Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably, Volume 1 (of 15)
REMARQUES ET PREUVES
DES
Observations sur l’histoire de France.
LIVRE SECOND.
CHAPITRE PREMIER.
[43] L’exemple d’un grand a toujours été plus contagieux chez les Français que par-tout ailleurs; et quand Charles Martel n’auroit tiré aucun avantage des bénéfices qu’il conféra en son nom, la vanité toute seule auroit porté d’autres seigneurs à faire des vassaux. Je ne me rappele aucun monument de notre histoire, antérieur à la régence de Charles Martel, où il soit parlé des vassaux qu’avoient les évêques, les abbés, les comtes et les autres seigneurs; après cette époque, tout, au contraire, en est plein.
Un capitulaire de Pepin, de l’an 757, art. 6, dit: Homo Francus accepit beneficium de seniore suo, et duxit secum suum vassallum, etc. Ut vassi nostri et vassi episcoporum, abbatum, abbatissarum et comitum qui anno præsente in hostes non fuerunt, Heribannum rewadient. (Cap. L. 4. Art. 20.) Volumus atque jubemus ut vassalli episcoporum, abbatum, abbatissarum atque comitum et vassorum nostrorum talem legem et justitiam apud seniores suos habeant, etc. (Cap. Car. Cal. Baluze. T. 2. p. 215.)
Je pourrois citer ici plusieurs autres autorités; mais pour abréger, je me contenterai de renvoyer à une charte de l’an 869, intitulée: Præceptum Caroli-Calvi pro Dodone Vasso Otgerii. Libuit celsitudini nostræ, cuidam fideli nostro Dodone, Vasso Otgerii fidelis nostri, de quibusdam rebus nostræ proprietatis honorare atque in ipsius jure ac potestate conferre. (Capit. Baluze. T. 2, p. 1488.)
Je continue à me servir du mot de bénéfice dans l’histoire des premiers rois de la seconde race, parce que celui de fief ne commença à être en usage que vers le temps de Charles-le-Simple. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot Feudum. Ce savant auteur remarque que les pièces d’une date antérieure au règne de Charles-le-Simple, dans lesquelles on trouve cette expression, sont suspectes aux yeux des critiques. Les devoirs de ces vassaux des seigneurs étoient de les accompagner à la guerre, de soutenir leurs querelles particulières et en les servant dans leurs maisons, de leur former une cour brillante.
[44] Tria tantum Francorum regna esse cœperunt; Burgundia Gunthramni, Neustria Chilperici, Austria Sigiberti. Nec pleura deindè Merovei posteris dominantibus fuerunt. Posteà Chlotharius junior totius Franciæ potens, retentâ sibi Neustriâ atque Burgundiâ, Dagobertum filium suum regem Austrasiorum constituendum curavit: Atque ex eo Neustria ac Burgundia semper, dum Merovingi apud Francos regnârunt, uni principi paruêre. Quare Theodoricum quidem Chlodovei minoris filium minimum, regnantibus fratribus suis, Chlotario in Neustria atque Burgundia, Childerico in Austria, privatum egisse, haudquaquàm mirum fuit. Nec enim regnum ullum supererat quod ipsi daretur. (Had. Vales Req. Franc. L. 22.)
[45] Omnes optimates suos, duces et comites Francorum, episcopos quoque ac sacerdotes ad se venire præcipit (Pipinus). Ibique unà cum consensu procerum suorum æquali sorte inter duos filios Karolum et Karlomannum, regnum Francorum paterno jure divisit. (Annal. Metens. Cap. de an. 768.)
Le nouvel ordre de succession dont j’ai parlé dans mon ouvrage, est évidemment prouvé par les lois de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire. Quod si talis filius cuilibet istorum trium fratrum natus fuerit, quem populus eligere velit ut patri suo succedat in regni hereditate, volumus ut hoc consentiant patri ipsius pueri, ut regnare permittant filium fratris sui in portione regni quam pater ejus et frater eorum obtinuit. (Chart. Divis. Imp. Car. Mag. An. 806. Art. 5.) Si verò aliquis illorum decedens, legitimos filios reliquerit, non inter eos potestas ipsa dividatur; sed potiùs populus pariter conveniens, unum ex eis, quem dominus voluerit, eligat. (Chart. Divis. Imp. Lud. Pii. Art. 14.) Monemus etiam totius populi nostri devotionem et sincerissimæ fidei pene apud omnes populos famosissimam firmitatem, ut si is filius noster, qui nobis divino nutu successerit, absque liberis legitimis rebus humanis excesserit, propter omnium salutem et ecclesiæ tranquillitatem et imperii unitatem, in eligendo uno ex liberis nostris, si superstites fratri suo fuerint, eam quam in illius electione fecimus conditionem imitentur. (Ibid. Art. 18.)
Voyez dans le recueil de Baluze, le troisième article du capitulaire que Charles-le-Chauve publia l’an 859, et le serment que Louis-le-Bègue fit à son couronnement: Ego Hludowicus misericordiâ Domini Dei nostri et electione populi, rex constitutus, promitto, etc.
Le P. Daniel prétend, dans sa préface historique, que la couronne devint purement élective sous les rois de la seconde race; et que les Français, en élevant Pepin sur le trône, ne s’étoient point engagés à choisir toujours leurs rois dans sa famille. Comment accorder une pareille opinion avec les passages qu’on vient de lire? Le grand argument de cet historien infidelle, c’est que le pape Etienne ne fait pas mention de ce pacte dans le discours qu’il prononça au sacre de Pepin et de ses fils. Le pape eut sans doute ses raisons pour se taire sur cet article; et il n’est pas difficile de les deviner. Convenoit-il de faire valoir ce serment au milieu d’une cérémonie qui rappeloit à tous les esprits que les Français avoient violé celui qu’ils avoient fait aux princes Mérovingiens? Mais je veux que le pape Etienne n’ait eu aucun motif de passer sous silence le serment des Français au couronnement de Pepin; de quelle force peut être une preuve négative qui est démentie par les autorités les plus graves?
Le silence du pape ne peut donc rien prouver contre les droits de la famille de Pepin, sur-tout quand on voit que ce même pape les reconnoît et les établit lui-même de la manière la plus forte. Une pièce imprimée dans le recueil de Dom Bouquet, (T. 5, p. 9,) ne permet pas d’en douter. Francorum principes benedictione et spiritûs sancti gratiâ confirmavit; et tali omnes interdictu et excommunicationis lege constrinxit, ut numquàm de alterius lumbis regem in ævo præsumant eligere, sed ex ipsorum. Le quatrième et le cinquième argumens du P. Daniel prouvent que la couronne étoit élective, mais ne détruisent point ce que j’ai avancé, que l’élection devoit regarder un prince de la maison de Pepin. Ce qu’il ajoute au sujet de Boson, de Rodolphe, d’Eude, etc. qui se firent couronner rois, démontre seulement qu’il y avoit des usurpateurs, ce que personne n’ignore; et que les princes de la seconde race, tombés enfin dans le même avilissement que ceux de la première, et aussi incapables qu’eux de faire respecter les lois anciennes, et de conserver leur dignité, alloient subir le même sort et perdre le trône. Je n’en dis pas davantage; il est fâcheux d’avoir à réfuter un historien qui se trompe de propos délibéré.
CHAPITRE II.
[46] Maxima ex parte civitates et episcopales sedes traditæ sunt laicis cupidis ad possidendum, vel clericis scortatoribus et publicanis seculariter ad perfruendum... inveniuntur etiam quidam inter eos episcopi, qui licèt se fornicarios et adulteros dicant non esse, sont tamen ebriosi vel venatores, pugnant in exercitu armati, et effundunt propriâ manu sanguinem hominum, sive paganorum, sive Christianorum. C’est ainsi que S. Boniface écrivoit au pape Zacharie en 742. Voyez Dom Bouquet, T. 4, pag. 34.
[47] Consuetudo autem nunc temporis talis erat, ut non sæpiùs, sed bis in anno placita duo tenerentur. (Hincm. de Ord. Pal. C. 29.) Ut ad mallum venire nemo tardet, primùm circa æstatem, secundo circa autumnum. (Capit. 1, an. 769, art. 12.) On voit par cette loi que les Français conservoient toujours leur ancienne indifférence pour leurs assemblées. Par les mots placita et mallum, dont on se servoit ordinairement pour désigner les plaids ou assises de justice, dans lesquels les rois, les ducs, les comtes et leurs officiers jugeoient les affaires des particuliers, il faut entendre ici les assemblées de la nation, qu’Eginhard appelle dans ses annales, conventus generalis. On n’en doutera pas, si on jette les yeux sur l’ouvrage d’Hincmar, que je viens de citer. Placita et mallum sont employés ici par extension, parce que dans ces assemblées générales, on jugeoit quelquefois les affaires majeures qui intéressoient la tranquillité publique, comme l’infidélité de Tassillon, duc des Bavarrois, et la révolte de Bernard, roi d’Italie.
Tout le monde sait que c’est dans une assemblée de la nation, tenue à Nimègue en 831, que la femme de Louis-le-Débonnaire se purgea des accusations intentées contre elle par ses beaux-fils. Il est évident que les deux passages que je viens de citer, ne peuvent point s’entendre de la cour de justice du roi, qui se tenoit bien plus souvent, ainsi que nous l’apprennent plusieurs pièces anciennes, et principalement une lettre des empereurs Louis-le-Débonnaire et Lothaire. Sciatis ob hanc causam nos velle per singulas hebdomadas uno die in palatio nostro ad causas audiendas sedere. (Dom Bouquet T. 6, p. 343.) J’ai cru cette remarque nécessaire, parce que j’ai vu que plusieurs écrivains confondent les assemblées de la nation avec la cour de justice du roi; et que cette erreur, toute grossière qu’elle est, est adoptée par bien des personnes, et jette une confusion extrême dans notre histoire.
[48] Quelques écrivains croient que le peuple n’entra point dans les assemblées du champ de Mai, sous la seconde race; il suffira de rapporter ici quelques autorités pour détromper de cette erreur. Si tempus serenum erat, sin autem, intrà diversa loca distincta erant, ubi et hi abundanter segregati semotim; et cætera multitudo separatim residere potuissent, priùs tamen cæteræ inferiores personæ interesse minimè potuissent. Quæ utraque tamen seniorum susceptacula sic in duobus divisa erant, ut primò omnes episcopi; abbates vel hujusmodi honorificentiores clerici, absque ullâ laicorum commixtione congregarentur. Similiter comites vel hujusmodi principes sibimet honorificabiliter à cætera multitudine primo mane segregarentur. (Hinc. de Ord. Pal. C. 35.) Par l’expression, cætera multitudo, on ne peut entendre que le peuple, ou ce que nous avons depuis appelé le tiers-état. Vult dominus imperator ut in tale placitum quale ille nunc jusserit, veniat unusquisque comes, et adducat secum duodecim scabinos, si tanti fuerint, sin autem, de melioribus hominibus illius comitatûs suppleat numerum duodenarium, et advocati, tam episcoporum, abbatum et abbatissarum ut eis veniant. (Cap. 2, an. 819, art. 2.) Voilà les personnes comprises par le cætera multitudo d’Hincmar. Il ne peut y avoir de difficulté sur la condition de ces scabins ou rachinbourgs. J’en ai parlé dans le livre précédent; c’étoient les assesseurs des juges, et le peuple les nommoit. Pour les avoués des églises, ils n’étoient encore dans ce temps-là que des hommes du peuple, des espèces d’intendans d’un évêque ou d’un monastère. Ce n’est que vers la fin de la seconde race, ou au commencement de la troisième, que les seigneurs ne dédaignèrent pas ce titre, qui les constituoit capitaines des milices de l’église dont ils étoient avoués. Les advoueries devinrent des fiefs considérables, et pareils aux Vidamies. Voyez le Glossaire de Ducange au mot advocatus.
Ut populus interrogetur de capitulis quæ in lege noviter addita sunt, et postquàm omnes consenserint, subscriptiones et manufirmationes suas in ipsis capitulis faciant. (Cap. 3, an 803.) Hæc Capitula Domnus Hludowicus imperator, anno imperii quinto cum universo cœtu populi in Aquigrani Palatio promulgavit. (Prol. Cap. 1, an 816.) Il faut remarquer que dans les ordonnances publiées par les assemblées précédentes, où il n’y avoit que des prélats et des seigneurs, on ne s’exprimoit point ainsi; on n’y trouve jamais le mot Populus. Les annales de S. Bertin disent que le peuple assista à l’assemblée tenue à Nimègue en 831.
Ego Agobardus, Lugdunensis ecclesiæ indignus episcopus, interfui venerabili conventui apud palatium quod nuncupatur compendium. Qui ubique conventus extitit ex reverendissimis episcopis et magnificentissimis viris illustribus, collegio quoque abbatum et comitum, promiscuæque ætatis et dignitatis populo. C’est l’assemblée de 833. (Voyez Dom Bouquet, T. 6, p. 246.) Je ne finirois point, si je voulois rapporter ici tous les passages de nos anciens monumens qui prouvent que le peuple entroit au champ de Mai; on en trouvera plusieurs répandus çà et là dans les remarques du présent livre; je prie le lecteur d’y faire attention.
[49] Aliud placitum cum senioribus tantùm et præcipuis consiliariis habebatur. (Hincm. de Ord. Pal. C. 30.) C’est toujours ce traité précieux d’Hincmar, que je cite dans ce chapitre.
