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Biographie des Sagamos illustres de l'Amérique Septentrionale (1848)

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The Project Gutenberg eBook of Biographie des Sagamos illustres de l'Amérique Septentrionale (1848)

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Title: Biographie des Sagamos illustres de l'Amérique Septentrionale (1848)

Author: Maximilien Bibaud

Release date: May 20, 2007 [eBook #21544]
Most recently updated: August 22, 2020

Language: French

Credits: Produced by Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK BIOGRAPHIE DES SAGAMOS ILLUSTRES DE L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE (1848) ***


BIOGRAPHIE
DES
SAGAMOS ILLUSTRES
DE
L'AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE

PRÉCÉDÉE D'UN INDEX DE L'HISTOIRE FABULEUSE DE CE CONTINENT.

PAR

F. M. MAXIMILIEN BIBAUD.

CORRESPONDANT DES INSTITUTS DE MONTRÉAL ET DE QUÉBEC.


Where our Chiefs of Old; where our heroes of mighty name?
The fields of their battles are silent--scarce their mossy tombs remain!
OSSIAK


MONTRÉAL
DE L'IMPRIMERIE DE LOVELL ET GIBSON, RUE SAINT NICOLAS

1848


PETIT DICTIONNAIRE
DE LA
MYTHOLOGIE AMÉRICAINE.


AMÉRIQUE, ainsi nommée d'Amerigo Vespucci. On la peint comme une femme au teint olivâtre, coiffée de plumes et armée de flèches. A ses pieds, une tête percée d'une flèche, dénote qu'elle a des habitans antropophages. A ses côtés est le calumet, dont les ailes du caducée de Mercure annoncent l'usage. La pêche et la chasse, principale occupation des Américains, sont désignés par deux enfans changés l'un de poisson, l'autre de gibier. Le caïman et le bananier achèvent de la caractériser. Lebrun l'a exprimée par une femme d'une carnation olivâtre, qui a quelque chose de barbare. Elle est assise sur une tortue, et tient d'une main une javeline, et de l'autre un arc. Sa coiffure est composée de plumes de diverses couleurs; elle est revêtue d'une espèce de jupe qui ne la couvre que de la ceinture aux genoux.

ARESKOVI, AREOUSKI, dieu de la guerre, que les Hurons invoquaient avant de se préparer au combat, par cette prière que prononçait leur Chef: «Je t'invoque pour que tu sois favorable à mon entreprise; et vous, esprits, bons ou mauvais, vous tous qui êtes dans les cieux, sur terre et sous terre, je vous invoque aussi. Pressez votre puissance, et faites en sortir tous les fléaux vengeurs, qui versent la destruction sur nos ennemis. Rendez-les victimes de notre colère, et ramenez-nous dans notre pays couverts des ornemens de la victoire; que la gloire nous porte sur ses ailes jusque dans les pays les plus éloignés. Et toi! mort, aiguise ta faux tranchante: fais baiser la poussière de nos pieds à ces tribus qui nous veulent la guerre.»

ATAHUATA, nom du créateur du monde dans l'opinion de certains sauvages riverains du St. Laurent. V. Otkee.

ATLANTIDE, île fabuleuse, que Platon place dans l'Océan près des colonnes d'Hercule, et qu'il suppose avoir été engloutie. Je ne la mentionne que parce que M. Garneau, de Québec, qui publie une nouvelle histoire du Canada, semble être d'opinion que des auteurs ont cru que l'Atlantide était l'Amérique.--Diodore, sicule, place dans cette île le berceau de toute les mythologies.

CHOUN, divinité adorée dans le Pérou, avant l'origine des Incas. Les Péruviens racontaient qu'il vint chez eux, des parties septentrionales du monde, un homme extraordinaire, qui avait un corps sans os et sans muscles; qu'il abaissait les montagnes, comblait les vallées, et se frayait un chemin en des lieux inaccessibles. Ce choun, législateur du Pérou, établit ce pays, auparavant inhabité. Les parties septentrionales dénotent clairement le nord de l'Europe.

COSMOGONIE. Les peuples qui habitaient les rives du Mississipi, et certains d'entre ceux du Canada s'imaginaient que le ciel, la terre et les hommes ont été faits par une femme qui gouverne le monde avec son fils. Le fils est le principe du bien, et la mère, celui du mal. Voici comment ils expliquent la création. Une femme descendit du ciel, et voltigea quelques temps en l'air, se sachant où poser le pied. La tortue lui offrit son dos: elle l'accepta, et y fit sa demeure. Dans la suite, les immondices de la mer se ramassèrent autour de la tortue, et y formèrent insensiblement une grande étendue de terre. Un esprit, qui savait que la solitude n'était point du goût de cette femme, descendit aussi, et ils eurent deux jumeaux, qui s'occupèrent de la chasse. La jalousie les brouilla, et il y en eut un qui fut enlevé au ciel. L'esprit donna à la femme une fille qui peupla l'Amérique méridionale.

La femme, chassée du ciel, selon les Hurons et les Iroquois, pour l'avoir souillé par son commerce avec Hougoaho, s'appelait Atehentsick.

Le Chippeouais croient que le globe n'était d'abord qu'un vaste Océan, et qu'il n'y avait d'être vivant qu'un puissant oiseau, dont les yeux étaient de feu, les regards des éclairs, et le mouvement des ailes un tonnerre éclatant. Il descendit sur l'Océan, et aussitôt qu'il le toucha, la terre s'élança au-dessus des eaux, et y demeura en équilibre. L'ancienne école de géologie, qui se forma en Europe au seizième siècle, s'expliquait à peu près comme les Chippeouais, è part le puissant oiseau de ces derniers.

D'autre croient que l'être suprême porté sur les eaux avec tous les esprits qui composaient sa cour, forma le monde d'un grain de sable qu'il tira de l'Océan.

CUNTUR, oiseau fameux au Pérou, où il était adoré comme une divinité. Les Espagnols l'appellent condor. Les naturalistes pensent que c'est le même que le rouch de Arabes.

CUPAY, selon les Floridiens, préside dans le bas monde où les méchans sont punis après leur mort. C'est leur Pluton.

DABAIBA, déesse des habitans de Panama, née de race mortelle, fut déifiée après sa mort, et appelée la mère des dieux. Quand il tonne, c'est au dire des habitans, Dabaiba, qui est en colère.

DÉLUGE. Les Brésiliens racontent qu'un étranger fort puissant, et qui haïssait extrêmement leurs ancêtres, les fit tous périr par une violente inondation, excepté deux, qu'il conserva pour faire de nouveaux hommes.

Les Mexicains prétendent que Dieu avait fait de terre un homme et une femme, et que ces deux modèles de la race humaine étant allé se baigner, perdirent leur forme dans l'eau. Dieu la leur rendit par le moyen d'un mélange de métaux. Leurs descendans, étant tombés dans l'oubli de leur devoir, en furent punis par un déluge, qui les détruisit, à l'exception d'un prêtre nommé Tezpi, qui s'était mis avec sa femme et ses enfans dans un grand coffre de bois, où il avait aussi rassemblé quantité d'animaux et d'excellentes semences. Après l'abaissement des eaux, il avait lâché un oiseau nommé Aura, et plusieurs autres successivement. Le plus petit, et celui que les Mexicains estiment le plus par la variété de ses couleurs, revint avec une branche dans son bec.--V. à l'article de Passaconaoua un récit différent d'après les livres peints.

ESPRITS. Les Chrystinaux s'imaginaient que lorsqu'un homme est enterré sans qu'on place à côté de lui tout ce qui lui a appartenu, son esprit revêt une forme humaine, et se montre sur les arbres les plus voisins de sa cabane, ne prenant de repos qu'après que les objets qu'il réclame ont été déposés dans sa tombe.

ÉTERNITÉ. Les Virginiens regardaient le cours perpétuel des fleuves comme le symbole de l'éternité de Dieu, et dans cette idée, leur offraient des sacrifices.

JONGLEURS. Les Illinois et les peuples du sud ont des prêtres fort habiles, et d'autant plus redoutés que l'on croit qu'ils peuvent faire mourir un homme, fût-il à 200 lieues de distance. Ces fourbes font une figure d'homme qui représente leur ennemi, et lui décochent une flèche dans le coeur: l'homme représenté par cette image, a infailliblement, selon eux, ressenti l'effet de dette blessure. Le même préjugé régnait en Europe au moyen âge: j'en trouve un exemple remarquable dans l'histoire d'Angleterre.

JOUANAS, prêtres de Floride. Voyez ce que je dis d'Iarva au chapitre des Paraoustis.

JOUKESKA, le premier des bons génies, ou le soleil, selon les sauvages du Nord.

JUBILÉ. Les Mexicains avaient une espèce de jubilé, de quatre en quatre ans, durant lequel ils croyaient obtenir le pardon de leurs fautes. Des jeunes gens des plus lestes et des plus vigoureux se défiaient à la course. Il s'agissait de monter sans reprendre haleine, au sommet d'une montagne, où était bâti le Temple de Tescalipuca, dieu de la pénitence. Celui qui arrivait le premier recevait les plus grands honneurs, et le privilège d'enlever les viandes sacrées.

KICHTAN, l'être suprême, selon les premiers sauvages de la Nouvelle Angleterre, a créé le monde et tout ce qu'il contient. Après la mort, les hommes vont frapper à la porte de son palais. Il reçoit les bons; mais il dit aux méchans: Retirez-vous, il n'y a point ici de place pour vous.

KITCHI-MANITOU, déité des sauvages du Canada, à laquelle ils attribuaient tout le bien. V. Matchi-Manitou.

KIWASA, dieu des Virginiens. Ils le représentaient avec un calumet, auquel ils mettaient le feu. Un prêtre, caché derrière l'idole, aspirait le tabac, è la faveur de l'obscurité dont il s'environnait. Kiwase apparaissait quelque fois, en personne, à ses adorateurs, sous la figure d'un bel homme, avec, sur un côté de la tête, une touffe de cheveux qui lui descendait jusques aux pieds. Il se rendait au Temple, y fesait quelques tours dans une grande agitation, et retournait au ciel, quand on lui avait envoyé huit prêtres pour savoir sa volonté.

KUPAY, nom du démon chez les Péruviens. Quand ils prononçaient ce nom, ils crachaient à terre en signe d'exécration.

LAÏCA, nom de fée au Pérou. Elle était bienfaisante, au lieu que la plupart des magiciens se plaisaient à faire du mal.

LUGUBRE, oiseau du Brézil dont le cri funèbre ne se fait entendre que la nuit, ce qui le fait respecter des naturels, qui s'imaginent qu'il est chargé de leur porter des nouvelles des morts. Léry, voyageur français, raconte, que passant par un village, et ayant ri de l'attention avec laquelle ils écoutaient les cris de cet oiseau, un ancien lui dit rudement: Tais-toi, et ne nous empêche point d'entendre les nouvelles que nous font annoncer nos grands-pères.

LUNE. Les Péruviens regardaient la lune comme la mère de leurs Incas. Ils prétendaient aussi que les marques noires que l'on aperçois en elle, lui ont été faite par une renard, devenu amoureux d'elle, et qui, ayant monté ciel, l'embrassa si étroitement, qu'il lui fit ces taches à force de la serrer.

MAMACOCHA, sous ce nom les Péruviens adoraient l'Océan. Acosta apud Noël.

MANCO-CAPAC, législateur et dieu de ces peuples. Manco et sa femme étaient les enfans du soleil. Cet astre les ayant chargés d'instruire et d'humaniser les Péruviens, ils se mirent en route, et se guidèrent au moyen d'une verge d'or. Arrivés dans la vallée de Cusco, la verge s'abyma en terre, d'où ils conclurent que ce lieu devait être le siège de l'empire. V. Pacha-camac.

MATCHI-MANITOU, esprit malfaisant des sauvages du Nord. Plusieurs croyaient que les orages sont causés par l'esprit de la lune qui s'agite dans les eaux. Ils jetaient alors dans la mer ce qu'ils avaient de plus précieux dans leurs canots, croyant l'apaiser par ce sacrifice.

MATCOMECH, dieu de l'hiver chez les Iroquois.

MATILALCUIA, déesse des eaux chez les Mexicains. Elle était revêtue d'une chemise bleue céleste.

MESSOU, déité qui répara les désastres causés par le déluge. Ce Messou allant à la chasse, ses chiens se perdirent dans un grand lac, qui, venant à se déborder, couvrit la terre en peu de temps; mais ce Dieu changea d'autres animaux en hommes, et repeupla le monde.

OIROU, objet du culte des anciens Iroquois. C'était la première bagatelle qu'ils voyaient en songe, un calumet, une plante, etc., etc.

OTKEE, selon les sauvages de Virginie, Otkon suivant les Iroquois, était le nom du créateur du monde.

OUAHICHE, génie dont les prêtres iroquois prétendaient savoir le passé, le présent et l'avenir.

OUIKKA, l'Eole des Esquimaux, fait naître les tempêtes, renverse les barques, et rend inutiles les plus généreux efforts de ceux qui conduisent les pirogues. Ceux qui découvrirent les premiers l'Amérique n'avaient point avec eux de Camoëns. Dans la Susiade, par ce grand poëte, lorsque Vasco de Gama est près de doubler le Cap des Tempêtes, tout-à-coup, on aperçoit un personnage formidable qui s'élève du fond des mers, sa tête souche les nues, les vents, les tonnerres sont autour de lui, ses bras s'étendent sur la surface des eaux. Ce génie est le gardien de cet Océan, dont nul vaisseau n'avait encore fendu les ondes. Il menace la flotte, il se plaint de l'audace des Portugais qui viennent lui disputer l'empire de ces mers, et leur annonce toutes les calamités qui doivent traverser leurs entreprises. Cette fiction est une des plus belles que l'on puisse opposer aux anciens.

PACHACAMAC, celui qui anime le monde, nom de l'être suprême au Pérou. La terre était adorée sous le nom de Pachacamama.

PARADIS. Les mexicains pensaient que le ciel est placé près du soleil. Dans ce séjour, les défenseurs de la patrie occupent le premier rang, et les victimes immolées aux dieux, le second.

Les Floridiens apalaches croient que les âmes des bons prennent rang parmi les étoiles.

PAWORANCE, c'est le nom que les Virginiens donnaient à leurs autels. Avant l'arrivée des Anglais, le principal Temple était bâti dans un lieu appelé Ultamus Sak. On y voyait trois grands bâtimens de soixante pieds chacun et tout remplis d'images. On conservait les corps des rois dans ces maisons religieuses où les prêtres seule et les princes avaient le privilège d'entrer. Le Paworance était d'un crystal solide et si transparent, que l'on pouvait voir au travers le grain de la peau d'un homme. Les Virginiens respectaient beaucoup un petit oiseau qui répète sans cesse le mot Paworance. Ils disaient que cet oiseau était l'aîné d'un de leurs princes.

QUITZALCOAT, dieu du commerce chez les Mexicains. C'était leur Mercure. On l'honorait particulièrement à Cholula, ville que l'on croyait qu'il avait fondée.

SERMENT. Lorsque les Arkansas, sauvages de la Louisiane, juraient ou fesaient quelque serment, ils prenaient un casse-tête, avec lequel ils frappaient sur un poteau, en rappellant les beaux coups qu'ils avaient faits à la guerre, et en promettant de tenir leur parole--(Noël d'après Bossu).

SOLEIL. On peut ranger parmi les adorateurs du soleil les Floridiens apalaches. Ils attribuaient à cet astre la création de l'Univers, et racontaient, qu'ayant cessé de paraître durant vingt-quatre heures, son absence occasionna un affreux déluge. Les eaux du grand lac Théomi ayant débordé couvrirent la terre et jusques aux plus hautes montagnes, excepté celle d'Olaimy, sur laquelle se soleil s'était lui-même bâti un temple.

Les Natchez et les peuples du Mississipi regardaient le soleil comme un des aïeux de leurs Chefs.

Les femmes, dans le Canada, haranguaient l'astre du jour à son lever, et lui présentaient leurs enfans.

SOULBIECHE, nom de l'être suprême chez les Allibamons, peuplade de la Louisiane.

TATUSIO, dieu des Magnacicas, peuplade du Paraguay, garde jour et nuit un pont de bois jeté sur un grand fleuve, où se rendent les âmes au sortir du corps. Ce dieu les purifie avant de les laisser passer pour aller en paradis, et si elles font la moindre résistance, il les précipite dans le fleuve--(Le P. Charlevoix, Hist. du Paraguay.)

TAZI, mère commune, nom que les Mexicains donnaient à la terre.

TEPHRAMANCIE, espèce de divination dans laquelle on se servait de la cendre du feu qui avait consumé les victimes. On prétend que les Algonquins et les Abénaquis la pratiquaient.

TESCALIPUCA, dieu de la pénitence au Mexique. Son idole était d'une pierre noire et polie comme le marbre. Elle avait à la lèvre inférieure des anneaux d'or avec un petit tuyau de crystal, d'où sortait une plume verte ou bleue; la tresse de ses cheveux était dorée, et supportait une oreille d'or, symbole de l'attention. Elle avait sur la poitrine un lingot d'or; ses bras étaient couverts de chaînes du même métal; une émeraude formait son ombilic, et elle avait à la main gauche une plaque d'or unie comme un miroir, d'où sortaient en forme d'éventail, des plumes de diverses couleurs.

TLALOCATETULTHLI, dieu des eaux, le Neptune des Mexicains.

TOIA, dieu de la guerre chez les Floridiens.

TORI, grand'mère, nom donné à une ancienne reine des Mexicains, qu'ils avaient divinisée, et qui était comme leur Cybelle.

