Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, tome premier: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
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Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, tome premier
Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac
Release date: February 15, 2011 [eBook #35262]
Language: French
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CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE
DE
BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.
TOME PREMIER
ANNÉES 1568 ET 1569.
PARIS ET LONDRES.
1838.
RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE
Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.
PARIS ET LONDRES.
1838.
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.
LA MOTHE FÉNÉLON.
Paris.—Imprimerie PANCKOUCKE, rue des Poitevins, 14.
AU TRÈS-NOBLE
HENRI RICHARD FOX-VASSAL
LORD HOLLAND
CHANCELIER DE SA MAJESTÉ BRITANNIQUE
POUR LE DUCHÉ DE LANCASTRE.CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ
PAR
SON TRÈS-DÉVOUÉ ET TRÈS-RECONNAISSANT
SERVITEURCHARLES PURTON COOPER.
BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
Chevalier des deux Ordres du Roi, Conseiller d'État de Sa Majesté, Vicomte de Saint Julien de Lanpont et Baron de Lobert, Gentilhomme ordinaire de la Chambre, et Capitaine de cinquante hommes d'armes des Ordonnances, né en 1523, fut le septième des enfants de Hélie de Salignac, et de Catherine de Ségur Théobon. Il était «de ceux de Salignac en Périgort, qui est une grande famille bien ancienne et bien noble de Barons, au pays de Guyenne, lesquels ont toujours porté d'or à trois bandes de sinople pour escusson de leurs armes[1].» Cette illustre famille, qui a donné à la France dans le siècle suivant l'Archevêque de Cambrai, reconnaissait pour chef Athon de Salignac (Salagnac ou Salaignac) qui vivait vers la fin du Xe siècle; son origine se perd dans la nuit des temps, mais depuis cette époque on en suit assez facilement la filiation; Bertrand de Salignac et ses frères étaient les descendants directs au quatorzième degré d'Athon de Salignac. Les surnoms de La Mothe (ou La Motte) et de Fénélon (Félénon, Fénellon ou Fénelon) furent pris par l'une des branches de la famille dans le cours du xve siècle[2].
«Nourry[3] à la vertu prez feu, de louable mémoire, Monsieur de Biron[4], de qui il était prochain parant, Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon a cheminé jeune par luy à servir le Roy Henry second ez légations de Flandres et de Portugal; et depuis employé souvent ez guerres qui furent entreprinses pour recouvrer Boulogne et saulver l'Escosse, et remettre l'Allemaigne et les princes de l'Empire en liberté, et au siège de Metz, et à la bataille de Ranty, et aux armées de Champagne et Picardie; et dépêché, après la mort du Roy Henry, pour la confirmation des traittez en Angleterre, et après depputé par la Noblesse de son pays de Périgord aux États Généraux d'Orléans, du règne du Roy François second; et encore depuis, député par toute la Noblesse de Guyenne aux États qui furent réunis à Saint Germain en l'an iȷe du règne du Roy Charles, et par la Reine sa mère pour grandes affaires en Guyenne; et plusieurs fois dépêché avec beaucoup de danger, après les batailles et combats advenus ez troubles de la religion, devers le Roy Catholique et devers la princesse de Parme et le duc d'Albe en Flandre; fait Gentilhomme de la Chambre du Roy, avec charge de recevoir les ambassadeurs et les grands personnages étrangers qui venoient devers Sa Majesté, et depuis Chevalier de son Ordre après la bataille de Saint Denis, et envoyé arbitre pour le Roy pour composer la guerre que les seigneurs et gentilshommes catholiques de la Basse Navarre[5] avoient émue pour la deffense de leur religion; et après, ambassadeur résidant l'espace de sept ans près la Royne d'Angleterre, avec charge, entre les choses de la paix et de l'entrecours des deux royaumes, de tretter le mariage d'elle avec les deux frères du Roy l'un après l'aultre, de soutenir la cause de la Royne d'Escosse et de signer, durant sa légation, Conseiller du Conseil Privé du Roy; et, icelle dignement achevée, après le trépas du dict Roy Charles, rappellé près du Roy, à présent régnant, n'estant encores les guerres de la religion assouppies, ès quelles il a été employé plusieurs fois, et plusieurs fois a été député avec la Royne, mère du Roy, et avec monsieur le duc de Montpensier et autres princes, et principaux seigneurs du royaume, pour tretter la pacification; élu par le Roy un des quinze Gentilshommes de robe courte en la réduction de son Conseil d'État et un de ses Chevalliers en l'institution de son présent Ordre du Benoist Saint Esprit, toujours très constant et loyal gentilhomme à mettre sa personne, sa vie et ses biens pour le service du Roy et pour la religion catholique, de laquelle il est, et de n'admettre aucun autre party; parvenu au cinquante septième an de son âge et au trente troisième de son loyal service vers Sa Majesté et sa Couronne, sans aucun reproche.»
Bertrand de Salignac, «officier distingué dans la paix et dans la guerre[6]», se fit principalement remarquer en 1552 au siège de Metz, dont il a laissé une relation[7] qui est citée partout avec le plus grand éloge. En 1554 il accompagnait le Roi Henri dans la guerre des Pays-Bas, et déjà il avait mérité la haute protection de Catherine de Médicis, dont il fut toute sa vie l'un des serviteurs les plus dévoués. Le cardinal de Ferrare avait exigé que Salignac lui rendît compte des opérations de la campagne. Quatre lettres[8] qui furent publiées cette année même, avec une dédicace à la Reine, contiennent l'histoire de cette guerre. Bertrand de Salignac donna de nouvelles preuves de courage à la bataille de Saint Quentin en 1557, à celle de Dreux en 1562, et, en 1567, à celle de Saint-Denis, après laquelle, comme on vient de le voir, il fut nommé Chevalier de l'Ordre de Saint Michel. Catherine de Médicis, qui avait reconnu en lui toutes les qualités de l'homme d'état, le désigna au Roi, l'année suivante, pour être son ambassadeur en Angleterre[9], emploi qu'il a conservé jusqu'en 1575, c'est à dire au milieu des événements si graves qui ont signalé la fin du règne de Charles IX et le commencement de celui de Henri III. Il s'acquitta de cette charge importante avec un talent et une habileté dont le témoignage se trouve écrit dans chacune des Dépêches que nous publions aujourd'hui. Le compte que l'ambassadeur a rendu lui-même du résultat de ses Négociations et des motifs particuliers qui dûrent l'engager à demander son rappel, nous dispense d'entrer ici dans de plus grands détails. Nous ne pouvions mieux faire pour compléter cette Notice, que de publier le résumé préparé par l'ambassadeur lui-même pour être remis au Roi à son retour d'Angleterre[10].
Non moins dévoué aux intérêts du Roi et de la Reine Mère qu'à la religion catholique, Bertrand de Salignac, dans les circonstances difficiles où il s'est trouvé, ne pouvait démentir le caractère de toute sa vie; mais il ne devait pas non plus méconnaître les devoirs de sa charge. La relation connue jusqu'à présent par la correspondance de Walshingham[11], de l'audience qui a suivi les massacres de la Saint-Barthélemy, avait besoin des rectifications qui se trouvent dans les Dépêches que nous mettons au jour. Après une exécution aussi terrible, l'ambassadeur de France ne pouvait pas se présenter en suppliant devant la Reine d'Angleterre; il ne pouvait pas lui demander grâce pour le Roi son Maître, il a su tenir une conduite plus digne. La cclxxive Dépêche, en date du 14 septembre 1572, dans laquelle il est rendu compte de cette audience, prouve que Bertrand de Salignac, ambassadeur de France, ne s'est jamais oublié jusqu'à dire: Je rougis d'être Français! Il n'a pas non plus adressé à Charles IX la vertueuse réponse que lui prêtent tous les biographes. Mais nous croyons que sa gloire ne perdra rien à la manifestation de la vérité; car il y avait plus de vrai courage dans l'attitude qu'il sut prendre vis-à-vis du Roi de France et de la Reine d'Angleterre, que dans les paroles au moins indiscrètes qui lui sont attribuées. A Charles IX il ne déguisa rien de l'horreur qu'avait dû inspirer en Angleterre une telle exécution, et il sut forcer Élisabeth à convenir qu'elle avait pu être nécessaire.
Les plaintes de Bertrand de Salignac, qui restait entièrement oublié de la Cour malgré ses services, furent enfin entendues: il fit partie, en 1578, de la première promotion des Chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit. Depuis lors on le retrouve à toutes les époques, soit dans les négociations, soit dans les armées, faisant toujours preuve de courage et de fidélité. Déjà en 1580, au milieu des troubles civils, il avait préservé la ville de Sarlat, dans laquelle il devait acquérir huit ans plus tard une gloire nouvelle[12]. En 1581, il accompagnait en Angleterre les trois Princes du sang qui se rendirent auprès d'Élisabeth pour conclure son mariage avec le duc d'Anjou, et il apposait sa signature au contrat arrêté le 11 juin[13]. En 1582 il fut choisi avec Menneville pour se rendre en Écosse afin d'obtenir la délivrance du Roi Jacques, alors détenu par les conjurés de Ruthven. Il devait s'efforcer surtout de ménager un traité entre ce Prince et Marie Stuart, qui consentait à associer son fils à la couronne[14]; mais les prédications violentes des ministres écossais et l'influence toute-puissante d'Élisabeth lui apprirent bientôt que toute négociation était inutile, et il ne tarda pas à rentrer en France.
Après un laps de quelques années, lorsque les guerres civiles, à la fin de 1587, se renouvelèrent avec une fureur toujours plus violente, Bertrand de Salignac se jeta dans la ville de Sarlat, devant laquelle le vicomte de Turenne vint mettre le siége. Il soutint bravement l'assaut et conserva la ville sous l'obéissance du Roi. Catherine de Médicis et Henri III témoignèrent, dans plusieurs lettres que nous joignons à cette Notice, toute leur gratitude pour un service aussi important, qui fut consacré à Sarlat par des cérémonies publiques dont la tradition s'est conservée jusqu'à nos jours[15]. L'année suivante, lorsque la ville de Domme fut surprise, Bertrand de Salignac se renferma dans le château qu'il espérait conserver; mais, après une attaque de vive force dans laquelle périt un de ses neveux[16], il dut abandonner la place aux assiégeants[17].
Peut-être a-t-il passé ensuite quelques années dans le repos. Catherine de Médicis, sa protectrice, était morte le 5 janvier 1589; Henri III périssait lui-même le 2 mai, quatre mois après. Les guerres de la ligue commençaient et portaient le champ de bataille loin du Périgord. Il est à présumer que Bertrand de Salignac, déjà avancé en âge, ne prit pas une part bien active à ces nouveaux événements. Il est toutefois certain qu'il fut du nombre des catholiques qui se rallièrent aussitôt à Henri IV, mais on peut douter qu'il se soit mis en campagne. Nous n'avons pu recueillir aucun document bien précis sur cette époque de sa vie. Nous voyons seulement par les papiers de la famille, que, le 29 septembre 1594, il faisait son testament au château de Fénélon en Périgord[18]. N'ayant pas d'enfant, car il ne s'est pas marié, il institua pour héritier universel son petit-neveu François de Salignac, qui fut le trisaïeul de l'archevêque de Cambrai.
Cependant, et malgré son grand âge, il devait encore être appelé à prendre part aux affaires publiques. Henri IV, digne appréciateur de son mérite, le choisit en 1598 pour lui confier la plus importante de toutes les ambassades. Le traité de paix avec Philippe II avait été signé à Vervins, le 2 mai 1598; Bertrand de Salignac, nommé ambassadeur de France en Espagne, ne put refuser ce dernier honneur; il dut céder à l'invitation toute bienveillante du Roi[19];
il se rendait à Madrid l'année suivante, auprès de Philippe III, lorsqu'il tomba malade pendant le voyage. Forcé de s'arrêter à Bordeaux, il mourut dans cette ville le 13 août 1599, étant âgé de soixante-seize ans.
Henri IV prit soin lui-même de faire l'éloge funèbre de Bertrand de Salignac, dans les instructions remises au comte de La Rochepot, qui lui fut donné pour successeur.
Il le chargea de dire au Roi d'Espagne[20] «que si la mort n'eust prévenu et surpris le feu sieur de La Mothe Fénélon, que Sa Majesté avoit désigné et dépesché pour l'aller trouver, et la servir auprès de lui en cette charge, lequel trespassa par les chemins, Sa dicte Majesté luy eust témoigné il y a longtemps combien elle desire luy correspondre en toutes sortes de devoirs et offices de bon frère et amy, de quoy ce gentilhomme, qui estoit des plus sages et expérimentez du royaume, se fust si bien acquitté que Sa dicte Majesté s'asseure qu'il en fust demeuré content, mais Dieu n'avoit voulu permettre que le dict sieur de La Mothe Fénélon ait fait ces services à Leurs Majestez.»
DISCOURS
DRESSÉ EN JUILLET 1575
POUR LE DIRE AU ROI, RETOURNANT D'ESTRE SON AMBASSADEUR EN ANGLETERRE[21].
Sire,
Je loue Dieu de la grâce qu'il me faict aujourd'huy que je puis baiser très humblement les mains et voir la face de Vostre Majesté, chose que j'ay infiniment desirée; et parce qu'en quelle sorte qu'il advienne à un gentilhomme de recevoir bienfaict de son Roy et de son Maistre, il l'en doit remercier, je veus rendre très humbles grâces à Vostre Majesté pour le bien qu'elle m'a faict maintenant de me retirer de cette tant longue et ennuyeuse absence de six ans et deux mois que j'ay esté continuèlement en Angleterre; là où je vous promets bien, Sire, que pour mon particulier je n'y ay faict autre acquest que d'y estre devenu vieus, maladif et pauvre, et n'y ai rencontré que perte et dommage. Mais, si pour le bien de voz affaires, il est advenu que Dieu m'ayt faict la grâce d'y avoir ainsi conduict ma Négociation, que Vostre Majesté la deigne maintenant approuver et l'avoir agréable, et qu'il vous reste quelque contantement du service que je vous y ay faict, je réputerai toutes mes pertes et mes maus et moy mesme très heureus.
Et vous supplie très humblement, Sire, de considérer que dès l'heure que j'arrivai par delà jusques à ce que j'en suis parti, j'ay tousjours rencontré, outre les anciennes querelles des Anglois, trois fort grandes difficultés en teste, qui se sont tousjours opposées et se sont rendues formèlement contraires au service de Vostre Majesté.
La première a esté celle de la nouvelle religion et de la guerre de vos subjects, en quoy du commencement, le cardinal de Chastillon, Cavaignes, Du Doict, Sainct Simon, Pardailhan, Chastellier Pourtault, les agens du prince d'Orenge, ceux des princes protestans d'Allemagne, avec l'ayde des évesques, et plusieurs du Conseil d'Angleterre, et une tourbe des plus aspres ministres qui fussent en France: et, après eux, le comte de Montgomery, monsieur le Vidame, M. de Languillier, et dernièrement M. de Méru, m'y ont donné tant d'affaires que je dois estre aucunement excusé si je n'ay pu faire réuscir proprement toutes choses par delà sellon vostre desir et contantement.
La seconde difficulté a esté du faict de la Royne d'Escosse et des Escossois, qui onques ne fut veue cause en nul estat de la Chrestienté plus plène de soubçon et de jalousie, ny qui ayt eu tant d'ennemys, ny où il soit intervenu plus de dangers qu'en celle là; car se trouvant la Royne d'Angleterre contredicte en la propre qualité de sa personne d'estre bastarde, et en la qualité de son estat d'estre illégitime Royne, et là dessus une grosse élévation dans son royaume par les Catholiques, et une pratique d'y introduire les Espagnols et une conjuration contre sa propre vie, avec une crainte extrême d'estre assaillie du costé d'Escosse par les François plus que de nulle autre part du monde, et le tout imputé à la Royne d'Escoce, l'on ne cessoit, à toutes les délibérations du Conseil d'Estat et par toutes celles du général Parlement du royaume, de presser la Royne d'Angleterre de faire mourir, comment que ce fût, la Royne d'Escosse sa cousine, et se saisir de son royaume et de la personne de son fils durant sa minorité, pendant que la France estoit soymesmes bien empeschée; de sorte qu'il est de merveille et un miracle évident comme il a pleu à Dieu m'ouvrir les moyens d'y remédier.
