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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, tome premier: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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CONSULTATION.

De la Proposition que les depputez de la Royne d'Escoce ont présenté, au nom de leur Maitresse, à la Royne d'Angleterre, et la quelle elle a renvoyé aux Seigneurs de son conseil, iceulx Seigneurs ont tiré six articles par les quels semble qu'ilz prétendent attribuer la jurisdiction du faict à leur Maitresse, et ont demandé sur ce l'advis des advocatz et gens de lettre de ceste ville.

LES DICTZ SIX ARTICLES SONT:

1. Que la Royne d'Escoce demande estre ouye personnellement en sa cause;

2. N'advouant toutesfois qu'autre que Dieu ayt jurisdiction sur elle;

3. Et qu'elle puysse desduyre son faict devant la Royne d'Angleterre, sa bonne sœur;

4. En présence de la noblesse du dict pays d'Angleterre;

5. A ce assistans les ambassadeurs de France et d'Espaigne;

6. En ceste ville de Londres.

L'ADVIS DES ADVOCATZ EST:

Quant au premier, qu'il est très raysonnable que chascung soit ouy en sa cause, nonobstant la constitution du droict canon par la quelle le juge, qui a entière et certaine vérification du faict, et qui estime que le criminel n'a que dire au contraire, le peult condempner absant; et nonobstant aussy l'authorité que le pape s'est attribuée de pouvoir juger et dispenser les absans; car cella est contre tout droict divin et humain, n'ayant Dieu mesmes voulu condempner Adam ny Eve, ni ceulx de Gomorre, absens, sans les ouyr, encor que leurs délitz luy fussent par trop cognus et manifestes:

Mais que la protestation, quant au segond, est ridicule, car cella n'a jamais lieu sinon quant ung criminel, par peur de prison ou d'autre supplice, craint d'estre contrainct de respondre devant un juge; mais en ce faict, où le criminel demande volontairement estre ouy, il admet et approuve taysiblement la jurisdiction de celuy par devant qui il demande estre ouy et respondre. Autrement cela serait semblable à une comédye sur ung théatre, que, la contestation de la cause ouye, jugemant ne s'en peult ensuyvre, et vaudroit autant proposer la question de Thiestes et Orestes.

Le troizième semble fort raysonnable, car ce n'est d'aujourd'huy que les Roys se sont assis pour juger, ains anciennemant les Rois et Empereurs estoyent les vrays juges ez matières mesmemant qui concernoient d'autres Roys, comme est ceste cy, ainsi que Dejotarius voulut estre jugé par Cæsar mesme, et non par autre; et n'inporte que le sexe semble excuser de tel office la Royne d'Angleterre, car estant Royne héréditaire elle a authorité et puyssance de Roy, mesmes en la justice, ainsy que Dethbora, Royne des Israélites, l'exemple de la quelle suffize sans en admener d'autres, mesmes que la Royne d'Angleterre est ornée de sçavoir, de piété et de plusieurs autres grands dons de Dieu, par les quelz elle régit et modère paysiblement son estat avec admiration de tout le monde. Mais s'il est ainsi, diront aulcungs, qu'elle ait à juger ceste cause, elle ne peult honestement dényer à la Royne d'Escoce sa requeste, qu'elle puysse venir desduyre sont faict devant elle; mais à ceulx là peult estre briefvement respondu qu'estant la dicte Royne d'Angleterre dame souveraine en son païs, ne dépendant de personne, elle peut dényer et accorder ce que bon luy semblera, et encores de tant que pour son honnesteté et vertu elle a coustume ne rien fère que par advis de son conseil affin qu'il soyt approuvé d'un chascung, son dict conseil sera d'advis, sellon droict et raison, qu'elle garde en cella la coustume de son royaulme, par laquelle, de tout temps, l'on a veu observer que le Roy na jamais esté juge ès causes criminèles; ains a toutjour constitué juges ayant plaine liberté de consciance pour juger sellon icelle: avec ce, que la Royne d'Escoce ne demande que la Royne d'Angleterre soyt juge en ceste cause, mais seulement spectateur d'icelle, sans authorité d'en décider, ce que, encor qu'il soyt ridicule, néanmoings la Royne d'Angleterre a juste occasion par là de s'excuser, si bon luy semble, d'y assister en personne, et suyvre en ce jugement, comme ez autres, l'ancienne façon de son royaulme et de ses prédécesseurs, ou bien uzer comme le Roy de France, le quel, quant il ordonne des juges en cas de grand importance, en matière de crimes, il veult voir la sentence ou arrést avant estre prononcé, affin de l'approuver, ou changer, ou dimynuer en quelques pointz, sellon qu'il luy semblera, ou qu'il trouvera, par l'advis de la cour où il le communiquera, se debvoir faire.

N'y a raison au quatrième article de requérir que la noblesse du païs soit présente, car ny de coustume, ny de loy, les seigneurs sont accoustumez d'assister à tel jugemans, et de tant que l'affaire sera de longueur grande, il reviendroit à une peyne et fascherie inestimable de retenir si long temps ce grand nombre de seigneurs de tant de divers et loingtain païs. Bien pourra la dicte noblesse, à la requête de la dicte Royne d'Escoce, eslire certain nombre d'entre eulx pour assister à ceste cause ez lieux deuz et comodes, car d'assister par tout, il seroit absurde de le requérir par ce que, de droict, les juges peuvent et doibvent se retirer, quelquefois et souvant, à part entre eux, pour aucunes particulières occasions.

Aussi peu de raison a le cinquième article que les ambassadeurs assistent à l'affaire, car cela est en vain et superflu, de tant qu'en tout jugemant de cause il n'y a que le demandeur, le deffendeur, le juge, le greffier et les tesmoings. Or, ne sont-ilz ne l'ung ne l'autre, et n'y peuvent estre appellez, pour occasion que soyt, que comme un infinité d'autres, c'est assavoir, espectateurs de la fable, au quel cas on leur pourra permètre s'y trouver en lieu, où publiquemant chacun sera souffert.

Touchant ce que, par le vȷe article, elle desire que ce soyt à Londres, sa demande n'est inpertinante d'autant que c'est l'ancien pallais des Roys et siège de la justice, et d'aller ailleurs luy seroit suspect, aussy qu'en ce lieu elle aura comodité de gens de sçavoir et de conseil, comme est requis en cas de telle inportance, et n'est lieu récusable à nulle des parties. Il est vray que le dict lieu est à estre observé en la prononciation de la sentence diffinitive, mais n'inporte où l'instruction du procès soyt faicte, car la Royne d'Escoce pourra, pour ce regard, appeller les gens de sçavoir et de conseil de Londres ailleurs, et le bruyt de peste pourra servir d'occasion légitime de donner autre lieu pour la procédure, si ainsi semble bon.

PUIS EST ADJOUXTÉ:

Nous estimons ceste volontaire offre d'estre ouye si importante que sommes d'advis qu'on luy concède tout ce qu'elle demande; ne contrevenant en rien à la Royne d'Angleterre, et ne préjudiciant à Sa Majesté, affin que personne n'ait que dire de la façon de procéder qu'on aura tenu en cette affaire.

VIIe DÉPESCHE

—du xxıe de décembre 1568.—

(Envoyée par Jehan Vallet à Calais.)

Détails sur l'expédition maritime.—Déclaration d'Élisabeth à l'ambassadeur d'Espagne à l'égard de la France.—Affaires d'Écosse.

Au Roy.

Sire, je n'ay receu, jusques au xviiȷe du présent, celles qu'il vous a pleu me faire du ve, à cause que le passage a esté empesché, six ou sept jours durant, par les neiges et broillardz, que nul ne s'est ozé mettre en mer, et croy que cella aussi aura esté cause que Votre Majesté n'aura si tost receu les miènes dernières, du xve de ce mesme mois, par les quelles je vous donnois certain advis du partemant de quatre grands navires de ceste Royne soubz Me. Oynter, et de six autres petitz vaysseaulx équippez en guerre souz Chatellier Portault et souz le cappitaine Sores; aux quelz j'ay entendu, Sire, s'estre despuis joint ung pirate anglois, nommé Bos, avec quatre autres petitz navires de guerre; et que certain pirate, aussi Anglois, nommé Forbouche, s'apreste pour le suyvre, mais le nombre tant de François, Flammans que Anglois, qui sont en toute ceste flotte ne monte à plus, comprins les mariniers, que à mille ou xiic hommes, et de ceulx là n'y a point d'Anglois pour mettre en terre. Les officiers de Plemmue se sont mis en debvoir, ainsi qu'on m'a dict, de faire bailler pleige au dict Bos, et en demandent aussi au dict Forbouche, à la requête des marchands de ce païs, qui monstrent estre fort desplaisans de ces pilleries, qui se font sur voz subjectz, ayant entendu que leur flotte, qu'ilz avoient envoyée à Bourdeaulx pour le vin, a esté bien receue, et qu'elle s'en revient sans empeschement avec la provision des dicts vins. Dont une autre flotte, d'envyron lxx navires, entendant cella, est partie en équipage seulement de marchans, souz la conserve des dicts grandz navyres de ceste Royne, pour aller aussi charger du vin au dict Bourdeaux; faisant par là démonstration, le dict Me. Oynter, qu'il est seulemant en mer pour asseurer la navigation aux subjectz de sa Maitresse. Aussi m'a l'on rapporté, despuys hier, que le dict Chatellier et les autres pirates vont séparez de luy, et se tiennent à l'escart, sans esloigner guyères la coste d'Angleterre, et que les lettres de marque que les Michelz de Plemmue avoient pourchassées contre aulcungs Bretons, comme j'ay cy devant escript, ont esté révoquées et arrestées, leur ayant esté respondu qu'ilz se pourveussent d'eulx mesmes, le mieulx qu'ilz pourroient, par autres moyens.

L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, m'a dict qu'ayant faict vivemant l'office que son Maistre luy avoit commandé d'admonester ceste Royne de ne vous travailler ny molester aucunement pendant ceste guerre, que vous avez contre le prince de Condé et aulcungs de voz subjectz, qu'elle luy avoit respondu estre tout entièremant votre bonne et grande amye, desirant la prospérité et establissemant de voz affaires, et qu'elle n'avoit garde de nuyre ny se déclairer contre vous; mais qu'elle ne pouvoit abbandonner ceulx de Chatillon, qui, dès long temps, estoient ses amys; et luy vouloit bien dire aussi qu'elle tenoit ceulx de la maison de Guise pour si déclérés ennemys d'elle et de son estat, qu'elle ne se pouvoit assurer, voyant qu'ilz avoient grand authorité tant aux armes que au conseil en France, mesmes qu'il estoit eschappé à quelcung de votre conseil de dire, qu'après que vous auriez appaysé et remis les choses de la relligion en votre royaulme, vous entendriez incontinent faire le mesmes en Angleterre, et qu'elle aymoit mieulx prévenir qu'estre prévenue. De quoy, Sire, je luy toucheray ung mot en ma première audiance, qu'elle m'a accordée à mercredy prochain, et luy remonstreray doulxemant que le debvoir de votre mutuelle amytié l'oblige de s'adjoindre à voz présentes intantions, sans mectre en aulcung compte ny l'amytié ny la ayne qu'elle pourroit avoir à aulcungs de voz subjectz, mesmes que vous n'avez prétendu ny prétandiez rien de particulier en ceste guerre pour eulx, ny autre chose quelconque, que de recouvrer l'obéyssance de voz subjectz, et de mètre votre estat en repos: dont ce qu'elle me respondra et autres occurrances, je vous donray advis par mes premières, aydant le Créateur, au quel je supplie, après avoir, etc.

De Londres ce xxıe de décembre 1568.

Le dict ambassadeur d'Espaigne escript à don Francès cest office, qu'il a faict pour Votre Magesté envers ceste Royne, et la response de la dicte Dame, de quoy, Sire, le porriez gratiffier de quelque bonne parolle de mercyement quant le dict don Francès vous en parlera.

A la Royne.

Madame, ce que j'ay à dire à Votre Magesté, oultre le contenu en la lettre du Roy, est que ne faudray d'obéyr à ce que me commandés par la vôtre, du ve du présent, de faire instance que je soys semond aux obsèques qui se feront, icy, pour la Royne, votre fille, de quoy n'y a encores guières grand commancemant d'aprest. Et, en ce qui concerne les affaires de la Royne d'Escoce, vous sçavez, Madame, combien j'ay toujours estimé inporter à la grandeur du Roy, et Vôtre, et à la réputation de votre couronne, qu'elle ne soit abbandonnée de Voz Magestez en ceste sienne fortune, dont j'ay mis peyne, despuis que suys icy, de recouvrer touz les adviz, que j'ay peu, concernant la dicte Dame, pour les communiquer à ses depputez, et continueray, avec toute affection et diligence, de m'employer en ses dictes affaires, comme Voz Magestez me le commandent, et ainsi que ses depputez m'en advertiront. J'entendz qu'il survient, tous les jours, nouvelles difficultez en son faict, à cause que les commissaires ne s'accordent bien de ce que s'i doibt faire, et n'y a encores rien d'ordonné sur ce que ses dictz depputez ont requis qu'elle viengne tretter en personne ses dictes affaires avec ceste Royne, comme avecques sa bonne sœur. Car, encores qu'aulcungs de ses commissaires en soyent d'advis, les autres y contredisent le plus du monde, et se dict que le comte de Mora aura, cependant, congé d'aller en Escoce, laissant icy milhor de Morthon, Ledinthon et quelques autres, pour continuer la vériffication de ce qu'ilz ont proposé. Les depputez de la dicte Dame ne sont encore bien résoluz s'ilz doibvent aussi demander leur congé, et rompre, pour leur regard, ceste conférance. J'entendz que le chateau de Donbertran a esté tenu quelques jours fort à l'estroit, tant du costé de la mer que de la terre, par ceulx du party du comte de Mora, de sorte que, par faulte de vivres, il sera pour se rendre bien tost, si le comte d'Arguil et les Ameltons, qu'on dict estre desjà en campaigne, ne le secourrent, dont s'estime qu'il y aura bientost quelque rencontre par delà sur l'occasion de lever le siège de ce chateau. Ung personnaige de bonne qualité m'a adverty que ceulx, qui sont icy de la part du prince de Condé, du comte Palatin, du duc de Deux Ponts et du prince d'Orange, pourchassent d'estre accomodez, par le crédit de ceste Royne, de certain payemant de Jocondalles, en Allemaigne, sur les polices des marchans italiens qui sont en ceste ville. Je suis après d'en descouvrir la vérité pour vous en donner, par mes premières, plus grand certitude, et sur ce, etc.

De Londres ce xxıe de décembre 1568.

VIIIe DÉPESCHE.

—du xxviiȷe décembre 1568.—

(Par M. Vassal.)

Saisie par les Anglais du trésor d'Espagne envoyé au duc d'Albe dans les Pays-Bas.—Entrevue de la reine et de l'ambassadeur.—Déclaration d'Élisabeth, qu'elle ne prendra parti dans les guerres civiles de France, que s'il y a ligue formée contre sa religion.—Lettre secrète à la reine-mère.—Projets de mariage entre la seconde fille de l'empereur et le roi de France, entre le roi de Portugal et Madame, sœur de Charles IX.—Projet d'une coalition pour renverser sir William Cécil.—Proposition faite par l'ambassadeur d'Espagne d'établir un blocus continental contre le commerce d'Angleterre, afin de forcer ce royaume à revenir à la religion catholique.—Mémoire remis au sieur Vassal envoyé exprès en France pour faire connaître au roi et à la reine le véritable état des affaires.—Déclaration faite au nom de la reine d'Écosse, qu'elle demande à être personnellement entendue.—Réponse d'Élisabeth, contenant les motifs de son refus.

Au Roy.

Sire, entendant la saysie qu'on a faicte, ces jours passez, aux portz de deçà, de cinq navyres biscayns, qui portoient bon nombre de réales d'Espaigne, en Envers, et le désembarquement des réales, nonobstant qu'on heût desjà délivré passeport, à l'ambassadeur d'Espaigne, pour les fère passer en Flandres, et voyant d'ailleurs les grandes sollicitations que faisoient à ceste Royne ceulx, qui sont icy pour les quatre princes, que je vous ay plusieurs fois nommez, et qu'elle assambloit souvant son conseil pour leur respondre, creignant qu'en fin ilz la pressassent de se joindre à l'entreprinse de leurs Maitres, ou de faire quelque démonstration en leur faveur, qui fust préjudiciable au bien de voz affaires, je l'allay visiter, mercredy dernier, sur l'occasion de luy compter de la retraite du prince d'Orange ce que m'en avez mandé par les vôtres, du cinquième du présent. Et après luy avoir fait voir le bon succez que Dieu vous avoit donné contre le dict prince, et comme, à ceste heure, vous délibériez marcher droict à l'autre, et reprendre votre chemin vers votre camp, y menant le renfort que vous aviez préparé contre cestuy cy, avec espérance que Dieu vous feroit avoir bien tost la raison de ceulx qui, sans rayson, s'estoient eslevez en votre royaulme, je la suppliay qu'elle ne voulût participer à une si mauvaise entreprinse, et si contraire à l'authorité des Roys, comme estoient celles qu'ilz poursuyvoient, luy remonstrant assez rondemant, sans excéder toutes foys la forme des gracieulx et privez propos, qu'il luy plaisoit me tenir, que, si elle condescendoit à leur bailler quelque apparant secours, ny mesmes leur prester aulcung support, que, oultre la contrevention qu'elle feroit aulx trettez de paix, elle seroit en danger d'estre par tous les roys chrestiens estimée une Royne alliée de ceulx qu'ilz repputent désobéissans à leur Roy, et vous feroit, Sire, qui estes son amy, devenir, possible, son ennemy. Dont m'assurant qu'elle voudroit esviter l'ung et l'autre, je la supplioys, de rechef, de ne prendre aucunemant le party de ceulx cy, et qu'encores feroit elle mieulx, si elle vouloit prendre le vôtre, qui estiés son allié et confédéré, contre ceulx qui n'eurent oncques ny alliance ny confédération avecques elle, ny n'en pouvoient avoir, de pays à pays, car ilz n'avoient point de pays, ny de personne à personne, car sa grandeur estoit assez différante de leur qualité, là où elle avoit desjà l'ung avecques vous; et adjouxtay qu'elle y pouvoit encores avoir l'autre avecques ce, qu'elle commanceroit par là une loy, avec ung tel allié comme vous luy estes, qui pourroit, ung jour, tourner plus à son dommage qu'au vôtre, si jamais les troubles advenoient en son royaulme.

Elle me respondit que, pour le regard du prince d'Orange, Dieu l'avoit justement puny, car il n'avoit aucung raisonnable tiltre, de son chef, d'entrer, à main armée, en France, n'estant point François; et puys qu'il s'en estoit retourné en Allemaigne, que jamais n'i peult il pour semblable occasion revenir, me demandant assez curieusement si aviez dressé nouvelle armée contre luy, ou si avez esté contraint de faire approcher celle de Monsieur, frère de Votre Magesté, et que cependant le prince de Condé en eust esté d'autant soulagé; aussi par quelles forces vous avez faict combatre le dict prince d'Orange, qu'il en eust esté contraint d'ainsi s'en aller; à quoy luy ayant satisfaict, comme je le pouvois entendre, elle continua me dire que, quant à prendre le party de leur entreprinse, qu'elle n'avoit rien en si grand horreur, en ce monde, que de voir ung corps s'esmouvoir contre sa teste; et qu'elle n'avoit garde de s'adjoindre à ung tel monstre, me pryant de vous escripre, et à la Royne, que vous la trouveriez ferme en la bonne amytié et confédération qu'elle avoit avecques Voz Magestez, et qu'elle ne se déclaireroit, ny ne se montreroit contraire à rien qu'elle cognût torner au préjudice de voz intantions. Bien vous vouloit advertir que là où elle entendroit se faire quelque partye contre la relligion de la quelle elle est, qu'elle estoit déjà déclairée pour la deffence d'icelle, et de prévenir, par toutz les moyens que Dieu luy avoit donnez, le danger, qu'elle et ses subjectz en pourroient encourir.

Je luy reppliquay qu'on luy pourroit, possible, persuader là dessus beaucoup de choses, pour le regard de la France, sur l'inpression qu'elle avoit desjà d'aulcungs particuliers, ainsi que l'ambassadeur d'Espaigne me l'avoit dict, l'ayant ainsi comprins en la dernière audience, qu'elle luy avoit donnée, où elle luy avoit faict mencion de messieurs de Guyse comme de ses ennemys, et de ceulx de Chatillon comme de ses amys: sur quoy je luy voulois bien dire qu'elle ne debvoit considérer les ungs ny les autres, que comme voz subjectz, et que là où il estoit question de l'entretènemant des trettés d'entre Voz Magestez, elle ne debvoit mettre en aulcung compte, ny leur amytié, ny leur ayne, et se fier tant en votre amytiez, que vous garderiez toutjour que nul de voz subjectz ne l'offenceroit; et quant il le feroit, et qu'elle vous en fist demander justice, que vous seriez toujour prest de la luy rendre, et que, si ces seigneurs avoient quelque querelle entre eulx, vous seul, Sire, en debviez demeurer l'arbitre, estant leur Maitre et leur Roy, sans qu'ilz recourussent à nul autre prince, ny que nul autre prince les deût recepvoir, et que vous ne prétendiez, par ceste guerre, rien de particulier pour les ungs, ny rien contre les autres, ny autre chose quelconque que de recouvrer l'obéyssance de voz subjectz, et remètre votre royaulme en repos.

A cella la dicte Dame me respondit qu'elle n'avoit nommé ny ceulx de Guyse, ny ceulx de Chatillon, à l'ambassadeur d'Espaigne, mais que, possible, il l'avoit ainsi comprins de son dire, et me récita au long les propos qu'ilz avoient heu ensemble: puis, continua me dire qu'elle ne craignoit les ungs ny n'espéroit aulx autres, bien qu'elle sçavoit les différentes volontez qu'ilz avoient envers elle, et puys que Votre Magesté ne cherchoit par ceste guerre que de ravoir l'obéyssance de voz subjectz, elle prioyt Dieu de vous donner tout bon et heureulx succez en votre entreprinse, estimant qu'elle feroit contre sa conscience de vous y nuyre, et que Dieu la pourroit justement punyr par là où elle auroit offencé.

Or, Sire, le docteur Junyus, qui estoit icy pour le comte Palatin, et les messaigers du duc de Deux Pontz et du prince d'Orange, s'en sont retournez, et je présume qu'ilz ont rapporté une semblable résolution que j'ay heue à ceste audiance; c'est que ceste Royne ne se déclarera ouvertemant contre Votre Magesté, ny contre le Roi d'Espaigne, mais que s'il se faict ligue contre sa relligion, elle entrera volontiers à la deffence d'icelle. Tant y a que ce n'a esté peu, à eulx et au conseiller Cavaignes, d'avoir peu persuader à la dite Dame d'ozer mettre la main sur ces réales d'Espaigne, car la somme, à ce que j'entendz, est de plus de 450,000 ducatz, et l'ambassadeur d'Espaigne s'en va demain, pour ceste occasion, à Antoncourt; remettant, Sire, à ce gentilhomme, présent pourteur, vous faire entendre toutes autres particularitez concernans icy votre service, et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxviiȷe de décembre 1568.

J'ay esté en peyne de sçavoir de quoy ceulx cy avoient esté fachés despuis cinq jours, et cuydois qu'ilz heussent heu nouvelles de quelque autre deffaicte de ceulx de leur relligion en France, mais j'ay sceu, ce mattin, que c'estoit pour ung navyre qui, sur le crédit de ceste Royne, avoit esté naguyères chargé d'ung grand nombre de pouldres et de corseletz, en Anvers, pour le conduyre, comme on m'a dict, à la Rochelle, et qu'il est venu fondre en certains sables, qui sont à trois lieues de Douvres, d'où l'on n'a peu rien retirer que quelque tonneau de corseletz, et toutes les poudres ont esté gastées et perdues.

A la Royne.

