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Biographie des Sagamos illustres de l'Amérique Septentrionale (1848)

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CHAPITRE VII


ARGUMENT

Suite des Sachems pohatans--Sasapin et Mangopeomen--Ce dernier réunit les Chickahominis à la confédération--Ligue contre les Anglais; soixante et dix forts sont détruits ou abandonnés--Bataille de Pamunky, armistice--Mangopeomen est pris--Sa mort et son caractère--Particularités intéressantes de la vie de Pocahontas.

OPITCHIPAN, successeur de Pohatan, pris le nom de Sasapin 63. Il n'eut de Sachem que le nom, et s'associa son beau frère, Opechancana, que règna sous le nom de Mangopeomen. Grand chef de guerre sous son beau père, ce Sachem avait fait prisonnier le capitaine Smith. Moins heureux plus tard, il en avait été terrassé, et traité avec ignominie: il se vengea en semant le carnage dans la journée de Fort-Henry. Ce sage Ouirohance prit sur son beau frère tout l'ascendant que son génie lui promettait, et ouvrit son gouvernement par une manoeuvre d'une politique adroite. Dissimulé avec les Anglais, auxquels il ne pouvait pardonner la prise d'Appamatuck, il renouvella l'ancienne alliance de 1619, pour mieux voiler ses desseins. L'artifice par lequel il réunit à la confédération pohatane la nation des Chickahominis, justifie assez les craintes que les habitans de Jamestown commençaient à concevoir. Cette peuplade ayant refusé de payer à la colonie un tribut annuel, le président Yeardly entra sur son territoire avec des troupes; mais Mangopeomen persuada les Chickahominis de le reconnaître pour Sachem, et il engagea le général à retraiter. Cette annexe qu'il fit à sa puissance, devait le servir dans l'exécution du nouveau plan de défense que son intelligence voyait nécessité par l'accroissement journalier des ressources de la colonie.

Note 63: (retour) Cet usage de prendre un nom en arrivant à l'autorité suprême, était commun à toute l'Amérique. Ouingina prend le nom de Pemissapan, comme Opitchipan celui de Sasapin. Vahunsonaca avait apparemment adopté celui de Pohatan. Le même usage ne fut pas moins répandu dans l'ancien monde, et c'est ainsi que tant de rois, en Irlande, portèrent les noms de Laogaire ou d'Eochaid; tant d'autres, celui de Donald, chez les Calédoniens.

Sir Thomas Wyatt succéda à Yeardly, en 1621. Mangopeomen qui n'était pas prêt à éclater, envoya à Jamestown un orateur qui débita une harangue de compliment. Pour rendre la déception plus parfaite, il offrit de fournir des guides pour conduire les Anglais dans des lieux où ils pensaient trouver des mines de cuivre. Mais après avoir sondé les dispositions de Namenacus, Sachem de Patuxent, et des tribus de l'est, il résolut enfin de fondre sans plus tarder, sur la colonie.

Le 21 mars, 1622, jour néfaste dans les annales virginiennes, les diverses tribus engagées dans la ligue se trouvèrent stationnées sur les différens théâtres du massacre, avec une célérité et une précision qui étaient dues à Mangopeomen, l'âme de ces masses, si difficiles à contenir. Cette fois, quoique plusieurs partis eussent à traverser un chemin immense parmi les forêts, guidés seulement par les astres, aucun ne s'égara. Soudain les coups tombèrent. Le terrible Sachem, semblable à Mars parmi les siens, alimentait le carnage. Un massacre épouvantable eut lieu, et trois cent quarante-sept personnes furent les premières victimes de cette boucherie, qui eut des suites encore plus funestes. Caanco, sauvage chrétien, avait cependant donné l'alarme; le danger fut connu de toutes parts, et toute la colonie se mit sous les armes. Frémissant de rage, Mangopeomen rallia, comme Attila arrêté devant Orléans, ses guerriers répandis dans le pays, et il attendit de pied ferme l'ennemi, que cette scène de dévastation déployée à ses yeux, excitait à la vengeance. Une guerre à mort suivit, dans laquelle les Anglais égalèrent en barbarie les Pohatans, qui leur donnèrent dès-lors le nom de «Grands Couteaux». De quatre-vingts forts que les colons possédaient, il n'en resta que huit sur pied, et la population totale se trouva réduite à 1700 âmes, en 1624. Lorsque l'on envoya proposer la paix, l'implacable sauvage fit une réponse pleine de fierté, et foula aux pieds l'image du roi d'Angleterre, qu'on lui avait présentée. La guerre la plus dévastatrice continua avec une furie toujours croissante.

En 1625, Sir Thomas Wyatt entra en personne sur le territoire des Pohatans. Mangopeomen l'attendit à Pamunky, à la tête de neuf cents guerriers. Un combat fut livré dans lequel les Anglais parurent d'abord victorieux; mais ils ne purent pousser jusques à Matapony, principal fort, qui n'était qu'à quatre milles du champ de bataille, et furent contraints de retraiter. De nouvelles ouvertures de paix furent encore rejetées; et ce ne fut qu'en 1632, que les sauvages se prêtèrent à une trève.

Mangopeomen la rompit, lorsque à l'arrivée d'un nouveau Gouverneur et d'une nouvelle colonie, la guerre civile se mit entre les Européens.

Quoiqu'avancé en âge, il fesait, avec une extrême célérité, parvenir ses ordres aux tribus les plus éloignées. Il voulut faire lui-même la principale attaque à la tête des cinq tribus les plus considérables; tandis que les efforts subordonnés furent confiés aux Chefs respectifs, système qui étendit le massacre des bouches de la Chesapeake jusqu'aux extrémités des eaux qui s'y jettent. Cinq cents personnes furent tuées, et grand nombre traînées en captivité. Sir John Berkeley 64, à la tête de toutes les forces de la colonie livra plusieurs combats désespérés qui le conduisirent jusque dans le centre du pays des sauvages. Mangopeomen était alors si décrépit par l'âge et les infirmités, qu'il était réduit à se faire porter dans une espèce de litière, d'où il dirigeait la marche en avant, ou la retraite de ses guerriers. Poursuivi chaudement par un parti de cavaliers, il fut pris et conduit à Jamestown, où, à leur grand honneur, les Anglais le traitèrent avec égards, ensevelissant généreusement le souvenir de leurs défaites, à la vue de l'infortune présente de leur plus terrible ennemi. Il y eut un Anglais qui fut inaccessible à ces nobles sentimens. Le Sachem vécut plusieurs jours, entouré de ses serviteurs, qui avaient eu la permission de le suivre; mais il fut lâchement assassiné par un de ses gardes, sans autre offense que le courage qu'il montrait dans le malheur. Quelques jours avant sa mort, il entendit un grand remuement autour de sa personne. Ayant fait lever ses paupières, ce qu'il ne pouvait plus faire seul, il aperçut un groupe de curieux. Il fit aussitôt demander le Gouverneur, et lorsqu'il parut, il dit avec dignité «que si Mangopeomen avait eu la fortune de faire prisonnier le Sachem des Anglais, il ne l'aurait point donné en spectacle à ses sujets;» étrange leçon d'un soi-disant barbare à un chevalier.

Note 64: (retour) Cet officier, qui fit ses premières armes contre les Pohatans, s'illustra, je crois, dans les guerres civiles de son pays, et lors de la Restauration, il proclama Charles II en Amérique.

Aucun sauvage, sans en excepter Metanco, ou le roi Philippe, ne fit plus de mal aux Anglais. Sa haine ne parut pas provoquée comme celle du vainqueur de Swanzey; mais il prévoyait sans doute la ruine de sa nation, et le patriotisme parle en sa faveur.

Beverley nous apprend qu'il était d'une haute stature, et qu'il avait le port extrêmement noble. Stith l'appelle «un prince fier et politique». Burk, «l'Annibal de la Virginie». Locke l'a mentionné dans son immortel ouvrage sur l'Entendement 65. Sa mort fut le prélude de la dissolution prochaine de la confédération pohatane.

Note 65: (retour) Si Opechancana, roi de Virginie, eût été élevé en Angleterre, peut-être aurait-il été aussi bon théologien et mathématicien que qui que ce soit dans ce Royaume. Toute la différence qu'il y a entre ce roi et un anglais, consiste simplement en ce que l'exercice de ses facultés a été borné aux usages et aux idées de son pays.--(Ess. sur l'ent., Tome 1, Liv I, Chap. III, p. 87, penes me.)

Je terminerai ce chapitre par ce qu'offre de plus intéressant la vie de Pocahontas.

Née en 1595, avec toute les qualités du coeur, cette enfant de la nature est surtout célèbre par l'acte extraordinaire d'humanité et de courage qui sauva le romanesque capitaine Smith. Déjà l'exécuteur lève ha hache de guerre sur le prisonnier, lorsque Pocahontas, âgé alors de douze ans, s'élance entre lui et le capitaine. Tenant embrassée la tête de Smith, elle conjure son père de l'épargner. Elle était plus que tous ceux de sa famille en possession de ce coeur fier, et le toucha en faveur du criminel.

Plus tard, Jamestown est visitée par la famine. La fille de Pohatan y fait parvenir des vivres, qui soutiennent les Anglais jusques au retour de Sir John Newport.

Cependant les sauvages, à la vue de l'accroissement des Anglais, ont conjuré leur perte. Pocahontas s'évade au milieu de la nuit, et, s'engageant dans les épaisses forêts de son pays, elle traverse mille dangers pour avertir les colons de celui qui les menace. Des bienfaits aussi signalés eurent bientôt porté de l'autre côté de l'Océan le nom de l'héroïne virginienne; mais quelle en fut la récompense? Argall, le même qui porte le fer et le feu dans les établissements de la marquise de Guercheville, officier dont la vie est semée d'actions héroïques, nobles parfois, et aussi de faits déshonorans, paraît sur la scène. Naviguant sur la rivière Potomac, en 1612, il apprend que la princesse est dans les environs. Il lui fait une visite, et l'invite à monter sur son vaisseau, promettant de la remettre sur le rivage après une courte promenade. Elle se laisse prendre; on la respecte, mais on ne lui tient point parole.

Durant son séjour à Jamestown, la beauté de Pocahontas, sa simplicité naïve, et ces manières gracieuses qui accompagnent toujours l'innocence du coeur, lui attirèrent les regards du jeune Rolfe, colon distingué, qui l'épousa avec la permission de Pohatan. Cet hymen fut le gage d'une heureuse paix. Elle reçut le baptême, et fut appellée Rebecca, mais Pocahontas était le plus beau nom qu'elle pût porter, et la postérité le lui a conservé.

En 1616, elle dit adieu à son pays, et partit pour l'Angleterre, avec son époux et Sir Thomas Dale. La renommée l'avait précédée à Londres, une de ces immenses cités desquelles le bruit d'une victoire, quelquefois, n'atteint pas l'enceinte; mais un récit romanesque se fait jour au milieu du tumulte qui y règne. L'héroïne américaine devait y attirer tous les regards. Le roi Jacques, que Stith appelle «un pédent couronné», monarque en tout singulier, et qui n'a eu son égal qu'en un czar de Russie, trouva fort mauvais que le jeune Rolfe eût eu la présomption d'épouser, sans son agrément, «une princesse fille d'un roi son allié»; mais sa Majesté se calma, et les deux époux furent introduits à la cour par lord Delaware et l'honorable Smith. Un vieux chroniqueur dit de la princesse virginienne, qu'elle était plus favorisée de la nature, plus gracieuse et mieux proportionnée que plusieurs dames de la cour, au jugement même des courtisans et plus beaux sirs.

Après avoir joui quelque tems de la faveur de la bonne reine Anne, à laquelle Smith avait présenté un mémoire sur ses belles actions, Pocahontas se retira à Benford, fatiguée du tumulte de la capitale.

Enfin, en 1617, des raisons particulières l'engageant à retourner en Amérique, elle devait monter sur un vaisseau amiral à Gravesend, lorsqu'elle mourut, âgée de vingt-deux ans. Les derniers momens de sa vie ne démentirent pas sa plus tendre jeunesse. Elle laissait un jeune enfant sous la tutelle de Sir Lewis Stewkely, mais ce seigneur ayant perdu toute sa fortune dans le malheur de Rawleigh, il passa sous celle de son oncle, John Rolfe, de Londres. Il; vint plus tard en Amérique, hérita d'une grande partie du territoire de son aïeul, et laissa une fille qui fut mariée au Colonel Bolling. Ce dernier maria deux de ses filles aux Colonels Randolphe et Fleming. L'honorable Randolphe, de Roanoake, est encore un descendant de Pocahontas au sixième degré, selon M. Thatcher.

L'histoire n'offre rien qui égale l'héroïsme déployé par cette femme forte; et le roman n'a rien imaginé de supérieur. Quelle héroïne, en effet, posséda à un degré plus éminent ces belles qualités qui ornent le coeur humain, la candeur, l'amitié constante, et la compassion pour le malheur. L'indépendance de son caractère, et la dignité de toutes ses démarches, ne parlent pas moins en sa faveur. Les auteurs du Dictionnaire Historique on consacré un article à Pocahontas, digne de figurer dans toutes les histoires.


CHAPITRE VIII


ARGUMENT

De quelques autre sachems pohatans--Tomocomo--Nemattanoi--Voyage du premier en Angleterre--Bravoure du second--Extinction de la confédération pohatane dans la personne de Topotomoi--Histoire de Japazawa, Sachem des Potomacs.

PARMI les Américains qui jouent un rôle secondaire dans les annales de la Virginie, se trouvent Tomocomo et Nemattanoi.

Tomocomo, gendre et premier conseiller de Pohatan, fut préféré à Sir Thomas Dale, et obtint la main de Matanchanna. Il fut chargé par son beau-père d'accompagner Pocahontas en Angleterre, et de compter tous les Anglais. Le bon Tomocomo, arrivé à Plymouth, prit une canne dont il donnait un bout à chaque homme qu'il rencontrait; mais bientôt l'horizon du sauvage s'agrandit, et il jeta le dernier bout de son bâton. De retour en Virginie, où il revint avec le capitaine Argall, il ne put rendre compte à son maître qu'en égalant le nombre des Anglais aux astres du firmament et aux feuilles de la forêt. Pendant qu'il était encore à Londres, il vit l'honorable Smith, et le pria de lui faire voir son Dieu et son roi. Pour la Divinité, le capitaine s'en excusa de son mieux. Mais il lui prouva qu'il avait vu le roi et la reine. Oh! s'écria alors Tomocomo, quand tu donnas au Sachem un petit chien blanc, il le nourrit comme lui-même; et moi, qui suis meilleur qu'un chien blanc, ton roi ne m'a rien donné.

Nemattanoi était un personnage d'un autre genre. C'était l'Ajax virginien, et il passa longtems pour le premier homme de guerre de sa nation. Ce qu'il y avait d'extraordinaire, c'était qu'il se fût trouvé dans une multitude de rencontres avec les Anglais sans être jamais blessé. Sa bonne fortune, jointe à son ambition le mit à même de passer pour invulnérable parmi les siens. Mais Opechancana le livra aux Anglais, qui le fusillèrent.

Topotomoi avait succédé à Mangopeomen, sans hériter de sa gloire. Un agent anglais régna pour lui. L'assemblée de Virginie passa un acte qui lui assignait telles terres qu'il se choisirait sur la rivière Iork, et elle nomma des commissaires qui l'amenèrent à Jamestown, et le reconduisirent dans son pays.

Plus tard une peuplade éloignée s'étant avancée pour s'établir en Virginie, Topotomoi alla au secours des Anglais avec cent guerriers, et fut tué dans le combat. Le satirique auteur d'Hudibrias 66, a immortalisé par ces vers, le dernier des Pohatans:

A precious brother having slain

In time of peace an Indian

The mighty Tottipotimoy

Sent to our elders an envoy

Complaining sorely of the breach.

La dynastie pohatane avait régné près d'un siècle depuis Vahunsonaca.

