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Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably, Volume 3 (of 15)

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CHAPITRE IV.

Des effets que la révolution arrivée dans la fortune des grands et du parlement produisit dans le gouvernement, après la ruine de la ligue.

Quand le fanatisme, peu à peu ralenti, ne fut plus capable de faire supporter avec constance les maux de la guerre, quand on goûta enfin les douceurs de la paix, la nation ne se représenta qu’avec une sorte d’effroi le tableau des troubles dont elle avoit été la victime. La lassitude du passé, et l’espérance d’un avenir plus heureux lui donnèrent un nouvel esprit et de nouvelles mœurs. On n’avoit été touché d’aucune des vertus de Henri IV, et quand on l’eut connu, on ne voulut voir aucun de ses défauts; à l’exception de quelques fanatiques dévoués aux intérêts de l’Espagne, et dont la haine contre les réformés étoit implacable, le peuple se livroit à son engouement et vouloit avoir un maître qui le contînt. Henri devoit jouir d’un pouvoir d’autant plus étendu, que les grands, plus divisés entre eux qu’ils ne l’avoient jamais été, ne pouvoient, comme autrefois, former des cabales, et par leurs ligues ou leurs divisions inquiéter et troubler le gouvernement.

Les princes du sang, en s’élevant, comme on l’a vu, au-dessus des pairs, augmentèrent puérilement leur dignité, et diminuèrent réellement leur puissance. Séparés des grands, qui n’étoient pas familiarisés avec cette distinction qui les choquoit, ils n’eurent que leurs propres forces à opposer à la puissance royale; et ces forces étoient trop médiocres pour qu’elles pussent les mettre en état de maintenir les principes que le prince de Condé avoit retirés de l’oubli, et prétendre avoir part au gouvernement.

Les fils d’Henri II, ayant honoré plusieurs familles de la pairie, il n’étoit plus possible, en suivant l’esprit de son institution, de les associer toutes au gouvernement; et cependant, leur nombre étoit trop petit pour former un corps puissant; de sorte que la pairie se trouvoit destituée à la fois de ses fonctions réelles, de son pouvoir, et des forces nécessaires pour les recouvrer. En aspirant aux distinctions honorifiques que conservoit les pairs, la haute noblesse, qui n’en jouissoit pas, en devint ennemie. Cette rivalité affoiblit tous les grands, et ne pouvant être puissans que par la faveur et les grandes charges de la cour, il fut encore plus facile à Henri IV, qu’il ne l’avoit été à François I, de les contenir tous dans l’obéissance, et de ne confier son autorité qu’à des personnes qui ne pourroient la tourner contre lui.

Cette situation des grands devoit leur faire perdre insensiblement les idées de grandeur, de fortune et d’indépendance auxquelles ils s’étoient accoutumés pendant la guerre civile; mais, en attendant qu’ils eussent pris un caractère convenable à leur foiblesse actuelle, il y avoit entre eux une sorte de fermentation sourde, et ils regrettoient l’ancien gouvernement des fiefs. Cette ambition que le duc de Guise avoit réprimée, tant qu’il s’étoit flatté d’usurper la couronne, le duc de Mayenne l’avoit fait revivre: lorsqu’obligé de renoncer aux projets ambitieux de sa maison, il voyoit la décadence de son parti, il demanda que le gouvernement des provinces de Bourgogne, de Champagne et de Brie, fut héréditaire en faveur de ses descendans. Le duc de Mercœur, cantonné en même temps dans la Bretagne, la regarda comme son domaine, et espéroit de la tenir aux mêmes conditions que ses anciens ducs, tandis que le duc de Nemours affectoit dans son gouvernement l’indépendance et l’autorité d’un souverain. Mais ces seigneurs prirent trop tard une résolution qui leur auroit réussi quelques années plutôt. Les peuples qui commençoient à se lasser de la guerre civile, n’étoient pas disposés à s’exposer pour l’intérêt des grands à des maux que l’intérêt même de la religion ne pouvoit plus leur faire supporter; et les grands, si je puis m’exprimer ainsi, furent autant vaincus par cet esprit d’obéissance et de monarchie auquel ils avoient accoutumé la nation, que par les armes d’Henri IV.

En obéissant, ils ne pouvoient cependant s’empêcher de murmurer, et sans se rendre compte de leurs projets, ou plutôt de leurs vues, ils espéroient toujours que quelques circonstances heureuses les mettroient à portée de se cantonner dans les provinces. Rien n’est plus propre à prouver combien les grands étoient timides, petits et inconsidérés dans leur ambition, que le fait bizarre que je vais raconter; et je voudrois, pour l’honneur de leur politique, qu’on en pût douter. Ils imaginèrent qu’Henri IV, embarrassé par la guerre qu’il soutenoit contre l’Espagne, et qui sembloit avoir épuisé ses ressources, consentiroit à céder ses provinces[343] sous la foi et l’hommage, à condition que ses nouveaux vassaux lui fourniroient les secours dont il avoit besoin. Si on ne connoissoit pas l’extrême illusion que se font quelquefois les passions, il seroit inconcevable que les grands se fussent persuadés que cette ridicule proposition seroit acceptée. L’espèce d’arrangement et d’ordre qu’ils mirent dans leur projet est le comble du délire. Les seigneurs, qui avoient les gouvernemens les plus importans, consentoient à en démembrer quelques portions pour faire des souverainetés à d’autres seigneurs qui ne commandoient dans aucune province, et qui, sans cet abandon, n’auroient trouvé aucun avantage à voir renaître le gouvernement féodal, ou plutôt qui s’y seroient opposés pour ne se pas voir dégradés et avilis par la fortune de leurs pareils.

Le duc de Montpensier, chargé par ses collègues de négocier cette affaire, ou plutôt de la proposer au roi, commença par lui faire valoir le zèle, la fidélité et l’attachement des personnes qui vouloient le dépouiller; il tâcha de prouver que l’abandon des provinces et le rétablissement des fiefs étoit le seul moyen de résister aux forces de la maison d’Autriche; et Henri IV dut se trouver heureux de n’avoir affaire qu’à des conjurés si méprisables; s’il est vrai cependant qu’on puisse donner le nom de conjuration à une ineptie si ridiculement imaginée et proposée.

Le maréchal de Biron eut une conduite plus conséquente: tourmenté par son ambition, et ne voyant dans l’esprit général des peuples aucune disposition au démembrement du royaume, ce ne fut pas à Henri IV, mais à ses ennemis qu’il s’adressa pour rétablir les fiefs. Dans le traité qu’il avoit[344] fait avec la cour de Madrid et de Turin, on étoit convenu qu’il épouseroit une princesse de Savoye, et qu’il auroit pour lui et les siens la souveraineté du duché de Bourgogne; que si on parvenoit à enlever la couronne à Henri, on la rendroit élective; et que des grands gouvernemens, on feroit autant de principautés qui ne dépendroient du roi que de la même manière dont les électorats dépendent de l’empereur. Si une pareille entreprise eût été conduite avec assez de secret pour qu’elle eût éclaté avant que le gouvernement en fût instruit, jamais la monarchie n’auroit été menacée d’un plus grand péril. L’ambition des grands, qui étoit plutôt assoupie qu’éteinte, auroit été instruite par cet exemple de la route qu’elle devoit prendre. Tous les grands auroient éclaté à la fois, ou tous du moins, étant devenus suspects au gouvernement, l’auroient jeté dans le plus grand embarras: il étoit de l’intérêt des alliés du maréchal de Biron de démembrer la France, et leur premier succès auroit certainement fait paroître des révoltés dans plusieurs provinces. En partageant ses forces pour soumettre tous les rebelles à la fois, Henri IV se seroit exposé à succomber par-tout. Si son courage et sa sagesse n’avoient pas également soumis toutes les provinces, la révolution n’étoit que retardée; l’exemple d’un seul gouverneur, qui auroit réussi à s’établir dans son gouvernement, auroit entretenu une fermentation continuelle dans le royaume. Un rebelle heureux auroit travaillé à multiplier les démembremens pour diviser les forces du roi, et n’être pas seul l’objet de son ressentiment. Selon les apparences, la France, toujours agitée par des intrigues et des révoltes sous le règne de Henri IV, auroit vu renaître le gouvernement féodal après la mort de ce prince. Heureusement la conjuration du maréchal de Biron fut découverte à temps; et dans la disposition où se trouvoient les esprits, son supplice suffit pour faire perdre entièrement aux grands le souvenir de leurs anciens fiefs: on ne voit pas du moins que depuis ils aient tenté de les rétablir.

Tandis que tout fléchissoit enfin sans résistance sous le pouvoir de Henri, le parlement, qui voyoit avec plaisir l’abaissement des grands, éprouva à son tour que l’esprit d’obéissance qui étoit répandu dans tous les ordres de l’état, ruinoit son pouvoir négatif et modificatif, et qu’il étoit condamné à ne plus faire que des remontrances inutiles. Vaincu, pour ainsi dire, par la solennité des lits de justice, et ne pouvant rien refuser au roi, il chercha à s’en dédommager aux dépens de la nation, dont il avoit déjà usurpé plusieurs fonctions. Lorsque Henri IV convoqua une assemblée de notables à Rouen en 1595, le parlement de Paris s’en plaignit, alléguant qu’il étoit contre l’usage[345] que les états se tinssent hors du ressort du premier parlement du royaume: cette prétention auroit été absurde, si le parlement, enhardi par ses entreprises contre les états de Blois et les états de la ligue, n’avoit voulu donner à entendre que ces assemblées étoient soumises à sa juridiction, et qu’il étoit nécessaire qu’elles se tinssent dans l’étendue de son ressort, pour qu’il pût les juger, les réprimer, et les contenir, s’il en étoit besoin.

C’est dans ce temps que le parlement commença à se faire un systême qu’il a depuis manifesté dans plusieurs occasions. Il imagina qu’il représente les anciens champs de Mars et de Mai, et, chose inconcevable! que les états-généraux, tels que Philippe-le-Bel et ses successeurs les avoient convoqués, ne tenoient point à la constitution primitive de la nation, et que tout leur droit se bornoit à faire des demandes et des représentations dont le conseil du roi jugeoit arbitrairement. Le parlement prétendit être le conseil nécessaire des rois[346], et ne former avec lui qu’une seule puissance pour gouverner la nation. La vanité dans les affaires est l’avant-coureur de la petitesse; et le parlement, bientôt convaincu, par des efforts impuissans, qu’il ne pouvoit pas disposer de la puissance royale, se borna à disputer du rang et de la dignité avec les deux premiers ordres de l’état.

L’assemblée des notables qui se tint à Paris en 1626, est une preuve évidente de ce que j’avance: on étoit convenu d’opiner dans ces conférences[347] par corps et non par tête; et les officiers des cours supérieures, se croyant avilis par cette manière de recueillir les voix, représentèrent au duc d’Orléans, qui présidoit cette assemblée, qu’outre qu’elle étoit préjudiciable et même honteuse aux officiers de justice, qui par-là se trouveroient séparés et distingués du clergé et de la noblesse pour être compris et confondus dans un ordre inférieur; elle étoit nouvelle et contraire aux usages pratiqués jusqu’alors. Ces officiers ne se rappeloient pas sans doute ce qui s’étoit passé sous Henri II, après la bataille de Saint-Quentin, et qu’ils avoient regardé comme une faveur de former un ordre mitoyen entre la noblesse et le tiers-état: c’est assez la coutume du parlement d’oublier les faits qui ne sont pas favorables à ses prétentions.

Le duc d’Orléans n’ayant pas eu égard à ces requisitions, les magistrats portèrent leurs plaintes au roi, et lui montrèrent que «les députés des cours souveraines ne pouvoient consentir à opiner par corps, puisque représentant leurs compagnies composées de tous les ordres du royaume, ils se verroient néanmoins réduits au plus bas, et à représenter le tiers ordre séparé de ceux du clergé et de la noblesse, lesquels n’avoient à présent sujet de se distinguer d’eux, puisque toujours ils ont réputé à honneur de pouvoir être reçus à opiner avec eux dans lesdites compagnies; que la vocation que eux tous avoient en ladite assemblée étoit différente, en ce que ceux du clergé et de la noblesse y sont appelés par la volonté et faveur particulière du roi, qui en cela avoit voulu reconnoître le mérite d’un chacun d’eux; mais que les premiers présidens et les procureurs généraux y étoient appelés par les lois de l’état, suivies de la volonté de sa majesté pour y représenter toute la justice souveraine.»

Il est mieux d’examiner de quelle manière les hommes se forment des prétentions, et comment ces prétentions se changent en droits. Le parlement devient par surprise, par la négligence et l’ignorance des pairs, la cour des pairs; et bientôt il regarde comme un privilége pour les pairs de pouvoir y siéger, quoique ce prétendu privilége ne soit qu’une dégradation de la pairie. Il prétend qu’il est composé de tous les ordres de la nation, parce qu’il compte parmi ses magistrats quelques gentilshommes et quelques ecclésiastiques d’un ordre inférieur; c’est qu’il veut être le corps représentatif de la nation, et accoutumer le public à cette idée extraordinaire. En vertu de quel titre le parlement pouvoit-il dire que le clergé et la noblesse n’étoient reçus que par grâce aux assemblées de notables, et que les seuls magistrats en étoient les membres nécessaires? C’est ainsi que dans un royaume où personne ne veut se tenir à sa place, où chacun aspire à s’introduire dans un ordre qui refuse de le recevoir, une vanité puérile devient le principal intérêt de tous les citoyens. Le parlement s’essayoit à se mettre au-dessus des états-généraux, en dégradant les différens ordres qui les composent; bientôt il publiera ouvertement sa doctrine, et sous prétexte que les pairs ne sont que conseillers de la cour, il prétendra que ses présidens sont revêtus d’une dignité supérieure à la pairie.

J’aurois quelque honte de m’arrêter à ces minuties, si ces minuties de rang n’avoient été de la plus grande importance chez presque tous les peuples, et n’étoient d’ailleurs très-propres à faire connoître dans quel oubli le pouvoir absolu de Henri IV avoit fait tomber les règles, les principes, les lois et les coutumes. Quand la France perdit ce prince, aucune voix ne se fit entendre en faveur des états-généraux; personne ne dit qu’ils étoient nécessaires pour régler la forme du gouvernement. Les grands étoient trop humiliés pour oser s’assembler au Louvre, proclamer Louis XIII et déférer la régence à sa mère. Marie de Médicis et ses créatures ne virent, au milieu de cette dégradation générale de tous les ordres, que le parlement qui eût des prétentions, et conservât la forme d’un corps. La reine le pria de s’assembler pour examiner ce qu’il seroit le plus important de faire dans une conjoncture si fâcheuse; et cette compagnie, trouvant une occasion de se saisir d’un droit qui n’appartenoit qu’aux états-généraux, donna un arrêt par lequel il conféroit la régence à la reine. Le lendemain, quand le jeune roi vint tenir son lit de justice, ce ne fut qu’une vaine formalité pour déclarer que, conformément[348] à l’arrêt donné la veille, sa mère étoit régente.

Cette conduite étoit digne d’une nation, qui, depuis sa naissance, n’avoit pu encore parvenir à se faire un gouvernement, et qui, ayant pris l’habitude de ne consulter que des convenances momentanées, n’avoit aucun intérêt déterminé, et devoit par conséquent éprouver encore des agitations domestiques.


CHAPITRE V.

Situation du royaume à la mort de Henri IV.—Des causes qui préparoient de nouveaux troubles.

Tout avoit fléchi sous la main de Henri IV; la douceur de son administration avoit fait aimer son autorité; sa vigilance à prévenir les moindres désordres avoit entretenu l’obéissance et la tranquillité publique; mais, qui pouvoit répondre que ses successeurs seroient plus heureux, plus sages et plus habiles que les derniers Valois? Sur quel fondement espéroit-on qu’on ne verroit plus sur le trône des Henri II, des Charles IX, des Henri III, des Catherine de Médicis? A l’exception du maréchal de Biron, les derniers ambitieux n’avoient été que des imbécilles qu’il étoit facile de réprimer; mais, comptoit-on qu’il n’y auroit plus de prince de Condé, ni de duc de Guise? S’il paroissoit un nouveau maréchal de Biron, étoit-on sûr qu’il auroit le même sort que le premier? Les grands pouvoient encore sortir de leur néant. En voyant les succès heureux de sa vanité, le parlement pouvoit encore devenir ambitieux. La puissance d’un prince foible ne remédie à aucun des maux que doit produire sa foiblesse. Plus le pouvoir est grand, plus il est voisin de l’abus; et si tous les hommes ont besoin qu’il y ait des lois et des magistrats qui les contiennent, par quelle imprudence espéroit-on qu’un monarque, qui n’est qu’un homme, remplira ses devoirs difficiles dans le temps qu’on les a multipliés en augmentant son autorité, et que ses passions ne sont point réprimées par la crainte d’une puissance qui l’observe?

Sully étoit-il assez modeste pour croire que des ministres tels que lui seroient désormais communs? En voyant avec quelle peine il retiroit, pour ainsi dire, le royaume de ses ruines, et combien il éprouvoit de traverses, non-seulement de la part des courtisans et de tous les ordres de l’état, mais de la part même d’un prince qui aimoit la justice et le bien public, et qui s’étoit formé à l’art de régner en passant par les épreuves les plus terribles, pouvoit-il ne pas prévoir que l’édifice qu’il élevoit seroit ruiné en un jour? Les sujets d’un bon roi sont heureux; mais qu’importe à la société ce bonheur fragile et passager? Aux yeux de la politique, ce n’est rien d’avoir un bon roi, il faut avoir un bon gouvernement. Comment ce tableau que Sully se faisoit de l’avenir, ne le décourageoit-il pas dans ses opérations? Sans doute que la passion de dominer arbitrairement est de toutes les passions la plus impérieuse, même dans les ministres qui ne jouissent que d’une autorité empruntée et passagère; sans doute qu’un Charlemagne, qui cherche à diminuer son autorité pour l’affermir, est un prodige qu’on ne doit voir tout au plus qu’une fois dans une monarchie.

Si on y fait attention, on s’apercevra sans peine, qu’à l’avénement de Louis XIII au trône, le gouvernement se trouvoit dans la même situation où il avoit été sous les règnes des princes qui virent allumer les guerres que Henri IV avoit éteintes. Les deux religions, qui, en divisant la France, avoient fait tomber le roi et les lois dans le mépris, subsistoient encore: et si, après s’être fait la guerre pendant long-temps, elles étoient lasses de se battre, elles ne l’étoient pas de se haïr. En voyant la fin malheureuse de Henri IV, les réformés ne pouvoient s’empêcher de prévoir les dangers dont ils étoient menacés; et dès qu’ils avoient lieu de craindre le zèle immodéré des catholiques, on devoit se rappeler de part et d’autre les injures que les deux religions s’étoient faites.

La persécution exercée sur les réformés par Henri II les préparoit à la révolte sous son fils; et la crainte, non pas d’essuyer les mêmes persécutions, mais de voir ruiner leurs priviléges sous Louis XIII, devoit les tenir unis et disposés à agir de concert pour leur défense commune. Tandis que les catholiques, délivrés d’un prince tolérant, se flattoient de renverser leurs ennemis qui n’avoient plus de protecteurs, les réformés durent s’effaroucher, en voyant passer le gouvernement dans les mains d’une princesse qui, pour parler le langage des novateurs, avoit sucé en Italie les superstitions de l’église romaine. Marie de Médicis confirma, il est vrai, l’édit de Nantes en parvenant à la régence. Mais que prouve cette vaine cérémonie? Que la loi de Henri IV avoit acquis peu de crédit, et que les réformés ne la regardoient pas comme un rempart assuré de leur liberté. Si la puissance royale s’étoit accrue, les calvinistes de leur côté étoient plus forts et plus puissans qu’ils ne l’avoient été sous les règnes précédens, et ils avoient entre eux des liaisons et des correspondances qu’il avoit autrefois fallu former.

Le souvenir des maux qu’on avoit éprouvés pendant la guerre civile, pouvoit s’effacer, et le fanatisme reprendre de nouvelles forces, si des ambitieux habiles entreprenoient de se servir du ressort puissant de la religion pour exciter des troubles nécessaires à l’accroissement de leur fortune particulière. Depuis que l’esprit de la ligue avoit été détruit, il auroit fallu, il est vrai, un concours de circonstances extraordinaires pour qu’il se formât une nouvelle maison de Guise, et que les successeurs de Henri IV fussent exposés au danger qu’avoit couru Henri III de perdre la couronne et de se voir reléguer dans un cloître. Mais il ne falloit que des talens et des événemens communs pour produire à la fois cent ambitieux qui entreprendroient de se cantonner dans leurs gouvernemens ou dans leurs terres; et au défaut de capacité, leur nombre pouvoit les faire réussir.

Quand Henri IV voulut étouffer les haines de religion, les catholiques[349] se plaignoient que l’exercice de leur culte ne fût pas établi dans plusieurs villes, et même dans plusieurs provinces, comme il devoit l’être en vertu des édits donnés dans les temps de troubles. Les protestans, de leur côté, ne se contentoient pas qu’on remît simplement en vigueur les différens priviléges qu’on leur avoit accordés jusques-là, et désiroient une liberté plus étendue. Ils exigeoient beaucoup de la reconnoissance du roi qui leur devoit sa couronne; et les autres, fiers de la supériorité de leurs forces et d’avoir forcé Henri à rentrer dans le sein de l’église, avoient un zèle amer, et ne toléroient un édit favorable aux réformés que dans l’espérance que des conjonctures plus heureuses permettroient de le violer.

Pour établir une paix solide entre les deux religions, il auroit fallu établir entre elles une égalité entière; et puisque la doctrine des réformés n’étoit pas moins propre que celle des catholiques à faire des citoyens utiles et vertueux, les uns et les autres avoient droit de jouir des mêmes avantages. Ce n’est que par cette conduite que les Allemands sont parvenus à détruire le fanatisme et à affermir la tranquillité publique dans leur patrie. Si le gouvernement de France n’étoit pas aussi favorable à cette opération que le gouvernement de l’Empire, Henri IV ne devoit négliger aucun moyen pour faire respecter sa loi, c’est-à-dire, pour lui donner des protecteurs et des garans puissans, qui inspirassent une sécurité entière aux protestans, et ne laissassent aucune espérance de succès au fanatisme des catholiques. Les traités de Munster et d’Osnabrug calmèrent les esprits en Allemagne, parce que les religions ennemies furent également persuadées que leurs chefs avoient fait dans de longues négociations, tout ce qui dépendoit d’eux pour obtenir les conditions les plus avantageuses; et qu’ainsi, elles n’auroient rien de plus utile à attendre d’une nouvelle guerre et d’une nouvelle paix. D’ailleurs, chaque religion étoit sûre de jouir des avantages qu’elle avoit obtenus; parce que tous les tribunaux de l’Empire, composés de juges choisis dans les deux religions, suffisoient pour réprimer les petits abus; et que dans le cas d’une infraction aux traités qui pourroit avoir des suites dangereuses et étendues, chaque parti avoit des protecteurs sur la vigilance et les intérêts desquels il pouvoit se reposer, et assez puissans pour défendre sa liberté et ses droits.