Madame, il vous plaira voir, par les lettres du Roy, aucunes bonnes responces, que ceste Royne m'a faictes en ma dernière audiance, n'ayant point cognu qu'elle, ny ceulx de son conseil ayent, pour ceste heure, l'intention contraire à ce qu'elle m'a dict, bien est vray qu'elle est toujours en souspeçon que ceste guerre soyt entreprinse contre sa religion, et qu'il y ait ligue faicte pour cella, dont dict ouvertemant qu'elle est preste de se déclarer, aussitôt qu'elle en aura cognoissance. J'ay mis peyne de l'assurer du contraire, et me semble qu'elle a assez bien prins mes remonstrances. Au reste, je luy ay dict que Voz Magestez luy sçaviez un grand gré, du regrêt qu'elle monstroit avoir à la mort de la Royne votre fille, et de ce qu'elle luy vouloit faire célébrer ses honneurs où me commandiez d'assister, de tant qu'elle avoit esté sœur de l'ung et fille de l'autre; dont la prioys que, quant les dicts honneurs se feroient, je ne fusse oblyé. Elle m'a respondu que toute la chrétienneté avoit occasion de pleurer ceste princesse, ayant, par une dame angloyse de la comtesse de Feria, qui est naguyères venue d'Espaigne, ouy avec larmes réciter tant de bien de ses grandes vertuz, qu'elle croyoit fermement qu'elle estoit ung très clair ange au ciel, ainsi qu'elle avoit vescu une très saincte Royne en la terre, et me prioyt fort expressément vous escripre qu'il y avoit plus d'ung mois qu'elle avoit comandé l'ordre des dicts obsèques, mais que l'ambassadeur d'Espaigne luy avoit seulement monstré une lettre de secrétaire soubz signée à la vérité Yo el Rey, où l'on luy faisoit ung article de la mort de la dicte Dame, et qu'il heût à la luy notiffier; sur quoy elle avoit dict au dict ambassadeur que la coustume estoit de faire entendre ung tel accidant par lettre expresse, ou mesmes par gentilhomme exprès. Luy ayant le dict ambassadeur respondu qu'il estimoit que le duc d'Alve heût desjà la dicte lettre en ses mains, elle luy reppliqua en riant que, possible, le Roy d'Espaigne ne luy avoit voulu escripre, ou bien le duc avoit retenu la lettre, estimant qu'il n'estoit bien décent que, si tost après la mort de la Royne sa femme, le dict Roy d'Espaigne envoyât lettres à une fille à marier comme elle estoit, mais qu'elle attandroit encores quelques jours, et, quant les dicts obsèques se feroient, j'en serois adverty. Je la remerciay, et adjouxtay seulement, que le dict Roy Catholique estoit encores assez jeune pour uzer une quatrième femme.

Puis, pour la fin de mon audiance, je luy recommanday, de la part de Voz Magestez, la personne et les affaires de la Royne d'Escoce avec quelque mercyement de la peyne qu'elle avoyt prins d'y faire vacquer toutz ces jours son conseil, et y vacquer elle mesme, adjouxtant davantaige, ainsi que l'évesque de Ros m'avoit pryé de faire, que Voz Magestez la supplyés de luy donner bien tost le secours qu'elle luy avoit promis, pour la remettre en son estat, et que, quant vous verriez que celuy là luy deffaudroit, qu'encores parmy les grandz affaires où vous estes, Voz Magestez s'efforceront de luy en bailler. Elle m'a respondu qu'elle avoit advisé de faire entendre à la dicte Dame tout ce qui avoit esté faict en ses affaires jusques icy, et ce que les seigneurs d'Escoce avoient proposé contre elle, et attandre là dessus sa responce pour faire, puys après, tout ce qu'elle pourroit en bonne consciance au bien et proffit de la dicte Dame, et qu'il n'y avoit personne, souz le ciel, qui heust tant de soing de la personne, de l'estat et de la réputation d'elle, qu'elle avoit, estant de son sang et sa niepce, et qu'elle avoit de bon cueur oblyé toutes les querelles, qui avoient esté entre elles, n'ayant garde de s'en venger maintenant qu'elle estoit venue à recours en son royaulme, et feroit plus pour elle que si elle estoit ailleurs, et donroit ordre qu'elle n'auroit besoing d'autre secours que du sien, et que toute la procédure seroit communiquée à Voz Magestez, et autres princes chrétiens, et espéroit qu'elle seroit approuvée de toutz. Je vous envoye ce que j'ay pu recouvrer de la dicte procédure, et entendrés, s'il vous plait, plus amplement de ce faict et autres particularitez de deçà par ce gentilhomme, présent pourteur, qu'à cest effect j'envoye exprès devers Votre Majesté, à la quelle, etc.

De Londres ce xxviiȷe de décembre 1568.

LETTRE SECRÈTE.

Madame, encor que ceste lettre soyt ung peu longue et mal escripte, je vous suplye néanmoins la lire entièrement, et à part, estimant qu'il suffira que Votre Magesté voye ce qui y est contenu, et que, sur ce que je demande avoir advis, vous seule me le donniez. L'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, m'a dict avoir eu lettres de Vienne, de Mr. de Chantonay, d'assez vieille datte, par les quelles il luy mande que l'Empereur avoit gracieusement licencié le Sr. de Montmoryn, avec démonstration d'avoir bien prins, et receu à bien grand honneur, ce que le Roy luy avoit faict entendre de son bon desir envers sa fille aisnée, pour l'avoir en mariage, et de vouloir à cest effect luy envoyer ses ambassadeurs pour la demande. A quoy toutes fois il n'avoit faict entière responce, ains avoit remis au Roy Catholique, et à son frère l'archiduc Carlos, qui l'alloit trouver, de la fère, et de résouldre en Espaigne ceste affaire, quant ilz seroient ensemble. Et adjouxtoit le dict Sr. Chantonnay que le dict Sr. Empereur n'estimoit rien moings que d'avoir donné ses deux filz aisnés, et encores plus expressément sa fille aisnée, au dict Roy Catholique, pour en ordonner à son plaisir, et qu'il tenoit comme assuré que ses dicts deux filz espouseront les deux infantes d'Espaigne, dont ceste grande succession seroit pour leur advenir quelque fois; et disoit aussi que le mariage de l'archiduc Carlos avecques la princesse de Portugal se feroit pour demeurer toutz deux gouverneurs en Espaigne, pendant que le Roy Catholique viendroit en Flandres establir ses affères, et effectuer les autres mariages, et qu'il estoit le plus à propos du monde que le Roy espousât la segonde[39] de l'Empereur, estant les âges bien convenables, affin que l'alliance et bonne intelligence de ces trois grands princes se continuât au bien de la chrétienneté, voulant, à mon advis, inférer que l'aisnée estoit desdyée ailleurs. J'ay répondu que je ne sçavois quelle charge avoit eu le Sr. de Monmorin devers l'Empereur, mais que si le Roy avoit demandé la fille aisnée en mariage, l'on pouvoit penser que ce n'avoit esté, sans qu'il y heût quelque affection, et qu'il estoit bien mal aysé de la luy faire changer.

Environ cinq ou six jours après, l'ambassadeur de Portugal me vint visiter, et, entre ses autres propos, il me dit que le Roy don Philippe, et la Royne de Portugal sa tante, avoient trouvé moyen de faire escripre un brief au cardinal de Portugal, par le quel le pape luy mandoit qu'il eût à se déporter de l'administration du royaume de Portugal, et laysser ces choses séculières aux séculiers pour s'astreindre et vacquer à celles de son évesché, et aux charges spirituelles du royaume, ce qu'il avoit faict pour l'esloigner du Roy, son petit nepveu, qui l'aymoit et honoroit grandement, affin de disposer, puys après, de luy et de son estat à leur volonté, et principalement pour le marier à leur poste, s'estant le cardinal toujours opposé au party que la grand mère, la mère et le dict Roy Catholique luy avoient pourchassé de la segonde de l'Empereur, pour entendre à celluy de Madame[40], et avoit tiré l'affection de tous les subjectz à son opinion, et que, pendant que le cardinal estoit encores à se résouldre s'il se debvoit retirer ou non, parce que les estatz du païs estoient sur le point d'envoyer suplier le pape de luy permètre la dicte administration jusques à ce que le Roy, son nepveu, soyt en âge de l'exercer par luy mesmes, me remonstroit le dict ambassadeur que, si Votre Magesté vouloit effectuer ce party de son Maitre pour Madame, comme il en avoit desjà parlé, qu'il estoit temps que le propos s'en remît sus, et qu'il fust poursuyvy ung peu chaudemant; car, si l'occasion présente de l'authorité et bonne affection du cardinal se passoit, et que ce prince revînt ez mains de la grand mère, il estoit danger de ne s'effectuer jamais, et que sur ce je vous voulusse faire promptement une dépesche. Je luy répondis, après le mercyement de sa bonne voulonté, que Votre Magesté avoit toujour beaucoup estimé le party du Roy son Maitre, mais qu'il sçavoit bien que l'advantaige estoit deu aux dames de n'aller point requérir, ains qu'on vînt devers elles pour estre requises, par ainsi failloit que cecy commençât de leur costé. Il me reppliqua qu'ilz avoient déjà parlé, et, s'ilz estoient assurez de votre volonté, qu'il avoit opynion qu'on continueroit, et que si je luy en pouvois faire entendre quelque mot avant son retour, il en solliciteroit sur le lieu si vivement les affères que bien tost vous en orriez des nouvelles, et que, pour ceste occasion, il laisseroit aller ceste première flotte de navyres, où il avoit délibéré s'embarquer, pour temporiser la responce de ce négoce, jusques à la my janvier que les navyres vénitiens partiroient. Je luy promis que je vous en escriprois, mais, s'il n'en avoit sitôt responce comme il desiroit, qu'il vous excusât sur voz autres présans et plus urgens empeschemans, à quoy il ne se peut tenir qu'il n'adjouxtât que, sur une telle matière et en telle conjonction comme se retrouvoit à présent le Roy, son Maitre, et son royaulme, l'on ne debvoit uzer de délay. Car le temps pouvoit si bien enpourter l'occasion qu'elle ne reviendroit, possible, jamais plus.

Despuys, est venu le susdict ambassadeur d'Espaigne traitter avecques moy de ce qui pouvoit concerner, icy, le service commung de noz maitres, et m'a mis en avant deux choses, les quelles il estime bien importantes, et quasi nécessaires à la chrétienneté: l'une est que, ne cognoissant, à ce qu'il dict, aucung plus grand hérétique, en ce monde, ny plus adversaire de la relligion catholique qu'est Me. Cecile, qu'il est besoing que, de mon costé, au nom de Voz Magestez Très Chrétiennes, comme aussi, luy du sien, au nom du Roy Catholique, travaillions de luy faire perdre ce lieu, ceste faveur et crédit, qu'il a auprès de la Royne, sa métresse. A quoy j'ay répondu que je seray toujour prest de servir à la cause de la religion catholique, en tout ce qu'il me sera possible, et que failloit regarder par où l'on commanceroit ceste besoigne; car la dicte Dame avoit uniquement commis tous ses affères au dit Cecile, et que difficilement ung prince vouloit changer d'ung tel privé ministre, quant il s'en trouvoit bien. Il m'a répliqué que déjà il avoit comancé d'y donner une bonne main, ayant procuré qu'une partie de ses affaires s'expédie par autre secrétaire que par luy, et que je n'obliasse de frapper mon coup, quant j'en verray la comodité.

La segonde particularité est, que, si Voz Magestez Très Chrestiennes et Catholique vous accordés de remonstrer vivemant à ceste Royne une conjoincte résolution d'interdire à ses subjectz tout traficque et commerce en France, Flandres et Espaigne, s'ilz ne reviennent à la religion catholique et à l'obéyssance de l'église romayne, la dicte Dame sera contrainte d'y réduire elle et son royaume, d'autant que toutz les deniers de son estat sont prins sur les entrées, et yssues des marchandises de ce royaume, et le principal revenu des seigneurs et gentilshommes est en choses qui se transportent dehors, et celle du peuple en manifactures et trafficqs, quoy cessant, sera impossible à ses subjectz de se maintenir, dont estant les catholiques encores en plus grand nombre dans le pays que les autres, ilz contraindront, par la force de cette nécessité, tout le royaume de retourner à la religion catholique, et que déjà il en avoit escript bien chaudement au Roy Catholique, son Maitre, du quel il espéroit avoir responce du premier jour, et ne seroit, à son advis, sans qu'il vous fît quelque instance de me commander d'intervenir, et me joindre avecques luy, son ambassadeur, pour en faire conjoinctement la déclaration requise à ceste Royne, m'adjouxtant que, mesmes, il faudra que je parle le premier, d'environ huict jours, devant luy, affin qu'il soyt veu traitter ung peu moins rudement que moy ceste princesse, à cause de la plus estroicte alliance que son Maistre a avecques elle; mais qu'il viendra après confirmer de telle sorte la besoigne qu'elle sera contrainte d'obéyr. Je luy ay répondu que je l'escriprois à Voz Magestez affin d'avoir sur ce votre commandement, et que d'autres personnes de bon entendement m'en avoient déjà parlé, comme à la vérité, Madame, aucungs Italiens m'ont faict une si expresse démonstration là dessus qu'il semble n'estre sans apparant fondement.

Votre Magesté considèrera ces quatre choses, dont les deux premières qui concernent les mariages, du Roy et de Madame, vous atouchent de si prez que je desire que la conclusion vous en demeure toujours en la main, sans permettre que nul autre prince s'en empare tant qu'il le puysse manyer à sa discrétion; car pouvez penser que nul, si non vous, la mesnagera, sans y considérer son proffit, et sans y observer ses heures, et ses momentz, pour s'en authoriser, luy et ses affères, au monde, sans se soucyer beaucoup comant les vôtres, et ceulx du Roy, et de Messeigneurs voz enfans, aillent; et, possible, en vous attendant d'effectuer ung party, vous perdrés les deux, dont sera bon d'en avoir si certaynes et pressantes ares qu'on ne vous y puisse plus uzer de desfaictes et remises.

Touchant à Me. Cecile, l'on dict, à la vérité, qu'il est fort passioné pour la nouvelle religion, et qu'il seroit bon qu'ung plus modéré tînt ce lieu prez de sa Maitresse; mais je ne voy pas qu'il soyt aisé de l'en oster, avec ce, qu'on m'a dict, qu'il dissuade la guerre de France à sa Maitresse, et est bien fort uny avec le comte de Leyster, qui faict profession de vous estre tout serviteur.

Quant à deffendre aux Anglois le traficque en France, il semble qu'il sera bon que le Roy Catholique face ceste ouverture de le leur interdire, premièrement, en Flandres et en Espaigne, parce qu'ilz ont là leur plus grand commerce, et, si l'on void que cella serve à remettre la religion catholique en ce royaulme, Voz Magestez en feroient, incontinent après, faire leur déclaration; car, de commancer en votre nom, cela pourroit divertir tout le traficque, que ceulx cy ont en votre royaulme, pour le transporter ailleurs, qui est, à ce que j'entendz, de plus de deux millions d'or de proffit, touz les ans, et si, n'auriez, possible, rien advancé pour la relligion catholique. Encores sera il bon de regarder si conjointement vous en debvez faire la dicte déclaration avec le Roy Catholique; car il y a si estroicte alliance de ceste princesse avecques lui, et entre leurs pays, qu'ilz s'accorderont toujours ayséemant, et le Roy demeureroit, possible, seul intéressé. Mais Votre Magesté me commandera son intention sur le tout, et je métray peyne de la suyvre si exactement qu'elle cognoistra que je n'ay rien en la mienne qu'ung parfaict desir de trez humblement vous obéyr.

Ce gentilhomme, présent pourteur, est certain et fidelle et si secrêt que luy pouvez commettre tout ce qu'il vous plaira, mesmes ce que j'auray à dire à l'ambassadeur de Portugal, qui me presse de respondre. Sur ce je prye Dieu, etc.

De Londres ce xxviiȷe de décembre 1568.

Despuis la présente escripte, le susdict ambassadeur de Portugal m'est venu retrouver, avec une lettre qu'il a fraichement receue de Lisbonne, du xiiiȷe du passé, en la quelle il m'a faict voir ung article qui contient que le Roy, son Maitre, s'en alloit à Almerin, affin d'y attandre et recepvoir le comte de Feria, que le Roy Catholique y envoyoit pour remètre en bon mesnage le dict Roy de Portugal et la Royne sa grand mère, qui se pourtoient comme mal contans, l'ung envers l'autre, à cause du mariage du Roy, qu'elle a tousjour procuré le faire en la maison d'Hongrie, là où il le veut, avec l'approbation du cardinal son oncle, et de tout son peuple, de la mayson de France; et que les estatz de Portugal seroient bien tôt convoquées pour le marier à la voix et contantement des subjectz: dont l'ambassadeur m'a, de rechef, bien expressément enchargé d'envoyer incontinent vers Votre Magesté pour avoir, dans le xve de janvyer, qu'il faict estat de partir, ung mot de votre intantion sur le dict mariage.

MÉMOIRE BAILLÉ AU DICT Sr.DE VASSAL.

Pléra à Leurs Magestez entendre du costé d'Angleterre;

Que le Sr. de La Mothe a mis toute la peyne et dilligence qu'il a peu de sçavoir si ceste Royne se déclareroit pour le prince de Condé, ou qu'est ce qu'elle feroit en sa faveur, mais il n'a peu, encores, descouvrir qu'elle, ny ceulx de son conseil, ayent intantion de se déclarer, pour ceste heure, ouvertement contre le Roy; car elle fait semblant, en toutes ses parolles et démonstrations, de vouloir fermemant persévérer en la paix qu'elle a avecques Sa Magesté;

Que le comte de Lestre, s'estant tenu pour fort honoré de ce que le Roy et la Royne luy ont envoyé de leurs lettres, a assuré au dit Sr. de La Mothe que sa Maitresse estoit fort bien disposée à l'entretènement de la dicte paix, et qu'il mettroit toute la peyne qu'il pourrait de l'y continuer, comme, à la vérité, luy, et ceulx qui gouvernent, ne la veulent mettre en guerre, et, d'elle mesmes, elle est bien fort timide, et refuyt toute occasion d'ennuy et de despence;

Mestre Cecile a dict au Sr. de La Mothe, que le Roy ne debvoit trouver mauvais si la Royne, sa Maitresse, recepvoit ceulx qui fuyoient d'ailleurs persecutés pour la mesme relligion, dont elle, et tout son royaume, faisoit profession, et, qu'au reste, elle ne feroit rien de quoy le Roy peult estre offencé;

Aulcungs des plus grands de ce royaume ont dict qu'ilz avoient pensé qu'en ceste générale convocation de la noblesse du pays, l'on leur proposeroit quelque chose de la guerre de France; mais il ne leur en a esté faict aucune mencion, et semble que le desir qu'ilz ont du repos, et le peu de moyens d'entreprendre la guerre, les fera persévérer en la paix, dont ne s'y faict autre préparatif, que ce qui a esté mandé à Leurs Majestés;

Tant y a qu'estans, les trois principaulx qui manyent les affaires de ce royaume, de la nouvelle relligion, il se void clairemant qu'ilz persuadent la dicte Dame de porter toute la faveur et support que, sans se déclairer, elle peult à l'entreprise du dict prince;

Ensemble qu'ilz ayent tant faict, avec l'ayde du cardinal de Chatillon, que le conseiller Cavagnies, et le docteur Junyus, et les députés du duc de Deux Ponts, et du prince d'Orange, ayent enfin obtenu une secrète déclaration de la dicte Dame, qu'elle sera en ligue avec Leurs Majestés pour la commune deffence de la dicte relligion, tant en France, Flandres, que ailleurs, et n'est sans apparence qu'elle y soit aussi pour la deffence de la Basse Germanie de l'oppression qu'ilz disent que les Espaignolz y font.

Il s'entend, néanmoins, qu'elle n'interviendra point plus apertemant qu'elle est à ceste heure, en la dicte ligue, sinon qu'il se descouvrît ligue contraire, patante et déclairée, des princes catholiques, contre leur dicte relligion, auquel cas, l'on employera lors, ouvertement, son nom en ceste cy.

Et cepandant ont obtenu, pour ne laysser succomber lesdictz princes, et affin qu'ilz puyssent maintenir ceste guerre, laquelle ilz disent estre contre leur relligion, quoy qu'on luy veuille donner autre tiltre, que la dicte Dame leur prestera la faveur et support de son pays et de ses ports, sans violer toutesfois la paix de France et d'Espaigne.

Ainsi, ont déjà procuré que, par son visadmiral Me. Oynter, elle ayt envoyé au prince de Condé les six canons, dont le Roy est adverty, et ung nombre de poudres, pics, pailes et autres munitions de guerre, en baillant touteffois caution de rendre lesdictz canons et de payer le demeurant;

Et qu'elle l'ait aussi, soubz mesmes caution de remboursemant, accomodé de sept mille livres esterlin, montant envyron xxv mille escuz, qu'elle avoit mandé mètre ez mains de Me. Grassan, son facteur, pour aulcungs siens secrètes affères, laquelle some l'on estime avoir esté là employée.

Ont aussi obtenu qu'on achèveroit de payer les xxxij ou xxxiij mille livres esterlin, revenantes à cent dix mille escuz, que les églizes d'Angleterre avoient cy devant ottroyé, par congé de la dicte Dame, pour faire gens en Allemaigne en faveur de ceux de la nouvelle relligion, dont il restoit à lever envyron ung tiers, et que les prinses, et pilleries, que lesdictz de la nouvelle relligion feront sur mer, abordant par deçà ne seront en effect empeschées, affin d'employer ce qui en proviendra à l'entretènemant de ceste guerre, bien qu'en apparance, l'on baillera provision de justice au contraire.

Ainsi, qu'ilz ont permis à Chatellier Portault d'uzer à son plaisir des prinses qu'il avoit faictes. Et fraischemant, à ung pirate anglois, nommé Aman, et à des François qui estoient avecques luy, a esté permis le semblable d'ung grand navyre de Marseille, chargé de beaucoup de riches marchandises, apartenant aux sujets du Roy Catholique, qu'ilz ont prins, en venant d'Anvers, et mené à Anthonne: la dicte Dame, à la requête du dict Sr. de La Mothe et de l'ambassadeur d'Espaigne, avoit escript aux officiers de la justice, qui l'avoient desjà arresté, de le faire rendre à ceulx à qui il apartenoit, mais secrètement il a esté mandé de laisser aller le pirate, avec le navyre et marchandises, pour l'aller débiter ailleurs.

Ils ont aussi procuré de faire faire la saysie de cinq navyres biscayns, qui pourtoient d'Espaigne en Flandres environ cinq cent cinquante mille ducats de réales, et ont regrêt qu'autres trois navyres, qui estoient venuz de mesme compaignie, et avoient aussi abordé pardeçà n'ont esté arrestés, qui pourtoient autre somme d'envyron trois cent mille ducats de réales, et sont après à vériffier que lesdicts deniers viennent par voye de marchands, affin que la dicte Dame les puysse prendre pour ses affaires, en payant l'intérest.

Il y a quelque secret advis qu'on a mandé aus ports et hâvres de deçà d'arrester tous les navyres et marchandises des Bretons et Normands, qui y aborderont, jusques à la valleur et concurrance de certaines prinses, qu'aucungs Anglois et Irlandois se pleignent leur avoir esté faictes par ceulx de Croisy et autres François, et dont ils n'ont peu avoir justice en France.

Et avoient aussy esté arrestez de deçà plusieurs navires françois, plus de six sempmaines a, qui n'avoient que le seul lestaige, et alloient cercher affret, dont ceulx, qui estoient conduicts par gens de la nouvelle relligion, ont esté touts relachés, mais ceulx des catholiques sont encores en arrest.

Est à craindre que lesdicts Anglois procèderont encores plus insolentemant sur mer, tant contre les subjects du Roy que contre ceulx du Roy d'Espaigne, après que leurs deux flottes de Bourdeaux seront de retour, qui sont de lx ou lxx navyres chascune, dont est à considérer s'il sera bon d'arrester lesdictes flottes par delà jusques à ce qu'on aura prins plus grande seurté d'iceulx Anglois, ou qu'on aura faict parler plus clairement leur Royne, sans touttefois leur porter aulcuns dommaiges, ny pillier rien du leur.

Il semble qu'on a esté, icy, assez en suspens de l'armée du duc d'Alve, tant qu'il l'a tenue en estat, despuis le partement du prince d'Orange, et se sont réjouys qu'il l'ayt départye, dont semble que, si le dict duc tenoit quelque forme de camp, ou qu'il fît semblant de le vouloir dresser, que cella contiendroit assez ceulx cy de ne se déclairer si avant qu'ilz font.

Il est certain que la dicte Dame et ceulx de son conseil sentent quelque mouvemant dans l'affection d'une partie des subjectz de ce royaume pour le faict de la religion, et que les catholiques, dont y a grand nombre, mesmes de la noblesse, aspirent au recouvrement de la religion catholique, et semble que l'ambition poussera en avant l'entreprinse de tant que les principaux seigneurs, qui sont catholiques, supportent fort difficilement que tout le gouvernement soyt ez mains d'aucungs, qui sont assez nouveaulx et de petite qualité, et toutz de la nouvelle relligion.

Et cecy se descouvre bien fort en la cause de la Royne d'Escoce, que les catholiques portent et favorisent tout ouvertement, autant qu'il leur est possible, et les autres monstrent estre ses contraires, dont en fin son faict va tumber en la division de la relligion.