A une distance assez considérable des Pohatans vivaient les Potomacs. Japazawa, leur Sachem, fit un traité avec le capitaine Smith, en 1608. On prétend même qu'il s'entendit avec Argall, et lui livra Pocahontas. Quoiqu'il en soit, il parut à Jamestown, en 1619, et permit aux Anglais d'envoyer deux navires sur la Potomac. Le capitaine Croshaw, chef de cette croisière, entra si fort dans les faveurs du Sachem, qu'il fut nommé Chef de guerre contre les Pazaticans, peuple féroce, ennemi des Potomacs.

Mangopeomen lui envoya un député avec un présent de deux corbeilles de perles, et le fit prier de tuer le capitaine; mais il répondit fièrement que les Anglais étaient ses alliés, et Sasapin son frère.

Les complaisances de Japazawa ne furent pas bien récompensées. Iago, Sachem d'une tribu lointaine, s'étant réfugié chez lui, et n'ayant pu obtenir du secours, le perdit dans l'esprit des Anglais. Isaac Madison, envoyé pour se joindre à Croshaw, l'arrêta avec toute sa famille, et le conduisit à Jamestown, où il languit dans une longue captivité. Quoique les Anglais se montrassent bien injustes envers lui, il était peu digne que l'on plaignît son sort, malgré l'épithète de «bon roi», que Smith lui prodigue.


CHAPITRE IX


ARGUMENT

Digression concernant la découverte de la chûte de Niagara--Entrevue de Mayouck avec MM. Price et Willmington--Son récit de la cataracte--Excursion.

La nouvelle Angleterre venait à peine de fixer une retraite aux mécontens des trois Royaumes, que l'on songea à y envoyer des missionnaires qui, par défaut de prosélytes exploitaient les beautés des régions qu'ils parcouraient, suivant en cela le génie du clergé de l'Eglise d'Angleterre, presqu'entièrement composé de savans. Price et Willmington reçurent l'ordre de pénétrer vers le nord. S'étant reposés dans le bourg naissant de Boston 67, ils dirigèrent leur course vers le but qui leur avait été indiqué. Déjà ils avaient franchi une chaîne de montagnes, lorsqu'ils tombèrent dans un pays plat. Après avoir marché plusieurs jours sans rencontrer aucune créature humaine, ils aperçurent enfin dans une clairière et à travers les arbres, un groupe de sauvages qui, s'approchant d'eux, leur parlèrent un langage agréable, mais qu'ils ne comprenaient pas. Les gestes de ces sauvages marquaient leur surprise à la vue d'hommes si différens d'eux, et n'ayant pour arme que ce qui leur semblait un bâton poli. Au milieu de cet ébahissement une bande d'oies passa au-dessus de leurs têtes. Ils décochèrent leurs flèches; mais ce fut sans effet. Nos visiteurs tirèrent en même temps, et, au grand étonnement de la troupe deux oies tombèrent expirantes sur le sol.

Note 67: (retour) V. l'histoire des E.-U.

Le Chef, qui s'appellait Mayouck, pria les étrangers de le suivre dans on village, pour montrer à son peuple le merveilleux effet de leurs bâtons. On arriva bientôt à un nouveau groupe, occupé à élever une cabane d'écorce. Mayouck fit entendre que ce n'était là que le lieu de chasse, et que le village était encore éloigné dans la direction du soleil, qui se dérobait alors derrière les arbres. On le trouva enfin sur la rive de la rivière Oneida. Price et Willmington voulurent passer au-delà, et demandèrent des renseignements au Sagamo sur la route qu'ils devaient suivre. Il leur donna à entendre que la rivière qu'ils avaient traversée conduisait à un immense bassin, formé par la décharge de plusieurs grandes rivières, mais que bien peu de guerriers de sa tribu avaient jamais été jusque-là. Il y avait pourtant un ancien qui, dans sa jeunesse, s'était avancé avec son canot durant plusieurs soleil. Il avait raconté qu'il avait vu une énorme rivière tombant dans une mer d'eau douce, et qu'ayant débarqué pour chasser, il avait entendu un bruit terrible d'eaux qui tombaient. Ayant traversé vis-à-vis les bois, d'où le bruit semblait venir, il vit que le courant devenait si rapide qu'il n'était pas possible d'avancer. La crainte le força de faire rebrousser son canot, et depuis ce temps aucun sauvage n'osa s'aventurer. Les deux ministres furent plus hardis, et ils engagèrent Mayouck à les accompagner. Après qu'ils eurent navigué plusieurs jours, ils aperçurent l'Ontario, dont la vue les frappa d'étonnement; car ce fleuve leur parut une mer sans bornes. Comme ils rangeaient la côte, les daims sortaient de leurs bosquets pour les voir, ou traversaient à la nage les embouchures de rivières et de ruisseaux. Mais on s'occupait plutôt à admirer la beauté de la scène qui s'offrait à la vue, qu'à interrompre les jeux et les gambades des bêtes fauves. On avançait toujours sans se douter de rien, lorsque un matin que l'on fit plusieurs milles avant que le soleil n'eût dissipé la brume épaisse qui couvrait le lac, on entra dans une grande rivière qui vient se jeter dans l'Ontario. On continua de naviguer, mais le courant devint si rapide, que l'on fut obligé d'aller par terre. Le vent, qui soufflait légèrement, fesait un murmure continuel parmi les arbres, mêlé à un bruit sourd que Mayouck jugea venir de plus loin. Il ordonna à un jeune guerrier, qui l'accompagnait, de monter sur un pin élevé qui était proche. Le jeune homme fut à peint à la moitié de l'arbre, qu'il poussa un cri de surprise, et, en ayant descendu, il dit qu'il avait vu des nuages immenses d'écume au-dessus des arbres. Comme on continuait de marcher, le bruit devenait plus distinct et plus fort à chaque instant, et la vitesse du courant fit croire que l'on approchait d'un rapide furieux; mais on sortit d'un bois épais, et l'on se trouva tout-à-coup sur le bord d'un rocher nu, qui était comme suspendu sur un vaste gouffre, dans lequel deux courans et une rivière se précipitaient avec un bruit qui noyait toutes les acclamations de surprise, et qui surpassait les mugissemens de lamer dans sa fureur. Se retirant avec effroi, les voyageurs fixèrent leurs regards étonnés sur le torrent bruyant et écumeux, sans faire attention que la partie du rocher sur laquelle ils se trouvaient, il n'y avait qu'un instant, s'ébranlait et se détachait: cet immense bloc tomba, et le bruit de sa chute retentit dans tous les bois d'alentour, plus fort que celui de la cataracte. Les deux Anglais se retirèrent comme malgré eux au milieu des arbres, n'osant revenir vers le point d'où ils avaient vu crouler le rocher; et dans cette position, ils purent contempler avec lus de sang froid le grand spectacle qu'ils avaient sous les yeux.

Comme ils étaient ainsi occupés, Mayouck jeta un cri, et dirigea leur attention sur un grand daim, qui luttait vainement contre la force irrésistible du courant près de la chute: il était entraîné vers sa destruction. Il arriva dans un calme trompeur; ses regards devinrent égarés, ses narines s'élargirent, son cou s'allongea, et il semblait crier; mais sa voix était étouffée par le bruit de la cataracte, et il fut précipité dans l'abyme qui bouillonnait au-dessous. Le Sagamo iroquois donna à la chute le nom de Niagara ou «des Eaux Tonnantes». On vint plus tard de toutes les parties du globe pour contempler la plus grande merveille de la nature. Parmi ses plus illustres visiteurs, De Larochefoucault Liancourt et De Castelnau ont écrit des descriptions magnifiques de ce qu'ils ont vu.


CHAPITRE X


ARGUMENT

Confédération des Pokanokets--Massassoit--Ambassades et liaisons--Sa mort--Observations sur son caractère--Son successeur--Sauvages du Massachusetts--Nanepashemet, Vonohoquaham et Metoouampas--Justice des Anglais--Maladie contagieuse--Histoire de Chickatabot.

A l'époque de la fondation de Plymouth, on trouve la Nouvelle Angleterre coupée par cinq Confédérations principales: les Pecquots à l'est du Connecticut, les Narraghansetts dans le Rhode Island, les Patukets au sud de New-Hampshire, les Massachusetts autour de la baie de ce nom, et les Pokanokets dans le comté de Bristol. Ces derniers formaient neuf tribus qui avaient chacune leur chef respectif; mais ils étaient vassaux d'un Sachem général résidant à Montaup 68. Massassoit gouvernait à l'arrivée des Anglais.

Note 68: (retour) Nos voisins ont appelé ce lieu Mount-Hope par corruption: je l'ai ainsi écrit dans mon article de Metanco, inséré dans les Mélanges Religieux de Montréal.

Dermet naviguant aux frais de Sir Francis Gorges, ayant débarqué dans le pays en 1620, guidé par un sauvage nommé Squanto, le Sachem lui permit de construire le fort de Plymouth. Il envoya son conseiller, Samoset, vers les colons, et voulut aller à eux en personne. Edward Winslow, gouverneur, le reçut et débita un long discours, dont la teneur était, que le roi Jacques saluait son frère le Sachem, et lui offrait son amitié. Massassoit parut faire plus de cas de l'épée de Winslow que de sa harangue. On songea à l'introduire dans l'intérieur du fort. Le capitaine Standish l'escortait avec une garde de six hommes depuis un ruisseau où l'on érigea un arc triomphal pour perpétuer le souvenir de cette entrevue. De là on le conduisit dans une des meilleures maisons, où on lui donna un grand festin. Il est vrai que le Sachem et le Gouverneur ne se séparèrent qu'après s'être embrassés et avoir contracté une alliance; mais il est faux que Massassoit reconnut Jacques pour son souverain, puisque la copie du traité, encore existante, ne le mentionne pas.

Je trouve que de toutes les colonies qui vinrent s'établir en Amérique, aucune ne se livra à l'agriculture. Edward Winslow se rendit à Montaup, en 1621, pour tenter d'ouvrir une traite sur le blé. Massassoit revêtu d'un habit brillant et tout galonné d'or, entendit le message en homme qui est de bonne humeur, et accorda tout ce que l'on voulut.

Sa fidélité ne tarda cependant pas à être mise à l'épreuve. Le transfuge Squanto répandit le bruit qu'il assemblait ses guerriers pour fondre sur la colonie. Habanoc, autre sauvage, nia le fait, et conseilla d'envoyer à Montaup pour s'en assurer. M. Winslow et Hampden, de Londres, y trouvèrent tout dans une parfaite tranquillité.

Massassoit tomba malade l'année suivante. A la première nouvelle, Winslow lui fut envoyé. Prévenu de son arrivée, Massassoit lui saisit le main, en disant: Es-tu Winslow?... O Winslow! Massassoit ne te verra plus.--On le rétablit néanmoins avec quelques cordiaux. Il manifesta sa reconnaissance en dévoilant une ligne des tribus du Massachusetts, et en recommandant des mesures qui furent exécutées par le capitaine Standish.

En 1632, les Narraghansetts s'avancèrent jusqu'à Montaup. Massassoit les repoussa avec le secours de quelques Anglais. Il ne mourut que longtems après.

On a peine à comprendre qu'un Chef aussi dévoué aux Anglais, fut tellement ennemi de leur religion que de leur faire promettre de ne jamais convertir un seul de ses sujets. Les missionnaires catholiques firent quelques progrès; mais les difficultés étaient partout les mêmes. Un jeun Huron disait au P. Bréboeuf: «tu nous débites de fort belles choses; mais cela est bon pour vous autres qui êtes venus de l'autre bord du grand lac. Ne vois-tu pas que nous, habitans d'un monde si différent, ne pouvons arriver au Paradis par le même chemin.»

Massassoit ne se distingua guère comme guerrier. Il n'est que plus étonnant qu'il ait pu maintenir son autorité sur une grande confédération de peuples passionnés pour la guerre; bien différent en cela, et plus heureux que grand nombre de ses semblables, qui n'ont fait que hâter la ruine de leur race. Il régna sous le nom d'Ousamequin. Son fils aîné Vansutta, lui succéda sous celui de Moanan. Ce n'est pas le temps de raconter les malheurs de ce généraux Sache, qui suscitèrent un vengeur aux hommes rouges dans Metanco ou le Roi Philippe. Mais je passe aux Massachusetts, peuples voisin des Pokanokets.

La tradition nous apprend que quelques années avant l'arrivée des Anglais, un grand Sachem, Nanepashemet, ayant rassemblé autour de sa personne un grand nombre de guerriers, que sa valeur lui tenait attachés, étendit sa domination sur toutes les tribus qui habitaient le Massachusetts, lorsqu'il fut tué par on ne sait quel ennemi. Des voyageurs découvrirent un de ses forts en 2621. Construit dans une vallée, il était environné d'un large fossé et consistait en une forte palissade en pieux, haute de trente pieds. Il n'était accessible que d'un côté par une espèce de pont fort étroit. Le tombeau du Sachem se trouvait sous un grand bâtiment qui semblait avoir été la demeure de sa famille. Un petit monument sur une colline, indiquait le lieu où il était tombé. Sa femme connue sous le nom de Squaw-Sachem, appelée quelquefois la reine du Massachusetts, ne l'était point de fait; car après la mort de son mari, chaque tribu se mie en devoir de reconquérir sa liberté. Elle fit la guerre, mais la terrible peste de 1622, qui réduisit les guerriers de trois mille à quatre cents, l'empêcha de penser plus longtems à soutenir ses prétentions. Elle épousa le grand prêtre de sa tribu, Vacapovet, qui céda le territoire de Concord aux Anglais.

Nanepashemet avait laissé deux fils, Vonohoquaham et Metovampas. Le premier, Sachem de Ouinnesimet, fut un des plus fidèles amis des Anglais. On le connut toujours franc et poli. Lorsque les annales de ce Continent me feront voir les Européens se soumettant à la justice envers les sauvages, je m'empresserai de le consigner dans les pages de cette histoire. Ainsi dans ces tems de barbarie et de cruauté, où les Anglais massacraient sans remords, en citant de sang froid un passage de la Bible contre les Philistins ou les Madianites, Sir Richard Salstonstale et le gouvernement de Charleston se renfermaient dans des bornes que l'honneur et l'humanité défendent de franchir, et les deux races vécurent dans une heureuse harmonie sur un petit point de la Nouvelle Angleterre.

Metoouampas ou Metovampas, bien différent de son frère, était un esprit remuant. Il attaqua en 1631, les Tarradines, peuple féroce, qui le blessèrent et emmenèrent sa femme captive. La colonie ne crut pas devoir venger un affront si bien mérité, et elle eu plusieurs fois à faire ce discernement. Les deux frères moururent de la peste, en 1633. Vonohoquaham laissa en mourant son fils Mattamoï, sous la tutelle du R. Docteur Wilson.

Le même maladie enleva Chickatabot, ancien vassal de Nanepashemet. C'était un des meilleurs amis des Anglais. Le gouverneur Dudley n'écrivait pas moins à la comtesse de Lincoln: «Il y avait alors un marchand, M. Weston, qui envoya des planteurs sur la rivière Ouesaguscus. Mais comme ils n'étaient pas si bien intentionnés que ceux de Plymouth, ils ne réussirent pas au même point, et périrent presque tous. Ceux qui survécurent furent retirés des mains de Chickatabot et des sauvages, qui maltraitaient ces faibles Anglais.» Il est digne de remarque que l'on ne demanda jamais à Chickatabot d'autre raison de cette affaire. Ses descendans jusques à la troisième génération, ont cultivé l'amitié des Anglo-américains, et possédé de grands domaines.


CHAPITRE XI


ARGUMENT

Aspinet Sachem de Nausett--Raisons de sa haine pour les Anglais--Expédition de Standish--Mort du Sachem--Anecdotes--Sort déplorable d'Ianough Sachem de Cummacuid--Sa défense.

La vie d'Aspinet jette un grand jour sur l'histoire d'un établissement dont je viens de parler, les plantations de Weston. Autant Vonohoquaham et Chickatabot furent amis des Anglais, autant Aspinet les eut en aversion. Le massacre non provoqué de ses sujets par le capitaine Hunt 69, en 1614, occasionna cette inimitié.

