Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Second: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
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Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Second
Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac
Release date: November 12, 2011 [eBook #37987]
Most recently updated: January 8, 2021
Language: French
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CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUEDE
BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575.PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.TOME DEUXIÈME
ANNÉE 1569.PARIS ET LONDRES.
1838.
RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRESDes Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE LXVIe SIÈCLEConservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.
PARIS ET LONDRES.
1838.
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XXVIe SIÈCLE.LA MOTHE FÉNÉLON.
Paris.—Imprimerie PANCKOUCKE, rue des Poitevins, 14.
AU TRÈS-NOBLE
HENRI PETTY FITZMAURICE
MARQUIS DE LANSDOWNE
LORD PRÉSIDENT DU CONSEIL
DE SA MAJESTÉ
LA REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE.CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ
AVEC L'AGRÉMENT DE SA SEIGNEURIEPAR
SON TRÈS-HUMBLE, TRÈS-OBÉISSANT ET TRÈS-DÉVOUÉ
SERVITEURCHARLES PURTON COOPER.
DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON.
XXXIXe DÉPESCHE
—du IIIe de juing 1569.—
(Envoyée par Jehan de Bouloigne.)
Plainte faite par l'ambassadeur à Élisabeth contre la saisie de ses dépêches, et la conduite des députés envoyés par elle en Allemagne.—Il demande formellement, au nom du roi de France, qu'elle porte secours à la reine d'Écosse et lui fasse rendre sa couronne.—Explications données par Élisabeth, au sujet des reproches qui lui sont adressés.—Promesses qu'elle fait de continuer avec la France les relations les plus amicales.—Nouvelle de la mort de M. d'Andellot.—Rumeur causée à Londres par des accusations d'empoisonnement sur M. d'Andellot, et de tentatives d'empoisonnement sur l'amiral de Coligny, M. de La Rochefoucault et de Montgommery.—Effet produit par la nouvelle, encore incertaine, que le duc de Deux-Ponts a passé la Loire.
Au Roy.
Sire, j'ay esté, durant ces festes de Pentecoste, devers la Royne d'Angleterre à Grenuich, pour trois principales occasions; l'une, pour luy compter l'estat de voz affères, ainsy que, par voz lettres du xıııȷe du passé, il vous a pleu me le commander; l'aultre, pour luy remonstrer aulcuns mauvais déportemens de ses ministres en Allemaigne; et la troisiesme, pour le faict de la Royne d'Escoce. Je luy ay commancé mon propos par me plaindre grandement à elle de l'interception et divertissement, que le maistre de la poste de Canturbery a ozé fère, d'ung vostre paquet et d'ung paquet de Mr. de Gordan, des mains du postillon qui me les aportoit, luy remonstrant qu'il les avoit transportez en lieu, où l'on me les avoit retenuz deux jours, et puys m'avoient esté renduz par ung des gens de son principal secrétaire, Me. Cecille, en si mauvais estat qu'encor qu'ilz apareussent aulcunement cloz, ilz ne monstroient toutes foys qu'on leur eust gardé le respect deu aulx lettres et cachet d'ung si grand prince; ce qui me faisoit croyre que l'indignité n'estoit procédée d'une telle princesse comme elle, ny de son commandement, ains de la malicieuse curiosité et extrême passion de ceulx qui, en plusieurs aultres mauvaises sortes, avoient, ceste année, miz souvent la dicte Dame en hazard de perdre le bien de la paix et amytié de Vostre Majesté et celle de vostre royaulme: dont la suplioys humblement qu'elle m'en vollût fère avoir rayson.
A quoy elle, monstrant n'estre aulcunement contante, m'a respondu que, à la vérité, c'estoit chose qui n'estoit advenue de son sceu, et bien fort à son regrect, mais que Milaris Coban venoit de luy bailler des lettres de son mary, qui est gouverneur du quartier, où cella a esté faict, par lesquelles il luy donnoit compte du tout, et comme le postillon estoit un homme nouveau, lequel venant, sans passeport, en la compaignye d'aulcuns Angloys qui estoient passez en mesmes temps de Flandres pour servyr d'espyes, s'estoit avec eulx randu si suspect, qu'on les avoit toutz foillez et visitez ensemble; dont me prioyt d'excuser, pour ceste foys, la détention de mon dict paquet, et qu'elle ne lairoit pourtant de me fère avoir réparation du tort qu'on m'y pourroit avoir faict.
Je luy ay répliqué que les paquetz de Vostre Majesté avoient accoustumé de servir de passeport et de seureté à ceulx qui les pourtoient, dont ne restoit aulcune bonne excuse pour ceulx qui m'avoient si fort offancé, lesquelz, continuans ainsy de plus en plus se porter toutjour fort mal envers Vostre Majesté, seroient en fin cause de vous fère monter au cueur ung juste desir de rescentiment, et que leur entreprinse avoit esté bien fort vayne en cest endroict, car je ne leur eusse que trop volontiers communiqué ceste dépesche, à laquelle je m'asseuroys qu'ilz n'eussent prins le playsir, que j'espéroys que la dicte Dame auroit, d'y veoir les affères de Vostre Majesté en très bonne disposition, la priant d'avoir agréable d'en ouyr le récit.
Et ayant la lettre en la main, je luy leuz incontinent toute cette partie qui concernoit le bon estat de voz dictes affères, et la calompnye et menterye de ceulx qui en parloient aultrement, et l'asseurance de vostre amytié envers la dicte Dame avec la correspondance que vous desiriez d'elle: laquelle monstra avoir le tout fort agréable, et fut une chose qui vint bien à propos pour aulcunes matières, qui estoient lors en termes en ceste court; lesquelles se menoient diversement sellon la diversité des novelles, que les ungs et les aultres représentoient de la guerre de France; à l'occasion de quoy elle s'arresta davantaige sur le discours de la dicte lettre et m'y fyt plusieurs demandes, ausquelles je miz peyne de satisfère: puys luy diz que, de tant que vous ne vouliez garder aulcune malle impression ny réserver rien sur vostre cueur contre elle, vous la priez de vous esclaircyr d'une chose qu'on vous avoit mandée d'Allemaigne, c'est que ses agentz par dellà faisoient de si mauvaiz offices et si contraires à vostre service que, quant elle vous auroit déclairé la guerre, ilz ne se monstreroient plus ouvertement voz ennemys qu'ilz faisoient, provoquans et incitans les princes protestans d'Allemaigne de fère et continuer la guerre en vostre royaulme, et employent le nom et le crédict d'elle, pour leur trouver des deniers; et, que mesmes l'on vous avoit mandé que Quillegrey, et ung aultre des siens, qui se tient à Francfort, estoient sur le point de leur faire fornyr quatre vingtz ou cent mille tallartz, avec promesse de plus grand somme, quant la flotte de Londres seroit arrivée en Hembourg: ce que vous ne vouliez ny pouviez croyre que procedât aulcunement d'elle, estant chose qui répugnoit grandement à la paix, et aulx promesses, et sèremens, que vous avez juré, de procurer le bien et évitter le mal loyaulment l'ung de l'aultre, et trop contraire à l'honneur de la parolle qu'encores freschement elle vous avoit donnée de la continuation de son amytié, mais que c'estoient aulcuns mal affectionnez, transportez de passion, qui abusoient ainsy de son authorité, et ne se soucyoient d'allumer, par ce feu couvert qui estoit plus cuysant que si la flamme en paroissoit, une guerre entre vous, pourveu qu'ilz vinsent à boult de leurs intentions, ce que vous la priez très instantment de fère cesser.
Et luy tins ce propoz, Sire, tant par ce que j'avois des adviz conformes à cella que pour ayder de divertyr une levée de deniers qu'on estoit après à fère icy; à laquelle je sçavoys qu'aulcuns seigneurs de ce royaulme contradisoient.
De quoy la dicte Dame, voulant donner satisfaction à Vostre Majesté, m'a dict que, à la vérité, elle avoit deux agentz en Allemaigne, l'ung nommé Du Mont, homme vieulx, catholique, ancien serviteur du feu Roy son père, qui se tenoit en une sienne mayson prez de Francfort, et l'aultre Quillegrey, gentilhomme anglois, bien affectionné à son service, par lesquelz deux elle entretenoit l'amytié des princes allemans, lesquelz se monstroient très affectionnez de la continuer envers elle, tout ainsi qu'ilz l'avoient toutjour heue ferme et constante envers le dict feu Roy son père, mesmes qu'elle pouvoit compter le duc Auguste, le lansgrave de Esse, les palgraves et aultres principaulx princes de dellà, pour ses fort inthimes amys, et me vouloit bien dire qu'elle, avec eulx, avoient ensemblement pourveu à leurs affères contre ceulx qui vouloient exterminer leur religion; mais qu'au reste, ses agens n'avoient eu jamais charge de fère ny procurer rien en particullier contre Vostre Majesté, et m'asseuroit qu'il n'y avoit esté aulcunement forny argent, au moins par nul moyen qui procédât d'elle, sans lequel je pouvois croyre que ses gens n'estoient pour trouver guyères grandz sommes, et qu'elle vous remercyoit grandement de l'honnorable jugement que vous feziez de son intention, en ce que, quant le dict adviz seroit véritable, vous l'en vouliez tenir deschargée; ce qu'elle vous prioit de croyre, qu'encor qu'on luy représentât plusieurs occasions, qu'elle n'estoit pour en prendre jamais pas une de ceste sorte à couvert contre vous; ains envoyeroit ouvertement la vous notiffier: mais que vous la trouverez fère profession sinon de prudence, au moings d'intégrité, en tout ce qu'elle vous avoit promiz; adjouxtant plusieurs aultres propos assés longs, lesquelz il est bien besoing que Voz Majestez sachent, mais je réserve les vous fère entendre par homme exprès.
Et m'a esté dict que ceste mienne remonstrance a eu desjà quelque effect, mais je métray peyne de le sçavoir mieulx pour vous en asseurer par mes premières. Et pour la fin, je l'ay remercyée au nom de Voz Majestez, de la bonne et vertueuse dellibération qu'elle monstre prendre meintennant ez affères de la Royne d'Escoce pour la remettre en son estat, ainsy que Mr. l'évesque de Ross me l'a particullièrement racompté, la supliant d'y pourvoir si bien, et si à temps, que le retardement n'y puysse plus engendrer de difficulté, et qu'elle se veuille acquérir seule l'honneur de la plus honnorable entreprinse qui soit escheue, de nostre temps, en main de nul prince chrestien, sans excepter celle de l'empereur Charles Ve en la restitution qu'il fit du Roy de Tunes[1], car ce fut pour ung pays mahumétan, en hayne de Barberousse, qui infestoit l'Espaigne, là où ceste cy est une légitime et héréditaire princesse, sa parante, qui ne luy a faict jamais desplaysir, et est venue, en la confiance de sa parolle, recourir à elle, luy requérant, en bonne sorte et avec beaulcoup d'humillité, son promiz secours; oultre que par ce moyen, plus que par nul aultre qui se puysse jamais offrir, elle satisfera grandement à toutz les princes de la terre, mesmement à Voz Majestez Très Chrestiennes, qui luy en aurez obligation; luy voulant bien dire, de la part d'icelles, que, sans l'attante de son dict secours, vous vous fussiez desjà efforcez, quelz affères que vous ayez sur les bras, de pourveoir à ceulx de la dicte Dame, sellon que vous y estiez, par les trettez et par ung honneste debvoir, obligez; qui ne vouliez, en façon du monde, laysser ung si mauvaiz exemple de vous à voz alliez et confédérez, que vous fussiez veuz habandonner la cause de ceste princesse, laquelle tenoit le lieu de la principalle et plus ancienne alliance de vostre coronne.
A quoy la dicte Dame m'a respondu, et semble que ce a esté de bonne affection, qu'encor qu'elle ayt à considérer l'obligation qu'elle a à la justice du murtre du feu Roy d'Escoce, qui estoit son subject, et à la cession que la dicte Dame a faicte du tiltre qu'elle prétandoit de ce royaulme à Monsieur, frère de Vostre Majesté, et à d'aultres différendz, qu'elles ont à démesler ensemble touchant leurs deux royaulmes, qu'elle, néantmoins, pourvoirra si bien à son affère qu'on cognoistra qu'elle luy porte plus d'amytié et de bienveuillance qu'elle ne s'est aymée elle mesmes.
Lequel propos s'est estendu en responses et répliques, touchant la justice sur les princes souverains, comme elle est réservée à Dieu seul; et touchant la cession du tiltre d'Angleterre, comme c'est ung malicieulx artiffice pour irriter la dicte Dame contre la France et contre ceste pouvre princesse, lequel se trouvera manifestement faulx; et en aultres discours, qui excèderoient par trop la mesure d'une lettre, de les adjouxter icy; par quoy les remettray à une aultre foys, et prieray atant le Créateur après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.
De Londres ce ııȷe de juing 1569.
A la Royne.
Madame, il vous plairra veoir, en la lettre du Roy, le compte, que je donne à Voz Majestez, de certains propoz que j'ay naguières tenuz à la Royne d'Angleterre et des responces qu'elle m'y a faictes, parmy lesquelles j'ay recuilly de ses discours aulcunes aultres particularitez, que je réserve vous fère entendre par le premier des miens que je vous dépescheray; et vous diray davantaige, Madame, que j'ay adviz qu'on a, secrètement et en grand dilligence, dépesché le Sr. Gilles Grays, avec ung brigantin à rames, devers Me. Oynter, pour luy dire qu'aussitost qu'il aura conduict la flotte en Hembourg, il ayt à la laysser là, et qu'avec les grandz navyres, hommes et tout son aultre équipaige de guerre, il fasse incontinent voyle vers les quartiers d'Escoce; mais je n'ay encores descouvert pour quelle occasion, seulement je présume que c'est pour s'opposer à l'entreprinse qu'on leur a persuadée du capitaine St. Martin, de laquelle je vous ay naguières faict mencion, ou bien pour remédier aulx affères d'Irlande. Je travailleray d'en sçavoir la certitude.
L'on a vollu, ici, calompnier la nouvelle de la mort de Mr. Dandellot, affirmans y avoir lettre, du vıȷe de ce moys, de la Rochelle, qui monstroit le contraire; mais j'entendz que, devant hyer, il vint lettres à ceste Royne de son ambassadeur, Mr. Norrys, par lesquelles il luy en confirme la mort, et luy mande davantaige qu'il y a gens en vostre court, qui poursuyvent leur reccompence pour avoir empoysonné Mr. l'Admyral, Dandellot, de La Rochefoucault et de Montgommery, jouxte la certitude, qui aparoit desjà, de ce qui est advenu du dict Sr. Dandellot, lequel ayant esté ouvert s'est trouvé empoysonné, et que, sur leur vye, il s'ensuyvra bientost la semblable espreuve des aultres; et que le duc de Deux Pontz a passé la rivière de Loyre à la Charité, dellibérant s'acheminer, par Dun le Roy et Bourges, droict à l'exécution de son entreprinse sellon sa première intention, et que Voz Majestez estiez à Orléans pour assembler vostre camp. Lesquelles nouvelles ont diversement esmeu ceste court; dont je prendray garde si elles y produyront rien de nouveau.
Au surplus, la pratique d'accord que je vous ay mandée, qu'on commançoit avec l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, se continue toutjour, mais assés froidement, et la met on en termes, par des personnes qui s'en meslent, sans fère semblant d'y estre employez; mais il y aparoit une telle jalouzie et compétance des entremetteurs, que je ne voy que cella preigne encores ung si droict chemyn qu'il s'en puysse espérer, de long temps, la conclusion. Une chose, à la vérité, y concourt des deux costez, c'est ung desir d'accorder et évitter la guerre, et n'y a que la formalité et le poinct de la réputation, et quelque partie de la restitution qui y met le retardement. Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, et prie Dieu qu'il vous doinct, Madame, en parfaite santé, très longue vie et toute la prospérité que vous désire.
De Londres ce ııȷe de juing 1569.
XLe DÉPESCHE
—du Xe de juing 1569.—
(Envoyée par Jehan Valet jusques à Calais.)
Prise de la Charité et passage de la Loire par le duc de Deux-Ponts.—Intelligence des Anglais avec ce prince.—Désir qu'ils ont de profiter des succès remportés par les Allemands en France, pour tenter de recouvrer Calais.—Nouveaux préparatifs de guerre.—Assurance est donnée à l'ambassadeur qu'ils ne sont pas dirigés contre la France.—Crainte que la flotte de la Rochelle, dont le retour n'est point annoncé, ait été retenue pour le service des protestants.—Mise en liberté des mariniers espagnols.—Assurance est donnée à l'ambassadeur, par lettre du roi, que M. d'Andelot n'est pas mort par le poison.—Projet de convention pour la restitution des prises.—Noms des commissaires anglais qui ont été désignés pour se rendre à Rouen.
Au Roy.
Sire, la dépesche que j'ay faict à Voz Majestez, devant ceste cy, est du #305;#305;ȷe du présent, et, despuy, m'ayant esté donné quelque adviz que la prinse de la Charité, et le passaige de l'armée du duc de Deux Pontz par dellà la rivière de Loyre, commançoient de remectre en vigueur dans ce conseil la querelle de Callais, et encores d'aultres partiz (que j'ay eu occasion d'avoir fort suspectz, pour me venir devant les yeulx), que l'avance, qu'ilz ont faicte d'aulcuns deniers à l'entreprinse des princes d'Allemaigne, n'a volontiers esté sans y conclure quelque marché pour eulx, et qu'il y a aparance que le dict Duc ne s'est hazardé d'entrer si avant en pays, sans estre bien asseuré de leur intelligence; j'ay travaillé, par le prétexte de négocier, avec les seigneurs du susdict conseil, d'aulcunes particularitez (comme de la prinse de mon paquet;—de la pleincte que j'ay dernièrement faicte à la Royne, leur Mestresse, touchant le mauvais office de ses agentz en Allemaigne;—de ma réplicque sur les responces qu'ilz ont données à mes précédantes remonstrances, laquelle, tout exprès, je leur ay de nouveau baillée par escript;—et du faict de la Royne d'Escoce); de tirer principallement quelque notice de ceste aultre affère, dont ay aprins, Sire, que, à la vérité, il a esté par aulcuns miz en avant de se prévaloir de la présente occasion des adversitez de vostre royaulme, et qu'il ne failloit qu'ilz s'attendissent d'en avoir jamais une aultre plus à propos, pour pouvoir fère leurs besoignes en France. Mais, ou soit pour la naturelle inclination, que ceste Royne a à la paix; ou pour la recordation du Hâvre de Grâce; ou pour n'estre les principaulx seigneurs accordans à la guerre, ou pour n'avoir bien prest ce qui leur faict besoing pour la commancer, ou encores, qui est plus à croyre, pour estre le playsir de Dieu d'ainsy disposer meintennant les personnes et les présens affères de ce royaulme, la dellibération n'est passée si avant que je vous en veuille encores mettre en peyne, et je travailleray cependant, aultant qu'il me sera possible, de la divertir du tout.
Seulement, Mr. l'admyral d'Angleterre, sur une grande crierye et remonstrance qu'il a faicte, comme il estoit bien adverty qu'après avoir, à mon instance, et pour satisfère à Vostre Majesté, nettoyé, de leur costé, la mer de pirates, l'on armoit meintennant navyres et vaysseaulx à force, par toutz les portz et hâvres de vostre royaulme, pour remplir vostre mer, de dellà, de nouveaulx pillartz, et ayant touché aussi quelque mot du passaige de voz gallères par deçà, il a obtenu commission de pourvoir dilligentment à tout ce qu'il verra estre requiz, concernant le faict de sa charge, pour garder que les pays et subjectz de la dicte Dame ne soyent ny offancés, ny surprins. Et ainsy, luy et Me. Cecille ont esté, despuys trois jours, à Gélingan donner ordre de rabiller et mettre promptement en équipage toutz les grandz navyres de guerre, pour s'en pouvoir servir au besoing; et Me. Ouynter, qui est desjà de retour, avec cinq de ceulx qu'il avoit mené en Hembourg, se tient à Haruich, sur l'emboucheure de la Tamize, avec tout son équipage, sans rien licencier, et les monstres généralles continuent se fère par ce royaulme, avec quelque aprest d'armes, en quoy, à la vérité, ilz procèdent de la plus grande aparance et démonstration qu'ilz peuvent, pour donner expectation de quelque grande chose aulx leurs et aulx estrangiers; mais je ne descouvre, pour encores, qu'ilz ayent en main aulcune déterminée entreprinse contre Vostre Majesté; tant y a que, comme je ne vous veulx donner allarme de ce costé que le plus tard que je pourray, bien qu'on s'esforce de me la fère desjà prendre bien grande, aussi vous supliè je, Sire, de n'en demeurer en tant de confiance que ne commandiez toutjour aulx gouverneurs et capitaines, d'icelle partie de vostre frontière qui regarde ce royaulme, de ne la laysser desgarnye, et qu'ilz ayent à prendre toutjour garde aulx surprinses qui s'y pourroient fère, qui sera ung vray moyen pour mieulx conserver la paix.
Du reste, l'on m'a faict aparoir, touchant l'interception de mon paquet, que, à la vérité, le postillon, qui le pourtoit, estoit passé en la compaignye d'un gentilhomme angloix, nommé Trassan, qui avoit demeuré absent unze ans hors du pays, et avec d'aultres escolliers angloix, qui venoient de Louvain, qu'on a souspeçonné estre toutz envoyez pour servir d'espyes par deçà, lesquelz ont esté despuys miz en pryson. Et, de ma remonstrance touchant les mauvaiz offices que les agentz de ceste Royne faisoient en Allemaigne, aulcuns du dict conseil m'ont asseuré que ce que la dicte Dame m'en avoit respondu estoit vray; aultres m'ont dict que, pour n'avoir eu cognoissance de toutes ces despesches d'Allemaigne, ilz ne me vouloient asseurer de rien, ce qui monstre qu'il en est quelque chose, mais qu'il est secrètement conduict; tant y a que j'ay quelque adviz que, despuys ma dicte dernière audience, cest ordre de fornyr xl mille {lt} esterlin, par les marchans de Londres, ès mains de Quillegrey, dont j'ay faict mencion en mes précédantes, et l'emprunct de cent mille {lt} esterlin, sur les bien aysez de ce royaulme, a esté aulcunement révoqué, et qu'en lieu de ce, a esté seulement donné commission au maire de ceste ville d'empruncter sur le crédict de la chambre de Londres, qui est comme sur la mayson de ville de Paris, par lettres du privé scel, xviiȷ ou xx mille {lt} esterlin, qui est soixante quinze mille escuz, et rien davantaige; sinon qu'on est après à fornyr vingt huict mille florins de plus pour retirer deux obligations de pareille somme, qui a esté naguières employée en quelque lieu d'Allemaigne, au nom de la dicte Dame; que touchant les aultres particullaritez, dont j'ai faict instance, pour asseurer la mer et le commerce par deçà aulx Françoys, et leur rendre leurs biens et navyres, qui y sont arrestez, et fère cesser le traffic de la Rochelle, qu'il m'y sera si bien satisfaict que j'en demeureray contant. Dont retournant, ceste après diner, trouver la dicte Dame et iceulx seigneurs, sur l'occasion de vostre dépesche du xxvııȷe du passé, que j'ay receu le ve d'estuy cy, et sur celle du ıȷe du présent, que le Sr. de Vassal, ung des miens, me vient, tout présentement, de bailler, je mettray peyne d'avoir une finalle résolution de toutes ces choses, et de confirmer la volonté de ceste princesse et de ces seigneurs, tant qu'il me sera possible, en la continuation de la paix.
La flotte de la Rochelle n'est encores de retour, de laquelle devisant hyer avec ung seigneur de ceste court d'où pouvoit venir l'occasion du retardement, veu qu'elle avoit arrivé le vııȷe de may au dict lieu, et qu'on ne met guières à charger grande quantité de sel, et qu'il a despuys faict fort bon vent pour revenir, il m'a dict qu'il souspeçonnoit que ceulx du dict lieu pourroient bien avoir retenu les vaysseaulx de la dicte flotte, pour s'en servir à transporter des hommes à quelque aultre quartier, affin de se pouvoir plus ayséement joindre à leurs aultres troupes, ou bien pour faire quelque aultre entreprinse; mais encores qu'aulcuns de deçà fussent, possible, bien consentans de telle chose, il me pouvoit asseurer que ce n'estoit au moins par dellibération du conseil, et qu'il croyoit que la Royne, sa Mestresse, n'en sçavoit rien.
Ceulx cy ont commancé procéder de quelque modération sur les affères qu'ilz ont avec le Roy d'Espaigne, ayant le maire de ceste ville, despuys deux jours, miz en liberté envyron cent pouvres Espaignolz maryniers, qui estoient dettenuz prisonniers en ceste ville despuys le commancement de ces prinses, et bien qu'on ayt serché, du commancement, de les délivrer soubz caution de dix escuz pour teste, en cas que les choses passassent à quelque ouverture de guerre; néantmoins, après que monsieur l'ambassadeur d'Espaigne a eu remonstré que telle chose s'esloigneroit trop de la bonne paix d'entre Leurs Catholique et Sérenissime Majestez, qui ne debvoit estre mise en tel doubte, et que, mesmes, le duc d'Alve, naguières, luy estant admené plusieurs pouvres maryniers et pescheurs anglois, prins sur la coste de Zélande, les avoit toutz renvoyez sans en retenir ung seul, le dict maire a, par ordonnance de ce conseil, franchement dellivré les dictz Espaignolz, et les a desjà faictz embarquer pour les passer en Flandres. Qui est tout ce que, pour ceste foys, je diray à Vostre Majesté, à laquelle baysant en cest endroict très humblement les mains, je prieray atant le Créateur qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce xe de juing 1569.
L'on me vient présentement d'advertyr qu'il a esté mandé à Me. Oynter de ramener les cinq grandz navyres dans la rivière de Rochestre; s'il est ainsy, c'est signe qu'on ne veult point encores rien entreprendre.
Monsieur le cardinal de Chatillon n'a point esté en ceste court despuys la nouvelle de la mort de son frère, de laquelle l'on dict qu'il porte un extrême regrect; il s'en est allé à quelques beings, qui sont par dellà Oxfort.
A la Royne.
Madame, j'ay miz en la lettre du Roy les principaulx poinctz que, pour ceste heure, j'ay à fère entendre à Voz Majestez, mesmes de ce que, despuys dix ou douze jours, je me suys trouvé bien perplex pour les divers adviz que, coup sur coup, l'on m'a donné comme ceulx cy se préparoient à une déclaration de guerre ou à fère une ouverte entreprinse sur quelque endroict de vostre royaulme, qui n'a esté sans que j'aye miz peyne d'aprofondir le faict, et recercher, jusques dans les volontez et intentions de ceulx de ce conseil, ce que j'en debvois bien croyre, et puys le vous mander, premier que de vous mettre en plus de peyne que celle où je comprens bien que Vostre Majesté est meintennant pour rechasser le duc de Deux Pontz hors de la France.