La troisième difficulté, encore plus grande que les deux aultres, a esté la compétance d'Espagne, et les menées, qui ont esté faictes, de ce costé là, avec deniers contans et avec grands présans et avec moyens secrets et ouverts par les pensionnaires du Roy d'Espagne et par les partisans de Bourgogne, qui sont en grand nombre en ceste cour, pour cuider faire déclarer leur Royne et le royaume contre la France, afin de donner plus de solagement aus Païs Bas, et pour traverser l'amitié et l'alliance qui se trettèrent par le feu Roy avec la Royne d'Angleterre; et, encore dernièrement, pour empescher que le renouvellement de la ligue ne succédât avec Vostre Majesté, de sorte qu'à dire vray il n'a pas fallu estre trop paresseus ny endormi; et grâces à Dieu, lorsque l'ambassadeur d'Espagne et le duc d'Alve, et mesme tous leurs partisans, se sont le plus efforcés de vous y nuire, c'est lors que je me suis trouvé le plus audessus de ce que j'y ay prétendu pour vostre service, et l'ambassadeur d'Espagne a esté enfin déchassé du pays et déboutté de sa charge, et moi confirmé en la mienne; et son Maistre et ses affaires ont esté trop pirement traittés que les vostres; et mesmes, s'il est sorti quelque chose d'Angleterre à vostre préjudice, je vous supplie, Sire, très humblement de croire qu'il y en a eu mille fois plus de préparé contre vous qui a esté interrompu et destourné, et, possible, une partie en est allé au préjudice du Roy d'Espagne, et que le peu qui s'en est adressé contre la France a esté ce que, par nul ordre ny moyen, encore que je m'y sois opposé comme à la mort, il ne m'a esté possible de l'empescher; et si, me semble que Vostre Majesté en doit tenir la Royne d'Angleterre aulcunement excusée, car c'est ce qu'elle n'a pu contre tant de poursuites, de persuasions et de grandes sollicitations, bonement dénier à sa religion.
A présent, Sire, vous estes avec elle et avec son royaume en une intelligence, non du tout si bonne ny si parfaite comme je l'ay quelquefois vue, et mesmement ès sept premiers mois de l'an 1572, car lors, le feu Roy, vostre frère, eut pu plènement jouir de l'Angleterre aussi bien que de son propre duché de Bretagne; mais au moins y estes vous en une condition de bonne paix et d'amitié et de confédération, de sorte que Vostre Majesté et voz subjects n'avés à espérer que bien, et ne craindre guière de mal, de ce costé là; car, pour le faict de la religion, la Royne d'Angleterre et les siens se contanteront assés qu'ils ne soient poinct inquiettés en la leur, sans trop s'entremettre de celle de voz subjects, si leur en accordés peu ou prou, pourveu que ne la leur ostiés du tout et ne les en veuilliés priver par la force.
Quant à ses prétentions de Callais et aultres ce n'est sur elle que la conqueste en a esté faicte, ce ne sera aussi elle qui se formalisera de les reconquérir. Elle est femme nourrie à la paix et repos, n'a poinct d'enfans, ny de successeur à qui elle ayt d'affection, veut jouir son estat tant qu'elle vivra sans guerre ny trouble, et ses conseillers encore plus qu'elle, lesquels, à dire vray, le jouissent avec non guières moins d'authorité et de crédit et de profit que leur propre Maistresse, et la guerre leur osteroit tout cela; et ne devés craindre, selon ce qu'on peut juger, qu'elle permette jamais que la Royne d'Escosse ayt autre mal entre ses mains que d'estre détenue, et mesme elle la faict estre assés bien selon sa fortune, et si ay opinion qu'elle ne pert rien là où elle est, ains y acquiert la couronne d'Angleterre, et là se confirme contre tous ses compétiteurs, après la mort de sa cousine, avec trop plus de seuretté et de bons moyens, que si elle estoit hors du royaume, et qu'elle fût en peine lors d'y entrer.
Au regard de l'Escosse, pourveu qu'elle n'y voye poinct faire d'entrée de François ny d'estrangers, elle n'y remuera rien, elle n'y altèrera point vostre alliance, tout le païs est ès mains des Escossois, elle n'y possède rien. Il y a un héritier nay et desjà recognu pour Roy. L'on la sollicite bien de se saisir de la personne de ce jeune Prince et de s'attribuer la protection de lui et de son royaume, durant sa minorité, et de le déclarer son successeur après elle; mais ce sont choses qu'elle craint luy estre de trop grand préjudice et trop dangereuses, et ne les faira pas tant qu'elle pourra. Mais cela faira elle, si elle peut, que le dict jeune Prince et les Escossois protestans entreront en la ligue généralle des aultres princes et peuples protestans de la Chrestienté pour la deffance de leur religion. Et quant à s'aliéner elle de vostre amitié pour s'unir à celle du Roy d'Espagne, elle n'y a pas d'inclination, et aulcuns de ses principaus conseillers sont assés contraires aus Espagnols, mesmes les partisans de Bourgogne, qui voyant bien que le Roy d'Espagne n'est pour vous mouvoir maintenant la guerre, ny pour luy ayder à elle, si elle la vous voulloit mouvoir, font semblant d'approuver plus que nuls autres la confédération qu'elle a avec Vostre Majesté, et au moins n'osent ils conseiller de la rompre, de façon, Sire, que je pense avoir laissé cette Princesse et les Anglois en une telle disposition que vous n'aurés la guerre de leur costé que quand vous voudrés, et n'en recevrés desplaisir ny injure que quand vous commencerés de leur en faire.
Le moyen de retenir cette nation en vostre intelligence seroit d'attirer leur traffic en vostre royaume et l'y establir sellon le traitté de la ligue, car qui aura leur traffic les possèdera entièrement, parce que leur principal revenu et celluy de l'Estat et de la Noblesse est fondé ou bien dépend du commerce, mais les recherches, les impôts extraordinaires, l'incompatibilité des nations, le peu de foy, et surtout le deffaut de justice qu'ils disent estre en France, les destourne de voulloir assoyr leur estape par deçà avec ce, que l'obstacle de la religion, et ce qu'ils ont veu advenir à cause d'icelle, les retient en quelque peur, bien que, sur la parolle de Vostre Majesté, s'ils la peuvent cognoistre certaine, et que veuillés bien tenir la main à l'administration de la justice, ils s'y pourront à la fin confier; et aussi que veuillés user d'aulcuns honestes entretiens ordinairement vers cette Princesse, et luy envoyer de petites gracieusetés et la gratifier quelquefois en des choses qu'elle vous demandera pour aulcuns de ses subjects, sellon que du costé d'Espagne l'on luy octroye très libéralement ce qu'elle veut demander; et envoyés tous les ans quelques présans à aulcuns de ses espéciaus conseillers, ainsy que le Roy d'Espagne n'y espargne rien de son costé, et [comme] voz prédécesseurs, Sire, qui ont tousjours faict courir de l'argent; et quand on pèsera bien les considérations que voz prédécesseurs ont eu en cela, et celles que Vostre Majesté doit encore avoir plus qu'eux, soit pour le faict du dedans de vostre royaume, ou pour les affères qui vous peuvent venir du dehors, ou pour voz prétentions et entreprinses ailleurs, il ne pourroit estre rien employé mieus à propos que quelques deniers par delà aussi bien que aus Suisses ou aus Allemans.
Pour mon regard, Sire, je vous supplie très humblement de n'estre point marri si je vous ay faict instance de me retirer d'Angleterre, car ce n'a esté pour refouyr, là ny en quelqu'autre part qui soit au monde, vostre service, estant plus prest que je ne fus onques d'employer de fort bon cœur ce qui me reste de vie pour très humblement vous en faire. Mais Vostre Majesté considèrera, s'il lui plait, qu'après beaucoup de temps et de travail, que j'avois déjà employé au service des feus Roys, je fus commandé, au mois d'octobre de l'an 1568, d'aller encore pour deus ans en ceste charge d'Angleterre, et qu'au retour je serois avancé et récompencé.
J'y allai volontiers, et entrepris d'un grand courage d'y faire service au feu Roy, vostre frère, et à Vostre Majesté, non sans y rencontrer beaucoup de contrariettés et d'empeschemens qui ont esté, grâces à Dieu, combattus et surmontés, et n'a tenu qu'à Voz Majestés Très Chrestiennes que n'ayés pour la pluspart tousjours emporté ce que monstriés desirer de delà; et toutes les pratiques et entreprinses qui s'y sont dressées contre la France et contre l'Escosse, et qui s'estendoient encore plus avant contre voz affaires, ont esté tousjours ou interrompues, ou diverties, ou si bien diminuées, que Voz Majestés n'en ont senti guières de mal, et ne me doit estre mal séant d'oser dire qu'il a pleu à Dieu de conduire aussi bien, et par adventure plus heureusement pour le temps, ceste mienne Négociation, que nulle autre qui se soit faicte en la Chrestienté; et a faict qu'il en est réusci un soulagement assés opportun en voz affaires, et tel, possible, que deus millions d'escus ny beaucoup de voz forces n'y eussent peu fournir; et m'a faict encore la grâce que je m'y suis tousjours entretenu avec la dignité et bonne estime, et avec aultant de despance pour honorer vostre service, que si j'eusse esté un des plus avancés et des plus riches gentilshommes de vostre cour.
Dont je ay espéré, je le confesse, et me semble que non iniquement ny sans raison, d'en debvoir tirer quelque avancement et récompanse de Vostre Majesté, au moins si, par nul honeste et honorable travail, et par diligence, et par une singulière loyauté, et par un bon succès des choses, il est possible à un gentilhomme de pouvoir bien mériter du service de son Prince; mais ne voyant rien venir de cela, ains qu'au contraire je demeurois tousjours oublié et confiné, de temps en temps, jusques au nombre de sept années en ceste charge, loing de la présance de Vostre Majesté, et que ce pendant trois de mes frères m'estoient morts[22], et que tous mes affaires estoient demeurés en arrière; que des partis les plus honnestes et commodes que j'eusse peu desirer auprès des miens, lesquels m'avoient attendu deus ans entiers, estoient perdus; qu'après que l'un de mes frères avoit esté tué en vous faisant service[23], lequel me tenoit une abbaye qu'un de mes parans m'avoit laissée, l'on me l'avoit ostée, et m'avoit on osté avec l'abbaye le moyen de me pouvoir plus entretenir honestement à vostre service, car je suis au demeurant fort pauvre, puyné de ma maison; et que cependant je suis devenu vieus, ruyné et maladif, avec ce, que ma Négociation estoit si achevée qu'il n'y restoit rien plus que faire à présant, et que si, d'avanture, il y survient quelque chose d'importance, où il fût besoing de travailler, je me sentois si consommé de mal et d'ennuy que je n'eusse pu satisfaire à mon debvoir ny à vostre service, et demeurant au reste de fonds en comble du tout perdu, il n'est de merveille si j'ay esté pressant de mon congé vers Vostre Majesté.
Mais, Sire, voicy ce que devant toutes aultres choses je demande maintenant à Dieu, c'est qu'il luy plaise faire en sorte que Vostre Majesté reste contante et bien satisfaicte de mon service, et que pour marque de vostre contantement il vous plaise me faire quelque bien et récompance, afin qu'entre les anciens loyaus et fidelles serviteurs de Vostre Majesté je ne demeure seul oublié et mesprisé, et que, si mon service vous a esté agréable par le passé, me veuilliés commander de vous en faire encore tout le reste de ma vie, car, possible, me trouverai je plus sain ailleurs que je ne faisois à présant en Angleterre, et je serai prest, après que j'aurai un peu mis ordre à mes affaires, de dédier tout le restant de mes jours à très humblement vous en faire.
Il y a traise ans que j'ay esté faict Gentilhomme de la Chambre du feu Roy, et douse que j'ay esté mis en la pension de douse cens livres par an, ce qui ne m'a esté despuis augmenté ny diminué, et deux ans qu'il m'a faict de son Conseil Privé et m'en a envoyé le brevet. A ceste heure, Sire, je supplie très humblement Vostre Majesté de commander à monsieur le Chancellier qu'il reçoive mon serment pour estre admis en vostre Conseil Privé, non par ambition d'en estre, mais pour vous faire, en y estant, le plus de service qu'il me sera possible, et pour éviter la honte de n'en estre point, puisque les aultres mes semblables en sont, ou d'en avoir esté exclu y ayant esté desjà mis; et qu'il vous plaise, Sire, me faire tant de bien et d'honneur que de mettre mon nepveu, fils unique de mon frère ayné, en ma place de la Chambre, et mon autre nepveu, qui est aussi fils d'un aultre mon frère, escuyer de la grand escuyerie, qui sont tous deus seigneurs de leurs maisons[24], et desquels je veus vous respondre de ma vie que vous en serés fort loyalement et fort fidèlement et très agréablement servi, sellon que je les cognois gentilshommes de bon sçavoir, nourris à la vertu et à la craincte de Dieu, et que s'ils n'abondent de beaucoup de grandes perfections, ils sont au moins aussi peu entachés de vices que gentilshommes que j'aye guières jamais veus.
OBSERVATIONS
SUR LE MANUSCRIT.
Le manuscrit des Dépêches de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, conservé aux Archives du Royaume (Section historique, série K. Cartons des Rois, nos 95 et 96), forme cinq volumes petit in-folio d'une écriture cursive, assez régulière, et dont la lecture, malgré de nombreuses abréviations, présente peu de difficulté. Ce sont les registres originaux de l'ambassadeur écrits en entier par La Vergne, l'un de ses secrétaires chargé spécialement de ce travail[25]. Ils contiennent quatre cent soixante-neuf dépêches; la première datée du 26 novembre 1568, la dernière du 20 septembre 1575.
Ces registres, dont l'authenticité ne saurait être contestée, existent aux Archives du Royaume depuis l'origine de cet établissement; ils y ont été remis très-probablement par le bureau du triage des titres avec d'autres papiers appartenant à la famille Fénélon. Ces papiers se divisent en deux parties bien distinctes; les uns, exclusivement relatifs à Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, se rapportent principalement à son ambassade en Angleterre; les autres se composent de titres purement généalogiques, et surtout des preuves faites par Gabriel Jacques de Salignac de La Mothe Fénélon, marquis de Fénélon, lorsqu'il fut reçu chevalier et commandeur des ordres du roi en février 1739[26]. C'est dans ces titres classés aux Archives du Royaume, (série M, nos 674 et 675) que nous avons puisé les principaux éléments de la Notice biographique, imprimée en tête de ce volume.
Les papiers relatifs à Bertrand de Salignac, ambassadeur en Angleterre, se composent, outre ses registres d'ambassade, d'un assez grand nombre de pièces diplomatiques, de plusieurs lettres originales de Catherine de Médicis, de Charles IX, de Henri III et de Henri IV; enfin d'une série de copies, sur lesquelles nous allons donner quelques détails, parce qu'elles nous fourniront une addition importante aux Dépêches de l'ambassadeur.
