Aymeris
Épilogue
ÉPILOGUE
EN 19... à Rome, je marchais le long du trottoir, dans une petite rue qui aboutit à la place d’Espagne, quand, immobilisé par la foule, j’aperçus un landau arrêté où une dame peignait. Le cocher écartait avec son fouet quelques gamins qui s’apprêtaient à grimper sur les essieux. C’était Mrs Merrymore. Elle tourna la tête, me vit et, comme je la saluais, me fit de la main un gentil appel. Je m’avançai avec la seule intention d’être courtois, et comptant à peine lui parler d’Aymeris dont je n’avais point eu de nouvelles depuis la mort de James. Après m’avoir confié la garde de ses cahiers et de son journal, Georges avait disparu; aucun de nos camarades ne l’avait revu, sauf peut-être Darius Marcellot, pensions-nous, qui entourait de mystère un séjour dans une maison de repos, en Suisse. Notre ami aurait, aussi, fait une cure à Wiesbaden chez un neurologue célèbre, puis en certaine villa au bord du lac de Constance, où Mrs Merrymore aurait établi le malade, avec défense de lire, d’écrire, de travailler d’aucune façon.
—Asseyez-vous près de moi,—me dit Mrs Merrymore, un peu hésitante et confuse.—Vous n’interrompez pas un bien bel ouvrage, car je suis ici, comme gardienne, à petite distance de Monsieur Aymeris; dans ces conditions, je ne fais rien de bon!... Monsieur Aymeris est là, dans une victoria, genre d’atelier dont il a pris le goût à Londres, quand il exécutait sa série «Heures de la Tamise». Je le préviendrai que vous êtes à Rome... J’espère qu’il consentira à vous voir, mais j’aimerais mieux que ce ne fût pas encore ce matin, ni dehors... Il a laissé pousser sa barbe, il est tout blanc, porte des lunettes qui le défigurent et il se croit «inreconnaissable». Il vient d’être si malade que je ne suis jamais tranquille. Heureusement, il est dans une période de production, il fait même des choses très intéressantes, des études pour une autre série des grandes villes. Mais il ne vous montrera rien: il ne montre plus sa peinture. Monsieur Marcellot espère qu’il se décidera à exposer un ensemble, probablement en Amérique ou en Allemagne... il ne s’agirait ni de Londres, ni de Paris, lieux trop pleins de souvenirs pénibles et où l’étonnante évolution accomplie par Monsieur Aymeris depuis son dernier chagrin dérouterait ceux qui l’ont toujours connu: douteraient-ils de sa sincérité?
Je demandai à Mrs Merrymore si c’était sous son influence qu’il avait tant «évolué». Elle m’assura qu’elle n’en exerçait aucune sur lui, que cette transformation datait de Florence; mais je devinais trop qu’elle aussi, et dès le début de ses relations affectueuses avec notre ami, par son silence avait incité Georges à douter de ses qualités les meilleures, selon moi, et qui étaient une vision directe de la nature, une expression naïve, sans «cérébralité» ni littérature.
Mrs Merrymore, tout en causant, observait Georges; il faisait poser, sur la margelle de la fontaine centrale, des enfants et des hommes. Les fleuristes, sous de vastes parasols et des tentes, complétaient leurs étalages; le soleil embrasait les maisons rouges qui bordent les marches de l’escalier par lequel on monte de la piazza à la Trinita dei Monti, un des rares aspects immuables de Rome, en dépit de la municipalité et de la civilisation.
Mrs Merrymore reprit:—Oui, Monsieur Aymeris se livre à une interprétation très libre de ses modèles, il déforme la nature; d’ailleurs Rome l’inspire moins que Venise et Naples, où nous nous rendrons bientôt. Nous sommes en route, partis de Provence où nous avons passé l’hiver. Depuis que je vous ai vu, Monsieur Aymeris est devenu voyageur, de sédentaire qu’il fut toujours, comme vous autres Français, et si j’exerce sur lui quelque influence, ce serait en ce qu’il se déplace plus volontiers. Je lui prouvai que tout, sur terre, est facile à atteindre, que l’hôtel est la véritable habitation des hommes de notre temps.
Je me retirai sans avoir eu l’adresse d’Aymeris, Cynthia ne me l’ayant pas apprise, et ne m’invitant point à ce que je m’en informasse. Un soir, dans une trattoria du Transtevere, comme je commandais un repas à l’italienne, dans la salle commune où des bourgeois et des artistes mangeaient leur «minestrone» et leurs «spaghetti», en lisant le Corriere della Sera ou la Tribuna, le patron, Giuseppe, me fit un signe, de l’épaule, et désignant le coin d’où partaient des cris et des rires:—Monsieur ne connaît pas l’artiste parisien qui dîne avec ces messioûs de la Secezione? Messioûs les foutouristes sont mes clients, je leur réserve un salon à part.
Il nomma Aymeris parmi eux et, en me retirant de bonne heure, j’aperçus dans une épaisse fumée de cigares, Georges et Cynthia au milieu des coupes de vin mousseux et de douzaines de bouteilles à l’enveloppe de paille; un jeune homme qui ressemblait à un Christ tenait un discours, sans doute révolutionnaire. J’écoutai, mais ne compris pas très bien. Georges, à ce moment, sortit, traversa le couloir au bout duquel je m’attardais en curieux sous un bec de gaz; je reculai dans l’ombre; Georges vint à moi:—Quelle chance! me dit-il. Ne te cache pas. Puisque tu es ici, tu vas nous délivrer, mon amie et moi, de ces bougres-là! Je ne suis plus assez robuste, ni jeune, pour ces repas bruyants qui durent jusqu’au matin. Puisque je te tiens, allons faire un tour avec Cynthia vers le Colisée, c’est aujourd’hui pleine lune... Dis donc: j’espère que tu n’as pas lu mes élucubrations? Qu’as-tu fait de mes «cahiers»? D’ailleurs ce ne sont pas les vrais.
Aymeris était en effet méconnaissable, il avait vieilli de vingt ans. J’avais lu son journal qui m’expliquait «bien des choses»—mais... à sa façon. Il y avait en lui de l’histrion et du simulateur.
Une fois dehors, nous nous perdîmes dans les ruelles noires, il pleuvait un peu; Cynthia voulut rentrer à son hôtel, nous l’accompagnâmes; puis le ciel s’éclaircissant, Georges et moi déambulâmes à l’aventure. Nous fûmes soudain au Pincio où, las de notre marche, nous nous assîmes sur un banc d’où l’on découvrait toute la ville basse, les dômes, comme un troupeau dont Saint-Pierre serait le berger, sous la coupole bleue du ciel que la lune éclaircissait, assombrissait, selon le caprice des nuages. C’était en avril, il faisait chaud et orageux.
