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Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Second: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575

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LIXe DÉPESCHE

—du XIXe de septembre 1569.—

(Envoyée exprès par Jehan Valet jusques à Calais.)

Envoi des réponses faites par la reine d'Angleterre aux lettres concernant les mariages du Roi et de Madame.—Importance des sommes qu'Élisabeth s'efforce de réunir en Allemagne, où elle dispose d'un grand crédit.—Arrivée de la flotte anglaise à Hambourg.—Jonction des navires du prince d'Orange à ceux du bâtard de Briderode, sur la côte de Frize.—Troubles d'Irlande.—Conditions auxquelles les frères d'Ormont offrent de déposer les armes.—Détermination, prise par le roi d'Espagne, d'envoyer des députés à la reine d'Angleterre pour traiter de leurs différends.—Nouvelles d'Écosse.—Refus fait par le comte de Murray de lever le siége de Dumbarton, sur la demande d'Élisabeth.—Assemblée de Stirling.—Arrestation du comte de Lethington comme complice du meurtre de Darnley.

Au Roy.

Sire, partant la Royne d'Angleterre mercredy dernier de Amptonne, où elle a faict le bout de son progrez de ceste année, sans passer en l'isle d'Ouic, comme elle avoit dellibéré de le faire, mais aulcuns principaulx seigneurs de sa court y ont bien passé, et le capitaine Orsey, qui en est gouverneur, est venu deçà faire devant la dicte Dame une reveue d'envyron deux mil harquebouziers de la dicte isle. Elle m'a envoyé sa responce, qu'elle faict aulx lettres de Voz Majestez du xve du passé, sur lesquelles vous ayant desjà, par les miennes du xıııȷe d'estuy cy, randu compte de ce que, de parolle, elle me dict lorsque je les luy présentay, je ne vous en toucheray icy rien davantaige; seulement vous diray, Sire, que la dicte Dame s'en vient à Amthoncourt au xxvȷe de ce moys, pour estre prez de ceste ville, affin de pourvoir à plusieurs siens affaires qui se présentent meintennant, entre lesquelles elle et les siens monstrent toutjour avoir fort le cueur aulx évènemens de France, regardans de près quelle yssue pourra prendre ceste guerre, et se pourvoyans pour ceste occasion, oultre ce que je vous ay desjà mandé de leur apareil de guerre par deçà, d'avoir aussi des deniers en Allemaigne; car bonne partie de ce que les recepveurs d'Angleterre peuvent lever, ou qui se peult recouvrer par moyens et inventions extraordinaires, se dellivre au Sr. Thomas Grassan, qui le va distribuant de main en main secrectement aulx merchantz de ceste ville, affin qu'ilz layssent aultant de deniers de la vante de leurs draps, qu'ilz ont envoyé en Hembourg, ez mains des agentz de la dicte Dame par dellà, si bien que de deux millions cinq cens mil escuz, que vallent les deux flottes ou aultres parties qu'on y a envoyé ceste année, l'on faict estat qu'il n'en retournera icy, ny par amployte d'aultre merchandise, ny en deniers, guières plus de huict centz mil escuz, affin que la dicte Dame ayt fonds et grand crédit en Allemaigne pour y pouvoir lever gens de guerre quant elle vouldra.

Et touchant les bagues de la Royne de Navarre, la dicte Dame, à la vérité, a reffuzé de prester argent dessus, allégant estre pressée d'une debte qu'elle a promiz payer à la fin de ce moys à Francfort, mais n'empeschoit qu'on ne se peult accommoder avec ses créditeurs du dict payement sur les dictes bagues, pourveu qu'elle demeurât quicte tant du principal que des intérestz. Et ainsy, par ung moyen ou aultre, semble qu'il y a [et] aura deniers fornys sur les dictes bagues, mais c'est en sorte que les principaulx de ce conseil n'en sentent rien; et s'est monstrée la dicte Dame fort offancée, ces jours passez, contre la communaulté des merchantz de ceste ville, qui s'estantz assemblez pour dellibérer par pluralité de voix sur la forniture de tant de deniers en Allemaigne, elle leur a mandé qu'ilz avoient trop entreprins de tretter en ceste sorte d'ung tel faict, auquel ilz publioient et révéloient son secrect et le secrect de ses affaires, et qu'ilz n'avoient à penser que à la seurté de leurs deniers, sans s'entremettre de cecy plus avant.

La flotte, qui est partie pour Hembourg, a heu bon vent, et, sellon le raport d'ung qui est revenu de dellà, elle est arrivée à saulvement au dict lieu, et dict davantaige que Mr. de Lizy et le Sr. de Jumelles ont prins terre à Endem pour tant plus tost se randre devers le duc de Cazimir, affin de le haster de se mettre incontinent en campaigne; et qu'il a veu, au reste, joindre les ourques et vaisseaulx de l'homme du prince d'Orange avec les quatre navyres du bastard de Briderode sur la coste de Frize, et qu'ilz sont à ceste heure unze bons vaisseaulx ensemble, aussi bien armez et équipez qu'il est possible, et crainct on qu'ilz porteront grand dommaige à la pescherye de Flandres de ceste année; tant y a que je suys bien ayse d'avoir au moins obtenu de ceste Royne qu'ilz n'ayent, pour ceste foys, prins la routte de France.

Les choses d'Irlande passent diversement, car une partie des soublevez, mesmement celle où estoient les deux frères du comte d'Ormont, ont desjà, par le moyen de leur frère, offert de se soubmettre [et] de poser les armes pourveu que les griefz, pour lesquelz ilz disent les avoir prinses contre Charo, soyent décidez au conseil d'Angleterre et non pardevant le Debitis; mais les aultres soublevez persévèrent, et mesmes j'entendz qu'ilz prospèrent en leur entreprinse, laquelle se monstre assés doubteuse. Néantmoins ceulx cy ne l'estiment estre de guières de dangier.

Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne m'a faict entendre que dans le paquet, qui luy est dernièrement venu par la dépesche que Vostre Majesté m'a faicte du dernier du passé, il a receu une lettre du Roy Catholique pour la Royne d'Angleterre qui porte deux chefz;—l'ung, de la prier qu'elle veuille ottroyer saufconduict à ceulx qu'il a advisé d'envoyer de sa part devers elle, tant pour tretter des différandz qui sont survenuz ceste année entre leurs subjectz, que pour satisfaire aulx poinctz de la lettre qu'elle luy escripvit l'hyver passé en latin;—et l'aultre chef, est de l'exorter qu'elle ne veuille porter plus aulcune faveur aulx rebelles de Flandres, ny pareillement à ceulx de France; car cella luy pourroit attirer la guerre en son pays, et qu'elle se déporte de leur assister si elle ne se veult, par mesme moyen, préparer de soubstenir le rescentyment que les princes offancez en pourront cy après justement avoir, me priant le dict ambassadeur que je le face ainsy entendre à Vostre Majesté et qu'il sera prest de procurer envers le Roy, son Maistre, qu'il face toutjour semblables bonnes démonstrations et offices icy pour le bien de vostre service. Sur ce, etc.

De Londres ce xıxe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, pour accompaigner les lettres, que la Royne d'Angleterre escript à Voz Majestez, j'ay touché en la lettre du Roy les principaulx poinctz que j'ay à vous faire meintennant entendre des choses de deçà, entre aultres celuy de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, par lequel le Roy, son Maistre, monstre avoir ceste foys cédé à la Royne d'Angleterre, et qu'en fin ayant bien pensé à son faict pour les aprestz qu'il sent d'Allemaigne, et, possible, pour les propres difficultez de ses pays, il ne s'est tant vollu tenir sur la réputation qu'il n'ayt envoyé le premier devers la dicte Dame, pour accorder amyablement des différandz qui sont entre eulx; de quoy elle s'estime avoir gaigné ung grand advantaige, et dict on que le Sr. Chapin Vitel et le docteur Vargaz seront pour cest effect dans dix ou douze jours par deçà. Je ne sçay encores ce qui en pourra réuscyr, tant y a que je crains assés que l'admonestement, que le dict Roy Catholique a faict à ceste princesse de considérer le rescentiment qu'on pourra avoir de l'assistance qu'elle a donnée à ceulx de la nouvelle religion, ainsy que le dict sieur ambassadeur me l'a mandé, ne la mette davantaige en souspeçon de l'yssue de la guerre de France, et ne l'induyse d'accommoder tant plus tost ses affaires ailleurs, pour d'aultant retarder et traverser, en ce qu'elle pourra, ceulx de Voz Majestez; mais je luy en osteray toutjours par mes propos le doubte qu'elle en pourroit avoir sur le cueur, sans monstrer toutesfoys que je tende à rien de cella.

Le sire Thomas Flemy est revenu d'Escoce, qui raporte que le comte de Mora ne s'est vollu déporter d'assiéger Dombertran pour chose que la Royne d'Angleterre luy en ayt escript, et qu'en l'assemblée, qu'il a tenue à Esterlin le xxvııȷe d'aoust, il a faict ordonner ung depputé pour venir par deçà, ce qu'on estime bien n'estre à aultres fins que pour prolonger toutjour l'affaire. Tant y a que la part, qui est au dict pays pour la Royne d'Escoce, semble estre plus vifve et plus relevée meintennant qu'elle n'a encores esté, nonobstant que, pour avoir le secrétaire Ledinthon esté découvert d'en estre, l'on a trouvé moyen de le faire publicquement accuser dans la dicte assemblée pour complice du murtre du feu Roy d'Escoce, dont il a esté miz en arrest contre le desir des comtes d'Arguil, de Honteley, d'Athil et des principaulx seigneurs, qui ont cryé que la seurté et franchise de la dicte assemblée estoit viollée, et s'en sont allez fort mal contantz. Monsieur l'évesque de Roz est après à pourchasser là dessus audience de ceste Royne, mais je croy qu'il ne l'obtiendra jusques à ce que la dicte Dame sera à Amthoncourt, laquelle monstre de plus en plus avoir souspeçon et deffiance de tout ce qui se faict et qui se procure pour l'advantaige de sa cousine. Sur ce, etc.

De Londres ce xıxe de septembre 1569.

La Royne d'Escoce s'esbahyt qu'il n'y a nouvelles qu'à Dombertran soyent arrivez les navyres que Vostre Majesté dict au Sr. de Bortic qu'elle y avoit faict dépescher de Bretaigne.


LXe DÉPESCHE

—du XXIIIe de septembre 1569.—

(Envoyée par Olivyer Champernon exprès jusques à Calais.)

Nouvelle de la levée du siége de Poitiers.—Nécessité de redoubler de vigilance sur les côtes de France.—Retour du sieur de Quillegrey, qui revient d'Allemagne.—Il annonce que les princes protestants offrent de reconnaître Élisabeth comme chef d'une ligue pour la défense de la religion réformée.—Députés envoyés en Allemagne par ceux de la Rochelle et par la reine d'Angleterre, pour assister à la diète de l'empire à Augsbourg.—On annonce la prochaine arrivée en Angleterre des députés du roi d'Espagne.—Mesures rigoureuses prises à l'égard de la reine d'Écosse.—Craintes de l'ambassadeur que les offres des princes protestants d'Allemagne et la condescendance du roi d'Espagne ne rendent Élisabeth plus entreprenante contre la France.—Lettre secrète pour la reine-mère, dans laquelle l'ambassadeur annonce le départ subit du duc de Norfolk, qui a quitté la cour sans autorisation de la reine.

Au Roy.