[50] Les lois saliques et ripuaires, et les ordonnances des premiers rois Mérovingiens qui sont venues jusqu’à nous, ne sont point intitulées au nom du prince. (Voyez les capitulaires de Baluze et le recueil des historiens de France, par Dom Bouquet.) Childebert, en 595, mit le premier son nom à la tête d’une ordonnance; Childebertus, rex Francorum vir inluster. Cette nouveauté étoit une suite des progrès que l’autorité royale avoit faits depuis Clovis. Elle fut vraisemblablement inspirée à Childebert par les Leudes Gaulois d’origine, qui étoient accoutumés à voir le nom des empereurs à la tête des ordonnances.
[51] Capitula quæ præterito anno legi Salicæ cum omnium consensu addenda esse censuimus. (Cap. an. 801.) Generaliter omnes admonemus ut capitula quæ præterito anno legi Salicæ per omnium consensum addenda esse censuimus, jam non ulteriùs capitula, sed tantùm Lex dicantur, immò pro lege teneantur. (Capit. an. 821, art. 5.) Capitularia patris nostri quæ Franci pro lege tenenda judicaverunt. (Capit. an. 837.) Lex consensu populi fit et constitutione Regis. (Capit. an. 864. art. 6.)
[52] Hincmar, en parlant des malversations des comtes, établit très-bien cette différence entre les lois et les capitulaires simplement provisionnels, et qui n’étoient pas revêtus de l’autorité législative. Quandò enim sperant aliquid lucrari, ad legem se convertunt; quandò verò per legem non æstimant acquirere, ad capitula confugiunt; sicque interdum fit, ut nec capitula pleniter conserventur, sed pro nihilo habeantur, nec Lex. J’ajouterai encore ici une autorité, qui ne laissera aucun doute sur cette matière. Ut si missi nostri talem causam in illâ terrâ invenerint quam ad debitum finem, neque per ista capitula, nec per capitula progenitorum nostrorum, neque per legalia capitula perducere possint, nobis rationabiliter et veraciter remandare procurent, ut nos illis remandemus qualiter indè agere debeant. (Edict. apud. Tusiacum. an. 865. art. 15.)
Les règlemens particuliers et provisionnels avoient une très-grande autorité, ainsi que nous l’apprend un capitulaire de Charles-le-Chauve. Ut nemo despiciat Litteras nostrâ auctoritate aut filii nostri nomine signatas, vel eorum quos in hoc Regno cum illo dimittimus: neque inobediens sit quæ sibi mandata fuerunt. Quod si præsumpserit, ità mulctetur, sicut in capitulari avi et domni genitoris nostri continetur. (Cap. an. 877. art. 21.) J’avertis les lecteurs qui veulent faire une étude sérieuse de notre ancienne histoire, d’avoir une attention particulière à distinguer les capitulaires législatifs, de ceux qui n’ont été que des réglemens provisionnels. On peut les connoître à différentes marques. Leur date, la matière qu’ils traitent, leur forme, peuvent aider à faire cette différence. Quelquefois un capitulaire en indique un qui n’est que provisionnel, et un autre qui a titre de loi. Sous Charlemagne, on trouve peu des premiers; ils sont plus fréquens sous Louis-le-Débonnaire, et très-communs sous Charles-le-Chauve; c’est que Charlemagne étoit un très-grand prince, Louis-le-Débonnaire un homme médiocre, et Charles-le-Chauve un prince absolument incapable de régner. Sous Charlemagne le gouvernement se formoit; sous Louis-le-Débonnaire il se déformoit; sous Charles-le-Chauve il n’existoit plus.
[53] Cum omnes capitalem sententiam proclamarent, rex, misericordiâ motus, eo quòd consanguineus esset, obtinuit ab ipsis Dei et suis fidelibus ut non moriretur. (Ann. Meten. an. 788.) Dixit enim Dominus rex in eâdem synodo ut à sede apostolicâ, id est, ab Adriano pontifice licentiam habuisset, ut Angilramnum Archiepiscopum in suo palatio assiduè haberet propter utilitates ecclesiasticas; deprecatus est eamdem synodum ut eodem modo sicut Angilramnum habuerat, ità etiam Hildeboldum episcopum habere debuisset; quia et de eodem, sicut et de Angilramno apostolicam licentiam habebat. Omnis synodus consensit, et placuit eis eum in palatio esse debere propter utilitates ecclesiasticas. (Cap. Francofordiensis, an. 794, art. 53.) L’apocrisiaire avoit l’intendance générale des affaires de la religion dans le palais. Il étoit encore chef ou président, sous le roi, de la cour supérieure de justice, quand on y jugeoit quelque procès dans lequel un ecclésiastique étoit partie. Le comte du palais en étoit chef ou président, sous le roi, quand on y jugeoit les différends des laïcs. (Voyez Hincmar, de Ord. Pal. C. 13 et suivans.)
Quapropter et nostros ad vos direximus missos, qui ex nostri nominis auctoritate unà vobiscum corrigerent quæ corrigenda essent, sed et aliqua capitula ex canonicis institutionibus, quæ magis nobis necessaria videbuntur, subjunximus. Ne aliquis, quæso, Prælatis admonitionem esse præsumptiosam judicet, quâ nos errata corrigere, superflua abscidere, recta coactare studeamus. Sed magis benevolo caritatis animo suscipiat: nam legimus in regnorum libris quomodo sanctus Josias rex, etc. (Voyez les Capit. de Baluze, T. 1, pag. 703.)
[54] Volumus propter justitias quæ usquemodò de parte comitum remanserunt, quatuor tantum mensibus ii anno missi nostri legationes nostras exerceant, in hieme januario, in verno Aprili, in æstate Julio, in autumno Octobrio, cæteris verò mensibus unusquisque comitum placitum suum habeat et justitias faciat. (Capit. 3, an. 812, art. 4.)
Itaque volumus ut medio menso Maio conveniant iidem missi, unusquisque in sua legatione cum omnibus episcopis, abbatibus, comitibus ac vassis nostris, advocatis, ac vice-dominis abbatissarum, nec non et eorum qui propter aliquam inevitabilem necessitatem ipsi venire ad locum unum. Et si necesse fuerit, propter opportunitatem conveniendi in duobus vel tribus locis, vel maximè propter pauperes populi, idem conventus habeatur qui omnibus congruat. Et habeat unusquisque comes vicarios et centenarios suos necnon et de primis scabineis suis tres aut quatuor. Et in eo conventu primùm christianæ religionis et ecclesiastici ordinis collatio fiat. Deinde inquirant missi nostri ab universis qualiter unusquisque illorum qui ad hoc à nobis constituti sunt, officium sibi commissum, secundùm dei voluntatem ac jussionem nostram, administret in populo, et quàm concordes atque unanimes ad hoc sint, vel qualiter vicissim sibi auxilium ferant ad ministeria sua peragenda. (Cap. an. 823, art 28.)
Ce capitulaire est de Louis-le-Débonnaire; mais on peut et on doit même, sans crainte de se tromper, attribuer à Charlemagne l’établissement des états provinciaux dont je parle. Je prie de faire attention qu’on ne peut rien inférer contre mon sentiment, du silence des capitulaires de Charlemagne au sujet de ces états, puisqu’il s’en est perdu un assez grand nombre, et qu’il s’en faut beaucoup que nous ayons un corps complet de sa législation ou de son administration. En second lieu, il seroit difficile de croire que les états provinciaux fussent l’ouvrage de Louis-le-Débonnaire. Cet établissement, on le verra dans le quatrième chapitre de ce livre, n’a aucune analogie avec le reste de la conduite de ce prince, ou du moins avec la politique des personnes qui le gouvernoient. Charlemagne vouloit être instruit de tout, parce qu’il vouloit remédier à tout, et qu’il se sentoit les talens nécessaires pour réussir. Il favorisoit en toute occasion la liberté de la nation. Louis-le-Débonnaire craignoit au contraire d’être instruit des abus auxquels il n’avoit pas l’art d’apporter un remède efficace; et les ministres de son autorité ne songeoient qu’à l’étendre et en abuser.
En troisième lieu, ma conjecture paroît d’autant mieux fondée, que Louis-le-Débonnaire avertit quelquefois dans ses capitulaires, qu’il ne fait que copier ceux de son père; et on s’en appercevroit bien sans qu’il le dît, sur-tout dans les occasions où il paroît s’élever au dessus de lui-même et avoir de grandes vues. Ut omnis episcopus, abbas et comes, exceptâ infirmitate vel nostrâ jussione, nullam excusationem habeat quin ad Placitum Missorum nostrorum veniat, aut talem Vicarium suum mittat qui in omni causâ pro illo reddere rationem possit. (Cap. 5. an. 819, art. 28.)
[55] Statuimus quoque cum consilio servorum Dei et populi christiani, propter imminentia bella et persecutiones cæterarum gentium quæ in circuitu nostro sunt, ut sub precario et censu aliquam partem ecclesialis pecuniæ in adjutorium exercitûs nostri, cum indulgentia Dei, aliquanto tempore retineamus, eâ conditione, ut annis singulis de unaquaque casata solidus, id est, duodecim denarii ad ecclesiam vel monasterium reddantur; eo modo ut si moriatur ille cui pecunia commodata fuit, ecclesia cum propriâ pecuniâ revestita sit. Et iterum, si necessitas cogat, aut princeps jubeat, precarium renovetur et rescribatur novum. Et omninò observetur ut ecclesiæ vel monasteria penuriam non patiantur quorum pecunia in precario posita est; sed si paupertas cogat, ecclesiæ vel domui Dei reddatur integra possessio. (C. 2. an. 743.)
Cet usage des précaires n’étoit pas nouveau sous Pepin. Dom Bouquet nous a donné dans son recueil, (T. 4, p. 687,) un diplome de Dagobert III, qui renouvelle les précaires établis par les rois ses prédécesseurs. (Voyez la pièce intitulée: Præceptum Dagoberti III regis quod facit super precarium de monasterio Anisolæ, Ibboleno abbati.)
[56] Ita ut episcopo decedente, in loco ipsius, qui à metropolitano ordinari debet cum provincialibus, à clero et populo eligatur; et si persona condigna fuerit, per ordinationem principis ordinetur; vel certè si de palatio eligitur, per meritum personæ et doctrinæ ordinetur. (Ord. an. 615, art. 1.) Marculfe nous a donné la formule par laquelle les rois Mérovingiens nommoient à un évêché, ou plutôt ordonnoient au métropolitain de sacrer le candidat qu’ils lui adressoient.
Domino sancto, sedis apostolicæ dignitate colendo, in Christo patri illi episcopo, ille rex Credimus jam ad vestram reverentiam pervenisse sanctæ recordationis illius urbis antistitem evocatione divinâ de præsentis sæculi luce migrasse. De cujus successore sollicitudine integrâ, cum pontificibus, vel primatibus populi nostri pertractantes, decrevimus illustri viro illi, aut venerabili viro illi, ad præfatam urbem pontificalem regulariter Christo auspice committere dignitatem; et ideò salutationum jura digno debita honore solventes, petimus ut cum ad vos pervenerit, ipsum ut ordo postulat, benedici vestra sanctitas non moretur, et junctis vobis cum vestris comprovincialibus, ipsum in suprà scripta urbe consecrare, Christo auspice, debeatis. Agat ergo almitas vestra, ut et nostræ voluntatem devotionis incunctanter debeatis implere, et tam vos quàm ipse, pro stabilitate regni nostri jugi invigilatione pleniùs exoretis. (Form. 6. Liv. 1.)
Sacrorum canonum non ignari, ut in Dei nomine sancta ecclesia suo liberiùs potiretur honore, adsensum ordini ecclesiastico præbuimus, ut scilicet episcopi per electionem cleri et populi, secundùm statuta canonum, de propriâ diœcesi, remotâ personarum et numerum acceptione, ob vitæ meritum et sapientiæ donum eligantur. (Cap. 1, an. 803, art. 2.)
Ut nullus judicum de quolibet ordine clericos de civilibus causis, præter criminalia negotia, per se distringere aut damnare præsumat, nisi convincitur manifestus, excepto presbytero, aut diacono. Qui vero convicti fuerint de crimine capitali, juxtà canones distringantur et cum pontificibus examinentur. (Ord. an. 615, art. 4,) quod si causa inter personam publicam et homines ecclesiæ steterit, pariter ab utrâque parte præpositi ecclesiarum et judex publicus in audientia publica positi, ea debeant judicare. (Ibid. art. 5,) libertos cujuscumque ingenuorum à sacerdotibus juxtà textus chartarum ingenuitatis suæ defensandos, nec absque præsentiâ episcopi aut præpositi ecclesiæ esse judicandos vel ad publicum revocandos. (Ibid. art. 7.)
Ut nullus judex neque presbyterum, neque diaconum aut clericum aut juniorem ecclesiæ, extrà conscientiam pontificis per se distringat aut condemnare præsumat. Quod si quis hoc fecerit, ab ecclesiâ cui injuriam inrogare dignoscitur, tamdiù sit sequestratus, quamdiù reatum suum cognoscat et emendet. (Cap. an. 769, art. 17.)