Je me rappelle très bien, et notai hâtivement ce que me dit Georges Aymeris pendant toute la nuit, car l’aurore nous retrouva là sur ce même banc. Ce fut l’une des dernières conversations longues, fraternelles, paisibles, que nous devions avoir ensemble. Georges me raconta, cette nuit-là et les suivantes, la plupart des choses que je sais sur son enfance et sa jeunesse, ce que son journal ne mentionne pas; dès lors, j’eus, plus qu’avant, la certitude qu’il n’aurait jamais dû quitter Paris, ni sa maison; partout ailleurs, il était un errant, point à la façon de ces étrangers, de ces Anglais, surtout, qui emportent leur «home» dans une valise, en quelqu’endroit où ils campent—mais un pauvre homme qui cherche à mille lieues ce qui était sous sa main; un déraciné volontaire; intelligence en déroute, dédaigneuse ou ignorante de l’élémentaire hygiène, qu’après la Règle de Passy sa maturité tardive et incomplète rejetait. Dès que le besoin d’être aimé l’emporte sur la puissance d’aimer, l’homme qui exige de la part des femmes ce que peu d’entre elles sont capables de donner, celui-là se met sous leur tutelle, ou simplement, s’il cesse soudain de leur rappeler qu’il est le maître, devient la victime de sa tendresse.
Trop de fois, comme il lui fallait prendre une décision et que je l’en hâtais, je l’avais entendu répondre un «oui» brusque et indifférent, dont je sentais la politesse et la fragilité, ce «oui» étant contraire au désir de Georges. Je savais qu’un «non» invaliderait demain cet acquiescement; en définitive, rien ne le contraignait à agir contre sa volonté... Ce dont il se cachait ensuite plus par crainte que par orgueil. La multiplicité de son point de vue chargeait son discours, comme feraient des poids presque égaux dans les plateaux d’une balance folle.
Nous étions près de la villa Médicis, que deux pensionnaires, un peintre et un sculpteur, avaient fait visiter à Aymeris, où ils avaient voulu l’attirer pour recevoir ses conseils. Georges pour qui ces jeunes gens étaient dépourvus de toute compréhension artistique, leur avait dit gravement, après une rapide inspection de l’atelier:—Vous savez, moi, je crois au futurisme! Quittez cet antre du «passéisme».
Avec le statuaire, il avait émis, sardonique:—Etudiez donc les monuments funéraires, au Campo Santo de Gênes. La sculpture n’a plus d’emploi ailleurs que sur les tombes où l’on peut vêtir, à la mode du jour, des pleureuses et des veuves inconsolables. Ou bien, devancez les futuristes... la statuaire de demain se fera en boîtes à sardines et ressemblera plus ou moins à la mécanique. Il y a des Russes qui y réussissent assez bien... Connaissez-vous l’illustre Archipenko?
Et comme quelqu’un voulait lui faire entendre la musique d’un autre pensionnaire compositeur:—Est-il «bruitiste»? avait interrogé Georges. Sinon, indésirable!
Ces propos ayant été rapportés aux camarades et au Directeur de l’Académie, l’on pria Aymeris de ne plus venir troubler le sommeil sans rêves des lauréats qu’envoie la République sur les bords sacrés du Tibre. Georges, qui aimait Rome passionnément, Rome qu’il avait connue tard et après toutes les autres villes de l’Italie, il la voyait comme cette rue de Montmartre qui passe sur un cimetière: la rue Caulaincourt devenait pour lui un symbole que son ironie appliquait à lui-même, dans sa crainte que notre époque ne produisît plus rien avant qu’un cataclysme cosmique ne redonnât au genre humain les yeux d’un nouveau-né.
Je ne lui parlai pas sans malice des «futuristes» italiens, du manifeste de Marinetti, sachant, depuis le dîner à la trattoria, qu’il les fréquentait; et même, quelqu’un me l’avait dit, ses tableaux marquaient des déformations saugrenues.
Il s’écria, d’un ton dont je ne savais parfois s’il était sérieux ou ironique:
—L’Art contemporain est semblable au Forum et à ces ruines que le Professore Boni commente devant les touristes allemands. Regarde autour de toi, considère la Ville aux Sept Collines, superposition de terres faites de briques, de pierres et de marbres amalgamés par les siècles. La Chapelle Sixtine se lézarde, elle s’effondrera bientôt. Ce ciel au-dessus de nous est si beau, ce soir! Michel-Ange y compta quelques étoiles de plus ou de moins qu’un astronome n’en compterait aujourd’hui, et c’est le même firmament où des mondes apparaissent et disparaissent, qu’importe? La statue dorée de Victor-Emmanuel, vue d’ici, semble aussi haute que le dôme de Saint-Pierre; pour les Romains d’aujourd’hui, elle est riche de plus de sens et de beauté que le tombeau des Médicis, que le Jugement dernier de la Sixtine; une cheminée de fabrique a plus d’éloquence pour nous que l’Aiguille de Cléopâtre, ou que l’obélisque de Louqsor. Gabriel d’Annunzio dédiera des strophes sublimes au Mémorial de Victor-Emmanuel. L’Art n’est plus qu’un prétexte à gloses, à dissertations. Les œuvres du passé, telles qu’elles parviennent à nous, ne sont plus que des documents historiques,... et la fleur de notre génie moderne est comme celle de ces rosiers que, chaque saison, Signor Boni remplace dans les jardins du Forum: ils fleurissent et meurent dans un sol où les racines ne se développent plus... La terre manque d’engrais; attendons qu’on la retourne, qu’on la laboure, nous la fumons de notre propre substance! Chez nous, dans la campagne normande, le paysan, en automne, fait tomber dans le sillon que creuse sa charrue, le colza vert encore, et qui engraissera le champ où l’on sèmera demain le blé pour l’an d’après. Tu m’as surpris avec une bande de futuristes? Pourquoi pas? Tout le monde est intelligent, tout le monde parle bien, surtout s’agit-il de démolir! Démolir! démolir! En attendant qu’il s’agisse de reconstruire, faisons des théories, l’œuvre viendra plus tard, après nous peut-être... Moi, je suis d’un autre temps... je comprends le passé, je l’aime, je lui appartiens comme le professore Boni... Mais je prévois aussi l’avenir. Combien voudrais-je appartenir à demain! J’attends, j’écoute... Le sol tremble. Allons! causons, écrivons des traités, faisons des conférences... Mais ne peignons plus que pour nous-mêmes, pour nous oublier...
Je lui dis en riant:—Veux-tu me donner à entendre que tu t’assieds... entre deux chaises?
Mais il poursuivit sans même m’entendre:
—Il ne s’agit pas de moi, mais de tous les artistes qui ne voient plus la nature, ou croient l’apercevoir au travers des œuvres du passé... et sous une forme abolie. Nous sommes de vieux enfants chargés de chaînes lesquelles nous ne voulons ou ne pouvons pas briser. Parfois, je me demande si le sens des valeurs a disparu pour toujours avec l’humble critère dont nous usions en face de nos ouvrages, à la façon dont un couvreur juge une couverture, un gobelin une tapisserie, un ébéniste un meuble, Michel-Ange ou Vinci un dessin ou une fresque. Tout cela: aboli! Tous métaphysiciens! A quoi bon nous entêter à faire de la peinture? Je ne sais plus, je ne sais plus!... Et pourtant je croyais avoir quelques mots à dire...
J’interrompis encore Aymeris:—Il nous reste notre sentiment, notre goût... Pourquoi abdiquerions-nous?
