, courses, chasses, gymnastiques, joutes sur l’eau, lawn-tennis: j’admets ce mot, puisqu’il comprend à la fois tous les exercices en plein air.

Mais pourquoi dire: arriver sur le turf (gazon), plutôt que sur le champ ou la piste. Pourquoi dire le ring, littéralement le rond, plutôt que l’enceinte, pour désigner le lieu où se réunissent les grands amateurs et les parieurs forcenés.

Betting signifie tout simplement pari et Starting départ.

Pourquoi appeler steeple-chase cette course hérissée d’obstacles, rivière, palissades, murs, haies, fossés, et dont le vrai nom est course casse-cou.

Dead-heat veut dire que les chevaux arrivent ensemble; quel inconvénient y aurait-il à dire course nulle, où les chevaux sont arrivés tête à tête? Pourquoi ne pas prononcer la tribune au lieu du stand, le concours ou la lutte au lieu du match, le haras au lieu du Stud?

Dame! pourquoi? je répondrai en anglais: That is the question, comme disent ceux qui veulent se donner des airs savants et passer pour connaître Shakespeare par cœur.

Jusqu’ici je n’avais jamais pu lire jusqu’au bout les articles de courses dans nos journaux, cela me faisait un peu l’effet du sanscrit ou du chinois.

Je m’en tenais à la spirituelle boutade de Bernadille sur l’agréable vocabulaire des courses «il faut suivre, dit-elle, la gradation des sentiments qu’il produit sur l’esprit des lectrices qui débutent par l’impatience et finissent par l’horripilation.

«Gentleman-rider les intrigue; un propriétaire qui déclare forfait les inquiète: comment devineraient-elles qu’il s’agit ici d’une amende, d’un dédit,—forfeit.

«Le handicap les étonne, elles ignorent qu’un handicap est une course où l’on admet les chevaux de force et de mérite différents, en égalisant autant que possible par des suppléments de poids les chances de victoire?

«Le stud book les agace; les book makers les irritent; au betting-ring, elles sont rouges de colère, un cheval disqualified leur arrache des cris de désespoir, et la performance des signes d’aliénation mentale.»

Si cela continue, il sera nécessaire d’apprendre l’anglais avant de pouvoir lire certains journaux français.

Il faut voir comme les Anglais, généralement si froids, s’animent sur le turf. Il y a un demi-siècle, quand la société pour l’encouragement et l’amélioration des races de chevaux en France accordait aux vainqueurs des hippodromes douze paniers de vin de Champagne, les courses en Angleterre remuaient déjà un comté tout entier; cependant les Anglais ont encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre à la hauteur des anciens Polonais qui placèrent un jour sur les quatre fers d’un cheval les destinées de leur patrie.

Leur histoire rapporte que, le roi étant mort sans héritier, tous les palatins se montraient prêts à entrer en lutte armée pour conquérir le trône; soudain on décida de s’en remettre au hasard d’une course, celui des Palatins qui arriverait «bon premier» serait couronné roi. Ce procédé peu ordinaire eut les meilleurs résultats, la guerre prête à s’allumer s’éteignit comme par enchantement et la nation eut son roi.

Le cheval de courses en France comme en Angleterre est un patricien qui a son état civil très bien tenu; on pousse même les choses plus loin depuis une quarantaine d’année, on conserve le portrait des grands vainqueurs.

Old England est forte pour les portraits. La reine Victoria n’a-t-elle pas un musée canin renfermant le portrait de tous les petits toutous qu’elle a aimés?

Je ne sais quel sera plus tard le sort des chiens de sa gracieuse Majesté, mais les chevaux passeront à la postérité «leur nom figurera dans le dictionnaire Larousse à côté de Bucéphale dompté par Alexandre, d’Incitatus fait consul par Caligula, de Vaillantif tué sous Roland dans le défilé de Roncevaux, de Bubiéca la cavale du Cid, de Rossinante l’idéal coursier de Don Quichotte. Les chroniqueurs ont négligé de nous transmettre les noms des chevaux des quatre fils Aymon, c’est regrettable! Je termine ici ma liste des chevaux célèbres sur laquelle je pourrais inscrire encore le cheval de Troie qui était en bois, et le cheval de bronze d’Auber qui sera toujours en musique.»

Les courses de Newmarket ont presqu’autant d’importance que celles d’Epsom, elles m’ont vivement intéressée. Je suis revenue très satisfaite de mon excursion et très enthousiasmée des beaux chevaux que j’ai vus, les uns courant sur le turf, du stand où j’étais fort bien placée, les autres au repos, dans le stud que j’ai visité ensuite, Ciel! je m’arrête! aurai-je par hasard des dispositions à devenir une horse women et parler la langue des chevaux.

Ici j’y suis presque obligée, mais en France je ne me le pardonnerais pas. Vive partout, même aux courses, notre belle riche et harmonieuse langue!

JOURNAL DE SUZETTE

Il m’est impossible de décrire tout ce que j’ai vu depuis quelques jours. Tout cela encombre ma mémoire, et danse dans ma tête une sarabande effrénée. Quand de retour au pays, on me demandera des détails sur Londres, je montrerai mon journal à mes amies, aux autres je me bornerai modestement à répondre ceci: Qui n’a pas vu Londres, ne peut se faire une idée de cette ville immense, avec ses millions d’habitants. Elle est plus peuplée que plusieurs Etats d’Europe, tels: la Suisse, la Bulgarie, la Saxe qui n’ont chacune que trois millions d'âmes. Londres a deux fois plus d’habitants que la Grèce, le Danemark et la Norvège qui ne comptent chacun que deux millions d’habitants; et sa population s’accroît chaque année de soixante-dix mille personnes. Ma vanité satisfaite de ces comparaisons et de l’ébahissement de mes auditeurs, j’ajouterai pour finir: Voilà ce qu’est Londres, une ville extraordinaire, sans rivale, la plus grande ville du monde et je la connais!...[11]

WINDSOR

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE VII

Windsor est une petite ville de huit mille âmes qui s’est groupée autour du château royal, séjour préféré de la Reine Victoria. Windsor est donc un magnifique château gothique avec remparts et fossés, bâti sur une élévation d’où la vue s’étend fort loin. Une immense forêt de cent kilomètres de tour fait partie du domaine de Windsor.

Fondé par Guillaume le Conquérant, augmenté par Edouard III et sans cesse embelli par ses successeurs, ce château est vraiment une demeure royale digne de la reine d’Angleterre, impératrice des Indes.

J’ai admiré la chapelle royale et la chapelle Saint-Georges où sont reçus les membres de la Jarretière; la terrasse qui a près de six cents mètres de long est vraiment splendide.

«Madame monte à la tour si haut qu’elle peut monter» c’est ce que j’ai fait. Je suis montée à la plus haute tour de Windsor, pour jouir d’un horizon sans limites. Le regard s’étend sur douze comtés.

Les salons que j’ai visités sont somptueusement meublés. Du reste, des trésors en tous genres, artistiques et autres, s’accumulent ici depuis des siècles. N’est-ce pas à Windsor dans les appartements particuliers de la reine que se trouve le chef-d'œuvre de notre manufacture de Sèvres, un service à dessert, estimé un million deux cent cinquante mille francs.[12] Commandé pour Louis XVI, il fut acheté par George IV, alors prince régent. Le fond est gros bleu, avec des dorures merveilleuses, du célèbre Leguay, et des peintures exquises en médaillon, par Dodin.

Cette visite à Windsor, m’a vivement intéressée; je la classe parmi mes meilleurs souvenirs de voyage.

JOURNAL DE SUZETTE

Nous ne sommes pas allées directement de Londres à Oxford, nous avons fait un petit crochet pour visiter Windsor, où nous avons commencé par déjeûner, dans un hôtel de belle apparence. On nous a servi des œufs et du jambon, qu’on mange ensemble ou séparément, à sa guise. C’est le menu invariable et traditionnel du matin, dans la grande Angleterre. Du jambon cuit ou du jambon crû, du jambon aux œufs ou du jambon aux pommes de terre, du jambon toujours; comme c’est agréable pour ceux qui ne l’aiment pas!

Tout cela se mange avec un trident. En France les fourchettes sont à quatre dents, en Angleterre elles n’en ont que trois. Par exemple, on nous a servi un nouveau dessert que nous ne connaissions pas! On nous a servi—Lucullus et tous les cuisiniers des temps anciens—Brillat, Savarin, Vatel, Carême, Trompette, et tous les chefs des temps modernes, voilez-vous la face,—on nous a servi comme dessert sous le nom de croquettes croquantes et dorées de petits morceaux de pain (des restes sans doute) desséchés au four. Hein! jolies croquettes bien réussies et bien goûtées surtout; j’étais indignée. Madame a pris la chose plus philosophiquement et s’est mise à rire. Ma pauvre Suzette, calmez-vous, m’a-t-elle dit, cela me rappelle un mot de Chamfort qui peut s’appliquer ici: «Il y a des gens, écrivait-il, qui ont plus de dîner que d’appétit, alors que d’autres ont plus d’appétit que de dîner.» Ce dernier cas est le nôtre aujourd’hui.

C’est à Windsor que demeure ordinairement la reine, car elle n’aime pas Londres. Son château est très considérable, il a l’aspect d’un château-fort bâti en petites pierres, ce qui n’est pas joli comme la pierre de taille. Nous sommes montées sur la plus haute tour d’où le panorama est splendide. La visite des appartements m’a bien intéressée, surtout la salle du roi Georges où l’on donne les banquets. Sur les murs s’étalent les armes de tous les pairs d’Angleterre. Le grand salon de réception est très beau, le meuble est doré et recouvert en satin rouge broché, le plafond guilloché est blanc et or, plusieurs salles sont tendues en tapisserie des Gobelins, avec des plafonds dorés, c’est même un peu trop chargé. Nous avons visité la chapelle de la reine; le chœur est en chêne sculpté ainsi que les sièges de la famille royale. Très jolie est aussi la chapelle érigée en mémoire du prince Albert, l’époux de la reine. J’ai vu le tombeau où reposent ensemble Henri VIII et Jeanne Seymour. J’ai salué respectueusement le monument élevé au petit prince impérial tué si malheureusement chez les Zoulous.

Les gardes sont des grenadiers habillés de rouge et coiffés d’un chapeau à poil.

En partant, j’ai demandé à un domestique de la reine, tout habillé de noir, à cause de la mort du duc d’Albany, l’heure exacte du train pour Oxford; c’est avec toute la dignité due à son rang qu’il m’a donné ce renseignement, en me tirant son chapeau aussi respectueusement que si j’avais été membre de la famille royale. En voilà des domestiques, dont le sort fait envie... Plus heureux que bien des maîtres!

