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Bourdonnements

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Que ferons-nous des trois couleurs?
Le rouge, c'est le sang,
Le bleu, c'est les brigands,
Le blanc, c'est la franchise,
C'est la devise
Des Bourbons.

Les bonapartistes, qui commençaient à se mélanger de républicains, répondaient:

Que ferons-nous des trois couleurs?
Le bleu, c'est la candeur,
Le rouge, la valeur,
Le blanc, c'est la bêtise,
C'est la devise
Des Bourbons.

On se levait en tumulte,—on se lançait les verres, les bouteilles, les tabourets,—on cassait les glaces, on cassait les têtes,—on prenait des rendez-vous pour le lendemain.

J'ai voyagé il y a quelque temps avec des officiers;—selon eux, l'armée n'accepterait que difficilement le drapeau blanc;—le drapeau tricolore est pour eux comme une religion;—il serait donc impolitique et dangereux de le laisser aux bonapartistes.

Le fils de Louis Napoléon en a dit quelques mots à Chislehurst.

Les bonapartistes ont déjà plus que leur part de couleurs:—ils ont le violet et ils ont aussi le vert;—comme je l'ai appris en feuilletant un livre publié par M. Jules Pautet de Parois, sous-préfet de Sisteron (Basses-Alpes), et intitulé:

MANUEL COMPLET DU BLASON

Ou Code héraldique, archéologique et historique

A Paris, Librairie encyclopédique de Roret.

On voit qu'il s'agit là d'un livre au moins sérieux.

A la page 147, S. M. Napoléon III est désigné sous le surnom de Napoléon le Sage.

C'est à propos de ses armes, et voici ce qu'ajoute M. Jules Pautet.

Napoléon III, le Sage.

«Ses armes sont d'un noble symbolisme: l'aigle d'or est le signe de la gloire, de la grandeur, de la victoire et de la force.

»Elle est d'or, parce qu'elle vivifie comme le soleil et la lumière, en champ d'azur qui est le champ de France...

»Le casque est d'or, etc.; il est de front pour tout voir et tout embrasser...; le globe est le signe d'un pouvoir qui, par sa grandeur, sa sainteté et sa légitimité, rayonne sur le monde...

»Les lambrequins sont d'or comme pouvoir pur, brillant et sans tache.»

»D'argent, de gueules et d'azur, comme réunissant tous les partis; de sinople, couleur particulière de Sa Majesté Napoléon III (?), couleur de l'espérance qu'avait la France de son salut par une main napoléonienne; salut réalisé par Napoléon III; les abeilles symbolisent la sollicitude de l'Empereur pour les classes laborieuses, etc.»

A la page 165:

«Après ces prophétiques armoiries, contemplons avec bonheur cette aigle impériale qui vient de nouveau planer sur la France, étendre ses ailes sur ce beau pays, et le sauver de l'anarchie par la grâce de Dieu et le vœu unanime du peuple français...»

Vous voyez «argent, gueules et azur» blanc, rouge, bleu;—ajoutez le violet et le vert;—il ne reste à prendre que le jaune.

Encore quatre lignes du sous-préfet de Sisteron, il s'agit du Deux-Décembre.

«Une journée à jamais féconde, célèbre et sainte, dans laquelle le prince a terrassé l'anarchie, relevé les lois, sauvé la France et le monde ébranlés.» (P. 165, ligne 25.)

Dans les éventualités de la royauté, résultat de la fusion, on s'occupe beaucoup du Pape et d'une chance de guerre avec l'Italie à son sujet.

Je ne vois pas que les intérêts des papes soient si intimement liés à ceux des rois de France,—sans parler de Grégoire VIII, d'Alexandre VI, etc.

Jules II excommunia le bon Louis XII, le père du peuple, mit la France en interdit et en fit cadeau à Henri VIII d'Angleterre.

Mais ne rappelons que les relations du roi Henri IV, dont Henri V a la prétention d'être le successeur immédiat,—avec les deux papes qui ont vécu de son temps.

Sixte V déclara Henri IV et toute la maison des Bourbons «hérétiques, relaps, ennemis de Dieu et de l'Église»,—et comme tels il les déclarait déchus de tous leurs droits, indignes de posséder aucun fief;—il déclara aussi les sujets de Henri IV dégagés du serment de fidélité, etc.