Et de tant qu'on ouyoit les ungs et les autres en parler assez hault et bien fort librement en ceste ville, il a esté escript au maire d'advertir ceulx qui tiennent les principales tables, où se faict la plus grande assamblée de gens de qualité en ceste ville, qu'ilz n'ayent à y recepvoir aulcungs de qui ilz ne veuillent respondre, qu'ilz les représenteront pour estre examinés sur les propos qu'ilz tiendront de la Royne et de ceulx de son conseil, soit d'Escoce, ou de la religion, ou autres matières d'importance.

Et, à ce Noël, l'on est allé par les maisons semondre les gens d'aller au service et presches, qui se faisoient en leurs églizes, ce qui n'estoit acoustumé de faire.

L'on verra l'estat où sont à present les affaires de la Royne d'Escoce par la remonstrance que ses depputez ont présenté à ceste Royne, et par la response qu'elle leur a faicte; dont l'un et l'autre sont envoyés par la présente dépesche.

Le faict de la dicte Dame iroit plus mal sans le support du duc de Norfoc et du comte d'Arondel, qui, oultre ce qu'ilz ont remonstré vifvement les droicts de ceste princesse en ceste conférance, ilz ont encores représenté à la Royne, leur Maitresse, qu'en laissant opprimer ceste princesse à ses subjects, elle préparait contre elle ung mauvais exemple aux siens.

La garde de la personne de la dicte Dame a esté reffusée au comte de Hontinton, comme suspect à elle, et a esté commise au comte de Cheirosbery, grand seigneur vers le nord et bon catholique, et à qui aussy le chateau de Thitbery, où l'on a ordonné de la remuer, apartient en propre.

Tous les Escouçois, qui sont ici, ont esté arrestez, mesmes le duc de Chatelleraut et le comte de Mora, jusques à ce qu'on aura notiffié à la dicte Royne d'Escoce toute la procédure qui a esté faicte jusques icy, et qu'on aura heu sa responce, de quoy le comte de Mora monstre n'estre contant.

L'évesque de Ross estime qu'il feroit grand bien à la dicte Dame que Leurs Majestez escripvissent à ceste Royne quelques bonnes lettres de recommandation et de mercyemant pour la peyne qu'elle a prins de vacquer et faire vacquer son conseil à l'expédition des affaires de la dicte Dame, la pryant d'y mettre bientôt une bonne fin, de peur qu'il ne surviengne quelque inconvéniant à la personne et à l'estat de ceste princesse, se voyant si long temps détenue où elle est, et si long temps absante de son royaulme, et que, quant le secours que la dicte Royne d'Angleterre luy a promis lui deffaudroit, que Leurs Majestez s'esforceront, parmy leurs grandes affères, de luy bailler le leur.

Proposition de L'évesque de Ross, et autres depputez de la Royne d'Escoce, baillée, par escript, en langaige escouçois, à la Royne d'Angleterre, et traduicte, comme l'on a peu, en françois.

Plaise à Votre Majesté combien qu'en notre réplique, faicte à Yorc, contre la fainte et controuvée responce du comte de Mora et ses adhérans, ayans esgard à la charité et à la clémance de laquelle la Royne, notre Maitresse, se délibéroit d'uzer envers eulx, nonobstant leur déloyauté et forfaicts, pensant en cela faire plaisir à Votre Majesté, les voulant à votre instance réunir au corps et reppublique de laquelle notre Maitresse et souverayne est chef, duquel s'estans par leurs trop diligentes, et subtiles, et fauces inventions séparez, ilz ne méritoient estre ouys ni receus; nous répliquasmes, froidemant et doulcement, mais véritablement, sans railler ou les provoquer à injure quelconque, comme maintenant ils alléguent injustement et sans occasion. Après cela il a pleu à Votre Majesté, pour vous mieulx satisfaire à vous mesmes, et à celle fin que les causes de notre souveraine fussent mieulx entendues, de révoquer la dicte conférance, icy, devant vous et tels de votre conseil privé qu'il a pleu à Votre Majesté depputer pour ce faict; en présence de qui nous avons exibé une protestation par laquelle avons protesté qu'on n'eust à toucher la couronne, estat, personne ny honneur de la Royne, notre Maitresse, et que n'entendions nullement procéder judicialement: laquelle protestation a esté par eulx admise et trouvée raysonable. Mais l'usurpation est si proffondément enracinée dedans le cueur du dict conte de Mora et des siens, et leur malice est tant endurcye et si grande, que, contre le debvoir naturellement deu à leur souverayne, par la libéralité de qui ilz ont esté toutz advancez et faictz grandz, et aussy contre leur protestation et la vraye intention de ceulx qui ont procuré ceste conférance, ilz ont faucement advancé contre l'honneur de la noble personne de la dicte Royne, leur souveraine, pensant péner le droict et dignité de son estat et couronne, tendant jusques à la ruyne de son corps, par quoy eulx ayant perversement de leur part violé, rompu ceste conférance, et que la Royne notre Maitresse ne pourroit jamais cy après uzer de clémance envers eulx, comme aussy leurs indignitez le requièrent, nous, pour notre part, en considération desdictes causes, avons juste occasion de rompre et dissoudre la dicte conférance. Et considéré leurs injures et façon de procéder, qui est intollérable, semant cy devant secrètement leurs fauces inventions et faulx scandalle contre l'honneur de notre Souverayne, et à présent publiquement et désespérémant, ne pouvant autrement trouver moyen de couvrir leurs exécrables trahisons et malheureux actes, nous ne pouvons tant oblyer le debvoir que devons, premièrement, à Dieu, et, après, à notre dicte Souveraine, que de laysser si légèrement passer leurs pernicieulx, détestables faictz avecques silance. Mais d'autant que ceste cause touche de si près à l'honneur et estat de la Royne, notre Maitresse, joint que nous avons exprès commandemant de Sa Majesté que, en cas qu'il soit proposé, icy, autre chose que ce qui a esté exposé à Yorc, qui touche à sa couronne, estat, personne et honneur, de demander que ce soyt votre plaisir que, d'autant que le dict comte de Mora et les autres rebelles ont déjà obtenu présence de Votre Majesté et ont esté admis devant voz commissaires pour calompnier son honneur, que le mesme soyt accordé à Sa Majesté. Par quoy humblemant, et affectionnéement, desirons qu'il soyt permis à notre dicte Souveraine de venir, icy, en propre personne, pour, en votre présence, devant toute votre noblesse, et aussy en présence de toutz les ambassadeurs, résidans icy en votre royaulme, déclairer son innocence, et aussi pour faire entendre à Votre Majesté les faulxes inventions et calompnies de ses rebelles, pour la deffence de son honneur; à celle fin que Votre Majesté, et tous autres princes, et bons subjects, ausquelz la cognoissance de ceste conférance pourroit parvenir, soient mieulx satisfaitz. Et nous ne dobtons que, par l'advis de votre plus honorable et plus sage conseil, Votre Majesté ne nous accorde notre demande, veu que toute équité et raison requiert qu'il soit plus tôt permis à Sa Majesté (estant, comme en effect elle est, princesse libre, et qu'elle est venue en cestuy votre royaume sur la confiance que Sa Majesté a heu qu'elle, qui est votre bonne seur et plus proche cousine du monde), de venir en présence de Votre Majesté pour déclarer son innocence, que d'avoir permis à sesdicts rebelles de faucemant calompnier son honneur en son absance. Nous desirons aussi, au surplus, que, puisque des rebelles ont entreprins de faucement et témérayremant accuser Sa Majesté contre le droict de Dieu et nature, elle estant leur Souveraine et Maitresse, que, par authorité de Votre Majesté, ilz soient arrestez icy pour respondre aux crimes qui leur seront mis sus, et qu'il plaise à Votre Majesté nous donner response, affin que, selon que notre devoir le commande, et que l'exprès commandement de Sa Majesté le requiert, nous luy donnons advertissement de ce que nous sera respondu.

Ce que l'évesque de Ros a comprins, de la response de la Royne d'Angleterre, sur sa protestation baillée en langaige escouçois, et traduict en françois, comme l'on a peu.

A Hantoncourt, le xvıe de décembre 1568.

Le sommaire de la response faicte par la Majesté de la Royne d'Angleterre à l'évesque de Ros, lord Boyd, lord Heris et l'abbé de Kylindin, en la présence de Mr. le garde du grand scel, le duc de Norfoc, le marquis de Norhampton, le comte de Suesex, Bethford et Lestre, le Sr. Clinton admiral, et le lord Havard chamberlan, Sr. Guillaume Cecile chevalier, premier secrétaire, Sr. Raff Sadelle chevalier, chancelier de la duché de Lenclastre, et Sr. Vualter Videlmar chevalier, chancelier de l'eschiquier, a esté que la requeste, par nous présentée à Sa Majesté, tendoit à deux points:

Le premier, qu'il fust permis à la Royne, notre Maitresse, venir, en personne, en présence de la Majesté de la Royne pour, là, pouvoir respondre à toutes et telles choses qui pourroient être objectées à l'encontre d'elle;

Le segond, que, s'il ne luy estoit permis ce faire, qu'il ne fust point permis d'entrer en plus grande conférance sur ce faict.

La Majesté de la Royne fit, adonc et délors, response qu'elle pensoit plus convenable de réprouver les subjectz de la Royne pour leurs téméraires et audacieuses accusations faictes allencontre de leur Royne souverayne, chose qui ne conciste qu'en termes généraulx, que de faire venir la dicte Royne par deçà pour respondre en personne. Ce faict, la Majesté de la Royne commanda aux commissaires appeler par devers eulx le comte de Mora et sa compagnie, et les reprendre, bien et aigrement, de leurs audacieuses procédures, comme estans déloyaus et contraires au debvoir de bons et loyaux subjects, et que cella ne debvoit demeurer inpugny. Sur quoy, le dict comte et ses compaignons estans ainsi accusez a faict responce que, luy, ny aucung de sa compagnie, n'ont jamais rien procuré contre l'honneur de leur Royne, mais que bien eulx estans notoiremant chargés par leurs adversaires de si grands et énormes crimes, ilz n'ont peu et ne pouvoient moings fère, sans estre condempnés et trouvés coupables injustement, suivant la protestation par eulx cy-devant faicte et exibée pour la descharge de leurs personnes, et estre purgés des crimes à eulx inposés, ayans esté contraints contre leur voulonté pour leur juste deffense que de faire ce qu'ilz ont faict. Et pour approbation du faict, ilz ont produict ausdicts commissaires de Sa Majesté des choses grandes, et de grande apparance, et conformes aulx présomptions et argumant du commung bruyt et rapport desdicts crimes inposés à ladicte Royne. Desquelles choses la Majesté de la Royne, en ayant esté advertie par ses commissaires, les a en grande admiration à son très grand regrêt, ne pensant jamais ouyr telles choses, et en si grand nombre allencontre d'elle. Et partant doncques, considérant qu'ilz estoient venuz pour avoir plus oultre responce, Sa Majesté a dict qu'ilz auroient une response résolutive en ceste sorte, que Sa Majesté estoit contante que le discours de la matière fust débatue pardevant elle, si elle vouloit accorder y faire directe responce, parceque Sa Majesté pensoit que ce fust le plus honeste et seur moyen, et desiroit aussi que cela peût estre suffisant pour sa descharge. Et, pour ce faire, dict-elle, je vous proposeray trois moyens: le premier, est qu'elle envoyât pour elle quelque féal et suffisant personnage, ou plus, estans de ce authorisez, avec sa response: l'autre, qu'elle baillât sa dicte responce à quelques nobles personnaiges, tels qu'il luy plaira, si ainsy luy plait, pour luy envoyer: et le dernier, qu'elle ordonne et authorise soit les derniers commissaires, ou autres, pour respondre devant les commissaires de Sa Majesté. Mais que de venir en sa présance, considérant que, quant elle arriva en ce royaume, Sa Majesté ne le peût avoir lors pour agréable, pour son honneur, elle estant adonc diffamée seulemant par le commung bruyt, tant icy que en la plus grande partie de la chrétienté; beaucoup moings peult elle penser estre honorable de venir maintenant en sa présance, considérant le grand nombre de matières et présumptions de naguiéres produictes allencontre d'elle, voir et telles qu'il fait mal à Sa Majesté y penser. Et pour ce, Sa Majesté les requiert vouloir accepter sa présente responce, et luy en faire le récit, en la luy envoyant, estimant estre vrayment toujour nécessaire pour elle de faire responce; car autrement quiconques luy donneroit autre conseil que de faire responce, ayant tant de moyens pour ce faire, seulemant parce qu'il ne luy est point permis venir en présence de Sa Majesté, encores qu'ilz aparussent estre ses bons serviteurs, seuremant il serait plutôt à juger, pour quelques respectz, de la trahir. Et sur cela, Sa Majesté les a requis, comme ses serviteurs, à ce qu'elle a dict, car cella ne pourroit estre jamais prins en ce monde pour excuse raysonnable, si elle est innocente, comme Sa Majesté la desire estre trouvée, de s'offrir estre estimée coulpable de telz horribles crimes, seulemant par faulte de ne pouvoir venir en sa présance, et ne se purger autremant devant le monde, par autre manière de raison; et si, ne pourroit penser commant la Royne pourroit plus promptement procurer sa condempnation, que de refuser à faire responces. Et ainsi, avec plusieurs et semblables paroles par elle prononcées à loysir, et dont il ne leur peult du tout souvenir, il aparoissoit que le grand desir de la Royne (d'Angleterre), estoit que la Royne (d'Écosse) se peût descharger et acquitter par le moyen de quelque responce raysonnable. Et est la fin.

IXe DÉPESCHE

—du ııe de janvier 1569.—

(Envoyée par Olyvier Champernon jusques à Calais.)

Nouveaux succès remportés sur les protestants.—Nouvelles d'Allemagne.—Menaces de représailles pour les prises faites par les Bretons.—Cartels proposés relativement au meurtre du roi d'Écosse.

Au Roy.

Sire, incontinant après que le gentilhomme, que je vous dépeschay, avec les miennes du xxviiȷe du passé, fust party, je receus celles qu'il avoit pleu à Votre Majesté m'escripre du xve au paravant, et encores despuys, celles du xvȷe, toutes deux bien à propos pour rabatre le bruyt, qu'on semoit icy, que, despuis le premier rencontre du xvııe de novembre, le prince de Condé avoit regaigné plusieurs bons avantages sur les nostres; mesmes que, le lendemain, son infanterie avoit heu du meilleur contre les bandes de Mr. de Brissac, et despuys, il avoit pillé le bagaige de Monsieur, frère de Votre Majesté, près de Lusignan, et emporté une ville quasi à sa veue, et que le prince d'Orange s'en alloit à Paris, dont aulcungs des siens avoient desjà couru jusques à Chateau-Thierry, sans avoir voulu accepter l'offre, que Votre Majesté luy avoit envoyé faire, de luy donner trois centz mille livres pour renvoyer ses gens, et cent mille escuz pour luy, et de le remettre en la bonne grâce du Roy Catholique votre frère, et en ses biens, et mayson, pourveu qu'il y voulût vivre comme son bon et fidelle subject. Dont je n'ay failly, Sire, de faire incontinant entendre à ceste Royne la vérité du bon succez de vos affaires du costé de votre armée, que mène mon dict Seigneur, et comme le dict prince de Condé ne faisoit plus que s'en aller devant luy pour se retirer à la Rochelle, despuis que les forces de Languedoc estoient arrivées; et l'arrivée aussy de vos six mille reystres devers Mr. d'Aumalle, et des quatre mille Souisses nouvellement levez, et autres gaillardes forces, qu'aviez toutes prestes pour haster la contenance que faisoit le dict prince d'Orange de sortir de votre royaume; avec les autres avantaiges que Dieu vous avoit donné en ceste guerre, ainsi qu'il vous plaisoit me les mander.

A quoy la dicte Dame a respondu qu'elle oyoit, de fort bon cueur, ces bonnes nouvelles, qui monstroient le bon acheminemant de vos affaires, et qu'elle desiroit que vos bonnes fortunes allassent toujours en augmantant, à la gloire de Dieu. Ayant faict part des mesmes nouvelles à aulcungs seigneurs que je sçay n'estre marris de votre prospérité, ilz ont monstré estre bien ayses que j'eusse de quoy convaincre beaucoup de mansonges, qu'on publioit icy ordinairement des choses de France. Tant y a que l'ung d'eux m'a mandé que l'on tenoit pour certain que le prince d'Orange avoit faict monstre et payé ses gens pour trois mois, et qu'il délibéroit temporiser là où il estoit, jusques au printemps, pour attandre la venue des autres Allemans qui se préparoient de descendre en France, et qu'il n'y avoit plus que deux mois d'yver jusque là, qui seroient tantost coulés. L'on m'a dict aussi qu'il y avoit lettres d'Allemaigne et de Flandres à ceste Royne, par lesquelles l'on luy mandoit que le duc de Vuelgan faisoit grand dilligence de lever les reystres et lansquenetz, qu'il vouloit mener au secours du prince de Condé, et que la monstre s'en debvoit bientost fère en Alsatie; mais ne se mandoit le jour, ny le lieu, sinon que d'Alsatie il prendroit le chemin de la Franche-Comté pour entrer en France.

Le nepveu de Trokmorton est revenu, ces jours passez, avec ung pacquet de Mr. Norreys, et semble qu'il ait esté devers le prince d'Orange; car l'homme du dict prince, qui estoit icy auparavant, lequel s'estoit acheminé, ou aulmoings n'avoit esté veu, douze jours y a, en ceste cour, y est revenu avecques luy, et j'entends qu'il pourchasse d'avoir de nouveau crédit de xl mille livres esterlin, qui sont 150,000 escuz, en payant l'intérest. Je ne sçay qu'il obtiendra, car il a esté besoing à ceste Royne de tirer extraordinairement, despuis huict jours, dix mille livres esterlin, qui sont xxxiijm vc escuz, de son espargne pour envoyer en Irlande, afin de pourvoir à ce commancement d'esmotion du chef Onniel, où l'on dict que le frère du comte d'Ormont est meslé, affin que cella ne passe plus avant. Et quant à ce que je vous avoys cy devant escript, qu'on cerchoit un moyen de faire fournir certaine quantité de joccondalles en Allemaigne, par lettres de banque des marchans italiens qui sont en ceste ville, l'on m'a adverty que c'est le dernier payement de l'ottroy des églizes d'Angleterre, dont je vous ay naguières faict mention, duquel restoit à lever le tiers, de cent dix mille escuz, et l'on veult faire fournir le dict restant ez mains du docteur du Mont, agent pour ceste Royne en Allemaigne, qui se tient ordinairement à Francfort, ou à Ausbourg.

Je vous ay mandé, touchant les lettres de marque que les Michelz de Plemmue avoient pourchassées, qu'elles ont esté révoquées et arrestées, et, à la vérité, il ne se trouve, au registre de l'audmirauté de ceste ville, qu'elles ayent passé outre. Mais en lieu de ce, j'ay advertissement qu'on a donné une secrète commission d'arrester toutz les navires françois, qui aborderont ez portz et hâvres de deçà, jusques à la valleur et concurrance de certaines prinses, qu'aucungs Anglois et Irlandois se plaignent que ceulx de Croisy et autres Bretons leur ont faictes, dont ilz n'ont peu avoir justice en France; de quoy je remets au premier jour d'en fère quelque bonne instance à ceste Royne, ainsy que Vos Majestez me le commanderont.

L'Evesque de Ros avoit eu congé d'aller vers la Royne d'Escosse, sa Maitresse, pour luy notiffier tout ce que jusques icy s'estoit passé en ses affaires; mais, ainsy qu'il prenoit la poste en ceste ville, il a esté contremandé s'en retourner à Antoncourt, où, à ce que j'entends, l'on est entré en nouvelles propositions et en nouveaulx trettés, qui semblent incliner au bien de la dicte Dame. Et j'espère que ce que j'ai dict et remonstré icy, de la part de Vos Majestez, pour elle, lui servira grandemant; dont je remets vous donner plus ample notice de cella, et de toutes autres choses de deçà, par mes premières; pryant Dieu, etc.

De Londres ce ııe de janvier 1569.

A la Royne.

Madame, ce qui s'offre, icy, digne de vous estre escript, depuis le partemant du Sr. de Vassal, que je vous ay dépesché, du xxviiȷe du passé, Votre Majesté, s'il luy plait, le verra en la lettre du Roy, vous suppliant très humblement, Madame, m'excuser si je ne vous expéciffie davantaige beaucoup de ces choses que je vous mande; car, encor que je sente et voye qu'il en est pourchassé icy la plus grande part, et des bien importantes, avec beaucoup de menées, et avec grand instance, autant, possible, à ceste heure, qu'en nul autre lieu de l'Europe, par ceulx de la nouvelle relligion, naturelz et estrangers, qui y sont, il n'est pas possible, touteffois, que j'en puisse avoir si claire notice qu'il ne me faille, le plus souvant, y advenir par conjectures et présomptions, comme je supplye très humblement Votre Majesté conjecturer aussi, et fère jugemant, par ce que je vous ay déjà escript du présent depportement de ceulx-ci, quel il sera à l'advenir. Et je fay diligence de vous mander, d'heure à autre, toutes occurrances, et ne laisseray cepandant rien passer, puis qu'ainsy vous plait, à cette Princesse, qui ayt apparance d'estre contre votre service, bien que je luy auray toutjours le respect, et useray, en son endroict, de la douceur que m'avez commandé, affin de ne la provoquer à quelque plus ouverte déclaration, ou bien à vous fère une plus dure responce que, possible, vos présentes affaires ne permettroient de vous en ressentir si tost, comme la grandeur et réputation de Voz Majestez le requerroient.

Le faict de la Royne d'Escoce semble prendre autre acheminement que ses adversaires ne cuydoient, lesquelz commancent, à ceste heure, d'envoyer cartels de combats parce qu'on les charge de trahison, de rebellion, et encores du mesmes meurtre du feu roy d'Escoce, dont ilz accusoient leur Royne. L'évesque de Ros a esté contremandé à Antoncourt pour cest effect, lequel m'a mandé qu'il m'advertira de tout ce que luy sera proposé, affin d'en avoir mon advis; dont je remetz, Madame, vous mander, par mes premières, ce qu'en cella, et en autres choses, sera succédé; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce ııe de janvier 1569.

Xe DÉPESCHE

—du vıe de janvier 1569.—

(Envoyée par Jehan Vallet.)

Négociation relative à la saisie faite sur les Espagnols.—Grand nombre de pirates qui se mettent en mer.—Crainte d'une entreprise sur Calais.—Accusation portée par Marie Stuart contre ceux qui se sont déclarés ses dénonciateurs.—Retour à Londres d'une partie de la flotte de Bordeaux.

Au Roy.

Sire, vous ayant faict une bien ample dépesche par le Sr. de Vassal, que je vous ay envoyé sur la fin de l'autre mois, et encores une autre despuys, du ııe du présent, j'ai seulement à vous dire maintenant, Sire, que la Royne d'Angleterre a donné de bonnes paroles à l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, touchant les cinq navires byscayns et l'argent d'Espaigne qu'elle a arresté par deçà, de quoy les principaulx marchans de ceste ville en ont avecques luy très instamment sollicité la délivrance, de peur qu'on ne se preigne à leurs biens et marchandises, qu'ilz ont en Envers et à Séville. Mais l'on présume que la dicte Dame ira, entretenant ce faict tant qu'elle pourra, affin de retarder d'autant les affaires du duc d'Alve et des catholiques aux Pays Bas, ou bien à la fin, s'il se vériffie que ces deniers viennent par voye de marchands, qu'elle les prendra à l'intérest, et allèguera qu'elle a droict, comme ung chacung autre prince, en son pays, de s'en pouvoir justemant ayder à son besoing, aulmoings se vouldra elle asseurer, et asseurer ses affaires, du costé du Roy Catholique, premier que de s'en dessaysir; dont, par sa prochaine responce, qu'elle a promis fère, dans trois ou quatre jours, au dict Sr. ambassadeur, l'on pourra plus clèrement juger de ses aultres desseings et intentions. Cependant je vous veulx bien advertir, Sire, comme la mer de deçà se va, de jour en jour, remplissant de pyrates, m'ayant esté dict qu'il y en a sept ou huict de nouveau, toutz prestz à partir avec chacun un petit navyre de guerre, et que mesmes il y a ung des dicts pirates, nommé Forbouche, duquel j'ay faict mention en aulcunes de mes précédantes, qui est party despuys trois jours avec le congé de la dicte Dame, laquelle a parlé longuement à luy, et semble qu'elle luy ayt donné commission d'aller trouver le visamyral Me. Ouynter, lequel on m'a dict estre arrivé le xiiȷe du passé, avec les quatre grands navyres de la dicte Dame, à la Rochelle, mais n'en ay certitude. Et encore, Sire, que, pour le petit appareil que lesdicts pirates portent dans leurs vaysseaulx, l'on ne doibve craindre qu'ilz soyent pour assaillir une place, ny pour mectre gens en terre, ou entreprendre quelque grand effect, toutesfois estant desjà beaucoup ensemble, tous de la nouvelle religion, tant Françoys, Flamans que Angloys, à la dévotion de ceste Royne, et à la dévotion aussi, comme l'on pense, du prince de Condé, il ne leur seroit mal aysé d'emporter, par intelligence ou par surprinse, quelque place avec la faveur desdicts quatre grandz navyres de la dicte Dame, lesquelz portent artillerye, pouldres et monitions de guerre, pour la fornir incontinent; dont sera bon, Sire, advertir vos frontières, et villes maritimes, se tenir sur leurs gardes, et les pourveoir de bons et bien asseurez gouverneurs, avec quelque renfort de gens de guerre. Quoy que soit, les dictz pirates délibèrent, le printemps et l'esté prochain, se randre maistres de ceste mer, et fère la guerre aux catholiques françoys et hespaignolz qui y navigueront.

