Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, tome premier: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
XVe DÉPESCHE
—du xxxe de janvier 1569.—
(Envoyée par La Vergne jusques à la Court.)
Arrestation du sieur d'Assoleville.—Grands préparatifs de guerre.—Secours d'hommes et d'argent donnés par Élisabeth au comte de Murray, en Écosse.—Déclaration de la reine que si, dans les quinze jours, elle n'est pas satisfaite au sujet de la saisie de Rouen, elle usera elle-même de représailles à l'égard des Français.—Mémoire renfermant les explications données par le vice-amiral Winter sur son voyage à la Rochelle.—Mémoire secret pour la reine-mère.—Fin de la relation envoyée de la Rochelle.—Réclamation des marchands anglais contre la saisie de Rouen.—Proclamation de la reine, portant défense de vendre dans les ports d'Angleterre les prises faites sur les Français.
Au Roy.
Sire, il ne fault doubter que la Royne d'Angleterre n'ayt ung grand playsir de veoir que le duc d'Alve a maintenant envoyé devers elle, et qu'elle ayt gaigné l'avantaige de le fère parler le premier sur le faict de ces saysies, ce qui est bien fort advenu sellon son desir et expectation. Néantmoins, pour monstrer qu'elle se préparoit à la guerre, comme la luy ayant déjà le dict duc commancé par cest exploict exécuté en Anvers sur les Anglois, elle a envoyé arrester le sieur d'Assoleville, son ambassadeur, à Rochestre, et le détenir là deux jours; où, par ce que c'est le principal arsenal de ce royaulme, il a peu veoir et entendre quel grand nombre d'ouvriers elle a ordonné pour besoigner en dilligence à ses grandz navyres de guerre. Despuis, il a esté, soubz la garde de quelques ungs, conduict en ceste ville et resserré incontinent en ung logis, et ses gens separés de luy, sans qu'il parle à personne, ny mesmes n'a esté permiz à ung des miens de le veoir ny de le saluer de ma part; tant y a que luy, prévoyant ceste rigueur, avoit pourveu, de bonne heure, d'escripre deux lettres, l'une à l'ambassadeur d'Espaigne résidant icy, dont l'adresse estoit à moy, qui a esté rendue, et l'autre à la dicte Royne pour sçavoir le temps, le lieu et l'ordre de l'audience, qu'elle luy vouldroit donner; laquelle lettre le Sr. Cecille a prinse des mains d'ung de ses gens, qui actandoit en la salle de présence, à Antoncourt, l'occasion de la présenter, et luy a assés rudement deffandu de ne se trouver plus en tel lieu, et qu'on manderoit à son Maistre ce qu'il auroit à fère, sans qu'il envoyast le sçavoir; et de tant que le dict d'Assoleville a tenu ferme de ne vouloir rien dire de sa commission, qu'il n'ayt premièrement conféré avec le dict ambassadeur, et mesmes sans qu'il soit présent lors qu'il parlera à la dicte Dame, comme il en a faict la déclaration au Sr. Drury maréchal de Baruich, qui avec deux aldremans l'estoient allé quérir, de la part des seigneurs de ce conseil, pour le mener en ung lieu où ils estoient assemblez pour l'ouyr, lesquelz cependant y avoient faict venir l'ambassadeur résidant icy, qui semblablement n'a rien volu dire sans l'autre. Ilz sont maintenant à dellibérer comme ilz en useront.
Par ainsi cest affère prend quelque longueur, et cependant aucuns de ces Anglois, qui estoient dettenuz en Anvers, ayans baillé pleiges par dellà, sont arrivez icy, ensemble le corrier ordinaire d'Angleterre et celluy des marchans, qui ont apporté deux pleynes malles de paquetz, qui ont demeuré deux jours ez mains du dict Sr. Cecille; mais ce jourduy il les a faictz distribuer, et a l'on entendu, par ceulx qui sont venuz, que le duc manyoit les choses plus doulcement qu'ilz ne cuydoient, dont j'espère que, la sepmaine prochaine, les dicts deux ambassadeurs seront ouys conjoinctement par la dicte Dame. Cependant elle faict continuer l'armement qu'elle a commancé, lequel, sellon que j'ay adviz, est de quatre de ses plus grandz navyres, oultre les quatre qui sont desjà sur mer, et de deux grandes naves venitiennes, qui se sont trouvées dans ceste rivière de Londres prestes à partir; lesquelles, par ce qu'elles sont bien artilliées et en tout aultre bon équipage de guerre, elle les a mandées arrester pour s'en servir, et ung aultre bien bon navyre de Me. Ouynter; de sorte qu'il y aura unze grandz navyres, du premier jour, hors ceste rivière, soubz la conduicte du Sr. Christophe Haulstoc, contrerolleur de la marine. Et m'a l'on dict que, oultre ce qu'il y a desjà de particuliers avec leurs navyres sur mer, il a esté escript à plus de soixante aultres d'armer promptement leurs vaysseaulx pour s'y mectre. Il est vray que je n'entendz point qu'on fasse aucune levée de soldatz, et seulement l'on a mandé venir du nort mille marinyers pour la conduicte des dicts grandz navyres, dont la commission de l'avitaillement ne porte que pour ung mois, dedans lequel la dicte Dame mande qu'elle espère avoir accomodé ce faict de Flandres, et que cependant ilz ayent à se tenir sur l'emboucheure de ceste rivière et ez environs de ses portz. Mesmes j'entends que, secrètement, elle a mandé retirer ung nombre de ses ouvriers, qui travailloient au reste de ses navyres, tant elle espère que ceste guerre sera plus tost paciffiée, qu'il ne s'y sera tiré ung seul coup.
Il est vray qu'on m'a adverty, que vers Barruich et sur les confins d'Escosse, a esté commandé fère une levée de huict cens lances à cheval et de deux mille harquebuziers à pied, pour secourir le comte de Mora, s'il en a besoing, ce que je croy qu'il aura; car se dict qu'on s'est desjà battu en Escosse, mais le particullier encores ne se sçait, et que le comte d'Arguil et les Ameltons sont fortz en campaigne et résoluz d'empescher que le dict comte ne rentre dans le pays; dont semble, à la vérité, qu'il trouvera de la résistance, et, possible, quelque encontre, sellon l'opinion d'aucuns, qu'il n'a poinct préveu. Il est party, à ce que j'entends, bien contant et satisfaict de ceste court, ayant heu quasi une déclaration d'avoir bien procédé en tout ce qu'il a faict pour la poursuyte de la mort du feu Roy d'Escosse contre le conte Baudouel, et ce qu'il a entreprins du gouvernement du pays sous l'auctorité du petit prince, dont semble que ceste noveaulté de Flandres luy ayt beaucoup aydé en cella. Car estimant la Royne d'Angleterre ne se pouvoyr jamais asseurer de la Royne d'Escosse, elle a conclud avec cestuy cy, par lequel elle pense avoir suffizamment pourveu à tout ce qui luy pourroit survenir de ce costé d'Escosse; et j'entendz que, soubz le tretté de la tutelle et garde du dict petit prince, ilz se sont mutuellement promiz tout secours ez autres choses, et qu'il a eu quelques deniers contantz, et promesse d'aultre somme jusques à xv mille livres esterlin en tout, qui sont xlvij mille ve escuz.
La dicte dame a octroyé aussi au duc de Chastellerault son congé, sans toutesfoys qu'il puisse passer devers la Royne sa Mestresse, mais elle l'a refuzé à l'évesque de Ros et au millord Herriz, leur disant que la dicte Royne d'Escosse avoit escript une lettre à aucuns seigneurs escoussoys, laquelle luy est venue entre les mains, par où elle la taxe d'estre partialle pour ses adversaires, et qu'ilz trettent avecques elle de mectre les Anglois dedans l'Escoce, et de luy délivrer le petit prince et aucunes places dans le pays, dont les semond de prendre incontinent les armes pour s'y opposer; laquelle invention elle n'estimoit procéder de la dicte Royne d'Escosse, sa bonne sœur, ains de eulx, ses depputez, qui auroient à luy rendre compte de ceste calompnie, premier qu'ilz s'en allassent; et quant à la communiquation des choses qui avoient esté dictes et produictes contre la dicte Royne d'Escosse, qu'elle la leur feroit avoir, ainsi que en la dernière audience elle me l'avoit accordé, pourveu que la dicte Royne, leur Mestresse, promît d'y respondre si pertinéemant, que le monde ne peust plus dobter de son innocence et justiffication, autrement qu'elle s'abstînt de luy demander jamais plus secours pour estre remise en son estat, ne le luy pouvant, après cecy, bailler sans grever sa conscience et son honneur.
Ce que surviendra en cest affère et autres, de jour en jour, je mectray peyne, Sire, que vous en soyez dilligeament adverty, ayant eu grand consolation d'entendre, par le retour d'ung des miens et par voz lettres du xve du présent, le bon portement et santé de Voz Majestez, et le bon succez de vos affères, tout au contraire de plusieurs faulx bruictz qu'on faisoit courir icy, et qui me sera ung bon argument d'en entretenir ceste princesse, laquelle se délibère venir bien tost en ceste ville. Cependant je supplie Vostre Majesté de donner satisfaction à son ambassadeur de dellà sur ces saysies de Roan, lesquelles, s'il vous plaict mander lever, et ordonner toute indemnité pour les Anglois en France, l'on me promect, fort expressément, faire le semblable icy pour les Françoys, comme desjà ilz ont donné plusieurs provisions de justice à ceulx que je leur ay requis. Sur ce, etc.
De Londres ce xxxe de janvier 1569.
A la Royne.
Madame, oultre le contenu en la lettre du Roy, il vous playra entendre de mon secrétaire, présent pourteur, comme les seigneurs de ce conseil m'ont envoyé prier par le Sr. Anton, principal clerc de leur bureau, et deux notables marchandz de ceste ville, de vouloir promptement dépescher ung des miens devers Voz Majestez, pour vous advertir qu'estant la Royne, leur Mestresse, fort pressée par ses marchantz de pourveoir à la saysie qui a esté faicte de leurs biens et marchandises à Roan, elle les a priez d'avoir pacience pour quinze jours, affin qu'elle puisse sçavoir là dessus votre intention, tant par son ambassadeur qui est de dellà, que par moy, de qui elle leur a dict avoir heu toutjour si bonnes parolles de paix qu'elle ne faisoit doubte que Voz Majestez ne remédyssiés dans les dicts quinze jours, à la dicte saysye; ou, qu'à deffault de ce, elle leur promectoit, pour leur indempnité, fère pareille saysye par deçà sur les biens que s'y trouveront appartenir aulx Françoys. Dont, Madame, est a considérer que, sellon la résolution que vous donrés à ceste affère, ilz résouldront les leurs, qu'ilz ont avecques le duc d'Alve; car, si la dicte saysie de Roan passe en avant, ne fault doubter que, pour ne se trouver en deux guerres tout à la foys, ilz tretteront incontinent de paix avec les Flamans, en dangier de se déclairer ouvertement contre nous. Mais, si vous levez la dicte saysie, semble qu'ilz se tiendront ferme contre l'aultre party, et qu'ilz convertiront là tout leur présent armement, m'ayans offert iceulx seigneurs de ce conseil telles provisions de justice que je vouldrois contre les pirates et une généralle déclaration de ceste Royne, de n'en retirer ung seul dans ses portz, ny permectre de débiter leurs prinses qu'ilz feront sur voz subjectz par deçà, affin d'entretenir ung bien asseuré et libre commerce, et toute bonne paix avecques la France.
Sur quoy il vous plaira, Madame, me renvoyer promptement ung des miens, bien instruict de ce qu'il vous plairra que je leur responde, affin que je ne faille de suyvre en cella, comme en toutes aultres choses, l'intention de Vostre Majesté, à laquelle je bayse très humblement les mains, et prie Dieu qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce xxxe de janvier 1569.
MÉMOIRE BAILLÉ A LA VERGNE.
De faire entendre à Leurs Majestez comme Me. Ouynter, voulant justiffier la Royne, sa Mestresse, et soy mesmes, de ce voyage qu'il a faict à la Rochelle, a envoyé saluer le dict Sr. de La Mothe par un marchant de Londres, bon catholique, et luy dire comme, pour les difficultez qu'on avoit faict à Bourdeaulx de recevoir et fornir leur première flotte, il avoit esté contrainct de conduyre ceste seconde vers la Rochelle, et en la Charante, affin de ne s'en retourner sans vin, où il n'avoit assisté qu'à son regrect le prince de Condé, et non sans qu'aulcuns luy eussent reproché par deçà qu'il estoit trop papiste;
Tant y a, qu'estant là, et entendant que Chatellier Pourtault et ses complices avoient commission de courir la mer, et piller ce qu'ilz pourroient, en raportant le tiers du butin au prince de Condé, et le cinquième à l'Amyral, il leur avoit remonstré que la Royne, sa Mestresse, n'estoit pour endurer, et encores moins pour tenir la main, à une telle violence, qui ne s'exerceoit que contre les pouvres marchans, et qu'elle mectroit peyne d'en nettoyer la mer;
Comme me pryoit de croire que, tant qu'il avoit esté en ce voyage, il avoit deffandu les Françoys catholiques, et tous aultres navigans, de l'oppression des dicts pirates, et mesmes ayant surprins ung Anglois sur ung pillage qu'il faisoit en une navyre brethon, qui venoit d'Espaigne chargé de quelques provisions, il l'avoit faict pendre;
Et que, passant au Conquet, encor que ceulx du lieu l'eussent cannoné, et luy eussent thué cinq des sciens, et blessé d'aultres, il ne leur avoit toutesfoys jamais vollu tirer ung seul coup, affin de ne contrevenir au commandement, que la dicte Dame luy avoit faict, de maintenir, en tout ce qu'il pourroit, la paix qu'elle avoit avecques la France.
Lesquelz propos susdicts le dict Sr. de La Mothe a gratiffiés au dict Me. Ouynter, luy mandant qu'ilz estoient conformes à ce que la Royne, sa Mestresse, luy en avoit dict, mais qu'il sçavoit bien que le Roy imputeroit tousjours à la dicte Dame ce que ses navyres et ses subjectz feroient contre luy.
Il semble que la saysie, faicte à Roan sur les Anglois, les fera aller plus retenuz contre nous, se voyant mesmement estre entrez en mauvais mesnaige avec les Pays Bas; mais ilz sont maintenant à se résouldre d'ung party ou d'aultre, et monstrent qu'ilz seroient très ayses de demeurer en paix avecques nous pour se rescentir contre les aultres, aultrement est à craindre qu'ilz accorderont avecques les aultres pour se déclairer contre nous.
Chiffre.—[Il s'entend toutes foys qu'aulcuns principaulx seigneurs de ce royaulme résistent, tant qu'ilz peuvent, qu'on ne provocque ny Leurs Majestez Très Chrétiennes, ny le Roy Catholique, et sont fort indignés contre ceulx qui semblent s'authoriser trop arrogamment contre l'observance et le respect qu'on doibt avoir à l'amytié de si grandz princes; et se tiennent loing des conseilz et dellibérations que ceux cy font; et les layssent tout exprès déborder davantaige à leur playsir, affin qu'allant les choses de mal en pis, ilz ayent tant meilleur argument de leur fère bien tost une bien vifve charge pour les désarçonner;
Car s'estime que, si Leurs Majestez Très Chrétiennes et Catholique vont de telle intelligence en cecy, qu'ilz serrent de tous costez leurs pays à ceulx de ce royaulme, sans permectre qu'eulx ny leurs marchans y ayent aucun accez, ilz se trouveront, en peu de temps, si despourveuz de toutes choses, et leurs trafficz tant retardés, qui est le seul soubstien du pays, qu'ilz s'eslèveront incontinent contre ceulx qui auront esté cause de ce mal; et ne sera, sellon l'opinion d'aucuns, que cella n'admène quelque révolution aulx choses de l'estat et de la religion. Il est vray qu'il y a grande apparance que le Roy d'Espaigne procurera d'avoir la paix avecques eulx et il vauldra mieulx la conserver pour nous.
Or ceulx cy, voulans pourveoir à cella, préparent desjà de dresser leur traffic et estape à Endem, et tretter, avec les villes maritimes du Stertan, de la descharge et débittement de leurs marchandises, ayans en cella favorable le Roy de Dannemarc.
Lequel Roy de Dannemarc, et le Roy de Suède, avec les dictes villes maritimes, et les princes protestans, et villes impérialles d'Allemaigne, les Suysses, les Françoys et Flamans huguenotz, et autres de la confusion[51] d'Auguste et de Genève, sont, à ce qu'on dict, ligués avec ceste Royne pour maintenir ces princes qui sont en armes pour la deffance de leur religion.
Quillegrey, soubz colleur d'un voyage devers l'Empereur, est prest à partir pour aller devers les dicts princes et villes, affin de conclurre leur capitulation, et rapporter la résolution du tout à ceste princesse, et cependant ilz font entre eulx grand dilligence de practiquer deniers et monitions de guerre de tous costez.
Il est à espérer qu'on obtiendra maintenant prou choses de ceste Royne pour tenir Leurs Majestez aucunement asseurées et sollagées de son costé, au moins tant qu'elle sera broillée avec les Pays Bas, dont Leurs Majestez manderont au dict Sr. de La Mothe comme il leur plaira qu'il en use; car il entend que ceulx cy ont desjà envoyé lettres et commissions bien favorables, par leurs portz et hâvres, pour tenir le commerce libre et bien asseuré aulx Françoys.
Chiffre.—[Bien que le dict Sr. de La Mothe a esté, encores de rechef, adverty par des Anglois mesmes, catholiques, que tout ce jeu et armement d'icy s'estoit principallement commancé pour Callais, et que ceulx cy se ventoient d'avoir quelque intelligence dedans]—et que la place estoit fort peu garnye de gens de guerre: de quoy le dict La Vergne advertira Leurs Majestez, et qu'il semble estre requis, voyant ce pays en armes, qu'on la fornisse de quelque
plus grand nombre de gens de guerre qu'il n'y a, et prendre garde à la dicte intelligence; ce qu'il dira aussi, en passant, au cappitaine Gordan.
