Collection complète des oeuvres de l'Abbé de Mably, Volume 3 (of 15)
REMARQUES ET PREUVES
DES
Observations sur l’histoire de France.
LIVRE SEPTIÈME.
CHAPITRE PREMIER.
[280] Voyez le dernier chapitre du quatrième livre.
[281] J’ai fait connoître cette situation dans le quatrième chapitre du livre précédent.
[282] Louis duc d’Orléans et frère de Charles V avoit épousé Valentine Visconti, sœur et héritière du dernier duc de ce nom, qui règna sur Milan. François Sforce, qui avoit épousé une bâtarde de ce prince, s’empara de cette succession, et ses descendans en jouissoient encore, quand le duc d’Orléans succéda à Charles VIII.
[283] Voyez le cinquième chapitre du livre quatrième.
CHAPITRE II.
[284] Ces sentimens commencèrent à paroître dans les états que Louis XI tint à Tours en 1467. L’objet principal de ces états étoit de savoir quel apanage on feroit à Charles, frère du roi, et sur-tout de ne lui pas donner la Normandie. Voici de quelle façon s’expriment les gens des trois états. «Quand lesdites offres seront faites à mondit sieur Charles, où il ne s’en voudra contenter, mais voudroit attenter aucune chose, dont guerre, question ou debast pust advenir au préjudice du roy ou du royaume, ils sont tous déliberez et fermes de servir le roy en cette querelle à l’encontre de mon dit sieur Charles, et de tous autres qui en ce le voudroient porter et soutenir: et dès à present pour lors, et dès lors pour maintenant les dits des trois estats, pour ce qu’ils ne se peuvent pas si souvent rassembler, accordent, consentent et promettent de ainsi le faire et de venir au mandement du roi, le suivre, et le servir en tout ce qu’il voudra commander et ordonner sur ce.»
«Outre plus ont conclu lesdits estats, et sont fermes et determinés, que si mon dit sieur Charles, le duc de Bretagne ou autres faisoient guerre au roy nostre souverain seigneur, ou qu’ils eussent traité ou adhérence avec ses ennemis, ou ceux du royaume, ou leurs adhérens, que le roy doit procéder contre ceux qui le feroient..... Et dès maintenant pour lors, et dès lors pour maintenant, toutes les fois que lesdits cas écheroient, iceuz estats ont accordé et consenti, accordent et consentent que le roy sans attendre autre assemblée ne congrégation des estats, pour ce que aisément ils ne se peuvent pas assembler, y puisse procéder à faire tout ce que ordre de droit et de justice, et les statuts et ordonnances du royaume le portent.» Régistre des états tenus à Tours en 1467, par Jean-le-Prevost, greffier des états. Cette pièce se trouve dans le cérémonial français, par Mrs. Godefroy, tome 2, page 277.
[285] Ce qui se passa aux états tenus à Tours en 1483, sous Charles VIII, est une preuve que la nation étoit alors persuadée que l’autorité des princes et des grands étoit une partie essentielle de notre gouvernement et de notre droit public. Voyez la relation de Jean-Masselin, official de l’archevêque de Rouen, et l’un des députés de la province de Normandie; cette pièce se trouve dans le traité de la majorité de nos rois, par Dupuy, p. 233.
La délibération passa en cette sorte: «Nous déclarames en premier lieu, et fismes des protestations, qu’en l’élection de ce conseil (du roi) nous ne prétendions en aucune manière préjudicier à l’autorité et aux prérogatives des princes, et que nostre intention estoit que chacun d’eulz conservast son rang, sa dignité et son pouvoir, puisque, par leur bonté et bienveillance nous avons la liberté toute entière de parler et de traiter des affaires. En second lieu, que nous ne donnions nos suffrages que par forme d’avis et de conseil, et non pas comme une décision fixe et arrestée.»
«L’évesque de Chaalons dit que les princes ne devoient pas juger, que ce fût chose indécente et indigne de leur qualité, d’admettre quelques-uns du corps des estats dans le conseil du roy; vu qu’entre les députez, il y avoit des personnes de très-grand mérite et savoir, capables de soutenir avec honneur cette dignité; et bien que le faste et l’apparence extérieure leur manquast aussi bien que la grande autorité, cet honneur pourtant ne leur pouvoit estre dénié, puisqu’il étoit dû à leurs vertus et mérite.»
Les députés dont parle l’évêque de Châlons, ne conservèrent pas long-temps leur intégrité. «Tous ceux qui sembloient avoir le plus d’autorité, furent vivement tentez, et plusieurs furent facilement corrompus, soit en deferant aux prières de leurs amis, ou en cedant au credit et à l’autorité de ceux qui les prient, pour s’acquerir leur faveur et bonnes graces. Mais ils furent principalement attirés par les vaines promesses qu’on leur faisoit. Et certainement elles furent vaines au regard de plusieurs, d’autant que le nombre fut petit de ceux qui furent recompensés par dons de pensions ou offices, qui peut-être se trouvèrent de moindre valeur qu’ils ne l’avoient espéré. Il y en eut aussi plusieurs qui se laissèrent emporter par leur ambition aveugle et par avarice, et dans les délibérations l’on ne voyoit aucune vérité ni sincérité. Et la faute de ces personnes est d’autant plus grande et considérable qu’ils estoient les plus relevez en dignité et autorité entre les députez.»
«Il est certain que les longues et odieuses disputes touchant l’établissement de ce conseil, étoient devenues très-ennuyeuses, et que les suffrages de ceux qui favorisoient ce premier conseil, les prières, les reprimandes et les menaces de plusieurs avoient rendu presque immobiles les autres, qui disoient leur avis avec plus de vérité et de franchise; et il en restoit très-peu qui portassent cette affaire avec soin et affection; et s’étant entièrement relachez ils l’abandonnèrent sans se plus soucier de l’issue qu’elle auroit.»
J’ai déjà parlé de ces états de 1483; mais j’ai cru qu’on ne seroit pas fâché de trouver encore ici quelques autorités qui serviront de preuve à ce que j’ai dit, et qui font connoître le génie et le caractère de notre nation dans une circonstance très-critique. Si l’on voit d’un côté un peuple las de sa liberté et prêt à se vendre, n’aperçoit-on pas de l’autre combien l’autorité que les grands affectent est mal affermie? Leurs divisions préparent leur chute et le triomphe de la puissance royale.
[286] «Je ne veux pas oublier à vous dire une chose que faisoit le roy vostre grand père, qu’il luy conservoit toutes provinces à sa dévotion, c’estoit qu’il avoit le nom de tous ceux qui estoient de maison dans les provinces, et autres qui avoient autorité parmi la noblesse et du clergé, des villes et du peuple, et pour les contenter, et qu’ils tinssent la main à ce que tout fût à sa dévotion, et pour estre averti de tout ce qui se remuoit dedans lesdites provinces, soit en général, ou en particulier, parmy les maisons privées, ou villes, ou parmi le clergé, il mettoit peine d’en contenter parmy toutes les princes, une douzaine, ou plus, ou moins, de ceux qui ont plus de moyen dans le pays, ainsi que j’ai dit cy-dessus: aux uns il donnoit des compagnies de gens d’armes, aux autres quand il vacquoit quelque benefice dans le même pays, il leur en donnoit, comme aussi des capitaineries des places de la province, et des offices de judicature, selon et à chacun sa qualité; car il en vouloit de chaque sorte, qui luy fussent obligez, pour sçavoir comme toutes choses y passoient: cela les contenoit de telle façon, qu’il ne s’y remuoit rien, fust au clergé ou au reste de la province, tant de la noblesse que des villes et du peuple, qu’il ne le sceut: et en étant adverti, il y remedioit, selon que son service le portoit, et de si bonne heure qu’il empeschoit qu’il n’avoit jamais rien contre son autorité ny obéissance qu’on lui devoit porter, et pense que c’est le remède dont pourrez user, pour vous faire aisement et promptement bien obeir, et oster et rompre toutes autres lignes, accointances et menées, et remettre toutes choses sous vostre autorité et puissance seule. J’ai oublié un autre point qui est bien nécessaire qui mettiez peine; et cela se fera aisement, si le trouvez bon; c’est qu’en toutes les principales villes de vostre royaume, vous y gagniez trois ou quatre des principaux bourgeois et qui ont le plus de pouvoir en la ville, et autant de principaux marchands qui ayent bon credit parmi leurs concitoyens, et que sous main, sans que le reste s’en apperçoive, ni puisse dire que vous rompiez leurs priviléges, les favorisant tellement par bienfaits ou autres moyens, que les ayez si bien gagnez, qu’il ne se face ni die rien au corps de ville ny par les maisons particulières, que n’en soyez adverty; et que quand ils viendront à faire leurs élections pour leurs magistrats particuliers, selon leurs privileges, que ceux-cy par leurs amis et pratiques, facent toujours faire ceux qui seront à vous du tout, qui sera cause que jamais ville n’aura autre volonté, et n’aurez point de peine à vous y faire obéir.» Extrait de l’état intitulé: avis donnez par Catherine de Medicis à Charles IX pour la police de sa cour, et pour le gouvernement de son état. Cette pièce se trouve dans les mémoires de Condé, édit. in-4o. de 1743, T. 4, p. 657.
[287] Telle fut l’assemblée que François I tint au parlement le 16 décembre 1527, et que quelques écrivains ont appelée improprement un lit de justice, puisqu’elle ne fut soumise à aucune des formes en usage dans le parlement. Si jamais il fut besoin de convoquer les états-généraux, ce fut dans cette occasion, où François I vouloit consulter sur la validité de l’article du traité de Madrid, par lequel il s’étoit engagé d’abandonner à l’empereur Charles-Quint le duché de Bourgogne et quelques autres seigneuries.
Outre les seigneurs et les grands officiers qui accompagnent le roi en pareilles occasions, on appela trois cardinaux, vingt archevêques ou évêques; les premiers présidens des parlemens de Toulouse, de Rouen et de Dijon, un président du parlement de Grenoble, le second président du parlement de Rouen, et le quatrième président ou parlement de Bordeaux, le prévost des marchands et les quatre échevins de Paris; trois conseillers du parlement de Toulouse, deux conseillers du parlement de Bordeaux, un du parlement de Rouen, un du parlement de Dijon, deux du parlement de Grenoble, deux du parlement d’Aix.
Après que le roi eut exposé l’affaire sur laquelle on devoit délibérer, le cardinal de Bourbon prit la parole et parla au nom du clergé. Le duc de Vendôme parla ensuite au nom des princes et de toute la noblesse du royaume. Jean de Selve, premier président du parlement de Paris, parla au nom de toute la magistrature et de la ville de Paris.
«Sur ce a, le dit Selve, premier président, demandé au dit seigneur roi, si son plaisir estoit que les cardinaux, archevêques et evesques, et autres gens d’église, les princes, nobles, ceux de la justice et de la ville advisassent ensemble ou separément, le suppliant d’en ordonner: à quoy le dit seigneur a fait réponse que les gens d’église s’assembleront à part, les princes et nobles à part, et ceux de la ville à part, et qu’ils en viennent faire réponse chacun à part.»
Quatre jours après, le 20 décembre, le roi se rendit une seconde fois au parlement pour entendre les avis des quatre corps. Le cardinal de Bourbon parla le premier au nom de l’église de France; le duc de Vendôme prit ensuite la parole pour les princes, seigneurs et gentilshommes. Le premier président de Selve harangua au nom de toute la magistrature, et enfin le prévôt des marchands parla pour la ville de Paris.
Il seroit inutile de m’étendre plus au long sur ces assemblées de notables qui ne produisirent jamais aucun bon effet, et qui s’assemblèrent tantôt au parlement, tantôt dans le palais du roi.
CHAPITRE III.
[288] Tout le monde sait que le parlement prêta serment entre les mains du duc de Bethfort, d’observer l’ordre de succession établi par le traité de Troye. Cette compagnie étoit fort dévouée à la faction de Bourgogne. «Du samedi 29 aoust 1417. Ce jour après diner, la court fut assemblée en la chambre de parlement, de la chambre des enquestes et requestes du palais, pour avis et délibération sur ce qu’on avoit rapporté et exposé en ladite court, c’est à savoir que le roy avoit voulu et ordonné en son grant conseil pour maintenir la ville de Paris en plus grande seureté, paix et tranquillité, et autres causes, de faire partir et eslongner de ladite ville de Paris, pour aucun temps aucuns des conseillers et officiers de ladite court, nommez et escripts en certains rolle, sauf à eux, corps, honneurs, offices et biens quelconques, ou quel rolle estoient escripts et nommés messire J. de Longweul, G. Petit, G. de Sens, G. de Berze, G. de Celfoy, Guy de Gy, Estienne Genffroi, J. Boulard, Estienne Desportes, Jean Percieres, J. de Saint Romain, H. de Mavel, Philippe-le-Begue, conseillers du roy. Jhue, J. Milet, notaire, J. Dubois, greffier criminel, G. de Buymont, J. de Buymont, Therrat, procureurs, Carsemarc, huissier dudit parlement, sous ombre de ce qu’on les soupçonnoit d’estre favorables ou affectés au duc de Bourgogne, lequel on disoit venir et adresser son chemin pour venir à Paris accompagné de gens d’armes, contre les inhibitions et deffenses du roy, et finalement ladite cour, pour aller devers les gens du grant conseil et leur exposer et remontrer entre autres choses l’innocence desdits conseillers et officiers ci-dessus nommés, afin que ledit rolle au regard d’eux fust aboly et ne feussent contraints partir la ville de Paris, laquelle chose lesdits commissaires n’ont pu obtenir, jaçoit ce que les dessus nommez et chacun d’eux auroient lettres du roy, faisant mention que le roy envoye iceux conseillers et officiers dessus nommez et chacun d’eux à certaines parties de ce royaume pour certaines besongnes, touchant le fait du roy et de la court.» Registres du parlement. Cette pièce se trouve dans le recueil concernant la pairie par Lancelot, p. 698.
Remarquez, je vous prie, avec quel art et quel ménagement on traite cette compagnie; ce qui est une nouvelle preuve du crédit qu’elle avoit acquis au milieu des divisions du règne de Charles VI. Remarquez encore que le parlement n’avoit point alors l’honneur de s’adresser directement au roi, et ne portoit ses plaintes ou ses remontrances qu’aux ministres.
[289] «Aussi desiroit (Louis XI) de tout son cœur de pouvoir mettre une grande police au royaume, et principalement sur la longueur des procès, et en ce passage vint brider cette cour de parlement, non point diminuant leur nombre ne leur authorité, mais il avoit à contre cœur plusieurs choses dont il les hayoit. Comines, L. 6 ch. 6.» Ce qui lui rendoit le parlement désagréable, c’étoit l’enrégistrement; il étoit choqué de se voir contraint d’envoyer à cette compagnie ses traités de paix, et de demander son approbation. «Et mesmement es dits de parlement, des comptes et des finances, que ces dites présentes ils vérifient et approuvent et les facent publier, &c. Traité de Conflans, en forme de lettres-patentes du 5 octobre 1465, pour terminer la guerre du bien public.»
[290] «Le roy vous défend que vous ne vous entremettiez en quelque façon que ce soit de l’estat, n’y d’autre chose que de la justice, et que vous preniez un chacun ces lettres en général de vostre pouvoir et délégation en la forme et maniere qu’il a esté cy devant fait. Pareillement vous défend et prohibe toute cour, jurisdiction et connoissance des matieres archiepiscopales, épiscopales et d’abbayes, et déclare que ce que attenterez au contraire soit de nul effet et valeur; et avec ce ledit seigneur a revoqué et revoque et déclare nulles toutes limitations que pourriez avoir faites au pouvoir et régence de madame sa mère... Ordonne que ce qui a esté enregistré en la dite cour contre l’autorité de la dite dame, sera apporté au dit seigneur dedans quinze jours pour le canceller, et de ce l’enjoint au greffier de la dite cour, sur peine de privation de son office... Semblablement le dit seigneur défend à la dite cour d’user cy après d’aucunes limitations, modifications, ou restrictions sur ses ordonnances, édits et chartes, mais où ils trouveroient qu’aucune chose y deust estre ajoutée ou diminuée au profit du dit seigneur ou de la chose publique, ils en avertiront le dit seigneur. D’autre part le dit seigneur vous dit et déclare que vous n’avez aucune jurisdiction ni pouvoir sur le chancelier de France, laquelle appartient audit seigneur et non à autre; et par ainsi tout ce que par vous a esté attenté à l’encontre de lui, il le déclare nul, comme fait par gens privez, non ayant jurisdiction sur luy, et vous a commandé et commande d’oster et canceller de vos registres tout ce que contre luy est fait, et enjoint audit greffier sur les peines que dessus, que dans le même temps il ait à rapporter les registres audit seigneur, canceller en ce qui touche le dit chancelier. Et d’autant que le dit seigneur a par chacun jour grosses plaintes et doléances de la justice mal administrée et des grands frais qu’il convient faire aux parties pour la recouvrer, et que ce jourd’huy lui avez fait dire que cela procede de ceux qui ont acheté leurs offices, et qui pour éviter frais, aucuns anciens reputez prudens la faisoient administrer en plusieurs lieuz, et a sçu le dit seigneur d’ailleurs, que les affinitez, lignages et grosses familiaritez de ceux qui sont es cours, causent les désordres: le dit seigneur à cette cause ordonnera que pour s’informer de tout, et après y pourveoir pour le bien de son royaume et descharge de sa conscience. Et veut et entend le dit seigneur que le présent édit soit enrégistré en son grand conseil et les cours de parlement. Edit du 24 juillet 1527.» Cet édit fut publié en présence du roi dans son conseil, où les présidens et conseillers du parlement furent appelés.
[291] Voyez ce que j’ai dit dans les remarques du livre précédent au sujet de la cour des pairs, qui étoit distinguée du parlement avant le procès du duc d’Alençon.
[292] «Dans les dernieres années du regne de Louis XII, dit Mezeray, il arriva une chose qui sembla alors de très petite consequence, mais qui depuis a bien couté des millions aux sujets de l’état, et leur en coutera encore bien davantage. J’ai marqué dans le regne de Charles VIII, que le roy faisoit tous les ans un fonds de quelques six milles livres pour payer l’expédition des arrêts du parlement, afin que la justice se rendît tout à fait gratis. Un malheureux commis auquel on avoit donné ce fonds là, l’emporta et s’enfuit; le roi desiroit en faire un autre, mais comme il étoit fort pressé d’argent pour les grandes guerres qu’il avoit à soutenir, quelque flatteur luy fit entendre que les parties ne seroient point grevées de payer ces expéditions. En effet ils n’eurent pas d’abord grand sujet de s’en plaindre, parce qu’elle ne coutoient que six blancs ou trois sous la pièce; mais depuis, cette dépense s’est infiniment augmentée, et on ne peut pas dire sans étonnement jusqu’à quel point elle est montée aujourd’hui.
«Je puis à ce propos marquer ici l’origine des épices, qui est une autre charge que les misérables plaideurs se sont imposée eux-mêmes. Quelque partie qui avoit obtenu un arrêt à son profit, s’étant avisée, pour remercier son rapporteur, de lui donner des boîtes de dragées et de confitures qu’alors on nommoit épices, un second, puis un troisième, un quatrième et plusieurs autres ensuite le voulurent imiter. Ces reconnoissances volontaires furent tirées à consequence, et devinrent un droit nécessaire; les juges crurent être bien fondés de les demander quand on ne les donnoit pas. Après ils les taxèrent, puis à la fin ils les convertirent en argent. Tant il est dangereux de faire réglément des présens à des personnes qui s’en peuvent faire un droit quand il leur plait.»
[293] Le voile a été déchiré, par la révolution que la magistrature du royaume a éprouvée dans ces derniers temps. Le chancelier de Maupeou a rompu la chaîne des traditions de la doctrine et de l’ambition des parlemens. Il nous a fait connoître que ces compagnies n’avoient pas la force que nous leur attribuions. Il nous a fait sentir une grande vérité; que tout ordre de citoyens qui favorise le despotisme, dans l’espérance de le partager avec le prince, creuse un abyme sous ses pas, et assemble un orage sur sa tête. Nous voyons de la manière la plus claire ce que c’est aujourd’hui que l’enrégistrement. Si vous désirez que cette vaine formalité soit moins ridicule qu’elle ne l’est dans les mains des nouveaux magistrats, désirez que les offices ne soient pas donnés par la cour, et que le gouvernement se trouve forcé de faire de la vente des charges une affaire de finance. Alors les parlemens tâcheront de reprendre leur ancien esprit, et en faisant semblant de servir le public, ils se prépareront une seconde disgrace.
[294] Voyez l’histoire de Thou, L. 13.