Je ne veoy, à la vérité, que ceulx cy facent encores nulz aprestz pour aucune entreprinse que l'on puisse juger estre d'importance, tant y a que je ne veulx différer vous mander, comme l'on m'a fort expressément adverty qu'ilz en ont une sur Callais; de quoy je mectray peyne d'en descouvrir plus avant les particularitez, affin de les vous mander par mes premières: et cependant Votre Majesté pourra renforcer la garnyson du dict Callais et y fère prendre garde, comme aussi j'en ay faict advertir, en passant, monsieur de Gourdan. Car encores, Sire, que ceste princesse se soit mal trouvée de l'entreprinse de l'Hâvre de Grâce[41], si peult elle, par les solliciteurs qu'elle a icy, tant sciens que estrangiers, de la nouvelle religion, estre de rechef bien aysément persuadée de faire une seconde entreprinse pour ravoir le dict Callais, veu l'affection qu'elle y a, et le desir de ses subjectz, qui vouldroient bien se prévaloir en cella de la présente occasion de nos troubles, estimans que le Roi d'Espaigne ne leur pourroit estre contraire en la dicte entreprinse, ayant ceste place esté perdue à son occasion; et aussi que la dicte Dame cuyderoit attaicher si bien les promesses et trettez qu'elle feroit maintenant avec ceulx de la religion, pour y avoir des princes d'Allemaigne meslés, qu'il ne luy en pourrait mal succéder, comme feit l'autre foys, et qu'au moins elle recouvrerait tousjours les frays de la guerre, si elle pouvoit occuper quelque place.

L'évesque de Ros m'a escript d'Anthoncourt, que ceste Royne l'a faict interroger devant elle, et devant ceulx de son conseil, s'il vouloit accuser les adversaires du mesmes crime, qu'ilz imposoient à la Royne d'Escosse, sa Maitresse. A quoy il a respondu qu'il avoit lettres et commandement de la dicte Dame, qu'en deffendant son innocence, il déclairast ardiment devant la dicte Royne d'Angleterre, et devant la noblesse de son pays, qu'elle estoit faulcement accusée par ceulx qui estoient les principaulx autheurs, inventeurs, et aulcuns d'eulx les propres exécuteurs du mesme crime qu'ilz luy imposoient, et qu'il ne lui seroit mal aysé de le prouver, par bons et évidants arguments, dans un terme et délay compectant, s'il luy estoit permis de pouvoir venir en personne devers la dicte Royne d'Angleterre: et qu'il avoit prononcé cella hault et ferme devant l'assamblée, dont despuys l'on avoit travaillé de mectre quelque accord entre les parties, et en avoient esté proposés aucuns moyens, par interposées personnes, dont le dict évesque commançoit espérer mieulx de l'yssue des affaires de sa Maistresse, qu'il n'avoit faict jusques icy. Et sur ce, après avoir, etc.

De Londres ce vıe de janvier 1569.

A la Royne.

Madame, il me reste à présent bien fort peu que vous escripre oultre le contenu en la lettre du Roy, parce que la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil n'ont guières entendu, durant ces festes, en matières d'affaires, s'estans la plus part des seigneurs retirez ou en leurs maisons, ou bien en ceste ville, pour les passer. Seulement, j'adjouxteray, Madame, qu'il semble qu'on soit icy en grand suspens pour ceste saysie des deniers d'Espaigne, ne saichantz commant le duc d'Alve le prendra, tant y a qu'on a layssé de despescher, depuys deux jours, quatre grandes navyres de ceste ville, chargez de draps, en Envers, ayans les marchans premièrement vollu sçavoir de ceulx de ce conseil s'ilz les pouvoient seurement envoyer. Au surplus, Madame, il est revenu quatorze navyres de la flotte, que ceulx-cy avoient envoyé pour le vin à Bourdeaulx, et les maistres d'iceulx rapportent qu'on leur a faict tout bon trettement par dellà, si n'est qu'on leur a demandé double coustume, l'une au dict Bourdeaulx pour le Roy, laquelle ilz ont payée, et l'autre à Blaye pour le prince de Condé, où ils ont laissé gaige pour icelle, et que au dict Blaye l'on avoit rasé toutes les maisons hors du fort, et qu'on y fortiffioit la place, n'ayant au reste trouvé aucun empeschement à leur retour, ny n'ont sceu novelles de tous ces navyres, qui sont partys sur la fin du moys passé, sinon qu'ilz ont entendu que Me Ouynter avoit traversé vers la Rochelle, et que Chatellier Pourtault se tenoit toutjour sur la coste de deçà, près de Plemmue, et sur ce, je prieray Dieu, etc.

De Londres ce vıe de janvier 1569.

XIe DÉPESCHE

—du xe de Janvier 1569.—

(Envoyée par Mr. de La Croix.)

Irritation causée à Londres par l'ordre que le duc d'Albe a donné de saisir et arrêter dans les Pays-Bas les biens, marchandises et personnes des Anglais.—Mémoire contenant le détail de tout ce qui est relatif à cet événement important.—Armements faits en Angleterre.—Ligue formée par le comte de Murray, régent d'Écosse, avec Élisabeth.—Cartel envoyé par lord Lindsay à lord Herries, au sujet du meurtre du roi d'Écosse.— Marie Stuart mise sous la garde du comte de Shrewsbury.—Mémoire secret pour la reine-mère.—Proclamation d'Élisabeth portant interdiction de commerce avec l'Espagne.—Justification de sa conduite à l'égard de Philippe II.—Énumération de ses griefs contre l'ambassadeur d'Espagne et le duc d'Albe.—Ordre de saisir et arrêter en Angleterre les biens, marchandises et personnes des Espagnols.

Au Roy.

Sire, encor qu'il n'y ayt guières que je vous ay amplement escript ce qui se offroit de deçà, je ne veulx pourtant différer de vous fère encores maintenant, sur l'occasion de ce qui s'est naguières passé, en Envers, touchant les Anglois, qui se rescent grandement jusques icy, un bien peu de mots par le Sr. de La Croix, présent pourteur, qui vous va représenter l'esmotion et altération, où, despuys trois jours, s'en retrouve tout ce royaume; auquel me remectant et de cella, et de toutes les aultres choses de ce lieu, sans vous en faire, pour le présent, et à cause aussi de sa suffizance, plus long discours, et vous suppliant seulement le croyre et luy donner lieu qu'il puysse de ma part très humblement bayser les mains de Votre Majesté, je supplieray, au reste, le Créateur qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xe de janvier 1569.

Despuys ce peu de mots escriptz, qui m'ont demeuré trois jours entre mains pour la difficulté du passeport, j'ay receu en une mesmes heure deux dépesches de Votre Majesté, du xxviȷe du passé et du premier d'estuycy, ausquelles je feray responce par mes premières.

A la Royne.

Madame, entendans ceulx de ce royaulme les déportements dont le duc d'Alve a uzé, puis peu de jours, en l'endroict de leurs merchants et marchandises en Envers, ilz ont commancé de faire aussi quelque démonstration de ressentiment sur les marchantz et marchandises des Pays Bas, qui sont par deçà, non sans qu'on y voye une assez notable altération et changement digne de vous estre représenté par personnaige exprès, avec d'aultres particularitez qui ne seroient si bonnes escriptes que dictes; lesquelles je vous supplie entendre par le Sr. de La Croix, présent pourteur: auquel me remectant, et vous suppliant luy donner entièrement foy et bonne audience, je supplierai le Créateur, après avoir, etc.

De Londres ce xe de janvier 1569.

MÉMOIRE BAILLÉ AU DICT SIEUR DE LA CROIX.

Le seigneur de La Croix yra trouver Leurs Majestez, et leur représentera l'altération et changement advenu, despuys quatre jours, en ce royaume à cause de la saysie que le duc d'Alve a faicte de tous les biens, navyres et marchandises des Angloys, en Flandres, et qu'il a faict arrester les marchants et mectre deux cens Hespaignolz de garde à l'entour de leur mayson, où ilz logent en Envers, sans permectre que nul y entre ny sorte.

Et ce, pour aultant que la Royne d'Angleterre, peu auparavant, avoit aussi faict arrester en ses portz cinq navyres biscayns chargés de laynes, qui pourtoient environ 450,000 ducatz de réalles d'Espagne en Envers, après toutesfoys qu'elle avoit desjà délivré passeport, pour les dictz navyres et leur charge, à l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, collorant, du commancement, la dicte saysye sur la craincte des pirates, affin que le Roy Catholique, son bon frère, ne receût dommaige d'une telle somme en Angleterre; mais despuis elle a dict avoir entendu que les dictes réalles estoient à des marchants, et qu'elle avoit droict, comme ung chacun aultre prince en son pays, de s'en pouvoir ayder à son besoing, en payant l'intérest: et a l'on entendu aussi qu'elle se vouloit prévaloir de quelque lettre d'obligation, qui s'est trouvée, d'une bonne somme d'angellotz que le feu Roy Henry viiȷe son père, presta au feu empereur Charle ve, père du dict Roy Catholique, à la guerre de Landrecy[42].

Et, parce que la dicte Dame a esté, comme l'on dict, principallement sollicitée par ceulx de la novelle religion de saysir les dictes réalles contre l'opinion des catholiques, et au grand regrect des plus notables marchans de Londres, qui luy ont remonstré et prédict ce qui en est depuis succédé, il se cognoit clèrement qu'il y a de l'altération beaucoup et de la contradiction entre les ungs et les aultres, disantz les aucuns que c'est le fruict de la venue du cardinal de Chatillon par deçà, et aucuns aultres des principaulx se tiennent à part, et font les mallades, pour ne se trouver aux conseilz et dellibérations qui se font là dessus, parce qu'ilz n'en ont jamais aprouvé les commencemens.

L'on a desjà arresté ung pacquet de l'ambassadeur d'Espaigne, où y avoit une lettre du Sr. de La Mothe au Sr. de Malras, et ont envoyé de tous costés serrer les passaiges et saysir les navyres, biens et personnes des subjects du Roy d'Espaigne, et ont faict clorre et sceller les boutiques et contouers de tous les Flamans et Bourguinhons, qui sont en ceste ville de Londres; et l'on a contremandé en grande dilligence quatre navyres qui estoient ces jours passés partis de ceste ville pour Envers, chargés de grand quantité de draps; et en toutes sortes ilz font semblant de se tenir fort offancés de cest acte du duc d'Alve, remémorantz davantaige ung escorne qui fut naguières fait en Espaigne à ung leur ambassadeur[43]. Tant y a que la dicte Dame délibère envoyer personnaige exprès devers le Roy Catholique, pour tretter cest affère avecques luy, et cependant n'attempter aucun exploict de guerre contre ses pays et subjectz, comme son intention en est mieulx déclarée par la proclamation sur ce faicte; dont semble que Leurs Majestez Très Chrétiennes ne se doibvent haster de fère aucune rigoreuse démonstration envers cette princesse: car ne fault doubter qu'elle ne se remecte bientost en bons termes de paix avecques le Roy d'Espaigne, et cependant se pourra faire quelque bon office en cella de la part de Leurs Majestez Très Chrétiennes, par leurs ambassadeurs, qui sont en Espaigne et en Angleterre, digne de leur grandeur de s'entremettre de réconcilier tels princes leurs allyés.

Et cependant, sera le bon plaisir de Leurs Majestez mander au dict Sr. de La Mothe comme il aura à se comporter envers ceste Royne, et les sciens, sur cest évennement, et aussi envers l'ambassadeur d'Espaigne, et s'il fera meilleure et plus expresse démonstration d'intelligence que jamais avecques luy; de quoy ne fault doubter que ceux cy n'en preigent grand jalouzie, ou bien s'il suyvra l'ordre, que le dict ambassadeur a incontinent envoyé prendre avecques le dict Sr. de La Mothe, que à quiconques luy viendra de sa part avec contre enseigne du nom de Jésus, qu'il luy donne foy comme il feroit au dict ambassadeur mesmes, et qu'au reste il luy veuille ayder à la conduicte de ses lettres soubz la couverte des pacquetz qu'il envoyera en France, affin qu'ilz puissent passer jusques à Callais et delà à Bruges et à Bruxelles.

Il se dict que despuys deux moys l'on a toutjour tenu, icy, ung nombre d'hommes toutz pretz, à qui l'on bailloit un gros le jour à chacun, et que maintenant l'on leur a faict nouveau commandement de s'aprester pour aller, du premier jour, aux navyres; dont semble qu'il se verra bien tost comme quelque armement et appareil de mer par deçà, si le faict des dictes saysies ne se modère. Mais le dict Sr. de La Mothe aura, à toute heure, l'œil sur ce que s'entreprendra affin d'en advertir Leurs Majestez.

Et, pour ce qu'on dict que Me. Ouynter est arrivé à la Rochelle le xiiiȷe de décembre, et qu'il pourra avoir aydé le prince de Condé de l'argent, artillerie, pouldres et monitions de guerre, qu'il pourtoit dans les quatre grandz navyre de ceste Royne, Leurs Majestez commanderont au dict Sr. de La Mothe quel office il aura à fère envers la dicte Dame, et quel langaige il luy tiendra, pour en monstrer quelque rescentiment, après toutesfoys qu'on aura mieulx sceu la vérité du voyage du dict Me. Ouynter, et s'il rapportera de dellà quelques ostages, comme on le dict icy.

Et aussi, ce qu'il aura à dire à la dicte Dame de plusieurs particuliers de ce royaume, qui se mectent en mer avec des vaysseaulx équippés en guerre, qui ne peult estre qu'elle ne le saiche; et de ce, aussi, qu'elle souffre en ses portz Chatellier Pourtault, lequel l'on intitulle visamyral du prince de Condé, et ses complices, qui ne font, les ungs et les autres, que toutz exploitz de pirates.

Au surplus, ce que le dict Sr. de La Mothe a peu entendre de particullier touchant l'entreprinse, qu'on luy a dict que ceulx cy avoient sur Callais, est que l'ambassadeur d'Angleterre, résidant en France, a escript qu'il avoit eu communicquation avec certain personnaige de delà, qui offroit de fère prendre Callais dans quatorze jours, toutes les foys que la Royne d'Angleterre le vouldroit entreprendre, et qu'il se constitueroit prisonnier ez mains de la dicte Dame jusques après l'exécution; ce que ayant esté mis en délibération icy, l'on a arresté qu'on feroit venir l'homme, et semble que le susdict ambassadeur luy ayt desjà advancé quelque argent. Despuys, l'ung des principaulx personnaiges de ce conseil a dict à certains gentilhommes, qui estoient en conversation un jour avecques luy, qu'il y avoit une belle entreprinse toute preste pour ce prochain printemps, et qu'on verroit qui auroit le cueur en bon lieu; et au mesmes propos fut entendu qu'on disoit que Callais estoit mal pourveu de gens, et qu'il n'y avoit ordinairement guères plus de trois cens hommes de guerre dedans. D'ailleurs, l'on a adverty le dict Sr. de La Mothe que ces princes d'Allemaigne, qui sont en armes, offrent à ceste Royne, affin de la fère plus voluntiers entrer en leur ligue, et luy fère fornir deniers, qu'ilz s'employèrent à la dicte entreprinse de Callays jusques à expéciffier que, quant le duc de Deux Pontz et le prince d'Orange seront joinctz, qu'ilz viendront le long de la Picardye et du pays d'Artoys pour assiéger le dict Callais, et pour exécuter, aussi, une semblable entreprinse qu'avoit commancé feu Mr. de Termes au Pays Bas, avec la faveur que leur fera ceste Royne par mer.

L'on actend icy, dans cinq ou six jours, le docteur Junyus, revenant de trouver le comte Pallatin, son maistre, vers lequel il est naguières allé partant d'icy, et s'estime qu'il aura esté devers le duc de Deux Ponts et devers le prince d'Orange, dont sera bon d'advertir Messieurs de Gordan et de Caillac que, si, d'avanture, il vient prendre le passaige à Callais où à Bouloigne, ilz le facent arrester jusques à ce que Leurs Majestez l'auront examiné sur l'occasion de son dict voyage.

Aussi s'entend qu'un personnaige anglois, nommé Colnerel, doibt bien tost passer en France avec lettres de ceste Royne adressantes au prince de Condé, et qu'il yra à Bourdeaux soubz couleur du traffic qu'il y mène ordinairement, estant marchant, et n'a pas plus grandes capacitez que d'estre fort passionné pour la nouvelle religion, et qu'il parle fort bien françoys, dont sera bon aussi de l'arrester.

Et, de tant que difficillement l'on peult avoir icy nouvelles du dict prince de Condé, sinon par la voye de la mer, qui est incertaine, semble q'un jeune homme françoys, qu'on dict avoir esté tailleur de feu madame de Laval, ayt entreprins d'aller et venir par terre jusques au camp du dict Sr. prince, dont fauldra prendre garde à Dieppe ou à Callais s'il y passera.

L'on veoyt ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, sercher toutes inventions pour estendre ceste guerre, et monstrent ne leur deffaillir moyens de la pouvoir encores maintenir, mais ne se faisoit semblant, avant ceste altération de saysies, qu'il y eust guières de desseing sur les Pays Bas, ains que tout l'effect yroit sur la France, dont les bons serviteurs du Roy, qui sont icy, estiment qu'il sera toutjour bon de haster la fin de ceste guerre par tous les moyens qu'on pourra, parce que la longueur n'y admènera que multiplication de difficultez et diverses ouvertures de nouvelles entreprinses sur le royaume, avec grand débauchement et ruyne d'icelluy.

Le comte de Mora, et ceulx de son party, ont, à ce qu'on dict, vollu former une ligue avec ceste Royne pour la garde et deffance du petit prince d'Escosse durant son bas eage, et pour la conservation du pays à son obéyssance contre tous les princes et autres quelconques qui s'en vouldroient mesler au contraire. Ce qu'ayant été mis en délibération par plusieurs assemblées de ce conseil, il semble avoir esté arresté qu'on n'entrera en aucune nouveaulté, par escript, touchant l'Escosse, de peur de préjudicier aux trettez d'entre les deux royaumes, et aussi que, si l'on faisoit sonner ce mot de ligue, seroit à craindre que les autres princes chrétiens vouldroient sçavoir à quoy elle tendroit; néantmoins qu'en tout ce que le dict comte de Mora aura besoing pour la garde du dict prince, et du dict pays à son obéyssance, la dicte Dame sera preste de l'en ayder et secourir, et ne permectra que nul aultre s'en entremecte que eulx deux; et luy, de son costé, promect de demeurer, et en paix, et en guerre, bien uny contre tous aultres, pour cest effect, avec la dicte Dame, laquelle semble monstrer au monde, sans le dire, qu'elle tient pour son successeur présomptif le dict petit prince, affin d'en comtanter les Angloys et Escossoys, et le tirer, si elle peult, en Angleterre, mais n'a garde de le déclairer tel.

Ayant les depputez de la Royne d'Escosse, en deschargeant leur Maitresse, dit ouvertement, en plusieurs lieux, que ses accusateurs se trouveroient à la fin chargés du mesme murtre du feu Roy d'Escosse, qu'ilz luy imposoient, le comte de Mora et les sciens semblent en avoir esté estonnez, et Millord Lendsay, qui est des principaulx de sa suite, envoya, il y a cinq ou six jours, ung cartel de démantye à millord Herriz, au cas qu'il le volust charger du dict murtre: à quoy le dict Herriz a respondu qu'il n'en chargeoit particullièrement le dict Lendsay, mais qu'il y avoit aucuns, du party qu'il suyvoit, qui en estoient coulpables, et, quant il seroit temps, l'on les cotheroit et nommeroit, et s'il vouloit lors entreprendre la deffence de ceulx là, le dict Herriz seroit prest de le combattre.

Despuys, estant l'évesque de Ros publicquement interrogé s'il vouloit accuser les adversaires de la Royne d'Escosse du mesme crime qu'ilz luy imposent, il a respondu en la façon que j'ay mandé par mes précédentes; du vıe du présent, dont maintenant l'on est après à mectre accord entre les parties, et desjà certains moyens en ont esté mis en avant par interposées personnes, dont le dict Sieur évesque commance espérer bien de l'yssue de cest affaire.

Il est vray que luy et les aultres depputez de la dicte Dame ne veulent entendre à nul party que premièrement la procédure, et toute la production, et allégation des adversaires, n'ayt esté monstrée à leur Maistresse. A quoy s'accorde l'intention de la dicte Dame, ainsi que porte une lettre qu'elle a escripte au dict Sr. de La Mothe, du ııe de ce moys, la coppie de laquelle le dict Sr. de La Croix monstrera à Leurs Majestez, et à monsieur le Cardinal de Lorraine, et leur fera entendre tout l'estat des affères de la dicte Dame, affin qu'il leur playse mander quelque bon adviz et conseil là dessus au dict Sr. de La Mothe; car il crainct que ceste ouverture d'accord soit seulement ung entretennement pour prolonger la matière, bien qu'il semble que le temps commance se faire icy meilleur pour la dicte Dame.

La garde de la dicte Royne d'Escosse a esté commise au comte de Cherosbery, à qui l'on en a baillé la commission par escript, portant de ne luy laisser trop de liberté, ce qu'il n'a vollu du commancement accepter; mais enfin il s'est condescendu de la prandre par l'adviz d'aucuns grandz de ce royaume, qui luy ont, par mesme moyen, conseillé de tretter la dicte Dame avec l'honneur, respect et gracieuseté, qu'il convient à une telle princesse, nonobstant sa contraire commission: et ainsi semble que bien tost elle sera conduicte au chateau de Tytbery, où l'on a faict ses provisions, et avoit le dict Sr. de La Mothe entendu que le dict comte de Cherosbery estoit catholique, mais c'est son feu père qui y a persévéré jusques à sa fin, là où despuis sa mort cestuy cy s'est miz de la nouvelle religion, et, au demeurant, il est fort modeste seigneur.

AULTRE MÉMOIRE AU DICT Sr. DE LA CROIX POUR DIRE A PART A LA ROYNE;

Qu'il semble que la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil soient bien fort aygriz contre le duc d'Alve, et qu'ilz veuillent fère grand rescentiment contre luy, et contre l'ambassadeur d'Espaigne qui est icy, estimans qu'il a représanté les responces de la dicte Dame autrement qu'elle ne les a faictes, et qu'il a précippité ceste saysie faicte en Flandres.

Dont dellibèrent envoyer exprès quelque personnaige de qualité en Espaigne, pour tretter cest affère avecques le Roy Catholique, et ne faict le Sr. de La Mothe aucun doubte qu'ilz ne demeurent d'accord, tant pour leur ancienne confédération, que pour contanter les subjectz, d'ung costé et d'aultre, et qu'il y a aussi plusieurs notables personnaiges et principaulx d'Angleterre qui n'ont jamais aprouvé ceste dettention des deniers d'Espaigne, mais le jeu pourra durer encores quelques moys.

Et vouldroient les dictz Angloys, par le moyen des dictz deniers, avant s'en dessaysir, s'asseurer d'aucuns doubtes qu'ilz ont que, à la sollicitation du pape, il y ayt entreprinse, accordée entre le Roy et le Roy d'Espaigne, contre ce royaume d'Angleterre, affin de le réduyre à l'obéyssance de l'esglise romaine, en quoy, oultre quelques adviz qu'ilz disent en avoir, ilz fondent ung grand argument sur cest octroy que le pape a nouvellement fait au Roy de cent mille escuz contantz, et de la permission d'en pouvoir alliéner cinquante mille de rante du temporel de l'esglize de France, et pareillement de ce qu'il a octroyé la croysade au roy d'Espaigne, laquelle il luy avoit long temps reffuzée.

Or, pendant qu'ilz sont en mauvais mesnage avec le Roy Catholique, semble qu'ilz entendront fort voluntiers à tous partiz pour bien asseurer le Roy de leur costé, s'il playt à Sa Majesté les asseurer du scien, soit par ouverte déclaration de persévérer aulx trettez de paix qu'il a avecques l'Angleterre, ou bien par secrecte promesse de ne prendre aucunnement les armes contre eulx en ceste guerre, ou bien de maintenir la neutralité entre les deux, ou bien encores, à cause de l'alliance qu'il a avec le Roy Catholique, de dissimuler aucunes choses, sans aucunement se déclarer.