Ut comites et judices seu reliquus populus obedientes sint episcopo. (Cap 1. an. 813, art. 10,) et in vestris ministeriis pontifices nostros talem potestatem non permittatis, qualem rectitudo ecclesiastica docet: insuper nonas et decimas vel census improbâ cupiditate de ecclesiis, undè ipsa beneficia sunt, abstrahere nitamini, et precarias de ipsis rebus, sicut à nobis dudùm in nostro capitulare institutum est accipere negligatis. (Præcep. C. magn. de honore præstando episcopis à comitibus et aliis judicibus. D. B. T. 5. p. 766.)
Præcipimus omnibus ditioni nostræ subjectis ut nullus privilegia ecclesiarum vel monasteriorum infringere, resque ecclesiarum invadere, vel vastare, vel alienare, vel facultates earum diripere præsumat, nec sine precaria possidere pertentet. (C. 1, an. 813, art. 3.) Sicut et per scripturas et per auctoritatem, et per rationem, manifestum est, duo sunt quibus principaliter mundus hic regitur, regia potestas et pontificalis autoritas; et in libro capitulorum avi et patris nostri conjunctè ponitur, ut res et mancipia ecclesiarum eo modo contineantur, sicut res ad fiscum dominicum pertinentes contineri solent justè et rationabiliter de rebus et mancipiis quæ in regiâ et in ecclesiasticâ restiturâ fuerunt, uniformiter et uno modo tenendum est. (Capit. an. 873, art. 8.)
[57] Ut quisque beneficium ecclesiasticum habet, ad tecta ecclesiæ restauranda, vel ipsas ecclesias omninò adjuvent. (C. 1, an. 813, art. 24.) Ut qui ecclesiarum beneficia habent, nonam et decimam ex iis ecclesiæ cujus res sunt, donent... Ut de omni conlaborato, et de vino, et de fœno pleniter et fideliter ab omnibus nona et decima persolvatur. De nutrimine verò quod in decima dandum est, sicut hactenùs consuetudo fuit, de omnibus observetur. Si quis tandem episcoporum fuerint qui argentum pro hoc accipere velit, in sua maneat potestate, juxtà quod ei ut illi qui hoc persolvere debet, convenerit. (Capit. Baluz. T. 1, p. 1229.)
Ut hi qui per beneficium domni imperatoris ecclesiasticas res habent, decimam et nonam dare, et ecclesiarum restaurationem facere studeant. (C. an. incerti, art. 56. Baluz. T. 1. p. 515.)
Considerandum est ut de frugibus terræ et animalium nutrimine nonæ et decimæ persolvantur. De opere verò vel restauratione ecclesiarum comes et episcopus sive abbas, unà cum misso nostro quem ipsi sibi ad hoc elegerint, considerationem faciant, ut unusquisque tantum indè accipiat ad operandum et restaurandum quantùm ipse de rebus ecclesiarum habere cognoscitur. Similiter et vassi nostri aut in commune tantùm operis accipiant, quantùm rerum ecclesiasticarum habent, ut unusquisque per se juxtà quantitatem quam ipse tenet. (Cap. 4, an. 819, art. 5.)
De his qui nonas et decimas jam per multos annos aut ex parte aut ex toto dare neglexerunt volumus ut per missos nostros constringantur ut secundùm capitularem, priorem solvant unius anni nonam et decimam cum sua lege, et insuper bannum nostrum; et hoc eis denuncietur quod quicumque hanc negligentiam iteraverit, beneficium undè hæc nona, hæc decima persolvi debuit, amissurum se sciat. Ità enim continetur in capitulare bonæ memoriæ genitoris nostri in (libro 1, C. 158,) item in capitulare nostro in (libro 2, C. 21,) de eadem re. (C. an. 829, art. 5. capitis 1.)
Ces différentes autorités que je viens de rapporter au sujet de la dîme, ne peuvent certainement regarder que les seigneurs qui possédoient des précaires. Il est bien singulier que plusieurs écrivains en aient inféré que sous le règne de Charlemagne on établit une dîme générale en faveur des ecclésiastiques. Si cette charge avoit été imposée sur tous les biens, seroit-il possible qu’il n’en fût point parlé, à l’occasion de la dîme que devoient les précaires? Celle-ci donna vraisemblablement naissance à l’autre.
Ut presbyteri parrochiani suis senioribus debitam reverentiam et competentem honorem atque obsequium suum ministerium impendant, sicut in legibus sacris et in præsentis capitulis continetur, et sicut temporibus avi et patris nostri justa et rationabilis consuetudo fuit. (C. an. 869, art. 8.)
Statutum est unicuique ecclesiæ unus mansus integer absque ullo servitio attribuatur, et presbyteri in eis constituti non de decimis neque de oblationibus fidelium, non de domibus, neque de atriis, vel hortis juxtà ecclesiam positis, neque de præscripto manso aliquod servitium præter ecclesiasticum faciant, et si aliquid ampliùs habuerint, indè senioribus servitium impendant. (Capit. an. 816, art. 10.)
Ut de rebus undè census ad partem regis exire solebat, si ad aliquam ecclesiam traditæ sunt, aut tradentur propriis hæredibus, aut qui eas retinuerit, vel censum illum persolvat. (C. 3, an. 812.) Quicumque terram tributariam undè tributum ad partem nostram exire solebat, vel ad ecclesiam vel cuilibet alteri tradiderit, is qui eam susceperit, tributum quod indè solvebatur, omninò ad partem nostram persolvat, nisi fortè talem firmitatem de parte dominica habeat per quam ipsum tributum sibi perdonatum possit ostendere. (Capit. 4, an. 819, art. 1.)
[58] Census regalis undecumque legitimè exiebat, volumus ut indè solvatur sive de propria persona sive de rebus. (Capit. 2, an. 805, art. 20.) Ut missi nostri census nostros diligenter perquirant, undecumque antiquitùs venire ad partem regis solebant, similiter et freda. (Capit. 3, an. 812, art. 10.) Voyez le livre 5 des capitulaires, (Capit. 303), au sujet des corvées et des autres droits que les seigneurs levoient sur les gens de leurs terres.
Placuit inserere ut ubi lex erit, præcellat consuetudini, et ut nulla consuetudo superponatur legi. (Cap. an. 793, art. 10.) De teloneis placet nobis ut antiqua et justa telonea à negociatoribus exigantur, tam de pontibus quàmque de navigiis et mercatis; nova verò sive injusta, ubi vel funes tenduntur, vel cum navibus sub pontibus transitur; seu his similia, in quibus nullum adjutorium iterantibus præstatur, ut non exigantur; similiter etiam nec de his qui sine negotiandi causâ substantiam suam de unâ domo suâ ad aliam aut ad palatium seu in exercitum ducunt. (Capit. 2, an. 805, art. 13) Ut nullus cogatur ad pontem ire ad flumen transeundum propter telonei causam; quandò ille in alio loco compendiosiùs illud flumen transire potest, similiter et in plano campo, ubi nec pons nec trajectus est, ubi omnimodis præcipimus ut non teloneum exigatur. (Capit. 1, an. 809, art. 19.)
[59] Cum calcearetur et amiciretur, non tantùm amicos admittebat, verùm etiam si comes palatii litem aliquam esse diceret, quæ sine ejus jussu definiri non poterat, statim litigantes introducere jubebat, et velut pro tribunali sederet, lite cognitâ sententiam dicebat. (Eginh. in vit. Car. Mag. C. 24.) Neque ullus comes palatii nostri potentiorum causas sine nostrâ jussione finire præsumat, sed tantùm ad pauperum et minùs potentium justitias faciendas sibi sciat esse vacandum. (Capit. L. 3, C. 77.)
[60] Quicumque liber homo in hostem bannitus fuerit, et venire contempserit, plenum heribannum, id est, solidos sexaginta persolvat. (Cap. L. 3, C. 57.) Ita verò præparatus cum hominibus tuis ad prædictum locum venies, ut indè in quacumque partem nostra fuerit jussio, exercitabiliter ire possis, id est, cum armis atque utensilibus necnon et cætero instrumento bellico, in victualibus et vestimentis, ita ut unusquisque caballarius habeat scutum, et lanceam, et spatham, et semispatham, arcum et pharetras cum sagittis, et in carris vestris utensilia diversi generis, id est, cuniadas et dulaturias, taratros, ascias, fossorios, palas fereas, et cætera utensilia quæ in hostem sunt necessaria; utensilia verò ciborum in carris de illo placito in futurum ad tres menses, arma et vestimenta ad dimidium annum. (Epist. Car. Mag. ad Fulradum Abbatem Dom. Fouquet, T. 5, p. 633.) Cette lettre est sans date, et fut sans doute écrite avant qu’on eût porté la loi qui défendoit aux ecclésiastiques de faire la guerre.
[61] Le Manoir, Mansus, selon M. Ducange, contient douze de nos arpens. Quicumque liber homo mansos quinque de proprietate habere videtur, in hostem veniat: et qui quatuor mansos, similiter faciat, qui tres habere videtur, similiter agat. Ubicumque autem inventi fuerint duo quorum unusquisque duos mansos habere videtur, unum alium præparare faciat: et qui meliùs ex ipsis potuerit, in hostem veniat. Et ubi inventi fuerint duo, quorum unus habeat duos mansos, et alter habeat unum mansum, similiter, se sociare faciant, et unus alterum præparet, et qui meliùs potuerit, in hostem veniat. Ubicumque autem tres fuerint inventi, quorum unusquisque mansum unum habeat, duo tertium preparare faciant, ex quibus qui meliùs potest in hostem veniat. Illi verò qui dimidios mansos habent, quinque sextum præparare faciant, &c. (Capit. an. 807, art. 2.)
[62] Quicumque liber homo inventus fuerit anno præsente cum Seniore suo in hoste non fuisse plenum Heribannum persolvere cogatur. Et si Senior vel comes eum domi dimiserit, ipse pro eo eumdem Heribannum persolvat; et tot Heribanni ab eo exigantur quot homines domi dimiserit. Et quia nos anno præsente unicuique seniori duos homines, quos domi dimitteret, concessimus, illos volumus ut missis nostris ostendat, quia his tantummodò Heribannum concessimus. (Cap. 2, an. 812, art. 9.) On vient de voir dans la note 60 que cette amende, appelée Heriban, étoit de 60 sols.
Ut vassi nostri, et vassi episcoporum, abbatum, abbatissarum et comitum qui anno presente in hoste non fuerunt, Herribannum rewadient, exceptis his qui propter necessarias causas et à domno ac genitore nostro Karolo constitutas, domi dimissi fuerunt, id est, qui à comite propter pacem conservandam, et propter conjugem, (les nouveaux mariés n’alloient point à la guerre la première année de leur mariage) ac domum ejus custodiendam, et ab episcopo, vel abbate, vel abbattissâ similiter propter pacem conservandam, et propter fruges colligendas, et familiam constringendam et missos recipiendos dimissi fuerunt. (Cap. L. 4, art. 70.)
CHAPITRE III.
[63] Je ne voulois mettre ici que des remarques critiques, pareilles à celles qu’on a lues jusqu’à présent; mais ayant eu la témérité de dire que les grands ne sont grands que pour être les artisans du bonheur du peuple, il est juste de justifier une pensée qui doit paroître un paradoxe à quelques lecteurs qui me feront peut-être l’honneur de jeter les yeux sur cet ouvrage.
Parmi des citoyens qui furent nécessairement égaux en formant leur société, les distinctions n’ont pu être que la récompense du mérite, ou du moins des services rendus à tous, et reconnus par une reconnoissance générale. Si les sociétés avoient bien compris leurs intérêts, toute distinction n’auroit été que personnelle; et par-là l’amour de la gloire et l’émulation auroient sans cesse produit d’excellens citoyens. Mais il arriva que, par une espèce de reconnoissance enthousiaste, on fit ou laissa passer jusques sur les fils de l’homme qui avoit bien mérité de la patrie, les distinctions qui n’appartenoient qu’à lui seul, et qu’on permit à l’orgueil de ses héritiers d’affecter de certaines prérogatives. Dès-lors il se fit un bouleversement entier dans l’ordre naturel des choses. Au lieu que la société ne devoit accorder des distinctions que pour être mieux servie, ceux qui obtinrent ou usurpèrent ces distinctions, se regardèrent comme la société même, et se firent servir par ceux dont ils sont naturellement les serviteurs. L’orgueil des grands en imposa à l’imbécillité du peuple, qui se laissa persuader qu’il ne devoit être compté pour rien.
L’abus que les grands font de leur grandeur est ancien, mais leur devoir n’est pas moins réel. L’état est prodigue à l’égard des grands; que lui rend leur reconnoissance? J’ajouterai qu’une société n’est sage et heureuse qu’autant que sa constitution la rapproche de ces idées primitives. Charlemagne avoit compris cette grande vérité, et c’est en empêchant qu’aucun ordre ne dominât impérieusement dans l’état, qu’il vouloit y établir l’autorité des lois et les rendre impartiales. Je dirai encore un mot, les grands ne peuvent trouver un bonheur véritable ou durable que dans le bonheur du peuple.
[64] Auditum habemus qualiter et comites et alii homines qui nostra beneficia habere videntur, comparant sibi proprietates de ipso nostro beneficio, et faciant servire ad ipsas proprietates servientes nostros de eorum beneficio, et curtes nostræ remanent desertæ. (Cap. 5, an. 806, art. 7.) Audivimus quod alibi reddant beneficium nostrum ad alios homines in proprietatem, et in ipso Placito dato pretio comparant ipsas res iterum sibi in Alodum. (Ibid. art. 8.) Cette adresse des bénéficiers pour dénaturer leurs bénéfices et en faire des propres ou des alleux, démontre que les bénéfices de Charlemagne n’étoient pas héréditaires.