Note 69: (retour) M. Winslow écrivait: «One thing was grievous unto us at this place. There was an old woman, whom we judged to be no less than a hundred years old, which came to see us, because she never saw English; yet could not behold us without breaking forth into great passion, weeping and crying excessively. We demanding the reason of it, they told us she had three sons who, when Master Hunt was in these parts went aboard his ship to trade with him, and he carried them captives in Spain; by which means she was deprived of the comfort of her children in her old âge.»

Six ans plus tard, les Anglais envoyèrent une embarcation pour chercher un endroit propre à la construction d'un fort. Aspinet fit attaquer le parti et l'obligea de se retirer en grande hâte.

La rumeur le fit en 1622, le chef principal d'une ligue contre l'établissement de Weston, à Weimouth. Le capitaine Standish eut ordre de le prévenir, et d'entrer dans ses domaines à la tête d'un fort détachement de soldats. C'était un homme expéditif. Grand nombre de sauvages furent tués, et, dit un écrivain contemporain, sans doute lecteur de Bible assidu, «cette exécution soudaine, jointe au jugement de Dieu sur leurs consciences coupables, les abattit tellement, qu'ils désertèrent leurs demeures, et se virent réduits à errer dans les bois et dans les défilés, périssant de misère.» Parmi ces malheureux fut le Sachem de Nausett, et telle fut la fin d'un homme qui avait d'abord rendu de grands services à ceux qui violèrent son territoire et lui donnèrent la mort. Je citerai quelques faits qui font voir combien il eût été facile aux Anglais de conserver l'amitié de ce Sachem.

En 1621, un enfant ayant disparu, on devina facilement qu'il était tombé entre ses mains et l'on envoya une députation pour obtenir sa délivrance. Aspinet avait su distinguer le petit innocent des coupables. Lorsque le parti arriva sur la borne de son territoire, et s'y arrêta, Squanto alla seul informer le Sachem du but de la visite, et faire appel aux sentimens de l'humanité en faveur de la faible créature. Aspinet vint avec un grand train, fesant porter l'enfant à la traverse des ruisseaux. Il s'arrêta à distance avec cent guerriers, en désarma cinquante, et arriva avec eux aux Anglais. Il prit le petit garçon qu'il avait tout décoré de perles, le présenta au commandant, et fit la paix avec la colonie.

Après cette rencontre la bonne intelligence se préserva pendant plus d'une année. De grandes provisions de blé furent cédées aux Anglais durant la famine, et le gouverneur Bradford fut reçu par le Sachem avec la plus honnête hospitalité. La chaloupe de cet officier ayant pris eau, on fut obligé de décharger une grande provision de blé, et de le laisser sous la garde des sauvages. Le gouverneur retourna à pied au fort, et le blé, laissé à Nausett en Novembre y fut retrouvé intact en Janvier. Aspinet avait accordé des primes aux sauvages qui le garderaient soigneusement, et il avait fait parvenir la chaloupe à Plymouth, dans le meilleur état.

En 1623, le capitaine Standish parut de nouveau à Nausett. Un sauvage ayant sauté dans la chaloupe des Anglais, et dérobé quelques objets, le capitaine entra en armes chez Aspinet, et redemanda avec bravades les objets volés. Le Sachem, sans s'offenser, lui offrit sa demeure, en attendant qu'il pût retrouver les choses demandées; mais ses offres généreuses furent rejetées, et les Anglais passèrent la nuit en armes près de leur embarcation. Le lendemain Aspinet parut sur le rivage avec une grande suite: il venait rendre la justice. Saluant le capitaine à l'anglaise 70 comme le lui avait montré le Chef Tisquantum, il ne se contenta pas de rendre les objets; mais il fit porter dans l'embarcation une grande quantité de pains.

Note 70: (retour) La légende dit que tous les sauvages de sa suite voulurent suivre son exemple; mais que ce fut de si mauvaise grâce, que tout l'équipage se mit à rire.

Le sort d'un autre Sachem du Massachusetts ne fut pas moins déplorable. Ianough, Sachem de Cummacuid, surnommé le Courtois, justifia ce beau titre par l'affabilité qu'il montra aux Anglais qui vécurent dans sa familiarité.

Standish allant à Nausett, coucha la première nuit de son voyage à Cummacuid. Ianough apprenant qu'il était à l'ancre prés de son domaine, l'avait fait prier de l'y venir voir. On dépeint le Sachem comme un jeune homme d'environ vingt-six ans, de belle taille et gentil de figure, n'ayant du sauvage que l'habit. Il reçut le capitaine à la tête de tout son peuple. Les femmes se mirent à danser 71 et à chanter autour de l'embarcation, et les hommes firent aussi de leur mieux pour témoigner leur allégresse. Ianough, en se séparant de Standish, lui passa son collier autour du cou.

Note 71: (retour) Deux illustres voyageurs nous décrivent une de ces fêtes, qui se passait dans une île, sur les lacs du Canada. Les trois hommes les plus âgés, assis sous un arbre, étaient les principaux musiciens. L'un d'eux battait un petit tambour formé d'une partie du tronc d'un arbre creux, couvert d'une peau; les deux autres l'accompagnaient avec des espèces de castagnettes ou de calebasses remplies de pois. Ces trois hommes chantaient, et les sons rauques et sauvages de leurs voix, mêlés à ceux de leurs instrumens, fesaient un effet bizarre, mais agréable à une certaine distance. Les danseuses chantaient aussi. Elles étaient vingt, qui formaient un cercle, en se tenant les mains autour du cou l'une de l'autre. Fesant ainsi la chaîne, et le visage tourné vers le feu, elles exécutaient des petits pas de côté, courts, serrés et rapides.

Tous les documens accordent à ce Sachem le plus beau caractère; mais il avait affaire à un monstre. Standish, passant une seconde fois à Cummacuid, y fut reçu aussi cordialement que la première fois; mais quelques perles ayant disparu, il répéta les violences qui lui avaient si bien réussi à Nausett, et ses bandits dirent tout haut, que ce coup de fermeté en avait tellement imposé aux barbares, qu'ils n'avaient osé rien entreprendre; tant il est vrai que les Européens, qui avilissaient ainsi le Christianisme, ne pouvaient croire aux vertus qui s'offraient à eux sur ces plages où il n'avait pas été prêché.

Cet affront ne fut pas le dernier. Ianough fut accusé contre toutes probabilités d'être entré dans la ligue contre Weston. Le fidèle Massassoit, lui-même, avait été sollicité: Ianough le fut de même sans que l'on pût en rien inférer. Cependant l'estimable Sachem de Cummacuid, à la fleur de l'âge, insulté, menacé, pourchassé, pour ainsi dire, par un ennemi que rien ne pouvait assouvir, et qui suspectait également ses caresses et ses craintes, s'exila, consterné, et mourut dans son désespoir.


CHAPITRE XII


ARGUMENT

Des cinq Cantons iroquois--Elémens de leur histoire primitive--Territoire et population--Leurs conquêtes--Premier Chef de guerre connu, Oureouati.

J'ai dit dans la tradition iroquoise du premier homme, au discours préliminaire, ce que ces peuples croyaient savoir du commencement du monde 72. J'ai insinué quelle devait être leur origine. Si l'on s'en rapporte aux conjectures de quelques savans, les Iroquois se seraient formés en République dès le milieu du quinzième siècle: je rapporterai cet évènement à la fin du seizième. Ils se rendirent fort redoutables. Les Hurons, qui se séparèrent d'eux, et les Algonquins, leur enlevèrent pour quelque temps cette supériorité, et les refoulèrent jusques à leur lacs, mais cet échec humiliant donna l'impulsion à cette carrière incessante de succès qui s'ouvrit devant eux.

Note 72: (retour) Il y a à prendre et à laisser dans le passage suivant du Comte Carlo-Carli: «Les peuples sauvages et chasseurs de ce vaste continent, comme les Iroquois et les Hurons, avaient quelque faible idée de la Divinité. Ils croyaient un bon principe a et un mauvais. Ils adoraient le soleil b, la lune, un bois ou un fleuve, et disaient que les âmes des valeureux guerriers jouissaient dans l'autre monde d'une vie délicieuse. Ces sauvages-chasseurs étaient et son encore divisés par hordes, comme les Scythes et les Tartares; toujours féroces entre eux toujours en guerre, sans forme de gouvernement, et ainsi sans culte religieux.»
Note 72a: (retour) Cette idée de deux principes a été commune à bien des peuples, et s'explique par le désordre de la nature. C'est par ce raisonnement que les sauvages du Canada décochèrent toutes leurs flèches contre le sol en convulsion, en 1683.
Note 72b: (retour) V. sur les vierges du soleil les Lettres Péruviennes, par Madame d'Harponcourt de Graffigny. Les Iroquois avaient aussi leurs vestales.

Les Français les trouvèrent en armes jusque dans les environs de Québec. Etaient-ce eux qui avaient délogé les paisibles Canadois?... Je le crois avec Lescarbot. «Il y a quelques années, dit-il que les Iroquois s'assemblèrent jusqu'à huit mille, et défirent leurs ennemis, qu'ils surprirent dans leurs enclos.» Quoique l'écrivain ne cite aucune autorité sur ce grand évènement, il n'a pu que rapporter l'opinion du temps, laquelle était d'autant moins suspecte qu'il s'agissait d'un fait récent.

Les Iroquois descendaient dans la colonie par la rivière qui fut appellée de leur nom, parce qu'ils l'infestaient de leurs partis. L'arrivée des Français, loin de les déconcerter, ne fit que leur faire apercevoir la nécessité de détruire avant qu'il ne se grossît, un ennemi auquel les armes à feu assuraient un immense avantage. Deux fois leurs partis furent rejetés loin du théâtre de l'attaque: ils vinrent une troisième fois et vainquirent. M. de Champlain trouva ces Romains du Nord, retranchés dans une redoute bien construite, dont les avenues étaient obstruées par de forts abattis d'arbres. On essaya d'y mettre le feu; mais les Iroquois avaient fait une grande provision d'eau, et maîtrisèrent les flammes. Les Français dressèrent alors une machine d'où ils firent un feu bien nourri. Cependant M. de Champlain reçut deux blessures, les Hurons prirent l'épouvante en apprenant qu'il n'était pas invulnérable; et l'on retraita vingt-neuf lieues sas s'arrêter.

Enhardis par ce succès, les Cantons envoyèrent des partis jusque dans le centre de la colonie. De Champlain n'avait pas de forces suffisantes pour les contenir, et le Grand Condé n'était pas à portée de communiquer aux Iroquois la terreur de son nom. Ce prince céda sa vice-royauté en Canada au Duc de Montmorency, qui envoya quelques secours.

Forcés de se tenir en respect après bien des ravages, les Agniers, ou Mohacks tournèrent leurs courses contre les Satanas, nation plus rapprochée de leurs lacs: ils la défirent et l'expulsérent. Revenant alors sur leurs pas, ils repoussèrent au-delà de Québec ces mêmes Algonquins qui s'étaient maintenus quelque temps sur l'Ontario.

Le pays des Iroquois avait été borné jusqu'alors entre les 41e et 44e degrés de latitude, comprenant dans la direction de l'orient d'été au couchant d'hiver environ quarante lieues, et quatre vingts de l'est à l'ouest, en sorte qu'ils avaient pour bornes la Pensylvanie au midi, à l'occident, le lac Ontario, le lac Erié au couchant d'été, et celui de St. Sacrement au septentrion: enfin la nouvelle Iork. Il était divisé en cinq Cantons, c'est-à-dire, de l'est à l'ouest, les Mohacks, les Oneidé, les Onnondagué, les Cayougué et les Tsononthouans.

Ces cinq nations, subdivisées en quinze tribus, formaient un co-état, dont chaque partie jouissait d'une certaine indépendance pour la paix et la guerre.

Au temps ou je parle, le canton des Mohacks était le plus populeux. Son territoire était fertile, et arrosé par une petite rivière qui serpente l'espace de sept ou huit lieues entre deux prairies. Deux lieues au-delà, on trouve une source sulfureuse dont l'eau, naturellement blanche, se résout en sel sous le feu. Il y en a une autre chez les Cayougué. Son eau, agitée violemment, s'enflamme, et semble de la nature de celle que l'on voit près Grenoble. Depuis la rivière des Onnondagué jusques à la rivière Niagara, le paysage est délicieux. Un terrain facile, agréablement boisé, est entrecoupé des lisières de sable peu profondes, qui ajoutent par le contraste à la fraîcheur de la verdure. Les forêts sont magnifiques, et la chasse y est abondante. La belle demeure de Sir William Johnson vint depuis ajouter un nouvel ornement è ces beaux domaines.

On a dit que les Iroquois s'appellaient dans leur langue Agonnonsionni, ou architectes par excellence, parce qu'ils se logeaient plus solidement et plus élégamment que les autres. Le gouverneur Clinton, dans un discours prononcé devant la Société Historique de New-Iork, les appelle Agnuschion ou Peuple Uni. Agonnonsionni et Aganuschion se ressemblent assez pour partager le critique. Quoiqu'il en soit, les Iroquois, chez eux, s'appellaient encore plus communément Mingos.

Pour revenir à leurs victoires incroyables, les confédérés, en liaison avec les Hollandais de Manhatte, furent à même de mépriser l'art et la science des Français. Ils apprirent à tirer de l'arquebuse et à se servir de toutes nos armes. Leurs capitaines reparurent dans les plaines, et les Algonquins subirent de nouveaux affronts, qui furent le prélude d'une série d'envahissemens sans parallèle dans les annales américaines. Les Erié furent les premiers anéantis: ils avaient occupé le pays au sud de ce fleuve. Les Andastes et les Chouanis subirent à peu près le même sort. Les Hurons et les Outaouais furent rejetés au milieu des Sioux, où ils se séparèrent, répandant partout la terreur du nom Iroquois. Les Illinois et les Miamis reçurent la loi. Les Nipicenans retraitèrent jusques à la baie d'Hudson. Le nom Mohack répandait l'épouvante chez tous les peuples de la Nouvelle-Angleterre, à la moindre apparition de ces guerriers sur les collines du Connecticut ou du Massachusetts. En dernier lieu les fureurs de la guerre envahirent les Alleghanis. Depuis Québec jusqu'au Mississipi, rien ne résista. Les Mingos réclamèrent comme leur territoire douze cents milles quarrés.

Leurs exploits firent grand bruit de l'autre côté de l'Atlantique. En France, on se servait de leur nom pour effrayer les enfans mutins, et le Président Hénaut citait avec orgueil les légers succès de quelques gouverneurs contre ces redoutables peuplades 73.

Note 73: (retour) V. Abrégé chronologique.

Malgré tant de conquêtes nul de leurs capitaines ne nous a été connu avant Oureouati. Les Outaouais éprouvèrent surtout sa valeur. Barbare à l'excès dans les commencemens, il s'opposa au célèbre Garrangulé (Garrakonthié), et traversa toutes ses démarches. Il harcela avec fureur les premiers habitans de Montréal. Mais le commerce des Européens l'adoucit beaucoup dans la suite; et après l'avoir vu semblable au tigre en fureur, nous l'entendons discourir avec modération à la paix de Kaihohague. Un mot de Garrangulé suffira dans une autre occasion, pour le faire rebrousser avec ses guerriers occupés à ravager la colonie. Oureouati fesait admirablement bien la petite guerre; on ne le trouve pas à la tête de partis de guerre bien considérables.

Voyons maintenant les efforts que fesaient les Hurons pour conserver le territoire dont ils étaient naturellement les maîtres.


CHAPITRE XIII


ARGUMENT

74Ahasistari; ses qualités--Mauvaise politique des Hurons--Adresse des Iroquois--Conversion d'Ahasistari--Pais de 1646--Renouvellement de la guerre; désastre des Hurons--Ahasistari sauve les débris de son peuple.

Note 74: (retour) Cet article se trouve un peu différemment dans l'Encyclopédie Canadienne, ainsi que ceux de Piscâret, Garrakonthié, Oureouaré, Kondiaronk et Siquahyam.