S'entend q'un navyre a esté naguyères chargé en Anvers de corseletz, morrions et d'arquebuses, lequel a abordé à la Rye, et s'en va à la Rochelle; il se pourrait bien donner ordre que ceulx de la Rochelle ne tirassent telle commodité du dict Anvers;
Et que le conseiller Cavaignes a faict par deçà une aultre provision de pouldres, pour envoyer au dict lieu de la Rochelle, et qu'il est après à les fère embarquer.
Les dicts de la Rochelle ont envoyé, comme on dict, un navyre chargé de vin à ceste Royne, et la Royne de Navarre a donné à Me. Ouynter une chaine de quatre cens escuz, et ceulx de la ville six cens escuz en or.
Il y a deux soldatz gascons, qui se sont desrobés du dict lieu de la Rochelle, et sont venuz sur les navyres du dict Me. Ouynter, qui veulent aller trouver Leurs Majestez, se disans estre catholiques. L'on pourra par eulx entendre aulcunes choses du faict du prince de Condé et du dict lieu de la Rochelle.
L'on a faict imprimer icy, en langaige anglois, la lettre escripte au susdict Cavaignes, dont la coppie fut envoyée par la dernière dépesche, de quoy s'estant plainct le dict Sr. de La Mothe comme de chose qui désavantageoit les affères du Roy l'on luy a promiz de chastier l'imprimeur.
L'on a faict veoir, par interposées personnes, au dict Sr. de La Mothe l'aultre discours venu de la Rochelle, dont la coppie a esté aussi envoyée en la dernière dépesche; mais y ont adjousté ce qui est contenu en ung mémoire miz dans ce pacquet.
L'on monstre, despuis peu de jours, plus de rigueur qu'on ne souloit, à la Royne d'Escosse, et c'est pour la presser de renoncer à sa couronne, et l'a on menassée, si elle faict difficulté, d'aller là où l'on a ordonné de la remuer, comme à la vérité il luy griefve bien fort, qu'on l'enlèvera, elle et une aultre seule femme avecques elle, dans leur lict, pour les y pourter par force dans une lityère bien fermée à clef; de quoy elle a mandé au dict Sr. de La Mothe d'en fère instance, comme il fera la première foys qu'il verra ceste Royne. Et disent les depputés de la dicte Royne d'Escosse, qu'encor qu'on ne doibve espérer nul bien de ce costé pour elle, si sera elle pirement trettée, si l'on sent qu'il y doibve avoir ropture entre ces deux royaulmes. Ceulx cy ont quelque doubte qu'ilz ne la puissent remuer sans qu'il y ayt quelque ellévation au quartier où elle est maintenant.
AULTRE MÉMOIRE A PART AU DICT LA VERGNE.
Représentera à Leurs Majestez la disposition en quoy ceulx cy se mectent pour soubstenir la guerre, qu'ilz disent que le duc d'Alve leur a commancée, et la rigueur qu'ilz ont tenu à son ambassadeur Mr. d'Assoleville, et comme despuys cella ilz font plus de démonstration de vouloir garder la paix avecques nous qu'ilz ne souloient, et qu'ilz sont promptz à nous bailler toutes provisions de justice qu'on leur demande pour les Françoys;
Que la saysie de Roan les a aussi renduz plus modérés en nostre endroict, et semblent qu'ilz favoriseront dorsenavant moins ouvertement le prince de Condé, s'il plait à Leurs Majestez les asseurer de la continuation de la paix et lever la dicte saysye. Aultrement il semble qu'ilz accorderont avec les Pays Bas, en dangier de se déclairer contre nous et d'employer leur présant armement en la faveur du prince de Condé.
Le cappitaine Franchot monstre porter grande affection au service du Roy, et, encor qu'il soit de la novelle religion, semble qu'il ne vouldroit que ceulx cy fissent aucune entreprinse sur le royaulme de France; et parce qu'il trafique avec le comte de Belfort, Milme, Trocmarton et autres de ce conseil, il pense avoir moyen de servir à Leurs Majestez à quelque bonne occasion, et dict avoir comprins, par le dire de ces seigneurs, que ceste Royne a toute auctorité envers ces princes d'Allemaigne qui sont en armes, et envers tous ceulx de la ligue de la religion novelle, et qu'elle divertiroit volontiers la guerre de France sur les Pays Bas, et garderoit que les dicts princes d'Allemaigne ne fissent plus aucun effort contre Leurs Majestez, pourveu qu'elle se peult bien assurer du costé du Roy;
Bien dict qu'ayant esté rapporté à ceste princesse comme le prince de Condé procuroit que, se faisant quelque paciffication en France, l'on joignist toutes les forces qui y sont maintenant pour aller chasser les Espaignolz de Flandres et remectre le pays à l'obéyssance de la couronne de France, qu'elle n'estoit bien contante de cella, car seroit contraincte de s'opposer à une telle entreprinse qui luy serait trop domageable, et qu'il ne failloit penser qu'elle embrassât les affaires du dict prince, ayant une telle dellibération, bien qu'elle désire veoir les Hespaignols hors du pays;
Et que le dict Franchot a très instamment requis le dict Sr. de La Mothe de le recorder à Leurs Majestez pour estre secouru de sa pencion, et qu'il semble qu'elle sera à présent bien employée.
Procurera que Leurs Majestez envoyent, du premier jour, leur déclaration, et qu'ilz mandent leur intention sur la requeste que les marchans de Londres ont présenté aulx seigneurs de ce conseil, laquelle ilz ont envoyée communicquer au dict Sr. de La Mothe.
Et fera veoir à Leurs dictes Majestez la provision que ceste Royne a envoyé, par tous ses portz et hâvres, pour l'indempnité des Françoys, et qu'il leur playse en envoyer une semblable à leurs portz de dellà pour l'indempnité des Angloys;
Que, despuys les lettres escriptes, le dit Sr. de La Mothe a entendu qu'on a remué la Royne d'Escosse en ung chasteau du comte de Cherosbery, quarante mille plus avant dans le pays, assez rigoureusement, dont, par la prochaine dépesche, le dict Sr. de La Mothe en mandera les particularitez qu'il en aura entendu, ensemble de ce qui se passe en Escosse, où l'on est bien avant aulx armes.
Advertira que, en cas de ropture, l'on veuille prendre garde à Mr. Norris, ambassadeur pour ceste Royne par dellà, qu'il ne s'en aille; car luy seroit aysé de se conduyre, en deux ou trois jours, par deçà la mer.
Dira a Leurs Majestez que le discours venu de la Rochelle fut, la première foys, secrètement baillé au dict Sr. de La Mothe par ung catholique, qui ne contenoit que comme il a esté desjà envoyé par les précédantes; mais despuys, on le luy a faict expressément communicquer, avec l'addition qu'il envoye maintenant, à l'occasion de quoy le tient pour suspect.
ADDITION AU DISCOURS ENVOYÉ DE LA ROCHELLE CY DESSUS ESCRIPT.
S'entend que le camp de Monseigneur, frère du Roy, despuys s'estre retiré, se diminue et deffaict peu à peu, de sorte qu'on a adviz, de plusieurs endroictz, qu'ilz sont en termes de repasser la rivière de Loyre, pour mectre partie de leur armée dedans toutes les villes assizes sur la dicte rivière, et la border de gens de guerre à l'endroict de toutz les pontz, portz, passaiges et villaiges, et l'autre partie de fère marcher au camp que le Roy veult dresser pour fère teste à Mr. le prince d'Orange et au duc de Deux Pontz. Ce que a faict maintenant résouldre les dicts sieurs Princes, et aussi tost qu'ilz auront recuilly les dix mille hommes de pied et douze cents chevaulx, que les quatre viscontes de Borniquel, de Paulin, de Montclar et de Caumont leur admennent de renfort, et qui sont sur le poinct d'arriver en leur camp, de marcher incontinent pour aller assiéger et forcer une des dictes villes, qui sont sur la dicte rivière, pour, le plus tost que fère se pourra, joindre tant le dict Sr. prince d'Orange que le duc de Deux Pontz, desquelles ilz ont eu novelles par gentishommes dépeschés de leur part, qu'ilz ne seront pas moins de vingt cinq à trente mille chevaulx et soixante mille hommes de pied, lors qu'ilz seront joinct ensemble.
Cependant les dicts sieurs Princes ont trente cinq enseignes de gens de pied et douze guydons, qu'ilz ont gaigné sur les ennemys, oultre les sept enseignes des compaignyes qui furent deffaictes au partir de devant Lodun, que furent bruslées dedans les logis pour avoir les soldatz qui estoient dedans; d'autre part les dicts quatre viscontes n'ont perdu le temps où ilz estoient, ayant priz et miz à feu et à sang la ville de Gaillac, en laquelle plusieurs cruaultés avoient esté commises avec grande animosité contre ceulx de la religion. Comme aussi la basse ville de Carcassonne a esté prinse par eulx, et douze et quinze aultres villes. Monsieur de Gramont, au pays de Basque, a aussi deffaict le Sr. de Luxe qui avoit levé quatre mille hommes contre ceulx de la religion, et a gaigné sur luy quelques pièces d'artillerye qu'il avoit.
Quelques jours au paravant, le cardinal de Lorraine voyant que, de son costé, les affères n'avoient le succez qu'il avoit espéré et desseigné, fut cause que la Royne dépescha le sieur Portal pour faire quelque ouverture de paix avec les dicts sieurs Princes; auquel a esté faict responce pareille de celle du maistre des requestes Malassize, que avoit aussi esté envoyé à ceste mesme fin de la part de la dicte Dame; qui est telle que, pendant que le cardinal de Lorraine et ses adhérans tyranniseront sur la France, et mesmes sur le conseil du Roy, duquel ilz ont chassé et esloigné monsieur le Chancellier et les principaulx officiers de la coronne, on n'acceptera aulcunes lettres ny mandemens faictz soubz le nom de Sa Majesté, sinon comme venans de la forge et invention du dict cardinal; et qu'on avoit tramé tant de perfidies ez trettez de paix précédans, que ceulx de la religion ont esté réduictz à ceste extrémité de croire qu'il n'y a aucune sûreté pour eulx, que par le moyen des armes.
Despuys, la compaignye de Mr. Divoy surprint, le pénultiesme de décembre, aulx faulx bourgs de Chinon, 80 Suysses, et le prévost, et les archiers de Monsieur, frère du Roy, lequel estoit dellà l'eaue, prenant l'alarme, deslogea de vistesse.
COPIE DE REQUESTE présentée aulx Seigneurs du conseil d'Angleterre, qu'ilz ont communiquée au Sr. de La Mothe.
Aux illustres et nobles Seigneurs, présidant et aultres, du conseil privé de la Majesté de la Royne d'Angleterre.
Remonstrent très humblement à Vos Seigneuries illustres, Jehan Olyve, viconte de la cité de Londres, Guillaume Hobson, Robert Foyar, Jehan Hardings, Thomas Starkie, Richard Patrik, Richard Sumthe, Jehan Millar, Jehan Tynbie, Robert Sadler, Hunyfroy Brovne, Jehan Allot, Hugues Offley, Olivier Ficher, Jehan Marsshal, Guilhaume Haufort, Robert Cambelle, Jehan Dent, Henry Vuayt et Thomas Persons, marchans anglois, trafficans à Roan en Normandie, tant en leurs noms que pour tous aultres marchans angloys intéressés,
Que, nonobstant la bonne paix entre les princes d'Angleterre et de France, laquelle Nostre Seigneur veuille maintenir et préserver à sa gloire, au xiiȷe jour du mois de décembre devant passé, les magistrats du dict Roan ont deffendu aulx facteurs et serviteurs des dicts supplians, et à aultres marchantz anglois, la libre traficque au dict Roan; lesquels magistrats, ne leur contantant ce que dessus, usant de plus grande rigueur, ont despuys, assavoir le xiiȷe de ce présent moys de janvier, sollicité et obtenu lettres du Roy Très Chrétien, en vertu desquelles ilz ont arresté tous les biens, marchandises et debtes des dicts supplians, et de tous aultres Anglois, au dict Roan, à leur très grand dommaige et totalle ruyne, si sur ce n'est pourveu.
Pour ce, est-il que les dicts supplient très humblement qu'il playse à Voz Seigneuries illustres, comme leurs protecteurs, de conférer, les dicts rudesses et désordres estant de mauvaise conséquence, avec le Sieur ambassadeur du dict Roy Très Chrétien, pour le présent en Angleterre, affin qu'il soit ordonné que les dicts supplians, leurs facteurs et autres marchandz angloys, puissent aussi librement trafficquer au dict Roan et royaulme de France, comme il est permiz aux Françoys en ce royaulme d'Angleterre, et que leurs marchandises et biens arrestez soyent librement relaxés.
Ce faisant, ferés bien et obligerés les dicts supplians de prier Nostre Seigneur pour la prospérité de ce royaulme et de Voz Seigneuries.
Ordonnance de la Royne d'Angleterre, envoyée aulx portz et hâvres de son royaulme, que a envoyé communiquer au dict Sr. de La Mothe.
Ayant esté faict remonstrance à la Majesté de la Royne par l'ambassadeur, icy résidant pour le Roy de France, son bon frère, comme plusieurs Françoys, ses subjectz, ayant esté violentement prins, avec leurs navyres et biens, par gens de guerre sur mer, ont esté despuys naguières amenez en aucuns portz de ce royaulme, où a esté souffert à ceulx qui les avoient prins de fère départ et vante des dicts biens et marchandises à leur playsir et volonté; et, pour aultant que Sa Majesté n'entend point qu'il soyt faict ny usé de telz déportemens par ses subjectz, au préjudice et nuysance de la bonne amytié, qui est entre le dict Roy de France, son dict bon frère, et elle, le playsir et commandement de Sa Majesté est que doresenavant ne soit permiz ni souffert à aucune personne, quel qu'il soit, d'exposer en vante, ny mectre en terre, en aucun port, dedans ce royaulme, aucuns biens ny marchandises, qui ayent esté ainsi prinses sur mer, d'aucuns des subjectz du Roy de France; et, s'il y en a aucuns ainsi admenés, ou miz en terre, qu'ilz soyent miz en seureté et sauvegarde, de tout pillage et dégast, jusques à ce que ceulx à qui ilz appartiendront ayent commodité de les recouvrer par ordre de justice. Par quoy vous n'y ferez faulte sur peyne d'en respondre à vos périlz de tout ce qui sera faict au contraire.
A Londres, le xxixe jour de janvier 1569.
Et plus bas est écript:
A tous majeurs, cherives, baillifs, connestables, coustumiers, enregistreurs, contrerolleurs, chercheurs et aultres officiers et ministres, et tous aultres subjectz de la Majesté de la Royne, à qui il apartiendra, et à ung chacun d'iceulx.
Soubz signé, Bacon, Cust, T. Norfolc, R. Leycester, E. Clinton, W. Cecille, R. Sadler, Vual. Milmay.
XVIe DÉPESCHE
—du vıe de février 1569.—
(Envoyée par Olivyer jusques à Calais.)
Refus du sieur d'Assoleville de déclarer sa mission devant le conseil.—Explications que donne Élisabeth dans une lettre au roi d'Espagne.—Secours fournis secrètement par elle aux protestants de France.—Désastre éprouvé par sir John Hawkins dans le golfe du Mexique.
Au Roy.
Sire, par la dépesche, que mon secrétaire vous a apportée, du pénultiesme du passé, Vostre Majesté aura veu en quel estat estoient les choses de deçà; et despuys, ceste Royne et ceulx de son conseil ont continué de fère au Sr. d'Assoleville la mesmes difficulté, que je vous ay desjà mandée, de ne le laisser conférer avec l'ambassadeur d'Espaigne, résidant icy, et lui, de son costé, encor que ceulx du dict conseil l'ayent faict venir en leur assemblée, a persévéré de ne vouloir rien dire de sa commission, sans avoir premièrement parlé au dict ambassadeur. Par ainsi, ilz sont encores à se résouldre comme ilz en useront.
Cependant la dicte Dame a faict conduyre, avec escorte, jusques en ceste ville de Londres, l'argent dont est question, et semble que ce n'est que pour plus seurement le garder, et qu'elle a intention de le rendre, se contantant de l'avoir retardé quelque temps au dict duc. Car j'entendz qu'elle a escript, du dernier du passé, une lettre en latin, au Roy d'Espaigne, par laquelle, après luy avoir récité le bon ordre qu'elle a miz de saulver ses deniers des mains des pirates et de les mectre hors de dangier, elle luy mande qu'elle les faict conduyre en ceste ville de Londres pour plus seuremant les luy garder, espérant qu'il prendra de bonne part, et mesmes qu'il lui gratiffiera ceste scienne dilligence et bonne affection, et adjouxte plusieurs aultres bonnes parolles d'amytié, accommodées au désir qu'elle a de demeurer en la bonne paix et ancienne alliance d'entre eulx et leurs estatz, et de la confirmer, et estraindre davantaige par tous les meilleurs offices de bonne sœur qu'elle pourra; et qu'elle impute ce que le duc d'Alve et son ambassadeur ont faict au mauvais conseil que ceulx qui vouldroient veoir la ropture de leur bonne paix et amytié leur ont donné, le priant de persévérer de son costé en icelle, comme du scien elle l'asseure de la rendre inviolable. Et a adressé la dicte lettre à son ambassadeur en France, pour la bailler à don Francès d'Alava, affin de la fère tenir le plus tost qu'il pourra au Roy, son Maistre, n'ayant, à ce qu'elle dict, voye plus seure que celle là ny par mer, ny par terre, pour la luy envoyer, à cause des troubles de France.
Et semble qu'en confiance de ce, la dicte Dame faict cesser le reste de son armement de mer, si n'est pour parfornir les huict navyres dont, en mes précédantes, j'ay faict mention, qui ne sont encores hors de ceste rivière, mais n'attendent que le bon vent. Et ne veois, Sire, que, pour vostre regard, la dicte Dame fasse aucune démonstration de se vouloir déclairer ouvertement contre Votre Majesté, bien qu'il soit desjà allé d'icy beaucoup de deniers et d'autres moyens de secours en Allemaigne et en France, en faveur de ceulx de sa religion; ayant adviz que, par l'enregistrement, qui a esté faict, comme est de coustume, au commancement de ceste année, des mises de l'année passée, il s'y trouve trois articles: l'ung de soixante mille et l'autre de trente mille livres esterlin envoyés en Allemaigne, et le troysiesme de vingt mille livres esterlin portées à la Rochelle, qui est, en tout, trois cent soixante trois mille escuz, en ce comprins le subcide et subjention des esglizes et des particulliers de ce royaulme et le proffict de la blanque, lesquelles deux parties sont entrées en l'espargne de la dicte Dame, laquelle, par ce moyen, se trouve n'avoir guières advancé du scien, mesmes semble qu'elle y gaignera; car on m'a dict y avoir obligation de rembourcement sinon expéciallement en son nom, c'est toutesfoys à son proffict. Et par ainsi l'on s'ayde de son crédit et moyen, et la conduict on, soubz l'aparance de ce guein, à donner tout le support que, sans se déclairer, elle peult à ceulx de sa dicte religion.