Les autorités que je vais rapporter, désignent les cas pour lesquels on perdoit les bénéfices dont on étoit investi; et de là il est aisé de conclure que le prince n’ayant pas la faculté de les reprendre arbitrairement, les conféroit à vie. Quicumque ex eis qui beneficium principis habent, parem suum contra hostes communes in exercitum pergentem dimiserit, et cum eo ire aut stare noluerit, honorem suum et beneficium perdat. (Cap. 2, an. 812, art. 5.) Quicumque suum beneficium occasione proprii desertum habuerit, et intrà annum postquàm ei à comite vel à misso nostro notum factum fuerit, illud emendatum non habuerit, ipsum beneficium amittat. (Cap. 4 an. 819, art. 3.) On voit par ce dernier passage, qu’il y avoit même des formalités et des délais de justice à observer, pour dépouiller un vassal de son bénéfice. Après le traité d’Andely, et l’ordonnance de 615, qui avoient établi l’hérédité des bénéfices Mérovingiens, il étoit tout simple que Charles-Martel et les princes de sa maison, qui donnèrent des bénéfices, ne se réservassent pas le droit odieux de les reprendre arbitrairement.
[65] Les rois Mérovingiens accordèrent des lettres de protection ou de sauve garde; Marculfe nous en a conservé le modèle dans quelques-unes de ses formules. Je ne sais si ces princes apportèrent de Germanie cette pernicieuse coutume, ou si elle n’est qu’une suite de l’abus qu’ils firent de leur autorité après la conquête. Quoi qu’il en soit, les rois de la seconde race conservèrent cette prérogative, qui n’étoit propre qu’à ruiner les principes du gouvernement. Ut hi qui in mundeburde domini imperatoris sunt, pacem et deffensionem ab ommibus habeant. (Capit. an. Incerti, art 54. Baluz. Tit. 1, p. 515.) Notum fieri volumus omnibus fidelibus nostris... quod quidam homines, quorum nomina sunt illa et illa, ad nostram venientes præsentiam, petierunt et deprecati sunt nos ut eos propter malignorum hominum infestationes, sub securitate tuitionis nostræ susciperemus, quod libenter fecimus... Et si aliquæ causæ adversùs illos surrexerint, quæ intrà patriam sine gravi et iniquo dispendio definiri non possunt, volumus ut usque ad præsentiam nostram sint suspensæ et reservatæ, quatenùs ibi justam et legalem finitivam accipiant sententiam, et nemo eis ad nos veniendi facultatem contradicere presumat. (Charta 36, Lud. Pii. D. Bouquet, T. 6, p. 652.) Constituimus ut omnes qui sub speciali defensione domini apostolici seu nostrâ fuerint suscepti; impetratâ inviolabiliter utantur defensione. Quod si quis in quocumque violare præsumpserit, sciat se periculum vitæ incursurum. (Const. Lotharii Im. an. 824. Dom Bouquet, T. 6, p. 410.)
CHAPITRE IV.
[66] Plusieurs historiens ont dit que Bernard prit les armes, parce qu’il prétendoit, en qualité de fils de Pepin, frère aîné de Louis-le-Débonnaire, que l’empire lui appartenoit. La conjecture n’est pas heureuse. Ces historiens, sans connoissance de notre gouvernement sous la seconde race, n’ont pas fait attention que la couronne étoit alors élective, et que la dignité impériale n’étoit encore attachée à la possession d’aucun royaume particulier. Il n’est pas vraisemblable que Bernard ait formé une prétention contraire à toutes les lois, et qui n’auroit été propre qu’à soulever les Français contre lui.
[67] Volumus etiam ut capitula quæ nunc et alio tempore consultu nostrorum fidelium à nobis constituta sunt, à cancellario nostro archiepiscopi et comites de propriis civitatibus modo, aut per se, aut per suos missos accipiant, et unusquisque per suam diœcessim cæteris episcopis, abbatibus, comitibus, et aliis fidelibus nostris ea transcribi faciant, et in suis comitatibus coràm omnibus relegant, ut cunctis nostra ordinatio et voluntas nota fieri possit. Cancellarius tamen noster nomina episcoporum et comitum qui ea accipere curaverint, notet, et ea ad nostram notitiam preferat, ut nullus hoc prætermittere præsumat. (Cap. an. 823, art. 24.) Quicumque illud (beneficium) scienter per malum ingenium adquirere tentaverit, pro infideli teneantur, quia sacramentum fidelitatis quod nobis promisit irritum fecit; et ideò secundum nostram voluntatem et potestatem dijudicandus est. (Capit. L. C. 34.)
[68] Hæc autem omnia ità disposuimus atque ex ordine firmare decrevimus, ut quamdiù divinæ majestati placuerit nos hanc corporalem agere vitam, potestas nostra sit super à Deo conservatum regnum atque imperium istud, sicut hactenùs fuit in regimine atque ordinatione et omni dominatu regali atque imperiali, et ut obedientes habeamus prædictos dilectos filios nostros atque Deo amabilem populum nostrum cum omne subjectione quæ patri à filiis, et imperatori ac regi à suis populis exhibetur. (Chart. divis. Imp. Car. Mag. art. 20.) Veut-on avoir une idée juste de l’autorité que Charlemagne exerçoit dans les royaumes qu’il avoit donnés à ses fils? qu’on lise la lettre qu’il écrivit en 807 à Pepin son fils, roi d’Italie. (Dom Bouquet, T. 5, p. 629.)
[69] Neque aliquis illorum hominem fratris sui pro quibuslibet causis sive culpis ad se confugientem suscipiat, nec intercessionem quidem pro eo faciat; quia volumus ut quilibet homo peccans vel intercessione indigens, intrà regnum domini sui vel ad loca sancta vel ad honoratos homines confugiat, et indé justam intercessionem mereatur. (Char. divis. Imper. Car. Magni, artic. 7.) Quapropter præcipiendum nobis videtur ut post nostrum ab hac mortalitate discessum, homines uniuscujusque eorum accipiant beneficia unusquisque in regno domini sui, et non in alterius, ne fortè per hoc, si aliter fuerit, scandalum aliquod accidere posset. (Ibid. art. 9.) Præcipimus ut nullus ex his tribus fratribus suscipiat de regno alterius à quolibet homine traditionem seu venditionem rerum immobilium, hoc est, terrarum, vinearum atque silvarum, servorumque qui jam casati sunt, sive cæterarum rerum quæ hæreditatis nomine censentur. (Ibid. art. 11.) Si quæ autem fœminæ, sicut fieri solet, inter partes et regna fuerint ad conjugium postulatæ, non denegentur justè poscentibus, sed liceat eas vicissim dare et accipere, et adfinitatibus populos inter se sociari. (Ibid. art. 12.)
[70] Volumus ut semel in anno, tempore opportune, vel simul vel sigillatim, juxtà quod rerum conditio permiserit, visitandi et videndi, et de his quæ necessaria sunt, et quæ ad communem utilitatem vel ad perpetuam pacem pertinent, mutuo fraterno amore tractandi gratiâ ad seniorem fratrem cum donis suis veniant. Et si fortè aliquis illorum quâlibet inevitabili necessitate impeditus venire tempore solito et opportuno nequiverit, hoc seniori fratri legatos et dona mittendo significet; ità dùntaxat ut cum primùm possibilitas congruo tempore adfuerit, venire quâlibet cavillatione non dissimulet. (Chart. divis. Imp. Lud. Pii, art. 4.) Ces présens dont il est parlé dans ce passage, étoient une espèce d’hommage ou de tribut par lesquels on reconnoissoit la supériorité ou la juridiction de celui de qui on approchoit. Tels étoient les dons que les seigneurs faisoient tous les ans au roi, en se rendant à sa cour ou au champ de Mai. C’est en se conformant à l’esprit de cette disposition établie par Louis-le-Débonnaire, que Lothaire, Louis-le-Germanique et Charles-le-Chauve, insérèrent la convention suivante dans leur premier traité de paix. Ut regum filii legitimam hæreditatem regni, secundùm definitas præsenti tempore portiones, post eos retineant, et hoc quicumque ex his fratribus superstes fratribus fuerit, consentiant; si tamen ipsi nepotes patruis obedientes esse consenserint. (Art. 9.)
Volumus atque monemus ut senior frater, quandò ad eum aut unus aut ambo fratres suis cum donis, sicut prædictum est, venerint, sicut cum major potestas, Deo annuente, fuerit attributa, ità et ipse, pro fraterno amore, largiori dono remuneret. (Chart. Divis. Imp. Lud. Pii, art. 5.) Item volumus ut nec pacem nec bellum contrà exteras et inimicas nationes absque consilio et consensu senioris fratris nullatenùs suscipere præsumat. (Ibid. art. 7.) Volumus etiam ut si alicui illorum post decessum nostrum tempus nubendi venerit, ut cum consilio et consensu senioris fratris uxorem ducat. (Ibid. art. 13.)
Si autem, et quod Deus avertat, et quod nos minimè optamus, venerit ut aliquis illorum propter cupiditatem rerum terrenarum, quæ est radix omnium malorum, divisor aut oppressor ecclesiarum vel pauperum extiterit, aut tyrannidem, in quâ omnis crudelitas consistit, exercuerit, primò secretò, secundùm Domini præceptum, per fideles legatos semel, bis et ter de suâ emendatione commoneatur; et si renisus fuerit, accersitus à fratre coràm altero fratre, paterno ac fraterno amore moneatur et castigetur. Et si hanc salubrem admonitionem penitùs spreverit, communi omnium sententiâ quid de illo agendum sit decernatur; ut quem salubris ammonitio à nefandis actibus revocare non potuit, imperialis potentia communisque omnium sententia coerceat. (Ibid. art. 10.)
Je n’ai point parlé ici de Pepin, roi d’Aquitaine. Il mourut avant son père, et à sa mort, Louis-le-Débonnaire déshérita ses enfans. Ce Pepin eut un fils nommé Pepin comme lui, qui causa beaucoup de troubles dans le royaume. Il obtint un établissement considérable en Aquitaine, et son ambition n’en fut point satisfaite. Il fit la guerre, fut battu et fait prisonnier par son oncle Charles-le-Chauve, qui le força à prendre l’habit de religieux. Il finit par apostasier, et se mit à la tête d’une bande de Normands qui ravageoient le royaume.
[71] Je ne parlerai ici que d’une dévotion commode pour les pécheurs, et qui contribua beaucoup à enrichir l’église. Au lieu de se dépouiller pendant leur vie de leurs biens, pour se racheter des peines de l’enfer, ce qui auroit exigé une conversion sincère et véritable, on leur persuada qu’il suffisoit qu’ils changeassent leurs terres en précaires: c’est-à-dire, qu’ils les donnoient à quelque église ou à quelque monastère qui leur en laissoit la jouissance pendant toute leur vie et s’en emparoit à leur mort. Ideò unà cum consensu fratrum nostrorum hanc epistolam tibi emittendam decrevimus, ut ipsum locum cum omni integritate, unà cum Dei gratiâ, et nostrâ voluntate, absque præjudicio sancti illius diebus vitæ tuæ usualiter tibi liceat tenere, et post tuum quoque discessum ipse locus cum omni integritate vel re amelioratâ vel supraposito partibus nostris vel ipsius Basilicæ revertatur. (Form. Sirm. 34, Baluz. T. 2, p. 488.)
[72] Mandat enim (Carolus calvus) ut recordemini Dei et vestræ christianitatis, et condoleatis atque compatiamini huc sanctæ ecclesiæ quæ à vobis et ab illis miserabiliter est oppressa et deprædata, et quæ crudeliter ex alterâ parte persequitur à paganis. (Cop. Baluz. T. 2, p. 85.) Lupus, abbé de Ferrières, écrivoit en 844, que Charles-le-Chauve vouloit le chasser de son abbaye pour la donner à Egilbert. Dans d’autres lettres le même abbé se plaint amèrement de ce qu’on enlevoit des terres à son monastère. (Dom Bouquet, T. 7, p. 488.)
Je n’ajouterai qu’une charte de Charles-le-Chauve, citée par Ducange, dans son glossaire au mot vassus, article vassallus indominicatus. Concedimus ibidem auctoritate regiâ omnes res ejusdem ecclesiæ, quæ quondam fuerunt ab eâ abstractæ, et quas modo nostri indominicati vassalli tenent, ut quia ipsi nobis secum dimicaverunt fideliter, in vita sua tantùm, consensu ejusdem supradicti episcopi eos teneant.
CHAPITRE V.
[73] Si vos adhuc talem causam postulare volueritis quæ ad suum honorem et ad vestrum profectum pertineat, paratus est etiam in hoc secundùm vestram petitionem facere juxtà consilium fidelium suorum.... Quoniam si omnes converti ad alium volueritis, paratus est vos omnes secundùm sanctæ ecclesiæ utilitatem et suum honorem et vestrum communem profectum recipere et salvare et honorabiles semper habere, et nulli unquam imputare, in quantùm ad se pertinet, quidquid negligenter factum habetis de ejus servitio, aut in istâ causâ contrà illum egistis... Et si aliqua pars ex vobis ad ejus senioratum et ad ejus fidelitatem reverti voluerit, similiter est paratus eos benignè recipere, et ergà illos omnimodò adimplere quæ superiùs scripta sunt. (Cap. au. 856. Baluz. T. 2, p. 85 et 86.)