TOUPAN, nom sous lequel les peuples du Brésil honorent le tonnerre. Ils sont saisis de la plus grande frayeur en l'entendant gronder, et quand on leur dit qu'il faut adorer le vrai Dieu, qui est le maître du tonner: chose étrange! disent-ils, que Dieu qui est si bon, épouvante ainsi les hommes.

TUPARAN ou WAC, selon les Edues peuplade de la Californie, se révolta autrefois contre Niparaya, créateur du ciel et de la terre, et osa lui livrer bataille. Mais Niparaya le défit, le dépouilla de sa puissance, le chassa du ciel, et le confina dans une caverne souterraine, qu'il donna en garde aus baleines. Ce dieu bienfaisant n'aime pas que les hommes se battent, et ceux qui meurent d'un coup de flèche ou d'épée ne vont point au ciel. Au contraire Tuparan aime la guerre, parce qu'elle peuple sa caverne.

UCUPACHA, bas monde, un des noms que les Péruviens donnent à leur principal dieu Pacha-camac.

VEU PACHA, centre de la terre. Les Amautas, docteurs et philosophes du Pérou, appellaient ainsi l'enfer. Ils pensaient à peu près comme le célèbre théologien Lessius, qui place aussi l'enfer au centre de la terre; mais ils n'y mettaient pas comme lui de l'huile bouillante, et ne fesaient consister ses tourmens que dans les maux ordinaires de la vie, sans aucun mélange de bonheur ni de consolation.

VICTIMES. Quelques peuplades du Mexique ayant été battues par Ferdinand Cortez lui envoyèrent des députés avec trois sortes de présens. «Seigneur, lui dirent-ils, voilà cinq esclaves que nous t'offrons; si tu es un dieu qui se nourrisse de chair et de sang, sacrifie les; si tu es un dieu débonnaire, voilà de l'encens et des plumes; si tu es un homme, prends ces oiseaux et ces fruits.»

VITZILIPUTZILI, le plus fameux des dieux du Mexique, y conduisit les Mexicains comme Jehovah conduisit les Hébreux. Les Mexicains, ainsi appellés de Mexi leur général, étaient d'abord des peuplades vagabondes. Ils firent une irruption sur les terres de certains peuples appellés Navatelcas, assurés du succès de leur dieu, qui marchait lui-même à leur tête, porté par quatre prêtres, dans un coffre tissu de roseaux. Les Mexicains avaient une immense étendue de pays à parcourir avant d'arriver à cette terre promise; mais enfin, Viziliputzili ordonna à Mexi d'asseoir son camp dans un endroit où l'on trouva un figuier planté dans un rocher, sur les branches duquel était perché un aigle tenant entre ses griffes un petit oiseau.


EXTRAIT DU PROSPECTUS.


M. D. disait dans le tome VIIIe de la Bibliothèque Canadienne: «Une Biographie des Américains Naturels, ou une Histoire des principaux Guerriers et Orateurs Sauvages de l'Amérique du Nord, sans y comprendre même le Mexique, ne serait pas un ouvrage dépourvu d'intérêt.» En effet, c'est bien d'une telle histoire que M. Dainville pouvait dire avec vérité, qu'elle est singulièrement riche en beautés effrayantes; que des guerres sans fin, des moeurs fortes, naïves, farouches, qui montrent à nu les traits primitifs de l'âme humaine, lui donnent un intérêt romanesque.

Le sort déplorable qui semble réservé à la plupart des tribus, prête à cette histoire un intérêt d'un autre genre: aussi longtemps qu'il en restera une seule sur ce vaste continent, elle sera méprisée et pourchassée; mais la dernière famille n'aura pas plutôt disparu, que les sentimens des hommes seront changés. Le philosophe regrettera de ne pouvoir converser avec une race d'hommes qu'il jugera la plus intéressante du globe; et le dessinateur, de ne pouvoir nous retracer des traits qui se sont effacés dans l'oubli. Adam Kidd a chanté en vers «le Chef Huron.» On offre maintenant une histoire; mais la nature l'a faite riche de la poésie des choses.


PREMIÈRE PARTIE



INTRODUCTION


Les anciens historiens font mention d'un grand nombre de peuples qui avaient habité une partie de l'ancien monde, et qui disparurent ce qui donna lieu de croire qu'ils n'existaient plus, qu'ils s'étaient éteints, comme Pline le jeune le suppose. La découverte du nouveau monde reproduit ces nations: il resterait à fixer leur origine étudiée par les Grotiue, les Lafitau, les Robertson, les Malte-Brun, les Chneider, et autres savans.

Grotiue prétend, non sans raisons, que des peuples qui habitèrent l'Amérique durent venir, en grande partie, de la Tartarie et de la Scytie. En effet, la ressemblance évidente de moeurs entre quelques peuples du nouveau monde et des anciens Scythes et Tartares, appuie fortement ce savant, et Pline nous assure qu'une grande partie de la nation scythe abandonna autrefois sa demeure en Asie, fuyant la cruauté de ses ennemis. Et pour les Tartares, le livre des Transactions de la Société Littéraire et Historique, que j'ai sous la main, suppose une invasion de ces peuples qui aurait trouvé un libre cours par le Kamschatka: elle aurait laissé des traces de forteresses entre le lac Ontario et le golfe du Mexique. Les huttes, les mariages, les sépultures des Tartares, comme nous les dépeignent MM. Pallas et Gmelin, de la société impériale de St. Pétersbourg, se retrouvent à la lettre en Amérique, comme aussi le culte du soleil et de la lune.

D'autres savans pensent que le continent américain n'était pas inconnu aux Carthaginois, aux anciens Scandinaves et aux Gallois. Hanon 1 aurait visité une partie de l'Amérique cinq cents ou milles ans, comme l'on voudra, avant notre ère, car les chronologues sont partagés sur l'époque à laquelle il faut placer le périple de ce navigateur.

Note 1: (retour) C'est l'opinion de l'historien de la Nouvelle-Ecosse.

Quoique la connaissance de notre hémisphère ait été justement attribué aux scandinaves, leurs premières découvertes ne sont pas bien connues 2, et la plus ancienne qu'ils aient faite, sans que l'on en puisse douter, est celle du Groënland, en 970 3. C'est postérieurement à cette découverte qu'il faut placer le voyage de Leif. «Cet homme, fils d'Eric-Raude, nous dit M. Reinhold Forster, équipe un vaisseau, prent avec lui Biorn, fils d'un islandais herjolf. Il part avec trente hommes pour aller à la découverte. Ils arrivent dans un pays pierreux, stérile, qu'ils appellent Helleland: un autre où ils découvrent des bois est appelé Markland. Deux jours plus tard, ils voient un nouveau payse, et à sa partie septentrionale, une île où il y avait un fleuve qu'ils remontent. Les buissons portaient des baies d'une saveur douce. Enfin, ils arrivent à un lac d'où le fleuve sortait. Dans les plus courts jours' ils n'y virent le soleil que huit heures sur l'horizon. Ce pays devait donc être situé au 49e degré latitude septentrionale, au sud du Groënland, et ainsi, la baie des Exploits ou une autre côte de la rivière St. Laurent. Leif appella ce pays Vinland, parce qu'il y trouva du raisin. Le printems suivant, il retourna au Groënland. Thowald, frère de Leif, revint dans le Vinland, et il y mourut des blessures qu'il reçut dans un combat contre les naturels. Thorstin, troisième fils d'Eric-Raude, vint la même année, avec sa femme, ses enfans et ses domestiques, en tout vingt-cinq personnes. Il mourut, et sa veuve épousa un illustre Islandais qui mena soixante-cinq hommes te cinq femmes, et fonda une colonie. Il commença à trafiquer avec les Skallingers, habitans du lieu, ainsi appelés à cause le leur petite taille. Ce sont sans doute les Esquimaux, même race que ceux du Groënland. Les descendans de ces Normands, qui se fixèrent en Amérique, s'y sont maintenus longtems, bien que depuis le voyage de l'évêque Islandais--Eric, en 1121, on n'en ait plus ouï parler.» M. Filson appuie cette légende, et il ajoute que des troubles survenus en Danemark firent oublier le Vinland. Voyons les annales du Nord: j'y trouve qu'en effet, environ ce temps, le prince Magnus prit part aux troubles qui agitaient la Suède, et qui s'étendirent au Danemark et à la Norwége.

Note 2: (retour) La Société des Antiquaires du Nord vient de publier à Copenhague, sous ce titre «Antiquitates Americanæ» d'anciens manuscrits qui peuvent fixer ces découvertes, si tant est que l'on doive s'en rapporter à eux.
Note 3: (retour) On l'attribue à Eric-le-Rouge.

Il est vrai que les Groënlandais ressemblent parfaitement aux Esquimaux, et c'est ce qui a fait conclure que ceux-ci en sont une branche. Cependant le docteur Powell, dans sa chronique du Pays de Galles, assure que vers la fin du douzième siècle, Madoc, prince de ce petit état, fatigué de la guerre que se fesaient ses frères, au sujet de la succession de leur père, Ownen-Gwinned, abandonna la querelle et alla à la recherche de nouvelles terres. Il aurait découvert du côté de l'ouest, une contrée fertile, où il aurait laissé une colonie. Il fit voile une seconde fois, dit la légende, et ne reparut plus. On a pensé que ce Madoc pourrait bien être plutôt le père des Esquimaux et la singulière facilité avec laquelle cette famille entend le langage gallois rent moins invraisemblable cette riante hypothèse, qui a inspiré à Southey, l'émule de lord Byron, des vers si enchanteurs.

On a cherché une autre tige aux Hurons et aux Iroquois. Quelques coutumes des Lyciens ont amené le P. Lafitau à conjecturer que ces deux familles pouvaient tirer leur origine de cet ancien peuple. Les Lyciens s'étant amollis, les femmes établirent leur autorité par une loi immuable 4. Depuis ce temps, ces peuples s'étaient faits à cette forme de gouvernement gynécocratique, et la trouvaient la plus douce et la plus commode. Les reines avaient un conseil de vieillards qui les assistaient de leurs avis. Les hommes proposaient les lois, mais les femmes les fesaient exécuter. Si une femme de la noblesse épousait un plébéïen, ses enfans étaient nobles 5, plébéïens, au contraire, si un noble s'alliait à une plébéïenne.

Note 4: (retour) Les Lyciennes eurent des imitatrices. «Les femmes de Lemnos, dit Mela, ayant toutes tué leurs maris régnèrent en souveraines dans cette île.» Hypsipile ayant voulu épargner le sien, elle fut vendue à des pyrates. Eustharte, d'après Denys Périégète, nous apprends que les femmes de l'île Man, en Bretagne, en chassèrent les hommes. Enfin, les Amazones ont occupé les savans.
Note 5: (retour) Partus sequitur ventrem.

Chez les Iroquois, les femmes jouissaient aussi en quelque sorte de la supériorité. Les enfans suivaient la caste de leur mère. Le pays, les champs, les moissons étaient confiés aux soins des femmes, qui réglaient aussi les alliances 6.

Note 6: (retour) Il n'est aucune peuplade de sauvages chez laquelle le sexe jouisse d'un sort plus doux qu'au Canada. Peut-être même la considération dont il y est en possession, aurait-elle quelque chose d'extraordinaire dans notre Europe policée. A proprement parler, elles (les femmes) y ordonnent. Après avoir délibéré entre elles, sur les objets les plus importans du gouvernement de la nation, elles envoient au conseil des hommes, où leur voix est presque toujours prépondérante. (EMMANUEL KANT, Traité du Sublime et du beau)

Pour dire quelque chose de plus général sur la première habitation de notre continent, D. Ulloa 7 croit à peine, dit M. Lefebvre de Villebrune, que le Nord-Est de l'Asie ait pu fournir des habitans à l'Amérique. Les voyages du célèbre Cook, et la fuite d'une colonie sauvage américaine qui, pour éviter sa destruction totale, se sauva sur le continent asiatique, prouvent qu'il est mal fondé dans son opinion. Le passage est aujourd'hui connu. Il l'était même des anciens, si l'on peut s'en rapporter à Pline, à qui l'on rend avec raison plus de justice que par le passé. Ses prétendues fables deviendront peu à peu des vérités certaines. Ce qui me donne à penser que, s'il ne faut pas croire sans preuves, il ne faut pas non plus rejetter légèrement. Cet habile naturaliste nous dit donc qu'il avait paru dans les mers de la Germanie des vaisseaux venus des Indes par le Nord. Pourquoi, ajoute-t-on, ces vaisseaux n'auraient-ils pu faire ce voyage, puisque dans le dixième et l'onzième siècle, les habitans du Nord allaient par mer en Amérique, et en revenaient sans s'égarer? L'hypothèse de la population de l'Amérique par l'Asie est encore celle qui sourit le plus au corps des théologiens 8. Malgré sa probabilité, je n'ai voulu que rapporter les opinions des savans, sans me prononcer ouvertement sur aucune; mieux vaut peut-être imiter la modestie d'un ancien, qui a dit: «Quam bellum est velle confiteri potius nescire quod nescias 9

Note 7: (retour) Lieutenant-général des armées navales de l'Espagne, membre des sociétés royales de Londres, de Madrid et de Stockholm. Il raisonne sur le sujet en fanatique plutôt qu'en savant.
Note 8: (retour) «I faut remarquer que l'Amérique n'est séparée de l'Asie au Nord que par le Détroit de Bérhing, qui est souvent entièrement pris par la glace, et permet aux ours d'Amérique de passer en Asie. Ce fait explique comment l'Amérique a pu être peuplée au moyen de colonies errantes dans le nord de l'Asie»--(DESDOUITS, Liv. de la Nature).
Note 9: (retour) Cicéron, De Nat. Deorum.

Plaçons à la suite quelques aperçus sur les pays qui sont le théâtre des évènements de cette histoire. Ainsi Raynal décrit l'Amérique: «Les premiers qui y allèrent fonder des colonies, y trouvèrent d'immenses forêts. Les gros arbres que la nature y avait poussés jusques aux nues, étaient embarrassés de plantes rampantes qui en interdisaient l'approche. Des bêtes féroces rendaient ces forêts inaccessibles. On y rencontrait à peine quelques sauvages hérissés de poil et de la dépouille de ces animaux. Les Humains épars se fuyaient, ou ne se cherchaient que pour se détruire. La terre y semblait inutile à l'homme, et s'occuper moins à la nourrir qu'à se peupler d'animaux plus dociles aux lois de la nature. Elle produisait à son gré sans aide et sans maître, elle entassait toutes ses productions avec une profusion indépendante, ne voulant être riche et féconde que pour elle-même, non pour l'agrément et la commodité d'une seule espèce d'êtres. Les fleuves tantôt coulaient librement au milieu des forêts, tantôt dormaient et s'étendaient tranquillement au sein de vastes marais d'où, se répandant par diverses issues, ils enchaînaient des îles dans une multitude de bras. Le printems renaissait des débris de l'automne. Des troncs creusés par le temps servaient de retraite à d'innombrables oiseaux. La mer bondissant sur les côtes et dans les golfes, qu'elle se plaisait à ronger, à créneler, y vomissait par bandes des monstres amphibies, d'énormes cétacées.... qui venaient se jouer sur des rives désertes. C'est là que la nature exerçait sa force créatrice en reproduisant sans cesse ses grandes espèces qu'elle couve dans les abîmes de l'Océan. La mer et la terre étaient libres. Tout-à-coup, l'homme parut, (ajoute l'historien des Indes Occidentales), et l'Amérique se couvrit de Cités.»

Qui ne lit que ce tableau un peu pédant, ne sait pas assez. Sans rappeler que les Espagnols trouvèrent ailleurs le florissant empire péruvien et les fiers Incas, nos plages septentrionales, où l'on voyait le royaume du Mexique, n'étaient pas non plus si désertes, ni leurs habitans si féroces. Six familles principales occupaient les pays qu'occupèrent depuis les Anglais et les Français. Les savans les ont classées comme suit: La famille Canadoise, qui disparut bientôt après l'arrivée des Européens. La famille Mobile-Natchez ou de Floride, qui comprenait un grand nombre de peuplades. Les Chickasas, les Choctas, et les Seminoles, font encore partie de cette confédération, avec les Muscogules qui, selon M. Gallatin, offriraient la plus grande confédération sur le territoire des États-Unis. Elle occupe les fertiles vallées de l'Alabama et de la Géorgie. La famille Gaspésienne, fort nombreuse au temps de la découverte. Il paraît que C'est à une tribu de cette famille qui habitait sur la rive droite du Saint-Laurent, que l'on doit attribuer tout ce qui a été dit des sauvages que l'on y vit, si remarquables par leurs moeurs policées et le culte qu'ils rendaient au soleil. Ils connaissaient quelques étoiles 10 et traçaient d'assez bonnes cartes de leur pays. Grand nombre vénéraient la croix avant l'arrivée des Français, et conservaient une tradition curieuse sur un homme d'un caractère sacré, qui leur apporta ce signe, et les délivra d'une terrible épidémie. Je pense avec Malte-Brun que ce devait être l'évêque du Groënland. La famille nommée par Vater, Chippeouai-Delaware ou Algonquino-Mohicans comprenant les Algonquins, peuple qui fut quelque temps la terreur des Iroquois, les Chaouanis, les Mohicans, les Saukis et les Outagamis. La famille dite Mohweke-Huronne, composée des Hurons et des Iroquois. Ces deux peuples, qui eurent une même origine, se formèrent en république. Ils se séparèrent vers la fin du seizième siècle. Les Iroquois formèrent alors les Cinq Cantons, qui ressemblaient à la république des Suisses 11, et ils se montrèrent encore plus remuans. La famille Sioux-Osage, à laquelle se rattachaient un grand nombre de peuples qui ne s'isolèrent que peu à peu. Les principaux étaient les Sioux ou Dacotahs, les Assiniboins, qui s'allièrent avec les Chippeouais, les Omahas 12 et les Mandans, peuplade remarquable par la blancheur de ses individus 13. On peut encore comprendre dans cette famille les Ouassas, peuple doux et de bon sens. Comme les Romains au temps de Romulus, ils commençaient leur année vers l'équinoxe du printems. Ils ne connaissaient point de semaines, non plus que la plupart des Américains, et ne comptaient les jours que par sommeils ou nuits, comme les Anglo-Saxons.