Sire, faisant à ceste heure la Royne d'Angleterre le retour de son progrez par des maisons escartées des gentishommes, où elle n'a de coustume d'ouyr volontiers parler d'aulcune matière d'affaires, par ce que ceulx de son conseil ne sont avecques elle, j'avois réservé de l'aller trouver quant elle arriveroit à Amthoncourt, qui sera, à ce qu'on dict, le lieu de son séjour de deux moys, pour luy continuer les instances du commerce, et de la restitution des prinses, et de n'aller plus par les Anglois à la Rochelle; et luy compter pareillement l'acheminement de Monsieur, frère de Vostre Majesté, avecques vostre armée pour aller secourir Poictiers, suyvant le contenu de vos lettres du vıȷe du présent; mais m'estant cependant, par aultres lettres de Voz Majestez du vııȷe ensuyvant, arrivé l'adviz de l'heureux succez que la dicte entreprinse de Mon dict Seigneur a desjà heu[15], je n'ay vollu différer de le faire incontinent entendre à la dicte Dame par ung mot que je luy ay escript, là par où elle est, avec la coppie de voz dictes lettres qui sont dignes d'estre veues, et lesquelz contrepoyseront de beaulcoup les bruictz, que ceulx de la nouvelle religion publioyent et faisoient prescher en leurs esglizes, d'avoir levé le siège de Navarreins; d'avoir deffaict Mr. de Tarride et prins Mr. de Bonnivet; et relèveront la réputation de voz affaires par deçà contre ceulx qui les y désadvantaigeoient auparavant; dont je prie Dieu vous continuer toutjour sa divine assistance.

Je crains bien que si ce remuement, qu'on dict de ceulx de la dicte nouvelle religion en Picardye, s'estand vers Normandye et jusques sur ceste mer estroicte, qu'il ne convye les Anglois d'entreprendre quelque chose, quant ilz sentyront la guerre si prez d'eulx; et m'a l'on dict que quelques ungs de Roan et des envyrons de Dièpe sont, despuys deux jours, passez en ce royaulme pour parler et pratiquer avec ceste Royne, dont ay mandé aulx gouverneurs de dellà qu'il leur est besoing d'estre plus vigilans que jamais, et que je mettray toutjour peyne de les advertyr, le plus d'heure qu'il me sera possible, de toutz les aprestz et menées que je sentyray qui se feront icy.

Le Sr. de Quillegrey, à son retour d'Allemaigne, n'a faict que passer par ceste ville, dont n'ay peu encores guières rien aprendre du faict de sa commission, sinon qu'il monstre estre fort comptant de l'avoir bien acomplye par dellà, ainsy qu'il luy estoit commandé de le faire, et a dict en quelque lieu qu'il pourtoit la carte blanque des princes protestans à ceste Royne, qui la font chef et luy deffèrent la somme des affaires et la principalle détermination et conclusion de ce qui s'y entreprendra. Je m'attandz bien que là dessus elle et les siens seront à ceste heure poussez à plusieurs grandes persuasions, lesquelz je ne sçay si je les pourray avec le temps modérer et réfroydir; en quoy je feray bien tout ce qu'il me sera possible, mais il m'y fauldra conduyre sellon que je pourray aprendre de la négociation du dict Quillegrey plus que je n'en sçay à présent, qui, possible, se trouvera ne raporter tant de grandz promesses d'Allemaigne comme il le veult faire aparoir.

Il semble que Mr. de Lizy et le Sr. de Jumelles se trouveront à la prochaine diette de l'empyre à Augsbourg, à laquelle le Sr. de Trokmarthon n'a poinct esté pour ceste foys envoyé, mais j'entendz qu'on a mandé au docteur Christophe Du Mont d'y assister pour la Royne d'Angleterre; et espèrent ceulx de la nouvelle religion quelques grandes déterminations de la dicte assemblée, mettans en grand compte que les Suysses y ont esté appellez et qu'ilz ont promiz d'y convenir.

La commune opinion continue en ceste ville que le Sr. Chapin Vitel et le docteur Vargaz seront bientost devers ceste princesse, mais l'on m'a dict que le saufconduict, qu'elle a dépesché pour cella, n'est que pour ung messagier, qui doibt venir luy aporter des lettres du Roy d'Espaigne, sans aultrement expéciffier ny le nom ny la qualité d'icelluy; dont n'est vraysemblable que les dictz personnaiges se commettent soubz ung si simple saufconduict en ce voyage, sans qu'il y soit faict plus expresse mencion d'eulx.

La Royne d'Angleterre est entrée en plus grande jalouzie et deffiance qu'elle n'avoit encores esté de la Royne d'Escoce, et a vollu que, oultre le redoublement des gardes, le comte de Huntinton et le viscomte de Harifort, avec quelques ungs des leurs, soyent allez là où est la dicte Royne d'Escoce, bien que toutz deux luy soyent mal agréables et bien fortz suspectz. Je ne diffèreray pour cella de continuer, en temps et lieu, l'instance de sa restitution et de sa liberté, en la claire et ouverte façon que j'ay toutjour faict, au nom de Vostre Majesté; et prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxııȷe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, je ne fays doubte, si le sieur de Quillegrey raporte tant de grandes promesses d'Allemaigne, comme il en a faict la démonstration, passant par ceste ville, et que s'estant en même temps le Roy d'Espaigne plyé de venir requérir d'accord la Royne d'Angleterre sur les différandz des Pays Bas, que je ne trouve dorsenavant la dicte Dame et les siens encores plus difficiles et mal aysez en voz affaires, que je n'ay faict jusques icy; et néantmoins je ne dellibère pour cella procéder moins vifvement envers eulx, ez choses qui se offriront pour vostre service, que j'ay toutjour faict; car cella mesmes qui se veoyt meintennant n'est que Voz Majestez n'eussent préveu debvoir de mesmes advenir, si la guerre de France alloit ainsy en longueur comme elle faict.

Il est vray que je n'obmettray rien de ce que je cognoistray pouvoir servir à conserver la paix et à contenir ceulx cy, le plus qu'il me sera possible, en l'observance d'icelle qui, possible, cognoistront ne leur estre moins utille de ne la rompre en vostre endroict que de la renouveller ailleurs; en quoy je vous suplye, Madame, me mander si je leur accorderay la seurté qu'ilz m'ont requise pour leurs flottes et vaysseaulx qu'ilz dellibèrent envoyer à Bourdeaulx, ainsy que monsieur l'Admyral d'Angleterre a vollu une mienne lettre de recommendation au gouverneur du dict Bourdeaulx pour ung sien navyre, qu'il y a desjà dépesché. Et n'ayant à vous dire meintennant rien davantaige que ce qui est contenu en la lettre du Roy, je prieray pour le surplus Nostre Seigneur, etc.

De Londres ce xxııȷe de septembre 1569.

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, le faict du mariage de la Royne d'Escoce est venu à tel poinct que, incistant fort fermement la Royne d'Angleterre que le duc de Norfolc se déporte d'y entendre, et s'opiniastrant luy de ne le vouloir faire, ains d'y persévérer jusques à la mort, elle luy a faict de telles démonstrations de malcontantement qu'il s'en est allé de la court sans prendre congé; de quoy la dicte Dame est fort mal contante. Et semble que cella pourra bientost produyre je ne sçay quoy de trouble en ce royaulme, mesmes que la Royne d'Escosse, se voyant resserrée davantaige, vouldra pourvoir à sa liberté, sans temporiser plus la bonne grâce de sa cousine. Sur quoy et aultres faictz, qui se présentent, je vous dépescheray ung des miens aussi tost que celluy que j'ay par dellà sera de retour; et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Votre Majesté qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxııȷe de septembre 1569.


LXIe DÉPESCHE

—du XXVIIe de septembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan de Bouloigne.)

A esté intercepté par les chemins le dict Bouloigne, destroussé et renvoyé devers l'ambassadeur.

Départ de plusieurs navires qui se rendent isolément à la Rochelle pour y faire le commerce.—La flotte du bâtard de Briderode et du prince d'Orange est chassée des côtes de Hollande et de Zélande.—On doit craindre qu'elle ne se porte sur les côtes de France.—Hésitation des Anglais à recevoir les députés du roi d'Espagne, qui leur inspirent une grande défiance.—Élisabeth témoigne à Marie Stuart tout le mécontentement qu'elle éprouve de son projet de mariage avec le duc de Norfolk.—Instances de l'ambassadeur pour avoir ses instructions sur divers points relatifs au commerce.—Sursis au départ de navires destinés pour la Rochelle et pour Bordeaux.—Lettre secrète pour la reine-mère, dans laquelle l'ambassadeur signale que l'on est prêt à en venir aux armes en Angleterre.—Envoi d'un paquet de lettres de la reine d'Écosse.—Lettre de Marie Stuart à l'ambassadeur.—Elle le conjure de s'opposer à ce qu'elle soit livrée au comte de Huntingdon et au vicomte de Hertford, ses ennemis.

Au Roy.

Sire, celluy des miens que j'avois envoyé devers la Royne d'Angleterre pour luy porter les nouvelles de l'acheminement de Monsieur, frère de Vostre Majesté, au secours de Poictiers et de l'heureux succez qu'avoit eu son entreprinse, a trouvé encores la dicte Dame à cinquante mil d'icy, délibérée de n'aprocher pour ceste foys Londres de si près comme est Amptoncourt, à cause du souspeçon de peste qui y a apareu au commancement de cest authomne; et a prins son chemyn à Windesor, où l'on dict qu'elle fera deux ou trois mois de séjour, et m'a faict escripre, par Mr. le comte de Lestre, qu'elle avoit eu fort agréable d'entendre ce que je luy avois mandé des évènemens de France sellon la vérité des lettres que m'en aviez escriptes, ausquelles vennant de si bonne part elle ne volloit faillir d'y adjouxter foy; toutesfoys qu'elle me envoyoit le sommaire de ce qu'on luy en avoit mandé à elle, qui est, Sire, ce que trouverez en ung mémoire à part[16], et qu'elle prioit Dieu de mettre une bonne paix entre vous et voz subjectz.

Elle ne m'a encores respondu sur la deffance que je luy ay requis de faire à ses subjectz de n'aller plus à la Rochelle, sinon ce que je vous ay desjà mandé qu'elle m'avoit dict n'y avoir encores peu persuader ses merchans, mais qu'elle en parleroit de rechef à son conseil pour y mettre ordre, et qu'à tout le moins elle me donnoit desjà parolle qu'on n'y porteroit rien, sur peyne de mort, de quoy vous pussiez estre offancé, ny ceulx du dict lieu secouruz. Mais cependant, affin de ne monstrer que contre mon instance elle veuille permettre à ses dictz subjectz d'y aller en flotte, il sort trois et quatre vaysseaulx à la foys de ceste rivière de Londres, et le mesmes des aultres portz de ce royaulme, pour y aller quérir du sel et du vin comme les aultres foys, mais nul de ses grandz navyres de guerre ne les va conduyre; seulement j'entendz que le visadmyral Chambrenant équipe quelques vaisseaulx à Plemmue pour fayre ceste conduicte, et que Hacquens va mener au dict lieu de la Rochelle deux riches ourques, qu'il a freschement prinses sur les Espaignolz ou sur les Portugois; et n'ay poinct sceu qu'ilz chargent aulcunes munitions, ny vivres pour y porter. Vray est que la coustume des Anglois est de prendre toutjour double monition de pouldre, quant ilz partent pour ung voyage, dont je crains qu'ilz en facent part à ceulx du dict lieu.

L'homme du prince d'Orange et le bastard de Briderode ont esté, ces jours passez, encores veuz rouant sur la coste de Hollande et Zélande, mais incontinent sont sortys xıııȷ bons navyres de guerre des dictes isles, à la conserve de leurs pescheurs, pour empescher que ceulx cy n'exécutent leurs mauvaises intentions; et je crains bien que cella ne les contraigne de revenir en ceste mer estroicte et vers la coste de France, dont j'estime que les gouverneurs de vostre frontière demeurent aperceuz d'y faire avoir toutjours bonne garde.