Il en auroit été à peu près de même en France, si les états-généraux, au-lieu d’être détruits par les prédécesseurs de Henri IV, avoient été assez solidement établis pour devenir un ressort ordinaire et nécessaire du gouvernement. Plus ils auroient approché de la perfection dont ils sont susceptibles, plus il est vraisemblable que les Français ne se seroient point déchirés par les guerres civiles qui répandirent tant de sang. Qu’on ne m’objecte pas que le parlement d’Angleterre et les diètes de l’Empire ne préservèrent ni les Anglais ni les Allemands des mêmes calamités; ces assemblées[350] nationales n’étoient plus ce qu’elles devoient être, quand elles virent naître les divisions domestiques. Si Henri IV avoit voulu établir une paix solide, il devoit convoquer les états-généraux et profiter de la lassitude où l’on étoit de la guerre, pour rapprocher les catholiques et les réformés, et les faire conférer ensemble sur leurs divers intérêts. Il est naturel que les peuples aient plus de confiance à des assemblées qui ont nécessairement des maximes nationales, et dont toutes les opérations et les résolutions sont politiques, qu’au conseil du prince qui ne consulte ordinairement que des convenances passagères et mobiles, dont les résolutions ne sont que trop souvent l’ouvrage de l’intrigue, et qui se fait par principe des intérêts contraires à ceux du public. A l’exemple de Charlemagne, Henri devoit être l’ame de ces états. Il étoit assez puissant pour inspirer aux chefs des deux partis l’esprit de paix et de conciliation. Le calme se seroit répandu dans les provinces, parce qu’elles auroient été consultées. On se seroit accoutumé à jouir paisiblement des avantages qu’on auroit obtenus, parce qu’on auroit été sûr de les conserver sous la garantie et la protection d’un corps puissant, au lieu de n’avoir qu’une promesse vaine sur laquelle il étoit imprudent de compter.

Henri auroit ôté aux grands un moyen de se faire craindre du gouvernement; ils n’auroient pu continuer à entretenir les haines de religion, en répandant parmi le peuple les soupçons et la défiance. Ce prince, en un mot, digne de l’amour qu’on avoit pour lui, se seroit délivré de l’inquiétude que le fanatisme des catholiques lui donna pendant toute sa vie et dont il fut enfin la victime. Il auroit réparé les torts de ses prédécesseurs depuis Charles VIII, et auroit donné un appui à ses successeurs, qui, ayant au contraire la témérité de se charger comme lui de tout ordonner, de tout régler, de tout gouverner par eux-mêmes, devoient encore éprouver et faire éprouver à leurs sujets bien des malheurs.

Dès que Henri IV vouloit pacifier le royaume, non pas comme arbitre et médiateur, mais comme législateur, il ne pouvoit qu’offenser les réformés sans satisfaire les catholiques. Les deux religions devoient également murmurer contre lui, et se plaindre qu’il n’eût pas tenu la balance égale entre elles; chacune devoit se flatter que, si elle eût elle-même discuté ses intérêts, elle auroit obtenu de plus grands avantages, ou n’auroit pas fait des pertes si considérables. Les catholiques étoient les plus nombreux et les plus puissans; il fallut, pour ne les pas soulever, contraindre les réformés à renoncer à plusieurs avantages dont ils étoient en possession, et qu’ils devoient aux succès de leurs armes. L’édit de Nantes paroît l’ouvrage de la mauvaise foi ou d’une politique timide qui tend des piéges; il est nécessaire d’en examiner quelques articles, pour faire mieux juger de la situation incertaine où se trouvoit le royaume.

On obligea les réformés à restituer les églises dont ils s’étoient emparés, et les biens qui en dépendoient. On leur défendit de tenir leurs prêches dans des habitations ecclésiastiques. On autorisa les catholiques à acheter les bâtimens construits par les réformés sur les fonds qui appartenoient à l’église, ou à demander en justice qu’ils achetassent les fonds attachés à ces bâtimens. Henri IV n’osoit trancher aucune difficulté; ainsi l’édit de pacification, qui n’auroit dû travailler qu’à abolir le souvenir des usurpations passées et des prétentions réciproques des deux religions, préparoit de nouvelles discussions entre elles, et par-là fomentoit leur haine.

Les seigneurs hauts-justiciers qui avoient embrassé la réforme eurent dans leurs châteaux l’exercice public de leur religion; mais ceux dont les terres étoient moins qualifiées, n’obtinrent cette liberté que pour eux ou trente personnes. Si leurs fiefs étoient dans la mouvance d’un seigneur catholique, ils ne pouvoient même jouir de cette liberté de conscience, sans en avoir obtenu sa permission. Cet exercice de la religion réformée étoit d’autant moins capable de satisfaire ceux qui la professoient, qu’un seigneur haut justicier n’avoit un prêche dans son château qu’autant qu’il l’habitoit. S’il s’absentoit, le pays étoit ridiculement privé de son culte; il étoit même exposé à le perdre sans retour, si cette terre, par vente, succession ou autrement, passoit à un seigneur catholique. Comment pouvoit-on exiger que les réformés fussent tranquilles sur leur état, et ne donnassent aucune inquiétude au gouvernement, tandis qu’ils ne jouissoient que d’une manière précaire et passagère de la liberté de conscience? Si on craignoit les réformés, on ne pouvoit leur accorder un exercice trop public de leur religion; ces petits prêches, toujours à la veille d’être fermés ou interdits, n’étoient propres qu’à être des foyers d’intrigue, de cabale et de fanatisme.

Il fut défendu aux réformés de faire aucun exercice de leur religion à la cour, à la suite de la cour, à Paris, ni à cinq lieues de cette capitale. Si ce n’étoit pas leur dire que leur religion étoit odieuse, c’étoit du moins les avertir qu’elle ne devoit s’attendre à aucune faveur. Pourquoi la loi qui devoit être impartiale pour être raisonnable, montre-t-elle cette partialité? C’étoit attiser le feu qu’on vouloit éteindre; ce n’étoit pas une loi, mais un traité qu’il falloit mettre entre les deux religions. Croira-t-on que les Allemands se fussent soumis à l’ordre établi par la paix de Westphalie, s’il eût été l’ouvrage d’un législateur, quoique les articles en soient aussi sages que ceux de l’édit de Nantes le sont peu?

Il dut paroître d’autant plus insupportable aux réformés de payer la dixme aux ministres de la religion romaine, qu’il étoit très-injuste à ceux-ci de l’exiger. Il falloit donc qu’ils payassent leurs ministres, et c’étoit les soumettre à une nouvelle contribution: il ne convenoit pas même que le gouvernement se chargeât de leur payer leur salaire; parce qu’il n’étoit pas de l’intérêt des réformés que leurs ministres fussent à la charge de l’état, et qu’ils pouvoient regarder ces salaires comme une source de corruption. Pourquoi les obliger d’observer les fêtes prescrites aux catholiques, de s’abstenir ce jour-là de tout travail ou de ne travailler qu’en secret, et enfin de se soumettre à l’égard du mariage aux lois de l’église romaine sur les degrés de consanguinité ou de parenté? Tous ces réglemens devoient éloigner les uns des autres des citoyens qu’il falloit rapprocher. Je sais que dans la pratique on adoucissoit la rigueur de cette loi; on fermoit les yeux; mais cette condescendance pouvoit-elle rassurer les réformés, quand ils voyoient les catholiques armés de la loi contre eux? Qu’on me permette de le dire, il est ridicule, il est dangereux de faire une loi qu’il est sage de ne pas faire observer exactement; et quand un gouvernement en est réduit à cette extrémité, ne doit-il pas juger qu’il est à la veille d’éprouver quelque malheur, et qu’il a pris par conséquent un mauvais parti?

Je serois trop long, si je voulois examiner ici chaque article de l’Édit de Nantes, et en faire voir les inconvéniens; mais je ne puis me dispenser d’y faire remarquer une contradiction monstrueuse. Tandis que le gouvernement avoit une si grande peur des états-généraux, et ne vouloit pas leur abandonner le soin de concilier les deux religions, pourquoi permettoit-il aux réformés de s’assembler tous les trois ans et d’avoir des places de sûreté. Si, par ce privilége, on vouloit préparer la France à devenir protestante, il ne falloit donc pas par les autres articles préparer la ruine du calvinisme. Puisqu’on ne cherchoit en effet par l’édit de Nantes qu’à tendre des piéges secrets aux réformés, et qu’à se faire des prétextes pour les perdre, pourquoi leur permettoit-on de s’assembler et de s’éclairer en conférant ensemble sur leurs intérêts? C’étoit diviser le royaume, et empêcher que les catholiques et les réformés ne s’accoutumassent peu à peu à leur situation: on ne le conçoit point; par quel motif, par quelle raison, le gouvernement craignoit-il moins des places de sûreté dans les mains des protestans que la convocation régulière des états-généraux, puisque ces places de sûreté annonçoient la guerre civile, et que les états-généraux auroient conservé la paix? M’est-il permis de le dire? la guerre civile paroissoit moins fâcheuse au gouvernement que la moindre diminution, ou le moindre partage de l’autorité publique.

Il est aisé de s’apercevoir que Henri IV n’avoit entretenu la tranquillité publique que par les détails journaliers d’une prudence attentive à ne rien négliger: il appliquoit toujours quelque palliatif aux maux qui se montroient; mais il ne falloit pas s’attendre que ses successeurs eussent la même sagesse. Plus le temps affoibliroit le souvenir des calamités de la guerre civile, plus le zèle des catholiques devoit devenir fougueux et l’inquiétude des réformés impatiente. C’est dans l’espérance d’amener des temps plus favorables à la religion romaine, que le fanatisme arma plusieurs assassins et que Ravaillac commit son attentat. On ne peut se déguiser que ce ne soit le zèle aveugle et impie des catholiques qui a fait périr un prince qui avoit des ménagemens pour les réformés, qui donnoit sa confiance à quelques-uns d’eux, et qui empêchoit qu’ils ne fussent accablés sous la haine de leurs ennemis.


CHAPITRE VI.

Règne de Louis XIII.—De la conduite des grands et du parlement.—Abaissement où le cardinal de Richelieu les réduit.—De leur autorité sous le règne de Louis XIV.

Louis XIII étoit encore dans la première enfance, quand il parvint au trône. La régence fut déférée à sa mère, princesse incapable de gouverner: elle ne vouloit pas qu’on lui arrachât par force une autorité dont elle étoit jalouse; mais par foiblesse, elle étoit toujours disposée à la remettre en d’autres mains. S’il y avoit encore eu en France des hommes tels que les Guise, le prince de Condé et l’amiral de Coligny, il n’est pas douteux qu’ils ne se fussent rendus également puissans, et n’eussent formé deux partis qui auroient anéanti l’autorité du roi et de la régente: mais qu’on étoit loin de craindre de pareils dangers! C’étoient Concini et sa femme qui devoient gouverner sous le nom de la reine; et quelle idée ne doit-on pas prendre de ces temps, quand on voit qu’une intrigante étrangère et un homme sans considération faisoient plier tous les grands sous leur joug? Tel étoit l’avilissement des ames, que sous le gouvernement le plus méprisable, tout se réduisoit à faire des intrigues et des cabales à la cour pour en obtenir les faveurs. Qu’on juge de l’autorité mal affermie de Marie de Médicis et de ses créatures, puisque Luynes, qui n’avoit qu’une charge médiocre dans la vénerie, et pour tout talent que celui de dresser des oiseaux au vol, s’empara de toute l’autorité du roi, parce qu’il avoit l’art de l’amuser, et décida de la fortune de tous les grands du royaume. Mais un trait que je ne dois pas oublier, et qui peint bien cette cour, c’est que pour se délivrer de la tyrannie timide et mal habile de Concini, on crut qu’il falloit un assassinat, comme pour se défaire du duc de Guise qui s’étoit mis au-dessus des lois, et qui étoit vraiment le roi des Français catholiques.

L’administration de Luynes ne fut pas différente de celle de Marie de Médicis. Les courtisans continuèrent leurs intrigues, et un ministre qui n’avoit pas le courage de les dédaigner ou de les punir sévèrement, en fut bientôt occupé: au lieu de se rappeler que les guerres étrangères avoient beaucoup contribué à étendre le pouvoir du roi et de ses ministres, et qu’elles serviroient encore à consumer ce reste d’humeur qui fermentoit dans l’état, Médicis et Luynes, épuisés par l’attention qu’ils donnoient aux cabales de la cour, crurent qu’ils ne pourroient suffire aux soins du gouvernement, s’ils ne conservoient la paix au dehors; ils négligèrent les alliés naturels du royaume, et recherchèrent l’amitié de ses ennemis. Plus le gouvernement se faisoit mépriser par sa timidité, plus les courtisans devinrent hardis et entreprenans; tout fut perdu quand on s’aperçut que pour obtenir des faveurs il falloit se faire craindre. Après avoir épuisé inutilement l’art de l’intrigue à la cour, l’usage des mécontens fut de se retirer dans la province pour faire semblant d’y former quelque parti; il falloit attendre qu’ils se lassassent de leur exil volontaire, et le conseil ne fut occupé qu’à marchander le retour de ces fugitifs. Quoique le prince de Condé haït les réformés qui n’avoient aucune confiance en lui, Médicis fut alarmée de leur liaison, qui ne pouvoit exciter que quelques émeutes passagères. Quelle auroit donc été son inquiétude, si ce prince, prétendant jouir encore des prérogatives attachées à son rang, se fût regardé comme le conseiller de la couronne, et le ministre nécessaire de l’autorité royale?

Au milieu de ces tracasseries misérables, on est justement étonné d’entendre encore prononcer le nom presque oublié des états-généraux, et de les voir demander avec une opiniâtreté qui auroit dû rendre une sorte de ressort aux esprits. On auroit dit que les mécontens méditoient de grands desseins; mais à peine ces états furent-ils assemblés, que leur mauvaise conduite rassura le gouvernement.

L’ouverture s’en fit à Paris le 21 octobre 1614, et pendant plus de quatre mois qu’ils durèrent, aucun député ne comprit quel étoit son devoir. On auroit eu inutilement quelque amour du bien public et de la liberté; les trois ordres, accoutumés à se regarder comme ennemis, étoient trop appliqués à se nuire pour former de concert quelque résolution avantageuse. Le tiers-état s’amusoit à se plaindre de l’administration des finances, et à menacer les personnes qui en étoient chargées; sans songer que ses plaintes et ses menaces ne produiroient aucun effet, s’il n’étoit secondé des deux autres ordres; et il ne faisoit aucune démarche pour les gagner. Le clergé, fier de ses immunités et de ses dons gratuits, n’étoit pas assez éclairé pour voir que sa fortune étoit attachée à celle de l’état, et qu’il sentiroit tôt ou tard le contre-coup de la déprédation des finances. La noblesse aimoit les abus que Sully avoit suspendus et non pas corrigés; et dans l’espérance de mettre le gouvernement à contribution, vouloit qu’il s’enrichît des dépouilles du peuple. Le royaume auroit paru aux ecclésiastiques dans la situation la plus florissante, si on eût ruiné la religion réformée dont ils craignoient les objections et les satires. La noblesse demandoit la suppression de la vénalité et de l’hérédité des offices de judicature, et les députés du tiers-état, presque tous officiers de justice ou de finances, affligés de voir attaquer un établissement qui fixoit en quelque sorte le sort de leurs familles, firent une diversion pour se venger, et demandèrent le retranchement des pensions que la cour prodiguoit, et qui montoient à des sommes immenses.

Rien n’étoit plus aisé que d’éluder, par des réponses ou des promesses vagues et équivoques, les demandes mal concertées des états; mais, n’ayant ni pu ni voulu commencer leurs opérations pour se rendre nécessaires, la cour trouva encore plus commode de les séparer avant que de répondre à leurs cahiers, et nomma seulement des commissaires pour traiter avec les députés que les trois ordres chargèrent de suivre les affaires après leur séparation. Les commissaires du roi auroient été employés à la commission la plus difficile, si on eut attendu d’eux le soin de concilier les esprits; mais on leur ordonna, au contraire, de ne rien terminer et de multiplier les difficultés qui divisoient les trois ordres. Ces conférences inutiles cessèrent enfin, et sans qu’on s’en aperçût. On prétexta les longueurs qu’entraînoit la discussion d’une foule d’articles aussi importans pour l’administration générale du royaume, que contraires aux prétentions que le clergé, la noblesse et le peuple formoient séparément. Les délégués des états se séparèrent par lassitude de toujours demander et de ne jamais obtenir; et chaque ordre se consola d’avoir échoué dans ses demandes, en voyant que les autres n’avoient pas été plus heureux dans les leurs.

Après avoir essayé, sans succès, d’alarmer le gouvernement par la tenue des états, les intrigans, qui ne pouvoient jouir d’aucune considération, s’ils ne lui donnoient de l’inquiétude, songèrent à faire soulever les réformés. Les instances que le clergé et la noblesse avoient faites dans les derniers états, pour obtenir la publication du concile de Trente, et le rétablissement de la religion catholique dans le Béarn, leur furent présentées comme une preuve certaine des entreprises qu’on méditoit secrètement contre eux. La noblesse, disoit-on, se laisse conduire aveuglément par le clergé; et si les évêques ne songeoient pas à établir l’inquisition et rallumer les bûchers, pourquoi se défieroient-ils des tribunaux laïcs, malgré la rigueur avec laquelle ils avoient autrefois traité les réformés? Pourquoi le clergé demanderoit-il qu’on interdît aux cours supérieures la connoissance de ce qui concerne la foi, l’autorité du pape, et la doctrine de l’église au sujet des sacremens? Si les réformés, ajoutoit-on, ne prévoient pas de loin le malheur qui les menace, ils en seront nécessairement accablés. S’ils se contentent de se tenir sur la défensive, le gouvernement, enhardi par cette conduite, ne manquera pas de les mépriser et de violer l’édit de Nantes. Quand il aura obtenu un premier avantage, il ne sera plus temps de s’opposer à ses progrès. Il faut le forcer à respecter les priviléges des réformés, en lui montrant qu’ils sont attentifs à leurs affaires, vigilans, précautionnés, unis et assez forts pour se défendre; soit que les personnes les plus accréditées dans le parti calviniste ne goûtassent pas une politique contraire à l’esprit d’obéissance et de soumission auquel on s’accoutumoit; soit qu’on n’eût pour mettre à la tête des affaires aucun homme capable de faire la guerre avec succès, les réformés parurent inquiets, incertains, irrésolus et peu unis, et on ne recourut cependant pas à la force pour protéger des priviléges qui n’étoient pas encore attaqués.

Tandis que le royaume étoit dans cette anarchie, le gouvernement sans force, les réformés sans courage et la nation anéantie, le parlement, qui, sous le règne précédent s’étoit en quelque sorte incorporé avec le roi pour ne former qu’une seule puissance, ne trouva plus le même avantage dans cette union. Il jugea qu’il étoit plus important pour lui de profiter de la foiblesse du gouvernement pour se rendre puissant, que de lui rester attaché; et ses espérances lui rendirent son ancienne politique. Il donna, le 8 mars 1615, un arrêt qui ordonnoit que les princes, les pairs et les grands officiers de la couronne, qui ont séance et voix délibérative au parlement, et qui se trouvoient à Paris, seroient invités à venir délibérer avec le chancelier sur les propositions qui seroient faites pour le service du roi, le soulagement de ses sujets et le bien de son état. La cour fit défense au parlement de se mêler des affaires du gouvernement; et dans ses remontrances, cette compagnie découvrit ses vues et ses prétentions d’une manière beaucoup moins obscure qu’elle n’avoit fait jusqu’alors. Elle avança qu’elle tient la place[351] des princes et des barons, qui de toute ancienneté avoient été auprès de la personne du roi pour l’assister de leur conseil; et comment en douter, disoit-elle, puisque la séance et la voix délibérative que les princes et les pairs ont toujours eues au parlement, en est une preuve à laquelle on ne peut se refuser. Si on en croit ces remontrances, nos rois n’ont jamais manqué d’envoyer au parlement les ordonnances, les lois, les édits et les traités de paix, ni d’y porter les affaires les plus importantes, pour que cette compagnie les examinât avec liberté, et y fît les changemens et modifications qu’elle croiroit nécessaires au bien public. Ce que nos rois, ajoutoit le parlement, accordent même aux états-généraux de leur royaume, doit être enregistré par cette cour supérieure, où le trône royal est placé, et où réside leur lit de justice souveraine.

L’autorité royale auroit reçu un échec considérable, si les grands se fussent rendus à l’invitation du parlement, et en s’unissant à lui, eussent été capables de suivre d’une manière méthodique, et de soutenir une démarche dont le succès auroit nécessairement établi de nouveaux intérêts et de nouveaux principes dans le gouvernement, s’ils avoient été occupés du soin de se faire une autorité propre dans l’état, tandis que le parlement lui-même n’auroit voulu devenir puissant que pour rendre désormais l’administration plus régulière et moins dépendante de l’incapacité et des passions du prince, ou des personnes qui régnoient sous son nom, quelle force auroit pu leur résister? On auroit vu les grands et les magistrats, par leur union, s’emparer du pouvoir que les états-généraux avoient voulu prendre sous le règne du roi Jean, et former un corps d’autant plus redoutable, que toujours subsistant, il auroit toujours été à portée de se défendre et d’augmenter son autorité. Mais pourquoi m’arrêterois-je à faire voir les suites d’une union que les préjugés, les passions, d’anciennes habitudes et le peu de talens des grands et des magistrats, et leurs mauvaises intentions rendoient impraticables? Les uns, comme on l’a vu, divisés entre eux, se bornèrent à intriguer et à s’agiter sans savoir ni ce qu’ils vouloient, ni ce qu’ils devoient vouloir, et ne firent pas ce qu’ils pouvoient. Les autres, plus ambitieux que magistrats, firent plus qu’ils ne pouvoient; et n’étant pas secondés, furent obligés d’abandonner leur arrêt et d’attendre des circonstances plus favorables à leurs projets.

Le royaume continua à être agité par des intrigues et des cabales dont le foyer étoit à la cour. Les réformés, excités depuis long-temps à la révolte, prirent enfin les armes de différens côtés et à différentes reprises. On faisoit la paix sans rien arrêter de certain, parce qu’on avoit commencé la guerre sans avoir d’objet fixe. Mais si cette anarchie avoit duré plus long-temps, peut-être qu’à force de s’essayer à la révolte et à l’indépendance, des hommes, qui n’étoient qu’inquiets, seroient devenus véritablement ambitieux. A force de tâter un gouvernement foible et trop semblable à celui des fils de Henri II, les espérances se seroient agrandies. S’il n’avoit pas reparu de ces hommes de génie qui firent chanceler la couronne sur la tête de Henri III, il pouvoit aisément y en avoir d’assez hardis pour songer à rétablir les fiefs. Si un grand tâtoit cette entreprise, il devoit avoir mille imitateurs, et leur nombre auroit en quelque sorte assuré le succès de leur ambition.

Mais dans le moment que la foiblesse du gouvernement rendoit tout possible, il parut dans le conseil du roi un homme qui s’en étoit ouvert l’entrée par la ruse, la fraude et l’artifice, mais fait pour dominer par d’autres voies quand son crédit seroit affermi. Richelieu, né avec la passion la plus immodérée de gouverner, n’avoit aucune des vertus ni même des lumières qu’on doit désirer dans ceux qui sont à la tête des affaires d’un grand royaume; il avoit cette hauteur et cette inflexibilité de caractère qui subjuguent les ames communes, et qui étonnent et lassent ceux qui n’ont qu’une prudence et un courage ordinaires. Si la famille de Richelieu avoit joui par elle-même d’une plus grande considération, ou s’il n’eut pas été engagé dans un état qui donnoit des bornes, ou plutôt une certaine direction à sa fortune, il est vraisemblable qu’il ne se seroit pas contenté d’être le ministre despotique d’un roi absolu, et qu’il auroit essayé ses forces en se cantonnant dans une province. Le cardinal de Richelieu ne pouvant aspirer à être ni un duc de Guise, ni un maréchal de Biron, se contenta de gouverner la France sous le nom du roi; mais il dédaigna la sorte de puissance que Marie de Médicis et le connétable de Luynes avoient eue. Au lieu de régner par adresse, de ménager et de flatter la foiblesse de Louis XIII, de mendier et d’acheter la faveur des grands, ou de les opposer les uns aux autres pour avoir toujours un appui, il forma le projet de tout asservir à son maître, et de le rendre lui-même le simple instrument de son autorité.