Note 10: (retour) Je ferai assez voir par des exemples que D. Ulloa a eu tort d'assurer dans ses «Mémoires Philosophiques» que les Américains ne comptaient point par lunes.
Note 11: (retour) On se souvient encore du trouble que les anciens Helvétiens causèrent aux Romains et aux peuples qui avoisinaient leur petit territoire.
Note 12: (retour) Ce peuple a des noms particuliers pour désigner l'étoile polaire. Vénus, la Grande Ourse, les Pleyades, la Voie Lactée et la Ceinture de l'Orion, etc.
Note 13: (retour) M. Gallatin pense que c'est la seule peuplade qui ait pu donner lieu au récit des Américains Gallois.

Le lecteur voit dans cette classification des Algonquins, les Mohicans et les Chippeouais confondus dans une même race; je leur joindrai les Outaouais. Ces peuples ne furent séparés que par les Sioux, qui émigrèrent en masse 14 et chassèrent devant eux cette confédération. Les hurons et les Iroquois vinrent sans doute comme les Sioux. Ceux-ci demeurèrent cantonnés sur le vaste territoire qu'ils avaient conquis, et ils n'eurent guère que les Chippeouais à contenir: des guerres intestines contribuèrent aussi à les tenir Renfermés chez eux, et à les faire oublier. Les Iroquois et Les Hurons poursuivirent leur marche victorieuse, chassant devant eux les peuplades précitées, pour s'étendre jusqu'aux extrémités où les Français commençaient à paraître.

Raynal rend justice à l'aspect du sol, qui attirait ces conquérans: il rend hommage à sa richesse. On trouva ces vastes régions couvertes de forêts et dans l'état de nature: cependant leur aspect était des plus variés, et le arbres et les plantes, en nombre infini, annonçaient une heureuse fertilité. Granganimo, Sachem de Roanoake, offre à ses hôtes des melons, des concombres, et d'autres fruits. La vigne sauvage était abondante, mais ce n'était qu'une des moindres richesses du pays. O découvrit un fruit qui pouvait remplacer le pain, et ce trésor ne demandait que d'être rendu plus abondant par les soins de l'homme. Sans parler des sauts et des chûtes qui ont excité l'admiration des voyageurs, les environs du Saint-Laurent étaient dès lors charmans. Ladauanna était le nom que les naturels donnaient à ce fleuve majestueux qui coule des grands lacs, immenses réservoirs purs comme le crystal, et où l'on admire le mirage des nues qui flottent dans l'air, ainsi que des branches de grands pins qui sont à demi penchés sur Le sein de la mer. Le Saint-Laurent sort de ces eaux pour aller se jeter dans celles de l'Ottawa. La jonction de ces deux grandes rivières forme le plu beau spectacle. D'un côté les eaux impatientes de notre beau fleuve roulent au-dessus des rocs, et de l'autre la sombre majesté de l'Ottawa traverse silencieuse d'immenses forêts jusques à la réunion dans la grande vallée d'Hochelaga.

Note 14: (retour) En admettant cette émigration très probable d'au delà des Montagnes Rocheuses, on ne croira pas que les Espagnols anéantirent douze millions d'hommes, comme on l'a supposé.

Les Sioux et les Iroquois n'avaient pas plutôt jeté les yeux sur cette terre, que les Européens l'envahirent à main armée. Ils trouvèrent dans ses possesseurs des peuples sans défiance, doux et agricoles, comme les habitans de Stadaconé, et le peuple charmant de Roanoake, tant admiré par chevaliers de la reine Elizabeth. Je ne vois plus ces quelques barbares de Raynal, hérissés du poil des animaux féroces, mais une race hospitalière capable de faire honte à l'avar égoïsme de nos nations civilisées.

Dans le cours de son voyage Verazani rangeant la côte à vue, fut obligé d'armer sa chaloupe, pour faire de l'eau; mais les vagues étaient dans une telle fureur qu'elle ne put jamais prendre terre. Cependant, les sauvages dont la rive était garnie, invitaient par toutes sortes de démonstrations les Français à s'approcher. Un jeune matelot, bon nageur, hasarda de se jetter à l'eau. Il n'était plus éloigné que d'une portée de mousquet, et il n'avait d'eau que jusques à la ceinture, lorsque, perdant la tête, il se mit à jeter aux sauvages les présens qu'il portait, et voulut regagner la chaloupe; mais à l'instant même, une vague venant du large, le jeta sur la côte avec une telle violence, qu'il resta étendu comme mort sur le sable. Sans forces, sans connaissance, il périssait, lorsque les indigènes accoururent à lui, et le mirent hors de la portée des vagues. Il demeura quelque temps évanoui entre leurs bras, reprit ensuite connaissance, et, saisi de frayeur, il poussa de grands cris, auxquels ils répondirent par des hurlemens destinés à le rassurer, mais qui ne firent qu'augmenter son effroi. Ils le firent asseoir au pied d'une colline, le dos tourné vers le soleil, et allumèrent encore un grand feu. Il crut que l'on allait l'immoler au soleil, et l'équipage, toujours repoussé par le vent, le crut aussi. Mais au lieu de lui faire aucun mal, on séchait ses habits au feu, et on ne l'approchait lui-même qu'autant qu'il fallait pour le refaire. Il se rassura alors, répondit aux caresses des sauvages, et réussit à s'en faire comprendre par signes. Après lui avoir rendu ses habits, et lui avoir fait prendre de la nourriture, ils le tinrent longtems et étroitement embrassé avant que de lui permettre de se confier à la mer. Puis ils s'éloignèrent un peu, pour le laisser en liberté. Lorsqu'ils le virent nager, ils montèrent sur la colline, et ne cessèrent de le suivre des yeux qu'il n'eût atteint le vaisseau. L'intéressant Donnacona reçut aussi cordialement Cartier, et lorsque les Anglais parurent sur la côte de Virginie, Paspiha, lieutenant de Pohatan, leur offrit des rafraîchissements et des terres 15. Anadabijou, Cananacus, Ensenore et Niantonimo ne fournissaient pas de moins beaux traits à cette histoire. «Cette généreuse bonté, dit l'auteur des Beautés de l'Histoire du Canada, dit plus en faveur du coeur humain que vingt traités philosophiques sur la vertu. La loi de la nature, empreinte par la divinité dans le coeur de tous les hommes, leur fait distinguer ce qui est noble; elle inspire le sauvage de même que l'homme policé.» Serait-ce que les Américains ne fussent absolument mus que par cet instinct naturel?--Non, sans doute, et c''est avec tort qu'un écrivain trop partial 16 a affirmé qu'ils n'avaient presque point d'idées religieuses. La plupart croyaient en un être éternel et tout puissant qui a tout créé. Ils admettaient encore un nombre de divinités inférieures, les petits esprits, comme les génies des anciens. Ils rendaient un culte au soleil, et avaient une singulière vénération pour le feu; ce qui ne fortifie pas peu l'opinion qui leur attribue une origine asiatique. En un mot, leur religion ou leur croyance, qui n'était pas exempte de fétichisme, n'était pas non plus étrangère au sabéisme et au dualisme, car un mauvais esprit partage avec le grand esprit le domaine de la nature. Les Sioux, les Saukis, les Chippeouais, les Iroquois, les Ménomènes et les Ouinebagos on toux cette croyance, et j'y découvre le secret des vices du sauvage, qui sacrifie tour à tour au bon et au mauvais esprit. En résultat, on trouve les Américains tour à tour vertueux et vicieux, généreux et cruels, fidèles et perfides.

Note 15: (retour) History of the United States.
Note 16: (retour) Dom Ulloa s'est étudié à faire une peinture hideuse des naturels des Deux parties de ce continent. Il ne voit chez eux que lâcheté et perfidie, et nul héroïsme.

Le dogme de l'immortalité de l'âme a été retrouvé chez toutes ces peuplades 17. Ecoutons le chant des funérailles: «Vous qui êtes suspendus au-dessus des vivans, apprenez nous à mourir et à vivre. Le maître de la vie vous a ouvert ses bras, et vous a procuré une heureuse chasse dans l'autre monde. La vie est comme cette couleur brillante du serpent qui paraît et disparaît plus vite que la flèche ne vole; elle est comme cet arc au'amène la tempête au-dessus du torrent, comme l'ombre d'un nuage qui passe.» Les Chrystinaux croyaient voir les âmes de leurs ancêtres dans les nuages qui couvraient leurs pays: cela rappelle les anciens bardes de l'Ecosse 18.

Note 17: (retour) Le nier n'appartenait qu'à une secte méprisable de prétendus philosophes, de philosophastes.
Note 18: (retour) Vers l'an 140 de notre ère, Tramnor, ancêtre de Fingal, s'étant rendu roi du nord de l'Ecosse en réunissant tous les clans de Morwën, détruisit le culte des Druides et celui d'Odin: Il ne resta que les bardes. Leur culte était presque celui des nuages. Les Calédoniens, dans leurs îles brumeuses, croyaient entendre dans les rafales des vents les voix de leurs amis morts Dans les combats; il leur semblait les voir dans les tempêtes traverser les rideaux nébuleux qui s'élevaient de leurs vallées semées de lacs.

La récompense ou les maux de l'autre vie se trouvent encore plus explicitement dans la croyance de quelques peuplades. Les bons, après leur mort, vont dans un lieu de délices où l'on jouit d'un printems éternel, où ils retrouvent leurs enfans et leurs femmes, où les rivières sont poissonneuses, et les plaines couvertes de leurs chers bisons. Pour les méchans, ils sont transportés sur une terre stérile 19, couverte d'une neige éternelle, où le froid les glacera à la vue des flammes qui brilleront à quelque distance. Une forêt impénétrable sépare ces malheureux de leurs frères fortunés qui foulent les champs toujours verts de la félicité, l'Eden sauvage, d'où la postérité du premier homme a aussi mérité d'être exclue, car voici bien dans la tradition iroquoise sa chute quelque peut dénaturée. «Au commencement, disent-ils, il y avait six hommes. Il n'y avait pas de femmes, et ils craignaient que leur race ne s'éteignît avec eux, lorsqu'enfin ils apprirent qu'il y en avait une au ciel. On tint conseil, et il fut convenu que Hougoaho monterait: ce qui parut d'abord impossible. Mais les oiseaux lui prêtèrent le secours de leurs ailes, et le portèrent dans les airs. Il apprit que la femme avait accoutumé de venir puiser de l'eau à une fontaine auprès d'un arbre 20, au pied duquel il attendit qu'elle vint; et la voici venir en effet. Hougoaho cause avec elle et lui fait un présent de graisse d'ours. Une femme causeuse, et qui reçoit des présens, n'est pas longtems victorieuse, observe judicieusement Lafitau: celle-ci fut faible dans le ciel même. Dieu s'en aperçut, et dans sa colère, il la précipita en bas. Mais une tortue la reçut sur son dos, où la loutre et d'autres poissons apportèrent du limon du fond de la mer, et formèrent une petite île qui s'étendit peu à peu et forma tout le globe.»

Note 19: (retour) Un vieux insulaire disait à Colomb: «Tu nous a étonné par ta hardiesse; mais souviens-toi que les âmes ont deux routes après la mort: l'une est obscure, ténébreuse, et c'est celle que prennent ceux qui ont molesté les autres. L'autre est claire, brillante, et elle est destinée à ceux qui ont procuré la paix et le repos.»
Note 20: (retour) Cette légende est un exemple frappant de l'enfance dans laquelle la nature a laissé l'esprit du sauvage: elle ne peut qu'inspirer pour lui un intérêt plus vif.

Avec ces traditions marche de pair le code moral d'une race, une règle des actions chez le sauvage. Cette règle est circonscrite dans des bornes fort étroites. Le courage, la bonne foi, l'amour de la vérité, l'obéissance à ses chefs, l'amour de sa famille, voilà les seules qualités qui doivent le conduire au bonheur. Il manque de ce qu'il lui faut pour appliquer ces quelques principes confus dans sa tête, et se livre au vice avec plus d'ardeur que l'homme civilisé, de même à la vertu.

Quoique l'on ait écrit, il est également difficile d'avancer ou de nier que le sauvage «est intelligent, que son jugement est correct, et qu'il se dirige à une fin par des moyens sûrs.» Mais son imagination est vive, sa mémoire admirable, et sa parole facile. Il y a chez lui une éloquence naturelle forte, mâle et figurée qui s'élève souvent aux plus grands effets oratoires. Dans tous les temps il semble que l'homme du désert ait eu la parole plus énergique que l'homme policé, et Strabon nous apprend que cette éloquence des barbares l'emportait sur le savoir et la grâce des orateurs d'Athènes. L'illustre président Jefferson, enhardi par ce témoignage, mettait quelques harangues improvisées de nos grands chefs à côté des plus beaux passages de Cicéron et de Démosthènes. J'ôserai marcher sur les traces de ce célèbre patriote, mais en m'empressant toutefois d'ajouter que je ne crois pas que lee naturels de ce continent eussent pu, comme ces anciens, composer des discours de longue haleine, n'ayant point comme eux le secours de l'écriture. Comme les Grecs au temps de la guerre de Troie, les hommes énergiques du nouveau monde ont eu leurs Phoenixs et leurs Nestors. J'aime bien mieux un ancien de la nation des sioux dans son laconisme que ce petit roi de Pylos 21. A l'ouest de l'Amérique du Nord, vers ces déserts qui s'étendent sans fin aux pieds des Montagnes Rocheuses, où le génie de Fenimore Cooper a placé les magnifiques scènes de plusieurs romans enchanteurs 22, un vieillard prononce entre deux grands chefs: «Pourquoi la discorde a-t-elle éclaté dans le ouigwam des Dacotahs, dit-il; pourquoi deux Sachems se sont-ils pris de querelle comme deux faucons se disputant leur proie? Le jeune tigre dans son antre tourne-t-il sa dent contre le frère qui gît à côté de lui sous le ventre fauve de leur mère commune? Qu'ils parlent, et la sagesse des Dacotahs jugera leur querelle?» Homère n'a pas fait son orateur si imposant.... Quel orateur parla jamais avec plus d'éloquence que ce chef que l'on voulait éloigner de sa tribu? «Voici la terre où nous sommes nés, là sont ensevelis nos ancêtres. Dirons nous à leurs ossemens, levez-vous et nous suivez dans une terre étrangère!» 23 Souvent les chefs ou les vieillards s'arrêtant au bord d'un précipice, au milieu d'un bois, sur un rocher, racontent, debout, à ceux qui les entourent, les évènemens qui se sont passés dans ces lieux, et ainsi l'histoire se perpétue d'une génération à l'autre.

Note 21: (retour) Nestor voulant calmer la colère d'Agamemnon et d'Achille, ne semble qu'un vieillard préoccupé de se faire valoir.
Note 22: (retour) Dont le seul défaut, comme tels, est de ne contenir presque du vrai.
Note 23: (retour) Un écrivain de Dublin, parlant sur l'amour de la patrie, a cité les paroles de cet orateur sauvage.

Je ne veux pas terminer ce discours sans faire un dernier reproche à l'abbé Raynal. Il me semble qu'il a encore amplifié sur les animaux féroces de notre continent. Les naturalistes placent à peine dans cette classe le lion et le tigre d'Amérique. On trouve l'ours et le serpent à sonnettes. Les animaux utiles y sont en grand nombre, sans parler du bison et du chevreuil, ainsi que des autres espèces qui fournissent au commerce des pelleteries, cette source féconde de richesse, les marais et les lacs découvrent les plus beaux castors. Accoutumé à camper sur le bord des eaux, cet animal intéressant cherche d'ordinaire un étang, et s'il n'en trouve point, il sait en former un dans l'eau courante des fleuves, à la faveur d'une chaussée. Une petite rivière descend-elle dans un lac, il en barricade l'embouchure comme le ferait un régiment du génie. Aucune difficulté n'arrête la nation ouvrière, qui laisse même l'arbre abattu par le vent pour choisir elle-même ses matériaux 24. Elle commence à construire des demeures solides 25. Les cabanes ont deux étages. Le premier, construit sous l'eau, contient les magasins, et le second sert au coucher. Il a été pratiqué sous terre une multitude d'issues par lesquelles un castor peut voyager à l'insu du sauvage le plus vigilant. La république a ses lois. Chaque tribu garde son territoire, et quelque maraudeur est-il surpris chez l'étranger, il est privé de sa queue, ce qui est le plus grand déshonneur. Enfin ces animaux paraissent si extraordinaires aux sauvages, qu'ils les prennent pour des hommes que le Grand Esprit a ainsi transformés; et en les tuant, ils croient les restituer à leur premier état. La chasse favorite des naturels est cependant celle du bison et de l'ours. Ils se frottent de sa graisse comme les gladiateurs De l'antiquité, et se couvrent de sa peau. La plus magnifique variété d'oiseaux vient encore ajouter aux charmes de la vie sauvage.