OXFORD

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE I

Arrivée à Oxford

Mes premiers jours à Oxford ont été consacrés à l’amitié. Il est si doux de parler du temps passé, avec ceux qui l’ont vécu, de parler de la génération qui précéda la nôtre, avec les derniers contemporains de cette génération. Le souvenir de ma mère bien-aimée planait sur tout ce que nous disions, le passé me ressaisissait tout entière. Par instant il me semblait qu’elle était là, que j’allais l’entendre, la voir... Chère bonne mère, elle avait bien placé son affection, et sa vieille amie m’a délicieusement reçue. Chacune de vos lettres m’a-t-elle dit, me donnait du soleil pour toute la journée. La distance disparaissait, mon affection vous évoquait, ma pensée retrouvait la vôtre et j’avais la tendre illusion de me croire près de vous. Aujourd’hui je tiens la réalité, quel bonheur! Quand on est entré dans mon cœur, c’est pour la vie, autrement, l’amitié ne serait ni sincère, ni vraie.

Malgré son existence qui s’écoule en Angleterre, le snobisme britannique ne l’a pas atteinte. Elle est restée bien française par le cœur et par l’esprit. Aujourd’hui, on est un peu brutal dans ses idées, un peu crû dans ses expressions, cela s’appelle du naturalisme, un long mot, que personne ne comprend guère, pas même ceux qui s’en servent le plus.

Mon amie au contraire a gardé des expressions élégantes et choisies, et pratiquant l’art du bien dire, fait tout passer sans choquer personne. Et je suis heureuse de nos causeries, comme elle est heureuse de ma présence. Ah! que j’ai bien fait de venir!

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Nous voilà donc arrivées chez l’amie de Madame. Cette amie habite une belle maison, bien confortable, elle a plusieurs domestiques; c’est une vieille dame riche. D’ailleurs ce n’est pas en Angleterre qu’il faut venir habiter lorsqu’on n’a pas de fortune. Au contraire, beaucoup d’Anglais quittent leur pays par raison d’économie, et si nous voyons certaines villes françaises, encombrées d’Anglais, c’est qu’ils y trouvent leur avantage, et vivent bien plus à l’aise chez nous que chez eux.

J’ai une assez jolie chambre, mais ce n’est pas tout dans la vie, et mes débuts ne sont pas heureux. Mauvais sommeil, nuit détestable à digérer laborieusement l’affreux pain pas cuit, qu’on mange ici comme du gâteau. Ah! ces Anglais, ils ont un estomac à rendre des points à toutes les autruches de la création.

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CHAPITRE II

La ville d’Oxford, ses collèges, ses musées, ses promenades.

Oxford passe à bon droit pour être une des plus jolies villes d’Angleterre.

C’est une ville essentiellement protestante; sur quarante mille habitants il n’y a que quatre cents catholiques.

Oxford possède une fabrique de Bibles, c’est par milliers qu’elles s’en vont chaque jour inonder les colonies et le monde entier, et une Université fondée au commencement du XIIe siècle, disent les uns, dès le Xe siècle, par Alfred Le Grand, disent les autres. En tout cas, cette Université célèbre compte vingt-quatre collèges tous plus beaux les uns que les autres: Saint-John’s, Magdalen, Kable Christ-Church, Trinity, Queen’s, New-Collège, etc. Cette Université est généralement dévouée aux principes des Tory (elle envoie deux députés au Parlement) et à l’église anglicane. Cependant c’est dans son sein qu’a pris naissance le Puseysme, encore une nouvelle secte que ma bonne amie m’a expliquée. Son principal auteur est le docteur Pusey, chanoine de l’église du Christ et professeur d’Hébreu à Oxford. Sauf qu’elle déclare la loi indépendante du pouvoir pontifical elle se rapproche du catholicisme sur les points les plus importants. Elle rétablit la messe, la Confession, la pénitence, le jeûne, l’invocation des saints.

Inquiétés par l’épiscopat anglican qui ne les voyait pas d’un bon œil, la plupart des Puseyistes ont ouvertement embrassé le catholicisme.

Tous les collèges ont des jardins ou des parcs, de sorte qu’il est impossible de trouver une même ville ayant autant de promenades et d’aussi belles.

Oxford possède encore plusieurs halls, édifices pour loger les étudiants, plusieurs bibliothèques parmi lesquelles la Bodléienne, comptant plus de deux cent mille volumes et vingt-cinq mille manuscrits, une belle galerie de tableaux, un musée d’histoire naturelle, un jardin botanique médiocre.

Cette ville fut prise d’assaut en 1067 par Guillaume. Elle devint pendant quelque temps l’une des résidences des Rois; c’est là que furent rédigées en 1258 les Provisions dites d'Oxford. Charles Ier s’y retira pendant la guerre civile.

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Ma consolation ici, c’est la gouvernante, Miss Emily, une jersiaise, d’origine bretonne, parlant français. Il est facile de voir que la perfide Albion ne tient aucune place dans son cœur. Elle aime sa maîtresse qu’elle sert fidèlement depuis 30 ans, mais elle n’aime pas les Anglais. Elle a la permission de me montrer la ville et nous faisons de jolies promenades ensemble.

Je désespère de pouvoir faire la description d’Oxford, je ne connais rien à l’architecture, et je crois que lorsque j’aurais dit c’est beau, je ne pourrais que m’arrêter. Cependant je vais faire de mon mieux.

La ville est très grande, bien percée, propre, mais ce qui fait sa gloire ce sont ses nombreux collèges, tous plus beaux les uns que les autres, bâtis dans le genre de nos vieux châteaux français, comme celui de Josselin, par exemple. Tous sont recouverts de lierre, de vignes vierges et entourés de parcs charmants où l’on peut se promener; ces parcs se composent d’allées ombragées de beaux arbres et de pelouses. On ne trouve guère de fleurs que dans les jardins particuliers.

Oxford, malgré sa réputation de jolie ville, manque de gaîté. Jusqu’ici les villes que j’ai vues me paraissent tristes. Les maisons estompées de briques rouges sont ternes. Cela tient sans doute à la couleur grise du ciel, et à celle des pierres couleur du ciel. On ne crépit pas les maisons, on ne les blanchit pas davantage, je trouve qu’on voit trop la carcasse. Oxford compte trois mille étudiants que l’on reconnaît facilement à leur costume très drôle. Ils portent un énorme manteau flottant, et un chapeau, dur comme un morceau de carton, de forme carrée, orné d’un gland, qui leur tombe sur le nez avec toute la grâce imaginable. Si j’en ai le temps, j’habillerai une poupée en étudiant, pour la rapporter en France.

Avant-hier, par curiosité, j’ai accompagné Miss Emily à un service protestant. Un ministre à l’air digne, une baguette de cuivre en main, nous a placées dans un banc.

Il y avait peu de fidèles, mais ils avaient l’air très pénétrés et se tenaient respectueusement.

Quand le ministre jetait les yeux de mon côté, je baissais les miens sur mon livre, une bible imprimée en anglais à laquelle je ne comprenais rien, bien entendu. J’ai trouvé les chants pleins de douceur et de suavité. Il y avait des choristes habillés comme les nôtres, les ministres portaient des espèces de chapes noires bordées d’hermine. J’ai aussi été très édifiée à l’église catholique: les fidèles me semblent plus pieux, plus recueillis qu’en France et pendant les offices restent presque toujours à genoux.

Miss Emily m’a demandé si je voulais visiter les collèges; les collèges, ai-je répondu, je veux bien en visiter un et cela me suffira, car je pense que tous les autres sont à peu près pareils; mais ce que j’ai vu avec plaisir ce sont les grands parcs qui les entourent, celui du collège Keble est particulièrement beau.

Je suis allée voir jouer une partie de lawn-tennis, ce qui m’a bien amusée. Ce jeu fort en vogue a ici détrôné le croquet; c’est la distraction préférée des étudiants. On bataille beaucoup, la raquette en main, on s’amuse, on s’agite, et l’on attrape grand chaud. Ce devrait être le jeu hygiénique de l’hiver pour se réchauffer. Les Anglais sont absolument passionnés pour ce jeu et le Daily-News enregistre leur succès à ce sujet.

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CHAPITRE III

Brood-Way, Le Musée, La Mésopotamie

Brood-Way, c’est-à-dire large voie, est une allée plantée d’ormeaux magnifiques, et les plus grands qu’on connaisse; leur réputation est, paraît-il, européenne.

Le musée d’histoire naturelle que je viens de visiter doit être bien intéressant pour les savants et les étudiants en médecine: des pierres, des silex de toutes sortes, richesses minéralogiques, attendent les premiers, les seconds trouvent des cerveaux, des cœurs, des foies conservés dans de l’esprit de vin, des animaux, corps de girafes gigantesques, d’éléphants monstrueux, de baleine immense, où un ménage pourrait se loger à l’aise et s’installer un appartement complet; enfin, sujet profond d’étude, un millier de crânes humains de tous les pays, et on pourrait presque dire de toutes les formes, et quelques squelettes; en contemplant l’ossature humaine effrayante et attristante tout à la fois, ces vers de Victor Hugo, je crois, me revenaient à la mémoire:

Squelette, où se trouve ton âme?
Foyer, qu’as-tu fait de ta flamme?
O cage vide qu’as-tu fait,
De ton bel oiseau qui chantait?

Nous sommes revenues par la Mésopotamie, cette Mésopotamie ne se trouve pas entre le Tigre et l’Euphrate, quoique entre deux rivières sillonnées de barques pompantes et coquettes traçant leur léger sillon sur les eaux; c’est une promenade. Ses berges étaient garnies de pêcheurs à la ligne gardant une immobilité absolue, raides comme une trique et me faisant penser à ces définitions quelque peu irrévérencieuses et si souvent reproduites de la pêche et des pêcheurs à la ligne.

Dans la rue Magdalen se trouve une croix horizontale qui marque la place où furent tués deux prêtres, sous le règne d’Elisabeth, toujours si cruelle envers les catholiques.

Il paraît qu’ici on voit continuellement surgir de nouvelles religions. Hier, un bonhomme, la vivante image du vieux Christmas, qu’on dessine dans les gravures, cheveux blancs, comme des flocons de neige, immense barbe givrée jusqu’au genoux, pérorait d’une voix enrouée en frappant de toutes ses forces sur une bible. On aurait dit qu’il voulait faire entrer tout ce qu’il débitait, à coups de poings, dans l’esprit de ses auditeurs. Il était très entouré.

On compte, paraît-il, en Angleterre, cent quatre-vingts sectes différentes. Voilà bien des moyens pour arriver au ciel; il me semble même qu’il y en a trop pour qu’ils soient tous bons.