L'on attend en grand dévotion les depputez du Roy d'Espaigne, desquelz toutesfoys n'est venu aulcunes nouvelles despuys le partement du secrétaire de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui leur est allé porter le saufconduict, et n'est que ceulx cy ne demeurent en quelque meffiance de ceste grande facillité du Roy d'Espaigne, après une si notable injure qu'il a receue, craignantz que ce soit pour les tromper; dont y pourra encores avoir de la difficulté sur la seureté et manière de l'accord.

La Royne d'Angleterre a envoyé ung gentilhomme devers la Royne d'Escoce sans lettre de sa main, mais avec charge de parler à elle, en présence du comte de Cherosbery, sur ce qu'on l'a advertye qu'elle pourchassoit de se maryer avec le duc de Norfolc, et qu'elle ne debvoit avoir pensé de le faire sans son sceu. A quoy la dicte Dame ayant enquis le dict gentilhomme s'il avoit lettre ou commission de la Royne, sa Mestresse, pour lui dire cella, et s'estant le dict comte advancé de dire que sa commission luy estoit assés cogneue, elle a respondu qu'il ne suffizoit en tel faict, qui touchoit tant à elle, qu'il eust veu la dicte commission si elle mesmes ne la voyoit, et qu'encores que la Royne d'Angleterre ne luy eust escript, elle ne laysseroit pourtant de luy escripre; et ainsy a baillé pour toute responce une bien honneste et sage lettre au dict gentilhomme, de laquelle la dicte Royne d'Angleterre aura, possible, occasion de demeurer satisfaicte; et monsieur l'évesque de Rosse l'est allée trouver à Windesor pour luy oster ces mauvaises impressions et se plaindre de la garde plus estroicte qu'on a freschement redoublée à la Royne, sa Mestresse, mesmes d'y avoir commis le comte de Hungtinton et le viscomte de Harifort, qui sont ses ennemys conjurez. Cependant le duc de Norfolk n'est plus à la court, ains s'en est allé en Norfolk, sans faire semblant de vouloir encores retourner. Sur ce, etc.

De Londres ce xxvıȷe de septembre 1569.

A la Royne.

Madame, il me reste bien peu que dire icy à Vostre Majesté, oultre le contenu en la lettre du Roy, si n'est que je suys infinyement marry que je ne puysse conduyre la Royne d'Angleterre et les siens à user de si bons et convenables déportemens en voz présens affaires, comme la sincérité de la paix et de l'amytié qui est entre vous et voz deux royaulmes le requerroit; mais il semble qu'après leur avoir bien remonstré et vifvement débattu les choses, et faict veoir qu'on les cognoist assés, qu'il fault par nécessité se contanter de gaigner toutjours celles qu'on peult avec pacience, et garder que les aultres qu'ilz ont ou colleur, ou trop grande affection de faire, ne vous puissent venir à guières de dommaige. Dont vous plairra, Madame, me mander si, prenant en quelque payement leurs excuses et mesmes leur gratiffiant ce qu'ilz monstrent pour encores ne vouloir vivre qu'en bonne paix avec vous, je leur accorderay la restriction qu'ilz m'ont requise de ne porter par les Françoys aulcune sorte de merchandises des Pays Bas icy, ny d'icy aulx Pays Bas, ainsy qu'ilz disent que le duc d'Alve a deffandu le semblable de son costé, et pareillement la seureté qu'ilz me demandent pour leurs vaysseaulx et flottes qu'ilz proposent d'envoyer à Bourdeaulx, affin de les en satisfaire et les engaiger davantaige à l'entretennement de la paix; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxvıȷe de septembre 1569.

Despuys les deux lettres escriptes à Voz Majestez, ayant ceulx de ce conseil faict surçoyr le partement des navyres qui s'aprestoient pour la Rochelle et pareillement de ceulx qui s'aprestoient pour Bourdeaulx, ilz ont envoyé le premier Aldreman de ceste ville et le lieuctenant de l'Admyral pour conférer avec moy de la seureté et commodité qu'ilz pourront avoir, s'ilz quictent le commerce du dict lieu de la Rochelle pour aller ailleurs; sur quoy je leur ay baillé l'extraict de ce que Voz Majestez m'en ont escript, du xvȷe d'aoust et vȷe de septembre, lequel ilz ont porté à iceulx seigneurs du conseil, dont j'espère que du premier jour j'auray leur responce.

AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.

Madame, je viens tout à ceste heure de recepvoir ung pacquet de lettres de la Royne d'Escoce, lequel je vous envoye affin que commandiez de le distribuer comme il vous plairra; et par celle qu'elle a adressé à moy en chiffre, de laquelle je vous envoye la coppie, vous comprendrez assés l'estat où elle est, et combien le courroux de la Royne d'Angleterre a passé oultre contre la dicte Dame; dont semble que ceulx cy seront pour en prandre les armes entre eulx, si par une assemblée de conseil qu'on tient demain à Windesor il n'y est remédié.

LETTRE DE LA ROYNE D'ESCOCE AU Sr. DE LA MOTHE FÉNÉLON.

Monsieur de La Mothe, je vous envoye le présent pourteur pour vous faire entendre que je seray transportée demain hors d'icy à Tutbery, et bientost après à Nutingame, là où je seray mise entre les mains des plus grandz ennemys que j'ay au monde; assavoir, du comte de Huntington, viscomte de Hariford et autres de sa faction, qui sont desjà arrivez icy. Je ne trouve nulle constance en Mr. de Cherosbery à ceste heure en mon besoing, pour toutes les belles parolles qu'il m'a donné au passé, encor que je ne me puys nullement fyer en ses promesses. Lesquelles choses considérées, j'ay extrêmement grande craincte de ma vie, par quoy je vous prie que sitost que aurez receu la présente, de faire seurement tenir ce pacquet à l'évesque de Rosse ou bien au duc de Norfolc, et de vous trouver avec eulx, et mes aultres amys, pour résouldre entre vous ce que trouverez plus expédiant pour ma saulvetté, et de parler vous mesmes à la Royne d'Angleterre pour empescher, tant que sera en vous, mon transportement, si tost qu'il vous sera possible d'avoir audience.

De Vuingfeild ce xxe de septembre.

Et dessus est escript:

A Monsieur de La Mothe.


LXIIe DÉPESCHE

—du IIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan de Bouloigne.)

Émotion causée à Londres par la retraite du duc de Norfolk.—Détails sur l'enlèvement de la précédente dépêche, qui a été prise de vive force des mains du courrier.—Le conseil d'Angleterre est en grande délibération sur le parti qu'il doit prendre à l'égard du duc de Norfolk et de Marie Stuart.—Mise en arrêt du comte d'Arundel, du comte de Pembroke et de lord Lumley.—Les passages d'Angleterre sont tenus étroitement fermés.—Refus est fait à l'ambassadeur de lui donner des passe-ports pour ses dépêches.

Au Roy.

Sire, vous ayant faict une dépesche le xxvıȷe du passé, et estant celluy par qui je l'envoyois allé devers millor Coban pour prandre son passeport, qui le luy a faict seulement tarder une heure et demye, aiusy que despuys il a esté à trois mille de la mayson du dict lord Coban, au passaige d'ung boys, quelques ungs, montez à l'advantaige, ayantz les visages couvertz, mais non tant que l'ung d'eulx n'ayt esté recogneu, le sont venuz charger à coups d'espée par la teste, l'ont porté par terre, tout follé aulx piedz de leurs chevaulx, et luy ont demandé incontinent les lettres de France, puys les luy ayant ostées, l'ont garrotté et attaché à ung arbre, et l'ont layssé là; de quoy, Sire, j'ay envoyé faire une grand plaincte à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil et ne cesseray jamais qu'ilz ne m'en ayent faict rayson, vous supliant très humblement, Sire, en faire aussi parler vifvement à l'ambassadeur d'Angleterre par dellà, affin qu'il cognoisse que vous en santez une grande offance et que vous voulez qu'elle soit réparée. Cella est procédé de ce que, se voyantz ceulx cy pretz de venir à quelque grand trouble et altération entre eulx pour s'en estre le duc de Norfolc party mal contant de la court; et craignantz qu'il veuille à toute force mettre la Royne d'Escoce en liberté, et qu'à cest effect il ayt de grandz intelligences en France, ilz exécutent tout plain de violences pour cuyder descouvrir ce qu'ilz en souspeçonnent, et n'est possible à ce commancement d'y remédier. Mais affin que Vostre Majesté voye de quoy ilz se sont prévaluz sur moy par ce meschant acte, je vous envoye le duplicata de ma dicte dépesche, laquelle je n'avois faict en chiffre parce que l'on passoit et repassoit encores fort librement de France icy et d'icy en France, et qu'il n'y avoit rien que je ne volusse bien leur dire s'ilz me l'eussent demandé.

Il est vray que m'estant survenu sur la closture de la dépesche une petite lettre de la Royne d'Escoce, j'en avois miz une coppie dedans affin que vous vissiez l'estat où se retrouvoit la dicte dame, laquelle coppie je vous envoye de rechef et dellibère la faire veoir à la Royne d'Angleterre pour luy en esmouvoir le cueur, si elle ne l'a trop dur; et luy mettre devant les yeulx quel grand tort font à sa réputation ceulx qui luy administrent de si furieulx conseilz, comme elle les exécute contre ceste pouvre princesse; et avois miz aussi dans ma dicte dépesche des lettres qu'elle escripvoit à Vostre Majesté, à la Royne, à Monsieur et à monsieur le Duc et à messieurs les Cardinaulx, ses oncles, et à madame de Guyse, sa grand mère, qui n'estoient que de mercyement.

A présent, la dicte Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil sont à dellibérer qu'est ce qu'ilz auront à faire sur ces choses du dict duc de Norfolc et de la Royne d'Escoce, sur lesquelles les comtes de Arondel et de Pembrot et milor Lomeley ont esté examinez comme autheurs de la menée, et sont commandez de ne partir de leurs logis et séparés les ungs des aultres, dont ne se peult encores juger ce qui en réuscyra; mais bientost se verra où en iront les résolutions, desquelles je ne fauldray vous en mander aultant qu'il en viendra à ma cognoissance; et prieray le Créateur, etc.

De Londres ce ııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, Vostre Majesté pourra comprendre, par la lettre que j'escriptz présentement au Roy, comme ceulx cy, sentans qu'il s'alume du trouble en ce royaulme, courent à divers remèdes pour le cuyder estaindre, et ainsy, sans occasion, ont faict surprendre ung mien pacquet où tant s'en fault qu'ilz puyssent trouver ce qu'ilz vont cerchant, qu'au contraire ilz y trouveront de quoy estre convaincuz de leurs malices et du tort qu'ilz font à leur Maistresse de les luy conseiller. Je ne pourray vous escripre rien plus de quelques jours parce qu'ilz tiennent les passaiges estroictement fermez, et s'excusent de ne me vouloir bailler passeport jusques à ce qu'ilz auront veu quel chemyn prandront leurs affaires; mais j'espère, Madame, que Vostre Majesté commandera estre faict le mesmes à leur ambassadeur comme ilz feront icy à moy; et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce ııȷe d'octobre 1569.


LXIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Arrestation du sieur de Sabran à son retour de France, et visite de ses papiers.—Notification est faite par la reine d'Angleterre que ses ports seront tenus fermés.—Protestation d'Élisabeth et des seigneurs de son conseil, que l'enlèvement de la dépêche de l'ambassadeur n'a pas été fait par leur ordre.—Vive assurance que toute satisfaction de cette insulte sera donnée.—Nouvelle du retour du duc de Norfolk, qui se décide à revenir à Londres, malgré les instances de l'ambassadeur.—Il est à redouter qu'il ne soit mis à la Tour, aussitôt qu'il se sera livré entre les mains de la reine.—Craintes que l'on doit concevoir pour Marie Stuart.—Assurance est donnée par l'ambassadeur que, dans toute la négociation relative au mariage du duc de Norfolk et de la reine d'Écosse, il a agi avec la plus grande prudence.—Le roi et la reine-mère donnent une vive approbation à ce projet de mariage.—Lettre de la reine d'Écosse à l'ambassadeur.—Supplications de Marie Stuart pour que la France ne l'abandonne pas dans le danger de mort où elle se trouve.