Note 24: (retour) On pourrait presser les philosophes de définir ce que signifie ce mot banal l'instinct; mais peut-être diront-ils: on le comprend à cette quasi-nécessité que la divinité impose au castor de répété toujours les mêmes manoeuvres, sans savoir même saisir l'opportunité de s'abréger le travail.
Note 25: (retour) Les castors ont égalé le meilleur ciment des Romains.--(BELTRAMI.)

CHAPITRE I


ARGUMENT

De la tradition chez les Américains du Nort--Tashtassack--Sauvages du Canada--Chefs du pays: Donnacona--Ses rapports avec les Français--Agona, Membertou.

Si l'on excepte les traditions religieuses, la tradition orale est à peu près nulle chez les sauvages de cette partie, et comment pouvait-il en être autrement? Les évènemens se succèdent comme les flots, ils s'altèrent de bouche en bouche, et après quelques générations, la mémoire en est éteinte. Les Européens, à leur arrivée, n'en trouvèrent qu'une qui fût bien répandue, et encore était-elle récente. Elle regardait un grand Sachem ou Sagamo 26 Narraghansett, Tashtassack, conquérant comme Nimrod. Qu'il suffise de le mentionner ici, pour observer l'ordre des temps, sauf à en parler encore, lorsque les autres Chefs de sa nation tomberont dans le chaînon chronologique. Consacrons ce chapitre aux Agohannas 27 des contrées qui reçurent le nom de Canada.

Note 26: (retour) Sachem et Sagamo me semblent un même mot diversement prononcé. Il répond assez bien, je crois, au nom de Duc chez les barbares.
Note 27: (retour) Nom qui répond à Sachem.

Quoique Gaboto, amiral de Henri VII, eût parcouru à vue le Labrador: que les compatriotes du citoyen de Bristol eussent, dit-on, découvert le Norembègue, et que Velasco eût, peut-être, remonté le St. Laurent, Vérazani, capitaine de François Ier, parait avoir été le premier qui prit possession de quelques terres dans cette partie de l'Amérique. J'ai parlé de l'hospitalité des naturels qu'il rencontra. Après lui, Cartier paraît. Ce hardi navigateur, reconnaissant l'île de Terre-Neuve, et longeant le Labrador, découvre la baie de Gaspé, et traverse le golfe St. Laurent dans un premier voyage. Ce fut alors qu'il enleva sur la côte deux sauvages considérables venus de Canada 28. Ils se nommaient Taiguragny et Domagaya. Paris vie en eux les prémices d'une race nouvelle, que l'on s'anima de plus en plus à aller reconnaître. Guidé par ces deux chefs, Cartier put pénétrer plus avant dans un second voyage. Il rencontre les pêcheurs du pays à l'embouchure du Saguenay, et, poursuivant sa route, il découvrit la «ville de Stadaconé» sur un vaste amphithéâtre. Un peuple doux et sans méfiance se présenta à lui, et fixa les regards ébahis des Français. Donnacona, qui était le principal chef du pays, fit une harangue de bienvenue, et ses sujets allèrent en grande amitié avec les Européens. S'il m'était permis d'oublier Colomb, je verrais dans Cartier ce Typhis 29 dont parle le poëte; je lui décernerais l'honneur d'avoir lié L'Europe et l'Amérique par un commerce que le temps devait étendre insensiblement.

Note 28: (retour) On peut croire avec M. Andrew Stuart, dans ses recherches mises devant la Société Littéraire, en 1835, que Canada, nom de bourgade, prononcé uniformément par tous les sauvages de la Province, fut pris par les Français pour le nom du pays.
Note 29: (retour)

.............Venient annis

Sæcula, seris, quibus Oceanus

Vincula rerum laxet, et ingens

Pateat tellus; Typhis que novos

Detegat orbes, nec sit terris

Ultima Thule. 30.--(SÉNÈQUE.)

Note 30: (retour) La Thule des anciens était une des Orcades ou une des Shetland.

Pour revenir à Donnacona, s'étant avancé vers le vaisseau de Cartier avec douze embarcations chargées de ses sujets, par une délicatesse qui nous étonne, il en laissa dix en arrière, et ne s'approcha qu'avec les deux autres. Il Demanda les bras du capitaine à baiser en signe d'amitié, et l'on se fêta aussi cordialement que des voyageurs qui se revoient après une longue séparation.

Les sauvages avec lesquels on était ainsi en rapport, avaient guerre avec ceux d'Hochelaga, grosse bourgade, située à peu près où l'on a bâti depuis notre superbe capitale Cartier qui connaissait déjà ce peuple par ce que lui en avait dit Taiguragny et Domagaya, s'ennuya bientôt du séjour de Stadaconé, ou plutôt de Ste. Croix, où il avait assis son petit camp, et voulut aller à la découverte. Donnacona fit tout pour le retenir. Il alla aux vaisseaux avec plus de cinq cents personnes, fit à Cartier mille protestations d'amitié, et lui donna en présent une jeune fille et deux petits garçons, dont l'un était fils de Taiguragny. Le capitaine lui donna à son tour deux épées et deux bassins d'airain, dont il parut fort satisfait, sans oublier néanmoins le principal but de sa visite, qui était de prévenir le voyage. Il déclara qu'il attendait qu'en reconnaissance du sacrifice qu'il fesait des trois enfans nobles, les Français n'iraient point à Hochelaga. Cartier, ne voulant pas se désister, pensa à les lui rendre; mais Donnacona le pressa De les garder, et il prit congé des Européens qui le saluèrent d'une volée de canon et de mousquet.

Ce ne fut pas le dernier effort de l'Agohanna, et il imagina un expédient qui aurait eu le meilleur succès parmi les siens, mais qui ne devait pas en imposer à des Français. Il fit déguiser trois sauvages en sorciers. Vêtus de peaux de chiens noires et blanches, avec des cornes plus longues que le bras, et le visage peint en noir, ils allèrent se cacher dans une barque. On les donna pour des députés du dieu Codoagny, qui venaient prévenir les Français, qu'ils seraient engloutis par les glaces, s'ils persistaient à aller à Hochelaga. Les mariniers se prirent à rire, et ils eurent assez peu de respect pour dire ouvertement que le dieu Cudoagny n'était qu'un sot et ne savait ce qu'il disait.

Cartier partit, et cette démarche le brouilla avec Donnacona. Les habitans d'Hochelaga vinrent au-devant des Français, et leur firent écrit-il «aussi bon accueil que jamais père fit à enfant» 31. Les femmes apportèrent des nattes en guise de tapis, et bientôt après parut porté par quatre guerriers, l'Agohanna du pays. «Ce seigneur n'était pas mieux accoutré que ses vassaux, si ce n'est qu'il portait un bandeau de plumes comme manière de diadème.» Il n'en cédait pas pour les belles manières ç son confrère de Stadaconé, quoiqu'il fût très infirme, et l'on peut dire qu'il se distingua par une hospitalité vraiment princière.

Note 31: (retour) Quoi de plus doux que ce mot «Aguiaze» que les sauvages répétaient sans cesse, et que l'on crut signifier: soyez les bien-venus.

Pour Cartier, après avoir monté sur la montagne, d'où «il eut vue et connaissance de plus de trente lieues à la ronde», il rebroussa chemin, quoiqu'il désirât beaucoup de connaître les peuples qui vivaient au-delà. Parmi ceux du Canada, à cette époque, les Esquimaux étaient le plus au nord; au sud du golfe St. Laurent se trouvait les Mic-macs ou Souriquois; les Montagnais en remontant le fleuve, puis les Algonquins, revenus de la terreur que leur avaient inspiré les Iroquois. En atteignant les grands lacs, on apercevait ces derniers, ainsi que les Hurons ou Yendats. C'étaient apparemment les premiers dont ceux de Stadaconé parlèrent aux Français comme d'une nation qui était «Agojuda», ou d'hommes méchans, «habitant amont le fleuve et armée jusques aux doigts.»

Lorsque Cartier fut de retour, Donnacona le vint visiter, et le pria de venir à sa demeure. Le capitaine se rendit à son désir, et fit le tour des habitations. On parut se festoyer aussi cordialement que jamais; cependant, Taiguragny, à qui le commerce des Européens avait donné de la politique, réussit à prévenir contre eux l'Agohanna. Les méfiances se dévoilèrent. Cartier arma son camps d'une enceinte e pieux debout et de portes à pont-lévis; précaution inutile, si les sauvages eussent connu le ravage que causait le scorbut parmi les Français. Donnacona fit de son côté de grands préparatifs, et les couvrit du prétexte de certaines menées séditieuses de la part d'un homme influent nommé Agona. Au printems de cette année, les habitations se remplirent d'hommes de guerre. C'étaient des jeunes gens beaux et puissans 32. Un émissaire français en trouva le canton si peuplé, qu'à peine on se pouvait tourner dans les maisons ou cabanes. On s'aperçut que c'était un espion, et il fut reconduit à mi-chemin. Cartier conçut alors le dessein de s'emparer de l'Agohanna qui, quoique prévenu par Taiguragny, ne se montra pas plus prudent, et se rendit aux navires, où il était invité à diner. Il monta sur la grand Hermine malgré les remontrances de son plus habile conseiller. Cartier voyant que les femmes fuyaient, et que les hommes demeuraient en grand nombre auprès du navire, ordonna de saisir l'Agohanna, avec Taiguragny et Domagaya. On vit alors se précipiter dans les canots et à travers les bois ce peuple que le désir d'être fêté avait rendu stupide, au point d'aller sans armes, et d'oublier le danger de son maître.

Note 32: (retour) Les premiers sauvages, comme aujourd'hui ceux qui vivent loin des villes, étaient taillés dans les plus magnifiques proportions. Ceux que l'on a trouvés le long du Mississipi de dans le Canada ont une haute taille et un beau corsage.--(D. ULLOA.)

Cependant l'attentat des Français fut le sujet d'une grande tristesse, et durant toute la nuit les sauvages appellaient à grands cris Donnacona. Celui-ci, persuadé par Cartier, se montra sur le pont, et leur dit, qu'il allait au-delà de la mer, d'où il reviendrait chargé de présens après douze lunes; puis par générosité, ou un patriotisme au-dessus de l'éloge, il nomma Agona, son ennemi, régent en son absence. Quatre de ses femmes s'approchèrent alors du navire, et remirent aux Français un grand nombre de colliers «d'esurgni» objet, pour les Canadois, le plus précieux du monde. On mit à la voile le 16 mai, et l'on rencontra à l'île aux Coudres, plusieurs canots venant du Saguenay. Les sauvages ne furent pas peu étonnés du sort de leur chef; mais celui-ci les consola, et ils lui remirent avec dee grandes marques de joie trois paquets de peaux de castor, avec un grand couteau de cuivre rouge 33. On fut à St. Malo, après une traversée de deux mois. Taiguragny voyait le France pour la seconde fois. Donnacona, qui n'était jamais sorti de son pays, mourut peu de temps après son arrivée. «Ce Chef, disent les relations du temps, n'était pas seulement un ancien, qui n'avait cessé d'aller par pays depuis sa connaissance, tant par fleuves et rivières que par terre: c'était encore un homme politique et facétieux, qui voulait éloigner de sa demeurance, un homme suspect, ou rire de sa crédulité.» en cela, il ne fut pas heureux. Il avait dépeint le Saguenay comme peuplé d'hommes vêtus de laine et recélant une quantité prodigieuse d'or et de pierres précieuses. Peut-être le principal motif de Cartier, en le conduisant en France, fut-il de lui faire raconter ces merveilles. En effet, Donnacona tint le même langage dans l'audience qu'il eut de François Ier, qui donna dans ses rêver, et se persuada que le Saguenay était un pays rempli de richesses.

Note 33: (retour) Ce couteau de cuivre sert à prouver que l'on a eu tort de croire, que l'usage du fer fût entièrement inconnu dans cette partie de l'Amérique: voir aussi les Addenda.

Taiguragny et Domagaya vécurent en France comme de grands seigneurs, si Jacques Cartier n'en imposa pas aux Canadois, en 1540.

Agona n'eut pas plutôt vent de son retour, qu'il vint au devant de lui en grande retenue, et parut, dit-on, heureux d'apprendre qu'il devenait Agohanna du pays. Lorsque Cartier eut terminé son discours de bienvenue, Agona, prenant l'espèce de diadême qu'il portait sur sa tête, et les bracelets qu'il avait aux bras, les lui mit, et lui donna l'accolage en signe d'alliance. J'ignore si ces démonstrations étaient sincères. Quoiqu'il en soit, lorsque Cartier moulut visiter la bourgade d'Achelay, il sut que le Chef en était sorti, pour concerter un plan de guerre contre lui avec le nouvel Agohanna. Durant tout l'hiver, les Français furent en effet harcelés et forcés même d'abandonner le camp de Charlebourg-Royal. C'est la dernière fois qu'il est parlé d'Agona. Ce chef devait être un homme habile, à en juger par les mesures prudentes qu'il adopta vis-à-vis des Français. Le choix de Donnacona fait d'ailleurs son éloge.

Il paraît qu'après lui, l'intéressant peuple de Stadaconé disparut bientôt, soit par une épidémie, maladie qui devint commune chez les sauvages et que le Comte Carlo-Carli, croit leur avoir été apportée par les Européens 34; soit qu'ils eussent été dispersés par les Iroquois.

Note 34: (retour) D'autres croient que ce sont les Américains qui ont donné cette maladie aux Européens.

Les Canadois, disent en substance Cartier et Roberval, sont d'une haute stature. Ils sont presque nus en été, et se couvrent de peaux durant l'hiver. Ils portent les cheveux relevés en forme de tresse. Quoiqu'errans par le pays pour la pêche, ils ont des demeures fixes, et après la rivière Saguenay, on découvre la Province de Canada, où il y a plusieurs peuples. Ils ont chacun un roi auquel ils sont merveilleusement soumis, et font honneur en leur manière et façon.

J'ajouterai à la louange de ces peuples qu'ils n'étaient pas simplement chasseurs; ils étaient agricoles, et je ne doute pas que leur culture, si simple cependant, ne fût supérieure à ce qu'eût été, sans les ordres monastiques 35, celle de l'Europe durant la longue agitation du moyen âge. Et l'historien du Canada n'a pas craint de dire que les Canadois étaient en état d'enseigner l'agriculture à ceux qui cherchaient alors à s'établir sur leurs terres 36.

Note 35: (retour) Sir Isaac Newton a rendu cette justice aux institutions claustrales ou religieuses.
Note 36: (retour) Les Armouchiquois, disent en substance de Champlain et Lescarbot, ont des terres défrichées et en défrichent tous les jours. Pour ce faire, ils coupent les arbres à la hauteur de trois pieds, puis brûlent les branchages sur les troncs, et par succession de temps ôtent les racines. Au lieu de charrues, ils ont un instrument de bois fort dur fait en façon de bêche. Ils arrachent toutes les mauvaises herbes, et engraissent la terre de coquillages de poissons. Ils plantent parmi leur blé, des fêves riolées de toutes couleurs. La moisson faite, ils serrent le blé dans des fosses qu'ils font en quelque pente de colline ou tertre, pour l'égoût des eaux.

Il s'élevait dès lors un autre Sachem canadois, Membertou. Il appartenait à cette intéressante famille gaspésienne, dont j'ai parlé plus haut. Nous le verrons Chef des Souriquois.

CHAPITRE II


ARGUMENT

Découverte de la Floride--Des Chefs qui régissent ce pays: Andusta Satouriona, Ouaé-Outina--Amitié d'Andusta pour les Français--Puissance d'Outina et richesse de ses domaines--Les Français recherchent son alliance--Mauvais procédés de ces derniers envers Satouriona--Ambassade envoyée au grand Olata--Description d'une marche guerrière--Incidens--Pénurie des colons--Rupture de l'alliance; Outina est pris et délivré--Les Français sont massacrés par les Espagnols--Représailles--Réflexions.

Sans examiner ici, si Madoc, prince gallois, put débarquer en Floride, je mentionnerai seulement que les amiraux de Henri VII avaient aperçu ce pays, en 1497. Ce ne fut que trente ans après que Pamphile Narvaez, capitaine espagnol, aborda sur les côtes. Il pénétra à la tête de 300 hommes jusqu'aux Apalaches, mais on manque de détails sur son expédition.

Les guerres entre la France et l'Espagne, suscitèrent depuis des navigateurs hardis, qui harcelèrent cette dernière puissance jusque dans ses possessions lointaines. Un des plus célèbres fut le capitaine Robaut, dont le voyage fournit des documens assez étendus sur les peuples de la Floride.

Ils étaient alors gouvernés par des Chefs appelés Paraoustis, comme si l'on disait Sachem ou Agohanna. Il fallait un appui aux nouveaux venus contre les Espagnols, déjà en force dans le pays: Andusta fut le premier qui fit amitié avec eux. C'était un Paraousti considérable, et son alliance valut à Ribaut celle de plusieurs chefs puissans, entre autres, Mahon, Hoya, Touppa, Covecxis, Ouadé et Stabane. Satouriona, autre puissant Paraousti, se joignit à eux. Il avait besoin des Français contre Olata Ouaé Outina, le plus formidable prince de ces régions, qui vivait dans l'intérieur des terres. Mais il arriva que les Français, instruits des richesses que recélait le pays de ce dernier, ne voulurent rien entreprendre contre lui, mais se livrèrent à l'espoir d'une alliance qui leur tournerait à profit. Ces plans étaient destinés à éprouver des retards à leur exécution. Ribaut fut obligé de partir pour l'Europe. Le capitaine Albert, son lieutenant, homme brusque jusques à l'excès, s'attira la haine de la garnison, qu'il vit se consumer par la maladie et les rixes. Dans cette situation, il fallut abandonner le pays. Ce fut au grand regret des sauvages dont les habitations étaient plus près de lamer. Ils étaient aussi hospitaliers que ceux du Canada, et l'on vit le Paraousti Andusta, et Mahon, son allié approvisionner le vaisseau pour le voyage, et fournir tout ce qu'il fallait pour les cordages. Ce sauvage généreux, périt dans un combat contre Ouaé-Outina.