AHASISTARI, un des principaux Chefs de la nation huronne, naquit vers la fin du seizième, ou au commencement du dix-septième siècle. Il fut doué en naissant de toutes les qualités qui font les héros chez les indigènes de l'Amérique, et se rendit surtout redoutable aux Iroquois dont il repoussa longtems avec succès les agressions continuelles. Vers 1640, ces terribles ennemis ayant tombé sur une nation éloignée, firent un massacre épouvantable. Ceux qui furent assez heureux pour échapper, trouvèrent un refuge chez les Hurons. Ahasistari et les autres Chefs n'eurent pas plutôt appris leur désastre, qu'ils envoyèrent au-devant d'eux avec des rafraîchissemens, et les accueillirent avec un bienveillance aui aurait fait honneur à une nation européenne, mais qui dévoilait le peu de politique d'un peuple présomptueux et dépourvu de prudence. En effet, il achevait d'irriter des voisins dont il avait tout à craindre.

Les Cantons agirent autrement, et pour ne pas s'attirer sur les bras trop de forces réunies, ils mirent tout en usage pour introduire la mésintelligence entre les Français et leurs alliés. Ils firent partir trois cents guerriers qu'ils divisèrent par petites troupes, et tous les sauvages qui tombèrent entre leurs mains furent traités avec la dernière inhumanité, tandis que les Français qui furent pris, ne reçurent aucun mal. Cette ruse ne fit pas prendre le change à Ahasistari, qui maintint sa nation dans l'alliance des Français. Plus de huit cents Iroquois s'avancèrent alors jusques au Trois-Rivières. Après quatre mois de blocus, les Chefs offrirent la paix à condition que les Hurons et les Algonquins n'y seraient point compris. M. de Montmagny 75, gouverneur-général, monta de Québec, pour s'aboucher avec eux, mais les Iroquois ayant pillé en sa présence deux canots algonquins qui parurent devant la place, la conférence fut rompue, et les huit cents guerriers, après de nouveaux ravages, entrèrent sur les terres des Hurons, qui se défendirent avec vigueur.

Note 75: (retour) Les députés Iroquois, croyant que les noms européens, comme les leurs, devaient signifier quelque chose, demandèrent ce que signifiait celui du gouverneur. On leur dit que Montmagny voulait dire Grande Montagne. Ils le traduisirent dans leur langue, et depuis ce temps, tous les sauvages appellèrent Ononthio les gouverneurs du Canada.

En 1641, les PP. Bréboeuf et Lallemant virent leurs travaux couronnés d'un brillant succès, par la conversion et le baptême d'Ahasistari. La nation suivit l'exemple de son Chef.

L'année suivante, les Iroquois, que soutenait Wilhelm Kieft, gouverneur de Manhatte ou Manhattan, se répandirent dans tout le Canada. Les rivières et les lacs furent infestés de leurs partis, et le commerce ne put plus se faire sans les plus grands risques. Les Hurons vinrent désoler leurs frontières, et la frayeur se mit dans le coeur de ce peuple qui semblait inaccessible à la crainte. En 1643 les habitans de trois villages furent dispersés, et tout pliait; mais il parut que les Iroquois n'étaient pas encore préparés à frapper le dernier coup, car il fut conclu en 1646, un traité de paix qui fut ratifié par les Agniers ou Mohacks, d'une part; et de M. de Montmagny, Ahasistari, Piscâret, Chef des Algonquins et Megamabat, Chef des Montagnais, signèrent les articles 76. Deux Français, deux Hurons et deux Algonquins suivirent les Iroquois comme ôtages, et ceux-ci laissèrent trois des leurs dans la colonie.

Note 76: (retour) Chaque député apposa au bas du traité le tabellionat ou blason de sa tribu, c'est-à-dire le dessin d'un animal quelconque. Voilà l'origine des armoiries chez tous les peuples. Elle n'appartinrent pas d'abord aux individus, mais aux communautés d'hommes. Le bourg d'Athènes était ainsi désigné par une chouette, Tyr, par le buccin, Sibaris, par le boeuf, Argos, par le loup, la Toscane, par la grenouille ou tusc, l'Egypte, par un crocodile, Paris, par un vaisseau. Plus tard, les grands personnages eurent leur devise, qui se trouvait sur les boucliers, selon Laplace, dans son Dictionnaire des Fiefs. On retrouve les écus d'armes chez les Sioux.

Les Iroquois rompirent bientôt cette trève. Ahasistari, à la tête de Hurons et des Andastes, peuple belliqueux et puissant, les battit complettement en 1648, mais sa nation ne voulut profiter de la victoire que pour obtenir une paix solide et durable, à laquelle, cependant, avec plus de sagacité, elle n'aurait jamais dû se fier. Elle fut la dupe de sa présomptueuse confiance. Tandis qu'Ahasistari traitait avec les Onnondagués, les Mohacks et les Tsononthouans exterminèrent deux partis de chasse; il pénétrèrent dans les premières bourgades et massacrèrent sept cents personnes. Les fuyards se réfugièrent à Caragué qui était comme la capitale de tout le pays. Le 26 mars, mille Iroquois tuèrent quatre cents Hurons. Trois guerriers échappés au massacre allèrent porter l'alarme à la bourgade de St. Louis: quatre-vingts guerriers périrent encore dans la défense de cette place. Deux cents Cayougué tombèrent dans une embuscade, mais ceux qui les avaient poursuivis furent exterminés par un parti de sept cents Mohacks. Ahasistari évita la mort, bien qu'il payât de sa personne dans toutes les rencontres, et il chercha un moyen de sauver son peuple. La bourgade principale n'avait pas encore été attaquée; mais on craignait de ne pouvoir s'y maintenir. Les Jésuites proposèrent de se retirer aux îles Manitoulines 77 sur le lac Huron. Cette proposition fut mal accueillie. La nation ne pouvait consentir à abandonner le pays de ses ancêtres. La plus grande partie émigra cependant, et forma une bourgade de mille feux dans l'île St. Joseph. On n'y fut pas plus en sûreté contre l'ennemi. Un petit nombre de Hurons, trop attachés à leur pays, furent poursuivis avec acharnement, pourchassés comme des bêtes fauves; d'autres s'enfoncèrent dans les forêts de la Pensylvanie, sans doute guidés par quelques Chefs valeureux, et réoccupèrent plus tard leur première patrie. Ahasistari, après avoir fait tomber un parti d'Iroquois dans une embuscade, retraita jusques à Québec avec tous ceux Qu'il put persuader et réunir. Il y vivait encore en 1676, et les Hurons d'aujourd'hui, le regardent encore comme un des plus grands hommes de guerre qu'ait produits leur nation. Quelques Hurons parvinrent aussi chez les Sioux, et avec eux quelques-uns de sa famille, car Alkwanwaught, un de ses descendans, commanda et donna des Chefs à ces peuples, comme le supposent ces vers d'Adam Kidd:

Alkwanwaught was a Sioux famed

In many battles honours claimed

And closely by his mother's side,

To Atsistari was related--

That hero, long the hero's pride,

Than whom was never yet created,

A nobler Chieftain for the field--

A lion heart, unknown to yield.

Note 77: (retour) La Mythologie des sauvages avait placé dans ces îles le séjour des dieux ou des Manitoux.

CHAPITRE XIV


ARGUMENT

Des Pequots--Sassacus--Ses projets hostiles contre les Anglais--Massacre du capitaine Stone--Traité de pais--Politique du Sachem--Expédition du capitaine Endicott--- Sassacus conçoit le dessin d'exterminer les Anglais--Les colonies se réunissent; bataille sanglante--Retraite et mort de Sassacus.

Les Pequots, peuple redoutable, ainsi appelés de Pekoath, leur premier Sachem, s'emparèrent du Connecticut vers l'an 1550. Il pouvaient armer quatre mille archers. Ceux de Nipmuck et de Long-Island leur étaient soumis, et les Narraghansetts seuls balançaient leur fortune. Les Anglais trouvèrent Pekoath en progrès de conquêtes: les tribus se dispersaient à son approche, et il se vit le maître, avec ses terribles Mirmidons, de la plus belle partie de la Nouvelle-Angleterre, sous le ciel le plus tempéré et le plus doux.

Dès l'année 1631, Ouagimacut, un des vaincus, était venu à Boston, conduit par un autre sauvage qui avait été attaché à la maison de Sir Walter Rawleigh, en Angleterre. Il venait implorer du secours contre Pekoath, qui mourut sur ces entrefaites.

Sassacus, nouveau Sachem, fut salué à son avènement par vingt-six Sagamos, et fit parader devant lui sept cents archers. Il choisit pour sa résidence une colline commandant une des plus magnifiques vues sur la baie et les contrées qui l'avoisinent.

Les Pequots se montrèrent invariablement ennemis des Anglais. Maîtres du pays sans contrôle, ils regardaient tous étrangers comme envahisseurs: ils trouvaient mauvais qu'on élevât des forteresses sans le consulter. Leur fierté ressemblait à celle des soldats du Porus.

En 1633, le capitaine Stone fut attaqué sur la rivière, et massacré avec tout son équipage. Sassacus, voulant dissimuler après cette catastrophe, envoya des députés. Le gouvernement exigea que les assassins fussent remis, et quoique le Sachem représentât que le capitaine avait enlevé deux sauvages; qu'il les avait forcés de lui servir de guides, et ne les avait remis sur la côte que les mains liées derrière le dos, il fut conclu un traité par lequel les assassins devaient être rendus en effet, et les colons avoir un vaisseau sur la rivière, afin de faire la traite. Les Narraghansetts cherchèrent en vain à prévenir cette convention en envoyant trois cents guerriers, qui devaient attaquer l'ambassade à Neponsett. Les Anglais s'opposèrent à leur dessein.

Les choses demeurèrent en cet état jusqu'en 1636. Cette année, un homme du nom de Oldham ayant été massacré par les sauvages de Block-Island, le capitaine Endicott ravagea leur pays. De là, il se porta sur la côte des Pequots pour exiger l'exécution du traité, et en outre une provision de blé. Un sauvage parut dans un canot, et demanda ce que les Anglais prétendaient. Le capitaine délivra alors son message, et fit prévenir le Chef le plus considérable, en l'absence de Sassacus, qui était allé à Long-Island. Ne pouvant obtenir ce qu'il voulait, il débarqua, tua deux Pequots, et mit le fau aux moissons, se retirant après cet exploit barbare.

Sassacus, de retour, conjura la perte des colons. Il destina à cet objet toutes les forces de son pays, et déploya toute sa propre énergie. Les forts furent attaqués dans toutes les directions. Au mois d'octobre, cinq hommes de la garnison de Saybrook furent enlevés, un maître de vaisseau torturé, et le fort si vivement pressé, que les canonniers ne pouvaient laisser leur pièces. Au mois de mars suivant, quatre soldats furent tués et douze matelots furent pris sur la rivière, où aucun navire n'osa plus se montrer. Ne voulant rien négliger pour terminer son ouvrage, Sassacus négocia avec ses anciens ennemis les Narraghansetts, auxquels il proposa une ligue offensive; projet digne de son génie à la fois politique et guerrier. Cananacus, leur Sachem, allait s'unir à lui; mais le célèbre Roger Williams le mit dans le parti Anglais. Les colonies se réunirent en même temps pour dégager celle de Connecticut. Les forces de cet état, réunies à celles de Plymouth et du Massachusetts, repoussèrent les assiégeans, et suivirent les sauvages dans leur pays. Les Narraghansetts, les Mohicans et les Niantics, prirent part à cette lutte, et suivirent l'armée coloniale; ils voulurent même être l'avant garde de cette croisade. Sassacus dut entrevoir alors le jour des restitutions, où il allait se dessaisir forcément de tant de dépouilles. Les tribus humiliées contemplèrent avec une joie sauvage la chute de leurs vainqueurs: ceux-ci vendirent cher leurs vies. Sassacus battu main point défait mit ses forts en défense. Le Major Mason 78, ayant fait entourer le plus considérable par les sauvages alliés, monta à l'assaut avec ses soldats. La résistance était bien préparée; cependant, en moins d'une heure, l'oeuvre de la destruction fut achevée. Des tourbillons de flammes nourries par les assiégeans, et la réflexion de ces pyramides de feu sur les forêts voisines, le bruit des armes à feu, la fureur et les hurlemens des Pequots, les cris des femmes et des enfans offraient un spectacle horrible à voir. Six cents sauvages furent engloutis sous les ruines. Sassacus parut si peu découragé, ou plutôt, ce désastre le mit dans une telle fureur, qu'il poursuivit les Anglais jusqu'à six milles du champ de bataille, à la tête de trois cents archers.

Note 78: (retour) Qui croirait que cet officier mit en tête de la relation qu'il écrivit de cette expédition, de texte de l'écriture: We have heard with our ears, ô God!... «how thou did'st drive out the heathen with thy hand.» La plupart des contemporains du très dévot Major étaient aussi peu éclairés, et se croyaient armés de la main de Dieu contre les maîtres naturels de ces vastes régions.

Il faillit être au retour la victime de ses propres gardes, qui l'accusaient de tous leurs malheurs. La plupart des guerriers l'abandonnèrent. Il acheva alors de démolir son camp, et retraita avec quatre-vingts braves vers la rivière d'Hudson. Son courage en ayant rallié d'autres autour de lui, il fit halte à Fairfield; mais il y perdit encore deux cents hommes et treize Sachems. Poussé de marais en marais, trahi par ses propres sujets, il pensa être assassiné par un traître payé d'avance pour le tuer, mais qui ne se sentit pas assez de courage pour l'attaquer. Dépassant enfin la borne de son pays, il se jeta dans les bras des Mohacks. Des guerriers de ce Canton furent assez lâches pour le tuer par surprise. Sa tête fut envoyée à Connecticut et promenée dans toutes les bourgades.

Lorsque Sassacus s'arma en faveur des hommes rouges, les colons de la Nouvelle-Angleterre, encore faibles et impuissans, étaient déjà d'une insolence inouïe. La providence empêcha qu'ils ne subissent le sort que semblait leur préparer une si coupable présomption: on doit seulement regretter de voir si complet le triomphe d'envahisseurs aventuriers vomis par l'Angleterre, qui n'avait pu les supporter.


CHAPITRE XV


ARGUMENT

Les Algonquins se résolvent à faire la petite guerre--Piscâret; singulière ruse de ce Chef--Il entre seul dans le pays des Iroquois--Intrépidité d'une jeune fille de la même nation--Mort de Piscâret--Réflexions.

PISCARET, Algonquin, surnommé l'Achille du Canada, le plus grand guerrier de son temps chez les tribus du Nord, dit M. Thatcher, se signala dans tous les combats que sa nation livra aux Iroquois. Les Algonquins, déjà affaiblis, lui ayant confié le commandement de sept cents guerriers qu'ils avaient assemblés avec effort, il marcha contre ses fiers ennemis; mais il les trouva sur leurs gardes, et il fut contrait de s'en revenir sans avoir remporté aucun avantage considérable.

N'ayant pu faire triompher son peuple à la tête d'un si grand parti, il voulut au moins venger la mort d'un Chef, qui avait été pris et brûlé par les Iroquois. Il arma un canot d'une vingtaine de fusils, et s'y embarqua avec quatre Chefs des plus braves. Ils partirent des Trois-Rivières, ou du Cap de la Magdeleine, qui était alors la résidence ordinaire des Algonquins, et se rendirent d'abord dans les îles de Richelieu, à l'extrémité sud-ouest du lac St. Pierre, et de là, à l'entrée de la rivière Sorel, ou, comme on a dit, la Rivière des Iroquois. Après s'être avancés jusqu'à une certaine distance, ils rencontrèrent cinq canots iroquois portant chacun dix guerriers. Ceux-ci firent le Sassakoué ou cri de guerre, pour sommer les Algonquins de se rendre. Piscâret voulant les attirer au large, rebroussa, et les Iroquois de le suivre avec la vitesse surprenante des rameurs sauvages. L'Algonquin avait eu l'idée de faire passer dans les balles dont il s'était muni de gros fils d'archal d'environ dix pouces de longueur arrêtés par les deux extrémités. Il avait disposé ces balles en pelotons, afin que le fil s'étendant au sortir du fusil, fit un plus grand escar. Par là, autant de coups portés dans un canot, étaient autant d'ouvertures qui devaient le couler à fond. En effet, lorsqu'il fut temps de combattre, Piscâret fit un mouvement pour se trouver enveloppé par les Iroquois, et ordonna de tirer sur leurs canots à fleur d'eau sans s'occuper des guerriers qui y étaient. Les ennemis d'éloignèrent avec précipitation et comme à l'envi les uns des autres pour faire place au canot des Algonquins. Alors les cinq Chefs, feignant de se rendre, entonnèrent leur chant de mort; mais au grand étonnement des Iroquois, ils firent une décharge de leurs fusils, et la réitérèrent trois fois sans perdre de temps, en reprenant d'autres armes chargées d'avance. Les Iroquois culbutèrent de leurs canots, qui coulèrent bas, et les Algonquins les tuèrent à coups de casse-têtes, à l'exception d'un Chef qu'ils prirent avec eux, et auquel ils firent éprouver le sort qu'avait subi le leur: c'est, avec quelque différence, la relation de M. Bacqueville de la Poterie.