Comme à ceste heure aussi, l'on l'a persuadée de laysser aller assés bon nombre de particulliers de son royaulme avec chacun ung navyre sur mer, soubz l'adveu et faveur du prince de Condé, et sont desjà plus de cinquante ensemble, luy faisant acroyre qu'elle sera quicte en les désadvouhant. A quoy je luy incisteray vifvement en ma première audience; bien qu'on mect peyne de m'asseurer que ce n'est aucunement contre Vostre Majesté, ni contre voz subjectz, comme, à la vérité, l'on leur faict despuys quelques jours meilleur trettement aux portz et hâvres de deçà, et leur administre l'on meilleure justice qu'on ne souloit. Tant y a qu'on doibt avoir pour suspect le nombre de tous ces navyres anglois et quelques aultres d'escoussois, qui sont toutz joinctz à Chatellier Pourtault, et font ensemble quasi une juste armée de mer, dont est à desirer qu'il s'en puisse prendre quelcun pour mectre en peyne ceste princesse ou de le désadvouher, ou de le laysser exécuter.
Haquens, principal homme de mer de deçà, qui estoit allé, l'année passée, aux Indes avec sept navyres et douze cens hommes, dont y en avoit quatre cens des meilleurs de ce royaulme, est revenu, ces jours passés, avec ung seul vaysseau, dans lequel il a saulvé quelque richesse et trente hommes seulement, ayant perdu le surplus à Mexico par une fortune non guières dissemblable à celle de Lodonyères et Jehan Ribault[52] à la Floride; de quoy les principaulx de ce royaulme, qui avoient contribué à l'entreprinse de son voyage, restent assés offancés contre les Espaignolz, non sans désir de s'en venger.
La Royne d'Escoce a esté en fin conduicte, contre son gré, plus avant au dedans de ce royaulme; et parce que le chasteau de Tytbery n'estoit encores en assés bon estat pour la loger, y estantz les massons et ouvriers besoignans en dilligence, elle a esté menée en une mayson du comte de Cherosbery, qui s'appelle Cheffel, où la comtesse s'est trouvée pour la recepvoir. Je ne fauldray de remonstrer à la Royne d'Angleterre le tort que font à sa réputation ceulx qui la conseillent de contraindre et forcer en rien la volonté d'une telle souveraine, et royalle personne, et sa proche parente, comme est ceste princesse. Le comte de Mora s'est arresté aulx confins de ce royaulme, entendant que ceulx de l'aultre party estoient en campaigne envyron douze mille hommes; et se dict qu'ilz ont reprins quelques chasteaulx. Je verray dimanche prochain la Royne d'Angleterre sur l'occasion de vostre dernière dépesche, du xxe du passé, et incontinent après je vous donray compte de ce qu'elle m'aura dict et respondu, et prieray Dieu, etc.
De Londres ce vıe de février 1569.
J'entans que Guillegrey part demain, et que sa principale adresse est au comte Palatin, mais il feinct d'aller vers l'Empereur, et peult estre qu'il porte des lettres qui ont la superscription au dict seigneur Empereur, lesquelles je ne sçay s'il luy présentera, ny s'il y a rien d'escript dedans, et qu'il les porte seulement pour saufconduit.
A la Royne.
Madame, ayant avec grand plésir et contantement receu la dépesche de Voz Majestez, du xxe du passé, où j'ay veu l'effect qu'a produict vostre heureux acheminement en ce voyage d'avoir ainsi chassé soubdainement, et miz du tout hors de vostre royaulme le prince d'Orange, avec la délibération qu'avez prinse de tenir le passaige si bien fermé, que luy ny aultre n'y puisse rentrer, et de ce qu'avez envoyé renforcer Monsieur, frère et filz de Voz Majestez, contre le prince de Condé.
J'en yray, dimenche prochain, entretenir la Royne d'Angleterre, laquelle, j'espère, se confirmera par là en l'opinion qu'elle a bien toutjour eue de ne se déclairer ouvertement pour le party d'iceulx princes; et, possible, se retiendra encores d'une partie du support qu'en secret elle leur faisoit. Dont par mes premières je vous donray adviz de ce qu'elle m'aura respondu et de toutes aultres choses qui seront cependant survenues, n'ayant, pour le présent, rien que adjouxter à ce que Vostre Majesté verra en la lettre du Roy, si n'est de vous supplier très humblement, Madame, que d'aultant que mon dict seigneur vostre filz me taxe en une lettre qu'il m'a escripte, du dernier de décembre, que je ne l'ay adverty du secours des gens de guerre que ceste Royne a envoyé avec cinquante ou soixante navyres à la Rochelle, et qu'il a plustost adviz des choses de deçà de tous aultres endroictz que du mien, qu'il vous playse que je luy fasse quelque foys un duplicata de mes dépesches, comme je luy en envoye présantement ung, que je vous supplie commander luy fère tenir. Et sans ce que je pançoys qu'on lui envoyât, toutes les sepmaines, ung recueil des principalles choses qui sont escriptes à Voz Majestez, comme certes il seroit bien raysonnable de le fère, je n'eusse tant différé de luy escripre; mais je n'y fauldray plus dorsenavant, aydant le Créateur, auquel je prie, etc.
De Londres ce vıe de février 1569.
CE QUI EST ADVENEU A HAQUENS, ANGLOIS, EN SON VOYAGE DES INDES.
Ayant Haquens navigué, aulcuns moys, assez heureusement vers les Indes, et ayant amassé quelques richesses, il arriva à la veue de Mexico[53], avec cinq bons navyres et deux petitz vaysseaulx, environ le xxe du moys d'aoust dernier, 1568, aux mesmes temps qu'on y attendoit le Visce Roy d'Espaigne; et cuydant ceulx de la ville que ce fût le dict Vice Roy, ilz sortirent en grand nombre avec allégresse au devant de luy, et entre aultres le recepveur du lieu, avec ung esquif, ne feyt difficulté, voyant les croix rouges, d'aprocher le principal navyre où estoit le dict Haquens, et entra dedans. Mais cognoissant qu'ils estoient estrangiers, il se trouva estonné; toutesfoys, ne feyt semblant qu'il fût de rien déceu, et monstra le meilleur visaige et semblant qu'il peust au dict Haquens: lequel, s'estant toutjour cependant aproché du port et entré dedans, remonstra gracieusement au dict recepveur que la bonne paix et ancienne alliance, qui estoit entre l'Angleterre et l'Espaigne, avoit esté cause dont il s'estoit franchement et librement adressé au dict lieu pour rafréchir ses navyres d'auculnes choses qui luy estoient nécessaires, en les bien payant et non autrement. Laquelle venue et occasion le dict recepveur monstra trouver fort raisonnable et l'avoir fort agréable, luy promectant de le fère pourveoir de tout ce qu'il auroit besoing.
Et ainsi, le dict Haquens fut amyablement receu et bien tretté au dict lieu, où il accommoda ses navyres, en façon qu'il tenoit le port, le quartier de la ville qui est sur icelluy et une isle qui commande au dict port, à sa dévotion; et ses gens descendirent en la dicte isle pour rabiller leurs vaysseaulx, et s'y logèrent et y demeurèrent bien paysiblement jusques à ce que le dict Visce Roy arriva, avec une armée beaucoup plus grande que celle des Anglois; lequel ayant, du commancement, faict tout bon accueil et monstré beaucoup de faveur au susdict Haquens, parce qu'il le voyoit mestre de l'isle et du port, et que le dict port avoit l'entrée si étroite qu'il la pouvoit deffendre contre une bien grande armée, il meyt cependant ordre de praticquer ceulx de la ville contre luy et luy dresser une telle entreprinse que, le xxiiiȷe du dict moys d'aoust, sur la mynuict, que le dict Haquens et ses gens reposoient, ilz se sentirent soubdainement charger d'une bapterie de sèze pièces d'artillerye et d'une infinité de migres[54] de sorte qu'ilz furent plus tost deffaictz et rompuz qu'ilz ne fussent advertys ny souspeçonnassent qu'on les volût assaillyr, de sorte que le dict Haquens, voyant n'y avoir aultre remède, s'esforça de sortir du port dans ung des dicts vaisseaulx, appellé le Mignon, avec quelque partie de son butin, et environ quarante de ses hommes, avec lesquelz, après avoir veu brusler et deffère tout le reste, il s'en est revenu en Angleterre.
XVIIe DÉPESCHE
—du xe de febvrier 1569.—
(Envoyée jusques à Calais par Jehan de Verliny.)
Nouvelle entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth.—Plaintes de la reine au sujet de l'affaire du Conquet et de la saisie de Rouen.—Plaintes de l'ambassadeur au sujet des armements faits en Angleterre pour la Rochelle.—Protestation d'Élisabeth, qu'elle désavoue toutes les expéditions qui partent de ses ports.—Remontrance de l'ambassadeur sur ce que la reine d'Écosse a été conduite dans le château de Tutbury.—Colère d'Élisabeth, qui s'emporte en reproches et en accusations contre Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, entendant qu'on avoit parlé en assés mauvaise façon de vostre voyage de Lorrayne à la Royne d'Angleterre, comme si l'on vous eust admené à un manifeste dangier de vostre personne et estat, je luy ay bien vollu dire, ceste dernière foys que j'ay parlé à elle, qu'ayant Voz Majestez Trez Chrétiennes eu grand plésir et contantement des bons et sages propos qu'elle m'avoit toutjour tenu sur voz présens affères, et de la démonstration dont elle avoit usé de desirer la conservation de vostre grandeur, vous aviez prins si bon augure de ceste sienne royalle affection, conforme à celle qui vous estoit démonstrée de tous les aultres principaulx et plus grandz princes chrétiens, que postposant toute craincte de mal, vous aviez allègrement marché, en propre personne, droit à l'exécution de vostre entreprinse, avec grand confiance en Dieu et en l'équité de vostre cause que vouses chrétiens, que postposant toute craincte de mal, vous aviez allègrement marché, en propre personne, droit à l'exécution de vostre entreprinse, avec grand confiance en Dieu et en l'équité de vostre cause que vous en viendriez bien tost et bien heureusement à boult; et que desjà l'on avoit commancé de cognoistre l'effect de vostre acheminement, qui avoit soubdain chassé et miz du tout hors de vostre royaulme le prince d'Orange, et aussitost saysy les passaiges de la Mozelle, avec résolution d'aller si bien serrer les aultres passaiges d'Allemaigne qu'il ne fût plus au pouvoir du dict prince ni d'aultre de rentrer ainsi ayséement en vostre royaulme, comme ilz avoient cy devant faict; et que vous aviez en mesme temps envoyé deux mille vc reytres de renfort à Monsieur, frère de Vostre Majesté. Et continuay à luy raconter ce qu'il vous playsoit m'escripre du xxe du passé, et que, grâces à Dieu, voz affères estoient en meilleur estat que, possible, ceulx qui n'en vouloient la prospérité ne le luy donnoient entendre; et qu'il ne faisoit si beau pour ceulx qui vous menoient la guerre en vostre royaulme qu'elle, ny aultre, peussent estre convyés de se joindre à leur party.
La dicte Dame, après m'avoir curieusement enquis de la retrette du dict prince d'Orange, et du chemin qu'il tenoit, et s'il estoit aysé d'empescher que luy et le duc de Deux Pontz ne peussent revenir, s'ilz le vouloient fère, et que je luy heuz satisfaict à tout cella sellon qu'il vous plaisoit me le mander, elle me pria que, par mes premières, je fisse ses reccommendations à Voz Majestez Très Chrétiennes, et qu'elle vous remercyoit grandement de la communication que luy faiziés de vos prospérités, desquelles elle estoit aussi ayse, comme Dieu luy est tesmoing, et le monde sçayt, qu'elle avoit esté très marrye de vous veoir renchoir aulx adversitez et troubles de vostre royaulme; et qu'elle prioit Dieu de conduyre si bien voz entreprinses qu'il en fît réussir l'yssue à son honneur, et à sa gloire, et à la conservation de vostre grandeur et couronne. Puis adjouxta qu'elle ne sçavoit commant prendre ce que l'on avoit faict au Conquet contre son visamyral et contre ses navyres de les avoir ainsi, en temps de bonne paix, canonnés là où de son costé, pour ne contrevenir au commandement qu'elle luy avoit faict de n'attempter rien contre ses amys, et mesmement de ne violler, en façon du monde, la paix qu'elle avoit avecques la France, il avoit enduré d'estre octragé sans en prendre la revenche qu'il eust peu bien tost avoir; et qu'elle avoit aussi entendu la saysie faicte à Roan sur les biens de ses subjectz, dont ne sçavoit si Voz Majestez vouloient user de mesme que le duc d'Alve envers elle, bien qu'il n'y eust rien de semblable, car ne vouloit fère comparaison d'aulcune chose de luy à Vostre Majesté; qui toutesfois n'estoit sans qu'il se repentît desjà bien fort de ce qu'il avoit attempté contre elle; et que, du costé de Voz Majestez, elle n'avoit espéré que continuation d'amytié, et entretennement de bonne paix entre voz pays et subjectz.
Je luy répondis que, pour le regard de son visamyral, il estoit raysonnable qu'elle satisfît premièrement à ce que Monsieur, frère de Vostre Majesté, m'avoit escript du premier de janvier, c'est qu'ayant esté bien ayse d'avoir sceu des bonnes novelles d'elle et de son bon portement et santé, il s'estoit, au reste, bien fort esmerveillé comme elle avoit envoyé, avec quarante ou cinquante navyres, ung renfort de gens de guerre, d'artillerye et d'amonition à la Rochelle, et que, luy ayant toutjour esté bien affectionné parant et bon serviteur, il avoit plus tost espéré que sa faveur et secours seroient en son ayde, que de les voir ainsi employez contre luy; de quoy aussi il me taxoit grandement de ne luy en avoir donné adviz, dont la pryois me dire ce que je luy en avois à respondre.
Elle me dict qu'il ne se trouveroit point qu'elle eust esté ainsi contraire à mon dict seigneur, comme l'on luy avoit rapporté, et qu'elle espéroit que la cognoissance de la vérité luy auroit despuys satisfaict pour elle et pour moy.
Je luy advouay que ouy, quant aulx gens de guerre, mais que je desirerois que ce peust estre si pleynement du reste qu'il n'eust aucune occasion de s'en plaindre. Et au regard de la saysie de Roan, je luy diz qu'elle pouvoit bien panser que si Vostre Majesté l'avoit ordonné, que ce n'avoit esté qu'à l'instance de voz subjectz déprédez sur mer, qui avoient veu admener et vendre leurs biens par deçà, et que de telle satisfaction qu'elle useroit de son costé envers vos dicts subjectz, j'espérois que vous useriés de mesmes envers les siens; mais que je me plaignois de plusieurs de ses dits subjectz, qui se mectoient encores chacun jour en mer avec navyres équipés en guerre, soubz l'adveu et faveur du prince de Condé, pour endommager les Françoys, et que cella admèneroit beaucoup d'altération en la paix de ces deux royaulmes.
Elle me respondit qu'elle n'avoit donné congé de ce fère à nul de ses subjectz, et qu'elle détestoit infinyement ces larrecyns et pilleryes, dont me prioyt de tretter de cella avec les seigneurs de son conseil, et que je leur cotasse les noms que j'avois entendu de telz pirates affin de les fère punir, et qu'ilz m'avoient aussi à parler de quelques déprédations que les Bretons avoient faictes sur des Anglois et Irlandoys.
Pour la fin, je luy diz q'un des gentishommes de la Royne d'Escoce m'avoit adverty de la rigueur qu'on avoit usé à sa Mestresse à la tirer de là où elle estoit pour l'admener en ung aultre lieu, sans luy avoir vollu permectre qu'elle en peust escripre ung mot à la dicte Dame, ny à ses depputez qui estoient en sa court, de quoy elle s'estoit donné quelque peur; et que ceulx qui la conseilloient de fère force à la volonté d'une telle personne royalle, et souveraine, et sa parante, faisoient tort à sa réputation, et que je la supplioys de luy fère si bon trettement là où elle l'avoit faicte conduyre, qu'elle eust occasion de s'en louer, et moy d'en escripre à Voz Majestez.
Elle me respondit, ung peu en collère, qu'elle n'avoit point faict force ny violence à la Royne d'Escoce, et qu'elle l'avoit faicte venir en ung lieu pour estre mieulx trettée que là où elle estoit au paravant, où toutes monitions de vivres avoient deffailly, et aussi, par ce qu'ayant esté surprinse une lettre que la dicte Dame escripvoit en Escoce, elle a veu qu'elle mandoit à aucuns seigneurs du pays de prendre les armes pour fère une course jusques là où elle estoit, et la taxoit au reste d'avoir tretté avec le comte de Mora de le fère déclairer légitime, et de plusieurs aultres choses toutes faulces et controuvées; mais que j'asseurasse Voz Majestez que la dicte Royne d'Escoce n'estoit pour recevoir que tout bon trettement entre ses mains, et qu'encor qu'elle n'eust à rendre compte à personne du monde de ses actions, néantmoins qu'elle vouloit si bien justiffier toutes celles dont elle uzeroit envers la dicte Royne d'Escoce, que tous les aultres princes cognoistroient qu'elle y auroit procédé de telle droicture qu'elle n'en changeroit sa palle colleur pour chose qu'on luy en peust reprocher, et Dieu volût que la dicte Royne d'Escoce n'eust occasion de rougir de ce qu'on verroit d'elle.