Ce dernier, qui se fesait appeler le «Grand Olata», régnait sur un peuple qui pouvait mettre en campagne cinq mille combattans. Il avait une cour nombreuse, et se fesait suivre par des devins comme les rois latins et Grecs. Un pays semé de mines d'or et d'argent, jettait encore sur ses peuples, un lustre plus grand; car il est naturel que des Européens avides fissent plus de cas de guerriers qui, comme dit Marc Lescarbot, «fermaient l'estomac, bras, cuisses, jambes et front avec larges platines d'or», tellement que Glaucus rencontrant Diomède dans la mêlée, ne me paraît pas avoir dû posséder une plus belle armure. Aussi, dès que les Français revinrent dans les mêmes parages en 1564, M. de Laudonière, leur chef, ne perdit pas de vue cette alliance.

Satouriona accueillit cet officier à son débarquement, et le conduisit à un petit monument élevé par les gens de Ribaut, et que les sauvages avaient environné de lauriers 37. Il donna aux nouveaux venus un lingot d'or en signe d'alliance, et assura que cette matière se prenait à la guerre contre un puissant Paraousti, nommé Thimogana. Laudonière se ligua avec Satouriona, et lui fût toujours demeuré fidèle, s'il eût pu lui donner de l'or à souhait; mais il fallait courir les chances de la guerre. Olata était plus important, et se trouvait à la source des richesses: on alla jusques à refuser au fidèle Satouriona le secours de quelques Français contre ses ennemis. Le valeureux Chef combattit seul, et remporta sur Thimogona, une signalée victoire, secondé de son fils Athore, et de ses lieutenans Arpalou et Tocadecourou. Il vint en triomphe, menant avec lui vingt-quatre prisonniers, et, selon la coutume du pays, les guerriers érigèrent un trophée. Les Français qui ne les avaient pas voulu suivre, voulurent cependant avoir part dans le résultat: ils demandèrent deux des captifs, et ne les ayant pas obtenus, ils les enlevèrent de force. C'était afin de mieux faire leur cour au grand Olata, auquel ils les envoyèrent avec une ambassade dont le sieur d'Arlac, et les capitaines Vasseur et d'Ottigny étaient chefs. Le Paraousti Molona les reçut sur la frontière de l'empire sauvage, et débita une harangue dans laquelle il s'efforça de donner une haute idée de la puissance de son maître, et proposa une ligue offensive contre les Paraoustis Satouriona, Potavou, Onastheaqua et Oustaqua. Nos ambassadeurs, qui avaient ordre de ne rien refuser à l'intérêt, répondirent qu'on leur avait commandé de suivre le «monarque» partout où il les conduirait. Ils furent alors conduits à la résidence d'Olata, qui les reçut assez bien, mais parut plus empressé de profiter de leur secours, que de les fêter. Les officiers s'étant mis à sa disposition avec vingt-cinq arquebusiers, il partit brusquement avec sa suite et ses gardes, envoyant des coureurs pour assembler les guerriers sur sa route. Voici l'ordre dans lequel on marcha: Olata se trouvant à la tête de seize cents guerriers, sans compter les arquebusiers, qui étaient comme les soldats de Xénophon dans l'armée du jeune Cyrus, cent sauvages se rangèrent en cercle autour de sa personne. Deux cents hommes, à une petite distance, formaient un second cercle, trois cents en fesaient un troisième, et ainsi de suite. Cette armée avançait dans cet ordre et sans se déranger, précédée par des troupes d'éclaireurs. On fit un prisonnier. Olata se voyant découvert voulut consulter son devin, Iarva, sur la position et la force de l'ennemi. Ce jongleur, vieillard accablé d'années, s'agenouilla, traça sur le sable quelques caractères informes, murmura des mots entrecoupés 38, se fatigua par de violentes convulsions, et, reprenant haleine, il déclara le nombre des ennemis et le lieu où ils étaient campés. Olata, apprenant que Potavou et ses alliés l'attendaient de pied ferme, avec deux mille guerriers, parut disposé au retour, mais M. d'Ottigny releva par des complimens l'ardeur martiale de sa hautesse, et l'on continua d'avancer. La victoire fut complète, mais les sauvages ne la poursuivent pas. Le vainqueur rebroussa, traînant à sa suite une multitude considérable de captifs. Il dépêcha des coureurs à tous les Paraoustis pour les prévenir de le venir trouver sur son passage. Il en vint un très grand nombre, et l'on célébra la victoire avec somptuosité. S'il y avait eu des chevaux et des chars, les Français eussent été témoins des mêmes jeux qu'Achille donna à ses soldats près des vaisseaux Grecs.

Note 37: (retour) Cet arbre a été regardé comme mystérieux par tous les peuples. Les lauriers de la vallée de Tempé servirent à bâtir le temple de Delphes. La ville de Laurente prit son nom d'un laurier planté par le roi Latinus. Pyrrhus égorge le famille de Priam réfugiée près d'un laurier. Le fait cité suffit pour l'Amérique.
Note 38: (retour) Tel était aussi le stratagême de la Pythie de Delphes imité par les Bersekars de la Suède.

Olata donna à d'Arlac deux lingots d'or, et lui promit un secours de 300 archers si les Français étaient attaqués.

Cette bonne harmonie ne fut pas de longue durée. Les Français ne suivirent pas les conseils du sage De Coligny, amiral de France, et refusèrent de se livrer à l'agriculture, genre d'occupation qui leur paraissait peu digne d'hommes de guerre. En cela ils étaient plus barbares que les sauvages.

M. de Laudonière réduit à l'extrémité, et pressé par ses soldats, résolut de s'emparer de sa personne, pensant bien que ses sujets livreraient leurs moissons pour le délivrer. Il exécuta lui-même ce coup de main à la tête de cinquante hommes, au moment où le Paraousti n'était pas entouré. Les sauvages apportèrent d'eux-mêmes une grande quantité de blé, mais voyant avec chagrin qu'on ne leur rendait pas leur roi, ils se rangèrent sous l'autorité de son fils, et déclarèrent la guerre, en plantant en terre un grand nombre de flèches surmontées de chevelures. Potavou informé de la prise de son ennemi, entra sur ses terres à la tête de 500 guerriers; mais il fut repoussé malgré l'aide des Français, et retraita après avoir causé quelque dégât.

Cependant Olata fesait de grandes promesses pour se dégager. Les grains entraient en maturité. Il fit entendre que ces belles moissons n'appartiendraient jamais à ceux qui le retenaient captif, et que ses sujets aimeraient mieux les détruire que de les laisser à leur merci. Laudonière se laissa prendre, et le renvoya sous escorte. Mais il ne fût pas plutôt arrivé dans son pays qu'il s'apprêta à combattre. Il déclara au commandant qu'il ne pouvait arrêter les progrès de la guerre, mais que pour lui, il pouvait s'en retourner sans crainte, en évitant de grands arbres que l'on avait abattus dans la rivière pour le retarder. Puis il se mit lui-même à la poursuite de M. d'Ottigny, qui tenait la campagne avec un grand parti. Olata fit prendre un chemin détourné à 300 de ses gens, et alla lui-même aux Français avec un corps plus nombreux. D'Ottigny se défendit bien tant qu'il n'eût affaire qu'au premier détachement, mais se voyant cerné, il fut contraint de se frayer un chemin au prix de vingt-quatre de ses plus braves compagnons, qui furent tués ou pris.

Affaiblis par ces revers, les colons se virent bientôt poursuivis jusque dans l'enceinte de leurs forts. On avait eu l'imprévoyance de blesser Satouriona. Ce chef, homme de tête et de main, sut défendre ses moissons, et faire respecter sa neutralité. La garnison fut bientôt affamée, et l'on regarda comme un bonheur qu'une partie pût s'embarquer sur un vaisseau que leur laissa le célèbre Jean Hawkins, capitaine de la reine Elizabeth. Laudonière se trouvant das une abondance momentanée par la générosité des Anglais, retarda son départ, et ce fut ce qui le perdit; car au mois de Septembre, Dom Pedro Menendez de Avila, parut devant Caroline, où le capitaine Ribaut était de retour. Les Espagnols passèrent tout au fil de l'épée.

Olata sut se faire craindre des barbares Espagnols. Pour Satouriona, il eut besoin de déployer toutes ses forces pour conserver son indépendance. Ses sujets furent exposés aux mauvais traitemens des soldats jusques en 1567, que les Français trouvèrent un vengeur dans le capitaine Gourgues. Ce gentilhomme ayant équipé un escadre à ses frais, vint aborder à quinze milles de Caroline, et dépêcha aussitôt un envoyé au Paraousti, qui le renvoya avec des présens. Il y eut un grand conseil de guerre. Gourgues y parut à la droite du Grand Che, et les Paraoustis Athore, Tocadocourou, Almacaniz, Armanace et Elycopile, furent aussi présens. Le capitaine des Français parla le premier; mais Satouriona l'interrompant, fit un tableau fidèle de la cruauté des Espagnols. On résolut de courir aux armes, et l'on se donna rendez-vous au-delà d'une rivière qui coulait à quatre milles de la place. Le Paraousti Olotocara 39 eut ordre d'aller reconnaître l'ennemi avec un détachement. Le gros des assiégeans, parti de Salinaca, parvint à la vue du premier poste sans être aperçu, que d'un soldat; mais Olotocara eut la bonne fortune de le tuer de sa lance. Villareal, commandant de la place, avait une garnison de quatre cents hommes. Les Espagnols, surpris, tombèrent tous sous les coups des Français ou des Sauvages: on en tua soixante. Le capitaine Gourgues alla alors au second fort avec vingt arquebusiers et les sauvages qui le joignirent à la nage. Les assiégés voulurent fuir dans les bois, mais Satouriona fondant sur eux, en fit un horrible boucherie. L'ennemi avait encore un poste de cent cinquante hommes. Les sauvages partirent de nuit, et allèrent camper en côté de la place, pour couper toutes les avenues, et intercepter les fuyards, tandis que Gourgues taillait en pièces quatre-vingt soldats sortis avec du canon. Les autres Espagnols voulurent gagner les bois, mais ils y rencontrèrent Olotocara, qui les rejetta sur les Français, dont le Chef fut aussi cruel que l'avait été Menendez.

Note 39: (retour) Il était neveu de Satouriona, et parfait chevalier è sa manière.

Content de sa vengeance, Gourgues partit au grand regret des naturels qui lui firent promettre de revenir après douze lunes. Mais il fut mal reçu à la cour de France intimidée par les menaces de Philippe II, et la France n'éprouva depuis que des affronts au sujet de la Floride.

Délivrés pour quelque temps du voisinage des farouches Espagnols, les sujets de Satouriona durent prospérer davantage. Je ne laisserai point ce Chef, ni Olata, sans hasarder quelques réflexions sur leur caractère. Andusta, Potavou, paraissent avoir été des hommes remarquables: Satouriona et le Grand Olata sont des héros. Ce dernier nous rappelle les grands rois des premiers temps. Agamemnon, réduit à ses propres forces, devait être moins puissant, et il n'intéresserait pas plus; mais Homère a chanté la guerre de Troie! 40 Jamais prince ne fut mieux obéi de ses sujets que ce Paraousti de Floride, et nul ne fut plus redouté de ses ennemis. Lorsqu'il tomba entre les mains de Laudonière, Satouriona offrit aux Français de leur rendre son amitié, s'ils consentaient à le lui livrer. Potavou conseilla de le tuer, et les plus grands Paraoustis voulurent le contempler dans les fers. M. Roux-de-Rochelle 41 a parlé avec éloge de ce sauvage qui, trahi par Laudonière, ne voulut pas manquer envers lui de générosité.

Note 40: (retour) M. le Président Hénaut fait la même réflexion par rapport aux gaulois. «La Grèce nous rappelle des idées plus agréables que la Suève et la Pannonie. Troie et Carthage nous semblent plus grandes que Tolbiac et Orléans, parce que l'Iliade et l'Eneide sont de plus beaux poëmes que ceux de Clovis et de la Pucelle.»
Note 41: (retour) Envoyé de France aux E.-U., a écrit sur l'Amérique avec la pureté des beaux écrivains du siècle de Louis XIV, et avec plus de grâce.

Satouriona, moins élevé en puissance, offre encore plus d'intérêt. Comme guerrier, il réclame un rang distingué parmi ses compatriotes. Ses ennemis redoutaient son courage, et Molona, qui paraît avoir été l'orateur habitué d'Olata, le peignit aux ambassadeurs français comme le plus terrible ennemi de son maître. Comme politique, son habileté paraît par toute sa conduite. Arrès avoir tout fait pour s'acquérir l'amitié des Français, il sait punir leur ingratitude, et se fait craindre sans se faire haîr.

Mais rien ne lui fait tant d'honneur que son humanité. Pierre de Broy, jeune homme échappé au massacre de Caroline, trouve auprès de lui une protection efficace, lorsque les siens ne sont pas en sûreté. Il re rend sain et sauf au capitaine Gourgues.

Le caractère du Paraousti s'étend à tout son peuple. Les voyageurs ont admiré ses moeurs 42 et n'ont point mentionné sa cruauté: les Espagnols, les Français d'alors souffriraient à la comparaison. La Floride fut depuis une proie disputées avec acharnement; elle fut le théâtre de cruautés inouïes, d'exemples de la supercherie européenne les plus frappans, en oeuvre contre les plus innocentes peuplades 43. Rarement imitèrent-elle ces barbaries. Elles aperçurent trop tard la nécessité de s'armer pour leur indépendance.

Note 42: (retour) Les habitans de la Floride, dit Madame de Genlis, font tous les ans une offrande solennelle au soleil. Ils remplissent d'herbes de toute espèce la peau d'un grand cerf; ensuite ils la parent de guirlandes et des fruits de la saison, puis ils l'attachent au haut d'un arbre. Ils dansent autour en chantant des hymnes.
Note 43: (retour) C'est le lieu d'appliquer la réflexion d'un des plus sages princes: «Quiconque, disait Théodoric, forme, pour détruire une nation, des projets iniques, témoigne assez aux autres qu'il n'observera pas la justice envers elle.» Les sauvages l'ont éprouvé. On peut encore citer les vers de Charles Churchill, le Juvénal anglais:

Cast by a tempest on a savage coast,

A roving buccaneer set up a post.

A beam in proper form transversely laid,

Of his Redeemer's cross the figure made.

His Royal Master's name thereon engrav'd,

Without more process the whole race enslav'd,

Cut off that charter they form nature drew,

And made them slaves to men they never knew.

CHAPITRE III


ARGUMENT

Nouvelles découvertes des Anglais--Voyage d'Amidas et Barlow--Granganimo: ses belles qualités--visite à sa résidence--Menatenon--Mort de Granganimo--- Ensenore--- Vingina succède à son frère--Hostilités--Fin malheureuse de ce Sachem--Destruction des Anglais.

ELIZABETH marchant sur les traces du Solomon de l'Angleterre, qui songea le premier à fonder la richesse de sa nation, accorda, en 1578, à Sir Humphrey Gilbert, des lettres patentes, en vertu desquelles il était autorisé «à faire le découverte et à prendre possession de toutes terres inconnues ou habitées par des tribus sauvages, mais non occupées par des nations chrétiennes» 44. Ayant donc formé un armement considérable, ce général aborda à Terre-Neuve, où les naturels lui présentèrent des minerais du pays; mais il ne séjourna pas en Amérique. Amidas et Barlow, que l'auteur du poëme de la Navigation 45 mentionne avec distinction dans ses vers, naviguant aux frais de Sir Walter Rawleigh, prirent route par les Canaries, en 1584, et aperçurent le pays qu'ils cherchaient; ou plutôt, le rivage s'annonça à eux par le doux parfum des plantes qui le couvraient. Ayant débarqué sur ce site délicieux, ils en prirent possession au nom de sa très-excellent Majesté, et du preux chevalier qui les envoyait. On parcourut en tous sens un petit paradis terrestre que l'on reconnut pour une île: elle s'appelait alors Ouococon, dans la langue du pays, et aujourd'hui Oracook. Le pin y abondait avec la délicieux sassafras 46, et le cyprès rivalisant avec ceux qui, du haut de l'Ida, se réfléchissaient dans les eaux du Simoïs. Les daims se montraient aussi en grandes troupes, mais ce séjour semblait étranger aux humains.

Note 44: (retour) Le style de cette immortelle princesse n'est ni aussi ambitieux ni Aussi vain que celui de ses illustres confrères.
Note 46: (retour) On dit que c'est l'odeur du sassafras qui fit penser à Christophe Colomb, que l'on était près des terres, et cet arbuste contribua ainsi à la découverte de l'Amérique.--(Mad. de GENLIS.)