L'écriture de ces copies est de la fin du xviȷe siècle; elles comprennent non-seulement les Dépêches de l'ambassadeur, mais aussi les lettres qui lui étaient adressées par la Cour. L'ordre dans lequel ces pièces sont disposées, les chiffres qui les distinguent et de nombreuses annotations marginales prouvent que cette copie avait été préparée pour l'impression. Le premier travail du copiste, comme nous l'avons vérifié sur ceux des originaux que nous avions entre les mains, était exécuté avec la plus grande exactitude et soigneusement collationné; mais il était ensuite soumis à la révision d'une autre personne qui, pour se conformer à l'usage du temps, retravaillait le texte primitif, et le défigurait en voulant l'abréger et le rajeunir. Au reste, l'entreprise fut abandonnée. Il semble résulter d'une note inscrite sur la copie, que l'auteur de cette révision était un abbé de Fénélon, résidant à Carennac. Or, on sait que François de Fénélon, archevêque duc de Cambrai, porta d'abord le titre d'abbé de Fénélon et fut ensuite doyen de Carennac. Ces rapprochements et la ressemblance qui existe entre l'écriture des notes et celle de l'archevêque de Cambrai, permettraient de lui attribuer avec quelque vraisemblance ce projet de publication qu'il aurait conçu dans sa jeunesse. Nous devons ajouter cependant que l'archevêque avait un frère d'un premier lit qui portait comme lui le titre d'abbé de Fénélon, et qui a pu résider aussi à Carennac[27].
Cette copie nous était tout à fait inutile pour le texte même des Dépêches, puisque nous avions entre les mains leur transcription originale et authentique, mais elle nous a fourni plusieurs pièces importantes omises dans les registres, et surtout nous en avons extrait les lettres adressées par la Cour à M. de Fénélon, pour réunir en un volume supplémentaire toutes celles qui sont inédites, c'est-à-dire, celles qui précèdent le mois de décembre 1572. En effet, à partir de cette époque, elles ont été publiées par Le Laboureur dans ses additions aux Mémoires de Castelnau (t. III, p. 265 et suiv.)[28] d'après un manuscrit de Saint-Germain-des-Prés, conservé aujourd'hui à la Bibliothèque royale (fonds de Saint-Germain, no 769). Quoique la copie que nous avons entre les mains rectifie souvent et complète toujours le texte publié par Le Laboureur, ces corrections ne sont pas assez importantes pour nous déterminer à nous écarter de la règle que nous nous sommes imposée, de publier seulement des textes inédits.
Ainsi se trouvera complétée une série de documents diplomatiques qui nous semble destinée à répandre un jour nouveau sur une des phases les plus intéressantes de l'histoire moderne. Toutefois hâtons-nous de dire que ces documents n'étaient pas restés jusqu'ici entièrement inconnus. Au milieu du siècle dernier, le baron de Fénélon, ambassadeur à la Haie, communiqua les cinq registres des Dépêches de Bertrand de Salignac à Thomas Carte, qui travaillait alors à son troisième volume de l'Histoire d'Angleterre[29]. Cet historien les cite souvent, mais à nos yeux il est bien loin d'en avoir tiré tout le parti possible; il nous serait même facile de prouver que s'il a souvent consulté ces documents, il ne les a pas toujours compris[30]. Gaillard, mademoiselle de Kéralio, Robertson et Gilbert Stuart sont les seuls auteurs qui, d'après Carte, citent les Dépêches de La Mothe Fénélon; mais aucun d'eux ne les connaissait textuellement, et Carte lui-même n'a jamais eu entre les mains les lettres de la Cour, qui en forment le complément nécessaire.
Sans insister davantage sur l'importance des documents historiques que nous publions aujourd'hui, et que nos lecteurs sauront bien apprécier, nous nous contenterons d'exposer en peu de mots le système d'impression que nous avons adopté, et que nous suivrons toujours fidèlement.
Nous nous sommes appliqué à transcrire de la manière la plus exacte le texte authentique que nous avions sous les yeux, nous faisant une loi d'observer scrupuleusement jusqu'à l'orthographe des noms propres, et d'en reproduire toutes les variations. L'avantage de cette méthode est aujourd'hui reconnu par les critiques les plus compétents, et nous n'avons pas besoin de la justifier. Lorsqu'un oubli du copiste, un accident survenu au manuscrit ou une erreur évidente nous ont forcé d'indiquer quelques rares corrections, nous avons toujours eu soin de les placer entre crochets. Toutefois nous ne dissimulerons pas qu'une grave difficulté se présentait dans notre manuscrit. L'ambassadeur, qui cite continuellement des noms anglais, les écrit non pas conformément à l'orthographe anglaise, mais conformément à la prononciation, qui souvent s'en éloigne beaucoup. Nous ne pouvions pas reconstruire l'orthographe de ces noms, puisque c'était manquer au principe que nous avons adopté et substituer à l'autorité du texte une interprétation quelquefois arbitraire, surtout pour les noms peu connus. Nous ne pouvions pas non plus surcharger notre texte de notes qu'il aurait fallu répéter toutes les fois que le même nom se serait représenté. Nous avons donc pensé qu'il valait mieux réunir tous les éclaircissements dans les tables alphabétiques et raisonnées qui termineront notre publication.
Cependant, tout en nous astreignant à reproduire avec la plus grande exactitude le texte du manuscrit, nous n'avons rien négligé pour en rendre la lecture plus facile; nous avons donc marqué les accents et les apostrophes, complété ou rectifié la ponctuation: ces modifications, qui n'altèrent pas le texte, sont les seules que nous nous soyons permises.
SOUVERAINS
QUI ONT RÉGNÉ EN EUROPE DE 1568 A 1575,
PENDANT L'AMBASSADE
DE LA MOTHE FÉNÉLON.
| Allemagne | Maximilien II. |
| Angleterre | Élisabeth. |
| Danemark | Frédéric II. |
| Écosse | Jacques VI.—Marie Stuart. |
| Espagne | Philippe II. |
| États de l'Église | Pie V.—Depuis le 13 mai 1572, Grégoire XIII. |
| France | Charles IX.—Depuis le 30 mai 1574, Henri III. |
| Portugal | Sébastien. |
| Russie | Iwan Wasilejevitch. |
| Suède | Jean III. |
| Turquie | Sélim II.—Depuis le 13 déc. 1574, Amurath III. |
DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON
Ire DÉPESCHE
—du xvıe novembre 1568.—
(Mise dans le paquet de M. de La Forest.)
Arrivée de l'ambassadeur en Angleterre.—Son audience de réception. Notification de la mort de la reine d'Espagne, fille de France.
Au Roy.
Sire, ayant, le septiesme de ce mois, et non plutôt, trouvé à Calais le passaige bon pour Angleterre, j'arrivay, le Xe ensuyvant, en ceste ville de Londres, où je fus receu, de monsieur de La Forest, avec autant d'honneur que se peut faire à un votre serviteur venant pour la charge qu'il vous a pleu me commander par deçà. Et ayant, le lendemain, envoyé demander audiance à ceste Royne, elle la luy accorda pour le xiiiȷe de ce mois à Hantoncourt, où le conte d'Hormond et milord Havard, fils du milord Chamberlan, furent ordonnez pour venir au devant de nous, qui nous menèrent, sur les deux heures après mydy, en la sale de présence, et la dite Dame nous y receut fort humainement, et nous fit toute la gracieuse et familière démonstracion que se peut desirer pour honorer voz ministres et serviteurs. Le dit sieur de La Forest me présenta à elle avec plusieurs graves et vertueux propos concernans l'accomplissement de sa charge, et l'élection que Votre Majesté avoit faict de moy pour y succéder, et adjouxta ce que lui sembla bon de ma recommandacion pour authoriser davantage ma négociacion, et y rendre ceste princesse bien disposée. Sur quoy, elle voulut bien monstrer qu'il ne pouvoit estre qu'elle n'eust quelque regrêt à ce changemant, ayant veu le dit sieur de La Forest, tant qu'il a esté par deçà, traiter toujours avec grand dignité et modéracion les choses apartenans à la comune amytié, intelligence et confédéracion d'entre Voz Majestez, ce que lui donnoit occasion de desirer qu'il continuât longuement ceste charge; mais puisqu'il vous avoit pleu, Sire, lui ottroyer maintenant son retour pour s'aller reposer après avoir bien travaillé, elle estoit très contante que ce fût moy que Votre Majesté ait ainsi ordonné pour le venir relever. Et sur ce, je lui présentay voz lettres, et celles de la Royne, avec les cordiales et très affectueuses recommandacions de Voz Majestez, et luy fis entendre, par les plus exprès et convenables propos, qu'il me fut possible, qu'estant votre desir de demeurer en la foy et aux promesses et trettez que vous aviez avec la dite Dame, vous m'avez commandé d'establir là dessus tout le fondemant de ma négociacion, cognoissant qu'il y avoit aussi en elle beaucoup d'intégrité et de constance pour y persévérer de son cousté, ainsi qu'elle en avoit faict déjà plusieurs bonnes démonstracions, mêmes avoit usé d'aucungs bien honnestes déportemans sur les troubles suscitez, l'année passée, en votre royaume; ce qui vous faisoit espérer qu'elle continueroit aussi de vous porter faveur et assistance sur ceux qu'on y avoit naguères renouvelés, et qu'elle adjouxteroit à la première obligacion ceste segonde, que vous n'estimeriez moings importante, et pour les quèles deux je la pouvois asseurer que vous, Sire, en garderiez, dedans votre cueur, la juste recognoissance q'ung prince, bien né et généreus comme vous estes, en debvra avoir pour l'effectuer envers elle et envers sa grandeur et estatz, quand il plairoit à Dieu que l'ocasion s'en présentât: et qu'en cela, elle avoit monstré qu'elle estoit vrayment Royne, fille de Roy, et seur de Roy, et de toute royale extraction, selon qu'il avoit esté toujours cognu despuis que Dieu avoit mis sceptres et couronnes ès mains des hommes; qu'il y avoit grand différance des bons et légitimes princes, légitimemant béniz par approbacion de Dieu, aux meschans et iniques tirans suscitez seulemant pour mal fère; que les bons et légitimes princes avoient droictemant, et en bonne consciance, toujours procédé en affaires des autres princes, leurs voisins et aliez, et avoient procuré le bien et évité le mal, loyaument, les uns des autres, quant ils l'avoient pu fère, là où les meschans n'avoient jamais faict que guetter l'occasion de nuyre, et l'avoient exécutée par injustes guerres, par fraudes et machinacions, lors mesmemant qu'ilz avoient veu leurs voisins plus ampeschez en leurs affaires et estatz. Mais c'estoient traitz qu'on avoit incontinant descouvers; car l'affligé sentoit bien tôt ung nouveau mal, et les gens de bien en tel temps avoient les yeux ouvers pour remarquer les actions des princes et potentatz de la terre, et Dieu surtout, qui les regardoit de près, affin de les juger droictemant, tout ainsi qu'il ne laissoit sans récompencer les bons par beaucoup de prospéritez et bénédictions, jusques à establir et perpétuer leurs couronnes, aussi ne laissoit-il eschaper les meschans sans grandes et évidantes punitions, jusques à esteindre bien tôt eux et leur mémoire, et renverser et dissiper leurs estatz: que je réputois à grand heur d'estre envoyé de la part d'ung grand Roy à une grande Royne, qui fesoient, tous deux, profession de reconoitre tenir de Dieu ceste souveraine authorité, ceste puissance et grandes forces que vous aviez, et comme vous les ayant données pour repoulser hardimant les torts et injures qu'on voudroit fère à vous et aux vôtres; mais pour n'en fère jamais à autruy. Aussi certes ceste saison, plus que nulle autre, qui eut esté depuis mile ans en çà, advertissoit les princes de s'abstenir d'injures et de violances entre eux, et plus tost de se bien unyr, par intelligeance et mutuels secours, affin de se maintenir, les uns les autres, en leurs légitimes estatz contre les licentieuses entreprinses qu'on voyoit passer de païs en païs, et qui avoient déjà trop pénétré au cueur et en l'opinion des subjectz; et avions à rendre grâces à Dieu qu'en ce temps, si dangereux et si suspect à l'authorité des grandz princes, il n'avoit laissé aucune juste occasion de guerre entre eulx en toute la chrétienté.
La dite Dame receut de fort bonne part lesdits propos, qui lui furent la plus part dictz à la suyte des siens; et ses principales responses furent; qu'èle avoit ung grand plésir et contentemant d'entendre votre bonne et droicte intantion, et de la Royne votre mère, sur l'entretènemant de la paix et des bons trettez que Voz Majestez aviez avecques elle, et avec ses païs et estatz; à quoy vous ne la trouveriez, de son cousté, jamais deffaillante, ains mectroit peyne de fortefier et accroître ceste amytié, par tous les bons moyens qu'èle pourroit, priant monsieur de La Forest de vous tesmoigner au vray comme elle en avoit usé pendant qu'il a esté par deçà; par où cognoitriez qu'elle méritoit bien le grand mercys que Votre Majesté luy en avoit faict dire, et pouviez croire certainemant qu'èle persévèreroit en ceste délibéracion, si elle n'estoit provoquée du contraire; en quoy elle creignoit qu'on vous en eût déjà donné quelque persuasion, et qu'èle estoit de race de lion, qui s'adoulcissoit bien tost s'il n'estoit rudoyé, mais estant provoqué, il s'irritoit incontinant. Bien disoit desirer, de bon cueur, que vous fussiez aussi bien servy de voz subjectz par le devoir de leur obligacion, comme vous le serez d'elle par le devoir de votre comune amytié; et vous prioyt de croire qu'elle réputoit votre cause, qui estez Roy, lui toucher beaucoup à elle, qui estoit Royne: me voulant, au reste, donner cest advertissemant que je ne faillisse de bien examiner les bruytz qui courroient, et les advis qu'on me donroit plutôt que de les croire, affin de ne vous en donner alarme ny vous fère prendre aucune deffiance d'elle mal à propoz; car encor que le sexe duquel elle estoit fût estimé léger, je la trouverois toutesfois ung rocher qui ne se plieroyt à tous vens.
Je la remercyai grandement de ces louables propos, et de sa vertueuse et constante délibéracion envers vous; que je ne faisois doubte que quelquefois elle n'eust esté sollicitée de ne perdre les occasions qui sembloient se présenter propres pour entreprendre, sur les païs de Votre Majesté, comme elle disoit aussi qu'èle craignoit que vous eussiez esté sollicité d'entreprendre sur les siens; mais Dieu lui avoit faict cognoitre que ceux qui luy donnoient telz conseilz tendoient plus de la fère servyr à leurs passions, à leurs querelles et vengeances, que non pas à son bien, à sa grandeur ny à sa réputacion; et qu'èle, de son cousté, comme vous aussy, Sire, du vôtre, aviez estimé trop meilleur et plus louable de vous conjoindre de cueur et d'affection à fère ce qui plus pourroit contanter et satisfère l'ung ez affères et païs de l'autre, que de vous y traverser; comme aussy c'estoit le vray chemin de la gloire, du proffit et de l'honneur de Voz Majestez.
Elle répliqua que je la trouverois toujour bien preste et disposée de vous segonder en toutes les bonnes volontez et actions dont useriez envers elle, avec tèle amytié et sincérité de vrayement bonne seur; qu'encor qu'on vous eust rapporté, ainsi qu'èle avoit entendu, qu'il n'y avoit en elle que bonnes paroles mais mauvais effectz, que toutefois je ne cognoitrois de sa part rien qui ne fût pour me donner lieu et facilité par deçà d'employer à bon escient voz commandemans, et ceste même bonne volonté que je lui avois déclairée.
Le dit Sieur de La Forest et moy monstrâmes avoir contantemant de ses bonnes paroles et d'autres plusieurs qu'elle nous tint bien convenables à votre comune amytié, ainsi qu'il vous les représentera, quant il vous ira bien tôt trouver. Cepandant je regarderay si elle y rendra conformes ses actions, et baiseray, en cet endroit, très humblement les mains de Votre Majesté, supliant le Créateur qu'il vous doint, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.