Pour rendre les grands dociles, il falloit les mettre dans l’impuissance de se révolter; mais ce n’auroit jamais été fait que de les accabler ou de les gagner les uns après les autres: à peine auroit-il ruiné une cabale, ou acheté l’amitié de ses chefs, qu’il s’en seroit formé une seconde. L’esprit convenable à la monarchie n’étoit détraqué, si je puis parler ainsi, chez les Français, que par un reste de fanatisme que la religion avoit fait naître; et les grands, sans autorité qui leur fût propre, ne paroissoient inquiets et séditieux que parce qu’ils comptoient sur les forces et les secours d’un parti qu’on avoit mis dans la nécessité d’être soupçonneux et de se défier du gouvernement. Richelieu résolut donc de réduire les calvinistes à la simple liberté de professer en paix leur religion, et de leur ôter les priviléges et le pouvoir qui les mettoient en état de se faire craindre. Nous serons assez fous, disoit le maréchal de Bassompierre aux courtisans, pour prendre la Rochelle; ils le furent en effet, et le coup mortel qui frappa les réformés, accabla tous les grands: ils ne trouvèrent plus de place forte qui leur servît d’asyle contre l’autorité royale. Les calvinistes, n’ayant plus de point de ralliement où ils pussent réunir leurs forces, cessèrent de former un parti, et se revirent dans la même situation où ils avoient été avant que le prince de Condé et l’amiral de Coligny les eussent réunis sous leur autorité. Après avoir détruit cette association, il étoit bien plus difficile d’en rassembler les débris pour la rétablir, qu’il ne l’avoit été autrefois de la former.

Tandis que Richelieu renversoit ainsi le seul obstacle qui, depuis le règne de Charles VIII, s’étoit opposé à l’autorité royale, il employoit les mêmes moyens dont les rois s’étoient servis pour distraire la nation du soin de ses affaires domestiques, et la façonner à la docilité monarchique: il avilissoit les esprits, en les occupant de ce que les arts, les sciences, les lettres et le commerce ont de plus inutile et de plus attrayant. Son luxe contagieux fit connoître de nouveaux besoins qui ruinoient les grands: forcés de mendier des faveurs pour étaler un vain faste, ils se préparoient à la servitude. La contagion fut portée dans tous les ordres de l’état; des hommes obscurs firent aux dépens du peuple des fortunes scandaleuses, on les envia, et l’amour de l’argent ne laissa subsister aucune élévation dans les ames.

Cependant Richelieu, en avilissant la nation au-dedans, la faisoit respecter au dehors. Ses alliés trouvoient des secours et une protection que Médicis et Luynes leur avoient refusés; on se proposoit d’humilier la maison d’Autriche, que des entreprises trop considérables et des guerres continuelles avoient déjà affoiblie; et le même vertige de gloire et de conquête que les premières guerres d’Italie avoient fait naître, devint encore la politique des Français sous le règne de Louis XIII. Plus les entreprises du ministre étoient grandes et difficiles, plus il avoit de prétextes pour ne se soumettre à aucune règle, et gouverner avec un sceptre de fer; les besoins de l’état et la nécessité lui servoient d’excuse auprès des Français qu’il opprimoit.

On ne fut point innocent, quand on fut soupçonné de pouvoir désobéir à ce ministre impérieux. Répandant d’une main les bienfaits, et de l’autre les disgraces, il parut plus supportable d’être son esclave que son ennemi. En s’emparant de la justice par l’établissement des appels, les rois s’étoient rendus législateurs; en faisant un usage arbitraire de l’administration de cette justice, Richelieu jugea qu’il se rendroit despotique. Il intervertit l’ordre de tous les tribunaux; à l’exemple de Louis XI, il eut des magistrats toujours prêts à servir ses passions, et la France n’oubliera jamais les noms odieux de ces juges iniques qui prononçoient les arrêts qu’on leur avoit dictés; puissions-nous ne jamais revoir de Loubardemont! Ce que Machiavel conseille au tyran qu’il instruit, Richelieu l’exécuta. Tous les grands qui ne voulurent pas plier sous son autorité ou périr sur un échafaud, s’exilèrent du royaume; et le malheureux état où la mère même du roi fut réduite dans le pays étranger, étonnoit et confondoit ceux qui auroient voulu suivre son exemple. Il ne reste dans les provinces aucune ressource aux mécontens pour former des partis. La cour, pleine d’espions et de délateurs par lesquels Richelieu voit tout, entend tout, est présent par-tout, semble tombée dans la stupidité: on sent le danger de former des cabales contre un ministre que son maître lui-même n’ose distinguer; et, tant la dégradation des esprits est grande et le poids de la servitude accablant, ce n’est plus que par un[352] assassinat qu’on songe à sortir de l’oppression.

Richelieu étoit trop instruit des prétentions du parlement, pour qu’il ne le regardât pas comme un rival de son autorité; et dès lors il devoit le soumettre au joug qu’il avoit imposé au reste de la nation. Le duc d’Orléans étant sorti du royaume par mécontentement, et dans le dessein de cabaler chez les étrangers, le roi donna une déclaration contre ceux qui avoient suivi ce prince, et les déclara criminels de lèze-majesté; elle fut envoyée à tous les parlemens, qui l’enregistrèrent, à l’exception de celui de Paris où les voix se trouvèrent partagées. Le roi manda cette compagnie au Louvre, et des magistrats qui, peu de temps auparavant, avoient voulu se rendre les maîtres de l’état, éprouvèrent les hauteurs insultantes d’un homme qui méprisoit trop les lois pour en ménager les ministres: ils se tinrent à genoux pendant l’audience qui leur fut donnée; humiliation frappante pour des citoyens qui dédaignoient le tiers-état, et vouloient s’élever au-dessus du clergé, et de la noblesse! ils virent déchirer leur arrêt de partage, et transcrire sur leur registres celui du conseil qui condamnoit leur témérité.

On vit souvent sous ce règne des magistrats suspendus de leurs fonctions, destitués par force de leurs offices, exilés ou renfermés dans des prisons; violences qui auroient dû désabuser pour toujours le parlement de l’ancienne erreur où il étoit tombé, de croire qu’il pouvoit être quelque chose sans la nation, ou qu’il seroit puissant après qu’il auroit contribué à abaisser tous les autres ordres de l’état. Le public crut que la magistrature étoit la victime de son devoir: il la plaignit, et lui donna sa confiance. Dupe de sa compassion, il espéra qu’elle seroit une barrière contre les abus du pouvoir arbitraire; tandis qu’il devoit juger par la manière dont les magistrats étoient opprimés, qu’ils n’avoient les forces nécessaires ni pour faire le bien, ni pour s’opposer au mal.

Je ne puis me dispenser de rapporter ici une ordonnance propre à peindre le caractère de la politique de Richelieu. Après avoir réduit les grands à ne pouvoir se fier les uns aux autres, dans la crainte de trouver des traîtres ou des délateurs, il proscrit toute espèce[353] d’assemblée, ne permet à la noblesse d’avoir qu’un petit nombre d’armes dans ses châteaux, et veut qu’elle ne puisse espérer aucun secours du dehors. On ne se contente pas de défendre à tous les Français de faire des associations; on regarde comme suspecte toute communication avec les ambassadeurs des princes étrangers; on défend de les voir et de recevoir aucune lettre de leur part, et il n’est point permis de sortir du royaume sans observer des formalités qui apprennent à tous ses habitans qu’ils sont prisonniers dans leur patrie. Sous prétexte de proscrire les libelles, on impose un silence général sur le gouvernement; et le ministre ne croit point être libre, si le citoyen peut penser et communiquer sa pensée. Enfin, en apprenant aux Français ce qu’on attend de leur obéissance, on les contraint à devenir les instrumens de l’injustice. Dès qu’on aura reçu un ordre du roi, dit cette ordonnance effrayante, on y obéira sans délai, ou l’on se hâtera d’exposer les raisons sur lesquelles on se croit fondé pour ne le pas exécuter. Mais après que le prince aura réitéré ses ordres, on s’y soumettra sans réplique, sous peine d’être destitué des charges dont on est revêtu, sans préjudice des autres peines que peut mériter une pareille désobéissance.

Le règne de Richelieu, si je puis parler ainsi, devoit former une époque remarquable dans les mœurs, le génie et le gouvernement des Français. Cet homme avoit imprimé une telle terreur, qu’après sa mort on fut docile sous la main incertaine de Louis XIII, comme s’il eût été capable de gouverner par les mêmes principes de son ministre. Retrouvant enfin un roi enfant, une régente orgueilleuse, ignorante, opiniâtre, et un ministre étranger sans appui, et qui, sous les dehors trompeurs de la timidité et de la circonspection du connétable de Luynes, cachoit en effet une constance inébranlable, des vues profondes, et la politique la plus raffinée et la plus tortueuse, les Français crurent avoir recouvré leur liberté: ils secouèrent l’espèce d’étonnement dans lequel ils étoient; mais en voulant prendre un mauvais caractère, ils ne montrèrent encore que celui que Richelieu leur avoit donné.

Dans les espérances, les projets et la révolte même des courtisans et du parlement, on découvre les traces de l’esprit de servitude et de corruption qu’ils avoient contracté. Au lieu d’avoir encore des vues et des intérêts opposés, l’expérience de leur foiblesse, et les affronts qu’ils avoient essuyés sous le dernier règne, leur avoient persuadé de se réunir pour se dédommager sous l’administration du cardinal Mazarin de ce qu’ils avoient perdu par la dureté du cardinal de Richelieu. Cette alliance avoit déjà été projetée au commencement du règne de Louis XIII, et il en résulta dans la minorité de son fils la guerre peut-être la plus ridicule dont il soit parlé dans l’histoire.

Cette union de deux corps qui, dans le fond, se méprisoient ou se craignoient, et ne pouvoient agir de concert, dont l’un n’entendoit que les formes lentes de la procédure, et l’autre les voies de fait et le droit de la force, n’étoit pas capable de perdre un ministre aussi habile que Mazarin à manier les ressorts de l’intrigue: les séditieux ne se proposèrent aucun objet; on diroit qu’ils se révoltoient pour avoir le plaisir de remuer, de tracasser et d’avoir quelque chose à faire. On fait la guerre en suivant les formes de la procédure criminelle; on informe contre les armées; on décrète les généraux, et les seigneurs, qui n’entendent rien à ces procédés bourgeois, conduisent la guerre comme on conduit un procès. Quelques gens de bien tiennent des discours graves et sensés au milieu de ce délire, mais on ne les entend pas; ils parloient une langue étrangère à des brouillons occupés de leurs intérêts particuliers; et qui, étant accoutumés à regarder la cour comme le principe de leur fortune, y entretenoient des correspondances secrètes, et étoient prêts à se vendre eux et leur parti, pour une pension ou pour une dignité. Tous crient: «point de Mazarin». C’est le prétexte et le mot de la guerre; mais qu’importoit de bannir ce ministre, puisqu’il devoit avoir un successeur? Pour comble d’absurdité, et c’est une suite du mélange bizarre des habitudes contractées sous Richelieu, et de la licence qui accompagne la révolte, on vantoit sérieusement son obéissance et sa fidélité pour le roi, en faisant la guerre au ministre qui manioit sa puissance. Si je ne me trompe, on ne voit parmi les ennemis du cardinal Mazarin, que des hommes qui auroient voulu lui vendre chèrement leurs services, ou qui, à sa place, n’auroient pas été moins absolus que lui, et ce fut la principale cause de ses succès.

Les grands qui depuis le règne de Charles VI avoient causé tant de troubles inutiles à l’état, et dont les projets ambitieux avoient diminué de règne en règne, à mesure que leur puissance avoit été affoiblie, ne conservèrent aucune espérance de se faire craindre sous un prince altier ou plutôt glorieux, jaloux à l’excès de son autorité, dont la magnificence au-dedans et les succès au-dehors éblouirent et subjuguèrent sa nation. Cet esprit de cabale et de parti, que les grands avoient repris sous le ministère de Mazarin, disparut entièrement. Ils n’avoient rien à espérer de la part des réformés, depuis que Richelieu avoit détruit leurs priviléges; et la guerre de la Fronde les avoit dégoûtés de toute association avec le parlement. Toutes les causes qui avoient contribué successivement à étendre l’autorité des prédécesseurs de Louis XIV, concoururent à la fois à faire respecter la sienne. La mode avoit été d’être brouillon, la mode devint d’être courtisan. Plus on avoit de fautes à réparer aux yeux du gouvernement, plus on s’empressa de s’abaisser pour les faire oublier.

Le parlement, plus éloigné de la cour et moins susceptible de ses faveurs, ne pouvoit renoncer si aisément à ses anciennes espérances de grandeur, que son droit de remontrances et d’enregistrement entretenoit. Mais Louis XIV, fier de ses succès, et que le moindre obstacle à ses volontés indignoit, se souvenoit de la Fronde, et ne put souffrir que sous prétexte de lui montrer la vérité ou de parler en faveur des lois, on prétendît partager ou du moins limiter son autorité. Il porta un coup bien dangereux à la magistrature, en exigeant que les cours supérieures[354], qui se trouvoient dans le lieu de sa résidence, seroient obligées de lui porter leurs remontrances au plus tard huit jours après qu’elles auroient délibéré sur les édits, déclarations, lettres-patentes qui leur seroient adressées, et qu’après ce terme la loi seroit tenue pour publiée et enregistrée. Les cours souveraines des provinces furent soumises à la même loi, et on leur accorda seulement un terme de six semaines pour faire parvenir leurs représentations aux pieds du trône. Louis XIV ne s’en tint pas là, et quelques années après, profitant de la terreur que ses armes répandoient au-dehors pour gouverner plus impérieusement au-dedans, il ordonna que ses lois fussent enregistrées purement et simplement sans modification, sans restriction, sans clause qui en pussent surseoir ou empêcher la pleine et entière exécution.

Tel fut le sort de la puissance que les grands et le parlement avoient affectée: il étoit inévitable, puisqu’ils n’avoient jamais proportionné leurs entreprises à leurs forces, et que, voulant tous s’agrandir les uns aux dépens des autres, ils avoient tous contribué à se perdre mutuellement. Pendant un règne très-long, Louis XIV a vu s’élever une nouvelle génération qui a laissé ses mœurs à ses descendans. Les grands, le clergé, le peuple, tous n’ont eu que les mêmes idées. A l’avénement de Louis XV au trône, le parlement a recouvré le droit de délibérer sur les lois avant que de les enregistrer, mais c’est à condition de toujours obéir: un droit qu’on a perdu et qu’on peut reperdre, est un droit dont on ne jouit que précairement. La régence mit le dernier sceau à notre avilissement. On ne crut plus à la probité. L’argent et les voluptés les plus sales parurent le souverain bien.


CHAPITRE VII.

Conclusion de cet ouvrage.

Peut-on étudier notre histoire et ne pas voir que nos pères furent à peine établis dans les Gaules, qu’ils négligèrent toutes les précautions nécessaires pour empêcher qu’une partie de la société n’augmentât ses richesses et sa puissance aux dépens des autres? Tourmentés par leur avarice et leur ambition, jamais les différens ordres de l’état ne se sont demandé quel étoit l’objet, quelle étoit la fin de la société; et si on en excepte le règne trop court de Charlemagne, jamais les Français n’ont recherché par quelles lois la nature ordonne aux hommes de faire leur bonheur. Jamais même, en voulant opprimer les autres, un ordre n’a pu se prescrire une condition constante. De là les efforts toujours impuissans, une politique toujours incertaine, nul intérêt constant, nul caractère, nulles mœurs fixes; de là des révolutions continuelles dont notre histoire cependant ne parle jamais: et toujours gouvernés au hasard par les événemens et les passions, nous nous sommes accoutumés à n’avoir aucun respect pour les lois.

Qui pourroit prédire le sort qui attend notre nation? Notre siècle se glorifie de ses lumières; la philosophie, dit-on, fait tous les jours des progrès considérables, et nous regardons avec dédain l’ignorance de nos pères; mais cette philosophie et ces lumières dont nous sommes si fiers, nous éclairent-elles sur nos devoirs d’hommes et de citoyens? Quand quelques philosophes bien différens des sophistes qui nous trompent, et qui croient que toute la sagesse consiste à n’avoir aucune religion, nous montreroient les vérités morales, quel en seroit l’effet? Les lumières viennent trop tard, quand les mœurs sont corrompues. L’amour de la vérité aura-t-il plus de force que nos passions? Nous pouvons ouvrir les yeux et voir les écueils contre lesquels nous avons échoué; nous pouvons voir flotter autour de ces écueils les débris de notre naufrage; mais quelle ressource nous reste-t-il pour le réparer?

Sans doute qu’en s’instruisant de leurs devoirs dans l’histoire, nos rois peuvent se convaincre sans peine qu’ils n’ont rien gagné à séparer leurs intérêts de ceux de la nation, et à se regarder plutôt comme les maîtres d’un fief que comme les magistrats d’une grande société. Il est aisé d’apercevoir qu’en détruisant les états-généraux pour y substituer une administration arbitraire, Charles-le-Sage a été l’auteur de tous les maux qui ont depuis affligé la monarchie: il est aisé de démontrer que le rétablissement de ces états, non pas tels qu’ils ont été, mais tels qu’ils auroient dû être, est seul capable de nous donner les vertus qui nous sont étrangères, et sans lesquelles un royaume attend dans une éternelle langueur le moment de sa destruction. Mais viendra-t-il parmi nous un nouveau Charlemagne? On doit le désirer, mais on ne peut l’espérer.

Un prince philosophe pourroit triompher de ses passions et juger combien il lui importe de gêner celles de ses successeurs; il feroit sans doute le bien qu’il apercevroit; mais quand la philosophie sera-t-elle assise sur le trône? On l’écarte avec dédain du berceau des enfans des rois; on ne permet pas que la vérité instruise leur première jeunesse. Le préjugé, l’erreur et le mensonge les entourent, et on ne leur apprend qu’à être les maîtres de leurs sujets et les esclaves de leurs ministres. Quand un monarque, frappé par le hasard d’un trait de lumière, connoîtroit son devoir, seroit-il libre de le faire? On l’a élevé de façon qu’il ne peut rien, tandis que son nom peut tout. Comment pourroit-il vaincre tous les obstacles que lui opposeroient des hommes intéressés à conserver le gouvernement tel qu’il est à présent? Qu’on voie cette foule innombrable d’hommes qui profitent des vices du gouvernement pour s’enrichir des dépouilles de la nation et se charger des honneurs qu’ils avilissent; et, si on l’ose, qu’on espère un nouveau Charlemagne. N’avons-nous pas vu de nos jours les gens de finance s’alarmer au nom seul d’état-provinciaux, se liguer contre le bien public, et empêcher que le ministre n’ait mis toutes les provinces en pays d’état[355]?

Le passé doit nous instruire de l’avenir; et puisqu’on a vu trois ou quatre princes dans toute l’histoire, qui ont donné volontairement des bornes à leur autorité pour la rendre plus ferme et plus durable, il n’est pas impossible que cet événement se renouvelle parmi nous, mais il seroit insensé de l’attendre avec nonchalance. Il peut et il doit nécessairement arriver dans la suite des temps que le royaume se trouve dans une telle confusion, que le gouvernement soit forcé de recourir à la pratique oubliée des états-généraux, comme on y recourut sous les fils de Henri II. Mais si la nation elle-même n’est pas en état, par son amour pour la liberté et par ses lumières politiques, de profiter de cet événement, ces nouveaux états ne produiront pas un effet plus salutaire que les états d’Orléans et de Blois; ils ne remédieront point aux maux présens, et ne feront rien espérer d’avantageux pour l’avenir.

Les grandes nations ne se conduisent jamais par réflexion. Elles sont mues, poussées, retenues ou agitées par une sorte d’intérêt qui n’est que le résultat des habitudes qu’elles ont contractées. Ce caractère national est d’un poids qui entraîne tout; et quand une fois le temps l’a formé, il est d’autant plus difficile, qu’il souffre quelque altération essentielle, qu’il est très-rare qu’il survienne des événemens assez importans pour ébranler à la fois toute la masse des citoyens, et lui donner avec un nouvel intérêt général, une nouvelle façon de voir et de penser. On a vu de petites républiques prendre en un jour un nouveau caractère et un nouveau gouvernement; mais au milieu même des agitations violentes qui sembloient annoncer de grands changemens dans les grandes nations, les peuples ont toujours conservé le fond de leur premier caractère, et en se calmant, ils en sont toujours revenus à leur première manière de se gouverner. En voulant corriger les abus dont ils se plaignent, ils restent opiniâtrément attachés aux principes qui les ont fait naître et qui les entretiendront. De cette réflexion, quel augure faut-il donc tirer du sort qui attend notre nation?

Examinez le caractère de la nation Française, et jugez de la résistance qu’il peut apporter au gouvernement. Les vices que la mollesse, le luxe, l’avarice, et une ambition servile ont fait contracter aux Français depuis le règne de Louis XIII, ont tellement affaissé leur ame, qu’ayant encore assez de raison pour craindre le despotisme, ils n’ont plus assez de courage pour aimer la liberté. Nous avons vu, il n’y a pas long-temps, une sorte de fermentation dans les esprits; nous avons vu qu’en se plaignant, on étoit alarmé de ses plaintes; on regardoit les murmures comme un désordre plus dangereux que le mal qui les occasionnoit, et on craignoit qu’ils n’indisposassent contre le gouvernement et n’en dérangeassent les ressorts. Plus cette crainte est vaine et puérile, plus il est sûr que nous avons un caractère conforme à notre gouvernement, et que nous ne portons en nous-mêmes aucun principe de révolution[356].

Tant qu’il y a dans un état différens ordres qui se craignent, qui se respectent, qui se balancent, on peut calculer leurs forces et prévoir l’effet de leur rivalité; mais quand tout équilibre est rompu, et qu’une puissance supérieure a détruit toutes les autres, où la politique, la plus pénétrante, pourroit-elle découvrir le germe d’une nouvelle constitution? Dès qu’une puissance est parvenue dans l’état à n’éprouver aucune contradiction, elle doit nécessairement accroître ses forces, parce qu’on lui pardonne tout ce qui n’excite pas le désespoir, et que pour réussir dans ses projets, elle n’a jamais besoin de recourir à ces violences atroces qui irritent et soulèvent à la fois tous les esprits.