Sur quoy Vostre Majesté considèrera ce que j'en mande au Roy; mais, oultre que desjà j'ay déposé une partie de la peur qu'on m'en donnoit, je vays encores ceste après diner m'en esclaircyr et confirmer davantaige avec ceste Royne, et avec les seigneurs de ce conseil, sur l'occasion de tretter avec eulx du contenu ez deux dernières dépesches que j'ay freschement receues de Voz Majestez, et, par mes premières, j'espère que je vous résouldray clairement du tout. Au moins espérè je avoir toutjour notice des aultres armemens que ceulx cy pourront fère de nouveau, oultre ceulx qu'ilz ont desjà en mer, premier qu'ilz puyssent estre en estat de les employer à quelque entreprinse. Au reste, je me doubte bien que j'auray à respondre à la dicte Dame sur ce que Mr. Norrys luy a mandé de la mort de Mr. Dandellot comme elle luy a esté avancée par poyson, et a escript que c'est ung Itallien Florentin, lequel en pourchasse inpudentment la récompense à Paris, qui se vante de l'avoir aussi donnée à Mr. l'Admyral et aultres, ce que l'on mect peyne de fère avoir en si grand horreur et exécration à ceste Royne, et aulx plus grandz de sa court, que j'entendz que, despuys cella, l'on a ordonné je ne sçay quoy de plus exprès en l'essay accoustumé de son boyre et de son manger, et a l'on osté aulcuns Italliens de son service, et est sorty du discours d'aulcuns des plus grandz qu'encor qu'il ne faille dire ny croyre que telle chose ayt esté faicte du vouloir ny du commandement de Voz Majestez, ny que mesmes vous le veuillez meintennant aprouver après estre faict, que néantmoins toutz princes debvoient dorsenavant avoir pour fort suspect tout ce qui viendra du lieu d'où telz actes procèdent, ou qui y sont tollérez; et s'esforce l'on, par ce moyen, de taxer et rendre, icy, odieuses les actions de la France; et croy qu'on en faict aultant ailleurs. Mais sur l'asseurance de ce que le Roy m'a escript, par sa lettre du xıııȷe du passé, de la mort du dict Sr. Dandellot, j'asseureray fort que ce qu'on dict du poyson est une calompnie, et que Voz Majestez ne serchent ceste façon de mort, mais bien l'obéyssance de voz subjectz, et de donner ung juste chastiement à ceulx qui présument de la vous dényer.
J'entendz que ung gentilhomme françoys, nommé le Sr. de Jumelles, est despuys hyer arrivé par deçà, vennant d'Allemaigne, par la voye d'Embourg, lequel dellibère passer en France et aller trouver le duc de Deux Pontz, pour luy porter quelque asseurance d'ung nouveau renfort et secours de la part du duc de Cazimir et aultres princes protestans. J'advertiray aulx passaiges de prendre garde à luy, et Vostre Majesté, s'il luy playt, commandera d'y avoir aussi l'œil dans le pays; et je prieray Dieu, etc.
De Londres ce xe de juing 1569.
La Royne d'Escoce se porte bien, et j'attandz, dans trois jours, ung des siens qu'elle dépesche devers Voz Majestez pour avoir la déclaration de Monseigneur vostre filz sur le tiltre qu'on luy objecte qu'elle luy a cédé du royaulme d'Angleterre.
(Plus a esté miz à la lettre de Mr. de l'Aubespine, du dict jour, par postile, que:—ayant ung peu eschauffé les seigneurs de ce conseil sur la pratique de continuer la paix et le commerce d'entre ces deux royaulmes, ilz m'ont envoyé les noms des merchans qu'ilz ont ordonné passer à Roan pour la dellivrance des biens des Anglois par dellà, avec asseurance que la Royne, leur Mestresse, me baillera lettre, signée de sa main, pour fère restituer aulx Françoys leurs biens, qui sont arrestez par deçà, au mesmes jour que le Roy, par lettre aussi signée de sa main, mandera fère la dellivrance aus dictz Angloys; dont vous prie, monsieur, pendant que les choses sont en quelques bons termes, envoyer, du premier, à Mr. le maréchal de Cossé ou à moy, une lettre de Sa Majesté, qui porte en substance ce qui est contenu en ce billet à part et je procureray en avoir aultant de la dicte Dame:
«Qu'il soit le bon playsir du Roy d'accorder une lettre, signée de sa main, portant promesse que tout ce qui est prins ou arresté, des biens des Angloix, en son royaulme, leur sera randu, et la réelle dellivrance leur en sera faicte, au mesmes jour et temps que la Royne d'Angleterre, sa bonne sœur, par aultre lettre aussi signée de sa main, déclairera que ce qui a esté prins et arresté en Angleterre ou qui s'y trouvera, en essence, apartenir aulx Françoys ou que iceulx Françoys monstreront et vériffieront sommairement leur apartenir, leur sera réallement restitué; et que Sa Majesté trouve bon que ce soit le xe de juillet prochain, 1569; et, au reste, que des prinses et pilleries qui ont esté commises, d'ung costé et d'aultre, Leurs Majestez feront mutuellement administrer justice à leurs communs subjectz jouxte la teneur des trettez.»
Passeront en France, pour tretter sur le relaschement des biens arrestez des Angloix, Richart Patrik, Thomas Waker, et Françoys Benysson, marchandz de Londres.)
XLIe DÉPESCHE
—du XVe jour de juing 1569.—
(Envoyée par Olyvier Champernon jusques à Calais.)
Nouvelles instances des protestants pour faire déclarer la guerre.—Entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth.—Efforts de l'ambassadeur pour convaincre la reine qu'il n'y a point de ligue formée contre sa religion.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle est certaine du contraire, mais qu'elle-même s'est liguée avec les princes protestants pour la défense de sa religion, et qu'elle n'a nul besoin de recourir aux armes.—Elle manifeste le désir de voir terminer les troubles de France par une nouvelle pacification.—Elle laisse entendre que le roi est trahi, et annonce que de nouvelles levées se font en Allemagne.—Heureux retour et désarmement de la flotte de Hambourg.—L'ambassadeur déclare qu'il a confiance dans le maintien de la paix, mais que l'on n'en doit pas moins se préparer à la guerre.—Refus fait à l'ambassadeur de lui laisser visiter l'ambassadeur d'Espagne.—Promesse d'Élisabeth de se montrer favorable à la reine d'Écosse.—Remontrances de l'ambassadeur pour assurer l'entière liberté du commerce avec la France, et faire interdire tout commerce avec la Rochelle.—Réponse du Conseil aux remontrances.
Au Roy.
Sire, suivant ce que, le xe du présent, j'ay escript à Vostre Majesté de certain adviz qu'on m'avoit donné que la Royne d'Angleterre vouloit rentrer en demandes sur le faict de Callais, et en atacher bien ferme une pratique, jusques à déclaration de guerre, par l'apuy des princes protestans, lesquelz on me disoit luy avoir promiz qu'ilz ne poseroient les armes qu'elle n'en eust quelque satisfaction, de tant que, sur le nom et crédit d'elle, il leur avoit esté forny de l'argent pour leur présente entreprinse; et entendant aussi qu'aulcuns remonstroient très instantement à la dicte Dame que, puysque les différans de la religion estoient sur le poinct d'une descizion par ung général faict d'armes, estant le duc de Deux Pontz desjà oultre la rivière de Loyre, qu'il estoit temps, pendant qu'il avoit l'avantaige, et que l'ocasion se offroit à elle, en faisant ses besoignes, de pouvoir aussi, sans aulcun dangier, moyenner une victoire, à tout le moins, ung bien asseuré establissement en sa religion, qu'elle se résolût ou de secourir, à ce coup, ouvertement, la cause, ou de se préparer aulx entreprinses des catholiques; desquelz elle sçavoit que la ligue estoit conclue et jurée, qui ne fauldroit de luy retumber bien tost sur les braz; et que, oultre ses persuasions, l'on luy en imprimoit encores d'aultres de la division et désordre qu'on luy asseuroit estre parmy voz principaulx capitaines et chefz d'armée; et qu'il n'estoit possible que vostre royaulme, en cest estat, peult tout à la foys résister aulx estrangiers et à ceulx de la Rochelle; j'ay bien vollu, Sire, pour m'esclarcyr de ce faict, après avoir, au contraire de tout ce dessus, miz peyne de disposer le mieulx que j'ay peu la dicte Dame et les principaulx d'auprès d'elle, luy aller expressément dire que Voz Majestez, par leurs lettres du xxvııȷe du passé et du xıȷe du présent, me commandiez de luy donner compte, non seulement de l'estat de voz présens affères, mais de ne faillir ordinairement l'advertir de l'entier succez qu'il plairra à Dieu vous y donner, soit bien, soit mal, estimant qu'ainsy le requiert le debvoir de vostre commune amytié, et que vous luy voulés monstrer par là de quelle confiance vous proposez vivre avec elle.
Et, ainsy, luy ay racompté que le duc de Deux Pontz a prins la Charité, non par deffault d'y avoir pourveu de bonne heure, ny que Mr. d'Aumalle n'ayt faict toute dilligence de la secourir, mais par le manquement d'aulcuns capitaines qui estoient dedans; et luy en ay racompté la façon sellon le contenu de voz lettres, et que Mr. d'Aumalle est desjà au devant de l'ennemy à Bourges et le marquiz de Bade joinct à luy avec deux mille chevaulx; et que Mr. de Nemours est prest de s'y joindre, avec d'aultres bonnes forces qu'il admène du Lyonnois, ayant recuilly, en chemyn, les deux mille chevaulx et quatre mille hommes de pied qui vous viennent d'Itallie; que Monsieur, frère de Vostre Majesté, s'est desjà aproché au Blanc, en Berry, avec ung renfort de trois mille cinq cens chevaulx et deux mille harquebuziers esleuz, de sorte que Vostre Majesté va mettre ensemble une des plus fortes et puyssantes armées qu'on ayt, long temps y a, veu en l'Europe; que Mon dict Seigneur, oultre ce dessus, a layssé bonnes forces en Guyenne pour empescher que ceulx de la Rochelle ne se puissent mettre en campaigne, ny rien entreprendre, ny les Viscomtes passer oultre pour se venir joindre au dict duc de Deux Pontz, comme on luy avoit promis qu'ilz feroient; et que, s'en allant Vostre Majesté à Orléans, pour estre plus près de voz forces, la Royne s'est advancée vers Mon dict Seigneur, vostre frère, pour résouldre, avec luy et avec les principaulx capitaines du camp, du temps, du lieu et de la façon qu'on combattra le dict duc; qu'au reste le cours de ceste guerre monstre bien meintennant que les catholiques n'ont poinct de ligue faicte entre eulx, car s'ilz en avoient, il est sans doubte que le pape auroit desjà dressé armée, soubz la conduicte de quelque prince d'Itallye, pour marcher contre les Allemans; que l'empereur eust gardé les dictz Allemans de sortir de leur pays, ou seroit meintennant en armes contre eulx; que le Roy d'Espaigne auroit, dez l'entrée du printemps, envoyé le duc d'Alve, comme Vostre Majesté avoit faict Mr. d'Aumalle, avec une puissante armée, sur les terres des princes protestans, ainsy qu'eulx ont bien ozé entrer en Flandres et en la Franche Comté; mais qu'elle voyoit bien que chacun y alloit pour son particullier, et que Vostre Majesté soubstenoit seul tout ce faiz, qui ne combatiez que pour le recouvrement de l'obéyssance de voz subjectz, laquelle Dieu vous feroit bien tost avoir: car c'estoit icy leur extrême remède; et j'espérois, Dieu aydant, que les premières nouvelles seroient d'une continuation de vostre victoire, aussi bien sur le dict duc, comme elle avoit esté heureusement commancée et poursuyvye sur les aultres.
Lequel propos, Sire, Vostre Majesté comprend assés pourquoy je le luy ay tenu en ces termes, sans que je l'expéciffie davantaige; et certes, la dicte Dame s'y est trouvée si bien disposée qu'après beaucoup de mercyemens de la faveur et démonstration de confiance que uzés envers elle, elle m'a respondu que je debvois croyre, sans aulcun doubte, qu'elle sentoit ung plus grand plésir que aulcuns, possible, ne pensent de ce que Voz Majestez avoient miz ung bon ordre et une bonne provision à bien asseurer leur estat et l'estat de leurs présens affères, desquelz elle ne vouloit ny la décadence, ny la ruyne; ains, quant il y en adviendroit, qu'elle n'en auroit guières moins de desplaysir que s'il mésadvenoit aulx siens propres, vous priant de croyre que vous ne la trouverez jamais contraire à la cause de vostre authorité; mais que, aultant que la dicte cause n'est séparée de celle de la religion, et qu'elle n'a jamais comprins que ceulx de la Rochelle vous veuillent desnyer ny contradire l'obéyssance qu'ilz vous doibvent, elle desireroit qu'en lieu d'une victoire, il vous succédât une bonne pacification avec voz subjectz, entendant, mesmement, qu'il se prépare nouvelles levées en Allemaigne pour renforcer le duc de Deux Pontz, ainsy que ung gentilhome, qui est naguières venu de dellà, l'affirme; et qu'elle estime que, demeurant ainsy les deux causes de la religion et de la rébellion meslées, et, jusques à ce que vous aurés miz peyne de les séparer, vous ne viendrez à boult ny de l'une ny de l'aultre, au moins tant qu'il y aura des princes protestans en estat; et, quant à la ligue des catholiques, qu'elle sçayt très certainement qu'elle est jurée et conclue, mais qu'avec les aultres princes de sa religion elle a très bien pourveu en son faict, tant y a que, pour son regard, elle ne s'est vollue mouvoir ny ne se mouveroit contre Vostre Majesté, tant qu'elle vous estimera combattre pour demeurer maistre dans vostre royaulme; aussi qu'il luy semble que la dicte ligue vous revient plus à dommaige que à proffict, car ne faict doubte que les aultres princes catholiques n'ayent promiz beaulcoup de choses à Voz Majestez Très Chrestiennes qu'ilz ne vous tiennent meintennant, et que ce leur est assés de veoir le feu bien allumé en vostre estat, qui l'esteinct d'aultant au leur, et d'y adjouxter toutjour matière pour plus fort l'embraser, finissant ainsy son propos par des parolles que je n'ay peu bien entendre, expéciffiant ce mot de trayson.
Je l'ay grandement remercyé de sa bonne et droicte intention envers Voz Majestez et de ses advertissemens, la supliant me dire qu'est ce qu'elle a vollu entendre par ce mot de trayson, car, pour évitter toute tache d'ung si détestable crime, j'estois obligé de réveller à Vostre Majesté ce que j'en orroys dire, et aussi qu'il luy pleût me dire si elle avoit nulle certitude qu'il se préparât une aultre descente d'Allemans en vostre royaulme.
Elle m'a respondu qu'elle m'avoit, quant au premier, parlé si clairement que, joinct ce que je voyois du cours de ceste guerre, je pouvois assés comprendre ce qu'elle vouloit dire; et, pour le regard du second, qu'elle ne me pouvoit encores bien asseurer de ce qui en estoit, mais qu'elle feroit examiner encores ce gentilhomme venu freschement d'Allemaigne, et puys me manderoit ce qu'on auroit aprins de luy. Le dict gentilhome est le Sr. de Jumelles, duquel, en mes précédantes, je vous ay faict mencion.
Après, j'ay faict ung bien exprès mercyement, avec offre, de vostre part, à la dicte Dame pour sa démonstration d'avoir trouvé mauvais ce qui avoit apareu de la levée des Flamans et des rafreschissemens qu'on disoit vouloir porter à la Rochelle, la supliant, puysqu'elle avoit bien pourveu à interrompre ces deux mauvais exploictz, qu'elle vollût aussi fère cesser celluy, dont je luy avois naguières parlé, de ses agentz en Allemaigne.
A quoy m'a respondu que moy mesmes me pourray bien tost esclarcyr de ce faict au retour de Quillegrey, qui sera de brief par deçà, et qu'elle luy commandera de me venir donner compte de ce qu'il a dict et faict concernant vostre service en Allemaigne.
Et ainsy, Sire, il semble que ceste princesse est pour se laysser encores quelque temps conduyre à n'entreprendre rien ouvertement contre Vostre Majesté; mesmes, j'entendz que, despuys ma dicte audience, il a esté escript une lettre par les seigneurs de son conseil, au nom d'elle, à Me. Ouynter, comme elle luy gratiffie le debvoir qu'il a faict à bien conduyre la flotte de ses merchans en Hembourg, et d'y avoir layssé deux de ses grandz navyres pour la reconduyre, estant bien ayse que, à l'aller et au retour, il n'ayt eu aulcun mauvais rencontre, et qu'il ayt ainsy gracieusement tretté les pescheurs flamans qu'il a trouvez en mer, qui se sont venuz soubzmettre à luy, et de leur avoir notiffié la charge qu'elle luy avoit donnée de les conserver plus tost que de leur nuyre; qu'au reste, il ayt à reconduyre les cinq vaysseaulx, qu'il a ramenez, dans leur arsenal accoustumé de la rivière de Rochestre, et licencier les hommes, après leur avoir faict bailler argent par le trésorier de la maryne, qui a commission de les payer: ce qui monstre, Sire, qu'ilz n'ont, à présent, aulcune entreprinse en main; et m'ont donné quelque satisfaction, par escript, à la façon de Me. Cécille, sur une réplique que j'avois baillée à leurs responces, dont Vostre Majesté verra le tout. Tant y a qu'on remonte beaulcoup d'artillerye dans la Tour, qu'on en charge ung nombre sur des vaysseaulx, ensemble de bouletz, pouldres, corseletz, piques et aultres monitions de guerre; et bien qu'on dyse que c'est pour porter à l'isle d'Ouyc, Porsmue et ez isles de Gerzé et Grènezé, où à la vérité l'on édiffie de nouveaulx fortz, néantmoins ce temps me faict toutjour souspeçonner quelque malle entreprinse de ceulx cy, pour la pratique qu'ilz ont avec ceulx qui sont en armes dans vostre royaulme, Allemans et Françoys. Dont vous suplie très humblement, Sire, ne laysser vostre coste de deçà desgarnye; et je suplieray le Créateur, etc.
De Londres ce xve de juing 1569.
J'entendz qu'il a esté envoyé ung passeport au Sr. de Sethon en Escoce pour venir icy, et semble qu'il veult passer en France. Le Sr. de Bortyc, escuyer de la Royne d'Escoce, partira jeudy prochain pour aller trouver Vostre Majesté.
A la Royne.
Madame, le doubte en quoy l'on m'avoit miz que la Royne d'Angleterre se vouloit déterminer à la guerre, ainsy que, par mes précédantes, je le vous ay mandé, a esté cause dont j'ay esté, naguières, devers elle à Grenuich, pour sonder, par divers propos, ce qu'elle en avoit en opinion; et de tant que le sommaire des dictz propos, avec sa responce, est en la lettre que j'escriptz au Roy, laquelle responce je suplie Vostre Majesté vouloir entendre, car elle me l'a faicte fort considéréement et avec grand affection, je ne la réciteray, icy, de nouveau, seulement je y adjouxteray, Madame, qu'ayant toutjour miz peyne d'entretenir ceste princesse en quelque craincte de guerre, aussi bien qu'en une grande espérance de paix du costé de France, sellon qu'elle se vouldroit bien ou mal déporter envers Voz Majestez, il a succédé qu'avec la naturelle inclination qu'elle a d'évitter affères et despence, et par l'assistance d'aulcuns principaulx d'auprès d'elle, nous avons diverty, jusques à ceste heure, la déclaration de guerre où l'on s'est tant esforcé de la fère entrer. Je ne sçay dorsenavant que pourra produyre le temps, ny si la multiplication des affères de vostre royaulme et l'entreprinse qu'a faict le duc de Deux Pontz d'entrer si avant en pays, et les aprestz qu'on dict qui se font en Allemaigne pour le renforcer, et ce, qu'on ne voyt mouvoir que fort froidement les aultres princes catholiques à ceste entreprinse, fera monter quelque nouvelle entreprinse au cueur de cette princesse; car vous sçavés, Madame, ses prétentions, et je vous puys asseurer qu'elle est merveilleusement persuadée et sollicitée de les poursuyvre meintennant. Elle a de l'argent et est après à lever encores ung emprunct, elle a ses navyres aulcunement prestz, assés d'armes, d'artillerye et monitions de guerre prestes, la monstre s'est, despuys ung moys, faicte en ce royaulme, ses intelligences sont establyes avec les princes d'Allemaigne et avec ceulx de la Rochelle, et, dict on qu'il y a une levée de reytres preste pour elle, quant elle vouldra; mais l'espérance que j'ay, après Dieu, est en la prospérité et bon succez de voz affères, d'où je sens bien que de là dépendra toutjour le mouvement de ce royaulme, et je mettray bien peyne, aultant qu'il me sera possible, que vous n'en ayés du tout point de mal, au moins qu'il vous en viègne le moins que fère se pourra.
Et, quoy que soit, ilz ne pourront, quel présent apareil qu'ilz ayent, estre si soubdains en leurs entreprinses, que je ne vous donne toutjour, tout à temps, advertissement de ce qui debvra sortir d'icy, pour y pouvoir remédier. Et, à présent, grâces à Dieu, les choses vont encores assés bien, ainsy que je le mande en la lettre du Roy, avec espérance de les fère encores mieulx porter, s'il ne survient mutation, chose qui est fort ordinaire en ceste court; mais je vous donray plus grand confirmation du tout par ung des miens, que j'envoyeray bien tost devers Voz Majestez, ne voulant cependant, Madame, obmettre de vous dire que pour taster en quelle disposition est ceste princesse sur les affères des Pays Bas, esquelz j'entendoys qu'on trettoit accord, je luy ay demandé congé de pouvoir fère ung honneste debvoir de visitation envers l'ambassadeur d'Espaigne, affin de n'estre veu manquer, de ma part, à ce que l'étroicte amytié et alliance d'entre noz deux maistres nous oblige mutuellement l'ung à l'aultre; ce que la dicte Dame a vollu différer de m'accorder: mais, enfin, elle m'a octroyé de l'envoyer visiter par ung des miens, en ce que je luy donroys charge dire au dict sieur ambassadeur que la deffance, qu'elle m'en a faicte jusques icy, a esté pour avoir trop de quoy se plaindre de luy, mais qu'elle me le concède meintennant pour ne fère tort à mon office: et ainsy, je l'ay envoyé visiter avecques toutes bonnes parolles, qui néantmoins ont esté dictes en présence du gentilhomme qui le garde.
J'ay aussi, de la part de Voz Majestez, vifvement insisté à la dicte Dame qu'elle veuille poursuyvre sa bonne et vertueuse dellibération sur le restablissement de la Royne d'Escoce. A quoy elle m'a promiz d'y mettre la main à bon escient, et qu'elle n'attend que quelques depputez, qui doibvent venir d'Escoce, pour y commancer. Ung navyre, d'un certain merchant escouçoys, nommé Cabran, qui alloit porter des armes, de l'artillerye et des monitions de guerre au comte de Mora a coru en fons, près de Neufchastel. De quoy aulcuns, icy, sont bien marrys, aultres en sont bien ayses, et samble que les affères de la Royne d'Escoce vont plus en amandant que empirant, qui est tout ce que, pour le présent, je diray à Votre Majesté. Et sur ce, etc.
De Londres ce xve de juing 1569.
L'ambassadeur de France a la Royne d'Angleterre, touchant les responces qui lui ont esté faictes sur sa dernière remonstrance, du xxve d'apvril 1569.
Je n'ay peu, ny vollu, doubter que Vostre Majesté n'ayt pareille estime de l'amytié du Roy, Mon Seigneur, que le Roy l'a toutjour eue de la vostre, estant les deux cogneues importer grandement au proffict et utillité de l'ung et de l'aultre.
Ce qui m'a faict ozer franchement requérir Vostre Majesté qu'il vous pleût donner ung semblable tesmoignage de vostre amytié envers le Roy, au proffict de ses subjectz, que le Roy au proffict des vostres en a, naguières, par son ordonnance, du xıııȷe d'avril dernier, donné ung bien exprès de celle qu'il vous porte;
Ayant Sa Majesté Très Chrestienne espéciallement, et oultre la généralle mencion de ses alliez et confédérez, mandé qu'on ayt à asseurer la mer et le commerce par tout son royaulme, nomméement aulx Anglois, et leur rendre, et restituer, tout ce qui se trouvera avoir esté prins et arresté sur eulx despuys ces troubles;
Là où l'ordonnance, que Vostre Majesté a faicte, du xxvıȷe d'avril ensuyvant, bien qu'on m'allègue qu'elle pourvoit suffizamment aulx Françoys, ne porte toutesfoys rien de plus expécial pour leur asseurer la mer et le commerce par deçà, que pour ceulx mesmes qui sont excluz d'y venir, tant elle est généralle pour toutz navigans;
Ny ne pourvoit aulcunement à la restitution des biens, qui ont esté ostez aus dictz subjectz du Roy et menez en ce royaulme;
Et aussi peu leur diminue l'opinion que, pour l'occasion des violences et mauvais déportemens d'aulcuns Anglois, et d'aultres, qui ont faict leur retrette en Angleterre, ilz se sont imprimez de quelque ropture de paix, despuys six moys, du costé de ce royaulme; mesmes que, nonobstant la dicte généralle ordonnance, l'on ne laysse de les piller encores toutz les jours, ce qu'ilz estiment n'adviendroit, s'il estoit mandé d'asseurer nomméement la mer et le commerce aulx Françoys.
Dont semble que, nonobstant ce qu'on m'a respondu que les œuvres et non parolles estoient requises en cest endroict, qu'il y a aussi besoing de quelques bonnes parolles de déclaration, de Vostre Majesté, pour les Françoys, comme il y en a desjà, de la part du Roy, pour les Anglois; affin d'oster aulx ungs et aulx aultres toute ceste opinion de guerre, que les malles œuvres, exécutées contre les subjectz du Roy, et trop tollérées, et dissimulées aulx aultres, leur a imprimé; et pour obvier aussi au mal que, si l'on en demeure encores là, il s'en pourra ensuivre d'ung costé et d'aultre.