—Nous ahanons sous le poids des encyclopédies dont le cerveau des hommes n’est plus de force à entreprendre la lecture... Le cercle des connaissances humaines s’est trop agrandi depuis un demi-siècle, «il ne reste plus rien dans ce ciel décrit dans les antiques cosmogonies... une étoile qui ne brille plus que d’un éclat rouge et fumeux, va bientôt mourir...» Notre globe va peut-être devenir un cube! Pourquoi pas?
Après une pose, Aymeris, avec un rire mauvais, s’écrie:—En nous attardant, nous sommes dans le saugrenu! la vie de l’artiste n’est plus possible; si du moins il pouvait rester anonyme comme ces ambulants de jadis, dont l’on retrouve, en de vieilles demeures provinciales, des portraits qui vous émeuvent autant qu’une présence: une main, un visage dont la forme et l’expression sont un langage que comprennent tous les hommes! Mais prétends-tu mettre encore la main sur un homme naturel? Aujourd’hui, las comme nous le sommes, toute petite secousse nouvelle compte plus pour nous que la Beauté.
Et c’étaient les mêmes paroles qu’Aymeris m’avait dites jadis avec humeur, après la lecture de quelque article de critique. Mais cette belle nuit romaine, le grave paysage alentour, donnaient une sorte de solennité à ces variations sur des thèmes rebattus que l’artiste oublie, dès qu’il tient un pinceau à la main, le ciseau ou la plume.
Je l’interrompis:
—Alors tu renoncerais à la peinture? Sur la place d’Espagne, tu paraissais pourtant, ce matin, appliqué comme un étudiant, quand les gamins posaient autour de la fontaine. Oui, je t’ai surpris, farceur!
—Tu m’as donc vu? Je ne cache que mon étude, celle-là tu ne la verras pas! Oui, je suis plus que jamais enivré, parmi ces inconnus qui vont et qui viennent, qui filent comme des étoiles. Je m’étais promis de n’ouvrir ma boîte à couleurs qu’en arrivant à Naples où nous nous rendons, Cynthia et moi, pour continuer ma série de grandes agglomérations populaires: Darius attend, il nous faut gagner notre pain! Cette place d’Espagne qui évoque fâcheusement Gustave Doré et Henri Regnault, mais embellie par des tramways et des fiacres pareils à ceux de Bruxelles, cette vie moderne «unanime», me donne envie d’essayer quelque chose. Si j’avais vingt-cinq ans, je crois que je peindrais l’abominable monument Victor-Emmanuel, l’antique Piazza Venezia, ses bavards lents et affairés qui, avec leurs têtes de marchands d’oranges, se prennent pour les glorieux Romains de la République... dont ils ont, accordons-leur cela, le profil de médaille... mais fruste et abâtardi... Les hommes sont toujours épatants, avec leurs misères, leurs tares, «leurs péchés capitaux», écrivais-je d’Amérique!... Je ne me lasse point encore de regarder ces somnambules qui se remettent à table deux ou trois fois le jour, se déshabillent le soir, se rhabillent le lendemain, recommencent la même pantomime, et font l’amour. Se demandent-ils à quoi ça sert et où ils vont? Ils n’ont pas d’esthétique, eux!... mais... si pardon... ils ont un goût aussi, les misérables! Dire qu’il me faudra encore affronter le public, notre juge! Oh! le public! C’est lui qui a empoisonné l’art. Si j’écrivais, mes livres seraient tirés à trois exemplaires. Mais quand on est peintre, on expose, et voilà le hic! Diable de Darius Marcellot! Quant à toi, je te mets d’avance à la porte de mon exposition! Non, non, non! Ne prenons plus l’Art au sérieux... pour le moment!
Et poursuivant une idée qu’il n’avait pas encore exprimée:—Si l’on pouvait être, au milieu de la foule, comme un bouchon de liège sur l’océan!...
Georges aperçut une lumière à une fenêtre de l’Académie de France, tandis qu’il reprenait un récit du dîner futuriste, et, au milieu d’un couplet sur les théories nouvelles, qu’il approuvait comme l’esthétique d’une époque négative:
—Il y a donc encore quelqu’un qui remue, là dedans?
Je lui rappelai Passy, ses parents, les êtres chers de son enfance, la tradition que les Aymeris incarnaient. Il reprit:
—Ne me parle pas de tradition. Sommes-nous comme Charles Maurras, qui se reproche de n’avoir pas soutenu l’Académie de France, la Comédie française, l’Académie française, et cætera? Est-ce notre faute, si ce que nous devrions défendre n’est plus viable? La tradition est bonne pour planter des choux, labourer, et encore assure-t-on que nos paysans du Calvados s’entêtent à des traditions absurdes. Et si nous parlions de famille... où serait la tradition?
Et dans une grande émotion, Aymeris me conta ceci:
—Mon ami Michel, mon condisciple du Condorcet, fils d’un emballeur, celui que chaque matin je prenais dans ma voiture, Michel donc s’est marié avec une Dijonnaise, la nièce de son patron-imprimeur; traversant Paris, Michel est venu chez moi avec Madame Michel. Nous avons déjeuné ensemble au restaurant. Michel est toujours le même, aussi intelligent que jadis, et je ne m’étais point trompé sur son compte.
Mais sa femme! Oh! celle-là! Il faut beaucoup de courage à un homme pour lier sa vie à une telle matrone; Michel a eu ce courage. Les Michel ont déjà trois enfants; l’aînée était avec nous, car j’avais choisi l’heure de midi, craignant, si nous dînions ensemble, l’ennui d’une longue soirée, où nous n’aurions rien à nous dire. Or, Madame Michel fut assez causante pour que j’aie pu deviner ce qui unit ces braves gens, et ce sont les seuls liens qu’on ne brise pas. Ai-je été jusqu’à envier le sort de Michel? Michel n’est plus poète; ses vers étaient médiocres; or il paraît que ses livres d’histoire font autorité. Il a donc trouvé sa voie; la carrière de Michel m’eût-elle paru plus tentante que les appas de son épouse? Michel n’a rien du «bourgeois de Bruges», il se contente d’une femme dont les proportions sont celles de trois commères, mais si sa légitime ne lui inspire pas des poèmes lyriques, elle classe ses documents, recopie ses manuscrits, comme Madame Vinton-Dufour nettoyait les pinceaux de M. Vinton, lui faisait la lecture et posait pour lui. Mais à chacun, une épouse assura cette paix, cette sécurité, faute de quoi je suis devenu ce que je suis. J’aurai connu deux ménages parfaits: le ménage Vinton-Dufour et celui de mon brave Michel.... Nous avons été bien mal élevés! Le dimanche nous demeurions sur le parvis du temple par horreur des ténèbres, et craignant la monotonie du service. Nous nous y serions habitués! Le bon fidèle ne reçoit pas la communion aux grand’messes en musique, mais à la messe basse des servantes; aux offices chantés, il chante avec la maîtrise, les paroles latines qu’il sait par cœur, il ne les comprend point....
Georges Aymeris ne m’ayant point encore parlé de Mrs Merrymore, et comme j’ignorais la situation présente de mon ami, ses espérances, ses projets, j’escomptais une autre promenade nocturne pour qu’il me les confiât, et détournai le cours de sa songerie mélancolique.