Rogavit fideles suos ut sine ullâ malâ suspicione de illius iracundiâ aut animi commotione communiter quærant et inveniant; atque describant hoc quod ille secundùm suum ministerium facere debet, et quæ facere illum non condeceant. Et ubicumque inventum fuerit quod fecit, quod facere non debuit, paratus est ut cum Dei adjutorio et fidelium suorum consilio hoc, quàm citiùs cum ratione et possibilitate emendare potuerit, emendet, et in ante corrigat et correcta custodiat. Et quod facere debuit quod ad salutem et honestatem illius pertinuit, et aliquid minùs fecit, hoc cum Dei adjutorio et fidelium suorum consilio et auxilio facere, quàm citiùs cum ratione et possibilitate potuerit, faciat. (Ibid. art. 8.)
Quantùm sciero et potuero, Domino adjuvante; absque ullà dolositate, et consilio et auxilio secundùm meum ministerium et secundùm meam personam fidelis vobis adjutor ero, ut illam potestatem quam in regio nomine et regno vobis Deus concessit, ad ipsius voluntatem et ad vestram ac fidelium vestrorum salvationem cum debito et honore et vigore tenere et gubernare possitis, et pro ullo homine non me indè retraham, quantùm Deus mihi intellectum et possibilitatem donaverit. Et ego (Carolus) quantùm sciero et rationabiliter potuero, domino adjuvante, unumquemque vestrùm secundùm suum ordinem et personam honorabo, et honoratum ac salvatum absque ullo dolo ac damnatione, vel deceptione conservabo, et unicuique competentem legem et justitiam conservabo, sicut fidelis rex suos fideles per rectum honorare et salvare et unicuique competentem legem et justitiam in unoquoque ordine conservare et indigentibus et rationabiliter petentibus rationabilem misericordiam debet impendere. Et pro nullo homine ab hoc, quantùm dimittit humana fragilitas, per studium aut malevolentiam, vel alicujus indebitum hortamentum deviabo, quantùm mihi Deus intellectum et possibilitatem donaverit. Et si per fragilitatem contrà hoc mihi subreptum fuerit, cum hoc recognovero, voluntariè illud emendare curabo. (Capit. an. 858, Baluz. T. 2, p. 99.)
Cette pièce est une des plus importantes du règne de Charles-le-Chauve, qui soient parvenues jusqu’à nous. Ce serment réciproque devint le seul lien politique entre les Français, et servit d’unique base au droit public que nos pères connurent tant que dura le gouvernement féodal. Je prie le lecteur de faire une attention particulière à ce capitulaire.
[74] Volumus ut cujuscumque nostrûm homo, in cujuscumque regno sit, cum seniore suo in hostem (les guerres privées que se faisoient les seigneurs) vel aliis suis utilitatibus pergat, nisi talis regni invasio quam Lanteveri dicunt, quod absit, acciderit, ut omnis populus illius regni ad eam repellendam communiter pergat. (Capit. an. 847, ad Marsnam, art. 1, Baluz. T. 2, p. 44.)
[75] En 815 Louis-le-Débonnaire accorda à un seigneur nommé Jean et à ses descendans, un bénéfice considérable dans la comté de Narbonne; omnia per nostrum donitum habeant ille et filii sui et posteritas illorum. (Dom Bouquet, T. 6. p. 472.) Dans le même volume, p. 574, pareille donation faite en 832 à Aginulfus p. 581; à Adalbertus en 832, p. 611; à Sulbertus en 836, p. 628; à Eccarius en 839. Voyez encore les pages 646, 647, 648, etc. Un si grand nombre de chartes de cette nature conservées jusqu’à nos jours, prouve que Louis-le-Débonnaire consentoit aisément à rendre ses bénéfices héréditaires.
Si aliquis ex fidelibus nostris post obitum nostrum, Dei et nostro amore cumpunctus, sæculo renuntiare voluerit et filium vel talem propinquum habuerit qui reipublicæ prodesse valeat, suos honores, prout meliùs voluerit, ei valeat placitare. (Cap. an. 877, art, 10, Baluz. T. 2, p. 259.) Dom Bouquet, dans sa collection des historiens de France, T. 8. a publié un très-grand nombre de chartes de Charles-le-Chauve, par lesquelles ce prince confère des bénéfices avec droit d’hérédité. Quand il publia ce capitulaire, il y a grande apparence qu’il ne lui restoit que fort peu de bénéfices dont il fût le maître de disposer. On pourroit même penser que par le mot honores de l’article qu’on vient de lire, il ne faut pas moins entendre les comtés que les simples bénéfices.
[76] Si comes de isto regno obierit, cujus filius nobiscum sit, filius noster cum cæteris fidelibus nostris ordinet de his qui eidem comiti plùs familiares propinquiores fuerunt, qui cum ministerialibus, ipsius comitatûs, et cum episcopo in cujus parochiâ fuerit ipse comitatus, ipsum comitatum prævideant usquedùm nobis renuncietur, ut filium illius qui nobiscum erit de honoribus illius honoremus. Si autem filium parvulum habuerit, iisdem filius ejus cum ministerialibus ipsius comitatus, et cum episcopo in cujus parochiâ consistit, eumdem comitatum prævideant donec obitus præfati comitis ad notitiam perveniat, et ipse filius ejus per nostram concessionem de illius honoribus honoretur. (Capit. an. 877, art. 3, Baluz. T. 2, p. 269.) Il paroît par cet article que Charles-le-Chauve s’étoit seulement réservé le droit de donner l’investiture des comtés à l’héritier. Les rois ses successeurs ne jouirent pas long-temps de cet avantage; du moins il n’en étoit plus question, quand Hugues-Capet parvint à la couronne.
Parmi les chartes de Louis-le-Débonnaire, que Dom Bouquet a fait imprimer, la 21me. intitulée: Securitas, et qui se trouve, T. 6, p. 643, prouve que les comtes commençoient à s’arroger le droit de conférer les bénéfices du roi, situés dans l’étendue de leur province ou comté, et que les pourvus demandoient seulement la confirmation du prince.
Dans le diplome que Louis-le-Débonnaire donna en 815 aux Espagnols qui s’étoient retirés sur les terres de sa domination, pour éviter les mauvais traitemens des Sarrasins, on lit: Noverint tamen iidem Hispani sibi licentiam à nobis esse concessam, ut se in vassalicum comitibus nostris more solito commendent. Et si beneficium aliquod quisquam eorum ab eo, cui se commendavit, fuerit consecutus, sciat se de illo tale obsequium seniori suo exhibere debere, quale nostrales homines de simili beneficio senioribus suis exhibere solent. (Art. 6, Baluz. T. 1, p. 549.) L’expression more solito, fait conjecturer que Charlemagne avoit déjà permis aux comtes, pour leur donner plus d’autorité et de considération, de conférer des bénéfices royaux. Sans doute que cette permission ne fut accordée qu’aux comtes des provinces les plus éloignées, et qu’ils ne disposoient que des bénéfices les moins importans. C’est de-là que naquit l’abus dont les progrès durent être très-rapides pendant le cours des désordres qui agitèrent les règnes de Louis-le-Débonnaire et de ses fils.
[77] Episcopi, singuli in suo episcopio, missatici nostri potestate et auctoritate fungantur. (Cap. an. 846, art. 12.)
[78] Si on a lu mes remarques avec quelque attention, on y aura trouvé mille passages qui prouvent que la jurisprudence des appels fut pratiquée par les Français sous les Mérovingiens et les premiers Carlovingiens. Voyez Hincmar de Ord. Pal. Il est certain, d’un autre côté, que toutes les justices dans le royaume étoient souveraines, quand Hugues Capet monta sur le trône; j’en donnerai des preuves dans le livre suivant: il faut donc que cette révolution soit arrivée sous les derniers princes de la seconde race.
[79] Sous la première race on ne connoissoit que deux sortes de biens, les bénéfices dont j’ai assez parlé dans le cours de mon ouvrage, et les alleux qu’on distinguoit en propres et en acquêts. On me permettra de m’étendre sur cette matière. Par acquêts on entendoit ce que nous entendons encore aujourd’hui, c’est-à-dire, des biens que le propriétaire avoit acquis; et par propres, les biens qu’on tenoit de ses pères; on les appeloit aussi terres saliques. De terrâ verò salicâ, nulla portio hæreditatis mulieri veniat, sed ad virilem sexum tota terræ hæreditas perveniat. (Leg. Sal. Tit. 6.) Pour connoître ce que la loi des Français saliens appelle terre salique, il suffit d’ouvrir la loi ripuaire; on y lit, Tit. 56: dum virilis sexus extiterit, fœmina in hæreditatem aviaticam non succedat. Cette loi contient visiblement la même disposition que la loi salique; et j’en conclus que ce que l’une appelle hæreditatem aviaticam, des biens dont on a hérité de ses pères, l’autre le nomme terre salique.
J’appuie mon observation par une des formules anciennes que le célèbre J. Bignon a recueillies et mises à la suite de celle de Marculfe: Dulcissimæ atque in omnibus amantissimæ filiæ meæ illi, ego vir magnificus ille, omnibus non habetur incognitum quod sicut lex Salica continet de rebus meis, de eo quod mihi ex Allode parentum meorum obvenit, apud germanos tuos, filios meos, minimè in hæreditate succedere poteras. Proptereà mihi præpatuit plenissima et integra voluntas, ut hanc epistolam hæreditariam in te fieri, et adfirmare rogarem, ut si mihi in hoc sæculo superstes apparueris, in omnes res meas, tam ex Alode parentum meorum, quàm ex meo contractu mihi obvenit, &c. (Form. 49.)
Ce n’est pas tout, je placerai encore ici une formule de Marculfe même. Diuturna sed impia inter nos consuetudo tenetur, ut de terrâ paternâ sorores cum fratribus portionem non habeant sed ego perpendens hanc impietatem, sicut mihi à Domino æqualiter donati estis, ità et à me sitis æqualiter diligendi, et de rebus meis post meum discessum æqualiter gratulamini, ideò que per hanc epistolam, te, dulcissima filia mea, contrà germanos tuos, filios meos illos in omni hæreditate meâ, æqualem et legitimam esse constituo hæredem, ut tam de Alode paternâ, quàm de comparato, vel mancipiis, aut præsidio nostro, vel quodcumque morientes reliquerimus æquâ lance cum filiis meis, germanis tuis, dividere vel exequare debeas, &c. (F. 12. L. 1.)
Ce seroit trop me défier des lumières de mes lecteurs, que de m’étendre en raisonnemens, pour faire voir que ces deux formules nous apprennent que les terres saliques n’étoient que des propres, et que les pères pouvoient par un acte particulier, déroger à la coutume ou à la loi qui rendoient les femmes inhabiles à cette succession. Que deviennent donc tous les systèmes de plusieurs de nos historiens et de nos jurisconsultes sur la nature des terres saliques? Tout le monde se fait un systême de l’histoire de France, pour s’épargner la peine de l’étudier. Mais je rentre dans mon sujet.
Sous les successeurs de Charles-le-Chauve, toutes les possessions furent distinguées en biens roturiers et en terres seigneuriales. Les terres roturières furent celles sur lesquelles les seigneurs établirent des redevances, des contributions, des corvées. Les terres seigneuriales furent appelées fiefs, quand le propriétaire, en vertu de sa possession, étoit obligé de prêter hommage à un autre seigneur; ainsi la Normandie, par exemple, étoit un fief, parce que son duc prêtoit hommage au roi de France. Les terres seigneuriales étoient appelées alleux, quand le propriétaire, ne prêtant hommage à aucun seigneur, ne relevoit que de Dieu et de son épée; c’est-à-dire, ne reconnoissoit sur terre aucun suzerain ou supérieur par rapport à sa possession: ainsi la seigneurie de Hugues-Capet, comme roi de France, étoit un alleu.
Il y eut dans l’étendue du royaume de France, plusieurs seigneuries qui furent des alleux. Dictus enim episcopus et successores sui vivarienses episcopi qui pro tempore fuerint, jurare debebunt se esse fideles de personis et terris suis nobis et successoribus nostris regibus Franciæ; licet terram suam à nemine tenere, sed eam habere Allodialem noscantur. (Tract. Inter Phib. Pulc. et Episc. Vivar. art. 2.) Ce traité, qui est du 2 janv. 1307, se trouve dans le recueil des ordonnances des rois de France, commencé par de Laurière, et continué par Secousse, (T. 7, p. 7.) Je désignerai désormais ce recueil par ordonnances du Louvre.
[80] Cette juridiction étoit ancienne, j’en tire la preuve d’un capitulaire de 779. Si vassus noster justitias non fecerit, déni de justice, tunc et comes et missus ad ipsius casam sedeant et de suo vivant quòusque justitiam faciat. (Art. 11.) Cette juridiction subsistoit encore du temps de Charles-le-Chauve et de son petit-fils Carloman; on verra par les passages suivans en quoi elle consistoit.