Si un philosophe de nos jours avoit fait ces réflexions, auroit-il dit qu’il se défie de tout ce que les écrivains politiques ont dit sur les causes de la prospérité ou du malheur des sociétés? Il auroit craint de se compromettre en leur demandant que, pour justifier leurs remarques sur le passé, ils tirassent l’horoscope des états qui existent actuellement en Europe. Sans doute, on peut prédire des malheurs aux états mal constitués, et si on ne peut dire sous quelle sorte de calamité ils succomberont, c’est qu’ils portent en eux-mêmes plusieurs principes de décadence que des événemens ou des hasards étrangers peuvent développer plus tôt ou plus tard. En examinant la situation de la France à la fin des règnes de Henri II et de Henri IV, on devoit prédire des désordres; mais pour prévoir quels seroient ces désordres, il auroit fallu connoître une chose étrangère au gouvernement, c’est-à-dire, le caractère, le génie et les talens des personnes qui abusèrent des vices de l’état pour le troubler. A la place des Guise, des Condé et des Coligny, supposez sous les fils de Henri VIII, les hommes qui agitèrent la minorité de Louis XIII, vous verrez des désordres, mais d’une autre nature que ceux qui faillirent à faire perdre la couronne à la maison de Hugues-Capet. Faites renaître sous Louis XIII des ambitieux d’un génie vaste et profond, et vous verrez renouveler les projets et les malheurs de la ligue.

Parcourons les différens ordres de l’état: tout n’indique-t-il pas que le clergé forme un corps dont le caractère particulier est plus propre à fixer qu’à changer les principes actuels du gouvernement? Il y a long-temps qu’il a séparé ses intérêts de ceux de la nation, et quand il défend ses immunités, il a recours à des raisonnemens théologiques qui ne sont point applicables à l’état des autres citoyens. L’église est riche, mais c’est le roi qui dispose de la plus grande partie de ces richesses, et qui les distribue à son gré à des hommes nés ordinairement sans fortune, et d’autant plus avides que l’avarice a décidé de leur vocation. De-là cet esprit servile qui n’est que trop commun dans les ecclésiastiques. Appelés dans les états particuliers de quelques provinces, pour en défendre les droits, ils les trahissent pour mériter les faveurs de la cour. A l’esprit de la religion qui élève l’ame et qui fait aimer l’ordre et la justice, le clergé a substitué je ne sais quel esprit de monachisme qui n’inspire qu’une bassesse stupide dans les sentimens. Il aime le pouvoir arbitraire, parce qu’il est plus aisé de circonvenir un prince et de le gouverner, que de tromper une nation libre que sa liberté éclaire et fait penser. Ce penchant pour le pouvoir arbitraire est tel que pouvant, que devant même ne pas reconnoître dans l’ordre de la religion un gouvernement monarchique, il se précipite cependant avec ardeur, sous le joug de la cour de Rome, qui lui présente des honneurs inutiles, et ne peut lui accorder aujourd’hui qu’une protection infructueuse. Pour jouir en quelque sorte d’un pouvoir arbitraire, dans son diocèse, chaque évêque néglige autant les conciles généraux, que le pape les craint: cependant ces assemblées écuméniques sont dans l’ordre de l’église ce que les états-généraux sont dans l’ordre politique. Plus le clergé de France a eu de peine à conserver quelques-unes de ses immunités, tandis que le reste de la nation perdoit les siennes, plus il a flatté le gouvernement pour mériter quelque faveur. L’habitude de cette politique est contractée, elle subsistera vraisemblablement, et plus les ecclésiastiques craindront de perdre leur fortune, plus ils se confirmeront dans leurs principes.

A l’ancienne politique qu’avoient les grands de s’emparer de la puissance du prince et de l’exercer sous son nom, ils ont substitué depuis long-temps une autre manière de faire fortune; c’est de devenir courtisans, et ils ont communiqué leur esprit à cette noblesse nombreuse qui n’approche point du prince, qui vit dans les provinces, ou qui occupe les emplois subalternes dans les troupes, et qui croit qu’il est de sa dignité d’emprunter le langage et les sentimens des grands. L’obéissance aveugle à laquelle on accoutume les gens de guerre contre les ennemis de l’état, les prépare à exécuter pendant la paix tout ce qu’on leur ordonne contre les citoyens. Ces instrumens, les plus dangereux du pouvoir arbitraire, se glorifient des commissions extraordinaires dont on les charge, croient participer à l’autorité dont ils ne sont que les instrumens, et s’élever au-dessus de ceux qu’ils ont consternés.

Les grands sont persuadés qu’il leur importe d’avoir un maître absolu. Pour quelques mortifications qu’ils essuient à la cour, leur vanité acquiert des complaisans, des flatteurs et des protégés; ils se font craindre, et commettent impunément des injustices. Pour piller le prince, leur avarice demande qu’il soit le maître de la fortune de tous les citoyens; et ils ne voient point que les bienfaits de la cour ont plus appauvri de grandes maisons qu’ils n’en ont enrichi. Enfin, ils ne doutent point que leur dignité ne tienne au pouvoir absolu, et ils craignent qu’un gouvernement libre ne les rapprochât d’une classe qui leur est inférieure, et ne les confondît avec elle.

Erreur grossière! Dans tout gouvernement libre où il y a, comme en Suède et en Angleterre, un prince héréditaire dont la maison a des prérogatives particulières sur toutes les autres familles, la noblesse aura toujours de grands avantages, et son sort sera assuré. Les seigneurs Anglais et Suédois, aussi jaloux que les nôtres des droits et des priviléges de leur naissance et de leur dignité, ne jouissent-ils pas d’une fortune plus avantageuse que les seigneurs Français? et cette fortune, établie sur la constitution de l’état, et non sur la volonté inconstante du prince, n’est-elle pas plus solide? Pour se désabuser de son erreur, notre grande noblesse n’auroit qu’à comparer son état actuel à celui de ses ancêtres; elle verroit qu’à mesure que la monarchie est devenue plus absolue, ses grandeurs se sont diminuées, et pour ainsi dire, anéanties; elle verroit que plus on approche du despotisme, plus tous les rangs se confondent aux yeux du prince. Il est de la nature du despotisme de tout avilir; il voit les objets de trop loin et de trop haut pour apercevoir entre eux quelque différence: qu’on me cite en effet un état despotique où la noblesse du sang n’ait pas enfin été détruite, et n’ait pas du moins perdu tous ses avantages.

A mesure que les grands, depuis le règne de Charles VI, ont rendu le prince plus puissant, il s’est servi constamment de cette puissance pour diminuer leur fortune, leur crédit et leur considération. Après avoir travaillé à augmenter la prérogative royale, les grands ont été éloignés de l’administration des affaires. On leur a laissé de vains titres qui les divisent entre eux; on a supprimé les charges qui donnoient une grande autorité, et les places par leur nature, les plus importantes, n’ont aujourd’hui de pouvoir réel qu’autant que celui qui les occupe a de crédit. Depuis Henri IV, nos rois n’ont associé à leur pouvoir que des hommes qu’ils ne pouvoient jamais craindre, et qui retomboient dans le néant, si le prince cessoit d’en faire les organes de sa volonté, et de leur prêter son nom. Pour recouvrer du pouvoir, les grands ont été obligés d’ambitionner des places que leur vanité dédaignoit autrefois; et ils ne les ont obtenues, que parce qu’ils ne sont pas plus redoutables que les personnes auxquelles ils ont succédé.

Quoi qu’il en soit, la fortune actuelle des grands, leur manière de penser et l’influence qu’elle a sur toute la nation, sont autant d’obstacles à une[357] révolution; et il faudroit un concours de circonstances d’autant plus extraordinaires pour changer l’esprit national, que le tiers-état n’est rien en France, parce que personne n’y veut être compris. Tout bourgeois ne songe parmi nous qu’à se tirer de sa situation et à acheter des offices qui donnent la noblesse; et, dès qu’il en est revêtu, il ne se regarde plus comme faisant partie de la commune. Le peuple n’est en effet que cette populace sans crédit, sans considération, sans fortune, qui ne peut rien par elle-même.

Le parlement est le seul corps qui pourroit mettre quelques entraves au pouvoir arbitraire. Obligé par son propre intérêt de faire encore entendre quelquefois le nom des lois, la nation lui doit l’avantage d’avoir conservé ce mot, et voilà tout; car cette compagnie n’a pas la puissance nécessaire pour empêcher que les lois qu’elle réclame par intervalles, ne soient tous les jours violées. Que devons-nous attendre de son zèle pour le bien public? Il est important de le savoir; c’est à l’erreur d’avoir cru le parlement capable d’empêcher l’oppression et de défendre nos droits, que nous devons en partie l’indifférence avec laquelle nous avons vu la ruine de nos états-généraux, et la décadence de nos priviléges.

Jamais les remontrances n’ont été plus fréquentes que de nos jours; quel mal ont-elles empêché? Dans cent occasions différentes, Monluc, dont j’ai déjà parlé, auroit pu renouveler les reproches qu’il faisoit autrefois au parlement. En reprenant quelque crédit, la magistrature n’a point songé aux intérêts de la nation; elle n’a été occupée que de ses propres prérogatives. Pour juger du bien que le droit d’enregistrement peut produire à l’avenir, il faut examiner celui qu’il a fait par le passé. Depuis cinquante-deux ans que le parlement a recouvré la permission de délibérer avant que d’enregistrer, les lois ont-elles été moins flottantes, moins incertaines, moins dures, moins arbitraires qu’elles ne l’ont été pendant le temps que Louis XIV avoit réduit l’enregistrement à une vaine formalité? Si le parlement a pu faire le bien, pourquoi ne l’a-t-il pas fait? S’il lui étoit impossible de le faire, pourquoi n’avertissoit-il pas la nation de chercher un autre protecteur? Si son droit de modifier et de rejeter les lois qui lui paroissent injustes n’est qu’une chimère, pourquoi y est-il ridiculement attaché? Si ce droit est quelque chose de réel, pourquoi la nation n’en tire-t-elle aucun avantage?

Une expérience de plusieurs siècles n’a point été capable d’éclairer le parlement sur sa situation et ses intérêts. A peine a-t-il réussi à donner quelque alarme ou quelque inquiétude à des ministres timides et assez maladroits pour être embarrassés de leur pouvoir, qu’il a cru que le moment étoit arrivé de faire valoir ses anciennes prétentions, et de devenir cet ancien champ de Mars et de Mai qui ne formoit qu’une seule puissance avec le roi. Pour se rendre plus considérable, il a enfin adopté l’idée qu’il avoit jusques-là rejetée, de l’unité du parlement. Mais cette démarche étoit fausse, parce que tous ces parlemens répandus dans le royaume ne pouvoient pas se conduire par un seul et même esprit. Quand toutes leurs démarches auroient été parfaitement égales et uniformes, leurs forces n’auroient point encore pu contre-balancer celles du roi. Le parlement de Paris ne devoit s’associer les parlemens de province que pour se rendre plus sûr de l’approbation du public; ce n’étoit qu’en l’intéressant à sa cause qu’il pouvoit se rendre puissant: c’est l’opinion publique qui seule est capable d’imposer à un gouvernement.

Quelque espérance que le parlement de Paris eût conçue de son alliance avec les parlemens de province, il n’a pu y sacrifier les préjugés anciens de sa vanité. Craignant de perdre de sa grandeur par le systême de l’unité, et que des magistrats de province ne sortissent des bornes de la subordination, il n’a pas manqué de saisir la première occasion de les humilier, et de les avertir qu’il étoit essentiellement et privativement la cour des pairs. Cette prétention puérile n’a pas seulement rompu la ligue nouvelle et fragile des magistrats, tout le public en a été révolté. On a vu que la première classe du parlement ne songeoit qu’à ses intérêts, et y songeoit d’une manière trop grossière et trop peu habile pour qu’elle pût faire le bien public. On a commencé à n’être plus la dupe de ses intentions; et toute l’illusion a enfin cessé, quand on a vu qu’elle abandonnoit le soin de sa propre existence, en laissant accabler les parlemens de Pau et de Rennes. Cette conduite du parlement de Paris a dévoilé à tous les yeux sa foiblesse et sa corruption; et quelle confiance pourroit-on désormais donner à une compagnie, ou foible ou corrompue, qui a permis qu’on s’essayât sur d’autres à la détruire[358] elle-même? On a appris que les cours souveraines n’ont qu’une existence précaire; et bien loin que le foible crédit qui reste au parlement, puisse être le principe d’une réforme heureuse dans le gouvernement, il est vraisemblable qu’il ne servira qu’à écraser la nation et empêcher le rétablissement des états-généraux. Le ministre lui permettra des remontrances, des représentations, des chambres assemblées et de «jouer à la madame», qu’on me permette cette expression ridicule, pour empêcher que le public ne s’aperçoive qu’il a besoin de quelque protecteur plus puissant et plus intelligent.

A moins d’un de ces événemens dont on rencontre quelques exemples dans l’histoire, et qui remuent avec assez de force une nation pour lui faire perdre ses préjugés et lui donner un caractère nouveau, la France, qui devroit renfermer un des peuples les plus heureux de la terre, tombera dans un état de dépérissement, de misère et de langueur, où tombe enfin toute société qui empêche les citoyens de s’intéresser à la chose publique. La liberté est nécessaire aux hommes, parce qu’ils sont des êtres intelligens; dès qu’ils en sont privés, ils ne conservent ni courage ni industrie; et la société, composée d’automates, doit périr, si elle est attaquée par des ennemis qui soient des hommes.

Ne cherchons point ici ce que la France doit redouter de la part de ses voisins; n’examinons point si ses ennemis ont un gouvernement plus sage qu’elle. Cette discussion m’entraîneroit trop loin. Bornons-nous à la recherche des dangers domestiques dont elle est menacée, et en jetant les yeux sur un peuple voisin, il me semble que nous pouvons juger du sort qui nous attend. Les Espagnols avoient autrefois tout ce qu’il faut pour rendre une nation florissante: avant qu’ils fussent accablés sous une puissance arbitraire, ils ont fait de grandes choses; et s’ils avoient eu l’art d’affermir les principes de leur liberté, ils seroient aujourd’hui heureux. Mais le pouvoir du roi étant parvenu à s’accroître au point de ne trouver aucun obstacle, l’état a été sacrifié, comme il devoit l’être, aux passions du monarque et de ses ministres. Les Espagnols avilis et dégradés ont perdu leur génie, leurs talens, leur courage et leur activité, et ont cherché le bonheur qui les fuyoit, dans leur paresse et leur indolence. Les provinces sont devenues des déserts; les hommes ont cessé d’être citoyens; et malgré les vastes possessions du roi d’Espagne, il a aujourd’hui moins de force que n’en avoient autrefois ces petits rois d’Aragon, de Grenade, de Castille, de Léon, de Murcie, &c., quand le gouvernement étoit encore propre à donner du ressort à l’ame des sujets. Au commencement de ce siècle, l’Espagne, qui avoit été la terreur de l’Europe, n’a pas été en état de défendre par ses propres forces le roi qu’elle s’étoit donné; elle a perdu les provinces qu’elle possédoit en Italie et dans les Pays-Bas, et si sa position topographique l’exposoit aux incursions de ses ennemis, ne seroit-elle pas démembrée?

La France n’offre déjà plus que le spectacle effrayant d’une multitude de mercenaires dont elle ne peut payer les services à leur gré, et qui la serviront mal. Qu’on ne soit pas surpris que des hommes qui ne peuvent être citoyens, préfèrent leurs intérêts à ceux de la patrie. On voit déjà parmi nous l’empreinte fatale du despotisme, non pas de ce despotisme terrible qui s’abreuve de sang et répand la consternation par-tout: nos mœurs amollies ne le permettent pas; mais de ce despotisme qui établit par-tout la misère et l’indigence, qui porte par-tout le découragement, la corruption, la bassesse et l’esprit de servitude, symptômes certains d’une décadence, et avant-coureurs d’une ruine inévitable, quand il se présentera un ennemi redoutable sur ses frontières.

Fin du livre huitième.


REMARQUES ET PREUVES
DES
Observations sur l’histoire de France.


SUITE DU LIVRE VIme.


CHAPITRE IV.

[235] On en trouve la preuve dans l’ordonnance par laquelle Philippe-Auguste régla l’administration de ses terres ou de ses domaines pendant la croisade, ou s’il mouroit dans cette expédition. Il ne consulte point ses grands vassaux ou ses barons, parce que chaque seigneur avoit le droit d’administrer à son gré ses affaires domestiques. Consilio altissimi ordinare decrevimus. D’ailleurs l’autorité royale étoit encore si foible, qu’on s’embarrassoit peu des arrangemens domestiques que le roi prenoit. Pretereà volumus et præcipimus ut charissima mater nostra A. regina statuat cum charissimo avunculo nostro et fideli Guillelmo Remensi archiepiscopo singulis quatuor mensibus ponent unum diem Parisiis, in quo audiant clamores hominum regni nostri, et ibi eos finiant ad honorem Dei et utilitatem regni. Et par le mot regnum, il ne faut pas entendre le royaume, mais les terres et les domaines du roi. On se sert de ces dernières expressions, quand les ordonnances sont écrites en français; d’ailleurs, on voit que, dans cette pièce, il n’est question que d’affaires particulières.

Præcipimus insuper, ut eo die sint antè ipsos de singulis villis nostris, et baillivi nostri qui assisias tenebunt, ut coràm eis recitent negocia terræ nostræ. Voilà peut-être ce qui aura donné à Philippe-le-Bel l’idée d’assembler des états. Philippe-Auguste veut que les bénéfices dont il étoit collateur, soient donnés à des hommes de bonnes mœurs et instruits, et qu’on consulte à ce sujet le frère Bernard, qui étoit un moine de Grandmont: Viris honestis et litteratis, consilio fratris Bernardi conferant. Cet acte n’est signé que par des domestiques du roi. Signum comitis Theobaldi Dapiferi nostri, signum Guidonis Buticularii, signum Mathei Camerarii, data vacante cancellariâ.

[236] «Le roi Charles VII fut le premier, par le moyen de plusieurs sages et bons chevaliers qu’il avoit, qui lui avoient aidé et servi en sa conquête de Normandie et de Guyenne, que les Anglois tenoient, lequel gaigna et commença ce point, que d’imposer tailles en son pays et à son plaisir, sans le consentement des états de son royaume..... et à ceci se consentirent les seigneurs de France, pour certaines pensions qui leur furent promises, pour les deniers qu’on léveroit en leurs terres..... Mais à ce qui est advenu depuis et adviendra, il chargea fort son ame et celles de ses successeurs, et mit une cruelle plaie sur son royaume, qui longuement saignera, et une terrible bande de gens d’armes de soulde, qu’il institua à la guise des seigneurs d’Italie.» (Comines, Liv. 6. Ch. 7.)

[237] Voyez les cahiers des états tenus à Tours, sous Charles VIII, Chap. 3. «Jamais le roi Charles VII, dit Comines, (Liv. 5, Chap. 18.) ne levera plus de dix-huit cent mille francs par an: et le roi Louis, son fils, enlevoit à l’heure de son trespas quarante et sept cent mille francs, sans l’artillerie et autres choses semblables.» Comines redit la même chose, (Liv. 6. Chap. 7.) «Et il ajoute que Charles VII pour tous gens d’armes ne tenoit qu’environ dix-sept cent hommes d’armes, et que Louis XI avoit environ quatre ou cinq mille d’hommes d’armes, et plus de vingt-cinq mille gens de pied.»

Puisque j’ai cité Comines, je ne puis m’empêcher de rapporter un morceau admirable de cet écrivain. En s’élevant en général contre l’injustice des gouvernemens, il fait une peinture de la politique qu’il avoit vu pratiquer sous ses yeux: cette autorité confirmera ce que j’ai dit. «Là, tout est disposé et arrangé de sorte que le prince puisse lever des impôts à son gré, et c’est par là qu’il tient tous ses sujets sous le joug. On punit sous ombre de justice, et le prince a toujours à sa disposition des juges qui d’un rien font un crime, et qui trouvent des témoins et des dépositions tels qu’ils les veulent, et qui sous prétexte de faire un exemple punissent un innocent. Quand le prince est fort, tout défaut de complaisance à ses volontés devient une vraie désobéissance et le violement de l’hommage, et en conséquence, on confisque ses biens. On fait craindre aux uns de perdre leurs emplois. On chicane les gens d’église sur leurs bénéfices. On ruine la noblesse par les dépenses de la guerre entreprise sans consulter les états et de ceux qu’on auroit dû consulter, puisque c’est aux dépens de leur sang et de leur fortune que se fait la guerre. On ruine le peuple par des tailles, on tolère les violences et rapines des gens de guerre.» (L. 5. Ch. 18.)

[238] «Le roi (Louis XI) fit tenir les trois estats à Tours es mois de mars et d’avril mil quatre cent septante, ce que jamais n’avoit fait, ni ne fit depuis. Mais il n’y appela que gens nommez, et qu’il pensoit qui ne contrediroient point à son vouloir..... A cette assemblée y avoit plusieurs gens de justice, tant de parlement que d’ailleurs, et fut conclu selon l’intention du roi que ledit duc seroit ajourné à comparoir en personne en parlement à Paris.» (Comines, L. 3. Ch. 1.) C’est une erreur. Cet historien avoit, sans doute, oublié «qu’au mois d’avril audit an 1467, en caresme, le roi Loys de France manda assembler en la ville de Tours les trois estats de son royaume; c’est à savoir les gens d’église, évêques et prélats, les nobles seigneurs, chevaliers et escuyers, et chacune ville et cité, trois ou quatre personnes des plus notables d’icelles, etc.» (Voyez les preuves des mémoires de Comines, par Godefroy, édition de l’abbé Lenglet du Fresnoy, T. 3. pag. 5.)

[239] «Nous lui avons ordonné, commandé et enjoint ainsi que pere peut faire à son fils, qu’il se gouverne, entretienne et maintienne en bon régime et entretenement dudit royaume, par le conseil, avis et gouvernement de nos parens et seigneurs de notre sang et lignage, et des autres grands seigneurs, barons, chevaliers, capitaines et autres gens sages et notables, de bon conseil et conduite, et principalement de ceux qu’il sçaura et connoistra avoir été bons et loyaux à feu nostre chier sieur et pere, que Dieu absolve, à nous et à la couronne de France, et qui nous auront été bons et loyaux serviteurs, officiers et subjets.» (Ordon. du 21 septembre 1482.)

[240] Le commerce ne dérogeoit point autrefois. On voit que les plus grands seigneurs, en traitant du droit de commune avec leurs sujets, se réservèrent un temps fixe, non-seulement pour vendre en détail les denrées de leur cru, mais encore celles qu’ils avoient achetées pour les vendre. Il est souvent parlé dans les ordonnances des gentilshommes et des clercs qui font le commerce, ou qui tiennent des terres à ferme. En 1355 il fut défendu aux magistrats du parlement et aux officiers du roi de commercer; et je me rappelle d’avoir vu une ordonnance de Charles V, du 13 novembre 1372, qui fait la même défense aux officiers des aides. Sous le règne de Charles VI, il dut commencer à paroître indigne de tout gentilhomme de trafiquer ou de tenir des biens à ferme, puisque ceux qui se trouvoient dans ce cas furent alors assujettis à payer la taille, et confondus, à cet égard avec les roturiers. Voyez l’article 14 de l’ordonnance du 28 mars 1395, que j’ai rapporté dans la remarque 232 du second chapitre de ce livre. L’exemption de la taille n’ayant été accordée par Charles VI qu’aux gentilshommes qui servoient ou que leur âge et leurs blessures avoient forcé de quitter le service, c’est sous ce règne qu’a dû se former le préjugé commun parmi nous, qu’un gentilhomme n’a point d’autre profession que celle des armes.