—Pourquoi dis-tu, Georges, que les principes que nous devrions défendre ne sont plus viables? Ce n’est point notre faute, assures-tu? Mais ne sommes-nous pas tous un peu responsables de cette faillite? Ce sont les artistes, les «intellectuels» qui ont créé l’anarchie, dont tu te plains plus que quiconque....
—Je t’arrête!—dit-il—je ne me plains et ne souffre de rien. J’aime trop la vie pour me plaindre, je regarde et cela me suffit. Je voyage, je suis parfaitement heureux hors de chez moi; nous sommes au seuil d’un siècle où chacun devra être chez lui partout; époque d’individualisme forcené, au sein de collectivités confondues et haineuses. Mais, bast! qu’y pouvons-nous? Pris entre deux tendances contraires, l’individu a, plus que jamais, besoin d’indépendance, d’affirmer son moi au milieu d’une société qui l’englobe, où il se débat et joue des coudes comme quelqu’un qui étouffe dans une panique. Les races, les nations se fondront les unes dans les autres, la science inventera des moyens de plus en plus nombreux de communication, de pénétration, d’échange rapide, d’unification; la doctrine du «nationalisme intégral» deviendra une élégance impossible: et que nous reste-t-il, à part cette doctrine? L’exutoire du Socialisme, du Pacifisme, la chimie de l’Internationale avec ses explosifs. Duquel de ces deux rêves l’avenir fera-t-il une réalité? Tant que la société sera en gésine (ce que j’appelle anarchie, peut-être parce que je suis une branche de l’arbre qu’on est en train d’abattre), l’individualisme dont nous sommes si jaloux, en art, le droit à l’indépendance, la fameuse «personnalité»—on nous en rebat les oreilles! sont en cette phase comme les lilas qu’on fait blanchir en les privant de lumière et d’air: fleurs vite fanées après qu’elles ont répandu leur parfum amorti. Si nous rejetons la règle, refusons les disciplines, est-ce parce que chacun de nous espère avoir plus d’indépendance dans cette société sans maîtres, sans «directives»? Ecoutons les théoriciens, même s’ils divaguent parfois... essayons de tout, mais sans espoir d’un Etat organisé, despotique, comme la France, sous Louis XIV, encadrant l’individu, le soutenant développant la personnalité de celui qui avait quelque chose à créer... L’Académie royale de France, à Rome, fut une institution qui eut sa raison d’être. En aura-t-elle encore, quelque jour à venir? Peu probable! Cette capitale moderne, la Rome couronnée par le monument de Victor-Emmanuel, des milliards furent enfouis en ses quartiers neufs, qu’une folie nationaliste a bâtis. Rome ne devait plus, ne pouvait plus être la capitale du royaume, ne se trouvant sur aucune ligne stratégique mais située hors du champ de l’activité italienne. Le denier de Saint Pierre fut mis à contribution, le Pape connut la gêne, de grandes familles furent ruinées par l’entêtement des mégalomanes qui, dans ces lieux historiques, tentèrent de recommencer l’histoire. Exemple à méditer!... Une autre fondation sera faite, peut-être, pour les besoins de l’art, mais ailleurs, et dans un esprit autre... si la vie est un éternel retour; pourtant ce qui est fini ne recommence jamais pareil à ce qui fut. Pour moi la Villa Médicis est morte, comme la cité antique qui dort à nos pieds... Cette Rome, si je l’aime et l’admire, elle ne m’enseigne plus rien; j’y suis comme le piéton sur la route, et qui s’arrête pour contempler le couchant, mais je ne me fixerai point ici, je ne me fixerai plus nulle part, je veux voir autre chose, j’irai plus loin, et j’oublierai plus loin ma halte d’aujourd’hui. Tu m’as surpris en compagnie des futuristes, rappelle-toi ce que j’ai dit du futurisme aux «passéistes» de la villa Médicis. Entre les uns et les autres, comment balancer? Les futuristes sont, du moins, en train de vouloir quelque chose, ils font des manifestes!... Les autres ne veulent rien et agonisent. Pourquoi se lamenter sur des ruines? Eux, ils aiment trop la vie pour avoir... du goût; quant aux tendances, j’ignore le sens de ce mot.
J’objectai à Aymeris qu’il n’était plus à l’âge où l’on croit au nouveau, en art, comme les jeunes gens qui prennent si souvent pour tel ce qui est «du déjà vu», un peu corrigé et rafraîchi au goût du jour. Il me répliqua:
—Cela, c’est un argument dont usent les doctrinaires, comme d’un moyen de défense, s’ils se sentent menacés. Si fait! et ne jouons pas sur les mots: les hommes produiront du nouveau, le nouveau est le résultat d’une succession d’efforts, de recherches parfois longues. Elles semblent vaines par elles-mêmes. Malheureusement, aujourd’hui, le manifeste et la théorie précèdent l’œuvre; or la théorie devrait se fonder sur l’œuvre. L’artiste de génie est inconscient. Mais, après tout, prouvera-t-on que la beauté des œuvres d’art actuelles n’égale pas celle des plus consacrées? Celui qui pour la première fois, et sans préparation, lirait une pièce de Shakespeare, qu’y verrait-il? Tu me fais dire des truismes...
Nous sommes dans une période de recherches; nous devrions nous cacher pour produire, ne montrer à personne ce que nous faisons à moins d’y être contraints, et surtout cesser de travailler dès que nous n’y éprouvons pas le plaisir qui enfante... l’Œuvre. Cultivons notre lyrisme intérieur, et vive la joie, dans les ténèbres du Devenir!
Nous avions pris rendez-vous pour le lendemain, après qu’Aymeris eut poussé ce cri d’allégresse, qui retentit encore dans mon cœur comme les rires d’un pandémonium. N’est-ce pas, d’ailleurs, par ses contradictions et son impuissance tragique à se mettre d’accord avec lui-même, que Georges représentait pour moi un type de Français de son temps, ou plutôt de sa classe si menacée? De même que ses mouvements étaient les réflexes de certains gestes de ses aïeux, ses idées demeuraient étrangement dépendantes des sentiments ataviques. Il s’était battu contre des spectres, avait livré une guerre de cinquante ans contre un certain lui-même, dernier héritier de tant d’Aymeris dont la généalogie remontait loin dans notre histoire, ces grands bourgeois, ou ces hobereaux, ayant tenu chacun sa place dans une société hiérarchiquement organisée. Les efforts de Georges pour se faire la sienne, en pleine désagrégation sociale, étaient aussi vains que spasmodiques. Son intelligence, sollicitée par l’inconnu et le nouveau, désireuse de s’accroître et de s’enrichir par tous les spectacles et toutes les sensations—et Aymeris cultivait comme un malade son inquiétude—il lui manquait à un degré rare, la méthode par quoi la raison corrige les excès de la sensibilité. Au point que je doutais parfois de cette intelligence sur laquelle je m’étais peut-être mépris... Je parvenais mal à joindre les différentes parties de sa personne morale. J’avais si bien cru le connaître et sa figure s’éclipsait pour moi!
Le tort essentiel du principe de liberté, c’est de prétendre suffire à tout et de tout dominer. Il se donne pour l’alpha et l’oméga. Or, il n’est pas l’alpha, dis-je à Georges Aymeris, songeant à Ch. Maurras que je lisais alors.