Mandet comes vel publicæ rei minister episcopo, vel abbati, vel illi quicumque locum episcopi, vel abbatis, vel abbatissæ tenuerit, vel potentis hominis in cujus potestatem vel proprietatem confugerit (reus) ut reddat ei reum. Si ille contradixerit et eum reddere noluerit, in primâ contradictione, solidis 15 culpabilis judicetur; si ad secundàm inquisitionem eum reddere noluerit, 30 solidis culpabilis judicetur.... Ipse comes veniens licentiam habeat ipsum hominem intrà immunitatem quærendi, ubicumque eum invenire potuerit... Si verò intranti in ipsam immunitatem vel in cujuslibet hominis potestatem vel proprietatem comiti collectâ manu quislibet resistere tentaverit, comes hoc ad regem vel principem deferat... Ità qui comiti collectâ manu resistere præsumpserit, sexcentis solidis culpabilis judicetur. (Cap. Pist. an. 864. art. 18.) De nostris quoque dominicis vassallis jubemus, ut si aliquis prædas egerit, comes in cujus potestate fuerit, ad emendationem eum vocet. Qui si comitem aut missum illius audire noluerit, per forciam illud emendare cogatur. (Cap. an. 882.)
CHAPITRE VI.
[81] Boson, beau-frère de Charles-le-Chauve et gendre de l’empereur Louis II, fut plus ambitieux que les autres seigneurs. Ne se contentant pas d’usurper tous les droits de la souveraineté dans son gouvernement ou comté d’Arles, il voulut porter le titre de roi de Provence. Cette première usurpation devint un exemple contagieux. Rodolphe s’établit dans la Bourgogne Transjurane, c’est-à-dire, au-delà du Mont-Jura, et donna naissance à un second royaume de Bourgogne, qui fut bientôt considérable par l’union du royaume d’Arles ou de Provence. Ce sont les provinces que ces princes ont occupées, qu’on a appelées le pays de l’Empire dans les Gaules, et qui relevèrent des successeurs de Louis-le-Germanique, et non de ceux de Charles-le-Chauve.
Arnould, fils naturel de l’empereur Carloman, et que la tache de sa naissance excluoit du trône; Si verò absque legitimis liberis, aliquis eorum (les fils de Louis-le-Débonnaire) decesserit, potestas illius ad seniorem fratrem revertatur, et si contigerit illum habere liberos ex concubinis, monemus ut ergà illos misericorditer agat. (Chart. divis. Imp. Lud. Pii, art. 5.) Arnould, dis-je, usurpa le royaume de Germanie, qu’il laissa à son fils Louis IV; et ce prince eut pour successeur Conrad I, duc de Franconie, que les Allemands élurent pour roi. En Italie, plusieurs seigneurs se disputèrent le titre d’empereur et de roi, jusqu’à ce que les rois de Germanie y firent reconnoître leur autorité, et furent couronnés empereurs.
[82] Personne n’ignore à quel prix Charles-le-Chauve acheta l’empire, après la mort de Louis II, son neveu. Voyez l’acte de son couronnement à Pavie. La donation de Constantin passoit alors pour une pièce authentique; on croyoit de bonne foi que Rome appartenoit aux apôtres S. Pierre et S. Paul, et que le pape, revêtu de leurs pleins pouvoirs, étoit l’organe de leur volonté. Le pape qui avoit été si petit avant le règne de Pepin, et qui, après avoir couronné Charlemagne, le salua comme son maître, croyoit actuellement, en nommant un empereur, ne donner qu’une espèce de vidame ou d’avoué à son église.
Pontifici consultissimum visum Ottonem sibi defensorem adsciscere eodem ferè, quo anteà Carolum jure; et quidem ut deinceps protectio illa sedis romanæ regno Germaniæ ità conjuncta foret ut qui eo regno potiretur, ad hanc quoque statim jus nancisceretur. (Sev. de Monsanbano, de Stat. Imp. Germ. L. 1, § 13.) Tout le monde sait que cet ouvrage publié sous le nom de Severin de Monsanbano, est du célèbre Puffendorf.
[83] Ut nemo suo pari suum regnum aut suos fideles, vel quod ad salutem sive prosperitatem ac honorem regium pertinet, discupiat. (Pact. inter Car. Cal. et ejus fratres, art. 2.) Ut unusquisque fideliter suum parem, ubicumque necessitas illi fuerit, aut ipse potuerit, aut per se, aut per filium, aut per fideles suos, et consilio et auxilio adjuvet. (Ibid. art. 3.)
[84] Philippe-Auguste possédant un fief qui relevoit de l’évêque d’Amiens, passa un acte avec ce prélat, dans lequel il est dit: Voluit hæc ecclesia et benignè concessit ut fœodum suum absque faciendo hominio teneremus, cum utique nemini facere debeamus vel possimus. De ces dernières paroles, Brussel conclut, dans son traité, de l’usage des fiefs, p. 152, que le roi ne prêtoit jamais hommage à aucun seigneur. Mais si ces paroles, cum utique nemini facere debeamus vel possimus, sont une preuve de la proposition de Brussel, pourquoi Philippe-Auguste, si jaloux de ses droits, et si habile à les étendre, regarde-t-il l’exemption de faire hommage à l’évêque d’Amiens, comme une grâce? C’est ce que signifie benigne concessit. Pourquoi traite-t-il avec ce prélat? Pourquoi se rachete-t-il d’un hommage qu’il ne doit pas, en consentant de ne plus jouir chez cet évêque du droit de gîte?
Brussel, fort savant dans nos antiquités, et dont l’ouvrage est plein de recherches très-curieuses et très-instructives, savoit mieux que moi, qu’il ne faut lire nos anciennes chartes qu’avec une extrême précaution. On doit souvent s’arrêter plutôt à l’esprit général d’une pièce, qu’à quelques expressions particulières qu’on y a glissées avec art. L’évêque d’Amiens aura regardé comme une petite vanité dans Philippe-Auguste, de dire qu’il ne devoit ni ne pouvoit faire hommage à personne; il lui aura permis d’insérer cette prétention dans son acte, parce qu’elle ne portoit aucun préjudice aux droits de l’église d’Amiens, et que le prince n’en avoit pas moins été obligé de se racheter de la prestation de l’hommage, en renonçant à son droit de gîte.
Brussel rapporte dans son ouvrage un autre acte du même prince, avec l’évêque de Térouenne. Noverint universi quod Lambertus, Morinensis episcopus, nos et successores nostros absolvit et in perpetuùm quitos dimisit ab hommagio quod sibi facere debeamus de Feodo Hesdin. Pourquoi Philippe-Auguste apprendroit-il à tout le monde, noverint universi, que l’évêque de Térouenne l’a exempte de l’hommage, si c’eût été un droit du roi de n’en point prêter? Il reconnoît dans cette charte, qu’il devoit l’hommage pour le fief d’Hesdin: il avoit donc tort, en traitant avec l’évêque d’Amiens, de dire qu’il ne devoit ni ne pouvoit faire hommage à personne. Il y a apparence que l’évêque de Térouenne étoit plus exact et moins complaisant que l’évêque d’Amiens.
Je suis d’autant plus surpris de cette méprise de Brussel, qu’il remarque avec raison, p. 154, que quand le roi possédoit quelque terre relevante d’un seigneur, il étoit obligé d’en faire acquitter les services et les charges par un gentilhomme, sous peine de confiscation. Dans un temps postérieur à Philippe-Auguste, et où le gouvernement féodal touchoit à sa ruine, Louis Hutin lui-même convenoit avec les gentilshommes de Champagne, qu’il n’acquerroit aucune possession dans les terres de ses barons sans leur consentement; et que, quant aux fiefs qui lui écherront, ou par confiscation, ou par succession, dans les hautes-justices des seigneurs, il les fera desservir, ou en payera l’indemnité. (Ordon. du Louvre, ordon. de Mai 1315, rendues à la requête des nobles du comté de Champagne, t. 1, p. 573.) Brussel rapporte, p. 156, que le roi Charles VII, en 1439 et 1442, prêta hommage, par procureur, à l’évêque de Beauvais et à l’abbé de S. Denis.
[85] Hugues-Capet étoit duc de France, c’est-à-dire, de la province appelée aujourd’hui l’isle de France, comte de Paris et d’Orléans. Son frère étoit duc de Bourgogne. Il avoit une sœur mariée à Richard, duc de Normandie.
[86] Les raisons que je rapporte dans le corps de mon ouvrage, pour prouver qu’il ne put point y avoir d’assemblée de la nation qui déférât la couronne à Hugues-Capet, me paroissent former, dans le genre historique, une démonstration à laquelle on ne peut rien répondre. Cependant, je rapporterai dans cette remarque, tout ce qu’on trouve dans nos anciennes chroniques, au sujet de l’avénement de Hugues-Capet au trône.
Ludovicus, Francorum rex, obiit eodem anno (987); Hugo Dux, rex Francorum est elevatus Noviomi. (Ex chron. Floriacensi.) In primario flore juventutis obiit (Ludovicus) in quo deficit generatio regum ex familia Caroli Magni, et succedit ex aliâ familiâ Hugo rex. (Ex chron. Virdunensi.)
Ludovico, Francorum rege, mortuo, Francis regnum transferre volentibus ad Karolum ducem fratrem Lotharii regis, dum ille rem ad consilium defert, regnum Francorum usurpat Hugo, filius Hugonis. (Ex chron. Sigiberti.) Eodem anno rebellavit contra Karolum, dux Francorum Hugo, eo quòd accepisset Karolus filiam (Agnetem) Herberti comitis Trecarum. Collecto igitur Hugo exercitu copioso valdè, obsedit Laudunum ubi commanebat Karolus cum conjuge suâ. (Ex Chron. Hug. Floriacensis Mon.) Regnum pro eo accipere voluit patruus ejus Karolus, sed nequivit; quia Deus judicio suo meliorem eligit. Nam episcopus Ascelinus montis Laudunensis urbis hebdomadâ ante Pascha post convivium in lecto quiescentem cum dolo cepit, et consensu plurimorum Hugo dux in regem elevatus est. (Ex chron. Odoranni.) Après avoir lu ces trois autorités, que doit-on conclure d’un fragment imprimé par Dom Bouquet, T. 8, p. 307; il y est dit: eodem anno, id est, 987. Franci assumentes Hugonem memoratum ducem, Noviomo illum sublimant in regni Solio. Traduire Franci par assemblée de la nation, ne seroit-ce pas vouloir se tromper?
Je conviens que Hugues-Capet assembla à Noyon, ses amis et ses parens, dont il forma une assemblée; mais le duc Charles avoit aussi rassemblé ses partisans d’un autre côté. Ces assemblées n’étoient point légales, c’étoient des conventicules qui ne représentoient en aucune manière la nation. Immatura adolescens (Ludovicus) præventus morte, destitutum proprio hærede, Francorum dereliquit regnum. Sanè patruus ejus Carolus conabatur, si posset, à sui generis authoribus diù possessum sibi vendicare regnum sed ejus voluntas nullum sortitur effectum. Nam Franci primates, eo relicto, ad Hugonem qui ducatum Franciæ strenuè tunc gubernabat, magni illius Hugonis filium, se convertentes, Noviomo civitate Solio sublimant regio. (Ex chron. S. Benigni Divion.)
Par Franci primates, il ne faut entendre que les partisans de Hugues-Capet, les principaux seigneurs du duché de France, et non pas de la nation française. En effet, il est impossible de citer quelque passage de nos anciens monumens, d’où l’on puisse inférer que les vassaux immédiats de la couronne, les seuls qui eussent alors quelque droit d’en disposer, se soient trouvés à Noyon, pour élever Hugues-Capet sur le trône. La chose est même démontrée impossible par le peu de temps qui s’écoula entre la mort de Louis V et le couronnement de Hugues-Capet. L’un mourut le 21 Mai de l’an 987; et l’autre, d’abord reconnu pour roi à Noyon, fut sacré à Rheims, le 3 Juillet de la même année. Remarquez encore que depuis que les peuples de chaque province avoient leurs souverains particuliers, on commençoit à ne les plus appeler que du nom particulier et distinctif de leurs pays. Burgundiones, Aquitani, Britanni, Normanni, &c. On ne donnoit le nom de Franci qu’aux habitans du duché de France.
Je ne citerai plus qu’un fragment imprimé par Dom Bouquet, t. 8, p. 299, car, je ne veux pas abuser de la patience de mes lecteurs. Patruus autem ipsius Carolus quem privatum senuisse suprà prælibavimus, paternum volens obtinere regnum, incassùm laborabat. Nam ejus voluntas nullum habuit effectum. Eo enim spreto, Francorum primates communi consensu Hugonem qui tunc ducatum Franciæ strenuè gubernabat, Magni Hugonis filium, cujus jam mentio facta est, Noviomo sublimant regio solio, eodem anno quo Ludovicus adolescens obiit. Les mots communi consensu de ce passage, prouvent bien qu’il ne faut entendre par Francorum primates, que les seigneurs les plus considérables du duché de France; car, il est certain que le duc Charles avoit dans le royaume plusieurs amis puissans, qui, bien loin de reconnoître la nouvelle dignité de Hugues-Capet, lui firent la guerre avec chaleur. Les chroniques de S. Denis parlent de cette révolution, comme d’un événement, dont la violence et la force décidèrent.
Fin des remarques du livre second.
REMARQUES ET PREUVES
DES
Observations sur l’histoire de France.
LIVRE TROISIÈME.