[295] Voyez encore l’histoire de Thou, L. 35.
[296] Voyez l’avant-dernière remarque du livre précédent. Dans le discours que le chancelier de l’Hôpital prononça au lit de justice tenu à Rouen à l’occasion de la majorité de Charles IX, il parla d’une ancienne erreur où sont les magistrats ou juges supérieurs, qui s’imaginent qu’il leur est permis d’éluder ou d’affoiblir les lois, sous prétexte de les interprêter ou de les appliquer avec plus de justice.
[297] «De par le roi. Nostre amé et féal pour aucunes causes qui nous meuvent, lesquelles nous vous dirons, nous voulons, vous mandons et commandons, que doresnavant, vous ne instituez, ne faciez ou souffrez recevoir et instituer, aucuns officiers quelsconques en notre cour de parlement, pour quelconque élection qu’icelle cour aye faite ou fasse, ne aussi en nos chambres des comptes et des generaux de la justice, pour quelconques retenues ou dons que ayons faicts. Car nous en retenons à nous toute l’ordonnance et disposition, et le faites sçavoir à nos gens de nos dites cours et chambres, afin que n’en puissent prétendre ignorance, et par eulx en vostre absence, et sous vostre sceu ne fasse au contraire.» Lettres de Charles VII à son chancelier, du 2 mars 1437. Elles furent enrégistrées au parlement le 2 d’avril suivant.
«Que doresnavant quant les lieuz de presidens et des autres gens de nostre parlement vacqueront, ceux qui y seront mis, soient prins et mis par élection, et que lors nostre dit chancelier aille en sa personne en nostre court de nostre dit parlement, duquel il soit faicte ladicte élection, et y soient prinses bonnes personnes, sages, lettrées, expertes et notables selon les lieuz où ils seront mis, afin qu’il y soit pourveu de teles personnes comme il appartient à tel siege, et sans aucune faveur ou acceptation de telles personnes.» Ordon. du mois de janvier 1400, art. 18. Il est aisé de juger que la présence du chancelier ne pouvoit pas s’allier avec la liberté; c’étoit lui en effet qui décidoit de toutes les places. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que l’on continuoit à faire des ordonnances pour autoriser les élections dans le temps même que les offices de judicature se vendoient publiquement.
«Avons à cette cause ordonné et ordonnons que doresnavant en faisant les dites élections et nominations des dits présidens et conseillers, iceux nos dits presidens et conseillers ainsi élisans et nommans, jureront sur les saints évangiles de Dieu es mains du premier président de la dite cour, ou autre qui en son absence présidera, d’élire sur son honneur et conscience, celui qu’il sçaura et connoîtra estre le plus lettré, expérimenté, utile et profitable pour les dits offices respectivement exercer au bien de justice et chose publique de nostre royaume.» Ordon. de Blois en 1498, art. 31. La liberté que Louis XII voulut rendre au parlement venoit trop tard; on avoit déjà contracté l’habitude de faire un trafic des magistratures, et d’ailleurs, la cour étoit trop puissante pour que sa recommandation ne fût pas aussi dangereuse que la présence du chancelier.
[298] «Nous ordonnons que doresnavant aucun n’achette office de president, conseiller ou autre office en nostre dite cour, et semblablement d’autre office de judicature en nostre royaume, ne pour iceux avoir baillé, ne promettre, ne fasse bailler, ne promettre par lui ne autre, or, argent, ne chose équipolent, et de ce il soit tenu faire serment solemnel avant que d’estre institué et reçu, et s’il est trouvé avoir fait ou faisant le contraire, le privons et déboutons à présent du dit office, lequel déclarons impétrable.» (Ordon. de Charles VIII en juillet 1493, art. 68.)
Par l’ordonnance du mois d’avril 1453, art. 84, on voit que Charles VII se plaignoit déjà que les praticiens achetassent des protections à la cour pour obtenir des offices de judicature. Cet abus étoit trop étendu pour qu’on pût espérer d’y remédier, en condamnant les coupables à des amendes, et en les déclarant incapables de posséder aucun office royal.
Cette corruption s’est conservée jusqu’au temps de la vénalité authentique des offices, et nous la verrons renaître, si l’ordre nouvellement établi par Maupeou peut subsister. Le 1 janvier 1560, dit Thou, livre 24, François II fit un édit pour rétablir les élections des magistrats; ordonnant quand une place vaqueroit, qu’on lui proposeroit trois sujets dont il en choisiroit un; cette ordonnance, ajoute-t-il, fut depuis plusieurs fois renouvelée, et ne fut jamais exécutée, par l’ambition et la cupidité des courtisans qui tiroient de grosses sommes de la vente des offices, et qui, sous prétexte de remplir les coffres du roi, firent que, par des édits bursaux on augmenta à l’infini le nombre des juges. Ainsi, cet ordre illustre, qu’il importoit tant de conserver dans tout son éclat et dans sa dignité, pour contenir par là dans le devoir les autres ordres de l’état, commença à s’avilir peu à peu; des hommes indignes de leur place et sans mérite, parvinrent aux honneurs de la magistrature par leurs seules richesses et par la faveur des grands, dans la seule vue d’un intérêt bas et sordide.
[299] Voyez le recueil des œuvres du chancelier de l’Hôpital, ou l’histoire de Thou, liv. 25.
[300] «Le peuple, qui entend la division qu’il y a entre la dite cour et vostre conseil, se rend plus difficile à vous rendre l’obéissance qu’il doit. Je passerai plus outre, que la cour en ses remontrances use bien souvent de cette clause qui peut estre cause de beaucoup de maux.
«La cour ne peut ny doit, selon leur conscience enteriner ce qui lui a esté mandé; et avec le même respect je proteste, comme j’ai jà fait, de ne vouloir parler de cette compagnie qu’avec honneur, je dis, sire, que de ces paroles en avient souvent de grands inconvéniens. Le premier est, que comme le peuple entend que messieurs de la cour sont pressés si avant par vostre autorité, qu’ils sont constraints de recourir au devoir de leurs consciences, il fait sinistre jugement de la vostre, et de ceux qui vous conseillent, qui est un grand aiguillon pour les acheminer à une rebellion et désobéissance: le second inconvenient est qu’il avient souvent que ces messieurs, après avoir usé de ces mots si severes et rigoureux, peu de temps après, comme s’ils avoient oublié le devoir de leurs consciences, passent outre et accordent ce qu’ils avoient refusé: et par expérience il vous souvient, sire, qu’il y a environ deux ans, qu’ils refusèrent par deux fois vos lettres-patentes sur les facultés de monsieur le cardinal de Ferrare, usant toujours de ces mots: nous ne pouvons ne devons selon nos consciences; et toute fois deux mois après sur une lettre missive en une matinée, ils reçurent et approuverent les dites facultez qu’ils avoient refusées avec tant d’opiniâtreté. Je demanderois volontiers ce que deviennent lors leurs consciences. Ce qui me fait dire, et les prie, sire, en vostre presence, qu’ils soient désormais plus retenus à user de telles clauses, et considérer que s’ils demeurent en leurs opinions, ils font grand tort à vostre majesté; s’ils changent, ils donnent à mal penser à beaucoup de gens de leurs consciences.»
Dans ces derniers temps, le parlement a souvent dit, dans ses remontrances, qu’il a manqué à son devoir en enregistrant tel édit ou telles lettres-patentes, et qu’il ne l’a fait que pour donner des preuves de son amour et de son respect pour le roi. Quel étrange langage pour des magistrats! En avouant que quelque chose leur est plus précieux que la justice, ne se décrient-ils pas auprès du public?
[301] On a vu, dans la dernière remarque du livre précédent, deux articles de l’ordonnance de Blois en 1498, par laquelle Louis XII avoit tâché de réprimer la tyrannie des seigneurs. Je vais prouver, par des pièces, que cet esprit subsiste.
«Comme depuis nostre avenement à la couronne, nous ayant esté faites plusieurs et diverses plaintes du peu de reverence que beaucoup de nos sujets ont aux arrests de nos cours souveraines, et autres jugemens donnez en cas de crimes, tellement que la plupart desdits arrests, sentences et jugemens demeurent inexecutez et illusoires, ce qui avient pour ce que ceux qui par lesdits arrests, sentences et jugemens sont condamnés au supplice de mort, ou autre grande peine corporelle, ou bien bannis de nostre royaume, et leurs biens confisqués, n’estant pas comparus aux assignations qui leur ont été baillées, et n’ayant pu estre pris prisonniers, tiennent fort en leurs maisons et biens, là où après lesdits arrests, sentences et jugemens, ils ne devroient trouver lieu de refuge, ni de sûr accès en cettuy nostre royaume, sont reçus, recueillis et favorisez de leurs parens, amis ou autres personnes qui les reçoivent et latitent au grand mepris et contemnement de nous et de notre dite justice, dont il advient plusieurs meurtres et autres grands inconveniens, tant pour l’observation de nostre dite justice, que pour le repos public et general de tous nos sujets, lesquels sans l’obeissance et reverence de nostre dite justice, ne pourroient estre longuement entretenus en union et tranquillité. Pour ce estoit, que nous après avoir mis cette affaire en délibération avec les princes de nostre sang et gens de nostre conseil privé, estans les nous: avons par leur avis, dit, statué et ordonné, et par la teneur de ces dites presentes, disons, statuons, voulons et ordonnons que doresnavant quand il y aura aucun de nos sujets condamné, soit par defauts, coutumaces ou autrement, au supplice de mort, ou autres grandes peines corporelles, ou bannis de nostre dit royaume et leurs biens confisqués, nos autres sujets, soient leurs parens ou autres, ne les pourront recueillir, recevoir, cacher ni latiter en leurs maisons; mais seront tenus s’ils se retirent devers eux, de s’en saisir pour les représenter à la justice afin d’ester à droit, autrement en défaut de ce faire, nous voulons et entendons qu’ils soient tenus pour coupables, et consentans des crimes dont les autres auront esté chargés, condamnés et punis comme leurs alliez et complices, de la mesme peine qu’eux, davantage à ceux qui viendront relever à justice lesdits receptateurs, nos officiers en procédant à l’encontre d’eux sur le fait du dit recelement, adjugent aux dits revelateurs par même jugement la moitié des amendes et confiscations esquelles lis auront condamné lesdits receptateurs; et quant à ceux desdits condamnés qui après lesdits arrests, sentences et jugemens donnez à l’encontre d’eux, ne voudront obéir aux exécuteurs d’iceux, et tienront fort en leurs maisons et châteaux contre les gens et ministres de nostre dite justice, nous voulons et entendons que lorsqu’il sera apparu de ladite rebellion, les baillifs et seneschaux, au ressort desquels seront assis lesdites maisons et châteaux, assemblent ban et arriere ban, prévosts des mareschaux et les communes; et s’ils ne sont assez forts, que les mareschaux de France et gouverneurs des provinces à la premiere sommation et requeste qui leur en sera faite, et leur faisant apparoir de ladite rebellion, comme dessus est dit, assemblent davantage les gens de nos ordonnances, et si besoin est, fassent sortir le canon pour faire mettre en exécution lesdits arrests, sentences et jugemens, et fassent telle ouverture des dites maisons et châteaux, que la force nous en demeure. Voulons qu’en signe de ladite rebellion, outre la punition qui sera faite suivant nos édits, de tous ceux qui se trouveront dans lesdites maisons et châteaux avoir adhéré aux dits rebelles, ils fassent démolir, abattre, raser icelles maisons et châteaux sans qu’ils puissent estre puis après restablis ni réédifiez, si ce n’est par nostre congé et permission.» (Ord. de François II, du 17 décembre 1559.)
«Sur la remontrance et plainte faite par les députez du tiers état, contre aucuns seigneurs de nostre royaume, de plusieurs extorsions, corvées, contributions et autres semblables exactions et charges indues, nous enjoignons très-expressement à nos juges de faire leur devoir et administrer justice à tous nos sujets, sans exception de personnes de quelque autorité et qualité qu’ils soient, et à nos avocats et procureurs y tenir la main et ne permettre que nos pauvres sujets soient travaillez et opprimez par la puissance de leurs seigneurs feodaux, censiers et autres, auxquels defendons intimider ou menacer leurs sujets et redevables, leur enjoignons se porter envers eux moderement et poursuivre leurs droits par les voyes ordinaires de justice, et avons dès a présent révoqué toutes lettres de commission et délégation accordées et expédiées ci-devant à plusieurs seigneurs de ce royaume, à quelques juges qu’elles aient esté adressées, pour juger en souveraineté les procès intentés pour raison des droits d’usage, paturage, et autres prétendus, tant par les dits seigneurs que pour leurs sujets, manans, et habitans des lieux et renvoyé la connoissance et jugement des dits procès à nos baillifs et séneschaux ou à leurs lieutenans, et par appel à nos cours de parlement chacun en son rapport.» (Ordon. de Charles IX, en janvier 1560, en conséquence des états-généraux tenus à Orléans, art. 106.)
«Entendons toutefois maintenir les gentilshommes en leurs droits de chasses à grosses bestes, es terres où ils ont droit, pourvu que ce soit sans le dommage d’autrui, même du laboureur. (Ibid. art. 108.)
Parce qu’aucuns abusans de la faveur de nos prédécesseurs par importunité ou plustost subrepticement ont obtenu quelques fois des lettres de cachet et closes ou patentes, en vertu desquelles ils ont fait sequestrer des filles et icelles épousé et fait épouser contre le gré et vouloir des pères, mères et parens, tuteurs ou curateurs, chose digne de punition exemplaire; enjoignons à tous juges procéder extraordinairement et comme un crime de rapt, contre les impetrans et ceux qui s’aideront de telles lettres, sans avoir aucun égard à icelles. (Ibid. art. 111.)
Parce que plusieurs habitans de nos villes, fermiers et laboureurs se plaignent souvent des torts et griefs des gens et serviteurs des princes, seigneurs ou autres qui sont à nostre suite, lesquels exigent d’eux des sommes de deniers pour les exempter de logis, et ne veulent payer qu’à discrétion: enjoignons aux prevosts de nostre hostel et juges ordinaires des lieux, proceder sommairement par prévention et concurrence à la punition des dites exactions et fautes, à peine de s’en prendre à eux. (Ibid. art. 116.)
Défendons à tous capitaines de charrois, tant de nos munitions de guerres ou artillerie, qu’autres nos officiers, et de ceux de nostre suite, prendre les chevaux des fermiers et laboureurs, si ce n’est de leur vouloir, de gré à gré, et en payant les journées, à peine de la hard. (Ibid. art. 117.)
Défendons aussi à tous pourvoyeurs et sommeliers d’arrester ou marquer plus grande quantité qu’il ne leur faut, ni de prendre des bourgeois des villes, laboureurs et autres personnes, vin, bled, foin, avoine et autre provision sans payer, ou faire incontinent arrester le prix aux bureaux des maistres d’hostel, ni autrement abuser en leurs charges, à peine d’estre à l’instant cassez et de plus grande punition s’il y échet, aux quels maistres d’hostel enjoignons payer ou faire payer huit jours après le prix arresté. (Ibid. art. 118.)
Sur la plainte des députez du tiers-état, avons ordonné qu’il sera informé à la requeste de ceux qui le requerront, contre toutes personnes, qui sans commission valable, ont levé ou fait lever deniers sur nos sujets, soit par forme d’emprunts, cottisations particulieres ou autrement, sans avoir baillé quittance, et d’iceux rendront compte, pour l’information vue en nostre conseil privé, y estre pourvu comme appartiendra par raison. (Ibid. art. 130.)
Avons déclaré que les dits gouverneurs (des provinces) ne peuvent et leurs deffendons donner aucunes lettres de grace, de remission et pardon, foires, marchez et légitimation, et autres semblables, d’évoquer les causes pendantes par devers les juges ordinaires, et leur interdire la connoissance d’icelles, s’entremettre aucunement du fait de la justice. (Ordon. de Moulins, en février 1566, art. 22.)
Parce qu’à nous seul appartient lever deniers en nostre royaume, et que faire autrement, seroit entreprendre sur nostre autorité et majesté, deffendons très expressément à tous nos gouverneurs, baillifs, séneschaux, trésoriers et généraux de nos finances, et autres quelconques nos officiers, d’entreprendre de lever ou faire lever aucuns deniers en nos pays, terres et seigneuries, et sur les sujets d’icelles, quelque autorité qu’ils ayent, ou pour quelque cause que ce soit, ne permettre qu’aucuns en lèvent, soit en particulier ou de communauté, sinon qu’ils ayent nos lettres patentes précises et expresses pour cet effet. (Ibid. art. 23.)
Ceux qui tiendront fort en leurs maisons et chasteaux contre nostre justice et décrets d’icelle, et n’obéiront aux commandemens qui leur seront faits, confisqueront leurs dites places à nostre profit, ou des hauts justiciers à qui il appartiendra, soit en pays où confiscation a lieu, soit en autre: sauf si pour certaines grandes causes est ordonné par nous ou justice que les dites maisons et chasteaux seront demolies et rasez pour exemple.» (Ibid. art. 29.)
Dans l’ordonnance donnée à Paris, au mois de mai 1579, sur les plaintes des états-généraux assemblés à Blois, on trouve dans les articles 274 et 275 les mêmes dispositions que dans l’ordonnance de Moulins, que je viens de rapporter, art. 22 et 23.
«Deffendons à tous seigneurs et autres, de quelque état et qualité qu’ils soient, d’exiger, prendre ou permettre estre pris, ou exigé sur leurs terres et sur leurs hommes ou autres, aucunes exactions indues, par forme de taille, aydes, crues, ou autrement, et sous quelque couleur que ce soit ou puisse estre, sinon es cas des quels les sujets et autres seront tenus et redevables de droit, où ils peuvent estre contraints par justice, et ce sur peine d’estre punis selon la rigueur de nos ordonnances, sans que les peines portées par icelles puissent estre moderées par nos juges.» (Ordon. de may 1579, art. 280.)
«Défendons aussi à tous gentilshommes et seigneurs de contraindre leurs sujets et autres à bailler leurs filles, nièces ou pupilles en mariage à leurs serviteurs ou autres, contre la volonté et liberté qui doit estre en tels contrats, sur peine d’estre privez du droit de noblesse et punis comme coupables de rapt, ce que semblablement nous voulons aux mesmes peines estre observé contre ceux qui abusent de notre faveur par importunité, ou plustost subrepticements ont obtenu et obtiennent de nous lettres de cachet, closes ou patentes en vertu desquelles ils font enlever et sequestrer filles, icelles épousent et font épouser contre le gré et vouloir du pere, mere, parens, tuteurs et curateurs.» (Ibid. art. 281.)
«Abolissons et interdisons tous péages de travers nouvellement introduits, et qui ne sont fondés en titre ou possession légitime; et seront ceux à qui lesdits droits de péages appartiennent, tenus entretenir en bonne et due reparation les ponts, chemins et passages, et garder les ordonnances qui ont été faites par les rois nos prédécesseurs, tant pour la forme du payement des dits droits en deniers, que pour l’affiche ou entretennement d’un tableau ou pancarte: le tout sur les peines portées par lesdites ordonnances, et de plus grièves, s’il y echet.» (Ibid. art. 282.)
«Pour les continuelles plaintes que nous avons de plusieurs seigneurs, gentilshommes et autres de nostre royaume qui ont travaillé et travaillent leurs sujets et habitans du plat pays où ils font résidences, par contributions de deniers ou grains, corvées ou autres semblables exactions indues, mesme sous la crainte des logemens des gens de guerre, et mauvais traitement qu’ils leur font ou font faire par leurs agens et serviteurs: enjoignons à nos baillifs et seneschaux tenir la main à ce qu’aucun de nos dits sujets soient travaillez ni opprimez par la puissance et violence des seigneurs, gentilshommes ou autres.» (Ibid. art. 283.)
«Défendons à tous sommeliers et pourvoyeurs tant nostres qu’autres, d’enlever aucuns bleds, vins, et autres vivres sur nos sujets sans payer comptant ce qu’ils enlèveront.» (Ibid. art. 326.)
«Sur la plainte à nous faite par lesdits ecclésiastiques que pour les ports d’armes, forces et violences qu’aucuns de nos sujets commettent, sont tellement redoutez, que les sergens n’osent approcher et n’ont sûr accès en leurs maisons pour leur donner des assignations requises en telles poursuites; avons ordonné et ordonnons que toutes personnes ayans seigneuries ou maisons fortes, et autres de difficile accès, demeurans hors des villes, seront tenus élire domicile en la prochaine ville royale de leur demeure et résidence ordinaire; et quant aux assignations et significations, sommations, commandemens et exploits, qui seront faits aux dits domiciles élus, vaudront et seront de tel effet et valeur, comme si faits estoient à leurs propres personnes, en baillant audit domicile eslu delay competant, selon la distance des lieux, pour leur faire sçavoir lesdits exploits, qui seront faits à l’un des officiers, baillifs, presvosts, lieutenans, procureurs fiscaux, greffiers, fermiers ou receveurs et domestiques; et seront de tel effet et valeur, comme s’ils étoient faits à leurs propres personnes ou domiciles; et en matière criminelle, au défaut de ladite élection, permettons iceux faire ajourner à son de trompe et cri public, en la plus prochaine ville royale de leur demeure.» (Ordonn. de février 1580, art. 32.)