Le soir suivant, il ralluma notre conversation de la veille pour corriger ou expliquer certains de ses vagues propos. Il avait parlé d’anarchie d’un ton que je prenais pour de l’approbation; je lui avais dit:—Qu’es-tu donc, mon pauvre Georges? Un anarchiste à rebours, un romantique, un réaliste, un traditionnel, un «évolutionniste»? Ce dont tu manques, plus encore que d’une méthode, c’est d’une Religion, l’Essentiel.
Et je lui rappelai les phases du périple qu’il avait, depuis notre rencontre à Cannes, accompli, en art moins encore qu’en politique et en sociologie. J’aurais craint de l’attrister par le souvenir de James dont il avait songé à faire un «citoyen du XXe siècle», quand nous sortions à peine de l’affaire Dreyfus. Georges, en ce temps-là, quoique irrité par les tendances nouvelles de l’atelier Carrière, et le germanisme envahisseur, n’en avait pas moins fréquenté «l’Etoile bleue» de Levallois-Perret, les «Soirées ouvrières» de Montreuil-sous-Bois, avec Véra Starkoff, le «Germinal» de Nanterre, «l’Egalité» de Maria Vérone, et «la Pensée libre» d’Arcueil-Cachan. Il avait été de ces bourgeois intellectuels sans qui les U. P. n’auraient pas pu se créer ni vivre.
Georges cita d’autres U. P., avec un rire moqueur: l’Emile Zola du XXe arrondissement, La Semaille, La Gervaisienne.
—J’ai toujours eu de la bonne volonté, dit-il. Tu m’appelles anarchiste, parce que je parais tout détruire autour de moi; je me suis seulement rebellé contre les centenaires qui se repaissent de la chair fraîche et dont la conception de l’Ordre est inséparable de leur crainte du mouvement, du jugement, bref, de la vie. De même que l’art de la Villa Médicis est la caricature de l’art classique, l’Ordre, dans l’esprit de ces vieillards, est ankylose, paralysie. Ils sont changés en statue, comme la femme de Loth, parce qu’ils se retournent toujours et ne savent regarder qu’en arrière. Ils célèbrent la tradition, et la rompent, plus que nos amis les Futuristes, sans comprendre que la Tradition est, comme je te le disais, la somme de toutes les expériences heureuses où, après des périodes de pauvres récoltes, vient une somptueuse moisson. Ce qu’on appelle Progrès, dans le jargon d’aujourd’hui, c’est le total d’une addition, arrêtée à une certaine date, et à quoi d’autres nombres s’ajouteront, jusqu’à la fin des siècles... Les grandes ères de l’humanité sont celles qui allongent la colonne de ces chiffres. Mais ce progrès, qu’est-ce que ça prouve?
La nuit suivante, nous allâmes, Georges et moi, le long des nouveaux quais, sur la rive droite du Tibre, jusqu’au Ponte Mole, et revînmes au Pincio par la place del Popolo. Avant de remonter à notre banc du Pincio, nous fîmes un détour pour voir la maison de Mme de Beaumont. Georges relisait les Mémoires d’outre-tombe. Il était nerveux, irrité de ce que Mrs Merrymore ne nous eût pas rejoints. Il me parla de ses relations avec elle, depuis la mort de James, et je pensai, un instant, qu’ils allaient bientôt se marier, si un mariage encore secret n’avait pas eu déjà lieu. J’avais cru deviner que l’obstacle avait été l’enfant. Georges me dit:
—J’aurai bientôt soixante ans..., pas tout de suite! Mais, tu sais, après la cinquantaine, ça va vite! Si je n’avais pas été surtout un fils, j’aurais aujourd’hui une femme, sans doute une Française, quelqu’une de mon monde, des enfants, une famille, comme mon ami Michel, et je ne serais point ici, cette nuit, à attendre, comme un jeune homme, un être exquis et adoré, mais dont la réserve et la discrétion sont pour moi plus pesantes, parfois, que ne fut l’autorité de ma mère sur mon enfance. La liberté que me laisse Cynthia tient à une erreur de psychologie, assez rare chez les femmes qui, d’habitude, s’imposent à un homme plutôt qu’elles ne s’effacent derrière lui. Cette liberté dont mon pauvre père, en mourant, m’a dit qu’elle était le plus grand des biens, qu’est-ce donc? Dans ma vie, la liberté ne fut que désorganisation. Je me suis dissous dans une action négative, qui est d’ailleurs un des traits individuels de la nation dont nous faisons partie; nous sommes incapables d’organisation, et il semble que la curiosité universelle d’un Léon Maillac, le dilettantisme qu’il cultivait et par lequel il m’attira vers lui, au moment où je me développais, ne fut qu’un de ces excitants dont l’usage prolongé frappe d’impuissance. Je n’ai jamais eu de direction; néanmoins j’ai toujours obéi à quelqu’un ou à quelque chose. L’indépendance devrait nous permettre de choisir entre nos diverses possibilités, mais «à condition de distinguer la valeur, le rôle, la hiérarchie des forces dont nous sommes doués». Tu vois que je lis ton Ch. Maurras. Quand nous nous sommes liés, toi et moi—je venais de m’échapper et je courais hors de ma cabane, tel un chien qui a rompu sa chaîne; aujourd’hui, je fuis l’état de liberté comme un autre chenil; mais où est mon «centre normal»? Je suis battu, mais je sais pourquoi. Je n’ai pas su m’isoler, cesser de tenir compte de ce qui s’était fait autour de moi, de tout ce qui avait été fait avant moi, ne me référer même grossièrement, qu’à mon seul jugement. Il fallait mentir, ils sont obligés de mentir, ceux qui ont quelque chose à sauvegarder. Je n’ai pas assez menti, parce que j’étais toujours amoureux et qu’en cédant à des mobiles sentimentaux ou à des habitudes congénitales, j’ai cru, par besoin de noblesse morale, obéir à ma volonté ou à ma raison. Quelle confusion! J’ai cherché à mettre d’accord ma conduite et mon intelligence. Et je me retire après la défaite de cet orgueil, qu’orgueilleusement encore j’avais voulu et cru vaincre en moi.
Cynthia m’a pris, comme les autres me prirent, pour un dilettante, au lieu de voir en moi un ouvrier, un homme de bonne volonté. Cynthia, par pitié pour le malade qu’elle me croit être, a dit adieu à sa famille, à son monde, à son pays, et elle ne m’abandonnera plus. Compromise à ses yeux et aux yeux des siens, elle a choisi de me suivre. Nous sommes venus à Paris, j’ai entr’ouvert ma maison, Cynthia s’y est installée auprès de moi et ne se montre à personne, sauf à Darius Marcellot; mes tantes sont mortes à quelques mois de distance. Cynthia est mon épouse, mais elle n’est pas et ne veut pas être Mme Aymeris, par respect, je le crois vraiment, oui, par respect pour notre liberté!
Et Aymeris éclata de rire en répétant le mot liberté.