Je luy respondiz que le bon ordre qu'elle mectroit à manifester au monde la malicieuse ambition des adversaires de la dicte Dame, et d'excuser, et couvrir ce qu'il y pourroit avoir de deffault d'elle, comme le devoir de Royne à Royne, et de parante à parante l'y obligeoient, la rendroit innocente et deschargée de tout ce qu'on luy imposoit.
Sur quoy la dicte Dame, pour monstrer que la dicte Royne d'Escoce n'avoit qu'à se louer des bons tours qu'elle luy faisoit, suyvit assés long temps son propoz, puis retourna à ceulx de la susdite saysie de Roan; mais il suffira, Sire, que vous entendiez, pour le présent, les dessus dictes, qui vous feront assés cognoistre la volonté de la dicte Dame sur l'observation de la paix, et comme elle n'advouhe rien de ce qui est attempté au contraire. Sur ce, etc.
De Londres ce xe de février 1569.
A la Royne.
Madame, j'espère que, par le contenu en la lettre du Roy, Vostre Majesté sera satisfaicte des choses que j'avois particulièrement à respondre sur voz deux dernières dépesches, du xve et du xxe du passé; de sorte qu'il n'y aura lieu que je fasse ceste cy longue, si n'est pour vous dire, Madame, que je cognois bien qu'il sert beaucoup envers ceste Royne de luy fère toutjour entendre le bon succez et évènement de voz affères, affin que, par quelque contraire apparance des adversitez de vostre royaulme, elle ne soit convyée d'y entreprendre plus appertement qu'elle n'a faict jusques icy; et semble qu'elle se contantera seulement d'appuyer et fortiffier en secret ceulx de sa religion, en sorte qu'on ne le luy puisse imputer à ropture de paix.
Je vous ay mandé, par mes précédantes, que j'avois pour suspecte ceste armée et assemblée de pirates, qui est avec Chatellier Pourtault. Et despuys, l'on m'a adverty que quelcun de sa trouppe a dict qu'ilz portoient des pouldres et monitions de guerre en Normandye, comme s'ilz avoient entreprinse ou quelque intelligence dans aucunes places du dict pays. A quoy j'estime que Vostre Majesté a donné si bon ordre, et là, et en toute la frontière de la mer, despuys le temps qu'on a commancé d'armer de ce costé, que j'espère qu'il n'en adviendra aulcun inconvéniant. Et sera mal aysé que je vous puisse dorsenavant donner plus exprès adviz des faictz des dicts pirates, par ce que rien n'en procèdera d'icy, n'y ne s'en fera icy aprest ny ordonnance.
Il vous plairra me mander vostre intention sur ceste nouveaulté d'entre les Pays Bas et l'Angleterre, et aussi sur ceste saysie de Roan, de laquelle saysie ceulx ci sont en grand suspens comme vous y vouldrez procéder. Sur ce, etc.
De Londres, ce xe de février 1569.
XVIIIe DÉPESCHE
—du xve de février 1569.—
(Envoyée par Nicolas Estoo, chevaulcheur.)
Assurances de paix données par le conseil de la reine.—Nouvelles réclamations contre la saisie de Rouen et l'arrestation de plusieurs Anglais à Bordeaux.—Le sieur d'Assoleville est autorisé à communiquer avec l'ambassadeur d'Espagne.—Marie Stuart au château de Tutbury.—Troubles en Irlande.—Mesures prises par le conseil à l'égard du comte d'Oxford et de milord Southampton.—Proclamation de la reine ordonnant aux Anglais de se tenir prêts à prendre les armes.
Au Roy.
Sire, ayant conféré avec les seigneurs de ce conseil sur les particularités que la Royne d'Angleterre m'avoit, en ma dernière audience, renvoyé à eulx, ilz m'ont en général confirmé les mesmes propoz de leur Mestresse de vouloir persévérer en la bonne paix qu'elle a avec Vostre Magesté, et qu'il ne fault que vous teniez suspect l'armement qu'elle faict, ny celluy d'aulcuns particuliers, ses subjectz, qui se fera par son commandement; car voyant ses voysins en armes, et ne voulant laysser les siens désarmés, elle considère davantaige que ses affères avec les Pays Bas demeurent en tel suspens qu'elle a grand occasion de se pourveoir; mais qu'il ne fault craindre que vous viegne mal ny dommaige d'aulcune entreprinse, qui procède de son costé. Il est vray qu'elle ne peult, à ce qu'ilz disent, remédier en ce temps à ung grand nombre de pirates qui courent la mer, desquelz ne veulent nyer qu'il n'y en ayt aucuns Anglois; mais la plus part sont Françoys, Escossoys, Flamans et saulvaiges Irlandoys, dont estiment toucher aussi bien à Vostre Magesté d'en purger la mer, comme à elle, et que j'avois desjà veu l'ordonnance qu'elle, pour son regard, avoit faict fère contre eulx, en faveur de vos subjectz.
Et, touchant la saisye de Roan, et détention d'aulcuns Anglois à Bourdeaux, qu'elle ne vous avoit donné aulcune occasion de ce faire, ayant toutjours esté prompte de faire avoir rayson à ceulx de voz subjectz, qui avoient eu recours à elle et à sa justice; dont prenoit pour ung grand attemptat ce que l'on avoit ainsi exécuté contre ses subjectz, et qu'elle actandoit vostre déclaration, là dessus, dans les quinze jours qui avoient esté arrestez entre nous, lesquelz seroient tantost passés, pour, puis après, y pourveoir de son costé.
Et, quant à la révocation que je demandois de l'ordonnance, qui avoit esté faicte, d'arester les navyres bretons qui aborderoient de deçà, que cella avoit esté une procédure de justice pour aulcuns Anglois et Irlandoys qui faisoient apparoir que les dicts Bretons les avoient pillés, et n'en avoient peu avoir raison en France; se prouvant manifestement que le juge participoit au butin et pillage. Par ainsi me prioyent fère en sorte qu'on pourveust en France à l'indempnité des Anglois, et qu'on pourvoirroyt très bien icy à l'indempnité des Françoys.
Je leur remonstray que, despuis le dernier tretté de paix, vous n'aviez, directement ny indirectememt, usé que de tous bons déportemens de paix et d'amytié envers la Royne leur Mestresse, ce qui n'avoit esté de mesmes observé d'elle envers vous, ayant assisté et donné support et faveur en plusieurs sortes à ceulx qui vous menoient la guerre dans vostre royaulme, et tenu la main à infinyes pilleries qui s'estoient faictes en mer sur voz subjectz, d'où ne failloit dobter que ce commancement d'altération n'en fût procédé; mais que elle et eulx depposassent, de bonne foy, toutes ces simultés, et ilz pourroient estre certains de joyr d'une aussi entière et asseurée paix avecques vous et avecques vostre royaulme, comme ilz le sçavoient desirer.
A cella le comte de Lestre, me tirant à part avec beaucoup de bonne affection, m'a dict que, si je considérois de près leurs actions, je cognoistrois que nous mesmes les avions contrainctz d'avoir praticque à la Rochelle pour recouvrer des vins, à cause du mauvais trettement qu'on leur avoit faict à Bourdeaulx, et qu'ilz s'estoient premièrement adressés à ceulx qui tenoient votre party, dont leur avoit esté bien grief d'en estre rebouttez, et veoir que ceulx du party contraire les eussent receuz avec faveur, ce qui avoit beaucoup touché au cœur de la dicte Dame, laquelle, pour ceste occasion, et pour le peu de compte qu'on avoit tenu du bon office qu'elle s'estoit esorcée de fère pour empescher le renouvellement des troubles de vostre royaulme, avoit cogneu que vous ne vouliez prandre aulcune fiance d'elle. Néantmoins elle n'avoit layssé de persévérer en la foy et promesse des trettez qu'elle avoit avecques Vostre Magesté, et de résister à ceulx qui l'avoient assés pressée et la pressoient encores de se déclairer ouvertement pour sa religion; dont me prioyt, de tant que quelque petit mal que vous peust advenir maintenant de costé que ce fût, ne vous seroit que bien grand et, possible, trop dangereux que je ne la volusse tant contraindre et gehenner qu'elle fût forcée d'advouher et déclairer vous en vouloir fère; ains que comme il supplioyt Voz Magestez Très Chrétiennes d'estre bien asseurées de la bonne affection de la dicte Dame, que je vous disposasse aussi de l'avoir de mesmes bonne et bien droicte envers elle: et m'a dict cella en telle façon qu'il m'a semblé qu'il en exprimoit aultant que la dicte Royne et luy mesmes en avoient dans le cueur, dont semble, Sire, que sur la déclaration que Vostre Magesté fera touchant la dicte saysye de Roan, et touchant la détention des Anglois à Bourdeaulx, ceulx ci se résouldront ou de paix, ou de guerre.
Cependant, il se faict tous préparatifz de guerre en ce royaulme, tant à équiper navyres, ordonner monstres, fère provision d'armes et de chevaulx, que de dresser toute aultre forme de milice, ainsi que en verrés le commancement par une ordonnance que la dicte Dame a faict publier ces jours passés, dont vous envoye la coppie; et surtout elle est après à praticquer deniers. Mais j'espère que ce sera à la fin plus pour démonstration que pour effect, tant y a que je prendray garde à ce qui surviendra de jour en jour pour en advertir Voz Magestez.
La rigueur est encores continuée à l'ambassadeur d'Espaigne, résidant icy, et au Sr. d'Assoleville, naguières venu de par le duc d'Alve, de les tenir resserrés avecques garde, chacun séparément, en son logis. Vray est que les seigneurs de ce conseil firent venir, vendredy dernier, le dict d'Assoleville devers eulx pour entendre sa commission, lequel persévéra de ne la vouloir dire sans avoir conféré avec le susdict ambassadeur; dont il fut conduict, le lendemain, par Me. Grassan au logis du dict ambassadeur, où ilz furent deux ou trois heures ensemble, et après, séparés et resserrés comme auparavant. Et semble, de tant que le dict d'Assoleville a dict que sa charge ne procédoit du Roi Catholique, ains seulement du duc d'Alve, et qu'il faict à ceste heure novelle difficulté de ne la vouloir dire qu'à la dicte Royne, qu'il s'en retournera sans la notiffier; m'ayant la dicte Dame en ceste dernière audience, touché ce propos qu'elle avoit faict tout ce qu'elle avoit peu et deu, pour sa dignité, de commectre les principaulx seigneurs de son conseil à ouyr le dict d'Assoleville, et qu'elle ne tenoit le duc d'Alve pour tant son amy qu'elle eust occasion de recepvoir plus expéciallement son message: tant y a qu'il a esté permiz aus dicts ambassadeurs de dépescher despuis ung corrier devers le dict duc.
La Royne d'Escoce a esté conduicte à Titbery où, sellon l'instance que j'ay faicte à ceste Royne, j'espère qu'elle ne recepvra pire trettement qu'elle a faict à Boolton, ayant, despuis ma dernière audience, octroyé congé à l'évesque de Roz, à millor Herriz et à ses aultres depputez, qui estoient icy, de l'aller veoir avec permission qu'elle puisse retenir telz d'entre eulx, ou d'aultres de ses serviteurs et conseillers, près d'elle qu'il luy plairra, en luy mandant les noms, et que les aultres s'en puissent aller, si bon leur semble, en Escoce; et s'estime que le comte de Cherosbery, qui a la charge d'elle, luy portera tout l'honneur et respect, et luy usera de toute la gracieuseté et doulceur qu'il pourra, et qu'elle sera en toute seureté de sa personne entre ses mains. A l'arrivée du duc de Chastellerault et du comte de Mora en Escoce, se cognoistra quel acheminement prandront les affères du dict pays.
J'entendz qu'en Irlande, le chef Onniel a exploicté quelque entreprinse dedans la pallissade ez terres de ceste Royne, et qu'il a prins quelques fortz et demeure maistre de la campaigne. L'on y dépesche d'icy, du premier jour, le comte d'Ormont avec quelque renfort de gens et d'argent.
Ceste dernière retrette du prince d'Orange en Allemaigne, laquelle j'ay publiée icy jouxte le contenu de voz dernières du xxviȷe du passé, que le Sr. de La Croix m'a rendues, a faict venir du changement aulx volontés et dellibérations de ceste Royne, et de ceulx de son conseil, et cella est advenu quasi en mesme temps que le Sr. Du Doict est arrivé icy de la Rochelle, avec plusieurs lettres et mémoires, desquelles je mectray peyne de descouvrir quelque chose, affin de vous en donner adviz par mes prochaines. Cependant je prieray Dieu, etc.
De Londres ce xve de février 1569.
Il est survenu novelles en ceste cour, que certaine pratique, que ceulx de la novelle religion menoient pour surprandre Dieppe et le Hâvre de Grâce, a esté descouverte, et que plusieurs ont esté faictz prisonniers, dont ceulx ci font semblant de n'avoir en rien participé à cella.
A la Royne.
Madame, par la conférance que j'ay eue avec les seigneurs de ce conseil, et mesmement avec monsieur le comte de Lestre, à part, j'ay cogneu que la Royne d'Angleterre desire que Voz Majestez Très Chrétiennes luy sachiés gré de ce que, aulx troubles de l'année passée, elle délayssa la deffanse et maintien de sa religion pour vous rendre un bon debvoir d'amye et de bonne seur, ayant réprouvé en toutes sortes l'entreprinse de Meaulx; et qu'encores à présent vous mettiez en compte sa bonne volonté de ce que, nonosbtant la ligue et conjuration qu'elle croyt estre faicte contre tous ceulx de sa religion, elle ne se laysse pourtant conduyre à nulle manifeste déclaration contre vous; et qu'au reste vous ne faciez semblant de veoir si, estant meue de quelque conscience, elle permect que ceulx, qui sont persécutez pour sa mesme religion, ayent leur reffuge en son royaulme, et si elle n'empesche que ses subjectz ne mectent du leur au soubstien de la cause; et mesmes qu'ilz employent aulcunement le nom et le crédict d'elle.
En quoy j'ay bien cogneu, Madame, qu'elle se trouvoit quelque foys fort surprinse, et entroit en collère, quant je monstrois révoquer à infraction de paix le support et faveur que le prince de Condé tiroit de ce royaulme; et encor qu'elle n'en advouhât rien, elle ne layssoit pourtant de signiffier, par aucunes parolles, que l'infraction estoit premièrement commancée contre elle par la ferme persuasion, qu'elle se donne, de la dicte ligue, et que, bien qu'elle ne l'estimât estre principallement dressée contre elle, ny contre ses pays, que, toutes foys, l'on l'avoit faicte si généralle qu'elle s'y tenoit comme comprinse au préjudice des précédans trettez; et que, venant à prévalloir ailleurs, elle ne faisoit dobte qu'on n'entreprint de l'exécuter, après, en son endroict. Et c'est le principal poinct où j'ay toutjour incisté à la dicte Dame, de luy fère veoir que ceste matière n'estoit aulcunement de religion, ains toute pure de l'estat, saichant qu'elle demeuroit en l'endroict mesmes de ceulx de son conseil, et envers tous aultres, toutjour ferme et bien fort résolue pour l'auctorité des Roys; de sorte que, qui eust peu séparer l'aultre cause, elle n'eust esté que très bien disposée pour ceste cy, et m'a semblé quelque foys qu'elle s'y layssoit induyre, mais ceulx de l'aultre party luy représantent tant d'argumens de plusieurs choses, faictes au contraire, qu'elle ne sçayt à quoy s'en tenir.
J'entendz, toutes foys, que, ces jours passés, au comte de Oxfort, jeune seigneur, bien estimé en ceste court, qui desiroit veoir de la guerre, et inportunoit la dicte Dame de luy donner congé d'aller trouver le prince de Condé, après plusieurs reffuz, elle luy a respondu qu'elle ne vouloit q'un tel personnaige des siens se trouvât avec ung qui estoit contre son Roy. Dont luy, despuys, devisant avec d'aultres seigneurs de bonne volonté, leur a dict qu'il desireroit que la Royne, sa Mestresse, luy donnast congé d'aller servir le Roy, et qu'il combatroit volontiers contre les rebelles, qui luy faisoient la guerre; de quoy estant taxé, il a esté mené devant les seigneurs du conseil, devant lesquelz il s'est monstré si résolu en son opinion, qu'ilz ont estimé que cella venoit d'aulcune pratique des Catholiques, dont luy ont vollu user de quelque rigueur; mais, après leur avoir dict franchement ce que la Royne luy avoit respondu, ilz sont demeurez toutz estonnez, et ne luy ont rien plus répliqué.
Et, despuys, ceux du dict conseil ayant aussi faict appeller devant eulx ung aultre jeune seigneur, qui se nomme le millor de Somthampton, sur ce qu'il avoit faict les obsèques d'un sien précepteur avec torches et aultres cérémonies de l'esglize romaine, voyans qu'il leur respondoit fort vifvement, ont estimé, veu sa jeunesse, que la menée estoit faicte par aulcuns, qui sentoient leur partie bien forte; mesmement que cestuy cy est gendre de millor Montegu, qui est tout catholique, dont luy ont commandé seulement l'arrest, et envoyé deux des siens à la Tour.
Il vous plairra, Madame, nous mander, promptement, vostre intention sur la saysye de Roan et détention des Anglois à Bourdeaulx; car les merchans pressent si fort ceste Royne, et ceulx de son conseil, d'y pourveoir, qu'ilz sont contrainctz de fère bien tost là dessus quelque démonstration, dont, s'il vous plaict qu'on continue en la paix et au commerce accoustumé, et qu'au reste il soit faict restablissement et justice administrée d'ung costé et d'aultre, j'espère que ceulx cy y entendront fort volontiers. Sur ce, je bayse très humblement les mains, etc.
De Londres ce xve de février 1569.
PROCLAMATION FAICTE EN ANGLETERRE PAR LA ROYNE.
La Majesté de la Royne, pour aulcunes graves et nécessaires considérations tendantes, premièrement à l'honneur de Dieu tout puissant, et puis à la seureté d'elle mesme et de l'estat de ses très aymés subjectz de quelque degré qu'ilz soient, par très bonne dellibération et adviz de son conseil, affin d'establir ses royaulmes, dominions et seigneuries, en quelque bonnes forces, tant pour la police civille que militaire, et pour avancer principallement les choses nécessaires au dict estat millitaire, donne cognoissance à toute manière de ses dicts subjectz, que, par des personnes de bonne fidellité, qu'elle commectra en toutes les parties de ce royaulme, seront faictes inquisitions sur l'observance des loix establyes pour l'entretien des chevaulx, et pour les avoir prestz et forniz en chevaulx de service, et guilledins, ensemble de toute manière d'armes, et bastons, entendant, Sa dicte Majesté, après les dictes inquisitions, que monstres seront faictes affin que, par icelles, et par fréquens exercisses, les faultes et erreurs qui s'y trouveront soyent corrigées et supléées.