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A Oxford aussi les magasins se ferment de bonne heure; il n’y a aucun agrément à se promener le soir dans les rues; ce n’est pas comme en France, où on a l’éblouissement des beaux étalages bien éclairés. Ici le samedi est comme à Jersey très mouvementé, tout le monde fait ses provisions et court les magasins et les marchés. Le dimanche on semble confit en dévotion, tout mouvement cesse, sauf celui des cloches qui carillonnent à vous rompre la tête.

Le grand marché couvert d’Oxford est très intéressant, tout y est beau et de bonne qualité, mais d’un prix!... La viande, magnifique, un peu grasse, peut-être, mais fort appétissante est bien plus chère qu’en France. Et le poisson donc! Etre planté au milieu de la mer, et payer le cent d’huîtres vingt-cinq francs, c’est raide! Les fruits sont inabordables, beaucoup viennent de France, et on les paie en conséquence. Du reste, c’était bien un peu comme cela à Jersey et à Guernesey, où les habitants tout en n’ayant pas l’air de se croire anglais, se montrent tout aussi grasping que ceux de la mère-patrie. L’eau est mauvaise et empâte la bouche. Je m’abreuve de thé, que j’aime heureusement. Le pain ordinaire est détestable, je l’ai déjà dit. Il y a bien un pain de luxe, le pain viennois, qui est très bon, mais on ne le sert qu’à la table des maîtres.

Miss Emily me fait goûter de tout. Le fameux whisky est détestable à mon goût; en revanche, j’ai trouvé le sherry fort bon. J’ai bu du gin; cette sorte d’eau-de-vie coûte aussi cher que le rhum, ce qui n’empêche pas les femmes du peuple d’en boire jusqu’à l’ivresse. Je ne ferai pas de folies pour le gin. Je ne sais quels ingrédients on y ajoute, mais on y trouve amalgamés ensemble trois parfums bien différents et qui semblent sortir de chez le coiffeur, de chez le pharmacien et de chez le liquoriste, le tout bien sucré. Pour être juste, je dois reconnaître que le goût d’anisette domine. C’est blanc comme de l’eau, et point capiteux du tout. Je pense qu’il faut en boire à haute dose pour se griser. Ce qui est bien meilleur, c’est le cidre de Devonshire, mais il est très cher.

La cuisinière nous a fait manger hier une conserve d’Amérique: une langue de panthère ou de kanguroo, je ne sais plus au juste. C’était détestable! L’indépendante Amérique empoisonne sa petite sœur anglaise de toutes ses conserves de viande et de poisson, tout en les lui faisant payer cher.

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CHAPITRE IV

Mœurs anglaises

Mon amie me donne des détails fort intéressants sur la société anglaise, sur les coutumes mondaines et religieuses. Elle m’a même promis des notes prises sur le vif, et écrites par elle, il y a quelques années. Certes, je lui rappellerai sa promesse avant de partir.

Voici donc quelques détails sur l’aristocratie.

La noblesse vient sans doute, à Londres, mais elle habite beaucoup plus ses terres que la ville. La noblesse anglaise est rurale, comme la bourgeoisie anglaise est commerciale. L’amour des voyages existe dans toutes les classes.

La saison brillante de Londres dure trois mois: mai, juin, juillet. Pendant ces trois mois, tout sujet de sa gracieuse majesté, appartenant au grand monde par sa naissance, sa fortune, sa position, se croit absolument obligé de venir dans la capitale, et de s’y montrer, c’est un point d’honneur pour lui.

Cette grande noblesse anglaise, fondée sur la hiérarchie est d’une puissance énorme. Elle n’a point été réduite en poussière comme le fût la nôtre, suivant l’expression énergique du premier Consul Bonaparte.

En ces dernières années cependant, elle s’est laissée entamer par la juiverie. Oui, les juifs sont enfin parvenus,—la force de l’argent est irrésistible,—à pénétrer dans l’aristocratie anglaise, si pleine de morgue et d’orgueil. Il y a maintenant à Londres un lord Rothschild. Quelle révolution sociale et politique dans ce titre rapproché de ce nom! Un demi-siècle a suffi pour l’accomplir. Se douterait-on qu’il y a à peine cinquante ans, il existait encore dans la législation anglaise, un statut tombé en désuétude, il est vrai, un statut qui obligeait les juifs à porter un costume distinctif.

Les gens qui habitaient Londres de 1848 à 1858 se souviennent d’avoir vu le père de lord Rothschild, le baron Lionel, élu député par la Cité de Londres, se présenter chaque année à Westminster pour prendre possession de son siège et chaque fois être repoussé parce qu’il ne pouvait prêter serment «Sur la foi d’un chrétien,» comme l’exigeait la loi.

Enfin, en 1858, on changea la formule, et il put entrer.

Et voici qu’aujourd’hui le fils du député si longtemps relégué à la porte de la Chambre des Communes, est entré dans la Chambre des Lords, l’assemblée la plus fière de l’univers, et qui naguère n’avait pas assez de dédain pour les juifs.

On n’a pas oublié dans les salons de Londres la saillie de M. de Talleyrand, alors ambassadeur de France, qui, remarquant dans une soirée donnée par lui, la présence du duc de Montmorency et celle de M. de Rotschild, que l’empereur d’Autriche venait d’anoblir, s’écria: «Nous avons ici le premier Baron chrétien et le premier Baron juif.» Et cette coutume s’est enracinée, les chrétiens vont danser chez les juifs, séduits et éblouis par le faste de leurs réceptions.

En général, les jeunes Anglais sont fanatiques des exercices corporels. Ils aiment beaucoup la danse, plus même peut-être que les jeunes filles. Le prince de Galles leur donne l’exemple; valseur émérite, il ne dédaigne pas les invitations de la haute noblesse et danse jusqu’à trois et quatre heures du matin, dans les bals qu’il honore de sa présence.

Les énormes fortunes de l’aristocratie, de l’industrie et du haut commerce, donnent des fêtes, des raouts d’un luxe inouï; il n’est pas rare de commander pour douze ou quinze mille francs de fleurs et de plantes vertes, pour une réception d’apparat. Les angles des appartements, les fenêtres, les cheminées, sont remplis de palmiers, fougères, camélias, etc.; les rampes des escaliers, les chambranles des portes, sont enguirlandés de jasmin, de lilas, de mimosa; aux plafonds, se balancent entre les lustres, de grosses lanternes rondes de cristal, éclairées intérieurement et revêtues d’azalées, de clématites, ce qui fait l’effet de boules de fleurs lumineuses. La musique sort de bosquets verdoyants et parfumés et le service, comme élégance et confort, ne laisse rien à désirer. Voilà les fêtes que se donne, pendant la saison, la riche Angleterre.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame m’a donné la permission d’aller avec Miss Emily à deux fêtes du pays, aux régates d’Oxford et au bal champêtre de Wourcester.

Les régates ne m’ont point divertie. Pour s’y rendre, c’était un tohu-bohu effrayant; une foule énorme, bariolée de toutes couleurs, marchait, parlait, gesticulait, mais je ne comprenais rien; je ne connaissais personne, je ne m’intéressais à aucun bateau, et ce n’était guère amusant. Ce dont je me souviens le mieux, c’est qu’on a passé une immense coupe pleine de Champagne, en buvait qui voulait. Il est vrai que nous étions sur un bateau réservé, c’était sans doute une galanterie des personnes qui l’avaient loué. En revanche, j’ai trouvé très à mon goût la fête champêtre.

A six heures nous entrions dans le parc des jeux où nous nous sommes trouvées au milieu d’un grand nombre de jeunes filles toutes habillées de rose, de blanc, de velours, de fourrures, etc., puis, pour faire face à ce bataillon féminin une poignée de jeunes gens à l’air aussi penauds que des renards pris aux pièges.

Dame! leur frayeur se comprend, attendu que les jeunes filles ont à pourvoir seules à leur avenir et dans ce pays-ci le sexe faible étant plus nombreux que le sexe fort attaque celui-ci pour le bon motif, bien entendu.

En thèse générale les hommes sont toujours en garde contre les femmes, ils les fuient dans les rues; car c’est une grande imprudence qu’ils commettent en répondant à une femme qui semble, par exemple, demander un simple renseignement: ça peut être un traquenard, et s’ils lui parlent, elle peut s’écrier qu’il y a injure et demander une somme considérable, cela n’est pas rare.

C’est sans doute une des raisons qui rendent les hommes si peu polis. Ensuite ils ne peuvent pas saluer sans y être autorisés, les femmes font d’abord un petit mouvement de tête, c’est le signal approbateur qui permet aux messieurs de tirer leur chapeau. Autre pays, autres mœurs, mais revenons à la fête.

Jusqu’à sept heures une petite musiquette, ressemblant à celle que l’on joue au cirque, a charmé les oreilles des assistants; puis la danse a commencé. Les jeunes filles étaient obligées en grand nombre de se transformer en cavaliers, car il y avait disette de danseurs. Tout ce monde danse parfaitement et très convenablement; ce qu’on peut reprocher, c’est trop de raideur, cela ôte la grâce et me faisait penser, la musique aidant, aux marionnettes si jolies de France. Vers la nuit, l’animation a commencé un peu; pour tout éclairage, deux grands lampions de chaque côté de la tente des musiciens, le reste du parc était éclairé par la lune. Je crois que les nuages qui la voilaient de temps en temps, faisaient bien l’affaire des amoureux. Une autre tente servait de buvette; c’est là qu’après les danses, on venait se raffraîchir. Tout en promenant et regardant, Miss Emily m’a encore donné d’autres renseignements sur le peuple anglais que j’étais très contente de voir de près.

En Angleterre, la femme est considérée comme inférieure et le mari regarde son épouse comme sa première servante; elle n’a pas comme en France une certaine influence sur son seigneur et maître. Les fils eux-mêmes, en grandissant, n’ont pas le respect que les enfants de France témoignent à leur mère; ils ne l’embrassent jamais. Chez eux les instincts sont développés, mais pas le cœur.

Je ne lâchais pas le bras de Miss Emily, j’aurais eu peur de m’égarer; ensuite je me demandais si dans cette foule compacte il n’y avait pas quelques pickpockets. Rassurez-vous, me disait Miss Emily en riant; on n’entend pas parler de voleurs à Oxford. Saint Patrick a sans doute fait ici à l’égard des voleurs, ce qu’il fit jadis en Irlande, à l’égard des grenouilles... Elles y sont inconnues.

C’est égal, dès qu’on me frôlait, je portais instinctivement ma main à ma poche, pour voir si mon porte-monnaie était bien à sa place.

En revenant, Miss Emily m’a parlé de la fête de Saint Patrice, cet apôtre venu de la Gaule pour convertir l’Irlande, et qui fit de cette dernière une île de Saints.