Et y a besoing aussi d'une déclaration et promesse en la parolle de Vostre Majesté, que ce qui a esté osté, emporté ou aultrement arresté, par deçà, aulx subjectz du Roy, leur sera randu, ainsi que la justice vous en sera requise, jouxte les chapitres de la paix, et que ceulx qui s'en trouveront saysiz, ou coulpables, y seront contrainctz par la voye de la mesme justice;
Acceptant l'offre de punition et chastiement contre ceulx qui, au partir de voz portz, vont courir jusques dans ceulx du Roy, qui s'esforcent d'allumer la guerre entre ces deux royaulmes, suyvant lequel offre vous plairra commander qu'il soit décerné prinse de corps contre ceulx que, sur juste plaincte, je nommeray cy après à Vostre Majesté.
Et, au regard de ce qu'on met en doubte de pouvoir persuader aulcuns Anglois de passer en France, pour aller assister à la dellivrance des biens de voz subjectz par dellà, comme Vostre Majesté le trouve bon et qu'il en vienne, au semblable, de France par deçà, je ne sçay où l'on fonde ceste difficulté; car il y en va et vient assés, toutz les jours, sans empeschement aulcun, et ceulx de voz subjectz qui conversent bien en France, n'y reçoipvent que toute faveur et gracieuseté.
Quant aulx choses nécessaires, qu'on va de vostre royaulme quérir à la Rochelle, il vous plairra accepter simplement, et sans condition, l'offre que le Roy vous faict d'accommoder de mesmes Vostre Majesté, et voz subjectz, en telz aultres endroicts de son royaulme, qui présentement luy obéyssent, qu'il vous plaira choysir, avec tout bon et favorable trettement.
En quoy la communication du contract, faict avec ceulx de la Rochelle, laquelle Vostre Majesté m'a promise, semble estre bien nécessaire affin de fère pourvoir voz dictz subjectz des mesmes accommodemens, ou des plus semblables qu'il sera possible de trouver, là où ilz yront; et n'y a lieu de craindre que, descouvrant la teneur du dict contract au Roy, il coure sur le marché de ceulx qui l'ont faict, car ce n'est rien qui convienne à sa grandeur: mais, quant bien il y debvra courir quelque intérest, Vostre Majesté, s'il luy playt, ne l'estimera tant qu'elle ne mette en beaulcoup plus grand compte l'amytié du Roy et le contantement qu'elle luy pourroit donner en cella, qu'il ne peult avoir que bien fort suspect et odieulx le dict commerces de la Rochelle, m'ayant mandé que les aultres commerce de son royaulme ne pevuent compatir avecques celluy là, dont vous prie le fère cesser, et joyr de celluy que libérallement il vous offre.
Responce du Conseil d'Angleterre à certain escript de l'ambassadeur de France envoyé au dict Conseil le xxxe de may 1569.
Le dict escript contenoit certains et divers articles, sur la plus part desquelz responce a esté faicte, et toutesfoys il a esté trouvé bon de répliquer ce qui s'ensuyt:
Que, ayant la Majesté de la Royne, à l'instance du dict ambassadeur, faict publier une proclamation, du xxvıȷe d'avril, pour le révoquement de toutz les pirates, dedans laquelle le dict ambassadeur, comme il se peult veoir par sa responce, vouldroit qu'il y eust déclaration plus expécialle pour les subjectz du Roy et qu'il y fût faicte expresse mencion des Françoys;
Si la dicte proclamation a esté bien considérée, il y a suffizante provision ordonnée pour la seureté tant des subjectz du Roy de France que des aultres princes, trafficans et hantans les mers, tellement qu'on ne peult penser comme le dict ambassadeur vouldroit que en cella on pourveût mieulx, si ce n'est qu'on réytérât de nouveau la dicte proclamation en aultre forme de langaige et parolles, chose qui pourroit causer argument de négligence, et qui contreviendroit nomméement aulx coustumes et usaige de ce royaulme, où on n'a de coutume de publier toutz les jours de nouvelles proclamations, comme on faict en aultres pays, où, pour l'usage, cella est trouvé bon; et toutesfoys, quelque deffault que le dict ambassadeur trouve estre en la dicte proclamation, si est ce que, estant suffizante et l'intention de Sa Majesté bonne et droicte, comme elle est, il trouvera, par exécution, prompt remède à toutes les particullières complainctes qu'il fera.
Le second poinct auquel il veult estre respondu, c'est en ce qu'il demande qu'on choysisse deux personnes pour aller d'icy en Normandie, et que deux aultres viennent de dellà icy, pour procurer la délivrance des biens des subjectz arrestez et dettenuz de toutz les deux costés, laquelle chose a toutjour esté trouvée raysonnable; mais les troubles, qui sont en France, sont manifestement cogneuz estre si dangereux pour les Anglois, mesmement pour fère séjour en Normandie et aultres lieux, où journelle persécution est faicte, que, jusques icy, on n'a sceu induyre deux personnes, propres pour ce faict, à prendre ceste charge, pour craincte de leurs vies et deffiance de prompte justice. Néantmoins on esprouvera de nouveau, sur l'asseurance que le dict ambassadeur offre bailler pour leur seureté, s'il se pourra recouvrer deux personnes, encores qu'ilz ne soyent telz comme ilz doibvent estre, mais telz qu'on les pourra trouver, qui puissent estre persuadez d'aller en Normandie exposer les plainctes des subjectz de la Royne à ce que, ainsy qu'ilz feront raport de la justice et restitution qui se fera en Normandie et aulx aultres endroicts de France, on face le semblable en ce royaulme à ceulx qui y seront envoyez de la part du Roy; et incontinent qu'on pourra trouver les dictz personnaiges, le dict ambassadeur en sera adverty. Cependant il seroit bon que le dict ambassadeur considérât, comme on luy a souvantes foys dict, la différence des griefs et plainctes des deux costez, car la complaincte, de la part d'Angleterre, est que, journellement, les marchans anglois, leurs navyres et biens, sont prins et arrestez en France par les gouverneurs des places où ilz arrivent, et, de l'aultre costé, les plainctes des Françoys sont des navyres et merchandises qui ont esté prinses sur mer, partie par les Françoys, de leur propre nation, à cause de leurs guerres civilles, et partie, ainsy que l'on dict, par quelques Anglois, adhérans aus dictz Françoys, d'ung costé ou d'aultre. Pour à quoy obvier, la Majesté de la Royne, tant par sa proclamation que aultrement, a deffandu à toutz ses subjectz de se mettre en mer, excepté ceulx qui sont advouhez d'elle mesme, et les merchans et pescheurs; et est notoire au dict ambassadeur en combien de places de ce royaulme, à sa requeste, on a faict, despuys naguières, restitution de grande quantité de biens, qui ont esté trouvez aulx portz et hâvres, ou de la valleur d'iceulx, sur les preuves qui ont esté faictes comme ilz appartenoient aulx Françoys. Il y a heu si facille et prompte restitution que, sur l'arrest des navyres des subjectz du Roy d'Espaigne, y en ayant heu quelques ungs que les Françoys disoient estre à eulx, encores qu'ilz eussent esté premièrement arrestez comme apartenans aulx Espaignolz, ilz leurs ont esté toutesfoys promptement délivrez, combien [que] despuys il ayt [été] trouvé qu'ilz apartenoient aulx subjectz du Roy d'Espaigne. Et aussi le dict ambassadeur entendra qu'il n'y a aulcuns biens des subjectz du Roy de France qui soient détenuz ou arrestez en tout ce royaulme par le commandement de Sa Majesté, ny de la cognoissance de son conseil, ny par authorité advouhée d'aulcun officier, excepté seulement en une petite place, où il y a eu séquestration de certains vins, à la requeste de Thomas Baker de Brighthempton, ce qui est notoire au dict ambassadeur par les plainctes que le dict Baker luy a faictes d'une manifeste injustice qu'on luy fit, l'an passé, en Bretaigne; là où, d'autre part, il y a tant de complaincte des subjectz d'Angleterre pour leurs navyres et biens, arrestez tant à Bourdeaulx que à Brest, Roan et Calais, qu'il semble qu'on ne doibve avoir aulcune espérance d'esgalle et franche restitution; et n'y a ordre qui peult tant contanter les subjectz d'Angleterre, comme une mutuelle restitution des deux costez, en quoy le travail du dict ambassadeur ne pourroit estre que bien loué, et y sera faict le semblable de la part de la Majesté de la Royne et de son conseil.
Le dernier article de l'escript du dict ambassadeur est que les merchans anglois qui ressortent à la Rochelle présentement, pour leurs commoditez desquelles ilz ont desjà faict marché, soyent divertiz de leur traffic pour l'exercer en aultres lieux de la France, à cause de quoy le dict ambassadeur a requis d'avoir communication du marché que les dictz merchans anglois ont faict avecques ceulx de la Rochelle, affin qu'on peult veoir et penser de pourvoir pour le semblable, s'il estoit possible, en aultres places pour la commodité des dictz Anglois.
Pour responce à cella, l'ambassadeur ne doit ignorer que la nature des merchans ne soit telle de fère leur traffic, d'eulx mesmes, sans persuasion ny commandement, aulx places où ilz peuvent trouver les commoditez qu'ilz desirent, et à meilleur marché. Par ainsy, d'aultant qu'il a esté toutjour trouvé que nulle part de la France a jamais sceu accommoder les Anglois de sel, sinon la Rochelle et aultres places circonvoysines, les dictz merchans anglois y ressortent, seulement pour ceste commodité, comme ilz ont dict, quant on les en a enquis. Et n'y a aultre remède en cella, sinon que, si le Roy peult trouver aultre place, commode pour la trafficque d'eulx et leurs navyres, et où les dictz Anglois puissent estre bien trettez, et avoir le sel à moindre et pareil priz qu'à la Rochelle, il n'y a nul doubte que, le marché qu'ilz ont faict pour ceste année finy, ilz ne soyent contantz d'y aller, et pour plus grand contantement du Roy, si aultrement ilz ne le veulent fère, ilz y seront induictz par les bons et raysonnables moyens qu'il convient à chacun prince d'uzer envers ses subjectz merchans.
XLIIe DÉPESCHE
—du XXIe de juing 1569.—
(Envoyée jusques à la Court par le Sr. de Sabran.)
Grand armement fait en Angleterre.—Exclusion générale de commerce prononcée par le roi de Portugal contre les Anglais, en représailles de lettres de marque délivrées par la reine.—Craintes que l'armement, qui semble dirigé contre le Portugal et l'Espagne, ne le soit en réalité contre, la France, malgré les assurances de paix et d'amitié données par la reine et son conseil.—Mémoire général sur les affaires de France, d'Espagne et d'Écosse.—Motifs qui justifient les craintes de l'ambassadeur.—Résolution du conseil d'Angleterre de tenir le royaume en armes afin de pouvoir profiter de tous les évènements qui pourraient survenir en France.—Élisabeth exige le serment, comme chef suprême de l'église anglicane.—Efforts des catholiques pour prévenir une déclaration de guerre.—Détails donnés par Élisabeth à l'ambassadeur sur la ligue formée entre les princes catholiques pour la dépouiller de son trône.—État des différends entre l'Angleterre et les Pays-Bas.—Mission secrète d'Eschiata auprès de sir William Cécil.—Opposition du duc de Norfolc et du comte d'Arondel aux arrangements proposés par sir Cécil.—Négociations entre les principaux seigneurs du conseil pour arrêter les conditions d'un accommodement.—Nouvelle que l'ambassadeur d'Espagne ne tardera pas à être délivré de ses gardes.—Les affaires de la reine d'Écosse restent toujours en suspens devant le conseil.—Espoir de sa prochaine délivrance.—Ses droits à la couronne d'Angleterre comme étant la plus proche héritière d'Élisabeth.—Conditions de l'accord proposé pour assurer son rétablissement en Écosse.—Lettre d'Élisabeth à Marie Stuart, sur la maladie subite qu'elle a éprouvée, et sur la cession qu'elle est accusée d'avoir faite de ses droits au trône d'Angleterre.
Au Roy.
Sire, sur quelque soubdaine résolution, que despuys trois jours ceste Royne et ceulx de son conseil ont prinse, ilz ont envoyé leur admyral à Gelingan radresser l'armement et équipage des navyres de guerre, qu'ilz avoient desjà cassé, et encores ung plus grand, à ce qu'on dict, qu'ilz n'en ont heu de ceste année, et font lever à dilligence des marinyers, et s'entend que Me. Ouynter est desjà commandé se tenir prest pour se remettre, du premier jour, en mer.
Je n'ay peu encores au vray descouvrir à quoy tend leur entreprinse; car, d'une part, l'on me dict que c'est contre les Portugois, de tant qu'ayant le Roy de Portugal naguières faict proclamer en son royaulme une généralle exclusion de tout commerce avecques les Anglois, à cause d'une lettre de marque que ceste Royne a baillée contre ses subjectz, et ayant nécessairement à envoyer ung grand nombre d'espices et aultres merchandises de Lisbonne en Envers, pour lesquelles plus seurement conduyre ceulx cy entendent qu'il faict équiper en guerre bon nombre de vaysseaulx, nomméement contre eulx; eulx, de leur part, se dellibèrent, en toutes sortes, de luy empescher le passaige de ceste mer estroicte. Aultres disent que c'est contre le duc d'Alve, lequel, s'aprestant d'envoyer de Flandres en Espaigne une flotte bien riche, et en attendant une aultre semblable d'Espaigne pour Flandres, et voulant, pour la conserve de toutes deux, mettre bon équipage sur mer, ceulx cy veulent opiniastrément s'oposer à toute sa navigation jusques à ce que leurs différans seront accommodez.
Mais, parce que j'ay trop plus à cueur les choses de France que celles là, je crains toutjour que les mouvemens et aprestz, que ceulx cy font, soyent pour s'y adresser, et j'ay quelques ocasions de le souspeçonner à ceste heure, qu'ilz voyent Vostre Majesté empeschée ailleurs, et que ceulx de la nouvelle religion, Allemans et Françoys, mènent plus vifvement leurs pratiques en ceste court qu'ilz n'ont encores faict, et qu'on a avallé ces jours passez de l'artillerye hors de ceste rivière vers Porsemue, comme pour l'avoir plus preste pour quelque entreprinse sur la coste de France, et qu'il est à croyre que mal ayséement se sont ceulx cy miz à advancer ce qu'ilz ont desjà baillé d'argent aux dictz Allemans et à ceulx de la Rochelle, sans avoir merchandé quelque chose pour eulx. Ce que je suplie très humblement Vostre Majesté prendre pour ung advertissement de tenir les capitaines et gouverneurs de vostre frontière, qui regarde ce royaulme, aperceuz de se tenir sur leurs gardes, tant qu'on sera ainsy en armes, comme l'on est par deçà, et à Mr. le maréchal de Cossé de fère toutjour quelque démonstration qu'il a assés de forces pour secourir les places, et pour garder le pays de s'eslever, et ceulx cy d'y rien entreprendre, comme certes, Sire, il n'est besoing qu'il en soit desgarny, non que pour cella je vous veuille encores si tost mettre en doubte d'une ouverture de guerre de ce costé; car les parolles et promesses, que ceste Royne et ceulx de son conseil me donnent toutz les jours, sont bien fort au contraire: mesmes l'on m'a asseuré que certaine entreprinse, qu'on avoit miz en avant à la dicte Dame, de lever quatre mille reytres et six mille Allemans, pour les fère marcher, à tiltre d'une armée, en son nom, pour la deffance de sa religion, a esté interrompue ou au moins différée; mais leurs secretz aprestz, et les propos que j'entendz qu'aulcuns d'eulx tiennent, monstrent qu'ilz desireroient bien que quelque exploict se peult fère au proffict de ce royaulme, avant que les armes se viennent à poser, affin de fère veoir que l'argent, qu'ilz ont faict débourcer pour ceste guerre, n'a esté mal employé, ny leurs desseings mal venuz, sans toutesfoys que leur Mestresse en commande rien, affin d'avoir le désadveu plus prest, si l'entreprinse ne succède bien. A quoy je prendray garde, du plus prez que je pourray, et de vous advertir à temps, nonobstant leur soubdain aprest, de ce qui sortira de ce royaulme; mais, affin de vous donner plus grand notice de toutes choses qui passent icy meintennant concernant vostre service, je vous envoye ung des miens, le Sr. de Sabran, présent pourteur, pour les vous réciter fidellement, mesmement celles qu'il est meilleur entendre de parolle que les mettre par escript; auquel, s'il vous playt, donrez entière foy, dont m'en remettant à luy, je prieray pour le surplus le Créateur, etc.
De Londres ce xxȷe de juing 1569.
A la Royne.
Madame, se conduysant la Royne d'Angleterre et son conseil sellon l'évènement des affères qu'elle entend de ses voysins, et non sellon le fondement des siens propres, il advient qu'elle change, quasi toutes les sepmaines, de delliberation, qui n'est sans que cella me mette souvent en doubte si je doibz espérer paix ou guerre de son cousté; ainsy qu'à présent elle monstre vouloir remettre quelque grand équipage sur mer, comme je le mande en la lettre du Roy, là où il n'y a que huict jours qu'elle a cassé celluy que Me. Oynter avoit ramené de Hembourg, et n'y a que six jours qu'elle m'a tenu ung propos de grande et bien asseurée paix avec toutz ses voysins; et je sçay que la résolution en avoit auparavant esté prinse telle en son conseil, mesmes pour le regard de Voz Majestez, après que, par plusieurs paroles, m'a heu fort expressément asseuré de sa droicte intention envers icelles, elle m'a monstré approuver grandement la vertu et grandeur de cueur de Vostre Majesté en tout ce qu'elle faisoit pour conserver l'estat et aucthorité du Roy, son filz, bien qu'elle me dict avoir grand regrect que vous n'eussiez, du commancement, résisté aulx conseilz et persuasions de ceulx qui, pour se mettre hors du dangier, vous avoient faict entrer dans icelluy, mais que, de sa part, elle ne seroit de si mauvaise conscience que de le vous acroistre, adjouxtant plusieurs bonnes parolles de la grand espérance, qu'elle prenoit, de l'establissement des affères du Roy, de la confirmation de sa grandeur et d'une merveilleusement bonne opinion de sa magnanimité, bonté et vertu, sellon ung discours, que son ambassadeur luy en avoit naguières escript, et pareillement de la valleur et grand estime, que Monseigneur vostre filz s'estoit acquise despuys ung an, qui avoit randu si cellèbre son nom qu'elle n'en voyoit aulcun qui fût pour le surpasser en l'Europe, et qu'il correspondroit au premier nom qu'il avoit d'Allexandre; racomptant aussi les grandz forces qui estoient meintennant en France, et me respondit, au reste, si conformément à la paix sur toutes mes remonstrances, que j'ay eu occasion d'espérer qu'aulmoins elle ne vous déclaireroit la guerre; et, bien que ce nouvel armement, qu'elle a commandé despuys trois jours, soit ung advertissement de ne s'y fyer que bien à poinct et d'inciter Vostre Majesté à fère sonnieusement advertir les capitaines et gouverneurs des places, qui sont sur la mer, de se tenir sur leurs gardes, si espérè je qu'ilz ne pourront estre si soubdains en leurs entreprinses, qu'on ne s'aperçoive assés à temps des aprestz qu'ilz feront, s'ilz en veulent exécuter quelcune d'importance.
J'envoye exprès ce gentilhomme, Sr. de Sabran, pour vous aller donner bon compte du tout et mesmes d'ung adviz, en particullier, sur les choses que, cy devant, je vous ay mandées, où il semble qu'il fault procéder fort considéréement, à tout le moins ne se haster de rien pour encores; auquel me remettant, et vous priant luy donner foy, je n'adjouxteray, pour le surplus, qu'une prière à Nostre Seigneur, etc.
De Londres ce xxȷe de juing 1569.
L'on me vient, à toute heure, requérir de certitude sur les choses de France, estant ce royaulme en grand suspens sur icelles, et sur ce qu'exploictera le duc de Deux Pontz; il plairra à Vostre Majesté me fère donner adviz comme il vous playt que j'en réponde.
MÉMOIRE BAILLÉ AU Sr. DE SABRAN.
Pour plus grand notice de ce qui passe meintennant en Angleterre, oultre le contenu de la dépesche, le dict Sr. de Sabran dira à Leurs Majestez:
Que la Royne d'Angleterre et les siens ont grandement le cueur aulx choses de France, et semble qu'ilz proposent de régler les leurs sellon l'évènement que icelles prendront.
Mais ne se peuvent bien résouldre de ce qu'ilz en doibvent espérer, ny si l'yssue de noz guerres sera un commancement à eulx d'y entrer, par ce qu'ilz l'ont recherché, dont demeurent en suspens s'ilz s'y doibvent présentement mesler ou non.
Et publient assés ouvertement qu'à la juste occasion qu'ilz en ont, il se offre meintennant de beaulx moyens pour fère leur proffict, lesquelz, pour estre notoires et les avoir desjà plusieurs foys mandé par mes aultres dépesches, je n'en metz icy aultre chose sinon qu'ilz sont fort instiguez et sollicitez par ceulx de la novelle religion, Allemans, Françoys, Flamans et naturelz Anglois, de n'en différer l'entreprinse.
Je me suys contre cella, jusques à ceste heure, servy de certaines raysons et moyens pour les arrester, sellon l'inclination, que j'ay cogneue en ceste princesse, de vouloir évitter affères et despence, luy proposant l'utillité de la paix avecques le Roy, et les dommaiges qui luy viendront de la rompre, et qu'elle n'y pourra rien gaigner, sinon une mauvaise estime de l'infraction des trettez et de se déclairer pour une cause, qui ne convient à nul Prince Souverain. Je m'y suys aussi conduict sellon que j'ay veu qu'elle s'estoit attachée ailleurs, et estoit venue en quelque deffiance des siens, me servant, entre deux, pour le service du Roy, de l'une et l'aultre occasion, le plus sagement que j'ay peu.
Et ay miz peyne que les opinions de ceulx de son conseil, qui en aultres choses sont bien souvant différantes, se soyent toutjour unyes et conformées ensemble à la continuation de la paix avecques le Roy.
Dont, encor que aulcuns, despuis que le duc de Deux Pontz a heu passé la rivière de Loyre, se soyent volluz rétracter et proposer la déclaration de la guerre comme très oportune, et bien fort utille à ceste princesse et à son royaulme, il a esté donné ordre qu'il leur a esté fermement contradict; et de tant que, dans le dict conseil, l'on cognoit, ung à ung, ceulx qui sont pour la paix et ceulx qui tiennent pour la guerre, et qu'il n'a encores mal prins à nul d'eulx, ny nul n'a esté plus mal veu, pour avoir librement opiné ce qui luy en sembloit, la partie s'y est trouvée si forte que, si les bien affectionnés ne l'ont peu gaigner, les mal affectionnez aussi ne l'ont emportée.
Mais pour aultant, qu'avec la déduction de la guerre contre la France, il a esté besoing d'y mesler des choses, concernant les aultres estatz voysins et l'estat aussi de leur propre pays, j'entendz qu'il a esté advisé de mettre le tout en suspens et en surcéance jusques à ce que le temps leur monstrera plus à clair ce qu'ilz auront à fère, qui est signe qu'enfin ilz se gouverneront sellon le succez des choses de France; desquelles ce que j'y espère de mieulx et de plus seur, pour le regard de ceulx cy, ne dépend, certes, que de la propre prospérité du Roy.
Cependant, voicy ce que, par prétexte de pourvoir à la seurté de ceste princesse et de sa couronne, les dictz [seigneurs] du conseil, qui ne s'y ozent monstrer contradisans, bien que souvant ilz employent le mesmes prétexte à fère diversement réuscir les choses qu'ilz desirent ou veulent évitter, et quelquefoys au préjudice les ungs des aultres, ont présentement arresté:
C'est que ung armement et apareil de guerre sera tenu en estat pour s'en pouvoir servir à toutes les heures qu'on vouldra;—qu'on se pourvoirra de deniers;—que les pratiques et intelligences avec les princes d'Allemaigne s'entretiendront;—que la fortiffication des portz et de la frontière, despuys Germue viz à viz de Zélande, jusques à Arondel, qui est au droict du Hâvre de Grâce, se continuera, mesmement celle de Porsemue et de l'isle d'Ouyc, pour la craincte de la France;—et que ung nombre de nouveaulx fortz se dressera en Irlande pour craincte de l'Espaigne.
Il a esté expédié plusieurs commissions pour continuer à fère les monstres par tout le royaulme, et se pourvoir d'armes, nomméement d'hacquebuttes, à tout le moins d'une en chacune maison, et mandé très expressément, à toutes les villes et principaulx lieux, de dresser des buttes et jeux de priz pour la hacquebutte, et mesmes de fère cuillette de deniers pour les entretenir.
Et de tant que ceulx, qui tiennent pour le party de la paix, font trouver cella mauvais et onéreux, et procurent que le peuple crye contre les gravesses et contre les désordres et manquemens qu'ilz sentent en leurs biens et trafficz, et qu'ilz détestent la guerre qu'on veult attirer en ce royaulme, les aultres ont soubdain faict expédier lettres de la dicte Dame pour fère entendre partout que l'ordonnance des monstres et de fère provision d'armes n'a esté en intention de les mettre en guerre, ains seulement pour sçavoir quel estat la dicte Dame pourra fère de forces en son royaulme, si, contre tant d'armes qui sont prinses ez pays voysins, elle a besoing pour sa deffance de s'ayder des siennes, et affin aussi que chacun s'acoustume de s'ayder des mesmes armes que les aultres manyent aujourdhuy.
Ilz ont faict aussi mander partout que ceulx, qui ont office ou gaiges, ou qui sont en l'estat et au prévillège de ceste princesse, l'ayent de nouveau à recognoistre pour suprême chef de l'églize de ce royaulme, et luy en prester le sèrement, et que toutz gens de justice ayent à se réconsilier aux évesques, touchant la confession de leur foy, ou aultrement estre suspenduz de leurs charges et offices, et mesmes les advocatz interdictz de ne playder ou consulter pour les parties.
Qui n'est sans que les catholiques en sentent une grande offance dans le cueur, mais pourtant ilz n'entreprennent encores d'y fère aultre chose que de continuer ceste ordinaire remonstrance à la dicte Dame, qu'elle n'a aulcun plus seur moyen de se meintenir, ny d'asseurer son estat, que de garder droictement la paix et ses promesses aulx princes alliez et confédérez de sa couronne, et de bien tretter ses propres subjectz, sans les grever ny leur empescher les trafficz et commerce qui les font riches et qui leur donnent occasion de luy vouloir bien et ne murmurer de rien contre elle, par où ils pensent, de tant que cella est agréable à la dicte Dame, renverser les conseilz des aultres.