Au Roy.

Sire, se trouvans les choses ainsy troublées en ceste court pour le partement du duc de Norfolc et pour avoir, à cause de luy, les comtes d'Arondel, de Pembrot et millord Lomelley esté miz en arrest en leurs logis à Windesore, comme par mes précédantes Vostre Majesté l'aura peu comprendre, l'on n'a pas seulement attempté de surprendre mon pacquet pour cuyder descouvrir quelque chose de leur faict en mes lettres, mais a l'on arresté le Sr. de Sabran en venant de France, l'ont foillé, et ont visité aulcun sien mémoire de nouvelles qu'il avoit ramassées en chemin, sans toucher toutesfoys au pacquet de Vostre Majesté; et ont, sept jours durant, faict tenir les passaiges fermés, et envoyé un trompette le notiffier à Mr. de Gordan, et le prier de le faire ainsy entendre au Sr. Chapin Vitel et aultres députez de Flandres, lesquelz ilz estimoient estre desjà à Callais, affin qu'ilz ne prinsent la peyne de passer pour estre incontinent après arrestez.

Mais sur la lettre que j'avois escripte à la Royne d'Angleterre pour me plaindre amèrement de la vollerye de mon pacquet, après m'avoir faict respondre par milord Chambrelan qu'elle avoit tout aussitost faict appeller ceulx de son conseil pour les purger par sèrement s'ilz sçavoient rien de ce faict, lesquelz luy avoient toutz respondu que non, elle me prioit de croyre que cella n'estoit aulcunement procédé d'elle, ny de son dict conseil, et qu'elle en estoit extrêmement déplaysante; dont envoyeroit ung commissaire sur le lieu pour en enquérir, et m'en feroit avoir si bonne réparation que j'en serois contant, me priant cependant de surceoyr pour quelques jours mes dépesches, car ne vouloit q'homme vivant sortît de son royaulme qu'elle n'eust pourveu à ses troubles qui se présentoient.

Despuys, entendant la dicte Dame que le dict duc de Norfolc s'estoit achemyné pour retourner vers elle, elle m'a envoyé, le ııȷe de ce moys, le Sr. Randol, naguières revenu ambassadeur de Moscouvye, pour me continuer la mesmes excuse de desplaysir qu'elle avoit de la surprinse de mon dict pacquet, et qu'elle avoit envoyé commission à milord Coban pour en informer et punir rigoureusement ceulx qui s'en trouveroient coulpables; et qu'au reste les passaiges me seroient ouvertz quant je vouldrois envoyer quelcun en France, dont, sur l'heure, je dépeschay ung corrier avec mon pacquet du ııȷe du présent.

Chiffre.—[Et j'entendz que le duc de Norfolc arrivera aujourdhuy en ceste court, bien que j'aye faict, et faict faire par ses principaulx parans et amys, tout ce qu'il nous a esté possible pour le garder de venir, estimant ung chacun qu'aussi tost qu'on le tiendra l'on l'envoyera, et les aultres seigneurs qui sont en arrest, toutz prisonniers à la Tour; mesmes l'on dict qu'on leur y a desjà préparé le logis. Je ne sçay si c'est pour se confyer trop de leur cause, ou pour cuyder porter plus d'assistance, présens que absentz, au faict de la Royne d'Escoce, ou pour espérer trop de la faveur et de l'appuy qu'ilz se sentent avoir en ce royaulme, que ces seigneurs se sont ainsy facillement venuz commettre ez mains de la dicte Dame, ou bien qu'ilz soyent subjectz à avoir la teste trenchée et n'en puyssent évitter le mal, par ce qu'ilz en sont de race; tant y a qu'on les estime estre en grand dangier, ce que toutesfoys ne se pourroit exécuter sans esbranler grandement cest estat; au moins pourra estre que ce divertissement pour leurs propres affaires apportera quelque utillité aulx vostres; mais j'ay grand craincte de ceulx de la dicte Royne d'Escoce ausquelz toutesfoys l'on n'avoit si mal regardé qu'on les eust entièrement fondez sur la faveur du dict duc, car y a aparance que bientost il sera essayé de pourvoir à la liberté de la dicte Dame par aultre moyen;]—Dieu aydant, auquel je suplie, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce vıȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, par le retour du Sr. de Sabran avec la dépesche de Voz Majestez, du xxe du passé, j'ay comprins quelle est vostre intention sur les affaires de deçà, lesquelz affaires sont néantmoins en aultre estat à ceste heure que vous ne les cuydiez, quant vous l'avez dépesché. Je m'y conduyray sellon le temps, dressant toutjours ma négociation à bien exactement accomplyr ce que me commandez, ou à faire ce qui plus tornera à vostre service, et à toutz les deux ensemble s'il m'est possible.

Chiffre.—[Et pour encores, je n'avois parlé de ce mariage de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc ung seul mot, au nom de Voz Majestez Très Chrestiennes, dont deussiez craindre que je me fusse trop advancé et que fussiez en peyne de me désadvouher, chose que je serois trop plus marry qui m'advînt que la propre mort; seulement j'avois trouvé moyen de me faire employer par les deux parties à requérir très humblement Voz Majestez de leur estre favorables; en quoy, à la vérité, je leur avois promiz de vous randre bien disposez envers eulx, et faire tout ce que je pourrois pour leur faire avoir vostre approbation, ce que vous pouviez puys après fort ayséement accorder ou reffuzer comme il vous eust pleu, sans venir à nul désadveu de vostre ambassadeur, dont ce qui s'en est passé jusques icy a esté sur ma seule parolle; et meintennant que vous m'avez donné et commandé de donner celle du Roy et la vostre en cella, je m'advanceray à quelque chose davantaige et essayeray de faire plus que, pour le présent, je ne me veulx ny me oze promettre du peu de cueur, inconstance et légéreté de ces seigneurs, à qui j'ay affaire par deçà. La dicte Royne d'Escoce a esté en grand frayeur, comme pourrez voir par la coppie de la lettre qu'elle m'a escripte, mais nous l'avons consollée et pense estre asseuré que sa personne n'aura point de mal.]—Je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté et prie Dieu qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce vıȷe d'octobre 1569.

LETTRE DE LA ROYNE D'ESCOCE AU Sr. DE LA MOTHE FÉNÉLON.

—Escripte à Tutbery, le xxve de septembre, en chiffre.—

Chiffre. —[Je croys que vous sçavez bien comme je suys rudement traictée, mes serviteurs chassez et deffandu que je n'escripve, ni reçoipve lettre d'aulcune part, et que toutz mes gens soyent fouillez. Je suys icy à Tutbery, d'où l'on me dict que milor Hontington me recepvra en sa charge. Il prétend au droict que je prétendz, et le pence avoir; jugez si ma vie sera seurement. Je vous prie d'adviser avec ceulx que cognoistrez de mes amys, et parlez à la Royne d'Angleterre que s'il advient mal de moy, estant entre mains de personnes souspeçonnez de me vouloir mal, qu'elle sera réputée du Roy, mon beau frère, et toutz aultres princes, la cause de ma mort. Usez en à vostre discrétion et advertissez le duc de Norfolc qu'il se garde, car l'on le menasse de la Tour.

Communiquez avec l'évesque de Roz sur la présente, car je ne sçay s'il en sçayt rien. J'ay miz au hazard quatre de mes serviteurs pour les advertyr, mais je ne sçay s'ilz auront passé, car Bourtic cuyda estre prins et fut cerché, mais il avoit caché ses lettres par le chemyn; dont j'ay trouvé moyen de les retirer. J'ay escript au Roy et à la Royne, mère du Roy, et ay envoyé le pacquet pour vous le donner ou à Roz. Mettez leur mes excuses si je ne puys escripre, et leur mandez que j'aye de leur faveur. Je vous prie, faictes aussi que l'ambassadeur du Roy d'Espaigne vous accompaigne pour parler en ma faveur; car ma vie est en dangier si je demeure entre leurs mains. Je vous prie, encouraigez et conseillez les amys de se tenir sur leurs gardes et de faire pour moy meintennant ou jamais. Tennez secrect ceste lettre, que personne n'entende rien; car j'en serois plus estroictement gardée, et donnez voz lettres de faveur à ce porteur secrectement pour le navyre de milor de Cherosbery, les plus seures et favorables que pourrez; car cella me servyra grandement à trouver faveur vers luy; mais s'il est sceu, vous me ruynez. Il fault trouver moyen par quelque Anglois que j'entende de voz nouvelles; on pourroit essayer le baillif de Darby et quelques aultres; et ramentevez à Roz le vicaire d'icy prez, car il m'en fera tenir aussi.

Je vous suplie d'avoir pityé d'une pouvre prisonnière en dangier de la vie et sans avoir offancé. Si je demeure ung temps icy, je ne perdray seulement mon royaulme mais la vie, quant l'on ne me feroit aultre mal que le desplaysir que j'ay d'avoir perdu toute intelligence ou espoir de secours à mes subjectz fidelles. Si prompt remède n'y trouve, Dieu par sa grâce me doinct pacience, et quoy qui m'advienne je mourray en sa loy et en bonne volonté vers le Roy et la Royne, à qui je vous prie faire ma dolléance et à monsieur le Cardinal de Lorraine mon oncle.

Par postille à la lettre précédente.

Despuys ceste lettre escripte, Hontington est revenu ayant charge de la Royne de moy absolue. Le comte de Cherosbery, à ma requeste, a requis que je ne luy soys ostée, et me gardera jusques à la seconde dépesche. Je vous prie ramentevoir l'injustice contre la loy du pays que me mettre entre les mains d'ung qui prétend à la couronne comme moy. Vous sçavez aussi la différance grande de la religion. Je vous prie aussi escripre et favorablement pour le navyre du dict comte de Cherosbery par ce porteur et qu'il soit secret.

De Tutbery le xxve de septembre.


LXIVe DÉPESCHE

—du VIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de La Croix.)

Effet produit à Londres par la certitude de la nouvelle que le siége de Poitiers a été levé.—Les vaisseaux marchands reprennent le commerce de Bordeaux et de la Rochelle sans équipage de guerre.—Hésitation des Anglais à ouvrir des négociations pour les affaires des Pays-Bas.—Craintes que leur inspire la mission du Sr. Ciapino Vitelli, marquis de Chelona.—Incertitude sur le cours que prendront les affaires du duc de Norfolk, des seigneurs arrêtés et de la reine d'Écosse.—Conjectures de l'ambassadeur sur le sort qui leur est réservé.—Mémoire secret.—Détails confidentiels sur tout ce qui est relatif à l'affaire du duc de Norfolk.—Conduite d'Élisabeth après que le duc se fut retiré de la cour.—Motifs qui ont déterminé son retour.—Il est mis en arrestation.—Nouveaux préparatifs de guerre, qui pourraient être tournés contre la France.—Arrivée du vicomte de Rohan venant d'Allemagne.—Traité d'alliance fait par le Sr. de Quillegrey, au nom de la reine de Navarre, avec le comte Palatin, le duc Auguste de Saxe et le landgrave de Hesse.—Cause du retard qu'éprouve l'expédition du duc Casimir.—Continuation des troubles en Irlande, malgré la soumission des deux frères du comte d'Ormont.—On attend à Londres les envoyés du comte de Murray pour régler les affaires d'Écosse.—Départ de la cour de tous les seigneurs qui pourraient se trouver compromis à l'occasion des prises faites sur les Espagnols.