Est à espérer qu'on obtiendra à ceste heure bien ayséement d'eulx qu'ilz ne convertiront de ceste année, directement ny indirectement, contre la France rien de tout cest appareil de guerre qu'ilz vont fère, et de ce pourront bailler quelque personnaige de qualité pour hotaige, qui se tiendra, soubz aultre occasion, avec monsieur Norryz en France jusques à la fin de la dicte guerre.

Et, si les choses devenoient à tel point qu'il fallût recourir à quelque terme de paciffication, s'estime que la Royne d'Angleterre pourroit procurer, et le feroit voluntiers, qu'elle se feist à l'advantaige du Roy et de la Royne, car vouldroit en toutes choses que l'auctorité demeurât à Leurs Majestez, affin que ses subjectz catholicques ne prinssent exemple de contradire à la scienne; et, si espéroit avoir tant de crédit envers le prince de Condé, et les princes d'Allemaigne, et l'Admiral, qu'ilz condescendroient à la plus part de ce qu'elle vouldroit, sur quoy se pourroit, à toutes avantures, tretter avec les dictz princes d'Allemaigne, par le moyen de la dicte Dame, que l'armée du dict prince d'Orange et les autres forces qu'ilz préparent encores s'abstinsent d'entrer en France, puis qu'ilz s'aydent de ses deniers et du crédict qu'elle leur faict.

Et toutjour sera il meilleur que cest appareil et effort d'Allemaigne aille plus tost sur notre voysin, qui n'a, à ce qu'on dict, faulte de rien, que sur nous, qui sommes en nécessité de beaucoup de choses, sans toutesfois l'abandonner, et considérer qu'ayant le Roy l'armée du prince de Condé au milieu de son royaulme, celle du prince d'Orange sur ung des bordz, et celle du duc de Deux Pontz preste à y entrer, qu'il sera au moins fort bon de n'attirer encores sur luy une aultre nouvelle guerre de ce costé d'Angleterre;

Et que Leurs Majestez se souviennent que, aulx premiers troubles, lorsque ceste Royne occupa le Hâvre de Grâce, le Roy d'Espaigne ne voulut autrement prendre notre party contre elle, que de fère aulcuns gracieulx offices de réconcilliation, ce que le Roy pourra aussi fère maintenant.

Que la Royne commande, à part, au Sr. de La Mothe ce qu'elle veult qu'il trette et négocie là dessus avec ceste Royne, car il le fera tout entièremant sellon son intention, et en telle sorte qu'il n'en aparoistra rien au monde qu'aultant qu'elle voudra.

Semble que, pour le desir que la Royne d'Angleterre a de conserver, à ceste heure, l'amytié du Roy et de la Royne Très Chrestiens, qu'elle fera beaucoup, pour leur recommendation, en l'endroict des affères de la Royne d'Escosse.

Elle a faict grand démonstration, en ceste saysie généralle des biens et personnes des subjectz du Roy d'Espaigne, qu'elle ne vouloit aucunemant toucher aulx Françoys, et a baillé lettres à aucuns officiers de ses portz et hâvres d'en délivrer certains qui estoient arrestez.

Dire à la dicte Dame, que le cappitaine Franchot monstre se porter, icy, comme serviteur du Roy, et mect peyne d'estre utille en tout ce qu'il peult au service de Leurs Majestez, ayant, à ce qu'il dict, aucuns moyens d'entendre assés les entreprinses que ceulx cy vouldroient fère contre la France, et qu'encor qu'il soit de la novelle religion, il procurera néantmoins toutjour le bien et la grandeur du Roy, et la conservation de son estat et authorité, dont supplie Leurs Majestez luy continuer sa pencion par les mains du dict Sr. de La Mothe, affin qu'ilz ne monstrent avoir oublyé son long et fidelle service, estant mesmement par deçà avec congé et licence de Leurs Majestez.

Proclamation faicte en Angleterre pour admonester toutes personnes de s'abstenir de traffiquer ez contrées et pays du Roy d'Espaigne, avec autres advertissemens pour respondre à un arrest général faict, ez Pays Bas, par le duc d'Alve, comme s'ensuyt:

Par la Royne.

La Majesté de la Royne ayant de naguières entendu que, par un soubdain commandement du duc d'Alve, comme gouverneur des Pays Bas, appartenant à la Majesté du Roy d'Espaigne, son bon frère, tous et ungs chacuns ses marchans et aultres, ses subgectz, demourans dedans la ville d'Envers, ont esté arrestez et mis en la garde de certaines compaignies de soldatz, et leurs biens et marchandises saysies, envyron le xxixe du moys dernier, de décembre, et despuys lequel temps semblable arrest a esté faict général par tous lesdictz Pays Bas; chose qui est bien estrange, et qui n'avoit jamais cy devant esté accoustumé entre la couronne d'Angleterre et la maison de Bourgoigne, que auparavant il y eust quelque manière de conférance, et intelligence eue, des intentions et voluntés des princes, mesmes d'une part et d'autre.

Sur quoy Sa Majesté a pensé qu'il étoit bon de donner advertissement à tous ses subjectz, qui ont accoustumé de traffiquer en aucuns des pays du dict Roy, à ce qu'ilz ayent à leurs en abstenir jusques à ce qu'on cognoisse plus oultre de la volunté du dict Roy, et comme il advouhera cecy, à ce que Sa Majesté en estant advertye le puisse notiffier à tous ses dictz subjectz. Et cependant Sa Majesté veult et commande à toute manière de ses officiers de villes, bourgs, citez, portz et toutes autres places à prendre terre dedans aucunes de ses dominations, qu'ilz facent que toutes et chacunes les personnes, natifz de quelque lieu soubz l'obéyssance du dict Roy d'Espaigne, ou vivans en ses pays, faisans profession d'obéyssance au dict Roy, ensemble leurs biens, marchandises, navyres et vaysseaulx, soient arrestez et estouppez, à ce qu'ilz puissent estre en seureté et responsables, tant pour l'indempnité de ses subjectz maintenant debtenuz sans aucune juste cause, que pour autres conséquences nécessaires; et que, aussi, en toutes les villes, hâvres et lieux habitables, où aucuns marchans, natifz ou faisans profession de l'obéyssance du dict Roy, qui seroient suspectés de latiter ou destourner leurs biens, par quelque manière de couleur, fraude ou marché, pour n'estre saysis et arrestez; là, les principaulx officiers desdictes villes et places, avec l'assistance d'autres justiciers de la paix, procèderont à faire inquisitions de ce, par tous bons moyens, et commectront en garde tant les parties, de quelque nation qu'ilz soient, qui auront esté prinz ou auront aydé à faire telles couleurs frauldeuleuzes, si ce n'est qu'ilz ayent confessé au précédant, que aussi tous autres qui auront coulouré iceulx, et les biens seront aussi miz en seure garde.—Et encores, parce que Sa Majesté n'a autre intention, en cecy, sinon que de mectre les subjectz du dict Roy, et leurs biens, en seureté, par cest arrest, pour la préservation de ses bons et propres subjectz, et leurs biens, et, pour estre respondans à telles autres désordonnées actions, qui pourroient ensuyvre, au moyen de si hastifs et estranges attentatz, elle veult et encharge à ung chacun de ses officiers, ministres et subjectz, qu'ilz n'ayent à uzer de violence pour blesser les personnes et subgectz du dict Roy au moyen de cest arrest, si ce n'estoit qu'ilz feissent quelque manifeste et voluntaire résistance, qui les provocast à ce fère; ny aussi que nulle despouille, dégast ou dommaige soit faict à leurs biens et marchandises, sinon les fère mectre en bonne et seure garde.

Et, si aucuns desdicts subjectz du dict Roy se vouloient dire exemptz de cest arrest pour estre naturalizés, Sa Majesté, à la vérité, n'ayant aultre intention que de les préserver de ce, toutesfois pour le temps qu'elle ne cognoist comme, en semblable, ses subjectz, estans naturalizés ez pays du dict Roy, sont ou seront ordonnés, il luy playt que les dictes personnes, estans vrayement naturalizés, ne seront tenuz que de bailler cautions suffizantes de se représanter, toutes foys et quantes, avec leurs biens; et s'ilz ne le veulent fère, adonc ilz seront baillés en garde à quelques aultres marchans angloys, prenant bonne et vraye inventaire de leurs biens, jusques à ce qu'elle aye cognoissance comme ses subgects sont ou seront traittez de l'autre part.—Et considérant aussi Sa Majesté deuhement advertye que grand nombre de gens de mestier, et autre peuple, sont, despuis le commancement des derniers troubles des Pays Bas, venuz en ce royaume pour évicter les dicts troubles, tant pour le respect de leurs consciences, que pour les dangiers, qui communément adviennent desdicts civilz troubles, sa volunté et playsir est que, en toutes places où telz seront trouvés estans de honneste et paysible conversation, excepté s'ilz estoient participans de ayder à coulourer les biens des autres marchans, ilz ne seront molestés ny en leurs personnes, ny biens, aultrement si ce n'estoit que les officiers des lieux veissent qu'il fût nécessaire de ce fère, et là, ilz bailleront obligations, l'un pour l'autre, de se représanter, et souffriront inventaire estre faicte de leurs biens.

Davantaige, Sa Majesté oyant par rapport que l'arrest de ses subgectz, du costé de delà la mer, auroit esté faict soubz prétexte qu'on auroit arresté ung navyre, et trois ou quatre petites barques, de naguières arrivez dedans certains portz de son royaulme, dedans lesquelz estoit certain argent monoyé, elle a trouvé bon de notiffier briefvement les circonstances de ce prétexte; par quoy on verra manifestement que cella a esté recueilly sans juste cause, et que les promoteurs et deviseurs de cella, quelz qu'ilz soient, y ont procédé sans ordre et bon adviz.—Sa Majesté fut premièrement advertye, par ses officiers de certains portz de son royaulme des pays du Ouest, que trois ou quatre petites barques, appellées zabras, estoient venus d'Espaigne en certains portz là, ayans dedans elles une quantité d'argent apartenant à plusieurs marchans d'Italye et des Pays Bas, et que plusieurs navyres de France, équippés en guerre, estoient sur ses costes prétendans de surprendre les dictz navyres d'Espaigne et leur trésor, s'ilz se remectoient en la mer, chose qui estoit aussi à craindre qu'ilz vollussent entrer dedans les portz et les prandre par force: sur quoy Sa Majesté envoya estroict commandement, par lettres spéciales, à tous les portz de ces parties là du Ouest, que les marchans et propriétaires des vaysseaulx eussent cognoissance de ce, et que eulx, et tous autres subgects du Roy d'Espaigne, fussent assistez et deffanduz à l'encontre des attentatz des Françoys par tous moyens possibles.

Après cella faict, l'ambassadeur d'Espaigne feyt pareille requeste d'avoir une nouvelle ordre pour la maintenance et assistance desdictz vaysseaulx et trésor à l'encontre des dicts Françoys, ce qui luy auroit aussi esté octroyé; et, pour cest effect, furent délivrez à ces messagiers certaines lettres patentes. Et, peu après cella, luy requérant à la Majesté de la Royne d'entendre son playsir, sçavoir, si elle vouloit estre contante que les propriétaires et conducteurs dudit trésor peussent estre convoyés, ou par mer, ou par terre, à Douvres, prétendant l'argent appartenir au Roy son Maître, Sa Majesté luy accorda que lequel il vouldroit choisir des deux pour le plus seur moyen luy seroit incontinent adressé; sur quoy, il remercya Sa Majesté, disant qu'il targeroit jusques à ce qu'il eust envoyé ez Pays Bas pour avoir parolle du duc d'Alve par lequel des deux chemins il le vouloit avoir transporté.—Cependant Sa Majesté fut informée que les Françoys estoient entrez, de nuict, secrectement, dedans l'ung de ses hâvres au Ouest, où estoit le dict trézor, ayant attempté de le surprendre. Mais ilz furent seulement repoulcés avec telles forces que les officiers de Sa Majesté avoient apresté pour cella, chose qui est notoire en tous les lieux, où lesdicts navyres ont esté assailliz, et qui a esté aussi bien rapporté au dict ambassadeur.

Sur quoy, vû combien cella estoit doubteux, et avec cella chargeable de foys à aultre, de le préserver estant dehors ou dedans les hâvres, il fut pencé meilleur, pour l'honneur de ce royaulme, que le trésor fût mis à terre, et là seurement préservé à la veue et présence de ceulx qui estoient chargés d'icelluy, sans toucher ou tirer aucune portion d'icelluy; et estant certainement cogneu appartenir aulx marchans, il fut aussi advizé, après la deue préservation d'icelluy des dangiers de la mer, non point par une motion irraysonnable ny au contraire de l'honnorable usaige des princes en leurs dominations, de tretter avec les propriétaires, à leur bon contantement et non autrement, de l'emprunter, ou portion d'icelluy, sur pareille bonne asseurance et conditions, comme Sa Majesté a souventeffoys emprumptè à autres marchans, subgectz du dict Roy, en ces propres Pays Bas, et comme aultres princes ont faict de naguières, en semblable cas.—Semblable chose a esté faicte envers un navyre, estant près Southampton, chargé de laines, et dedans laquelle y avoit un trézor, et en dangier apparant des Françoys rouant sur ces costes, lesquelz avoient faict de grandes offres aulx officiers des lieux seulement pour retirer leurs deffances; et pour cest effect Sa Majesté envoya au cappitaine de l'isle d'Ouyc pour leur secours, et à ce que cella fût aussi préservé des Françoys, et apporté à terre; que, si cella n'eust esté faict, les Françoys l'eussent prins dedans xxiiij heures après; lequel aussi estoit cogneu appartenir aux marchans, et ainsi a esté notoirement prouvé.

Et, avant que le dict cappitaine eust pris la charge de le veoir préserver, il est cogneu quelles sommes d'argent luy furent offertes de laisser seulement le navyre dedans lequel estoit la laine, après que le trésor en fut dehors, demeurant indeffansable: ce que le dict cappitaine ne vollust souffrir, ains feyt armer, à grandz costages, certains soldatz par mer, lesquelz, encores présentement, continuent la garde du dict navyre.—Et, durant ce temps, pendant que l'on donnoit ordre à cella, l'ambassadeur d'Espaigne vint à Sa Majesté, envyron le xxixe de décembre, apportant avec luy une briefve lettre du duc d'Alve seulement de créance, et sur cella requist que les vaysseaulx et argent arrestez aulx portz fussent miz en liberté comme appartenant au Roy son Maistre; auquel Sa Majesté feyt responce que si l'argent appartenoit au Roy, elle luy avoit monstré en son faict ung bon playsir de l'avoir sauvé des Françoys, luy monstrant en cella quelque particularité de la dilligence de ses officiers: mais elle estoit informée qu'il appartenoit aulx marchans, et en cella, dedans quatre ou cinq jours, elle en entendroit davantaige, et l'asseura, sur son honneur, que rien ne seroit faict en cella au mescontentement du Roy, son bon frère, comme aussi il le cognoistroit, dedans quatre ou cinq jours, à son prochain retour, et ainsi il se partit ne faisant aparoir estre mal contant de sa responce, et s'en contantoit.—Et Sa Majesté, cependant, ayant, sellon son expectation, responce du pays du Ouest, dont elle prétendoit satisfère le dict ambassadeur à sa venue, ce que elle actendoit suyvant son appoinctement, non seulement pour la délivrance des dicts navyres et trésor, pour telle portion qu'il apparoistroit appartenir au dict Roy, ains aussi d'accomplir sa première offre de donner conduicte pour icelluy par terre ou par mer.

La première intelligence qui auroit esté apportée à Sa Majesté (sans le retour du dict ambassadeur), fut que tous ses subjectz, biens, marchandises et navyres, estoient arrestez, prins et gardés en Envers, comme prisonniers, ce mesme propre xxixe jour, que l'ambassadeur estoit avec Sa Majesté; ainsi comme cella chet hors de tout entendement des hommes, que Sa Majesté, quelque chose qu'elle eust satisfaict l'ambassadeur, ce xxixe jour, tous ses subjectz et leurs biens furent toutesfoys arrestez ainsi qu'ilz estoient à Envers ce jour là.—Sur cella Sa Majesté laysse, à ceste heure, au jugement de tout le monde à considérer non seulement si telle prétence estoit suffizante de fère si soubdainement ung si violent et si général arrest avec force, en telle manière, et, à ceste foys, comme il a esté faict, mais aussi en celluy auquel seroit trouvé faulte, quoy qu'il puisse advenir de cecy, Sa Majesté n'ayant jamais eu volunté de mescontanter le Roy d'Espaigne, ny de posséder aucune chose appartenant à ses subjectz, aultrement que de leur bonne volunté, sur juste, raysonnable et usitées conditions. Et, de tout ce que dessus Sa Majesté a pencé estre conveinent le notiffier à toutes personnes pour tesmoignage de sa cincérité, et pour la maintenance de ses actions, quelques qu'ilz seront, ausquelles elle est par ces moyens provocquée.

At Hamptoncourt, le vıe de janvier, le xıe an du règne de Sa Majesté, et, en l'an mil cinq cens soixante neuf.

Dieu saulve la Royne.

Imprimé à Londres, au Simitière St Pol, par Richard Jougge et Jehan Cannont, imprimeur de la Majesté de la Royne, avec le privilège de Sa Royalle Magesté.

XIIe DÉPESCHE

—du xvııe de janvier 1569.—

(Envoyée par Jehan Pigon dict Letourne.)

Arrestation de l'ambassadeur d'Espagne et des capitaines des navires espagnols.—Commun desir de négocier.—Avantage qu'il y aurait pour le roi de proposer sa médiation.—Retour du vice-amiral Winter.—Refus fait à l'ambassadeur de France de lui accorder des passe-ports.—Funeste influence de tous ces évènements sur les affaires de la reine d'Écosse.—Réponse de l'ambassadeur d'Espagne à la proclamation de la reine d'Angleterre.

Au Roy.

Sire, j'estime qu'après que le Sr. de La Croix, lequel je vous ay naguières dépesché, vous aura faict entendre la disposition en quoy m'a semblé que la Royne d'Angleterre se mect pour monstrer quelque rescentiment de la saysie, que le duc d'Alve a faicte des biens et personnes de ses subjectz au Pays Bas, que Votre Majesté desirera encores sçavoir à quoy, de jour en jour, s'achemineront ses entreprinses; dont je me rendray diligent de vous escripre par le menu, et suivant les adviz que j'en pourray avoir, qui ne seront, possible, toutjour bien conformes les ungs aulx aultres, pour l'irrésolution et incertitude de ceux qui font icy les délibérations, lesquelz sont assez coustumiers de les rétracter, et advient souvent que ce qu'on en pense avoir bien aprins le matin, se trouve, le soir, tout changé. Mesmement en ce faict qu'une partie des seigneurs, et du peuple de ce royaulme, réclament à voix haulte l'ancienne aliance de la mayson de Bourgogne, et que ceulx qui plus révocquent à injure cest acte du duc d'Alve, et qui plus animent ceste princesse contre luy, craignent qu'il leur soit quelque foys reproché d'avoir trop légièrement précipité leur Maistresse en ceste périlleuse entreprinse, et que les maulx, qui proviendront de l'ouverture de la guerre contre ung si puissant prince, et de la ropture de son alliance, ne leur soit redemandé avec le péril de leurs testes. Tant y a que, despuys avoir saysi les biens et personnes des subjectz du Roy d'Espaigne, et arresté prisonnier son ambassadeur en son logis soubz la garde de trois gentilz hommes, et faicte la proclamation que je vous ay envoyée, la dicte Dame a faict ouvrir les coffres et quaysses des réales d'Espaigne qu'elle a faict arrester en ses portz, où s'est trouvé, à ce que j'entendz, ung peu plus d'ung million d'argent; et faict on compte que les aultres biens arrestez par deçà sur les subjectz du Roy Catholique excèdent au double, et au triple, ceulx des Angloys qui sont arrestez en Flandres.

Les cappitaines des navyres, qui portoient le dict argent, ont esté aussi faictz prisonniers et menez en ceste ville, dont de tout ce dessus le dict ambassadeur d'Espaigne a faict une despesche au duc d'Alve, en laquelle semble qu'il rejecte tout le mal sur la passion et animosité du Sr. Cecille, s'attendant bien qu'elle sera intercepté, comme elle a desjà esté; mais n'aura que playsir qu'elle soit ouverte et leue en la présence de la Royne d'Angleterre et de ceulx de son conseil, espérant que ceulx qu'il sçayt n'estre mal affectionnez au Roy, son Maitre, et estre bien fort contraires au dict Cecile, y trouveront assés de quoy grandement le taxer, et leur a, d'abondant, administré matière pour le pouvoir encores mieulx fère par ung escript, qu'il leur a secrètement envoyé, qui contient la descharge du duc d'Alve et de luy, tout au contraire de ce qui est porté contre eulx par la susdicte proclamation, du vıe de ce mois, ainsi que Votre Majesté le verra par la dicte responce, que j'ai mise dans ce pacquet. Et m'a esté dict qu'aulcuns des principaux seigneurs de ce conseil se sont, jeudy dernier, assemblés à Nonchis, chez le conte d'Arondel, sur ceste matière, où le dict Cecille n'a point esté appelé.

Je n'ay encores peu sçavoir, à la vérité, quel personnaige ceste Royne envoyera devers le Roy d'Espaigne; car semble qu'on luy ayt proposé des difficultez, touchant ceux qu'elle avoit advizé d'eslire pour ce voyage, luy remonstrant que si elle envoye quelcun de ceulx qui ne peuvent rien comporter de la religion catholique, qu'il luy sera faict pareil escorne qu'on a faict à son dernier ambassadeur, et, si c'est un personnaige qui tienne encores du catholique, qu'elle le doibt avoir en cecy pour fort suspect. D'ailleurs, l'on m'a dict qu'elle y avoit desjà dépesché secrètement ung gentilhomme, par la voye de la mer, l'ayant envoyé embarquer au cap de Cornoailhe, ce que n'a grand aparence. Mais Votre Majesté pourra faire prendre garde, par Mr. de Forquevaulx, de dellà, s'il y en arrivera quelcun, et quelle responce le Roy Catholique fera en cecy, selon laquelle l'on pourra mieux juger du progrez de ceste guerre; car ceulx cy ont desjà faict entendre au sus dict ambassadeur que, s'il vouloit mander sa détention, et les autres choses de deçà, au duc d'Alve, et bailler son passeport pour celluy qui luy apportera la lettre, qu'ilz la luy envoyeront incontinant, avec semblable passeport pour tel gentilhomme que le dict duc vouldra renvoyer devers luy. Et au Sr. Roberto Ridolphi, gentilhomme florentin, personnaige de bonne qualité, qui s'est offert d'aller, comme de luy mesmes, tretter de réconciliation et de quelque modération en cest affère avec le dict duc, ilz le luy ont bien fort gratiffié, et sont encores à dellibérer s'ilz luy concèderont d'y aller, ou non, ne tennant toutesfois qu'à ce qu'ilz ne veulent estre veuz rien defférer au dict duc; mais si le dict duc envoyoit devers eulx, je ne fays doubte que son messaige ne fût bien voluntiers accepté. Par ainsi, ilz demeurent seulement sur la réputation à qui envoyera le premier, en quoy semble, Sire, que quelque honneste et gracieux office, de la part de Voz Majestez Très Chrestiennes, interviendroit, à ceste heure, bien à propos entre ces princes, voz alliés, pour les réconcilier; car, oultre que ce seroit œuvre digne de votre grandeur, et par où vous obligeries l'ung et l'autre, je considère que, si les Anglois ont une foys faict leur appareil de guerre, comme ilz sont après à armer quinze grands navyres et grand nombre d'autres vaysseaulx, et lever gens de guerre, et que, puys après, ils demeurent d'accord avec les Payz Bas, qu'il sera aysé de les pousser et persuader de convertir leur dict appareil au secours de ces princes, qui mènent la guerre en France, là où, s'ilz sont destournez de commancer la despence pour une telle guerre, il est à espérer qu'ilz ne s'y mectront guières avant pour une aultre.

J'avois délibéré de veoir demain ceste princesse sur le contenu de vos dernières dépesches, et sur le faict de la Royne d'Escosse, lequel semble n'aller si bien maintenant, comme despuis quelques jours nous l'avions espéré, mais l'audience m'a esté différée jusques à mercredy prochain, en laquelle je toucheray à la dicte Dame ung mot des choses dessus dictes, affin de descouvrir ce que je pourray de son intention pour le vous mander par mes prochaines, aydant le Créateur, auquel je supplie, après avoir en cet endroict baisé très humblement les mains de Votre Majesté, qu'il vous doinct, Sire, en parfaite santé, très heureuse et très longue vie et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

De Londres ce xviȷe de janvier 1569.