Jusqu’au règne de Philippe-le-Long, les baillis, sénéchaux et prévôts, tous gentilshommes, étoient à la fois officiers de guerre, de justice et de finance. Les prévôts percevoient dans l’étendue de leur prévôté les revenus du roi; ils rendoient compte de leur recette au bailli ou au sénéchal dont ils relevoient; et celui-ci, faisant dans son ressort les fonctions d’un receveur général, répondoit des deniers au conseil ou à la chambre des comptes. Il n’étoit donc pas surprenant que les François avant Philippe-le-Long n’eussent pas les mêmes idées qu’ils ont aujourd’hui sur l’état de financier. Soit que ce prince ne vît qu’avec inquiétude dans la main des mêmes personnes toutes les différentes autorités qui avoient rendu autrefois les ducs et les comtes si puissans dans leurs gouvernemens, soit qu’il n’obéît qu’à cet instinct qui porte les despotes à séparer et diviser toutes les parties de l’administration, il établit le premier dans chaque bailliage des receveurs généraux, qui furent seulement officiers de finance.

(Ordon. du Louvre, T. 1. p. 583.) Voyez les lettres-patentes du 11 octobre 1393, par lesquelles Charles VI ordonne que les nobles et ses officiers ne seront point admis à mettre des enchères sur les formes des impositions, à moins qu’il ne se présente point d’autres enchérisseurs. Le motif de cette défense, c’est que les financiers gentilshommes se conduisoient moins bien que les autres; qu’ils abusoient plus aisément de leur crédit, et qu’il étoit plus difficile de les punir. Sans doute que si la noblesse d’aujourd’hui, si peu avide d’argent, redevient jamais financière, elle ne s’exposera plus à la même exclusion.

[241] «Lesdits estats ne veulent ou entendent aucune chose diminuer du roule ou ordonnance du roi et de ses seigneurs conseillers, envoyez par escrit de par le roy et ses dits seigneurs auxdits estats, et s’en rapportent au bon plaisir du roy et les dits seigneurs et princes du sang et du conseil pour en disposer en leurs consciences comme ils verront estre à faire». (Cahiers des états, chapitre 6.)

[242] «Disoient aucuns de petite condition, et de petite vertu, et ont dit par plusieurs fois depuis, que c’est crime de lèze-majesté que d’assembler les estats, et que c’est pour diminuer l’autorité du roi; et ce sont ceux qui commettent ce crime envers dieu et le roy et la chose publique; mais servoient ces paroles et servent à ceux qui sont en autorité et crédit, sans en rien l’avoir mérité, et qui ne sont propices d’y estre; et n’ont accoutumé que de flageoler et fleureter en l’oreille et parler des choses de peu de valeur, et craignent les grandes assemblées de peur qu’ils ne soient connus ou que leurs œuvres ne soient blamées». (Comines, L. 5. Ch. 18.)

[243] «S’il (Louis XI) n’eust eu la nourriture autre que les seigneurs que j’ai vus nourrir en ce royaume, je ne crois pas se fust ressours car ils ne les nourrissent seulement qu’à faire les fols en habillemens et en paroles, de nulles lettres ils n’ont connoissance. Un seul sage homme on n’entremet à l’entour. Ils ont des gouverneurs à qui on parle de leurs affaires, et à eux rien: et ceux-là disposent de leurs dits affaires: et tels seigneurs y a qui n’ont pas treize livres de rente en argent, qui se glorifient de dire: parlez à mes gens; cuidans par cette parole contrefaire les très grands seigneurs... Aussi ai-je bien veu souvent leurs serviteurs faire leur profit d’eux, en leur donnant bien à connoître qu’ils estoient bestes, et si d’adventure quelqu’un s’en revient, et veut connoître ce qui lui appartient, c’est si tard, qu’il ne sert plus de guères». (Comines, L. 1. Chap. 10)

«Encore ne me puis-je tenir de blamer les seigneurs ignorans. Environ tous les seigneurs se trouvent volontiers quelques clercs et gens de robbes longues, comme raison est, et y sont bien seans quand ils sont bons; et bien dangereux quand ils sont mauvais. A tous propos ont une loi au bec, ou une histoire, et la meilleure qui se puisse trouver, se tourneroit bien à mauvais sens: mais les sages et qui auroient lu, n’en seroient jamais abusés: ny ne seroient les gens si hardis de leur faire entendre mensonge. Et croyez que Dieu n’a point establi l’office de roy ny d’autre prince pour estre exercé par les bestes; ny par ceux qui par vaine gloire disent: je ne suis pas clerc, je laisse faire à mon conseil, je me fie à eux. Et puis sans assigner autre raison, s’en vont en leurs esbats.» (Ibid. L. 2. Ch. 6.)


CHAPITRE V.

[244] Voyez livre 4, chap. 5, remarque 176.

[245] Les offices du parlement n’étoient point donnés à vie, le roi en disposoit à son gré, comme de tous les autres offices: et ce droit paroîtra incontestable, si on se rappelle que les états de 1356 demandèrent au Dauphin et obtinrent la déposition de vingt-deux officiers, parmi lesquels on en compte plusieurs qui étoient présidens ou conseillers au parlement. Tant que ce tribunal ne tint ses séances que deux fois l’an, à Pâques et à la Toussaint, on fit régulièrement tous les ans le rôle des officiers qui devoient administrer la justice; mais la multitude des affaires les tenant enfin toujours assemblés, on négligea de nommer tous les ans de nouveaux magistrats; on laissa subsister les anciens, et ils ne prenoient de nouvelles commissions qu’à l’avénement d’un nouveau roi au trône.

Louis XI déposséda plusieurs officiers, et ne tarda pas à s’en repentir. Il éprouva que les mécontens qu’il avoit faits lui suscitoient mille difficultés; et c’est pour empêcher que son fils ne fît la même faute, et ne courût le même danger, qu’il fit, le 21 septembre 1468, une ordonnance qui rendoit les offices inamovibles, «Nous lui avons aussi par exprès commandé, ordonné et enjoint, et quand il plaira à Dieu qu’il parvienne à ladite couronne de France, qu’il entretienne es charge et offices qu’il trouvera estre lesdits sieurs de nostre sang et lignage, les autres barons, sieurs, gouverneurs, chevaliers, escuyers, capitaines et chefs de guerre, et tous les autres ayans charge, garde et conduite de gens, villes, places et forteresses, et les officiers ayans offices tant de judicature que autres de quelque manière et condition que lesdits officiers de charges soient, sans aucunement les muer, changer, descharger ne desappointer, ne aucun d’eux, si non toutes fois qu’ils fust ou estoit trouvé qu’ils ou aucuns d’eux fussent et soient autres que bons et loyaux, qu’il en appere bien et duement, et que bonne et deue déclaration en soit faite par justice, ainsi qu’en tel cas appartient.

Nous avons ordonné et commandé à nostre amé et feal notaire et secretaire, tant durant nostre regne, que celui de nostre dit fils: Monsieur Pierre Parent illec present en faire toutes letres et expéditions, provisions, patentes et choses déclaratoires de nosdits vouloirs, commandemens et ordonnance que besoin sera, tant durant nostre regne que celui de nostre fils, et au commencement de son dit regne par manière de confirmation aux dits officiers, en confirmation de eux en leurs dites charges et offices, et avons ainsi commandé à nostre dit fils leur faire par le dit Parent comme nostre secrétaire et le sien. Si donnons en mandement par ces mêmes présentes, &c.»

A chaque nouveau règne on avoit besoin de lettres de confirmation. «Le mardy 2 janvier 1514, toutes les chambres (du parlement) ont été assemblées pour adviser qu’il étoit à faire: parce que le roy Louys dizieme de ce nom, que Dieu absoille, hier au soir tres-passa en son hostel des Tournelles. Et la matiere mise en délibération, a ésté ordonné que après diner à une heure, toute la cour s’assembleroit en parlement pour aller tous ensemble en la manière acoustumée devers le roy, pour lui requérir la confirmation des officiers de la dite cour...... Et a accordé liberalement et joyeusement la confirmation des officiers de ladite cour, en commandant les lettres à Messire Florimond Robertet, chevalier, secretaire des finances dudit seigneur.» Extrait des registres du parlement. Cette pièce est rapportée dans le cérémonial français de MM. Godefroy, p. 278.

[246] On en a vu la preuve, (L. 4. Chap. 5. Remarque 176).

[247] J’ai déjà traité cette matière dans les livres précédens, et je prie le lecteur d’y avoir recours.

[248] Voyez les ordonnances rendues à l’occasion des états-généraux de 1355 et 1356, et dont j’ai rendu compte dans les chapitres 2 et 3 du livre précédent.

[249] On a déjà vu que plusieurs officiers destitués par le Dauphin en 1356, étoient à la fois ministres d’état et magistrats au parlement. «Aucuns, dit du Tillet, estoient conseillers audit conseil et au dit parlement.... de ce et des dites assemblées vint que ceux du dit conseil privé eurent entrée et voix délibéretive au dit parlement, qu’ils n’avoient auparavant, sinon en la présence du roi qui y meine, honore et auctorise qui y luy plaist... Le 5 fevrier 1388, Charles VI déclara que ceux du dit conseil privé auroient l’entrée d’iceluy parlement, pour ce y firent serment tel que les conseillers du dit parlement..... Mais cela fut changé, non sans raison, pour le regard de ceux qui n’avoient jamais exercé office de judicature. Recueil des rois de France, articles du conseil privé du roi.»

«Combien que ce soit chose très-offerante et nécessaire que les présidens de nostre cour de parlement soient souventes fois près de nous, et facent résidence comme continuelle en nostre bonne ville de Paris, pour vacquer et entendre au faict de la justice de nostre royaume, et pour venir en nos conseils quand mandés y sont: neantmoins comme entendu avons, plusieurs d’eux se appliquent à prendre par chacun an plusieurs et diverses commissions pour parties, pour aller hors de nostre bonne ville de Paris en loingtaines parties, dont plusieurs inconvéniens s’en sont ensuivis au temps passé, en préjudice de nous et de notre justice, et tellement que nostre dite cour est souvent démourée desnuée d’iceux présidens, au moins de la plus grande partie d’eux, et que nous ne les avons peu avoir pour assister à nos consaulz quand mandés les y avons, dont nos besognes et affaires et le bien de la justice de nostre dit royaume ont esté retardez: nous voulans à ce pourvoir avons ordonné et ordonnons que doresnavant, quand les commissaires de nostre dite court se distribueront, chacun de nos dits presidens n’aura en un parlement que une commission pour partie, et encore que ce soit au plus près de Paris que faire ce pourra et au plus loing de trente ou quarante lieues. Afin que se besoin est, nous les puissions avoir pour nos dites affaires, si ce n’estoit toutes fois que nous les eussions, et vousissions envoyer en ambassade, ou autrement pour nos besongnes.» (Ordonn. du 17 May 1413.)

[250] Ordon. du Louvre, T. 5. p. 430. On trouve une pièce importante en date du 19 octobre 1371. Elle est intitulée: «lettres qui portent que les nobles du Languedoc payeront l’ayde établie dans ce pays, addressées à Pirre Escatisse, maître des comptes, aux sénéchaux de Toulouse, Carcassonne, Beaucaire, aux élus et receveurs de Languedoc.» On voit par ces lettres que la noblesse du Languedoc appela au parlement de l’ordonnance par laquelle Charles l’assujettissoit à l’aide. Ad nostram parlamenti curiam appellarunt ad executionem ulteriorem antedictarum nostrarum litterarum, procedere distulisti, in nostri non modicum prejudicium. Je voudrois bien connoître les raisonnemens de cette noblesse de Languedoc qui regardoit le roi comme législateur, et qui cependant appeloit de ses ordonnances au parlement. Le sens commun indique qu’on ne doit point appeler du supérieur à l’inférieur. Nous avons adopté cette absurdité dans notre jurisprudence; sans doute parce que nous avons senti combien il est dangereux de remettre toute la puissance législative entre les mains d’un homme; et qu’il se portera aux plus grands excès, si, en lui disant qu’il est tout-puissant, on ne le gêne pas par des formes. Charles V ordonne de poursuivre les nobles qui refuseront de payer. Compellatis viriliter et rigide, et prout pro nostris propriis debitis est fieri consuetum. Il défend d’avoir égard à l’appel: non obstantibus prædictis appellationibus emissis et emittendis. Quas inanes et frivolas esse decrevimus per presentes.

En 1383, la comtesse de Valentinois, le sire de Tournon et plusieurs autres barons, prétendans que les habitans de leurs terres ne devoient point payer l’aide que le roi avoit établie, appelèrent au parlement. (Ord. du Louvre. T. 7, pag. 28.) Voyez les lettres-patentes du 24 octobre 1383. Charles VI défend à son parlement de connoître des appellations faites au sujet de ses aides, dont on se prétendoit exempt en vertu de quelque titre.

[251] Le 7 février 1413, l’université remontra au parlement que les finances du roi étoient mal gouvernées; lui dit qu’elle avoit envoyé des députés pour faire des remontrances au roi, et supplia la cour d’en faire autant de son côté, à quoi la cour de parlement sagement lui fit réponse que c’étoit à elle de faire justice à ceux qui la lui demandoient, et non de la requérir, et qu’elle feroit chose indigne de soy, si elle se rendoit partie requerante, vu qu’elle étoit juge. (Pasquier, p. 279.) Si on demande en vertu de quel droit l’université de Paris faisoit des remontrances à Charles VI sur le désordre des finances, je répondrai que c’est en vertu du droit qu’a chaque citoyen d’être affligé des maux de sa patrie; et qui lui fait un devoir d’y remédier autant qu’il est possible. Je prie de remarquer la réponse du parlement; il a la modestie de ne pas croire qu’il partage avec le roi l’administration de l’état; mais il a la vanité de se regarder comme un corps intermédiaire entre le roi et la nation; et tout corps intermédiaire entre le souverain et les sujets doit à la fin être le maître du souverain et des sujets, si on ne réprime pas son autorité.

[252] «Du samedy dernier décembre 1409, ce jour n’a point été plaidé pour ce que on ne pouvoit entrer au palais, obstant un grant conseil que faisoit le roi en la salle de S. Loys de messieurs de son sang et des nobles du Royaume sur le fait de la guerre d’entre le roy d’une part, et le roy d’Angleterre d’autre part..... Aussi a esté dit, que pour ce qu’il y avoit eu grands déffaulz ou fait de la justice de ce royaume, et aussi au gouvernement et recepte du domaine et des aydes; le roy avoit ordonné plusieurs vaillans hommes raisonnables, généraux réformateurs desquels les aucuns estoient du sang du roy, c’est assavoir les comtes de la Marche, de Vendosme et de St. Pol, lesquels réformateurs présenteroient ceux qui avoit failli, et puniroient ceux qui l’avoient desservi: aussi fut dit que pour ce que le roy pour plusieurs empeschemens que lui survenoient souvent, avoit ja pieça ordonné que la royne par le conseil de messieurs du sang royal entendroit es grosses besognes et cas que en ce royaume adviendroient, auxquelles le roy ne pourroit entendre, icelle royne aussi estoit empeschée pour plusieurs cas qui lui surviennent en empeschent; pourquoi ne pouvoit entendre. Si avoit ordonné le roy à la requeste de la royne, que Monsieur le Dauphin entendroit d’icy en avant aux dictes besongnes par le conseil de Messieurs du sang royal.» Extrait des registres du parlement. Cette pièce se trouve dans le recueil des pièces concernant la pairie, par Lancelot, p. 671. Si cette pièce prouve de quelle considération jouissoit le parlement, elle fait voir aussi quelle autorité les princes et les grands avoient acquise.

«Ce jour après dîner furent assemblez les présidens et conseillers des trois chambres du parlement pour faire response sur ce qui avoit esté ouvert par Monsieur le chancelier, ou conseil tenu ce jour ou matin en la grant chambre du parlement? c’est à sçavoir sur les manieres de trouver et faire finances selon la teneur des lettres du roy publiées et lues ou dict conseil; et finalement fut conclud que maistre Jehan de Longueul président accompagné d’aucuns des conseillers de la court, iroient devers le chancelier, de par la court, dire que les présidens et conseillers d’icelle court ont toujours esté, sont et seront prest et appareillez de conseiller, aider et conforter le roi en ses affaires selon leurs facultés et puissances, en excusant la court de ce qu’elle n’a pas accoustumé de vacquer en inventions de finances, ne exercer le faict d’icelles finances; et que le roy par ses dictes lettres et autrement y avois commis gens saiges et expers au dict faict, qui pourroient et sçauroient mieux pourveoir en ce que estoit à faire pour trouver les manières des dites finances, selon la teneur des dites lettres et commission à eux addressée.» Extrait des régistres du parlement du samedy 10 décembre 1410. (Lancelot, p. 703.) Plût à Dieu que le parlement eût toujours pensé de la sorte; il ne se seroit pas mis à la place des états, et chargé d’un emploi qu’il ne pouvoit remplir.

«Ce jour vindrent en la chambre du parlement le prevost de Paris, messire Jacques Branlard, messire Guillaume le Clerc et plusieurs autres commissaires sur le fait de la police et du gouvernement de Paris, commis de par le roy et son conseil à assembler et conférer ensemble sur ce qui leur sembleroit nécessité et expédient pour la conservation, tuition et deffense de ladite ville. Lesquels commis pour faire cesser toutes paroles outrageuses que l’on pourroit dire et publier en leur préjudice, et pour obvier à tout perils et mautalens, ou indignation des seigneurs, qu’ils pourroient pour occasion de ladite commission encourir, requirent en suppliant, que à tous ce qu’ils avoient advisé ou adviseroient, on donnast nom et authorité d’être fait par le roy en son conseil, ou cas que iceux advis soient approuvez et confirmez, sans dire ou oublier que ce feussent les advis et ordonnances desdits commissaires: en outre requisirent que tous leurs advis autrefois baillez au prevost de Paris et des marchands, feussent rapportez par les dits prevost en la court, et leurs diligences par eux faictes en l’exécution d’iceux advis, et afin que ce qui n’a esté exécuté soit mis à exécution, ou y soit autrement pourveu. En après les dessus dits commissaires firent exposer pleinement plusieurs dommages et inconvéniens qui advenoient, et en disposition d’advenir plus grand sur le fait et gouvernement des finances de ce royaume; et aussi au regard de la monnoie; en quoi les notables anciennes ordonnances n’estoient point observées, comme plus aplain fut déclairé par les dessus dits commissaires, sur lesquelles choses la cour respondit, que à pourveoir sur ce, l’on devoit appeler les gens du conseil du roy.» Extrait des registres du parlement du lundi 6 mars 1418. (Ibid. p. 704.)

«Furent tous les seigneurs de ceans au Louvre en la grant salle, ou estoient en personne la royne, le duc de Guyenne, son fils aisné, le duc de Berry, le duc de Bretaigne, les comtes de S. Pol, de Mortaing, d’Alençon, le duc de Berry, de Bourbon, les comtes de Clermont et de Dampmartin, la duchesse de Guyenne, la dame de Charollois, le comte de Tancarville, le connestable, le chancelier, les présidens du parlement, le grand maistre d’hostel, les archevesques de Bourges, de Tholouse et de Sens, les evesques de Senlis, de Beauvais, d’Amiens, d’Evreux et de Lodeve, d’Alby, de Therouenne, de Seez, de Maillefais et plusieurs autres evesques et abbés, le prevost de Paris et le prevost des marchands accompagné de cent bourgeois ou environ, en la présence desquels et de plusieurs autres notables personnes et gens du conseil du roy, fut publié par la bouche de maistre Jean Juvenal, advocat du roi, la puissance octroyée et commise par le roy à la royne et au dict monseigneur de Guyenne sur le gouvernement du royaume, le roi empesché ou absent.» Extrait des registres du parlement, du mercredi 5 de septembre 1408. (Ib. p. 669.)

«Afin que parmy le royaume on cuidast, que ce qu’on faisoit estoit pour le bien du royaume, cent du conseil des dessus dits firent chercher et querir es chambres des comptes, et du trésor et au Chatellet, toutes les ordonnances royaux anciennes, et sur icelles en formèrent de longues et prolixes, où il y avoit de bonnes et notables choses prises sur les anciennes: puis firent venir Monseigneur le Dauphin, duc de Guyenne, en la cour de parlement tenant comme un lict de justice: et les firent lire et publier à haute voix, et les leut le greffier du Chastellet, nommé Maistre Pierre de Fresnes, qui avoit un moult bel langage et haut. Et furent les dites ordonnances decretées estre gardées et sans enfraindre.» (Hist. de Charles VI, par J. J. des Ursins, arch. de R. p. 254.)

«Assez tost après le roy assembla ceux de son sang et de son conseil en grand nombre en la salle du palais, et par grande et meure délibération cassa et annulla les ordonnances dont dessus a été fait mention, combien qu’il y eust de bonnes choses, mais pour ce qu’elles furent faictes à l’instigation et pourchan des bouchers et de leurs adhérens qu’on nommoit Cabochiens, et que à les publier en parlement étoient les principaux d’entre eux présens et avoués, et pour plusieurs autres raisons furent cassées: aussi que les anciennes suffisoient bien et n’en falloit aucunes autres.» (Ibid. p. 265.)

[253] On ne sait comment s’y prendre pour réfuter les personnes qui n’ont écrit que pour flatter le parlement, qui a la vanité de chercher son origine dans les anciens champs de Mars et de Mai. Il faudroit arrêter ces écrivains à chaque ligne ou plutôt à chaque mot; il faudroit leur faire voir comment ils joignent toujours un mensonge à une vérité; et il en résulteroit des volumes immenses qui n’instruiroient personne, parce que personne ne les liroit. «Il parut, il y a quelques années, des lettres essentielles du parlement, sur le droit des pairs et sur les lois fondamentales du royaume.» Que peut-on répondre à cet auteur? Quand il dit, p. 30: «Qu’on découvre les principes les plus précieux de notre droit public dans le premier âge de la monarchie, et que de-là ils sont venus de main en main jusqu’à nous par une tradition que les rois et les peuples ont toujours également respectée.» Un écrivain si peu instruit des changemens continuels que nos lois et nos coutumes ont éprouvés, ne se rend-il pas suspect par une telle assertion? Mérite-t-il qu’on lui oppose tous les monumens de notre histoire? Il faut avoir les yeux bien fascinés pour voir dans les lois saliques ou ripuaires, dans les capitulaires de Charlemagne, ou même dans les établissemens de S. Louis, les principes de notre gouvernement actuel.

Les lettres historiques distinguent fort bien la cour de justice des rois Mérovingiens du champ de Mars; mais comme l’auteur aura bientôt besoin de les confondre pour l’arrangement de son systême, il ne manque pas d’en donner des idées fausses. Selon lui, lettre 8, la cour du roi, composée de magistrats élus par la nation, et portant le nom de princes, devoit rendre la justice conjointement avec le monarque, quand les affaires de l’état lui en laissoient le loisir, ou à sa charge, quand il ne lui étoit pas possible d’y vaquer. La plupart de ces magistrats se dispersoient dans les différentes portions de l’état, pour y présider aux tribunaux des provinces et des villes; mais ils se réunissoient en des temps marqués auprès de la personne du roi, pour y former le tribunal auguste, connu depuis sous le nom de cour de France, cour du roi, cour des pairs, lit de justice du roi et parlement.»

Je demande d’abord qu’on me prouve que les magistrats qui tenoient la cour du roi, fussent choisis par la nation. A entendre notre auteur, on croiroit que ces magistrats étoient les ducs et les comtes qui alloient gouverner leurs provinces: or, il est certain que les ducs et les comtes étoient nommés par le roi sans le concours de la nation, et il n’est pas moins faux qu’ils se réunissoient en des temps marqués auprès de sa personne pour former la cour de France. La cour de justice du roi étoit perpétuelle; les leudes y jugeoient, et elle fut présidée sous la première race par les maires du palais, et sous la seconde par l’appocrisiaire et le comte du palais..... Les grands ne se rassembloient pas pour tenir la cour de justice, mais pour former ces assemblées plus solennelles qui succédèrent au champ de Mars, et qui rendirent le gouvernement aristocratique, de démocratique qu’il étoit auparavant. On trouvera les preuves de tous ces faits dans les remarques de mon premier livre.