Piscâret, combattit les Iroquois en combat rangé en 1643, et les battit. Il parut aux conférences de 1646, et ratifia la paix au nom de sa nation, en disant: «voici une pierre que je mets sur la sépulture des guerriers qui sont morts pendant la guerre, afin que nul n'aille remuer leurs os, ni ne songe à les venger.»

Aux nouvelles hostilités, il fit une expédition ou plutôt un exploit qui ressemble pas mal à celui d'Ulysse et de Diomède dans le camp de Rhoesus. Comme il connaissait parfaitement le quartier des Iroquois, il partit seul à la fonte des neiges, dans le dessein de les surprendre. Il eut la précaution de mettre ses raquettes le devant derrière, afin que, si l'on découvrait ses traces, on crût qu'il était retourné dans son pays.

Après plusieurs jours de marche, se trouvant près de la première bourgade, il se logea dans un arbre creux, pour y attendre la nuit. Lorsque tout fut dans le silence, il sortit de sa retraite, et s'introduisant sans bruit dans une cabane, il tua deux Iroquois, leur enleva la chevelure, et retourna dans son arbre. La même chose fut répétée la nuit suivante. Les anciens s'assemblèrent le troisième jour, et l'on mit des gardes à toutes les huttes. Piscâret sortit encore, et entra une troisième fois dans le village. Il n'y avait personne dehors, mais on veillait dans les maisons, comme il s'en aperçut en regardant par les ouvertures. Ne voulant pas se retirer sans avoir rien fait, il se hasarda à entrouvrir la porte d'une cabane, et il y vit un factionnaire sommeillant le calumet à la bouche. Il le tua et s'enfuit. L'épouvante se répandit dans la bourgade, et tous les guerriers s'armèrent la rage dans le coeur. Piscâret avait pris les devans, et comme il prenait, dit-on, les élans à la course, il redoutait peu la poursuite de ses ennemis. Loin de continuer à fuir, il revint sur ses pas, se cacha durant le jour dans un autre arbre, et fit éprouver le sort de Dolon aux Iroquois qui s'approchèrent trop de son embuscade.

Les Cantons, pour forcer ce terrible ennemi à sortir du leur territoire, furent obligés d'envoyer à sa recherche plusieurs centaines de guerriers: il leur échappa pour les harceler encore.

Si ces exploits de Piscâret nous semblent fabuleux, une égale intrépidité nous étonnera encore plus dans une femme.

Oroboa, jeune algonquine, se rendit célèbre par un héroïsme bien éclatant. Prisonnière de guerre chez les Agniers ou Mohacks, elle fut déposée dans une cabane pieds et mains liés, et demeura dix jours dans cette position, sans prendre de nourriture, que ce qu'il fallait pour l'empêcher de mourir. La onzième nuit, pendant que ses gardes dormaient auprès d'elle, elle parvint à dégager un de ses amis, et bientôt après à se détacher tout-à-fait elle-même. Son premier soin fut d'assurer sa liberté par la fuite; mais elle ne put se résoudre à laisser ainsi échapper l'occasion de la vengeance. Elle rentra dans la cabane qu'elle venait de quitter, saisit une hache, assomma celui des Iroquois qui se trouvait plus à sa portée, s'élança dehors, et se cacha dans le creux d'un arbre qu'elle avait remarqué.

Cependant les Iroquois, éveillés par les gémissemens du mourant, cherchèrent l'assassin. Oroboa attendit qu'ils fussent éloignés, et, dirigeant sa course d'un autre côté, elle s'enfonça dans les bois. Elle y errait depuis deux jours lorsque, tout-à-coup, elle découvrit que ses ennemis suivaient ses traces. Elle se plongea à l'instant dans un étang couvert de roseaux, qui se trouvait auprès, et y resta dans une attitude qui lui permettait de respirer sans être aperçue, jusqu'à ce que les Iroquois, lassés d'une recherche inutile, s'en retournèrent dans leur village.

Durant trente-cinq jours elle parcourut les forêts et les déserts vivant de racines et de fruits sauvages. Parvenue à une rivière large et rapide, elle fit avec des osiers une espèce de radeau qui lui servit à la traverser. Enfin rencontrée par des guerriers de sa nation, elle fut reconduite en triomphe dans son village au milieu des chants de guerre.

Souvent chez les sauvages, les femmes accoutumées à être victimes des fureurs de la guerre, chérissent la vengeance 79, et ne manquent dans l'occasion ni de force ni de courage pour l'assouvir.

Note 79: (retour) On a comparé en cela les Arabes à nos peuplades. «Semblables aux Indiens du nord de l'Amérique, chez qui l'amour de la vengeance est une passion effrénée, ils attendront pour la satisfaire, qu'une occasion se présente, quelque long que soit l'intervalle, et subiront toute espèce de privations sans jamais perdre de vue le but qu'ils se proposent.--(Comte WILL. DE WILBERG.)

Pour Piscâret, il était constamment trop brave pour être toujours prudent. Un jour qu'il revenait seul de la chasse, il fit rencontre, vers le haut de la rivière Nicolet, de six éclaireurs Iroquois qui, n'osant l'attaquer ouvertement, entonnèrent son approche leur chanson de paix. Il chanta aussi la sienne, et les invita à passer à son village, qui n'était éloigné que de trois ou quatre lieues, les prenant pour des députés qui allaient aux Trois-Rivières ou à Québec Pour traiter de la paix. Ils feignirent d'acquiescer avec plaisir à son invitation, mais il y en eut un qui resta exprès derrière, sous prétexte de se reposer. Piscâret marchait avec eux sans les soupçonner, au, comptant sur sa force et son adresse, lorsque le retardataire arriva tout-à-coup sur lui, et le renversa mort sur le sol d'un grand coup de son tomahack sur le derrière de la tête. Ainsi finit ce terrible Algonquin.

On admire ces héros d'Homère presque barbares; on se passionne pour ces chants anaclétiques d'Ossian, où paraissent une grandeur sage et une sombre valeur. Les Sagamos de la nord Amérique ressemblent à ces guerriers poétiques. Même passion, chez eux, pour la guerre, même force d'âme, même énergie. Mais, a dit un auteur distingué, il est vrai que nous n'admirons la nature qu'à travers le prisme de l'art. Les bois, les forêts, les cascades, tout cela nous charme dans un tableau. Homère a bien pu nous faire admirer ses magnifiques inventions, ses héros qui ressemblent à des dieux au milieu des combats: il pouvait donner l'essor à son génie pour les faire si grands qu'il le voulait. Mais les hommes demeurent insensibles au récit d'actions réelles qui surpassent quelquefois l'imagination des poëtes. On recherche encore les vives peintures du Tasse, les exploits vrais ou faux de Renaud et de Tancred, entremêlés d'amours. Gengis et Tamerlan n'intéresseront pas ces esprits: l'histoire de nos Sachems le ferait encore moins si elle n'était parée quelquefois d'ornemens étrangers.


CHAPITRE XVI


ARGUMENT

Des Narraghansetts; leur pays et leur puissance--Tashtassack--Cananacus lui succède et associe Miantonimo au gouvernement--Incidens--Ligue contre les Pequots--Inimitié du jeune Sachem et D'Uncas le Mohican--Mort de Miantonimo.

J'ai à parler maintenant de la puissante confédération des Narraghansetts, aujourd'hui éteinte, mais qui habitait autrefois le Rhode-Island. Les îles de la baie qui porte leur nom leur étaient soumises, et les Chefs de Cavesit et de Niantic, étaient comme les vassaux de leur Sachem-général. Ils fesaient la guerre de temps immémorial avec les Pokanokets au Nord, et les Pequots au Sud. On jugera que les Chefs d'unetelle république devaient être des hommes d'un courage élevé. Le commun des guerriers avait ce caractère: il fallait un héros pour les conduire.

Le premier Sachem connu des Anglais, Cananacus, descendait de Tashtassack un de leurs plus grands hommes. Tout ce que nous savons de ce dernier est traditionnel. Les anciens dirent aux colons qu'ils avaient été commandés par ce Sachem, infiniment supérieur aux autres en valeur et en puissance. Il sut par l'influence de ses hautes qualités guerrières et oratoires, jointes au génie du commandement, réunir à son peuple un grand nombre de tribus qui en étaient séparées, et étendit son autorité sur tout le territoire qui porta depuis le nom de Rhode-Island. Il eut aussi à calmer des guerres intestines; car chez les sauvages chaque chef veut se faire un parti, et s'élever au rang suprême. Il maintint son autorité et la transmit à ses enfans. Il n'eut qu'un fils et une fille. N'ayant pu les marier convenablement è sa dignité, il les unit ensemble, et ils eurent quatre fils dont l'aîné fut Cananacus.

Le petit fils de Tashtassack s'associa pour gouverner, Miantonimo son neveu, jeune Chef d'un courage noble. Les deux Sachems ne montrèrent pas aux Anglais une affection égale à celle des Andusta et des Granganimo. Dès l'année 1622, l'on comptait d'autant moins sur la paix, que l'on recevait tous les jours des nouvelles moins rassurantes du pays des sauvages. Cananacus envoya un héraut à Plymouth porter un carquois rempli de flèches, comme pour déclarer la guerre. Le gouverneur lui répondit en lui envoyant une peau de castor remplie de balles, et en le fesant assurer que s'il avait envi de se battre, il aurait bonne réception. Un message si résolu eut son effet. Cananacus, superstitieux, crut que les balles cachaient quelque enchantement. Il n'osa pas y toucher, et les renvoya. La paix fut préservée avec les Anglais, mais en 1633, Miantonimo tomba sur les quartiers de Massassoit, qui fut réduit à se réfugier dans une habitation anglaise à Sowams, jusqu'à l'arrivée des soldats. Le capitaine Standish marchait à son secours, lorsque les Narraghansetts, évacuèrent Montaup, en apprenant que les Pequots étaient sur leur territoire. Le jeune Sachem les chassa à la tête des vainqueurs.

Nous avons vu comment Sassacus, voulant exterminer les Anglais, crut faire entrer les deux Sachems dans sa cause. On prétend que Miantonimo hésita entre le désir de la vengeance te la perspective de la ruine des blancs. Roger Williams, sectaire persécuté pour ses doctrines religieuses, eut assez de charité envers ceux qui le poursuivaient, pour travailler en leur faveur. Il eut l'habileté de tourner contre les Pequots l'orage qui allait fondre sur les colonies. Le gouverneur Winthrop invita Miantonimo à une conférence. Le jeune Sachem parut à Plymouth en 1636, avec les fils de Cananacus et une garde de vingt guerriers. Arrivé à une journée de marche, il envoya un héraut pour annoncer qu'il arrivait. On envoya une compagnie de miliciens jusques à Roxbury, et le gouverneur convoqua les conseillers et les magistrats. Un festin préparé au palais du gouvernement, se termina par une alliance offensive et défensive. Les deux partis s'engagèrent à ne pas traiter séparément avec les Peckots et à leur faire une guerre à mort. On se fit des présens en foi d'alliance. Les Anglais donnèrent vingt-six habits galonnés 80, et les Sachems, une main de Pequot, et des pelleteries. Les troupes anglaises, en entrant sur les terres des Narraghansetts, firent prévenir Cananacus de leur marche et du plan de la campagne. Le lendemain Miantonimo parut avec deux cents guerriers 81. Voyant le petit nombre des soldats, il fit venir de nouveaux hommes, en disant que les Anglais étaient trop peu nombreux pour se mesurer avec les Pequots, qui étaient tous gens de grand courage; puis il se sépara du Major Mason en lui souhaitant le succès.

En Septembre, 1638, Miantonimo fit invité à Boston avec Uncas le Mohican, son ennemi juré. Ce fut surtout dans cette conférence que les colons commencèrent à affecter la supériorité sur les sauvages. Ils se firent reconnaître pour arbitres entre les deux Sachems, et leur firent conclure une paix perpétuelle. Miantonimo est accusé de l'avoir rompue le premier. Il remua toutes les tribus du Connecticut, et fit de grands amas d'armes. Il alla même jusqu'à aposter un assassin pour tuer Uncas. Ce misérable, qui était Pequot, fit une tentative en 1649, et manqua son coup. Il fut arrêté à Boston, et mis en jugement; mais Miantonimo plaida sa cause, et lui obtint sa liberté en promettant de le renvoyer à Uncas. Il ne le fit pas, mais tua lui-même le coupable deux jours après. Un autre incident hâta la guerre. Sequassem, Sachem du Connecticut, ayant tué un Mohican, et poursuivi Uncas à coups de pique, fut cité devant la cour de Boston 82. Il refusa de comparaître, et Uncas fut à la peine de battre ses guerriers. Miantonimo se déclara alors, et poursuivit son rival à la tête de neuf cents guerriers, qui se grossirent des vaincus. Uncas n'avait que quatre cents hommes; il ne chercha pas moins le combat, et les deux partis se rencontrèrent dans une vaste plaine. Le Mohican voyant la force plus que triple de son adversaire, usa de stratagême, et fit part à ses guerriers de son dessein. Il feignit de demander un pourparler. Les deux bandes firent halte, et les deux Sachems s'avancèrent en avant. Uncas dit à Miantonimo: «Nous avons chacun un grand nombre de valeureux guerriers; ils ne doivent pas périr dans une querelle qui nous est personnelle. Viens donc, comme un digne Chef, et battons nous seul à seul.» «Mes guerriers sont venus de loin pour combattre, répondit Miantonimo, et les Mohicans tomberont sous les coups des Narraghansetts.» Il continuait de parler, lorsqu'Uncas se jeta è terre. Aussitôt les Mohicans firent une décharge inattendue de toutes leurs armes, puis si jetèrent sur leurs ennemis avec une furie qui les força de se disperser. La poursuite fut chaude, et les vaincus chassés de roc en roc comme le gibier devant le chasseur. Miantonimo ne put échapper. Quelques-uns des plus braves guerriers d'Uncas l'atteignirent; mais soit qu'ils n'osassent point l'attaquer, ou qu'ils le réservassent à son rival, ils se contentèrent de le cerner. Uncas arriva, et se précipitant sur lui, avec une force vraiment athlétique, il le saisit par l'épaule et le renversa. Miantonimo se dégagea, et s'assit impassible, demeurant muet au milieu des injures des Mohicans. Uncas lui offrait la vie, s'il voulait l'implorer; mais le petit neveu de Tashtassack avait trop de fierté pour s'abaisser devant son vainqueur, qui l'épargna pour le moment, et l'emmena en triomphe. Dans cette extrémité, le célèbre Samuel Gorton, qui avait obtenu de Cananacus de vastes domaines, somma le Mohican de lui remettre son prisonnier sous peine de s'attirer la haine des Anglais. Ce fut peut-être ce qui pressa la mort de Miantonimo. Son astucieux rival saisit l'expédient de le livrer aux autorités, qui se déclarèrent incompétentes. Mais le captif, pour son malheur, voulut se soumettre de lui-même à l'arbitrage des colons, et se confier à leur générosité. Les colonies nommèrent des commissaires, qui eurent bientôt décidé qu'il était prouvé que le Sachem Narraghansett avait attenté à la vie d'Uncas par assassins, poison et sorcellerie; qu'il avait formé une ligue générale contre les colonies, et engagé les Mohacks à combattre sous ses ordres. «Ces choses dûment examinées, disent-ils, la vie d'Uncas ne peut-être en sûreté tant que Miantonimo sera en vie. Il peut justement mettre à mort sur son territoire un ennemi si faux et si sanguinaire.»