Et impriment aussi à la dicte Dame quelque peur, du costé de France, d'Espaigne et de Portugal, pour les choses que les Anglois ont mal exploicté, ceste année, contre les subjectz de ces troys royaulmes, luy représentant combien, par la détermination, que naguières Vostre Majesté print, de vouloir sçavoir ce que debvez espérer de paix ou de guerre, de son costé, les choses estoient venues prez de ropture;
Et par les nouvelles proclamations, que le Roy d'Espaigne et le Roy de Portugal ont freschement faictes, semblables à celle du duc d'Alve, de toute excluzion de traffic et de commerce de leurs royaulmes et subjectz avec les Anglois, en quelle indignation ilz sont contre l'Angleterre.
Lesquelles remonstrances, estant apuyées de la voix et faveur du peuple, ont bien toutjour quelque effect envers la dicte Dame, mais les aultres ne layssent pourtant de tenir en vigueur la recordation des exploictz et offences, qu'ilz prétendent que le duc d'Alve a commiz contre elle, et font aller en avant les lettres de marque qu'elle a octroyé contre les Portugoys, et ne permettent que nous nous puyssions si clairement esclarcyr avec la dicte Dame qu'ilz ne la facent estre réservée en plusieurs choses à l'intelligence de ceulx qui mènent la guerre en France.
Ce que j'ay clairement cogneu en mes dernières audiences, ès quelles ayant miz peyne de luy oster ceste impression qu'on luy a donnée de la ligue des catholiques, elle m'a ouvertement respondu qu'elle sçayt bien que, de long temps, il a esté commancé par le feu pape de tramer la ruyne d'elle et de son estat, ayant sollicité l'Empereur, le Roy, et le Roy d'Espaigne à la conqueste d'Angleterre;
Leur usant de ces propres, ou peu dissemblables, argumens que, s'ilz estoient catholiques, et estimoient leur religion estre la bonne, et saincte, et celle de Dieu, qu'ilz s'employassent à bon escient au meintennement, protection et restablissement d'icelle, sans s'y monstrer si tièdes qu'ilz faisoient, que certes Dieu les vomyroit; par ainsy, qu'ilz ne devoient plus différer ceste chrestienne entreprinse contre ung pays si rebelle et contumax à la religion catholique, comme l'Angleterre, qui estoit le suport, retrette et principal bolevart de toutz les hérétiques.
De quoy l'Empereur, qui procuroit lors le party d'elle avec l'archiduc son frère, l'en avoit advertye, et que luy mesmes ne s'estoit peu excuzer, envers le pape, de luy donner là dessus bonnes parolles, mais qu'il n'avoit garde de luy nuyre.
Et que, freschement, il avoit esté interceu trois lettres sur ung gentilhomme qui alloit au camp de Monseigneur, frère du Roy, qui avoit esté prins par ceulx de la Rochelle, lesquelles lettres elle avoit devers elle, et cognoissoit aussi bien l'escripture comme celle de sa propre main, mais ne vouloit nommer celluy qui l'avoit faicte, lequel mandoit, entre aultres choses, qu'il estoit temps de mettre à exécution les propoz, qui avoient esté tenuz à la Royne Très Chrestienne en ung lieu qu'il expéciffie, où Mr. d'Aluye estoit présent, et qu'à bon droict l'on pourroit, à ceste heure, entreprendre de passer en armes en Angleterre, soubz le tiltre de la cession, que la Royne d'Escoce en a faicte à Monsieur, frère du Roy.
En quoy, encor que, sur la responce que je luy ay faicte que c'estoit une malicieuse invention, pour empescher la restitution de la Royne d'Escoce, et altérer la paix qu'elle a avecques la France, et qu'il ne se trouvera, despuys le dernier tretté de paix, que le Roy, ny la Royne, ny Monsieur ayent, par un prétexte, ny aultre, entendu en nulle pratique contre elle, et qu'elle m'ayt là dessus asseuré que, pour cella, elle ne se mouvera contre Leurs Majestez en faveur de ceste cause, qu'elle a odieuse, des subjectz contre leur Roy, ny n'entreprendra rien que pour la conservation de sa religion et de son estat, à quoy elle dict qu'elle a très bien pourveu;
Si est ce qu'on luy a miz tant de deffiance dans le cueur qu'elle estime sa conservation ne dépendre de rien tant que des armes et de la continuation de la guerre: dont, encores que j'aye plusieurs aparances qu'elle propose de persévérer en la paix, comme est sa parolle, et celle des seigneurs de son conseil; la retrette de ces cinq grandz navyres de guerre dans Gelingan, avec le renvoy des hommes qui estoient dessus; les ordonnances contre ceulx qui couroient la mer; la révocation d'une partie des payemens qui se debvoient fère en Allemaigne; le rabays de l'emprunct qu'elle avoit miz sus, par ses lettres de son privé scel; la commission qu'elle a baillée à deux merchans de ceste ville pour aller à Roan pourchasser amyablement la dellivrance des biens des Anglois, avec promesse de fère le semblable aulx Françoys par deçà; l'absence de Mr. le cardinal de Chatillon qui ne vient plus, si souvant qu'il faisoit, en ceste court (ny le vydame de Chartres n'y a encores compareu); et les ataches qu'ilz ont avecques le duc d'Alve, qui ne sont encores accomodées:
Si, veoy je d'aultres choses qui me sont assés suspectes, comme la facillité de ceste princesse et la naturelle inclination des siens à la guerre de France; le recouvrement de Callais, qu'ils disent avoir meintennant moyen de l'entreprendre; la pratique avec ceulx qui sont en armes en France, ausquelz ilz ont advancé quelque argent; l'irrésolution de ceulx de ce conseil, desquelz ceulx, qui aspirent à la guerre, ont trop plus de vivacité et d'entreprinse que les aultres; l'armement et équipage de mer, qu'ilz tiennent prest; le transport qu'ilz font d'artillerye et de monitions de guerre, d'icy à Porsemue, comme pour les avoir toutes préparées, et hors de ceste rivière, pour une soubdaine entreprinse; les monstres et provisions d'armes par tout ce royaulme; et la levée des Flamans, laquelle on remect en termes au nom de Dolovyn, agent du prince d'Orange, qui faict semblant de les vouloir passer en Endem, et les tenir là jusques à ce que les gens de cheval et le reste de l'armée du dict prince d'Orange seront prestz à marcher, ce qui n'a tant d'apparence par ce qu'on n'entend aulcun apprest du dict prince d'Orange, comme je crains qu'ilz les veuillent employer à quelque entreprinse en France, et se servir de l'occasion de nos troubles présens.
Joinct que ceulx, qui ont miz en fraiz ceste princesse, vouldroient bien qu'il se fyst quelque exploict à son proffict, avant que les armes viennent à se poser, affin de monstrer que l'argent n'a esté mal employé, ny leur desseing n'est mal venu, sans toutesfoys qu'elle le commande, affin d'avoir le désadveu plus prest si les choses succédoient mal.
Et pour garder que la dicte Dame ne s'aperçoyve de la grande despence, qui va en cella, et à soubstenir en partie ceulx de la Rochelle, ilz y font courir, toutz premiers, les deniers casuelz et extraordinaires de ce royaulme, desquelz donnent entendre à la dicte Dame que ce n'est chose de quoy elle puisse fère estat, et s'en sont si bien emparez qu'ilz en disposent à leur playsir, lesquelz reviennent à bonne somme toutz les ans.
TOUCHANT LES DIFFÉRANTZ D'ENTRE L'ANGLETERRE ET LES PAYS BAS.
Eschiata, frère du Sr. Guydo Cavalcanty, estant naguières passé de Flandres en ce pays, a demeuré quatre jours caché dans le logis du secrétaire Cecille, pour luy fère veoir et considérer quatre articles qu'il dict que le Sr. Chapin Vitelly a estimé convenables pour mettre les dictz différantz en bons termes d'accord.
Le dict Cecille a heu très agréable que telle chose luy soit venue en la main, et n'est sans apparance que luy mesmes ayt procuré de le fère mettre en avant en Flandres, affin de se randre autheur du mesmes bien, d'où l'on luy impute tout le mal, et, encor qu'il n'ayt accepté le contenu des dictz articles, il a au moins accepté l'ouverture de l'accord et l'a, premièrement, communiqué à milor Quiper, garde des sceaux, puis au comte de Lestre, despuys au duc de Norfolc, et finablement au comte d'Arondel.
Lesquelz duc [de Norfolc] et comte d'Arondel n'ont prins l'affaire de la façon que le dict Cecille espéroit, car, de tant que ce sont eulx qui ont fermement soubstenu qu'on ne debvoit venir à nulle ouverture de guerre ny à nul mauvais exploict contre le Roy d'Espaigne, et qui ont, contre les conseils du dict Cecille, faict prendre résolution à ceste Royne de persévérer en bonne paix avec luy, ilz veulent meintennant que le dict Roy Catholique leur en sache tout le gré, et ne peuvent comporter que icelluy Cecille se rande autheur du dict accord ny qu'il le conduyse sellon son opinion.
Et en sont les choses venues atant, parce qu'aulcuns de ce conseil monstroient adhérer au dict Cecille, qu'iceulx deux seigneurs leur ont ouvertement déclairé qu'ilz ne dellibéroient permettre, en façon du monde, que le dict Cecille leur coupât ainsy l'herbe soubz le pied, et que si eulx vouloient [se] joindre à luy, et porter ses opinions, et suyvre ses entreprinses, qu'ilz estimoient estre temps de jouer à la descouverte, chacun en droict soy, le mieulx qu'il pourroit s'en suyvre.
Dont la plus part d'eulx, voyantz que ceulx cy, lesquelz sont les plus nobles et authorisés du pays, se déterminoient en ceste sorte, leur ont donné parolle de suyvre leur volonté et qu'ilz y procèderont ainsy qu'ilz verroient estre bon de le fère.
Qui a esté cause que le dict comte d'Arondel a despuys fermement remonstré au dict Cecille qu'il avoit trop entreprins de tenir quatre jours Eschiata Cavalcanty et sa proposition cachez en son logis, sans en venir faire part au conseil;
Et que le dict Cecille sçavoit bien que la volonté de la Royne estoit d'accommoder ces différantz de Flandres, en dangier d'une prochaine rebellion dans ce pays, si bien tost elle ne le faisoit, et que luy, et ses semblables, principaulx seigneurs du pays entendoient mieulx que nulz aultres l'importance de cella, et à quoy cella pouvoit devenir; par ainsy, c'estoit à eulx d'y pourvoir et de remédier aulx aultres désordres par les meilleurs moyens qu'ilz cognoistroient convenir à l'honneur de ceste coronne et a l'utillité de leur Royne et de son royaulme;
Que ces différans avec le Roy d'Espaigne, puysqu'il estoit cogneu qu'il n'estoit honneste ny de les avoir ainsy commancez, ny utille de les continuer, et que mesmes l'on n'avoit de quoy faire les premiers aprestz pour luy commancer la guerre, oultre le dommaige, qu'adviendroit à ceste coronne, de perdre une si ancienne alliance comme celle de Bourgoigne, qu'il falloit nécessairement venir à ung des deux poinctz;—ou de rejecter toute la coulpe de ce mal sur aulcun petit nombre de particulliers de ce royaulme et en descharger la Royne, le conseil et la noblesse du pays, et que contre ceulx là le Roy d'Espagne et le duc d'Alve ayent réparation et justice;—ou bien entrer en amyable tretté d'accord par des honnestes moyens, conduictz par personnes confidantes, exemptes de toute souspeçon de mal, aultres que le susdict Eschiata Cavalcanty, qui a faict banqueroute, et duquel le frère, en d'aultres affaires, dont il s'est quelquefoys meslé parmy les princes, ne s'en est sorty en bonne grâce d'eulx, et pour tant que le Sr. Ridolfy luy sembloit très propre et de très bonne et honneste qualité pour bien conduyre cest affaire, il vouloit en toutes sortes qu'il luy fût commiz.
Le dict Cecille, estimant n'estre son bien de contradire à cella, et considérant combien le premier party de rejeter la coulpe sur aulcuns particuliers torneroit à sa ruyne, a loué et aprouvé le segond, de venir en tretté d'accord, promettant de fère tout ce qu'il luy seroit possible envers la Royne à ce qu'elle eust agréable que le dict Ridolphy s'en entremît;
Et cependant luy ayant prins grand peur de ce qu'on luy vouloit ainsy imputer tout le mal de ceste guerre, tant odieuse à tout ce royaulme, a heu recours au duc de Norfolc, et luy a requis sa protection, avec promesse de suyvre dorsenavant son party, et de se porter en toutes choses pour son certain et tout déclairé serviteur, et qu'il luy playse le remettre en la bonne grâce du dict comte d'Arondel, lequel monstre luy estre bien fort adversaire.
J'entendz que le dict duc luy a gracieusement remonstré qu'il estoit temps qu'il se retirât d'une si périlleuse entreprinse, qu'il avoit toutjour poursuyvye jusques icy, de randre la Royne, leur Mestresse, contraire et oposante à ceulx de son conseil, et qu'il n'estoit pas possible qu'il se peult tenir entre ces deux fers, sans estre oprimé de l'ung ou de l'aultre, et que, possible, les deux concourroient à sa ruyne.
Et, pour le regard du comte d'Arondel, que, à la vérité, il estoit fort offancé contre luy de ce qu'estant le plus noble et ancien seigneur du royaulme, personnaige de toute intégrité, il sçavoit que le dict Cecille faisoit avoir à mespriz à la dicte Dame ses conseilz et opinions, et faisoit résouldre les affaires tout au contraire d'icelles; par ainsy, qu'il en uzât dorsenavant en toute aultre sorte, et qu'il commançât, dez ceste heure, sur l'occasion des affaires du Roy d'Espaigne, d'en faire commettre la matière à celluy que le dict comte luy avoit nommé.
Et ainsy, le dict Cecille, ayant commencé de se démesler de ceste prinse, s'est despuys si bien confirmé, pour ne luy avoir le comte de Lestre vollu nuyre, qu'il semble qu'il n'est pour estre déboutté de son lieu, et n'a layssé de renvoyer de sa part (mais croy que c'est avec le sceu de la Royne) le susdict Eschiata et Paulo Fortigny en Flandres, avec quelques additions et modérations sur les dictz quatre articles pour veoir si le dict accord pourra réuscyr par son entremise.
Et les dictz seigneurs qui sont à présent quatre concorans en une opinion, sçavoir, le dict duc et les comtes d'Arondel, de Lestre et de Pembrot, ont trouvé moyen, en absence du dict Cecille, d'envoyer le dict Ridolfy devers l'ambassadeur d'Espaigne, pour luy mettre en avant, comme de luy mesmes, aulcuns moyens d'accord, lesquelz despuys ont esté réduictz en cinq articles qui contiennent en substance:
Que les deniers, personnes, navyres, merchandises et biens, arrestez et prins, soyent, en ung mesmes jour, d'une part et d'aultre, entièrement et sans fraulde randuz;—qu'il soit pourveu aulx déprédations et à récompenser ceulx à qui elles ont esté faictes sellon le contenu des trettez, et miz meilleur ordre pour l'advenir;—que le commerce et traffic soyent restituez en la mesme liberté et condicion qu'auparavant;—qu'il soit député commissaires, et à iceulx assigné jour et lieu, pour renouveller les anciens trettez d'entre l'Angleterre et la Mayson de Bourgoigne, et pourvoir à toutz les différans qui restent à vuyder sur iceulx;—que tout ce que les dictz commissaires accorderont ayt, par sèrement des deux princes à estre ratiffié et aprouvé, et par eulx et leurs subjectz inviolablement observé.
Lesquelz articles ont despuys esté monstrez au dict Cecille, qui y a faict aulcunes difficultez, tantost de l'ordre d'iceulx, voulant qu'on commançât par députer les commissaires et non par rendre, tantost pour requérir qu'il y eust quelque chose plus à l'honneur et advantaige de ceste coronne, et ainsy a prolongé l'affaire quelques jours, attandant la responce de Flandres, laquelle ne venant poinct, par ce, à mon adviz, que les dictz seigneurs ont miz ordre que le duc d'Alve n'entende en aultre négociation qu'à celle qui partira de leur main, le dict Cecille a esté contrainct de passer oultre.
Et j'entendz qu'il a, ce jourdhuy, baillé par escript aulcunes considérations sur les dictz cinq derniers articles, lesquelles, si elles sont telles qu'on me les a sommairement récitées, elles n'empescheront, à mon adviz, l'effect de l'accord; mais bien le pourront ung peu prolonger. Je mettray peyne de sçavoir plus certainement ce qu'elles contiennent.
Cependant, il semble que les choses ont prins beaulcoup de modération par la liberté qu'on a donné à ce nombre de marinyers espaignolz, dont en ma précédante dépesche j'ay faict mencion, et que je suys adverty que, dans deux jours, monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, sous prétexte de changer de logis, yra sans garde, avec ceulx de sa famille, seul par la ville, et arrivé qu'il sera à l'aultre logis, ne sera plus tenu resserré.
DU FAICT DE LA ROYNE D'ESCOCE.
Poursuyvant monsieur l'évesque de Roz, envers la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil, le secours promiz à sa Mestresse pour estre remise en son estat, ou bien luy estre permiz de passer en France pour aller requérir celluy du Roy et des aultres princes chrestiens, il a eu la responce, dont cy devant j'ay faict mencion, qu'il failloit esclarcyr premièrement le doubte, où la dicte Royne d'Angleterre estoit, de la cession, qu'elle a entendu que sa dicte Mestresse avoit faict, du tiltre de ce royaulme à Monseigneur, frère du Roy, et suyvant la dicte responce la Royne d'Escoce a faict là dessus une déclaration, par lettre escripte et signée de sa main, qui pouvoit suffire, la copie de laquelle lettre j'ay desjà envoyée.
Néantmoins la Royne d'Angleterre a respondu à la dicte lettre en la façon qu'on verra par la coppie de la sienne, du xxve de may dernier, suyvant laquelle la dicte Royne d'Escoce a dépesché le Sr de Bortyc, son escuyer d'escuerye, et Rolle, son secrétaire, devers leurs Majestez Très Chrestiennes et devers Mon dict Seigneur pour avoir leur plus ample déclaration là dessus affin de satisfaire et contanter la dicte Royne d'Angleterre.
Et a l'on cependant escript, de la part des dictes deux Roynes, en Escoce, pour faire venir aulcuns députez de la noblesse et des estatz du pays, pour veoir si le restablissement de leur Royne se pourra faire par voye de paciffication.
En quoy semble que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil se disposent d'y mettre la main en bonne sorte, et desjà les plus grandz de ce royaulme se sont ouvertement déclairez pour le droict que la dicte Royne d'Escoce prétend à ce mesmes royaulme d'Angleterre, après leur présente Mestresse, disantz que toutz les aultres prétendans recherchoient leur droict de si loing, ou à tiltres mal fondez de bâtardise, ou aultres non aprouvez par les loix du royaulme, qu'ilz dellibèrent n'estre jamais contre celluy tant clair de la dicte Dame, fille du cousin germain de leur Royne, qui estoit propre nepveu, filz de la seur du Roy Henry VIIIe d'Angleterre[2], laquelle la plus part d'eulx ont veue et cogneue, laquelle chose les faict incliner et estre favorables à sa restitution en son propre royaulme.
Sur quoy, pour l'accommodement de la dicte Dame avec ses subjectz, semble qu'on veuille venir à une loy d'oblivyon des choses passées, ou que mesmes la dicte Dame imputera à bien à ses subjectz, et les remercyera de toute la démonstration qu'ilz ont faicte pour vanger et avoir réparation du murtre du feu Roy, son mary, et qu'ilz n'auroient fait que leur debvoir de la poursuyvre elle mesmes quant elle en eust été coulpable;—que le jugement contre le comte de Baudouel sera confirmé;—qu'il sera ottroyé une abolition généralle de toutes choses mal venues jusques icy;—et chacun restably en ses biens, honneurs, charges et offices;—que la religion aura cours en la forme qu'elle y est establye meintennant;—qu'ung conseil sera estably, par ordonnance des estats du pays, pour contenir les choses en ceste modération, desquelles le comte de Mora sera l'ung;—et que des choses susdictes la Royne d'Angleterre et la noblesse de son pays seront respondans.
J'entendz que, pour le regard des choses, que ceulx cy prétendent capituller sur la dicte restitution, il y en a quatre principalles:—la première, d'asseurer le tiltre de ceste coronne, et qu'il demeure cédé et remiz entièrement à la Royne d'Angleterre;—la seconde, que la nouvelle religion soit si bien establye en Escoce, que la dicte Dame ne la puisse changer;—la tierce, qu'il soit faict une si ferme et estroicte confédération entre ces deux royaulmes, que par nul prétexte ilz ne puissent estre jamais en armes l'ung contre l'aultre, et qu'ilz soyent obligez à ung mutuel secours;—la quatriesme, qu'il soit trouvé quelque expédiant d'authoriser si bien les promesses et capitullations que la Royne d'Escoce fera, estant en ce royaulme, qu'elle n'y puisse jamais contrevenir par allégation de force ny de peur, en quoy semble qu'ilz veulent avoir le prince d'Escoce pour gaiges de sa parolle.
Sur quoy leurs Majestez me commanderont ce que j'auray a dire et procurer là dessus, pour l'intérest de leur service, pour la réputation de leur grandeur, et pour la conservation des alliances de leur coronne.
LETTRE DE LA ROYNE D'ANGLETERRE A LA ROYNE D'ESCOCE.
—de Grenuich, le xxve de may 1569.—
Madame, à mon grand regrect, j'ay entendu le grand dangier en quoy estiez naguières, en quel je loue Dieu de n'en avoir rien ouy, jusques à ce que le pire fût passé; car, combien qu'en tout temps et lieu, telles nouvelles ne m'eussent peu contanter, si est ce que si tel mauvais accidant me fût mandé des cieulx que quelque mal vous advînt en ce pays, je croy vrayement que mes jours me sembleroient trop prolongés pour, devant mourir, recepvoir si grande playe. J'espère tant en la bonté d'icelluy, qui m'a toutjour gardée de malles advantures, qu'il ne permettra que je choppe en telz retz, et, pour me garder en ceste bonne opinion de bonne faveur en mon endroict, il m'a faict cognoistre par vostre commandement la dolleur qu'aultrement j'eusse senty, si le contraire m'eust advenu, et vous promectz de luy en avoir randu souvant grâces infinyes.
Quant à la responce, que vous recherchez recepvoir par mylord Boyt, de ma satisfaction en la cause, touchant monsieur d'Anjou, je ne dobte point ny de vostre honneur, ny de vostre foy, en ce que m'escripvez de n'en avoir onques pensé telle chose, mais pour ce que, peult estre, quelque parent ou bien quelque ambassadeur vostre, ayant authorité généralle, de vostre main, pour l'authoriser de faire toutes choses pour l'advancement de voz affaires, ayent adjousté telle promesse, comme venant de vous, et le pensant contenu en leur commission, comme telle chose qui plus servyst d'esperon pour chevaulx de haulte race. Car si nous voyons [que] souvant ung petit rameau sert à saulver la vye aulx noyans, [et] que ung petit droict anime le combattant, je ne sçay pourquoy ne penseroient ilz que la barque de vostre bonne fortune flotant en mer dangereux, à quoy tant de ventz contraires soufflent, ayent besoing de toutes aydes pour obvier telz maulx et vous conduyre à bon port; et si ainsy soit, qu'ilz se sont serviz de vous en telle chose, vous pouvez en honneur nyer l'intention, mais si est ce que le droict leur demeure, et à moy apartient le tort. Pour aultant, je vous suplie y avoir telle considération de moy, qu'apartient à telle [qui] n'eust onques mérité en vostre endroict que vray guerdon et honnorable opinion, avec telz faictz qui gardent le vray accord d'une telle armonye que la mienne, qui en toutes mes actions vers vous n'a onques failly la droicte mesure.
Pour tant ce porteur vous déclairera plus amplement ce que je souhayte en ce cas. Oultre plus, si vous recherchez quelque responce de la commission donnée à milor Roz, je croy que vous oblyez combien prez il me touche, si je m'en mélasse jusques à ce que je soys satisfaict en ce qui vous touche en honneur et moy en seureté. Ce temps pendant, je ne vous fâcheray plus de longue lettre, sinon qu'après mes cordiales recommendations, je prie le Créateur vous garder en bonne santé et vous donner longue vie.
XLIIIe DÉPESCHE
—du XXVIIIe de juing 1569.—
(Envoyée exprès à Calais par Jehan Valet.)
Préparatifs pour une nouvelle expédition maritime.—Achats d'armes par les protestants.—Crainte que la flotte de la Rochelle ne serve à une entreprise sur Bordeaux.—Les affaires d'Espagne et d'Écosse sont en voie de conciliation.—Arrivée de sir Georges Douglas en Angleterre.—L'autorisation de se rendre auprès de Marie Stuart lui est refusée.—Départ de deux commissaires anglais qui se rendent à Rouen pour traiter de la restitution des prises.—Plaintes de l'ambassadeur Norrys contre le retard apporté en France à l'expédition de ses dépêches.—Nouvelles de France données par monsieur Norrys dans sa correspondance.—Il annonce que le duc de Deux-Ponts est mort empoisonné.
Au Roy.
Sire, des choses qui passoient icy jusques au xxȷe de ce mois, concernans vostre service, Vostre Majesté en aura esté amplement informée tant par mes lettres et mémoires du dict jour, que le Sr. de Sabran vous a aportées, que par le récit d'aulcunes particularitez que je luy ay commises pour vous dire. Meintennant, Sire, voicy [ce] que j'ay à faire entendre à Vostre Majesté, c'est que l'on continue de rabiller et mettre en bon équipage à Gelingan douze des grandz navyres de guerre de ceste Royne, pour les pouvoir getter en mer quant on vouldra, oultre les quatre qui sont desjà dehors, deux à Hembourg et deux à la Rochelle, et plusieurs aultres de particulliers qui sont armés. Il est vray que la levée des hommes et marinyers pour les dictz douze navyres ne se haste guières, seulement l'on a advisé d'où soubdainement l'on les pourra prendre, et n'y a encores aulcune commission expédiée pour l'affret et avitaillement des dictz navyres, chose qui ne se pourra si secrectement ny si soubdainement exécuter que n'en ayons toutjour quelque notice pour vous en donner adviz. Il est vray que aulcuns de ces Flamans qui sont icy, et quelques Françoys avec eulx, sont après à équiper en guerre quatre grandes ourques, de celles qu'on a naguières prinses sur les Espaignolz et Flamans, et ung assés bon navyre, et d'aultres petitz vaysseaulx jusques au nombre de dix pour aller, du premier jour, à la mer; et s'entend que Doulovyn, agent du prince d'Orange, va estre admiral de ceste petite flotte, laquelle pourra estre preste dans douze ou quinze jours, si la remonstrance, que l'ambassadeur d'Espaigne a faicte pour empescher que les dictes ourques ne soyent couvertes ny employées en tel usage, ne le retarde; tant y a que l'aprest se continue, et semble que c'est pour transporter deux ou trois mille Flamans en quelque lieu: ce qui se raporte aulcunement à certain adviz, que je vous ay cy devant mandé, qu'on prétendoit de les mettre en Hendem et les tenir là jusques à ce que les gens de cheval et le reste de l'armée du dict prince d'Orange seroient prestz; mais parce que je crains toutjour que ce soit plus tost pour les descendre à la Rochelle, ou en quelque aultre endroict de vostre royaulme, je ne me suys peu tenir d'en faire grand instance à ceulx de ce conseil, qui m'y ont aulcunement satisfaict jusques à m'affirmer, par sèrement, que ce n'est contre Vostre Majesté. Mais encor qu'il y ayt quelque dangier qu'en pourtant ainsy toutjour la cloche et pour nous, et pour les aultres, contre les entreprinses de ceulx cy, ilz ne s'irritent contre moy, je ne leur puys toutesfoys laysser passer telles choses, quelque bonne démonstration qu'ilz me facent, par ce qu'ilz sont trop soubdains à changer leurs dellibérations et trop promptz de les convertir contre nous; et, soubz colleur de ce présent armement, plusieurs de ceulx qui s'estoient, par craincte des ordonnances faictes contre les pirates, retirez de la mer, s'aprestent de s'y remettre; de quoy je feray plaincte à ma première audience.