Voilà une longue suite d’ordonnances qui prouve invinciblement avec quelle force les abus nés pendant la licence des fiefs étoient enracinés dans les esprits: on feroit un volume de réflexions sur les articles qu’on vient de lire. Combien les citoyens n’étoient-ils pas divisés? Pourquoi s’étoient-ils faits des intérêts contraires? Que notre législation étoit grossière! Le conseil mal-habile du roi croyoit qu’il suffisoit de publier une ordonnance et de faire des menaces pour remédier à un abus. Je me contenterai d’observer que les autorités que je viens de rapporter dans cette remarque, servent à confirmer plusieurs autres points de notre histoire, dont j’ai parlé dans mon ouvrage. Je prie encore le lecteur d’examiner avec soin, si les Français, en conservant tant de vices, tant d’abus et tant de préjugés de leur ancien gouvernement féodal, tandis que le roi se servoit si mal de sa puissance législative, n’étoient pas fortement invités à se cantonner encore dans leurs terres ou dans les provinces qu’ils gouvernoient tyranniquement. On retrouve sous les fils de Henri II les mêmes vices, les mêmes erreurs, la même foiblesse qui formèrent le gouvernement féodal sous les rois de la seconde race.
[302] Ce n’est qu’en 1644 que les magistrats du parlement acquirent une noblesse qu’ils transmirent à leurs descendans. Jusqu’alors ils n’avoient joui que d’une noblesse personnelle, ou des priviléges de la noblesse, tels que sont ceux qu’on accorde aux roturiers qui possèdent aujourd’hui quelque charge à la cour. «Nous avons maintenu et gardé, maintenons et gardons les officiers de nos dites cours, dans leurs anciens priviléges, prérogatives et immunités attribués à leurs dites charges, sans toutefois qu’eux ni leurs descendans puissent jouir des priviléges de noblesse et autres droits, franchises, exemptions et immunitez à eux accordez par des édits et déclarations pendant et depuis l’année 1644, que nous avons revoquez et annullez, revoquons et annullons par ces présentes; ensemble toutes autres concessions de noblesse, priviléges, exemptions et droits, de quelque nature et qualité qu’ils puissent être, accordez en conséquence, aux officiers servans dans lesdites compagnies que nous avons pareillement déclarez nuls et de nul effet. Voulons qu’en conséquence de la révocation des dits priviléges, tous lesdits officiers, de quelque ordre et qualité qu’ils puissent être, soient retenus et rétablis au même et semblable état qu’ils étoient auparavant les édits, déclarations, arrests et réglemens intervenus pour raison de ce, pendant et depuis l’année 1644; sans qu’eux ni leurs descendans puissent directement ni indirectement user ni se prévaloir du bénéfice d’iceux, qui seront censés nuls, de nul effet et comme non avenus.» Edit donné en août 1669.
Louis XIV se ressouvenoit de la guerre de la Fronde. En 1690, il rétablit les priviléges accordés au parlement en 1644. Je ne retrouve point dans mes papiers la note que j’avois faite de cet édit de 1690. Mais, ce qui revient au même, je rapporterai ici la déclaration du 29 juin 1704, en faveur des substituts du procureur-général. «Nous avons, par notre édit du mois de novembre 1690, déclaré et ordonné que les présidens, conseillers, nos avocats et procureurs-généraux de notre cour de parlement de Paris, premier et principal commis au greffe civil d’icelle alors pourvus, et qui le seroient cy-après, lesquels ne seroient pas issus de noble race, ensemble leurs veuves demeurant en viduité, et leurs enfans et descendans, tant mâles que femelles, nez et à naître en légitime mariage, seroient réputez nobles, et comme tels jouiroient des droits, priviléges, rangs et prééminences dont jouissent les autres nobles, etc. Nous avons déclaré et ordonné, déclarons et ordonnons, voulons et nous plaît que nos dits conseillers substituts de notre procureur-général au parlement de Paris, soient et demeurent compris et aggrégez au nombre des officiers de la dite cour, dénommez et compris en notre édit du mois de novembre 1690. Voulons, etc.» (Déclaration du 29 juin 1704).
[303] Avant que de rapporter le discours du président de Saint-André, le lecteur ne sera pas fâché de lire ici la harangue du chancelier de l’Hôpital, telle qu’on la trouve dans les mémoires de Condé, tome 2, p. 529.
«L’estat du parlement est de juger les différends des subjects et leur administrer la justice. Les deux principales parties d’un royaume sont que les ungs le conservent avec les armes et forces; les autres l’aydent de conseil, qui est divisé en deux. Les ungs advisent et pourvoyent au faict de l’estat et police du royaume; les autres jugent les différends des subjects, comme ceste court qui en a l’auctorité presque par tout le royaume. Ceux du conseil privé manient les affaires de l’estat par les lois politiques et autres moyens. Aultre prudence est nécessaire à faire les lois que à juger les différends. Cellui qui juge les procès, est circonscript de personnes et de temps et ne doit excéder cette raison. Le législateur n’est pas circonscript de temps et personnes; ains doit regarder ad id quod pluribus prodest; oresque à aucuns semble qu’il fasse tort, et est comme cellui qui est in specula pour la conservation de l’universel, et ferme l’œil au dommaige d’un particulier. Le dict parce que tous les jours viennent plainctes qui font parler les gens de cette disconvenance du conseil du roi et du dict parlement. Les édicts qui sont advisez par le conseil sont envoyez à la court, comme l’on a accoustumé de toujours; et les rois luy en ont voulu donner la connoissance et délibération, pour user de remontrances quand ils trouvent qu’il y a quelque chose à monstrer. Les remontrances ont toujours esté bien reçeues par les roys et leur conseil; mais quelque fois ont passé l’office de juge; et ce parlement qui est le premier et plus excellent de tous les autres, y deust mieulx regarder; et toutes fois est advenu que en déliberant sur les édicts, il a tranché du tout ou en partie; et après avoir faict remontrances et en la volonté du roy, a faict li contraire. Aucuns cuident, comme lui, que cela se faict de bon zèle; autres pensent que la cour oultrepasse sa puissance. Quand les remontrances d’icelle sont bonnes, le roy et son conseil les suivent et changent les édits, dont la cour se deust contenter, et en cest endroit cognoistre son estat envers ses supérieurs.»
Le président de Saint-André répondit. «N’a point entendu que quant y a eu édicts du dict seigneur presentés à icelle, elle y ait faict aucune désobéissance; mais les roys très-chrétiens voulans que leurs lois fussent digerées en grandes assemblées, afin qu’elles fussent justes, utiles, possibles et raisonnables, qui sont les vrayes qualitez des bonnes lois et constitutions, après les avoir faictes, les ont envoyées à la dicte court, pour cognoistre si elles estoient telles. Quand la dicte court les a trouvées autres; en a faict remontrance, qui a esté suivre la volonté des roys et non rompeure des lois, lesquelles ne servent de rien, si elles ne sont que escriptes: car leur force est en l’exécution, et chacun sçait qu’elle n’y est pas et qu’elle est plus nécessaire en ce temps qu’elle ne le fut oncques..... Vray est que cy-devant aucuns édicts ont esté envoyez ceans n’appartenans en rien à l’auctorité de la court; mais semble que ce ayt esté pour une autorisation: comme ceulx qui concernent les aydes, gabelles et subsides, dont la dicte court ne s’est jamais meslée, ains de domaine seulement, et toutes fois pour obéir, n’a laissé de les faire publier avec la limitation in quantum tangit domanium, dont la connoissance lui appartient.»
[304] Voyez la remarque 287 du chapitre précédent.
[305] Cette assemblée se tint le 6 janvier 1558, au palais, dans la chambre de S. Louis. Après que Henri II y eut prononcé un discours relatif aux malheureuses circonstances dans lesquelles se trouvoit le royaume, le cardinal de Lorraine prit la parole et promit au nom du clergé de puissans secours d’argent. Le duc de Nevers, qui parla pour la noblesse, assura qu’elle étoit prête à prodiguer son sang et ses biens pour la gloire du roi. Jean de Saint-André, à genoux, remercia le roi au nom du parlement et de toutes les cours supérieures, d’avoir bien voulu former entre la noblesse et le tiers-état un ordre particulier en faveur des magistrats: il offrit la vie et les biens de ceux pour qui il parloit. André Guillard du Mortier montra le même zèle en portant la parole pour le tiers-état. (Voyez l’histoire de Thou, l. 9.)
La vanité du parlement, si content en 1558 de n’être plus compris dans l’ordre de la bourgeoisie, fit des progrès rapides; et dans l’assemblée des notables, tenue à Paris en 1626, il ne voulut plus souffrir qu’il y eût de distinction entre l’ordre de la magistrature et ceux du clergé et de la noblesse. Nous avons une relation de cette assemblée par le procureur-général du parlement de Navarre, et je vais en rapporter un morceau tel qu’on le trouve dans le cérémonial français, par Mrs. Godefroy, p. 402.
«J’ay remarqué cy-dessus, dit l’historien, qu’après les discours faits à l’ouverture de l’assemblée, le garde des sceaux avoit comme en passant dit, que la volonté du roy étoit que sur les propositions la dite assemblée opinât par corps et non par têtes. L’effet de cette déclaration parut à la première séance, ou Monseigneur frère du roy, ayant fait opiner par têtes, et après commandé au greffier de lire les opinions, le dit greffier lut les avis par corps, disant: Mrs. du clergé sont d’un tel avis; Mrs. de la noblesse d’un tel, et Mrs. les officiers d’un tel. Sur quoi Mrs. les officiers, par la bouche de M. le premier président de Paris, remontrèrent à mondit seigneur, qu’outre que cette façon de recueillir les voix étoit préjudiciable, voire honteuse aux officiers, entant que par ce moyen on les distinguoit du clergé et de la noblesse, pour les jeter dans un tiers-état et plus bas ordre, elle étoit nouvelle et contraire aux usages pratiqués ès assemblées de cette nature, protestans n’y vouloir consentir. A quoi mondit seigneur répondit avoir commandement de sa majesté d’en user ainsi; mais qu’ils pouvoient avoir recours à elle et lui faire leurs très-humbles remontrances.
Le lendemain les dits officiers étant allez trouver sa majesté au Louvre, lui représentèrent par la bouche du premier président de Paris, le préjudice et la honte que ce leur seroit d’opiner par corps, puisque représentans les cours de parlemens et autres compagnies souveraines, composées de tous les trois ordres du royaume, ils se verroient néanmoins réduits au plus bas, et à représenter le tiers-ordre séparé de ceux du clergé et de la noblesse, lesquels n’avoient à présent sujet de se distinguer d’eux, puisque toujours ils ont réputé à honneur de pouvoir être reçus à opiner avec eux dans les dites compagnies. Que la vocation qu’eux tous avoient en ladite assemblée étoit différente, en ce que ceux du clergé et de la noblesse y sont appellez par la volonté et faveur particulière du roi, qui en cela avoit voulu reconnoître le mérite d’un chacun d’eux; mais que les premiers présidens et procureurs généraux y étoient appellez par les lois de l’état, suivies de la volonté de sa majesté pour y représenter toute sa justice souveraine: qu’ès assemblées des notables comme celle-cy, faites sous les rois ses prédécesseurs, même en celle de Rouen convoquée par sa majesté en 1617, les dits officiers avoient opiné avec MM. du clergé et de la noblesse, ensemblement par têtes, sans aucune distinction ni différence d’ordres, dont la séparation seroit d’ailleurs suivie de plusieurs difficultés, à cause des divers présidens qu’il faudroit établir, chaque corps désirant l’honneur d’être présidé par monseigneur, et même de grandes longueurs pour ce que toujours après avoir opiné séparément, il faudroit s’assembler pour conférer les avis et en former un général sur chaque proposition.»
«Sur quoi sa majesté prononça qu’on opineroit par têtes et ensemblement, se réservant à elle de faire opiner par corps où il écherroit des difficultez. Neantmoins à la premiere séance après, le premier président de Paris absent, sur la proposition qui fut faite, monseigneur demanda les avis à MM. du clergé, qui tous les portèrent à l’oreille de M. le cardinal de la Valette; et après MM. de la noblesse, lesquels le dirent à l’oreille de M. le maréchal de la Force; lesquels sieurs cardinal et maréchal de la Force les rapportèrent, disans; l’avis du clergé est tel, et celui de la noblesse tel. Et mon dit seigneur ayant demandé les avis aux officiers, M. le second président de Paris ayant fait le sien, M. du Mazurier, premier président de Toulouze, protesta ne vouloir opiner, puisque contre l’intention de sa majesté, on opinoit par corps; et mon dit seigneur luy ayant dit qu’il avoit ordre du roy d’en user ainsi, le dit sieur Mazurier, et avec lui plusieurs des dits officiers, se levèrent pour sortir, mais par le commandement exprès et réitéré de mon dit seigneur, ils se rassirent, protestans de recourir à sa majesté, laquelle étoit ce jour-là allée prendre le plaisir de la chasse à Versaille.
«Le même jour les dits officiers s’étant assemblez chez le premier président de Paris, résolurent de faire leurs plaintes à sa majesté, à son retour de Versaille, et de ne se trouver point cependant à l’assemblée; ce qui succéda heureusement à cause des fêtes où l’on entroit, pendant lesquelles l’assemblée choma. Sa majesté étant de retour, le procureur-général du parlement de Paris rapporta l’être allé trouver au Louvre, et de soi-même lui avoir fait les plaintes que tous les officiers étoient prêts à lui porter, avec les raisons de leurs justes ressentimens, et qu’elle lui avoit commandé de leur dire, que son intention étoit de les contenter en cet endroit, et que pour cet effet, elle donneroit ordre à Monseigneur son frère de les faire opiner par têtes sans distinction: ce qui fut depuis pratiqué en toutes les séances et délibérations: ès quelles après la lecture de la proposition qui étoit portée par le procureur-général du parlement de Paris, Monseigneur demandoit les avis à Mrs. les premiers présidens des parlemens, commençant par celui de Paris, et ensuite aux procureurs-généraux comme ils étoient assis; après à M. le lieutenant civil; aux premiers présidens et procureurs-généraux des chambres des comptes de Paris et Rouen; après aux premiers présidens et procureurs-généraux des cours des aydes des dits lieux, après à Mrs. de la noblesse, commençant par ceux qui n’ont point l’ordre; ensuite à Mrs. du clergé, commençant par le bout d’en bas de leur banc; après à Mrs. les maréchaux de la Force et de Bassompierre, en commençant par celui-cy; après à M. le cardinal de la Valette, et finalement Monseigneur opinoit lui-même. Après que tous avoient opiné, mondit seigneur commandoit au greffier de lire les avis, chacun desquels il avoit écrit en un cahier, et après les avoir comptés, la délibération se formoit par la pluralité. Il est vrai que quelquefois, selon les matières, mondit seigneur commençoit à prendre les avis par Mrs. de la noblesse, autres fois par ceux du clergé, ce qui arriva peu souvent.»
[306] Voyez liv. 2, chap. 2, remarque 54.
[307] «Il y a dans le premier régistre du parlement, une déclaration de Charles VII, en date de cette année 1453, par laquelle il est ordonné que les officiers du parlement de Paris et de celui de Toulouse auront rang et séance dans l’une et dans l’autre de ces compagnies du jour de leur réception. Le parlement de Paris ne s’en étant pas tenu à cette déclaration, ce fut la cause que celui de Toulouse délibéra, en 1467, que nul des présidens ni des conseillers du parlement de Paris ne seroit reçu à celui de Toulouse, jusqu’à ce que les officiers de celui de Paris auroient acquiescé à cette déclaration.» (Annales de Toulouse, p. 218.)
L’unité du parlement, distribué en différentes classes, n’étoit pas une nouveauté. Voyez du Tillet, Recueil des rois de France, ch. du conseil privé du roi. «Le roy, dit cet écrivain, n’a qu’une justice souveraine par lui commise à ses parlemens, lesquels ne sont qu’un en divers ressorts.»
[308] On a vu dans les remarques précédentes comment l’ancienne cour des pairs et le parlement se confondirent sous le règne de Charles VII, à l’occasion du duc d’Alençon. Dès lors le parlement se regarda comme la cour des pairs; mais il falloit quelque événement important et remarquable, pour bien constater et fixer cette doctrine. Le procès du prince de Condé, condamné à mort, sous François II, et rétabli sous Charles IX, fut l’événement favorable que le parlement attendoit. Ce prince, qui refusa de reconnoître le conseil du roi pour son juge compétent, ne réclama point l’ancienne cour des pairs, dont personne peut-être alors n’avoit l’idée. Charles IX lui ayant ensuite donné des lettres-patentes pour reconnoître son innocence, il n’en fut pas content, et voulut être justifié en plein parlement. Le 13 mars 1560, le roi donna des lettres-patentes en conséquence, et le prince de Condé les porta lui-même au parlement le 20 mars; et dans le discours qu’il prononça, dit, qu’il ne reconnoissoit que cette compagnie pour juge.
De là tout le bruit que fit le parlement de Paris, lorsque Charles IX fit publier sa majorité au parlement de Rouen: il ne manqua pas de dire dans ses remontrances, qu’il étoit la vraie et seule cour des pairs; qu’il est contre toutes les règles de vérifier les édits dans les parlemens de province, avant que de les avoir vérifiés au parlement de Paris; que celui-ci est le premier et la source de tous les autres parlemens, et qu’il est seul dépositaire de l’autorité des états qu’il représente. (Voyez l’histoire de Thou, l. 35.)
[309] C’est sous la présidence de Maupeou, aujourd’hui vice-chancelier et père du chancelier, que le parlement reprit l’ancienne doctrine de l’unité des parlemens; mais la malheureuse aventure du duc de Fitsjames ne laissa pas subsister long-temps cette opinion. Quoique le parlement de Toulouse eût montré dans cette circonstance les plus grands égards pour l’autorité et les prérogatives du parlement de Paris, cette dernière compagnie fut indignée que les magistrats de Toulouse eussent osé informer contre le duc de Fitsjames et le décréter: elle fit des arrêts pour déclarer qu’elle étoit uniquement et essentiellement la cour des pairs; et les parlemens de provinces en firent de leur côté pour réprouver cette doctrine. Personne ne s’aperçut que cette querelle puérile mettoit tous les parlemens sur le penchant du précipice: en effet, s’ils avoient été unis, et qu’ils eussent compté les uns sur les autres, jamais le chancelier de Maupeou n’auroit osé former le projet qu’il vient d’exécuter.
[310] Une des choses qui prouve le mieux la futilité de tous les sentimens chimériques que le parlement a enfantés sur son origine, ses droits et son autorité, c’est l’espèce d’égalité dans laquelle la chambre des comptes s’est maintenue. On a vu dans les remarques précédentes que le greffe de la chambre des comptes ne servoit pas moins de dépôt aux lois que le greffe même du parlement, et que les ordonnances ont quelquefois été envoyées à la chambre des comptes, avant que d’être portées au parlement.
On ne sera peut-être pas fâché de trouver des lettres assez extraordinaires de Philippe-de-Valois du 13 mars 1339, adressées à la chambre des comptes; le parlement auroit bien su tirer parti d’un pareil titre.
«Philippe par la grace de Dieu, roi de France. A nos amez et feaulz les gens de nos comptes à Paris, salut et dilection. Nous sommes ou temps present moult occupez pour entendre au fait de nos guerres, et à la deffense de nostre royaume et de nostre peuple, et pour ce ne povons pas bonnement entendre aux requestes delivrez tant de grace que de justice, que plusieurs gens tant d’églises, de religion que autres nos subjets nous ont souvent à requerre. Pourquoy nous qui avons grant et plaine fiance dans vos loyautez, nous commettons par ces presentes lettres plenier povoir à durer jusques à la feste de la Toussains prochaine à venir, de ottroier de par nous à toutes gens tant d’église, de religion comme seculiers, graces sur acquets, tant fais comme à faire à perpétuité, de ottroier privileges et graces perpetuelles et à temps à personnes seculieres, églises, communes et habitans des villes, et impositions, assis et maletostes pour leur proufit et du commun des liez, de faire grace de rappel à bannis de nostre royaume, de recevoir a traicté et composition quelques personnes et communitez sur causes, tant civiles que criminelles, qui encore n’auront esté jugées, et sur quelconques autres choses que vous verrez que seront à ottroier, de nobiliter bourgeois et quelconques autres personnes non nobles, de légitimer personnes nées hors mariage, quant au temporel, et d’avoir succesion de pere et de mere, de confermer et renouveller privileges, et de donner lettres en cire vert sur toutes les choses devant dites, et chascune d’icelles, à valoir perpétuellement et fermement sans revocation et sans empeschement, et aurons ferme et stable tout ce que vous aurez fait es choses dessus dites et chacune d’icelles.» M. Du Puy a rapporté cette pièce dans son traité de la majorité de nos rois, p. 153.