Despuis la présente escripte, on m'a adverty que Me Ouynter est revenu avec les navyres de ceste Royne, dont je mectray peine d'entendre l'exploict qu'il aura faict en son voyage, et cependant, parce qu'on pourroit icy simuler une chose pour en exécuter une autre, et qu'on ne peult bien préveoir où s'adressent les entreprinses de mer, qui toutes foys sont fort soubdaines, je supplie très humblement Votre Majesté fère advertir, de bonne heure, toutes voz viles et places, de sur la mer, de cest aprest de deçà, affin qu'elles se tiennent sur leurs gardes.

A la Royne.

Madame, affin que le Roy et Vous ne demeuriés sans avoir ordinairement adviz commant les choses passeront de deçà, mesmement à ceste heure, que ceulx cy se préparent d'avoir la guerre contre le duc d'Alve, je mectray peyne de vous escripre souvant, et d'envoyer toutjour quelcun des miens bien instruict devers Vos Majestez. Il est vray que l'on faict icy assés de difficulté de me bailler des passeports, me tennant pour fort suspect, à cause de l'alliance et estroicte confédération que le Roy d'Espaigne a avecques Vos dictes Majestez, de quoy ceste Royne est plus jalouse que de nulle autre chose de ce monde. Mais affin qu'ilz ne m'osent doresenavant desnyer les dictz passeportz, quant je leur en demanderay, non plus que Voz Majestez n'en font jamais reffuz à leur ambassadeur de dellà, il vous plairra, Madame, en fère dire ung mot au dict ambassadeur. Et semble aussi qu'il seroit bon que ceulx qui vouldroient aller d'icy en France, et de France icy, prinsent passeport de votre ambassadeur, ou aultrement, qu'il fût mandé aulx passaiges de les arrester et visiter; et par ce moyen j'aurois la commodité de vous escripre souvant, et vous advertir de beaucoup d'allées et venues, qui, aultrement, me demeureront incogneues.

Le faict de la Royne d'Escosse est toujour sur le bureau, et millord Jemmes en presse extrêmement la détermination, sentant que les Amiltons ont deja miz quelques forces ensemble, et que le chateau de Donbertran a esté avitaillé. Je crains certes d'avoir faict trop véritable jugement de l'yssue, que ceulx cy donront aulx affères de la dicte Dame, car j'entendz qu'ilz y procèdent avec beaucoup de défaveur d'elle et de sa cause. Je ne cesse de la secourir, de la part de Voz Majestez, envers ceste Royne et envers les seigneurs de son conseil, par tous les bons et dilligens offices que je puys, et encores, à ceste prochaine audience, j'en feray une bien vifve recharge, dont par mes premières je vous manderay ce que, en cella et autres choses, elle m'aura respondu, et prieray, en cest endroict, le Créateur, après avoir très humblement baisé les mains de Votre Majesté qu'il vous doinct, Madame, en parfaite santé, très longue vie et toute la prospérité que vous desire.

De Londres ce xviȷe de janvier 1569.

Response de L'ambassadeur d'Espaigne à la proclamacion faicte en Angleterre, le vȷe de janvier 1569[44].

Don Gueran d'Espes cavallero de la orden de Calatrava, del consejo de Su Magestad y su embaxador açerca de la Serenissima Reyna de Ingalaterra, a todos los que la presente veiren salud y amor.

Por quanto por parte de la Serenissima Reyna de Ingalaterra y en nombre suyo se ha publicado una proclamaçion imprimida a los vj de enero en la ciudad de Londres, queriendo dar alguna culpa a la Excelencia del Illustrissimo Duque d'Alva de haver hecho la general detençion de los bienes y personas de los Inglezes que fueron hallados en los Payses Baxos, porque parezca claro quan sin culpa esta dicho Illustrissimo Duque y assi mismo la verdad de todo el trato como passa, os hazemo saber que, a los xxiij de noviembre del año passado, nos fue dado aviso como en la parte del weste avian aportado algunas naves y zabras que venian d'España con el dinero que Su Magestad Catholica embiava a Flandes para la paga de su exerçito y que llegavan y estavan con algun peligro por causa de los cossarios françeses y inglezes que juntos por alli robavan todas las naves assi de Françeses como d'Españoles, Flamencos y otros subditos y vassallos de Su Magestad.

Y assi nos determinamos de pedir audiençia d'esta Serenissima Reyna, la qual nos fue dada a los 29 del dicho mes de noviembre, en la qual le supplicamos que, conforme a la confederaçion y amistad, qu'entre el Rey nuestro Señor y Su Magestad avia, mandasse deffender en sus puertos dichos nuestros navios y dar passaporte, si fuesse menester, para traer el dinero por tierra hasta Dobla o algunas naves de las de Su Magestad armadas a nuestra cuesta para conduzir este dinero a salviamento en Anvers. Loqual todo conçedio Su Magestad muy benignamente y nos lo hizimos saber al dicho Illustrissimo Duque, el qual se hallava en Cambrezy acabando de hechar de aquellos estados los rebeldes de Su Magestad Catholica, para que Su Excelencia escogiesse el partido que mejór le pareçiesse. Y entretanto que tardava a venir su respuesta, recreciendose que Kerkem y Cortene piratas inglezes, que pocos dias antes avian armado en compañia de otros françeses, avian tomado tres ulcas flamencas y una nave española muy ricas y traidas al puerto de Plemua y otros de aquella costa, y dividida, y vendida a su voluntad la preda y robo, y assi mismo que en los puertos de aquellas partes los cossarios y otras personas de la tierra probavan a invadir dichos navios y defensores dellos, sin que se pusiesse en ello general y conveniente remedio.

Viendo que los cossarios paseavan publicamente por la isla, y tenian favor en corte y sacavan libranças y mandamientos para la seguridad de algunas depredaçiones que avian hecho, dimos razon dello al muy illustre Roberto conde de Leçester y al magnifico ser Guillelmo Cecil principal secretario d'esta Serenissima Reyna, personas importantes en su consejo, la qual fue a los xij de deciembre, monstrandoles los grandes inconvenientes que de sufrir semejantes piratas se podrian seguir, y como era contra la paz publica, amistad y confederaçion de la Casa d'Ingalaterra y de Borgoña; y embiamos a pedir audiençia a esta Serenissima Reyna que nos fue conçedida para los xiiij siguientes.

Este mismo dia de los xij; Su Magestad firmo el passaporte para hacer traer todo este dinero por mar o por tierra con toda seguridad conviniente, y assi, tambien en la audiençia de los xiiij refirmo su palabra y seguridad real, dió nuevas cartas y mas encaresçidas que las primeras a todos sus ministros en aquellas partes y otras para Guilielmo Wynter, capitan de muchas naves suyas, que se pensava entonçes se hallaria en aquellas partes del weste, y assi nos despachamos a Pedro de Madariaga y Pedro Martinez habitantes d'esta çiudad de Londres, los quales, al xviij del mes passado, llegaron a Antona y en el otro dia, de mañana, presentaron y registraron su passaporte y advertido Lope de la Sierra, capitan de una nave qu'estava en aquel puerto con cinquenta y nueve caxas de moneda, passaron adelante camino de Plemmua para hazer lo mismo alli y en Fabique y hablar con el capitan Winter.

El mismo dia qu'ellos partieron de Antona, llegó alli Horsy capitan de la isla de Wicht y otros embiados por la Serenissima Reyna de Ingalaterra y con muchos barcos y gente en ellos, entraron en la nave del dicho Lope de la Sierra, y sin respeto del passaporte y securidad sobredicha, contra voluntad del dicho Lope de la Sierra, sacaron todas las caxas de la moneda en tierra y las encomendaron a los que les parescieron, sin permittir al dicho Lope de la Sierra ni ninguno de los suyos que assistiessen a la guarda de las dichas caxas. De lo qual el dicho Lope de la Sierra nos dio luego aviso, y assi, a los XXI del passado, nos despachamos correo advertiendo de tan grande novedad al Illustrissimo Duque d'Alva. Ya en este tiempo eramos bien çertificados de muchas personas de gran authoridad en esta isla como la Serenissima Reyna determinava de tomarse este dinero con achaque de dezir que era de particulares personas, aunque fuessen vassallos de Su Magestad Catholica.

Todavia, el mismo dia de xxi, escrivimos a la dicha Serenissima Reyna, quexandonos d'este aggravio y supplicandola nos teniesse su palabra y passaporte paraque este dinero fuesse a Anvers como estava conçertado. En la misma carta tambien nos quexamos a Su Magestad que siendo en el dicho puerto de Antona mandada detener por justicia ordinaria una nave robada de los piratas, cargada de mercadurias de vassallos de la Magestad Catholica por cartas y mandamientos suyos fuesse librada y vuelta en poder de los piratas. Su Magestad Serenissima no nos mando responder por escritto y algunos de sus ministros dixeron de palabra que Su Magestad guardava aquel dinero para el Rey nuestro Señor y que despues de dado el passaporte avia sabido otras cosas y a mis criados que pidieron audiençia no les quizieron aquel dia dar respuesta resoluta ni certificar si en las zabras de Plemua y Fabique avian innovado otro tanto loqual despues ha parescido ser assi y que avian en aquel tiempo quitado tambien las velas y xarçia de los dichos navios, poniendo en cada nao guarda de Inglezes y quitando a los maestros todas las escrituras de cartas, y conosçimientos, y el otro dia despues que fue a los xxiij envie a insistir a pedir audiençia la qual nos fue prorogada hasta los xxix del dicho mes, en la qual, con todo acatamiento, nos quexamos a la dicha Serenissima Reyna de la dicha novedad cometida en Antona, suplicandola la mandasse remediar conforme a sus ofreçimientos, a la razon y justiçia, confederaçion y amistad que con el Rey nuestro Señor tenia.

A todo lo qual Su Magestad, con muy suaves palabras, respondio que el sacar en tierra los dichos dineros avia sido para mejor guardar los para serviçio del Rey su buen hermano, encareçiendo mucho la determinaçion y atrevimiento de los cossarios.

Lo qual todo le açeptemos por parte del Rey nuestro Señor y se lo agradeçimos infinitamente ofreçiendole que Su Magestad ternia perpetua memoria dello y passamos adelante a suplicarla que diese las naves prometidas para la guarda d'este dinero y conduzir le hasta Anvers como antes, con tanto amor, avia conçedido.

A lo qual Su Magestad se muestró luego renitente, significando que dos Ginoveses le havian hecho entender qu'este dinero no era de Su Magestad Catholica, sino de algunos mercaderes y que assi ella le queria retener para su uso, pagando alguna cosa por el interesse a sus dueños.

A lo qual nos le replicamos instantemente, assi por la autoridad de nuestro cargo y la obligaçion que Su Magestad tiene por el de creer nos, como en virtud de una carta de creençia del Illustrissimo Duque d'Alva, la qual entonçes le dimos en sus manos, que aquel dinero era de Su Magestad Catholica y venia para serviçio de su campo, traydo d'España para la sola paga de su gente. En lo qual Su Magestad estuvo muy dura y muy differente de lo que en las otras audiençias la haviamos hallado con gran maravilla nuestra de que una Reyna tan exçellente, por induzimiento de persona alguna, en tal tiempo en que ella auria de socorrer, con su proprio dinero, las cosas del Rey nuestro Señor en Flandes, le quisiesse detener o tomar sin tener respetto a la amistad que deve a un tan grande prinçipe. Y assi quedamos sin otra resoluçion alguna d'esta audiençia, sino que dentro de iij o iiij dias nos haria informar como aquellos dineros eran de mercaderes; en lo qual hasta oy no ha hecho nada quedamos d'esta respuesta muy mal satishechos y despachamos un secretario nuestro a dar razon dello al Illustrissimo Duque d'Alva, mal contentos tambien de los consejos que en estos dias se tenian continuos con los agentes de los rebeldes del Rey, nuestro Señor, en perjuyzio, segun pareçe, de la amistad antigua.

El Duque entretanto con el primero aviso nuestro de la detençion de la moneda y relaçion de algunos soldados de la nave del dicho Lope de la Sierra que alla fueron, viendo un aggravio tan manifesto, y que a todos los d'esta isla, assi catholicos como de la nueva relligion, pareçe mal y creiendo qu'esta detençion no partia de la mente d'esta Serenissima Reyna, sino de algunas otras personas que no tienen aquel zelo que conviene, passó a mandar a detener los bienes y personas de los Inglezes, como a camino qu'esta Serenissima Reyna avia antes hallado, sin provocar la persona alguna a ello por el Rey nuestro Señor, atendido que por parte de Su Magestad Catholica y de sus governantes y subditos se le ha guardado siempre buena vezindad y amistad y esta Serenissima y Nobilissimo Reyno han recibido de la mano de la Magestad Catholica todo favor y amparo, por lo qual siendo tan claro y notorio lo hazemos saber a todo el mundo para que conste eternamente de la verdad y buenos progressos assi del Illustrissimo Duque d'Alva como nuestros, observando enteramente el respetto y fe devida a los amigos y ampararando con neçessarios presidios y fuerças los subditos del Rey nuestro Señor defendiendo su authoridad y grandeza por los medios que para ello el tiempo muestrara ser convenientes.

XIIIe DÉPESCHE

—du xxe de janvier 1569.—

(Envoyée par Jehan Vallet jusques à Calais.)

Première entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth après la saisie des Pays-Bas.—Protestation de la reine qu'elle veut maintenir la paix.—Ses plaintes contre l'ambassadeur d'Espagne.—Elle justifie son arrestation, contre laquelle réclame l'ambassadeur de France.—Elle se plaint d'un acte d'hostilité exercé sur les côtes de Bretagne contre la flotte anglaise.—L'ambassadeur demande des explications sur un ordre qui aurait été donné par la reine d'arrêter quelques navires français.—Exécution en France de plusieurs Anglais, pris les armes à la main.—Marie Stuart fait demander communication des pièces que l'on prétend lui opposer.—Relation envoyée par les protestants de leurs opérations militaires.—Lettre écrite de la Rochelle sur le même sujet.

Au Roy.

Sire, ayant esté, ces jours passés, devers la Royne d'Angleterre à Antoncourt, encor que je l'aye trouvée comme en deuilh pour la mort de madame de Quaynelles, sa cousine, qu'elle aymoit sur toutes les femmes du monde, elle n'a layssé pourtant de me recepvoir avec beaucoup de faveur et de gracieuseté, et, après m'avoir dict quelque peu de motz du regrect qu'elle avoit à la perte d'une si bonne parente, et que son habit de dueil, qu'elle avoit prins, n'exprimoit que bien peu de la grandeur du mal qu'elle en sentoit, elle m'a demandé incontinent de voz novelles: à quoy je luy ay respondu que j'estois venu expressément pour luy conter celles que Voz Majestez m'avoient escriptes, du xxviȷe du passé, et du premier de cestuy cy, n'en ayant point de plus fraisches, et que, par voz deux lettres, me commandiés luy donner bon compte de voz évènemans et du succez de vos affères, comme chose que vous estimés estre deuhe à l'entretennement de la bonne paix et sincère amytié, que vous aviez avecques elle; qui aussi aviez heu grand playsir d'entendre, par aucunes de mes lettres, qu'elle se fût resjouye de les sçavoir bonnes, et eust monstré desirer le bien et advantaige de voz affères; dont me commandiez l'asseurer de votre bonne correspondance en cella, et que, de tout ce qu'entendrés à jamais de sa prospérité et de ses bonnes fortunes, vous en auriez pareil playsir que des vostres prospres. Puis suyviz à luy dire les particularitez que me mandiés de l'exploict de votre armée, que conduict Monsieur, frère de Votre Majesté, contre le prince de Condé, et de celle que conduict monsieur d'Aumalle contre le prince d'Orange, avec quelque discours du retardement, que l'aspreté de l'yver, et la difficulté des passaiges, et l'avantaige des lieux avoit donné à mon dict Sieur de ne pouvoir sitost exécuter son entreprinse, et aussi du temporisement du dict prince de Condé pour espérance de se joindre à l'armée du prince d'Orange, ce que n'avoit si peu de difficulté qu'il ne semblât estre impossible, desduysant les bons advantaiges que Dieu vous avoit donnés en ceste guerre.

A quoy elle m'a respondu qu'elle ne vouloit faillir de vous rendre ung bien grand mercys pour le compte en quoy vous monstriez la tenir, et encores ung autre grand mercys, dont il vous playsoit satisfère en cest endroict bien fort à son affection, qui desiroit en ce temps sçavoir souvent de voz nouvelles, priant toutesfoys Dieu qu'elle en peust ouyr bien tost de meilleures que celles qu'on luy avoit dictes despuys deux jours, lesquelles luy faisoient regrecter que Voz Majestez eussent mesprisé son conseil, encor que ne fût que d'une femme, sur ce qu'elle vous avoit prié pour la paix de votre royaume. Et s'eslargit ung peu avec parolles aigres contre les autheurs et semeurs de guerres, disant que les princes les debvoient poursuyvre de mort, comme ennemys conjurés contre eulx et pernicieux à leurs estatz. A quoy je ne luy voluz incister sinon en tant qu'il sembloit qu'elle volust charger sur aucuns catholicques, et je miz peyne de rejecter cella sur ceulx de l'autre party, qui vouloient tenir trop ferme, et trop s'opposer au vouloir et intention des princes; dont luy diz qu'elle sçavoit bien à quoy s'en tenir, et qu'elle pouvoit mieulx juger que nul aultre si les catholicques de son royaulme n'estoient pas bien patiens et bien obéyssantz.

Elle poursuyvit encores quelques parolles de cette matière, et puys vint à dire qu'il ne tenoit à l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, qu'il n'y eust desjà guerre allumée entre les pays de son maistre et les sciens, et qu'elle avoit esté trompée en ce personnaige, quelle avoit estimé bien honneste et bien modéré, et n'eust jamais pencé que, pendant qu'elle estoit à tretter doulcement avecques luy de la conduicte de ces réalles d'Espaigne, et de les mectre à seureté, les ayant desjà sauvées de la main des pirates, il eust, par ses lettres dont elle avoit la coppie, faict arrester les biens et personnes des Angloix en Envers, mandant de dellà le contraire des bonnes parolles qui avoient esté tenues entre eulx; et avoit encore escript d'elle en aultre sorte qu'il ne debvoit, l'ayant nommée Oriane en aulcunes de ses lettres, de quoy elle n'estoit moins offencée que du demeurant: et que, s'il eust esté son subject, elle l'eust desjà faict poursuyvre par la rigueur de justice, et que le duc d'Alve, aussi, avoit esté trop soubdain à le croire, duquel ne se pouvoit dire qu'il n'eust procédé, et arrogamment, et légièrement en ce faict; arrogamment, de n'avoir daigné luy escripre q'une petite lettre que la dicte Dame compara à ung valentin[45], où il n'y avoit que cinq ou six motz portans créance sur le dict ambassadeur; et légièrement, de ce que, sans occasion, il avoit exécuté ung acte trop universel, non seulement de saysie, mais comme d'hostillité sur ses subjectz; et que le dict duc n'estoit si grand, ny elle si petite, ny l'affère si peu important, qu'il ne peust bien avoir prins la peyne de luy en escripre au long, et d'avoir envoyé sçavoir commant les choses alloient de deçà, avant attempter ainsi cest outrage contre elle, et les sciens de dellà; mais qu'elle espéroit tant de la bonté et vertu du Roy Catholique, et de la vraye amytié, qui est de si long temps confirmée entre eulx et leurs estatz, qu'il n'advouhera ny ce que le duc d'Alve a faict, ny ce que l'ambassadeur luy a escript.

A quoy j'ay respondu que je la supplioys de considérer qu'il importoit grandement au duc d'Alve que ses deniers ne luy fussent ny empeschés, ni retardés, estant en ung pays où plusieurs choses luy estoient suspectes, et où il avoit une armée en estat, composée de diverses nations assés accoustumées de faire mutination ou de deffaillir, quant argent deffailloit. Mais je m'asseurois que se ressouvenantz, devant six sepmaines, le Roy d'Espaigne et elle, de l'ancienne alliance qui a esté toutjour entre ce royaume et la maison de Bourgoigne, qu'ilz demeureront de bon accord, et que, quant mesmes il y auroit quelque occasion d'aigreur entre eulx, que leurs pays et subjectz ne permectroient qu'ilz passassent à nulz exploictz de guerre l'un contre l'aultre. Et j'adjouxtay, qu'estant, à ceste heure, le Roy Catholique veufve et pour sercher party, qu'il ne vouldroit, pour chose du monde, offencer une telle princesse à marier comme elle estoit, ny elle pareillement luy, tant qu'il seroit en ce pourchaz.

Elle respondit, en ryant, qu'elle s'asseuroit bien fort de l'amytié du Roy d'Espaigne, et que comme, de sa part, elle seroit bien marrye de luy commancer la guerre, qu'aussi pensoit elle qu'il ne la luy mouveroit jamais sur ung si mauvais fondement comme cestuy cy, que le duc d'Alve et son ambassadeur luy vouloient fère prendre; et qu'elle avoit envoyé le vray discours de tout au Sr. Norrys, son ambassadeur, pour le bailler au Sr. don Francès d'Alava, affin de le fère tenir au Roy d'Espaigne, son Maistre; et qu'elle ne délibéroit point, pour la longueur du chemin, envoyer autrement devers luy, me priant escripre à Voz Majestez Très Chrestiennes vouloir croire le compte très véritable de ces choses, tel que son dict ambassadeur Norrys vous l'aura dict, et qu'elle vous prye ne vouloir, par aulcune de voz actions, ny démonstrations, justiffier ceste entreprinse du duc d'Alve, comme contraire au respect qu'on doibt avoir à n'altérer ny enfraindre les bonnes et sincères amytiés des princes.

A quoy luy ayant dict que son ambassadeur n'auroit pas failly de fère si bien cest office que ce que j'en dirois maintenant n'y pourroit rien adjouxter, elle me fit une bien expresse recharge que je ne le volusse oblyer par mes premières. Puis, je suiviz à luy dire que, si le duc d'Alve estoit son prisonnier, j'attendrois que quelque autre duc commançât de parler pour luy, mais que je la supplioys ne trouver mauvais si, pour l'ambassadeur d'Espaigne, par ce que telles personnes, pour rayson de la charge, m'estoient recommandés, je luy disois que, despuys que Dieu avoit estably les puyssances au monde, les ambassadeurs avoient esté toutjour respectez, et leurs personnes demeurez intactes, mesmes l'on avoit, au millieu des plus aspres guerres, toutjour heu esgard de ne toucher à eulx, ny tretter leurs personnes que bien fort honnorablement, et qu'elle avoit accepté cestuy cy pour ambassadeur d'ung grand Roy sur les lettres de sa légation; par ainsy, qu'elle vollust avoir esgard à luy, non qu'il m'eust pryé, ny faict prier d'en parler, mais qu'ainsy le requéroit le pareil office que nous avions tous deux, en ung mesme temps, devers elle, et qu'il luy pleust me permectre de le visiter au moins une fois la sepmaine, en présence des gentilshommes qui l'avoient en garde.

Elle m'a respondu que, veu les termes en quoy il s'estoit efforcé de la mettre avec le Roy son Maistre, il n'estoit pas rayson qu'il veît les appareilz qu'elle feroit pour se deffendre, si l'on la vouloit assaillir; par ainsi, qu'on l'avoit seulement resserré en son logis soubz la garde de trois gentilshommes, à qui elle avoit commandé de se depporter honnestement envers luy, et que d'autres foys l'on avoit, à moindre occasion, plus mal tretté son ambassadeur Trocmarthon[46] en France: au reste, qu'elle me pryoit de ne le visiter encores de quelques jours, non qu'elle se deffiât de moy, mais affin qu'elle ne fût veue approuver ny justiffier rien de ce qu'il avoit si mal faict, en luy permectant la visite d'ung qui tenoit, icy, pour Votre Majesté, ce lieu que je tiens.

Après ce propos, voyant que je luy voulois parler de son visadmiral Me. Ouynter, elle s'advança de me dire qu'elle s'esbaïssoit fort comme, passans naguières ses navyres, soubz la conduicte du dict Me. Ouynter, prèz du Conquest en Bretaigne, on luy avoit, en temps de bonne paix, faict une si aspre démonstration de guerre de luy avoir tiré cent soixante coups de canon; mais que, grâce à Dieu, nul n'avoit esté thué ny blessé; seulement, l'on l'avoit contrainct de se mectre en deffance, et il avoit repoussé ceulx qui l'assailloient.