Henri fit afficher aux portes du Vatican que Sixte V, soi-disant pape, en avait menti,—que c'était lui-même qu'on devait regarder comme hérétique, excommunié et antechrist,—se réservant le droit de punir en lui ou ses successeurs l'affront qu'il venait de faire;—il invitait tous les rois, princes et républiques de la chrétienté à se joindre à lui pour châtier la témérité de Sixte et des autres brouillons.

Plus tard, lorsque Henri IV se crut obligé de faire lever l'excommunication qui pesait sur lui,—il faut voir avec quelle insolence le successeur de Sixte V, Clément VIII, abusa de la situation.

MM. d'Ossat et Duperron, évêque d'Évreux, depuis cardinal, furent chargés de traiter à la cour de Rome l'affaire de l'absolution du roi.

Cette absolution fut «accordée» premièrement en consistoire public;—le sieur Duperron, représentant «la personne du roi», se mit à genoux devant le souverain pontife;—Clément VIII, dans cette posture, lui donna quelques coups de baguette adressés au roi,—pendant que le chœur chantait le psaume Miserere.

Voici les principaux des articles imposés au roi et accordés par ses représentants:

—Il obéira aux mandements du Saint-Siège.

—Le roi montrera par faits et par dicts, et même en donnant les honneurs et dignités du royaume, que les catholiques lui sont très chers, de façon que chacun comprenne qu'il désire qu'en France soit et fleurisse une seule religion, et icelle la catholique romaine.

—Le roi dira tous les jours le chapelet de Notre-Dame,—et le mercredi les litanies,—et le samedi le rosaire de Notre-Dame,—gardera les jeûnes et autres commandements de l'Église, oyra la messe tous les jours.

—Le roi bâtira, en chaque province du royaume, un monastère d'hommes ou de femmes.

—Il se confessera et communiera en public quatre fois pour le moins par chaque an.

Etc., etc.

Une des chances de succès pour les pèlerinages, ce sont les petites croix, amulettes, scapulaires, etc., de diverses couleurs, auxquelles beaucoup des pèlerins sauront bien un peu plus tard, sinon dans la rue, au moins dans les salons, faire jouer le rôle des décorations;—nous avions les as de cœur rouges de Marie Alacoque;—la croix également rouge de Lourdes;—les pèlerins de Sainte-Radegonde portaient une petite croix violette bordée de blanc;—le journal, auquel j'emprunte ce fait, dit que plusieurs d'entre les pèlerins réunissaient déjà le ruban rouge de Lourdes au ruban violet de Sainte-Radegonde;—on arrivera à la brochette.

Je trouve que les pèlerinages, en ressuscitant, se sont débarrassés de beaucoup des austérités qui devaient contribuer à les rendre méritoires.

Aujourd'hui on se rend aux divers sanctuaires dans de bon wagons capitonnés, en chemin de fer;—il se rencontre de bonnes âmes pour payer les places à ceux qui n'ont pas d'argent.

Autrefois les pèlerinages se faisaient pieds nus.

—Une reine de France, Catherine de Médicis, je crois, envoie à Jérusalem un pèlerin qui devait faire le trajet à pieds nus, trois pas en avant et un pas en arrière;—ce fut un bourgeois de Verberie, qui se présenta et accomplit religieusement le vœu de la reine;—on le fit surveiller, et, à son retour, on lui donna une somme d'argent et des lettres de noblesse;—ses armes représentaient une croix et une palme.

Si les six pèlerins, dont parle Rabelais, eussent voyagé en chemin de fer et couché dans de bonnes auberges, il ne leur fût pas arrivé ce que raconte le curé de Meudon:—Gargantua les cueillit avec de magnifiques laitues, parmi lesquelles ils étaient couchés pour passer la nuit,—et les mangea sans s'en apercevoir.

Pour beaucoup de gamins, d'oisifs, d'habitués d'estaminet, de piliers de brasserie, de forts au billard et au bésigue,—se dire républicains, ça leur donne, du moins ils le croient, l'air d'être des hommes forts et énergiques;—ces habitudes de café entraînent celle de bavarder, de réciter le soir les tartines lues dans les journaux du matin, d'acquérir une certaine facilité à débagouler un certain nombre de phrases sans s'arrêter.