CHAPITRE IV.
[311] Voyez l’histoire de Thou, liv. 12.
[312] Ces remontrances sont du 16 octobre 1555. Voyez l’histoire de Thou, l. 16.
CHAPITRE V.
[313] Voyez l’histoire de Thou et les mémoires de Condé, t. 6.
[314] «Traité d’association fait par Msgr. le prince de Condé avec les princes, chevaliers de l’ordre, seigneurs, capitaines, gentilshommes, et autres de tous estats qui sont entrez ou entreront cy-aprés en la dicte association, pour maintenir l’honneur de Dieu, le repos de ce royaume, et l’estat et liberté du roy, sous le gouvernement de la royne sa mere, le 11 avril 1562.»
On voit par cette pièce qu’étant question de réformer la religion, on ne songeoit aucunement à réformer le gouvernement. On voit qu’on cachoit ses vrais sentimens, en feignant de s’armer en faveur du roi et de la reine sa mère: misérable comédie que nous avons vu se renouveler dans la guerre de la Fronde; et qu’on n’auroit point jouée, s’il n’avoit pas été nécessaire de se prêter à l’opinion publique au sujet de l’autorité royale. «Et durera cette présente association et alliance inviolable, jusqu’à la majorité du roy; c’est assavoir jusques à ce que sa majesté estant en aage, ait pris en personne le gouvernement de son royaume, pour lors nous soumettre à l’entiere obeissance et subjection de sa simple volonté; auquel temps nous esperons lui rendre si bon compte de la dicte association, comme aussi nous ferons toutes et quantes fois qu’il plaira à la royne, elle estant en liberté, qu’on cognoistra que ce n’est point en ligue ou monopole défendu, mais une fidelle et droicte obéissance pour l’urgent service et conservation de leurs majestés.
Nous nommons pour chef et conducteur de toute la compagnie, Monseigneur le prince de Condé, prince du sang, et par tout conseiller nay, et l’un des protecteurs de la couronne de France; lequel nous jurons, etc.
En quatriesme lieu, nous avons compris et associé à ce present traicté d’alliance, toutes les personnes du conseil du roi, excepté ceux qui portent armes contre leur devoir, pour asservir la volonté du roy et de la royne, lesquelles armes s’ils ne posent, et s’ils ne se retirent, et rendent raison de leur faict en toute subjection et obéissance, quand il plaira à la royne les appeler, nous les tenons avec juste occasion pour coupables de leze-majesté, et perturbateurs du repos public du royaume.
Nous protestons derechef n’estre faicte (la dite association) que pour maintenir l’honneur de Dieu, le repos de ce royaume, et l’estat et liberté du roy sous le gouvernement de la royne sa mère.»
Dans la déclaration que le prince de Condé fait à l’empereur et aux princes de l’Empire, il dit que l’autorité des états est absolue pendant la minorité des rois, et il ajoute: «Laquelle autorité ne dure que pour le temps de la minorité des roys jusques à leur aage de quatorze ans.... Telle administration n’est pour diminuer la grandeur et authorité des roys que nous recognoissons estre instituez de Dieu; à laquelle ne voulons aucunement resister, car autrement seroit resister à la puissance divine, mais pour entretenir, garder et conserver leur bien, pendant que, selon l’impuissance de nature, ils ne peuvent encore administrer, mais estant parvenus en l’aage de quatorze ans, cesse toute administration; et tout est tellement remis en sa main, qu’il n’est contredit ni empesché en chose qui lui plaise d’ordonner.» (Mém. de Condé, t. 4, p. 56.)
[315] Histoire de Thou, L. 24. Vous verrez que ceux qui s’engagèrent dans la conjuration d’Amboise pour perdre les Guises, avoient pris l’avis des plus célèbres jurisconsultes de France et d’Allemagne, ainsi que des théologiens les plus accrédités parmi les protestans. Tous ces docteurs furent d’avis qu’on devoit opposer la force à la domination peu légitime des Guises; pourvu qu’on agît sous l’autorité des princes du sang qui sont nés souverains magistrats du royaume.
Lettres de Charles IX du 25 mars 1560, pour la convocation des états-généraux. «Aucuns des dietz estats se sont amusez à disputer sur le faict du gouvernement et administration de ceslui nostre royaume, laissans en arrière l’occasion pour laquelle les faissions rassembler, qui est chose surquoi nous avons bien plus affaire d’eux et de leur aide et conseil que sur le faict du dict gouvernement.... Nous vous mandons et ordonnons très-expressément que vous ayez à faire entendre et sçavoir par tout vostre ressort et jurisdiction, à son de trompe et cry publicq, ad ce que aucun n’en prétende cause d’ignorance, qu’il y a union, accord et parfaicte intelligence entre la royne nostre très honorée dame et mere, nostre très cher et très amé oncle le roy de Navarre, de present nostre lieutenant général, réprésentant nostre personne par-tout nos royaume et pays de nostre obéissance, et nos très chers et très amez cousins le cardinal de Bourbon, prince de Condé, duc de Montpensier et prince de la Rochesurion, tous princes de nostre sang, pour le regard du dict gouvernement et administration de ceslui nostre royaume; lesquels tous ensemble ne regardans que au bien de nostre service et utilité de nostre dict royaume, comme ceulx à qui et non autres le dict affaire touche, y ont prins le meilleur et plus certain expédient que l’on sçauroit penser; de maniere qu’il n’est besoin à ceulx des estats de nostre dict royaume, aucunement s’en empescher, ce que leur défendons très expressement par ces presentes; surtout qu’ils craignent nous desobeir et déplaire.» (Mém. de Condé, t. 2, p. 281).
[316] «La court pour obvier, empescher et éviter aux oppressions, incursions, assemblées et conventicules qui se font journellement, tant en ceste ville que autres villes, villaiges, bourgs et bourgades du ressort d’icelle, dont il peult advenir tel dommaige et inconvénient qu’il est advenu en plusieurs villes, lieux et bourgs du royaume, a permis et permet à tous manans et habitans, tant des dictes villes, villaiges, bourgs et bourgades que du plat pays, s’assembler et équiper en armes pour resister et soi défendre contre tous ceux qui s’assembleront pour saccager les dictes villes, villaiges et églises, ou autrement, pour y faire conventicules et assemblées illicites, sans que pour ce les dicts manans et habitans puissent estre déferez, poursuivis et inquiétez en justice, en quelque sorte que ce soit, enjoint neantmoins aux officiers des lieux, informer diligemment et procéder contre tous ceux qui ainsi s’assembleront, et feront presches, assemblées, conventicules ou oppressions au peuple, gens d’église, leurs personnes et biens, et de tout en avertir la dicte court sous peine de s’en prendre aux dicts officiers. Enjoint aussi la dicte court au procureur-général du roy envoyer la presente ordonnance en chacun des bailliages, et seneschaussées de ce ressort, pour y estre publiée. Faict en parlement le 13 juillet 1562.
«Sur la requestre et remontrance ce jourd’huy faictes en la court par le procureur-général du roy, &c. La court la matiere mise en délibération a enjoinct et enjoinct très expressement à Messire René de Saulseux, chevalier, à présent capitaine par ordonnance du roy en la ville de Meaulz, de faire tout debvoir et diligence, assembler bon nombre de gens de guerre, tant de la dicte ville que des champs, pour prendre et appréhender tous les dicts rebelles, séditieux et perturbateurs de l’estat de ce royaume, portans armes contre le roy, et à ceste fin lui a permis et permet faire assembler et armer les habitans du plat pays, pour porter confort et ayde à la force du roy, par toutes voyes et manieres qu’il verra estre à faire, mesmes par son du toczin, en telle maniere que le roy soit obey, la force lui demeure, et la justice faicte promptement de telles persones si malheureuses et pernicieuses à Dieu et aux hommes.» (Arrêt du 27 janvier 1563).
[317] «La court, toutes les chambres assemblées, sur les remontrances et requestes à elle faictes par les capitaines des dixaines de ceste ville de Paris, oys les gens du roy, et, sur le tout la matiere mise en déliberation, et aux fins de l’arrest d’icelle, du vingt-septiesme novembre dernier, ordonne que chacun des dicts capitaines assemblera ung bon nombre des plus apparens et notables personnaiges de leurs dixaines, tels qu’ils verront bon estre, lesquels seront tenus y assister, pour enquerir des suspects et notez de la nouvelle secte et opinion, et de la cause et occasion des suspitions, soient officiers du roy en icelle court, grand conseil, chambres des comptes, généraulz de la justice des aydes, des monnoyes, chancellerie, chastellet de Paris, tresor, eaues et forest, et autres corps, colleges et communaultez, tant ecclésiastiques que seculiers, de quelque estat, qualité et condition qu’ils soient, et ceulx de leurs maisons et familles, pour faire les dicts capitaines leurs procès verbaulx dans huitaine, qu’ils bailleront incontinent au procureur-général du roy, pour iceulx veus par la court en ordonner: esquels procès verbaulx ne seront nommez et escripts les personnes qui y auront assisté; mais les bailleront au dict procureur-général par un roolle à part et secret, sans le relever, trois jours après; laquelle huitaine passée, enjoinct icelle court aux dicts capitaines faire la recherche chacun en leur dixaine, à mesme instance, jour et heure, sans dissimulation, faveur et hayne d’aucunes personnes et entreprinses sur les quartiers les ungs des autres, &c.» Cet arrêt est du 28 janvier 1562.
Voici une lettre que le parlement écrivit à la reine mere le 29 mars 1562. «Par une lettre de vostre majesté que nous a communiquée monsieur le maréchal de Montmorency, nous avons sceu que la maison du roy est exempte de l’exercice de la nouvelle opinion; et parce que celle ne nous semble assez; car la maison du dict seigneur à laquelle la vostre et celles de nos seigneurs ses freres et madame sont jointes, ou à mieulx dire, ne sont que une, est le miroir de tous les subjects, avons avisé vous remonstrer et supplier très humblement, nostre souveraine dame, n’y endurer personne qui ne soit de l’ancienne religion que nos très chrestiens roys ont tenue, et vos majestez veulent continuer; car les paroles gastens comme le dict exercice: aussi vos dictes majestez sont chargées envers Dieu, non-seulement d’estre très chrestiennes; mais de faire que le royaume demeure très chrestien; et la tolérance que avé accordée par la pacification, est par nécessité, en espérance de reduire le tout à l’union qui estoit auparavant la division de religion; celle excuse ne peult estre en la dicte maison, autrement seroient forcés vos dictes majestez de se servir de personnes qui ne leur seroient fidelles: car en diversité de religion, ne se trouve oncques dilection ne sureté de bon office.»
[318] J’ai déjà prouvé que les états croyoient depuis long-temps n’avoir que le droit de faire des doléances et des représentations. Pour juger du peu de cas qu’on en devoit faire sous les fils d’Henri II, voyez le discours du chancelier Guillaume de Rochefort, aux états tenus à Orléans en 1483. Il a l’audace de leur dire: «vous pouvez connoître avec quelle liberté le roi vous a permis de vous assembler et de dire vos avis sur les affaires, avec quelle douceur aussi il vous a donné audience; en ce que au commencement de votre assemblée, vous ayant été offert des secrétaires du roi pour recevoir et rédiger par écrit vos actes, vous futes d’avis de n’admettre aucun parmi vous qui ne fût député par les états. Il vous donna de plus deux audiences fort longues, où il vous fut permis de lui représenter par écrit et de vive voix tout ce qui vous plairoit.... Le roi auroit pu sans vous appeler, délibérer et conclure dans son conseil sur vos articles, etc.» (Traité de majorité de nos rois, par Dupuy, p. 258). On termina ces états d’une manière digne de la considération qu’ils avoient acquise; les affaires les plus difficiles n’étoient pas encore terminées, et on enleva tous les meubles des salles où les ordres s’assembloient.
Dans l’assemblée des notables du 16 décembre 1527, François I dit dans son discours, «qu’il pense faire honneur à ses sujets de se montrer si familièrement avec eux, que de vouloir avoir leur advis et délibérations.» Si on lit le discours que le chancelier de l’Hôpital tint aux états d’Orléans, sous François II, on sera surpris que cet homme, d’ailleurs si éclairé, eût des idées si louches et si fausses du droit des nations.
Henri III croyoit déroger à sa toute-puissance, en promettant par serment, d’observer l’ordonnance qu’il accordoit aux prières des états de Blois. «S’il semble, disoit-il, qu’en ce faisant je me soumette trop volontairement aux lois dont je suis l’autheur, et me dispensent elles mêmes de leur empire, et que par ce moyen je rende l’autorité royale aucunement plus bornée et limitée que mes prédécesseurs: c’est en quoi la générosité du bon prince se connoît, que de dresser ses pensées et ses actions selon sa bonne foy, et se bander de tout à ne laisser corrompre, et me suffira de répondre ce que dit ce roy à qui on remontroit qu’il laisseroit la royauté moindre à ses successeurs qu’il ne l’avoit reçue de ses pères, qui est que il la leur lairroit beaucoup plus durable et assurée.»
Dans son traité de la majorité des rois, du Tillet nous apprend très-bien quelle étoit l’opinion des personnes les plus éclairées de son temps, sur l’autorité royale et les droits de la nation. «L’assemblée des estats, dit-il, est sainte, ordonnée pour la conférence des sujets avec leur roy, qui montrant sa volonté de bien régner, leur communique les affaires politiques pour en avoir avis et secours; les reçoit à lui faire entendre librement leurs doléances, afin que les connoissant, il y pourvoye: ce qu’il fait par délibération de son très-sage conseil, dont il est pour cet effet assisté: et octroye à ses dits sujets ce qu’il voit estre raisonnable, et non plus. Car s’il estoit nécessaire de leur accorder toutes leurs demandes il ne seroit plus leur roy.» Du Tillet ajoute plus bas: «autant que la dite assemblée des estats est fructueuse quand on y tend à bonne fin, autant est-elle dommageable, s’il s’y mesle de la faction.»
[319] C’est au sujet de l’édit publié le 12 mars 1560. Voyez l’histoire de Thou, l. 24. Le même historien, l. 42, dit que le parlement de Toulouse n’enregistra l’édit de pacification de 1568, qu’avec des modifications et des restrictions qu’il inséra secrètement dans ses registres. Lecta, publicata, registrata, audito procuratore generali regis, respectu habito litteris patentibus regis, prima die hujus mensis, urgenti necessitati temporis, et obtemperando voluntati dicti domini regis, absque tamen approbatione novæ religionis, et id totum per modum provisionis, et donec aliter per dictum dominum regem fuerit ordinatum. Parisiis in parlamento sexta die martis, anno domini millesimo, quingentesimo sexagesimo primo.
Enregistrement de l’ordonnance du 17 janvier 1561.
«Nous avons déclaré et déclarons tous autres édits, lettres, déclarations, modifications, restrictions et interprétations, arrêts et registres, tant secrets qu’autres délibérations ci-devant faites en nos cours de parlement et autres qui par cy-après pourroient être faites au préjudice de notre dit présent édit, concernant le fait de la religion et troubles arrivés en cettuy notre royaume, être de nul effet et valeur.» (Edit de pacification du mois d’août 1570, art. 43).
«Mandons aussi...... icelui notre dit édit publier et enregistrer en nos dites cours selon la forme et teneur purement et simplement, sans user d’aucunes modifications, restrictions, déclarations ou registre secret». (Ibid. art. 44). Voyez la même chose dans l’art. 63 de l’édit de pacification donné en may 1576.
«Nous avons déclaré et déclarons tous autres précédens édits, articles, secrets, lettres, déclarations, modifications, requisitions, restrictions, interprétations, arrêts, registres tant secrets qu’autres délibérations cy devant par nous faites en nos cours de parlement et ailleurs, concernant le fait de la religion, et des troubles arrivés en notre dit royaume, être de nul effet et valeur.» (Edit donné à Poitiers en septembre 1577).
Tous les édits de pacifications s’expriment de la même manière, et pour abréger ici, je me contenterai de citer ici l’édit de Nantes en avril 1598. «Avons déclaré et déclarons tous autres précédens édits, articles secrets, lettres, déclarations, modifications, restrictions, interprétations, arrêts et régistres tant secrêts qu’autres, délibérations, ci-devant par nous ou les rois nos prédécesseurs, faites en nos cours de parlement et ailleurs concernant le fait de la religion et des troubles arrivez en nostre dit royaume, être de nul effet et valeur, auxquels et aux dérogatoires y contenues, nous avons par cettuy notre édit dérogé et dérogeons.» (Art. 91). Dans l’article suivant il est ordonné d’enrégistrer «purement et simplement, sans user d’aucunes modifications, restrictions, déclarations et régistres secrets.»
Fin des remarques du livre septième.
REMARQUES ET PREUVES
DES
Observations sur l’histoire de France.
LIVRE HUITIÈME.
CHAPITRE PREMIER.
[320] Voyez la remarque 301, ch. 3, du livre précédent.
[321] «Avons statué et ordonné, statuons et ordonnons que les grands jours se tiendront par les présidens et conseillers de nostre cour de parlement à Paris, en leur ressort, et es lieux où d’ancienneté on a accoustumé de les tenir; auxquels grands jours assisteront d’an en an aux gages accoutumez, l’un des quatre présidens des enquestes avec treize conseillers de nostre dite cour, sçavoir est, huit de la dite grande chambre, et cinq de la dite chambre des enquestes, selon leur ordre et ancienneté.» (Ordon. de Blois en 1498, art. 72).
«Avons ordonné et ordonnons que les gens tenans nos cours de parlement de Toulouse et Bordeaux tiendront les dits grands jours de deux ans en deux ans chacun en leur ressort, respectivement es lieux qui verront estre à faire pour le mieux, en ensuivant la forme que nos dits présidens et conseillers de nostre cour de parlement à Paris, ont accoustumé de tenir, réservés qu’ils ne seront que neuf, sçavoir est, un président et huit conseillers, dont y aura cinq laïcs et trois clercs.» (Ibid. art. 73).
Ces articles furent rappelés par l’ordonnance de François I, du 12 juillet 1519. Les guerres d’Italie rendirent presque inutile la tenue de ces grands jours; la noblesse, qui savoit le besoin qu’on avoit d’elle, n’étoit pas disposée à se soumettre à l’ordre que des gens de lois vouloient établir. Quand une fois les guerres civiles eurent été allumées sous le fils de Henri II, ce fut en vain que Henri III auroit ordonné les grands jours; le gouvernement étoit sans autorité, et les parlemens étoient abandonnés au fanatisme le plus déraisonnable.
[322] Voyez le chap. 6, du livre 4.
[323] Je me contenterai de rapporter ici l’analyse que de Thou fait de cet acte dans le livre 63e de son histoire. «Par la formule de l’union qui devoit être signée au nom de la très-sainte Trinité, par tous les seigneurs, princes, barons, gentilshommes et bourgeois, chaque particulier s’engageoit par serment à vivre et mourir dans la ligue pour l’honneur et le rétablissement de la religion, pour la conservation du vrai culte de Dieu, tel qu’il est observé dans la sainte église romaine, condamnant et rejetant toutes erreurs contraires. Pour le maintien des différentes provinces du royaume dans tous leurs droits, priviléges et libertez telles qu’elles les possédoient du temps de Clovis, qui le premier de nos rois établit en France la religion chrétienne».