Enfin, le quatrième jour, trois sauvages parurent dans un canot d'écorce, et s'approchèrent des vaisseaux sans témoigner aucune crainte. On ne put se faire comprendre d'eux; mais quand on leur présenta un bonnet militaire, un habit et du vin, il parurent extrêmement satisfaits, et considérèrent ces objets avec un étonnement auquel succéda la reconnaissance. Le sauvage ne se laisse jamais vaincre en générosité: ceux-ci regagnèrent le rivage à la hâte, et en un moment, ils revinrent avec leur canot chargé de poisson. Ils en firent deux parts, une pour le plus gros vaisseau, et une autre plus petite pour une pinnace qui l'accompagnait. Il y avait là, ce semble, cette attention qu'apporte en donnant l'enfant né avec l'instinct de la générosité, une naïveté qui fait honneur à ces insulaires.

Le lendemain, Granganimo, Sachem des Ouingandacoa, parut sur le rivage avec sa suite, composée d'environ cinquante personnes. Quoique les Anglais fussent sous les armes, le prince sauvage, loin de montrer de la défiance, s'avança tout confiant, et prononça la harangue de bienvenue, qui est essentielle dans la politesse sauvage, lorsque de grands personnages se trouvent en présence. Ceux qui l'accompagnaient paraissaient si respectueux, que de n'oser s'asseoir en sa présence, quoique l'entrevue fût longue. On donna pour lui des présens aux plus apparens, qui paraissaient être ses conseillers. Granganimo se les fit montrer aussitôt, et signifia avec beaucoup de dignité qu'il se les réservait tous.

Dans une seconde entrevue, on lui présenta un joli petit plat d'étain. Le brave Sachem, par une sorte d'instinct singulier, que ses semblables ont uniformément imité depuis, le perça aussitôt, et le suspendit sur sa poitrine comme une Manière de crachat, puis, avec une munificence de grand prince, il fit délivrer aux Anglais soixante-dix peaux de daims. Il revint encore aux navires avec toute sa famille et son père Ensenore, qui avait apparemment résigné en sa faveur, selon un usage que l'on trouva très répandu sur ce continent. Les officiers de la reine leur donnèrent un grand festin, et leur procurèrent beaucoup de plaisir. Dans tous ses rapports, le naturel du Sachem continua de se montrer à son avantage. S'attachant avec un soin qui nous étonne, à ménager les Anglais, il ne les visitait jamais sans les informer, par des feux qu'il fesait allumer sur le rivage, du nombre de canots qu'il conduisait. Il envoyait chaque jour en présent deux daims, deux lapins, du poisson, des melons et d'autres fruits, tels que des poires et des noix, richesses de son domaine. Il persuada Amidas de l'aller voir à son village situé à l'extrémité de l'île Roanoake. On dut trouver que les états de sa majesté le roi de Ouingandacoa, s'ils étaient riches de produits de la nature, n'étaient point très formidables; car la capitale de l'empire sauvage ne consistait qu'en neuf cabanes entourées de palissades. En l'absence de Granganimo, sa compagne fit les honneurs de l'habitation royale. Elle commanda aux sauvages de tirer le canot sur le rivage, et de mettre les avirons à couvert; puis elle fit porter nos beaux Anglais à travers le ressac. Après les avoirs introduits dans la maison, comme ils étaient las et transis, elle fit allumer un grand feu, lava elle-même leurs pieds, et servit le dîner. La table consistait en venaison bouillie et en poisson rôti avec des melons et d'autres fruits. Mais quelques guerriers armés étant entrés, les Anglais eurent peur, et coururent è leur embarcation, au grand regret de cette reine des sauvages, qui leur envoya encore des nattes pour les préserver de la pluie, et un souper copieux. Homère lui-même n'a rien imaginé de supérieur à l'hospitalité de cette femme, dans son poëme de l'Odyssée, si rempli de beaux détails, et l'on peut dire que l'épouse de Granganimo surpasse la nourrice de Télémaque.

Cependant Amidas et Barlow repassèrent en Angleterre, et publièrent une relation de la beauté du pays, et de l'innocence de ses habitans. Elizabeth fut charmée de leur récit, et détermina Rawleigh à faire un nouvel armement. Sir Richard Grenville fut mis à la tête d'une deuxième escadre, composée de sept navires. Il aborda à Roanoake en 1585. Granganimo vint le trouver à son bord, et l'on renouvella l'alliance; mais ce fut la dernière visite du Sachem, qui fut atteint d'une maladie dont il ne devait point relever.

Dans le même temps, les Anglais lièrent commerce avec un autre Sachem, Menatenon, qui régnait sur les Choouanocks, nation habitant le pays situé entre les rivières Nottawa et Meherrin. On le disait fort puissant. Il était boiteux par suite d'une blessure reçue à la guerre, «mais, dit un vieux chroniqueurs, il avait plus de bon sens que tous ses confrères.» Il amusa les colons, et en particulier, le Gouverneur Lane, d'une mine de cuivre et d'une pêche de perles quelque part sur la côte. Il fit aussi un étrange récit de la rivière Moratue, «où vivait un roi, dont le pays bordait la mer, et qui en retirait une si grande quantité de perles, que son logement, ses peaux et ses nattes en étaient tout garnis». M. Lane se montre fort désireux d'en voir un échantillon, mais le rusé Sachem répondit, sans se déconcerter aucunement, que le monarque réservait exclusivement ces choses pour faire le commerce avec les Anglais. Il représentait la rivière comme jaillissant d'un vaste roc, qui se trouvait si près de la mer que, durant la tempête, ses flots se venaient battre contre lui. Quant au cuivre, que L'on recueillait dans de grands vaisseaux couverts de peaux, lui seul et ses sujets savaient où on le prenait. Il devinait sans peine le faible des Européens, que la soif de l'or rendait stupides. Les anglais tombèrent dans le piège. Ils firent deux cent milles à la recherche des prétendus trésors, et ce ne fut qu'avec peine qu'ils revinrent sur leurs pas, retardés dans leur marche par les guerriers de Ouingina.

Le pacifique, l'affectueux Granganimo n'était plus; son frère lui avait succédé, guerrier redoutable et politique raffiné. Il avait été prévenu par Menatenon de toutes les manoeuvres des Anglais. Les voyant se jeter dans le péril, il assembla ses sujets, et leur parla avec chaleur. Les blancs en veulent à leur liberté et à leur vie; plutôt ils seront en armes, plus leurs jours seront en sûreté. Le vieux Sachem Ensenore, fidèle aux Anglais jusques à l'héroïsme, détourna leur perte. Ouingina faussement sûr de son coup, et ne voyant pas revenir l'expédition, se raillait du dieu des chrétiens, et le crédit du sage Ensenore s'évanouissait; mais enfin, Lane arriva sans trop de désastre, et les vieillards redevinrent en respect. Un épidémie ne servit pas moins à inspirer au Sachem des vues plus pacifiques et plus loyales, qui, au reste, s'évanouirent bientôt. Ensenore mourut. Ouingina arma six cents guerriers sous prétexte de célébrer dignement les funérailles du meilleur ami des blancs. Mais cet appareil voilait une terrible conjuration. Un parti devait massacrer tous les colons qu'il trouverait dispersés sur la côte. Le Sachem lui-même devait attaquer de nuit Hatteras. Il voulut avant tout affamer la colonie, et tout échange fut prohibé. Le plan était bien conçu, mais l'intrépidité du gouverneur le fit manquer. Il conçut le projet de s'emparer de la personne de Ouingina. Il l'informa qu'il se rendait à Croatan, où il attendait une escadre d'Angleterre, et ajoutait qu'il lui ferait plaisir en lui envoyant quelques sauvages pour l'aider à la pêche. Le Sachem, qui ne voulait que gagner du temps, fit répondre qu'il rencontrerait lui-même le gouverneur dans dix jours; mais ce dernier, qui n'avait pas de temps à perdre, s'avança hardiment sur son territoire, tuant tout ce qui s'offrait à lui, et fit sommer Ouingina de le venir trouver. Celui-ci vint jusques à Dassomonpic avec quelques-uns des siens. Le gouverneur fit tirer sur lui. Il tomba, mais se relevant aussitôt, il disparaissait dans la forêt, lorsqu'un jeune Irlandais l'abattit d'un second coup. On lui trancha la tête.

Le danger où se trouvaient les colons excuse-t-il entièrement ce meurtre? Ce n'était pas sans raisons que Ouingina les haïssait, car nous voyons ces hommes qui prétendaient à une civilisation avancée, brûler un village entier, et les moissons, parce que deux indigènes avaient dérobé une coupe d'argent. Ce n'était pas le moyen de s'attacher ceux auxquels on devait tout. Ces actes de vandalisme furent au reste bien punis. Menatenon fondit sur les Anglais à la tête de deux peuples réunis, et fit une horrible Justice. Sir Richard Grenville ne débarqua quinze hommes à Roanoake que pour les voir massacrer impitoyablement. Cent-dix-sept personnes périrent dans un massacre en 1587, et le chevaleresque Rawleigh ne songea plus à fonder de colonie en Amérique.

A Stadaconé, aux Florides et sur la rivière Choan, nous avons trouvé des peuples dont la douceur était sans égale. Leurs envahisseurs espagnols 47, français ou anglais rivalisaient de cruauté et de perfidie. Ne méritaient-ils pas d'être extirpés de ces rives encore innocentes? Ouingina n'était peut-être pas un caractère estimable; mais la nature sauvage et laissée à elle-même avait produit des héros dans Ensenore et Granganimo. Pour Menatenon, c'est un type particulier. Beaucoup politique que ses semblables, il prend au piège des hommes civilisés. Il se sert d'un ennemi pour réussir dans ses desseins. Le voit-il aux prises avec les colons, il l'abandonne, et profite de sa mort et de l'excitation qui la suit, pour se grossir de son peuple et de la dépouille des Anglais qu'il extermine. Il demeure le maître souverain et sans contrôle d'un vaste territoire, et son fils Shiko jouit de ces acquisitions.

Note 47: (retour) M. de Marmontel dans le roman «des Incas» exagère des horreurs que les Espagnols poussèrent assez loin.

CHAPITRE IV


ARGUMENT

Nouvelle expédition française en Amérique--Des Sagamos qui commandent en la Nouvelle-France--Guerre entre les Mic-macs et les Armouchiquois--Conversion de Membertou et ses suites--Générosité de ce Sachem--Origine des Abénaquis--Entrevue de M. de Champlain et d'Anadabijou; traditions religieuses--Remarques sur la beauté du pays.

On n'avait pas renoncé en France au projet de fonder un établissement, et même un gouvernement en forme en Amérique. Au commencement de 1598, le roi Henri IV, vainqueur de toutes les factions et tranquille possesseur de son royaume, nomma son lieutenant-général en Labrador, Terre-Neuve, Canada, Hochelaga, Saguenay et Norembègue, Troïlus du Mesgouets, marquis de La Roche et de Cotenmeal. Autant les titres de cet envoyé étaient pompeux et vains, autant son voyage fut malheureux. M. de Champlain eut plus de bonheur. Ce capitaine arrivé en 1603, trouva la condition du pays bien changée. L'intéressant peuple de Stadaconé n'était plus. Celui d'Hochelaga avait disparu de même 48; et cela n'a rien de problématique, si l'on s'en rapporte à la tradition qui suppose une invasion d'Iroquois. Les Algonquins, les Souriquois, les Armouchiquois et les Montagnais se trouvaient alors réunis dans la partie reconnue de ces régions, mais ils n'osaient ensemble résister à ces terribles ennemis, ni s'avancer jusques aux Trois-Rivières où M. de Champlain voulait bâtir un fort, «pour le bien de ces nations, à cause des Iroquois qui tiennent toute la rivière du Canada bordée.» On venait pourtant de remporter sur eux un avantage assez considérable, aidés des Etchemins, peuple qui habitait près de la rivière de son nom, et de l'Ouigoudy, dans le Nouveau-Brunswick. Les Armouchiquois tenaient le présent état du Maine, et les Souriquois, ce peuple aux moeurs douces et décentes, la presqu'île acadienne. Les chefs de ces peuplades s'appelaient Sagamos, ce qui veut dire seigneur souverain. Membertou commandait alors aux Souriquois, Tessoat aux Algonquins, et Anadabijou aux Montagnais.

Note 48: (retour) Plus tard M. de Maison Neuve étant monté sur le Mont Royal avec deux sauvages, ils lui dirent: «Nous sommes de la tribu qui habitait autrefois ce pays. Toutes les collines que tu vois à l'orient et à l'occident étaient couvertes de nos cabanes. Les Hurons nous ont dispersés.»

Le seul mérite éleva Membertou au rang suprême. Il fit heureusement la guerre aux Armouchiquois sous leurs Chefs Olmechin, Asticou et Bessabes. M. De Poutrincourt, gouverneur de Port-Royal, conclut avec lui une alliance en 1604, et procura par là à la colonie un ami fidèle. Les Français l'invitaient à toutes leurs réjouissances, et regrettaient son absence durant les chasses: c'est ce que nous dit Lescarbot de lui et de son lieutenant, Shkoudun. Quelques européens l'accompagnaient-ils, il en prenait un soin tout particulier, pensant bien que si un seul revenait blessé, on ne manquerait pas de l'accuser.

Dans une de ces chasses, le guerrier Pannoniac s'étant avancé bien avant dans le pays, fut massacré par les Armouchiquois. Ce fut le signal de la guerre. Membertou, quoique bien secondé par les Chefs Achtaudin et Achtaudinek, mit plus de deux mois à rassembler quatre cents guerriers. Il envoya prier M. de Poutrincourt de lui donner du blé et du vin pour fêter ses amis; «car, lui fait dire Lescarbot, j'ai le bruit d'être ton ami; or, ce me serait un reproche si je ne montrais les effets de telle chose.» Il était vraiment l'ami des Français, mais Shkoudun, homme de sens, et habituellement de bonne foi, ayant répandu le bruit qu'il tramait contre eux, ils l'invitèrent à Port-Royal. Il y fut bien reçu, et l'on n'eut pas de peine à se persuader que ses préparatifs ne regardaient pas la colonie. Il se mit donc en campagne avec ses fils et Oagimon, homme de quelque renom à la guerre. On devait lui opposer Asticou, homme grave et redouté, que les Armouchiquois appellèrent de l'intérieur des terres pour les commander 49.

Note 49: (retour) Il était probablement Iroquois.

Arrivé à Chouacket en juillet, il trouva les ennemis préparés à le recevoir. Il tâcha de masquer ses forces, et feignit de désirer un pourparler. Les Armouchiquois prétendirent de leur côté le faire tomber dans le piége, et voulurent l'attirer dans un endroit où ils avaient caché leurs arcs et leurs flèches; mais Membertou usa d'une contre-finesse. Sous couleur de distribuer des présens, il s'avança sans armes, mais il fit prendre un chemin détourné à deux cents guerriers qui devaient prendre l'ennemi en queue au son d'une trompette, l'orgueil de l'armée souriquoise. Elle sonna, et aussitôt les Armouchiquois se virent environnés de toutes parts. Ils perdirent beaucoup de monde dans cette première confusion, mais parvenus en combattant à l'endroit où était leur dépôt, ils renouvellèrent le combat avec acharnement, et Membertou fut en danger d'être défait; poussé jusques au rivage, il adressa à propos à ses guerriers quelques paroles énergiques, et les reproches de la mère de Pannoniac, qui parcourait les rangs à la manière des anciennes persanes, leur rendirent le coeur. Le fier Asticou lâcha pied, et Membertou revint triomphant avec une multitude d'objets de trafic. Lescarbot, dans une épître au roi de France, a décrit le combat de Chouacket. Je ne citerai que le début:

Je chante Membertou, et l'heureuse victoire

Qui lui acquit naguère, une immortelle gloire,

Quand il joncha de morts les champs Armouchiquois

Pour la cause venger du peuple souriquois.

Cependant, M. de Champlain crut avantageux de réconcilier les deux Sagamos. Asticou ne refusa pas de se prêter à la paix, pourvu qu'on lui envoyât un homme de confiance pour la traiter. Oagimon lui fut député, et tout fut arrangé à l'amiable.

Ce qui fit encore plus d'honneur à Membertou que sa victoire, ce fut sa conversion au christianisme. Il fut le premier Sachem de l'Amérique du Nord que l'embrassa, et fut baptisé le 24 juin, 1610, par Messire Josué Flèche, V. G. M. de Poutrincourt le tint sur les fons, et l'appella Henri, comme le roi de France. Cet évènement fournit matière à deux ouvrages publiés à Paris sous des titres fastueux 50. Membertou ouvrit la route aux missionnaires, et, familier avec leur langue, il fut leur premier instituteur dans celles du pays. Il se dépouilla alors de la dignité d'autmoin. En cette qualité, il fesait parler l'oracle, et le rendait ordinairement douteux. On en eut un exemple ors de la mort de Pannoniac. Les Souriquois s'inquiétaient sur son sort: il décida que s'il ne revenait pas dans quinze jours, les Armouchiquois l'auraient tué. La marque de la dignité de prêtre était un triangle suspendu sur la poitrine, orné de figures mystérieuses.

Note 50: (retour) Le premier avait pour titre: Lettre missive touchant la conversion du grand Sagamo de la Nouvelle-France, qui en était, avant l'arrivée des Français, le Roi et le Souverain, Paris, 1670.