De Londres ce xvȷe de novembre 1568.
A la Royne.
Madame, par ce que, par la lettre du Roy, Votre Majesté verra commant, et en quèle façon, j'ay esté receu de ceste Royne, ensemble les principales particularitez de ce qu'èle m'a dict, et que je luy ay répondu, je ne vous ennuyeray de redite; seulemant, j'adjouxteray, icy, qu'èle a monstré me fère de tant plus favorable réception qu'èle a sceu que vous en aviez faicte l'élection, et que vous m'aviez toujours tenu et me teniez pour très certain et bien fidèle serviteur de Voz Majestez. Elle tesmoigna ung honnête regrès sur le partemant de monsieur de La Forest à cause que sa manière de négocier, qui a esté toujours accompaigniée d'honneur et de prudance, et plaine d'ung incroiable desir à l'entretènemant de la paix, l'avoit beaucoup contantée, mais n'a laissé pourtant de m'accepter avec beaucoup de gracieuseté en ceste charge, espérant que je continueray les mesmes offices qu'il faisoit pour l'entretènemant de la paix. En quoy, je mectray peine, Madame, d'observer diligemmant ce qu'il vous a pleu, et qu'il vous pléray cy après, me commander; et par ce qu'après avoir baillé les lettres du Roy, et vôtres, et faict voz recommandacions à la dite Dame, elle me demanda de voz nouvelles, je luy voulus bien dire que, sçachantz, Voz Majestez, qu'elle auroit agréable d'en sçavoir, vous m'aviez commandé l'assurer, touchant votre santé, que grâce à Dieu vous estiez tous deux en fort bon estat et disposition, et que le Roy, depuis estre relevé de sa dernière maladie, s'estoit si bien fortifié qu'il ne se sentoit plus de l'avoir heue: et, quant à voz affères, encor qu'il y en eut aucungs qui vous pressassent, Dieu vous avoit donné de si bons et assurez moyens d'en sortir que vous n'en craignez aucun dangereux évènement. Il estoit vray que, ces jours passez, vous aviez esté visitez d'ung douloureux accidant de la mort de la royne d'Espaigne, fille et seur de Voz Majestez[31], qui vous avoit apporté plus de regrêt qu'on ne pourroit exprimer, et dont la douleur vous en dureroit longtems; et qu'on pouvoit croire que l'habit de deuil, que le Roy, et Vous, et toute votre cour, aviez prins, et avec lequel je me présentois encores devant elle, n'estoit pour ung simple acquit, ains pour tesmoigner à bon escient que nous sentions vrayemant ce grand deuil qui convenoit à la grand perte que nous, et toute la chrétienté avions faicte. A quoy ne faisois double que la dite Dame ne participât, tant pour ce que ceste princesse estoit seur du Roy, son bon frère, et votre fille, que pour avoir esté femme du Roy d'Espaigne, en l'endroit duquel elle avoit mis peyne, tant qu'èle avoit vescu, d'entretenir l'intelligence qu'il avoit avec la dite Royne d'Angleterre aussi bien que cèle qu'il avoit avec Voz Majestez.
La dicte Dame me répondit qu'èle se réjouyssait grandemant du bon portemant et santé de Voz Majestez, et qu'èle avoit beaucoup creint la dernière maladie du Roy, dont rendoit graces à Dieu qu'il en fût si bien relevé; que Dieu sçavoit les regrêtz qu'èle avoit aux travaulx de votre royaume, et qu'èle y voudroit remédier de tout son pouvoir, mais qu'on n'avoit bien prins sa bonne intantion ny ses bons offices, qui toutefois ne seroient jamais que bien fort convenables à la bonne amytié qu'èle porte au bien de vos affères. Et quant à l'inconveniant de la Royne d'Espaigne, qu'èle la regrétoit de tout son cueur, et en portoit deuil comme si c'eust esté sa propre seur, et sentoit encores celuy de Voz Majestez qu'èle sçavoit certainement estre très grand, et dont elle prioit Dieu vous vouloir récompencer de quelqu'autre bonne consolacion, et qu'èle n'avoit esté encores advertie de cest accidant de la part du Roy d'Espaigne, ny de son ambassadeur; car elle en eut déjà faict célébrer les obsèques, aussy bien qu'on les a célébrées ailleurs. Sur quoy je vous suplye, Madame, au cas que les ambassadeurs fussent convyés à ceste manière d'obsèques, me commander s'il vous plait que j'y assiste; et si l'on n'y convyoit que l'ambassadeur d'Espaigne, si je dois fère instance de n'y estre point oblyé, attandu que c'est de la fille et seur de Voz Majestez, et surtout commant je debvray user en l'endroit du dict ambassadeur d'Espaigne.
Je n'ay encores receu la lettre que voulez escrire de votre main à ceste Royne, il semble qu'il sera bon que je l'aye bien tôt et croy qu'èle ne sera sans qu'èle porte quelque fruict au service de Voz Majestez. Je ne me puys que bien fort louer de la franche et ouverte bonne volonté, dont monsieur de La Forest meit peyne de m'instruyre et de me laisser ceste négociacion en si bon estat, que je la puysse bien continuer à votre contantemant. Je laisseray à luy de rendre compte à Voz Majestez, tant qu'il sera icy, des choses qu'il a entamées et qu'il a commancé de négotier, ensemble de toutes autres qui surviendront jusques à son partemant, lequel il espère qu'il sera dans cinq ou six jours. Je vous suplie bien humblemant, Madame, que j'aye souvant de voz dépêches, affin d'estre toujour instruit de ce que j'auray ordinairement à fère; et je suplieray Dieu, après avoir très humblement baisé les mains de Votre Majesté, qu'il vous doint, Madame, en parfaite santé, très longue vie et toute la prospérité que vous desire.
De Londres ce xvȷe de novembre 1568.
IIe DÉPESCHE
—du xxiıe de novembre 1568.—
(Envoyée par le lacquay Jehan Pigon jusques à Calais.)
Armement qui semble destiné à secourir La Rochelle.—Convocation d'une assemblée pour les affaires de la reine d'Écosse.—Situation de Marie-Stuart.
Au Roy.
Sire, par la première dépesche, que je vous ay faicte de ce lieu de Londres, du xvȷe de ce mois, et par cèle de monsieur de La Forest du mesme jour et lieu, Votre Majesté aura vu de quèle gracieuse et favorable démonstracion il a esté licencié, et moi receu, de ceste Royne, et comme les responses qu'elle nous a faictes ont esté en substance de vouloir garder et observer, inviolablemant, la paix et amytié qu'elle, et ses païs, ont avecques Vous et les vostres, ainsi que plus au long il vous plaira l'entendre par le dict Sieur de La Forest, qui s'achemina hier à ses journées, pour vous aller trouver. Et cepandant affin que Votre Majesté ne soit longtems sans sçavoir nouvelles de deçà, je vous diray, Sire, en continuant les derniers advis que ledict sieur de La Forest vous a donnez touchant les quatre ou cinq navyres que ceste Royne a armés, qu'encores hier ils n'estaient guères esloignez de la coste de deçà, et semble que ce retardemant n'a tant esté par faute de vent, car le nord-est a couru, comme pour quelqu'autre occasion qui, possible, a tenu leur entreprinse en suspens. Il est vray qu'on a remis autant de vivres dans lesdicts navyres comme il en a esté gasté durant ce séjour, affin d'y parfournir l'avitaillement de deux mois entiers qu'ils font estat que pourra durer leur expédition. Aucungs, de ceux qui sont estimés entendre assez de leurs entreprinses, disent que cest armemant n'a esté fait pour aller à la Rochelle, ains pour tenter quelque chose en Normandie ou en Bretaigne, nomméement à Caen ou à Belisle, affin de fère diversion de la guerre et vous contraindre, Sire, d'envoyer gens vers ces endroitz là, pour d'autant soulager l'armée du prince de Condé. Mais où que ceste occasion, ou bien que quelqu'autre les meuve, je n'ay advis qu'il se face, pour encores, aucungs plus grandz préparatif de guerre pardeçà que desdictz quatre ou cinq navyres, ainsi fournys de six gros canons, de quelque quantité de poudres, d'ung nombre de corseletz, et de six centz soldatz, comme monsieur de La Forest vous a mandé, sans qu'on y en ait voulu recepvoir davantage, bien qu'on a adverty ceux qui s'y sont présentés de se tenir pretz pour xj autres navyres qu'ilz font bruyt qui suyvront bientôt ceux cy; mais il ne sera cepandant malaysé de résister à l'effort que pourront fère ces premiers, pourveu, Sire, que faciez tenir vos costes adverties. Chatelier Portault a obtenu passeport et congé de ramener les mesmes navyres et marchandises, qu'il avoit emmenées à Plemmue, en payant les impostz accoustumez, et se présume qu'il se joindra avec lesdictz navyres de ceste Royne, et qu'incontinant après, tous feront voyle.
La dicte Dame convoque demain à Hantoncourt les ducs de Norfoc, et les contes et principaulx barons de sa court, attandant la générale assemblée de la noblesse de ce royaume qui a esté mandée en cette ville de Londres pour la fin de ce mois; et c'est pour résouldre cepandant, ainsi qu'on dict, les affères de la Royne d'Escoce. Je ne sçay si l'on y en traitera d'autres, car j'entans que le conseiller Cavagnies ne cesse guyères ses poursuytes, et la présence de Mr. le Cardinal de Chatillon, nonobstant la modestie dont l'on dict qu'il use en cet endroit, est pour donner toujours quelque chaleur à ceux cy d'y entendre. Vray est qu'ilz ne sentent leurs affères si accommodez, ny les vôtres si discommodés, qu'ilz puyssent prendre assez de seureté pour ozer rien faire, craignans que vous en auriez bien tôt la revanche; et certes l'on void qu'ilz règlent et changent, d'heure à autres, leurs délibéracions selon qu'ilz entendent que la guerre de France et celle du Païs Bas va succédant. Les députez, qui estoient assemblés à Yorc pour le faict de la Royne d'Escoce sont déjà à Hantoncourt; et le duc de Chatèleraut aussy, où se représentera demain à ceste Royne ce qui résulte de ceste conférence d'Yorc, et semble que les choses seront pour estre plutôt prolongées que mises en termes de prochaine conclusion. Le conte de Mora y est aussy, lequel semble avoir grand haste de s'en retourner en Escoce pour la souspeçon d'une entreprinse qu'on l'a adverty que le conte d'Arguil avoit sur Estrelin, qui est le chateau où se norrit le petit Roy d'Escoce, mais aucungs pensent que c'est une invention de ceux de l'intelligence d'Angleterre, qui veulent, par telle occasion, mettre en avant que ce petit prince soyt conduyt par deçà, pour estre eslevé sous la protection de cette Royne: mais la meilleure partie des Escoçoys ne veut consantir qu'on le sorte hors du pays, bien qu'aucungs, comme on dict, ont d'ailleurs mis en avant qu'il seroit bon de le passer en France pour estre norry près de Votre Majesté. Le dict conte de Mora, et ses adhérans, semblent pourchasser qu'on ait à remuer la Royne d'Escoce en ung lieu qui soyt plus avant dans l'Angleterre que celuy où elle a esté jusques à présent[32], souz prétexte qu'il y a beaucoup de catholiques en icelle contrée, qui pourroient, à cause de ceste princesse, attempter quelque rébellion dans le pays. Mais la dicte Dame a senty qu'en effet c'est pour la fère venir ès mains d'aucungs, avec lesquelz ilz ont telle pratique et intelligence qu'elle n'estimeroit estre de rien mieux que si on la consignoit entre les leurs propres, dont elle a adverty l'évesque de Ros et le mylord Heyreies, qui sont icy ses depputez, d'y prendre garde, et qu'ilz remonstrent à la Royne d'Angleterre que, si tant est que de puissance absolue elle la veuille plus longuement retenir en ses terres, il luy plaise aumoings que ce soyt en lieu non suspect, où elle puysse avoir les honnestes libertez et les moyens de se récréer, qui ne doibvent estre reffuzées à une telle princesse comme elle est, qui est entrée en son pays sous l'assurance d'y estre trettée comme sa propre seur. A quoy, si la Royne d'Angleterre ne veut entendre, elle mande à ses dictz depputez qu'ils m'ayent à appeller, comme estant icy votre ambassadeur, et l'ambassadeur du Roy d'Espaigne pour tesmoings de la violance qu'on fera à sa liberté, affin que, si par mauvais trettement, ou pour crainte de sa personne, elle venoit cy après à fère ou dire chose qui préjudiciât à son estat et authorité, il soit manifeste à Vos Majestez que ce aura esté par force. J'entendz qu'on a desja mené des provisions au château de Thitbery qui est vers le pays d'Ouest soubz le gouvernemant du conte de Hontiton qu'on dit estre bien fort passionné pour la religion nouvèle. Je creins que ce soit pour y remuer la dicte Dame.
Je mettray peyne, Sire, d'apprandre quelque chose de la susdicte convocation de demain, pour en donner advis, par mes premières, à Votre Majesté, à laquèle je baise très humblemant les mains et prie Dieu qu'il vous doint, Sire, en très parfaicte santé toujour prospérité et très longue vie.
De Londres ce xxiȷe de novembre 1568.
A la Royne.
Madame, de ce peu qui est icy survenu de noveau despuis la première dépesche que je fis à Vos Majestez, après avoir esté favorablement receu de ceste Royne, monsieur de La Forest en a faict le recueil, lequel partit hier mattin pour vous aller trouver. Il s'en va bien fort contant de ce qu'il vous rapporte encore la paix de ce cousté, et a opinion que ceux-cy pourront bien attempter prou choses au préjudice d'icelle, mais qu'ilz ne la rompront point du tout, ce qui sera encores quelque bien qu'ilz ne nous facent tant de mal comme, possible, ilz nous en veulent. Et d'autant que le dict Sieur de La Forest s'achemine à ses journées, j'ay advisé, pour ne vous fère trop longuemant estre sans avoir nouvèles de deçà, d'escripre à Voz Majestez les particularitez qu'il vous plaira voir en la lettre du Roy, ausquèles j'adjouxteray seulemant, Madame, que, sur la fin de ma première audiance, je pryai ceste Royne de m'en donner bien tost une segonde, pour lui fère entendre aucunes choses que vous m'aviez commandé luy dire, et lesquèles il estoit besoing qu'èle sceût affin de ne se laisser tromper sur les affères qui se passoient maintenant en France, èsquelz Vos Majestez avoient en partie procédé par l'exemple mesmes de ce qu'èle avoit usé en son royaume, que vous aviez estimé digne d'estre imyté. A quoy la dicte Dame me respondit qu'èle voudroit, de bon cueur, qu'il fût ung peu plus d'heure pour ne remètre ung tel discours à une autre fois, mais puis qu'il estoit desjà nuyt, et que notre retraicte estoit assez loing, je pourroys revenir, à tel autre jour qu'il me plairoit, pour le luy achever; que je seroys tousjours le bien venu. Despuys j'ay envoyé la supplier pour la dicte audiance, et elle m'a mandé que je l'excusasse pour ces deux prochains jours seulemant, parce qu'elle avoit promis d'ouyr les députez d'Escoce et de les dépescher, mais qu'incontinant après elle envoyeroit vers moy pour m'assigner le jour que je la pourroys aller trouver. Il semble, Madame, qu'on mène ici les affères de la Royne d'Escoce avec tant d'artifice que je ne puys espérer qu'on y face guyères rien à son proffit, et, pour le présent, tous les grandz sont si occupez à y vaquer, que mesmes l'on pense que les propositions du conseiller Cavagnies en demeurent en quelque suspens, bien qu'on m'a présentemant adverty qu'il y a lettres d'Anvers par lesquèles l'on escript avoir esté, au nom de ceste Royne, forny de l'argent au duc de Casimyr[33] pour luy ayder à fère la levée qu'il promect, de vij ou viij mille Reistres, en faveur du prince de Condé, ce que je ne croy aiséemant, veu la considération qu'on dict qu'a ceste princesse de ne vouloir jamais advancer ses deniers en entreprinse mal asseurée. Tant y a que je n'ai voulu différer de le vous mander, et mettray peine de le sçavoir plus au vray et d'avoir l'œil sur tout ce qui concernera icy le service du Roy et celuy de Votre Majesté, à laquèle baisant, en cest endroit, très humblement les mains, je prieray Dieu qu'il vous doint,
Madame, en parfaicte santé très longue vie, et tout le bien et prospérité que vous desire.