CHAPITRE PREMIER.
[87] Sache bien ke selon Diex ke tu n’as mie plenière poote seur ton vilain. Donc se tu prens du sien fors les droites redevances ki te doit, tu le prens contre Diex et seur le péril de t’ame et come Robierres, et ce kon dit, toutes les coses que vilain a sont son seigneur, c’est voirs à garder. Car, s’ils étoient son seigneur propre, il n’avoit nule différence entre serf et vilain. Mais par nostre usage n’a entre toi et ton vilain juge fors Diex tant com il est tes coukans et tes levans s’il n’a autre loi vers toi fors la coutume. Pierre-de-Fontaine, (C. 21, §. 8.)
[88] Placuit mihi ut statum ingenuitatis meæ in vestrum deberem obnoxiare servitium, quod ità feci, undè accepi à te prætium in quod mihi benè complacuit, solidos tantos, ità ut ab hodiernâ die quidquid de me servo tuo, sicut et de reliquâ mancipiâ tuâ, facere volueris, à die præsente liberam et firmissimam in omnibus habeas potestatem. (Cap. Baluz. T. 2, p. 474.)
Beaumanoir, (Coutumes de Beauvoisis, chap. 45), en rapportant les causes qui avoient si fort multiplié les serfs dans le royaume, dit que plusieurs hommes libres s’étoient vendus eux et leurs hoirs, soit par misère, soit pour avoir la protection d’un maître contre leurs ennemis: il ajoute que quand les seigneurs convoquoient autrefois leurs sujets pour la guerre, ils leur ordonnoient de se rendre au Ban, sous peine de servitude pour eux et leurs descendans. Il dit encore que des hommes libres s’étant engagés par dévotion, pour eux et pour leur postérité, à rendre de certains services ou à payer de certaines redevances à une église ou à un monastère, on oublia l’origine de cette sujétion, et qu’enfin, on la regarda comme la preuve d’une véritable servitude.
[89] Burgensis, Burgi incola, bourgeois. C’est le nom qu’on donnoit aux hommes libres qui habitoient les villes. Je me sers ici de cette expression, quoique les bourgeoisies ne fussent pas encore établies du temps de Hugues-Capet; je parlerai dans le dernier chapitre de ce livre, de l’établissement des bourgeoisies, ou des communes, qui ne remonte pas plus haut que le règne de Louis-le-Gros. De villa, on appeloit villanus en latin, et vilain en français, un homme libre domicilié à la campagne.
[90] Cela est démontré par l’accord dont les évêques et les seigneurs convinrent sous le règne de Philippe-Auguste, pour arrêter les fraudes des hommes libres, qui, par des donations ou des ventes simulées, s’affranchissoient de toute charge, en mettant tout leur bien sur la tête de quelque clerc qui n’étoit qu’un prête-nom. Quod nullus burgensis vel villanus potest filio suo clerico medietatem terræ suæ, vel plus quàm medietatem donare si habuerit filium vel filios. Et si dederit ei partem terræ citrà mediam, clericus debet reddere tale servitium et auxilium quale terra debebat dominis quibus debebatur; sed non poterit talliari nisi fuerit usurarius vel mercator; et post decessum suum terra redibit ad proximos parentes, et nullus clericus potest emere terram quin reddat domino tale servitium quale terra debet. (Capit. Philip. Aug. art. 4.)
[91] «Quand li seigneur voit que ses homs, de cors devient clercs, qu’il traie à l’évesque, et que il le requerre que il ne li fache pas couronne; et se il l’a fete que il l’oste, et li évesque i est tenus, mes que il en soit requis, avant que il ait greigneur ordre que de clerc et se il atant tant que il ait greigneur ordre, li clerc demeure en estat de franchise.» (Beaum. C. 45.) Cet usage étoit connu sous la seconde race. Ut nullus episcopus ad clericatus officium servum alterius sine domini sui voluntate promovere præsumat. (Capit. an. incerti, art. 24. Baluz. T. 1, p. 155.)
[92] «Servitude vient de par les meres, car tuit li enfant que chele porte qui est serve sont serf. Tout soit il ainssint que li peres soit frans homs; neis se li peres estoit chevaliers, et il épousoit une serve si seroient tuit li enfant serf que il avoit de li. (Beaum. C. 45.)
Se uns hom de grand lignaige prenoit la fille à un vilain à fame, ses enfans porroient bien estre chevaliers par droit. Se aucuns homs estoit chevalier, et ne fust pas gentishome de parage, tant le fust-il de par sa mere, se ne le pourroit-il estre par droit.» (Estab. de S. Louis, L. 1, chap. 128.) On voit par ce passage que les mésalliances ne sont pas une chose nouvelle parmi nous, et qu’elles ne portoient aucun préjudice à la famille d’un gentilhomme.
«Quant la mere est gentil femme, et pere ne l’est pas, li enfant si ne pueent estre chevaliers, et ne pourquant li enfant ne perdent pas l’estat de gentillesce dou tout, ainchois sont de mené comme gentilhomme dou fet de leur cors.» (Beaum. C. 45.) Si ce gentilhomme par mère, avoit des enfans, il n’y a aucune difficulté qu’ils ne pussent être armés chevaliers par droit, puisqu’ils étoient gentilshommes de parage. On appeloit gentilhomme de parage, celui dont le père étoit noble. Je prie de remarquer ces anoblissemens connus sous les premiers Capétiens, et qui n’étoient qu’une suite des coutumes de la première et de la seconde race. Après de pareilles autorités, comment le comte de Boulainvilliers et quelques autres écrivains ont-ils pu avancer que les roturiers ne commencèrent à être anoblis que sous le règne de Philippe-le-Bel? Il est vrai que ce prince fut le premier qui donna des lettres de noblesse, telles qu’on les donne aujourd’hui; mais il ne faut pas en conclure que les anoblissemens fussent inconnus avant lui. Je vais ajouter ici les autorités qui prouvent que la possession d’un fief ou d’une terre noble donnoit la noblesse.
«Se aucuns home coustumier conquéroit, ou achetoit chose qui fust à mettre homage, ou il porchasse envers son seigneur comment il le mette en foy ou en homage en tous ses héritages, ou en partie, en tele foy, comme est la chose qui seroit pourchaciée, si auroit autant li uns comme li autres, fors li aisné qui seroit la, li auroit la moitié selon la grandeur de la chose, et pour faire la foy, et pour gerir les autres en parage, et tout ainsi départira toujours mes jusques en la tierce foy, et d’ileques en avant si aura l’aisné les deux parties, et se départira toujours mes gentiment.» (Estab. de S. Louis, l. 1, chap. 141.) Les fils d’un roturier partageoient également entre eux la succession de leur père. On voit par ce passage, que le fils aîné d’un roturier anobli par la possession d’un fief, commençoit par avoir la moitié de la succession de son père, et que ses frères partageoient entre eux l’autre moitié. Les enfans de ce fils aîné suivoient encore la même règle dans le partage du bien de leur père; mais ces enfans se trouvant à la tierce foi, c’est-à-dire, étant les troisièmes de leur famille, qui rendoient successivement la foi et hommage pour le fief que leur grand-père avoit acquis, leur succession se partageoit gentiment, et le fils aîné, au lieu de la moitié, avoit les deux tiers de la succession.
«Se li homs de poote maint en franc-fief, il est demenés comme gentishoms, comme de ajournemens et de commandemens, et peut user des franchises dou fief. (Beaum. C. 30.) La franchise des personnes ne afranchit pas les hiretages vilains, mais li franc-fief franchissent le personne qui est de poote, en tant comme il i est couchans et levans, il use de la franchise du fief.» (Ibid. C. 48.) On ne doit pas être surpris du privilége que les fiefs avoient d’anoblir, après ce que j’ai dit des seigneurs dans le premier livre de cet ouvrage; elles devinrent le seul titre de distinction entre les familles; et cet usage s’accrédita tellement chez les Français, que malgré les efforts qu’ont faits les rois pour s’attribuer à eux seuls le privilége d’anoblir, ce n’est qu’en 1579 que la possession d’un fief n’a plus été un titre de noblesse. (Voyez l’ordonnance de Blois de 1579.)
Ce que dit Beaumanoir, «que la franchise des personnes ne afranchit pas les hiretages vilains,» ne détruit pas ma conjecture, que sous le règne de Hugues-Capet, la noblesse des personnes passoit aux possessions, c’est-à-dire, que les possessions roturières d’un gentilhomme n’étoient sujettes à aucune redevance, ni à aucune corvée. Beaumanoir parle de ce qui se pratiquoit sous S. Louis et Philippe-le-Hardi, et moi, de ce qui se passoit sous Hugues-Capet. Quand Beaumanoir écrivoit, il est certain que les seigneurs avoient déjà beaucoup restreint les priviléges des gentilshommes et des clercs. L’accord fait entre les évêques et les seigneurs, sous le règne de Philippe-Auguste, et que j’ai rapporté dans la remarque 90 de ce chapitre, en est une preuve certaine. Il est dit dans cet acte qu’un bourgeois et un vilain ne pourront point faire passer leur bien sur la tête d’un clerc, pour s’exempter des redevances dues au seigneur. Si les gentilshommes n’avoient pas alors possédé leurs biens roturiers en toute franchise, ils n’auroient pas, sans doute, manqué de faire la même fraude que les roturiers, et on n’auroit certainement pas négligé d’y remédier.
[93] «Nus gentishom ne rend coustumes ni peages de riens qu’il achate ne qu’il vende, se il n’achate pour revendre et pour guaigner. (Estab. de S. Louis, L. 1, C. 58.) Se gentilhomme avoit meson qui lui fust encheoite en sa terre le roy ou en chastel à baron, qui soit taillable, en quelque manière que li gentil l’ait, soit d’eritaige ou d’écheoite, ou d’autre chose elle est taillable, se il i fet estage pour lui, pourcoi il la tiegne en sa main, elle ne sera pas taillable: me se il l’avoit louée ou affermée à home coustumier, il ne le porroit pas garantir de taille. (Ibid. L. 1, C. 93.)
«Voirs est que clers ne gentiex homs, ne doivent point de travers des choses que il achatent pour leur user, ne de choses que il vendent qui soit creué en leur hiretage, me se ils achatent pour revendre si comme autres marcheans, il convenroit que les denrées s’aquitassent dou travers et des chaussiés et des tonlieus en la maniere que les denrées as marchans s’aquitent, et che que je ai dit des travers je entends de toutes manieres des peages et de tonlieus. (Beauma. C. 30.) Se gentilshoms tient vilenage, et il meffet de ce qui appartient à vilenage, les amendes sont dau tele condition comme se il estoit hons de poote. De tous autres cas il est demenés ainsint comme hons de poote seroit, excepté le fet de son cors, car se il fesoit aucun meffet de son cors, il seroit selon la loi des gentilshommes.» (Ibid.)
CHAPITRE II.
[94] Commençant à parler des droits et des devoirs respectifs des seigneurs, je ferai ici une observation préliminaire, et bien importante. La plupart des écrivains qui ont traité du gouvernement féodal, ont rassemblé pêle-mêle tout ce qu’ils ont trouvé dans nos anciens monumens qui pouvoit y être relatif, sans chercher à distinguer les différentes époques de la naissance de chaque coutume. Il n’étoit pas difficile cependant de se douter que plusieurs de nos coutumes n’ont pu subsister ensemble. Ce soupçon, si on l’avoit eu, auroit servi de fil dans le labyrinthe obscur de nos antiquités. Les établissemens de S. Louis nous parlent de plusieurs coutumes dont l’origine remonte visiblement jusqu’au temps où Charles Martel établit ses bénéfices, et qui, quoique affoiblies et altérées, subsistoient encore dans le troisième siècle. Mais ils contiennent aussi plusieurs usages nouveaux qui commençoient à avoir force de loi, et d’autres encore qui se formulent, et que S. Louis vouloit accréditer. Il faut dire la même chose des ouvrages précieux de Pierre de Fontaine et de Beaumanoir, les deux hommes les plus éclairés de leur temps sur la jurisprudence féodale.
Avec le secours de cette remarque, dont on sentira, je crois, la vérité, en étudiant les ouvrages dont je viens de parler, et en les conférant entre eux ou avec les autres monumens plus anciens ou contemporains, tout devient assez clair dans notre histoire de la troisième race. La plupart des difficultés s’aplanissent; et on démêle, avec assez de certitude, les différentes époques où les droits et les devoirs différens des suzerains et des vassaux, ont pris naissance; j’aurai soin dans les remarques suivantes d’indiquer les raisons sur lesquelles je me fonde pour fixer l’origine de chaque coutume.
[95] Je ne conçois point comment on a pu croire que les appels pratiqués pendant la première et la seconde race, et dont on a trouvé les preuves dans les remarques des deux livres précédens, fussent encore en usage sous les premiers Capétiens, où tous les procès se décidoient par le duel judiciaire. Le combat auquel les parties, les juges et les témoins étoient soumis, rendoit par sa nature les appels impraticables. Ne pas s’en tenir alors à cette preuve de l’équité d’un jugement, c’eût été douter de la justice ou de la puissance de Dieu; puisque c’étoit une foi vive en ces deux attributs de la divinité, qui avoit fait adopter aux Français la procédure meurtrière des Bourguignons.