Et, de tant que Sa Majesté considère que l'intermission du temps aura admené beaucoup de deffault en la forniture que, par les loix, sur grandes peynes, estoit en ce requise, n'estant toutesfoys en disposition d'user de rigueur envers ses subjectz, pour le regard des dictes peynes, mais d'avoir seulement tout son peuple en forces, comme le temps maintenant le requiert, elle enjoinct, et commande, à toute manière de personnes, de quelque estat qu'ilz soient, que, jouxte les loix et statutz accoustumés, ou tel aultre expécial commandement, qui sera trouvé bon de fère, ilz ayent à se pourveoir et fornir de chevaulx, guilledins, d'armes, et bastons capables à se servir d'iceulx, et d'avoir cecy faict et tout prest dans le premier jour d'apvril prochain vennant, sur telles peynes qui se trouveront ez lois, et ez aultres expécialles commissions, en toutes les parties de ce royaulme.
En quoy Sa Majesté, actendu son advertissement favorable, n'entend cy après espargner aulcune manière de paynes qui se trouveront deuhes, du passé, et par ainsi, pendant ce temps, Sa Majesté a pencé estre bon de le notiffier par ceste proclamation, ne doublant que d'aultres choses, que Sa Majesté entend, de bref, cy après proposer à tous ses dictz subjectz, affin d'avoir davantaige des forces pour eulx, ne soient bien allouées et exécutées comme tendans principallement à leur proffict, et à l'honneur et seureté de ce royaulme, contre toutes fortunes.
Donné à Hamtoncourt le iiȷe jour de febvrier 1568, et en l'an xıe du règne de Sa Majesté.
XIXe DÉPESCHE
—du xxe de febvrier 1569.—
(Envoyée par Anthoyne Teiller jusques à Calais.)
Continuation des préparatifs de guerre.—Condamnation d'un livre publié à Londres sur la religion.—Graves divisions entre les principaux seigneurs d'Angleterre.—Lettre de Marie Stuart à Élisabeth, dans laquelle elle déclare qu'elle ne consentira jamais à abandonner ses droits à la couronne d'Écosse.
Au Roy.
Sire, despuis mes dernières, qui sont du xve du présent, j'ay envoyé home exprès, au long de la coste et aulx hâvres de deçà, pour veoir ce qui s'y faict de préparatifz, et m'a esté rapporté que plusieurs particuliers arment encores des vaisseaulx pour s'aller joindre à ceulx qui sont desjà en mer, qui peuvent estre de trente cinq à quarante navyres desjà sortiz, et que les meilleurs hommes de mer d'Angleterre vont estre de la partie; mais je n'ay poinct entendu que pas ung de tous ceulx là ayent commission de lever gens de guerre, fors seulement ung, qui se nomme le capitaine Jonnes, qui a esté mandé d'en prendre jusques à trois centz, qui est argument qu'ilz en veulent mettre quelque petit nombre, en quelque lieu, en terre.
J'entendz qu'on est icy sur le poinct de dépescher deux flottes, l'une, de quinze navyres chargés de draps, pour envoyer à Hembourc et essayer si leur traffic succèdera mieulx en la dicte ville, qui est libre et de bonne descharge, qu'ilz n'espèrent de le pouvoir dorsenavant conduyre en Anvers soubz la domination des Espaignolz; et l'autre flotte, de vingt cinq ou trente vaisseaulx, pour aller quérir du sel en Broage, ne s'attandans d'en avoir pour ceste année des Pays Bas, où ilz avoient accoustumé se fornir pour la plus part de sel blanc. Et semble, sellon quelque description de grains que j'entendz avoir esté faicte vers le pays du Ouest, qu'on portera au dict Broage quelque quantité de froment, lequel est icy à bon marché, pour eschanger avec le dict sel, et, possible, avecques du vin. L'on m'a aussi rapporté que, vers le dict pays du Ouest, se faisoit ung magazin de quatre ou cinq mille paires de bottes, et de neuf ou dix mille paires de solliers, et de quelques salpêtres, que je souspeçonne estre pour envoyer à la Rochelle.
Le Sr. Holstoc est prest de sortir au premier bon vent de ceste rivière, avec sept ou huict grandz navyres de guerre, dont il yra, en personne, avec deux seulement, conduyre la dicte flotte de Broage, et les aultres feront escorte à la flotte de Hambourc, et l'une et l'aultre seront favorizées de ces aultres particuliers, qui sont desjà en mer. Ce sera comme une grand armée de veoir tant de vaysseaulx ensemble, mais je n'ay adviz qu'il y ayt autre appareil de guerre que celluy que je vous ay desjà mandé.
Quillegrey et les homes du comte Pallatin, du prince d'Orange et du duc de Deux Pontz, et deux Italliens de ceste court, qui sont assés praticqz des choses de Germanye, et huict serviteurs avec eulx s'embarquèrent, lundy dernier, en une ourque de Hambourc, pour accomplir leur voyage d'Allemagne; mais je croy quo, pour leur seureté, ilz attendront de sortir de ceste rivière avec la flotte qui prend la mesmes routte de Hambourc.
Ce que j'ay publié icy de la retrette du prince d'Orange en Allemaigne, et de la ropture de son armée, a tiré ceste Royne, et ceulx de son conseil, en divers pensemens, dont j'entendz qu'ilz vont despuys plus réfroydiz et retenuz sur les propositions du conseiller Cavaignes et du Sr. Du Doict, et j'ay commancé descouvrir que le dict Du Doict est venu principallement pour deux poinctz; l'ung, pour la ligue, affin d'y fère entrer et soubzsigner ceste princesse; et l'aultre, pour avoir de l'argent, ce que je travailheray de vériffier davantaige: et mectray peyne, pour vostre service, de l'empescher en l'ung et l'aultre, si je puys, et de luy randre aulmoins ses demandes les plus difficiles et retardées qu'il me sera possible.
Il n'a esté rien touché, despuys mes précédantes, aulx choses des Pays Bas, sinon d'avoir envoyé inventorier et mectre soubz la main de justice tous les biens des subjectz du Roy d'Espaigne, qui ont esté arrestez en ce royaulme. Mais estant cejourduy revenu le courrier, que les ambassadeurs avoient dépesché devers le duc d'Alve, je croy que bien tost l'on procèdera à les ouyr et à résouldre toutes choses de ce costé. Ceulx cy couvrent et excusent les faictz de leurs pirates, et les aultres armemens de ceste Royne et des particulliers de ce royaulme, soubz l'incertitude et doubte de la guerre avec les dicts Pays Bas et avec l'Espaigne, tant y a qu'ilz me promectent que, aussi tost qu'on aura bonne responce de Vostre Majesté sur la saysye de Roan, qu'ilz pourvoirront si bien au faict de la mer que voz subjectz n'en sentiront aulcun dommaige et qu'ilz pourront plus seurement, et librement, trafiquer et naviguer, qu'ilz ne firent jamais.
Au regard de la Royne d'Escosse et de ses affères, la dicte Dame m'a escript, du xiiȷe de ce moys, et m'a faict communicquer une lettre qu'elle a escript de mesmes datte à ceste Royne, par la coppie de laquelle Vostre Majesté entendra mieulx la disposition d'elle et la vertueuse résolution qu'elle prend de son faict, que ne feriez par ung récit à part; dont n'adjouxteray rien plus, icy, que une prière à Dieu, etc.
De Londres ce xxe de février 1569.
L'on me vient d'advertir que, du bon vent de hier après midy, au retour de la marée, les susdicts quatre grandz navyres de ceste Royne sont sortiz de ceste rivière et sont sur le Pas de Callays.
A la Royne.
Madame, depuis huict jours en çà, que la Royne d'Angleterre est venue en ceste ville de Londres, l'on a commancé d'y terminer les jours de sa justice, ainsi qu'il est de coustume de le fère toutz les ans en ceste sayson, et entre les causes qu'on y a expédiées il y en a eu aulcunes du faict de la religion touchant certain petit livre, que l'université de Louvain avoit envoyé par deçà en langaige du pays, confutant aulcunes opinions des ministres, lequel livre ayant esté bien receu et accepté d'aulcuns gentishommes, ilz ont despuis publié le contenu, dont il en a esté prévenu huict d'entre eulx pardevant la dicte justice, qui ont soubstenu constamment l'opinion du dict livre, et cuydoit on qu'il s'en deust veoir quelque exemplaire punition, car la matière estoit bien affectée; mais ilz ont esté seulement condampnés en amandes pécuniaires, en suspention d'estatz et à tenir l'arrest jusques à satisfaction. A quoy mesmes les grandz du conseil n'ont vollu assister, lesquelz, pour n'intervenir à la dicte cause, ny à celle des deniers d'Espaigne, ny à la proposition du Sr. Du Doict pour ceulx de la Rochelle, ny encores à aulcuns faictz de la Royne d'Escoce, ilz ont, dix jours durant, faict les mallades en leurs logis, layssans conduyre au secrétaire Cecille toutes ces choses à son playsir; mays n'ont layssé de monstrer et fère entendre au peuple qu'ilz n'en aprouvoient rien, dont ne fault doubter que ce ne soit comme une desjà formée division dans ce royaulme, et les signes en ont esté aparans au faict des dicts huict gentishommes qui, se sentans bien fermement supportez des catholiques, ont monstré qu'ilz ne craignoient guières l'apparante auctorité des aultres. Et le mesmes s'est veu à l'arrivée des réalles d'Espaigne en ceste ville, où aulcuns ont monstre qu'ilz avoient grand pleysir de veoir serrer le trésor espaignol dans la Tour de Londres, et d'aultres avec regrect ont dict que c'estoit quatre vingtz et quinze brandons, car aultant y avoit il de charges d'argent, qui allumeroient bien tost la guerre dans ceste isle.
Il y en a beaucoup aussi qui détestent les pratiques, que ceulx cy mènent avec ceulx de la Rochelle, et les entreprinses de ces pirates, ce qu'ilz font de tant plus ardiment qu'ilz voyent que ceste Royne, et ceulx de son conseil, n'en advouent rien, et cella rend aulcunement difficiles les choses au cardinal de Chatillon et à Cavaignes, qui sont contrainctz de les conduyre en leur nom; et n'est sans qu'ilz y sentent du réfroydissement, et souvant, de la contradiction. Mais encores est l'on plus bandé sur le faict de la Royne d'Escoce, car n'y a matière plus vifve dans le cueur des grandz, ny plus affectée de presque tous ceulx de ce royaulme, que celle de la restitution ou de la ruyne de ceste princesse. Dont la division de la religion donne grand force à tous ces partys, mais l'ambition sera celle qui en esmouvera le débat; de quoy, Madame, je mectray peyne de vous mander, d'heure à aultre, ce qui s'en manifestera, estant assés que compreignés maintenant, par ce peu que je vous en mande, et par le contenu de la lettre du Roy, ce que, en général, je vous puys dire de la présente disposition des choses de deçà.
Il est venu quelque adviz en ceste court qu'ayant le Roy d'Espaigne mandé au duc d'Alve de luy envoyer ung nombre de soldatz pour s'en ayder en la guerre que les Mores luy ont esmeue vers Grenade, que le duc luy a dépesché, par mer, ung de ses filz avec sept centz hommes d'élitte seulement, luy mandant qu'encor qu'il actande bien tost le recommancement de la guerre, où il aura besoin de toutes ses gens, qu'il luy envoye néantmoins son filz, et l'expose à ung manifeste danger avec aultant d'hommes de guerre, comme il le peust à présent secourir, ce que ceulx ci estiment estre vray; mais je ne veoy qu'il y ayt fondement de le croyre, et, en cest endroict, je supplieray le Créateur qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce xxe de febvrier 1569.
LETTRE DE LA ROYNE D'ESCOCE A LA ROYNE D'ANGLETERRE.
Madame ma bonne seur, j'ay entendu, par l'évesque de Rosse et mylor d'Héris, la bonne affection dont avez procédé avec eulx en toutes mes affères, chose non moins confortable qu'espéré de vostre bon naturel; espéciallement, ayant sceu par eulx que c'estoit vostre bon playsir que je fusse trettée avec les honnorables respectz et gracieulx entretennement, que j'ay receuz, despuis que j'arrivay à Bolon, de maister Knolis et mylor Scrop, desquelz je ne puis moins fère que vous tesmoigner la dilligence et grande affection d'accomplir voz commandemens, et l'occasion que j'ay de me louer de leurs honestes desportemens vers moy jusques à mon transportement, la façon duquel je ne puys séeller m'avoir semblé dure; de quoy, ne désirant vous enuyer, je me tairay pour vous dire qu'il vous pleût au dict Boulon m'accorder non seulement ung certain nombre de serviteurs desquelz, à vostre playsir, je me contante pour présentement me servir, mais aussi quelques aultres qui pourroient, avec passeport du gardien et commission de ceulx qu'avez miz en charge avec moy, aller et venir d'Escoce vers moy ou en Escoce ou vers vous, quant j'auray quelque chose à vous remonstrer. Lesquelles licences par vous de nouveau permises à mes dicts commissionnaires en ma faveur, j'ay faict entendre à Mr. le conte de Cherosbery et maister Knolis, qui disent n'avoir telle commission de vous, ains m'ont reffuzé de vous envoyer aulcun jusques à ce que je leur ay monstré vostre lettre, faisant mention de quelque résolution requise sur les pointz proposés par mes commissaires; ausquelz ilz ont commandé de despartir sans délay, sellon leurs passeportz, avec déclaration qu'ilz n'auront nul accez dorsenavant à moy sans vostre exprès commandement.
Sur quoy j'ay prié maister Knolis vous fère remonstrance et des austres petites nécessitez, ensemble avec la déclaration de ma bonne volonté vers vous, avec lequel j'ay envoyé ce pourteur pour me rapporter vostre bon playsir, quant aurez veu et entendu les choses requizes par moy au mémoire adressé à Mr. le comte de Lecester et maister Cecile, vous suppliant que par luy vostre bon playsir soit, sur tous ces poinctz entenduz de moy, commander à Mr. le comte de Cherusbery ce qu'il vous plairra qu'il en fasse. Et, pour ce que maister Knolis m'a promiz de vous fère veoir mon mémoire et requeste adressée à voz dicts deux conseillers, je ne vous inportuneray par la présente de mes particularitez, me rapportant au mémoire et rapport de maister Knolis.
Quant à ce qu'il vous plaict toucher, en vostre lettre, que trouvés estrange que mes commissaires ne sont condescenduz sur les spéciallitez, après avoir entendu leurs raysons, j'ay advizé avec eulx que celluy qui retourneroit en Escoce proposera aulx aultres de mon conseil et noblesse donner commission suffizante pour, sans scrupulle, conférer les spéciallitez que nous penserons vous estre plus agréables, et à mon honneur et préservation de mon estat, en quoy eulx ny moy ne pouvons entrer sans leur consentement de nouveau pour les choses advenues despuys, qui mectent doubte en la force de mes actions, estant dettenue comme ilz pourroient alléguer; et asseurés vous que je desireroys bien sçavoir vostre bon playsir pour me y advancer.
Bien vous suppliè je d'une chose qui est de ne permectre plus qu'il soit miz en avant de si deshonestes et désavantaigeuses ouvertures pour moy que celles à quoy l'évesque de Rosse a esté conseillé prester l'oreille; car, comme j'ay prié le dict maister Knolis vous tesmoigner, j'ay faict vœu à Dieu solemnel de jamais ne me démettre de la place où Dieu m'a appellée, tant que pourray sentir mes forces battantes pour ce fays, comme, je le remercye, je les sens augmenter avecques l'envie de m'en acquitter mieulx que jamais, et avecques plus de suffizance par le temps et expérience acquise, vous suppliant, en toute aultre chose que ne inportera mon honneur et estat, estimer qu'après Dieu je desire singulièrement vous playre, et si j'osois vous ramentevoir combien je suis aprochée de vous et preste de m'aller offrir à plus particullières conditions que je ne puys, en l'estat où je suis, je diroys que c'est tout mon desir.
Cependant, avec l'adviz de mon conseil, je mettray peyne, en ayant responce de vous, fère les offices à moy possibles pour obtenir vostre faveur, laquel je proteste volontairement ne mettre jamais en hazard de perdre, si je la puys acquérir. Quant à toutes aultres choses qui me touchent, je m'en remectray au mémoire, pour ne vous inportuner, seulement vous diray je que, quant aulx responces que désirés, je seray preste, quant il vous plairra m'admettre en vostre présence, de vous en résouldre et fère paroistre la faulceté de leurs calumnies et mon innocence, laquelle Dieu manifestera, comme mon espoir est en luy. Cependant auquel je prie vous donner, Madame, en longue santé, bonne et heureuse vie.
De Tutebery ce xe de febvrier 1569.
Je viens d'entendre, Madame, que mon cousin le duc de Chatellerault, nonobstant vostre passeport, est arresté à York. Je m'asseure qu'il n'a commis nulle offence, qui me fera vous supplier de concidérer sa nécessité et le long temps qu'il a demeuré, oultre son passeport, à vostre commandement, et commander qu'il luy soit permiz passer oultre. Il vous plairra excuser si j'escriptz si mal, car le logis non habitable et froid me cause quelque rhume et dolleur de teste.
XXe DÉPESCHE
—du xxve de febvrier 1569.—
(Envoyée jusques à Calais par Jehan Vallet.)
Charles IX refuse de s'établir médiateur entre l'Angleterre et l'Espagne.—Négociations de l'ambassadeur d'Espagne pour obtenir la restitution du trésor saisi par Élisabeth.—Prises faites par les Anglais.—Liste des capitaines de réputation qui se disposent à se mettre en mer.
Au Roy.