De Londres ce xxiȷe de novembre 1568.
IIIe DÉPESCHE
—du xxixe novembre 1568.—
(Envoyée par Pierre de Chassac dict Bourdillon.)
Assemblée d'Hamptoncourt.—Conférence d'York évoquée à Londres.—Danger de Marie-Stuart, dont on sollicite la mise en jugement.—Avis sur ce qu'il y aurait à faire dans son intérêt.
Au Roy.
Sire, par mes précédentes du xxiȷe de ce mois je donnoys advis à Votre Majesté de l'assemblée des grandz et principaulx de ce Royaume, que ceste Royne convoquoit, pour le lendemain xxiij, en sa mayson d'Antoncourt, sur les affères de la Royne d'Escoce, et m'estant despuys diligemment enquis si l'on y traictoit autres matierres d'importance, j'ai sceu, Sire, qu'encor qu'il y ait esté proposé plusieurs choses touchant la guerre et les armes, que ceulx cy voyent prinses tout à l'entour et bien près d'eulx, et touchant la provision qu'aucuns remonstroient y debvoir de leur costé estre mise de bonne heure, affin de ne se trouver surprins, et nonobstant aussy que, le segond jour de la dicte assemblée, Mr. le Cardinal de Chatillon soyt allé trouver ceste Royne aux champs, où elle estoit sortie à la volerye, et qu'ilz ayent conféré ensemble l'espace d'une heure en une maison où elle descendit, il n'y a heu toutes fois, pour le regard des choses de la guerre, encores rien ordonné en la dicte assamblée; que seulement du faict de Me. Huynter pour la charge qu'on luy a donné de quatre ou cinq navyres, dont Mr. de La Forest et moy vous avons cy devant escript amplement; auquel Huynter l'on a, à ce que j'entens, enfin délivré six mille livres esterlin, qui sont environ xx mille escuz, outre l'artillerie, poudres et autres munitions, qui ont esté chargées dans lesdictz navyres. Et parce que Chatellier Portault a esté licentié quasi en mesme temps, et que le cappitaine Sores, et luy, sont après, à ce qu'on dict, d'équiper en guerre aucungs de ces navyres marchans qu'ilz ont prins, l'on estime que le dict Huynter et luy pourront fère voyle ensemble, et aller à mesmes entreprinse; mais j'espère, Sire, qu'ilz trouveront voz portz et frontières si bien pourveues qu'ilz n'auront où exécuter la mauvaise intantion qu'ilz pourroient avoir.
Et quant à la Royne d'Escoce, j'estime, Sire, que Voz Majestez, et touz les autres princes de la chrétienté, avez quelque intérest que ses affères n'aillent par là, où aucungs, bien artificieusemant, s'esforcent de les fère passer; d'autant que l'exemple seroit d'assez de préjudice pour ceulx qui ont suprême authorité: car ceulx, qui font parti à la dicte Dame, voyans qu'ilz ne pouvoient espérer jugemant, ni déclaration, assez criminèle contre elle, par les commissaires assamblez à Yorc, qui n'estoient depputez que pour entendre simplement les différands, et moyéner une reconciliation d'entre elle et ses subjectz, affin de la remectre en son estat, et qu'il leur a semblé que le duc de Norfoc, qui estoit le principal desdictz depputez, en ne se montrant assez contraire à la dicte Dame, estoit pour pratiquer, maintenant qu'il est veufve, de se marier avecques elle, dont en ont donné quelque soupçon à la Royne d'Angleterre. Ilz ont tant faict que ceste conférance d'Yorc a esté évoquée icy, pour estre continuée et parachevée en la présence de la dicte Royne d'Angleterre, souz prétexte qu'il y alloit trop de temps, trop de peyne, et trop de fraiz, à tretter ceste matière de si loing. De quoy semble que le dict duc de Norfoc ne demeure guyères contant, se voyant par là privé de l'authorité et cognoissance de ceste grand cause, en laquelle il avoit esté desjà commis, comme présidant en la dicte conférance d'Yorc. Néanmoings il n'a laissé d'assister, toutz ces jours, à la dicte assamblée d'Antoncourt en laquèle j'entendz qu'il a esté desjà résolu de renvoyer ceste matière aux principaulx de ce conseil, et à certains principaulx juges de ce royaume, pour estre terminée pardevant eulx, en ceste ville de Londres, au lieu où l'on a acoustumé de tenir la justice, dans le lougis de Oesmestre. Et suys adverty qu'aucungs prétendent monstrer que la dicte Dame est, à bon et juste droict, prisonière de la Royne d'Angleterre, pour avoir entré en son païs, sans passeport, ny congé, au préjudice des trettés d'entre les deux royaumes; et qu'estant ainsi venue en sa puyssance, la Royne d'Angleterre a authorité et jurisdiction sur elle; et qu'elle peult et doibt cognoistre des cas qu'on luy imposera, comme estant sa justiciable; et par ainsi, fère raison au comte et comtesse de Lenos qui, chascung jour, à genoulx, luy requièrent justice de l'excès qu'ilz prétendent qu'èle a commis en la personne du feu Roy d'Escoce son mary, qui estoit leur filz; mesmemant que lesdictz de Lenos sont Anglois, et leur filz estoit né tel, lequel, encores quil fust devenu prince souverain, et fust monté à semblable dignité royale qu'est la Royne d'Angleterre, elle, toutesfois, n'a pu perdre son droict de préhéminance sur luy, par argumant de cellui qui, estant né serf de condition, ne peult, par aucung moyen, amoindrir celle de son maître. Et puys que la Royne d'Escoce, et ceulx qui luy font partye, se retrouvent de présent en esgalle condition d'estre sujectz et justiciables de la Royne d'Angleterre, ils concluent que ceste princesse doibt estre jugée par les loix et coustumes que la Royne d'Angleterre faict observer en son pays, et que, si elle reffuze de respondre, et subir jugemant au throsne de justice d'Angleterre, et par devant les juges, qui luy seront commis par authorité royalle dudict pays, qu'il pourra, lors, estre procédé contre elle par contumaces, comme désobéyssante et rebelle à justice. Et sont sesdictz parties entrés en espérance de gaigner ce point, lequel s'ilz obtiennent, et qu'il leur soyt baillé voye de poursuyvre, icy, la dicte Dame par justice, disent qu'ilz ont une présente et prompte preuve, qui porte entière vérifficacion du cas et crime qu'ilz luy imposent, par lettres escriptes et signées de sa main[34]. Vray est qu'ilz creignent que ceulx, qui tiennent le party de la dicte Dame, veuillent maintenir de faulx les dictes lettres, et dire que ceulx mesmes qui les produysent les ont supposées et contrefaites, et que, puisque leur malice et subtilité a esté si grande que d'avoir peu déposséder une Royne légitime de sa couronne, qu'ilz ont bien eu l'invention aussy de contrefaire sa main, et que l'on pourra aussi alléguer que, quant bien la dicte Dame auroit attempté quelque chose en cest endroict, ce qu'èle ne fit oncques, le comte Boudoel l'y auroit induicte et contrainte par force d'enchantemant et d'ensorcèlemant, comme il en sçait bien le mestier, n'ayant faict plus grande proffession, du temps qu'il estoit aux escolles, que de lire et estudier en la négromancie et magie deffendue. Et parce qu'en la vérifficacion des dictes lettres gist principalemant l'intention de ceux qui font partye à la dicte Dame, ilz sont après à cercher par quel moyen ilz pourront monstrer qu'èles ne sont faulces, ny controuvées.
La dicte Dame m'a escript, du xxe de ce mois, pour fère envers ceste Royne les offices, dont ses depputez me requerront: en quoy je m'employeray sellon qu'il vous a pleu me le commander, et mectray peyne de regarder de prez à tout ce qui concernera icy votre service, et d'en tenir, le plus souvant que je pourray, Votre Majesté advertye, à laquelle baysant, en cest endroict, très humblement les mains, je prieray Dieu qu'il vous doint, etc.
De Londres ce xxixe de novembre 1568.
A la Royne.
Madame, avec les particularitez, que j'escris présentemant au Roy, de ceste convocation des grandz et principaulx de ce royaulme, qui a esté faicte ces jours passez à Antoncourt, pour les affères de la Royne d'Escoce, il sera bon que Votre Majesté sçache le jugemant que ceulx-cy font des troubles et affères de France; car par là se descovre assez de leur intantion, et ce qu'ilz peuvent avoir volonté de fère. Ilz estiment, Madame, que le prince d'Orange prend le chemin de France, non pour aucunemant se retirer de devant le duc d'Alve, car ilz disent qu'il n'est ny foible, ni mal pourveu, pour s'en aller; mais qu'il le faict par l'intelligence de ceulx de la nouvelle religion, qui ont prins résolution d'establir premièremant leurs affères en France, comme au plus grand et principal lieu, et, par après, il leur sera bien aysé de les establir au Pays-Bas; et qu'en cela ilz s'assurent que tous ceulx de leur opinion concorront, et d'affection, et de secours, pour leur donner moyen qu'ilz en puissent venir à bout, et jugent d'ailleurs qu'estans Voz Majestez bien pourveues de forces, la guerre sera pour durer si longtems dans votre royaume, qu'ilz auront loysir de considérer et de choisir le party qu'ilz auront à prendre. Et affin que cepandant les catholiques de deçà n'ayent à bien espérer de la prospérité, qu'ilz pourroient entendre de voz affères, et des affaires du duc d'Alve, ilz desguysent toutes les nouvelles qui en viennent, et mesmes tiennent gens apostez pour aller publier, par les contrées, que lesdictz de la nouvelle religion ont l'avantage de la guerre, et que le prince de Condé a faict une grand dilligence de venir, de Périgort jusques prez de Chatelleraut, pour présenter la batailhe à Monsieur, qui ne l'a voulue accepter; ains qu'il a faict rompre ung pont devant luy pour l'éviter, ce que voyant le dict prince, et qu'il ne le pouvoit contraindre au combat, s'est acheminé, à grandz journées, vers Bourges, et vers le Loire, pour surprendre quelque passaige de la rivière, affin de se joindre au dict prince d'Orange. Et, l'ung des principaulx d'entre eulx a dict à un de mes gens que lesdictz deux princes iroient régenter cest yver à Paris, et que le duc d'Alve avoit eu une estrette[35], pres de Beins où il avoit perdu quatre ou cinq mille hommes, entre autres, Julian Rovero avec tout son tercero y avoit esté deffaict, et ung dom Louys Henriques, et cinq ou six autres Espaignolz de qualité, thuez, desquelz on réservoit les corps pour les rapporter ensepvelir en Espaigne; et mectent, par telles inventions, toute la peyne qu'ilz peuvent d'abbatre le cueur des catholiques, et d'anymer toutjour ceulx du contraire party. Mesmes je crains qu'ilz s'esforcent par là de mectre quelques espérances dans le cueur de ceste princesse, dont semble, Madame, estre assez requis qu'il vous plaise me fère entendre commant vont les choses de delà, et comme il vous plait qu'elles soient dictes, et représentées icy, affin d'en satisfère la dicte Dame et ceulx des siens qu'envoyent assez souvant devers moy pour en sçavoir.
Elle m'a mandé, par ung des clercz de son conseil, que je la pourray aller trouver demain à Antoncourt, sur les deux heures aprez mydy, pour l'audiance que je luy avois demandée, où je ne faudray de luy bien exprimer le discours qu'il vous a pleu me commander luy fère, affin que doresenavant elle sçache bien juger de l'intantion dont Voz Majestez avez toujours droictemant procédé en l'endroict de voz subjectz, pour cuyder obvyer aux troubles; ce que n'ayant pu fère, vous avez esté contraintz de chercher les moyens d'y remédier et en avez prins aulcungs de l'exemple de ceulx dont elle a usé en son royaume. Et luy toucheray ung mot de ces navires de guerre qu'èle a dépeschez, affin de sonder, s'il m'est possible, à quelle entreprinse elle les envoye, et n'oblieray ce que la Royne d'Escoce m'a escript, et dont ces depputez, qui sont icy, m'ont advisé de luy dire, bien qu'il faut que je vous dye, Madame, qu'il me semble qu'on n'a jusques icy assez considéréement advisé aux affères de la dicte Dame, ny assez préveu combien il luy sera dommageable et pernicieux d'avoir commancé de procéder et d'entrer en cause devant ceulx cy, qui veulent maintenant si bien acrocher la matière que ce soyt à eulx d'en faire le jugemant. En quoy ne fault doubter qu'on n'essaye de toucher, s'il est possible, à la réputation et à l'estat, et, possible, à la vie de cette princesse; dont j'ay soigneusement adverty ses depputez qu'ilz ayent à pourvoir que, par récusations ou par autres moyens déclinatoires, ils rompent maintenant ce coup, espérant que le temps admènera quelque chose de mieulx, et, possible, portera quelque bon remède. Je croys que, pour le présent, ce luy seroit quelque secours qu'on peult envoyer icy un sçavant et éloquant personnaige, qui sceût déduyre bien vivemant, de parole et par escript, devant lesdictz commissères, ce qui est requis, pour les garder qu'ilz n'entrepreignent plus grand cognoissance qu'ilz ne doibvent sur ceste princesse, et qu'ilz sçachent que le tort qu'on luy pourra fère ne sera sans estre examiné pardevant Voz Majestez, et pardevant les autres princes de la chrétienté. Comme il me semble que les argumans qu'ilz veulent prendre sont assez légers, et bien fort inpertinans, dont monsieur le cardinal de Lorrayne pourra, à cest effect, fère ellection de quelque bon advocat de Paris, et l'instruyre amplemant de ce qu'il estimera convenir au bien, et grandeur, et dignité de la dicte Royne d'Escoce, sa niepce. De ma part, Madame, je métray peyne qu'il ne luy deffaille rien de l'office qu'il vous a pleu me commander fère icy pour son service, et auray toutjour l'œil à tout ce qui concernera celuy du Roy, et de Votre Majesté; à laquelle baysant très humblement les mains, je prieray Dieu qu'il vous doint, Madame, en parfaite santé très longue vie, et tout le bien et prospérité que vous desire.
De Londres ce xxviiȷe de novembre 1568.
IVe DÉPESCHE
—du ve de décembre 1568.—
(Envoyée par Jehan Vallet.)
Nouvelles encore incertaines du combat de Jaseneuil.—Lettres de marque délivrées contre les Bretons.—Première entrevue de l'Ambassadeur et d'Élisabeth, dans laquelle sont discutées les affaires de France.
Au Roy.