Je luy respondiz que ce m'estoit ung propoz tout nouveau duquel je n'avois ci devant rien entendu; par ainsi, que je ne pouvois sçavoir qui avoit esté l'assaillant ny l'assailly, mais que je la voulois bien supplier me dire quelle satisfaction je pourrois donner à Voz Majestez du voyage que le dict Me. Ouynter avoit faict à la Rochelle, et de ce qu'on disoit, tout publicquement, qu'il avoit secouru le prince de Condé de pouldres, d'artillerye, de munitions de guerre, et encores mesmes d'argent, là où, sur la parolle de la dicte Dame, j'avois naguières escript à Voz Majestez qu'elle n'avoit envoyé le dict Me. Ouynter, ny ses navyres, sur mer que pour asseurer la navigation de ses subjectz; et qu'est ce aussi que je vous respondrois sur ce que les prinses, qui se faisoient en mer sur voz subjectz, et les preneurs d'icelles, se retiroient ez portz d'Angleterre et sortoient des mesmes portz, quant ilz alloient exécuter leurs entreprinses; et que j'avoys aussi entendu qu'elle avoit faict dépescher une commission, vers son pays d'Ouest, pour arrester tous navyres françoys qui y aborderoient jusques à la valleur et concurrence de certaines prinses qu'aulcuns Anglois et Yrlandois se plaignoient leur avoir esté faictes par des Bretons, des quelles ilz disoient n'avoir peu avoir justice en France; ce que n'estoit sellon l'ordre prescript par les trettez, et dont la rayson vouloit qu'on révocquât la dicte commission, si elle avoit esté dépeschée, pour recourir aulx termes accoustumez de justice.

A ces choses la dicte Dame m'a respondu que, touchant Me Ouynter, elle l'estimoit trop saige et advisé pour avoir faict rien de semblable à ce que je luy disois, et que, à la vérité, elle estoit non seulement par le debvoir, mais aussi par pacte exprès obligée à ses subjectz, à cause de quelque subcide, d'asseurer, avec ses navyres de guerre, leurs voyages et navigations, dont n'avoit peu fère de moins que de leur bailler en ce temps ce cappitaine, avec quatre de ses navyres, pour asseurer leur flotte, qui estoit d'environ deux cens vaysseaulx, dépeschés pour le vin; laquelle flotte, voyant ne pouvoir charger à Bourdeaux à cause des difficultez qu'on avoit faict auparavant à aulcuns d'icelle, ilz avoient esté contrainctz, pour ne demeurer sans vin, d'aller charger à la Rochelle et en la rivière de Charante, où ceulx de ce quartier là s'estoient donnés quelque allarme de les veoir venir; mais en fin, il leur avoit esté permiz de marchander des vins, et le dict Me. Ouynter avoit prins des vivres au dict lieu de la Rochelle les plus chers qu'il eust onques achapté; mais qu'au reste, elle, de sa part, n'avoit donné ny envoyé aucun secours, petit ny grand, au dict prince de Condé, et vous pryoit que ceulx, qui vous le diroient autrement, fussent chastiez, s'ilz ne le pouvoient vériffier, et s'ilz le vériffioient, qu'il luy en fût à elle faict un grand reproche, et que mesmes elle avoit reffuzé de donner congé à plus de trois cens gentilzhommes angloix, qui vouloient aller voluntairement trouver le dict prince: et, touchant les prinses de mer, que, estant ses portz libres, ung chacun y estoit bien receu à tiltre de bonne foy, et les pirates ne pourtoient merque pour estre recognuz, mais, quant il se feroit quelque prinse sur voz subjectz, et qu'ilz la suyvroient, et en demanderoient justice par deçà, qu'elle la leur feroit administrer sans difficulté: au regard de la commission d'arrester les navyres françoys, qu'elle ne se souvenoit bien de l'avoir donnée, touteffoys, qu'à faulte d'administrer justice en France à ses subjectz, elle leur vouloit bien remédier par deçà le mieulx qu'elle pourroit.

Il y eut plusieurs autres choses dictes, d'ung costé et d'autre, et mesmes sur ce congé qu'elle disoit avoir reffuzé aulx gentilshommes anglois, où je luy fiz entendre les bonnes parolles que Votre Majesté me mandoit touchant le rapport qu'on luy avoit faict qu'ilz avoient esté prins et exécutez. Mais, en tout, elle a monstré vous vouloir satisfère, et demeurer en bonne paix et amytié avec Voz Majestez.

Et pour aultant que les affères de la Royne d'Escosse estoient lors sur le bureau, je luy diz que j'avois charge de la supplier qu'elle volût fère avoir à la dicte Royne d'Escosse, sa bonne sœur, la communication de tout ce qu'aucuns ses subjectz, et ses contraires, avoient dict et produict contre elle, affin que, pour son innocence et justiffication, elle leur peust respondre au mesme lieu où ilz l'avoient defférée, et qu'elle ne volust permectre que l'honneur, la personne et l'estat de cette princesse, que Dieu avoit envoyée à recours à elle, fussent opprimez entre ses mains, et que Voz Majestez la pryoient, bien affectueusement, de vouloir si bien pourveoir à son faict qu'elle n'eust besoing d'aucun aultre secours que du scien pour estre bien tost remise en son dict estat et grandeur, comme la Royne d'Escosse vous avoit faict entendre qu'elle le luy avoit promiz, et comme vous espériez que, pour la compassion de sa présente nécessité, et pour l'obligation du prochain parentaige qui estoit entre elles, elle l'accompliroit; et que, quant vous verriez son dict secours luy deffaillir, je luy voulois bien dire, encores ceste foys, que vous vous efforceriez, nonobstant voz présents affères, de luy bailler le vostre, et que Voz Majestez estimoient qu'il seroit bon, pendant qu'elle avoit icy en ses pays les principalles personnes intéressées au dict affère, qu'elle ne permît qu'ilz s'en retournassent, sans qu'elle les eust accomodés; car autrement ce ne seroit qu'un recommancement de troubles et de guerre dans l'Escosse, aussi tost qu'ilz y arriveroient; et, au reste, qu'il luy pleust faire trouver le garçon[47] qui avoit donné moyen à la dicte Dame de sortir hors de prison, lequel on avoit enlevé, estant icy à la suyte de sa court, n'ayant le bon acte de fidelle subject, qu'il avoit faict pour sa Royne Souveraine, mérité qu'il receût que faveur et bon trettement de tous les princes de la terre.

Ce propos fut ententivement escouté de la dicte Dame, et sembla que de quelque partie d'icelluy elle s'esmeut, et, parce que sa responce fut en forme d'ung discours des choses qui s'estoient en cella passées devant elle, lesquelles seroient trop longues à mectre icy, je vous diray en substance, Sire, qu'elle me promit que le lendemain elle accorderoit aulx depputez de la dicte Dame la dicte communicquation, bien me vouloit advertir qu'elle craignoit que telle chose seroit dommageable à la dicte Royne d'Escosse, si elle n'y pouvoit si bien respondre que l'on cogneust que ce n'estoit par manière d'acquit, ains une vraye et légitime descharge du crime qu'on luy imposoit, et qu'elle avoit expressément évocqué la conférance de ce faict devant elle, pour tirer les escriptz et le dire de ses parties, affin de fère secrectement entendre le tout à la dicte Dame, et qu'elle s'y peust préparer de quelque honneste satisfaction: mais maintenant que, à la réquisition des depputez des parties, les choses avoient esté publiées en présence de 33 personnaiges de son conseil, il sembloit estre meilleur qu'elle dict ne se vouloir tant abaysser de respondre aux parolles et invantions de ses mauvais subjectz, que de demander la communicquation de leur dire: au reste, qu'elle vouldroit la pouvoir, avec son propre sang, laver et justiffier de ce faict, et qu'elle seroit toutjour preste de fère, sans offencer sa conscience, tout ce qu'elle pourroit pour la dicte Dame, ny ne seroit besoing q'un aultre s'en meslât; et que volontiers elle eust retenu encores ces seigneurs d'Escosse, mais, voyant que les choses alloient en longueur, elle ne leur avoit peu honnestement desnyer leur retour; et, quant au garçon, qu'elle avoit faict telle démonstration d'estre marrye d'un tel acte, qu'en fin il avoit esté trouvé et rendu.

Voylà, Sire, ce qui a esté principalement tretté en ceste audience, de laquelle je vous ay bien vollu représanter les mesmes parolles de la dicte Dame, affin que tiriez d'icelles ce qu'elles peuvent monstrer de son intention. Elle ne me volut dire les novelles qu'elle avoit de France, me priant l'excuser si, de tant qu'elle ne les tenoit pour certaines et qu'elles n'estoient bonnes, elle ne les permectoit publier, mais que bien tost, elle ou moy, en aurions la certitude, et puis les pourrions faire sçavoir l'ung à l'aultre. Or, Sire, je sceuz, avant partir d'Anthoncourt, que ce sont celles que verrez dans ces discours qui sont venuz de la Rochelle que j'ay despuys miz peine de recouvrer; priant Dieu, etc.

De Londres ce xxe de janvier 1569.

A la Royne.

Madame, de ces propos et responces de la Royne d'Angleterre, qui sont contenuz en la lettre que j'escriptz présantement au Roy, Vostre Majesté pourra aucunement juger quelle est son intention sur les matières que j'ay tretté avecques elle en ceste audience; et encor que, quant à celles qui peuvent concerner Vos Majestez Très Chrétiennes, son parler n'ayt esté que bien accompaigné de démonstration de paix et d'amytié, si n'ozè je dire, Madame, qu'il s'y faille du tout reposer, car il est raysonnable d'avoir aucunement suspect l'aprest de guerre qui se faict icy; et mesmes ne sera que bon qu'on s'en donne ung peu d'allarme pour seulement faire tenir voz villes et places, de sur la mer, si préparées et pourveues qu'il ne puisse venir à ceulx cy ny le vouloir, ny le pouvoir d'y rien entreprendre. Je ne veulx pourtant, Madame, vous mectre en doubte de la volonté de ceste Royne; car, certes, je ne la cognois pour encores que bonne; et sy, ay toutjour desiré, tant que ses parolles n'ont rien monstré plus que ses dicts aprestz, que vous n'en heussiés aucune souspeçon ny deffiance. Mais à ceste heure que iceulx aprestz sont aultres, bien que ses parolles demeurent toutjour unes, et que ce qu'elle entreprend icy concourt avec le temps et la cause des entreprinses de dellà, et qu'il est aysé, à ceste heure, de luy donner des inpressions, n'y ayant faulte de gens, icy, pour les luy persuader, et pour luy fère changer, en une heure, ses dellibérations, je ne puys dire sinon qu'il sera toutjour saigement faict de se pourveoir du costé qu'on veoyt préparer les armes; et je mectray peyne de vous advertyr soigneusement, et souvant, de ce qui se pourra, de jour en jour, descouvrir plus avant de son entreprinse, mesmement s'il se monstre rien qui touche le service de Voz Majestez.

Il semble bien que la dicte Dame m'ayt vollu faire cognoistre que cecy s'adressoit contre le duc d'Alve, monstrant estre fort irritée contre luy, l'appellant arrogant, et que sa superbe estoit assez cogneue, mesmes de son Maistre, et que, possible, il avoit remué en cecy une besoigne, qui l'abaysseroit aultant qu'il pensoit estre hault élevé. Mais, au reste, elle a parlé avec grand respect, et en fort bonne reste, elle a parlé avec grand respect, et en fortsorte, du Roy Catholique, et a monstré qu'elle avoit toute seurté et confiance de son amytié. Je luy ay demandé s'il ne seroit loysible d'envoyer mes gens et pacquetz devers Voz Majestez, sans saufconduict ny passeport, et si les portz et hâvres de ses pays seroient ouvertz et de seur accez à vos subjectz, pour y trafficquer, et aller, et venir librement, comme auparavant. A quoy m'a respondu qu'elle me pryoit de prendre passeportz pour mes gens et despesches, affin d'aller plus seurement, et qu'elle m'en feroit bailler à toutes les heures que je vouldrois: au reste, qu'elle entendoit que les Françoys eussent toute liberté et seur accez en son royaulme; mais ne failloit prendre à mal si, sur le commancement de ceste noveaulté de Flandres, elle avoit, pour quelques jours, faict estoupper ses passaiges affin de pourveoir à ses affères, ayant commandé de les ovryr maintenant pour France. Qui est ce que, pour le présent, j'ay à dire à Vostre Majesté, à laquelle baysant très humblement les mains, je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxe de janvier 1569.

DISCOURS ENVOYÉ DE LA ROCHELLE

Ayant la bonté et providence de Dieu, avec une assistance manifeste et soing paternel, retiré, comme chacun a sceu, Mr. le prince de Condé et Mr. l'Admiral du péril et extrême dangier presque inévitable de leurs vyes, auquel ilz estoient à Noyers et Tanlay, les a guidés et conduictz jusques à la Rochelle, d'ung boult du royaulme à l'aultre, sans aucun mal ni dangier, ensemble leurs femmes et enfans, et jusques aulx breceaux et norrices, avec fort petit train, et à grandes journées, et par guays difficiles et dangereux, et par chemins et villaiges esgarés, incommodes et peu logeables. Puis après, continuant sa bonté et faveur à l'endroict de Mr. Dandellot qui estoit en Bretaigne, luy a assisté tellement que, encores qu'il fût poursuyvy par les Srs. de Montpensier et de Martigues, accompaignés de grandes forces de gens de pied et de cheval, pour l'empescher de s'aller joindre au dict Sr. Prince, il ne layssa néantmoins de passer, contre toute espérance, avec ses trouppes la rivière de Loyre, à leur veue, par un guay qui n'avoit jamais esté remarqué ny visité par les habitans mesmes du pays.

Ceste mesme faveur de Dieu s'est veue aussi au passaige de la Royne de Navarre et de Mr. le Prince, son filz, qui ont traversé tout le pays de Gascoigne, passé la Garonne et Dordoigne, et aultres rivières, gayz et destroictz périlleux, quoy qu'ilz eussent sur les bras les Srs. de Monluc, Tarride, d'Escars et Losse, avec grandz forces, sans avoir néantmoins peu estre empeschez.

Le mesme aussi s'est veu au passaige de Mr. d'Assier qui a cheminé avec ses trouppes par tout le pays de Dauphiné, de Languedoc et de Gascoigne, pour venir trouver les dicts sieurs Princes, au veu et sceu du Sr. de Joyeuse qui avoit charge expresse de l'empescher.

En sorte que, malgré les ennemys des dicts sieurs Princes, ilz ont receuilliz et amassés, de tous les coings de ce royaulme, jusques au nombre de 25 mille harquebouziers et 5 à 6 mille chevaulx, quelque bon ordre que les dicts ennemys eussent donné à tous leurs portz, pontz, destroictz et passaiges, et qu'ilz eussent leur armée toute preste, il y avoit quatre moys; de laquelle ilz n'ont encores, grâces à Dieu, peu endommaiger les dicts sieurs Princes ny empescher seulement qu'ilz n'ayent prins les villes de St Messant, Nyort, Fontenay, Coignac, Xainctes, St Jean d'Angely, Angoulesme, Pons, Bourg, Taillebourg et Tallemont; aucunes par composition, autres par force, encores que cella se soit faict à leur veue, sinon que les dicts sieurs Princes, estans au siège devant la ville de Pons, eurent advertissement que le dict Sr. d'Assier estoit arrivé avec ses trouppes à Aubeterre, et que les ennemys avoient surprins le cappitaine Mouvans et le cappitaine Pierregourdes à leurs logis, et qu'ilz les avoient deffaictz et quelque nombre de leurs soldatz. Ce qui fut cause que les dicts sieurs Princes, craignans quelque plus grand désastre, [se portèrent] avec leurs armées, vers le dict lieu d'Aubeterre, en intention de combattre leurs ennemys s'ilz se présentoient; lesquelz deslogèrent incontinent qu'ilz eurent novelles de la venue des dicts sieurs Princes. Et, par ce qu'on entendoit qu'ilz prenoient le chemin de Poictiers, il fut résolu de les devancer, s'il estoit possible, aulx plus grandes journées qu'on pourroit, et sercher tous moyens de les faire venir au combat; en quoy on usa de telle dilligence que, le iiȷe jour, on s'aprocha si près d'eulx que, là où l'avantgarde des ditcs sieurs Princes logeoit, les ennemys en estoient deslogés peu auparavant, et y trouvoit on assés souvant de leur pain de munition et de leurs bagaiges; de sorte que, se voyants suyviz de si près, ilz furent contraintz de faire leur retraicte à Chastellerault et ez environs, où ilz se retranchèrent avec leur artillerye, et y trouvarent Monsieur, frère du Roy, avec novelles forces.

Et d'aultant qu'il fut rapporté par les gentilshommes, qui avoient esté envoyés pour les recognoistre de prez, que les advenues estoient si facheuzes et difficiles que ce eust esté mal à propoz, et sans rayson, de les assaillir dedans ung camp qu'ilz avoient fortiffié de trenchées, et bien pourveu et muny d'artillerye, qui battoit tellement les dictes advenues qu'il eust esté inpossible de se mectre en batailhe, sans estre par trop offencés, il fut résolu de se présenter seulement à la vue de leur armée pour veoir s'ilz vouloient sortir de leur fort; ce que fut faict par le dict sieur Admyral, avec son avantgarde, laquelle il tint en bataille, ung jour, entier, sur ung hault; duquel on descouvroit la dicte ville de Chastellerault, sans que les dicts ennemys fissent aucune contenance de vouloir paroistre. Pour ceste cause, on advisa, pour les attirer hors de leur dict fort, et en lieu où les dicts Princes les peussent combattre, de faire acheminer l'armée vers Myrebaloys, qui est un pays fort bon et fertil, dont les dicts ennemys tyroient la plus grande commodité de vivres, et où les dicts sieurs Princes pourroient plus aysément fère vivre leur armée, en incommodant celle de leur ennemy. En tirant vers lequel pays, advint que les ennemis prindrent ung mesme rendés vous et mesme logis que l'armée des dicts sieurs Princes, et que monsieur l'Admyral, s'aprochant avec Mr. Dandellot, son frère, de leurs logis, accompaignés de quatre à cinq cens chevaulx au plus, descouvrirent les ennemys, qui avoient toute la cavallerye de leur avantgarde jusques au nombre de deux mille chevaulx; de façon que le dit sieur Admiral manda incontinent, de toutes partz, pour fère marcher vers luy toutes les trouppes tant de la bataille que de l'avantgarde, temporisant tousjours jusques à ce que les dicts sieurs Princes commancèrent à paroistre, avec leurs batailles et autres trouppes de l'avantgarde, qui donna quelque effroy aulx ennemys. Et lors, on commança à fère aprocher des dicts ennemys quelque nombre d'arquebouziers, et fut tiré, d'une part et d'aultre; mais pour ce que c'estoit sur l'entrée de la nuict, et que l'obscurité commançoyt desjà d'estre fort grande, la partie fut différée et remise au lendemain matin, que les dicts sieurs Princes, avec toute leur armée, commancèrent à marcher, dez l'aube du jour, droict au lieu où ilz avoient layssé les ennemys le seoir; et, s'apercevant, les dicts sieurs Princes, qu'ilz en estoient partiz, on feyt advancer quelques cornettes sur la piste de leurs dicts ennemys pour les suyvre et veoyr la roulte qu'ilz avoient prinse, et pour essayer encores de les trouver pour les combattre; ce que fut faict jusques à un villaige, nommé Sansay, où les Srs. de Guise, Martigues, Brissac, Thavanes, Sansac et plusieurs aultres avoient couché; qui ne furent pas des derniers à se retirer, et le plus tost qu'ilz peurent, layssant leurs bagaiges, qui ne valloit pas moins de deux cens mil escuz, et huict ou neuf vingtz chevaulx d'artillerye et quelques pouldres à canon.

De quoy estans advertys les dicts sieurs Princes, et que toute l'avantgarde des dicts ennemys s'en alloit en désordre et confuzion, et que Monsaleys, entre autres, avoit été miz en routte, et la plus part de sa compaignie thués et prisonniers, dont on a heu les cornettes et enseignes, commencèrent à marcher, le plus tost qu'ilz peurent, pour les accousuyvre; ce qu'ilz ne peurent fère plustost que à un villaige, nommé Jasseneuil, où les ennemys feirent leur retraicte, et dans lequel Monsieur, frère du Roy, s'estoit encores retranché et fortiffié avec l'artillerye, où les dicts sieurs Princes feirent attacquer une escarmouche, la plus gailharde qu'ayt esté faicte de mémoire d'homme, qui ne dura pas moins de quatre à cinq grandes heures; en laquelle il fut tiré, d'ung costé ou d'aultre, plus de quatre-vingtz mil coups d'arquebouzades, et trois cent trente sept coups d'artillerye de leur part seulement, d'aultant que celle des dicts sieurs Princes n'avoit esté ramenée du siège de Pons. Et se trouve, par la confession mesmes des ennemys, qu'ilz perdirent, à ceste escarmouche, cinq ou six cens soldatz et quinze ou sèze cappitaines, et, du costé du dict sieur Prince, il s'en trouve deux cens ou thués, ou blessés, tant y a qu'il fut escript à la Royne, par aucuns de ses confidans, qui sont au camp des ennemys, que jamais filz de France n'avoit esté en si grand dangier que Monsieur, frère du Roy, avoit esté durant trois jours et trois nuictz. Et, de faict, il est bien certain qu'à la dicte escarmouche l'infanterye des dicts sieurs Princes gaigna les trenchées, par deux ou trois foys, et qu'elle donna jusques à l'artillerye, et qu'il en y eust de thués jusques sur leurs pièces; mesmement qu'il y eust beaucoup de soldatz qui entrèrent jusques dans les maysons, où estoient les fortz des ennemys, dont ils rapportèrent des armes, et y beurent et mangèrent; ce que leur vint bien à propoz pour ce qu'il y avoit trois jours qu'ilz avoient faulte de vivres, et estoient néanmoins si patiens que l'envye et desir, qu'ilz avoient de combattre, leur faisoit oblyer la nécessité qu'ilz souffroient.

Ceste escarmouche estant cessée par le moyen de la nuict, les dicts sieurs Princes ordonnèrent, le lendemain au poinct du jour, qu'on retourneroit encores se présenter au dict lieu de Jasseneuil pour tenter encores si on pouvoit contraindre l'ennemy de combattre, ce que fut faict, sans que les ennemys pareussent que envyron de cent à six vingtz chevaulx, et si près de leur fort qu'il estoit inpossible de rien attacquer. Despuys, l'on eust novelles qu'ilz s'estoient retirez à Luzinan, et de là à Poictiers, ce qui feyt que les dicts sieurs Princes vindrent loger leur armée au pays de Myrebaloys, où ils trouvèrent grand quantité de pain de munition que l'ennemy avoit fait faire; et ayant eu adviz qu'il s'estoit venu loger à Auzances, qui est une lieue près de Poictiers, ilz dressèrent une entreprinse, qui a tellement réussy, que le dict sieur Admyral, avec mille chevaulx seulement, et deux mil harquebouziers, força les dicts ennemys dans le dict villaige d'Auzance, les contraignant d'abandonner un pont qui y estoit, et mectant toute l'armée à banderoutte, qui se retira à Poictiers en grand désordre et confuzion, et avec une perte de beaucoup de leurs gens et leurs dicts bagaiges.

Et, combien que les choses soyent passées de ceste façon, il y a toutesfoys une inpudence aux dicts ennemys, qui font courir des bruictz du tout contrères à la vérité, et jusques à fère des dépesches à la Court, par lesquelles ilz ozent bien mander qu'ilz font teste aus dicts sieurs Princes, quant, à tous propos, [ceux-cy] les mectent en fuyte, et qu'ils recherchent tous moyens de les tirer au combat, duquel les dicts sieurs Princes, voyant leurs dicts ennemys estre entièrement dégoustez à cause des mauvais succez, que les précédantes rencontres leur ont apporté, pour leur fère venir l'envye de combattre, et où ilz ne le vouldroient, coupper chemin aux inpostures et déguysemens, dont ilz ont accoustumé d'uzer, ont, ces derniers jours, attacqué et prins, à la veue des dicts ennemys et de leur dict camp, une ville et chateau, appartenant à ung des principaulx chefs de leur armée; bien que la dicte ville fût garnye d'hommes, d'artillerye et de toute autre espèce de munition, comme celluy à qui elle appartenoit en a heu bon loysir et moyens: la prinse de laquelle portera tesmoignage, de soy mesmes si clair et évident, du peu d'envye qu'ilz ont de combattre, qu'il ne sera plus en leur puyssance de déguiser les affères, comme ils ont faict cy devant.