—Mais toutes les grâces et le charme et les soins délicieux dont elle m’entoure, le bonheur qu’elle me donne, rien n’empêche que... j’ai manqué ma vie d’artiste. Ah!...
| · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · | · |
Au bout de tant d’années, je ne sais pas, en vérité, je me demanderai toujours ce qui l’a attachée à moi. Après une première et désastreuse expérience d’amour, peut-être avait-elle redouté de se laisser prendre une seconde fois; ce qui ne l’a pas empêchée d’aimer James, plus que je ne l’aimais. La vie est plus forte que nos morales, il faut s’y abandonner, puisque... enfin, mon cher, tu vois comment notre roman se termine?...
Il s’arrêta, regarda si quelqu’un venait.
—Tu sais comme les goûts de Cynthia et les miens sont pareils; nous nous plaisons ensemble, nous voyagerons pour satisfaire un besoin de tout connaître; nous irons aux Indes, en Chine, mais je possède aujourd’hui la certitude qu’elle ne me connaît pas...
Aymeris avait cru entendre le pas de son amie. Ce n’était point elle. Il me quitta subitement et sans me tendre la main.
Je ne devais plus revoir Cynthia à Rome; nous avions été trop loin, elle et moi, dans nos confidences de Londres au sujet d’Aymeris; Cynthia m’avait livré ses sentiments... Combien j’eusse voulu causer ici avec l’honorable Cynthia, la fille d’un Lord, l’élève d’Aymeris et sa gardienne à la fois, devenue une maîtresse qui se cache d’avoir tout sacrifié à un artiste.
Ils n’allèrent ni en Chine ni aux Indes, mais vécurent en Italie et dans le Midi de la France où ils passaient six mois de l’année. J’aurais voulu choisir dans le journal ce qui eût permis au lecteur de suivre, comme je le fis moi-même, les dernières étapes parcourues par mon ami. Mrs Merrymore m’ayant enjoint, comme on le verra, de ne retenir que les fragments où il n’est pas question d’elle, le lecteur ne verra point le ménage dans son intimité.
Furent-ils heureux? Un homme peut-il l’être... si le présent est dominé par les souvenirs d’une sombre existence et la crainte d’un lendemain pire encore que le passé? pour un quinquagénaire à qui le réveil, chaque matin, ramène comme à un adolescent, des promesses, des espérances, l’énergie, l’amour de vivre; le soir l’accable, comme un malade terrassé par la fatigue que lui cause la lumière.
Après ses voyages, Georges revint chez lui, se renferma dans son atelier, écartant de plus en plus ses anciens amis; et il fut à Paris comme dans une de ces chambres noires où l’on voit refléter sur un écran ce qui se passe au dehors.
Retour en novembre 1912 (fragment daté 2 décembre).
A l’horreur de rentrer à Paris, l’angoisse s’ajoute dès l’antichambre, de journaux, de magazines, des cent lettres qu’il faudra passer en revue; l’odeur de la maison à peine rouverte, mélange de la poussière des vieux tapis, de l’haleine fade des bouches de chaleur, et cette vieille «odeur de soi-même» que, tant que vous habitez une maison, vous ne sentez plus; mais dont, au retour du voyage, vous vous demandez: Est-ce donc celle qu’en déposant leur par-dessus dans l’antichambre, les amis respirent? Sentirais-je «le vieux», comme les choses de chez moi? Le gardien de ma maison, ex-sergent de ville, fume sa bouffarde et crache par terre; il faudra toute une équipe d’ouvriers pour lessiver, repeindre. Tout s’en va, rien ne tient plus chez moi si ce n’est les taches qu’on ne peut plus «avoir» avec l’ongle ni la salive, comme dit le bonhomme.
Georges Aymeris rentre pour la première fois à Passy avec sa compagne; deux étrangers, deux intrus dans le silence, l’abandon d’une demeure qui fut celle des Aymeris, et qui ne semble plus être à personne. Les meubles, les portraits, tout ce dont les murs sont encore encombrés, tant de choses qui devraient être chères à Georges, semblent attendues par l’Hôtel des Ventes: elles ont perdu leur personnalité. Il a chassé le dernier de ses anciens domestiques, les témoins; le gardien lui remet les clefs dont le propriétaire ne connaît plus l’usage, la femme de chambre de Cynthia déclare qu’elle ne couchera pas dans cette maison où il doit y avoir des «ghosts» (revenants).
Les lits n’étaient point faits, Georges n’avait pas songé à commander un repas. Lui et Cynthia dînèrent au restaurant, puis allèrent à l’hôtel, pour la nuit. Et c’est ainsi que, ramenant sa compagne sous ce toit, dans ces murs qu’il avait transformés à son goût et pour son propre usage, mon ami était tel qu’un homme venu pour recueillir l’héritage d’un parent, mais qui redoute d’en prendre les charges. Il trouva sa maison hideuse et regretta celle de son père.
D’anciennes peintures de lui, qu’il aperçut dans l’atelier, lui parurent si mauvaises, qu’il n’aurait pas résisté à la tentation de crever deux toiles, si Cynthia ne l’en eût empêché.
Sur la table du vestibule, où les courriers s’accumulent depuis deux mois, car Georges n’a plus fait suivre sa correspondance, il aperçoit des lettres de Gisell, la grosse écriture de Gisell, et des Magazines illustrés dont l’adresse est de la même main. L’un, «Camera Work», sur le rouleau duquel se détachent des caractères en gris clair, bleuté; un papier d’emballage gris: A photographic quarterly edited and published by Walter Triebschen, New-York. A la première page: «For Georges Aymeris, from Gisell.»
Georges note dans son journal:
Avant de couper la ficelle, je flaire que je vais être «rasé», et tout de même, je coupe la ficelle, j’aplatis le magazine, roulé pour la poste, un gros rouleau comme un rolly-polly, et aussi pesant, je le crains, que cet indigeste et succulent entremets; d’abord, je tombe sur «de la littérature»: «The days are wonderful and the life is pleasant», phrase liminaire d’un portrait écrit de Gisell, par Elma Strauss.
Elma Strauss! Oui! Je me la rappelle!... Un hangar, rue d’Assas, au fond de la cour, à droite, les mardis soirs. En ce temps là, je corrigeais encore mes élèves chez Scarpi. L’une d’elles me conduisit chez Elma Strauss et son frère David, un Christ à la barbe rousse, végétarien drapé à la grecque et qui marchait dans le Quartier latin en sandales orthopédiques. C’était assez beau, ce frère et cette sœur, venus d’Amérique à Florence, puis, lors d’un séjour à Paris, soudain touchés par la grâce, à la vue d’une toile de Picasso, se fixant parmi nous; ils avaient trouvé leur chemin de Damas, ils reliaient le présent au passé, ils ne nieraient plus désormais l’art moderne.
...La prose d’Elma m’enchante, me fait rire, me divertit, alors même que m’échappe le sens de la phrase—car je suis un «gogo», mes tantes auraient dit: un snob. Toute ma sympathie, en effet, est acquise au nouveau message que je ne comprends pas tout de suite, à la sonorité nouvelle, à l’inédit... à ce qui n’est pas vieux et décrépit. Je puis avouer dans mon journal, que si je me moque, en public, des portraits qu’écrit Elma Strauss, je les aime cependant. Et voici un autre portrait, celui de Gisell Links; tout s’explique: lettre et magazine.