Sire, en ceste segonde audiance, que la Royne d'Angleterre m'a donnée, je luy ay bien particulièrement récité les mesmes propos, que Voz Majestez, en me dépeschant de deçà, m'aviez commandé luy dire, et ay tiré d'elle les bonnes responses que verrez par la lettre, que sur ce j'escriptz présentemant à la Royne, ayant opinion que ceste princesse m'a, en aucunes choses, parlé assez ouvertemant pour pouvoir conjecturer que les présentes occasions, s'il n'en vient de meilleures et plus approuvées d'elle, ne seront pour luy fère, de son mouvemant, comancer la guerre, et mesmes qu'elle résistera assez à ceulx qui la luy conseilleront; bien que je ne foys doubte qu'on ne luy persuade de fère quelques démonstracions assez expresses en faveur de ceulx de sa religion, et, possible, de leur prêter quelque secrêt secours, comme des six canons, pouldres et munitions qu'èle a faict charger ès dictz. quatre navyres, dont cy devant vous ay escript; car ilz sont partis de Haruich dès le xxvȷe du passé, et sont allez relascher à Derthemmue en la coste de Cornaille, où ilz doibvent prendre quelques vivres et parfournir le nombre qui leur deffailloit de mariniers; et se dict qu'ilz passeront du premier jour à Fallamue, qui est tout à la pointe de Cornailhe; d'où n'y a qu'ung traject de xxiiij heures jusques à la Rochelle, et que néanmoings Me. Ouynter a commandemant de temporiser la délivrance desdictes monitionz tant qu'il luy sera possible, et de ne la fère sans bonne seurté du payemant.
Or, Sire, ce à quoy ceulx cy aspirent maintenant le plus, et où ilz dressent principalemant leurs entreprinses, est l'Escoce, comme il leur semble qu'ilz ont à ceste heure dans la main les moyens de s'en prévaloir, et sont aprez, tant qu'ilz peuvent, à retirer le petit Roy d'Escoce en ce pays; bien qu'il me semble que les expédians qu'ilz cuydoient avoir desjà trouvez pour parvenir à cela, et pour procéder sur les faictz de la Royne sa mère, se vont enveloupant en plus de difficultez qu'il n'y en a heu ung moys y a, tant à cause qu'ilz ne sont bien d'accord, entre eulx, comme ilz y doibvent procéder, que pour ne trouver ny l'une ny l'autre partye des Escouçoys bien disposés à leur intantion; de sorte que cecy sera pour prendre encores ung long trêt, et se sont les dictes difficultez augmantées davantage par une nouvelle qui est venue, que, Dieu, par les mains de Monsieur, frère de Votre Majesté, vous avoit donné une grand victoyre[36] sur monsieur le prince de Condé, laquelle nouvelle, encor qu'on ne la tieigne icy pour bien certayne, n'a layssé pourtant de pourter quelque faveur et relasche aulx affères de la Royne d'Escoce, et a beaucoup esmeu ceste court et tout ce pays, monstrans les catholiques d'en avoir grand plaisir dans le cueur, et au contraire ceulx de la nouvelle religion en demeurent fort estonnez, qui amoindrissent tant qu'ilz peuvent la dicte victoire, publians que ce n'est qu'ung rencontre où n'y a heu que cinq ou six cens hommes de pied desfaictz d'ung chacun costé. Il vous pléra, Sire, commander qu'il me soye faict ung mot sur ce bon succez, affin que cela serve de relever toutjours vos affères par deçà.
J'entans que certains Anglois, nommez les Michelz de Plemmue, ont obtenu lettres de marque de ceste Royne sur les Bretons pour revanche de quelques déprédations, que lesdictz Bretons leur ont faictes, desquèles ilz remonstrent n'avoir peu avoir justice en France. Il sera bon, Sire, qu'il soyt donné promptemant advis de leur entreprinse en la coste de Bretaigne, car ilz dilligentent fort d'équiper en guerre deux vaisseaulx de l ou lx tonneaulx, qu'ilz veulent mectre du premier jour hors de la rivière de Londres, et me commander si j'auray à fère instance qu'on ait à révoquer lesdictes lettres de marque. Dom Johan de Castilla, cavallier espaignol, est arrivé icy avec l ou lx soldatz, qui n'a voulu se rembarquer pour aller trouver le duc d'Alva sans sauf-conduyt de cette Royne, laquelle s'est excusée quelques jours de le luy bailler, disant qu'il pouvoit passer oultre sans cela, mais enfin l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, le luy a faict délivrer. Sur ce je prye Dieu, etc.
De Londres ce ve de décembre 1568.
Madame, le jour après la datte de mes dernières, qui sont du xxixe du passé, j'allay trouver ceste Royne à Antoncourt, laquelle, encore que fust en quelque indisposition de sa santé, je la trouvay néanmoings bien disposée de m'ouyr fort volontiers dans sa chambre privée, où, aprez aulcungs privez propoz, qu'il lui pleut me tenir, de la douleur qu'elle sentoit à son cousté pour s'y estre heurtée quelques jours auparavant, en ung coche où elle alloit ung peu trop viste, je luy récitay bien à loysir le propos que m'aviez commandé luy tenir, touchant les présens affères de France, quasi aux propres termes que m'aviez ordonné le luy dire, et dressay principalemant mon discours à luy fère voir que, non seulemant Voz Majestez avoient mis grand peyne et dilligence d'obvier aux premiers troubles, et d'éviter aussy les segondz, mais encores de ne venir jamais, s'il vous eust été possible, à ces troiziesmes, ayans cerché du commancemant d'accorder le différand de la religion pour satisfère à aulcungs qui sembloient estre meues de scrupuls de consciance en ceste cause. Mais n'ayans peu pour cella empescher que les armes ne fussent prinses, vous leur aviez dès lors ottroyé, affin qu'ilz les posassent, l'exercice de leur relligion par toutes les provinces de votre royaulme avec grand soing que les inimitiez particulières qui pouvoient rester de ceste première guerre, demeurassent estaintes. Et encores despuys, n'ayans eulx layssé pour cella d'attempter ce que la dicte Dame avoit entendu de la journée de Meaulx l'année passée[37], et de recommancer une guerre qui n'avoit esté de peu de danger pour les personnes et pour l'estat de Voz Majestez, ny de peu de dommage à votre royaulme, Voz Majestez néantmoings, pour n'hazarder ung si grand nombre qu'il y avoit de votre noblesse aulx deux armées, et affin d'espargner le sang de voz subjectz, avoient de rechef condescendu à leur confirmer, et mesmes amplifier, le libre exercice de leur relligion, espérant que de là viendroit quelque repoz à votre royaulme. Mais maintenant que vous avez trop de preuves que, pour le moindre souspeçon du monde, et à la plus légère occasion qui leur pouvoit venir, ilz recourront incontinant aux armes, sans qu'on les en peult aucunemant divertir, comme j'en pouvois en partye estre tesmoing pour avoir à cest effect esté dépéché devers la Royne de Navarre et devers Mr. le prince de Condé; et que par le moyen de leurs consistoires, et de la forme de procéder de leur relligion, ilz faisoient assemblée d'hommes, d'armes, de munitions de guerre, levées de deniers, et soublevoient en une heure, quant ilz vouloient, les provinces, et surprenoient les villes de votre royaulme, Voz Majestez avoient bien voulu, outre le moyen de la force, essayer encores d'autres remèdes propres pour interrompre et empescher leurs entreprinses, et pour ceste cause, aviez faict publier votre édict, du xxve de septembre, pourtant interdiction de n'y avoir autre exercice de religion dans votre royaulme que de la catholique, de laquelle Voz Majestez faisiez proffession, ayant en cela suivy l'exemple de la dicte Dame, qui, à son advènemant à la couronne, avoit seulemant laissé en ses païs le seul exercice de la sienne et mesmes n'avoit craint d'oster aux catholiques la leur, bien qu'ilz fussent en plus grand nombre et des plus grands de son royaulme, vous ayant ung de voz ambassadeurs, qui avoit résidé près de la dicte Dame, lequel je luy nommay, rapporté que elle mesmes luy avoit dict avoir esté meue et conseillée de ce fère pour esviter la division de ses subjectz, et garder que l'ung ny l'autre party peût fère pratiques ny menées contre son authorité. Ce que le Roy et Vous, Madame, luy aviez bien voulu fère représenter à part comme ung affère qui touche la grandeur des personnes de sa qualité, et dont ne pouvoit estre, si elle se souvenoit d'estre Royne, qu'èle n'en eust quelque ressentimant, et aulmoings qu'elle ne fust bien ayse que Dieu vous eust donné les bons moyens, que vous aviez, de demeurer les maitres; que pouviez fère estat de plus de xxiij mile hommes de cheval, et de plus de deux centz enseignes de gens de pied, pour vous en servir ès endroicts où vous aviez besoing de forces dans votre royaulme, avec grand regrêt, touteffois, que fussiez contrains de venir à ceste preuve, mais c'estoit pour ne voir qu'en puyssiez essayer de plus gracieuse; car cognoissiez la portée de votre estat, et aviez le soing de la conserver comme elle ne debvoit autremant juger du debvoir de Vos Majestez à aymer, ou estre bien aymez de voz subjectz, que de celuy dont elle avoit toujour uzé à bien vouloir et estre bien voulu des siens.
La dicte Dame me respondit qu'elle prenoit pour ung grand tesmoignage de votre amytié, et de l'estime que vous aviez de la sienne, de luy avoir faict donner si bon compte de vos présentes et plus importantes actions, de quoy elle vous mercyoit de tout son cueur, et qu'elle estimoyt que c'estoit encores des restes de la négociation de Mr. de Rênes, par lequel elle pensoyt toutesfois vous avoir mandé une si bonne response sur ce qui n'avoit esté bien entendu du message qu'elle vous avoit faict fère par son ambassadeur, qu'elle s'assuroit que vous en seriez demeurés contans, et qu'elle me vouloit franchemant dire que, dans son cueur, elle justifyoit Voz Majestez sur tout ce que, pour maintenir votre authorité, et pour avoir l'obéyssance qui vous est deue, vous avez entreprins en votre royaulme, estimant que vous portiez à votre estat et à vos subjectz la mesmes affection qu'elle avoit au sien et aux siens; et qu'elle ne vouloit tant présumer de la façon, dont elle avoit uzé à gouverner son estat, que vous en eussiez rien voulu imiter au vôtre; car encor que, du commancemant, estant meue du seul zèle de l'honneur de Dieu, et de sa consciance, elle eust estably, sans aulcung contradict, le règlemant de sa religion dedans son royaulme, souz lequel ses subjectz avoient despuys vescu en grand repoz, sans rien sentir de ces orages qui s'estoient eslevez tout à l'entour d'eulx, si ne pouvoit, à son advis, quadrer son exemple à celui dont Voz Majestez aviez présentemant uzé, car ne luy estoit jamais advenu de changer ces édictz, ny en la relligion, ny en autre chose, là où il sembloit que, pour contanter d'autres princes, vous n'aviez maintenant faict de difficulté d'abatre l'authorité des vôtres. Puys, bayssant la parolle, continua me dire qu'elle croyoit certainemant que les feuz roys, voz prédécesseurs et siens, et les autres princes et potentatz, qui avoient cy devant régy la chrétienté, avoient cognu, aussy bien que ceulx qui régnoient maintenant, que l'églize et la religion avoient heu, de leur temps, besoing de réformacion, mais n'y avoient voulu toucher, prévoyans que, quant cela viendroit, il admèneroit les troubles que nous voyons, et que, si son advis eust esté digne d'être receu de Voz Majestez, elle vous eust, du commancemant, conseillé que, puys que Dieu estoit invoqué en l'une et en l'autre relligion, que vous n'en eussiez jamais permis que l'une, mais puysque déjà vous aviez au proffit et instance d'ung grand nombre de voz subjectz ottroyé les deux, elle avoit opynion que, sellon le dire des anciens, encor que la loy en fust ung peu dure, que vous la debviez néanmoings avoir supportée quelque temps, et ne la rompre ainsi à l'appétit des ungs, sans avoir premièremant pourveu à l'intéretz des autres, mesmes en temps que les armes estoient desjà prinses, qui semblent, par là, estre maintenant dressées contre tous ceulx qui font proffession de mesmes relligion, et qu'elle ne le disoit toutesfois pour pourter davantage le faict de ceulx cy, car elle n'avoit obligation à eulx, ny espérance en leurs forces, s'appuyant seulemant sur la faveur de Dieu et de l'estat qu'èle tenoit de luy, et sur la bienvueillance que, par bienfaictz et bons trettemans, elle s'estoit acquise de ses subjectz, ny ne vouloit aussi par là taxer en rien l'ordre et sage conduicte de voz affères, ayant respondu à quelques ungs, qui disoient desirer que la France fust aussi bien governée qu'estoit l'Angleterre, qu'elle tenoit votre prudance pour trop plus esprouvée que la sienne, et que, si quelqu'autre prince, quel qu'il soyt, en la chrétienté, non que une simple femme, comme elle est, heust heu à démesler de telles difficultez que vous, il s'y fust possible, trouvé plus empesché, et, possible, fust tombé en plus d'inconvénians qu'il n'en estoit advenu à Voz Majestez, qui, pour toutes ces sublévations, guerres et doubteux combatz, n'aviez encores perdu un seul pied de terre; mais qu'elle m'avoit tout ouvertemant voulu dire son opynion sur ce que je luy avois proposé, bien qu'estant Royne, comme elle est, elle ne pouvoit en rien se sentir si conjointe ne si intéressée en la cause des autres, comme elle faisoit en celle de Vos Majestez, en laquelle vous pryoit croire qu'elle procèderoit, avec autant de bonne intantion et de droicteure, comme si elle avoit l'honneur d'estre une segonde mère du Roy.
Je ne vouluz entrer en reppliques, parce qu'ayant la dicte Dame faict son parler assez long, j'eusse outrepassé la mesure d'une audiance; seulemant la pryai de croyre que vous n'aviez prins les armes, ny faict votre édict, à l'appétit d'autres princes, et moings à l'instance d'aulcungs particuliers, mais que cela estoit procédé du seul mouvemant de Voz Majestez, qui ne prétandés autre chose par là, avec l'honneur de Dieu, que de restablir votre royaulme, et recouvrer l'obéyssance de voz subjectz, l'assurant, au reste, qu'elle trouveroit toute correspondance de bonne et ferme amytié en Voz Majestez. Et affin d'y procéder plus clairemant, je la supplioys qu'elle vous voulût fère entendre à quelle entreprinse elle dépeschoit ces quatre ou cinq navyres de guerre qu'elle avoit naguères faict armer.
Elle me respondit qu'elle ne faisoit doubte qu'on ne vous eust faict plusieurs rapportz là dessus, mais elle vous prioyt de croire que c'estoit seulemant pour l'occasion des marchandises, que ses subjectz avoient à porter et rapporter de Flandres, et pour la flotte qu'ilz avoient envoyée pour les vins à Bourdeaux, qui estimoient le tout estre en danger à cause des pirates, et Portugais, et de tant de gens de guerre, qui passent et repassent maintenant en ceste mer, dont n'avoit peu fère de moings que d'accorder à sesdictz subjectz quatre de ses navyres pour rendre la navigation assurée, et que ce n'estoit pour vous porter aulcung dommage.
De faict, Madame, la patante, qui a esté dépeschée à mestre Oynter visadmiral, pour la charge desdictz navyres, ne porte autre chose que cella. Bien ay je entendu qu'on luy a baillé une autre commission, à part, qui est seulemant signée de la main de la dicte Dame, en faveur de ceulx de la Rochelle.
Pour la fin, je dis à la dicte Dame, que je ne voulois conclurre mon audiance sans une très expresse recommandacion, que Vos Majestez m'aviez commandé luy fère, pour la Royne d'Escoce, et pour ses affères; ny sans la remercyer, de votre part, du secours qu'elle luy avoit prommis, si bon et si grand qu'elle n'auroit besoing d'en demander à nul autre prince, pour estre remise en son estat, dont la pryoys vouloir accomplir, par œuvre, ce qu'elle luy avoit promis de parole; affin que ceste princesse eust occasion de louer Dieu de la confiance et refuge, qu'elle auroit trouvé en la dicte Dame.