Despuys, voyant les dicts sieurs Princes que, pour prinse de la dicte ville et chateau, ny pour occasion qu'on eust presentée aulx ennemys, il n'y avoit eu moyen de les fère venir au combat, et qu'il se tenoit tousjours dellà la rivierre du Clain, où ilz avoient esté réduictz à la route d'Auzance, ayant, oultre cella, une bonne rivière au devant d'eulx, et faict enfoncer tous les batteaux pour empescher qu'on ne peust faire quelque entreprinse contre eulx, faisant courir le bruict qu'ilz actendoient les forces que admenoit le Sr. de Joyeuse, qu'ilz disoient estre de six mille harquebouziers et de quinze cens chevaulx, avec lesquelz ils espéroient combattre l'armée des dicts sieurs Princes: cella fut cause que, pour leur donner tousjours novelle occasion de repasser la dicte rivière, et leur augmenter la volunté de combattre, les dicts sieurs Princes prindrent résolution de forcer encores, à leur veue, la ville de Saumur, qui est un passaige de la rivière de Loyre; de quoy les ennemys ne fauldroient d'entrer en jalouzie, et de se mectre en tout devoir d'empescher que les dicts sieurs Princes s'en saysissent; lesquelz pour ceste cause y feirent acheminer leur dicte armée, faysant loger leur infanterye dans l'ung des faulx bourgs; mais, comme la batterie estoit toute preste, on eust adviz que les dicts ennemys avoient repassé la rivière du Clain, faisant contenance de venir secourir Saumur, avec les forces du dict Sr. de Joyeuse, qui estoient arrivées deux ou trois jours auparavant; ce qui feyt que les dicts sieurs Princes levèrent incontinent le siège du dict Saumur, faisant rebrousser chemin à leur armée, droict à leurs ennemys, bien fort ayses d'entendre qu'il n'y avoit plus de rivière entre eulx et leurs dicts ennemys; lesquelz ils rencontrèrent devant la ville de Lodun, qu'ilz avoient desjà sommé de se rendre, pretz à se loger dans les faulx bourgs, où leurs logis estoient ordonnez; dont monsieur l'Admiral les deslogea, de sorte qu'ilz se retirèrent et campèrent aulx lieux et villaiges circonvoysins du dict Lodun.

Le lendemain, les deux armées s'affrontarent, estans leurs centinelles à cent pas l'une de l'autre, et feirent jouer l'artillerye d'une part et d'autre, se passant ainsy tout le jour, avecques quelques escarmouches légières seulement, combien que les ennemys fussent campés en lieux advantaigeux, comme font ordinairement ceulx qui les premiers choisissent la place, et qui pensoient aprocher l'armée des dicts sieurs Princes sans estre endommaigés; ce que les dicts sieurs Princes n'eussent peu fère. Toutes foys, s'ilz faisoient deux pas, l'armée des dicts sieurs Princes en faisoit quatre pour les joindre.

Deux jours après, les deux armées se retrouvarent encores aulx mesmes lieux, comme aussi feirent elles, le jour encores ensuyvant, sans que les dicts sieurs Princes les peussent attirer hors leur advantaige; de quoy on s'esmerveille bien fort, veu les bruictz qu'ilz faisoient courir qu'ilz se sentoient tellement renforcés des trouppes du dict Sr. de Joyeuse, qu'ilz estoient résoluz de ne départir, qu'ilz n'eussent combattu l'armée des dicts sieurs Princes; comme aussi, disoient ils qu'ils en avoient commandement exprès; ou qu'ilz ne les eussent, à tout le moins, contraincts de desloger; pour ce que de là deppendoit l'honneur de l'une et de l'aultre armée. Et, toutes foys, ceste volunté si fervente se réfroydit, comme il est aysé à juger par la retraicte qu'ilz firent soubdain une lieue loin de la place, qu'ilz avoient auparavant prinse, en mectant un ruysseau entre eulx et l'armée des dicts sieurs Princes; lesquelz non contantz de l'avantaige qu'ilz avoient gaigné sur nos dicts ennemys, pour les avoir faictz débusquer du lieu qu'ilz disoient avoir choysy pour combattre, les allarent attaquer à leur second logis, et ores qu'il fût advantaigeux pour leurs dicts ennemys, lesquelz avoient un ruysseau qui rendoit les aproches à eulx malaysées, si est ce que, à coups de canon et par le moyen des escarmouches qu'on leur donnoit à toute heure, on les contraignist, de rechef, d'abandonner icelluy second logis, et se retirer, mesmes Monsieur, frère du Roy, devers Chinon, et passer la rivierre de Vienne, layssant et abandonnant les mallades et beaucoup de leurs bagaiges et munitions. Quoy voyant, les dicts sieurs Princes ordonnèrent quelques trouppes de cavallerye et infanterye pour les suyvre, qui donnèrent sur un des logis des ennemys, où il y avoit sept enseignes, dont il en y eust quatre, qui furent mises en routte, et trois deffaictes entièrement, et leurs enseignes bruslées dans une mayson où partie des dicts soldats s'estoient retirez. Et despuys, les dicts sieurs Princes, voyans tous moyens de combattre leur estre tolluz et ostez, pour avoir une grande et forte rivière entre eulx, s'avysarent de fère cheminer leur armée vers Thouars et Montrubelay, tant pour l'eslargir et luy donner moyen, comme dict est, des vivres, dont elle a eu grande faulte, pendant cinq ou six jours, que pour costoyer tousjours les ennemys.

Voilà l'heureux succez qu'il a pleu à Dieu donner, jusques à ceste heure, aulx affères des dicts sieurs Princes, et le loyer et la récompence que ont receu les ennemys de leur prégidye[48] et desloyauté, laquelle est plus que suffizamment vériffiée par le contenu d'une bulle papalle, qui a esté poursuyvye par noz adversaires dez le mois de juing et juillet derniers, et expédiée à Rome dez le premier jour d'aoust ensuyvant; dont le dict pourchas convaincra tousjours évidemment de n'avoir eu jamais autre intention que de rompre et enfraindre la foy et seureté publicque, qui avoit esté promise et jurée, et encores plus la renunciation de l'éedict, qui s'en est ensuyvye bien tost après, que ce rapport[49] en substance à la dicte bulle, par lequel ilz révocquent tous les éedictz qui ont esté cy devant faitz en France, comme ayans esté faictz en assemblées les plus solempnelles qui ayent jamais esté faictes en ce royaume, mesmement l'éedict de janvier, où tous les princes et seigneurs du conseil, de l'une et l'aultre religion, et les plus grandz et notables personnaiges de toutes les courtz souveraines de ce royaulme, assistèrent, ayant, oultre cella, son fondement sur la réquisition des estatz. Et, affin de mectre hors de toute peyne ceulx de la religion de prouver qu'ilz n'ont jamais tendu que aboutir et anéantir la dicte religion, ilz déclairent, en termes exprès, par le mesmes éedict, que leur volunté et intention a tousjour esté telles, quelques mandemens, lettres patentes et déclarations qui ayent esté expédiées au contraire, et quelques grandes asseurances et parolles, que Sa Majesté ayt donné, tant à ses subjectz que aulx hommes estrangiers[50].

COPPIE D'UNE LETTRE ENVOYÉE DE LA ROCHELLE, QUI SEMBLE S'ADRESSER AU CONSEILLER CAVAIGNES.

Puis votre despart, nous n'avons faict que courir et assiéger villes et chasteaulx, et tout ce qu'avons entreprins est venu à souhait. Dieu grâces, encores pensons nous mieulx fère avec voz canons envoyés, avec les quelz nous aurons douze pièces grosses de batterie. Nostre camp est de 30 mille hommes, piétons, où il y a vingt cinq mille harquebouziers, et de sept à huict mille chevaulx, sans la trouppe de Montauban qui doibt venir. Par force ont esté prins St Jehan d'Angely, Nyort, Fontenay, Angolesme, Pons, Chaviny près Poictiers, Partenay, Champiny, Tallemont, Thouars, Loduin, Montrobelay près Sameur, Blaye, Aubeterre, Barbezieulx, Taillebourg, Xainctes, Mesle et plusieurs aultres villes comme Coignac, Chasteauneuf et autres par surprinse; brief, despuys la Garonne jusques à Loyre du costé de Sameur.

Quant aulx batailles et escarmouches, nous nous sommes aprochez de noz ennemys, par deux ou trois foys; en quelque place de bataille qu'ilz eussent à leur advantaige sceu choysir, ilz ont esté si bien bourrés qu'ilz n'ozent plus aprocher, nous sentant de loing comme le renard les cordes du piège. Au rencontre du Panpre, qui fut, il y a cinq sepmaines ou envyron, ils perdirent sept à huict cens hommes et près de deux cens mille escuz de bagaige, ou envyron, et se saulvèrent par les moyens des rivières qu'ilz ont accoustumées, partie dans Poictiers, les aultres à Luzinhan. Monsieur le prince de Condé a heu le chappeau de Strocy, monsieur l'Admyral la robbe de Brissac, Mr. le comte de Montgommery a les estrières et esperons de Mr. de Guyse; ung lacquay de monsieur l'Admyral a eu, pour sa part du butin, trente six pièces de vaisselle d'argent, appartenant au dict Sr. de Guyse: en somme, il n'y a homme qui ne soit enrichy.

Messieurs les Princes, pensant les faire venir au combat, attacquèrent, à leur veue et présence, la ville et chasteau de Champigny, appartenant au duc de Montpensier, [et] le chasteau de Chavinhy qui est au plus favory qu'ilz ayent en leur camp; mais ces bonnes gens ayment mieulx saulver leurs vies par bien fouyr que deffendre leurs villes ni chasteaulx, ny se présenter au combat, car ilz disent qu'il y faict dangereux. Suyvant la résolution qu'ilz feirent courir lors en leur camp, et qui a esté despuys bien suyvy, pour aymer mieulx hazarder leurs biens et leurs villes, pensant avoir quelque revenche, estant le dict sieur Prince près Sameur pour l'assiéger, ilz sommèrent la ville de Lodun, commançant d'en aprocher d'envyron ung quart de lieue avec leur artillerye pour y mectre le siège; de quoy advertys, les dicts sieurs Princes rebrosèrent chemin, et s'en vont droict à eulx, les contraignant lever le siège et recourir à leur remède accoustumé de passer la rivière, et vindrent sur les pontz de Schebin. Vray est qu'avant d'y venir deux centz de leurs gens y furent thués, et là, la nuict proche, y eust sept enseignes deffaictes.

Encores devant hyer la compaignie de Mr. Dyvoye surprint, aulx faulx bourgs du dict Schebin, et meict en pièces 60 ou 80 Suysses, les prévostz et archers de Monsieur, frère du Roy, qui estoit dans la dicte ville, et de là l'eaue eust l'allarme bien chault. Ce jourduy, l'on a receu novelles par deux gentishommes, qui sont arrivez de la part de Mr. le prince d'Orange et duc de Deux Ponts, qui ont layssé le dict sieur Prince à 27 lieues de Paris, avec 10 ou 12 mille reistres et quatre mille chevaulx françoys, et 16 à 17 mille hommes de pied, qui prend le chemin droict à Paris, duquel Mr. de Genliz mène l'avant garde. Le dict sieur de Deux Pontz marche, despuys le 10 de ce moys, pour s'aller joindre avec Mr. le prince d'Orange.

Il arriva hyer novelles, tant en nostre camp que à celluy des ennemys, que Mr. d'Aumalle a perdu 4 mille hommes, ayant esté contrainct par le dict prince d'Orange qui aprochoit au duc de Deux Pontz pour s'i joindre, se retirer de vistesse, avec deux mille hommes qui luy restent, dans la ville de Reins. L'on tient pour certain que Mr. de Guyse s'en va en poste trouver le Roy. L'on dict aussi que la plus part de leur camp s'en va devant Paris pour s'opposer aulx princes estrangiers; je croys que nous les suyvrons bien tost.

XIVe DÉPESCHE

—du xxive de janvier 1569.—

(Envoyée par homme exprès jusques à Calais.)

Arrivée du sieur d'Assoleville, envoyé par le duc d'Albe pour négocier.—Saisie faite à Rouen de tous les biens et marchandises appartenant aux Anglais.—Explication demandée à ce sujet par la reine d'Angleterre.—Dispositions des seigneurs anglais protestants à faire déclarer la guerre.—Départ du comte de Murray pour l'Écosse.

Au Roy.

Sire, il est arrivé, tout à une heure, deux diverses novelles à ceste Royne, l'une de paix du costé qu'elle actendoit la guerre, et l'aultre la guerre du costé qu'elle espéroit la paix; car a sceu que le Sr. d'Assoleville estoit desjà arrivé à Douvres, de la part du duc d'Alva, pour venir tretter avecques elle de remectre en bons termes les choses qui commançoient mal passer entre eulx; et, au contraire, l'on luy a mandé de Roan qu'on y avoit faict un général arrest des biens et marchandises de ses subjectz; de quoy ayant le Sr. Cecille conféré avecques moy, et luy ayant dict que je ne pançoys point que ce fût de vostre commandement, nous avons arresté que j'en escriprois promptement à Vostre Majesté, affin qu'il vous pleût en fère entendre vostre intention à l'ambassadeur de la dicte Dame par dellà; duquel, attandant la responce, l'on ne mouveroit ny ne seroit rien attempté, icy, contre les Françoys; dont vous playra, Sire, fère résouldre là dessus le dict ambassadeur, et, si tant est que veuillés remectre les choses à la première liberté pour continuer la bonne paix d'entre ces deux royaulmes sera bon qu'il luy soit remonstré comme telle chose n'est advenu à Roan que par ce que les officiers de la dicte ville sont advertys de plusieurs saysies, arrestz, pilleryes, support de pirates, deschargement de prinses, et larrecins, et autres depportemens biens durs, que les Angloys usent maintenant contre les Normans et Brethons, voz subjectz; ce qu'ilz ont estimé ne devoir estre aucunement souffert, et qu'il est besoing que la Royne, sa Maistresse, y pourvoye.

Ceulx cy continuent tousjours les préparatifs de guerre, mais semble que non si grandz, comme ilz monstroient du commancement. J'espère que, par mes premières, je vous pourray à peu près mander l'estat au vray de leur dict appareil. Et par ce que la responce de la Royne d'Angleterre, qu'avez veu en mes précédantes, touchant le voyage de ces navyres à la Rochelle, ne m'avoit satisfaict, saichant certainement que Me. Ouynter y avoit deschargé des pouldres, de l'artillerye, des munitions de guerre, et baillé de l'argent, j'ay bien vollu dire à aucuns principaulx de ce conseil, que je voyois bien que les bonnes parolles de paix de leur Maistresse ne produysoient que de bien mauvais effectz de guerre contre Vostre Majesté, et qu'on ne sçauroit prendre ce que Me. Ouynter avoit faict que pour une manifeste infraction des trettés; dont seriés contrainct, à la fin, de fère venir au clair ceste guerre qu'elle vous menoit à couvert. A quoy ilz m'ont respondu, par grande expression et sèrement, que la Royne, leur Maistresse, n'avoit secouru ny assisté d'aucune chose, qui fût au monde, le prince de Condé en ceste guerre; mais ne vouloient nyer q'un grand nombre de seigneurs, gentishommes, et gens de bonne qualité de ce royaulme, n'eussent faict, et ne fussent encore prestz de fère tout ce qu'ilz pouvoient pour maintenir la cause de leur religion ez mains de ceulx qui la deffendoient avecques les armes en France; estant mesmement notoire que ceste guerre n'estoit commancée que pour l'oprimer, comme de ce faysoit foy la bulle expédiée en juillet, où le Pape narre qu'il l'a concédée, à la réquisition de Vostre Majesté, pour exterminer les huguenotz; et que vostre éedict de septembre dernier monstroit aussi que vostre intention, et celle de la Royne, n'avoit jamais esté d'observer l'éedict de paciffication. Par où disoient que le dict prince de Condé et l'Admiral demeuroient entièrement justiffiez envers Dieu et les hommes de ceste reprinse d'armes, comme juste et légitime, et du tout exempte de rébellion; et qu'ilz méritoient d'estre secouruz, mesmes de ceulx de ce royaulme qui sont de leur mesmes religion, lesquelz voyent bien qu'il ne leur fault aller négligemment en la sollicitation et maintien de ceste cause, pendant qu'elle est sur le bureau des armes par dellà; car, si elle y estoit une foys vaincue, tout l'orage retumberoit après sur eulx.

Je n'ay vollu entrer avec eulx en contestation de ces choses, si n'est de les asseurer que vous ne cherchiez que de ravoyr l'obéyssance de voz subjectz, et conserver vostre auctorité, et que Voz Majestez n'avoient, en façon du monde, donné commancement à ceste guerre. Il est vray que eulx mesmes, et toutes personnes de bon jugement, cognoissoient assés que, par nécessité et à regrect, vous aviez permiz deux religions dans vostre royaulme; ce que voyant despuys n'y aporter le repos que vous espériez, ains estre une vraye semence de guerre et de division parmi voz subjectz, qui faisoient par là des monopolles, assemblées d'hommes, d'armes, de chevaulx, cuillette de deniers, et infinyes résistances à vostre justice et commandement, vous vous estiez résolu de ne souffrir plus q'une religion, les priant de ne poulser pour cella leur Maistresse à nulz exploitz de guerre, ouvertement, ny soubz main, contre vous, qui ne luy en aviez donné aucune occasion, et qui estiez de trop bonne race pour estre picqué sans le sentir: car ilz ne la pourroient, puis après, si bien excuser qu'on ne luy inputât tousjours tous les exploictz de guerre, que ses navyres et ses subjectz feroient.

Ilz m'ont recconfirmé, de rechef, avec beaucoup d'asseurance, que leur dicte Maistresse n'avoit donné, ny n'estoit en volonté de donner aucun secours au prince de Condé; ains favorisoit de grande affection le party de Vostre Majesté, et s'esbaïssoient commant vous aviez rejecté sa bonne affection, quant elle s'estoit offerte de s'employer pour la paix de vostre royaulme: car avoit tel crédit envers ceulx de sa religion que, quant ne vous heussiez vollu abaisser de tretter rien avecques voz subjectz, il vous eust néantmoins esté bien aysé de les conduyre, par le moyen d'elle, à ce que vous eussiez voullu; et que, pour leur regard, ilz ne pouvoient tant géhenner leurs consciences qu'ilz peussent laysser de desirer et procurer l'avantaige du prince de Condé en la cause de la religion; mais, qu'au demeurant, ilz estoient pretz d'ayder et tenir la main en tout ce qu'ilz pourroient, de eulx mesmes et envers leur Maistresse, que vous demeurissiez Maistre, Roy et Seigneur sur le dict prince de Condé, et sur tous ceulx que Dieu avoit soubzmiz à vostre puyssance et authorité.

Je n'ay pu tirer aultre chose de plus particulier d'eulx, mais j'ay sceu d'ailleurs que, véritablement, le dict Me. Ouynter a délivré à ceulx de la Rochelle six canons, avec leur rouage et équipaige, vingt cinq lestz de pouldre, qui sont trois cent barrilz, et quatre mille bouletz, et sept mille livres esterlin, qui sont vingt trois mille escuz, et a prins, pour les deniers et pour la valleur des autres choses, quelque obligation d'en avoir cy après le rembourcement par deçà. Il semble que le dict Me. Ouynter, voyant du commencement n'avoir autre lettre de commission que pour asseurer la navigation des subjectz de ce royaulme, feyt grand difficulté d'aller accomplir ceste aultre commission, s'il n'en avoit mandat par escript de la dicte Dame, ce qu'elle refuzoit assés de bailler; mais en fin elle fut tant persuadée qu'elle luy en bailla ung mot, à part, signé de sa main et escript de celle du susdict Cecille. La Royne de Navarre fut veoir ses navyres, et luy dict que, si elle eust peu souffrir la mer, qu'elle fût venue veoir la Royne d'Angleterre. J'entends que ceulx du dict party avoient une foys dépesché le vydame de Chartres pour venir renouveller et conclurre aulcunes leurs cappitulations par deçà; mais son voyage s'est différé, et ont envoyé cependant un secrétaire de l'Amyral, qui se nomme Le Queulx, lequel le cardinal de Chatillon a admené devers ceste Royne pour luy donner compte des choses de dellà

Chiffre.—[J'ay adviz que, pour le faict de ces guerres, il y a beaucoup de contradiction dans ce conseil, ne voulant aucuns des principaulx seigneurs qui en sont, et mesmement les catholiques, que ceste Royne provocque en rien Vostre Majesté, ny le Roy Catholique: à quoy semble qu'elle, de sa volunté, incline grandement, là où ceulx de la nouvelle religion, estimans que c'est à ceste heure le poinct de la fère déclairer, lui donnent beaucoup d'impressions, tantost de peur, tantost de grandes espérances; et est à craindre que pour révocquer le prince d'Orange à la guerre de Flandres, ilz l'induysent en fin de fère quelque trop expresse démonstration en faveur du dict prince de Condé, affin de vous fère condescendre à quelque paix, ou bien pour vous contraindre de divertyr aucunes de voz forces vers ce costé, pour donner tant plus de moyen aulx autres de mieulx entreprendre un hazardeux et dernier combat par dellà; car semble que les princes d'Allemaigne ne veulent permectre que le dict prince d'Orange laysse l'entreprinse de France, tant que le prince de Condé sera en dangier. J'entends qu'on est après, icy, à despescher Quillegrey devers les dicts princes d'Allemaigne, et devers le Roy de Dennemarcq et villes imperialles, qui sont de ceste intelligence, pour avoir leur résolution du faict de ces guerres de France et de Flandres; et cependant, ilz font grand dilligence de praticquer deniers de tous costés. Mesmes j'entendz que de la blanque, qu'on a tirée ces jours passés en ceste ville, ceste Royne retirera pour elle plus de cent mille livres esterlin, qui sont 33,000 escuz; de quoy le monde murmure assés pour la diminution qu'ilz trouvent aulx bénéfices qu'ilz espéroient de leurs billetz.

Mais il a esté faict certaine publication là dessus qui leur en rend quelque rayson. Je mectray peyne de ne laysser passer rien d'inportance, dont n'en ayés promptement adviz, et prendray garde à ce qui réuscira de la légation du dict Sr. d'Assoleville.

Le comte de Mora a heu congé de s'en retourner en Escosse, et est desjà party, et le duc de Chatellerault est, à ceste heure, à pourchasser le sien. Je vous manderay, par mes premières, en quoy sont demeurés les affères de la Royne d'Escosse, priant Dieu, etc.

De Londres ce xxiiiȷe de janvier 1569.

A la Royne.

Madame, ayant la Royne d'Angleterre heu adviz de quelque détention et saysye faicte à Roan sur les biens et navyres de ses subjectz, elle m'a faict demander par le Sr. Cecille si Voz Majestez avoient commandé de le fère, et qu'elle n'avoit espéré que toute continuation d'amytié avec vous et persévérance de bonne paix entre voz payz et subjectz. A quoy j'ay respondu que je n'avois heu charge, quant je vins icy, que d'y avouer paix et amytié, et qu'encores par voz lettres, du premier de ce moys, vous m'en refraichissiez le commandement; mais ne sçavois si elle, ou les sciens, avoient provocqué Voz Majestez, et voz subjectz, de fère aultre démonstration, et que je n'avois rien entendu de la dicte saysye, ny ne pençoys que vous l'eussiez commandé; mais qu'il estoit à croyre que ceulx de Roan, entendans les passaiges de ce royaulme estre fermés, et en ignorans l'occasion, avoient advisé de pourveoir, par ce moyen, à l'indempnité des leurs qui s'y trouvoient enfermés, desquelz ilz ne pouvoient avoir novelles, et que, à ceste heure, saichans l'ouverture des dicts passaiges, j'espérois qu'ilz lèveroient aussi la dicte saysye et arrest. Si, avons arresté, Madame, que j'en escriprois incontinent à Voz Majestez, et cella est cause que j'ay hasté ceste dépesche, en laquelle je n'ay à vous dire, oultre le contenu en la lettre du Roy, sinon que j'ay entendu qu'encor que ceulx cy soyent très ayses de la venue du Sr. d'Assoleville, qu'ilz veulent néantmoins mettre en délibération si ceste Royne le doibt recepvoir comme ambassadeur, n'estant envoyé de la part d'ung prince souverain, ou si elle le renvoyera sans l'ouyr, pour ne tretter rien avecques le duc d'Alve, et actandre qu'il vienne lettre, ou homme, dépesché du Roy Catholique, qui ayt expresse charge et mandement de parler de ces affères. Quoy que soit, je croy qu'on luy usera de quelques cérémonies, et qu'on l'observera comme envoyé par celluy à qui l'on veult bien monstrer qu'on se prépare de luy fère la guerre. Je ne laysseray pourtant de l'envoyer visiter et saluer, et mesmes de le convyer à mon logis, à cause de l'aliance de Voz Majestez avecques le Roy, son Maistre; bien que je crains qu'on ne me permectra d'acomplir les dicts offices. Je mectray toutesfoys toute la peyne que je pourray d'entendre quelque chose de sa légation, et de toutes aultres occurrences, pour vous en donner les plus certains et les plus promptz adviz qu'il me sera possible: priant Dieu, etc.

De Londres ce xxiiiȷe de janvier 1569.

Je vous supplie très humblement commander que mes gens, que j'ay par dellà, me soyent renvoyés, et que nous faciez consoler d'aulcunes de voz bonnes novelles, car il en court icy qui ne sont à l'advantaige des affères de Voz Majestez.

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