Note 80: (retour) Rien ne flattait plus un Sachem que l'habit militaire de nos officiers.
Note 81: (retour)

The news of this our march, fame doth transport

With speed to Great Miaantinomoh's court;

Nor had that pensive King, forgot the losses,

He had sustained through Sassacus's forces.

Cheer'd with the news, his Captains all as one,

In humble manner do address the throne,

And press the King to give them his commission

To join the English in this Expedition.

To their request the cheerful King assents.


WOLCOTT.

Note 82: (retour) Les légistes improvisés des colonies mirent les sauvages dans la jurisdiction de leurs cours.

Uncas, appelé à Hartford, entendit la sentence. Il conduisit son prisonnier sur son territoire, et le fit exécuter en présence des commissaires; ou plutôt, il fut lui-même le bourreau, et enterra Miantonimo dans le lieu où il l'avait fait son prisonnier. Un monument de pierres posées les unes sur les autres, en forme d'obélisque, se voit encore à l'est de la ville de Norwich, dans un lieu que l'on a appelé la Plaine du Sachem.


CHAPITRE XVII


ARGUMENT

Mort de Cananacus--Examen de la sentence portée contre Miantonimo--Quelques traits des deux Sachems Narraghansetts.

On ne connaît aucun détail bien intéressant de la vie de Cananacus après la mort de Miantonimo, si ce n'est que l'on a prétendu qu'il s'était soumis à Charles Ier, le 16 avril, 1644 83. M. Whithrop le fait mourir en 1647; d'autres, en 1649.

Note 83: (retour) V. «Report of Commissioners appointed in 1683, by Charles II, to inquire into the claims and titles to the Narraghansett Country», dans la Collection de la Soc. Hist. du Massachusett.

Je n'ai encore fait aucune réflexion sur le malheureux sort de son collègue: ce chapitre sera consacré à examiner le mérite de la sentence qui le conduisit à la mort.

Si je juge de l'opinion par quelques feuilles anglaises de Montréal, on regarde comme inique, en Canada, le jugement rendu contre Miantonimo. L'historien, après avoir pesé les faits, ne va pas toujours aussi loin que l'opinion 84, mais il expose ces faits et les raisons avec toute l'impartialité dont il est capable, et met ainsi le lecteur à même de réformer son premier jugement, s'il a quelque chose d'outré.

Note 84: (retour) M. de Voltaire paraît peu justifiable lorsqu'il avance dans le Siècle de Louis XIV, que l'Histoire n'es en grande partie que l'énoncé de l'opinion des hommes.

Il paraît hors de doute que Miantonimo, plutôt que de demeurer en la puissance de son rival, consentit à en passer par ce que les colons décideraient. Il suit de là que leur tribunal devint compétent à le juger; car il y avait bien chez le Sachem le consentement, et l'on ne supposera pas qu'il y eût ce qu'on appelle la crainte viri fortis. Il ne s'agit donc plus que de déterminer jusqu'où le tribunal se rendit odieux par la sentence qu'il porta. Les juges disaient dans leur manifeste: «Ils (les Narraghansetts) doivent comprendre que cela a été fait sans violation d'aucune convention réglée entre eux et nous; car Uncas, notre allié, fidèle observateur de ses engagemens, nous ayant consultés sur les dispositions sanguinaires et traîtresses de Miantonimo; considérant la justice de sa cause, le salut du pays et la fidélité de notre allié, nous n'avons pu nous dispenser d'avouer que la mort est juste. Cette décision est conforme à la coutume des Indiens, et quelque douloureuse que puisse leur paraître cette perte, eux et tout ce continent en ressentiront les heureux fruits.» Voyons par l'examen des chefs d'accusation ce qu el'on doit penser de ce passage. Le tribunal accuse Miantonimo: 1º d'avoir tué le Pequot qu'il devait livrer; 2º d'avoir rompu la paix de 1638; 3º d'avoir soustrait des prisonniers; et 4º d'avoir voulu se faire Sachem Universel. Je n'hésite pas à répondre à la première accusation qu'il ne doit pas sembler étonnant qu'un Sachem crût pouvoir ainsi satisfaire à ses engagemens: Un Dey de Tunis ou d'Alger n'aurait pas eu d'idées plus avancées. Quant à celle d'avoir rompu la paix, Cananacus en accusait lui-même les colons. Je trouve une conversation de ce Sachem avec Roger Williams, qui jette du jour sur cette prétention. «Je n'ai jamais souffert, dit Cananacus, et je ne souffrirai jamais qu'aucune injure soit faite aux Anglais. S'ils ne mente point, je descendrai tranquillement dans la tombe, et les Narraghansetts vivront en paix avec eux. Puis, prenant une canne qu'il rompit en dix parties, il cita autant de circonstances, où il croyait que les colons avaient forfait à leurs engagemens. Williams ne put le réfuter que sur quelques points. La jalousie des Européens était assez patente. Quel message que celui du Gouvernement de Massachusetts à un sachem de son alliance, à Miantonimo!... Il le somme de comparaître, ou de se préparer à la guerre. Quelques déprédations commises par Janimoh, Sachem de Niantic, alla répondre pour son vassal; mais je ne sache pas que le Gouverneur de Boston, lui fît jamais aucune satisfaction de la mort d'un Narraghansett que quatre scélérats massacrèrent et dépouillèrent. Jamais Miantonimo ne refuse de paraître à Boston pour y répondre aux accusations de ses ennemis. Il y vient en 1642, et se présente devant le conseil avec une contenance pleine d'une dignité, qui se communique à ses discours. On a l'air de vouloir armer, et l'on prépare des retraites pour les faibles: on désarme les sauvages. Il demande la raison de ces manoeuvres, et l'on ne peut la lui donner. Il ne se sépare cependant pas du Gouverneur sans lui donner la main, et, comme s'il l'eût oublié, il revient sur ses pas, et lui offre une nouvelle poignée de main, en disant que celle-ci est pour les conseillers. Comment donc rompit-il la paix. Ce ne put être qu'en fesant la guerre aux Mohicans sans consulter les Anglais. Il semble en effet qu'il ne pouvait la leur faire, sans la déclarer au Gouvernement, et l'on disait que ces hostilités n'étaient le que de l'ambition et de la haine. Cependant Uncas avait été l'agresseur en détruisant les moissons des Narraghansetts. J'ignore jusqu'où l'on pouvait être fondé à accuser Miantonimo de vouloir se faire Sachem Universel. On le supposait peut-être sur ce que l'on croyait qu'il avait engagé les Mohacks dans son parti. Tout ce que l'on peut dire de cette prétendue alliance, selon M. Thatcher, c'est que le Sachem étant retenu prisonnier, les Iroquois s'attendaient qu'ils pourraient tomber plus impunément sur les Narraghansetts ou les Anglais. Je diffère d'opinion avec ce biographe, et, ce me semble, il fallait que ceux qui avaient tué Sassacus l'eussent fait par complaisance pour les Anglais ou pour les Narraghansetts. Quoiqu'il en soit, le projet attribué à Miantonimo était digne de son courage, et si cet exposé ne suffit pas pour le disculper absolument, il affaiblit du moins les griefs allégués contre lui.

Je termine ce chapitre par quelques anecdotes sui sont communes à Cananacus et à Miantonimo.

L'amitié constante des deux Sachems pour Roger Williams est suffisante pour prouver chez eux un naturel noble. Cananacus, que Roger avait appelé «morosus aique ac barbarus senex», le reçoit d'abord avec défiance; mais bientôt il le fait son interprète et comme son ministre, il lui donne des terres immenses. «Le prix de l'argent ne put obtenir la cession du Rhode-Island, dit le prédicant, mais elle eut lieu par l'amitié, cette amitié et cette faveur dont l'honoré Sir Henry Vane et mois jouissions près des deux Sachems.»

Quoi de plus chevaleresque que cette recommandation qu'ils firent lors de la guerre des Pequots! Ils demandèrent que les femmes et les enfans fussent épargnés!

Williams nous donne encore une idée du respect de Miantonimo pour le Christianisme. Un sauvage se moquait de la doctrine du ministre, et disait que tous ceux qui mouraient allaient au sud-ouest. Comment donc, interrompit le Sachem, as-tu jamais vu une âme aller au sud-ouest? Le sauvage répliqua sans se déconcerter, qu'il ne paraissait pas plus qu'aucune allât au Ciel. Ah! dit alors Miantonimo, ils ont des livres, dont l'un vient de Dieu même. Pourquoi fallut-il qu'un si grand et si noble pérît avec tant d'ignominie! Le nouvel éditeur de la collection de Winthrop qualifie sa condamnation de perfide et de cruelle, et nous avons vu en effet que les accusations n'étaient rien moins que prouvées. Il est cependant à propos de se reporter vers l'époque et à l'esprit qui la caractérisait, ne pas absoudre ses bourreaux, mais modérer l'horreur de leur conduite sur le motif de la grande excitation qui régnait alors.

Un savant Gouverneur du Rhode-Island 85 s'écrie, en racontant la mort de Miantonimo: «Telle fut la fin du plus puissant prince aborigène que les habitans de la Nouvelle-Angleterre aient connu; et telle fut le reconnaissance qu'on lui eut des secours qu'il avait donnés contre les Pequots. Véritablement, un citoyen du Rhode-Island peut bien pleurer son malheureux sort, verser quelques larmes sur la cendre de Miantonimo qui, avec Cananacus, son oncle, fut le meilleur ami des blancs... Par leurs bienfaits ils s'attirèrent la haine de ceux qui avancèrent la mort du jeune roi.»

On trouve peu d'Anglo-Américains de la trempe du Gouverneur Hopkins, et s'il faut que quelque déshonneur rejaillisse sur quelqu'un, on ne dira pas comme Shéridan, dans une occasion différente 86, «l'honneur anglais a coulé par tous les pores», et le blâme retombera tout entier sur ces colons, naguère le fardeau de l'Angleterre; sur ces enfans pervers dont elle se purgea en les jetant sur ces plages.

Note 86: (retour) L'affaire de Quiberon.

CHAPITRE XVIII


ARGUMENT

Nouvelles hostilités des Iroquois--Traits du courage--Réflexions.

La guerre continuait avec fureur dans le Canada. Une troupe d'Iroquois s'approcha d'un village pour y faire quelques captifs. Le trouvant sur ses gardes, elle ne voulut pas s'en retourner sans avoir rien fait. Elle se cacha dans un bois, et y demeura toute la nuit en embuscade. Mais un Huron, placé en sentinelle, sur une espèce de redoute, avertissait par de hauts cris les Iroquois qu'il ne dormait point. Au point du jour, il cessa ses hurlemens. Aussitôt deux Iroquois se détachent, et, s'étant glissés jusques au pied de la palissade, ils demeurent quelque tems pour voir s'ils n'entendront plus rien. Il voit deux hommes endormis, donne à l'un un grand coup de hache sur la tête, enlève la chevelure 87 à l'autre, et s'enfuit.

Note 87: (retour) Carlo Carli, après avoir mentionné les cruautés des Lombards, continue ainsi: «Il y avait parmi les Hurons et les Iroquois un autre usage non moins barbare, et même encore plus cruel; c'était de cerner le tour du crâne avec un instrument tranchant, pour enlever la peau et la chevelure à un ennemi vaincu et vivant. Voilà (dit-il) le plus glorieux trophée de ces nations féroces.» Hérodote, Liv. IV, nous fait voir les Scythes aussi barbares: «Voici, dit-il, comment ils enlèvent le cuir chevelu. Ils le cernent tout autour jusqu'aux oreilles, secouant la tête pour en détacher ce cuir, l'amollissant en le pétrissant avec les mains, pour s'en faire une sorte de serviette; et plus un des leurs a de semblables cuirs, plus il est considéré.» C'est le lieu de faire justice des «Papiers Publics» où ce Comte a lu «que Bourgoing, aussi féroce que ces sauvages, leur promit, dans la dernière guerre, un ducat pour chaque chevelure de colons qu'ils lui apporteraient.» Se cette atrocité, qui couvrit d'un opprobre éternel ce général Anglais, peut être vrai, continue-t-il, on peut assurer que le général Carleton s'est couvert de gloire en s'y opposant de tout son pouvoir, au risque même de perdre le commandement de l'armée du Canada. Carleton (Lord Dorchester) mérite cet éloge du noble Comte; mais le général Bourgoing était un trop brave militaire pour ne pas abhorrer les horreurs dont l'accusaient sans doute les révoltés américains.

Le village à son réveil vit ces deux hommes baignés dans leur sang. On poursuivit, mais en vain, les Iroquois, qui avaient trop d'avance pour qu'on pût les atteindre. Cependant on ne respirait que vengeance: trois jeunes guerriers promirent de la satisfaire. Ils se mirent en marche, et au bout de vingt jours, ils arrivèrent à un village de Tsononthouans. Il était nuit, et tout le monde dormait profondément. Nos trois guerriers percent une cabane par le milieu; ils allument du feu sans que personne ne s'éveille, et à la lueur de la flamme, ils choisissent leurs victimes.

«Voilà, dit M. Dainville, l'expédition de Nisus et d'Euryale, un trait aussi remarquable, au moins, que bien des exploits que des poëtes Grecs ont consacrés par la magie de leurs vers. Une marche de vingt jours dans un pays ennemi, des dangers sans nombre, pour une vengeance incertaine; l'audace, la bravoure, la patience, rendent merveilleuse cette entreprise héroïque. Si Homère rapportait ce trait, il serait admiré, et les enfans le réciteraient dans nos écoles; mais un fait moderne, dont le théâtre est une forêt du Canada ne mérite (apparemment) pas qu'on y prenne garde. Les hommes admirent comme ils dénigrent sur parole. Ils suivent la foule moutonnière qu'emporte le torrent de la routine: il est si aisé de penser comme tout le monde, et si doux d'adopter l'opinion ancienne!» 88

Note 88: (retour) Le Chevalier Temple, en Angleterre, et Boileau Despréaux, en France, ont exalté l'antiquité, apparemment pour se mettre eux-mêmes au-dessus de leur siècle.

CHAPITRE XIX


ARGUMENT

De la Confédération Patucket en New-Hampshire--Passaconaoua--Incidens--Rapports du Sachem avec le célèbre Elliot--Fête sauvage; Passaconaoua y dit adieu à son peuple--Anecdotes.

Je porte mes regards sur un espace de pays qui n'a encore rien présenté de mémorable. Mais le burin de l'Histoire a retracé le portrait de Passaconaoua, Sachem de Pannuhog. Sa nation, une des plus guerrières de la Nouvelle-Angleterre, résistait courageusement aux Iroquois, et porta même la guerre chez les Mohacks. La tradition avait conservé le souvenir d'un sanglant combat entre les deux peuples, sur la rivière Merrimack. Les Agahuans, les Nancis, les Piscataquas et les Acamintas, qui y avaient tous des guerriers se connaissaient sujets de Passaconaoua, et les Sachems de Quamscot et de Patucket étaient ses vassaux. Il était déjà vieux lors de l'arrivée des Anglais, qui, devenus farouches, à une époque où ils prévoyaient les nombreux désastres qui allaient leur arriver, s'allièrent avec le Sachem Saggahuo pour désarmer le roi de Pannuhog. Un coup de fusil tiré au milieu de la nuit suffisait pour faire lever tout un bourg, et les cris d'un malheureux égaré dans les bois, fesaient croire à une invasion de Mohacks: la Nouvelle-Angleterre égala la timidité de l'enfance. Il était permis au jeune Astianax d'être saisi de frayeur à la vue de l'énorme panache de son père, Hector; mais les gouvernemens coloniaux durent chasser leurs craintes, et s'armer d'un courage plus viril. Ils revinrent sur leurs pas et M. Winthrop proposa d'offrir des réparations. Le parti envoyé pour enlever Passaconaoua n'avait pu saisir que sa femme et son fils. Le Chef Ousamequin fut chargé de négocier un accommodement, et le vieux Sachem, en bon diplomate, accepta l'amitié des Anglais.