Sire, bien peu d'heures après ma dépesche, du xxıe du présent, je receuz celle qu'il avoit pleu à Vostre Majesté me fère, de Joynville, le ixe auparavant, toute en chiffre, en laquelle j'ay comprins vostre desir sur les affères d'entre ce pays et les Pays Bas, lequel je mectray peyne d'accomplir, ainsi que je le verray bien à propos, et comme j'avois desjà commancé de le fère, n'ayant esté mon intention que fissiez office de médiateur en cella, sinon pour vous obliger l'ung party et l'aultre en ung faict duquel, aussi bien, ilz demeureront d'accord; et affin aussi qu'estant la matière une foys venue en voz mains vous la menissiez, ou au tard, ou au long, ainsi que le bien de vos affères le requerroit, et eussiés cependant ung gaige pour vous fère requérir et observer des deux costés. En quoy, possible, se fut trouvé moyen de fère passer plus avant les choses, que je crains qu'elles ne feront.
Tant y a que j'yray, du premier jour, veoir ceste Royne, et mettray peyne de descouvrir si son intention en cella est conforme à la démonstration qu'elle et ceulx de son conseil en font; car les deniers d'Espaigne sont toutjours resserrés en la Tour, ausquels toutesfoys l'on ne touche point, et le Sr. d'Assoleville, encor que despuys le retour du corrier qu'il avait envoyé au duc d'Alve ayt eu permission de communiquer de rechef avec l'ambassadeur d'Espaigne, ilz ne sont toutesfoys, l'ung ny l'aultre, en termes d'estre encores ouys de ceste Royne. Vray est que le dict d'Assoleville a esté devers le mylor Quiper, garde des sceaulx, et le secrétaire Cecille a esté devers luy, mais il ne leur a exposé sa charge, sinon en général, c'est qu'il estoit venu procurer la délivrance des deniers, comme, à la vérité, il semble que luy et le dict ambassadeur d'Espaigne ne prétendent que de les avoyr et de dissimuler toutes aultres injures, mesmes, si ceulx cy sçavoient tenir bon, je croy qu'il se contanteroit de la seule asseurance des dicts deniers plus tost que de venir à nulle ropture.
La responce que le susdict ambassadeur d'Espaigne avoit faicte à la proclamation de ceste Royne, dont vous envoyay naguières la coppie, a esté traduicte par quelcun en langaige de ce pays, qui l'a publié avec des additions telles, que ceste Royne et tous ceulx de ce conseil en sont fort escandalizés et en ont faict enquérir, dont plusieurs notables personnaiges en ont esté envoyés en pryson, ce qui monstre qu'il y a une bien aspre division, bien que encores lattante, dans ce royaulme.
Cavaignes et Du Doict font grand dilligence, et la font fère aussi par leur faulteurs, de trouver deniers par deçà, et offrent grand asseurances; mais j'espère, Sire, qu'ilz en recouvreront si peu, ou poinct du tout, qu'ilz n'auront dorsenavant, par les supportz d'icy, guières moyen de se maintenir contre Vostre Majesté.
Aulcuns des principaulx seigneurs de ce conseil entendant qu'on soubspeçonnoit les Anglois d'avoir eu intelligence en ces menées, qui ont esté découvertes en Normandie, et en quelques aultres de Callays, m'ont envoyé dire qu'ilz me prioyent de croire que cella n'estoit ny ne pouvoit estre aulcunement procédé de l'intention de la Royne, comme pour leur regard ilz seroient prestz de se purger, quant il sera besoing, qu'il n'en avoit esté rien pratiqué de deçà, sinon que le secrétaire Cecille l'eust faict tout seul, de quoy seroit à luy d'en rendre compte, mais, ny en une façon ny aultre, je n'ay peu descouvrir que les Anglois y ayent esté meslez.
Au reste, Sire, de tout cest armement que ceste Royne a faict préparer, il n'en est encores rien sorty hors de ceste rivière que quatre grandz navyres. Vray est que les deux naves veniciennes sont sur l'emboucheure d'icelle et ung nombre d'aultres particulliers sont à Plemmue, qui ont encores freschement prins neuf ou dix ourques de Flandres, retornans de la Rochelle, chargés de vins: mais ilz ne trouvent guyères plus que prendre en mer, et entre les dicts vaysseaulx particulliers il y en a qui pourroient estre de quelque effect, estans à des cappitaines de mer qui sont en réputation par deçà, desquelz j'ay miz peine de sçavoir les noms, et incisteray à ceste Royne de les fère révocquer, ou, si elle s'en excuse sur le doubte de la guerre qu'elle crainct avoir avec les Pays Bas, que aulmoings elle leur règle tellement leurs entreprinses que voz payz et subjectz n'en puissent estre aulcunement endommaigés; ce que j'espère obtenir, pourveu, Sire, qu'il vous playse fère accommoder le faict de la saysye de Roan.
L'on a commancé de fère les monstres généralles et ordinaires en ung quartier de ce royaulme, et se continuera de mesmes partout, mais je n'entendz qu'il y ayt rien d'extraordinaire pour encores. Je procureray, en ma première audience d'inpétrer de ceste Royne les choses que la Royne d'Escoce luy a envoyé requérir par ses lettres et mémoires, du xiiȷe du présent, ainsi que, en mes précédantes, je vous en ay faict quelque mention, et, prieray, au reste, le Créateur, etc.
De Londres ce xxve de février 1569.
A la Royne.
Madame, ayant receu, le xxȷe de ce moys, les lettres qu'il a pleu à Voz Majestez m'escripre de Joynville, le viȷe et ixe auparavant, j'ay trouvé en celle du Roy une bonne instruction de ce que j'ay à dire et fère ès choses d'entre ce pays et les Pays Bas. A quoy je mectray peine de satisfère jouxte voz intentions, lesquelles je vous puys asseurer, Madame, que, pour les mesmes considérations que m'escripvés, et aultres que le Sr. de La Croix à son retour m'avoit dictes, j'avois desjà miz peyne de les accomplir, dont, possible, s'en cognoistra quelque effect au monde. Au moins n'aura t il tenu à moy de le procurer, mais il se fut encores, ce me semble, mieulx conduict, si, en vous faisantz médiateurs entre les parties, l'affère eust esté remiz en voz mains, ainsi que j'en mande ung mot par la lettre du Roy; et ay veu, au reste, en la lettre de Vostre Majesté, la prudente et vertueuse responce qu'avez faict à l'ambassadeur d'Angleterre, laquelle est tant conforme à tout ce que j'ay négocié jusques icy, et si convenable à ce qui estoit requis de fère expressément entendre à ceste Royne, que j'espère que les affères et service de Voz Majestez par deçà s'en porteront beaulcoup mieulx. Et, affin d'en imprimer mieulx le tout à la mémoire de la dicte Dame, je le luy rafreschiray demain en aulcuns propoz que j'ay à luy tenir jouxte le contenu de vostre dicte lettre, dont vous feray après entendre ce qu'elle m'aura respondu. Et, pour la fin, je vous diray, Madame, que, sellon aulcunes praticques que j'entendz se mener en ceste court, je seray bien trompé si bien tost l'on ne veoyt advenir une notable noveaulté, et, possible, quelque mutation d'aulcunes choses en ce royaulme, priant Dieu, etc.
De Londres ce xxve de février 1569.
NOMS D'AULCUNS CAPPITAINES DE MER ANGLOIX qui ont particullièrement armé des vaisseaulx.
Le cappitaine Michel de Cornaille en a armés six,
Le cappitaine Jonnes—deux,
Le cappitaine Forbouches—trois,
Le cappitaine Morice—deux,
Le cappitaine Achellay—deux,
Le cappitaine Boos—deux,
Le cappitaine Kelle—deux,
Le cappitaine Robunb—ung,
Le cappitaine Marye Churqe—deux,
Le cappitaine Pierre Adrian—ung,
Le cappitaine Thomas Mores, Irlandoys,—ung,
Le cappitaine Amand—ung,
Le cappitaine Wjons—ung,
Le cappitaine Wurte—ung,
Le cappitaine Chambre—ung,
Le cappitaine Richarson—ung.
Au nom de sire Artus Chambrenant, visamyral de Cornaille, en a esté armé deux;
Somme xxxj vaysseaulx, oultre plusieurs aultres, dont on n'a peu sçavoir le nom,
Et quatre grandz navyres de la Royne d'Angleterre, et les deux grandz naves veniciennes.
Les aultres quatre, que Me. Ouynter avoit ramené de la Rochelle, sont encores dans la rivière qui ne sont prestz de sortir.
Il s'apreste encores vingt navyres marchans pour aller en Broage quérir du sel, qui seront conduictz par deux des dicts grandz de la dicte Royne, et du contrerolleur de la marine, en personne.
XXIe DÉPESCHE
—du ier jour de mars 1569.—
(Envoyée par La Vernhe.)
Le secrétaire La Vergne, accusé auprès de la reine-mère d'être en correspondance avec les protestants de la Rochelle, se rend en France pour se justifier.
A la Royne.
Madame, attandant de vous dépescher ung aultre des miens aussi tost que la Royne d'Angleterre m'aura respondu aulx choses, que je luy ay dictes et déclairées de l'intention de Voz Majestez, sellon le contenu de voz trois dernières dépesches, j'ay bien vollu cependant, pour le regard du postille qui est en celle du Roy, du xiiiȷe du passé, vous dire très confidemment, Madame, que jamais gentilhomme ne se porta plus fidellement, ny avec plus de droicture et d'intégrité en vostre service, en toutes les choses que m'avez commandées quelles qu'elles ayent esté, ny qui ayt miz plus de peyne, en tout ce qu'il m'a esté possible, que les miens fissent de mesmes que j'ay toutjour faict; dont si l'on vous a rapporté, ou donné adviz, qu'un de mes secrétaires révelle toutes choses à voz rebelles, je ne vous puys dire aultre chose, Madame, sinon qu'encor que ce soit sans aulcune mienne coulpe, que néantmoins je serois dollant à mort qu'il fût aulcunement vray. Et affin que par le mesmes qui est accusé, qui est le pourteur de la présente, lequel a seul tenu mon registre, et seul escript toutes mes dépesches, Vostre Majesté en soit esclarcye, il s'en va consigner entre voz mains, affin que vous en fassiez l'examen et vériffication telle qu'il vous plairra.
J'espère, que, demain ou après demain, ceste Royne me fera sa responce ou bien renvoyera le filz de Mr. Norrys pour la vous fère fère par son ambassadeur de dellà, et croy qu'elle sera assez bonne, encor que son conseil soit après à la digérer, et qu'on luy représente de grandz maulx à venir sur elle et sur son royaulme de la fin de ceste guerre, si les catholiques demeurent supérieurs. Mais j'ay miz peyne de luy en diminuer la peur, dont, par mes prochaines, Vostre Majesté entendra le tout, à laquelle baysant, en cest endroict, très humblement les mains, je prieray le Créateur qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce ıer de mars 1569.
XXIIe DÉPESCHE
—du vıııe de mars 1569.—
(Envoyée par le Sr. de Sabran.)
Sommation faite au nom du roi de France, par l'ambassadeur, à la reine d'Angleterre, de se prononcer, dans le délai de quinze jours, pour la paix ou pour la guerre avec la France.—Réponse d'Élisabeth que, malgré le desir qu'elle a de maintenir la paix, elle doit en référer à son conseil.—Hésitation du conseil, qui se trouve à la fois menacé de la guerre avec la France et avec l'Espagne.—Après sept jours, déclaration est faite à l'ambassadeur, que l'Angleterre demeurera en paix avec la France.—Mémoire au roi sur les affaires de France, d'Espagne et d'Écosse.—Mémoire secret renfermant des détails particuliers sur la coalition des seigneurs d'Angleterre pour renverser sir William Cecil.—Remontrances présentées par l'ambassadeur au conseil, énumérant les actes d'hostilité que le roi de France a dû prendre pour une déclaration de guerre.—Plainte des marchands français établis en Angleterre contre diverses exactions.—Déclaration de paix et d'amitié faite par le conseil en réponse aux remontrances.
Au Roy.
Sire, m'ayant Vostre Magesté, par ses lettres du viiȷe, xiȷe et xiiiȷe du passé, baillé de quoy pouvoir largement tretter de paix ou de guerre avecques ceste Royne, je luy ay, par les mesmes termes de voz lettres, faict entendre que vous estiez très desireux de demeurer en l'ung et bien fort disposé de vous préparer à l'aultre, avec commémoration des bons déportemens, dont aviez uzé envers elle pour la continuation de ce qui estoit le meilleur, et de ne luy avoir onques donné occasion de venir au pire; ce qui a esté poursuyvy avec des propos qui seroient longs à mettre icy, mais si urgens, sellon vos dictes lettres, que, joinct ce que Voz Magestez en avoient desjà dict à son ambassadeur, elle s'est trouvée en grande perplexité de m'y respondre.
Vray est que pour ne luy donner occasion, si je la pressoys ou conveinquoys par trop, de venir à parolles plus dures et de moindre satisfaction que je n'en voulois ouyr pour Vostre Magesté, j'ay toutjour rejecté sur aultre que sur elle la coulpe du tout, luy gratiffiant aulcuns bons offices dont elle avoit usé envers vous; qui aussi, pour l'amour d'elle, aviez supporté des choses qu'elle sçavoit bien qui vous estoient dommaigeables, et qui en fin vous alloient estre si griefves que vous aviez esté contrainct de luy fère ceste déclaration que je luy faisois: c'est qu'estant vostre volonté tout entièrement de demeurer en la bonne paix, amytié et confédération, que vous aviez avecques elle, et avec ses pays et subjectz, vous vouliez estre résolu et esclaircy, dans quinze jours, si elle vouloit persévérer de son costé, ou aultrement, que vous regarderiez de pourvoir à vos affères sellon les moyens qu'il a pleu à Dieu vous en donner, par ainsy qu'il ne tenoit plus qu'à elle qu'elle ne jouyst et fît joyr ses subjectz d'une bien ferme et très proffitable paix avecques ung grand Roy et ung grand royaume, tel comme vous et le vostre.
La dicte Dame, ayant paciemment, et avec attention, escoutté toutz mes propoz, a miz peyne d'en admener plusieurs, pour elle, de sa bonne volonté et droicte intention en l'entretennement de la paix, de la commémoration de ses bons offices envers Voz Magestez Très Chrétiennes, de la justiffication de ses actions, et plusieurs aultres, qui tendoient toutz à vous vouloir contanter, dont la substance estoit de vous remercyer de la bonne responce que Voz Magestez avoient faicte à son ambassadeur sur le récit des tortz et mauvais trettement que ses subjectz ont receu du duc d'Alve, de laquelle elle demeuroit satisfaicte; ensemble de ce qu'aviez, commandé lever la saysye de Roan, offrant, de son costé, fère fère rayson à voz subjectz, et qu'elle n'avoit jamais que bien fort détesté les exploictz des pirates, et avoit souvant commandé de les punir; dont respondroit tousjours pour ceulx de ses subjectz qu'elle avoit envoyé sur mer, car ne les avoit layssé sortir sans caution; mais que des aultres elle ne pouvoit fère aultre chose, sinon d'employer sa force et sa justice, en faveur de voz subjectz et des siens, en tous les endroicts qu'elle en seroit requise, ce qu'elle offroit très volontiers de fère; et qu'au reste Voz Magestez ne debvoient aulcunement croyre, ce qu'on s'esforçoyt de vous persuader, qu'elle eust envoyé secours à ceulx de la Rochelle, ny eu intelligence aulx entreprises de Dièpe et du Hâvre; car elle n'avoit si peu de prudence qu'elle vollût acquérir l'inimytié de Voz Magestez pour avoir l'amytié d'ung de voz subjectz, ny luy ayder à mener sa guerre pour perdre la paix qu'elle avoit avecques vous, et s'il s'en estoit vanté que ce avoit esté pour authoriser davantaige ses affères; dont estoit preste de luy escripre qu'il déclarast quel secours elle luy avoit baillé, affin de le conveincre de ce qu'il en pourroit avoir cy devant publié; et que, quant elle vous eust vollu nuyre, que vous eussiez autrement que par six cannons, et ung peu de pouldre, senty les moyens qu'elle avoit de le fère tant en force d'hommes, d'armes, de vaysseaulx, d'artillerye que d'argent, dont elle disoit en avoir bonne somme, et que les belles occasions ne luy avoient poinct manqué; mais qu'elle s'estoit proposée, contre toutes persuasions qu'on luy pouvoit donner du contraire, de garder très constamment vostre amytié; de quoy, si ne luy vouliez sçavoir gré, elle ozeroit dire que vous vous rendriez indigne qu'elle vous en deust tant porter comme de bon cueur et d'affection elle faisoit. Et quant à la faveur trop grande que je luy disois que ceulx de l'aultre party recepvoient prez d'elle, que, à la vérité, elle avoit humainement receu et admiz quelquefoys à parler à elle le cardinal de Chatillon, qui estoit venu en son royaulme pour saulver sa personne, lequel luy sembloit estre homme de bien et bon, qui luy avoit toujours parlé honnorablement et avec grand humilité et respect de Vostre Magesté et de la Royne, vostre mère; car aultrement ne l'eust souffert ung jour en son pays, et que, sellon son parler, il ne tenoit à luy que toutes les choses n'allassent bien; et q'un aultre gentilhomme aussi estoit naguières venu de la Rochelle, qui disoit avoir à tretter aulcunes choses avecques elle, mais qu'elle ne l'avoit encores veu, ny ouy, ny n'estoit preste d'entendre à rien qu'il luy sceût proposer à vostre préjudice, et que d'avoir esté capitulé par eulx de luy mettre en ses mains une de voz places de Normandye ou Picardye, que cella pouvoit bien estre en leur intention, mais qu'elle n'en avoit jamais ouy parler.
Et continua en plusieurs aultres propoz, desquelz, comme je luy gratiffiay grandement, de la part de Voz Majestez, ceulx qui revenoient à vostre satisfaction et contantement et à l'entretennement de la paix, aussi ne volluz je laysser passer sans quelque réplique les aultres, où elle vouloit que vous ne vissiez ny sentissiez rien du support qu'avoient receu ceulx de la Rochelle; car, si ce n'avoit esté d'elle, au moins il estoit sorty de son royaulme, et sinon tant qu'on leur en eust bien peu bailler, au moins, possible, autant comme ilz en avoient demandé; et que, si la guerre ne vous avoit esté ouvertement commancée du costé de son royaulme, qu'on avoit néantmoins passé à telles démonstrations que vous aviez esté contrainct de demander là dessus la déclaration de sa volonté, dont la pryois qu'elle me résolût de ce que j'avois à vous en mander.