Partout où ils sont, les enfants d’Erin célèbrent la fête de leur saint patron. La plupart d’entre eux assistent à la messe ce jour-là. On les reconnaît aux rubans verts, dont ils ornent leurs coiffures, ainsi qu’aux touffes de trèfle qu’ils portent,—les hommes à leur boutonnière, les femmes à leur corsage. (On sait que saint Patrice s’était servi d’une feuille de cette plante pour donner aux Irlandais idolâtres une idée du mystère de la Trinité).[13]

La tradition dit que saint Patrice ayant demandé à Dieu qu’il fît beau le jour de sa fête, afin que tous les Irlandais pussent aller à l’église, sa prière fut exaucée. Il ne pleut jamais en Irlande le 17 mars.

Mais s’il ne tombe pas d’eau, d’autres liquides coulent à flots. L’enthousiasme fait parfois oublier la tempérance, et il arrive que saint Patrice a lieu d'être mécontent de la façon dont certains de ses enfants célèbrent sa fête.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE V

Deux fêtes.—Raout et garden-party.

Je me suis laissée entraîner à une petite soirée; c’est l’époque. Ces dames ont les small and earlies, ces mots, mis au bas d’une invitation, signifient qu’on sera peu nombreux, qu’il faut venir de bonne heure, et qu’on s’en ira de même. Bref, cette phrase anglaise équivaut à notre sans cérémonie français. Nous étions quand même plus de cent personnes. On est arrivé à dix heures et parti à deux heures après minuit. C’est paraît-il ce qu’on appelle en Angleterre, arriver tôt et partir de même.

Cette petite soirée était un raout; on promène et on cause, en régalant son palais d’excellentes choses, et ses oreilles d’excellente musique.

Tantôt ce sont les chanteurs tyroliens qui font fureur, en ce moment, les tziganes, très en vogue aussi, ou simplement un orchestre jouant des airs d’opéra. Cette fois, c’était une troupe de tziganes qui se faisait entendre. Ces artistes ont beaucoup d’originalité et leur musique beaucoup de caractère. Je suis également allée à un garden-party, cette distraction est un des plaisirs favoris de tout le monde aussi bien des dames que des messieurs.

Le lawn-tennis et le crickett ont fait florès. J’ai vu un jeune homme d’une force remarquable au crickett, et qui tient son savoir de William Grace, de Manchester, lequel depuis trente ans, passe pour le premier cricketter d’Angleterre.

Cette fête se passait au milieu d’un jardin rempli de corbeilles de fleurs qui se détachaient sur des pelouses d’herbe tendre et unie comme du velours; ces pelouses sont le triomphe des jardiniers anglais. Le five o’clock tea a été servi dans une grande serre aménagée ad hoc, mais le modeste thé était additionné de chocolat, de café, de sorbets, de champagne, de sandwichs aux volailles truffées, de fraises, de raisins et de friandises de toutes sortes, c’était une avalanche de bonnes choses, auxquelles on a fait grand honneur. Il est certain qu’ici le climat creuse l’estomac; il faut beaucoup manger pour ne pas s’anémier. Les pâtés ont été profondément battus en brèche, et l’armée des petits fours a reçu de rudes assauts.

Les Anglais se tirent à merveille de ces batailles gastronomiques. Ils sont un peu de l’avis de ce cuisinier de haute volée, qui disait à son maître, un jeune diplomate d’avenir: «C’est par les dîners, qu’on gouverne le monde.» Le fait est que les Anglais mangent énormément sans se montrer trop difficiles sur le choix des mets. Ils font passer la quantité avant la qualité. Ici cependant ce n’était pas le cas. Tout était abondant et parfait. Après ce repas, on est entré dans le grand salon pour se reposer quelques instants et mettre en pratique le proverbe anglais:

After dinner sit a while
After supper walk a mile,

ce qui veut dire:

Après un repas copieux, prenez du repos.
Après un repas léger, faites une courte promenade.

Pendant ce temps-là, la nuit venait, et le jardin s’illuminait de lanternes vénitiennes et de feux de bengale. C’était l’heure charmante, où la fraîcheur descend et invite à sortir. La jeunesse est allée sous les tonnelles continuer le doux nonchaloir du salon; au lawn-tennis et au crickett, elle a fait succéder des à partés de flirtation fort agréable pour elle sans doute, et fort divertissant aussi pour ceux qui la regardaient. Les jeunes cœurs attendent impatiemment cet épilogue des réunions; c’est pour eux comme le post-scriptum qui contient l’essentiel de la lettre.

En somme deux jolies fêtes, auxquelles je suis bien aise d’avoir assisté.

JOURNAL DE SUZETTE

Je pensais qu’en Angleterre il y avait beaucoup de cavaliers,—pas du tout; j’en ai vu très peu mais on voit des vélocipédistes en très grand nombre.

Les Anglais aiment aussi beaucoup les parties sur l’eau, ils aiment les bains, la pêche, et s’en vont souvent canoter sur la Tamise qui prend ici le nom d’Isis. De charmants bateaux se louent et des jeunes gens, en habits de fantaisie les conduisent avec une vitesse effrayante; l’autre soir, sous nos yeux, une petite périssoire où deux jeunes gens s’étaient embarqués et qu’ils conduisaient comme des fous a chaviré; mais heureusement ils ont eu pied, et ont regagné le bord du quai d’un petit air triomphant, aux applaudissements ironiques des promeneurs.

Pour cet exercice de navigation, comme pour le lawn-tennis, les jeunes gens portent des habits en flanelle rayée de couleur voyante d’un joli effet. C’est à qui arrivera le plus vite; quelquefois le petit bateau marche si fort que sa pointe enfonce dans l’eau; mais ceux qui le montent n’ont pas peur, la rivière est peu large, et ils savent nager; ces petites noyades là sont des jeux pour rire.

J’espère que nous ne tarderons pas à partir: si mon corps est en Angleterre, mon cœur est en France. Madame parlait d’allonger notre séjour d’une semaine, mais depuis trois jours, les jours se suivent et se ressemblent, et j’espère que cela modifiera ses projets. De la pluie le matin, de la pluie l’après-midi, de la pluie le soir, et nous sommes en été. Les trois quarts du temps dans ce pays-ci Mylord Soleil s’obstine à garder son bonnet de nuit de nuages gris et sa vilaine robe de chambre de brouillard noir. Dame! après ça, il ne faut pas s’étonner que le spleen soit une maladie anglaise. Je comprends que les indigents soient particulièrement tristes, ils n’ont même pas le soleil bienfaisant qui est le foyer du pauvre.

Voilà probablement pourquoi on boit tant dans ce pays-ci pour se régayer un peu; l’ivresse est le défaut caractéristique de toutes les classes: tout est si froid à l’extérieur qu’il faut bien se réchauffer à l’intérieur.

On dit que la reine elle-même aime à prendre son petit night cape.

Miss Emily m’a assuré qu’à Londres les ladies, les femmes du monde, trouvent chez tous leurs fournisseurs du Champagne extra-sec et du gin extra-pur, et ne regagnent la plupart du temps leur voiture qu’à pas chancelants. Il y a des modistes célèbres pour leur whisky d’Ecosse, des lingères au brandy incomparable, des gantières chez qui l’on est toujours assuré de trouver une pinte de cette fameuse old ale qui a parfois dix années de bouteille et dont un seul verre endormait lord Seymour.

Plus d’une élégante ne va au spectacle qu’avec un flacon de rhum en poche, dont elle s’offre de fréquentes rasades derrière l’éventail. Par les temps froids, dans la rue, elle tient son manchon sur ses lèvres. Or, ledit manchon est «truqué» en biberon contenant du whisky...... d’autres remplacent la bouteille par des bonbons consistant en capsules de gomme remplies d’alcool, et s’en régalent jusqu’à l’ivresse complète.

Miss Emily m’a raconté l’histoire d’une dame qui possédait une magnifique bible de format in-8, à tranches dorées. Ce superbe volume contenait une bouteille de la capacité d’un litre. Cette bonne dame, chez elle comme au temple, ne se servait jamais que de cette sainte bible. Et tout le monde admirait son attachement aux pratiques religieuses. Elle est morte alcoolique, mais elle avait l’ivresse douce, et ce n’est qu’après sa mort que son pauvre mari a découvert quel emploi elle avait fait du recueil des textes sacrés.

Le puritanisme anglais s’arrête devant une bouteille. On a vu plus d’un goutte-man, cédant à l’attraction d’un breuvage enivrant, s’asseoir devant un flacon de brandy, tirer de son carnet sa carte de visite, la placer dans une fente du bouchon, se verser rasade sur rasade, et s’abandonner ensuite au sommeil de l’ivresse. Il y a des professionnels qui se chargent de ramener à domicile les épaves munies de leur pavillon.

Et voilà comment ceux qui boivent trop, trouvent le moyen de donner du pain à ceux qui ne mangent pas assez.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE VI

Encore les Salutistes. Notes de mon amie. Coutumes anglaises. Religion anglicane.

Les salutistes viennent de passer sous ma fenêtre avec leur tam-tam obligé. Cette religion, qui ne peut marcher sans tambour ni trompettes, est d’un grotesque achevé. Décidément cette armée nous poursuit, nous l’avons rencontrée partout. Ces soldats de Dieu, tout habillés de rouge et qui feraient plutôt penser à ceux du diable, portent ici sur le dos et sur la poitrine de grands écriteaux que je n’ai pu lire. On dit que la Suisse les a mal accueillis, elle a même fini par coffrer ces étonnants missionnaires. Du coup les salutistes ont crié victoire et parlent maintenant de leurs valeureux frères comme de saints martyrs.

L’armée du salut, commencée dans l’absurde, finira dans un long éclat de rire. Les salutistes se noient dans le ridicule.

NOTES DE MON AMIE

Autrefois en Angleterre, la veille de Noël (Christmas Eve et non pas Night) était seulement fête de famille.

La veille de Noël on se réunissait chez les grands parents où la jeunesse dansait, jouait à Colin Maillard (Blind Man’s Buff) et on finissait la soirée par «Snap Dragons» plus tard remplacé par la lanterne magique.

Les Snap Dragons consistaient en un plat énorme dans lequel on mettait des raisins secs et des petits fruits confits qu’on plaçait sur une table ronde, dans la salle à manger tendue d’avance de draps blancs. Ensuite toute lumière était éteinte, les enfants, grands et petits étaient invités à entrer. Au dernier moment on versait soit du cognac, soit du gin sur les fruits et on y mettait le feu.

Alors c’était à qui aurait le courage le premier d’en retirer et d’en manger, après avoir dansé la main dans la main autour de la table. Naturellement les flammes donnaient de la lumière, et sur les draps on voyait se refléter les danseurs et ceux qui plongeaient la main dans les flammes. Une fois commencé on continuait ce jeu jusqu’au dernier raisin parmi les éclats de rire et de frayeur.