Au Roy.

Sire, jusques au retour du Sr. de Sabran il n'a esté possible de persuader à ceulx cy que le siège de Poictiers fût levé, et mesmes y a heu plusieurs gageures qu'il estoit prins, mais à ceste heure ilz n'en doubtent plus, de quoy la partie des catholiques se resjouyt grandement, et va à ceste heure bien espérant de voz affaires, nonobstant qu'on leur dye plusieurs choses d'aulcuns aultres aprestz d'Allemaigne; et donnent grand louange à Vostre Majesté de l'entreprinse d'avoir si à propos secouru ceste place, et à Monsieur, frère de Vostre Majesté, grand honneur de l'avoir heureusement exécutée, et à Mr. de Guyse et à Mr. le marquis son frère, et aultres seigneurs et gens de valleur qui estoient dedans, une grande réputation d'avoir si longuement et si bravement soubstenu ce furieulx siège. Je cognoys bien que cella, à la vérité, donne desjà beaulcoup de réputation à voz affaires, et fera, possible, que ceulx, qui concernent icy vostre service, se porteront mieulx.

Il semble que toutes ordonnances, pour les entreprinses de ceulx cy hors du royaulme, demeurent en quelque suspens, à cause des troubles qu'ilz ont crainct de voir advenir au dedans, et n'y a, pour encores, sinon des navyres merchantz qui soyent prestz à sortir pour aller au vin et au sel, tant à Bourdeaulx que à la Rochelle, qui monstrent ne faire le voyage que de eulx mesmes pour leur traffic, sans commission de ceste Royne ny de son conseil, bien que je m'asseure qu'ilz ne partent sans l'avoir; et s'estime que bien peu yront à la Rochelle, s'ilz sentent pouvoir faire librement et seurement leur emplette à Bourdeaulx.

Ceulx qui espéroient ung prochain accord ez différantz des Pays Bas, estiment qu'il est beaulcoup retardé par la sommation, qu'on a envoyé faire par ung trompette au gouverneur de Gravelines, d'advertir les députez qu'ilz ne viègnent poinct; en quoy semble qu'avec le peu de volonté d'accorder, l'on ayt aussi prins quelque souspeçon d'ung tel deputté comme est le Sr. Chapin Vitel, et qu'on vouldroit bien qu'ung aultre, qui ne fût pour comprendre tant des affaires de deçà comme luy, eust la commission d'y venir[17]. L'on tenoit desjà les dictz différans pour toutz accordez, veu la facillité du Roy d'Espaigne, et qu'il n'avoit empesché les nefz veniciennes de venir continuer leur traffic comme auparavant; mais l'on juge meintennant qu'ilz prendront quelque tret.

Je ne sçay que penser, pour encores, des affaires du duc de Norfolc et de ces seigneurs qui sont en arrest en ceste court, ny pareillement de ceulx de la Royne d'Escoce; car les ungs semblent dépendre des aultres. Tant y a que bien tost l'on verra ce qui s'en doibt bien ou mal espérer; et cependant Vostre Majesté en entendra, s'il luy playt, le présent estat par le Sr. de La Croix, lequel j'envoye bien instruict de cella et d'aultres choses d'icy; et, vous supliant très humblement luy donner entière foy, je n'adjouxteray à la présente qu'une très dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce vııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, ce que, par mes deux précédantes dépesches, du ııȷe et vıȷe du présent, Vostre Majesté aura commancé entendre de l'altération des affaires de deçà pour le partement du duc de Norfolc, et ce que le Sr. de La Croix, présent pourteur, vous dira où l'on en est meintennant, vous fera bien juger qu'il y auroit assés matière pour allumer ung grand débat dans ce royaulme, si beaulcoup des principaulx seigneurs d'icelluy n'estoient après à l'estaindre; mais ilz y font si grand dilligence qu'aulcuns espèrent, veu le retour du dict duc, et la bonté de la Royne d'Angleterre, que les choses n'en passeront plus avant. Aultres estiment que le dict duc, et les aultres seigneurs qui sont en arrest, se sont beaulcoup hazardez de s'estre ainsy facilement commiz ez mains de la dicte Dame, laquelle les faict desjà examiner par commissaires qui leur sont assez suspectz. Je cognois bien que les affaires de la Royne d'Escoce courent mesme fortune que les leurs, qui sans ceulx là semble que fussent long temps demeurez sans remède. Je feray tout ce qu'il me sera possible pour procurer que, si l'on accommode ceulx des dictz seigneurs, ceulx de la dicte Dame ne soyent délayssez, et que ceulx de Voz Majestez Très Chrestiennes n'en viègnent pourtant en pire estat, ainsy que, par le dict Sr. de La Croix il vous plairra l'entendre, auquel me remettant je prieray, pour le surplus, Nostre Seigneur, etc.

Le Sr. de La Croix dira a Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres.

Chiffre.—[Que le duc de Norfolc s'en estoit party mal contant de ceste court et s'estoit retiré en sa maison, pour luy avoir la Royne d'Angleterre faict de grandes démonstrations de malcontantement sur ce qu'il aspiroit au mariage de la Royne d'Escoce, et luy avoit usé de fort rigoureuses parolles, s'il ne s'en despartoit.

Mais luy, qui estoit desjà, à ce qu'on dict, passé bien avant en ce propos par l'adviz des plus notables et principaulx du royaulme, desquelz il a encores les seings devers luy, avec grande aprobation du peuple, et non sans l'avoir aussi ouvertement communiqué aulx plus inthimes et espéciaulx conseillers de la Royne sa Mestresse; et qui, pour ceste occasion, avoit toutjour pensé qu'elle l'aprouvoit comme chose convenable au bien de ses affaires et à l'advantaige de sa couronne, a estimé ne s'en pouvoir ny debvoir meintennant en façon du monde retirer.

Mesmes luy a semblé que la dicte Dame n'avoit aucune juste occasion de luy vouloir mal pour cella, ny de trouver mauvais le dict mariage, ains que c'estoient ses ennemys et malveillans, qui alloient ainsy irritant ceste princesse contre luy pour le faire ruyner et pour ruyner les affaires de la Royne d'Escoce, et icelle déboutter de la légitime succession de ce royaulme après sa cousine, et attempter aulx propres personnes et à la vie d'elle et de luy, dont monstroit estre dellibéré de s'y opposer et de leur résister par toutz les moyens qu'il en pourroit avoir;

Et néantmoins requéroit l'assemblée de la noblesse et des estatz d'Angleterre, et la convocation du Parlement pour juger ceste cause, et pour justiffier qu'elle n'avoit jamais esté mise en avant par la Royne d'Escoce ny par luy, ains qu'elle avoit esté proposée à toutz deux par les plus notables du conseil et de toutz les principaulx du royaulme, comme très utille à leur Royne et convenable au bien de sa couronne et de ses subjectz; et partant, qu'il estoit besoin d'obvier par la dicte assemblée au mal qui s'en pourroit ensuyvre, si leurs ennemys s'esforçoyent de l'empescher, et pourvoir par mesme moyen à plusieurs aultres affaires qui se monstroient très urgens en ce royaulme, protestant qu'il avoit toutjour procédé et qu'il vouloit encores toute sa vie procéder, avec deuhe révérance et subjection envers la Royne sa Mestresse; et que, pour chose qui dorsenavant se peult ensuyvre en ce faict, son intention ne seroit de faire rien en offance d'elle, ains de procurer toutjour l'honneur et grandeur de sa couronne, et le bien et repos de ses subjectz, et s'opposer à ceulx qui estoient cause de ceste perturbation.

Mais la dicte Dame, à qui tout cecy venoit à contrecueur, parce qu'elle craignoit qu'on luy vollût déclairer ung successeur à sa couronne, ce qu'elle a toutjour fort reffouy, manda ceulx de son conseil à Vuyndesor pour dellibérer du dict affaire; et de peur que la plus part tinsent la main à le faire réuscyr au contantement du duc, elle vollut bien leur signiffier, avant qu'ilz commençassent d'y procéder, ce qu'elle desiroit y estre faict, mandant aulx comtes d'Arondel, de Pembrot et milor de Lomelley, aussitost qu'ilz furent descenduz de cheval, de ne partir de leurs logis et demeurer séparez les ungs des aultres, jusques à ce que une responce, qu'elle attandoit du dict duc, fût arrivée, et les fit cependant examiner comme ses complices; et dépescha sur l'heure le capitaine des pencionnaires pour aller quérir le dict duc; et fit ressarrer les portz et passaiges de son royaulme, redoubler les gardes de la Tour de Londres, manda au comte de Cherosbery de redoubler celles de la Royne d'Escoce et de transporter la dicte Dame à Tutbery, comme en lieu plus fort que là où elle estoit; et en mesme temps, pour l'opinion qu'on eust que le Roy et le Roy d'Espaigne fussent de ceste intelligence, l'on volla ung mien pacquet prez de la mayson de milor Coban, et guetta l'on celluy de l'ambassadeur d'Espaigne, lequel, entendant la perte du mien, se garda de dépescher.

Et ayant d'abondant la dicte Dame envoyé de toutes partz advertyr ses subjectz, et mandé ses plus prochains parantz, et ceulx en qui elle avoit plus de confiance, de la venir trouver, et se trouvant d'ailleurs le dict duc en Norfolc et Suffoc, où il est fort aymé, et où ceulx du pays luy vindrent offrir hommes et argent pour le secourir, et que plusieurs aussi vers le Nort se monstroient bien affectionnez envers la Royne d'Escoce, l'on estima que bientost il y auroit gens en campaigne pour les deux partiz, sous la conduicte du comte de Lestre d'une part, et du dict duc de l'austre, bien qu'on publioit que le dict de Lestre et le secrétaire Cecille avoient, du commancement, donné leur parolle et leur main au dict duc en ceste cause; mais despuys, ayantz à genoulx cryé pardon à la Royne leur Mestresse, s'en estoient despartys, ce que aulcuns estiment qu'ilz avoient ainsy prins le party du dict duc pour mieulx descouvrir son faict et puys le luy traverser.

Mais le dict duc, ayant prins aultre délibération, est revenu despuys lundy dernier au mandement de la dicte Dame contre l'opinion de toutz ses amys, et incontinent luy a esté commandé l'arrest en une mayson à trois mille de Vuyndesor, jusques à ce qu'il aura esté ouy. Et dict on qu'il a esté assés adverty du courroux en quoy la dicte Dame persèveroit contre luy, mais que, se confyant en sa bonne cause, et pour cuyder plus servyr par sa présence que absent à celle de la Royne d'Escoce, et à saulver la personne d'elle, laquelle il a estimé estre en quelque dangier, si l'on venoit aulx armes; et aussi, voyant que les dicts comtes d'Arondel et de Pembrot et milord de Lomelley, qui luy sont estroictement conjoinctz d'amytié et de parentaige, estoient arrestez, et qu'il se sent fort apuyé de la bienveuillance de la noblesse et du peuple du pays, et mesmes de toutz les principaulx du conseil, il s'est ainsy franchement venu représanter; dont, par ce moyen, tout son affaire se débat meintennant dans la court, non sans beaulcoup de contention, ny sans qu'on ait opinion qu'il eust encores mieulx faict pour luy de ne venir poinct. Tant y a qu'estantz les plus grandz et les plus nobles du pays meslez en cecy, il ne pourra estre qu'il n'y ayt de la besoigne taillée entre eulx pour les empescher, possible, qu'ilz n'en entrepreignent d'aultre de quelque temps.