Le célèbre Elliot, auquel on a donné avec justice le nom «d'Apôtre des Indiens», écrivait en 1649: «Le Grand Sagamo de ce lieu (Pannuhog) est Passaconaoua, qui se donne à la prière avec ses enfans, et se montre plein de respect pour la parole de Dieu.» Il fut du petit nombre de ceux qui montrèrent de l'empressement pour le Christianisme. Il pressait le bon missionnaire de le venir visiter, et lui fesait de très beaux raisonnemens. Ainsi, il lui disait que le ministre ne venant qu'une fois l'an, il ne pouvait faire de grands fruits parce que les sauvages oubliaient bientôt ce qu'il leur disait. Il en était comme si quelqu'un jetait dans un cercle une belle chose, tous les sauvages se précipiteraient pour la saisir, et l'aimeraient bien parce qu'elle a une belle apparence. Mais ils ne pourraient en voir l'intérieur, s'il y a quelque chose ou rien, une pierre brute ou des perles. La prière pouvait bien n'être qu'un fardeau; il voulait qu'ou la lui ouvrît, c'est-à-dire, qu'on la lui fît bien connaître.

En 1660, un monsieur fut invité à une danse sauvage. A la fin de cette fête, à peu près semblable à celles plus haut décrites, Passaconaoua, cassé de vieillesse, fit son dernier adieu à son peuple. Il lui recommanda de vivre en paix avec les Anglais, en disant, que s'il leur fesait du mal, il ne pourrait que hâter sa destruction. Vonolansett, son fils, suivit ses sages conseils, et il émigra avec la nation dans un pays éloigné où il ne prit aucune part à la guerre de Philippe.

Passaconaoua avait commencé par être devin, et ce fut en cette qualité qu'il acquit son influence. Il devait être bien propre à ce rôle, car les écrivains de l'époque nous disent qu'il surpassait tous les siens en sagesse et en duplicité. Il persuada aux sauvages qu'il pouvait faire danser les arbres et se changer en flamme. Le jongleur devint diplomate, Chef et Sachem. Il sut conserver son territoire par des civilités qui ne diminuaient pas son importance parmi les siens, en leur procurant une heureuse paix. En un mot, Passaconaoua n'était peut-être pas comparable aux sages de la Grèce, s'ils ont été aussi sages qu'on le dit, mais il brilla autant parmi les siens.

On rapporte le trait suivant. Menataqua, Sachem de Saugus, lui ayant demandé sa fille, Guiasa, en mariage, il la lui accorda, et donna une grande fête. Selon l'étiquette de son pays, il ordonna qu'un parti de guerriers escorterait la mariée jusques à la résidence de son époux. Des fêtes non moins brillantes y eurent lieu, puis l'escorte revint à Pemmacook, demeurance du beau-père. Quelque tems après, la jeune épouse ayant voulu visiter son père, Menataqua la fit conduire par une troupe choisie. Lorsqu'elle voulut s'en retourner, le vieux Sachem, au lieu de la faire escorter, fit dire à l'époux de la venir chercher; mais celui-ci qui tenait aux usages, lui envoya cette réponse: «Lorsqu'elle m'a quitté, j'ai envoyé mes guerriers à sa suite; à présent qu'elle veut revenir à moi, j'attends que tu en agisses de même.» Le vieillard se fâcha, et l'hymen fut rompu.

Farmer et Moore, dans leur Collection, parlent d'un Chef nommé St. Aspinquid, mort en 1662, et dont la tombe est Encore visible sur le mont Agamenticus, dans le Maine. Ses funérailles furent célébrées par une infinité de Sachems, et la mémoire en fut perpétuée par une grand chasse où l'on tua quatre-vingt-dix-neuf élans, trente-deux fouines et quatre-vingt-deux chats sauvages. Peut-être ce Sachem n'est-il pas autre que Passaconaoua. Le mont Agamenticus peut bien être le lieu où se retira Vonolansett: la qualité de devin et l'estime du Christianisme justifient l'épithète de Saint. Les vers suivans reproduisent la tradition conservée par les sauvages sur ce personnage singulier:

He said, that Sachem once to Dover came

From Penacook, when eve was sitting in,

With plumes his locks were dressed, his eyes shot flames.

He struck his massy club with dreadful din

That oft ha made the ranks of battle thin,

Around his copper neck terrific hung

A tied-together, bear and catamount skin,

The curious fishbones o'er his bosom swung,

And thrice the Sachem danced, ant thrice the Sachem sung.

Strange man was he! 'Twas said he oft pursued

The sable bear, and slew him in his den,

That oft he howled through many a pathless wood

And many a tangled wild, and poisonous fen,

That ne'er was trod by other mortal men.

...........................................

A wondrous wight! For o'er Siogee's ice

With brindled wolves all harnessed three and three,

High seated on a sledge made in a trice

On mount Agiocoohook 89 of hickory.

He lashed end reeled, and sung right jollily

And once upon a car of flaming fire

The dreadful Indian shook with fear, to see

The King of Penacook, his Chief, his Sire,

Ride flaming up towards heaven, than any mountain higher.

Note 89: (retour)

Nom sauvage des Montagnes Blanches. Les américains avaient une singulière vénération pour le sommet de ces monts, qu'ils regardaient comme le séjour d'êtres invisibles, et sur lesquels ils n'osaient jamais monter. Ils disaient que le pays fut autrefois submergé avec tous ses habitans, excepté Agiocohook et sa femme, qui trouvèrent un refuge sur ces montagnes, et repeuplèrent la terre. Et Bartram raconte dans son Histoire naturelle et politique de la Pensylvanie, que montrant à un Américain des fossiles et des productions marines qu'il avait trouvés sur des monts moins élevés, celui-ci lui dit que la parole ancienne, ou la tradition, leur avait appris que la mer les avait tous environnés. C'est la tradition de tous les peuples de l'antiquité profane et sacrée. Ce déluge aura été le châtiment des hommes, comme l'ont pensé nos peuplades, et comme le croyait Ovide:

Pæna placet diversa; genus mortate sub undis perdere

dit ce poëte. Selon les Mexicains les seuls Cortox et Quitequetzele survécurent au déluge. Les Chinois l'ont mentionné dans leurs annales. C'est ainsi encore que dans toutes les fausses religions, et des Indes et du Nord, il existe une tradition d'un arbre ou fruit défendu, que, l'on retrouve en Amérique. Les pommes d'Iduna l'offraient dans la religion des Scandinaves, un fruit différent dans la tradition iroquoise.


CHAPITRE XX


ARGUMENT

Metanco surnommé le roi Philippe--Origine de sa haine des colons--Sac de Swanzey--Bataille de Pocasset--Défaite du Sachem et sa mort--Suites désastreuses de cette guerre.

Seize années après la fondation de Plymouth, la Nouvelle-Angleterre contenait cent-vingt bourgs, et autant de milliers d'habitans. Les forêts disparaissaient peu à peu devant le laboureur aventurier et hardi, et déjà les naturels trouvaient leur gibier dispersé et leurs retraites envahies. C'était la conséquence des cessions de terres continuelles que les peuplades fesaient aux émigrés. Cependant lorsqu'elles s'aperçurent qu'on voulait leur arracher le sol qu'avaient habité leurs ancêtres, l'amour de la patrie et de l'indépendance, la plus forte passion qui anime l'homme des forêts comme l'homme civilisé, se réveilla soudain. Il leur manquait un Chef que concentrât, et dirigeât leurs efforts: Metanco ou Philippe de Pokanoket, fils de Massassoit, accepta ce poste éminent mais dangereux. Autant le père avait été l'ami des Anglais, autant le fils se montra leur ennemi implacable, et cette haine qu'il ressentait déjà dans sa jeunesse, elle se changea en fureur vengeresse, quand ils furent cause de la mort de son frère aîné, l'intéressant Vansutta. Ce frère, suspecté de tramer contre eux, fut enlevé, et jeté dans un cachot. L'affront de se voir injustement privé de sa liberté lui fit contracter une fièvre dont il mourut. Metanco hérita de son autorité et de son noble courage. Il mit en oeuvre tus les artifices de l'intrigue, et toutes les forces de la persuasion, pour porter les tribus à unir leurs efforts pour l'entière destruction des colonies. Informés de ses projets, les Anglais firent de leur côté des préparatifs de défense, bien qu'ils espérassent que cet orage passerait comme tant d'autres. Mais les prétentions de Philippe et de son parti grandirent tous les jours.

Au mois de juin, 1675, il pénétra dans la petite ville de Swanzey, détruisant les bestiaux, brûlant les maisons, et massacrant une partie des habitans. Les milices de la colonie marchèrent dans toutes les directions, et furent jointes par un détachement de celles du Massachusetts. Les sauvages retraitèrent, brûlant sur leur route les maisons et les blés, et fixant au haut de perches les mains et les têtes de ceux qu'ils avaient tués. Tout le pays fut en alarme, et l'armée coloniale mise sur un pied formidable. Ce grand développement de forces induisit Philippe à abandonner son quartier-général de Montaup: il alla camper près d'un marais, à Pocasset, maintenant Tiverton. Les Anglais s'étant assemblés une première fois, vinrent l'attaquer, et furent vaincus, avec perte de cent vingt hommes tués ou blessés. Ce combat du reste peu sanglant, fut décisif au-delà de ce que Philippe aurait pu l'espérer; car malgré la coopération du New-Hampshire et de plusieurs autres colonies, les affaires de la Nouvelle-Angleterre se trouvèrent bientôt dans le plus déplorable état. Dans ces tems-là, la plupart des établissemens étaient environnés de forêts, et les sauvages vivaient avec les colons. Les premiers connaissaient les habitations, les chemins et les lieux de refuge des derniers. Ils épiaient leurs mouvemens, et tombaient sur eux au moment où ils s'y attendaient le moins. Les une tombaient le matin en ouvrant leurs portes, les autres en travaillant dans les champs ou en visitant leurs voisins. En tout temps, en tout lieu et dans tout emploi, la vie des colons était en danger, et pas un n'était assuré de n'être point massacré le jour, dans son grenier, au bois ou sur la route. Lorsque l'ennemi s'assemblait en force, on envoyait des détachemens à sa rencontre; s'ils étaient moins nombreux, ils retraitaient, ou l'attaquaient s'ils étaient en plus grand nombre, et ne le battaient pas toujours. Des villages étaient soudainement investis, les maisons brulées, et les hommes, les femmes et les enfans tués ou traînés en captivité. Les colonies perdant de jour en jour leurs défenseurs, des familles et des plantations appréhendèrent une prochaine destruction. Un grand effort seul pouvait prévenir ce malheur, et on le fit. Des délégués de toutes les colonies se rencontrèrent, et il fut résolu qu'un corps considérable attaquerait la principale position de l'ennemi, tandis que de moindres détachemens dirigeraient leur course vers d'autres points. Josiah Winslow, Gouverneur de Plymouth, fut nommé généralissime, et une fête solennelle fut célébrée par toute L Nouvelle-Angleterre, pour invoquer l'aide du Tout-Puissant. Le 18 Décembre, les différens corps firent leur jonction sur le territoire des Narraghansett, à quinze milles du camp de Philippe. Quoique le temps fût très froid, les soldats furent obligés de passer la nuit à découvert. Au point du jour, ils commencèrent leur marche à travers de grands amas de neige, et le 19, à une heure, ils arrivèrent devant la position des sauvages. Philippe avait établi son camp au milieu d'un marais, sur un terrain un peu élevé, et l'avait entouré d'un rang de palissades, soutenu en dehors par un fort retranchement de broussailles. Là fut livré le combat le plus terrible et le plus acharné 90 dont fassent mention les annales de la Nouvelle-Angleterre. On se battit durant trois heures, et les Anglais remportèrent une victoire complète. Philippe s'y surpassa, et ne céda le champ de bataille qu'après avoir vu tomber mille des ses guerriers tués sur la place, et six cents hommes, femmes et enfans au pouvoir du vainqueur. Tranquille au milieu du désordre, il ramassa ses débris, et opéra sa retraite à travers les Anglais mêmes, qui, effrayés de son audace et de leurs propres pertes, n'osèrent le poursuivre. Six capitaines fesant l'office d'officiers-généraux, et quatre-vingts soldats demeurèrent sur place avec les vaincus; et cent soixante furent blessés plus ou moins grièvement. Les sauvages ligués ne se relevèrent point de ce désastre, mais ils demeurèrent néanmoins assez forts pour harasser les colonies par des courses continuelles. Les colons entretinrent des partis sur presque tous les principaux points de leurs territoires, et la plupart furent victorieux. Le capitaine Church, de Plymouth, et le capitaine Dennison, de Connecticut, remportèrent surtout de signalées victoires.

Note 90: (retour) On peut en excepter le combat de Strickland's Plains gagné par les Hollandais, sous le capitaine Underhill, en 1643. Un siècle après le sol était encore blanchi par les ossemens des vaincus.

Au milieu ce ces revers Philippe demeura ferme et inébranlable. Ses officiers, sa femme 91 et sa famille étaient morts ou captifs. A la nouvelle de ces infortunes, il pleura avec amertume, car il possédait les plus nobles des affections et des vertus humaines. Mais il ne voulut entendre à aucune proposition de paix, et tua de sa main un lâche que ôsa parler de se rendre. Il remporta encore de temps à autres des avantages assez considérables, jusqu'à ce qu'enfin, après avoir été poussé de marais en marais, il fut assassiné par le frère de celui qu'il avait tué. Le reste de ses partisans se soumit aux Anglais ou joignit des tribus lointaines.

Note 91: (retour) Elle avait un courage viril, et elle n'était pas la seule. Ouitamore et Aouashonks se rendirent célèbres dans le cours de cette guerre.

Comme un autre Mithridate, ce sauvage extraordinaire, combattit jusqu'à sa fin les ennemis auxquels il avait voué une haine éternelle: il périt aussi de la main d'un traître.

L'illustre Racine déployant sur la scène tragique l'âme du monarque de l'Asie, lui prête ce langage:

Mais au moins quelque joie en mourant me console;

J'expire environné d'ennemis que j'immole.

Dans leur sang odieux j'ai pu tremper mes mains,

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.

et il lui fait dire plus loin:

Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés,

Suffisent à ma cendre, et l'honorent assez.

Ce langage convient aussi bien à notre héros. A sa mort, la paix reparut, plus bienfaisante que jamais, parce que la lutte avait été plus accablante. Le territoire de Plymouth avait vu en cendres la ville de Swanzey, et pas moins de dix forts du Massachusetts avaient disparu. Les établissemens sur les rivières Custer et Piscataqua, en New-Hampshire, avaient été attaqués et ravagés. Les autres colonies souffrirent en proportion; et celle qui perdit le moins fut celle de Connecticut. Mais elle paya de ses soldats à l'attaque des Narraghansetts. Plus de mille habitation avaient été détruites, et des marchandises et des bestiaux pour une valeur immense, avaient été pillés. Une grande partie de la population avait péri, et celle qui resta et qui survécut à la guerre contracta une dette immense, qui devint un fardeau plus insupportable au fur et à mesure que les ressources diminuèrent. En un mot, de tous le Américains fameux, Philippe de Pokanoket fut celui qui fit plus de mal aux colonies.


CHAPITRE XXI


ARGUMENT

Quoique j'aie préféré dans cet article les historiens généraux des Etats-Unis aux écrivains qui nous ont laissé des chroniques sur les évènemens de la terrible guerre qui m'occupe, je trouve pourtant dans ceux-ci quelques particularités fort intéressantes. J'y vois comment le terrible Sachem échappe tant de fois à ses ennemis. Après la bataille de Narraghansett, il ne se sauve que'en s'aventurant avec quelques guerriers intrépides sur la rivière Taunton: c'est là que Outamore, femme courageuse périt à sa suite 92.

Note 92: (retour) Parente de Philippe, et Sachem de Pocasset, se joignit à lui, et se noya près de Swansey. Sa tête fut exposée à Taunton. Aouashonks suivit aussi le parti de Philippe; mais le capitaine Church, avec qui elle eut commerce la pacifia. Il nous a décrit ses entrevues avec cette amazone. Elle était Sachem de Sogkomate, et dix sauvages de sa tribu vivaient encore à Compton, en 1803.