De notre temps les «Snap Dragons» et «Blind Man’s Buff» sont à peine connus et la veille de Noël est devenue une journée assez fatigante pour les jeunes filles qui font des économies pendant l’année pour pouvoir monter une épicerie pour les pauvres, soit dans la cuisine, le vestibule ou la terre de la maison. Là viennent les personnes âgées auxquelles on distribue des paquets de thé, de sucre, et des épiceries, dont le poids est proportionné au nombre des membres de chaque famille et à ses besoins.

On y glisse souvent de l’argent pour payer le loyer.

Le soir on a l’Arbre de Noël (pour les enfants de la maison) décoré avec des bougies et des lampes de couleur, et sur lequel sont suspendus des cadeaux pour chacun.

On y invite les petits amis qui ont perdu leur mère, ou qui ne sont pas dans une position de fortune suffisante pour avoir un arbre chez eux.

Il y a toujours dans les écoles publiques un arbre de Noël pour les ouvriers et pour les pauvres, une jeune fille aimable tient le piano pendant qu’on distribue les cadeaux, composés d’objets confectionnés, la plupart du temps, par les personnes riches et charitables.

On y trouve des tricots, des vêtements, etc., mais il y a aussi des bonbons et des joujoux.

Autrefois, dans la soirée même du jour de Noël, toute la famille dansait après le dîner, les Messieurs et les Dames les plus âgés commençaient le quadrille. Bien entendu que leur danse ne durait que quelques minutes, c’était ensuite le tour de la jeunesse. La salle de danse était décorée, comme la salle à manger, de fleurs, de verdure, de guirlandes et d’emblèmes formés de houx et de gui; au milieu de la salle il y avait, suspendu au plafond, une grande branche de gui, et si le danseur avait l’adresse de faire passer sa danseuse sous cette branche, il avait le droit de l’embrasser, soit sur le front, soit sur la main, selon l’intimité qui existait. Les fiancés, sous cette fameuse branche, s’embrassaient sur les deux joues.

De nos jours, on danse rarement le jour de Noël, on va à l’église.

Les parents ayant reçu leurs enfants et petits-enfants à Noël, l’aîné des enfants mariés reçoit le jour de l’an.

Le lendemain de Noël s’appelle «Boxing Day» parce qu’on donne ce jour-là, les «Christmas Boxes», ou étrennes.

C’est congé partout, les banques même sont fermées.

Le jour de Noël tout le monde mange Roast Beef, Plum pudding et mince pies, pâtisserie faite à cette saison seulement. Dans les prisons même on en donne et l’on y distribue de la bière et du tabac à priser et à fumer. Dans les classes supérieures les Anglais ont toujours au dîner une dinde farcie, la dinde de Noël, comme à la Saint-Michel ils mangent l'Oie, en souvenir de la destruction de la flotte de l’Armada. La reine Elisabeth était à table en train de manger de l’oie quand on lui annonça la grande nouvelle: La flotte que Philippe II, roi d’Espagne, avait équipée (1588) contre l’Angleterre, venait d'être détruite par une tempête. Depuis ce jour mémorable, tous les bons patriotes d’Angleterre mangent, le 29 octobre, une oie rôtie en mémoire de ce triomphe facile.

J’ai omis de dire que la veille de Noël, Christmas Eve, on entend dans les rues des chanteurs et des musiciens qui vont de porte en porte de minuit à une heure du matin.

Tantôt c’est une harpe qui accompagne les chants, tantôt un violon, quelquefois plusieurs instruments de musique ou bien un harmonium.

On chante Adeste Fideles, Minuit, Chrétiens, et autres cantiques de Noël avec beaucoup de sentiment. Le lendemain, les chanteurs font la quête, quand ils n’attendent pas Boxing Day, congé général pendant lequel tous les magasins sont fermés. Le peuple sort, les riches restent à la maison pour contribuer au bien-être des pauvres, comme je l’ai expliqué plus haut.

On jugerait même défavorablement une personne aisée qui se promènerait pendant ce fameux jour de Boxing Day. On dirait qu’en sortant elle veut ainsi échapper au devoir de faire le bien et de donner des étrennes.

De ces bonnes coutumes anglaises, je passe maintenant à la religion anglicane.

Les nombreuses sectes protestantes qui fleurissent dans le royaume de la Grande-Bretagne, prennent chacune un nom différent, tels que Wesleyans, Baptistes, Calvinistes, Luthériens, etc. On en ferait une liste interminable. Les Anglicans de la Haute et de la Basse Eglise appellent les autres sectes Non-Conformistes et les considèrent hors l’Eglise comme nous-mêmes catholiques considérons les membres des autres religions.

L’Angleterre est le pays du parlementarisme. L’Eglise anglicane est l’humble servante du Parlement, mais elle a aussi son Parlement à elle qu’on appelle «la Convocation». Chaque province ecclésiastique, celle de Cantorbery, aussi bien que celle d’York, a la sienne. La Convocation se composait autrefois de deux Chambres: la Haute, que formaient les évêques; la Basse, constituée par des doyens ou des archidiacres nommés par leurs confrères. L’archevêque est le président d’office de la première; les membres de la seconde élisent leur prolocutor.

Chose extraordinaire cependant, la Haute et la Basse Eglise sont toujours en guerre l’une contre l’autre, et toutes deux ne veulent pas qu’on les regarde comme Protestantes. Les membres de ces deux Eglises reconnaissent qu’Henry VIII et la Reine Elisabeth étaient des personnes indignes, sans foi et sans religion, ainsi qu’Olivier Cromwell et tous ceux qui persécutaient l’Eglise catholique et mettaient à mort ses fidèles.

Les Anglicans de la Haute Eglise ne donnent pas davantage raison aux Catholiques, qu’ils appellent Humanistes, pendant qu’eux-mêmes s’intitulent Catholiques. Ils se montrent très jaloux de ce titre, affirmant qu’ils sont les seuls qui aient le droit de se nommer Catholiques, puisque leur Religion est la même maintenant qu’elle était avant la Réformation, commencée par Luther, sous le Roi Henry VIII, et continuée sous sa fille Elisabeth. Donc, ils ne veulent pas admettre qu’ils soient Protestants, ni appliquer ce terme de Protestants aux Non-Conformistes. Ils déclarent que notre Religion est presque nouvelle, puisqu’il y a eu tant d’innovations depuis le règne d’Henry VIII. Il faut avouer que la Haute Eglise Anglicane ressemble beaucoup à la nôtre. Elle a tous les jours la messe, comme nous l’avons, mais dite en Anglais, d’une haute et intelligible voix. Les fidèles croient à la présence réelle de Jésus-Christ dans la communion. A la place des hosties, chacun en communiant reçoit un petit carré de mie de pain préparé d’avance. Il faut que le pain ait deux jours, et soit fait de farine très fine et très blanche; il est coupé par un instrument réservé pour cela dans la sacristie.

Le prêtre présente un de ces morceaux (qui ressemblent aux dés à jouer,) à chacun des communiants qui, agenouillé devant l’autel, le reçoit de sa main dans la sienne, entre l’index et le pouce, et le porte respectueusement à sa bouche. Ensuite le second prêtre arrive avec le calice qu’il offre à chaque communiant, et il le tient de telle sorte que le vin ne fait qu’effleurer la lèvre supérieure. Il essuie le calice chaque fois, comme chez nous on essuie les reliques qu’on offre à l’adoration des fidèles. Quant aux autres sectes, en dehors de l’Eglise anglicane, les détails de leur croyance seraient trop longs à énumérer ici. En général, les Anglicans les regardent comme nous autres, Catholiques, regardons les Protestants, c’est-à-dire hors de l’Eglise, et ils les nomment Dissenters, ce qui veut dire Non-Conformistes.

Les Dissenters reçoivent la communion le soir, tandis que les Anglicans la reçoivent à jeûn le matin. Les Dissenters la reçoivent assis, autour d’une grande table, rompant le pain et buvant le vin ensemble, en imitation, disent-ils, de J.-C. à la dernière Cène.

Les soi-disants Catholiques font abstinence tout le Carême et tous les vendredis de l’année, et plus sévèrement que nous.

Ils vont à confesse, et n’obtiennent l’absolution qu’après avoir fait d’autres Pénitences que des prières. Il faut qu’on se corrige de telle ou telle faute, ou en partie, avant de recevoir l’Absolution. Aussi prient-ils pour les morts, observant les fêtes des grands Saints, c’est-à-dire de ceux ou de celles dont on trouve les noms, soit dans l’Evangile, soit dans l’Ecriture Sainte, mais ils ne reconnaissent pas les saints de nos jours, tels que Marguerite-Marie, Jeanne d’Arc, et se moquent de la proposition de faire cannoniser Christophe Colomb, qu’ils disent n’avoir jamais été chrétien!

Les Anglicans récitent l'Ave Maria, Hail Mary, en anglais, font le signe de la croix et des génuflexions comme nous les faisons.

Aux fêtes de la Sainte Vierge, de Pâques, de l’Ascension, de Corpus Christi, de la Dédicace des Eglises, de Saint Michel, etc., il y a des processions magnifiques dans leurs églises, avec bannières et chants religieux. Elles se terminent comme dans le culte catholique par la bénédiction. Leurs autels ont le Christ et des cierges allumés comme les nôtres, ils ont aussi des statues de Saints dans leurs églises, le tout si beau, si propre, si soigné, qu’il faut bien l’admirer. Les membres de la Haute Eglise ont également des statues et des objets de piété dans leurs chambres à coucher.

Ils ne se gênent pas pour critiquer nos églises, et se disent très scandalisés de voir le manque de propreté qui règne chez les Romains, en tout ce qui sert à l’usage du bon Dieu, mais par-dessus tout ils blâment les chandeliers qui servent au public pour placer les cierges, et dont on voit couler la graisse. Les Anglicans (prêtres) ne se servent dans l’église que de cierges en cire, jamais de bougies comme on en met dans les nôtres. Si la paroisse est pauvre, on en brûle moins, mais tout est de première qualité, aussi le linge, les rochets des prêtres, les nappes d’autel, etc., sont d’une blancheur immaculée.

La Haute Eglise anglicane a des communautés religieuses, dont les hommes et femmes portent des costumes pareils aux nôtres, et suivent presque les mêmes règles.

J’ai visité pendant mon dernier séjour à Londres, une chapelle anglicane de perpétuelle adoration, et j’y ai vu quatre sœurs en prière devant l’autel. Le prêtre m’a dit qu’il en est toujours ainsi, et que les religieuses veillent jour et nuit devant le Saint-Sacrement exposé.