A quoy elle me respondit qu'elle délibéroit certaynemant donner tout le secours, qu'en bonne consciance et sans la maculer, elle pourroit à la Royne d'Escoce, et qu'elle ne voudroit, pour chose du monde, que ses paroles en cela vinssent à estre démentyes de ces effectz, et qu'elle accompliroit les promesses qu'elle luy avoit faictes, dont estoit après à fère voir le discours de son faict aux plus grandz et plus notables personnaiges de son royaulme, affin que, s'ilz la jugeoient estre en bonne cause, il ne luy fust rien espargné, de ce qui seroit en son moyen et puissance, pour la remètre en son estat. Aussy s'ils trouvoient qu'il ne fust ainsy, qu'on l'excusât si elle ne luy donnoit la consolation que son honneur et sa consciance ne luy pourroient permètre, et qu'elle supplyoit Voz Majestez de n'adjouxter foy à aulcung rapport qu'on vous fist de cest affère jusques à ce que, par son ambassadeur ou par quelque autre gentilhomme qu'elle envoyeroit exprès devers vous, elle le vous feroit entendre, estant la qualité de la personne et de la cause, dont il estoit question, si grandes qu'elles ne debvoient passer sans l'advis et approbation des plus grandz princes de la chrétienté.
Sur ce, en prenant congé de la dicte Dame, je luy dis que les yeux de toutz les gens de bien du monde estoient tournez sur les déportemans dont elle useroit au soulagemant des afflictions et adversités de ceste princesse, que Dieu avoit humiliée souz le reffuge de la bonté et humanité qu'elle avoit espéré trouver en elle. Et comme, en sortant de la chambre, je saluois le duc de Norfoc, elle le fit appeller, et les sieurs commissaires de cest affère, qui estoient venuz ce mattin de Londres, pour leur remonstrer quelque chose là dessus, lesquelz elle dépescha, le soyr mesmes, dont despuis ilz ont vacqué deux jours à leur commission.
J'ai bien voulu, Madame, vous rendre cest ample compte des propoz de ceste princesse, quasi au mesmes paroles et mesmes ordre qu'elle me les a dictz, affin que vous cognoissiez que je n'ay failli à voz commandemantz, et que puyssiez juger par iceulx ce qu'elle peult avoir en son intantion. Cepandant je prendray garde, tant quil me sera possible, à ses effectz; et prieray Dieu, etc.
De Londres ce ve de décembre 1568.
Ve DÉPESCHE
—du xe de décembre 1568.—
Victoires remportées en France par Monsieur, frère du roi, et par le duc d'Aumale.—Remontrances présentées à Élisabeth au nom de la reine d'Écosse.
Au Roy.
Sire, par voz lettres à monsieur de La Forest mon prédécesseur, du xxiiȷe du passé, lesquèles il a receues en chemin, et me les a envoyées icy, j'ay heu confirmation de la bonne nouvelle de ces deux victoires qu'il a pleu à Dieu vous donner, l'une en Guyenne par les mains de Monsieur, frère de Votre Majesté, et l'autre en Lorrayne, par les mains de Mr. d'Aumalle, toutes deux bien à propoz pour rellever voz affères en votre royaume, et pour leur donner repputation envers les estrangers. Je les ay représentées à ceste Royne en la mesme vérité de voz lettres, non du tout semblable à plusieurs autres récitz que je sçay qu'on luy en avoit faict, et luy ay dict qu'estimant Votre Majesté ceste journée n'apartenir à vous seul ains estre au commung proffit des autres légitimes princes de la terre, vous en aviez incontinant voulu fère part à elle, comme à votre principale alliée et confédérée bonne seur, ayant opynion qu'elle en recepvroit plaisir, tant pour la bonne affection qu'elle pourtoit à la prospérité de vos affères, que pour voir qu'il plaisoit à Dieu monstrer, à ceste heure, ung juste jugemant sur l'équité de votre cause contre aulcungs de voz subjectz, dont espériez que l'exemple en serviroit aussy à contenir les siens. A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'elle louera toujour Dieu des bons et heureux succez de voz affères, mesmes en ce qui reviendra à la conservation de votre grandeur et authorité sur voz subjetz, qui ne pouvoit estre que cecy ne servyst aulcunemant à establir et confirmer l'obéyssance des autres princes sur les leurs, bien que pour son regard elle n'estoit en aulcune peyne ny deffiance des siens, et qu'elle vous mercyoit grandemant du soing que Votre Majesté avoit heu de lui en fère entendre le discours, qui ne l'eussiez peu mander à personne de ce monde qui en receût plus de plaisir qu'elle faysoit, bien qu'elle ne vouloit laisser de me dire, qu'encore qu'elle n'eust aucune pratique ny cognoissance en France, si avoit elle tant ouy parler de la beauté de ce royaulme, et des illustres races et grand noblesse d'icelluy, qu'elle avoit ung très grand regrêt d'en entendre ainsi la désolation et les grandz meurtres que s'i commettoient; et qu'elle heust voulu de bon cueur que Vos Majestez heussent bien prins la bonne intantion dont elle avoit uzé à procurer la paix: mais ce seroit quant il plairoit à Dieu, qui en la fin y feroit venir, comme elle espéroit, beaucoup de bien de tant de maulx que les hommes y commettoient. Je luy ay reppliqué que Voz Majestez avoient essayé toutz autres moyens pour cuyder esviter ceulx cy, mais qu'enfin vous aviez esté contraintz de recourir à ces extrêmes remèdes, lesquelz espériez que seroient salutaires à vous et à votre royaulme.
Or, Sire, le seul bruyt qui estoit desjà venu, bien qu'incertain, de ces victoires, le xxe du passé, avoit engendré je ne sçay quel changemant aux volontés et délibérations de ceulx cy, qui commençoient, en aulcunes choses, procéder plus considéréemant ez affères de la Royne d'Escoce, et aller, en d'autres, plus retenuz envers le conseiller Cavagnies, qu'ilz n'avoient encores faict. Ce que sentans, de leur costé, les parties adverses de la dicte Royne d'Escoce, ils ont uzé d'une extrême sollicitation et dilligence, ces jours passez, envers leurs commissères, pour fère déterminer aucungs pointz qui seroient de grand préjudice à la dicte Dame, s'ilz se résolvoient par l'opynion de ceulx qui ne veulent son bien. Et le dict Cavaignes ayant mis grand peyne d'amoindrir, tant qu'il a peu, voz victoires, pour soustenir la réputation des affères de monsieur le prince de Condé, a vifvemant procuré que certain eschange de séel, qu'il a offert pour des pouldres et salpêtres se conclûd; mais ny l'ung ny l'autre n'a encores obtenu sa demande, bien que je ne fays doubte que bien tost ilz n'y parviènent, parce que ceulx qui ont icy plus d'authorité portent grandemant leur faict. Et Mr. le cardinal de Chastillon a esté le iiȷe de ce mois à Antoncourt pour tretter de ces choses de France, et aussy de Flandres, avec ceste Royne, laquelle estant sortye, ce jour, à la volerye, il l'alla trouver aux champs, et le principal propos, qu'à ce que j'entends, il luy tinst, fust de la persuader qu'elle ne voulût se descourager, ny mal espérer de la fin de ceste guerre, et qu'elle print confiance de l'équité de la cause, de la valleur et prudance de ceulx qui la conduysent, et des bons moyens qu'ilz ont de la soustenir. Je croy que tout cella n'esmeuvera davantage ceste princesse, et qu'elle attandra aulx évènemans et effectz, que le temps et les armes conduyront.
Mestre Oynter, avec les iiij grandz navires de la dicte Dame, estoit encores, le vȷe du présent, à Plemmue. L'on m'a dict que Chatellier Portault en estoit party le vij, avec vj vaisseaulx équippez en guerre, et qu'il manda à ceulx qui luy ont presté de l'argent pour les armer, qu'il les payeroit bien tost des prinses qu'il feroit en ce voyage. J'entendz qu'il a esté rapporté à ceste Royne qu'aucungs de ces gentilshommes anglois, qui estoient allez pour leur plaisir trouver monsieur le prince de Condé, avoient esté prins en quelque rencontre, et qu'on les avoit faict pendre, de quoy elle estoit si marrye qu'elle avoit dict qu'elle s'en vengeroit. Je mettray peyne de sçavoir mieulx la vérité de ce propoz. L'on a faict en ceste court, parmy les seigneurs, une cueilhète de cent livres esterlin, qui sont environ trois centz trente trois escus, pour l'entretènemant des ministres estrangers, qui sont passez de France, et de Flandres, en ce pays, et les deniers ont esté mis ez meins de trois, nommez Cousin, Roches et Meynier, pour les distribuer aux autres.
Les depputez de la Royne d'Escoce, ayant veu la presse et instance que les parties adverses, comme j'ay dict cy dessus, ont faict, toutz ces jours, pour fère recepvoir les faictz par eulx proposés contre elle, affin d'estre admis à les vériffier, ont craint qu'ilz fussent en cella pourtez par aulcungs des commissères plus principaulx, et, à ceste cause, ont présenté une remonstrance par escript à la Royne d'Angleterre, pourtant deux chefs, l'ung qu'elle, estant Royne sur beaucoup de subjectz, ne souffrît que des subjectz levassent ainsi des calompnies contre leur Royne, mesmes qu'elle avoit prommis à la Royne d'Escoce de n'escouter jamais ses rebelles que, premièremant elles deux n'eussent parlé ensemble. En quoy sembloit que la dicte Royne d'Escoce avoit occasion de se plaindre de ce que si favorablemant elle les avoit desjà ouys, mesmes que leur dicte maitresse ne leur avoit baillé aulcung pouvoir de respondre à leurs dictes calompnies, ny d'entrer en rien de connivant avecques eulx. Et que la dicte Royne d'Angleterre, pour le debvoir de sa royale grandeur envers celle de la Royne d'Escoce, qui estoit de semblable qualité et sa proche parante, voulût fère arrester prisonniers lesdictz adversaires, comme crimineulx de lèze majesté, pour avoir trop dict, et trop escript, et trop prononcé de mal contre leur souverayne. L'autre chef de leur dicte remonstrance portoit, qu'estant question du faict apartenant à la repputation, et à l'estat de leur Royne et Maitresse, ilz requerroient que la Royne d'Angleterre luy donnât lieu et moyen de venir en ceste ville de Londres pour tretter, et comuniquer, en personne, avecques elle de ses affères, comme avec sa bonne seur, sans approuver toutesfois que la cognoissance d'elle, ny de ses dictes affères, apartînt en rien à la dicte Royne d'Angleterre, bien que, pour plus grand esclarcissemant de son innocence, elle n'auroit que bien agréable que toute la noblesse d'Angleterre, et les ambassadeurs de France et d'Espaigne, y fussent présens. A laquelle remonstrance ayant la dicte Dame, d'elle mesmes, voulu fère quelques responses de reffuz, et luy ayant l'évesque de Ros vivemant incisté par raison de droict et de justice, elle enfin luy a dict, qu'ayant esté toutjour son intantion de procéder en l'endroict de la Royne d'Escoce, sa bonne seur, comme elle pryoit Dieu de procéder envers elle, elle remettoit à ceulx de son conseil la dicte remonstrance comme ung affère très important, avec commandemant que la raison et équité y fussent entièremant suyvies. Et ainsi, les commissères se sont rassamblés trois fois despuys huyct jours, et ont envoyé aulx advocatz, et gens de loi de ceste ville, entre autres au conseiller Cavagnies, des articles qu'ilz ont tiré de la dicte remonstrance, affin d'en avoir leur advis; et, par lesdictz articles ilz prétandent inférer que la dicte Royne d'Escoce demande estre ouye, en personne, devant la Royne d'Angleterre, n'aprouvant toutesfois sa juridiction, et que ce soyt en la présence de la noblesse d'Angleterre, et des ambassadeurs de France et d'Espaigne, en ceste ville de Londres. Sur lesquelz articles j'entendz que lesdictz advocatz ont escript aucunes raisons de droict pour attribuer la juridiction de la personne, et de la matière, à la dicte Royne d'Angleterre, et estiment ceste volontaire offre de la dicte Royne d'Escoce d'estre ouye si importante qu'ilz sont d'advis qu'on luy concède tout ce qu'elle requiert, pourveu que ne soyt au préjudice de la grandeur et authorité de la dicte Royne d'Angleterre, affin qu'on n'ait que dire de la façon qu'on aura procédé en ceste affère, tant y a qu'on obtiendra mal aysémant que la dicte Dame vieigne tretter, icy, en personne, de ses affères. Ses depputez s'employent à deffendre vertueusemant sa cause, mesmemant l'évesque de Ros, Milhor Herys et le sieur de Bethon, et heust esté bon, comme j'ay escript par mes précédantes, que quelque suffizant advocat heust esté icy pour leur ayder à desduyre encores mieulx ses droictz, affin de garder que les commissères n'entreprinssent plus avant sur iceulx qu'il n'est loysible de le fère; mais semble qu'il ne seroit plus à temps d'en envoyer à ceste heure, ung de Paris, car les parties, des deux costez, pressent d'avoir l'expédition de ceste conférance dans viij jours, mesmes qu'il s'entand que, pendant leur absance par deçà, la guerre s'est renouvellée en Escoce, ayant le secong filz du duc de Chatèlerault surprins quelques chateaus et se préparans les contes d'Arguil et de Hontèle, et le sieur de Seton, qui est despuys naguyères sorty du chateau de Lislebourg, à quelques nouvelles entreprinses, à quoy le comte de Mora se haste d'aller remédier, s'il peust. Il semble qu'on n'ait trouvé, icy, le comte de Mora si facile qu'il ait voulu condescendre à chose qui peult torner à la diminution de la couronne d'Escoce, ny au préjudice du petit prince du pays, ny contre l'alliance qu'ilz ont avecques la couronne de France. Je prendray garde à ce qui surviendra à ceste affère, et autres, qui toucheront icy votre service, affin d'en donner ordinairement advis à Votre Majesté, à laquèle je bayse très humblemant les mains et prye Dieu, etc.
De Londres ce xe de décembre 1568.
Ainsi que je fermois la présente, l'on m'est venu advertir que Me. Oynter estoit party dès hier mattin de la coste de deçà, et avoit prins la route de la Guyenne. Je mectray peyne d'en sçavoir le certain.
A la Royne.