A quoy m'a respondu qu'elle venoit de recepvoir, depuys deux heures, des lettres de son ambassadeur, lesquelles n'avoit encores ouvertes, et que, possible, après les avoir veues, elle auroit de quoy mieulx satisfère à ceste et aultres particularitez que je luy avois proposées, desquelles je luy pourrois cependant bailler ung mémoire, et que, ayant sur le tout prins adviz de son conseil, elle m'y respondroit.
Et par ce que, Sire, parmy ses discours elle m'avoit dict ne fère doubte que le duc d'Alve ne vous persuadât de fère quelque démonstration en sa faveur, pour les choses qu'il avoit mal commancées contre elle, et que je voyois qu'elle estoit sur le poinct de se résouldre ou du dict affère ou du faict de France, je luy volluz bien dire qu'à la vérité il ne pouvoit estre que Voz Magestez Très Chrétiennes n'eussiez esté très marriz de veoir naistre différend entre deux telz princes, voz alliez et confédérez, comme le Roy Catholique et elle, et entre deux estatz si voysins, comme estoient les leurs du vostre; mais que le duc d'Alve s'estimoit si suffizant, et estimoit son Maistre si puissant et si saige, qu'il n'avoit garde de vous demander ny conseil, ny secours, pour sortir de ceste affère; et considèreroit aussi que comme son dict Maître ne vouldroit rompre une de ses bonnes alliances pour vous, qu'il luy seroit mal honeste de vous requérir de rompre les vostres pour luy; et ainsy je me licentiay de la dicte Dame.
Mais estant, le jour mesme, adverty que aulcuns voulans aigrir la matière estoient après pour luy imprimer qu'elle ne se debvoit aulcunement soubzmettre à ceste déclaration de paix ou de guerre, à quoy vous la sommiez, et que c'estoient ses ennemys qui vous incitoient de luy fère, sans occasion, ceste bravade, je me hastay de luy envoyer, bien peu d'heures après, mon mémoire, avec ung sommaire récit, au premier article d'icelluy, de toutes les occasions qui vous avoient meu de ce fère. Lequel mémoire, après l'avoir leu, elle le fit translater en anglois pour l'envoyer à ceulx de son conseil; et au boult de sept jours, après avoir respondu au Sr. d'Assoleville ce que Vostre Majesté verra en mon mémoire, elle m'a envoyé par le Sr. Sommer, clerc de son conseil, ceste sienne responce en anglois, que je vous envoye traduicte en françois; en laquelle, encor que, parmy beaulcoup de paroles obscures, j'y aye trouvé aulcunes choses qui vous pourroient contanter, j'ay néantmoins vollu avoir d'elle mesmes sa responce.
Et ainsy estant, hyer au soir, retourné devers la dicte Dame, après plusieurs propoz j'ay eu ceste déclaration d'elle que pour le desir de conserver l'amytié qu'elle a contractée, dez son avènement à sa couronne, avecques le feu Roy vostre père, et continuée avecques Vous et avec la Royne, vostre mère, elle est résolue de demeurer entièrement aux trettez et capitulations de la bonne paix, qui est entre Voz Majestez et voz pays et subjectz, tout ainsy que vous dictes y vouloir persévérer de vostre costé, et que de ce elle vous en a, en trois occasions, rendu trois si bons tesmoignages que jamais Roy d'Angleterre n'en a rendu de semblables à nul de voz prédécesseurs. Et puys m'a pryé de fère ses recommendations à Voz Majestez, et qu'elle desiroit vous pouvoir fère aultant de bien comme elle vous en vouloit, qui ne pouvoit tant oblyer sa qualité qu'elle ne se sentît bien affectionnée à la cause de ses semblables, et qu'elle vous feroit encores entendre sa responce par son ambassadeur; laquelle sera bon, Sire, que Vostre Majesté montre avoir bien agréable et que la gratiffiez par toutes bonnes parolles envers la dicte Dame, vous suppliant au surplus donner foy à ce que ce gentilhomme, présent pourteur, nommé le Sr. de Sabran, vous dira, lequel j'ay dépesché exprès pour aller rendre bon et fidelle compte de toutes choses d'icy à Vostre Majesté, à laquelle, etc.
De Londres ce viiȷe de mars 1569.
A la Royne.
Madame, par la présente dépesche Vostre Majesté verra l'ordre que j'ay tenu pour remonstrer à ceste Royne les mauvais déportemens dont elle et ses subjectz avoient uzé contre Voz Majestez, et les vostres, ainsi que par voz dernières me commandiez de le fère, en quoy y a eu assés à craindre qu'elle ne me donnast d'aussi mauvaises responces que ses effectz avoient esté mauvais; car a esté extrêmement pressée de se déclairer ouvertement pour la deffense de sa religion, estimans ceulx qui la possèdent que cella fortiffieroit et donroit grand faveur à leur cause, et considéroient aussi, qu'estant la guerre déclairée tant contre la France que l'Espaigne, ilz demeureroient plus asseurez qu'ilz ne sont du dedans de ce royaulme contre l'entreprinse des catholiques naturelz du pays, qui, par ce moyen, ne pourroient, sans lèze majesté, pratiquer ny estre pratiqués des aultres catholiques estrangiers.
Et, d'ailleurs, ma remonstrance estoit venue en temps qu'on trettoit des affères des Pays Bas, et que la plus part de ceulx de ce conseil opinoient toutes aultres choses leur estre plus expédientes que de rompre, en façon du monde, l'ancienne alliance de Bourgoigne, laquelle leur avoit esté toutjour très proffitable; là où ilz n'avoient jamais eu que perte et dommaige de la France: et aulcuns s'esforçoient d'imprimer à ceste Royne qu'il n'y avoit lieu qu'elle se soubzmît à vous fère ceste déclaration de paix ou de guerre, à quoy vous la vouliez contraindre, et que c'estoient ses ennemys qui vous induysoient de la braver de ceste façon. Dont estant ceste affère tretté en ce conseil en mesme temps que celluy de Flandres, non sans beaulcoup de contention, ny sans qu'il ayt fallu veiller et bien travailler de nostre costé, en fin, estant demeuré celluy de Flandres au mesmes suspens qu'il estoit, le vostre a eu, grâces à Dieu, telle yssue que, gardant l'avantaige du Roy et vostre, et faisant cesser, aultant que j'ay peu, toutes mauvaises entreprinses et mauvais exploitz des deux costez, la paix vous est conservée, pour ceste foys, avec ceste Royne et son royaulme, ainsy que Vostre Majesté le verra en la lettre du Roy et en la responce que la dicte Dame et ceulx de son conseil m'ont faict bailler par escript. En quoy, Madame, j'ay miz peyne de fère réuscyr le tout à ce que j'ai cogneu estre du service de Voz Majestez et de vostre intention, que, j'espère, trouverés estre bien accomplys.
Il est vray que de tant que toutes choses, pour la malice du temps, ont à estre maintenant suspectes, je ne vous veulx prier de vous asseurer tant, du costé de ceulx cy, que vous ne pourvoyés, Madame, qu'ilz ayent toutjours moins de moyen que de volonté de vous nuyre; et je les observeray de bien prez, pour vous pouvoir mander, heure pour heure, leurs mouvemens et entreprinses, vous priant, au reste, donner foy à ce que ce gentilhomme, présent pourteur, nommé le Sr. de Sabran, vous dira, lequel j'ay dépesché exprès pour vous aller rendre bon et fidelle compte de toutes choses d'icy, auquel me remectant, je prieray le Créateur, etc.
De Londres ce viiȷe de mars 1569.
La Royne d'Angleterre m'a prié vous escripre particullièrement que la seule bonne affection qu'elle porte à Voz Majestez et à la conservation de vostre grandeur, l'ont meue de vous fère ceste déclaration de paix et d'amytié, et non qu'elle vous pense estre tant hors d'affères que vous luy puissiez maintenant commencer la guerre; car ou elle n'a aulcune cognoissance des entreprinses du monde, ou elle vous peult asseurer qu'il s'apreste encores de bien fort grandes forces pour ceulx de sa religion, et qu'elle est bien marrye qu'il en doibve rien tumber sur Voz Majestez ny sur vostre royaulme.
MÉMOIRE BAILLÉ AU SIEUR DE SABRAN,
Pour dire à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres,
Que l'on n'augmente en rien l'armement et appareil de guerre, que le Sr. de La Mothe leur a mandé qui s'aprestoit par deçà, si n'est de continuer, encores pour ung mois, l'avytaillement des grandz navyres de ceste Royne, et que les monstres, généralles et ordinaires, qui ont commancé d'estre faictes en aulcuns endroictz de ce royaulme, se continueront partout avec, possible, plus de rigueur, en l'observance des ordonnances de la guerre, qu'on n'avoit accoustumé d'y tenir, mesmement pour avoir des haquebuttes et entretenir des grandz chevaulx;
Que l'insolence des pirates a commancé d'estre aulcunement restrainte despuys qu'il a représanté à la dicte Dame les propos que Leurs Majestez Très Chrestiennes avoient tenu là dessus à son ambassadeur. Et, mesmes, à certains particulliers, qui estoient icy, attandans d'avoir commission pour aller armer leurs vaysseaulx, on la leur a maintenant reffuzée, ny n'est plus permiz aus dictz pirates de débiter ny vendre par deçà les prinses qu'ilz font sur les Françoys, et semble qu'on révoquera ceulx qui ont malversé sur mer ou qui ne sont cautionnés.
L'on a envoyé arrester ung grand nombre de vaysseaulx par toutz les portz de deçà, comme pour aller à quelque grand entreprinse, de quoy le dict Sr. de La Mothe a eu grand souspeçon et a esté en peyne de descouvrir ce qu'on prétandoit de fère, qui a trouvé qu'on vouloit dresser une flotte d'envyron cent navyres marchantz pour envoyer en Broage quérir du sel, sollicitant cella le conseiller Cavaignes; mais il n'y en yra, pour ceste foys, que trente, conduictz par deux de ceulx de la Royne, ayant, à ce qu'on dict, esté faict par ceulx cy quelque contract là dessus, avec le maire et habitans de la Rochelle, de se payer et rembourcer, en sel et aussi en vin, des deniers et de l'artillerye, pouldres et aultres rafreschissemens, qui leur ont esté apportez d'icy; ainsy que, par une de ses précédantes, le dict Sr. de La Mothe a desjà donné adviz du dict contract, bien qu'ilz le coulorent aultrement. Et semble que ceulx cy entreprendront de conduyre quelque traffic du dict sel vers les régions et endroictz qui avoient accoustumé s'en fornir au dict Broage, qui meintenant, à cause des troubles, n'y ozent aller; ce qui pourra revenir à quelque somme d'argent, mais non guières grande, car pour peu d'escuz l'on charge grand nombre de sel; sur quoy le dict Sr. de La Mothe a remonstré à la dicte Dame ce qui est contenu au iiiȷe des articles qu'il luy a présentez.
Ceulx ci entendans que le duc d'Alve a faict certaine ordonnance pour empescher le commerce qu'ilz vont dresser en Hembourc, en ont publié un aultre par où ilz deffandent à toutz naturelz et estrangiers de ne charger aulcune marchandise en son royaulme, sinon pour la transporter là où yra la flotte des marchantz anglois prévilliégés qu'ilz apellent avanturers.
Dont craignant que la générallité de la dicte ordonnance préjudiciât à la liberté du traffic d'entre la France et l'Angleterre, le dict Sr. de La Mothe a remonstré ce qui est contenu au ve de ses dicts articles.
Tout ce royaulme est en suspens de la guerre, craignant l'avoir tout à la foys avec la France et l'Espaigne, ou séparément avec l'une ou l'aultre, et craignent beaulcoup plus de l'avoir à la France, car ne font doubte qu'ilz ne s'accommodent toutjours ayséement avec le Roy Catholique; et si estiment que, à présent, le dict Roy Catholique n'est pour leur pouvoir tant nuyre comme feroit le Roy. Vray est que pour l'opinion que le peuple a qu'on ayt provoqué l'ung et l'aultre sans occasion, il se manifeste beaucoup de division et de contradiction parmy eulx, et mesmes ceulx de ce conseil reffuzent de se trouver aulx dellibérations qui se font là dessus.
Tant y a, qu'en ce qui concerne la France, encor qu'il y en ayt assez, icy, qui confessent qu'on a uzé de mauvais déportements et non excusable contre le Roy, en faveur de ceulx de la Rochelle, toutz, néantmoins, d'ung accord, protestent, avecques grand sèrement, de n'avoir jamais rien entendu de la pratique que ceulx de la novèle religion menoient pour prendre Dièpe et le Hâvre, mesmes les plus grandz et plus auctorisés ont dict au dict Sr. de La Mothe, qu'ilz veulent estre estimez meschantz et infâmes, au cas qu'il se trouve que les Anglois y ayent esté aulcunement meslez.
Toutesfoys, il sera bon, durant le temps que ceulx cy seront en armes, d'avoir l'œil au guet de leur costé, et, parce qu'il s'entend qu'en ung de leurs portz, du quartier d'Ouest, se font, par mandement de ceulx de la novelle religion, deux barques longues, couppées en travers, comme pour les porter dans des navyres, qui se peuvent rejoindre incontinent, suffizantes à mettre deux centz soldatz en terre, lesquelles monstrent estre pour aulcune entreprinse, en quelque lieu, sur la mer, et qu'on a entendu qu'en certain lieu s'est parlé de Cherbourc, comme d'une place non gardée, et toutesfoys aysée à fortiffier, sera bon d'advertir là, et ailheurs, le long de la mer, d'y prendre garde.
Le Sr. Du Doict n'a encores rien exposé en ce conseil, ny n'a esté ouy de ceste Royne, dont est malaysé de sçavoir à quoy tend sa négociation, bien que, sellon la conjecture qui se peult prendre de certain pouvoir qui a esté veu en quelque lieu despuys son arrivée, lequel est en quatre fuilletz de parchemin, les trois et demy escriptz et le reste blanc, attaichez d'ung ruban noir, où pend en queue le sceau de la Royne de Navarre en cire rouge, et soubzsigné de trente ou quarante noms des principaulx de leur party, commençant Jehanne, etc., Henry, etc., et consécutivement au nom d'eulx, et de Loys de Bourbon, duc d'Anguien, de l'amyral Andellot, La Rochefoucault et aultres, faisant narrature des choses advenues despuys six ou sept ans, desquelles infèrent y avoir ligue des potentatz catholiques contre les potentatz protestans, conclue au concille de Trente, et despuys confirmée aulx voyages de Bayonne et de Picardye, ainsy que plus à plain le démonstre la cession que la Royne d'Escoce a faicte du droict qu'elle a à la couronne d'Angleterre[55], et encores plus expressément les faulces paix, la ropture de l'édict de paciffication, l'impétration de la bulle de Juilhet, et aultres pratiques contre ceulx de la religion, choses qui doibvent esmouvoir les princes, potentatz et aultres, de leur party, de faire ligue contraire; et dont, pour y pourveoir, ilz ont estimé bon d'envoyer devers les dicts princes protestans et principallement devers la Majesté de la Royne d'Angleterre, pour luy fère entendre ce que dessus par Mr. le cardinal de Chatillon, avec puissance de tretter et capituler pour cest effect avecques elle, et d'obliger, pour l'entretennement des promesses qu'il luy fera ez noms que dessus, oultre leur foy et parolle, toutz leur royaume, duchez, comtez et baronnyes, terres et seigneuries. Il semble que la charge du dict Du Doict soit de fère entrer ceste Royne en la dicte ligue. Et s'est aussi descouvert d'ailleurs qu'il prétend d'avoir, par emprunt, les deniers que la dicte Dame a arrestez du Roy Catholique, offrant conjoinctement, au nom des princes d'Allemaigne et de ceulx qui l'ont envoyé, de rembourcer le dict Roy Catholique et le contanter, tant du principal que des intérestz raysonnables, et de relever indempne la dicte Dame de tout dommaige que, pour rayson de ce, elle pourroit soffrir. Ausquelles deux prétentions du dict Du Doict, le dict Sr. de La Mothe a miz et mettra encores tout l'obstacle qu'il luy sera possible pour les luy rendre difficiles et différées, et encores, s'il peult, reffuzées.
L'ambassadeur d'Espaigne, résidant icy, et le Sr. d'Assoleville ne pouvans inpétrer audience de ceste Royne, ont enfin proposé à aulcuns de son conseil que, ayant la dicte Dame, avant toutes choses, faict dellivrance des deniers arrestez, le duc d'Alve sera, puys après, tout prest d'entendre à ce qui sera veu bon de tretter pour l'entretennement de l'ancienne alliance et confédération d'entre ces deux estatz, et de le fère entièrement accomplir par le Roy son Maistre. A quoy semble qu'on leur ayt respondu de mesmes: c'est que, après que le Roy, leur Maistre, aura renouvellé et confirmé, par sèrement solemnel, les anciens trettez et confédérations d'entre ceste couronne et la maison de Bourgoigne, lesquelles le dict duc s'est esforcé d'enfraindre, que la dicte Dame entendra aulx moyens qui seront cogneuz raisonnables pour la restitution des dicts deniers. Et despuys, ayant le dict d'Assoleville mandé à la dicte Dame qu'il avoit à luy dire des choses qui inportoient grandement à elle et à son estat, lesquelles il ne pouvoit encores communiquer à ceulx de son conseil, dont elle auroit playsir et proffict de les sçavoir, elle luy a faict respondre que rien ne pouvoit concerner ni elle ny son dict estat qui ne concernât ceulx de son conseil et ses subjectz, lesquelz elle aymoit mieulx que soy mesmes; et par ainsy qu'il ne fît difficulté de leur dire ce qu'il vouldroit dire à elle mesmes. Lesquelles responces les dictz ambassadeurs n'ont encores faict entendre au dict Sr. de La Mothe, bien qu'ilz se soient aydez de luy pour les mander au dict duc, à qui icelluy d'Assoleville a escript de le vouloir révoquer, cognoissant que sa demeure par deçà ne faisoit que donner cueur et ampirer davantaige ceulx cy, qui vouloient garder la réputation, et estre priez. Et ainsy le dict d'Assoleville prépare son retour, lequel, ayant desjà son passeport, monstre se vouloir acheminer dans deux jours. Ne sçay si le dict duc luy mandera de demeurer pour entrer en une novelle négociation et mettre quelque aultre party en avant. Tant y a qu'il est desjà licentié pour s'en retourner, sans avoir parlé à ceste Royne, et sans avoir rien exécuté de sa charge; dont la dicte Dame attandra que ce soit le Roy Catholique mesmes qui envoye devers elle, et advouhe cognoistre que ce qu'elle a faict en cest endroict n'a esté que pour luy conserver ses deniers, et qu'il la prie de les lui rendre avec continuation de la paix et bonne alliance qui est entre eulx, et elle y satisfera entièrement; bien que ceulx de la novelle religion espèrent pouvoir empescher que des dicts deniers, et aultres riches prinses qui ont esté faictes sur les subjectz du Roy d'Espaigne, mesmes d'une, tout freschement, de dix ourques chargez de cuyrs et de cochenille, qui vallent plus de deux centz mille escuz, et où s'est trouvé plus de six vingtz mille escuz en espèces et cinq ou six caysses de perles et aultres richesses, rien n'en soit rendu qu'on ne voye ung accord et paix généralle pour leur religion, dont ne tient à ceulx cy que le duc d'Alve ne soit bien piqué de plusieurs prinses qu'ilz font, encores toutz les jours, sur les Espaignolz et Flamans, s'il s'en vouloit aulcunement rescentir.
