Chronique du crime et de l'innocence, tome 6/8: Recueil des événements les plus tragiques;...
Enfin le président lut l’arrêt qui condamnait la femme Bancal, Bastide, Jausion, Colard et Bach à la peine de mort; Anne Benoît aux travaux forcés à perpétuité, et Missonnier à deux ans de prison. Le même arrêt prononçait l’acquittement et la mise en liberté de madame Manson.
Alors l’auditoire fut témoin d’une scène de désespoir, qui, malgré la culpabilité bien avérée des accusés, ne laissa pas d’inspirer de la compassion; Jausion renouvelait ses protestations, implorait la miséricorde des juges; mais son affliction était encore moins touchante que celle de Colard et d’Anne Benoît. Cette malheureuse disait avec un accent qui perçait l’âme: «Ah! condamnez-moi comme Colard... je veux la mort, s’il meurt... je veux mourir!» et Colard, quoique frappé d’une condamnation capitale, ne versait des larmes que sur l’avenir réservé à sa maîtresse.
Cet arrêt fut rendu le 5 mai 1818. Les débats étaient ouverts depuis le 25 mars. Les criminels furent condamnés à payer soixante mille francs de dommages-intérêts à M. Fualdès fils; mais leur fortune était tellement dénaturée, qu’il ne revint au fils de la victime que l’avantage d’avoir vengé la mémoire de son malheureux père.
Les condamnés se pourvurent en cassation, et leur pourvoi ayant été rejeté par arrêt du 29 mai, on prit des mesures pour mettre à exécution l’arrêt de condamnation. On avait essayé de faire parvenir du poison à Bastide et à Jausion pour leur épargner l’ignominie de l’échafaud; mais ce projet ayant été découvert, la justice qui devait à la société une satisfaction éclatante, redoubla de surveillance.
Le 3 juin était le jour fixé pour l’exécution; les postes militaires avaient été doublés. Le lendemain de la condamnation, on avait trouvé, sur la place des exécutions, entre les quatre pierres destinées à soutenir l’instrument du supplice, une large tache de sang, et sur chacune des pierres une croix de sang. Bastide, Jausion et Colard reçurent lecture de l’arrêt qui rejetait leur pourvoi: Jausion était résigné, mais Bastide avait perdu toute sa jactance; Colard pleurait, mais c’était moins du regret de perdre la vie que de quitter pour toujours sa chère Anne Benoît. Sollicités tous les trois de faire, à cette heure suprême, l’aveu de leur forfait, ils protestèrent tous trois de leur innocence.
Jausion monta le premier à l’échafaud; avant l’instant fatal, il dit ces mots: «Je meurs innocent de l’assassinat de Fualdès; un jour viendra qu’on ne reprochera plus à mes enfans d’être le fils d’un assassin.» Colard accusait Bastide de sa perte; et celui-ci, sans force et sans courage, traîné sur l’échafaud, ne reprit ses sens que pour s’écrier: Que dira ma famille?
Bach, recommandé à la clémence du roi et la femme Bancal devaient déposer dans le nouveau procès dirigé contre les sieurs Yence, Constans et Bessière-Veinac, accusés d’être auteurs ou complices de l’assassinat de Fualdès. Les débats de cette nouvelle affaire ne tardèrent pas à s’ouvrir. Là, madame Manson, Bach, Théron, renouvelèrent leur déclaration; de nouveaux témoins constatèrent la complicité de Yence et de Bessière-Veinac; mais des témoignages non moins imposans établirent leur alibi: les trois accusés furent acquittés.
Tel fut le dénoûment de cet effroyable drame qui, par sa hideuse monstruosité, est peut-être unique dans les fastes criminels de tous les peuples. Cette considération expliquera l’étendue que nous avons cru devoir lui donner; et pourtant nous ne nous sommes attaché qu’aux particularités les plus importantes. Il nous fallait errer dans un labyrinthe obscur, presque inextricable, et ce n’était qu’en marchant avec une lenteur sage et attentive, qu’en signalant avec grand soin toutes les sinuosités bizarres de notre route, que nous pouvions arriver à une issue satisfaisante.
Quel concours de circonstances combinées et fortuites! quelle suite de détails révoltans, et que l’on croirait inventés à plaisir par quelqu’un de nos dramaturges modernes! quelle horrible profusion de sentimens et de propos atroces! Combien de révélations accablantes, même en dehors du forfait imputé aux accusés! Jausion, adultère et parricide! Bastide, osant sommer son père, le pistolet à la main, de lui donner une somme de dix-huit cents francs! Bastide, osant réitérer la même menace dans plusieurs circonstances! C’est ainsi que ces misérables avaient préludé à l’attentat qui devait enfin appeler sur eux le glaive vengeur de la justice. Et, avec quelles épouvantables preuves, ce procès n’a-t-il pas démontré qu’un crime une fois commis, il n’en coûte presque plus de commettre d’autres crimes! Voyez Bastide, encore armé du couteau dont il vient d’immoler Fualdès, prêt à égorger le témoin dont il redoute les aveux! Voyez-le toujours altéré de sang, traiter avec les dignes époux Bancal, de la vie de leur jeune enfant dont il craint les révélations! Et, chose inouïe! un père, une mère acceptant de concert cet horrible marché! Le père au moins recula devant son crime, il se fit plus tard justice à lui-même; mais la femme Bancal, créature plus ignoble que son nom, dont le vice avait courbé la taille et dégradé la figure, dont la physionomie respirait tout ce que la nature la plus perverse a de plus hideux, quel rôle avait-elle rempli dans la scène du meurtre de Fualdès, quel message infernal donna-t-elle à cet enfant dont elle avait vendu les jours, quelle hypocrite lâcheté montra-t-elle dans les débats!