«L’autre tribunal (le champ de Mars) qui étoit vraiment alors la cour de France et le vrai lit de justice des rois, étoit le parlement général, ou l’assemblée des Francs, présidés par le roi et par les magistrats ou princes. C’étoit dans ce tribunal seul que le monarque formoit ses lois, et que toutes les affaires générales se décidoient par le conseil et la délibération pleinement libres de ceux qui le formoient; il étoit le conseil public des monarques; il étoit aussi la vraie cour des pairs, qui seule jugeoit le grand criminel des Francs.»

Je ne sais pourquoi notre auteur, en parlant du champ de Mars, se sert des mots de parlement et de lit de justice: ils n’ont été connus que sous la troisième race, et même assez tard. Je n’entends rien aux expressions de magistrats et de princes, qui ne sont employées que pour faire illusion. Je voudrois que notre auteur me fît le plaisir de me faire connoître les mémoires secrets qui lui ont appris que les rois Mérovingiens présidoient le champ de Mars; ce que je sais, c’est que Charlemagne ne présidoit point le champ de Mai. Le roi ne formoit point ses lois; il se bornoit à publier celles que l’assemblée avoit faites. La qualité de pairs n’étoit point connue sous la première, ni sous la seconde race; ce n’est que sous la troisième qu’on commença à donner ce titre aux vassaux immédiats de la couronne. Voulez-vous savoir ce que c’est que le grand criminel des Francs? On vous l’apprendra p. 104 «Avant notre établissement dans les Gaules, les délits qui n’étoient pas punis de mort, n’étoient que des affaires civiles entièrement étrangères au grand criminel. Conséquemment le roi et les princes en connoissoient hors du parlement, au lieu qu’ils ne jugeoient du criminel que dans le parlement même, qui étoit proprement la cour générale des pairs.»

Je voudrois bien connoître la loi concernant le grand criminel des Francs: j’avoue que je n’en ai trouvé aucune trace ni dans le code salique, ni dans le code ripuaire: «L’insolence du coup de hache, dit notre auteur, p. 52, en parlant de l’aventure du vase de Soissons, méritoit sans doute d’être sévèrement punie; mais c’étoit une autre loi, que le grand criminel étoit réservé à l’assemblée de la nation présidée par le roi, ou autrement au parlement général. Clovis, qui avoit montré tant de circonspection sur un simple usage, n’avoit garde de mépriser cette loi capitale. Il suspendit donc son juste courroux pendant près d’un an, jusqu’au champ de Mars ou parlement suivant; et là il faut avouer qu’il s’oublia lui-même, et qu’il flétrit l’éclat de la modération qu’il avoit fait paroître à Soissons; car, sans attendre que le coupable y fût jugé par ses pairs, il saisit le vain prétexte militaire, que ses armes n’étoient pas en bon état, pour le tuer de sa propre main.» Tout cela est trop ridicule pour que je m’arrête à faire quelques réflexions. Il faut continuer à entendre notre auteur.

«La seconde race de nos rois, dit-il, nous présente ces deux tribunaux dans toute leur splendeur. Les grands du royaume, les principaux officiers de la couronne, les prélats et les premiers sénateurs de France ou conseillers, continuèrent de composer la cour du roi, d’y juger de grandes affaires et d’être le conseil né du monarque, pour les affaires les plus instantes. Ces magistrats présidoient toujours sous le titre de ducs et de comtes aux tribunaux des provinces, et aux assemblées provinciales, qui se tenoient plusieurs fois l’année. Mais tous les ans ils se réunissoient en cour pleinière auprès du roi, soit pour décider les affaires d’un ordre supérieur, soit pour préparer les matières qui devoient être proposées au parlement général, ou pour y statuer provisoirement, si des circonstances pressantes l’exigeoient.»

Voici des sénateurs de France, et je défie qu’on me cite un seul de nos monumens où les ducs et les comtes aient pris cette qualité. J’ajoute que sous la seconde race, la France ne fut pas divisée en duchés, mais en comtés ou en légations, et qu’on ne commença à voir renaître des ducs que dans la décadence des Carlovingiens. Qui a dit à notre auteur que les ducs et les comtes présidoient aux assemblées provinciales? Pour moi, j’ai vu dans les capitulaires que cet honneur étoit attribué aux Envoyés royaux les Missi Dominici. Notre auteur fait venir tous les comtes à l’assemblée ou au conseil qui se tenoit tous les ans à la fin de l’automne, après la campagne, pour préparer les matières qui devoient se traiter au champ de Mai; mais Hincmar m’apprend qu’on n’y voyoit que les seigneurs les plus expérimentés et les principaux ministres du roi. Qui dois-je croire?

«L’assemblée du parlement général se tenoit de même tous les ans; on continua d’y décider tout ce qui concernoit la législation, ou la police publique, les affaires générales de l’état, les procès criminels des pairs. C’étoit toujours le conseil public des rois... mais comme les états de ces rois étoient bien autrement étendus que sous la première race, il fallut encore faire une restriction dans ces assemblées: il ne fut plus possible d’y admettre comme auparavant, tous ceux indistinctement qui tenoient rang dans l’état, les grands seuls y eurent entrée, avec les prélats et les sénateurs: nous le lisons dans Hincmar.» Il faut que je n’aie lu que quelques mauvaises éditions, car j’y ai vu tout le contraire. Voyez mes remarques sur le second livre.

«C’est ainsi que les voies se préparoient à la réunion de ces deux sortes d’assemblées, qui, comme l’observe Mezerai, se confondirent en une sous les derniers rois de la seconde race. En restreignant les parlemens généraux aux seuls grands du royaume, avec les prélats et les sénateurs, la cour du roi se trouva bientôt n’être plus que ces parlemens mêmes, et les parlemens n’être plus que cette cour plénière, puisqu’ils étoient composés des mêmes personnes.»

Je ne me rappelle point si Mezerai a fait cette observation; mais, s’il l’a faite, je ne crains point de dire qu’il s’est trompé. Dans la décadence des Mérovingiens, il est vrai que le peuple ne fut plus compté pour rien, et que les grands, qui avoient repris leur ancien esprit de tyrannie pendant les divisions des fils de Louis-le-Débonnaire, assistèrent seuls aux assemblées de la nation. A mesure qu’ils affermirent leur autorité dans leurs provinces ou dans leurs terres, ils dédaignèrent de se rendre aux convocations que les rois faisoient d’une manière propre à les faire mépriser. Bien loin que les assemblées des grands, qui avoient succédé au champ de Mai, se confondissent avec la justice du roi pour ne plus former qu’un seul corps, l’une et l’autre s’anéantirent. Si ces grands avoient continué à s’assembler, auroit-on vu ce démembrement général de toutes les parties du royaume? Auroit-on vu naître le gouvernement féodal, qui suppose l’anarchie la plus monstrueuse? Auroit-on vu dans chaque province, ou plutôt dans chaque baronnie, se former des coutumes différentes au gré des passions et des caprices des seigneurs?

Il ne faut pas avoir assez peu d’esprit pour associer des choses insociables; mais aucune absurdité ne coûte à nos historiens, annalistes pour la plupart, qui n’ont jamais réfléchi sur les causes des révolutions qu’éprouvent les états, qui n’ont jamais connu le jeu des passions entre elles; et qui, sans avoir médité sur les lois de la nature et celle des gouvernemens, ne sont que des ouvrages inutiles pour notre instruction. En voyant les désordres et les malheurs qui perdirent la maison de Charlemagne, tout homme sensé doit conclure, si je ne me trompe, qu’il n’y avoit donc plus dans la nation ni de puissance législative ni d’assemblée générale.

Au milieu de cette anarchie, est-il possible de croire que la cour de justice des derniers Carlovingiens jouît de quelque considération? Peut-on même penser qu’elle subsistât? Qui auroit voulu avoir recours à un tribunal dont le chef étoit méprisé? Qu’on fasse attention qu’il ne restoit que deux ou trois villes à ces princes malheureux. D’ailleurs, il est certain que les appels connus sous la première et la seconde race, ne furent plus en usage dans cette décadence, et que tous les seigneurs rendirent leurs justices souveraines. Voyez les preuves ou remarques de mon second ou troisième livre.

Après ces réflexions, comment peut-on entendre dire à notre auteur que «la police féodale qui survint vers ces temps, cimenta plus étroitement encore cette union. D’un côté, par cette police, la cour du roi se trouva composée des barons ou vassaux immédiats de la couronne, ecclésiastiques et laïcs, et des sénateurs: c’étoit même une des charges de leur fief ou baronnie, de se trouver en la cour du roi, pour y rendre la justice en son nom. De l’autre, on ne regarda plus comme vrais grands du royaume que ces barons ou vassaux immédiats; en conséquence, on n’admit plus qu’eux aux parlemens généraux, avec les prélats et les sénateurs. Les arrière-barons, quelques riches qu’ils pussent être, ne furent plus destinés qu’à composer la cour ou parlement de chacun de ces hauts barons de France. Par-là, les parlemens généraux et la cour du roi, le conseil judiciaire et le conseil public devinrent plus que jamais un seul et même tribunal.»

Je ne finirois point si je voulois examiner en détail tout ce passage où l’on entrevoit quelques demi-vérités. Qu’on lise Pierre de Fontaine, Beaumanoir, les assises de Jérusalem et les établissemens de S. Louis, et on jugera si les coutumes dont on rend compte, peuvent s’allier avec une puissance publique. Si le parlement étoit sous Hugues-Capet, tel que le suppose l’auteur des lettres historiques, pourquoi les premiers Capétiens n’auroient-ils pas fait des lois générales pour tout le royaume? pourquoi les verroit-on continuellement négocier et traiter avec leurs vassaux? pourquoi n’auroient-ils eu aucune autorité sur les arrière-fiefs? Quand la cour du roi auroit eu tout le crédit que prétend notre auteur, n’est-il pas visible qu’elle l’auroit perdu par l’établissement des appels, qui fit passer l’administration de la justice dans les mains des clercs, gens inconnus, et qui n’avoient rien de cet éclat qui donne de la considération aux compagnies? Ce nouveau parlement étoit encore plus différent de l’ancien, que le nouveau parlement de Maupou ne l’est de celui qu’on vient de détruire. Si cette compagnie avoit cru représenter le Champ de Mai et la cour de justice du roi, pourquoi négligeroit-elle ses droits? pourquoi, quand on la presse de se mêler des affaires publiques, déclareroit-elle qu’elle n’est destinée qu’à rendre la justice? Voyez la remarque précédente et les suivantes. Quand, en effet, le nouveau parlement succéderoit aux droits réunis du champ de Mai, de la cour plénière et de la cour de justice, il faut convenir que les nouvelles coutumes et l’opinion publique en avoient fait un corps tout nouveau.

Je demande pardon à mes lecteurs de m’être si fort étendu à réfuter les lettres historiques; mais il l’a fallu, parce qu’elles contiennent toute la doctrine que le parlement s’est faite depuis qu’il a vu augmenter sa considération et son autorité par la suppression totale des états-généraux. D’ailleurs, cet écrit a eu de la vogue; on a regardé son auteur comme un oracle, et il est nécessaire de ne pas laisser enraciner ses erreurs.

De cette foule d’écrits qu’on a faits sur l’autorité royale, le parlement et la pairie, il n’y en a pas un qu’on puisse regarder comme l’ouvrage d’un homme passablement instruit du droit naturel et des révolutions qui ont sans cesse changé nos coutumes et nos lois. Je n’en excepte pas une longue dissertation sur l’origine et les fonctions essentielles du parlement, sur la pairie et le droit des pairs, et sur les lois fondamentales de la monarchie française, par Cantalause, conseiller au parlement de Toulouse. C’est toujours la même erreur de se croire le Champ de Mars et de Mai, et de représenter la nation. Si on ne pouvoit pas accuser l’auteur d’ignorance, il faudroit l’accuser de mauvaise foi. C’est un assemblage de passages auxquels on donne un sens qu’ils n’ont point, ou qu’on cite sans les entendre.

Vaudeuil, conseiller au parlement de Paris, et depuis premier président du parlement de Toulouse, a fait un ouvrage sur cette matière: il le lut aux chambres assemblées, espérant qu’elles ordonneroient de le rendre public; mais elles n’en firent rien, et elles firent bien. J’ai lu ce manuscrit précieux, farago, ce sont les mêmes prétentions que dans les lettres historiques, et la dissertation de Cantalause, mais appuyées de preuves et de raisonnemens encore moins spécieux.

Je devrois peut-être examiner ici le plaidoyer de Daguesseau, depuis chancelier, dans le procès du duc de Luxembourg; et certainement je donnerois cette marque de respect à la mémoire d’un magistrat distingué par ses lumières, si son ouvrage contenoit quelque chose de nouveau ou d’étranger au roman que le parlement a imaginé: d’ailleurs, l’autorité du chancelier Daguesseau sur l’objet que je traite, est moins considérable qu’en toute autre matière. Dans le mémoire qu’il a fait pour servir à l’instruction de son fils, et qu’on a imprimé dans le recueil de ses œuvres, il avoue lui-même qu’il ignore notre histoire et notre droit public: on peut donc se dispenser de le réfuter. J’avois dessein de relever les principales erreurs de nos historiens; mais je ne me sens pas le courage de revoir et de mettre en ordre les remarques que j’avois assemblées. L’ancien parlement étant détruit, ses chimères vont s’évanouir; et le nouveau parlement ne peut avoir d’autres droits que ceux qui lui sont accordés par le chancelier Maupeou.

[254] Volumus etiam ut capitula quæ nunc et alio tempore consultu nostrorum fidelium à nobis constituta sunt, à cancellario nostro archiepiscopi et comites de propriis civitatibus modo, aut per se, aut per suos missos accipiam, et unus quisque per suam diocesim cæteris episcopis, abbatibus, comitibus et aliis fidelibus nostris ea transcribi faciunt, et in suis civitatibus coràm omnibus relegant, ut cunctis nostra ordinatio et voluntas nota fieri possit. Cancellarius tamen noster nomina episcoporum et comitum qui ea accipere curaverint notet, et ea ad nostram notitiam perferat, ut nullus hoc prætermittere præsumat. (Capit. an. 823, art. 24.) Ne résulte-il pas de ce capitulaire de Louis-le-Débonnaire, que bien loin que les tribunaux de justice regardassent comme un droit qu’on leur envoyât les nouveaux réglemens pour les examiner, les enregistrer et leur donner force de lois, ils les voyoient comme un nouveau joug qu’on vouloit leur imposer?

[255] Jamais on n’a fait tant de remontrances que sous ce règne, et jamais on n’a tant parlé de l’enregistrement. Nos magistrats se sont rendus incommodes à la cour, sans se rendre agréables à la nation: n’en devoit-il pas résulter les désastres qu’ils ont éprouvés? On étoit las de voir dans toutes leurs doléances qu’ils ne réclamoient que des droits aussi anciens que la monarchie: c’étoit montrer beaucoup d’ignorance de notre droit public; et par malheur ils ignoroient encore plus le droit naturel.

[256] Voyez la remarque 146 du livre 4, chap. 2.

[257] «Li rois ne peut mettre ban en la terre au baron, sans son assentement, ne li bers ne peut mettre ban en la terre au vavassor.» (Estab. de St. Louis, L. 1, chap. 24.)

[258] Voyez la remarque 186 du livre 5, chap. 1.

[259] Jean IV, comte d’Armagnac, ayant refusé de mettre en possession de l’archevêché d’Auch Philippe de Leny qui avoit été élu, le roi Charles VII s’empara de son comté; et ce seigneur, soupçonné de plusieurs autres délits, fut cité au parlement de Paris. Le 14 mars 1457, il déclina cette juridiction, prétendant devoir être jugé par le roi et les pairs. Le procureur du roi, pour s’y opposer, dit que le comte n’a «ni privilége, ni ordonnance enregistrée en ladite cour, ou trésor des chartres, ni en la chambre des comptes.» Extrait des registres du parlement, rapporté par Lancelot dans le second volume p. 161, des pièces concernant la pairie, dont le gouvernement a empêché la continuation et la publication. J’aurai occasion de parler dans les remarques suivantes de ce procès, et l’on verra que ce procureur du roi, qui met le trésor des chartes et la chambre des comptes sur la même ligne que le parlement, étoit cependant très-prévenu en faveur des droits et des prérogatives de sa compagnie.

Puisqu’il s’agit ici d’un des points les plus importants de notre droit public, le lecteur me permettra sans doute de rapprocher ici quelques autorités au sujet de l’enregistrement. «Et afin que parmi le royaume on cuidast que ce qu’on faisoit, étoit pour le bien du royaume, ceux du conseil des dessus dits firent chercher et querir es chambres des comptes et du trésor et au Châtellet, toutes les ordonnances royaux anciennes et sur icelles en formèrent de longues et prolixes, où il y avoit de bonnes et notables choses prises sur les anciennes.» Hist. de Charles IV par J. J. des Ursins, arch. de R. Donc que les ordonnances étoient tantôt envoyées à la chambre des comptes et au Châtelet, et tantôt déposées seulement dans le trésor des chartes. On se seroit contenté de fouiller dans le greffe du parlement, si on avoit été sûr d’y tout trouver.

«Cette loy ou constitution royale (de Charles V pour fixer la majorité de ses successeurs) fut publiée en parlement du roy, en sa présence, de par luy, tenant sa justice en son dit parlement en sa magnificence ou majesté royale, le 20 jour de may l’an de grâce 1375: à ce furent présens le dauphin de Viennois fils ainsné, le duc d’Anjou, frère du roy nostre sire, le patriarche d’Alexandrie, les archevesques de Rheims et de Tholose, les évesques de Laon, de Meaux, de Paris, de Cornouaille, d’Auxerre, de Nevers et d’Evreux, les abbés de Saint-Denis en France, de l’Estoure, de Saint-Wast et de Sainte-Colombe de Sens, de Saint-Cyprian et de Vendosme, chancelier du duc d’Anjou, le recteur et plusieurs maistres docteurs en théologie, docteurs ès décrets et autres sages élevés en l’université de Paris, le doyen et archidiacre de Brie, le chancelier et pénitencier et plusieurs autres notables personnes de l’église de Paris, le chancelier de France, les comtes d’Alençon, d’Eu et de la Marche, messire Robert d’Artois, le comte de Brienne et de Lisle, et messire Reymond de Beaufort, le prevost des marchands et les eschevins de la ville de Paris, et plusieurs autres gens sages et notables, tous clercs comme laïs en grand nombre. Et est cette loi ou constitution royale enregistrée au parlement et l’original mis au tresor des chartres du roy, et la copie d’icelle par manière d’original sous le grand scel royal, baillée aux religieux de Saint-Denis en France, pour la mettre et garder en leur tresor; et tout afin de perpétuelle mémoire d’icelle loi ou constitution royale. Ainsi est-il contenu en une cédule attachée à icelle par le greffier du parlement.» Il me semble que je ne vois là que de la pompe et de l’éclat pour rendre la publication de la loi plus solennelle. Je suis étonné que les religieux de Saint-Denis n’aient pas prétendu qu’on ait toujours déposé les lois chez eux, et qu’une ordonnance qu’on ne trouveroit pas dans leurs archives, devoit être sans force.

«Voulons et commandons que nos seneschaux et baillis facent solemnellement crier et publier en la maniere que nos amez et feals les gens de nos comptes le manderont par leurs lettres closes, nos dittes ordonnances et deffenses. (Ordon. du 28 février 1315.) Voulons par eux (les notaires royaux) acertener sur ce, que ils ayent recours en nostre chambre des comptes où nous avons fait régistrer nos dittes ordonnances et baillées à garder.» (Ord. de décembre 1320.)

Voici quelque chose encore de plus fort: «de par le roy, nos gentz du parlement, nous avons faict certaine ordenance sur lestat des gentz de nos chambres du parlement des enquestes et de nos requestres du palais, par délibération de nostre grand conseil, laquelle nous avons envoyé soubs le scel de nostre secret enclos à nos gentz des comptes qui vous en bailleront la copie.» (Ordon. du 11 mars 1344, Lancelot, p. 522.) Si le parlement dans ce temps-là avoit eu de son enregistrement la même idée qu’il a eue depuis, j’ai de la peine à penser qu’on l’eût traité d’une manière si légère.

Accidit frequenter, quod arrestorum et judicatorum in eâdem curiâ prolatorum, executio postponitur et differtur, pretextu talium vel consimilium impetracionum, undè jura parcium quæ dictis arrestis et eorum affectibus potiri nequeunt, quam plurimum leduntur et indebito protestantur; et unà cum hoc intelleximus quod multi et diversi servitores et officiarii nostri, utpotè hastiarii et servientes armorum et quidam alii ad pejora et graviora prorumpentes, ad vos sæpiùs accedunt, asserentes se a nobis mandatum sivè præceptum expressum et precisum orethenus sibi factum habere, et vobis ad suggestionem parcium vel eorum amicorum et affinium, ausu temerario et presumptuoso, absque commissione seu precepto vel mandato ex parte nostrâ referunt et exponunt, quod nobis placet et volumus, ac per ipsos vobis mandamus ut in pluribus actibus et negotiis casibusque et causis in dictâ curiâ ventilatis et emergentibus, tam in facto remissionis seu advocationis causarum ad nostram presentiam, ipsarum continuationis, consultationisque et pronunciacionis arrestorum, quam in expeditione seu relaxacione aut elargacione prisionariorum et ceteris consimilibus, procedatis et vos reguletis modo et forma superius expressis, vel aliis viis præmeditatis et adinventis. (Ordon. du 13 aoûst 1389.)

Un corps qui auroit cru avoir la dignité du champ de May, un corps, qui auroit cru partager avec le roi la puissance législative, auroit-il eu pour quelque bas officier de la cour les complaisances qu’on lui reproche, ou l’auroit-il souffert patiemment?

[260] Les ordonnances rendues à la suite de quelque tenue des états, n’étoient enregistrées ni au parlement ni à la chambre des comptes, et on se contentoit de les déposer dans le trésor des chartres. On devoit en donner des copies collationnées aux corps et aux communautés qui en avoient besoin, mais dans le fait, pour obtenir cette justice, qu’on regardoit comme une grâce, il falloit avoir de la faveur. Je trouve les preuves de tout cela dans les ordonnances du Louvre, t. 6. p. 552. L’ordonnance du mois de janvier 1380, rendue à la suite des états tenus à Paris, fut délivrée à la ville d’Auxerre, et voici ce qu’on trouve à la tête de cette copie. «Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, savoir faisons à tous présens et avenir, que nous, à la supplication de nostre amé et féal conseiller l’évesque, et des bourgeois et habitans d’Auxerre, pour eulx tant seulement, avons fait extraire des registres de nostre chancellerie nos autres lettres, desquelles la teneur s’ensuit:» cette même ordonnance fut expédiée pour les villes de Rouen, de Sens, de Soissons et pour les religieux de S. Jean de Jérusalem.

Les actes concernant les aides, les impositions ou monnoies n’étoient adressées qu’à la chambre des comptes, à la cour des aides ou aux élus. On a vu dans les remarques précédentes qu’on appeloit au parlement des impositions établies par le roi, donc qu’elles n’y avoient pas été enregistrées.