Madame, par mes précédantes, du ve du présent, Voz Majestez auront veu les responses que ceste Royne m'a faictes sur ce que m'avez commandé luy dire, et comme elle a monstré, en toutz ses propoz, de n'avoir rien moings en volonté que de vous commancer ouvertemant la guerre, dont je ne fays doubte que les deux victoires, qu'il a pleu à Dieu vous donner, l'une par le bonheur et conduicte de Monsieur, filz et frère de Voz Majestez, et l'autre par celles de monsieur d'Aumalle, ne la facent encores mieux résouldre de persévérer en la paix, que Dieu luy a donnée avec Voz Majestez. Elle receut la nouvelle desdictes victoires par ung des gens de son ambassadeur, qui est en France, lorsque j'estois encore dans sa chambre; mais elle, ny pas ung de ces seigneurs, ne m'en firent ung seul mot, tant que je fus à Antoncourt: bien sembla que le dict ambassadeur luy en heust escript assez à l'incertain, car aucungs des siens envoyèrent despuys devers moy pour sçavoir si j'en avois lettre, dont ay esté très ayse d'avoir en main tenant de quoy pouvoir fère le vray discours du tout à la dicte Dame, sellon le contenu de voz dernières, laquelle a monstré, et en paroles, et en contenance, qu'elle en estoit bien fort ayse, et qu'elle ne pouvoit par ce bon commancemant que bien espérer de l'yssue de vos affères, donnant beaucoup de louanges à Monsieur, et projettant beaucoup de grandeur et plusieurs hautes entreprinses de luy à l'advenir; et j'ay adjouxté à sa valeur aux armes, la perfection des autres dons et grâces, dont Dieu avoit voulu orner et embellir l'esprit et la personne de mon dit Sieur, ce qu'elle a escouté fort volontiers. Et a respondu toutes choses à sa louange, comme je l'escrips à mon dit Sieur, vous suppliant très humblemant, Madame, commander que la lettre luy soyt envoyée, en laquelle je luy fays aussy mention que ceste nouvelle a assez esmeu ceste court, et tout ce païs, n'ayans peu les bons, qui désirent la prospérité de Voz Majestez, se garder qu'ilz ne luy en ayent avecques joye donné mille bénédictions, et au contraire, ceux qui veulent notre ruyne en sont demeurez bien estonnez, qui célébroient auparavant l'armée de monsieur le prince de Condé estre si forte, et les cappitaines qui y commandent si vaillans et expérimantez, que rien ne pourroit durer à eulx, et que ce ne seroit peu, à leur dire, que d'oser attandre mesmes en lieu bien avantageux sa venue, non que d'affronter son armée comme Monseigneur a faict, rompre ses gens de pied et luy oster son lougis. Et à ce que aulcungs, pour luy amoindrir sa victoire, avoient faict courre ung bruyt que ce n'estoit qu'ung rencontre, où il estoit mort environ v cens hommes de pied des leurs et bien iiȷe des nôtres, j'ay pryé la dicte Dame de croyre que non seulemant ce que je luy en avoys dict estoit très véritable, mais que bien tost elle verroit, soubz votre bonne conduicte et souz la bonne fortune du Roy et bon heur de mon dit Sieur, advenir tant d'autres bons succez que ceulx qui les déguysoient seroient en fin contraintz de les croyre, et nous d'en louer Dieu.
Aucungs personnages de discours, voz serviteurs, qui sont icy, craignent que certaine entreprinse, qu'ilz ont entendu avoir esté exécutée par les soldats de Metz sur une ville et chateau du duc de Deux Pontz, ne soyt prinse à mal de tout l'estat de l'Empire, n'ayant le duc d'Alva voulu entreprendre de poursuyvre sa première victoire, qu'il a heue contre le conte Louys de Naussau, un seul pas dans les terres impériales, et estiment qu'il sera bon de n'attempter rien, pour encores, de ce costé, et qu'on remette à ung autre temps la vangeance des tortz que les Allemans nous font, affin de n'attirer plus de guerre de ne mètre les princes de l'Empire contre Vous, qui sont toutzjours ligués à la deffence les ungs des autres. Une partye de l'argent qu'on envoyoit d'Espaigne au duc d'Alva est arrivée, à saulvemant, en Anvers, et le reste est encores en quelques navires qui sont à Plemmue, pour la seure conduicte desquelz ceste Royne a mandé à aulcungs de ses cappitaines de mer qu'ilz ayent à leur fère escorte, quant ilz seront prêts à partir. Je bayse très humblemant les mains de Votre Majesté, et prye Dieu, etc.
De Londres ce xe de décembre 1568.
VIe DÉPESCHE
—du xve de décembre 1568.—
(Envoyée par Robert Vauquelin jusques à Dièpe.)
Départ d'une expédition maritime.—Conseil dans lequel a été agitée la question de la guerre contre la France.—Consultation sur six articles prétendus tirés des remontrances de la reine d'Écosse.
Au Roy.
Sire, pour vériffier ce que, par postille, j'ay adjouxté à mes dernières, du xe du présent, touchant Me. Oynter visadmiral d'Angleterre, j'ay, despuis, envoyé sçavoir, au vray, s'il estoit encores party de la coste de deçà: et m'a esté rapporté, Sire, que, pour certain, il a faict voile avec les iiij grandz navires de ceste Royne, et disent aulcungs que c'est vers la Guyenne droict à la Rochelle, pour consigner au prince de Condé les canons, poudres et munitions, dont cy devant je vous ay amplemant escript. Autres disent qu'il est allé relascher derechef vers le cap de Cornaille à Falamue, d'où n'y a qu'ung traject jusques à la Rochelle. Autres veulent présumer qu'il est allé à Blaye. Quoy que soit, Chatelier Portault estoit, de bien peu de temps, party devant luy de Plemmue, avec six petitz vaisseaulx équippez en guerre, où il y a de quatre à cinq cens, que François, que Flammens, et peuvent estre, en tout, tant de mariniers qu'autres, en ceste flotte, environ mille ou xȷe hommes; mais n'y a assez d'Anglois pour mectre en terre, ny mesmes suffizant nombre pour la garde et conduicte desdictz grandz navires. Je n'ay encores descouvert davantage de leur entreprinse que ce que je vous en ai mandé, le xxixe du passé, tant y a que plusieurs argumans me confirment de croire que ceste Royne n'entreprandra, pour encores, de vous fère ouvertemant la guerre; premièremant, pour ce qu'elle a ung meilleur object où adresser ses entreprises dedans ceste mesmes isle, trop plus aysé et moings dangereux pour elle que ne seroit cestuy cy, qui est l'Escoce, où elle et les siens monstrent avoir grand affection d'y fère, sur la présente occasion de leurs troubles, leurs besoignes. Puis il semble que le principal chef Onniel[38], lequel a esté déclairé nasguières successeur de l'autre grand chef Onniel dernier décédé, apreste à la dicte Dame en quoy entendre en Irlande, ayant desjà faict amas de gens pour rebeller le païs, de sorte que d'icy l'on envoye gens à mylor Sidene, gouverneur d'Irlande, pour y remédier, et le comte d'Ormont s'apreste pour y passer du premier jour. Il est vrai que ceulx cy ne font grand cas de ceste révolte, mais le principal argumant où je me fonde est que j'ay entendu, d'assez bon lieu, qu'après que le conseiller Cavagnies et les messagers du conte Palatin, du duc de Deux Pontz et du prince d'Orange, ont esté ensemblemant et séparéemant ouys, et qu'ilz ont heu pressé ceste Royne, et ceulx de son conseil, de se déclairer en la cause desditz princes, remonstrans qu'elle et eulx avoient double intérest de s'y joindre; premièremant pour leur religion qu'ilz avoient commune, et dont la conscience les obligoit toutz ensemble de la deffendre, et puis pour chasser les Espaignolz des Païs Bas, lesquelz, s'ilz y prènent une fois pied, et y establissent leur domination, ne seront moings molestes à l'Angleterre que au reste de la basse Germanye, et n'y laisseront les privilèges des Anglois si entiers comme s'ilz en estoient déhors.
Il a esté proposé en ce conseil si l'on debvoit ouvertemant commancer la guerre à la France, ou bien demeurer en la paix qu'on a avec elle; car, quant aux Païs Bas, ceulx cy trouvent assez d'excuses de n'y toucher aucunemant. Sur quoy aulcungs ont remonstré qu'à cause des empeschemans que le prince de Condé, et ceulx qui luy viennent d'Allemagne, pourront donner à Votre Majesté dans le pays, il ne pourra estre que vos costes et frontières de mer de deçà ne demeurent aucunemant despourveues, de sorte qu'il leur sera aysé d'empourter quelque place, laquelle, possible, leur fera ravoir Callais; et qu'au moings, on debvoit promptemant armer toutz les grandz navires de la dicte Dame pour se fère maistres de ceste mer, par où l'on pourrait pourter faveur à ceulx de la nouvelle relligion, qui menoient la guerre quasi sur le bord d'icelle, et se revancher au moings des maulx et prinses que les François leur ont faictes, et qu'il y avoit plusieurs particuliers qui forniroient deniers, et armeroient à cest effect des navires à leurs despans. Mais Me. Cecile, encor qu'il favorise extrêmemant ceulx de la nouvelle relligion, a respondu qu'il failloit bien pezer une telle entreprinse, et, avant fère à bon escient l'ouverture de cette guerre, regarder si la cause en seroit légitime, et si l'on auroit moyen de la maintenir, estant besoing, avant toutes choses, de bien justifier l'ung, et avoir faict tout à loysir de bons préparatifs pour l'autre; avec ce, qu'il estoit à craindre que commanceant, à ceste heure, une guerre bien que utille et bien fondée contre la France, il ne leur en vînt encores une autre sur le bras du costé d'Espaigne, et qu'il ne sembloit qu'en France, ny en Flandres, les choses allassent en façon que la Royne, leur maitresse, deût estre guyères conviée de s'en mesler, ny d'entrer pour ce regard plus avant en despence, bien estoit d'advis qu'elle usast par parolles, et autres moyens, d'aucunes bonnes démonstrations, pour favoriser ceulx de sa religion, et tenir les autres, qui portent les armes contraires, en quelque suspens. Laquelle opinion a été suyvie des contes de Leyster et de Pemtrot; conforme, à mon advis, à l'intantion de la dite Dame; et ainsi, le dict Cavaignes et les messagers des princes sont demeurez sans résolution, avec seulement quelqu'espérance que leurs maitres ne seront abandonnez de ce qui se pourra faire pour eulx par deçà, que j'estime sera de quelque crédit de ceste Royne, et de ce que, secrètement, et sans se déclairer, elle pourra aider leurs entreprinses.
Aussi estoit advenu peu auparavant qu'un sire Jehan Paulard, tenant propos en une des principales tables de ceste court, du voyage qu'ung Me. Henry Chambrenant, son parant, fils du visadmiral de Cornaille, personnage assez estimé de deçà, avec d'autres gentilsomes anglois avoient faict, pour leur plésir, en ceste guerre de France devers le prince de Condé, dict qu'il n'avoit voulu laisser passer une si belle entreprinse, et si digne de gens de leur relligion, comme celle du prince de Condé, sans y aller acquérir de la repputation aux armes, pour sçavoir quelque jour fère meilleur service à leur maitresse; et ung des grands, qui estoit là, voulant couvrir le dit voyage, luy respondit qu'il ne sçavoit bien la cause pourquoi ces gentilshommes anglois avoient abordé en France, que ce n'avoit esté que par force de temps, et ne s'y estoient arrestez que pour refère leurs vaisseaulx, et pour fère, pendant qu'ils estoient sur le lieu, quelque provision de bon vin pour eulx et pour leurs amys. Et comme, ce soir mesmes, eust esté rapporté à ceste Royne qu'aucungs des dicts Anglois avoient été prins en ung rencontre, et qu'on les avoit incontinent faict pendre, dont elle avoit dict en colère que ce n'estoit acte de gens de guerre, ains de borreaulx, et qu'elle s'en vengeroit; deux des principaulx de son conseil luy respondirent qu'elle debvoit mettre cela sous le pied, sans en fère semblant, parce que les trettés de paix permettoient à Votre Majesté d'en user ainsi, et qu'on ne debvoit penser que vous les feissiez moins rigoureusement tretter que les subjects naturelz, qui portent les armes pour le prince de Condé, desquels ne faillioit doubler qu'on n'en feît autant pendre qu'il s'en pourroit attraper: à quoy elle acquiessa aysément. Qui sont toutz argumans qui me font juger que ceulx ci n'ont aucung dessain de guerre ouverte, pour le présent, contre Votre Majesté; et qu'ilz attandront quelque bonne occasion pour eulx de la vous commancer, ne faisant doubte, si voz affères alloient fort mal, que la mauvaise affection que, possible, ils nous portent ne leur en fît bientost trouver quelcune.
L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, avec lequel j'ay bonne intelligence, m'a mandé, ce matin, qu'il s'en alloit trouver ceste Royne, pour, entre autres choses, luy fère une bien vifve remonstrance de la part du Roy Catholique, son maitre, qu'elle n'ait à vous travailler, ny molester, en façon du monde, durant ceste guerre, que vous avez avec vos subjets; et que desjà, de lui mesmes, avant que son maitre luy en eust rien mandé, il avoit faict cest office, et, à son retour, il me fera entendre la response de la dicte Dame; laquelle, avec tout ce qui sera survenu de nouveau, je vous feray entendre par mes premières, ensemble ce qui surviendra d'Escoce, ayant quelque advis, bien que non encores assez certain, que les contes d'Arguil, d'Haran le jeune, d'Hontele, d'Atel, et mylor de Seton se sont jointz contre le conte de Mora, lequel est ici, et qu'ils l'ont desjà faict publier traitre et rebelle, et ont prins ses maysons. Sur ce, etc.
De Londres ce xve de décembre 1568.
A la Royne.
Madame, je ne vous ennuyeray de redite sur les particularitez que j'escrips présentement en la lettre du Roy, et feray ceste cy de tant plus briesve qu'il ne s'offre, pour ceste heure, autre chose que cela, qui soyt digne d'en rendre compte à Vos Majestés, seulement adjouxteray que les propos, que m'avez faict tenir à ceste Royne, semblent l'avoir rendue aucunement bien disposée en l'endroit de vos présente affères, et j'en ay fait part du tout au conte de Leyster, qui m'a monstré ne porter en son cueur le faict de ceulx qui ne vous rendent toute obéyssance. Vous pouvez penser, Madame, que ces messagers des princes, dont je fais mencion en la lettre du Roi, ne cessent de presser et solliciter vivemant ceste Royne en faveur de ceulx qui les ont envoyés, et que la présence de Mr. le cardinal de Chastillon leur est une grand assistance pour impétrer d'elle ce qu'ils demandent, dont semble estre assez requis qu'il vous plaise me fère administrer de quoy pouvoir plus souvant demander audiance à la dite Dame, que je n'ay argumant de moy mesmes de l'ozer fère, ou soyt pour luy rendre compte de ce qui succède chascung jour en France, ou de ce qui survient d'ailleurs, ou bien d'autres occasions, affin qu'avec ces entretènemens, qui certes sont deuz à la paix et amytié qui est entre Vos Majestez, je la puisse toutjours contenir de ne se déclairer plus avant qu'elle ne doibt pour l'entreprinse des autres; car despuys que suys icy je n'ay heu ung seul mot de lettre de Voz Majestez, ny mesmes aucung adviz si avez receu cinq dépesches, que je vous ay faictes du xvıe de novembre en çà, en quoy, oultre que les choses sur lesquelles je vous ay requis de me faire entendre votre commandement restent imparfaictes, je demeure encore sans adviz, et comme assez confuz des autres affaires que je debvrois, d'heure en heure, négocier pour votre service, bien que je ne me rende pour cela ny moings diligent ni plus paresseux en icelles.
Au surplus, Madame, entendant que ceulx de ce conseil avoient envoyé devers les advocatz et gens de lettre de ceste ville pour avoir leur adviz sur le faict de la Royne d'Escoce, j'ay mis peyne de sçavoir en quoy ils prétendent terminer ses affaires, et ay trouvé, par les raisons du droict, que les dicts advocatz ont données, qu'ilz se veulent attribuer beaucoup plus de jurisdiction sur ceste princesse qu'ilz ne doibvent, comme verrez par les dictes raisons, les quelles je vous envoye, bien que je pence que ceste procédure demeurera interrompue à cause de certayne remonstration que les depputez de la dicte Dame ont faict de nouveau; et aussi, parce que les armes, à ce que j'entendz, sont desjà si aspremant reprinses en Escoce, que le comte de Mora n'aura loysir de parachever icy la poursuite.
Il y a icy ung françois, nommé le Sr. de Perlan, qui est des gardes du Roy de la compaignie de Mr. de Cossé, lequel Mr. le maréchal de Dampville a envoyé par deçà avec des montures pour le comte de Leyster, qui vous supplye très humblement le faire excuser de son service pendant sa demeure par deçà, le retenant le dict comte pour renvoyer quelques bestes, qu'il attend d'Irlande, audit sieur Maréchal, et par ce qu'il mect peyne d'estre cependant utile en tout ce qu'il peult au service de Voz Majestez, je vous supplye le gratiffier en sa requête, et je prieray, etc.
De Londres, ce xve de décembre 1568.