Gisell n’est donc pas morte? Il semble qu’elle soit devenue Socialiste, dans la Fifth avenue, New-York City; elle vivrait la simple life entre deux palais de milliardaires, dans un modeste appartement: ascétisme (d’art!), mobilier florentin du 16e siècle, murs crépis à la chaux, et dessus, quelques Henri-Matisse, en attendant qu’elle achète une des Jeunes filles à la Mandoline par Picasso.
Donc, portrait de Gisell par Elma. Gisell rend à Elma la politesse; et voici un article de Gisell sur Elma qui, à Paris, comme écrivain, désavouée par son propre frère, en est réduite à distiller sa pensée pour trois personnes dont je fus une, et, dès le début, Elma est «advertisée» par la réclame de l’ingénieuse propagandiste; Gisell sera, cette saison, la lionne de New-York, les éditeurs tendent vers elle leurs espérances et leurs dollars. C’est l’alliance, bien moderne, de l’Art et de la Finance; allons, bravo! A cette heure du soir européen (il est onze heures, quand je rentre chez moi, encore ému par les marbres du Parthénon, revus avec Cynthia au British Museum), en ce moment même, l’aube dore déjà les gratte-ciel de la métropole américaine et, au vingt-cinquième étage, en haut d’une de ces tours de fer et de ciment armé, près d’une fenêtre que rougit le soleil bas de décembre, sous un ciel laminé par le vent d’est, des hommes, des femmes du Nouveau Monde, sont en train de goûter aussi au cubisme.
«Presque chaque personne pensante—écrit Gisell—est en révolte contre quelque chose, parce que le besoin de l’individu est pour plus de conscience, et que la conscience se développe en brisant les moules qui l’ont jusqu’ici soutenue. Et ainsi, laissons chaque personne dont la vérité personnelle est trop grande pour les conditions de sa vie propre, attendre avant de se détourner de la peinture de Picasso, ou de la littérature d’Elma Strauss, car le cas de ceux-ci est le leur.»
Nous voyons ainsi Georges Aymeris, encore une fois, aux prises avec le problème de l’art moderne. Hélas! il n’était point un dilettante, un orateur, ni un théoricien, mais un peintre; et sa peinture, dont Cynthia me montra quelques échantillons, trahissait un trouble douloureux. Je fus atterré en face de ses œuvres récentes, où je ne reconnus plus aucune de ses qualités.
Il y avait eu, entre Cynthia et moi, un silence.
Georges Aymeris et sa femme, car je sus, ensuite, qu’il avait légitimement épousé l’Honorable Cynthia Merrymore—se répandirent avec Darius Marcellot dans les petits cénacles de cubistes, de littérateurs et de musiciens d’avant-garde; ils étaient de plus en plus effarouchés par le monde, et se cachaient de leurs amis. Georges portait les cheveux longs, s’était rasé le visage, il épaississait; sa claudication s’était accentuée. Je me trouvai assis à côté de lui à une représentation de Tristan et Isolde, que donnait une compagnie allemande au théâtre de l’avenue Montaigne. La même saison, je le rencontrai à la même place, enthousiaste et tremblant, lors de la répétition générale du Sacre du Printemps. Il croyait voir en cet ouvrage si révolutionnaire, trépidant, convulsif, macabre, l’annonce d’une ère nouvelle, après un bouleversement universel. Au second tableau surtout, la danse épileptique de la Jeune fille élue, que les hommes-ours guettent comme des mouches noires prêtes à s’abattre sur un gros rat agonisant, lui offrait l’image de sa propre personne dans la société dont il était issu, et qui s’effondrait.
Darius lui fit connaître Richard Strauss, dont Georges méprisait l’art clinquant, faussement original, qui sous des apparences d’étrangeté et d’harmonie neuve, dans le tumulte d’une polyphonie la plus riche, la plus voluptueuse, était si pauvre d’invention, si bas d’intention, et agissait sur les sens des femmes et des faux artistes, comme les mélodies de la Tosca ou de Mme Butterfly.
Georges ne l’avouait point, par crainte de Darius, mais c’était l’Allemagne dont il redoutait l’influence et d’où venaient les sombres nuages qui s’accumulaient sur nous.
Un matin, c’était au mois de mai, Richard Strauss faisait répéter l’orchestre de l’Opéra où la compagnie des Russes allait donner le ballet Joseph. Georges avait eu la commande d’un décor pour un autre ballet où apparaîtrait Ida Rubinstein; Bakst n’était plus jugé suffisamment moderne, et Aymeris, avec un de ses amis, avait conçu des maquettes à peu près irréalisables, à mon avis, et assez médiocrement exécutées par un jeune cubiste dont Marcellot s’était entiché. Aymeris s’était attelé à ce travail, encouragé par Cynthia toujours soucieuse de combattre des crises trop fréquentes de mélancolie, et de lui faire croire qu’il était en état de produire, bien loin d’être un vieillard déjà oublié. Elle espérait ainsi le distraire, l’empêcher de repartir pour des voyages dont elle se lassait elle-même, ou bien leur trouver un objet. La compagnie des ballets Russes comptait emmener Aymeris en Espagne, puis en Italie; l’ouvrage d’Aymeris tiendrait l’affiche avec le Joseph de Richard Strauss.
Le Directeur de l’Opéra était absent pendant la répétition craignant les colères célèbres du kappelmeister berlinois qui créaient un malaise parmi les musiciens de l’orchestre, Strauss faisant recommencer vingt fois de suite une demi-page, un trait des violons, insultant un instrumentiste professeur au Conservatoire. Tout d’un coup, Strauss, debout, à son veston la rosette de la Légion d’honneur qu’il venait de recevoir, frappe de son bâton le pupitre, et pâle, en rage, s’écrie:—Il faudrait un sabre allemand pour les faire obéir!
On téléphona au Directeur, l’enjoignant d’accourir; déjà, ce matin, des propos belliqueux avaient été échangés, des journalistes allemands et le concierge de l’Opéra s’étaient gourmés.
Aymeris s’enfuit avec Cynthia, rentra chez lui vers midi par le tramway; sur l’impériale, de dix voyageurs, six parlaient allemand; Paris était envahi par l’Allemagne; le ballet russe lui-même se germanisait. Après le déjeuner, Georges écrivit une lettre à l’adresse de M. de Diaghilew, à l’effet de rompre son engagement. L’impresario vint le voir et le supplia de lui rendre sa promesse que le décor tant attendu par les critiques d’avant-garde serait prêt pour le mois d’août.
L’installation nécessaire pour ce travail, la recherche d’anciens élèves qui pourraient agrandir les esquisses, l’aider à mettre l’œuvre sur pied, et d’un local assez vaste pour y brosser des décors: toute la partie matérielle de l’entreprise mit Aymeris dans un état alarmant d’excitation nerveuse.
Une échelle manquait, sur quoi il pût grimper et s’asseoir. Il s’en fit faire plusieurs de divers modèles et, à chaque essai, dut reconnaître que sa jambe était si ankylosée que nulle échelle, si commodément établie fût-elle, ne lui donnerait satisfaction.