L'ouvrier,—le mauvais ouvrier,—l'ouvrier qui ne travaille pas,—celui qui par antiphrase s'intitule «le travailleur», se compare au bon ouvrier, à celui qui travaille,—qui n'a pas le loisir d'apprendre par cœur les élucubrations des journaux,—alors il juge que celui-ci «n'a pas de conversation», il se trouve supérieur à lui,—et quelquefois le lui fait croire.

Une chose qu'on semble ne pas savoir du tout en France,—c'est que le gouvernement républicain est celui de tous qui donne le moins de liberté,—surtout de cette liberté de fantaisie dont celui qui la prend est l'arbitre;—sous la république, la loi doit être absolue, inflexible, elle doit être obéie, non pas seulement avec respect, avec soumission, avec abnégation, elle doit être obéie avec religion, avec orgueil, avec fanatisme.

Un roi débonnaire, bien assis et non menacé, peut lâcher un peu la bride à ses sujets pour un temps;—un tyran peut s'amuser à abandonner tout à fait les rênes, ne fût-ce que pour corrompre le peuple et l'amener à se complaire dans l'esclavage; mais la république, c'est la lex ferrea, lex ænea,—la loi de fer et de bronze—la loi implacable, inexorable,—qui ne reconnaît pas de petite désobéissance,—de désobéissance vénielle.

Hélas! est-il dit que ce peuple français si heureusement doué, si favorisé par la Providence—dont l'histoire entière n'est peut-être pas plus belle que celle des autres peuples,—mais a de plus belles et surtout de plus brillantes pages;—est-il arrêté dans les arrêts de la Providence qu'après avoir été si longtemps jeune, ardent, aimable, amoureux, poète, chevalier,—il doit arriver à la vieillesse et à la décrépitude sans avoir passé par l'âge mûr et par la virilité, et tomber dans une seconde et sénile et dernière enfance?

Quant à la question du drapeau, le comte de Chambord ressemble à un homme qui, se disant bon nageur et voyant un autre homme qui se noie, discuterait, sur le bord de la mer, la couleur du caleçon qu'il convient de mettre pour aller à son secours.

Grâce à une idée due au ministère qui vient de tomber, la France va sortir d'un grand embarras; il est juste, il est bien de lui témoigner la reconnaissance qui lui est due, au moment de sa chute.

Ce qui perd la France, c'est la production exagérée de grands hommes;—c'est un phénomène dont on trouve parfois d'autres exemples dans l'histoire naturelle.

Par exemple, j'avais à Saint-Raphaël deux paons—mâle et femelle; la femelle a couvé tous les ans, mais jamais les œufs n'ont produit que des mâles; ces mâles sont magnifiques, c'est vrai, quand ils traînent dans les allées du jardin leur splendide manteau vert et bleu, ou lorsqu'ils étalent en éventail au soleil leur queue constellée d'yeux de saphirs et d'émeraudes;—mais, cependant, c'était une anomalie brillante par suite de laquelle, d'abord et tout de suite, mes hôtes si richement vêtus auraient passé leur vie à se battre et à s'entre-plumer, et, d'ici à quelques années, la race se serait éteinte; heureusement qu'un voisin généreux m'a donné des femelles.

Un autre exemple et qui date de bien longtemps:

Mon père aimait les jardins, avait semé des tulipes avec Mehul et s'était montré aux premiers rangs dans la révolution qui, dans la culture ou plutôt dans le culte et la religion des tulipes, avait substitué les fonds blancs aux fonds jaunes.

Il m'apporta un jour à Sainte-Adresse une petite boîte pleine de graines de giroflées;—c'était une magnifique espèce, le gros «cocardeau rouge» mais avec des rameaux et des fleurs démesurées.—J'en eu de quoi semer plusieurs années de suite; mais, après cela, je perdis l'espèce—parce que tous les plans qui levèrent me donnèrent des fleurs doubles et que pas une seule giroflée ne produisit des fleurs simples qui sentent, font de la graine et se reproduisent.

La France produit en abondance, en surabondance même, des grands hommes de toutes sortes;—elle manque d'agriculteurs, d'ouvriers, de bourgeois—elle manque même d'avocats—ce dernier point a besoin d'être expliqué et va l'être à son tour. Quant aux agriculteurs et aux ouvriers, par l'accroissement exagéré des villes et la tendance imprudente et sottement protégée par les gouvernements, les hommes quittent tous les jours en plus grand nombre les champs pour les villes; une fois dans les villes, ils commencent par se faire ouvriers, mais ils ne tardent guère à devenir de grands politiques, passant une partie de leurs journées au café, au cabaret, à lire les journaux, à entendre et au besoin faire des discours et à miner, bouleverser et gouverner leur pays.