J'entendz que le conseiller Cavaignes a faict, tout de nouveau, ung marché avec aulcuns de ce royaulme pour recouvrer huict lez de pouldre, chacun de douze barilz, et chacun baril contenant ung cent, qui est neuf à dix milliers de pouldre, et huict vingtz bottes de piques, chacune botte de huict, qui est plus de douze cens piques, et vingt quaysses de hacquebutes, à cinquante pour quaysse, qui sont mille hacquebutes, avec leur fornyment; et qu'on est après, au pays d'Ouest, à les luy faire embarquer avec plusieurs et diverses sortes d'artiffices à feu, qui est signe qu'on a crainct le siège à la Rochelle.
Il a esté naguières veu passer une grand flotte de vaysseaulx, qu'on estimoit estre le retour de celle de la Rochelle, mais, parce qu'elle a passé oultre, l'on présume que c'est celle d'Espaigne et de Portugal, de quarante vaysseaulx chargez d'espiceries, de laynes, et aultres riches merchandises, conduicte par aulcuns navyres de guerre, que ceulx cy avoient entendu se préparer pour passer en Envers, dont ilz sont bien marrys qu'ilz n'ayent esté toutz prestz, au passaige de Callais, pour recognoistre qui c'estoit; mais le vent a trop bien servy, despuys quelques jours en çà, pour leur pouvoir empescher ceste routte.
Il n'est encores nouvelles que la susdicte flotte de la Rochelle s'en reviègne, dont semble que ceulx du dict lieu l'ayent retenu pour se servir des lxxvj vaysseaulx qui y sont pour quelque leur entreprinse, ainsy que je vous en ay touché ung mot en mes lettres du xe du présent, et semble que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, ayent adviz que le duc de Deux Pontz et l'Admyral cercheront de venir, s'ilz peuvent, à une bataille; mais, s'ilz ne le peuvent, que leur desseing sera de s'eslargir et occuper une partie de la Guyenne pour y entretenir l'armée, et nomméement de prendre Bourdeaulx; à quoy ce nombre de vaysseaulx leur pourroit beaulcoup servir, bien qu'on publie icy que le retardement de la dicte flotte procède de quelque difficulté, que la Royne de Navarre a faicte, sur l'acomplissement du marché du sel et du vin.
L'on commance à parler de quelque progrez[3] que, à l'accoustumé, la Royne d'Angleterre dellibère faire à ce prochain mois de juilhet, et de tant qu'on dict que ce sera à l'isle d'Ouyc, vers la Normandie, je le tiens en ce temps, à cause de leur présent apareil, aulcunement suspect. Je travailleray toutjour de descouvrir le plus que je pourray ce qu'ilz prétendront de faire.
Les entremises d'accorder les différans d'Angleterre avec les Pays Bas se continuent, et, de ma part, j'estime que des deux costez l'on s'est résolu d'y entendre, et ne reste que le moyen d'y procéder; mais de tant qu'il semble convenable de commancer par la liberté de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, à laquelle on le veult remettre par occasion de changer de logis, comme je l'ay desjà escript; ceulx de ce conseil ont mandé à l'évesque de Chichestre de luy bailler sa mayson, qu'il a en ceste ville, pour quelques moys, et je croy que dans deux jours cella s'effectuera; et puys le mesmes pourra négocier et tretter de toutes choses avec ceste Royne; dont, encor que la finalle descizion des dictz différans, à cause des allées et venues, et de la liquidation et estimation des prinses, soit pour aller en longueur, je croy toutesfoys qu'on ne passera plus oultre à nulz mauvais exploictz les ungs contre les aultres, au moins si l'instabilité de ceulx cy et quelques meilleures espérances d'Allemaigne, qu'il semble qu'ilz n'en ont eu meintennant, ne les y provoque.
Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent en suspens, attandant la déclaration que Monsieur, frère de Vostre Majesté, envoyera sur le tiltre de ce royaulme, et cependant s'entend que le Sr. Ledinthon s'apreste de venir d'Escoce de la part du comte de Mora, lequel comte monstre, à ce qu'on dict, ne reffuzer d'entendre à quelque paciffication pour le restablissement de sa Mestresse. Ceulx cy ont suspect le soubdain retour que ce jeune gentilhomme Duglas a faict par deçà, par ce mesmement qu'il monstroit, quant il passa naguières en France, d'y vouloir faire long séjour, et, nonobstant que Mr. l'évesque de Roz l'ayt adverty de n'incister guières à demander la permission d'aller trouver la dicte Dame, pour aulcunes ocasions bien considérables, et pour n'imprimer à ceulx cy qu'il aporte nouvelle pratique de France au préjudice de leurs intentions. Il n'a layssé toutesfoys de présenter à ceste Royne la lettre de Vostre Majesté pour obtenir son passeport, lequel ne luy a esté accordé, et est icy encores à l'atandre.
Je ne veulx obmettre comme j'ay tant faict que deux honnestes bourgeois et merchans de ceste ville ont esté desjà dépeschez devers monsieur le maréchal de Cossé, avec commission de ceste Royne pour aller amyablement pourchasser la dellivrance des biens des Anglois, qui sont arrestez par dellà. J'espère que mon dict sieur le mareschal en envoyera bien tost deux aultres par deçà pour la restitution des biens des Françoys, et qu'il sera convenu de jour certain, auquel, des deux costez, esgallement et sans fraulde, la restitution se fera; et que Vostre Majesté m'envoyera, ou à monsieur le maréchal de Cossé, une lettre, signée de vostre main, conforme au mémoire que j'envoyay le xe de ce moys.
Ceste Royne m'a faict dire par Me Cecille que son ambassadeur se plainct de ce que, demandant ses passeportz pour envoyer ses paquetz, l'on les luy diffère toutjour quatre jours, et le retarde l'on aultres quatre jours à Paris premier que de luy en vouloir bailler, et que, sans doubte, l'on fera le semblable à moy icy; dont ay esté fort expressément requis d'en escripre à Vostre Majesté à ce qu'il vous playse faire entendre au susdict ambassadeur comme vous voulez que dorsenavant l'on en use tant à la court que à Paris, qui vous suplie, Sire, ne les mal contanter en si peu de chose, et je prieray le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce xxvııȷe de juing 1569.
A la Royne.
Madame, de tant que ceulx cy sont bien fort soubdains en leurs dellibérations de guerre, et [que] sur la première nouvelle qui les met en peur de l'avoir ou en espérance de la pouvoir faire avec advantaige à leurs voysins, ils recourent incontinent aulx armes et à faire leurs aprestz soit pour se deffandre ou pour assaillir, je me trouve, quasi toutes les sepmaines, en suspens de ce que j'en doibz espérer et suys souvant contrainct de vous mander diversement ce que je voy et entendz de leurs changemens, mais le temps et la froideur, qu'aulcuns d'entre eulx usent tout à propos, rabat souvent et beaulcoup de leur challeur, de sorte qu'il ne s'en ensuyt ny toute l'exécution ny icelle si soubdaine qu'ilz se proposent; ainsy que Vostre Majesté le pourra veoir en la lettre que j'escriptz au Roy touchant l'ordonnance qu'ilz avoient faicte despuys dix jours de jetter promptement en mer douze grandz navyres de guerre, laquelle ne passe meintennant plus avant que de les tenir prestz pour les y pouvoir mettre quant ilz vouldront; en quoy semble qu'ilz attandent s'y gouverner sellon le cours de la guerre de France, à laquelle ilz ont bien fort le cueur, et n'y a rien qui tant les esmeuve que les évènemens qu'on leur en mande.
Monsieur l'ambassadeur Norrys a naguières escript à la Royne, sa Mestresse, que les deux armées sont bien fort grandes et puyssantes s'estant, d'ung costé, Monseigneur vostre filz joinct à Mr d'Aumalle et les Italliens arrivez; et que Vostre Majesté a esté au camp et a par une bien vertueuse et digne façon de parler, confirmé le cueur des gens de guerre et anymé les Allemans et les Suysses de combattre à ce coup vertueusement pour l'honneur de la France et pour la deffance de la couronne du Roy, vostre filz, lesquelz vous ont toutz promiz de bien faire leur debvoir; que d'ailleurs l'armée du dict duc marche toutjour en pays et est si avant qu'on ne le peult plus empescher de recuillyr ceulx de la Rochelle et les Vyscomtes, et que mesmes quelcun rapportoit d'avoir veu monsieur l'Amyral saluer et embrasser le dict duc, et que les deux armées n'estoient que à huict lieues l'une de l'aultre, n'y ayant toutesfoys encores heu que quelque escarmouche entre eulx, où Mr. de La Rochefoucault avoit eu du meilleur, et que le poyson de Mr. Dandellot avoit esté avéré, qu'ung sien serviteur luy avoit baillé, lequel avoit esté tiré à quatre chevaulx, et avoit allégué Mr. de Martigues pour cuyder excuser son faict.
Je seray toutjour soigneulx de descouvrir ce que je pourray des dellibérations et entreprinses de ceulx cy, desquelz, encor que j'aye occasion de craindre qu'ilz se layssent enfin persuader à quelque déclaration de guerre, mesmes s'ilz peuvent accommoder leurs aultres différantz, je crains néantmoins plus pour ceste heure ce qu'ilz pourront entreprendre soubz main par leurs pirates et par ces estrangiers qui s'équipent, lesquelz, s'il advient qu'ilz puissent surprendre quelque lieu qui soit pour s'en prévaloir, ne fault doubter qu'ilz ne les advouhent et seront de mesme prestz de les désadvouher, s'ilz ne font rien qui vaille. Et de tant que, entre quelques uns de ces seigneurs, il a esté faict mention d'Ambleteuille comme d'ung lieu qui seroit important et bien à propos pour eulx, semble qu'il sera bon de pourvoir qu'ilz n'y puissent rien entreprendre; et je prieray atant le Créateur, etc.
De Londres ce xxvııȷe de juing 1569.
Despuys la présente escripte, aulcuns seigneurs de ceste court m'ont adverty qu'il est arrivé lettres de Mr. Norrys, du xxe du présent, qui mande la mort du duc de Deux Pontz, advenue par poyson, et qu'il sentit son mal le xe de ce moys, soupant avec la Royne de Navarre, et mourut le xııȷe; que le comte de Mensfelt[4] a esté subrogé en sa charge par le consens universel de l'armée; que, avant mourir, il avoit présenté la bataille à nostre armée qui l'avoit reffuzée; que, pour contanter Vostre Majesté, laquelle vouloit en toutes sortes qu'on combatît au passaige de la Creuse, le Ringrave et le capitaine La Rivière avoient ataché une grosse escarmouche, où ilz avoient esté deffaitz et eulx demeurez mortz sur la place; et pareillement l'aultre comte de Mensfelt[5] pour vouloir bien satisfaire au duc d'Alve, avoit entreprins un aultre combat où il avoit esté pareillement deffaict; et que la ville de Périgueulx a esté prinse, et que la Royne de Navarre est dedans. Je ne sçay que pourront produire ces nouvelles, mais, pour garder que ce ne soit rien de mal, j'yray trouver demain ceste Royne sur l'occasion de la dépesche du Roy du xıııȷe de ce moys, bien qu'elle soit d'assés vieille datte, laquelle je viens de recepvoir tout meintennant, et feray le mieulx que je pourray.
XLIVe DÉPESCHE
—du Ve jour de juillet 1569.—
(Envoyée par Olivyer Champernon jusques à Calais.)
Nouvelle entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth, dans laquelle sont discutées les affaires de France.—Menace de guerre faite par les seigneurs du conseil qui annoncent qu'une armée de dix mille Anglais est prête à descendre sur le continent.—Élisabeth accorde, contre l'avis de son conseil, la permission à sir Georges Douglas de se rendre auprès de Marie Stuart.—Succès remportés en Écosse par le comte de Murray.—Disposition d'Élisabeth à se tenir toujours prête pour attaquer la France.—Les différends de l'Angleterre avec l'Espagne paraissent entièrement aplanis.
Au Roy.
Sire, estant bien seurement adverty, ainsy que je l'ay mandé en ung postille de mes précédantes du xxvııȷe du passé, que la Royne d'Angleterre avoit eu adviz de la mort du duc de Deux Pontz, et qu'on luy faisoit acroyre, nonobstant icelle, que les affaires de ceulx de la Rochelle alloient prospérant soubz la conduicte du comte de Mensfelt, qui avoit esté subrogé en sa place, et soubz celle de monsieur l'Admyral qui estoit meintennant joinct avecques luy, j'ay bien vollu veoir si je recognoistrois, par aulcuns propos ou démonstrations de la dicte Dame, que ces nouvelles l'eussent meue à rien entreprendre de nouveau; dont luy ayant, sur l'occasion de vostre lettre du xıııȷe du passé, demandé audience, j'ay prins argument, sans monstrer rien sçavoir du trespas du dict duc, de luy dire qu'aussitost que icelluy duc s'est trouvé au dellà de la rivière de Loyre, il a faict toute la dilligence qu'il a peu de s'advancer en pays, sentant que Monsieur, frère de Vostre Majesté, joignoit les forces de Guyenne avec celles de monsieur d'Aumalle pour l'aller rencontrer, et qu'ayant gaigné le devant il n'avoit onques vollu attandre le combat; et qu'à ceste heure Mon dict Seigneur, après avoir miz douze mille chevaulx et vingt mille hommes de pied ensemble toutz confidans et asseurez, oultre le renfort qu'il attandoit d'heure à aultre quasi d'une seconde armée de monsieur de Nemours, qui avoit recuilly les Italliens, avoit aproché de si prez l'armée du dict duc qu'il ne pouvoit estre que bien tost ne s'en entendît une journée, qui, j'espérois, seroit avec continuation de victoyre aussi bien sur ces reytres, comme elle avoit esté commancée auparavant, lesquelz empyroient de tant en toutes sortes la cause de ceulx qui estoient desjà en armes dans le royaulme, qu'il ne se recognoissoit en eulx rien d'honneste ny digne de gens de guerre, ains toutz actes de cruelz larrons, de brigans et de barbares inhumains, et que je m'esbahissoys que toutz les vrays princes ne s'esmouvoient dilligemment pour réprimer, ou encores pour soubdain estaindre une si mauvaise troupe d'hommes, qui vous alloient oltrageant sans occasion, et alloient soubslevant et soubstennant l'opinion des subjectz contre la légitime authorité de leurs princes; de quoy, encor qu'il semblât que rien ne s'en adressât meintennant à elle, si estoit il dangier que ce qu'elle en voyoit desjà attaché aulx principaulx estatz de la chrestienté ne vînt bien tost à une dangereuse conséquence sur le sien; et que, de vostre part, pour plus seurement pourvoir à voz affaires, aviez advisé de vous acheminer à Orléans, où en attendant le retour de la Royne, vostre mère, qui estoit encores au camp avec Monsieur, frère de Vostre Majesté, vous assembliez une aultre aussi grande et puyssante armée que celle qu'aviez baillée à Mon dict Seigneur; et que de toutz ces poinctz vous aviez bien vollu faire part aulx aultres princes souverains voz alliez et confédérez, et principallement m'aviez commandé d'en donner ung entier et bien particullier compte à la dicte Dame, comme à celle qui avoit toutjour monstré de desirer que le succez de ceste guerre vînt à l'advantaige de Vostre Majesté, à la conservation de vostre estat, et à la confuzion de ceulx qui s'esforcent de le troubler et de troubler le repoz de voz subjectz.
A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'il ne se menoit à la vérité aulcuns affaires à présent, en toute la chrestienté, desquelz elle fût si soigneuse d'en entendre les évènemens que de ceulx de Vostre Majesté, qui estoient à ceste heure comme sur ung théâtre, proposés pour exemple à toutz les aultres princes, dont elle vous remercyoit, de tout son cueur, de la bonne part que ordinairement il vous playsoit luy en faire; que, pour ce coup, sembloit qu'elle eust de plus fresches nouvelles d'iceulx que moy, puysque je ne luy parlois point de la mort du duc de Deux Pontz, qu'on asseuroit avoir esté empoysonné, et avoir senty son mal le xe de juing, ainsy qu'il estoit à table avecques la Royne de Navarre, et qu'il estoit mort le xııȷe, et qu'avant mourir il avoit présenté la bataille à l'armée de Mon dict Seigneur, mais les capitaines du camp n'avoient estimé estre lors raysonnable de le combattre; et que la dicte Dame considéroit assés, et avecques dolleur, le grand ennuy et travail, où sont Voz Très Chrestiennes Majestez, pour la désolation de vostre royaulme, ce qui la mettoit en grand soucy du sien, voyant que les plus grandz estatz estoient ainsy affligez; mais qu'elle espéroit, veu les bonnes forces qu'aviez miz ensemble et celles qu'assembliez de nouveau, que le plus grand dangier estoit desjà passé, me priant, qu'avec ung salut et recommendation de sa part à Voz Très Chrestiennes Majestez, je ne faillysse par mes premières vous asseurer que nul aultre prince de votre alliance se resjouyra jamais plus grandement qu'elle de la prospérité et conservation de vostre coronne, et de la paix de vostre royaulme, s'il playt à Dieu la vous y donner; ny au contraire nul ne sera plus marry qu'elle du mauvais succez, s'il y advient: et a estendu son propos en plusieurs aultres particullaritez, touchant le commancement de ceste guerre, la continuation d'icelle et l'yssue qu'elle pourroit prendre, qui monstrent certes qu'elle est agitée en diverses dellibérations; et, par le jugement que j'en puys faire, qu'elle propose de s'y gouverner sellon le temps, dont je desire, Sire, que Dieu mette en vostre main de quoy pouvoir abréger et acoursir le dict temps de ceste guerre; car la longueur et prolongement d'icelle ne peult produyre que toutjour nouvelles difficultez.
La dicte Dame, après cella, m'a entretenu en d'aultres matières de mariages, disant avoir entendu que celluy de Vostre Majesté avecque la seconde de l'Empereur, et de l'aynée avecques le Roy d'Espaigne estoient concludz; et s'est mise à parler de vostre eage de vostre taille, beaulté, adresse, et bien fort honnorablement de voz vertuz et de celles de Mon dict Seigneur vostre frère, ce que j'ay grandement confirmé; et seroit le discours trop long à le mettre icy, seulement je diray qu'elle a monstré prendre grandement playsir de le continuer.
Et sur ces gracieulx deviz je me suys licencié d'elle, puys m'estant ung peu arresté avecques les seigneurs de son conseil pour tretter d'aulcuns affaires, qu'elle m'avoit remiz à eulx, concernantz vostre service et le bien de voz subjectz, ainsy qu'ilz sont venuz à me discourir des nouvelles qu'ilz avoient de France, trois d'entre eulx, à une voix, se sont advancez de me dire qu'il y avoit dix mille hommes de bonne qualité en Angleterre, et des principaulx et plus riches du pays, qui estoient toutz pretz et dellibérez de passer en France pour soubstenir le prince de Navarre et l'Admyral, non contre Vostre Majesté, ny contre la Royne, vostre mère, ni contre Monsieur, car se réputoient voz serviteurs tant que vous auriez la paix avecques leur Mestresse, ains pour faire la guerre à monsieur le cardinal de Lorrayne et aux Italliens que le pape a envoyez pour exterminer leur religion; mais que la Royne, leur Mestresse, ne l'a vollu consentir, pour ne monstrer aulcun signe de ropture de paix: de quoy vous luy debviez ung bien grand mercys, car s'ilz estoient meintennant en France avec l'apuy d'une si bonne troupe de Françoys et d'estrangiers, qui sont en armes, qui seroient pour eulx, il y auroit de quoy, possible, y faire bien leurs besoignes; et s'eschauffant là dessus en plusieurs grandes parolles, je ne leur ay respondu aultre chose sinon que je remercyois très grandement la Royne, leur Mestresse, de sa bonne intention, et que desjà j'avois miz peyne de faire cognoistre à Vostre Majesté qu'elle l'avoit véritablement bonne et droicte envers vous, qui aussi luy en réserviez et luy en rendriez, de votre part, une toute semblable, et que Dieu l'avoit ainsy conduicte à ne laysser ordir à ses subjectz une injuste guerre sur une mauvaise trame et tant différante de sa qualité de Royne comme estoit celle qu'ilz se proposoient, laquelle elle cognoissoit très bien que ne luy seroit ny utille ny honnorable, mais quant ilz entreprendroient, d'eulx mesmes, de descendre à main armée en France, ilz le feroient à très mauvais tiltre sans leur en avoir donné occasion, tant y a qu'ilz y trouveroient Vostre Majesté en armes avecques ung bon nombre de Françoys, que vous aviez desjà aulx champs contre les Allemans, et que vous seriez prest d'y en mettre encores dix mille toutz fraiz et bien armez contre eulx. Et ne suys passé plus avant, bien que, de leur part, ilz ayent suivy le propos avec termes ung peu bien advantaigeux, qui néantmoins se sont enfin terminez assés gracieusement, mais non sans monstrer qu'ilz ont de l'animosité et de l'entreprinse dans la teste.
Ilz continuent toutjour leur aprest de douze grandz navyres de guerre, mais n'y a encores commission pour lever les hommes et marinyers, ny pour les avitailler. Il ne s'entend encores rien du retour de la flotte de la Rochelle, ce qui faict doubter qu'elle est retardée pour quelque entreprinse par dellà. Le capitaine Orsey a demandé renfort de garnyson pour l'isle d'Ouyc, dont il est gouverneur, et millor Sideney ayant receu quelque estrette en Irlande a envoyé requérir ung prompt secours; et j'entendz qu'il a esté accordé au dict Orsey de luy bailler trois cens hommes davantaige, et a esté mandé au dict Sideney qu'on luy envoyera dilligemment le secours qu'il demande; dont semble que bien tost se lèveront gens de guerre, et je prendray garde comment, et à quelles fins, l'on y procèdera.
L'ambassadeur d'Espaigne s'attand de changer demain de logis et que, de là en avant, il ne luy sera plus baillé de gardes, dont après il commancera de tretter de ces prinses et différans d'entre ce royaulme et les Pays Bas, par luy mesmes, avecques ceste Royne et les seigneurs de son conseil.
Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent toutjour en suspens, attandant le retour du Sr. Bortic et Rollet, qui sont allez devers Vostre Majesté pour la déclaration du tiltre de ce royaulme, et attandant aussi les députez qui doibvent venir d'Escoce. Cependant ce jeune gentilhomme George Duglas a tant faict qu'il a obtenu passeport pour aller trouver la dicte Royne d'Escoce, à quoy semble qu'elle n'aura prins playsir, craignant que cella puysse retarder en quelque chose ses affaires. J'entendz que Mr. de Flamy a escript que le comte de Mora est en campaigne, réduysant par force toute l'Escoce à sa dévotion, et qu'il est adverty que bien tost après il dellibère l'aller assiéger dans Dombertran, qui est la place où la dicte Dame fonde le principal espoir de sa restitution. Sur ce, etc.
De Londres ce ve de juillet 1569.
A la Royne.
Madame, affin qu'en devisant et discourant avec la Royne d'Angleterre je puisse toutjour prendre quelque adviz et conjecture des dellibérations qu'elle a sur les présens affaires de vostre royaulme, je la vays trouver aultant de foys qu'il me vient tant soit peu d'argument de parler à elle, et ainsy, despuys quatre jours, sur l'occasion d'une dépesche du xıııȷe du passé que j'ay naguières receue, je luy suys allé tenir le propos que Vostre Majesté verra en la lettre du Roy, lequel j'ay bien vollu réciter au long avec les propres termes de la responce de la dicte Dame, et y adjouxter ung peu du jugement que je fays de son intention, affin que Voz Majestez puyssent encores plus avant et au vray juger quelle elle est, qui, à mon adviz, n'est aultre que de tenir vaysseaulx armez et hommes prestz pour une occasion, si le temps la luy offre, non qu'elle ne me semble de soy toutjour bien disposée à la paix, mais les argumens qu'on luy administre pour me dire, et ceulx que les plus authorisés d'auprès d'elle allèguent ouvertement, joinct l'apareil de guerre qu'elle a en estat, monstrent que le seul bon succez de voz affaires la fera persévérer en la paix. Et cependant par les catholiques, qui sont icy, l'accord des différantz des Pays Bas est vifvement poursuyvy, de sorte que y correspondant le Roy d'Espaigne et le duc d'Alve comme ilz font, je tiens ceste guerre pour plustost finye qu'il n'y a heu espée desgaynée, ny ung seul coup de haquebute tiré, et, bien que les articles n'en soyent encores concludz, les exploictz néantmoins de guerre n'en passeront, à mon adviz, plus avant; ains restera toute la difficulté sur la restitution des prinses affin d'indempniser les merchans sur leurs merchandises seulement, lesquelz ne fault doubter que ne s'accordent ayséement d'en recouvrer une partie pour ne perdre le tout: car, quant aulx deniers du Roy Catholique, ilz sont entiers et se pourront randre du soir au matin, et, pour le regard de ceulx des particulliers, l'on n'en parle poinct, parce qu'ilz estoient tirez d'Espaigne sans congé. Les seulz troubles qui sont meintennant en Irlande rendent ceulx cy ung peu ombrageux et mesfians du Roy d'Espaigne, craignant qu'il tienne la main à ceulx qui s'y sont soublevez.