On prescrivoit aussi les lois suivantes: que chaque particulier s’engageroit à sacrifier ses biens et sa vie même, pour empêcher toutes entreprises contraires à l’avancement de la sainte union, pour contribuer d’ailleurs, de tout son possible, à l’entier accomplissement des desseins qu’elle se proposoit: que si quelqu’un des membres de l’union recevoit quelque tort ou dommage, quel que fût l’aggresseur, et sans égard pour la personne, on n’épargneroit rien pour en tirer vengeance, soit par les voies ordinaires de la justice, soit même que pour cela on fût obligé de prendre les armes; que si, par un malheur qu’on doit prier le ciel de détourner, quelqu’un des amis venoit à rompre ses engagemens, il en seroit puni avec la dernière rigueur, comme traître et réfractaire à la volonté de Dieu, sans que pour cela ceux qui s’employeroient à la juste punition de ces sortes de déserteurs pussent en être repris soit en public, soit en particulier; qu’on créeroit un chef de l’union à qui tous les autres jureroient une obéissance aveugle et sans bornes; que si quelqu’un des particuliers manquoit à son devoir, ou faisoit paroître de la répugnance à s’en acquitter, le chef seroit le seul maître d’ordonner de la peine que sa faute auroit méritée: que dans les villes et à la campagne tout le monde seroit invité à se joindre à la sainte union; qu’en y entrant, on s’engageroit à fournir dans l’occasion de l’argent, des hommes et des armes, chacun selon son pouvoir; qu’on regarderoit comme ennemi quiconque refuseroit d’embrasser le parti de la ligue, et que le commandement seul du chef de l’union autoriseroit à lui courre sus à main armée; que si entre les unis, il arrivoit des querelles, des contestations ou des procès, le chef seul en décideroit, sans que pour cela on pût recourir à la justice ordinaire sans sa permission, et qu’il auroit droit de punir les contrevenans dans leur corps et dans leurs biens, selon qu’il le jugeroit à propos. Enfin, on avoit encore ajouté la formule du serment que chacun des unis devoit prononcer sur les saints Evangiles, en s’engageant dans le parti.»
J’ajouterai ici une pièce importante qu’on trouve dans les mémoires de Nevers, t. 1, p. 641, et intitulée: Déclaration des causes qui ont meu Mgr. le cardinal de Bourbon et les princes pairs, seigneurs, villes et communautez catholiques de ce royaume de s’opposer à ceux qui par tous moyens s’efforcent de subvertir la religion catholique et tout l’état. «Déclarons avoir juré tous et saintement promis de tenir la main forte et armée à ce que la sainte église soit réintégrée en sa dignité et en la vraie et seule religion catholique: que la noblesse jouisse comme elle doit de sa franchise toute entière, et le peuple soit soulagé, les nouvelles impositions abolies, et toutes crues ôtées depuis le règne du roi Charles IX que Dieu absolve: que les parlemens soient remis en la plénitude de leur connoissance, en leur entiere souveraineté de leurs jugemens, chacun en son ressort, et tous sujets du royaume maintenus en leurs gouvernemens, charges et offices, sans qu’on les puisse ôter, si non en tous cas des anciens établissemens, et par jugemens des juges ordinaires ressortissans au parlement; que tous deniers qui se lèveront sur le peuple, soient employés à la défense du royaume, et à l’effet auquel ils sont destinez: et que desormais les états-généraux soient libres et sans aucune pratique, toutes fois que les affaires les requerront, avec entiere liberté d’y faire ses plaintes, auxquelles n’aura été duement pourvu.» Cet acte est du dernier mars 1585. En ayant assez de raison pour sentir qu’on a besoin d’une réforme, est-il concevable qu’on soit assez sot pour se contenter de pareilles demandes.
Voici une autre pièce qu’on trouve encore dans les Mémoires de Nevers, t. 2, p. 614, et qui vous fera connoître l’esprit de la capitale. Elle fut lue publiquement à l’hôtel-de-ville, le 8 juin 1591. Je n’en rapporterai que quelques articles. «Sera pourveu au roy nouvellement eslu d’un bon conseil, et principalement d’évesques sages et craignant Dieu, et qui n’ayent abandonné sa cause; ensemble d’un bon nombre de seigneurs et gentilshommes vieux et expérimentez, et tirez, s’il est possible, des provinces de l’union; afin de rapporter les plaintes de toutes les parties du royaume, et donner avis sur l’occurrence des affaires.
«Que si l’on trouve bon, comme il est très-nécessaire, que l’on fasse des loix fondamentales de l’état pour obvier aux maux que nous sentons, et en garantir la postérité, les feront jurer au roy nouvellement esleu, avec les articles que les rois ont accoustumé de jurer en leur sacre: lesquelles lois il jurera maintenir et entretenir de tout son pouvoir; et à quoi il s’obligera tant pour lui que ses successeurs, avec la clause qu’en cas de contravention les sujets seront dispensés du serment de fidélité.
«Et afin que telles lois soient perpétuelles, et chaque jour représentées aux yeux d’un chacun, seront icelles inscrites en airain et apposées es palais des villes où il y a parlement; aux provinces esquelles n’y a parlement, elles seront mises en la premiere maistresse place de la premiere ville de la province.
«Les estats se tiendront, sçavoir les généraux de six ans en six ans, ou tel autre temps qu’il leur sera ordonné en la ville qu’il plaira au prince de les assembler; et à faute de les assembler, s’assembleront en la ville capitale. Les provinciaux de trois ans en trois ans, en la principale ville de la province, si ce n’est que pour la nécessité des affaires, il soit besoin d’une convocation extraordinaire: et sans lesquels estats ne se pourra conclure par le roy, de faire la guerre ou la paix, ou mettre tailles, subsides et impositions sur le peuple.»
Ces deux articles, où l’on commençoit à entrevoir quelques principes d’un bon gouvernement, ne firent aucune impression sur les esprits. On ne fut frappé que des articles suivans, dans lesquels il n’est question que de brûler et d’exterminer les hérétiques, soit Français, soit étrangers.
[324] Voyez l’histoire de Thou, l. 63, et ce que Davila rapporte des premiers états de Blois, l. 13.
[325] Voyez l’histoire de Thou, l. 60.
CHAPITRE II.
[326] «Premièrement, afin que la chose soit conduite par plus grande authorité, on est d’avis de bailler la superintendance de toute l’affaire au roy Philippe Catholique; et à ceste fin d’un commun consentement, le tout chef et conducteur de toute l’entreprise. On estime bon de procéder en ceste façon, que le roy Philippe aborde le roy de Navarre par plaintes et querelles, à raison que contre l’institution de ses prédécesseurs, et au grand danger du roy pupille, duquel il ha la charge, nourrit et entretient une nouvelle religion: et si en cela se montre difficile, le roy catholique par belles promesses essayera de la retirer de sa méchanceté et malheureuse délibération, lui découvrant quelque espoir de recouvrer son royaume de Navarre, ou bien de quelque autre grand profit et esmolument en recompense du dit royaume: l’adoucira et ployera, s’il est possible, pour le retenir de costé, et conspirer avec luy contre les autres autheurs de cette secte pernicieuse. Ce que succédant à souhait, seront lors faciles et abregez les moyens de la guerre future. Mais poursuivant et demeurant iceluy tousjours obstinés, néanmoins le roy Philippe, à qui tant par l’authorité à luy donnée par le saint concile, que par le voisinage et proximité, la chose touche de plus près, par lettres gracieuses et douces l’admonestera de son devoir, entremeslant en ses promesses et blandices, quelques menaces. Cependant tant secrettement et occultement que faire se pourra, fera sur l’hyver quelque levée et amas de gens d’eslite au royaume d’Espagne: puis ayant les ses forces prestes, déclarera en public ce qu’il brasse. Et ainsi le roy de Navarre sans armée et pris à l’impourveu facilement sera opprimé, encore que d’adventure avecque quelque troupe tumultuaire et ramassée, s’efforceast d’aller à l'encontre, ou voulust empescher son ennemy d’entrer en pays.
«Or s’il cede, sera aisément chassé hors son royaume, et avec lui sa femme et ses enfans: mais s’il fait teste, et plusieurs volontaires, gens d’armes et sans soulde le deffendent, car plusieurs des conjurez d’icelle secte se pourroient avancer pour retarder la victoire, alors le duc de Guise se déclarera chef de la confession catholique, et fera amas de gens d’armes vaillans et de tous ceux de sa suite. Aussi d’une autre part pressera le Navarrois, ensorte qu’estant poursuivi d’un costé et d’autre, tombera en proye, car certainement un tel roy ne peut faire teste à deux chefs ni à deux exercites si puissans.
«L’empereur et les autres princes Allemans, qui sont encore catholiques, mettront peine de boucher les passages qui vont en France, pendant que la guerre s’y fera, de poeur que les princes protestans ne fassent passer quelque force, et envoyent secours audit roy de Navarre, de poeur aussi que les cantons de Souysse ne luy prestent ayde, sauf que les cantons qui suivent encore l’authorité de l’église romaine, denoncent la guerre aux autres, et que le pape ayde de tant de forces qu’il pourra lesdits cantons de sa religion, et baille sous main argent et autres choses nécessaires au soustenement des frais de la guerre.
«Durant ce le roy catholique baillera part de son exercite au duc de Savoye, qui de son côté fera levée de gens si grande, que commodement faire se pourra en ses terres. Le pape et les autres princes d’Italie déclareront chef de leur armée le duc de Savoye: et pour augmenter leurs forces, l’empereur Ferdinand donnera ordre d’envoyer quelques compagnies de gens de pied et de cheval, allemans.
«Le duc de Savoye, pendant que la guerre troublera ainsi la France et les Souysses, avec toutes forces se ruera à l’impourveu sur la ville de Geneve, sur le lac de Lozanne, la forcera, ou plus tost ne se départira, ne retirera ses gens, qu’il ne soit maistre et jouissant de la dite ville, mettant au fil de l’épée, ou jettant dedans le lac tous les vivans qui y seront trouvés, sans aucune discrétion de sexe ou aage. Pour donner à connoistre à tous qu’enfin la Divine Puissance a compensé le retardement de la peine par la grieve grandeur de tel supplice, et qu’ainsi souvent fait ressentir les enfans et porter la peine par exemple mémorable à tout jamais de la méschanceté de leurs peres, et mesmes de celles qu’ils ont commises contre la religion. En quoy faisant ne faut douter que les voisins touchés de cette cruauté et tremeur, ne puissent estre ramenez à santé, et principalement ceux qui à raison de l’aage ou de l’ignorance sont plus rudes ou plus grossiers, et par conséquent plus aisez à mener, auxquels il faut pardonner.
«Mais en France, par bonnes et justes raisons, il fait bon suivre autre chemin, et ne pardonner en façon quelconque à la vie d’aucun, qui autre fois ait fait profession de ceste secte: et sera baillée cette commission d’extirper tous ceux de la nouvelle religion au duc de Guise, qui aura en charge d’effacer entierement le nom, la famille et race des Bourbons, de poeur qu’enfin ne sorte d’eux quelqu’un qui poursuive la vengeance de ces choses, ou remette sus cette nouvelle religion.
«Ainsi les choses ordonnées par la France, et le royaume mis en son entier, ancien et pristin estat, ayant amassé gens de tous costez, il est besoin envahir l’Allemaigne, et avec l’ayde de l’empereur et des évesques, la rendre et restituer au Saint siege apostolique. Et où ceste guerre seroit plus forte et plus longue qu’on ne pense et desire, afin que par faute d’argent, ne soit conduite plus lentement ou plus incommodement, le duc de Guise pour obvier à cet inconvénient, prestera à l’empereur et aux autres princes d’Allemaigne et seigneurs catholiques tout l’argent qu’il aura amassé de la confiscation de tant de nobles, bourgeois puissans et riches qui auront esté tuez en France, à cause de la nouvelle religion, qui se monte à grande somme, prenant par le duc de Guise suffisante caution et respondant: par le moyen desquelles, après la confection de la guerre, sera remboursé de tous les deniers employez à cest effect sur les dépouilles des lutheriens, et autres, qui pour le fait de la religion seront tuez en Allemaigne de la part des saints peres, pour ne defaillir, et n’estre veus négligens à porter ayde à tant sainte affaire de guerre, ou vouloir épargner leur revenu et propres deniers, ont adjousté que les cardinaux se doivent contenter pour leur revenu annuel de cinq ou six mille escus, les évesques plus riches, de deux ou trois mille au plus, et le reste du dit revenu, le donner de franche volonté et l’entretenement de la guerre, qui se conduit pour estirper la secte des Luthériens et Calvinistes, et restablir l’église romaine, jusques a ce que la chose soit conduite à heureuse fin.
«Que si quelque ecclesiastique ou clerc ha vouloir de suivre les armes en guerre si sainte, les peres ont tous d’un commun consentement conclu et arresté, qu’il le peut faire, et s’enroler en ceste guerre seulement, et ce sans aucun scrupule de conscience.
«Par ces moyens, France et Allemaigne ainsi chastiées, rabaissées et conduites à l’obéissance de la sainte église romaine, les pères ne font pas doute que le temps ne pourvoye de conseil et commodité propre à faire que les autres royaumes prochains soient ramenez à un troupeau et sous un gouverneur et pasteur apostolique: mais qu’il plaise à Dieu ayder et favoriser leur presens desseins, saints et pleins de piété.» Cette pièce se trouve dans les mémoires de Condé, t. 6. p. 167.
CHAPITRE III.
[327] Voyez dans le recueil des pièces concernant la pairie, par Lancelot, p. 185, la déclaration de Philippe-le-Bel à Yoland de Dreux, duchesse de Bretagne.
[328] Voyez le chapitre 5 du livre troisième.
[329] Avant cette époque, les seigneurs ou princes du sang ne jouissoient d’aucune prééminence sur les autres seigneurs; et nous avons encore plusieurs actes où ils ne sont point nommés avant les autres. Je me contente de renvoyer sur cette matière à ce qu’en a écrit le comte de Boulainvilliers, dont l’ouvrage est entre les mains de tout le monde.
[330] «Au sacre du roy Louis XI, le duc de Bourbon plus éloigné de la dite couronne, chef de sa maison, précéda les comtes d’Angoulesme et Nevers, puisnez des branches d’Orléans et de Bourgogne, plus proches de la dite couronne.» Du Tillet, recueil des rangs des grands de France. Si la pairie n’avoit pas donné une prérogative supérieure à celle des seigneurs du sang, les princes n’auroient pas recherché la pairie comme une grande faveur. Il suffit de jeter les yeux sur l’ouvrage de Dutillet que je viens de citer, pour juger combien les usages sur les rangs et les dignités ont été incertains et inconstans parmi nous; il est bien étonnant que notre vanité, même la plus chère de nos passions, n’ait pu nous donner aucunes règles fixes.
«Le 17 juin 1541, fut jugé, dit Du Tillet, que le duc de Montpensier ayant les susdites deux qualités (de prince et de pair) pourroit bailler ses roses premier que le duc de Nevers, combien qu’il fust pair plus ancien que n’estoit ledit duc de Montpensier. Au sacre du roi Henri II, les ducs de Nevers et de Guise plus anciens pairs précédent le dit duc de Montpensier prince du sang et pair; mais déclara le dit roy le 25 juillet 1547 que cela ne fit préjudice audit duc de Montpensier, fust pour semblable acte ou autres. Le duc de Guise précéda au dit sacre le duc de Nevers plus ancien pair que luy, qui fut parce que le dit duc de Guise représentoit le duc d’Aquitaine, et celuy de Nevers représentoit le comte de Flandres, le dit duc de Montpensier le comte de Champagne. Le rang des représentez estoit gardé, non des représentans.»
[331] Il y a déjà long-temps que les pairs sont regardés comme les conseillers du roi en ses grandes, nobles et importantes affaires; et c’est en conséquence de cette opinion, quand ils sont reçus au parlement, qu’on leur fait prêter aujourd’hui le serment inutile, je dirai presque ridicule, «d’assister le roi et lui donner conseil en ses plus grandes et importantes affaires.» Les lettres d’érection du comté d’Anjou en pairie, et qui ont servi de modèle à toutes les érections suivantes, ont sans doute contribué à donner naissance à cette opinion. Ad honorem cedit et gloriam regnantium et regnorum, si ad regiæ potestatis dirigenda negotia insignibus viri conspicui præficiuntur officiis, et inclitis præclaræ personæ dignitatibus, ut et ipsi sua gaudeant nomina instituta magnificis, et cura regiminis talibus decorata lateribus, à sollicitudinibus pacisque ac justitiæ robora, quæ regnorum omnium fundamenta consistunt, conservari commodiùs valeant et efficaciùs ministrari. Sous le règne de Charles VI cette opinion fit de grands progrès et j’en ai développé les causes dans le corps même de mon ouvrage.
[332] «Nous aurions advisé de remplir le lieu et place des anciens duchez et comtez laïcs tenus en pairie de la couronne de France, d’autres ducs et pairs depuis créez en nostre royaume selon l’ordre de leur création, par la maniere qui s’ensuit: c’est à sçavoir, pour la duché de Bourgogne, nostre très cher et amé oncle le roy de Navarre; pour celle de Normandie, nostre très cher et amé cousin le duc de Vendosme; et pour celle de Guyenne, nostre très cher et amé cousin le duc de Guise; et quant aux comtez, pour celle de Flandre, nostre très cher et amé cousin le duc de Nevers; pour celle de Champagne, nostre très cher et amé cousin Louis de Bourbon duc de Montpensier; et pour celle de Toulouse, nostre très cher et amé cousin le duc d’Aumale. Sur quoy nostre dit cousin le duc de Montpensier nous eût remontré, que pour le regard de la proximité du sang royal et lignage dont il nous attient, il devoit en l’assiette, ordre et assistance des pairs de France laïcs, précéder nos très chers et amez cousins Claude de Lorraine duc de Guise, et François de Cleves aussi duc de Nevers comte d’Eu, tous deux pairs de France, et que la création et antiquité des pairies ne pouvoit alterer l’ordre et le rang dus aux princes du sang royal de France, qui doivent toujours suivre et approcher le lieu d’où ils sont descendans.... Sur quoy nos dits cousins les ducs de Guise et de Nevers soutenans le contraire, auroient dit que pour estre plus anciens pairs en création et réception que n’est nostre dit cousin le duc de Montpensier, ils devoient en tous actes et assemblées des dits pairs de France, aller devant lui et le précéder, ainsi qu’en tout temps il auroit esté observé entre iceux pairs qui alloient selon l’ordre et l’ancienneté de leurs créations et réceptions..... Attendu qu’en cet acte solemnel d’iceux sacre et couronnement, il n’est question de chose qui touche en rien l’honneur et prééminence du sang royal, que nostre dit cousin le duc de Montpensier attaque pour précéder nos dits cousins les ducs de Guise et de Nevers, mais seulement de la préférence des pairs de France, et lesquels devront aller devant et précéder l’un l’autre, nous avons par ces présentes, par manière de provision, ordonné, attendu la dite briéveté de temps, et jusques à ce que autrement en ait esté décidé, que nos dits cousins les ducs de Guise et de Nevers comte d’Eu, créez et reçeus pairs de France premiers que nostre dit cousin le duc de Montpensier, précéderont, en cettuy acte seulement, iceluy nostre dit cousin le duc de Montpensier, sans que cela lui puisse toutes fois aucunement préjudicier par cy après, soit en semblables actes, ou tous autres d’honneur et de prééminence, quels qu’ils soient, où l’on devra avoir respect et regard à la dignité du sang royal dont est issu nostre dit cousin le duc de Montpensier.» (Ordon. du 25 juillet 1547).
«Nostre très cher et amé cousin le duc de Guise, pair et grand chambellan de France, nous a fait remontrer que à l’assiette et assemblée des pairs de France, qui nous assisterent lors que nous fusmes dernierement en nostre dite cour tenir nostre dit parlement, il se laissa précéder par nostre tres cher et amé cousin le duc de Montpensier, ne sçachant ce que depuis il a entendu pour certain, qui est, que le duc de Guise est fait et créé premier pair que le duc de Montpensier, ainsi qu’il se trouve par les registres de nostre dite cour, ou leurs érections, créations et receptions sont enrégistrées. A cette cause, et que par telle précédence, s’il la souffroit et toleroit, il perd son rang et ancienneté, il nous a supplié et requis sur ce luy vouloir pourvoir sommairement, sans qu’il soit besoin en entrer en autre contestation, afin que de son temps il ne fasse telle playe au college des dits pairs, que de pervertir l’ordre qui d’ancienneté, y a esté institué et établi, lequel nous voulons estre entretenu, gardé et observé: par quoy nous avons déclaré et déclarons par ces présentes, de nostre certaine science, pleine puissance et authorité royale, que ce que nostre dit cousin le duc de Guise pair de France a fait, ainsi que dit est, par inadvertance à la dite assiette et assemblée des pairs, qui nous ont assisté dernierement que nous avons tenu le dit parlement, se laissant précéder par nostre dit cousin le duc de Monpensier, ne lui peut, ne doit aucunement préjudicier à son rang et ancienneté, par lesquels il doit estre premier que ledit duc de Montpensier, assis, inscrit, nommé et appelé, comme estant premierement créé, reçeu et institué pair de France, eu recours aux registres de nostre cour; vous mandant, commettant et enjoignant que selon et suivant nostre presente declaration, et en icelle gardant et observant, faite corriger et reformer le registre qui fut fait et tenu pour ce jour de la dite assiette et assemblée des pairs; où par inadvertance, ainsi que dit est, nostre dit cousin s’est laissé preceder: dont, en tant que besoin est, ou seroit, nous l’avons par ces presentes signées de nostre main, relevé et relevons, le faisant par vous mettre et inscrire au dit registre selon son rang, premier que nostre dit cousin le duc de Montpensier, qui est après lui créé, receu et institué.» (Lettres-patentes de Henri II, en 1571).