[261] «Pour ce que nous sommes tenus et empeschés le plus de temps, par telle maniere que nous ne pouvons de nostre personne entendre, ou vacquer à la disposition des besongnes de nostre royaume, seront et demourront nostre vie durant à nostre dit fils, le roi Henry avec le conseil des nobles et sages dudit royaume, par ainsi que dès maintenant et dès lors en avant il puisse icelle régir et gouverner par lui-même et par les autres qu’il voudra députer avec le conseil des nobles et sages dessus dits, lesquels faculté et exercice de gouverner, ainsi etant par devers nostre dits fils le roi Henry, il labourera effectueusement, diligemment et loyaument à ce qu’il puist et doye estre à l’honneur de Dieu, de nous et de nostre dite compagne, et aussi au bien public dudit royaume, et à deffendre, tranquilliser, appaiser et gouverner icelui royaume selon l’exigence de justice et équité, avec le conseil et ayde des grands seigneurs, barons et nobles dudit royaume.» (Traité de Troyes du 21 mai 1420, art. 7.) On verra les autres articles de ce traité que je vais rapporter, qu’on ne peut point entendre par le mot de sages les magistrats du parlement. Je prie le lecteur de remarquer en passant combien tout ce traité sert de preuves à ce que j’ai dit dans le chapitre précédent, de l’autorité que les grands ont acquise sous le règne de Charles VI.

«Nostre dit fils fera son pouvoir que la cour de parlement de France sera en tous et chacuns lieux subjets à nous maintenant ou au temps à venir, observée et gardée ès auctorité et souveraineté d’elle, et à elle deus, en tous et chascuns lieux subjets à nous, maintenant ou au temps à venir; (Art. 8.) est accordé que nostre dit fils le roy Henry pourvoira et fera pourvoir, que aux offices tant de la justice de parlement que des bailliages, seneschaussées, prévostés et autres appartenans au gouvernement de seigneurie, et aussi à tous autres offices dudit royaume, seront prises personnes habiles, profitables et idoines.» (Art. 11.) On voit que le parlement n’est point oublié; mais voilà tout ce qu’on en dit. Il n’est point question de son enregistrement, ni de déposer même ce traité dans son greffe; cependant, comme vous allez le voir, les droits des autres ordres ne sont pas négligés. Tirez la conséquence.

«Afin que nostre dit fils puisse faire, exercer et accomplir les choses dessus dites plus profitablement, surement et franchement, il est accordé que les grands seigneurs, barons et notables et les états dudit royaume tant spirituels que temporels et aussi les citez et nobles communautés, les citoyens et bourgeois des villes dudit royaume à nous obéissans pour le temps, feront les sermens qui s’ensuivent. (Art. 13.) Que nostre dit fils ne imposera, ou fera imposer aucunes impositions ou exécutions à nos subjets, sans cause raisonnable et nécessaire, ni autrement que pour le bien public dudit royaume de France, et selon l’ordonnance et exigence des lois et coustumes raisonnables et approuvées dudit royaume.» (Art. 23.) Voilà les priviléges et les franchises de la nation encore reconnus et confirmés, mais de quelle manière foible pour résister au torrent du pouvoir arbitraire qui devoit bientôt tout emporter.

«Il est accordé que nostre dit fils labourera par effect de son pouvoir, que de l’avis et consentement des trois estats dudit royaume, ostez les obstacles en cette partie, soit ordonné et pourveu. (Art. 24.) Considerez les horribles et énormes crimes et delicts perpetrés audit royaume de France par Charles, soi disant Dauphin de Viennes, il est accordé que nous, ne nostre dit fils le roi Henry, ne aussi nostre très chier fils le duc de Bourgogne, ne traiteront aucunement de paix ou de concorde avec le dit Charles, ne ferons, ou feront traiter sinon du conseil et assentement de tous et chacun de nous hoirs et des trois estats des deux royaumes dessus dits.» (Art. 29.)

«Est accordé que nous sur les choses dessus dites et chacunes d’icelles, outre nos lettres-patentes scellées de nostre grand scel, donneront et feront donner, et faire à nostre dit fils le roi Henri, lettres-patentes approbatoires et confirmatoires de nostre dite compagne, et de nostre dit fils Philippe duc de Bourgogne et des autres de nostre sang royal, des grands seigneurs, barons, cités et villes à nous obéissans, desquels en cette partie nostre fils le roi Henry voudra avoir lettre de nous.» (Art. 30.) Voilà un article bien important. Tandis qu’on n’oublie pas les villes et l’ordre des bourgeois, on ne dit pas un mot du parlement, ni des formalités qui accompagnent l’enregistrement. Quelle conséquence en faut-il tirer? Il me semble qu’elle n’est pas difficile à deviner.

Mes remarques deviennent plus considérables que je ne voudrois; et quoique je me garde bien d’y jeter toutes les autorités qui se présentent en foule à moi, je ne puis m’empêcher de transcrire ici un extrait des registres du parlement. «Vindrent et furent assemblés en la chambre de parlement les présidens et conseillers et l’evesque de Paris, les maistres des requestes de l’ostel et des comptes du roy, les recteurs et députés de l’université de Paris, les chiefs députés des chapitres, monasteres, collieiges, les prevosts de Paris et des marchands, eschevins, advocats et procureurs de ceans et du Chastelet, et autres plusieurs bourgeois, manans et habitans de Paris, et y survint le duc de Bethfort frere du roy d’Angleterre dernier et n’agueres tres-passé, lequel s’assit seul es hauts siéges de la dite chambre de parlement en lieu où le premier président a accoustumé d’asseoir, &c. Tous jurent d’entretenir la paix d’entre les deux royaumes selon la teneur des lettres sur ce faictes et passées, et chacun des assistans doit faire jurer la même chose par ses soumis.» Du jeudi 19 jour de novembre 1422. Cette pièce se trouve dans le recueil de la Pairie, par Lancelot, p. 710. Je demande si cette pièce suppose un enregistrement précédent? non sans doute; car le parlement n’auroit pas manqué d’en faire mention dans cet endroit de ses registres. Je demande, en second lieu, si cette espèce de lit de justice du duc de Bethfort, tenu près de trois ans après la conclusion du traité de Troyes, peut passer pour un enregistrement?

[262] Voici une pièce bien importante. «Ce jour survindrent en la chambre de parlement le conte de Saint Pol, le chancelier, le sire de Montberon, et le firent lire et publier les lettres revocatoires de certaines autres lettres touchant les libertés de l’église de France et Dauphiné de Viennois, sans ouir sur ce le procureur du roy, et en absence: et après la lecture et publication d’icelles, le chancelier me commanda à escripre, Lecta, publicata et registrata, au dos d’icelles lettres, et incontinent après la dicte lecture et publication, plusieurs conseillers de la court qui s’estoient despartis de la dicte chambre de parlement, pour ce que n’avoit mie procedé sur le faict de la dicte publication, selon la délibération de la court, au conseil tenu ceans le jour precedent, et que quinzieme de fevrier dernier passé, me dirent, que veu l’opinion et la délibération de court, je ne devois au dos des dictes lettres escripre aucune chose, pour quoi on peut notter que la court eust approuvé les dictes lettres ou la dicte publication, auxquels je repondis que je me garderoye de mesprendre à mon pouvoir. Et le lendemain premier jour d’avril, pour ce que la court n’avoit aucunement par exprès consenty ou approuvé la dicte publication qui avoit esté faicte, præter imo contrà deliberationem curiæ, comme dit est, les presidens et conseillers de la chambre des enquêtes en la dite chambre de parlement vindrent pour avoir avis et délibération sur ce qui avoit été fait le jour précédent; au regard de la publication des dictes lettres, ne la publication d’icelles, ne fussent aucunement approuvées par la dicte cour et ne fussent icelles lettres superscriptes au dos ne signées par moy en aucune manière, par quoy on peut dire, ou arguer que la court eust approuvé les dictes lettres et publication, combien que par le commandement et ordonnance de mon dit sieur le chancelier j’eusse escript au dos des dictes lettres, publicata, &c. cum superscriptione signi manualis. Sur lesquelles choses la court, qui avoit tolléré la dicte publication et superscription pour obvier et remédier à toutes manières d’esclandes et de divisions, déclara que ce qui avoit été fait n’estoit mie fait par l’ordonnance ne du consentement d’icelle court, mais avoit de fait par les dessus dits comte de S. Pol et chancelier esté fait, et que pour ladite superscription par moy faite au dos des dites lettres, veues les manieres de procéder sur cecy, ne povoit et ne devoit juger que la court eust approuvé icelles lettres ne ladite publication, mesmement pour ce que j’avois faict ladite superscription par le commandement du chancelier, auquel je, comme notaire du roy, et en cette qualité quant à ce, je devoye obéir. Regist. du parlement du dernier jour de mars 1418.» Cette pièce se trouve dans le «Recueil de la Pairie par Lancelot, p. 705.» On y voit fort bien comment le parlement a formé ses prétentions et la naissance de l’esprit et du caractère qu’il a conservé jusqu’à sa racine.

[263] On vu dans plusieurs remarques précédentes, que les rois, en convoquant les états-généraux, avoient toujours eu soin de dire que c’étoit pour les consulter.

[264] «Le 23 juillet 1443, ces lettres (de don des comtez, château, ville et seigneurie de Gien sur Loire à monsieur Charles d’Anjou) furent portées au parlement pour y être enregistrées: l’évêque d’Avignon a dit que le roi l’avoit expressément chargé dire de par lui, qu’il mandoit à la court qu’elle obtemperast aux dites lettres, et que aussi en avoit dit sa volonté monsieur le Dauphin aux présidens de la cour. Si à la chose est mise en délibération au conseil en la cour, et délibéré et appointé, que considéré le temps, tel qu’il est, l’autorité et volonté du roi, aussi de mon dit sieur le Dauphin estant à présent en cette ville de Paris, et autres raisons et causes considérées en cette partie, qu’il sera mis et escript sur le dos des dites lettres ce qui s’ensuit: Lecta et publicatâ in curia de expresso mandato domini nostri regis per dominum Delphinum præsidentibus curiæ, ut eidem retulerunt, et ex indè per episcopum Avinionensem dictæ curiæ oretenus facto. (Regist. du parlem.)

«Le même jour 24 juillet 1443, les présidens de la cour dirent que le dauphin les avoit mandez pour leur dire combien il étoit mécontent de l’enregistrement du jour d’hier au sujet de la terre de Gien sur Loire, et qu’il ne partiroit point qu’on n’eust effacé des registres de expresso mandato, et la cour ayant mis la chose en délibéracion, à esté délibéré, considéré le temps tel qu’il est, et les grandes diligences et importunités qui se font en cette partie, que sur les dites lettres sera tant seulement mis, lecta et publicata Parisiis in parlamento 23 die julii 1443, et ne se ôtera ni rayera point la publication faite de expresso mandato, mais y demeurera, sinon que les gens du dit comte du Maine veulent que en soit rayé, auquel cas l’on la rayera; et pour montrer, si mestiers estoit au temps advenir, de la manière de faire touchant cette publication, a esté ordonné pour la décharge de la court de tout ce que y fut hier et aujourd’hui faict faire registre pour valloir aussi en temps et lieu ce que de raison debvra.» (Regist. du parlement.) Ces pièces se trouvent dans le recueil concernant la pairie, par Lancelot, (p. 730.) On voit dans toute la conduite du parlement, je ne sais quel tâtonnement de timidité et de prudence, qui indique la nouveauté l’incertitude de ses prétentions, et qui fait voir qu’il n’ira pas loin.

[265] «Le 15 avril 1435, le parlement fait une députation au connestable pour l’assurer de sa fidélité envers le roy, et luy demander ses ordres pour continuer d’administrer la justice, et que jusques à ce qu’ils auront eu réponse de mon dit sieur le connestable, ne se rassembleront en icelle chambre: le 18 du même mois le parlement se rassembla pour ouïr la réponse du connestable, et pour ce que mon dit sieur le connestable n’avoit pas donné plaine réponse, se il vouloit que la cour feist et procedast à l’exécution des affaires chacun jour survenans en icelle touchant le faict de la justice, ordonnèrent mes dits sieurs que pour savoir le bon vouloir et plaisir de mon dit seigneur, et luy montrer de quoy sert icelle court, iroient de rechef devers luy, le dit monsieur le président et monsieur Philippe de Nanterre à la fin dessus, et sa réponse oye, seroit icelle rapportée devers mes dits seigneurs qui pour icelle oyr se rassembleroient.

«Icelui monsieur le connestable dit au dit monsieur le président, que son vouloir estoit que justice soit mise sus, et que le parlement se entretiegne et besongne au nom du roi nostre sire, le mieux qu’elle pourra, jusques à ce que par le roi notre sire soit sur ce autrement ordonné, et partant fut délibéré de demain plaider, qui sera jour de jeudy.» (Reg. du parlem. recueil concernant la pairie, p. 725.)

[266] «De par le roi, nostre amé et féal pour aucunes causes qui nous meuvent, lesquelles nous vous dirons, nous voulons, vous mandons et commandons, que doresnavant vous ne instituez, ne faciez ou souffrez recevoir et instituer aucuns officiers quelconques en nostre cour de parlement pour quelconque élection que icelle cour aye faite ou fasse, ne aussi en nos chambres des comptes et des généraux de la justice, pour quelconques retenues ou dons que ayons faicts; car nous en retenons à nous toute l’ordonnance et disposition, et le faites savoir à nos gens de nos dites cour et chambre, afin que n’en puissent prétendre ignorance, et que par eulx en nostre absence, ou sans vostre sçeu ne fassent au contraire.... Donné à Poictiers le second jour de mars 1437. Lettres de Charles VI à son chancelier l’archevesque de Rheims.» Cette lettre fut enregistrée au parlement le 2 d’avril suivant.

Les abus qui résultèrent de ce nouvel ordre, ne tardèrent pas à se faire remarquer. Voyez l’ordonnance du mois d’avril 1453, pour la réformation de la justice et de la police du parlement: on voit qu’on achetoit des protections à prix d’argent pour obtenir des offices. Charles VII crut y remédier en condamnant les coupables à des amendes, et en les déclarant incapables de posséder aucun office royal. La corruption une fois introduite, ne permit plus de revenir à l’ancien usage, et nous conduisit à la vénalité des charges.

[267] «L’on prestoit pour les grands et premiers estats de la France, serment en cette cour (le parlement). Ainsi trouve-t-on es régistres, neufviesme septembre mil quatre cent sept, serment presté par Jean duc de Bourgogne comme pair. Le 7 novembre 1410, réception d’un grand pannetier: et aussi un mareschal de France, reçeu le 6 juin 1417, et le même jour un admiral; et le 16 jour en suivant un grand veneur. Le 3 février 1421, le grand maistre des arbalestriers. Le 16 janvier 1439, Courteney reçeu admiral: et qui plus est un trésorier et général administrateur des finances, le 16 avril 1425.» (Recherches de Pasquier, l. 2, ch. 4.)

[268] «A l’assiette des seigneurs (lors du sacre de Charles) y eust aucunes controverses et dissentions entre le duc d’Anjou, Louis et Philippes duc de Bourgogne: car Louis disoit qu’il estoit aisné, et avant son frère Philippe maisné, il devoit avoir les honneurs et estre le premier assis, Philippes disoit qu’au sacre du roy les principaux estoient les pairs de France, et comme pair et doyen des pairs, il debvoit aller devant, et y eust plusieurs paroles d’un costé et d’autre aucunement arrogantes! car Louis se tenoit pair et tenoit en pairie sa duché. Philippes respondit qu’il estoit doyen des pairs, et que son frère ne tenoit qu’en pairie; et par ce, le roy assembla son conseil auquel il y eust diverses opinions; et finalement fut conclu par le roy que Philippes en cas présent iroit le premier, dont Louys ne fut pas bien content.» (Hist. de Charles VI, par J. J. des Ursins.)

«Le premier jour de janvier, le comte d’Alençon, qui estoit un moult beau seigneur et vaillant en armes, fut fait duc, et disoit-on que c’estoit par envie du duc de Bourbon qui alloit devant luy, et toutes fois il estoit plus près de la couronne, et comme le plus près quand il fut duc, il alla devant.» (Ibid.) Au sujet de cette contestation, voyez du Tillet, recueil des rangs des grands de France.

[269] Le parlement ayant pris connoissance des différends qui survinrent entre le roi et le comte de Flandre, condamna, comme de raison, ce dernier; et Philippe-le-Bel se saisit d’une partie de ses terres: «et disoit li cuens que vous le comté de Flandre qui estoit une pairie et dont il estoit pair de France, et tout ce qu’il tenoit entierement vous aviez saisi et teniez en contre sa volonté par violence à force, à vo tort, sans cause et sans raison, et en contre coustume et en contre droit, sans loi et sans jugement; que juge n’en estiez mie, ne juger n’en deviez, ains en estoient juge li pairs de France et juger en devoient.... disant li cuens que cette querelle devoist estre demenée et jugée par les pairs de France qui pairs estoient audit comte et non mie par vous ne par vos advocats et par vos conseils.... car anciennement pour garder paix et concorde entre les rois de France et les comtes de Flandre, en éclaircissant le droit commun et la coustume, il fut accordé et convenancé entre le roi de France et le comte de Flandre, que si débats ou contents mouvoient entre les rois ou les comtes, li roys en devoit faire droit et penre droit par les pairs de France et li cuens en devoit penre droit en la cour le roy par le jugement des pairs de France, et ne pouvoit li cuens deffaillir au roy de service, ne le doit penre ne le droit faire, tant comme li rois li vousist faire droit en sa cour par le jugement des pairs de France: lesquelles convenances ont esté continues et renouvelez de roy en roy, de comte en comte, jusques à votre temps, et entre vous et le comte à votre temps ont esté ces convenances renouvelées.» (Recueil concernant la pairie, p. 113.)

[270] «Le roy nostre syre doit ajourner par cry fait publiquement en son palais à Paris les seigneurs de Flandres ou ses successeurs par trois mois de terme pour venir à sa cour à droit, auquel terme s’il ne venoit, et ne peut s’en purger de mesfaits et de la désobéissance que l’on lui mettoit sur devant tant de pairs de France, comme li roy nostre sire pouvoit avoir bornement au dit terme, et devant deux grands et hauts hommes de son conseil, soit prélats, ou barons, ou autres des plus grands et des plus convenables qu’il pourroit et auroit en sa bonne foy, ainçois fut jugié par les dits pairs que lors s’y pourroient estre bornement et pour les autres douze, ou pour la plus grande part d’iceux, que s’il eust fait le défaut, mesfait ou désobéissance, lors seroient les dites sentences publiées, et les forfaitures mises à exécution. Le quel jugement li dis nostre sire li rois fera rendre au nom des dites pairs, et ainsi si il estoit absouz par le jugement d’iceux ou tenu pour innocent, il s’en ira quitte et absolz de ce sur quoy il seroit appelé.» Traité de paix entre le roy Philippe-le-Bel et les enfans de Guy, comte de Flandre, en 1305. (Recueil concernant les pairs, p. 176.) Je ne vois pas qu’on puisse établir d’une manière plus claire la cour des pairs, et faire connoître combien elle est distinguée du parlement.

[271] «Le roy (d’Angleterre) au duc de Bretagne et pier de France, saluez, très-chere Cosyn tot soit-il eu et usé, et c’est raison que tous les debatz et questions entre le roy de France et nul des piers touchant des fiedz devient estre triez en la grant chambre devant les piers et par euz à ce appelez.... par quoi nous vous prions et requerrons que par l’estas des piers sauver et maintenir et par justice voillez aider ou par voye de requeste vers le dit roy de France, ou par autre voye convenable selon vostre bon conseil, comme les dites duresses et torz à nous faites puissent cesser, et l’estat de parenté puisse estre maintenu.... don. à Porcestr. le 6 jour d’octobre, anno 1324.» (Recueil concernant la pairie, p. 532.)

Les rois de France avoient réussi à faire porter au parlement les contestations qui s’élevoient entre eux et les pairs au sujet de la pairie; mais les pairs prétendoient qu’il devoit au moins assister six pairs à ces jugemens. Cum in concordiâ super restitutione rerum occupatarum inter nos et vos nuper habita, inter cætera contineatur, quod si nuper restitutione hujusmodi facienda inter commissarios vestros et nostros si dubium orietur, tunc dubium illud in parliamento Franciæ, curia de sex paribus ad minùs munita, deferretur. (Lettre d’Edouard III, à Philippe de Valois, du 11 avril 1336.)

[272] Voyez dans le recueil concernant la pairie, le premier mémoire des présidens à Mortier au sujet de leur dispute avec les pairs, pag. 12.

[273] Ce qui prouve encore que les demandes du comte d’Armagnac paroissoient fondées, c’est qu’on ne le débouta point, et «fut ordonné par la cour que le procureur du roy viendroit dire ce que bon lui sembleroit.» Il plaida en effet contre le comte, et dit: «que la cour est souveraine, mesmement representant le roy en tout ce qu’elle fait, et par le roy en tous ses arrests et jugemens, ainsi aucun ne la peut décliner, soit en cause criminelle ou civile... et quant aux droits, prééminences et prérogatives alléguées par ledit comte, que le roy de ceuls de la maison de France doit connoître en personne, non constat, et ne s’en peut aider iceluy comte; car ou il dira que les dites prééminences et prérogatives appartiennent à ceux de la maison de France, de droit commun, ou par privilége, ou par coustume et usage, de droit commun, non quia jure non cavetur; ne aussi par privilége, car le dit comte n’en montre point, et sur ce n’y a ni privilége, ni ordonnance enregistrées en la dite cour, ou trésor des chartres, ne en la chambre des comptes, ne par coustume et usage, car on ne trouve point par arrest et jugement contradictoire, que le roy accompagné des pers de son royaume doye connoistre en sa personne des causes criminelles de ceux de la maison de France; et est la cour qui est souveraine et capitale du royaume nuement representant le roy, capable de connoistre de toutes causes criminelles et civiles, tant de ceux de la maison de France que des pers et autres, de quelque autorité qu’ils soient; et pour déroger à l’autorité de la dite cour conviendroit monstrer arrest, ou exploits contradictoires par lesquels apparust que la cour en l’absence du roy et des pers ne pust connoistre les dites causes, dont on ne savoit montrer, guare, &c. et ne vaut dire que le roy Philippe de Valois en sa personne, appellez les pers, connut de la cause du procureur du roy; et de madame Mahaut d’Artois, contre feu messire Robert d’Artois; car ce ne auroit esté regardé, non ex necessitate, ne que le roy fust abstraint à ce faire, sed ad magis convincendum le dit feu messire Robert d’Artois, et pour plus autoriser le procès, et pour ce que c’estoit le bon plaisir et vouloir du roy, de connoistre ladite matiere en sa personne et d’y appeller les pers lesquels n’estoient nécessité d’appeller.»

«Et ne se peut adapter le cas dudit messire Robert d’Artois au cas qui s’offre: car ledit d’Artois venoit en droite ligne de la souche, et erat de lignatione fils du fils du frere de St. Louis, et si estoit ledit comte d’Artois tenu en pairie et de l’appenage de France. Secùs est audit comte d’Armagnac qui n’est du lignage de par masle, et ne tient en pairie Quarè, &c. et se en aucun cas on avoit appellé les pers, ce auroit esté fait et regardé au regard des masles descendans en droite ligne des masles issus de la maison de France, comme estoit ledit messire Robert, neveu de messire Robert d’Artois, frere de S. Louis et fils du roy Louis VIII, qui mourut à Montpensier, qui ne doit estre trait à consequence, et ne peut attribuer aucune prérogative ou préeminence à ceux seroient venus de la maison de France; et si usage y avoit au regard des masles issus de la maison de France, il ne peut estre estendu à ceux qui seroient venus par filles, considéré que tels droits et préeminences concernent les masles, que les prérogatives données par le prince à aucun et à ses enfans, ne passent es filles, ne à ceux qui en descendent....