Je prendray toutjour garde à ce qui se trettera et qui s'entreprendra, pour vous en donner le plus prompt adviz que je pourray. Mr. le cardinal de Chastillon n'a veu ceste Royne, ny n'a esté en court, il y a tantost deux moys. J'entendz qu'à Mr. le vydame de Chartres a esté mandé de se mettre plus avant dans le pays, sans se tenir ainsy en la frontière, n'ayant, ce semble, ceste Royne bonne opinion de luy, et ne se parle poinct qu'il doibve encores venir en ceste court. Quelques nouveaulx depputez sont freschement arrivez d'Allemaigne, sur lesquelz j'auray l'œil le plus ouvert que je pourray, et prieray atant le Créateur, etc.
De Londres ce ve de juillet 1569.
XLVe. DÉPESCHE
—du VIIIe jour de juillet 1569.—
(Envoyée par le Sr. George Duglas, Escouçoys, jusques à la Court.)
Pressante recommandation de la reine d'Écosse auprès du roi de France, en faveur de sir Georges Douglas.
Au Roy.
Sire, m'ayant la Royne d'Escoce despuys trois jours escript de ses nouvelles affin principallement que je luy fisse entendre des vostres, elle m'a, par mesme moyen, bien affectueusement prié de représanter à Vostre Majesté le desir et grande affection qu'elle a, puysque Dieu n'a layssé en sa main de quoy pouvoir monstrer aulcune recognoissance envers le Sr. Douglas, présent porteur, pour le notable service qu'elle en a receu, qu'il vous playse prendre en la vostre de le luy recognoistre et l'en recompencer eu luy donnant advancement d'honneur, de bien et quelque honeste charge près Vostre Majesté, de tant qu'elle estime tenir de luy le recouvrement de sa liberté et qu'il est le principal moyen de l'avoir tirée de l'estroicte prison où l'on la dettenoit en Escoce[6]. A quoy, Sire, m'asseurant que Vostre Majesté vouldra très volontiers avoir esgard, tant pour la satisfaction de la dicte Dame que pour la magnanimité de vostre cueur sur ung acte digne de vostre faveur et de celle de toutz vrays et légitimes princes, je n'entreprendray de vous en dire davantaige sinon que vous gratiffierez grandement la dicte Dame, si, par vostre libéralité envers ce gentilhomme, vous suplissés celle que par plusieurs bienfaictz, en récompence de son bon et fidelle service, elle luy vouldroit uzer; et je prieray Dieu, etc.
De Londres ce vııȷe de juillet 1569.
XLVIe DÉPESCHE
—du XIe de juillet 1569.—
(Envoyée par Jehan Valet jusques à Calais.)
Retour de la flotte de la Rochelle.—Armement et levée de troupes pour l'Irlande où l'insurrection fait des progrès.—Craintes de l'ambassadeur que ce ne soit un prétexte pour cacher les préparatifs d'une expédition contre la France.—Ses efforts pour maintenir la paix que les succès remportés par les protestants rendent très-douteuse.—Il rend compte à Élisabeth de l'état des affaires de France.—Il donne avis que le duc Casimir se prépare à entrer dans le royaume avec une armée allemande.—L'ambassadeur d'Espagne est délivré de ses gardes; mais il n'est pas encore permis à l'ambassadeur de France de lui rendre visite.—Plaintes d'Élisabeth contre la mauvaise réception faite à ses commissaires en France, et contre le retard apporté à la désignation des commissaires français qu'elle attend pour traiter de la restitution des prises.
Au Roy.
Sire, vous ayant, le ve de ce moys, escript toutes choses de deçà, ainsy que je les avois en cognoissance, il se offre meintennant de vous dire que le lendemain vȷe, je fuz adverty du retour de la flotte de la Rochelle, laquelle despuys est entrée en ceste rivière; et qu'on avoit commancé, le matin, de tirer des armes, de l'artillerye, des pouldres et aultres monitions de guerre, de la Tour de Londres pour les mettre sur mer, avecques commissions expédiées, le mesme jour, pour lever promptement cinq mille hommes, de quoy je donnay, sur l'heure, adviz à Mr. le maréchal de Cossé et à Mrs. de Piennes, de Gordan, de Caillac et de Sigoignes; et leur manday que je sçavois bien que ceulx cy estoient fort pressez du costé d'Irlande par ce qu'ilz y avoient naguières receu une estrette, et que pourtant cest aprest qu'ilz faisoient pourroit bien estre pour y envoyer du secours; tant y a que je les prioys de se tenir sur leurs gardes, et de donner ordre que toute la coste de dellà en fût advertye: car je ne pouvoys avoir que beaulcoup suspect de veoir faire la dicte levée sur le retour d'icelle flotte.
Or despuys, Sire, j'ay cogneu à la vérité que c'estoit pour envoyer en Irlande, auquel pays, sur le quartier qui s'apelle d'Esmont, les affaires ne passent bien pour les Angloys, les ayant les Irlandoys, avec lesquelz s'est meslé le jeune frère du comte d'Ormont, et le capitaine Estuquetay, chassez à vifve force de la campaigne, et incontinent assiégé la ville de Corc, laquelle j'entendz que s'est randue à telle composition qu'on leur a livré toutz les Anglois qui étoient dedans, dont milor Sidenay, qui est Vice Roy par dellà, presse grandement d'estre secoureu. Néantmoins l'on m'a dict que, despuys les premières commissions expédiées pour y faire passer cinq mille hommes, l'on a advisé qu'il suffira, pour ce commancement, d'y en envoyer trois mille; et semble qu'encor que, sellon le jugement des sages, ceste guerre d'Irlande soit bien importante et de grande conséquence à ceste Royne, qu'on la luy faict néantmoins trouver légière et facille, et que pour cella elle ne doibt cesser de faire toutjour l'aprest de ses grandz navyres de guerre et les mettre en bon estat pour s'en servyr quand elle vouldra en ses aultres entreprinses; et ne laysser de poursuyvre la description d'hommes, que j'entendz qui se faict soubz prétexte des monstres ordinaires, et de l'ordonnance de se fornir d'armes, et des jeuz de priz qui ont esté instituez pour tirer de la haquebutte, où l'on establit partout des capitaines, avec grand aguet qu'ilz soyent toutz de la nouvelle religion, qui est signe qu'ilz vont guettant quelque occasion, et qu'ilz se veulent trouver prestz pour l'heure qu'elle se présentera.
Je ne deffauldray envers ceste princesse, laquelle ne me semble du tout divertye à telle entreprinse, et envers ceulx, que je cognoys qui ne la veulent, de les confirmer à la paix, et les faire tenir fermes qu'il ne se face aulcune manifeste infraction ny violance à icelle. Au moins travailleray je de tout mon pouvoir que Vostre Majesté sente le moins de mal, que faire se pourra, de leur costé; car de n'en sentir poinct du tout je croy que, quant j'auroys toute l'authorité de ceste Royne en ma disposition, je n'y pourroys mettre remède, tant y a de moyens et d'artiffices, et de vive sollicitation, icy, en faveur de l'aultre party. Et ont aulcuns des bons de ce conseil, despuys quatre jours, envoyé devers moy sçavoir si ce qui estoit naguières advenu en France entre les deux armées[7] estoit tant à l'advantaige de ceulx de la Rochelle comme on le publioit; car cella, ainsy qu'ilz disoient, randoit ceulx, qui portent icy leur party, si insolens qu'ilz ne les pouvoient modérer, et avoient bien à faire à interrompre les mauvaises entreprinses qu'ilz mettoient en avant, faisant courir le bruict que le filz de Mr. Norrys m'en avoit porté les nouvelles, lesquelles m'avoient soubdain saysy de tant de douleur que j'en estois demeuré tout estonné, sans luy pouvoir rendre aulcune responce. Sur quoy, pour l'heure, je ne leur ay pu mander aultre chose sinon que je n'avois aulcunes nouvelles que celles qui m'estoient venues du dict filz de Mr. Norrys, lequel pourtant n'avoit peu cognoistre en moy une si grande altération et changement qu'on disoit, parce que je n'avois creu son discours, lequel je les prioys aussi ne le vouloir croyre, car il ne l'asseuroit que sur ouyr dire: et que bien tost j'auroys la certitude du tout par voz lettres, lesquelles je ne fauldrois de leur communiquer.
Deux jours après, j'ay receu ce qu'il vous a pleu m'en escripre du xxıxe du passé, et le troisiesme je suys allé dire à ceste Royne que, de tant que vous aviez meintennant deux grandes armées l'une contre l'aultre dans vostre royaulme, qui s'entresuyvoient et se logeoient si près que les sentinelles et corps de garde se pouvoient souvant entreouyr et entendre, et qu'il estoit mal aysé qu'il ne s'ensuyvyst quasi toutz les jours aulcun exploict de guerre, Vostre Majesté me feroit aller souvant devers elle pour luy racompter le tout au vray, sellon la certitude que vous mesmes en auriez de vostre camp, fût gain ou perte, tant vous [vous] proposiez vivre confidentment avecques elle. Et ainsy, estant naguières advenu ung assés heureux succez à ceulx du parti contraire, vous m'aviez incontinent envoyé l'extraict de ce que l'on vous en avoit escript affin de le luy monstrer, qui cognoistroit par icelluy, et par ce que m'en escripviez à part, que vous aviez grand soing de satisfaire en cest endroict au debvoir de la commune amytié d'entre Voz Majestez et à l'intérest qu'avec toutz les aultres princes souverains vous estimiez qu'elle a en cette guerre, dont lui fiz premièrement lecture de cette partie de vostre lettre qui en faisoit mencion, affin qu'elle le tînt pour véritable; puys luy leuz le dict extraict, sur lequel elle me fit beaulcoup de curieuses demandes, adjouxtant que la victoire n'estoit si grande de beaulcoup pour les aultres comme on la publioyt et qu'elle feroit volontiers chastier ceulx qui avancent les choses en aultre façon qu'elles ne sont; comme aussi on luy avoit dict que vous aviez faict empoysonner le duc de Deux Pontz, là où il se sçayt meintennant de certain qu'il est mort d'une fièbvre chaulde, et que si ceulx qui desrobent quelque chose ou font la faulce monoye sont puniz, que ceulx là le doibvent estre beaulcoup plus aigrement qui desrobent ou falciffient la réputation des princes, me priant de vous remercyer beaulcoup de foys et fort expressément de la faveur que luy faisiez de luy vouloir ainsy communiquer le bien et le mal de voz succez; et que puysqu'elle n'avoit peu estre ouye à vous y procurer le bien de la paix, elle n'estimoit y pouvoir meintennant aultre chose en la guerre, sinon prier Dieu qu'il ne vous y advînt poinct de mal, et que certes elle l'en prioyt dévottement et de bon cueur.
Puys, s'estendant le propoz à discourir des oltrageuses entreprinses des Allemans, et combien elles debvoient estre odieuses et suspectes à toutz grandz princes, elle m'a parlé de l'aprest du duc de Cazimir, et qu'il seroit bien tost en campaigne; ce qu'elle m'a expéciffié de sorte qu'il semble qu'elle le tienne pour asseuré. Mais la priant despuys qu'il luy pleût tout ouvertement me dire ce qu'elle en sçavoit, elle s'est rétractée ung peu, et dict que, dans ceste sepmaine, elle espéroit d'en avoir la certitude par lettres de ses agentz qui sont en Allemaigne, et que, puys après, elle me le feroit assavoir. Tant y a que je fays plus de fondement sur ce qu'elle m'a dict d'elle mesmes que sur ce qu'elle s'est despuys vollue monstrer réservée, quant je me suys monstré curieux; car j'ay d'aultres conjectures, Sire, lesquelles je vous feray sçavoir par le premier des miens, que j'envoyeray devers vous, qui me font croyre que le dict duc de Cazimir marchera bientost; dont suplie très humblement Vostre Majesté de vous en éclarcyr de bonne heure affin de n'estre surprins, craignant bien fort, s'il descend par la Picardie ou le long de la frontière des Pays Bas, ainsy qu'on le présume, que ceulx cy ne se mettent incontinent, avec grand équipage, sur mer pour le favoriser. J'auray toutjour l'œil et le cueur à leur apareil et entreprinse pour vous en donner incontinent les plus certains adviz que je pourray, et prieray atant le Créateur, etc.
De Londres ce xȷe de juillet 1569.
A la Royne.
Madame, il m'a semblé que le soing que le Roy a heu, par ses lettres du xxıxe du passé, de m'advertir des choses qui sont advenues entre les deux armées le xxve auparavant, a esté de quelque proffict et a servy assés à interrompre des mauvais desseings que ceulx, qui instiguent ceste Royne à la guerre, luy commançoient desjà de proposer sur le fondement d'une trop plus grande victoire que, par la vérité de la lettre du Roy, elle a bien cogneu qu'elle n'estoit, la luy ayant, ceulx qui n'ont bonne affection, augmentée de plus de mille pour cent, qui a esté cause, après en avoir discoreu avecques la dicte Dame que, m'ayantz le duc de Norfolc, le grand Chamberlan, le secrétaire Cecille et deux aultres du conseil convoyé jusques à la salle de présence, je leur ay monstré le mesme extraict que j'avoys leu à la dicte Dame, lequel les ungs ont aprouvé comme vray et les aultres ont dict qu'il n'estoit pas à croyre qu'estantz douze centz ou deux mille soldatz enveloupez de la cavallerye ennemye, sans aulcun secours de la nostre, qu'il ne s'en fût perdu que quatrevingtz ou cent, sur quoy je leur ay, en l'authorité des lettres du Roy, si bien satisfaict que ce que Sa Majesté en mande a esté et est partout tenu pour véritable.
Je adjouxteray icy, Madame, que l'ambassadeur d'Espaigne, ayant despuys trois jours changé de logis, est meintennant sans gardes et croy que bien tost l'on commancera de tretter avecques luy de ces différantz des Pays Bas. Il est vray que, sellon certain propos que ceste Royne m'a tenu, il semble qu'elle demeure encores aulcunement offancée contre le duc d'Alve et contre le dict ambassadeur, et mesmes l'ayant priée qu'elle vollût à ceste heure luy permectre et à moy de nous pouvoir entrevoir et visiter comme auparavant, elle m'a fort expressément requiz que je me volusse encores déporter, pour quelque temps, de l'aller voir; bien me permettoit de pouvoir quelque foys envoyer devers luy ung gentilhomme ou ung secrétaire des miens. Et à la suyte de cella, elle s'est prinse ung peu bien asprement à moy de ce que les deux députez, qu'elle a envoyez à Roan pour la restitution des biens de ses subjectz, n'ont esté, à ce qu'elle dict, ny bien receuz, ny bien responduz, et que monsieur le maréchal de Cossé n'en a envoyé ici d'aultres de sa part, comme je l'avois promiz, et qu'elle s'esbahyt comme je me suys tant advancé au faict de ceste restitution, sans estre bien asseuré de l'intention de Voz Majestez et de celle de mon dict sieur le maréchal, monstrant avoir doubte que je luy aye faict ung semblable trait en cecy, comme elle se plainct que l'ambassadeur d'Espaigne luy en a uzé d'ung très mauvais sur les choses de Flandres, ou bien qu'elle veult, estant sur le poinct de tretter meintennant avecques le dict ambassadeur des dictes choses de Flandres, sonder plustost avecques moy à quoy se debvoir tenir du costé de Voz Majestez, pour de tant plustost conclurre à l'aultre part, si elle voyt beaulcoup de difficultez de la vostre. Et m'a pareillement requiz de la dellivrance de quatre, ses subjectz, qui sont dettenuz à Callais, m'appellant à tesmoing moy mesmes si je sçay que, durant ma charge, elle en ayt faict retenir ung des vostres par deçà.
Je luy ay respondu que je ne me suys nullement advancé non d'une seule parolle au faict de la susdicte restitution, sans estre bien garny de mandement du Roy et Vostre, et encores de celluy de mon dict sieur le maréchal, par lettres bien expresses de Voz Majestez et de luy, lesquelles je luy ay desjà monstrées; et que je m'asseuroys qu'on vous trouveroit entiers et véritables en tout ce que m'aviez ordonné de luy en dire, ne debvant prendre en mauvaise part que monsieur le maréchal eust envoyé devers Voz Majestez la commission des députez de la dicte Dame, et qu'il ayt différé quelques jours à leur rendre responce jusques à ce qu'il ayt sceu vostre intention, et qu'il estoit sans doubte, si elle satisfaisoit bien par deçà aulx Françoys, qu'il seroit encores mieulx satisfaict par dellà à ses subjectz. Et au regard de ceulx qui estoient dettenuz à Callais, cella estoit advenu pour faire cesser la détention et violence, qui se faisoit sans son sceu par deçà aulx Françoys; mais puysqu'elle ordonnoit qu'il n'en fût rettenu pas ung, je procureroys en semblable que les siens luy fussent randuz, vous supliant, Madame, avoir agréable qu'il luy soit donné quelque satisfaction là dessus, comme j'estime que vostre service le requiert, et m'envoyer la promesse, signée de la main du Roy, touchant la dicte restitution, que j'ay plusieurs foys demandée, affin d'en retirer une semblable de la dicte Dame, ainsy que je l'ay convenu avecques elle. Et ne s'est le propoz finy en aigreur, l'ayant elle mesmes ramené à doulceur et gracieuseté sur la commémoration des infiniz travaulx, que vous donnent ces guerres, et sur la dilligence et grandeur de cueur dont vous mettez peyne d'y remédier, et n'a obmiz de parler fort honnorablement du Roy, et des grandz vertuz qui reluysent en luy, et de la valleur et réputation de Monsieur; car aussi je fays tout ce que je puys pour ne me despartir jamais d'avec elle avec mauvaise responce. Sur ce, etc.
De Londres ce xȷe de juillet 1569.
XLVIIe DÉPESCHE
—du XIXe jour de juillet 1569.—
(Envoyée par Jehan Pigon, mon homme, jusques à Calais.)
Préparatifs que font des gentilshommes anglais pour passer en France et se joindre aux protestants de la Rochelle.—Plainte portée à ce sujet par l'ambassadeur, auprès d'Élisabeth, qui déclare s'être opposée à leur projet.—Elle proteste de son constant désir de conserver la paix, et donne l'assurance que la flotte anglaise n'a porté aucun secours à la Rochelle.—Continuation de l'armement pour l'Irlande.—Négociation pour l'accommodement des affaires des Pays-Bas.—Espoir du prochain rétablissement de la reine d'Écosse.—Résolution prise par sir Chambernant, de se rendre à la Rochelle avec des volontaires, malgré le refus fait par la reine d'autoriser son départ.—Projet qui semble arrêté dans le conseil, de débarquer une armée anglaise en France si le duc Casimir y pénètre.—Audience est accordée par Élisabeth au vidame de Chartres.
Au Roy.
Sire, entendant qu'aulcuns gentishommes anglois pourchassoient leur congé pour passer en France, et que, nonobstant le reffuz que leur Royne leur en faisoit, ilz ne layssoient de se pourvoir d'armes et de chevaulx, d'assembler hommes, de solliciter les estrangiers, qui sont icy, d'affretter vaysseaulx et achapter monitions et vivres, pour faire leur voyage, j'ay crainct que la dicte Dame, encor qu'elle ne leur donnast l'expresse permission qu'ilz demandent, pour ne monstrer contravenir à la paix, ny aller contre l'opinion d'aulcuns principaulx de son conseil qui fermement s'y opposent, qu'elle pourroit néantmoins dissimuler et faire semblant de n'en veoir rien, ou mesmes se laysser en fin aller aulx trop vifves et véhémentes persuasions de ceulx qui, pour la venue de l'armée du duc de Deux Pontz et de l'aprest de celle [du duc] de Cazimir, se monstrent à ceste heure merveilleusement bouillans et eschauffez d'entreprendre quelque chose.
J'ay bien vollu, Sire, pour aulcunement essayer d'y remédier, dire en la meilleur façon que j'ay peu à la dicte Dame que je ne voulois faillir de faire le meilleur et le plus exprès office, que je pourroys envers elle, sur ung propos qu'aulcuns seigneurs de son conseil m'avoient naguières tenu, touchant ung nombre d'anglois de bonne qualité, qu'ilz disoient estre prestz et bien dellibérez de passer en France:—non, disoient ilz, contre Vostre Majesté ny contre la Royne, ny Monsieur, par ce qu'ilz se réputoient voz serviteurs, tant que seriez en bonne paix avecques elle; ains pour aller faire la guerre à Mr. le cardinal de Lorrayne et aux Italliens, que le pape avoit envoyez pour exterminer leur religion; ce qu'elle ne leur avoit vollu permettre.—Dont je luy voulois bien dire le mesmes que j'avois respondu à iceulx seigneurs de son dict conseil, que, au nom de Vostre dicte Majesté, je la remercyois grandement de sa bonne intention et que j'avois desjà miz peyne de vous faire cognoistre que, à la vérité, elle la vous portoit bonne et droicte, comme aussi vous luy en réserviez et luy en rendiez une toute pareille de vostre part, et qu'en cella avoit elle monstré une royalle correspondance de vraye Royne avecques ung grand Roy; comme eulx, de leur costé, monstroient celle qu'ilz avoient de subjectz à subjectz, laquelle ne luy debvoit aulcunement playre; et que à elle touchoit de ne faire ny souffrir estre faict par ses dicts subjectz, pour quel prétexte que ce fût, aulcune entreprinse en France, sinon, ainsy que Vostre Majesté l'en requerroit; car, de tant que c'estoit vous deux qui aviez contracté paix, et l'aviez pour vous et les vostres jurée l'ung à l'aultre, elle pouvoit bien penser qu'elle seroit toutjour tenue de tout ce que, au préjudice d'icelle, ses subjectz entreprendroient; et qu'elle creût hardyment, s'ilz descendoient en armes en France, qu'ilz vous y trouveroient tout armé avec bon nombre de Françoys, que vous aviez desjà miz aulx champs contre les reytres; et seriez prest d'y en mettre encores ung aultre bon nombre de toutz frais contre eulx, avec grand occasion de poursuyvre quelque foys, par après, contre elle et contre son royaulme le juste rescentiment à quoy ilz vous auroient provoqué: dont, puisque Dieu l'avoit desjà meue à ne leur laysser sur ung tant inique fondement bastir une très injuste guerre, qui ne luy pouvoit estre ny utille ny honnorable, je la suplioys qu'elle leur vollût si bien interrompre leurs dellibérations, que vous n'en puyssiez estre aulcunement offancé, ny elle désobéye.
A cella la dicte Dame, monstrant ne prendre que de bonne part ma remonstrance, m'a respondu qu'il estoit vray qu'ung bon nombre de ses subjectz, avec aulcuns principaulx du royaulme, s'estoient résoluz et aprestez d'aller trouver monsieur l'Admyral, et que celluy qui premier luy avoit parlé de l'entreprinse, estimant qu'elle l'auroit fort agréable, avoit espéré d'en raporter ung bon présent, mais qu'elle vouldroit de bon cueur que je sceusse ce qu'elle luy en avoit respondu, et comme elle avoit griefvement reprins leur folle dellibération, me priant de croyre qu'elle ne randroit la parolle, qu'elle m'avoit donnée là dessus, ny faulce ny mensongière; bien estoit vray qu'il y en avoit aulcuns qui estoient poussez d'une si forte conscience qu'on ne les pouvoit arrester.
Je luy ay dict, et l'ay dict despuys bien expressément aux seigneurs de son conseil, qu'elle et eulx vous auroient à respondre de tout le mal qui vous viendroit de ce royaulme, ou bien vous monstrer ceulx qui le vous auroient procuré, et que eulx mesmes seroient contrainctz de vous en faire la justice, lesquelz se pourroient asseurer d'avoir ung grand Roy à partie, qui ne se contanteroit jamais qu'il n'en vît une exemplaire punition. Après, j'ay parlé à la dicte Dame du retour de sa flotte de la Rochelle, et qu'encor qu'il vous eust faict bien mal de veoir mener un tel traffic avec ceulx que vous teniez meintennant pour grandz ennemys, néantmoins, parce qu'elle m'avoit prié vous assurer qu'il n'y alloit rien de quoy vous peussiez estre offancé ny eulx secouruz, vous aviez miz ordre qu'il ne leur fût, à l'aller ny au retour, faict aulcune démonstration d'hostillité en toute la coste de dellà; dont aulcuns de ceulx, qui en estoient revenuz, se louoient d'avoir, partout où ilz avoient vollu descendre, esté bien receuz en amys.
Elle m'a respondu, avecques sèrement sur son Dieu, qu'elle ne sçavoit qu'on eust aporté en la dicte flotte aulcune chose qui vous deût offancer, et que ceulx de la Rochelle ne se pouvoient vanter d'avoir eu de son argent, ny de ses monitions, ny de ses vivres, sinon qu'ilz les eussent prins sur la parolle de Hélie dans la bouteille de la veufve de Sareptha[8], car elle ne se trouvoit avoir rien [de] moins dans sa bource, pour ce qu'ilz disoient en avoir tiré; et que ceulx, qui avoient advancé leurs deniers en ce marché de la Rochelle, se malcontantoient bien fort pour ne leur avoir esté forny, à moictié prez, le nombre de sel et vins qu'on leur avoit promiz; mesmes l'on avoit vollu vandre le tout à d'aultres, de sorte qu'elle avoit esté contraincte d'en escripre à monsieur l'Admyral; dont, à ceste heure, quant elle les voyoit entrer en plainctes, elle se prenoit à rire de la grand confiance qu'ilz avoient heue aulx parolles de ceulx là.
Despuys, Sire, l'on m'a asseuré que le ser Henry Chambernant et aultres, sur le congé qu'ilz pourchassoient de passer en France, en ont esté du tout débouttez, et qu'on a dépesché nouvelles commissions contre les pirates; tant y a que ceulx de la nouvelle religion ne cessent pour cella de se pourvoir, et de préparer secrectement tout le secours qu'ilz peuvent pour ceulx de leur party. Mesmes j'entendz que, pendant que ceste flotte a séjourné à la Rochelle, il y est arrivé deux ourques, de Dasque et de Hembourg, chargées de monitions de guerre, oultre ce que le conseiller Cavaignes y a envoyé d'icy. Et toutjour continue l'on l'aprest des grandz navyres de guerre de ceste Royne; mesmes aulcuns principaulx seigneurs de ce conseil les sont allez visiter ceste sepmaine, pour haster la besoigne, ce qui me faict toutjour doubter de quelque entreprinse; et, si la guerre de Guyenne s'aproche en ce quartier, ou que l'armée [du duc] de Cazimir y descende, je ne fays doubte qu'ilz ne se jectent incontinent en mer, avec tout cest équipage de navyres, pour les favoriser. Ilz hastent le plus qu'ilz peuvent le secours d'Irlande, duquel ilz feront bientost l'embarquement.