Les sœurs de charité rappellent les nôtres à s’y méprendre. Les prêtres, comme notre clergé français, mettent une soutane dans la maison, à l’église ils portent des vêtements magnifiques, qui seraient dignes de nos plus riches paroisses.

Ils ne font pas vœu de chasteté, mais tous ne se marient pas. On trouve qu’il vaut mieux éviter les scandales et immoralités qu’on rencontre quelquefois dans les pays catholiques romains, et pour cette raison on les laisse libres. L’Eglise anglicane ne reconnaît que deux sacrements; le Baptême et l’Eucharistie. Son enseignement sur le baptême est le même que le nôtre; et on croit qu’un enfant mourant sans baptême entre dans les Limbes et reste privé de la vue de Dieu.

Le Baptême se fait aussi à l’Eglise, qui a des fonts baptismaux, mais on ne fait pas usage de sel ni d’huile. Le prêtre cependant fait le signe de la Croix sur la tête de l’enfant en le prenant dans ses bras, et en le baptisant, il se sert en anglais des mêmes paroles que celles dont se sert l’Eglise catholique romaine. Le Credo est semblable au nôtre, on y supprime seulement le mot Romain.

Pour un garçon il faut deux parrains et une marraine, et pour une fille deux marraines et un parrain. Il y a une secte en dehors de l’Eglise anglicane (toujours Haute Eglise) qu’on appelle «Baptistes.» Ces Baptistes sont bien entendu Non-Conformistes. Ils ne permettent le baptême qu’à l'âge de vingt-et-un ans, et pour cette cérémonie le néophyte descend dans l’eau jusqu’au cou, s’exposant à prendre froid, ce qui arrive assez souvent. La Haute Eglise a la Confirmation comme nous, mais elle se donne en anglais et non en latin.

La hiérarchie anglicane comprend aussi des vicaires, curés, évêques et archevêques. Les membres de la Haute Eglise font des génuflexions et le signe de la croix comme nous. La grande division entre les catholiques anglicans de la Haute Eglise et les catholiques romains, consiste en ce que les premiers ne reconnaissent pas l'infaillibilité du Pape; sans l’infaillibilité, ils l’accepteraient volontiers comme chef de l’Eglise; ils croient à la Virginité de la Sainte Vierge, mais n’acceptent pas le dogme de l’Immaculée-Conception.

Tout en adressant l'Ave Maria à la Sainte Vierge, ils refusent le scapulaire et ne récitent pas le chapelet, ils n’admettent pas davantage les Indulgences qui, disent-ils, n’existaient pas avant l’érection de l’Eglise Saint-Pierre de Rome, c’est alors qu’on commença à vendre les indulgences pour payer cette gigantesque construction.

Ils croient que tout est possible au bon Dieu, mais ils n’admettent pas facilement les miracles. La fête de l’Ascension est très belle dans l’Eglise anglicane.

Dès la veille, un essaim de jeunes filles décore intérieurement l’édifice de fleurs blanches. Elles se divisent par groupes, qui se chargent de la chaire, des fonts baptismaux, des autels, de l’entrée du sanctuaire. C’est à qui rivaliserait de zèle et de bon goût.

A la fin de la saison, c’est-à-dire vers le commencement d’octobre, il y a un jour consacré aux actions de grâce, qu’on rend à Dieu pour la moisson et les biens de la terre. Ce jour s’appelle Thanksgiving Day, et presque toute la journée il y a soit des messes jusqu’à midi, soit des cantiques chantés en chœur, et répétés longtemps d’avance, soit des prières et des sermons jusqu’à neuf heures du soir; La clôture a lieu d’une manière très imposante: sermon, action de grâces à genoux, cantique chanté par tout le monde, chœurs avec accompagnement d’orgue et Salut. Avant le Thanksgiving day, l’église est délicieusement décorée des biens de la terre, légumes, fruits, fleurs, blés, etc. etc., chacun envoie ce qu’il a de plus beau, telle qu’une énorme grappe de raisins, une pomme prodigieuse, et ainsi de suite de tous les fruits, fleurs et légumes, qu’on arrange avec un goût exquis sur des fonds de mousse et de verdure. Ce sont de ravissantes décorations autour des colonnes et des lustres. Pour l’autel et le sanctuaire on fait des chefs-d'œuvre.

Cette coutume qui a lieu dans toutes les paroisses des villes, villages et bourgs du Royaume-Uni, et chez toutes les sectes, se termine par une sonnerie de cloches jouant des airs pieux, connus et aimés du public. En France, on ne se doute pas de la manière dont on sonne les cloches en Angleterre, et j’ai vu des Français si attendris en les entendant pour la première fois qu’ils en versaient des larmes.

Le lendemain de Tanksgiving Day, les fruits et les légumes sont distribués par des jeunes filles de bonnes familles, aux malades qui n’ont pu assister à la cérémonie, aux hôpitaux, et partout où on sait que ce souvenir de la plus belle des fêtes sera le bien-venu. Les Anglicans envoient leurs dons aux Anglicans; les Non-Conformistes à leur troupeau.

JOURNAL DE SUZETTE

Madame a prolongé son séjour d’une semaine, comme je le craignais, mais en ce monde tout prend fin, notre séjour à Oxford est terminé. J’ai bien employé ma dernière journée. En me levant ce matin mon premier soin a été, comme une bonne anglaise, que je ne suis pas cependant, de me diriger vers le petit déjeûner; à cette heure là les grillades sont chaudes et la bouilloire chante au coin du feu.

De la cuisine on n’entend pas que le chant de la bouilloire, il y a au bout de la rue, un atelier de couture, où les jeunes filles chantent toute la journée, je ne dirai pas comme des fauvettes, non! en général les voix sont peu harmonieuses, on fuit instinctivement. J’ajouterai même qu’il faut avoir les oreilles exercées à la politesse pour écouter patiemment le chant des jeunes misses—c’est une chose étrange comme les femmes ont la voix pointue même en parlant et les hommes au contraire la voix gutturale, surtout quand ils parlent aux animaux on dirait un rugissement. La première fois que j’ai entendu ici le cocher Bob parler à ses chevaux, j’ai eu grand peur.

Après le thé nous sommes sorties. Miss Emily m’a d’abord menée sur le champ de foire où j’ai vu des bestiaux magnifiques; les animaux sont parqués dans des stalles de fer, ce qui permet de circuler facilement sans crainte d'être embroché par une vache ou mordu par un porc: c’est très ingénieusement installé; nous n’avons rien de semblable en France.

Ensuite je suis encore allée voir une cérémonie religieuse, la communion à une église protestante. Les fidèles ôtent leurs gants en entrant et restent à genoux pendant tout l’office, le ministre se tient à un autel dans le genre des nôtres et récite des prières tout haut, puis le moment de la communion venu, tout le monde se dirige vers l’autel, où deux ministres tiennent l’un un bassin d’argent contenant le pain, l’autre une timbale de même métal contenant le vin. La timbale passe de lèvre en lèvre, sans que personne manifeste le moindre dégoût, quand tout le monde a été pourvu, l’officiant consomme le reste.

Oxford a des religieuses protestantes habillées comme les nôtres—les règles de leur couvent sont aussi une imitation des institutions catholiques. En revenant, Miss Emily et moi, nous en avons croisé une dans la rue. Cette religieuse nous a saluées très poliment. Je me demande encore en l’honneur de quel saint cette révérence à des personnes qu’elle ne connaît pas.

Je terminerai mon journal d’aujourd’hui par un trait qui montre l’Anglais sous son vrai jour.

Hier, une amie de Miss Emily, femme de charge d’une grande maison, et qui parle aussi français, m’a dit soudain, que pensez-vous des Anglais? Cette question à brûle-pourpoint m’a d’abord un peu interloquée et j’ai cru être fort aimable en répondant, je pense qu’ils valent bien les Français, et vous que pensez-vous des Français?

«Oh my dear les Anglais n’ont pas de supérieurs ni même d’égaux dans tout l’univers, voilà ce que nous pensons!

O les orgueilleux! O les snobs! ces petitesses-là ce sont leurs pieds d’argile...

Les mœurs anglaises sont pleines d’hypocrisie. On crie Shoking! bien haut, pour rien, quand cela se voit, tandis qu’à l’intérieur de sa conscience, on entasse des montagnes de fautes sans sourciller.—J’avais entendu dire que la pruderie britannique cache ses vices sous des dehors affectés, rien n’est plus vrai.

JOURNAL DE MADAME

CHAPITRE VII

Dîner d’adieu.—Une partie de foot-ball.

Ma bonne amie a donné hier, en mon honneur, un grand dîner d’adieu. Repas pantagruélique, où j’ai encore été à même d’apprécier le brillant appétit des ladies et des gentlemen anglais. Ils mangent comme des ogres; ce besoin continuel de se sustenter doit tenir à l’air qu’ils respirent.

Le climat qui ronge d’une façon si étrange les monuments, rongerait-il aussi l’estomac? Suzette prétend qu’elle est constamment altérée et affamée. Si je restais plus longtemps à Oxford, je finirais par être comme elle, j’arriverais aux cinq repas que font consciencieusement les Anglais, tous les jours. L’hiver, c’est le froid qui les fait dévorer, et l’été, c’est le chaud. Le fait est que la chaleur molle et lourde abat complètement, et de toutes façons il faut bien se redonner des forces.

L’après-midi, j’avais assisté à une partie de foot-ball. On aime les jeux de force brutale en Angleterre. Le foot-ball y est fort en honneur, principalement au célèbre collège de Rugby, où sont précieusement conservées les traditions de ce jeu national.

Il y a deux manières de jouer le foot-ball, soit à la mode de Rugby, soit à la mode de Londres, où réside l’association pour la réforme un peu adoucie de ce jeu trop sauvage, comme la soûle en Bretagne.

«A Rugby, c’est le jeu dans toute sa barbarie, tel qu’il a été légué aux Forwards d’à-présent par les jeunes athlètes du temps des Stuarts, des Lancastres et des Tudors. Le foot-ball ou balle au pied, sur laquelle se ruent les lutteurs des deux camps pour l’envoyer d’un coup de pied vers le but adverse, le vrai, le pur, le traditionnel foot-ball de Rugby autorise la mêlée, le corps-à-corps, l’usage des pieds, des mains, de la tête, scrummage et hacking, c’est-à-dire bagarre et coups de souliers dans les tibias! Comme on le voit, il n’y a pas moyen pour les jouteurs de s’ennuyer un seul instant!

A Londres, sans aller jusqu’à faire revivre les édits protecteurs de 1314, de 1349 et de 1401, l’Association n’admet que l’emploi des membres inférieurs. C’est un progrès. Il est défendu de se casser autre chose que les jambes, n’importe laquelle par exemple. Le code n’a pas prévu de préférence.