On ne sait pas bien l'époque de la mort de Membertou, quoique sa perte dût être vivement sentie. Il avait beaucoup de douceur, et des vertus. Généreux et courtois, il voulut faire présent au roi d'une mine de cuivre qu'il possédait «comme il convient entre Sagamos.» «Or jaçait, dit Lescarbot, que le présent qu'il voulait faire à sa Majesté fût chose dont elle ne se soucie, néanmoins, cela lui partait de bon courage, et doit être estimé comme si la chose était plus grande, ainsi que ce roi des Perses, qui reçut d'aussi bonne volonté une pleine main d'eau d'un paysan, comme les plus grands présens qu'on lui avait faits.» Sa personne et ses actions étaient remplies de dignité. Il se mettait à l'égal du roi de France. «étant comme lui grand Sagamo», et il exigeait que l'on tirât le canon toutes les fois qu'il paraissait à Port-Royal. Le P. Biart nous a laissé des mémoires dans lesquels il entre dans de grands détails sur sa nation. Les Souriquois d'abord fort puissans, diminuaient beaucoup dès le temps de M. de Monts. On doit s'étonner que Membertou pût les maintenir dans l'alliance des Français, persuadés qu'ils étaient que les Européens les voulaient détruire. Cette idée n'était pas absolument sans fondement, et l'on trouva souvent entre leurs mains du sublimé corrosif. Unis à leurs voisins, les souriquois redevinrent formidables sols le nom de tribus abénaquises.

Parmi les contemporains de Membertou, Anadabijou, grand Sagamo des Montagnais, se fesait remarquer par son esprit. M. de Champlain l'avait vu à Tadoussac, revenant de combattre les Iroquois. Ils se rencontrèrent de nouveau en 1610. De Champlain, parfait homme de cour, trouva chez lui une politesse à laquelle il ne se serait pas attendu. Le Sachem, qui était en festin, le reçut cordialement, ainsi que Marc Lescarbot qui l'accompagnait. Les guerriers Montagnais étaient rangés sur deux haies. Un d'eux commença, dit notre Anacharsis, à faire sa harangue de la bonne réception qui lui avait été faite par le roi, et du bon traitement qu'il avait eu, les assurant que le dit roi leur voulait du bien, et désirait peupler leurs terres et leur envoyer des guerriers pour vaincre leurs ennemis. «Il leur conta aussi les beaux châteaux, palais, maisons et peuples qu'il avait vus, et notre manière de vivre.»

Après qu'il eut terminé sa harangue, Anadabijou fit passer le calumet 51, et lorsque l'on eut bien fumé, il prononça aussi son discours «parlant posément, s'arrêtant quelquefois, et puis reprenant la parole en leur disant que véritablement, ils devaient être bien contens d'avoir sa dite Majesté pour amie.» Ils répondirent tous d'une voix: ho! ho! ho! ce qui veut dire, oui! oui! oui! Pour lui, continuant toujours de parler, il dit qu'il était fort aise que sa Majesté fît la guerre à leurs ennemis. Enfin il leur fit comprendre tout le bien qu'ils devaient attendre du roi.

Note 51: (retour) Les Indiens du nord ont l'usage de leur calumé, qui est une pipe dont le tuyau a un vara de long: il sert en même temps à tous ceux d'une même compagnie, et chacun tire la fumée du tabac à son tour. Ce calumé est aussi chez eux un moyen dont ils se servent pour se saluer, comme un verre de vin chez les Européens.--(D. ULLOA.)

Lorsqu'il eut cessé de parler, M. de Champlain et Lescarbot se retirèrent. Ce dernier nous décrit le lieu où les Montagnais se trouvaient campés. «Le lieu de la pointe St. Mathieu où ils étaient cabanés est assez plaisant. Ils étaient au bas d'un petit côteau plein d'arbres, sapins et cyprès. A la dite pointe, il y a une petite place unie qui découvre de fort loin, et au-dessous du dit côteau est une terre unie contenant une lieue de long, et demie de large, ornée d'arbres.»

Le lendemain, à la pointe du jour, Anadabijou fit le tour de toutes les cabanes, criant à haute voix qu'on eût è déloger pour aller à Tadoussac, où étaient les bons amis; car, de même que les Européens, les sauvages rendent une visite reçue.

Marc Lescarbot a écrit quelques-uns de ses entretiens avec Anadabijou; écoutons ce sauvage parler théologie: «Il y a, disait-il, un Dieu qui a fait toutes choses. Après qu'il eût fait toutes choses, il prit quantité de flèches et les mit en terre, d'où sortirent hommes et femmes, qui ont multiplié au monde jusques à présent, et sont venus de cette façon. Il y a un seul Dieu, un fils, une mère et le soleil, qui sont quatre. Néantmoins Dieu est pardessus tout; le fils est bon et le soleil, à cause du bien qu'ils reçoivent, mais la mère ne vaut rien et les mange. Le père n'est pas trop bon. Anciennement il y eut cinq hommes qui s'en allèrent vers soleil couchant, lesquels rencontrèrent Dieu, qui leur demanda, où allez-vous?--Ils répondirent: nous allons chercher notre vie.--Dieu répondit: vous la trouverez ici. Ils passèrent outre, sans faire état de ce qu'il leur avait dit, lequel saisit une pierre, et en toucha deux qui furent transmués en pierres; et il dit de rechef aux autres: où allez-vous? Et ils répondirent de même que la première fois. Dieu leur dit: ne passez plus outre. Mais voyant qu'il ne leur venait rien, ils passèrent outre. Et Dieu prit deux pâtons, et en toucha les deux premiers, qui furent transmués en bâtons. Puis le cinquième s'arrêta sans passer plus outre. Dieu lui dit: où vas-tu?--Je vais chercher ma vie.--Demeure, tu la trouveras ici. Il demeure, et Dieu lui donna de la viande, qu'il mangea. Après avoir fait bonne chair, il alla avec les autres sauvages, et leur raconta ce que dessus.»

«Une autre fois il y avait un homme qui avait beaucoup de tabac. Dieu vint à cet homme, et lui demanda: où est ton calumet? L'homme prit son calumet et le donna à Dieu, qui pétuna beaucoup. Après avoir bien pétuné, il le rompit en plusieurs morceaux, et l'homme lui demanda: pourquoi as-tu rompu mon calumet, tu vois bien que je n'en ai point d'autre. Et Dieu prit un calumet qu'il avait, et le lui offrit en lui disant, en voici un que je te donne. Porte-le à ton Sagamo, pour qu'il le garde, et s'il le garde bien, il ne manquera plus de chose quelconque, ni tous ses compagnons. Le dit homme prit le calumet, qu'il porta au grand Sagamo, lequel, tandis qu'il l'eut, les sauvages ne manquèrent jamais de rien, mais depuis, l'ayant perdu, c'est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelquefois parmi eux.» Lescarbot ayant demandé au Sagamo Montagnais s'il croyait toutes ces choses, il lui répondit que oui, et que c'était la vérité.. Notre chroniqueur, qui avait le mérite de bien connaître sa religion, lui répliqua que Dieu était bon, et que sans doute, c'était le mauvais esprit qui s'était montré à ces hommes-là. Il n'eut pas de peine, si on l'en croit, à faire pencher de son côté ce sauvage estimable.

M. de Champlain, comme ceux qui l'avaient devancé, fait une description magnifique du pays qu'il parcourait, et, dit l'auteur des «Beautés de l'Histoire du Canada», elle n'était pas exagérée. «Ces forêts primitives, et ces vastes nappes d'eau, les unes toutes peuplées de daims et de chevreuils, les autres de castors et de poissons délicieux, devaient offrir des solitudes enchanteresses et d'admirables points de vue. La nature devait y être pleine d'une majesté vénérable, et y déployer une magnifique fécondité.» Et Québec 52 s'élevait déjà comme un vaste amphithéâtre.

Note 52: (retour) Je crois avec M. Andrew Stuart, que Québec est un nom propre français. Le comte de Suffolk, un des lieutenans de Henri V, portait sur son sceau le nom de «Québec», qui était sans doute quelque lieu de Normandie où il avait signalé sa valeur.

CHAPITRE V


ARGUMENT

Entrevue de M. de Champlain avec Tessoat--Visite chez les Hurons--Réflexions.

CEPENDANT M. de Champlain voulut pénétrer plus avant dans le pays. Il fit armer deux canots, et partit avec quatre Français, y compris Nicolas Vignau, imprudent menteur, qui avait fait un étrange et merveilleux récit de la mer du Nord, et du prétendu naufrage d'un vaisseau anglais. On découvrit l'île de Ste. Croix, puis on arriva à une habitation de sauvages qui recueillaient du maïs 53. Ils ne pouvaient comprendre comment les étrangers avaient pu surmonter les sauts et les mauvais chemins qu'il y avait à franchir pour arriver à eux. Revenus de leur surprise, ils menèrent les Français voir le grand Sagamo Tessoat, qui demeurait à huit lieues de là. En voyant M. de Champlain, ce chef s'écria que c'était un songe, et qu'il n'en pouvait croire ses yeux. Ils passèrent ensemble dans une île voisine, où était le gros des Algonquins. Cette position était forte, mais le terrein peu fertile. M. de Champlain d'étonnait qu'ils s'amusassent à cultiver une terre si inégale, tandis que le sault St. Louis, par exemple, leur offrait le plus beau sol; mais on luy dit que l'âpreté des lieux servait de rempart contre les Iroquois.

Note 53: (retour) Un savant moderne a présumé par un passage d'Hérodote, Liv. I, ch. cxciii, que le maïs était connu en Babylonie. Ce grain varie beaucoup dans les espèces, dit Linnée, et Chabré en compte douze.

Tessoat voulut donner un festin aux Français: nous y gagnerons un nouveau détail de moeurs. «Les conviés, avec chacun son écuelle de bois et sa cuillère, et tous sans ordre ni cérémonie, s'assirent à terre. Tessoat leur distribua une manière de bouillie, faite de maïs écrasé entre deux pierres, avec de la chair et du poisson coupés par petits morceaux, le tout cuit ensemble et sans sel. Il y avait aussi de la chair rôtie sur des charbons, et du poisson bouilli à part.» Tessoat, comme donnant le repas, entretint les convives sans manger lui-même; c'est l'étiquette du pays. Le repas étant fini, les jeunes gens qui n'étaient pas du conseil sortirent, et chacun des sénateurs ayant rempli son calumet, le passa à M. de Champlain. Une demi-heure fut employée à ce cérémonial, sans qu'il fut dit un seul mot; puis on ouvrit les délibérations. De Champlain exposa le but de sa visite: c'était d'aller à la recherche des merveilles qu'avait accréditées Vignau. Mais pour atteindre cette nouvelle toison d'or, il demandait d'être accompagné par quatre canots algonquins. A cette déclaration on se remit à fumer; après quoi Tessoat témoigna que ce serait à regret que cette demande serait accueillie, parce que l'entreprise allait être accompagnée de beaucoup de dangers. Pour réfuter cette objection, Champlain eut recours au témoignage de Vignau; mais amené devant le grand Sagamo, cet imposteur garda le plus profond silence, et ce ne fut qu'à force de menaces qu'il affirma de nouveau tout ce qu'il avait dit auparavant. Tessoat lui dit alors: «tu es un assuré menteur; tous les soirs au temps que tu dis, tu couchais à mes côtés avec mes enfans, et si tu es allé où tu prétends, c'est en dormant. Comment as-tu pu hasarder la vie de ton maître parmi tant de dangers? Tu es un homme perdu, et l'on te doit faire mourir plus cruellement que nous ne fesons nos ennemis.» M. de Champlain voyant le Sagamo en colère, lui présenta une carte, où Vignau avait tracé les choses qu'il disait avoir vues. Tessoat, jetant sur la carte un regard intelligent, confondit encore le misérable qui, à sa contenance, ne laissa plus douter de sa supercherie. Il n'y avait plus de réplique, et il fallut renoncer au voyage.

Qui croirait que ce fut à regret? Le Chef des Français ne put se désabuser entièrement sur le récit de Vignau. Il prit cependant le parti de retourner à Ste. Hélène, et il fut témoin, sur sa route, de l'offrande du pétun 54.

Note 54: (retour) Après qu'ils ont porté leurs canots au bas du sault, dit-il ils s'assemblent en un lieu où un d'entre eux, avec un plat de bois, va faire la quête, et chacun d'eux met dans ce plat un morceau de pétun. La quête faite, le plat est mis au milieu de la troupe, et tous dansent à l'entour, chantant à leur mode: Puis un des capitaines fait une harangue, laquelle finie, le harangueur prent le plat, et va jeter le pétun au milieu de la chaudière, et tous ensemble font un cri. S'ils ne fesaient pas cette offrande, en passant, ils croient que malheur leur adviendrait.

L'année suivante les Hurons recherchèrent son alliance. Ces peuples appellés aussi Yendats, occupaient un pays ayant pour bornes le lac Erié au sud, le lac Huron à l'ouest, et l'Ontario à l'Est. M. de Champlain ayant visité leur pays, en fit une relation. Après une longue navigation, il atteignit le lac des Attigouantans, auquel il donne trois cents lieues de long et cinquante de large: il l'appela Mer Douce. Par la latitude où il arriva, le pays est «âpre et inhabitable»; mais ayant côtoyé le rivage du Nord au Sud-est, il trouva «un grand changement de pays», celui où il était alors étant fort beau et cultivé. Il était sur le territoire huron.

Il passa d'abord par quatre villages ou bourgades ouvertes, qu'il nomme Otouache, Carmaron, Touagainchain et Teguemouquiage, où il fut reçu avec autant d'hospitalité et d'amitié que Jacques Cartier à Hochelaga.

Du dernier de ces villages, il se fit conduire à Carhagoua, bourg «fermé d'une triple palissade de bois de trente-cinq pieds de haut», puis il avança à petites journées jusques à Caiagué, capitale de tout le pays. Cette bourgade située au 44e degré de latitude était une véritable ville, qui ne contenait pas moins de deux cents grandes maisons. Tous les environs étaient ensemencés de blé-d'inde, de citrouilles et «d'herbe au soleil», dont les naturels tiraient de l'huile dont ils se frottaient les cheveux. On voyait une variété d'arbustes fruitiers, et de toutes les espèces d'arbres que l'on rencontre en Europe.

Le pays parut à Champlain «peuplé d'une infinité d'âmes.» Il ne vit pas moins de dix-huit villages chez les seuls Attigouantans. Huit de ces villages étaient clos de palissades de bois à triple rang, entrelacés les uns dans les autres, avec des galeries fournies de pierres et d'eau. Il y avait dans ces dix-huit villages, deux mille hommes de guerre, sans compter le commun qui pouvait faire vingt mille âmes. M. Dainville porte toute la nation à quarante mille 55, d'où il appert que M. Thatcher fait une bévue en ne portant toute la nation iroquoise qu'à sept mille âmes, d'après Douglas. Les maisons étaient en forme de berceaux, longues de vingt-cinq à trente pieds et larges de six, laissant par le milieu une allée qui allait d'un bout à l'autre.

Note 55: (retour) M. Garneau croit ce chiffre trop élevé.

On peut croire que M. de Champlain revit chez les Hurons les débris d'Hochelaga; car c'était la même manière de se vêtir, de se loger et de se fortifier; même caractère, mêmes moeurs, mais surtout même bonhomie au dire de Laët.

M. Dainville dit du pays des Hurons: «Ce territoire a de fort beaux cantons. On y voit de jolies rivières arroser de grandes prairies, qui se déroulent à l'oeil, entrecoupées de bois, et quelquefois de belles forêts remplies de cèdres.»

M. de Champlain regarde comme un même peuple les Hurons et les Iroquois, à meilleur droit que ne le croit M. Dainville: c'est l'opinion des savans. L'écrivain moderne donne aussi aux Hurons, le jugement le plus solide parmi les peuples du Canada. Il a dit avec plus de vérité, qu'ils ont plus d'esprit, un génie fécond en expédiens et en ressources, de l'éloquence, de la bravoure: ils avaient aussi des vertus civiques, et Boileau Despréaux n'aurait pas dû les faire si barbares, quand il disait en parlant des mauvais critiques:

Est-ce chez les Hurons, chez les Topinambous, etc. etc.

Les Hurons se convertirent au christianisme avec Ahasistari 56. Les missionnaires reçurent dès lors des invitations d'autres sauvages jusques au la Supérieur, et l'on vit comme reluire de nouveau les jours où les Clément, les Boniface, les Sifroi et les Feargal portèrent les douceurs de la foi aux races germaines. On vit une compagnie aussi célèbre par les sciences que par les conquêtes spirituelles, parcourir en tous sens ces régions, éclairer nos forêts. Chez les Hurons fut commencé le même système qui fut établi au Paraguay, mais l'on peut croire, sans s'éloigner de la vraie philosophie, que ce gouvernement religieux hâta la ruine de la nation en lui ôtant son énergie 57. A l'appui de cet adage, que le soldat le plus vertueux est toujours le plus courageux, l'on avait vu les chrétiens faire la force des empereurs; mais le génie des peuples n'est pas partout le même, et sur les plages de l'Amérique Septentrionale, une certaine férocité fesait le caractère de la guerre. Durant la paix, les Américains avaient des vertus d'être chrétiens.

Note 57: (retour) Il ne s'ensuit pas que l'on n'aurait pas dû convier ces peuplades au christianisme.

CHAPITRE VI


ARGUMENT

Colonisation de la Virginie--Des sauvages de ce pays; confédération Pohatane--Vahunsonaca; ses conquêtes--Le capitaine Smith tombe entre ses mains--Héroïsme de Pocahontas--Visite et réception de Sir John Newport--Le roi d'Angleterre envoie des présens à Vahunsonaca--Son couronnement--Blocus de Jamestown--Arrivée de Lord Delaware--Chances diverses de la guerre--Nouvelle alliance--Mort du Sachem; son caractère--Ses enfans.