Il semble que toutes les passions les plus dégradées se fussent donné rendez-vous autour du cadavre palpitant de Fualdès. La cupidité arme les principaux assassins, un intérêt vil et mesquin engage quelques autres; la débauche fournit des auxiliaires et des témoins; et comme si le hasard eut voulu compléter la monstrueuse laideur de cette trame infernale, il y fait apparaître comme acteur, un de ces êtres que l’absence de la raison rend indifférent au bien comme au mal, un idiot, l’imbécille Missonnier, dont les traits sans expression conservèrent pendant toute la durée des débats la plus complète insensibilité. Et ce personnage obstinément mystérieux, également jeté par le hasard sur cette scène d’horreur; ce personnage qui absorbe toute l’attention, qui tient dans ses mains le destin des coupables, qui n’a qu’à dire un mot pour les livrer à la vindicte des lois, et qui, tiraillée sans cesse par des sentimens divers, souvent au moment de parler, recule épouvantée devant l’aveu terrible qu’on allait lui arracher! C’est elle qu’on voit dominer dans tous les débats; on attend, on épie ses paroles; on les commente; on commente son silence; elle fait presque oublier le crime et les coupables, ou du moins, atténue singulièrement l’effet qu’ils devraient produire; c’est elle, toujours elle qui tient le fil de l’action, qui tantôt lui fait faire un pas, tantôt la force de rétrograder, tantôt obscurcit sa marche, ou bien par un mouvement soudain, par un monosyllabe, par un geste, la précipite, la lance vers le but, et s’arrête encore! Il faut en convenir, madame Manson, quels que fussent les motifs de sa conduite, avait un autre rôle à remplir, moins dramatique, moins fameux sans doute, mais à coup sûr plus digne d’éloges. Avec un peu de ce courage que les femmes savent quelquefois trouver dans les circonstances périlleuses, elle aurait pu peut-être sauver la vie à l’infortunée victime qu’elle vit immoler; terrifier les bourreaux par sa résolution. Cet acte aurait bien valu et la reconnaissance qu’elle avait vouée à Jausion, et sa fidélité à un serment prêté entre les mains d’assassins, et la pusillanimité des craintes qu’elle manifestait; cet acte aurait ennobli le travestissement qu’elle portait dans ce moment, et fait excuser le motif qui l’avait attirée dans l’infâme maison Bancal.
Quand la pensée attristée s’appesantit sur les détails de cette horrible et dégoûtante tragédie, le cœur se contracte péniblement; on éprouve un violent accès de misanthropie, on jette des regards de défiance sur toute l’espèce humaine! Comment entre tant d’individus qui concourent au même forfait, entre tant d’individus dont la plupart n’avaient qu’un très-mince intérêt à la consommation du crime; comment, disons-nous, ne s’en trouva-t-il pas un seul qui, mu par un sentiment d’humanité, attendri par les prières touchantes de la victime, qui conçut la pensée et eût le courage d’arrêter les assassins, soit par des représentations énergiques, soit par des menaces résolues? Un seul homme eut suffi; il eut été entendu et appuyé par la majorité; le cri de l’humanité trouve toujours de l’écho dans les cœurs qui ne sont point assourdis par la passion, et peut-être Bastide et Jausion, demeurés seuls de leur bord, auraient-ils reculé devant leur projet homicide. Au lieu de cela, que voit-on dans l’antre de Bancal? des tigres altérés, se gorgeant de sang sur leur innocente proie; des hommes indifférens à l’action, qui ne s’y mêlent pas, parce qu’ils n’y sont point invités, des femmes, tranquilles et froides spectatrices de tout ce qui se passe autour d’elles; un monstre féminin qui reçoit le sang dans un baquet!! Quel tableau! ah! si de telles atrocités n’étaient pas pour ainsi dire un phénomène sans exemple dans l’histoire des sociétés, si l’on se frappait trop vivement de l’idée qu’elles pussent se reproduire, ce serait à nous faire fuir tout espèce de contact avec nos semblables, à nous isoler complètement et à ne pas nous laisser approcher, comme font les sentinelles qui sont sur leurs gardes. Mais, comme nous l’avons déjà dit, heureusement des crimes de cette nature se renouvellent difficilement et quand ils surgissent, la justice, par une éclatante punition, frappe de terreur les pervers qui seraient tentés de les imiter, et ramène la confiance au sein de la société un moment alarmée.
Des bruits divers ont circulé et se sont accrédités dans certaines classes à l’occasion de Fualdès. On a voulu voir dans ce meurtre l’œuvre ténébreuse de la politique. On a insinué qu’une compagnie funeste avait guidé le bras des meurtriers. Pour abonder dans cette idée, il faudrait des preuves d’une authenticité incontestable. Jusque-là nous ne pouvons y voir qu’un effet de cette maladie de l’esprit humain, qui, généralement, lorsqu’un fait arrive, au lieu de se contenter des causes naturelles qui l’ont produit, se plaît à lui donner une origine occulte et merveilleuse.
FIN DU SIXIÈME VOLUME.
TABLE
DU SIXIÈME VOLUME.
FIN DE LA TABLE DU SIXIÈME VOLUME.