[333] Cette qualité de prince que je donne aux plus grandes maisons du royaume, ne peut point être contestée par les personnes qui connoissent notre ancien gouvernement. Qu’on ouvre Beaumanoir, chap. 34, on y trouvera ces mots: «en tous les liez la ou li rois n’est pas nommés, nous entendons de chauz qui tiennent en baronnie, car chacun des barons si est souverain en sa baronnie.» Ouvrez le chap. 48, vous y lirez ce passage: «Comment li hommes de porte pueent tenir franc fief; si est par espécial grace que il ont d’où roy ou d’où prinche qui tient en baronnie.»
Je nommerois volontiers ici toutes les maisons qui ont possédé de grands fiefs, ou des baronnies et des comtés avant le règne de S. Louis; mais il vaut mieux me taire. Quelles plaintes n’exciterois-je pas, si par malheur, je venois à oublier quelque famille; car, nous sommes bien plus jaloux de la grandeur de nos pères que de la nôtre? D’ailleurs, je ne suis point et ne veux point être généalogiste; il est trop difficile de ne se pas tromper en faisant ce métier; en croyant dire des vérités, je ne conterois peut-être que des chimères.
[334] Voyez la remarque 121, ch. 6 du livre 3.
[335] «Avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons par édict et arrest irrévocables, voulons et nous plait que doresnavant les princes de nostre sang, pairs de France, précéderont et tiendront rang selon leur degré de consanguinité, devant les autres princes et seigneurs pairs de France, de quelque qualité qu’ils puissent estre, tant es sacres et couronnement des rois, que es seances des cours de parlement et autres quelconques solemnitez, assemblées et cérémonies publiques, sans que cela leur puisse estre plus à l’advenir, estre mis en dispute ne controverse, sous couleur des titres et priorité d’érection de pairies des autres princes et seigneurs, ne autrement pour quelque cause et occasion que ce soit.» (Edit de décembre, de 1576).
En 1575, le duc de Montpensier présenta requête à Henri III, pour demander que son différend de préséance avec le duc de Guise fût jugé; l’affaire fut portée au parlement, qui en 1541, le 17 juin, avoit déjà donné un arrêt par lequel il est dit: «que le duc de Montpensier, prince du sang royal et pair de France, précédera au fait des rozes le duc de Nevers, comte d’Eu, encore que Nevers et Eu eussent été premierement érigés en pairies que Montpensier; et ce à cause de la qualité de prince du sang jointe à la qualité de pairs.» (Cérémonial Français, par MM. Godefroy, p. 332).
[336] Cet édit n’ayant point eu son effet, il seroit inutile d’en rapporter les articles. On le trouve dans tous les recueils d’ordonnances.
[337] «Le jeudi 7 de septembre (1581) jour des arrests en robes rouges, d’Arque premier mignon du roy vint en parlement, assisté des ducs de Guise, d’Aumale, Villequier et autres seigneurs, et fit publier les lettres d’érection du vicomte de Joyeuse en duché et pairie, et icelles enteriner avec la clause qu’il précéderoit tous autres pairs, soit princes yssus du sang royal ou de maisons souveraines, comme Savoye, Lorraine, Cleves et autres semblables.» (Mémoire de l’Étoile p. 129). La même année, Epernon fut érigé en duché pairie, en faveur de la maison de Nogaret, avec la clause de précéder tous les pairs, à l’exception des pairs qui seroient princes et du duc de Joyeuse.
[338] Voyez la remarque 121, chap. 6 du livre 3.
[339] Ce fut l’ordonnance d’avril 1561. Cette ordonnance, dictée par l’esprit de tolérance du chancelier de l’Hôpital, et contraire à tous les principes fanatiques du parlement, fut adressée aux gouverneurs des provinces pour la faire exécuter. Peu s’en fallut que le chancelier ne fût décrété d’ajournement personnel. Le parlement se contenta de défendre, par un arrêt, de publier cette ordonnance. Il établit dans ses remontrances qu’il est contre toutes les règles et tous les usages, d’adresser aux gouverneurs et non aux parlemens une ordonnance qui ne peut être regardée comme loi, qu’autant qu’elle est publiée et enregistrée dans les cours souveraines. Voyez l’histoire de Thou, l. 28.
[340] François I en donna l’exemple par son édit du 24 juillet 1527, que j’ai rapporté dans la remarque 288, chap. 3 du livre précédent, et ses successeurs le suivirent: de sorte qu’il s’établit une rivalité constante entre le conseil et le parlement. En laissant au parlement la liberté de faire des remontrances, la cour prétendit qu’il devoit enregistrer, dès que le roi auroit déclaré qu’il persévéroit dans ses volontés. «Souvenez-vous, dit Charles IX au parlement de Paris, que votre compagnie a été établie par les rois, pour rendre la justice aux particuliers, suivant les lois, les coutumes et les ordonnances du souverain; par conséquent, de me laisser à moi et à mon conseil le soin des affaires de l’état. Défaites-vous de l’ancienne erreur dans laquelle vous avez été élevés, de vous regarder comme les tuteurs des rois, les défenseurs du royaume et les gardiens de Paris. Si dans les ordonnances que je vous adresse, vous trouvez quelque chose de contraire à ce que vous pensez, je veux que selon la coutume vous me le fassiez au plutôt connoître par vos députés: mais je veux qu’aussitôt que je vous aurai déclaré ma dernière et absolue volonté, vous obéissiez sans retardement.»
Le parlement ne s’étant pas conformé à ces ordres, le roi rendit le 24 septembre 1563, un arrêt par lequel, sans avoir égard à l’arrêt du parlement de Paris, le cassoit et l’annulloit comme rendu par des juges incompétens, à qui il n’appartenoit pas de connoître des affaires publiques du royaume; lui ordonnoit de vérifier et publier son édit du mois d’août dernier, sans y ajouter aucune restriction, ni modification; enjoignoit à tous les présidens et conseillers de se trouver à l’assemblée, s’ils n’en étoient empêchés par maladie ou autre cause légitime, sous peine d’être interdit des fonctions de leurs charges; leur défendoit aussi d’avoir jamais la présomption d’examiner, de statuer, ou même de délibérer touchant les édits de sa majesté qui concerneroient l’état, sur-tout lorsqu’ils auroient déjà fait leurs remontrances, et que le roi auroit notifié ses volontés: voulant sa majesté que ses édits soient alors enrégistrés purement et simplement.
«Après que nos édits et ordonnances auront esté envoyées en nos cours de parlemens et autres souveraines pour y estre publiées, voulons y estre procédé, toutes affaires délaissées, sinon qu’ils avisassent nous faire quelques remontrances, auquel cas leur enjoignons de les faire incontinent, et après que sur icelles remontrances leur aurons fait connoître notre volonté, voulons et ordonnons estre passé outre à la publication sans aucune remise à autres secondes.» (Ordonn. de Moulins, en février 1566, art. 2).
Cet article ne fut pas observé; le parlement de Paris fit d’itératives remontrances, et ne publia l’ordonnance qu’en y mettant des modifications et des réserves; comme il paroît par la seconde déclaration sur l’ordonnance de Moulins, donnée à Paris le 11 décembre 1566, et dans laquelle le roi s’exprima ainsi: «néanmoins en publiant les dites ordonnances, le septième jour du dit mois de Juillet, nostre dite cour auroit excepté de la dite publication plusieurs articles, et sur autres reservé faire itératives remontrances, les choses demeurant en l’estat, dont seroit advenu que nos dites ordonnances ne sont aucunement publiées, gardées ni observées... Déclarons, voulons et nous plaît que les gens de nos parlemens puissent nous faire et réitérer telles remontrances qu’ils aviseront sur les édits, ordonnances et lettres-patentes qui leur seront adressées, mais après avoir esté publiées, seront gardées et observées sans y contrevenir, encore que la publication fust faite de nostre très-exprès mandement, ou que l’on eût retenu et réservé d’en faire de plus amples et itératives remontrances.»
Il semble qu’il seroit inutile de rapporter ici un plus grand nombre d’autorités pour faire connoître et constater quels étoient l’esprit et les prétentions du conseil et du parlement. J’en suis fâché pour la mémoire du chancelier de l’Hôpital, dont la vertu a honoré ces derniers siècles, et qui a été certainement le plus éclairé de nos magistrats. Trompé par ses bonnes intentions, et ne prévoyant pas où devoit aboutir l’autorité arbitraire qu’il vouloit remettre entre les mains du roi, il ne voyoit que le mal que faisoit le fanatisme du parlement, et il travailla constamment à renverser la digue que des circonstances et des hasards heureux, avoient élevée contre le torrent de la puissance arbitraire. Il me semble que ce combat de rivalité sur la forme de l’enregistrement, et la force et le crédit qu’il devoit avoir, n’auroit pas subsisté si long-temps sans les troubles, les désordres et les circonstances malheureuses qui forcèrent souvent les fils de Henri II à n’oser pas quelquefois se servir de toute leur autorité.
[341] Voyez les ordonnances de Néron. Il remarque que cette ordonnance donnée au mois de mai 1579, ne fut enregistrée au parlement que le 25 de janvier 1580, après plusieurs délibérations et plusieurs remontrances faites au roi. Quoique cette ordonnance soit datée de Paris, on l’appelle communément l’ordonnance de Blois, parce qu’elle fut rendue en conséquence des états qui avoient été assemblés en cette ville en 1576.
Cette conduite du parlement dut paroître extraordinaire à toutes les personnes qui avoient quelque idée de la dignité et des droits que doit avoir une nation. En parlant des difficultés que le parlement de Paris opposa à l’ordonnance de Moulins en 1566, Bugnyon avoit dit: «Ne sont les ordonnances faites en pleines assemblées des états de ce royaume, du conseil privé du roy, des députez de ses cours de parlement, telles que les presentes, sujettes à aucune publication ni vérification, des cours d’iceux parlemens de ce royaume, les autres au contraire se doivent publier principalement au parlement de Paris, auquel est demeuré le nom de cour des pairs, et semblablement d’authorité et puissance de les homologuer, ainsi qu’elle a fait de tout temps, et fait encore à présent, sinon que le roy veuille et commande d’authorité absolue, comme il fait ici, qu’il soit obéi en ses ordonnances.»
[342] «Sur les remontrances faites à la cour par le procureur-général, la chose mise en délibération, toutes les chambres assemblées, la dite cour n’ayant jamais eu d’autres intentions que de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine, et l’état et couronne de France, sous la protection d’un roi très-chrétien, catholique et français, a ordonné et ordonne qu’aujourd’huy après dîner, le président le Maistre, accompagné d’un bon nombre de conseillers, ira remontrer à Mgr. le duc de Mayenne, lieutenant-général de l’état et couronne de France, en la présence des princes et officiers qui sont à présent en cette ville, qu’on n’ait à faire aucun traité pour transférer la couronne entre les mains d’aucunes princesses, ou d’aucuns princes étrangers, qu’il est juste que les lois fondamentales de ce royaume soient observées, et les arrêts de la cour, touchant la déclaration d’un roy catholique et français, mis à exécution, et que pour cet effet, le même duc ait à se servir du pouvoir qui lui a été donné, pour empêcher que sous prétexte de religion, la couronne ne soit transférée à une puissance étrangère, contre les lois du royaume, et pourvoir par même moyen au commun repos du peuple, le plustot que faire se pourra, pour l’extrême nécessité où il se trouve réduit; et cependant la dite cour a déclaré et déclare tous les traités faits et à faire, pour l’établissement de quelque prince ou princesse que ce soit, s’ils sont étrangers, non valables et de nul effet, pour être au préjudice de la loi salique et des autres lois fondamentales de ce royaume.» Voyez cet arrêt dans Davila, liv. 13, et dans l’histoire de Thou, liv. 106.
J’avoue que dans cette affaire, je serois assez porté à croire avec Davila que le duc de Mayenne fut l’auteur de l’arrêt qu’on vient de lire. Je n’ai rapporté dans le corps de mon ouvrage que les principales raisons qui m’ont déterminé à prendre cet avis; car, j’aurais fatigué la plupart de mes lecteurs, en entrant dans un plus grand détail, mais une remarque me donne plus de liberté. Observez d’abord que cet arrêt donné pour conserver la loi salique ou l’ordre de succession établi en faveur de la maison de Hugues-Capet, ne nomme ni Henri IV, ni aucun prince de la branche de Bourbon. Il ne paroît fait que contre l’Espagne; il favorise le duc de Mayenne, parce qu’il est ordonné de n’élever sur le trône qu’un prince français; et que le duc étoit d’une maison qui, quoique étrangère, étoit naturalisée française. La prétention même qu’avoient les princes Lorrains de descendre de Charlemagne, en faisoit des vrais Français, et donnoit une espèce de droit à l’usurpation qu’ils méditoient.
Je remarque en second lieu que tout cet arrêt est dressé avec un art, une circonspection et des ménagemens qui décèlent bien mieux le génie du duc de Mayenne, qu’une compagnie qui fait ses efforts pour secouer ses préjugés, renoncer à son esprit de parti, et publier une doctrine qu’elle paroissoit avoir oubliée. Si l’arrêt dit qu’il est juste que les lois fondamentales du royaume soient observées, il fait entendre que ces lois se bornent à ne pas permettre qu’on donne la couronne à des étrangers; et tout de suite il ajoute que les arrêts de la cour touchant la déclaration d’un roi catholique et français, doivent être mis à exécution. Si le parlement avoit agi de son propre mouvement, et n’eût voulu faire connoître que son amour pour la justice et son attachement pour la famille régnante, n’est-il pas naturel qu’il se fût exprimé avec plus de zèle et de chaleur?
Ce fait n’est pas rapporté de la même manière par les écrivains contemporains. De Thou dit, liv. 106, que cet arrêt déplut extrêmement au duc de Mayenne, mais qu’il n’osa faire paroître son mécontentement. Pourquoi cette retenue? elle devoit déplaire aux Espagnols, et n’étoit pas propre à faire prendre au parlement une autre conduite. Si le duc de Mayenne étoit réellement offensé de l’arrêt du parlement, il falloit y remédier, et se plaindre de l’entreprise de la cour, qui osoit se mettre au-dessus des états: cacher son ressentiment n’étoit qu’une puérilité. Ce prince n’ignoroit pas en quels termes les derniers rois avoient ordonné aux magistrats du parlement de se borner à être les maîtres des rois.
L’Etoile dit dans ses mémoires que le duc de Mayenne fit une réponse courte au discours du président le Maistre, et en apparence pleine de mécontentement. Voilà qui est clair et conforme à l’opinion de Davila, mais il ajoute: «On le vit changer de couleur et laisser tomber son chapeau deux ou trois fois.» Voilà un trouble réel, et on n’entend plus rien à la narration de l’Etoile; peut-être ce trouble n’étoit-il que joué.
«Le dernier de juin, continue-t-il, la cour assemblée fut interrompue par Belin envoyé du duc de Mayenne, pour les prier de surseoir leurs délibérations d’un jour ou deux seulement. Sur quoi la cour députa le président le Maistre et les conseillers Vamours et Fleuri vers le duc de Mayenne, qui leur dit tout en colère; il faut changer d’amitié votre arrêt, comme je vous en prie bien fort, sinon j’y employerai les forces à mon grand regret: la cour m’a fait un affront, dont elle se fût bien passée. Le président répondit qu’il étoit prince trop sage et advisé pour en venir à la force et aux voyes de fait, et quand il le feroit, Dieu seroit toujours pour la justice laquelle ils avoient simplement suivie en leur arrêt sans avoir jamais pensé à l’offenser. Alors M. de Lyon dit qu’à la vérité la cour avoit fait au duc de Mayenne un vilain affront, et qu’elle ne l’avoit dû faire. La cour, repartit le président, n’est pas affronteuse, et ce qu’elle a fait, elle l’a fait justement, le respect qu’elle doit à M. le duc lui a bien fait prendre et endurer ce qu’il a voulu lui dire; mais elle ne vous doit pas de respect; ains au contraire vous à elle.»
Je demande à tout lecteur sensé si, par tout ce récit, on ne découvre pas dans les acteurs une certaine molesse de conduite, qui est une preuve de leur intelligence secrète. On voit que le duc de Mayenne ne fait que ce qu’il est obligé de faire pour ne pas rompre avec les Espagnols. S’il eût été réellement indigné contre le parlement, si le président le Maistre et le conseiller du Vair, qui conduisoient leur compagnie, n’eussent pas été en effet ses créatures, il auroit agi auprès de ces ligueurs entêtés dont parle l’Etoile, et s’en seroit servi pour les opposer à ses ennemis. Les mémoires du temps ne manqueroient pas de parler de ces intrigues. Le duc de Mayenne ne prend, au contraire, aucune mesure pour obliger le parlement à se rétracter, il ne songe pas même à profiter de l’orgueil des états pour réprimer l’audace du parlement.
«Le duc de Mayenne et le président le Maistre ayant eu un éclaircissement au sujet de l’arresté du dernier juin 1593, qui exclue les étrangers de la couronne; le duc dit que s’il avoit été averti, lui et les autres princes se seroient trouvés au parlement; à quoi le président répondit que la cour est la cour des pairs de France, et que quand ils y vouloient assister, ils étoient les bien reçeus; mais que de les en prier, elle n’avoit pas coutume de ce faire.» (Mémoires de Nevers, t. 2. p. 937.) Il seroit inutile de donner plus d’étendue à cette remarque.
CHAPITRE IV.
[343] «Il (Henry IV) s’achemina vers St.-Quentin..... où se trouvèrent aussi peu après la plus part des grands et plus qualifiés seigneurs de France, aucuns desquels, au lieu de bien servir le roy et de le consoler et soulager en ses ennuis et tribulations, essayerent de se prévaloir d’icelles pour s’en adventager à son dommage, lui faisant faire des ouvertures et propositions étranges, desquelles à force d’importunitez et de subtiles raisons recherchées dans la plus noire malice des autheurs de telles impertinences, ils rendirent monsieur de Montpensier le porteur, lequel étoit venu trouver le roy en sa chambre; ensuite de plusieurs protestations de son affection, lui dit: que plusieurs de ses meilleurs et qualifiez serviteurs, voyans les grandes forces ennemies qui lui tomboient à tous momens sur les bras, desquelles il ne pouvoit empescher les progrès à faute d’avoir toujours sur pied une grande armée bien payée et disciplinée, avoient selon leur advis excogité un moyen, par lequel il lui en seroit entretenu une grande et fort bien soudoyée qui ne se débanderoit jamais, étant toujours complette de ce qui lui seroit nécessaire, voire mesme de vivre et d’une bande d’artillerie de quinze ou vingt pièces de canon avec son attelage et des munitions pour tirer toujours deux ou trois mille coups, lesquels il pourroit mener par-tout où bon lui sembleroit. Sur quoy le roy voyant que monsieur de Montpensier avoit comme fait une pose à son propos, il lui repartit soudain: que son discours étoit beau et bon et de belle apparence, mais qu’il falloit que des cervelles bien timbrées et des personnes bien fondées, bien expérimentées et bien puissantes s’en meslassent pour en produire les effets; qu’il ne luy respondoit encore de rien qu’il n’eust recognu auparavant si les moyens en estoient aussi faciles et certains comme ses paroles belles et bien spécieuses, tant desiroit-il qu’il continuast et les lui fit entendre: à quoi M. de Montpensier en le suppliant de prendre de bonne part ce qu’il proposeroit, lui dit que ce n’estoit pas chose qui n’eust esté autrefois pratiquée et dont les rois ne se fussent bien prévalus, laquelle consistoit seulement à trouver bon que ceux qui avoient des gouvernemens par commission, les pussent posséder en propriété en les recognoissant de la couronne par un simple hommage lige, et d’autant qu’il se pourroit trouver quelques seigneurs bien qualifiés de grand mérite et longue expérience qui n’avoient point de gouvernemens, ils avoient advisé de séparer quelques contrées de ceux qui estoient les plus amples et de plus grande étendue, dont ils seroient pourveus avec le gré et commun consentement d’eux tous, lesquels après en general et un chacun en son particulier, s’obligeroient à luy fournir et soudoyer par avance telles troupes et autres équipages que besoin seroit, &c.» (Economies royales de Sully, ch. 60). Cette autorité sert merveilleusement à prouver ce que j’ai dit plus haut du danger où étoit le royaume d’être démembré, et du goût que les grands avoient conservé pour les fiefs.
