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CHANSON DU CHÈVREFEUILLE
D’APRÈS MARIE DE FRANCE, CHRÉTIEN DE TROYES, JOSEPH BÉDIER, PHILÉAS LEBESGUE, ET AUTRES JONGLEURS INCLYTES.
A Mademoiselle Marie-Madeleine Martineau.
— La chanson du Chèvrefeuille,
Laissez-moi vous la chanter.
Bouche à bouche on la recueille,
Ainsi me l’a-t-on contée.
— Chèvrefeuille, chèvrefeuille,
Que de pleurs tu fis couler !
Tristan et Yseult la reine,
Je vous veux dire comment
Ils connurent joie et peine
Pour tant triste dénouement.
— Marjolaine, marjolaine,
Tant de peine ont les amants !
Ils se virent, ils s’aimèrent,
Ensemble devaient finir.
Le roi Mark en sa colère
Les voudra faire mourir.
— Que rosisse la bruyère,
C’est qu’hiver veut revenir.
Pour sauver sa souveraine,
Tristan s’enfuit de la cour ;
Retourne aux landes lointaines
Où jadis a vu le jour.
— Romarin, sauge et verveine,
Gardez-nous du mal d’amour !
Se languit toute une année,
D’amour se meurt lentement,
N’en soyez pas étonnée :
Amour est deuil et tourment.
— Et la rose au matin née
Se fane au jour finissant.
S’en revient en Cornouailles
Là où tient le roi sa cour,
Tant triste qu’il en défaille,
Se cache aux bois d’alentour.
— Paille et foin et foin sur paille,
C’est sa litière d’amour.
Tristan çà et là s’abrite,
Plus ne sort que nuit tombant.
Chez les paysans il gîte,
Vit avec les pauvres gens.
— Épandez la marguerite
Et les lys d’or et d’argent.
— Tristan savez-vous nouvelles ?
On attend joyeux déduit,
A Pentecôte prochaine,
Barons seront réunis.
— Ravenelles, ravenelles,
Vous verrai-je refleuries ?
Seront là le roi de France
Et le duc d’Andalousie,
Cent vassaux, dix mille lances,
Verrons notre reine aussi.
— La rose et les lys de France,
Genêts de Bretagne ici.
Tristan à ces mots tressaille,
A la forêt il s’en vint :
— Verge de coudrette il taille
Au coudrier du chemin.
— Grain d’avoine, brin de paille,
Qui te reverra demain ?
Son nom grave sur la branche
Du tranchant de son couteau :
Sur la coudriette blanche,
Yseult le verra tantôt.
— Mais qui verra la pervenche
Rebleuir au mai nouveau ?
Quand l’apercevra la reine,
Saura là qu’est son ami.
Elle comprendra sans peine
Que sans elle plus ne vit.
Liserons des haies, troëne,
Que de peine aux cœurs amis !
Tel un chèvrefeuille souple
A sa coudrette enlacé,
Tant que forment un seul couple,
Ensemble peuvent durer.
— Et violettes vont en troupe,
En troupe bluets d’été.
Mais qu’on les isole et cueille,
Chacun meurt de son côté,
Et se meurt le chèvrefeuille,
Et se meurt le coudrier.
— Chèvrefeuille, chèvrefeuille,
Que de pleurs vas-tu coûter !
O pure fleur de moi-même,
Belle amie ainsi de nous :
Vous que j’aime autant qu’on aime,
Vous sans moi ni moi sans vous.
— Chèvrefeuille est notre emblème,
Et ce soir où serons-nous ?
La reine en forêt chevauche,
Y voit deux coudriers blancs :
Un est à droite, un à gauche,
A gauche elle a lu : Tristan.
— La Mort fauche, fauche, fauche,
Épis mûrs et blés naissants.
Son cœur tremble et se transporte
A voir un tel nom écrit,
Elle ordonne à son escorte :
— Prenons le repos ici.
— Quand la coudriette est morte,
Chèvrefeuille il meurt aussi.
On obéit, on s’empresse,
Et Brangaine au même instant
S’en vient dire à sa maîtresse :
— Ici près j’ai vu Tristan.
— Fleurs des champs l’amour vous tresse,
Et vous dessèche à l’instant.
La reine quitte la ronde,
A vu l’ami de son cœur :
L’aimait plus que tout au monde,
Et depuis d’amour se meurt.
— L’amour fleurit tout au monde,
La Mort fauche toutes fleurs.
Entre eux deux la joie est telle
Qu’à peine peuvent parler ;
Tous deux tremblent, ils s’appellent,
Tous deux tombent expirés.
— Fleur de chèvrefeuille est belle
Autant que son coudrier.
Si se meurt le chèvrefeuille,
Si se meurt le coudrier :
Ainsi Tristan et Yseulde
Moururent de tant s’aimer.
— Chèvrefeuille, chèvrefeuille,
Si mon cœur pouvait parler !
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