Et semble, si les choses passoient ung peu en avant, qu'il se manifesteroit je ne sçay quoy de la division de la religion qui ne se monstre encores, car infinys protestans sont pour le duc, mais, d'aultant qu'on est après, des deux costez, à modérer cest affaire et garder qu'on n'en viègne aulx armes, et que cependant ceulx qui manyent l'estat pour ceste princesse sont passionnez protestans, j'ay suspect ce qu'ilz ordonnent au faict des dictes armes et de la guerre; mesmes que, parmy ce qu'ilz ont mandé, ces jours passez, aulx capitaines et canoniers de se tenir prestz, ilz ont aussi mandé en ceste ville d'y aprester un grand nombre de chairs, de biscuictz et de bières, comme pour ung soubdain avitaillement; ce que n'est pour s'en servir en une guerre dans le pays, de quoy les gouverneurs de Normandie et Picardie sont desjà advertiz, et sera bon que ceulx de Bretaigne et de Guyenne le sachent.

Mesmes que, quant le conseiller Cavaignes est party pour la Rochelle, milord Coban a heu commission de le mener à Gelingan veoir le bon estat des grandz navyres de ceste Royne, comme pour luy monstrer qu'ilz seront prestz quant il sera besoing, et a esté dict parmy les Françoys, qui sont en ceste ville, qu'ilz tiennent desjà comme à eulx les principalles ville de la Basse Normandie, réservé le chasteau de Caën; et naguyères, le jeune viscomte de Rohan est arrivé d'Allemaigne, qui monstre venir icy pour quelque pratique et menée qu'il a en main.

L'on s'est resjoui en ceste court pour l'alliance que le Sr. de Quillegrey a conclue de la Royne, sa Mestresse, avec le comte Pallatin, le duc Auguste de Saxe et Lansgrave d'Essen, bien qu'il ne l'ayt peu, à ce qu'on dict, tretter avecques l'Empereur. Il a admené ung gentilhomme de la part du dict Lansgrave pour la venir ratiffier, lequel a esté favorablement receu de la dicte Dame, et, après avoir receu présent d'elle et du comte de Lestre, et quelques chiens de sang pour son maistre, il a esté expédié et est prest pour s'en retourner.

J'entendz que xl mil {lt} esterlin, qui se debvoient fornir en Allemaigne pour le priz du vin et du sel de la Rochelle, ont esté payez, et le dict Quillegrey en a rapporté les acquitz, mais l'on s'esbahyt que le duc de Cazimir ne soit desjà en campaigne, et estime l'on que Mr. de Lizy le hastera; et que, si son entreprinse a esté différée, qu'elle n'est pourtant interrompue, imputant le retardement à son mariage et non à faulte de volonté ny de moyens, dont s'espère que la conclusion s'en fera à Heldelberc, où le duc Auguste doibt bien tost venir avec douze centz chevaulx pour y admener sa fille, et que le prétexte d'entrer en France sera pour demander quelque somme que le Roy reste [devoir] au dict duc de Cazimir.

Chiffre.—[Du costé d'Irlande, l'on ne se peult tant asseurer des deux frères du comte d'Ormont, et de la troupe où ilz estoient, qu'on tiègne l'eslévation du tout apaysée de leur costé, et les aultres tiennent encores les armes, et continuent à les exécuter tout ouvertement; dont milord Sydeney a mené l'armée contre eulx, et parce qu'on doubte assés de l'évènement, l'on luy a freschement envoyé quatre centz homes d'icy.

Le depputé d'Escoce doibt bien tost arriver en ceste court, à qui a esté desjà envoyé son passeport pour douze chevaulx, et parce qu'il est envoyé de la part du comte de Mora, et qu'il arrive sur le courroux et malcontantement de la Royne d'Angleterre, je crains fort qu'il obtiègne plus qu'il ne vouldra requérir contre la Royne d'Escoce; tant y a qu'on dict que les affaires ne vont au dict pays d'Escoce, comme le dict comte de Mora desireroit.

L'on se prépare bien fort de respondre aulx propositions, que feront ceulx qui viendront de la part du Roy d'Espaigne; et j'entendz qu'on a adverty ceulx, qui peuvent estre le plus chargez du faict de ces prinses, de s'absenter, dont le visadmyral Chambrenant et Haquens, et aulcuns aultres des principaulx qui y ont miz la main, ont desjà faict voille à la Rochelle et en Irlande, et dict on que le dict Haquens se résoult de tenir encores ceste année la mer contre les Espaignolz.

Je ne sçay si ce qui aparoit de trouble en ce royaulme retardera la venue des dictz députez de Flandres, attandu mesmement qu'on a envoyé ung trompette à Gravelines advertir qu'ilz ne se hastent de passer, et cependant semble que ceulx cy veulent passer oultre à faire vandre les merchandises des Espaignolz.

Je desire que sellon l'estat de toutz ces affaires et d'aultres qui, possible, paroistront encores plus grandz, il playse à Leurs Majestez me commander toutjour comment j'auray à m'y conduyre, affin de suyvre droictement leur intention et faire, jour par jour, ce qu'ilz estimeront convenir plus à leur service.


LXVe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès par Jehan Valet jusques à Calais.)

Vives plaintes de l'ambassadeur au sujet du paquet de dépêches qui lui a été enlevé.—Commission délivrée par Élisabeth pour faire punir les coupables.—Semblable saisie est faite par violence d'un paquet de dépêches envoyé à l'ambassadeur d'Espagne.—Les affaires du duc de Norfolk servent de prétexte à la reine pour refuser audience à l'ambassadeur.—Le duc est mis à la Tour.—Arrestation d'un grand nombre d'étrangers.—Rigueurs exercées contre les évêques catholiques.—Renforts de troupes envoyés en Irlande.—Effet produit en Écosse par la nouvelle du projet de mariage entre le duc de Norfolk et Marie Stuart, et des événements qui ont suivi.—Divisions dans le parti du comte de Murray.—Impossibilité pour l'ambassadeur, de faire des démarches auprès d'Élisabeth en faveur de la reine d'Écosse.—Départ d'un grand nombre de navires marchands pour faire le commerce de la Rochelle et de Bordeaux.—Instances de l'ambassadeur pour que le roi et la reine-mère se plaignent vivement à l'ambassadeur d'Angleterre à raison du paquet de dépêches qui a été volé, et de l'indigne traitement qui est fait à la reine d'Écosse.—Arrivée de la comtesse de Montgommery à l'île de Jersey.—Départ du vicomte de Rohan et d'autres Français sur les navires qui se rendent à la Rochelle.—Lettre de recommandation de l'ambassadeur en faveur du capitaine Muer, Écossais.—Lettre de créance pour le sieur Thomas Flemy, envoyé par la reine d'Écosse.—Nouvelles instances pour que le château de Dumbarton soit secouru.

Au Roy.

Sire, pour cuyder la Royne d'Angleterre aulcunement me contanter sur la perte de mon pacquet, elle a envoyé commission aulx officiers de Rochestre d'enquérir dilligemment du faict, et punir ceulx qui en seroient coulpables, et Mr. le comte de Lestre m'a mandé qu'elle s'en estoit asprement prinse au secrétaire Cecille, et à d'aultres de son conseil, qu'elle souspeçonnoit y avoir tenu la main. Néantmoins je n'ay poinct recoupvert mon pacquet, et est advenu despuys, que retournant le mestre d'hostel de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne de Flandres avec ung pacquet du duc d'Alve, il luy a esté pareillement prins en chemyn, et ne faict on semblant de le vouloir randre non plus que le mien.

J'avoys, jeudy de la sepmaine passée, envoyé demander audience pour me plaindre de ce tort à la dicte Dame et pour tretter avec elle des affaires de la Royne d'Escoce et d'aulcunes particularitez de voz dernières dépesches; mais elle me fit prier, par le Sr. comte de Lestre et par milor Chamberlan, que je volusse avoir pacience pour cinq ou six jours, à cause qu'elle se trouvoit ung peu mal, et qu'elle estoit si empeschée ez affaires de ces seigneurs, qui estoient en arrest, qu'elle ne pourroit bonnement entendre en aulcuns aultres jusques à ce qu'elle eust pourveu à ceulx là. En quoy a esté desjà tant procédé que, de ce que le duc de Norfolc estoit arresté, il à esté à bon escient faict prisonnier et mené par eau, sur la barque de la dicte Dame, despuys Vuyndesor jusques dans la Tour de Londres, le xȷe de ce moys, à deux heures après midy, où il y a heu ung grand concours de peuple pour le veoir, qui ont toutz faict démonstration d'en estre très desplaysantz. Les aultres seigneurs sont encores arrestez à Vuyndezor, et plusieurs aultres particuliers, tant du pays que Italliens, et quelques Espaignolz faictz prisonniers; et dict on qu'on a mandé de toutes partz resserrer les évesques catholiques, qui avoient quelque liberté de se promener ou de parler avec leurs amys et parans, se doubtans d'une sublévation dans le pays; et l'on a, ces jours passez, envoyé renfort d'argent et d'hommes en Irlande, où semble que les affaires se monstrent encores assés doubteux; et sont venues nouvelles complainctes à ceste Royne et aulx seigneurs de son conseil du comte d'Ormont, qui a envoyé son mestre d'hostel pour s'en purger.

Sur le commancement de ce moys, est arrivé ung corrier d'Escoce qui raporte que ces affaires de la Royne d'Escoce et du duc de Norfolc sont desjà cogneuz par tout le pays, et que, d'aultant qu'aulcuns des grandz en sont marrys, le peuple en est bien fort joyeulx, souhaytant plus que jamais d'avoir leur Royne, ce qui accroyt le débat parmy eulx; et que mesmes aulcuns du party du comte de Mora s'estoient despartys de luy, et que deux de ses principaulx adhérans, le comte de Morthon et le Sr. de Humes, estoient en grand différant l'ung contre l'aultre, et que le secrétaire Ledinthon avoit esté en grand dangier de sa vie par l'ordonnance des estatz du pays, comme coulpable du murtre du feu Roy, n'eust esté que milord Granges, capitaine du chateau de l'Islebourg, qui l'avoit prins en garde quant il fut constitué prisonnier à Esterlin, ne l'a vollu randre.

Les frontières d'entre l'Angleterre et l'Escoce sont si estroictement gardées, qu'il n'y passe homme qui ne soit prins, ou par ceulx de Baruich, ou par ceulx du party de la Royne d'Escoce, ou par ceulx du cousté du comte de Mora; et y a desjà comme une guerre commancée en icelluy endroict. Je ne sçay si ceste Royne a heu quelque souspeçon de milor Housdon, gouverneur de Baruich, tant y a qu'elle l'a faict venir icy, et a envoyé le maréchal Drury pour commander dans la place. Nous attandons toutjour quelque bonne pourvoyance sur les affaires de la Royne d'Escoce, mais parce qu'ilz sont enveloupez avec ceulx de ces principaulx seigneurs arrestez, il y fault ung peu de pacience; et je ne laysseray pourtant de les solliciter avec toute l'instance et dilligence qu'il me sera possible.