[344] Voyez l’histoire de Thou.
[345] Voyez l’histoire de Thou, l. 117.
[346] «S’ils font un corps séparé (les pairs) ils ne peuvent en aucune manière précéder le corps du parlement qui est le premier de tous les corps de l’état, qui n’est jamais précédé de personne; qui est même supérieur aux états-généraux, lorsqu’ils sont assemblez, et qui ne peut jamais être séparé du roy par qui que ce soit, comme l’on voit aux processions générales, aux obseques des rois et à toutes les grandes cérémonies. C’est pourquoi le parlement ne fait point partie des états-généraux, et n’est d’aucun des trois corps qui les composent, parce qu’il est séparé de tout le reste des sujets du roy qui forment leurs corps d’eux-mêmes. Le parlement au contraire est immédiatement attaché à la royauté, sans laquelle il ne compose aucun corps ni communauté.» (Premier mémoire des présidens à mortier du parlement de Paris en 1664.)
[347] Voyez la remarque 305, ch. 3 du livre précédent.
[348] «Du 14 mai 1610 de relevée. Ce jour l’audience tenant de relevée, la cour se leva sur les quatre heures à cause du bruit survenu au barreau, de la blessure du roy; et néantmoins arrêta qu’elle ne se sépareroit point jusqu’à ce qu’elle fût informée de l’occasion de ce bruit. Et à cette fin ordonna que les gens du roy se transporteroient au Louvre, et pendant ce temps monsieur le premier président seroit averti de ladite résolution. Peu de temps après seroit arrivé ledit sieur premier président, lequel toutes les chambres par luy assemblées, auroit dit avoir rencontré en chemin, messire Christophe de Harlay, bailly du palais, son fils, ayant commandement de la reyne de parler à la cour. Lequel entré auroit dit avoir commandement de ladite dame reyne de dire à la cour, que sa majesté desiroit qu’elle fût assemblée et délibéré par elle ce qui étoit à faire sur ce misérable accident qui étoit survenu de la blessure du roy. A l’instant les gens du roy retournés du Louvre auroient dit par messire Louis Servin advocat du roy, assisté de messire Cardin le Bret son collegue, qu’ils apportoient à la cour une luctueuse et déplorable nouvelle que la nécessité de leurs charges les forçoit lui faire entendre, que Dieu avoit fait sa volonté du roy, et que la reyne désolée leur a commandé prier la cour de s’assembler pour aviser ce qui est nécessaire en ce misérable état. Et afin d’y mettre telle assurance qu’il se pourra, ont requis que ladite dame reyne soit déclarée régente, pour être par elle pourveu aux affaires du royaume. Eux retirez, la matiere mise en délibération: la cour a déclaré et déclare la reyne mere du roy régente en France, pour avoir l’administration des affaires du royaume pendant le bas âge du dit seigneur son fils avec toute puissance et autorité, &c.» (Registres du parlement). Cette pièce et les suivantes sont rapportées dans le traité de la majorité de nos rois, par du Puy, p. 460.
«Du samedi 15 de may 1610, le roi étant venu en son lit de justice en sa cour de parlement, se seroit assis en son trône.... Cela fait la reyne mere dudit seigneur roy se leva, et comme elle descendoit pour se retirer, et laisser deliberer ce qui étoit à faire, monsieur le premier président la supplia de se remettre en sa place, disant qu’il n’y avoit point de délibération à faire, et que la qualité de régente ayant été déclarée par l’arrêt du jour précédent, il ne restoit qu’à le publier, &c.» (Registre du parlement). C’est ainsi que le parlement s’empara du droit de nommer la régence, et établit même que pour un pareil acte, la présence du roi n’étoit pas nécessaire: cette manœuvre est conduite avec assez d’adresse.
«Sur ce monsieur le chancelier prononça l’arrêt qui sensuit: Le roi seant en son lit de justice par l’avis des princes de son sang, autres princes; prelats, ducs, pairs et officiers de la couronne, ouy et requerant son procureur général, a déclaré et déclare conformément à l’arrêt donné en sa cour de parlement le jour d’hier, la reyne sa mere régente en France, pour avoir soin de l’éducation et nourriture de sa personne et l’administration des affaires de son royaume, pendant son bas âge. Et sera le présent arrêt publié et enrégistré en tous les bailliages et seneschaussées et autres siéges royaux, du ressort de sa cour, et en toutes les autres cours de parlement de son royaume. Fait en parlement le 15 jour de may l’an 1610.»
Dans la relation de tous ces faits écrits par maître Jacques Gillot, conseiller en la grand-chambre: il est dit: M. le chancelier encore qu’il eût fait entendre à tous, que l’avis commun de tous étoit de dire, suivant l’arrêt donné en son parlement le jour d’hier, neantmoins ne la prononça pas; ce que luy ayant été remontré à part par M. le premier président, il lui répondit que c’étoit par oubliance; et qu’il seroit mis par écrit, et de fait on lui porta signer, où ces mots étoient, a déclaré et déclare conformément à l’arrêt donné en sa cour de parlement, du jour d’hier: ce qu’il fit, et l’arrêt a été imprimé et publié avec cette clause.
CHAPITRE V.
[349] «Entre les dits affaires auxquels il a fallu donner patience, l’un des principaux ont esté les plaintes que nous avons reçues de plusieurs de nos provinces et villes catholiques de ce que l’exercice de la religion catholique n’étoit pas universellement rétabli, comme il est porté par les édits cy-devant faits pour la pacification des troubles, à l’occasion de la religion; comme aussi les supplications et remontrances qui nous ont esté faites par nos sujets de la religion prétendue réformée, tant sur l’exécution de ce qui leur est accordé par lesdits édits, que sur ce qu’ils désiroient y estre ajouté pour l’exercice de leur dite religion, la liberté de leur conscience, et la sureté de leurs personnes et fortunes, présumant avoir juste sujet d’en avoir nouvelles et plus grandes appréhensions, à cause de ces derniers troubles et mouvemens, dont le principal prétexte et fondement a esté sur leur ruine.» (Préambule de l’édit de Nantes, avril 1598).
J’invite mes lecteurs à lire l’édit de Nantes, et à faire une attention particulière aux articles 3, 4, 7, 14, 20, 23, 25, 27, 34, sur lesquels je fais quelques remarques dans le corps de mon ouvrage.
Quelque envie que j’aie d’être court, je ne puis me dispenser de rapporter ici l’article 90. «Les acquisitions que ceux de la dite religion prétendue réformée et autres qui ont suivi leur parti, auront faites par autorité d’autre que des feus rois nos prédécesseurs, pour les immeubles appartenans à l’église, n’auront aucun lieu ni effet; ains ordonnons, voulons et nous plaît que lesdits ecclésiastiques rentrent incontinent et sans délai, et soient conservés en la possession et jouissance réelle et actuelle des dits biens ainsi alienez, sans être tenus de rendre le prix des dites ventes, et ce non obstant lesdits contrats de vendition, lesquels à cet effet nous avons cassé et revoqué comme nuls, sans toutefois que lesdits acheteurs puissent avoir recours contre les chefs, par l’autorité desquels lesdits biens auront été vendus; et néanmoins pour le remboursement des deniers par eux véritablement et sans fraude déboursés, seront expédiées nos lettres patentes de permission à ceux de la dite religion d’imposer et égaler sur eux les sommes à quoi se montèrent lesdites ventes, sans qu’iceux acquéreurs puissent prétendre aucune action pour leurs dommages et intérêts, à faute de jouissance; ains se contenteront du remboursement des deniers par eux fournis pour le prix des dites acquisitions précomptant sur icelui prix les fruits par eux perçus, en cas que la dite vente se trouvât faite à trop vil et injuste prix.»
Quels législateurs que les hommes qui ont fait l’édit de Nantes? Craignoient-ils que les esprits ne fussent pas assez divisés par les intérêts de la religion? Le dernier jour du même mois d’avril 1598, Henri IV donna une espèce de déclaration contenant 57 articles. «Outre et par dessus les articles contenus en notre édit fait et ordonné au présent mois sur le fait de la religion prétendue réformée, nous en avons encore accordé quelques particuliers, lesquels nous n’aurions point estimé nécessaire de comprendre au dit édit, et lesquels néanmoins voulons qu’ils soient observez, et ayent même effet que s’ils y étoient compris, et à celle fin qu’ils soient lus et enrégistrez es greffes de notre cour de parlement pour y avoir recours lorsqu’il en sera besoin, et le cas y écherra; à cette cause, &c.» Ce procédé n’est pas net. Une loi ne sauroit être trop méditée; toutes ces déclarations subséquentes qu’on donne pour l’affermir, ne sont bonnes qu’à l’affoiblir: on soupçonne le législateur de mauvaise foi, de précipitation et d’ignorance; et les esprits conçoivent des défiances ou des espérances dangereuses.
[350] Voyez dans le livre 5 le chapitre où j’ai fait voir par quelles causes l’Angleterre a vu s’élever un gouvernement libre sur les ruines de ses fiefs. J’ai eu soin d’observer que les assemblées de la nation ne jouissoient plus des droits qui leur sont propres, quand les guerres civiles furent allumées sous Charles I. A l’égard du corps germanique, tout le monde sait que les diètes et les tribunaux de l’empire ne jouissoient que d’une fausse liberté avant la guerre qui fut terminée par la paix de Westphalie. C’est cette paix qui a donné une forme constante au gouvernement.
CHAPITRE VI.
[351] «Sire, ceste assemblée des grands de vostre royaume n’a esté proposée en vostre cour, que sous le bon plaisir de vostre majesté, pour lui représenter au vrai par l’advis de ceux qui en doivent avoir plus de connoissance, les désordres qui s’augmentent et multiplient de jour en jour, estant du devoir des officiers de la cour en telles occasions vous faire toucher le mal, afin d’en attendre le remède par le moyen de vostre prudence es authorité royale: ce qui n’est, sire, ni sans exemple, ni sans raisons.
«Philippe-le-Bel qui premier rendit votre parlement sédentaire, et Louis Hutin qui l’establit dans Paris, lui laissèrent les fonctions et prérogatives qu’il avoit eues à la suite des rois leurs prédécesseurs. Et c’est pourquoi il ne se trouve aucune institution particulière de vostre parlement, ainsi que de vos autres cours souveraines qui ont esté depuis érigées, comme tenant vostre parlement la place du conseil des princes et barons qui de toute ancienneté estoient près la personne des rois, né avec l’estat: et pour marque de ce les princes et pairs de France y ont toujours eu séance et voix délibérative: et aussi depuis ce temps y ont esté vérifiées les lois, ordonnances et édits, création d’offices, traictez de paix et autres plus importantes affaires du royaume, dont lettres patentes luy sont envoyées pour en toute liberté les mettre en délibération, en examiner le mérite, y apporter modification raisonnable, voire mesme que ce qui est accordé par nos rois aux états-généraux, doit estre vérifié en vostre cour où est le lieu de vostre trône royal et le lict de vostre justice souveraine.
«On pourroit rapporter plusieurs exemples pour preuve que de tout temps vostre parlement s’est utilement entremis des affaires publiques, lesquelles ont par ce moyen réussi au bien du service des rois vos prédécesseurs, entre lesquels nous vous représentons comme du règne du roy Jean furent convoquez en vostre parlement les princes, prelats et nobles du royaume pour adviser aux affaires de l’estat; que depuis que l’advis du même parlement le roy Charles Vme, dit Le Sage, déclara la guerre au roy d’Angleterre, retira par ce moyen à la Guyenne et le Poictou: et que l’an mil quatre cent et treize vostre mesme parlement moyenna l’accord entre les dictes maisons d’Orléans et de Bourgogne......
«Toutefois et quantes que ce sont presentez affaires concernant l’intérest du royaume, soit pour entreprises de la cour de Rome, ou des princes étrangers, régences, gouvernemens pendant les minoritez des rois, conservation des droicts et fleurons de la couronne, et manutention des lois fondamentales de l’estat: les propositions et remontrances sont toujours parties de la mesme compagnie, et la pluspart des résolutions y ont esté prises, tesmoin le privé et solennel arrest pour la confirmation de la loi salique en la personne de Philippe de Valois, et celuy depuis donné pendant les troubles par les officiers de vostre parlement, bien qu’ils feussent réduits en captivité et apprehension continuelle de la mort ou de la prison, laquelle action fut dès lors louée grandement par le feu roy vostre père de très-heureuse mémoire, se pouvant dire avec vérité que cet arrest fortifié de la valeur de ce grand roy, a empesché que vostre couronne n’ait esté transférée en main étrangère....
«Vostre majesté mesme peut estre mémorative du grand et signalé service qui vous a esté rendu par vostre parlement lors du détestable parricide du feu roy Henri-le-grand vostre père, et comme par l’arrest, qui sera mémorable à jamais, il destournera prudemment les orages qui sembloient renverser vostre Estat, et comme depuis il a continué continuellement à la deffense de vostre souveraineté, contre ceux qui l’ont osé débattre et impugner, tant de vive voix, que par leurs escrits....
«Bref, vostre parlement se peut donner cette gloire véritable, que le corps ne s’est jamais séparé ny désuny du chef auquel il s’est toujours au plus mauvais temps et plus roide saison tellement joint, que l’on ne l’a point vu se départir de l’obéyssance des rois vos prédécesseurs.» (Remontrances du parlement, présentées au roy le 22 may 1615.) Cette pièce se trouve dans le mercure français pour l’année 1615. J’invite mes lecteurs à la lire: on verra avec quelle adresse on abuse des faits pour en changer l’esprit et la nature, et se former de nouveaux droits: on découvrira sans peine cet esprit permanent du parlement qui a travaillé sans relâche à étendre son autorité: on verra que voulant s’élever sur les ruines de la nation asservie, il aspire à être le maître et à se mêler de tout, mais avec la retenue d’une compagnie qui sent sa foiblesse, et qui ne peut plus représenter qu’une nation qui a oublié tous ses droits.
C’est dans cet esprit que le parlement ajoute: «Vostre parlement voyant les désordres en toutes les parties de vostre Estat, et que ceux qui en profitant à la ruyne de vostre peuple, pour s’exempter d’en estre recherchez, s’efforcent de donner à vostre majesté de sinistres impressions de ceste compagnie, lui faire perdre créance et l’esloigner de vostre affection, a de grandes raisons de désirer s’instruire avec les grands du royaume des causes de tous ces désordres, les rendre tesmoins de sa fidélité et dévotion à vostre service, et adviser avec eux des moyens convenables, non pour en ordonner et résoudre, mais pour les proposer à vostre majesté, avec plus de poids et authorité, après avoir esté concertez en une telle, et si célèbre compagnie, et par ce moyen les engager eux-mêmes en la réformation, et réduire les actions et intérests de tous à l’ordre qui seroit estably par vostre majesté.
Vostre parlement supplie très-humblement vostre majesté de considérer combien il est nécessaire d’entretenir les alliances anciennes et confédérations renouvellées par le feu roy de très-heureuse mémoire, avec les princes, potentats et républiques estrangères, d’autant que delà dépend la seureté de vostre estat et le repos de la chrétienté.»
Veut-on être persuadé que quelques seigneurs inquiets et mécontens gouvernoient l’ambition du parlement, et que cette compagnie commençoit à avoir l’esprit qu’elle fit éclater à la naissance de la guerre de la fronde; qu’on lise ce qui suit: «Et ne se pouvant espérer que l’ordre qui sera étably par vostre majesté puisse estre de longue durée, sans l’advis et conseil des personnes graves expérimentées et intéressées, vostre majesté est très-humblement suppliée retenir en vostre conseil les princes de vostre sang, les autres princes et officiers de la couronne, et les anciens conseillers d’estat qui ont passé par les grandes charges, ceux qui sont extraits de grandes maisons et familles anciennes, qui par affection naturelle et intérest particulier sont portez à la conservation de vostre estat, et en retrancher les personnes introduites depuis peu d’années, non pour leurs mérites et services rendus à vostre majesté, mais par la faveur de ceux qui y veulent avoir des créatures....
«Que les officiers de la couronne, gouverneurs des provinces et villes de vostre royaume, soient maintenus en leur authorité, et puissent exercer les charges dont il a plu au roy les honorer, sans qu’aucun se puisse entremettre de disposer et ordonner de ce qui dépend de leurs fonctions.» On verra dans ces remontrances que le parlement embrasse toutes les branches de l’administration.
[352] On se rappelle sans doute que dans l’affaire de Cinqmars, les conjurés avoient comploté d’assassiner le cardinal de Richelieu. Les mémoires du temps disent que Cinqmars vouloit avoir le consentement de Louis XIII.
[353] «Les frequentes rebellions et la facilité des soulèvemens et entreprises particulières d’autorité privée, prises et levement des armes soit pour pretexte publics, ou querelles et intérêts particuliers, honteuse à notre état et trop préjudiciable au repos de notre peuple, à notre autorité et à la justice, nous obligent d’y donner quelque ordre plus fort qu’il n’a été fait par cy-devant. Outre les peines portées par les ordonnances précédentes, nous défendons très expressement à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’avoir association, intelligence ou ligues avec aucuns princes ou potentats, républiques ou communautez, dedans ou dehors le royaume, sous quelque couleur ou occasion que ce soit: communiquer avec les ambassadeurs des princes étrangers, les voir, visiter ou recevoir, soit en leurs maisons ou maisons tierce ou neutre: recevoir aucunes lettres ni presens de leur part, ni leur en envoyer sans notre commandement ou permission, ou ayant charge et obligation de ce faire par leur charge ou emploi, à peine d’être convaincu de faction ou soulevement.» (Ordonn. de janvier 1629. Art. 170).
«Défendons pareillement à tous nos sujets de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’errer, arrêter ou assurer des soldats et gens de guerre à cheval ou à pied par eux ou par autres, sous quelque prétexte que ce puisse être: les lever et assembler sans avoir sur ce nos lettres de commission signées d’un de nos secretaires d’état, et expédiées sous notre grand sceau.» (Ibid. Art. 171).
«Faire avoir ou retenir aucun amas d’armes pour gens de pied ou de cheval, plus qu’il ne leur est nécessaire pour leurs maisons et sans notre permission en la forme susdite.» (Ibid. Art. 172).
«Faire sans notre permission par lettres patentes en commandement, achat de poudre, plomb, mêche, plus que pour la provision nécessaire et raisonnable de leur maison, et plus qu’il ne sera porté par lesdites permissions.» (Ibid. Art. 173).
«Faire fondre des canons ou autres pièces de quelque calibre que ce soit, en retirer ou en avoir en leurs maisons, soit de fonte de notre royaume ou étrangers, sans notre permission en la forme cy-dessus.» (Ibid. Art. 174).
«Faire aucune ligues ou associations, ou y entrer, soit entre nos sujets ou les étrangers, pour quelque cause que ce soit.» (Ibid. Art. 175).
«Faire fortifier les villes, places et chasteaux, soit ceux qui nous appartiennent, soit aux particuliers, hors les murailles, fossez et flancs des clotures pour ceux qui ont droit d’en avoir, de quelque fortification que ce soit, sans notre permission en la forme susdite.» (Ibid. Art. 176).
«Faire assemblées convoquées et assignées publiquement ou en secret sans notre permission, ou du gouverneur et notre lieutenant général en la province: même auxdits gouverneurs et lieutenans généraux sans notre permission sous lettres en la forme susdite, esquelles les causes desdites assemblées soient exprimées.» (Ibid. Art. 177).
Dans un pays où une pareille ordonnance est nécessaire, il est bien surprenant qu’on ose la donner. Si elle est inutile, pourquoi la donne-t-on?
«Faisons pareillement défenses à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, ayant quelque charge ou office, de sortir de notre royaume sans notre permission, et à tous autres non ayant charges, sans le déclarer au juge et principal magistrat des villes de leur domicile, ou en avoir acte par écrit et en bonne forme.» (Ibid. Art. 178).
«Défendons pareillement à tous nos sujets, sans aucun excepter, suivant le 77o. article des ordonnances de Moulins, d’écrire, imprimer, ou faire imprimer, exposer en vente, publier et distribuer aucuns livres, libelles ou écrits diffamatoires et convicieux, imprimez ou écrits à la main, contre l’honneur et renommée des personnes, même concernant notre personne, nos conseillers, magistrats et officiers, les affaires publiques et le gouvernement de notre état.» (Ibid. Art. 179).