«Si en telles déclinatoires estoient reçues, les pers de France qui sont sujets en ladite cour, et autres plusieurs se vouldroient essayer de proposer de pareilles déclinatoires, et seroit en effet donner au roi charge importable, et in summa abolir et énerver, au moins fort diminuer l’autorité et souveraineté de ladite cour; laquelle tout paravant l’établissement d’icelle fait du temps de Philippe-le-Long, l’an 1320, que depuis, la cour a eu connoissance tant des pers que autres seigneurs sous conventions criminelles, comme du comte Ferrant, du comte Robert, que de Louis comte de Flandres, du comte de la Marche et autres; que telles déclinatoires, quand elles ont été proposées, n’ont esté reçues, mais par plusieurs arrests ont esté deboutez, tant contre le duc de Bourgogne, le duc de Bretaigne, et contre ledit messire Robert.

«Et supposé que lesdits arrests n’eussent esté donnés qu’en matieres civiles, toutes fois puisque la cour est souveraine et capable de toutes causes, lesdits arrests suffisent pour monstrer que es cas dessus dits, ne autres, la cour ne doit estre garnie des pers, mesmement touchant ceux qui sont parents du roi de par les femmes, se ledit comte ne monstre arrests et jugemens definitifs au contraire, et se en tous les procès criminels de ceux qui sont issus de la maison de France par fille, convenoit appeler les pers, les procès seroient immortels, et en effet illusoire. Car à faire lesdits procès les pers d’église ne s’y trouveroient pas, et au regard des pers lais le roy en tient les quatre, videlicet les duchés de Normandie et de Guyenne; et les comtés de Champagne et de Toulouse; et le duc de Bourgogne en tient les deus, c’est à savoir la duchié de Bourgogne et le comté de Flandres, lesquels il conviendroit assembler à tels et semblables procès, qui seroit chose impossible.»

[274] Le duc d’Alençon, soupçonné d’avoir traité avec les Anglois pour les faire entrer en Normandie, fut arrêté à Paris au mois de mai 1456. On le transporta à Melun, où le connétable alla l’interroger. Edmond de Boursier, maître des requêtes, deux conseillers au parlement et Jean de Longueil, lieutenant civil de la prévôté de Paris, furent nommés commissaires pour l’instruction du procès; elle dura deux ans. La pièce que je vais transcrire se trouve dans le Recueil des rangs des grands de France, par du Tillet.

«Sur les questions et difficultez que fait le roy, et dont il a écrit à sa cour de parlement par messire Jean Tudert son conseiller et maistre des requestes de son hostel, après que les registres de la dite cour ont esté sur ce veuz et visitez, a semblé à ladite cour bien assemblée sur ce et a délibéré ainsi et par la forme et maniere qui s’ensuit.

Premierement sur le premier article qui est tel. Premierement par devant quels juges doivent estre traitées les causes des pairs de France, touchant leurs personnes, et si par l’institution du parlement il y a aucunes réservations des causes qui peuvent toucher les personnes des pairs de France; a semblé que quand aucun pair de France est accusé d’aucun cas criminel qui touche ou peut toucher son corps, sa personne et estat, le roy en sa personne présent, quoique soit, appelez les pairs de France et autres seigneurs tenans en pairie, et ledit seigneur accompagné d’autres notables hommes de son royaume, tant notables prélats qu’autres gens de son conseil en doit cognoistre; et se trouve par les registres de ladite cour, que ainsi fut fait es procès de Robert d’Artois, messire Jean de Montfort et du roy de Navarre: il ne trouve point par l’institution du parlement, ne par aucune ordonnance, ne autrement, qu’il y ait aucune réservation des causes qui touchent ou peuvent toucher les personnes et estat des dits pairs de France; mais se trouve ainsi avoir esté observé et gardé les temps passés, et semble qu’ainsi se doit faire que dit est ci-dessus.

«Sur le second article contenant, Item. Si les causes des seigneurs du sang qui ne sont pas pairs de France doivent estre traictées en pareilles prérogatives, comme sont celles des pairs; la cour n’y a pu délibérer pour le présent, parce qu’il y a procès appoincté en droit en la dite cour en pareil cas, et seroit la delibération de cet article en effet la décision du procès.» L’affaire du comte d’Armagnac dont il est parlé dans la remarque précédente.

«Sur le tiers article contenant, Item. Veut aussi sçavoir si mondit seigneur M. d’Alençon tient son dit duché d’Alençon en pairie, et supposé qu’il tienne en pairie, s’il doit jouir de pareil privilége et prérogative que feroit un des douze pairs de France touchant sa personne. Il se trouve par les régistres du parlement, que M. d’Alençon tient la Duché en pairie, et que les rois les temps passez l’ont tenu et reputé pour pair de France, et tenant en pairie, et pour ce semble qu’il en doit jouir comme les autres pairs.»

«Sur le quatrieme article contenant, Item. S’il s’étoit trouvé que les pairs deussent estre appellez à son procès, le roy veut sçavoir si les autres seigneurs du sang qui tiennent en pairie, et ne sont pas des douze pairs, doivent aussi estre nécessairement appelez et s’ils doivent, quant à ce, jouir des honneurs et prérogatives des dites douze pairs ou non. Il se trouve par les régistres anciens de ladite cour que ceux qui ont esté créés pairs de France et qui tiennent en pairie, furent presens appelez comme les anciens pairs, auxdits procès de Robert d’Artois, de messire Jean de Montfort et du roi de Navarre, et pour ce semble qu’ainsi se doit faire.»

«Sur le cinquième article contenant, Item. Veut sçavoir le roy si les douze pairs doivent estre présents au jugement, ou s’il suffist les appeler, jaçoit ce qu’ils n’y viennent, et s’ils n’y viennent, ou s’ils y viennent, que ceux qui y seroient par eux envoyez doivent estre receus à estre audit procès pour et au nom d’eux. Semble comme dessus qu’ils y doivent estre appelez, et s’ils y viennent, doivent estre presens et assister audit procès; et s’ils n’y viennent, le roy ne doit surseoir de procéder audit procès pour leur absence, et s’ils envoyent aucuns pour estre presens audit procès pour eux et en leur absence, semble qu’ils n’y doivent estre reçus, car ils y sont appelez et peuvent estre presens par l’autorité, dignité et prérogative de leurs personnes et seigneuries, en quoi ils ne peuvent, ne doivent subroger autres en leurs lieux, et ne se trouve point qu’es procès dessus dits autrement ait esté fait.»

«Sur le sixième article contenant, Item. Aussi le roi veut savoir si ceux qui doivent estre et seront appelez audit procès, pourront procéder sans la présence du roy, et si sadite presence y est nécessairement requise; car s’il estoit trouvé que non, il se mettroit lui et ses successeurs en grande servitude d’y estre présent, et pourroit desroger à son auctorité royale, laquelle chose il ne voudroit faire pour rien. Semble qu’on ne peut imposer nécessité précise au roy en ce cas ne autre; toutes fois parce qu’on trouve avoir esté observé aux procès dessus dits, les pairs de France et autres qui y furent appelez, ne procédèrent point sans la présence du roy. Bien se trouve que les rois commirent aucuns notables hommes pour procéder aux préparations des dits procès, comme à faire informations, à interroger les complices et coupables, et tels et semblables actes. Mais au regard des appointemens, ou jugemens interlocutoires ou deffinitifs, se trouve que les rois y furent toujours présens, et semble qu’il est très-expédient, convenable et raisonnable que pareillement le roy soit présent au procès de mon dit sieur d’Alençon, mesmement aux délibérations ou prononciations des jugemens et appointemens deffinitifs et interlocutoires qui se feront au dit procès, contre et touchant la personne du dit monsieur d’Alençon.»

«Sur le septième et dernier article contenant, Item. S’il est trouvé que le roy nécessairement doive y estre présent, il veut savoir, si le cas advenoit qu’il lui survînt aucun empeschement pour la chose publique, s’il suffiroit qu’il y commist aucun en son lieu. Semble que s’il survenoit empeschement nécessaire au roy, il seroit plus convenable et raisonnable proroger, ou continuer l’expédition dudit procès jusqu’à quelque autre temps qu’il y pourroit estre et vacquer, que d’y commettre autre en son absence; considéré la grandeur du personnage et le cas dont on traicte, et ne se trouve point qu’es procès dessus dits, de Robert d’Artois, de messire Jean de Montfort et du roy de Navarre, ait esté faict aucun appointement interlocutoire ou deffinitif, que le roy ne fust présent et seant en sa cour et majesté royale, et pour ce, semble qu’ainsi se doit faire.»

Après de pareilles pièces, comment le parlement osoit-il dire qu’il a toujours été la cour des pairs? Voici encore quelques autres preuves. «Le roi et le conseil, considérans que le cas étoit très-mauvais, et que c’étoit crime de lèse-majesté, ordonnèrent qu’on lui (au duc de Bretagne) envoyeroit certains commissaires, à l’adjourner pour comparoir en personne à Orléans par devant luy.» (Hist. de Charles VI, par J. J. des Ursins, Ar. de R. p. 62.)

La cour des pairs devoit s’ouvrir à Orléans, et le parlement étoit sédentaire à Paris; ces deux cours étoient donc très-distinguées.

Je prie de jeter encore les yeux sur l’arrêt rendu le 23 juin 1315 contre Robert, comte de Flandre. «A tous ceux qui ces présentes veront ou ouront, R. archevesque de Rheims, G. évesque de Langres, G. évesque de Laon, J. évesque de Beauvais, Kerles Cuens de Vallois et d’Anjou, et Malhault comtesse d’Artois, pairs de France, salut. Sçachent tuit que de par le roy nostre seigneur fut semons li comte de Flandre en la forme.... auquel terme de la dicte semonce, nous li pairs dessus dits à la requeste et mandement du roy venismes en la cour à Paris; et sesismes et tenuismes avec douze autres personnes, prelats et autres grands et hauts hommes, c’est à sçavoir reverend pere l’archevesque de Rouen, les évesques de Sainct Brioc et de Sainct Malo, M. Philippe, fils du roy de France, comte d’Evreux; M. Karles, fils du roi de France, comte de la Marche; M. Guy de Sainct Paul; M. Gaucher de Chastillon, comte de Porcien; M. Louis aisné, fils du comte de Clermont, seigneur du Bourbonnois; M. J. de Clermont, seigneur de Charolois; M. B. seigneur de Mareuil; M. Mille, seigneur des Noyers; esleus et mis à ce faire de par le roy nostre sire avec nous, comme cour garnie de nous, d’eux et autre plusieurs sages gens, et fust dit de par le roy devant nous que bonnement pooit avoir plus de pairs, &c.»

Cette pièce précieuse démontre évidemment que la cour des pairs formoit un tribunal distingué de tous les autres. Si les seigneurs, dont on vient de lire les noms, s’étoient simplement rendus au parlement pour y juger le comte de Flandre, pourquoi le nom même du parlement n’est-il pas prononcé dans cet arrêt? Pourquoi la cour est-elle assemblée à la requisition du roi, et suivant la forme ancienne de la justice féodale? Pourquoi cet arrêt seroit-il intitulé au nom des pairs?

On voit encore ce que c’étoit que la cour des pairs à l’occasion de l’assassinat du duc d’Orléans. Ce n’est pas au parlement que sa veuve vient demander justice, mais au roi. (Voyez Monstrelet, T. 1. p. 32.) «Elle vient à l’hostel St. Pol, demeure de Charles VI, fait sa plainte, auquel propos le chancellier de France qui seoit aux pieds du roy, par le conseil des ducs et seigneurs royaux; respondit et dit que le roy pour l’homicide et mort de son frere à lui ainsi exposée, et plutost qu’il pourroit, en feroit bonne et biesve justice.»

Le roi fit ajourner le duc de Bourgogne pour comparoître à Amiens, et s’y rendit pour y tenir sa cour. Il n’est point question là de parlement. Quand cette affaire fut reprise à Paris à l’hôtel Saint-Pol, la duchesse d’Orléans ne cessa point de demander justice au roi, et jamais elle ne s’adressa au parlement. Dans les écrits publiés sur cette affaire, cette princesse ne dit rien d’où on puisse inférer qu’il lui eût été défendu de porter sa plainte au parlement, ou que le roi eût empêché cette cour d’en connoître. Nous avons dans Monstrelet le plaidoyer de la duchesse d’Orléans et de son fils, et l’on y voit constamment que l’un et l’autre, en plaidant à l’hôtel de Saint-Pol, regardent le roi et les pairs comme le tribunal compétent pour juger le duc de Bourgogne.

[275] «Sur ce que mis a esté en délibération si l’on doibt plaider, juger et besongner en la cour de ceans; cependant que le roy vacquera et fera vacquer es procès de monsieur d’Alençon et besongnes pour lesquelles il a faicts adjourner au premier jour de juin prochain en la ville de Montargis les pairs de France et ceux qui tiennent en pairie, et aussi mandé deux de messieurs les présidens, et certain nombre de conseillers de la dite cour. Délibéré et ordonné a esté que les plaidoiries cesseront jusques à ce que la cour ait sur ce mandement du roy et que M. les présidens et autres de la cour qui iront de par delà, en parleront au roy et à Monsieur chancelier pour en faire sçavoir à la dite cour la volonté et bon plaisir du roy le plustost et le plus diligemment que faire ce pourront; et néantmoins que la cour en escrira au roy par mes dits Sieurs, lesquels lui présenteront les dites lettres s’ils voyent que besoin en soit; et au surplus la cour a délibéré et ordonné qu’au regard des jugemens et autres besongnes et expéditions delà on besongnera au matin, et après diner en la maniere accoustumée; mais pourtant on ne prononcera aucuns arrests ne jugez.» (Registre du parlement, du 29 mai 1458.) Cet arrêté n’est pas mal-adroit, et les présidens obtinrent par leurs négociations ce que le parlement désiroit.

Post dictum diem 30 hujus mensis Maii non fuit litigatum ex præcepto et ordinatione domini nostri regis qui curiam suam parlamenti transtulit, seu advocavit apud montem Argum, et ex indè apud Vandocinum in qua fuerunt pares Franciæ adjornati processui contrà dominum ducem Alenconii, et alias ut in litteris patentibus domini nostri regis curiæ parlamenti registratis pleniùs continetur. (Regist. du parlement.)

«Comme à l’occasion de certains grands cas, crimes et delits dont on a esté trouvé chargé nostre nepveu le duc d’Alençon, nous l’ayons fait constituer en arrest, et pour proceder à l’expedition de son procès, ayons par l’avis et deliberation des gens de nostre conseil voulu et ordonné par nos lettres patentes données au mois de may dernier passé, que nostre cour de parlement lors seante en nostre bonne ville de Paris, soit et fût tenue au lieu de Montargis, à commencer du premier jour du mois de juin dernierement passé, et jusqu’à la perfection dudit procès. Auquel lieu pour tenir icelle nostre cour, ayons ordonné et mandé faire venir nos amés et feaux conseillers, Yves de Scepeaulx, chevalier, premier président, et maistre Helie de Thoreiles aussi président, et aucuns des conseillers en icelle nostre cour tant clercs que laiz en bon et suffisant nombre au dit premier jour de juin.... Sçavoir faisons que nous desirant l’abbreviation et expedition du dit procès pour le bien de justice, voulant aussi obvier aux dits inconvenients, et nostre dit cour servir et estre en lieu propice à ce convenable, avons par l’avis et deliberation de nostre dit conseil voulu, ordonné et establi, voulons, ordonnons, et establissons de nostre puissance et authorité royalle par ces presentes nostre dit cour de parlement garnie de pers et aussi ceux de nostre sang et lignage et autres par nous mandés y estre et comparoir au douziesme jour d’aoust prochainemant venant, pour proceder outre et besogner au dit procès jusqu’à la perfection d’icelluy ainsi qu’il appartiendra par raison. Et afin qu’aucuns des susdits n’en puissent prétendre juste cause d’ignorance, nous voulons estre publiées en nostre dite cour séante au dit Montargis, et en nostre dite ville de Paris. Donné à Beaugency, le vingtiesme jour de juillet l’an de grace 1458. Lecta, publicata et registrata apud Montargis in parlamento, vigesimo quinto die julii anno domini 1458. Lecta et publicata Parisiis in camera die 28 julii 1458.»

Remarquez que ce qui restoit du parlement à Paris, ne se qualifie que de chambre, camera, tandis que la portion qui siége à Montargis, prend le titre de parlement. Je gagerois que ces lettres-patentes ont été dressées par des magistrats du parlement, ou du moins de concert avec eux: elles ouvrent une large carrière à l’ambition du parlement.

[276] En lisant les dernières remarques, on a dû s’apercevoir que l’opinion publique avoit mis une grande différence entre les anciens pairs et ceux qui tenoient en pairie.

[277] «Le 17 janvier 1484, le duc d’Orléans se rendit au parlement, et par la bouche de son chancelier, s’étant plaint qu’on n’avoit aucun égard aux demandes des derniers états; le premier président répondit, que le bien du royaume consiste en la paix du roy et de son peuple, qui ne peut estre sans l’union des membres, dont les grands princes sont les principaux, à quoi M. d’Orléans doit bien avoir égard. Par quoi et non pas pour réponse, mais par exhortation a dit M. d’Orléans, qu’il doit bien penser à ce qu’il a fait dire et proposer, et aviser que la maison de France soit par luy maintenue et entretenue sans division, et ne doit ajouter foi aux rapports qui lui pourroient estre faits. Et quant à la cour elle est instituée par le roi pour administrer justice, et n’ont point ceux de la cour d’administration de guerre, de finances, ne du fait et gouvernement du roy, ne des grands princes, et sont Mrs. de la cour de parlement gens clercs et lettrés pour vacquer et entendre au fait de la justice, et quand il plairoit au roy leur commander plus avant, la cour luy obéiroit; car elle a seulement l’œil et le regard au roy qui en est le chief, et sous lequel elle est, aussi venir faire ces remontrances à la cour, et néanmoins passer plus avant et faire autres exploits sans le bon plaisir et exprès consentement du roy ne se doit pas faire.

«Ledit messire Denis Mercier (chancelier du duc d’Orléans) a repliqué que M. d’Orléans est venu à la cour comme à la justice souveraine, et qui doit avoir l’œil et le regard aux grandes affaires du royaume.... Entend mondit Sr. d’Orléans que la cour avertisse le roi de ces choses....... Ne veut mondit Sr. d’Orléans passer plus avant, sans avoir le conseil de la cour, et prier la cour, qu’elle veuille travailler pour le bien du royaume, et d’obvier à tous inconvéniens, et qu’il soit sceu au roy s’il est content d’estre se ainsi qu’il est.» (Regist. du parlement.)


CHAPITRE VI.

[278] «Nous voulans abreger les procès et litiges d’entre nos subjects, et les relever des mises et depenses, et mettre certaineté es jugemens, tant que faire se pourra, et oster toute matiere de variations et contrariété: ordonnons, decernons, déclarons et statuons que les coustumes, usages et stiles de tous les pays de notre royaume, gardés et mis en escript, accordez par les coustumiers, praticiens et gens de chacun desdits pays de nostre royaume. Lesquels coustumiers, usages et stiles ainsi accordez, seront mis et escripts en livres; lesquels seront apportez par devers nous pour les faire veoir et visiter par les gens de nostre grand conseil, ou de nostre cour de parlement, et par nous les décreter et confirmer. Et iceulz usages, coustumes et stiles ainsi decretez et confirmez, seront gardés et observez es pays dont ils seront, et aussi en nostre cour de parlement es causes et procès d’iceulz pays. Et jugeront les juges de nostre royaume, tant en nostre cour de parlement, que nos baillifs, seneschaux et autres juges, selon iceulz usages, coustumes et stiles es pays dont ils seront, sans faire aultre preuve que ce qui sera escript audit livre. Et lesquelles coustumes, stiles et usages ainsi escripts, accordez et confirmez, comme dit est, voulons estre gardez et observez en jugement et dehors. Toutes fois n’entendons aucunement déroger au stile de nostre court de parlement.» (Ordonn. du mois d’avril 1453, art. 125.)

C’est en conséquence de cette dernière clause que le parlement a mérité le singulier éloge de Miraulmont. «J’admire, dit-il, une chose en cette cour, que pour estre composée de gens de savoir, intégrité et grande expérience, elle a tant gagné sur les lois des empereurs et ordonnances de nos rois qu’elle n’y est subjecte ni astrainte, ains jugeant d’équité modere la rigueur de la loi selon le temps, la matiere et la qualité des personnes.» De l’origine du parlement, (p. 62.) Si un pareil tribunal ne se corrompt pas promptement, ce sera un miracle.

«Cette rédaction de coutumes, dit l’abbé Fleury, dans son excellente histoire du droit Français, s’est faite fort lentement, et n’a été achevée que plus de cent ans après la mort de Charles VII. La plus ancienne est la rédaction de la coutume de Ponthieu, faite sous Charles VIII, et de son autorité, en 1495. Il y en eut plusieurs sous Louis XII, depuis l’an 1507. L’on continua à diverses reprises sous François I et sous Henri II; et il s’en trouva encore quelques-unes à rédiger sous Charles IX.... En ne comptant que les principales coutumes du royaume, on en trouvera bien soixante, la plupart fort différentes. Cependant on s’aperçut, il y a environ cent ans, (l’abbé Fleury fit imprimer son ouvrage en 1674) qu’il étoit arrivé beaucoup de changemens depuis les rédactions qui avoient été faites au commencement du même siècle, et qu’il y avoit des omissions considérables, de sorte que l’on réforma plusieurs coutumes, comme celles de Paris, d’Orléans, d’Amiens, ce qui se fit avec les mêmes cérémonies que les premières rédactions.»

[279] Pour le prouver, je ne rapporterai que deux articles de l’ordonnance donnée à Blois par Louis XII en 1498. «Pour ce que souvent advient que les comtes, barons, chevaliers, gentilshommes et autres ayant terres, hommes et sujets en nostre royaume, païs et seigneuries, se travaillent journellement de lever sur leurs dits hommes et sujets, et autres leurs voisins, plusieurs sommes de deniers, quantitez de pains et de vins, corvées, charrois et autres choses extraordinaires, tant pour remontrances qu’ils leur font et font faire de les garder des gens d’armes, menaces, que autres voyes indues et déraisonnables, à la grande foule de nostre peuple; voulans à ce pourvoir et garder nos dits sujets de toutes oppressions et foules, comme raison est, nous avons fait et faisons inhibitions et défenses à toutes manières de gens de quelque autorité, préeminence et qualité qu’ils soient, qu’ils ne prennent ni exigent ou permettent prendre et exiger en leurs terres et sur hommes et sujets ou autres, aucunes exactions indues, par forme de dons, tailles, aydes, corvées ne autrement, etc. (Art. 139.)

Pour ce que nous avons esté avertis que plusieurs seigneurs et gentilshommes mettent par chaque jour levages et nouveaux subsides sur les marchandises, qui se mettent sur les rivières et fleuves navigables, à la grande charge de nostre peuple; pour ces causes, etc.» (Art. 141.)

Fin des remarques du livre sixième.

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