Pour que l’appel d’un tribunal subalterne à un tribunal supérieur puisse avoir lieu, il faut que le plaideur ne puisse pas empêcher les juges de prononcer la sentence qui le condamne, ou qu’il puisse les soupçonner d’avoir jugé injustement, par ignorance ou par corruption. Or, c’étoient deux choses impossibles dans la jurisprudence du duel judiciaire; car, le plaideur étoit en droit de défier et d’appeler au combat le premier des juges qui ouvroit l’avis de le condamner; il pouvoit aussi défier le témoin qui déposoit contre lui. On ordonnoit enfin le combat, et le tribunal ne faisoit que prononcer qu’un tel étoit vainqueur ou vaincu; fait qui, se passant en public et sous les yeux de mille témoins, ne pouvoit jamais être douteux ni équivoque.
Fausser une cour de justice, ou l’accuser d’avoir porté un jugement faux, c’étoit lui faire l’injure la plus grave, l’interdire de toutes ses fonctions, et rendre tous ses membres incapables de faire aucun acte judiciaire. Un plaideur qui avoit eu cette témérité, étoit obligé, sous peine d’avoir la tête coupée, de se battre dans le même jour, non-seulement contre tous les juges qui avoient assisté au jugement dont il appeloit, mais encore contre tous ceux qui avoient droit de prendre séance dans ce tribunal. S’il sortoit vainqueur de tous ces combats, la sentence qu’il avoit faussée, étoit réputée fausse et mal rendue, et son procès étoit gagné. Si, au contraire, il étoit vaincu dans un de ces combats, il étoit pendu. Cette jurisprudence, dont nous sommes instruits par les Assises de Jérusalem, c’étoit la jurisprudence même des Français dans le onzième siècle, puisque Godefroi de Bouillon, élevé en 1099 sur le trône de Jérusalem, fit rédiger les lois de son royaume, ainsi qu’il nous en avertit lui-même dans son code, sur les coutumes qui étoient pratiquées en France, quand il partit pour la Terre-Sainte.
Quand il arrivoit qu’un plaideur, après avoir vaincu deux ou trois de ses juges, étoit lui-même vaincu par un quatrième, je voudrois bien savoir par quels bizarres raisonnemens, on justifioit alors la Providence divine, qui avoit permis que l’injustice et le mensonge triomphassent deux ou trois fois de la justice et de la vérité? La foi absurde de nos pères devoit être certainement très-embarrassée.
Beaumanoir, qui écrivoit la coutume de Beauvoisis, en 1283, sous le règne de Philippe-le-Hardi, nous apprend, (C. 61 et 62,) que dans les terres où l’ancien usage du duel judiciaire subsistoit encore, un plaideur étoit forcé de se battre contre tous les juges du tribunal, si, au lieu d’appeler ou de défier le premier ou le second d’entre eux qui disoit son avis, il attendoit, pour fausser le jugement, que la sentence fût prononcée. Je demande si une pareille forme de procédure ne rendoit pas impraticables les appels tels que nous les connoissons aujourd’hui, et qu’ils étoient pratiqués sous les deux premières races?
«Tous cas de crieme quelque il soient, dont l’en puet perdre la vie, appartiennent à haute-justiche, excepté le larron; car tant soit il ainssint que lierres pour son larrecin perde la vie, et ne pour quant larrecins n’est pas de la haute-justice.» (Beaum. C. 58.) Voici, selon cet auteur, le cas de haute-justice; meurtre, trahison ou assassinat, homicide, viol, incendie, fausse monnoie, trèves et assuremens brisés ou violés. Les établissemens de S. Louis, (L. 1, C. 40,) ajoutent le cas de chemins brisiés, et de meffet de marchié.
Quoique aucun monument de la troisième race, antérieur au règne de S. Louis, ne parle de cette différente attribution ou compétence des justices, on ne sauroit, je crois, douter avec quelque fondement qu’elle ne fût déjà connue du temps de Hugues-Capet, et pratiquée comme une coutume féodale. Cette différente compétence des justices avoit été établie par Charlemagne. Ut nullus homo in placito centenarii neque ad mortem neque ad libertatem suam amittendam aut ad res reddendas vel mancipia judicetur; sed ista aut in presentiâ comitis vel missorum nostrorum judicentur. (Capit. 3, an. 812, art. 4.)
La distinction de la haute et de la basse-justice se trouve encore expressément énoncée dans la charte ou diplome que Louis-le-Débonnaire donna en 815 aux Espagnols qui s’étoient réfugiés sur les terres de la domination française, pour se soustraire à la tyrannie des Sarrasins. Ipsi verò pro majoribus causis, sicut sunt homicidia, raptus, incendia, deprædationes, membrorum amputationes, furta, latrocinia, aliarum rerum invasiones, et undecùmque à vicino suo aut criminaliter aut civiliter fuerit accusatus, et ad placitum venire jussus, ad comitis sui mallum omnimodis venire non recusent. Cæteras verò minores causas more suo, sicut hactenùs fecisse noscuntur inter se mutuo definire non prohibeantur. (art. 2.) Et si quisquam eorum in partem, quam ille ad habitandum sibi occupaverat, alios homines undecùmque venientes adtraxerit, et secum in portione suâ, quam adprisionem vocant, habitare fecerit utatur illorum servitio absque alicujus contradictione vel impedimento; et liceat illi eos distinguere ad justitias faciendas, quales ipsi inter se definire possunt. Cætera verò judicia, id est, criminales actiones, ad examen comitis reserventur. (Art. 3.)
N’est-il pas naturel de penser que pendant les désordres auxquels le gouvernement féodal dut son origine, les seigneurs les plus puissans furent les plus grands usurpateurs? Ils ne laissèrent à leurs vassaux que la basse-justice appelée Voirie, quand ils purent les dépouiller de la haute. Ils gênèrent, et restreignirent la compétence des tribunaux dans les fiefs qui relevoient d’eux, et y exercèrent même la justice, lorsqu’il s’agissoit d’y juger des affaires graves et majeures. Règle générale et sûre de critique; il faut reconnoître pour des coutumes subsistantes sous le règne de Hugues-Capet, celles dont il est fait mention dans les établissemens de S. Louis, et les écrits de Beaumanoir, et dont on trouve l’origine dans les lois de la seconde race; à moins qu’on ne soit averti par quelque monument postérieur, qu’elles ont été oubliées et détruites par la révolution qui ruina la maison de Charlemagne.
La haute-justice et la basse n’eurent pas vraisemblablement la même compétence, ou ne connurent pas des mêmes délits dans toutes les provinces du royaume; car, rien n’étoit, et ne pouvoit être général et uniforme en France. Chaque tribunal étendit sa juridiction autant que les circonstances le permirent. Il ne nous reste point assez de monumens pour connoître ces différentes révolutions. Nous ignorons, par exemple, pourquoi le vol, puni de mort, et dont la haute-justice connoissoit seule sous les premiers Carlovingiens, appartenoit à la basse-justice, sous le règne de S. Louis.
Il est encore évident que chaque seigneur gêna et limita, autant qu’il put, la souveraineté que ses vassaux exerçoient dans leurs terres. Un très-grand nombre de ces vassaux furent forcés de se servir de la monnoie que leur suzerain fabriquoit, puisqu’il est certain qu’on ne comptoit guères plus de 80 seigneurs en France, qui eussent droit de battre monnoie.
[96] Volumus atque jubemus ut vassalli episcoporum, abbatum et abbatissarum, atque comitum et vassorum nostrorum, talem legem et justitiam apud seniores suos habeant, sicut eorum antecessores apud illorum seniores tempore antecessorum habuerunt. (Capit. Car. Cal. Baluz. T. 2, p. 215.)
[97] Si rex Philippus Regnum Angliæ invadere voluerit, comes Robertus, si poterit, regem Philippum remanere faciet.... et si Rex Philippus in Angliam venerit et Robertum comitem secum adduxerit, comes Robertus tam parvam fortitudinem hominum secum adducet, quàm minorem poterit; ità tamen ne indè feodum suum ergà regem Franciæ foris faciat. (Tract. Fœd. inter Henr. Reg. Ang. et Rob. Com. Fland. art. 2.) Et si rex Henricus comitem Robertum in Normanniam vel Maniam, in auxilio secum habere voluerit, et eum indè summonuerit, ipse comes illùc ibit.... nec dimittet quin eat, donec rex Francorum judicari faciat comiti Roberto, quod non debeat juvare dominum et amicum suum regem Angliæ cujus feodum tenet, et hoc per pares suos qui eum judicare debent. (Ibid. art. 16.) Et si illo tempore rex Philippus super regem Henricum in Normanniâ intraverit, comes Robertus ad Philippum ibit cum decem militibus tantùm. (Ibid. art. 19.)
Ce traité passé entre deux des plus puissans vassaux de la couronne, qui contractoient une alliance étroite en pleine paix, est très-propre à nous faire connoître la nature des devoirs auxquels ils se croyoient assujettis envers le roi de France leur suzerain, et des droits attachés à la suzeraineté. Ces devoirs et ces droits devoient être regardés comme incontestables, puisque Henri, qui donnoit en fief au comte Robert un subside annuel de 400 marcs d’argent, pour se faire aider de ses forces dans les guerres qu’il auroit contre le roi de France, ne les contredit pas. Propter prædictas conventiones et prædictum auxilium, dabit rex Henricus comiti Roberto, unoquoque anno 400 marcas argenti in feodo. (Ibid. art. 31.)
FIN DU TOME PREMIER.
TABLE
Des Chapitres contenus dans le premier Tome.
| Éloge historique de l’abbé de Mably, par l’abbé Brizard. | page 1 |
| Notes historiques sur l’Éloge. | 93 |
| Avertissement de la première édition. | 121 |
OBSERVATIONS
Sur l’histoire de France.
LIVRE PREMIER.
| Chap. I. Des mœurs et du gouvernement des Français en Germanie. Leur établissement dans les Gaules. | 129 |
| Chap. II. Quelle fut la condition des Gaulois et des autres peuples soumis à la domination des Français. | 143 |
| Chap. III. Des causes qui contribuèrent à ruiner les principes du gouvernement démocratique des français. Comment les successeurs de Clovis s’emparèrent d’une autorité plus grande que celle qui leur étoit attribuée par la loi. Tyrannie des grands. Établissement des seigneuries. | 153 |
| Chap. IV. De la conduite et des intérêts des différens ordres de l’état. Comment les bénéfices conférés par les rois Mérovingiens, deviennent héréditaires. Atteinte que cette nouveauté porte à l’autorité que ces princes avoient acquise. | 169 |
| Chap. V. De l’origine de la noblesse parmi les Français. Comment cette nouveauté contribua à l’abaissement de l’autorité royale, et confirma la servitude du peuple. Digression sur le service militaire rendu par les gens d’église. | 181 |
| Chap. VI. Progrès de la fortune des maires du palais sous les successeurs de Clotaire II. Inconsidération de la noblesse à leur égard. Ils s’emparent de toute l’autorité. Charles Martel établit de nouveaux bénéfices. Pepin monte sur le trône. | 191 |
| Chap. VII. Pourquoi la nation Française n’a pas été détruite sous la régence des rois Mérovingiens. | 208 |
LIVRE SECOND.
| Chap. I. Origine du sacre des rois de France. Du gouvernement et de la politique de Pepin. Il s’établit un nouvel ordre de succession au trône. | 215 |
| Chap. II. Règne de Charlemagne. De la forme de gouvernement établie par ce prince. Réforme qu’il fait dans l’état. Ses lois, ses mœurs. | 220 |
| Chap. III. Réflexion sur le gouvernement établi par Charlemagne. Des principes de décadence qu’il portoit en lui-même. | 249 |
| Chap. IV. Foiblesse de Louis-le-Débonnaire. Il étend la prérogative royale. Comment la division, qui règne entre ses fils ruine l’autorité du prince, et rend les seigneurs tout-puissans. | 258 |
| Chap. V. Ruine entière de l’ancien gouvernement sous le règne de Charles-le-Chauve. Ce prince rend les bénéfices et les comtés héréditaires. Naissance du gouvernement féodal. | 277 |
| Chap. VI. Démembrement que souffrit l’empire de Charlemagne. Ruine de sa maison. Avénement de Hugues-Capet au trône. | 290 |
LIVRE TROISIÈME.
| Chap. I. De la situation du peuple à l’avénement de Hugues-Capet au trône. Droits, priviléges, état de la noblesse qui ne possédoit pas des terres en fief. | 301 |
| Chap. II. Situation des seigneurs à l’avénement de Hugues-Capet au trône. Des causes qui contribuèrent à établir une sorte de règle et de droit public. | 309 |
REMARQUES ET PREUVES.
LIVRE PREMIER.
| Chapitre I. | page 320 |
| Chapitre II. | 325 |
| Chapitre III. | 360 |
| Chapitre IV. | 382 |
| Chapitre V. | 389 |
| Chapitre VI. | 406 |
| Chapitre VII. | 415 |
LIVRE SECOND.
| Chapitre I. | 416 |
| Chapitre II. | 421 |
| Chapitre III. | 443 |
| Chapitre IV. | 447 |
| Chapitre V. | 454 |
| Chapitre VI. | 465 |
LIVRE TROISIÈME.
| Chapitre I. | 475 |
| Chapitre II. | 483 |
Fin de la Table.
Au lecteur.
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Les notes ont été renumérotées de a à n, les Remarques et Preuves de 1 à 97.