Le foot-ball est la contre-partie, le contraire d’un sport régulier. Il prête aux abus de la vigueur individuelle, à tous les vices inhérents aux mêlées confuses. Enfin, sans parler des blessures graves, fractures et contusions qui sont innombrables, les cas de mort subite ne sont pas rares non plus, par suite d’étouffement, de compression viscérale ou d’épuisement.»

Le journal médical anglais, le Lancet, donne la statistique suivante des accidents occasionnés par ce jeu. L’année dernière, de septembre à janvier, on a compté: treize morts, quinze fractures de jambes, quatre bras cassés, onze nuques démolies, une joue crevée, un nez abîmé, etc.

Ici on jouait le foot-ball de Londres, mais c’est égal, qu’est-ce qu’un plaisir qui vous inquiète au lieu de vous amuser? Je fais des vœux pour que le foot-ball ne pénètre pas en France, à la suite du crocket et du lawn-tennis.

JOURNAL DE SUZETTE

Nous partons après demain. Que j’en suis heureuse! je me sens légère comme l’oiseau qui ouvre ses ailes, gaie comme l’oiseau qui reprend sa liberté. J’aurais fini par devenir morose comme la petite fermière de Madame, un enfant de huit ans qu’on avait amenée au château pendant une très grave maladie de sa mère.

Au bout de trois jours elle ne riait plus, au bout de quatre elle parlait à peine, au bout de cinq elle pleurait.

—Mais mon enfant tu es bien soignée ici.

—C’est vrai, mais je voudrais retourner chez nous.

—Tu as une belle chambre, des jeux.

—C’est vrai, mais je voudrais retourner chez nous.

—Madame est bien bonne pour toi.

—Bien bonne, c’est vrai, mais je voudrais retourner chez nous.

Chère petite, elle ne voyait rien au-dessus de l’humble foyer qui était son chez elle. Je comprends cela; moi aussi je suis bien soignée, j’ai une jolie chambre, je ne fais que me promener, et pourtant j’aime mieux travailler et retourner chez nous, chez nous en France.

Nous reviendrons par Douvres et Calais, j’en suis bien contente, je préfère la vapeur sur terre à la vapeur sur mer.

JOURNAL DE MADAME

Ce n’est pas sans émotion que je vais quitter mon excellente amie, mais c’est sans regret que je quitterai l’Angleterre. Sans doute on trouve parmi les Anglais, pris individuellement, des gens charmants, pleins de courtoisie et d’amabilité, de distinction et même de cœur, mais la nation anglaise, à l’abri de ses remparts liquides, s’enferme de parti pris dans un superbe isolement; ne pensant qu’à soi, elle garde ses coudées franches pour ne faire aucune alliance qui puisse la compromettre, c’est-à-dire l’entraîner à combattre dans l’intérêt des autres. Personne aussi n’aime «ce peuple amphibie, qui gouverne la terre par la mer.»

La France ne peut aimer son ennemie séculaire, la perfide Albion, les autres Etats d’Europe s’en méfient, et les Américains ne professent aucune sympathie pour les Anglais. «Vous ne les verrez jamais caresser la crinière du Lion britannique; non, leur plus grand amusement est de lui tortiller la queue.» Mais assez de réflexions sur Old England, je reviens à mon amie. C’est demain que doit sonner l’heure de la séparation...

Comme le temps passe vite dans l’intimité d’une femme aimable et bonne. L’amabilité, la bonté n’ont pas d'âge, je dirai même qu’elles sont toujours jeunes et belles, c’est un rayonnement de l'âme.

Mon amie est très connue et très aimée à Oxford, elle fait le bien d’une main généreuse et discrète. Il y a trois choses chez elle qui ne sont jamais fermées: sa porte, sa bourse et son cœur.

Voilà une femme qui doit certainement se coucher tous les soirs avec la conscience satisfaite d’un Titus qui n’a point perdu sa journée.

J’emporte les meilleurs souvenirs. On est heureux d’avoir vu les lieux qu’habitent ceux qu’on aime, on vit leur vie par la pensée, on les retrouve dans leur intérieur, on les suit dans leurs habitudes, et l’on se sent plus rapproché d’eux.

La sympathie, la véritable amitié sont rares, il est bien doux de se connaître des cœurs acquis et de savoir à soi-même ses sentiments d’affection bien placés.

J’ai visité des terres charmantes, j’ai vu la plus grande ville du monde, j’ai joui des douceurs de l’amitié. Mon voyage s’est accompli sans ennuis, sans mésaventures, sans trop de fatigues, et ma plus grande joie après tous ces plaisirs, c’est de rentrer chez moi. C’est ici le cas d’appliquer le proverbe anglais qui sera toujours vrai:

There is no place like home.

JOURNAL DE SUZETTE

Je ne m’attendais pas à cette douloureuse surprise, notre traversée si courte a été affreuse!

Nous avons d’abord voyagé en chemin de fer, aperçu rapidement plusieurs comtés, les uns aux campagnes riches, bien cultivées, vraiment superbes; les autres, steppes de landes, de bruyères, de sapins, qui m’ont rappelé certaines parties de la Bretagne.

Au demeurant, l’Angleterre est un pays étrange. En général, la campagne est belle et paraît triste, les villes sont très peuplées et manquent d’animation.

Vive! Vive, notre gaie France!

A neuf heures du soir, nous montons à bord, à minuit, nous démarrons. La mer est calme. Il y a beaucoup de passagers, et moins de passagères, sept dames frisées comme des chérubins sont mes compagnes de voyage.

Au fur et à mesure que nous gagnons la pleine mer, le vent se lève et souffle avec furie. Le bateau danse effrayamment, et un sourd grondement se fait entendre sous les flots. Vers une heure, la tempête est à son apogée. Tantôt le bateau s’élève sur la crête des lames immenses, tantôt il pique une pointe terrible dans l’abîme, où il semble prêt à disparaître, sous les vagues démesurément hautes, qui l’accablent.

Le mal de mer fait des ravages, les dames gémissent, les toilettes sont en désordre et les beaux cheveux défrisés. Je pense que je suis trop impressionnée, trop effrayée pour être malade. Madame garde son sang-froid, mais je vois qu’elle est inquiète. A une heure et demie, la mer de plus en plus irritée entre en démence. Je fais mon acte de contrition, persuadée que c’est fini, la mer sera mon tombeau...

L’orage illumine l’air, les lames se dorent de lueurs phosphorescentes, bientôt la pluie tombe à torrents, le vent va faiblir. Le ciel a pitié de nous.

Vers deux heures, l’accalmie se produit. Je reprends courage.

Nous sommes maintenant bien près de nos côtes. On aperçoit leurs feux qui éclairent la nuit. Nous sommes sauvées! On jette l’ancre, le navire accoste, les passagers débarquent. Salut, France! noble terre, douce patrie...

Ce soir, jour béni, je serai de retour en Bretagne, mon cher pays, ma vraie patrie, puisque c’est là qu’habitent tous ceux que j’aime. Mon Dieu, je vous rends grâce!

SUZETTE.

TABLE

 
SOUVENIRS DE VOYAGE
 
Suisse 7
Allemagne73
Belgique99
Rentrée en France112
 
VOYAGE EN ANGLETERRE
 
Jersey117
Guernesey      171
Sercq182
Retour à Guernesey192
Londres205
Windsor255
Oxford261

Errata (déjà corrigés)

Page 15, ligne 22.—Au lieu de Rien de beau je ne vois, lisez: Rien de bon je ne vois.

Page 26, ligne 17.—Au lieu de Ce soleil, lisez: Le soleil.

Page 205, ligne 1.—Au lieu de Le sort est jeté, lisez: Le sort en est jeté.

Page 212, ligne 4.—Au lieu de Picpokets, lisez: Pickpockets.

Page 232, dernière ligne.—Au lieu de Dieu est, lisez: Dieu ait.

IMP. A. BOUTELOUP

Erreurs corrigées:
châteaux princiers. Quelles richesse!=> châteaux princiers. Quelle richesse! {pg 10}
le fourmillement des infiniments=> le fourmillement des infiniment {pg 17}
me plait beaucoup=> me plaît beaucoup {pg 19}
célèbre historien prostestant Génevois=> célèbre historien protestant Génevois {pg 19}
d’un magifique panorama=> d’un magnifique panorama {pg 24}
chaleur communative=> chaleur communicative {pg 28}
d’où la vue est plendide=> d’où la vue est splendide {pg 32}
les autels richements doré=> les autels richement doré {pg 54}
d’un côté de hauts escaler=> d’un côté de hauts escalier {pg 56}
serpent qui tire a corde=> serpent qui tire la corde {pg 57}
son entrée dan la salle=> son entrée dans la salle {pg 57}
le type bien connus des chalets=> le type bien connu des chalets {pg 64}
c’est la coqueterie des=> c’est la coquetterie des {pg 64}
je lis inscrutée=> je lis incrustée {pg 65}
tourner en chisme=> tourner en schisme {pg 68}
le richissisme M. Osiris a fait=> le richissime M. Osiris a fait {pg 72}
Après l’insurrection vancue=> Après l’insurrection vaincue {pg 112}
pour cent vingt quatiers=> pour cent vingt quartiers {pg 123}
ce vieux geôlier de la Méditerrannée=> ce vieux geôlier de la Méditerranée {pg 132}
rempli de navire de tout tonnage=> rempli de navires de tout tonnage {pg 136}
qu’il exclut la monotomie=> qu’il exclut la monotonie {pg 143}
Corbière et le promontoir de=> Corbière et le promontoire de {pg 169}
Je tiens absolument à voir l'île de Serq=> Je tiens absolument à voir l'île de Sercq {pg 182}
les caresse de la vague=> les caresses de la vague {pg 182}
Je ne pourais rien dir=> Je ne pourrais rien dir {pg 186}
une ne heure=> une heure {pg 183}
il est dangereux de s’y avanturer=> il est dangereux de s’y aventurer {pg 189}
de Jersey, de Guernesey d’Aurigny=> de Jersey, de Guernesey ou d’Aurigny {pg 191}
descriptions enthousiastes; les rodhodendrons=> descriptions enthousiastes; les rhododendrons {pg 193}
avec un zèle remarqable=> avec un zèle remarquable {pg 206}
au commerce maritime; Soutwark et Lambeth=> au commerce maritime; Southwark et Lambeth {pg 214}
Pall-Mall, Portland, Holborn, le Stand et=> Pall-Mall, Portland, Holborn, le Strand et {pg 214}
de Kensington, de Carltou-House=> de Kensington, de Carlton-House {pg 215}
Pour tout ce qui est futil et charmant=> Pour tout ce qui est futile et charmant {pg 220}
j’ai rencontrés aujourd’hui m’on lancé ce brocar=> j’ai rencontrés aujourd’hui m’ont lancé ce brocar {pg 221}
résumants les sentiments qui l’animaient=> résumant les sentiments qui l’animaient {pg 230}
miss m’a enmenée à Sydenham voir=> miss m’a emmenée à Sydenham voir {pg 231}
nous avous parcouru une galerie=> nous avons parcouru une galerie {pg 232}
scènes de la Bible sont également fort beau=> scènes de la Bible sont également fort beaux pg 238}
Le Bristish-muséum, est un beau monument=> Le British-muséum, est un beau monument {pg 239}
qu nous avons empruntés=> que nous avons empruntés {pg 247}
de Rossinante l’idéal coursier de Don Guichotte=> de Rossinante l’idéal coursier de Don Quichotte {pg 250}
Les restauraurants servent=> Les restaurants servent {pg 252}
les gares de Londres toute les 24 heures=> les gares de Londres toutes les 24 heures {pg 252}
en frappant de toutes ses force sur une bible=> en frappant de toutes ses forces sur une bible {pg 269}
Le fameux wisky est détestable à mon goût=> Le fameux whisky est détestable à mon goût {pg 271}
ils ont eu pied, et on regagné=> ils ont eu pied, et ont regagné {pg 282}
Voilà probablement pourquoi ont boit tant dans=> Voilà probablement pourquoi on boit tant dans {pg 283}
sur la poitrine de grands écritaux que=> sur la poitrine de grands écriteaux que {pg 285}
dans lequel on mettait des raisins secs et petits=> dans lequel on mettait des raisins secs et des petits {pg 286}
De notre temps les «Snap Dragons» et «Blin Man’s=> De notre temps les «Snap Dragons» et «Blind Man’s {pg 286}
La reine Elisabeth était à table en train de manger de lo’ie=> La reine Elisabeth était à table en train de manger de l’oie {pg 289}
de l’entrée du sancuaire=> de l’entrée du sanctuaire {pg 296}