Il est desjà party envyron quarante cinq vaysseaulx des portz de deçà pour aller au vin, dont une partie tirera à la Rochelle et le reste passera oultre à Bourdeaulx, où, si l'on y est bien receu, ilz seront, se disent ilz, convyés d'y continuer puys après leur traffic et employte, comme ilz le souloient faire auparavant. Et sur ce, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, encor que la Royne d'Angleterre ayt vollu faire quelque démonstration de me contanter sur l'oltrage qui m'a esté faict de la vollerie de mon paquet, je vous suplie néantmoins en parler si expressément à son ambassadeur qu'il ayt occasion d'escripre à sa Mestresse que Voz Majestez en sentent une grande offance, et qu'elles veulent qu'elle soit réparée; vous supliant aussi luy remonstrer bien vifvement comme Voz Majestez prenez fort à cueur le mauvais trettement, les violances et indignitez dont avez entendu qu'elle souffre estre uzé contre la personne et contre la liberté de la Royne d'Escoce, estant entre ses mains; et de ce qu'elle va, de jour en jour, dillayant de pourvoir à ses affaires, pendant que ses mauvais subjectz vont establissant les leurs contre elle dans son propre pays, et vont ruynant les bons subjectz qui soubstiennent son party, et qu'ilz sont après à luy surprendre son chasteau de Dombertran pour achever de la déshériter du tout; chose qui, à mon adviz servira de beaulcoup, si faictes bien cognoistre au dict ambassadeur, qu'en offençant ainsy la dicte Royne d'Escoce, il ne peult estre que Voz Majestez ne s'en sentent oltragées et offancées; et je ne deffauldray de mon office accoustumé en cest endroict, ainsy que Mr. l'évesque de Roz cognoistra qu'en temps et lieu je le debvray employer.

La comtesse de Montgommery est despuys quelques jours passée en l'isle de Gerzé, où il a esté mandé de la recepvoir, et luy permettre de passer du tout en Angleterre quant elle vouldra. Le jeune viscomte de Rohan, et aulcuns aultres Françoys, jusques à vingt ou trente, se sont embarquez en ceste flotte des vins pour passer à la Rochelle.

Il est venu une très bonne nouvelle d'ung grand exploict de monseigneur vostre filz qui ne se publie encore guyères icy, tant y a qu'on commance d'en faire gageures à la bource. Dieu luy veuille bien assister, auquel je suplie, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

Du dict jour.

Au Roy.

Sire, dellibérant le capitaine Muer, gentilhomme escossoys qui est de voz gardes, aller servyr son quartier, et estant passé devers la Royne d'Escoce, sa Mestresse, pour prandre ses lettres de recommandation à Vostre Majesté, il l'a trouvée si resserrée qu'il n'a peu avoir d'elle ung seul mot d'escript; dont Mr. l'évesque de Roz m'a prié que je luy en vollusse bailler ung de ma part pour vous tesmoigner, Sire, qu'il s'est toutjour porté en homme de bien au service de la Royne, sa Mestresse, et s'est monstré son bon et fidelle subject, soubstennant constantment son party en tout ce qu'il luy a esté possible. A cause de quoy le dict sieur évesque, qui cognoist les vrays serviteurs de sa Mestresse, m'a prié de bien fort singullièrement le vous recommander. Et m'asseurant, que, en considération de ce, Vostre Majesté le recepvra très volontiers et avecques faveur, et que la présente n'est pour aultre chose, je n'adjouxteray rien plus icy qu'une très dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

Du mesmes jour.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, estant, à ceste heure, la Royne d'Escoce tenue bien estroictement et fort resserrée au chasteau de Tutbery, soubz la garde des comtes de Cherosbery et de Huntincton, elle n'a heu la commodité de vous escripre par le Sr. Thomas Flemy, présent pourteur; dont Mr. l'évesque de Roz m'a prié d'y supléer pour elle par ce peu de motz, affin de requérir très humblement Voz Majestez Très Chrestiennes, au nom de la dicte Dame, qu'il vous playse pourvoir à l'avitaillement de son chasteau de Dombertran, lequel va estre perdu par faulte de secours et de vivres, et avec luy se pert bonne partye de la meilleure espérance que ceste pouvre princesse aye à son restablissement à sa couronne; à tout le moins, ses affaires en vont estre d'aultant plus difficiles et retardez, et ceulx de ses adversayres davantaige establys et advancez. Et parce que Voz Majestez entendront plus en particullier ce grand besoing par le récit que le Sr. de Flemy leur en fera, et que je m'asseure qu'il trouvera le Roy et Vous, Madame, trez disposez de faire tout le secours que vous pourrez en cest endroict à la Royne sa Mestresse, et que la présente n'est que pour très humblement vous en suplier, je n'adjouxteray ici pour le surplus qu'une dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce xııȷe d'octobre 1569.

Ceste lettre estoit cloze et desjà délivrée au dict Sr. de Flemy, quant celles de Voz Majestez, du dernier du passé, sont arrivées, par lesquelles je luy ay faict veoir comme il a esté desjà pourveu à ce dessus. Neantmoins Mr. de Roz a desiré qu'il accomplît son voyage, tant pour haster la dicte pourvoyance, si d'avanture elle estoit retardée, que pour aultres occasions, lesquelles luy mesmes vous fera entendre; et par ainsy, je luy ay randu ceste dicte lettre pour la présenter à Vostre Majesté.


LXVIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan de Bouloigne.)

Procédure criminelle contre le duc de Norfolk, les comtes d'Arundel et de Pembroke, et lord Lumley.—Arrestation de sir Trokmorton et du sieur Ridolfy.—Commissaires établis pour conduire le procès.—Le comte de Leicester refuse de prendre part à la procédure.—Constance que montre Marie Stuart dans son malheur.—Première nouvelle encore incertaine de la victoire de Moncontour.—Arrivée des commissaires espagnols à Calais.—Bruit d'une entreprise projetée sur le Croisic en Bretagne.—La peste, qui est à Londres, sert de nouveau prétexte à la reine pour différer l'audience à l'ambassadeur.—Espoir que la victoire annoncée, si elle se confirme, sera d'un grand secours pour rétablir les affaires de la reine d'Écosse et assurer le succès de toutes les négociations commencées.

Au Roy.

Sire, ayant, le xııȷe du présent, receu les lettres de Voz Majestez du dernier du passé, j'ay estimé vous en debvoir donner adviz, et vous dire par mesme moyen, Sire, qu'encor que ceulx cy ayent, du commancement, quant ilz sont tumbez en ceste grande souspeçon et deffiance du duc de Norfolc, exécuté plusieurs choses assés violentement, ilz se sont néantmoins despuys ung peu modérez, de sorte que les pacquetz se conduysent assés seurement. Et ceulx de ce conseil monstrent, à ceste heure que le dict duc est dans la Tour, procéder par quelque ordre et forme de justice à luy faire son procès, et semble qu'on n'a encores trouvé sur les comtes d'Arondel, de Pembrot, ny sur millord de Lomelley, de quoy les envoyer à la dicte Tour; tant y a qu'on les tient soubz estroicte garde, et a l'on envoyé le dict [millord] de Lomelley en une mayson forte prez de Vuyndesor, et miz le dict comte d'Arondel dans le colliège du dict Vuyndesor, et icelluy [comte] de Pembrot, pour estre vieulx et impotant, demeure resserré en son logis; et d'abondant l'on a arresté prisonniers le Sr. de Trokmarthon et le Sr. Roberto Ridolfy; et se dict qu'on a mandé le comte de Sussex comme souspeçonné de ces affaires et pareillement le millord Scrup, beau frère et inthime amy du dict duc, et plusieurs aultres seigneurs du quartier du Nort; mais l'on ne sçait encores s'ilz viendront.

Les commissaires à faire ce procès sont:—le millord Quiper, garde des sceaux, le marquis de Norampton, le comte de Betfort, mestre Quenolles, ser Raf Sadeler, ser Vuater Mildmey et le secrétaire Cecille,—lesquelz, parce qu'ilz sont toutz personnaiges triez et choysiz protestans, et fort affectionnez à ceulx de la Rochelle, je crains leur présente authorité, mesmement que ceulx là ny sont plus, qui sembloient tenir la main à l'entretennement de la paix entre ces deux royaulmes.—Le comte de Lestre n'assiste plus à leur procédure, ains sort du conseil aussi tost qu'on vient à toucher le faict de ces seigneurs.

Il y a quelque aparance que la Royne d'Escoce sera encores remuée en ung aultre lieu, et pense l'on que ce sera à Quilingourt, qui est ung chasteau du comte de Lestre. Elle se monstre magnanime et d'ung cueur grand et vertueulx en ceste sienne tant malle et adversaire fortune; en quoy nous luy assistons d'icy à luy donner toute la consolation par lettres que nous pouvons, et à procurer l'expédition de ses affaires comme il vous a pleu me le commander.

Ceste nouvelle, qui a desjà couru jusques par deçà, d'une grand victoire[18] que Monsieur, frère de Vostre Majesté, vous a aquise contre ceulx de la Rochelle la resjouyra grandement, ainsy que plusieurs icy très affectionnez à Vostre Majesté s'en rejouyssent oultre mesure, et attandent en grand dévotion que j'en aye la confirmation par voz lettres, avec les particullaritez de ce qui y aura succédé. Dieu veuille que le tout soit sellon le bien et honneur de vostre coronne, et au proffict et repos de voz bons subjectz.

J'ay envoyé aussi resjouyr la dicte Royne d'Escoce du contenu au postille de voz dictes dernières, parce que la dicte Dame en estoit en grand soucy et le besoing s'en monstroit si pressé qu'il ne s'y pouvoit plus souffrir aulcun temporisement.

Le Sr. Chapin Vitel et aultres commissaires de Flandres sont desjà arrivez à Callais, et monsieur l'ambassadeur d'Espaigne est après pour avoir une nouvelle et plus ample permission pour leur passaige de deçà. Sur ce, etc.

De Londres ce xvııȷe d'octobre 1569.

L'on me vient d'advertyr que ceulx de la nouvelle religion, qui sont icy, parlent d'une entreprinse sur le Croysic en Bretaigne. Il sera bon, Sire, qu'en faciez donner adviz à Mr. de Martigues ou à Mr. de Bouillé affin d'y prendre garde.

A la Royne.

Madame, ce peu que j'escriptz présentement en la lettre du Roy des choses de deçà, après la dépesche que naguyères j'ay envoyé par le Sr. de La Croix, fera assés veoir à Vostre Majesté quel progrez elles continuent de prendre; dont bientost je vous en pourray faire sçavoir davantaige, mais [il faut] que j'aye parlé à la Royne d'Angleterre laquelle, pour l'aparance de peste, qu'il y a encores en ceste ville, d'où je n'ay bougé, elle m'a mandé que j'aille estre quelque peu de jours à Coulbronc, qui est ung lieu prez de Vuyndesor, pour prandre l'air, et que, puys après, je la pourray aller trouver.

Je suys très ayse qu'ayez parlé à Mr. Norrys, son ambassadeur, et, bien que ce ayt esté ainsy réservéement, comme avez estimé convenir à voz présentz affaires, j'espère que cella encores servira beaulcoup à ceulx de la Royne d'Escoce, ausquelz j'adjouxteray l'instante sollicitation que m'avez commandé envers ceste Royne, sa cousine, et verray si, par quelque rayson et pacience, je pourray tirer d'elle aulcune bonne provision pour iceulx; bien que, si une bonne confirmation me vient par voz lettres que Monseigneur vostre filz ayt gaigné la victoire contre ceulx de la Rochelle, comme on le publie par deçà, je ne fais doubte qu'on ne procède icy plus gracieusement et en meilleur façon au faict de la dicte Royne d'Escoce, et aultres affaires qui concernent vostre service, qu'on n'a faict jusques à présent; dont je suplie Nostre Seigneur assister toutjour voz justes et vertueuses entreprinses, et qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xvııȷe d'octobre 1569.


LXVIIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès par Pierre Bordillon jusques à Calais.)