Les Anglais connaissaient déjà depuis quelques années la Virginie, qu'ils avaient ainsi nommée pour faire honneur à la reine Elizabeth, que s'était piquée de règner sans maître qui partageât son autorité.

Le pays, alors, depuis le rivage de la mer jusques à l'Allegany, et depuis l'extrémité sud des eaux connues sous le nom de «James River», jusques à la rivière Patuxent dans le Maryland, était occupé par trois nations principales, divisées chacune en tribus, bourgades, clans et familles. C'étaient les Pohatans, les Monacans, et les Monohacks. La confédération pohatane, sans contredit la plus nombreuse, habitait depuis l'Océan jusques à la chûte des rivières dans les régions qui touchent à la Caroline et au Maryland. Tout ce territoire comprenait environ huit mille milles carrés. La nature l'avait doué de nombreux avantages, et, bien différentes des contrées situées plus vers le nord, celles en question, étaient peu exposées au froid, moins encore à la famine. Les sauvages fréquentaient, pour la pêche, les rivières Nansamond, Iork et Chickahomine, abondantes en poissons délicieux. De riches moissons étaient le prix d'une culture réduite chez les Américains au plus simple travail: le sol avait à peine besoin d'être remué pour produire. Les forêts fournissaient avec profusion le gibier et les fruits. Transplantés sur ce sol heureux, les Pohatans étaient cependant un peuple endurci aux fatigues de la guerre, et les Mnacans et les Monohacks, bien que protégés par un pays de montagnes, avaient besoin d'une solide union pour leur résister. Se Sachem principal, ou l'empereur, comme disent les chroniqueurs du temps, était appellé par les Anglais, Pohatan 58, quoique son nom véritable fut Vahunsonaca.

Note 58: (retour) Pohatans était aussi le nom de la nation.

Né vers l'an 1560, il ne fut d'abord le chef que de dix tribus, qui formaient en premier lieu la confédération pohatane. Mais, jeune encore, il les conduisit à la guerre contre les peuples voisins, qu'il s'assujettit par ses nombreux exploits, et forma un petit empire qui, à l'arrivée des Anglais, offrait une agglomération formidable de trente tribus.

Notre monarque américain; car voilà bien un royaume sauvage, accueillit Sir John Newport et sa colonie avec la plus généreuse hospitalité. Un grand Ouirohance 59 le reçut sur le rivage, et lui offrit des rafraîchissemens et du terrein, ou, comme il s'exprimait, un grand lit pour ses enfans. Ce fut dans cet endroit que fut fondée la ville de Jamestown. Vahunsonaca ne prévoyait point que ces étrangers, en qui il ne voyait qu'une troupe de frères, qu'il fallait refaire des fatigues d'un pénible voyage, détruiraient un jour sa famille et sa nation.

Note 59: (retour) Ouirohance signifie un homme très noble, un grand.

Les Anglais ne tardèrent pas à tourner leurs armes contre ceux qui les avaient accueillis avec tant de générosité. Le célèbre capitaine Smith, homme peu difficile sur le point d'honneur, commença la petite guerre pour la subsistance de la colonie. Dans une de ses rencontres, il s'empara d'une idole ou dieu sauvage 60. Vahunsonaca paya sa rançon, mais en même temps, il se prépara à repousser la force par la force. Smith surpris en explorant la rivière Chickahomine, fut pris, malgré son intrépidité, et traîné de tribu en tribu jusques à Ouirohocomo, résidence temporaire Du Sachem. C'était un homme de belle taille, à l'air grave et majestueux. Il était assis devant un feu, sur un siège recouvert de peaux, envellopé lui-même dans un immense manteau de Rarowcum 61, peau précieuse, dont les queues pendantes relevaient encore sa richesse. A ses côtés étaient ses deux filles, Pocahontas et Matanchanna, ainsi qu'une femme de distinction que l'on disait être la reine d'Appamatuck. Plus loin, et sur deux lignes, était rangée la noblesse, les hommes d'un côté et les femmes de l'autre. La reine d'Appamatuck présenta à Smith de l'eau pour se laver, et une de ses suivantes apporta une touffe de plumes comme manière d'essuie-mains. Après ce cérémonial Vahunsonaca ouvrit le conseil, qui prononça la mort. On sait des deux côtés de l'Atlantique, que Smith dut son salut à la célèbre Pocahontas. L'indomptable Sachem, que les larmes seules de cette tendre enfant pouvaient fléchir, arrêta la justice prête à frapper, et renvoya le capitaine. Il lui donna même son amitié, et le pria de lui envoyer deux canons, lui promettant, en retour, de l'adopter pour son fils, et de lui céder la terre de Cappahowsick.

Note 60: (retour) On a avancé à tort que les peuples de la Virginie étaient dépourvus d'idées religieuses. Cette idole semble déjà prouver le contraire. Ils avaient un sacerdoce, et, nous dit Madame de Genlis, on fesait faire aux prêtres une manière de noviciat, sous un arbre. Des hommes armés de boucliers formaient une barrière autour d'eux. D'autres cherchaient à lancer contre eux des baguettes, mais on les garantissait. Puis on abattait l'arbre, on allumait un feu, et l'on formait des guirlandes et des couronnes pour les jeunes gens. Vahunsonaca bâtit un Temple qui avait cent quarante pieds de long. Les quatre angles portaient chacun une figure en bois. La première représentait un homme, la seconde un dragon, la troisième une panthère, et la quatrième un aigle.
Note 61: (retour) Ainsi écrit M. Thatcher, C'est, je suppose, le Racoon des naturalistes. V. McLock's Natural Hist., Chneider, de Villebrune, etc. etc.

Sir John Newport, rassuré par des procédés si honorables, ne craignit pas de s'engager lui-même dans l'intérieur avec une escorte de trente hommes. Il fut défendu à toutes les tribus d'attaquer le chevalier sur son passage, et Vahunsomaca le reçut d'une manière digne de lui. Il y eut un festin que se prolongea durant toute la nuit. Sir John donna au Sachem un jeune anglais nommé Savadge, qui parut lui plaire beaucoup, et il en reçut en retour un petit sauvage appellé Nemontack. Durant les quatre jours que dura la visite, Vahunsonaca fit voir tant de dignité et de discrétion que Smith et Newport ne purent s'empêcher de l'admirer. Sir John, suivant l'esprit de sa nation, conduisait avec lui une multitude d'objets de trafic, au moyen desquels il espérait se procurer une immense quantité de blé. Les sauvages du commun se pressaient autour de lui, mais leur roi demeurait sur sa natte, ornée de perles et de coquillages. Le gouverneur s'avisa de l'engager à faire comme les autres, mais Vahunsonaca lui dit avec dignité: «Sachem, je suis un grand Ouirohance, et je t'estime tel. Laisse à ma disposition toutes tes marchandises; je prendrai celles qui me plaisent, et je te donnerai en retour ce qui me paraîtra d'une valeur proportionnée. Sir John se laissa prendre; Vahunsonaca choisit froidement, et fit verser quatre boisseaux de blé à ceux qui en avaient espéré vingt muids. Mais comme le sauvage, habile à tromper, se laisse aussi facilement jouer lui-même, le capitaine Smith eut sa revanche. Il montra divers petits objets, qu'il mit au jour pour en faire ressortir le brillant. Ces oripeaux attirèrent les regards du Chef, qui donna trois cents boisseaux de blé pour deux livres de grains bleux, lorsqu'on lui dit qu'ils étaient d'une substance fort rare, et faits pour être portés exclusivement par les plus grands monarques. Il devinrent en usage chez les plus grands chefs, auxquels seuls il permit d'en porter, par un ordre qu'il donna en 1608, son conseil assemblé à cet effet.

Mais les objets de luxe n'étaient point les seuls dont Vahunsonaca cherchât à se mettre en possession. Il avait été à même d'observer la supériorité que les armes à feu donnaient aux Anglais. Il mit tout en oeuvre pour s'en procurer, et lorsque Sir John Newport se prépara à faire un voyage en Angleterre, il lui envoya de grands présens, et en obtint vingt-cinq épées. N'ayant as trouvé l'honorable Smith aussi complaisant, il en fut si piqué, qu'il commanda à tous ses sujets de saisir les armes des Anglais, partout où ils les trouveraient. Il s'en suivit plusieurs escarmouches dans lesquelles les sauvages ne furent point les plus forts. Le Sachem revenu de son emportement, envoya Pocahontas à Jamestown, pour solliciter la mise en liberté des captifs. Smith, peu délicat envers sa bienfaitrice, ne les lui remit qu'après les avoir fait battre de verges.

Cependant Sir John Newport revint d'Angleterre avec de grands renforts. Il était porteur de magnifiques présens du roi Jacques à son «bien-aimé frère et allié, Pohatan». Ce prince lui envoyait, outre un grand nombre d'objets précieux, un bassin en argent avec une aiguière, un lit royal et des habits de valeur. Il avait donné commission au chevalier, de confirmer le «droit divin» de son allié en Virginie, par les cérémonies d'un couronnement; et il envoyait à cet effet un trône, la couronne, le sceptre, et un manteau écarlate et broché d'or.

Smith, envoyé pour prévenir Pohatan de venir à Jamestown, pour recevoir les insignes de la royauté, en reçut cette réponse fière: Moi aussi je suis Sachem, et c'est ici mon domaine, j'y resterai huit jours, pour attendre les présens dont tu me parles. Ton père (Sir John Newport) doit venir à moi. Quant aux Monacans, je sais venger mes injures. Et pour ce que tu dis d'Appamatuck, il n'est pas situé où tu dis» en disant ces mots, il saisit une canne, et traça sur le sable la géographie de ce lieu. Il fut inflexible, et il fallut que le représentant du roi des Anglais vint trouver ce sauvage jusques à Ouirohocomo. Pohatan se laissa revêtir des habits royaux; mais lorsqu'on voulut le faire agenouiller pour recevoir la couronne, il exerça la patience de tous les officiers. Enfin, l'un d'eux, s'appuyant fortement sur les épaules royales, fit plier sa sauvage Majesté, tandis que trois autres lui mirent le riche diadême sur la tête. Aussitôt la garde salua le nouveau couronné d'une telle volée de mousqueterie, qu'il fut saisi d'effroi; toute sa cour d'enfuit dans ces épaisses forêts américaines, comme étonnées elles-mêmes qu'on les rendît témoins d'un cérémonial si nouveau et si effrayant. Cependant tout redevenait calme. Le monarque revenu de sa frayeur, donna naïvement son manteau de peau et ses mocassins à Sir John, qui ne se crut pas peu honoré de posséder les vieux insignes de la royauté virginienne. Mais les couronnans s'en allèrent sans avoir obtenu de secours contre les Monacans, ni même que les restrictions sur le commerce fussent levées.

Au mois de Décembre, le Sachem invita Smith à le venir voir, et lui promit un plein bateau de blé, pourvu qu'il l'aidât à bâtir un palais, et qu'il lui procurât cinquante épées. Le chevaleresque anglais s'aventura avec cinquante hommes. Pohatan fit travailler ses gens, puis lui laissa voir qu'il l'avait joué. Le bouillant capitaine voulut employer la force; mais il fallut retraiter à la fin, et le Sachem retira tout le fruit de son adresse. Son gendre, Opechancana, ne put retarder Smith, et en reçut même un affront, mais douze députés envoyés sous main à Jamestown obtinrent, au nom du capitaine, cinquante épées et trois cents haches. Ce ne fut pas assez pour les Anglais d'être ainsi dupés; Pohatan, après avoir marché trente lieues à la poursuite de Smith, revint à Ouirohocomo, assembla toutes ses forces et fondit sur la colonie. Il intercepta et fit prisonniers le capitaine Radcliffe et quarante anglais, et assiégea Jamestown. Au bout de six mois, les assiégés se virent réduits de six cents à soixante. Dans cette extrémité, ils évacuèrent Jamestown, et s'embarquèrent pour l'établissement des Bermudas.

Pohatan semblait redevenir maître sans contrôle de la Virginie, lorsque le sort voulut que les colons fugitifs rencontrassent le lord Delaware, qui venait d'Angleterre avec une suite considérable. Ils rentrèrent à Jamestown. Le Sachem dut frémir de douleur en abandonnant ses débris, et les Anglais bruler du désir de la vengeance à la vue des cendres d'un établissement naguère si florissant.

Sir Thomas Dale, qui succéda bientôt à lord Delaware, pénétra jusques à Appamatuck, rase les forts des Pohatans, et y fonda New-Bermudas. Vahunsonaca vengea en quelque sorte cet affront par le drame sanglant de Fort-Henry.

L'enlèvement de Pocahontas, en 1612, vint mettre fin à la guerre. Harassés de toutes parts, les Anglais parvinrent à se faire livrer la princesse, en corrompant un Sachem, vassal de Pohatan. Peu contens de la rançon qu'il leur offrait, il s'avancèrent par eau, au nombre de cent cinquante, jusques à Ouirohocomo. Le Sachem les reçut avec intrépidité. Il leur demanda le but de leur marche, en leur disant, que s'ils étaient venus pour combattre, ils éprouveraient le sort de Radcliffe. Il y eut une attaque, qui fut inutile; car les sauvages se cachèrent dans les bois, après avoir fait leurs bravades. Pohatan alla se fortifier à Orapakes avec quatre cents guerriers. Il y reçut de la part des Anglais une députation plus pacifique. Les envoyés ne furent pas admis en sa présence, mais Opechancana les reçut avec faveur. Un des députés était le jeune Rolfe, que fut pas longtemps dédaigné: il obtint la main de Pocahontas, et cette alliance fut le gage de la paix, qui dura jusques à la mort de Pohatan, qui arriva en 1618.

On a vanté la haute stature, la bonne mine et la majesté de ce sauvage, remarquable sous des rapports bien plus importans. Pour parler de sa puissance, son pouvoir, loin de décheoir par le voisinage des Anglais, s'était accru, et, de l'est à l'ouest, depuis le rivage de la mer jusques à l'Allegany, tout lui obéissait. Les Monacans étaient contenus, ainsi que les Massahomis. Ces peuples, qui ne peuvent être que les Iroquois, commençaient à harceler sans relâche les tribus de la confédération situées plus au nord.

Pohatan marchait toujours accompagné d'une garde de cinquante hommes choisis, et fesait observer à ses guerriers une discipline régulière. Ainsi nous voyons que lors d'une visite de Sir John Newport, il passe en revue trois cents de ses sujets, et leur fait simuler un combat avec des évolutions très compliquées. Lorsque cet ordre devint inutile en présence des armes à feu, il employa mille expédiens pour s'en procurer, et il y réussit assez bien. Il employa plusieurs Allemands à discipliner ses soldats, et à construire un arsenal, qui contenait les insignes envoyés par Jacques Ier, et des armes pour équipper mille combattans. Il y avait aussi un trésor, et il était considérable.

On rapporte que deux transfuges l'ayant laissé avec promesse de lui livrer le capitaine Smith et un grand amas d'armes, il les fit exécuter sur le champs, lorsqu'il les vit revenir les mains vides; car, dit-il, ceux qui avaient voulu trahir le capitaine, le pouvaient trahir lui-même. Pyrrhus ne trouva que dans un ancien Romain une grandeur d'âme au-dessus de celle de Pohatan.

Ce sauvage était encore estimable comme homme social, je citerai à l'appui un bel exemple. M. Hamer, envoyé de Sir Thomas Dale, trouve le Sachem entouré d'une garde de deux cents hommes. Après avoir présenté le calumet à l'ambassadeur, il s'informe de la santé de Sir Thomas, puis de Madame Rolfe (Pocahontas). Hamer lui répondant que la princesse est si heureuse, que lors même qu'elle serait libre, elle resterait à Jamestown, il se réjouit avec sa candeur ordinaire du bonheur de sa fille. Enfin, il demande le but de la visite. Hamer lui dit qu'il a des choses particulières à lui communiquer, et alors le Sachem fesant retirer tout le monde à l'exception de deux de ses femmes, l'on se met à parler d'affaires. L'envoyé était chargé de demander pour Sir Thomas, la main de Matanchanna. A cette proposition Pohatan proteste de son amitié pour les Anglais, et ne veut de preuve de la leur que leur parole; mais il ne songe point à de nouvelles alliances. La politesse déployée dans cette entrevue est admirable; mais ce qui l'est encore plus, c'est que jusques à la mort du Sache, il n'y eut plus aucunes rixes entre ses sujets et les colons.

Les vieux écrivains sont partagés sur mon héros. Stith, après l'avoir appellé «un prince de talens et de grand sens» le dit insidieux et cruel. «Quant aux grandes vertus morales, ajoute-t-il, comme la vérité, la bonne foi, la magnanimité, il semble s'en être peu soucié.» Burke parle autrement. «Ce prince, dit-il, dans un moment d'enthousiasme, sera sans doute traité de barbare et de tyran par les peuples civilisés, mais ses titres à la grandeur, quoiqu'il n'ait pas eu les mêmes moyens, sont aussi légitimes que ceux d'un Gengis ou d'un Tamerlan.» M. Thatcher cite avec complaisance cette comparaison: je dirai pour ma part, qu'un homme placé par le sort à la tête d'une confédération de peuplades incultes, la plupart soumises par la terreur, les gouvernant en despote, et maintenant son pouvoir malgré les Anglais, les Monacans et les Iroquois, me semble digne de l'admiration des hommes. Pohatan laissa, outre ses trois filles 62, deux fils, Opitchipan et Keketaugh, peu dignes de lui succéder.

Note 62: (retour) Opechancana avait épousé l'aînée.
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