Il s’avisa que le vieux peintre espagnol Mendoza, qui habitait Versailles, avait inventé un système d’échafaudages et de poulies, ainsi se hissait-il et se soutenait à hauteur voulue. Tout, chez Mendoza, était ingénieux, il faudrait aller chez lui, se renseigner, faire copier cette installation.
Le dimanche suivant, M. et Mme Aymeris louèrent une automobile pour se rendre à Versailles. Après un déjeuner au Pavillon-Bleu, ils s’attardèrent à l’ombre des grands arbres dans le parc de St-Cloud. Des familles d’ouvriers étaient étendues sur le gazon où traînaient des morceaux de papier graisseux avec des os et autres reliefs d’un repas champêtre. Le parc était bruyant des clameurs d’une foule qu’Aymeris trouva hideuse et effrayante. Une bande de jeunes hommes et de femmes dansèrent une ronde en chantant la Carmagnole. Quand une automobile passait, les voyageurs étaient poursuivis par des cris et des insultes. Le chauffeur du taxi amena près des Aymeris sa voiture et les pria de ne point s’attarder dans cet endroit: on venait de percer le caoutchouc d’un de ses pneus; de la malveillance de ce public dominical, tout était à craindre.
Ils se remirent en route pour Versailles; peu avant d’arriver aux «Réservoirs», une roue se détacha. Le mécanicien, après une rapide inspection, comprit qu’une pièce avait été sciée, de façon que l’accident se produisît après quelques kilomètres de marche. Il avait bien cru voir un gamin tripotant sa voiture, n’avait plus songé à y regarder de près; et c’était alors, qu’il s’était permis d’engager ses clients à quitter en hâte le parc de St-Cloud. Mais selon lui, le mauvais drôle n’avait pas eu le temps d’accomplir son méfait à lui seul. Or le chauffeur raconta des histoires telles, qu’à l’entendre, les autos particulières étaient maintenant à la merci d’une populace prête à tout saccager. Aymeris n’était que trop préparé à croire ces paroles. Cynthia comptait prendre son thé aux Réservoirs, pendant que Georges irait chez le peintre Mendoza. C’était jour de grandes eaux. Les salles du restaurant étaient remplies de monde. Georges crut avoir laissé choir la carte de Mendoza en ouvrant son portefeuille pour payer l’addition; le garçon qui servait comprit qu’Aymeris l’accusait d’avoir ramassé un billet de banque. Il y eut discussion.
Puis, calmé un peu, Georges tâcha de retrouver son chemin; croyant se rappeler la maison du vieil artiste, il se mit seul en route, Cynthia s’alla promener dans le parc où il la retrouverait ensuite.
Il fit le tour de plusieurs pâtés de maisons, s’engagea dans des rues désertes, sonna à plusieurs portes. M. Mendoza y était inconnu. Il entra chez un antiquaire et s’enquit; cet homme, qui avait M. Mendoza pour client, donna le numéro et le nom de la rue à Aymeris; c’était très proche, mais il fallait descendre le boulevard de la Reine, tourner à droite, puis à gauche. Aymeris n’écoutait pas, il se remit tout de même en route, se perdit encore et, de guerre lasse, revint au parc. Cynthia n’était plus à la place convenue. S’il était en retard, ils devaient se rejoindre à la gare, puisque l’automobile était en panne. Georges entrevit qu’il n’exécuterait pas son décor, car il ne se procurerait jamais une échelle. Tout se retournait contre lui!
A huit heures, ils prirent un train pour Paris; les wagons étaient combles; des gens, avec des bouquets de lilas dans les bras et des paniers de provisions, encombraient les couloirs de seconde. En première classe, il n’y avait plus de place. Comme il fallait rentrer, Aymeris casa Cynthia entre deux commères suantes, et se tint debout contre la portière, provoquant par sa mine dépitée les quolibets d’un public bruyant, ignoble, ivre de chaleur, d’air et de boisson. Un homme en manches de chemise invita «le Monsieur» à se mettre à l’aise et lui tendit un verre de vin que Georges refusa. Les cris et les rires redoublèrent.
A la station de Meudon, des voyageurs descendirent et laissèrent la porte du wagon ouverte; le train s’ébranla,... et Aymeris, dans un soudain vertige, s’élança sur le quai...
Un cri fut poussé par les spectateurs, Cynthia voulut se précipiter aussi; le chef de gare fit stopper la machine.
On releva un cadavre méconnaissable.
Georges Aymeris venait, pour une futile contrariété, de mettre fin à une existence qu’il aurait eu tant d’autres raisons plus graves, d’abréger.
J’appris son suicide par les journaux, en même temps que l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand.
Ce fait divers passa inaperçu, dans l’effervescence du moment. Dirai-je pourquoi je ne me rendis point à ses obsèques? Je craignais de revoir Cynthia, Madame Aymeris; mais peu de semaines après, elle m’écrivit, me priant de lui rendre le journal de son mari.
J’hésitai, je fus même sur le point de ne pas répondre; j’avais fait copier presque en entier les cahiers de mon ami. Si Cynthia allait les vouloir détruire? Mais les connaissait-elle?
J’allai néanmoins chez elle, les lui portai à St-Germain où elle passerait quelques semaines, pour régler ses affaires avant de repartir pour l’Angleterre. La guerre était désormais inévitable.
Mme Georges Aymeris me reçut froidement, avec un embarras plus visible encore que ne l’avait été celui de Mrs Merrymore. Elle me raconta le suicide de son mari et les scènes qui précédèrent; très calme, très digne, son chagrin ne se trahissait que par l’altération des traits de son visage. Ses cheveux étaient blancs. Elle me dit:
—Je savais que vous possédiez ces cahiers. Je vous remercie de me les rendre. Sont-ils aussi intéressants que la chère personne qui les a écrits? Je le suppose; car Georges n’a pas accompli son œuvre, il ne devait peut-être pas se réaliser... sinon par le récit de sa propre personne. Je ne les lirai pas; mais, si je ne puis vous refuser le droit d’en faire usage, je vous prie de ne parler de moi qu’après que j’aurai rejoint mon mari.
Cynthia passa dans une chambre voisine; j’entendis le bruit d’une trappe de cheminée, le crépitement d’un feu de bois. Une odeur de papier brûlé se répandit dans l’air.
Elle revint, au bout de quelques minutes, tremblante...
—Ils flambent!—dit-elle—n’entrez pas!...—et reprenant le récit du suicide:—Je croyais Georges capable de tout, sauf d’attenter à ses jours. J’associai ma destinée à la sienne pour éviter des malheurs. Il m’avait plusieurs fois menacée d’un «coup de tête»; une seule fois, je doutai de sa parole et lui portai un défi... il aimait trop la vie, et j’espérais qu’il voudrait encore et toujours recommencer! Le pauvre cher ignorait-il lui, si conscient, que quand nous nous réveillerons d’entre les morts, nous nous apercevrons que nous n’avons jamais vécu?
La veuve de Georges Aymeris allait s’engager bientôt comme infirmière dans une ambulance du front, et son corps devait rester en terre de France, mais loin du cimetière où repose enfin mon ami.
Prieuré de Saint-Louans, août 1918.
NOTES
ET
JUSTIFICATION
DU TIRAGE