Un jour, un transfuge guide les Anglais vers sa retraite; il fuit, laissant son diner sur le feu, et son oncle est tué avec vingt de ses plus braves guerriers. Le lendemain même, le capitaine Church aperçoit un guerrier assis tristement sur un arbre renversé; il décharge son fusil et le sauvage tourne la tête: c'était Philippe pleurant sur ses infortunes et sur celles de sa race. Il échappa encore, mais c'eut dû être sans plus d'espoir. Sachem d'une race antique, il se voyait sans sujets et sans domaines, trahi par ses propres alliés, et poursuivi comme une bête fauve. Uncaqpan, Samcama et Vocamet, ses principaux conseillers, étaient morts ou captifs. Passait-il la borne de son territoire, il rencontrait encore des ennemis à combattre. Caché entre Iork et Albany, il fut découvert par les Mohacks, ses ennemis irréconciliables, et mis en déroute. Refoulé sur la rivière Connecticut, il fut encore atteint par les Anglais, qui se jetèrent sur son camps et le ravagèrent en poussant le cri de guerre des Iroquois. Il y perdit trois cents guerriers.

S'attendrait-on à le retrouver deux jours après rassemblant ses débris sur les collines d'Ouasett: il descend avec la rapidité de l'aigle sur Sudbury, et anéantit le capitaine Wardsworth et son parti. Il cherche le capitaine Church, et va l'intercepter. Il détruit Brockfield soutenu par les Sachems Apequinast, Quamansit et Mautamis. Il fait exécuter le transfuge Sassamon.

Philippe touchant à sa mort était encore entouré de quelques guerriers fidèles; mais un traître, qui avait suivi le capitaine Church, le découvrit. Il reçut le coup fatal, et les Anglais poussèrent trois hourras pour bénir la fin de leurs maux. Church envoya sa tête à Plymouth, d'où elle fut promenée par toute la Nouvelle-Angleterre. Son fils, âgé de neuf ans, fut vendu et porté aux Bermudes, après que l'on eut consulté les théologiens. Le ministre Cotton prétendit que le fils d'un traître devait subir le même sort que son père, et le Docteur Increase Mather compara cet enfant à Hadad dont Joab tua le père. Les colonies de Massachusetts et de Plymouth se disputèrent Montaup, que le roi Charles II assigna à la dernière. Les Pokanokets furent exterminés, les Narraghansetts presque détruits, et les Nipmucks se réfugièrent dans le Canada. Le pays des sauvages fut désert, et il ne resta de monuments de cette grande catastrophe que le canon du fusil qui tua Philippe, dans le cabinet de la Société Historique du Massachusetts.

Nos voisins qui auraient été curieux de posséder le portrait d'un naturel si fameux, en présentent plusieurs; mais il n'y en a pas deux que se ressemblent, ce qui autorise à croire qu'aucun n'est le vrai. L'historien de la Nouvelle-Angleterre, Josselyn, qui l'avait vu à Boston, ne parle que de son accoutrement. Il portait un habit militaire à l'anglaise avec des brodequins et un baudrier brodés en perles. Une famille de Swanzey possède encore quelques insignes du Sachem, que le conseiller Anaouon livra au capitaine Church. Il y avait un tapis en drap rouge orné de perles, et trois parures richement et délicatement travaillées. La plus ample descendait sur les hanches; la seconde, qui était ornée de perles disposées avec beaucoup d'art, restait sur la poitrine répondant aux crachats de nos généraux; et l la troisième tenait lieu de diadême: deux petits pavillons y étaient attachés. Ces ornemens ne servaient que dans les grandes occasions, et il tenait à ces marques extérieures de majesté. La mort de Sassamon était une suite de la haute idée qu'il concevait de son autorité. Il avait fallu que le gouvernement protégeât contre sa colère un sauvage Nantucket qui avait mal parlé d'un de ses parens. Le sujet avait manqué de respect envers la famille de son souverain, impardonnable injure, que les Anglais ne firent oublier qu'avec une grosse somme d'argent.

Aussi ennemi du Christianisme que Massassoit, Philippe prit un jour un des boutons de l'habit d'Elliot, en disant qu'il ne prisait pas plus sa doctrine que cet objet.

On ne doit pas croire que ses minières fussent d'un barbare, non plus que ses procédés. Il est digne de remarque qu'il ne maltraita jamais un prisonnier, même dans le temps que les colons vendaient ses sujets comme esclaves. Il se conduisit vis-à-vis de Madame Rowlandson, sa prisonnière, comme l'aurait fait un prince civilisé. L'ayant fait appeler, ill'invite à s'asseoir, et lui demande obligeamment si elle a accoutumé de fumer. Il va lui-même lui annoncer que dans deux jours elle sera libre. La famille Leonard 93 vit en paix sous sa protection au milieu des fureurs de la guerre; la ville de Taunton est épargnée, et cependant, les Anglais avaient massacré tous ses proches, ils avaient mis sa tête à prix. Après cela questionnez nos voisins: ils appelleront le Roi Philippe un «barbare», et leurs cruels ancêtres, «d'innocens et inoffensifs planteurs».

Note 93: (retour) Il défendit à ses guerriers d'attaquer la maison qu'elle occupait, et où sa tête fut depuis en dépôt.

CHAPITRE XXII


ARGUMENT

Des descendans de Cananacus--Mexham--Pessacus--Ninigret--Pombamp--Exploits de Conanchel--Sa mort--Réflexions.

MEXHAM, successeur de Cananacus, n'eut pas les qualités de son père, et vécut soumis aux Anglais. Après sa mort le sceptre Narraghansett tomba en quenouille dans les mains de Quaïapen, connue sous le nom de Magna, sa veuve, qui joua un grand rôle dans la guerre de Philippe.

Pessacus, frère de Miantonimo, hérite de son courage, et paraît sur la scène avec le célèbre Ninigret, son oncle. Ce dernier envoya un corps considérable contre les Pequots. M. Wolcott fait dire aux Anglais:

We lead those bands

Armed in this manner, thus into your lands

Without design to do you injury

But only to invade the enemy.

Il se chargea avec Pessacus de la vengeance de Miantonimo, et sut la satisfaire en dépit des colons. Les deux Sachems armèrent huit cents guerriers, et pressèrent Uncas si vivement, que lui-même eut peine à s'échapper. Un affront que subit Pessacus, pensa ternir l'éclat de cette victoire. Le major Atherton étant entré sur son territoire, pénétra jusques à son wigwam, et le pistolet sur la gorge, le força de payer une forte contribution. Mais Ninigret se défendit mieux et força les Anglais à la retraite.

Le voisinage des Hollandais rendait ce brave Sachem encore plus redoutable aux colons. Un discours qu'il adressa au même officier que nous avons nommé jette du jour sur les motifs de la défiance sans bornes que lui montra toujours le gouvernement; le voici: «Ninigret ignore tout complot ourdi contre les Anglais. Il est pauvre; mais des fusils et des balles ne l'engageront point à déclarer la guerre. Ninigret était dans sa cabane lorsque ses enfans vinrent lui dire qu'il était venu un vaisseau de cette nation (les Hollandais). Ces hommes dirent qu'il y avait bataille entre eux et les Anglais de l'autre côté du grand lac, et qu'ils viendraient en grand nombre pour combattre. Pour Ninigret, il n'a point de raisons de faire la guerre à ses bons amis; ils sont ses voisins, et les étrangers sont éloignés. Quand il voyageait pour sa santé, et c'était dans la saison des neiges, il frappa tout le jour à la porte de la cabane où est leur Sachem, et il ne lui ouvrit pas. Ses amis n'en agissent pas de la même manière.»

Ce langage était sans doute destiné à amuser les Anglais, car l'année suivante le Sachem attaque les sauvages de Long-Island; il engage les Mohacks dans son parti, et, fort de leur secours, il fait aux colons, toujours soupçonneux, cette fière réponse qui suffirait pour l'immortaliser: «Ninigret ne fera point la paix avec les meurtriers de son fils et de soixante guerriers de son peuple. Je désire que les Anglais me laissent en repos, et ne me demandent point d'aller à Hartford. Jonathan 94 m'a demandé si j'y enverrais des députés, et je lui ai répondu: si le fils de votre Sachem était massacré, demanderiez-vous conseil-un autre Sachem pour venger sa mort? Quant aux Mohacks, ce sont mes alliés, qui viennent pour ma défense: je vengerai avec eux mes injures.» Le major Villard, à qui il parla de la sorte, envahit aussitôt ses terres. Il lui abandonna ses forts et se retira dans la forêt. Les Anglais trouvant tout désert lui envoyèrent une députation, mais il fit dire aux députés, que ne sachant pas la raison de cette nouvelle irruption, il ne pouvait se commettre avec eux. Six nouveaux délégués parvinrent cependant à conclure un arrangement, mais le tribut fut fièrement refusé, et le major fut condamné pour avoir fait une paix honteuse. Un vaisseau envoyé entre Nanticut et Long-Island fut témoin des nouveaux triomphes de Ninigret et de Pessacus contre les Mohicans.

Note 94: (retour) Son interprète.

Il est remarquable que Ninigret ne prit aucune part à la guerre de Philippe 95. Pomham et Conanchel ne suivirent point son exemple. Pomham était un Sachem qui s'était lié avec les Anglais par jalousie contre Miantonimo. Ce noble Sachem ayant donné un refuge au fameux religionnaire Samuel Gorton, et lui ayant donné la terre de Shaomet, Pomham, qui prétendait qu'elle lui appartenait, vint à Boston avec un autre Chef nommé Samocomo, et se mit sous la protection du gouvernement 96. Il ne fut fidèle aux Anglais qu'autant que ses intérêts le demandèrent. Après avoir érigé, sous prétexte du voisinage des Narraghansetts, un fort de construction européenne, il se jeta dans les bras de Philippe. Cette guerre fit sa réputation. Les Anglais le comptaient parmi les plus redoutables Chefs et le rangeaient immédiatement après le roi de Pokanoket et Conanchel. La confédération Narraghansett fut d'abord neutre. Pour lui, il commença la guerre avec Metanco, et dédaigna de ratifier un traité négocié sur son territoire à la pointe des bayonnettes. Ses guerriers furent taillés en pièces après la plus belle résistance, et il fut tué lui-même en 1676. Ce fut dans le voisinage de Delham, où il s'était retiré avec une centaine de braves. Il aima mieux périr que de se rendre, et tels étaient son courage et sa force que, blessé mortellement, et gisant sur le sol, il fracassa un soldat qui ne lui fut arraché qu'à force de bras.

Note 95: (retour) Sa tribu qui n'était qu'une annexe à la Confédération, subsistait encore en 1738, lorsque l'on découvrait à peine un Narraghansett sur le territoire du Rhode-Island. Nul Chef ne fut plus souvent accusé que Ninigret. Il avait cependant des titres à l'estime et même à l'admiration. Il était noble de venger la mort de ses proches et de ses sujets, et il le fit avec dignité. Il ne sacrifia jamais son honneur à l'amitié des Anglais, et sut repousser leur arbitrage. S'il demeura tranquille au milieu des combats que livraient ses semblables pour leur liberté, ce fut apparemment parce qu'il prévit le résultat.
Note 96: (retour) Nos dévots protestans imposèrent aux deux Sachems, comme condition, d'observer les dix commandemens, que ces princes des forêts de l'Amérique traitèrent assez cavalièrement. Quand on leur demanda s'ils voulaient adorer Dieu, ils répondirent qu'ils le voulaient bien, parce qu'il fesait plus de bien aux Anglais que ne leur en fesait le leur. Ils dirent qu'ils ne savaient point ce que c'était que de jurer; et que pour le Dimanche, ils pourraient l'observer d'autant plus facilement qu'ils n'avaient jamais beaucoup à faire.

Nununtanoï, autre Sachem distingué, et Conanchel eurent bientôt le même sort. Ce dernier, fils de Miantonimo, succéda à Pessacus. Son courage était digne du sang qui coulait dans ses veines, et si ses oncles conservèrent de la dignité à la Confédération Narraghansett après la mort de Miantonimo, digne descendant de tant de héros, et ne pouvant prévenir la ruine de la nation, ce jeune Chef environna son tombeau d'une gloire éclatante. Trumbull nous dit qu'il hérita de l'orgueil de son père, et de sa haine pour les Anglais. Hubbard s'étend sur ce qu'il appelle ses cruautés, et se glorifie de sa perte. Un auteur moderne, plus judicieux, trouve dans ces accusations même la preuve d'une organisation d'âme peu ordinaire.

Conanchel combattit dans la bataille livrée par Josiah Winslow à Philippe et à ses alliés. Ce ne fut qu'après une lutte de géans que les Anglais purent donner l'assaut aux ouvrages des sauvages. Le champ de bataille fut enveloppé en peu d'instans dans une conflagration générale. Les hommes rouges, excités par le noble exemple des Chefs, se défendirent avec une fureur sans égale, et ne cédèrent momentanément qu'après avoir jonché de morts ces champs devenus célèbres. Après la prise de Lancaster par Metanco, son émule met à contribution la ville de Medfield, bat le capitaine Pierce, à Providence, et saccage cet établissement, ainsi que Warwick et Sekonck: il s'avance jusques à Boston. C'était alors l'époque de la grande puissance de Philippe, et ses désastres commencèrent avec la mort du fils de Miantonimo. En embuscade dans les forêts du Connecticut, Conanchel prenait encore une part active à la guerre, lorsque la nourriture manqua à mille cinq cents guerriers et à quatre mille femmes et enfans qui les suivaient. Ce héros sauvage proposa, o surprise! de cultiver les terres nouvellement conquises à l'est de la rivière. Il ne trouva que trente guerriers qui voulussent l'accompagner; ces trente-et-un braves marchaient à la mort. Le capitaine Dennison, qui tenait la campagne avec cinquante Anglais et cent cinquante sauvages Niantics, Pequots et Mohicans, conduits par Catapazet, Casinamon et Onecho, fut averti de l'arrivée du Sachem par deux femmes mohicanes. Conanchel se reposait. Sept de ses guerriers formaient un cercle autour de lui, et il leur racontait les plus belles particularités de sa victoire de Providence lorsque, tout-à-coup, il interrompit son discours. L'ouïe délicat du sauvage venait de distinguer un bruit imperceptible. Deux éclaireurs furent envoyés sur une colline qui était proche: un troisième les suivit; mais les ennemis les avaient interceptés, et descendaient la hauteur. Conanchel voulut fuir, mais Catapazet le dépassa avec ses plus agiles coureurs; il leur échappa cependant, et il était réservé aux Niantics de le faire prisonnier. Se voyant entouré, il jeta son habit galonné et gagna la rivière. Le pied lui manqua sur une pierre et il tomba sur le rivage. Se relevant aussitôt, il s'assit immobile et attendit Menopoide, le guerrier Pequot, qui n'eut pas le courage de l'attaquer. Le premier Anglais qui l'approcha fut un jeune homme du nom de Robert Santon. Le Sachem lui dit un peu dédaigneusement, et en mauvais anglais: «You much chile, no understand war; let your Chief come.» Il se rendit à Dennison. Conduit à Stomington, il y fut fusillé. Les Mohicans tirèrent, les Pequots l'écartelèrent, et les Niantics allumèrent son bûcher. Sa tête fut présentée en plein conseil à Hartford.

Ainsi finit, à la fleur de l'âge, le dernier des Narraghansetts, le petit neveu de Cananacus, et le fils de Miantonimo. Ses ennemis, exaspérés par leurs désastres, le vouèrent à la mort. Ainsi les Romains firent périr Jugurtha, qui mourut dans le cachot de Tullianum. Aujourd'hui que la passion de l'époque est affaiblie, il est permis de pleurer sur le sort de ce noble enfant de l'Amérique du Nord. L'histoire indigène n'offre pas un plus bel exemple de cette générosité chevaleresque avec laquelle l'intéressant Conanchel accorda sa protection aux faibles, sacrifia sa puissance et sa liberté à l'honneur, et fut fidèle à la voix de ses ancêtres. J'admire ce beau patriotisme qui le fit se dévouer pour ses dieux et son pays.

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