Pour les bourgeois, ils mettent un de devant leur nom, vont aux pèlerinages de Lourdes et de la Salette, parient aux courses et entretiennent en société et en pique-nique—des courtisanes à cheveux rouges—et disent: nous autres—ma maison, mes ancêtres, mon rang.

Les avocats ne peuvent plus défendre..... ni attaquer la veuve et l'orphelin, ou, comme on disait du célèbre Ch. d'E,

Il défendait la veuve, et faisait l'orphelin.

D'autres devoirs leur incombent;—ils doivent faire des discours sur les balcons, sur les tables d'auberges et de cabaret, ils doivent devenir députés, ministres, présidents de la république.

Donc la France ne produit plus que des paons mâles et des giroflées à fleurs doubles:—c'est beau, c'est brillant, c'est riche,—mais dans un temps donné, l'espèce se perdrait comme cela est arrivé pour mes giroflées, comme cela a failli arriver pour mes paons;—en attendant, on se bat, on s'entre-plume, etc.

Eh bien, le ministère de Broglie avait compris que la France, produisant trop de grands hommes pour sa consommation, devait être consommée par eux. On avait bien la chambre des représentants,—mais c'est étroit, c'est mesquin; on donne asile à peine à sept cents intelligences supérieures, à sept cents génies, à sept cents politiques laborieux et sagaces, à sept cents grands orateurs—à sept cents grands citoyens—à sept cents incorruptibilités, à sept cents désintéressements, à sept cents dévouements.

Mais qu'est-ce que sept cents casés quand tant de milliers restent à la porte?—C'est alors que le ministère de Broglie se montra à la fois intelligent et du danger que courait le pays et du caractère français: il pensa à une seconde Assemblée où on pourrait mettre encore sept cents Richelieu, sept cents Démosthènes, sept cents Décius, etc.,—c'est peu, mais c'est toujours ça;—une rallonge à la table.

Mais comment nommer cette seconde Assemblée? Sénat? c'est usé, il n'en faut plus.—Les sénats des deux empires n'avaient pas laissé de traces brillantes.

De même qu'un jour il n'a plus fallu de conscription, ni de gendarmerie, ni de droits réunis, alors on a obéi au sentiment public, on a aboli la conscription, la gendarmerie et les droits réunis, on les a, aux applaudissements de toute la France, remplacés par le recrutement, la garde municipale et les contributions indirectes, qui sont exactement la même chose. Le ministère depuis a imaginé non pas de créer un nouveau sénat, fi donc!—mais un haut conseil. Espérons que cette grande idée sera ramassée par ses successeurs.


NOTES:

[1] Apud nos sexcenta dicere pro infinito numero fere usitatum.
Donat.

Sexcentas proinde scribito jam mihi dicas.
Térence.

[2] Ma maison du Mont-Palatin était transportée chez un des deux consuls; celle du Tusculum chez l'autre. Les colonnes de marbre étaient portées chez la belle-mère d'un consul, les arbres mêmes y étaient transplantés; etiam arbores transferebantur.

(Lettre à Atticus.)

[3]Le vice-amiral Verhuell avait été au service de France.—C'était un homme distingué, il passa de lieutenant de vaisseau vice-amiral, il fut d'abord ministre de la marine du roi Louis, maréchal du royaume, comte de Sevenaar, Grand-Croix de l'ordre de l'Union, etc., puis, ambassadeur à la cour de France. A cette faveur succéda une disgrâce complète, il prit alors du service en France, où il fut très bien traité et retrouva la faveur qu'il avait perdue en Hollande.

. . . . Apes . . . .
Candida circum,
Lilia funduntur,
Strepit omnis murmura campus.
. . . . . . . . Lethœi ad fluminis undas,
Securus latices et longa oblivia potant.

[5] Nunquam pulchriorem imperatorem habuisse.
J. Capitolinus.

[6] La grandeur de la patrie et ses destinées, par A. Madrolle.

[7] Le frère de celui d'aujourd'hui.

*
*   *

FIN

PARIS.—IMPRIMERIE ÉMILE MARTINET, RUE MIGNON, 2.

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