NOTES:

[1] Je n’avais pas tort. Voici ce que j’ai lu dernièrement dans le Courrier de Genève:

Vaud.—Le Grand Conseil s’est réuni lundi soir en session ordinaire d’automne. Il a d’abord liquidé deux interpellations, la première de M. Paul Vulliet relative à la disparition, par suite de travaux exécutés au château de Chillon, des traces de pas de Bonivard autour de la colonne à laquelle il avait été enchaîné.

En réponse à cette interpellation, M. Vicquerat donne lecture d’un rapport du directeur de la restauration.

Ce rapport établit que les traces en question n’ont jamais été creusées par les pas de Bonivard; ensuite que ces traces sont rafraîchies chaque hiver, alors que les étrangers sont peu nombreux, à l’aide de pelles et de pioches, et d’ailleurs ces traces ont été rétablies depuis le dépôt de l’interpellation.

Comme on le voit il est aussi fort bon de raffraîchir l’histoire.

[2] Les années ont passé, mais les sentiments que j’éprouvais alors n’ont pas changé. La guerre est une œuvre impie, le plus terrible des fléaux, le plus épouvantable des malheurs, c’est le châtiment de Dieu! D’après des documents réunis depuis, il résulte que la guerre de 1870 a coûté à la France et à l’Allemage: deux cents mille morts, cinq cents mille blessés et quinze milliards de francs!

[3] Autrefois on disait: «Pas d’argent pas de Suisses,» aujourd’hui on peut toujours dire la même chose: Pas d’argent pas de Suisse, il faut en avoir beaucoup pour y aller. Une statistique de La Zuricher Post constate qu’en 1892, les étrangers ont passé en Suisse cinq millions huit cent cinquante-neuf mille cinq cents journées d’hôtel, ce qui leur a coûté soixante-dix millions trois cent quarante-et-un mille francs.

De plus, on compte que les mêmes touristes ont dépensé environ quarante millions pour leurs voyages en chemin de fer, bateau à vapeur, voie funiculaire et à crémaillère, tramways, etc. C’est un beau denier pour un si petit pays.

[4] Cet admirable monument fut érigé en 1821. Le dessin est du grand maître Thorwaldsen, la sculpture de l’artiste Lucas Ahorn de Constance.

[5] Depuis cette année terrible, le richissime M. Osiris a fait don à la ville de Lausanne de la statue de Guillaume Tell, d’une valeur de cent mille francs, œuvre du sculpteur Antonin Mercié, en souvenir de l’accueil hospitalier fait par la Suisse à l’armée de Bourbaki, en 1871.

«Cette noble figure de Guillaume Tell sera pour les siècles futurs une belle preuve que la France se souvient et qu’elle a voulu le prouver en gravant dans le marbre sa reconnaissance.»

Un autre monument rappelle encore la généreuse intervention des Bâlois et des Zurichois lors du siège de Strasbourg, ce monument est de Bartholdi.

Il a pour inscription «La Suisse secourant les douleurs de Strasbourg.»

Il représente la ville de Strasbourg blessée au cœur, tenant par la main un enfant en guenilles, que la Suisse protège en le couvrant de son bouclier.

[6] Ce manuscrit fait partie des collections de M. Guitton de la Villeberge, d’Avranches.

[7] Expression correspondante à notre expression française, avoir un coup sous le bonnet.

[8] Extrait du Petit Journal.

[9] Nous dirions aujourd’hui: au Transvaal, en Arménie, en Egypte.

[10] Hélas! ces beaux jours sont passés; la maréchale Booth est morte depuis et ce fut un évènement. On lut à cette époque dans les journaux:

Une dépêche de Londres nous annonce la mort de Madame Booth, femme du «général» chef de l’Armée du salut.

C’est en 1865 que le révérend William Booth, père de la maréchale, né à Nottingham le 10 avril 1829, eut l’idée de fonder, en prenant modèle sur l’organisation militaire, l’association chrétienne qui, grâce à l’énergie de son fondateur, obtint une si rapide extension.

Madame Booth, avec beaucoup d’enthousiasme, seconda puissamment les efforts de son père. Elle publia plusieurs brochures qui furent répandues dans tous les pays.

Madame Booth, accompagnée de son mari dans ses «campagnes» réchauffait le zèle des prosélytes «officiers et soldats.»

On fait de grands préparatifs en vue de ses funérailles:

La veille un service divin sera célébré à Olympia, où l’on a placé vingt-quatre mille chaises. Tous les soldats de l’armée du salut présents porteront un brassard en signe de deuil.

Le cercueil sera surmonté de la croix de l’Armée du salut et portera cette inscription: «Catherine Booth, mère de l’armée du salut. Née le 17 janvier 1829, morte le 4 octobre 1890. Plus que victorieuse!»

Pauvre femme! Son orgueil de prêtresse nouvelle confinait à la folie. Elle officiait solennellement, mariait et baptisait ses disciples. Elle n’était plus une simple prédicante, elle s’était instituée le grand-prêtre, le pontife suprême de son église.

Que Dieu ait pitié de son âme.

[11] Depuis l’époque où ce journal a été écrit (1885), Londres s’est fort agrandi en population et en étendue. On se moque parfois de la statistique, on a tort, elle rend service. Appuyée sur les chiffres et les faits, elle maintient la vérité et donne une juste idée des choses. A l’heure actuelle, voici les renseignements que Le Cosmos donne sur la ville de Londres.

La surface de Londres est de 441.559 acres anglaises, représentant une étendue de 176.623 hectares 60 ares. Plus grande que celles de Paris, New-York et Berlin réunies!

Tous les habitants d’Edimbourg pourraient s’asseoir dans les théâtres et cafés-concerts de Londres et il y aurait encore 20.000 sièges de libres.

La population de Londres est aujourd’hui de 5 millions et demi d’habitants, elle augmente de 105 000 âmes par an, et l’on a calculé que dans 45 ans elle serait de 10 à 12 millions, en progressant chaque année dans les mêmes proportions.

Il y a 700 abreuvoirs pour les animaux.

Les restaurants servent 950.000 déjeûners par jour.

Il y a 1.000 bureaux de poste, 600 hôtels, 7.600 cabarets qui placés côte à côte, iraient de Londres à Portsmouth, 12.000 bateaux de plaisance sur la Tamise, dont la population flottante s’élève à elle seule, à 300.000 personnes.

La longueur des lignes de trammway atteint 226 kilomètres (et on ne trouve des tramways que dans les quartiers excentriques de la ville); celle des rues mises bout à bout donne le joli chiffre de 11.250 kilomètres.

Les rues sont éclairées par plus d’un million de réverbères.

Il passe devant Mansion House, la résidence du lord-maire, 300 omnibus par heure, et dans Cheapside, la rue principale de la Cité, au bout de laquelle se trouve Mansion House, il défile 23.000 chevaux en 12 heures.

En voulez-vous encore, des chiffres? Voici: 60.000 femmes gratte-papier, 12.000 employés de théâtre, 34 à 35 mille médecins environ, 5.000 dentistes. Hein! 40.000 familles vivant des maladies des autres, sans compter les pharmaciens. C’est assez joli.

Il naît 400 enfants par 24 heures; il y a 100.000 ouvriers de nuit, 200.000 domestiques; chaque jour il est fumé plus d’un million de cigarettes, et plus de 200.000 cigares. On fabrique 90.000 pianos par an.

La quantité d’eau bue journellement formerait un lac de 570 mètres de long, de 182 mètres de large et d’une profondeur uniforme de 1m,82.

On a calculé (comment, les savants vous l’expliqueront), que le vaste nuage de fumée en suspension sur Londres pèse 304.500 kilog. dont 50.750 kil. de poussière de charbon et 253.750 kil. d’hydrocarbure.

2.200 trains quittent les gares de Londres toute les 24 heures. Entre 10 heures du matin et 11 heures du soir, 1600 trains partent chaque jour, pour les divers terminus de l’intérieur de la ville, ce qui représente plus de 120 trains à l’heure ou 2 trains à la minute, non compris les trains du Métropolitain et du Métropolitain District.

En chiffres exacts, la capitale de l’Angletere, compte 5.635.332 habitants; plus que le Portugal, autant que la Suède, presque autant que la Belgique.

Londres a deux fois plus d’habitants que le Canada, qui est grand comme l’Europe entière, et un million d’habitants de plus que l’Australie.

[12] On cite comme venant après ce service, celui du palais impérial de Saint-Pétersbourg, et le service à dessert de Sèvres, de Lord Oxenbridge, qu’on estime 250.000 francs.

[13] Dernièrement, le grand juge d’Angleterre (Lord Chief Justice), lord Russell de Killowen, qui est Irlandais et catholique, est entré dans la salle d’audience, portant une magnifique touffe de trèfle sur sa robe rouge fourrée d’hermine.


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