Mylord Housdon, gouverneur de Varvic, a escript que l'Escoce s'apreste d'estre toute en armes dans le xxe de ce moys, et que le comte de Mora espère d'estre le premier en campaigne pour contraindre les Ameltons et Hontelletz, et ceulx du comte d'Arguil et aultres, de recognoistre le petit prince pour leur Roy, et les aultres au contraire pour le contraindre, luy et ses adhérans, de recognoistre la Royne, et que le dict comte de Mora luy a envoyé demander deux cens harquebuziers seulement, lesquelz il ne luy a encores accordez, attandant le commandement de ceste Royne. Et semble que le dict comte trouvera une grande et ferme résistance dans le pays, et qu'on fera icy meintennant plus de difficulté de luy envoyer du secours qu'il n'y en eust de le luy promettre quant il partit; bien qu'il y a assés icy qui sollicitent vifvement pour luy, et qui procurent qu'un personnaige de ceste court, nommé Milmor, soit bien tost dépesché pour aller, de la part de ceste Royne, devers luy, en Escoce.
Sur le faict des prinses ceulx cy remonstrent que les Anglois et Irlandoys n'ont jamais peu avoir justice en Bretaigne de celles que les Bretons ont faictes sur eulx, parce que les officiers participent au butin, et qu'il s'y commect de grandes violences, injures, et toute espèce d'iniquité et d'injustice, en l'endroict de ceulx qui les vont poursuyvre et solliciter au dict pays, tellement qu'ilz ne s'y veulent plus adresser, et que, par la mesme rayson que la Royne d'Angleterre est requise de pourvoir de deçà à l'indempnité des Françoys, la mesme doibt mouvoir le Roy de pourvoir de dellà, et mesmement en Bretaigne, à l'indempnité des Anglois.
Le dict Sr. de la Mothe vient d'estre adverty que Le Queux, secrétaire de monsieur l'Amyral, lequel a demeuré quelque temps par deçà, a esté dépesché ce matin pour s'en retourner devers son maistre à la Rochelle.
AULTRE MÉMOIRE A PART AU Sr. DE SABRAN.
Que estans aulcuns des plus grandz et principaulx seigneurs d'Angleterre marrys de la forme du gouvernement du royaulme, conduict par le seul secrétaire Cécille, lequel s'est emparé de l'auctorité d'ordonner toutes choses à son seul adviz, et voyantz qu'il s'esforceoit meintennant de fère entrer la Royne sa Mestresse, sans besoing, en la guerre de ces troubles, qui sont aujourd'huy dans la chrestienté, et la mettre desjà en quelques fraiz, provoquant sans occasion le Roy et le Roy Catholique pour favoriser ceulx qui leur mènent la guerre en leurs pays; dont s'en sont ensuyvyes ces démonstrations de saysies faictes à Roan et au Pays Bas, au grand mescontantement de tout ce royaume, ilz ont estimé qu'il se présentoit occasion de pouvoir, par vifves remonstrances des choses apartenant à la dignité et grandeur de ceste Royne, et au bien et honneur de sa coronne, désarçonner le dict Cecille, et recovrer pour eulx l'auctorité et manyement de l'estat.
A quoy encor que plusieurs eussent prétandu de longtems, toutesfoys pour ne s'entendre, et pour ne s'ozer descouvrir l'ung à l'aultre, nul, jusques à ceste heure, ne l'avoit entreprins, et attandoient les plus nobles et ceulx qui ont meilleure part au Royaulme que le peuple, cognoissant leur intention, fût celluy qui, par la multiplication des désordres et nécessitez qui adviendroient de ces choses, commançât de crier, et ainsy est advenu meintennant que sur les dictes saysies, et, pour redresser le traffic de ce royaulme en quelque aultre lieu qu'en Envers, les merchans et bourgeois de ceste ville sont venuz fère plusieurs remonstrances à ceste Royne; et aulcuns, aussi, bien notables personnaiges, et de respect, ont esté prévenuz pour la religion, aultres ont esté emprysonnés pour le faict de l'ambassadeur d'Espaigne, aultres ont murmuré de la fraulde de la blanque, et le maire et officiers de ceste ville ont esté naguières taxés par le dict Cecille, en présence de la dicte Dame, de ne fère leur debvoir à chastier ceulx qui parlent irrévéremment et détractent d'elle, et des seigneurs de son conseil.
Dont voyant la dicte Dame qu'il estoit besoing de pourvoir promptement à ces choses, lesquelles concernoient la tranquillité de son royaulme, et qu'il failloit aussi se résouldre de la paix ou de la guerre avecques le Roy, et pareillement avecques le Roy Catholique, et que le faict de la Royne d'Escoce et des Escoçoys estoit bien pressé, pareillement celluy d'Irlande, et que d'ailleurs le cardinal de Chatillon sollicitoit que le Sr. Du Doict fût ouy et respondu en ses demandes, elle a faict convoquer les seigneurs de son conseil pour résouldre toutes ces matières, sentant icelluy Cecille, à la froideur et contennance d'iceulx seigneurs, qu'il ne les pourroit ordonner seul. Mais ilz ont faict les mallades en leurs logis, et n'a esté possible à la dicte Dame de les assembler aulcunement, despuys qu'elle est en ceste ville. Et de tant que le comte de Lestre a esté tiré à ce party, il s'est aussi servy, d'un petit rhume qu'il avoit, pour excuse de ne se pouvoir trouver aulx heures convenables du dict conseil. De quoy le mècredy des cendres, estant tout exprès venu ung peu avant soupper en la chambre de la dicte Dame, lors que le dict Cecille y estoit, et s'y estant trouvé à poste le duc de Norfolc, principal de toutz, il fust bien ayse que la dicte Dame, en présence du dict Cecille, luy commencea à tenir propos de ses affères et se douloir de ce que tous ces seigneurs ne se vouloient trouver au conseil pour résouldre ce que en debvoit estre faict; lequel, après avoir, avec grande humilité et respect, supplié, très humblement, la dicte Dame de l'excuser, si, pour le debvoir et infinye obligation qu'il avoit à son service, il luy disoit, en chevalier de bien et d'honneur, que la meilleure et principalle part de ses subjectz voyoient les choses estre si mal conduictes, et tant contre leur desir, qu'il craignoit, ou que son estat eust à courir quelque dangier, ou que le dict Cecille eust à leur rendre compte, sur sa teste, des choses qui avoient passé jusques aujourduy. Duquel propos estant le dict Cecille fort troublé et la dicte Dame esmeue, elle entra en grand collère contre le dict comte dont le duc, qui estoit loing, adressant sa parolle assés hault au marquis de Norampthon, qui n'estoit encores de ce party,—«Voyés, dict il, mylor, comme le comte de Lestre, quant il a suyvy et aprové les opinions du secrétaire, il a esté favorisé et bien venu de la Royne, et maintennant qu'il luy veult remonstrer vertueusement ses bonnes raisons contre celles de l'autre, elle lui faict ung très mauvais visaige et le veult envoyer à la Tour: non, non, il n'y yra pas tout seul.»—A quoy le dict de Norampthon respondit,—«Je loue Dieu que vous, qui estes le principal subject de ce royaulme, voulez enfin monstrer votre vertu, laquelle je suis prest de suyvre et ayder de tout ce qu'il me sera possible, car aussi suis je icy pour me plaindre.»
Et ainsy, la pluspart des grandz se sont faictz entendre, et se sont uniz, dont, sur la proposition de ces importantes matières dessus dictes, ilz ont requis que le dict Cecille eust à monstrer au vray en quel estat elles estoient, et comme il les avoit conduictes despuys huict ans en çà; car ne vouloient plus opiner sur fondement de mensonges, comme jusques icy le dict Cecille leur avoit déguisé les choses qu'il avoit proposées au conseil. Et semble que le dict Cecille ayt despuys cerché de racointer ces seigneurs, mesmement le comte de Lestre, luy remonstrant qu'il ne se debvoit aulcunement joindre aulx autres, mesmement en ce qu'ils demandoient rendre compte des choses passées despuys huict ans, car il s'y trouveroit aultant meslé que luy. A quoy il a respondu que ce seroit luy seul qui auroit à rendre compte des faultes de toutz deux, car il n'avoit rien fait que par le conseil et induction du dict Cecille, qui pourtant debvoit regarder à ses affères, car il avoit desjà pourveu aulx siens. Dont le dict Cecille a despuys pancé qu'il luy serviroit beaulcoup de fère examiner ce qui s'est passé au faict de la Royne d'Escoce, car ayant ceste Royne et les siens, en général, beaucoup de desseings sur elle et sur son royaulme, qui semblent utilles à l'Angleterre, il espère que ces seigneurs se trouveront aulcunement copables d'avoir, contre l'intention de la dicte Dame, porté le faict et affères de la dicte Royne d'Escoce; dont est à craindre que la pouvre princesse n'en soit de quelque chose, pour aulcuns jours, plus mal et plus estroictement tenue, ayant esté mandé de resserrer aussi l'évesque de Rosse. Et si, a esté, ces jours passez, ung aultre Escoçoys miz à la Tour, ce que ces seigneurs craignent aulcunement, mais ilz se sentent si appuyez qu'ilz disent qu'ilz se sçauront bien descharger de cella.
ARTICLES PRÉSANTEZ A LA ROYNE D'ANGLETERRE PAR LE Sr. DE LA MOTHE, ambassadeur du Roy, en forme de remonstrance.
Le Roy a mandé à son dict ambassadeur que, ayant Sa Majesté devant les yeulx le voyage de Me. Oynter, qui soubz couleur d'accompaigner ceulx qui alloient charger vin et aultres choses, librement, en son pays, avoit conduict ung rafreschissement de pouldres, d'artillerye, d'argent et aultres munitions à la Rochelle, pour secourir ceulx qui luy mènent la guerre en son royaulme,—ainsy que eulx mesmes l'ont despuys faict entendre à Monsieur, frère de Sa Majesté,—et s'en sont vantez,—et entendant la faveur que les leurs ont prez de la Majesté de la Royne d'Angleterre,—lesquelz il estoit adverty que, pour l'induyre à estre de leur party, luy offroient de demeurer ses ostages ou luy en bailler d'aultres, jusques à ce qu'ilz eussent miz entre ses mains une de ses places de Normandie ou Picardie.—A quoy a entendu que le Sr. Norriss, ambassadeur de la dicte Dame, résidant en France, tenoit la main,—et qu'ilz se servoient de la couverture de ses paquetz pour s'entrecommuniquer leurs practiques.
Considéré aussi que, sur le point que la conspiration de prandre le Hâvre de Grâce et Dieppe, laquelle a esté descouverte, se debvoit exécuter, ung nombre de vaysseaulx anglois, équipez en guerre, avoient apparu sur la coste de Normandie comme pour favoriser la dicte entreprinse;—et que les dicts vaysseaulx avoient, devant et despuys, exécuté plusieurs pilleries et violences sur ses subjectz et transporté leurs biens par deçà;—davantaige, que sur la souspeçon que, oultre les choses dessus dictes, il pouvoit prendre de l'armement et appareil de guerre qu'il entendoit se fère en ce royaulme, sans avoir la guerre déclairée contre nul prince, le dict Sr. de Norryss luy allégoit seulement qu'on le faisoit pour l'occasion des troubles de France et d'Escoce, là où, pour estre la Royne d'Escoce dans l'Angleterre, l'on ne debvoit rien craindre de son costé, et moins encores du sien à cause de la bonne paix qu'il a avecques ce royaulme; laquelle il n'avoit jamais pensé d'enfraindre, pour estre d'ailleurs assez occuppé à la division de ses subjectz, seule cause des armes où l'on estoit meintennant en son royaulme;
Sa dicte Majesté, pour ne demeurer en suspens de ces choses, n'estimant que la dicte Dame veuille attampter sur luy par armes sans le deffier, comme il n'est descent à nul prince de le fère, avoit, dez le xiiȷe de ce moys, dict au dict Sr. Norryss, et ainsy l'a escript, du xiiiȷe à son dict ambassadeur de deçà, que, après avoir, l'ung par lettres, et l'aultre de parolle, déclairé de sa part à la Majesté de la dicte Dame qu'il veult exactement persévérer en la bonne paix, confédération et amytié, qu'il a avecques elle et ses pays et subjectz, ainsy qu'il l'a seinctement juré et promiz, sans aulcunement l'enfraindre, que elle, de son cousté, le veuille, dans quinze jours, résouldre là dessus de son intention; dedans lequel temps, s'il n'en est esclarcy, qu'il regardera de pourvoir à ses affères sellon les moyens qu'il avoit pleu à Dieu luy en donner: dont desire le dict ambassadeur que la Majesté de la dicte Dame luy fasse entendre quelle responce il aura à fère en cella au Roy, son Seigneur, pour luy donner contantement et satisfaction.
Et, touchant la saysie faicte à Roan sur les biens des Anglois, Sa Majesté Très Chrestienne a escript, du xiȷe de ce mois, au dict ambassadeur ces propres motz:—«Puisque vous me rendez ung si bon tesmoignage de la sincère intention de la Royne d'Angleterre, ma bonne sœur, à l'entretennement et observance de la paix, et que toutes choses ont esté remises en liberté par dellà pour le regard de mes subjectz, j'ay donné charge à mon cousin le maréchal de Cossé, qui s'en va mon lieutenant général en Normandie et Picardye, qu'il fasse relascher et mettre en liberté tout ce qui a esté saysy au dict Roan, et aultres endroictz, sur les Anglois, y ayant consenty très volontiers sur la première instance que m'en ayez faicte, ne me pouvant ayséement persuader que la dicte Dame vollût entrer en querelle avecques moy, de qui elle n'a jamais receu que toutz bons offices; comme je vous prie la bien asseurer que je seray toutjour prest d'y persévérer, si elle continue en la volonté qu'elle vous a déclairé le vouloir fère de mesmes envers moy; et, affin de fère cesser toutes pleinctes, vous la prierez qu'elle veuille fère fère raison et restitution à mes dicts subjectz, et je luy promectz, et l'asseure que je feray de mesmes en l'endroict des siens.»
Quant à plusieurs particulliers, qui courent la mer de deçà avec leurs vaysseaulx équipez en guerre, dont aulcuns se sont randuz pirates, Sa Majesté Très Chrestienne escript aussi au dict ambassadeur ce qui s'en suyt:—«Vous le debvez remonstrer à la Royne d'Angleterre, ma bonne seur, affin de les fère révoquer et leur deffandre telle manière de fère, laquelle ne peult compatir avec la bonne paix, amytié et intelligence, qui est entre nous, laquelle ayant observée sincèrement de mon cousté, comme je l'entendz fère pour l'advenir, je me promectz que la dicte Dame vouldra aussi, de sa part, oster toutes occasions qui y pourroient apporter altération, ne se pouvant ceste manière de fère aultrement baptizer que me commancer la guerre, sans la déclairer.»—Dont requiert le dict ambassadeur qu'il playse à la dicte Dame révoquer les dicts particuliers ses subjectz, ou bien régler de telle façon leurs entreprinses que les pays et subjectz du Roy n'en puissent recepvoir aulcun dommaige.
Le dict ambassadeur a entendu qu'il se prépare, de rechef, une flotte de navyres marchandz pour aller vers la Rochelle, dont remonstre que, si la Majesté de la Royne d'Angleterre ou ses subjectz ont besoing d'aulcunes choses desquelles le Roy, son Seigneur, les puisse accommoder en aultre endroict de son royaulme, sans aller contracter ez lieux d'où, à présent, il pourroit avoir jalouzie ou soubspeçon, qu'il offre d'en escripre promptement à Sa Majesté et d'en avoir bien tost sa responce.
Entend aussi qu'il a esté deffandu de ne charger marchandises en ce royaulme pour les transporter ailleurs que là où yra la flotte des Anglois prévilliégez, qu'ilz appellent Avanturers; dont remonstre que la dicte ordonnance, estant ainsy généralle, pourroit préjudicier aulx articles des trettez faictz sur la pleyne liberté du traffic d'entre le royaulme de France et cestuy cy. Si, requiert qu'il ne soit faict aulcune restrinction ny noveaulté en cella; ains que le commerce se continue, d'icy en France, tant par les Anglois, Italliens que toutz aultres marchandz, en la façon qu'il a esté cy devant accoustumé.
Requiert aussi qu'il soit pourveu sur une remonstrance qui luy a esté baillée par aulcuns subjectz du Roy, touchant le traffic et commerce des vins, laquelle est cy attaichée.
Et qu'il playse à la dicte Dame ottroyer à la Royne d'Escoce aulcunes choses qu'elle luy a naguières envoyé requérir, luy donnant toutjours occasion de se louer des bons et honnorables déportemens, dont elle usera en son endroict.