L'on est après, touchant les différandz de Flandres, de veoir avec monsieur l'ambassadeur d'Espaigne et avec aulcuns merchans gènevoys et espaignolz, qui sont icy, s'il se pourra moyenner aulcun bon accord sur l'intérest des particuliers; et puys le dict ambassadeur pourchassera audience de ceste Royne pour tretter de celluy du Roy Catholique, son Maistre.
Il ne se faict, en aparance, aulcune sollicitation pour la Royne d'Escoce, atandant le retour du Sr. Bourtic, son escuyer, qui est allé en France, et la venue des députez de son pays; mais les affaires ne layssent de s'advancer beaulcoup soubz main par une certaine voye, qui fera, à mon adviz, réuscir ce qu'elle prétend; et, en cest endroict, etc.
De Londres ce xıxe de juillet 1569.
Sellon aulcun propos, que le conseiller Cavaignes a tenu à des principaulx seigneurs de ce conseil, il semble que la Royne de Navarre ayt envoyé ses bagues par deçà pour emprumpter de l'argent dessus; dont ne fault doubter qu'elle n'y recouvre quelque bonne somme. Les Srs. Du Doict et de Sainct Symon, qui sont pour la seconde foys arrivez naguières de la Rochelle, sollicitent leur dépesche pour s'y en retorner; et me vient on d'advertyr que le susdict Chambrenant s'apreste, de luy mesmes et sans congé, d'y aller avecques eulx, puysque la Royne, sa Mestresse, le luy a reffuzé et d'y mener ceulx qui volontairement l'y vouldront suyvre.
A la Royne.
Madame, l'occasion de ceste dépesche, comme de plusieurs aultres précédantes, est pour advertyr Voz Majestez de l'altération et changement qu'on voyt, quasi toutz les jours, advenir ez choses de deçà, esquelles l'on ne suyt guyères le mesmes reiglement qu'on leur ordonne dans le conseil; ains, hors de là, soubz main elles sont par aulcuns, qui n'ont bonne affection, ausquelz ne deffault ny moyen, ny authorité dans ce royaulme, incontinent acheminées au rebours, de sorte que les bien affectionnez n'en sentent que le vent; ou bien, quand ilz s'en aperçoyvent, c'est lorsqu'elles sont desjà si advancées, avec la colleur du proffict et advantaige de la dicte Dame et de son royaulme, qu'ilz ne les peuvent plus ny les ozent arrester ny contradire. Par ainsy, j'estime estre fort requiz que Voz Majestez soyent souvant advertyes commant le tout y passe. Or, ce que j'en escriptz présentement en la lettre du Roy monstre qu'il ne se pourroit desirer de la dicte Dame aulcunes meilleures parolles, ny promesses, ny aulcunes meilleures démonstrations de paix, que celles qu'elle me donne, et que je les trouve ordinairement telles en elle et en aulcuns principaulx de son conseil; mais leurs aprestz, et aulcuns secretz adviz qui me viennent de leurs dellibérations, me mettent néantmoins en doubte d'une guerre; et ne fays doubte, si celle qui est en Guyenne s'aproche vers la mer de deçà, ou que le duc de Cazimir avec son armée y descende, qu'il ne se manifeste lors quelque entreprinse tramée de long temps entre eulx, ou bien qu'ilz s'eschauferont d'en tenter quelcune nouvelle d'eulx mesmes, laquelle les gens de bien n'ozeront bonnement empescher; ains, pour la peur des mauvais qui seront lors insolans, ilz feront semblant de la trouver bonne.
A quoy, Madame, puysqu'il y a encores du temps et que leur soubdaineté ne pourra, comme j'espère, prévenir la dilligence dont j'useray toutjour à vous advertir, je m'asseure que vous pourvoirrez si à propos à la seurté de la frontière, qui regarde ce royaulme, qu'on ne pourra gaigner que honte et dommaige d'y entreprendre quelque chose.
Monsieur le vydame de Chartres s'estant miz plus avant dans le pays, comme ceste Royne le luy avoit faict commander, est enfin venu loger aulx faulxbourgs de ceste ville, et, dimenche dernier, il soupa avec ces seigneurs du conseil en la mayson du duc de Norfolc. Hier, il fut faire la révérance à la dicte Dame à Grenuich. Je ne sçay encores s'il mettra en avant quelques pratiques avecques elle. Monsieur le cardinal de Chastillon ne l'a veue despuys le commancement de may; possible qu'il la viendra trouver à Richemont qui n'est guières loing de Chin, où il est logé: auquel lieu elle va jeudy prochain pour y demeurer cinq ou six jours, et puys, elle s'acheminera à son progrez qu'on continue dire qui sera sans doubte vers l'Isle d'Ouyc.
Je vous requiers toutjour, Madame, de donner quelque satisfaction à la dicte Dame tant sur les saysies de Roan et de Calais que envers son ambassadeur; car voz bons déportemens envers elle m'aydent grandement à renverser les conseilz de ceulx qui l'instiguent à vous nuyre. Sur ce, etc.
De Londres ce xıxe de juillet 1569.
XLVIIIe DÉPESCHE
—du XXVIIe jour de juillet 1569.—
(Envoyée par le Sr. de Vassal jusques à la Court.)
Négociation des envoyés de la Rochelle pour obtenir un emprunt sur les joyaux de la reine de Navarre et la signature des principaux chefs protestants.—Continuation des préparatifs de guerre en Angleterre, où l'on tient une flotte armée toute prête à mettre à la voile.—Plaintes du traitement fait en France à l'ambassadeur Norrys au sujet de l'exercice de sa religion.—Menace d'user de représailles à Londres contre l'ambassadeur de France.—Déclaration du roi touchant la restitution des biens saisis à Rouen sur les Anglais.—Mémoire général sur les affaires de France et d'Angleterre.—Efforts de la reine pour anéantir entièrement le catholicisme dans ses états.—Divisions en Angleterre.—Violent désir qu'a la reine de recouvrer Calais.—Discussion entre sir Cécil et l'ambassadeur sur l'existence de la ligue formée par les princes catholiques.—Disposition des seigneurs anglais à entreprendre la guerre.—Craintes sérieuses que doivent faire naître l'expédition projetée par le duc Casimir, et les apprêts qui se continuent à Londres sans relâche.—Nécessité pour le roi de donner satisfaction à Élisabeth sur la restitution des prises, et d'éviter toute occasion de rupture ouverte.—Succès des rebelles en Irlande.—Réconciliation de l'ambassadeur d'Espagne avec la reine, qui a enfin ordonné sa mise en liberté.—Conditions de l'accord proposé pour terminer les différends des Pays-Bas.—Les affaires d'Écosse demeurent toujours en suspens.—Mémoire secret sur divers projets de mariage d'Élisabeth, notamment avec le duc d'Anjou.—Conversation entre la reine et l'ambassadeur sur ces mariages.—Autre mémoire secret.—Opinion de l'ambassadeur qu'Élisabeth ne se mariera jamais.—Raisons sur lesquelles cette opinion est fondée.—Détails sur la vie privée de la reine.—Familiarités entre elle et le comte de Leicester.—Représentations du duc de Norfolc à ce sujet.—Déclaration de la reine, qu'elle ne veut pas épouser le comte de Leicester.—Quels sont les divers aspirants au trône d'Angleterre comme présomptifs héritiers d'Élisabeth?—Les droits de Marie Stuart sont soutenus par toute la noblesse.—Remontrances du comte de Leicester à Élisabeth sur la conduite qu'elle doit tenir à l'égard de Marie Stuart.—Il insiste vivement pour qu'elle soit rétablie en Écosse.—Déclaration d'Élisabeth qu'il importe à sa sûreté de retenir Marie prisonnière.—Projet de mariage du duc de Norfolc avec Marie Stuart.—Détails sur les conséquences importantes d'un pareil événement qui assurerait le rétablissement de la reine d'Écosse.
Au Roy.
Sire, ce que les Srs. Du Doict et de Sainct Symon, estantz pour la seconde foys envoyez de la Rochelle devers la Royne d'Angleterre, ont principallement négocié avecques elle et avecques les seigneurs de son conseil, est de pouvoir trouver icy deux centz mille escuz par emprunct sur les bagues de la Royne de Navarre et sur les obligations et promesses qu'ilz ont portées, par escript, d'elle et des principaulx de leur camp, avec fidéjussion personnelle, de Mr. le cardinal de Chastillon et de Mr. le vydame de Chartres, de ne partir de ce royaulme sans les avoir faictz entièrement payer et rembourcer. A quoy, encor que la dicte Dame et iceulx seigneurs ne se soyent advancez de leur rien offrir de leur part, il semble néantmoins qu'ilz leur ayent permiz de pouvoir engaiger à d'aultres en ce royaume les dictes bagues pour vingt cinq ou trente mille livres esterlin, qui est cent mille escuz, et est l'on après à recercher secrètement les meilleures bources de Londres pour les fornir, avec offre de grandz intéretz. Je suys après à y donner tout l'empeschement que je porray, mais je sentz bien qu'ilz recouvreront la dicte somme, ou la plus grand part d'icelle, quant ce ne sera que de ceulx de leur religion et de ceulx qui ceste année ont butiné les prinses et pilleries de la mer. Le dict Sainct Symon s'en est desjà retourné avec quelque responce, mais le dict Sr. Du Doict est demeuré pour attandre les deniers, lesquelz il presse estre forniz bientost, affin de les avoir conduictz en leur camp à la St. Michel.
Et cependant, j'entendz qu'il faict équiper en guerre une de ses grandes ourques, qui ont esté prinses ceste année sur les Flamans, comme l'on a commancé, plus d'ung moys a, d'en armer encores aultres quatre dans ceste rivière, ainsy que je l'ay desjà escript; mais par nulle dilligence, que j'aye sceu faire, je n'ay peu encores descouvrir pour quelle entreprinse c'est; car, ayant faict pratiquer, et mesmes par argent, aulcuns de ceulx qui sont arrestez pour aller aus dictes ourques, ilz ont juré ne sçavoir où, ny quant, ny à quoy tend leur voyage. Et parce que les dictes ourques ne sont propres pour la guerre, ny pour aller courir à la mer d'Olande et Zélande, comme aulcuns disoient que ceulx qui y sont desjà au nom du comte Ludovic de Nasseau les y attendoient; ains sont vaysseaulx lourdz et poysantz, et néantmoins capables pour porter grand nombre d'hommes et de monitions et vivres en quelque lieu, je me crains toutjour de quelque entreprinse sur la coste de dellà. Et certes, Sire, de ce qu'on veoyt ceulx de la Rochelle tenir meintennant la campaigne au millieu de vostre royaulme, estantz ainsy renforcez de l'armée du duc de Deux Pontz; et qu'il se dresse par les princes protestans encores ung aultre secours en leur faveur; et que les aultres princes catholiques, se contentans d'exempter eulx et leurs estatz du dangier de ceste guerre, layssent ayséement courir tout le hazard et fondre tout l'orage sur vous et sur vostre royaulme, ceulx ci s'anyment et prènent plus de cueur de renouveller leurs prétentions en France, estimans que très oportunéement, et sans dangier, ilz les peuvent meintennant pourchasser. Et ceulx mesmes qui du commancement allégoient à ceste Royne qu'il luy estoit besoing de tenir ung armement prest pour d'aultres fins, semblent monstrer meintennant qu'elle le doibt employer à ceste cy, et qu'il y a de quoy se prévalloir si grandement de noz présentes adversitez, pour elle et pour son royaulme, que les gens de bien, qui aulcunement en détestent dans leur cueur les dellibérations, ne les ozent pour ceste occasion bonnement contradire; et je crains bien fort que la bride qui a vallu jusques icy à arrester ces plus boillans, ne soit assés forte pour les retenir davantaige, si ces troubles vont guières plus avant, bien que je ne deffauldray de la leur faire tenir la plus ferme et roide qu'il me sera possible, et de prévenir au moins leur dilligence par celle que je mettray à vous advertir, soigneusement et souvant, de ce que je leur verray faire; qui ont, Sire, desjà tant advancé leur armement, sellon le raport que m'en vient de faire ung, qui est tout à ceste heure arrivé de Gelingan où je l'avois exprès envoyé, qu'ilz l'ont rendu prest à le mettre à la voyle et ne reste rien plus aulx douze grandz navyres de guerre de ceste Royne, que les fornir d'hommes et de vivres; mais je n'ay adviz que pour telle forniture il y ayt encores aulcune commission dépeschée.
Je verray ceste Royne et ses seigneurs avant qu'ilz s'esloignent à leur progrez, et, sur l'occasion des lettres qu'il vous a pleu m'escripre, du ixe du passé, où il y a bonne et assés ample matière de les entretenir, je leur remonstreray fermement les choses qui conviennent à la paix, et celles qui la pourraient rompre, et les confirmeray, aultant qu'il me sera possible, à la debvoir bien entretenir; ne voulant obmettre, Sire, une bien fort grande pleincte que la dicte Dame mesmes, en ma dernière audience, et iceulx seigneurs m'ont faicte, et laquelle ilz prènent fort à cueur, de la violence dont ceulx de Paris ont usé contre Mr. Norrys, leur ambassadeur, [jusques] à luy avoir rompu l'accoustumée franchise de son logis, où estoit madame sa femme et ses enfans, pour les recercher sur l'exercisse de leur religion; et de ce, aussi, qu'on parle au dict ambassadeur en termes si deffians d'elle et de toutz les Anglois, comme les réputans ennemys, qu'ung des plus grandz de ceste court m'a despuys envoyé dire, avec grand affection, que cella estoit suffizant pour faire passer sa Mestresse à une déclaration de guerre, et qu'on monstroit bien en France par le mauvais trettement, qu'on faisoit à leur ambassadeur, qu'on ne se soucyoit guières que je fusse icy ny bien veu ny bien tretté, et que je fusse de mesmes empesché en l'exercisse de ma religion; ce que ne pouvant croyre procéder aulcunement de Voz Majestez Très Chrestiennes, m'advertissoit estre besoing vous escripre dilligentment d'y vouloir remédier. Et, par ce que j'ay baillé ample mémoire et instruction de toutes choses à ce gentilhomme des miens, le Sr. de Vassal, et l'ay exprès dépesché pour vous en aller donner bon compte, je vous suplieray seulement de luy donner entière foy; et prieray, pour le surplus, Nostre Seigneur, etc.
De Londres ce xxvıȷe de juillet 1569.
Ainsy que je signoys la présente, est arrivé celle qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, du vııȷe du présent, avec la relacion des choses advenues au siège de la Charité, desquelles j'informeray mieulx au vray ceste Royne et les siens, qu'il semble qu'ilz ne l'ont esté par les premières nouvelles qu'on leur en a escriptes, et suys très ayse des aultres honnestes et gracieulx termes de la dicte lettre, qui viennent bien fort à propos.
A la Royne.
Madame, j'ay miz peyne de faire, jour par jour, entendre à Voz Majestez l'estat des choses de deçà, et les vous ay quelque foys mandées diverses, sellon que diversement je les ay veues advenir, et néantmoins toutjour telles que vous en avez peu clairement juger le mesmes succez, qui, despuys jusques à ceste heure, s'en est ensuyvy; meintennent, Madame, vous entendrez à quoy elles s'acheminent, et cognoistrez par ce que j'en escriptz au Roy et par le mémoire que j'ay baillé au Sr. de Vassal, présent porteur, et par ce que je luy ay donné charge de vous en dire, qu'elles sont en ung poinct où il ne nous fault estre ny endormiz ny paresseux. Je ne deffauldray envers ceste Royne et ces seigneurs de toutz les offices, sollicitations et remonstrances, qui sont nécessaires à la paix, et, pour cest effect, je verray la dicte Dame et eulx encores une foys, avant qu'ilz s'esloignent à leurs progrez; et, avec le contenu de voz lettres, du ixe du présent, qui m'aydera beaulcoup de l'entretenir sur voz nouvelles et sur la restitution des biens de ses subjectz à Roan, je tretteray des aultres matières qui me tiennent en doubte d'elle, et métray peyne de descouvrir ce qu'elle en a en son intention, sans obmettre de luy toucher ung mot de ce que me mandez de son ambassadeur, pour lequel elle s'est advancée de me faire la pleincte que verrez en la lettre du Roy; et je vous suplie très humblement, Madame, que, pour l'honneur de sa Mestresse et pour servir au temps, il vous playse uzer et faire user si dignement envers luy qu'il n'ayt aulcune juste occasion de se plaindre, voulant hardyment sa dicte Mestresse qu'il vous rande entier compte de ses actions, et que vous les veuillez entendre de luy mesmes, sans adjouxter foy à ce qu'on vous en pourra raporter; car elle m'a asseuré luy avoir fort expressément commandé de déposer toute affection qu'il pourroit avoir à ceulx de sa religion, pour faire nettement sa charge; et qu'elle entend qu'il ayt à la vous randre bien agréable et non aulcunement suspecte.
Je suys bien ayse de pouvoir monstrer à la dicte Dame la déclaration, que le Roy m'a envoyée touchant la restitution des biens des Anglois à Roan, car desjà elle s'estoit deux foys prinse bien aigrement à moy de ce que je l'avois hastée d'envoyer ses députez par dellà, lesquelz mandoient qu'ilz n'y avoient esté ny bien receuz, ny bien responduz; et je craignois que sur noz difficultez elle s'accommodât plus facilement avec aultruy, pour tant plus convertir ses entreprinses à nostre dommaige; mais elle verra par la dicte déclaration la franchize et intégrité, dont Voz Majestez uzent envers elle, et au moins aurez vous d'aultant constitué vostre cause en bonne foy et équité, et Dieu renversera le tort et injustice qu'on vous y vouldra faire; vous supliant au reste, Madame, ouyr et croyre ce que le dict Sr. de Vassal vous dira de ma part, et je prieray dévottement le Créateur, etc.
De Londres ce xxvıȷe de juillet 1569.
Mémoire au sr. de Vassal de ce qu'il dira de ma part, oultre le contenu de la dépesche, à Leurs Majestez;
Qu'on pourvoit icy ez ordonnances de la justice et des armes, et en tout aultre règlement du pays, que rien ne s'y face au désadvantaige de ceulx de la nouvelle religion, ains les ministres et évesques tiennent fermement la main, avec l'assistance d'aulcuns d'auprès de ceste Royne, que les déterminations du conseil aillent toutjour à leur proffict et faveur.
Dont, puys naguières, s'est ensuyvy le commandement qu'on a faict aulx officiers de ceste Royne et toutz aultres, qui sont à ses gaiges et à son priviliège, de se réconsilier aulx évesques, et de recognoistre et advouer la dicte Dame pour suprême chef de l'églize de ce royaulme, et luy en prester le sèrement;
Avec grand aguet que nul soit miz en charge, ny commis au gouvernement des provinces, portz et places, ny soit estably capitaine aulx levées, monstres et descriptions d'hommes et d'armes qui se font, qui ne soit de la dicte religion.
Vray est que faisant naguières telle différance de personnes, l'on a senty qu'il y avoit, dans l'opinion du monde, de la contradiction et anymosité grande, dont la susdicte ordonnance de recognoistre la dicte Dame pour suprême chef de l'esglize n'a passé en avant.
Et, encores despuys deux mois, ayant esté non seulement permiz mais expressément commandé par toutes les provinces, de se pourvoir d'armes, nomméement de haquebutes, et de s'exercer à icelles, l'on va, à ceste heure, ez lieux plus suspectz, par ce que les catholiques s'y pourvoyoient et s'exerçoient plus curieusement que les aultres, retirant peu à peu les dictes armes des mains du peuple, pour les mettre soubz la garde des officiers, qui sont toutz, comme dict est, de la nouvelle religion.
Ainsy se manifeste la division dans ce royaulme, laquelle se norryt et prend, chacun jour, acroissement par la menée de ceulx qui aspirent au gouvernement des affaires, et par ceulx qui prétendent à la succession de ceste coronne, lesquelz commancent desjà, tout à descouver, pratiquer leurs partizans; et pareillement pour la contradiction qui se veoyt à conseiller d'un costé, et dissuader de l'aultre, l'accord des différantz des Pays Bas; et surtout pour le manifeste support qu'aulcuns font aulx affaires de la Royne d'Escoce contre d'aultres, qui fermement s'y opposent;
Entreprenans, les ungs et les aultres, de tant plus ouvertement poursuyvre leurs menées, que chacun party a plusieurs argumens pour soubstenir et débattre ce que plus il prétend, et plusieurs sans dangier ozent bien se déclairer pour la cause qu'ilz estiment la meilleure.
Les seulz affaires qui concernent meintenent la France, qui sont deux principallement, demeurent sans deffaveur, parce qu'en l'ung, lequel est de la religion, l'on est contrainct de suyvre les décretz et ordonnances de certain parlement, cy devant tenu en ce royaulme contre la religion catholique, à laquelle encor que plusieurs en leur ceur portent toute faveur, ilz ne s'ozent néantmoins monstrer adversaires de la nouvelle.
Et au segond affaire, lequel est de Callais, toutz, d'ung mesme vouloir et d'une mesme opinion, concourent à ce qui met en avant pour le recouvrer, et semble que ceulx, qui ont maulvaise intention, bastissent sur ce dernier prétexte des entreprinses pour le premier, et font à cest effect dresser les apareilz que nous voyons, lesquelz sont en l'estat que j'ay cy devant escript.
Je travailleray bien, aultant qu'il me sera possible, d'interrompre et divertir leurs menées par toutz les meilleurs moyens, que j'estimeray y pouvoir servir, ainsy que, ez trois ou quatre dernières audiences, je n'ay obmiz de remonstrer à ceste Royne par propos nullement recerchez, ains sur la suyte des siens, bien vifvement le bien de la paix, et le mal et ruyne qui luy adviendroit de la rompre, et qu'elle se pouvoit plus prévaloir de la présente amytié du Roy, qu'elle ne fera de proffict d'une guerre incertaine et trop dobteuse, si elle le provoque à estre son ennemy; et luy ay admené toutz les argumens que j'ay peu pour luy oster l'opinion de la ligue, qu'on luy faict acroyre des catholiques; mais encor qu'elle se laysse quelque foys bien disposer, je cognois néantmoins qu'après qu'elle a conféré mes propoz avec aulcuns, qui sont auprès d'elle, ilz luy représentent tant de dangiers, et luy admènent tant de persuasions au contraire, que bien souvant ilz la divertissent.
Naguières, au partir d'elle, m'estant arresté en la salle de présence avec les seigneurs de son conseil, pour aulcuns affaires des merchantz françoys, Me. Cecille, parmy les aultres, me dict tout hault que j'avois prins grand peyne de vouloir monstrer à la Royne, sa Mestresse, qu'il n'y avoit poinct de ligue entre les catholiques, qui estoit trop notoire qu'elle estoit faicte et jurée, et encor que le Roy fût meintenent seul en campaigne, les aultres princes néantmoins concouroient d'intelligence avec luy, et le Pape et le Roy d'Espaigne y avoient leur exprès secours, et que, à ce que j'avois remonstré que le dict secours n'arguoit rien de la dicte ligue, pour ce que, si elle estoit, les dictz princes auroient desjà armées en leur nom aulx champs;
Qu'on sçavoit bien, quant au Pape, qu'il y avoit miz tout ce qu'il pouvoit, car ses moyens n'estoient pas grandz; que l'Empereur n'avoit grand pouvoir en Allemaigne pour arrester les reytres, comme je disois qu'il eust faict, si la dicte ligue eust esté faicte; ains estoit l'authorité ez mains des princes de l'empire, lesquelz il ne pouvoit empescher qu'ilz ne missent hors du pays aultant de gens de guerre, comme ilz en vouldroient tirer pour la deffance de leur religion; et que le Roy Catholique ne pouvoit, à cause des Mores, envoyer plus de forces d'Espaigne que celles qui en estoient desjà dehors, ni le duc d'Alve n'ozeroit mettre ensemble tant d'Allemans et de Flamans qu'ilz se trouvassent plus fortz que les Espaignolz, car ne s'y vouloit fyer; et de sortir avec les dictz Espaignolz hors du pays, il craignoit trop une révolte qui l'empeschât d'y rentrer; et par ainsy que, y dominant, à ce qu'il disoit, en tyran, il estoit contrainct d'y demeurer assidu à le garder. Par ainsy, les aultres princes, par l'aparance d'ung petit secours, faisoient au Roy seul soubstenir toute ceste guerre.
Je luy ay respondu qu'on ne debvoit estimer le Roy si mal conseillé, s'il y avoit ligue, qu'il vollût prandre sur luy tout le hazard et toute la charge d'icelle, pendant que les aultres demeureroient asseurez dans leurs estatz à juger des coups; et qu'il estoit très certain que le Roy ne prétendoit, par les armes qu'il avoit meintennant en la main, que de recouvrer l'obéyssance de ses subjectz, et que ce qui sembloit le monstrer tant adversaire de la nouvelle religion estoit parce qu'il ne voyoit point d'aultres, qui luy menassent la guerre, ny qui s'oposassent à ses desirs et intentions en son royaulme, ny qui missent son authorité en débat, que ceulx de la dicte religion.
A cella il m'a aigrement répliqué que, si le Roy n'estoit droictement armé contre leur religion, laquelle il voyoit bien que beaulcoup de princes, de peuples et de nations, qui l'avoient desjà receue, se mettoient en avant pour la soubstenir, et qu'il ne serchât, comme je disois, que le droict de son authorité, pour quoy reffuzoit il donques les honnestes et advantaigeuses propositions de paix, que la Royne, sa Mestresse, et les princes d'Allemaigne luy avoient mises en avant, ou pourquoy ne faisoit il cognoistre que les aultres se plaignoient à tort; car toutz les gens de bien du monde concourroient en sa faveur, et à luy offrir secours et assistance contre ceulx qui n'auraient aultre tiltre que de rebelles?
Je luy ay respondu qu'il n'estoit raysonnable que telle proposition de paix vînt d'ailleurs que de l'humble suplication et parfaicte obéyssance des subjectz; car aultrement elle seroit honteuse au Roy, mais, s'ilz commançoyent par là, ne failloit doubter que le Roy ne se portât envers eulx comme prince clément et bénigne; et que le dict secrétaire Cecille le debvoit remonstrer à Mr. le cardinal de Chastillon, à qui il parloit souvant, affin qu'il plyât son frère à ce debvoir: car, si sellon icelluy il ne posoit avec humilité les armes soubz la confiance du Roy, il failloit ou que les huguenotz eussent le dessus des Roys, ou que les Roys vinssent à boult des hugnenotz, et que les ungs fussent la ruyne des aultres.