«Et d’autant que le commencement des factions est en la désobéissance et au mépris des ordres et commandemens du souverain, en l’obéissance duquel consiste le repos et la tranquillité des états et la prospérité des sujets, pour aller au devant de toutes occasions, nous voulons et ordonnons, que tous ceux qui ayant reçu commandement de nous en choses qui regardent le gouvernement de notre état, ou autres qui leur seront enjoints par nous, et généralement tout ce qui pourra leur être commandé par nous ou nos successeurs rois, et de quelque qualité et condition qu’ils soient, qui n’y voudront obéir, et ne satisferont à nos commandemens, ou qui après les avoir reçus, ne nous feront entendre les raisons qu’ils auront de s’en excuser, et ce qu’ils estimeront être en cela de plus grand bien pour notre service, après que nous leur aurons réitéré les dits commandemens, si après ledit second commandement ils n’obéissent, et ne satisfont à ce qui leur sera par nous ordonné, nous les déclarons dès à présent privez de toutes les charges et offices qu’ils ont, auxquelles il sera par nous pourvu dez l’instant, sans préjudice des autres peines que ladite désobéissance pourra mériter, selon la qualité des faits.» (Ibid. Art. 180).
[354] En avril 1667, Louis XIV donna une ordonnance dont les articles 2 et 5 régloient que les cours qui se trouveroient dans le lieu du séjour du roi, seroient tenues de représenter ce qu’elles jugeroient à propos sur le contenu des ordonnances, édits, déclarations et lettres patentes, dans la huitaine après leur délibération, et les compagnies qui en seroient plus éloignées dans six semaines; après quel temps elles seroient tenues pour publiées et registrées.
Le 24 février 1673, le roi donna une déclaration interprétative des deux articles 2 et 5 qu’on vient de lire. «Incontinent, est-il dit, que nos procureurs-généraux auront reçu nos lettres, ils en informeront le premier président, ou celui qui présidera en son absence, et lui demanderont, si besoin est, l’assemblée des chambres semestres, laquelle le premier président convoquera dans trois jours, où nos procureurs-généraux présenteront les édits, ordonnances, déclarations et lettres patentes dont ils seront chargez, avec nos lettres de cachet, le premier président distribuera sur le champ nos lettres patentes, sur lesquelles le conseiller rapporteur mettra le soit montré, et les rendra à notre procureur-général avant la levée de la séance: nos procureurs-généraux les donneront dans vingt-quatre heures après au conseiller rapporteur; trois jours après le conseiller rapporteur en fera son rapport, et à cet effet celui qui présidera, assemblera les chambres en semestres à la maniere accoutumée, et sera déliberé sur icelles toutes affaires cessantes, même la visite et le jugement des procès criminels, ou les propres affaires des compagnies.
«Voulons que nos cours ayent à enrégistrer purement et simplement nos lettres patentes sans aucune modification, restriction ou autre clause qui en puissent surseoir et empêcher la pleine et entière exécution; et néanmoins où nos cours, en délibérant sur lesdites lettres, jugeroient nécessaire de nous faire leurs remontrances sur le contenu, le régistre en sera chargé, et l’arrêté rédigé, après toutesfois que l’arrêt de l’enrégistrement pur et simple aura été dressé et séparément rédigé; et en conséquence celui qui aura présidé pourvoira à ce que les remontrances soient dressées dans la huitaine, par les commissaires des compagnies qui seront par lui députés, pour être délivrées à notre procureur-général avec l’arrêt qui les aura ordonnées, dont il se chargera au greffe. Les remontrances nous seront faites ou présentées dans la huitaine par nos cours de notre bonne ville de Paris, ou autres qui se trouveront dans le lieu de notre séjour, et dans six semaines pour nos autres cours de province; en cas que sur le rapport qui nous sera fait des remontrances, nous les jugions mal fondees et n’y devoir avoir aucun égard, nous ferons sçavoir nos intentions à notre procureur-général pour en donner avis aux compagnies, et tenir la main à l’exécution de nos ordonnances, édits et déclarations qui auront donné lieu aux remontrances; et où elles nous sembleroient bien fondées et que nous trouverions à propos d’y déférer en tout ou en partie, nous envoyerons à cet effet nos déclarations aux compagnies dont nos procureurs-généraux se chargeront comme dessus, et provoqueront l’assemblée desdites chambres et semestres, les presenteront avec nos lettres de cachet au premier président en pleine seance, et en requerront l’enrégistrement pur et simple, ce que nos cours seront tenues de faire, sans qu’aucun des officiers puisse avoir aucun avis contraire, nos cours ordonner aucunes nouvelles remontrances sur nos premières et secondes lettres, à peine d’interdiction, laquelle ne pourra être levée sans nos lettres signées de notre exprès commandement par l’un de nos secretaires d’état, et scellées de notre grand sceau, nous réservant d’user de plus grande peine, s’il y échet, et sans que la presente clause puisse être comminatoire ni éludée pour quelque cause et sous quelque pretexte que ce puisse être. Les greffiers tiendront leurs feuilles des avis et de toutes les délibérations qui seront prises sur le sujet desdites lettres, lesquelles ils feront parapher avant la levée des seances par celui qui aura présidé, et remettront lesdites feuilles es mains de nos procureurs-généraux pour nous être envoyées; et à cet effet les greffiers assisteront à la presentation qui sera faite de nos dites lettres par nos procureurs-généraux et à toutes les délibérations qui seront prises sur icelles, nonobstant tous usages à ce contraires. N’entendons néanmoins comprendre aux dispositions ci-dessus nos lettres patentes expédiées sous le nom et au profit des particuliers, à l’égard desquelles les oppositions pourront être reçues, et nos cours ordonner qu’avant faire droit elles seront communiquées aux parties.»
Les cours souveraines rongèrent leur frein et se consolèrent en pensant que tout iroit si mal qu’on seroit enfin obligé de leur rendre la liberté de l’enregistrement. En effet, tout alla très mal: mais depuis que les anciennes formes de l’enregistrement ont été rétablies par la déclaration donnée à Vincennes le 15 septembre 1715, les choses ne sont-elles pas allées de mal en pis?
CHAPITRE VII.
[355] Je ne sais point qui avoit proposé à Mme de Pompadour et au duc de Choiseul, le projet d’établir des états dans toutes les provinces; mais je crois être sûr qu’ils avoient adopté cette idée. Des personnes qui gouvernent sans règle, malheureusement ne veulent rien avec force; ainsi les plats raisonnemens de Montmartel et les brusques saillies de son frère du Verney, suffirent pour qu’on ne songeât plus à troubler le despotisme de nos intendans.
[356] Ce que je dis dans le corps de mon ouvrage, que nous ne portons en nous-mêmes aucun principe de révolution, est une vérité dont on ne peut plus douter; depuis qu’on a vu avec quelle patience nous avons souffert les rapines de l’abbé Terray et les tyrannies du chancelier de Maupeou. Le ministère s’est conduit avec une effronterie, une précipitation et une dureté capables de nous rendre quelque courage, si nous en avions encore pu avoir. A quoi s’est réduit tout notre ressentiment? à regretter le duc de Choiseul, à le regarder comme un grand homme, et à espérer que la cabale qui l’a fait disgracier ne pourra pas se soutenir. Que nous importe la chute de ces hommes pervers? Nous sommes parvenus à ce point de misère et de délabrement qu’on peut tout oser avec nous, et que les hommes qui viendront en place nous feront toujours regretter leurs prédécesseurs. De jour en jour les abus du gouvernement doivent se multiplier, la voie du mal s’élargit; ainsi, quoique moins méchans peut-être que les ministres qui règnent aujourd’hui, leurs successeurs commettront de plus grandes méchancetés.
[357] Je ne puis m’empêcher de placer ici quelques réflexions que j’ai faites en lisant les protestations des princes du sang, contre la ruine de l’ancien parlement, et l’établissement du nouveau. Le public a fort approuvé cette démarche, qu’il a regardée comme un acte héroïque; mais le public n’a-t-il pas tort, si cette protestation n’est qu’une mutinerie d’où il ne peut résulter aucun bien, et dont nos princes finiront par se repentir?
Que désirent, que veulent les princes du sang? que l’ancien parlement soit rétabli; mais je prends la liberté de leur représenter que ce n’est pas la peine de demander une pareille faveur; puisqu’en l’obtenant, ils se retrouveroient dans la même situation où ils étoient il y a quatre mois; et que par conséquent ils seroient encore exposés aux mêmes entreprises, aux mêmes violences, aux mêmes injustices de la part d’un second Maupeou. Au lieu de demander une paix véritable et solide, les princes du sang se contentent donc d’une trève passagère. Je ne crois pas que ce soit là une conduite sage; et le public qui la loue avec admiration, prouve qu’il incline à la timidité, et qu’il n’est pas plus habile politique que les princes.
Le nouveau parlement qu’on vient de former, doit effrayer tous les ordres de l’état. Fripons, fanatiques ou stupides; c’est un amas d’hommes déshonorés qui se prêteront effrontément à toutes les injustices du ministère. Leurs mœurs vont former notre nouvelle jurisprudence; et leurs successeurs placés par les intrigues des valets, des commis et des femmes galantes de Versailles, seront prodigues de notre bien, et tiendront une épée suspendue sur les têtes qu’on voudra abattre. Sans doute, il faut être indigné contre cet instrument du despotisme, mais il faut l’être encore plus contre le despotisme même: détruire l’un sans attaquer l’autre, c’est ne rien faire; et le despotisme se reproduira sans cesse par de nouvelles injustices et de nouvelles violences, tant qu’on ne le réprimera pas lui-même. Je crains de n’avoir que trop raison, quand j’ai dit que tout nous annonçoit un avenir malheureux, et que nous sommes incapables de nous défendre contre le torrent qui nous entraîne.
Quand le despotisme se forme et travaille à s’établir, il agit d’abord avec beaucoup de circonspection; il emploie la ruse au lieu de la force; il se déguise quelquefois sous le masque du bien public; quelquefois il corrige des abus; il sème la corruption, la jalousie et la division entre les différens ordres de citoyens; après les avoir tous affoiblis, il les perd enfin tous les uns par les autres. La première victime immolée, c’est le peuple ou la multitude; de là, on passe à la bourgeoisie honorable; on en vient ensuite à la petite noblesse. Après ces triomphes aisés, le gouvernement, fier de ses succès, se lasse enfin de partager les profits du despotisme avec les grands qui le flattent et qui l’ont aidé et soutenu dans ses entreprises. Si les princes avoient fait attention que nous sommes parvenus à cette dernière époque, je suis persuadé que leur protestation auroit été fort différente de ce qu’elle est. Ils auroient remarqué que plus ils sont élevés, plus ils devoient être suspects et odieux au despotisme, qui se lasse enfin d’avoir des égards pour les autres, et ne s’occupe que de soi. Plus ils ont raison de craindre, plus ils doivent prendre de mesures pour leur sûreté et leur salut.
Si les princes du sang ne sentent pas que le ministère les néglige, s’ils ne voient pas au milieu des injures et des tracasseries qu’on leur fait, que c’est le tour des grands d’être accablés, il ne nous reste aucune ressource; si les réflexions que je viens de faire sont vraies; que les princes me permettent de leur demander, s’ils croient leur fortune à l’abri de tout revers, quand ils auront culbuté le chancelier et obtenu le rétablissement de l’ancien parlement. Notre gouvernement, on ne peut trop le répéter, n’est propre qu’à produire des Maupeou; il est si commode d’être despote, que quand un heureux hasard élèveroit un honnête homme au ministère, il aimeroit mieux obéir mollement à ses passions que de se donner la peine de conformer sa conduite aux lois: il renaîtra sans cesse des Terray, des Maupeou, des d’Aiguillon; et quelle plus foible barrière peut-on avoir contre de tels ministres que des magistrats qui, n’étant rien dans leur origine, ne se sont rendus considérables qu’en se regardant comme les simples instrumens de l’autorité royale? Ils ont fait constamment tous leurs efforts pour écraser tout ce qui étoit grand; et ils s’en vantent encore tous les jours dans leurs remontrances. Après avoir abusé de la protection du roi et de leur crédit, ils en sont venus au point de se croire supérieurs à la nation qu’ils avoient accablée; et de penser qu’en vertu de leur enregistrement, ils devoient partager la puissance législative avec le roi. Par une suite de cette vanité ridicule, le parlement a déplu au ministère, sans mériter l’estime de la nation; tout prouve qu’il aime le despotisme, pourvu qu’il le partage; en un mot, notre situation actuelle fait voir évidemment que ces magistrats n’ont produit aucun bien et n’ont prévenu aucun mal.
Je suppose que la protestation des princes du sang soit propre à faire rétablir l’ancien parlement, et je demande si cette compagnie sera plus capable qu’autrefois de protéger à l’avenir la liberté de la nation? En la rappelant à ses fonctions, lui rendroit-on son autorité et ses prérogatives? Si elle se persuade qu’elle ne doit son rétablissement qu’à elle-même, elle sera plus fière que jamais, et s’attachera plus étroitement aux principes funestes que je lui reproche; elle croira qu’elle ne peut être détruite, et ne sentant pas le besoin de ménager la nation, elle fera sa cour à nos dépens. Si le parlement rétabli sent l’impression de sa disgrace, et ne peut douter de sa foiblesse, ne tâchera-t-il pas de ne point éprouver une seconde tempête? En faisant sonner très-haut sa qualité de cour unique et essentielle des pairs, cette cour sera-t-elle en état de défendre efficacement un prince ou un pair que le ministre voudra faire périr ou tenir dans une prison? Nous reverrons encore ce caractère mêlé d’orgueil, de vanité, d’ignorance et de foiblesse qui a fait le malheur de la nation. En un mot, l’ancien parlement rétabli n’auroit-il pas tous les vices que nous craignons dans le nouveau, que nous importe que celui-ci enregistre après de simples remontrances, tout ce qu’on lui envoie, ou que l’autre les réitère, attende des lettres de jussion, et oblige quelquefois le roi à tenir un lit de justice qui termine tout?
Mais quand on auroit lieu de présumer que les magistrats de l’ancien parlement seroient désormais des héros, je dirois encore que la protestation des princes du sang ne suffira point pour les faire rétablir, et qu’ainsi cette démarche est fausse et inutile. Les princes réclament le rétablissement de l’ordre ancien; mais quelles mesures ont-ils prises pour donner de la force à leur protestation? Peuvent-ils se passer des grâces de la cour? Non. Leurs finances sont-elles en bon état? Non. Ont-ils cherché à se faire appuyer des gens de qualité et de la noblesse? Non. Aussi, n’ont-ils vu qu’une douzaine de pairs qui se soient unis à eux; et malgré les intrigues qu’on a faites pour porter la noblesse à quelque action d’éclat, le duc d’Orléans n’a vu que seize personnes, jeunes gens pour la plupart, qui lui aient écrit pour faire cause commune avec les princes.
Tandis qu’on néglige les princes et les pairs protestans, parce qu’on ne les craint pas; tandis qu’on ne daigne pas nouer une négociation avec eux, le chancelier fait tous les jours un pas en avant. Je crains qu’il ne réussisse, parce qu’il est audacieux; je crains qu’il ne consomme son ouvrage, parce qu’il achète les coquins et intimide les honnêtes gens. Si tout ne ploye pas sous sa main, on ne le devra ni à la protestation des princes et de quelques pairs, ni aux libelles des jansénistes, ni aux plaintes de la nation; mais aux intrigues de quelques ministres jaloux du crédit du chancelier, et qui veulent augmenter leur autorité. De quel secours nous seroit un parlement rendu par de telles voies? Il ramperoit; et pourvu qu’on lui permît de se venger de quelques-uns de ses ennemis, il nous donneroit l’exemple de la servitude.
Une protestation qui n’a valu aux princes du sang qu’une sorte d’exil et de disgrace, n’est pas un acte bien propre à suspendre les progrès du chancelier. On approuve cette protestation, mais cette approbation n’est aux yeux des gens éclairés, qu’une preuve de l’ignorance du public. On a espéré que la démarche des princes produira quelque bien; mais depuis qu’on voit qu’elle n’est bonne qu’à les éloigner de la cour, on songe moins à les louer, on s’éloigne d’eux, et ils commencent à perdre une partie de leur considération, parce qu’ils ont perdu leur crédit. Après avoir fait une protestation inutile, les princes ont fait une seconde faute et plus considérable que la première, en n’osant pas l’avouer, quand les parlemens de province leur ont demandé ce qu’ils devoient croire de l’écrit répandu dans le public sous le titre de protestation des princes. De là est né un découragement général dans le royaume; de là la crainte pusillanime qui a consterné et engourdi tous les magistrats de la province. On a cru que tout fléchissoit sous la main du chancelier, et les parlemens ont souffert leur ruine avec la plus honteuse résignation.
Au lieu de prendre un poste avantageux dans cette affaire, on peut dire que les princes, faute de lumières et de courage, se trouvent dans le défilé le plus dangereux. Ils ne veulent pas reconnoître le nouveau parlement, mais on leur suscitera des procès devant ce nouveau parlement, et ils seront forcés de se voir condamner par défaut ou de renoncer à leur protestation. Ils se brouillent avec le gouvernement, et le laissent en état d’expolier leurs domaines et de menacer leur fortune. Tandis qu’on peut faire aux grands une guerre offensive avec beaucoup de chaleur et de vivacité, il me semble que se réduire à une pure défensive, c’est vouloir être vaincu. Espérer qu’on sera grand dans une nation esclave, me paroît la plus grande des folies. Pour conserver leur grandeur, les princes et les pairs devoient recourir à un autre moyen que celui qu’ils ont employé. Au lieu de demander le rétablissement de l’ancien parlement, il falloit demander la convocation des états-généraux.
Par cette demande, on auroit fait une diversion funeste aux entreprises du chancelier; et la cour, qui agit avec un despotisme intolérable, se seroit trouvée à son tour sur la défensive. Il falloit dans une requête raisonnée prouver la nécessité de convoquer les états-généraux, et compter les avantages qu’on s’en devoit promettre. Si les princes avoient pris ce parti, il est certain qu’ils auroient été secondés par le vœu et le cri de la nation. Le nombre de leurs adhérens se seroit considérablement multiplié. Les parlemens des provinces, qui n’ont osé prononcer qu’en tremblant le mot d’états-généraux, auroient montré du courage. Si leges non valerent, judicia non essent, si respublica vi consensuque audacium, oppressa teneretur, præsidio et copiis defendi vitam et libertatem necesse esset: hoc sentire prudentiæ est; facere, fortitudinis, sentire et facere, perfectæ cumulatæque virtutis. (Ciceronis Or. pro P. Sextio. §. 86.) Mais en demandant l’assemblée de la nation, il auroit fallu prendre des mesures pour empêcher qu’elle n’eût présenté qu’un spectacle inutile et ridicule. Il auroit fallu répandre dans le public des écrits propres à l’éclairer; il auroit fallu échauffer les esprits pour nous retirer de notre engourdissement, et nous donner du courage. Les princes pouvoient guérir la nation, mais toute leur conduite a fait voir qu’ils sont pour le moins aussi malades que nous.
[358] Quelle remarque ne pourrois-je pas faire ici sur la dernière catastrophe du parlement? Mais je suis las de m’occuper d’une nation qui est perdue sans ressource, et qui, par son inconsidération et sa légéreté, mérite que nos ministres soient détestables.
Je dirai seulement que les parlemens n’ont eu pour partisans que les Jansénistes et les amis nombreux du duc de Choiseul, qui vouloient se venger en suscitant des difficultés au chancelier. On a dit à MM. du parlement de Paris qu’ils étoient perdus, s’ils ne demandoient pas les états-généraux; les uns ont répondu que cette démarche étoit trop dangereuse; les autres ont dit: que serions-nous, s’il y avoit des états-généraux? Depuis le ministère de Laverdy, la corruption du parlement étoit publique. Pour les parlemens de province, la plupart s’étoient rendus odieux par leurs injustices et leur vanité. On a détruit les parlemens, non pas parce qu’ils gênoient le pouvoir arbitraire, mais parce qu’ils avoient offensé le duc d’Aiguillon et le chancelier. C’est la vengeance de ces deux hommes qui a fait la révolution.
Il est temps de finir ces humiliantes réflexions. Je proteste, en terminant cet ouvrage, que je n’ai voulu nuire à personne, ni à aucun ordre de l’état. J’ai été obligé de dire des choses dures; mais la vérité me les a arrachées. Je suis historien, je suis Français; et quelle n’auroit pas été ma satisfaction, si au lieu d’un Philippe-le-Bel, d’un Charles V, d’un Louis XI, j’avois pu peindre des Charlemagne? Le bonheur de mes compatriotes est l’objet que je me suis proposé; mais ce bonheur n’existera jamais, si nous ne nous corrigeons pas de nos erreurs et de nos vices.
FIN DU TOME TROISIÈME.