Là s'eslargirent trois ou quatre d'entre eulx en beaulcoup de grandz propos, qui monstroient ne tenir à eulx qu'on n'entreprînt tout promptement ung voyage en France, et de tant qu'ilz ne se pouvoient tenir de blasmer le temporisement qu'on en faisoit, ilz donnoient à cognoistre qu'on temporisoit, et qu'on attendoit seulement l'occasion, [ce qui] se descouvre assés par l'armement qu'ilz tiennent prest; et je crains fort, si la guerre de Guyenne s'aproche vers la mer de deçà, qu'ilz la facent lors paroistre, ou bien, si le duc de Cazimir descend en Picardye, lequel de Cazimir l'on estime qu'il entreprendra ceste guerre en son nom, mais qu'il la fera avec les deniers de ce royaulme.
Et semble que plusieurs, icy, ayent opinion que le dict duc de Cazimir descendra au dict pays de Picardie, au moins fault il faire estat qu'il marchera suyvant ce que ceste Royne naguières m'en a dict, laquelle m'en a parlé en certaine façon qu'elle a monstré le tenir tout asseuré. Et bien que despuys elle se soit rétractée, disant qu'elle l'avoit seulement ouy dire, mais qu'elle m'en feroit bien tost sçavoir la certitude, qui luy en seroit mandée par les prochaines lettres d'Allemaigne, le comte de Lestre m'a despuys mandé que Quillegrey avoit escript que le dict duc avoit quatre ou cinq mille chevaulx et six mil lansquenetz toutz prestz; ne restoit plus que quelque argent pour se mettre incontinent en campaigne.
Et je sçay, par adviz bien certain, qu'il a esté escript au dict Quillegrey, lequel sembloit estre en termes de s'en revenir, qu'il n'ayt encores à bouger de Hembourg, et que, nonobstant les difficultés qui se sont jusques icy trouvées sur la forniture des 40 mil livres esterlin, vallans 133 mil escuz, qui debvoient estre miz en ses mains, pour les bailler de dellà, desquelz, à la vérité, l'on avoit trouvé moyen d'aulcunement révoquer, à tout le moins retarder le payement, qu'il sera donné ordre qu'il les aura du premier jour; et qu'aussitost qu'il entendra que le dict duc de Cazimir marchera, qu'il ne faille de l'aller trouver, et de l'accompaigner et suyvre nomméement en son voyage de France.
Laquelle intelligence de ceulx cy avec le dict duc de Cazimir me faict doubter qu'ilz ayent ensemble projecté quelque entreprinse en mesmes temps, et que ceulx cy tiennent prestz ces douze grandz navyres de guerre et tout ce grand équipage, qui est retourné de la Rochelle, pour l'exécuter; car desjà l'on parle de retourner à la mer, et aulcuns pirates, à tiltre de merchans, s'y sont desjà miz.
Mesmes, il m'est venu, despuys deux jours, ung advertissement de lieu bien notable, lequel m'a esté confirmé, despuys une heure, par l'ambassadeur d'Espaigne, comme l'on a escript à monsieur l'Admyral qu'il face tout ce qu'il pourra pour conduyre son armée en Picardie ou Normandie, et qu'il se trouvera douze ou quinze mil Angloys, prestz de se mettre en mer pour le favoriser, et que cependant l'on luy assemblera une bonne somme de deniers sur les bagues de la Royne de Navarre.
Je ne sçay si, par l'entremise d'aulcuns seigneurs qui se monstrent ennemys et contraires de telles entreprinses, lesquelz je ne fauldray de bien employer, et par la survenue des affaires d'Irlande, et qu'encores les différans des Pays Bas, ni ceulx d'Escoce, ne sont bien accommodez, nous pourrons évitter une partie de cest orage, ou au moins déclaration de guerre; tant y a que je desire qu'on contante aulcunement la dicte Dame sur la délivrance et restitution des biens de ses subjectz, affin de nous constituer toutjours en meilleure cause, et ne luy donner l'occasion à elle, par noz difficultez, de s'accommoder plus facillement avec aultruy, pour tant plus convertir ses entreprinses à nostre dommaige.
Elle est travaillée, à la vérité, en Irlande par le frère du comte d'Esmont, lequel comte estant dettenu en la Tour de Londres à la poursuyte, comme on dict, du comte d'Ormont, milor Sideney, gouverneur d'Irlande, a faict appeler son dict frère pardevant luy pour venir respondre de certains excez, et l'a faict aussi convenir sur la restitution d'aulcunes terres, que aulcuns Anglois aclament leur apartenir par donnation des roys d'Angleterre, lorsqu'ilz conquirent le pays, ayant esté mandé de les adjuger à la partie qui en exibera meilleur tiltre, là où n'estant accoustumé d'uzer au dict pays d'aultres tiltres ny documens que de quelque preuve d'ancienne possession par tesmoing, le dict frère n'a compareu à l'une ny l'aultre assignation, dont voulant le gouverneur procéder contre luy comme rebelle, il s'est miz aulx champs; et le jeune frère du comte d'Ormont s'est joinct avecques luy, ensemble Estuquetay, qui despuys a esté prins et admené en ceste ville; tant y a que le dict d'Esmont, avec l'ayde de ceulx qui demandent la messe, est demeuré maistre de la campaigne et a prins deux fortz sur le gouverneur et va toutjour gaignant pays.
Aussi s'entend que le Chef Onel a accordé mariage avec la veufve ou avec la fille de feu Jammes Maconel d'Escoce, et que mille ou douze centz Escossoys saulvaiges, catholiques et bons soldatz, s'aprestent de passer en Irlande, pour se trouver aulx nopces, ce qui met ceulx cy en doubte qu'ilz y veulent attempter quelque chose.
Et faict ceste Royne dilligence d'envoyer promptement le secours de trois mil hommes, que j'ay cy devant mandé, avec bon nombre de toutes monitions de guerre, et a l'on, ces jours passez, arresté par tout ce royaulme les vagabondz et gens sans adveu, pour aussi les y envoyer, dont l'on en a assemblé ung bon nombre.
L'ambassadeur d'Espaigne, qui est meintennant sans gardes, et est visité de ceulx qui ont affaire à luy, bien qu'il ne sorte encores de son nouveau logis, a desjà donné satisfaction de luy à ceste princesse, ainsy qu'elle mesmes me l'a dict, c'est qu'il a excusé aulcunes siennes lettres, qui sembloient l'avoir offancée, disant qu'elles ont esté prinses en aultre sens qu'il n'avoit onques entendu les escripre, et que toutjour il avoit honnoré la dicte Dame et desiré conserver la paix et amytié qu'elle a avecques le Roy, son Maistre, et pareillement la dicte Dame l'a faict satisfaire à luy sur sa détention, et qu'elle ne l'avoit commandé, sinon pour la démonstration tant violante qu'avoit commencée le duc d'Alve, comme s'il eust vollu passer à une manifeste déclaration de guerre, et qu'il sembloit que le tout fût procédé du dict ambassadeur, mais puysque l'ung et l'aultre monstroient, à ceste heure, qu'ilz n'avoient que toute bonne affection à l'entretennement de la paix, elle vouloit bien donner à cognoistre au dict ambassadeur que, y procédant ainsy sellon le debvoir de sa charge, il ne recepvroit que toute faveur et gracieuseté d'elle, ainsy que, de ceste heure, elle le gratiffioit très volontiers de sa liberté.
Et semble qu'il a esté raporté à la dicte Dame que le Roy d'Espaigne a mandé au duc d'Alve de ne prendre aulcune deffiance d'elle, ny penser qu'elle luy veuille mouvoir guerre, parce qu'il ne pouvoit croyre qu'elle ne se souvînt de l'obligation de la vie, qu'elle luy debvoit, de la luy avoir saulvée, lors qu'à grand difficulté, quant il estoit en ce royaulme, il avoit interrompu et faict révoquer le jugement de mort, qui estoit desjà tout conclud et arresté contre elle[9].
La difficulté de l'affaire des Pays Bas a tenu, jusques icy, à certains poinctz, qui empeschoient bien fort l'accord;—premièrement, à l'offance que la dicte Dame sentoit, tant de ces lettres qui avoient esté escriptes d'elle, que de la saysie des biens et personnes de ses subjectz en Envers, et de l'injure faicte à son ambassadeur en Espaigne;—secondement, à l'opinion du secrétaire Cecille, lequel ayant descouvert que le duc d'Alve et le dict ambassadeur menoient une pratique pour le débouter de son lieu, il s'esforceoit de disposer contre eulx, en tout ce qu'il pouvoit, la volonté de sa Maistresse et les affaires de ce royaulme;—tiercement, à la restitution des prinses; mais estant ce dernier en bonne voye de composition au grand advantaige de ceulx qui possèdent le butin, et le secrétaire Cecille racointé au dict ambassadeur, facillement l'on est parvenu au premier qui estoit d'adoulcir l'offance que sentoit la dicte Dame.
Or, les articles proposez là dessus par le Sr. Ridolphy, lesquelz j'ay sommairement couchés en ung mémoire, que j'ay envoyé le xxȷe du passé, ont esté publicquement présentez en ce conseil, et les remonstrances du dict Cecille, lesquelles on disoit qui seroient fort contraires à iceulx, ne tendent que à ce qui s'ensuyt:—premièrement, à debvoir commancer l'accord par eslire des arbitres sur la dicte restitution, à ce qu'elle soit esgallement faicte et sans fraulde, et que le priz des choses qui ne pourront estre restituées soit raysonnablement faict;—segondement, à lever les gravesses, toles et impostz miz en Envers sur les Anglois;—tiercement, à réformer aulcuns chapitres des anciens trettez, jouxte ce qui en fut remonstré à la dernière conférance de Bruges, en l'an 1561;—et, pour le quatriesme, à rendre l'accoustumée liberté et priviliège à l'ambassadeur de la dicte Dame en Espaigne, et à son agent en Flandres, si elle se détermine d'y en envoyer;—lesquelles choses pourront bien, possible, avant qu'elles soyent bien discutées, aporter quelque longueur, mais non empescher la conclusion de l'accord.
Et j'entendz que desjà un Sr. Thomas Fiesque, qui est naguières venu de Flandres, et le Sr. Anthoine de Goaras, merchant espaignol, ont charge, l'ung de composer de l'argent, et l'aultre des merchandises qui ont esté prinses aulx particulliers, de quoy semble qu'ilz feront merveilleusement bonne et grasse la condition d'aulcuns seigneurs de ceste court; et, quant à la restitution des choses advouhées par les deux princes, et aussi touchant l'injure publique, dont l'ung et l'aultre se plaignent, cella sera remiz aulx depputez qui n'y auront grand peyne.
Les affaires de la Royne d'Escoce demeurent en suspens, attandant la déclaration, que Monsieur, frère du Roy, envoyera sur la cession, qu'on dict qu'elle luy a faicte du tiltre de ce royaulme, et atandant aussi les depputez, que le comte de Mora doibt envoyer, lesquelz il n'a peu encores dépescher pour estre occupé ez parties du Nort, bien qu'il s'entend que les comtes d'Arguil et de Honteley se soyent accommodez avecques luy.
Et incontinent après le retour du dict Bourtic, et l'arrivée des dictz depputez, j'espère qu'on commancera de procéder, à bon escient, au restablissement et restitution de la dicte Dame, à quoy on a miz grand peyne de bien disposer la Royne d'Angleterre; et semble que la dilligence et vifve sollicitation, que les principaulx de ce royaulme luy en font, l'ayent réduicte à n'y pouvoir plus contradire ny dissimuler, et mesmes le secrétaire Cecille, qui sembloit y contrarier, porte meintennant le faict, et est à espérer que non seulement elle recouvrera son royaulme, mais qu'on l'asseurera du tiltre et succession de cestuy cy après le décès de sa cousine; et à cella se déclairent les principaulx du pays, et y concourt la faveur du peuple, et s'estime que la Royne mesmes d'Angleterre, encor qu'il luy en face, possible, bien mal au cueur, n'entreprendra pourtant de s'y opposer.
AULTRE MÉMOIRE AU DICT Sr. DE VASSAL.
Despuys deux moys, aulcuns seigneurs de ce conseil m'ont faict dire que, se trouvant la Royne d'Angleterre pressée par ses subjectz de prandre aulcun bon ordre sur les différantz des Pays Bas et sur la souspeçon de guerre où l'on vivoit avecques la France et l'Espaigne, et aussi sur les affaires de la Royne d'Escoce, pareillement à déclairer son successeur et à restablir le commerce de la mer à ses subjectz, finallement à réprimer ceste sublévation commancée en Irlande en dangier qu'elle la voye bien tost s'estendre plus avant si elle ne pourvoit promptement à tout ce dessus;
La dicte Dame, pour aulcunement se démesler de si grandes difficultez, avoit pensé qu'elle feroit mettre en avant aulcun propos de son mariage avecques le Roy, ou bien avecques le Roy d'Espaigne, dont, possible, j'en ouyrois bien tost parler, mais qu'il failloit que je demeurasse tout adverty de n'en croyre rien, car ce n'estoit que pour amuser le monde et gaigner le temps.
Et le xxvııȷe du passé, en une audience que je heuz de la dicte Dame, sur la fin des propoz elle me demanda si les nouvelles qu'on disoit de ces mariages du Roy avec la seconde de l'Empereur, et de l'aynée avec le Roy d'Espaigne, estoient véritables; à quoy je répondiz que je n'en sçavois du tout rien, et qu'il ne m'en avoit esté mandé ung seul mot de France;
Mais que, avant partir, j'avois bien sceu qu'il avoit esté quelque foys parlé de l'aynée avec le Roy, et que mal ayséement, s'il y avoit miz affection, vouldroit il meintennant entendre à changer; mais que j'estimois que là où il estoit à ceste heure, l'on y parloit bien d'aultre matière que de nopces. Ce que je luy vouluz dire ainsy, sentant la grande jalouzie qu'elle a, quant elle entend que leurs Majestez Très Chrestienne et Catholique s'allient ainsy plus estroictement entre eulx.
Elle me répliqua qu'on luy avoit dict que les choses en estoient si avant qu'elles valloient aultant que faictes, adjouxtant que le Roy et Monsieur estoient à ceste heure de taille et de force, et si parfaictement sains et en bonne disposition, qu'il n'y avoit plus dangier de les maryer, et que, à manyer armes et estre bien à cheval, le Roy ressembloit desjà le feu Roy, son père, qui avoit esté le plus adroict prince de son temps, et Monsieur avoit changé ses coustumes de court en aultres plus braves et difficiles entreprinses, qui faisoient merveilleusement bien parler de luy.
Je miz peyne de confirmer son honneste discours le plus à la louange de l'ung et de l'aultre, sellon la vérité, que je peuz, et après, elle suyvit à me dire que premièrement pour le Roy, et puys pour Monsieur l'on avoit quelque foys miz en avant le party de la princesse de Portugal, et qu'au regard de celluy là elle ne seroit encores estimée hors d'eage.
Je luy diz que ung chacun à la vérité s'esbahyssoit bien fort comme elle faisoit tant de tort aulx grandes qualitez, que Dieu avoit miz en elle, de beaulté, de sçavoir, de vertu et de grandeur d'estat, pour ne vouloir laysser aulcune belle postérité après elle pour y succéder;
Que nul ne debvoit pas trouver mauvais qu'elle y vollût bien penser, puisque Dieu luy avoit donné de quoy pouvoir eslire: car n'y avoit prince qui ne s'estimât bien heureux, si elle le vouloit choysir, et que aussi croyois je, à la vérité, qu'il fauldroit qu'elle en vînt là d'elle mesmes, parce que nul ne s'ingèreroit dorsenavant de s'y offrir, mais que je voulois bien dire qu'à faire une bonne et droicte eslection, je ne voyois qu'il y eust rien de meilleur, ny plus desirable en toute la chrestienté, pour les princesses à marier, que ces trois princes de France, filz du Roy Henry, dont l'aisné estoit très digne Roy, vray successeur de son père, le second tant royal en toutes sortes qu'il ne luy failloit qu'une coronne, et le troisiesme correspondroit sans doubte à ses deux aisnez.
Elle respondit que le Roy ne vouldroit poinct d'elle, et qu'il se tiendroit tout honteux de monstrer, à une entrée à Paris, une Royne pour sa femme, qui parût si vieille qu'elle feroit, et qu'elle n'estoit plus en eage pour sortir de son pays, comme avoit faict la Royne d'Escoce, quant on la porta bien jeune en France.
Je diz que, quant ung tel ou semblable mariage adviendroit, qu'il se commanceroit la plus illustre lignée qui eust esté, mille ans a, au monde de l'extraction des deux plus nobles et plus anciennes coronnes des chrestiens, et qu'il sembloit à son propoz qu'elle eust cy devant accusé les ans du Roy et que meintennant elle vollût accuser les siens;
Mais ainsy qu'elle s'estoit bien conservée contre ses ans, de sorte qu'ilz ne luy avoient rien emporté de sa beaulté, ainsy le Roy et Monsieur avoient si bien aproffité les leurs, qu'ilz avoient acquiz beaulté, force et taille, telle qu'ilz estoient hommes toutz parfaictz;
Et qu'il debvoit prandre envye à la dicte Dame de faire une entrée à Paris, car elle y seroit la plus honnorée, et bien venue, et bénye, de ce bon et grand peuple et de toute la noblesse de France, qu'en lieu où elle pourroit aller en tout le reste du monde; et, s'il luy estoit grief de passer la mer, possible, entreprendroit quelcun de faire ung si heureux voyage par deçà qu'elle en auroit très grand playsir et contantement.
«Je ne sçay, dict elle, si la Royne l'auroit agréable, car, possible, veult elle une belle fille si jeune qu'elle la puysse dresser à son playsir.»—«Je sçay, respondiz je, que la Royne est si bénigne, et d'une si humaine et gracieuse conversation, que toutes deux n'auriez rien plus agréable au monde que d'estre toutjour ensemble, et de complaire l'une à l'aultre, tesmoing l'honneur et respect qu'elle a toutjour porté à la Royne d'Escoce et qu'elle luy porte encores.»
Au partir de la dicte Dame, Me. Cecille me toucha ung mot des dictz mariages, sur lesquelz tant pour monstrer aulcune bonne affection envers la Royne, sa Mestresse, que pour ne luy laysser une opinion de tant d'alliance et d'intelligence de nostre part avec le Roy d'Espaigne, que cella la fît recourir à luy pour d'aultant se retirer de nous;
Je luy esloigniz assés le party de la seconde de l'Empereur, et luy diz que je voullois tretter avecques luy d'ung aultre mariage, qui seroit le plus à propos du monde, pour l'establissement de ces deux royaulmes et pour la paix universelle de la chrestienté;
Et est attandant que nous en trettions ung jour privéement ensemble, dont plairra à la Royne me mander si ce sera sellon le propos, que Sa Majesté m'en tint à mon partement, en quoy luy plairra considérer cest aultre discours qui s'en suyt.
TROISIÈME MÉMOIRE AU DICT Sr. DE VASSAL.
Les principaulx de ce royaulme tiennent pour résolu que leur Royne ne se mariera jamais, et quant bien elle en feroit quelque semblant, ce ne seroit que pour amuser le monde affin que ses subjectz ne la pressent de déclairer son successeur à la couronne.
Lesquelz subjectz l'en ayant bien fort pressée, au dernier parlement, qui a esté tenu en ce royaulme, elle leur a usé de tant d'artiffices qu'en monstrant de les en vouloir contenter, elle s'en est entièrement démeslée.
Ayant une foys aproché le propos avec l'Archiduc jusques à dresser les articles et conventions matrimonialles, et envoyer le comte de Sussex jusques devers l'Empereur, et puy l'a acroché sur le prétexte de ne pouvoir ottroyer au dict Archiduc, ny à ceulx de sa mayson, aulcun exercisse de la religion catholique, de tant que en ung parlement, qui sur le faict de la religion avoit esté auparavant tenu, elle s'estoit obligée de n'ottroyer jamais chose semblable en ce royaulme.
Et despuys, pour le rompre du tout manda à l'Empereur que, quant elle auroit volonté de prandre party, ce ne seroit d'ailleurs que de la mayson d'Autriche, mais que pour son indisposition elle estoit résolue de n'entendre du tout à pas ung jusques à ce qu'elle se trouvât plus sayne.
Peu de temps après, s'estant le comte d'Arondel vollu esclarcyr de ce qui estoit entre la dicte Dame et le comte de Lestre, et si cella estoit occasion de luy faire ainsy rejecter toutz aultres partys, il persuada au duc de Norfolc, qui est le premier et plus authorisé de ce royaulme, de dire au dict [comte] de Lestre:
Que, pour le debvoir qu'il avoit à la Royne, sa Mestresse, et à sa coronne, comme vassal, et conseiller d'icelle, et encores comme amy du dict [comte] de Lestre, il luy vouloit bien dire que, s'il y avoit quelque chose si advancée entre la dicte Dame et luy qu'il se peult asseurer de l'espouser, qu'il le dict ouvertement et qu'il commançât d'y procéder en quelque bonne façon, qui fût décente, et convenable à la grandeur et importance d'ung tel mariage, et que, de sa part, il luy promettoit de luy estre aydant en tout ce qu'il pourroit; mais, s'il n'y avoit rien de tel, qu'il advisât de se déporter dorsenavant de la familiarité, et trop grande privaulté, dont il avoit usé jusques icy, et de se contanter d'estre grand escuyer, et d'avoir plus d'avancement que nul aultre, sans attampter à l'honneur de la coronne, ny gaster celluy de leur Mestresse; car il le vouloit bien advertir tout franchement, que la noblesse ny les subjectz du royaulme n'estoient pour le luy souffrir;
Et le taxa de ce qu'ayant l'entrée, comme il a, dans la chambre de la Royne, lorsqu'elle est au lict, il s'estoit ingéré de luy bailler la chemise au lieu de sa dame d'honneur, et de s'azarder de luy mesmes de la bayser, sans y estre convyé.
A quoy le dict [comte] de Lestre respondit qu'il le remercyoit, et se tenoit obligé à luy plus que de la vie, pour l'advertissement qu'il luy donnoit, et qu'à la vérité, la Royne luy avoit monstré quelque bonne affection, qui l'avoit miz en espérance de la pouvoir espouser, et d'ozer ainsy user de quelque honneste privaulté envers elle; dont, par l'offre que le dict duc luy faisoit d'ayder son entreprinse, il le constituoit en la plus grande obligation qu'il pouvoit jamais avoir à homme du monde, mais le prioyt de luy donner temps qu'il s'en peult esclarcyr, et, s'il voyoit qu'il n'y peult advenir, luy promettoit de se retirer bien tost; et quoy que ce fût, qu'il avoit la mesmes obligation à l'honneur de la Royne et à celle de sa coronne, que ung bon vassal et conseiller doibt avoir, et qu'en toutes sortes il le vouloit plus soigneusement conserver que sa propre vie.
A quelques jours de là, estant la dicte Dame pressée d'en déclairer son intention, elle respondit tout résoluement qu'elle ne prétandoit d'espouser le dict [comte] de Lestre, dont despuys, les deux se sont portez plus modestement, et luy s'est retiré des grandes despences que, pour y cuyder parvenir, il avoit de long temps entreprinses.
De ces deux démonstrations, et d'une aultre auparavant envers le Roy de Suède, lequel pareillement elle avoit renvoyé, ensemble d'aulcuns propos qu'elle a tenuz touchant d'aultres plus grandz partis, et pour une forme de vivre à quoy elle s'est adonnée, les grandz de ce royaulme tiennent pour chose résolue qu'elle ne prendra jamais mary; et quant bien elle en prendroit, qu'il n'y aura toutesfoys lignée d'elle, estant mal sayne, et que mesmes pour quelque accidant qu'elle a aulx jambes, elle ne sera de longue vie, et que néantmoins elle refouyra tant qu'il luy sera possible de déclairer son successeur.
Pour rayson de quoy ilz commancent d'avoir la dicte Dame et son authorité à moins de respect; mesmes voyantz que ceulx qui prétandent à sa coronne après sa mort, dressent desjà des partiz et ligues bien fortes dans ce royaulme, au grand dangier des testes des plus grandz et de la subversion de l'estat, ilz se déterminent d'y pourvoir de bonne heure par nouvelle assemblée du parlement, encor que la dicte Dame entrepreigne de s'y opposer.
Je me suys enquiz si elle avoit aulcune jeune parante à maryer, qu'elle peult déclairer son héritière à sa dicte coronne; mais l'on ne sçayt qu'elle en ayt pas une, et ne se parle meintennant que du droict et prétention de trois: sçavoir, de la Royne d'Escoce, des pupilles de Herfort, et du comte de Huintenton.
Dont l'on a miz grand peyne d'esteindre et suprimer, si l'on eust peu, celluy de la Royne d'Escoce, par l'impression qu'on donnoit à la noblesse de ce pays des choses advenues du murtre du feu Roy d'Escoce son mary, et de celles qui estoient advenues avec le comte de Boudouel.
A quoy semble que ceste Royne, pour quelque jalouzie qu'elle avoit, se soit quelquefoys inclinée, et qu'encor qu'elle ayt toutjour bien fort tandu à luy conserver sa personne, qu'elle ayt néantmoins layssé courir ce qui touchoit à son honneur, ainsy que mesmes despuys naguières, estimant que la venue de Duglas confirmeroit quelque chose de ce qu'on en avoit parlé cy devant, elle luy a octroyé le congé, contre l'opinion du conseil, de l'aller veoir; de sorte que l'ung des grandz dict que, si le comte Boudouel mesmes venoit, il seroit facilement admiz à l'aller trouver.
Le secrétaire Cecille avoit esté jusques icy bien fort contraire à la dicte Dame, pour advancer le droict de ceulx de Herfort, qui sont en sa tutelle, et sont de la mayson de Sommerset, de laquelle il est serviteur; pareillement le garde des sceaux, et les évesques et ministres de la nouvelle religion, ont fort porté et portent le faict du comte de Huintenton, beau frère du comte de Lestre, craignans, si elle parvient à la coronne, qu'elle n'extermine leur dicte religion.
Tant y a qu'il se veoyt que, par l'apuy du duc de Norfolc et du comte d'Arondel, du comte de Lestre, du comte de Pembrok, de celluy de Sussex, des principaulx seigneurs du Nort, et aultres de ce royaulme, le droict de la dicte Dame va prévalloir dessus toutz ceulx qui y prétendent; dont le dict comte de Lestre, en faveur principallement du duc de Norfolc, semble avoir entreprins d'y donner bonne conduicte, sans pour ce offancer en rien la Royne d'Angleterre, se préparant par là ung refuge à l'advenir contre tant d'ennemys et d'envyeulx qu'il s'est acquiz en ce royaulme.