Première entrevue de l'ambassadeur et de la reine après l'arrestation du duc de Norfolk.—Bonne réception qui est faite à l'ambassadeur.—Il proteste qu'il ignorait les projets du duc de Norfolk, dont il n'a été averti, pour la première fois, que par la reine elle-même.—Il réclame avec énergie contre la surveillance à laquelle il a été soumis et contre le vol qui a été fait de l'une de ses dépêches.—Élisabeth promet réparation au sujet de cet enlèvement.—Elle s'empresse de reconnaître que l'ambassadeur ainsi que le roi n'ont pas prêté les mains aux projets du duc de Norfolk.—Elle se plaint vivement de l'ambassadeur d'Espagne, qui aurait trempé dans le complot.—Instances de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth, pour qu'elle rétablisse Marie Stuart sur son trône, et empêche que Dumbarton ne tombe au pouvoir du comte de Murray.—Élisabeth s'excuse de ne pouvoir faire pour la reine d'Écosse ce qui lui est demandé.—Elle offre de faire connaître au roi combien sont graves les torts que Marie Stuart a envers elle, et propose de le prendre lui-même pour juge de sa conduite.—Pleine confirmation de la victoire de Moncontour.—Satisfaction que manifeste Élisabeth de ce nouveau succès.—Elle charge expressément l'ambassadeur d'offrir sa médiation au roi.—Arrivée du sieur Ciapino Vitelli en Angleterre.—Refus qui a été fait de recevoir sa nombreuse suite.—Il ne lui a pas été permis à lui-même d'entrer dans Londres.—Effet produit en Angleterre par la victoire de Moncontour.

Au Roy.

Sire, après avoir esté deux jours seulement en ung villaige, hors d'icy, pour y prendre ung meilleur air que celluy de la ville, qui est suspect de peste, je suys allé, le xxȷe de ce moys, trouver la Royne d'Angleterre à Vuyndesor, laquelle m'a plus favorablement receu que ceulx, qui me cuydoient fort meslé ez affaires du duc de Norfolc, ne l'estimoient, et m'a bien monstré la dicte Dame qu'à la vérité elle estoit grandement courroucée contre le dict duc, et infinyement contre la Royne d'Escoce, mais bien fort délivrée de toute souspeçon de Voz Majestez.

Néantmoins pour m'essayer, en me faisant son excuse de ce que, ayant desiré la veoir plustost, elle ne me l'avoit peu ottroyer à cause des affaires qui luy estoient survenuz, elle me dict, en ryant, qu'elle croyoit que l'ambassadeur d'Espaigne et moy sçavions, de long temps, quelz affaires c'estoient.

A quoy je luy respondiz que au contraire je craignois estre en grande faulte de les avoir sceu trop tard, et de n'en avoir donné assés d'heure l'adviz que je debvois à Voz Majestez pour l'intérest que vous y aviez, à cause de la Royne d'Escoce; que [je] sçavois au reste combien curieusement l'on avoit cerché de vériffier que je fusse de la partie, sans regarder si en cella l'on offençoit la grandeur de Vostre Majesté, ny si l'on violloit la seurté de vostre ambassadeur, ny si l'on enfraignoit la protection, en laquelle elle m'avoit receu de vostre part avec ma légation; que, entre les aultres recerches, avoit esté trouvé bon de me faire voller mon pacquet, ce que sachant combien Vostre Majesté l'auroit à cueur, et m'en sentant infinyement oltragé, je ne cesserois de luy en demander réparation et justice jusques à ce qu'elle me l'auroit faicte; et que, pour tout cella, l'on n'avoit trouvé que j'eusse rien entreprins ny pratiqué en son royaulme, qui ne fût digne d'ung ambassadeur d'ung très vertueulx et magnanime prince son allié et confédéré, luy pouvant jurer, avecques vérité, que c'estoit elle mesmes qui, première, m'avoit faict prendre garde de cest affaire; dont luy remiz en mémoire aulcuns poinctz qu'elle m'en avoit touchez en mes précédantes audiences. De quoy elle se souvint incontinent, et comme personne très affectionnée à la matière, après aulcunes grandes excuses de mon pacquet, avec promesse de m'en faire justice contre quiconques s'en trouveroit coulpable, elle tourna à me discourir les mesmes propos qu'elle m'avoit auparavant tenuz du susdict affaire, et que ce que je n'en avois peu comprendre, lorsque par parolles couvertes elle m'en avoit parlé, c'estoit ce que j'en voyois meintennant; et qu'il estoit sans doubte qu'on avoit essayé de soubslever tout son estat contre elle, dont estoit bien ayse que je ne m'en fusse ainsy entremiz, comme avoit faict l'ambassadeur d'Espaigne,—«duquel, dict elle, j'ay sceu le mesmes propos qu'il en a tenu à l'évesque de Roz, bien qu'ilz ne fussent que eulx deux seulz, quant ilz en discoururent ensemble.»

Je ne laissay pour tout cella, Sire, de faire une très grande et vifve instance à la dicte Dame, pour la liberté et bon trettement de la personne de la Royne d'Escoce, à ce qu'elle ne la vollût commettre ez mains de ceulx que la dicte Dame estime estre ses ennemys, ny souffrir qu'il luy fût dict, faict, ny usé chose qui ne convînt à la dignité de ce que Dieu l'a faicte estre princesse Souveraine en la chrestienté, parante et alliée des plus grandz princes chrestiens, expéciallement de Vostre Majesté et d'elle mesmes; et qu'au reste, elle vous vollût résouldre du secours et assistance qu'elle entendoit luy bailler pour la remettre en son estat, sans laysser passer plus avant ses mauvais subjectz à establyr leurs affaires comme ilz faisoient contre elle dans son propre pays; lesquelz je sçavois qu'ilz s'aprestoient de nouveau pour aller achever de ruyner et tiranniser les bons subjectz et serviteurs de la dicte Dame, et d'essayer de luy prandre par force le chasteau de Dombertran; à quoy je la prioys pourvoir d'ung si bon expédiant et prompt remède, que cella peust estre empesché.

Desquelz propos se trouvant la dicte Dame en quelque perplexité, me respondit diversement, tantost en une sorte, et puys en une aultre, et allégua plusieurs excuses, lesquelles, parce que je ne les luy voulois admettre, nous fusmes en assés longue contention; et enfin me pria estre contant d'emporter d'elle, pour ceste foys, qu'elle vous donroit compte, du premier jour, de toutes les choses qui avoient passé entre la Royne d'Escoce et elle, et ne reffuzeroit que Voz Majestez en fussiez les juges, espérant que vous luy garderiez une oreille pure pour en entendre la vérité, laquelle, possible, vous trouveriez estre bien fort aultre qu'on ne le vous avoit raporté, et qu'elle procèderoit, au reste, comme elle avoit toutjour faict, bien droictement, ez affaires de la Royne d'Escoce, mais non avec la mesme affection qu'auparavant, jusques à ce qu'elle eust mieulx esclarcy si ce qu'on luy avoit raporté d'elle estoit vray ou faulx.

Or est il intervenu, Sire, et interviennent en cecy plusieurs faictz, lesquelz je feray par ung des miens tout exprès entendre bientost à Vostre Majesté, et cependant j'estime, qu'en ce qui concerne la personne de la Royne d'Escoce, il est pourveu qu'elle n'ayt que tout bon trettement mais ung peu moins de liberté qu'elle ne souloit.

Le mesme jour de ceste audience, la Royne d'Angleterre avoit heu de son ambassadeur, Mr. Norrys, nouvelles certaines de la grande et notable victoire, qu'il a pleu à Dieu vous faire avoir sur voz ennemys par la vaillance et conduicte de Monseigneur vostre frère, soubz le bon heur de Vostre Majesté, de laquelle la dicte Dame me demanda les particullaritez, sachant que son mesmes courrier m'avoit apporté ung vostre pacquet; mais de tant que Mr. Brulart ne m'en avoit touché qu'ung mot en général, en une sienne lettre à part, je luy dictz que Vostre Majesté me commandoit seulement de luy annoncer la certitude et grandeur de la victoire, de laquelle vous luy aviez vollu faire la première part, mais que vous attandiez de vous en conjouyr plus amplement avec elle, quant Monseigneur vostre frère vous en auroit envoyé le vray récit de sa main.

Sur quoy elle me pria fort affectueusement vous escripre qu'elle se resjouyssoit de vostre prospérité et de voz victoires aultant et, possible, plus que nul de voz aultres alliez et confédérez, et ne regrectoit sinon qu'estant le gain de la bataille vostre, la perte n'en fût sur quelque aultre, car certainement elle estoit toute sur vous; dont s'estimeroit bien heureuse, au cas que volussiez prandre quelque bon expédiant avec voz subjectz, qu'elle vous en peust moyenner ung, qui vous fût aultant agréable comme elle le vous desireroit utille et honnorable, et très advantaigeux pour vostre grandeur, me conjurant bien fort ne faillyr de le vous faire ainsy entendre, ce que je luy promiz de faire, luy remonstrant qu'il n'avoit jamais tenu à Vostre Majesté que voz subjectz n'eussent jouy d'ung bien asseuré repos, soubz vostre obéyssance; ne voulant obmettre, Sire, de vous dire que ceste nouvelle a tant resjouy et relevé le cueur des catholiques en ce royaulme, qu'ilz n'en font moins de solemnité que si elle estoit proprement pour eulx, bien que ceulx de l'aultre party vont rabattant la grandeur de la victoire tant qu'ilz peuvent.

Le Sr. Chapin Vitel est arrivé par deçà, auquel on a arresté à Douvres toutz ceulx de sa compaignye, qui estoient cinquante ou soixante, et luy a l'on seulement permiz d'en mener cinq; qui, encores, pour le prétexte de la peste, l'on ne l'a layssé entrer en Londres, ains luy et Mr. l'ambassadeur d'Espaigne ont esté conduictz à Quinston et de là à Coulbronc, prez de Vuyndesor, par ung gentilhomme Angloys, qui ne les habandonne guyères, et sont attendans leur audience, laquelle je croy qu'ilz auront demain. Sur ce, etc.

De Londres ce xxıve d'octobre 1569.

Ainsy que je fermoys la présente, le Sr. d'Amour est arrivé avec vostre dépesche du vıȷe du présent, lequel a esté contrainct d'attandre quelques jours le passaige à Dièpe.

A la Royne.

Madame, avec les propos dont je fays mencion en la lettre du Roy, qui ont ceste foys esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et moy, nous en avons heu quelques aultres qui concernoient le service de Voz Majestez Très Chrestiennes, et encores d'aultres qui regardoient les présens affaires de la dicte Dame, lesquelz seroient longs à mettre icy; mais par ung des miens j'en feray, du premier jour, entendre à Vostre Majesté aultant que j'estimeray qu'il vous pourra revenir à proffict ou à playsir de les sçavoir; et, pour le présent, je diray seulement à Vostre Majesté que ceste grande nouvelle de la victoire, que Monseigneur vostre filz a heureusement gaignée en Guyenne, relève si grandement la réputation de voz affaires, que, de tant qu'on cuydoit naguyères la couronne de France estre bien au bas et en ung très doubteux et dangereux estat, de tant estime ung chacun que vous l'avez meintennant establye et confirmée plus que nulle aultre de toute la chrestienté, dont je prie Dieu, qu'après ce tant digne exploict de force, il vous doinct à si bien employer la prudence sur l'establissement d'ung repos en vostre royaulme, que voz bonz subjectz y puyssent dorsenavant vivre en bonne seurté, sans être ainsy espouvantez, comme ilz l'ont continuellement esté despuys dix ans.

J'escriptz ung mot à Mon dict Seigneur votre filz, que je vous suplie très humblement commander luy estre envoyé, car ceste Royne s'attand qu'il luy escripve meintennant, comme il fit après l'aultre victoire du moys de mars; et baysant en cest endroict très humblement les mains de de Vostre Majesté, je suplieray le Créateur qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce xxıve d'octobre 1569.


LXVIIIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour d'octobre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de Vassal.)

Joie manifestée par les catholiques d'Angleterre à la nouvelle de la victoire remportée en France sur les protestants.—Bon accueil fait par Élisabeth au sieur Ciapino Vitelli.—Assemblée des consistoires protestants à l'effet de pourvoir aux mesures qu'il est nécessaire de prendre pour relever leur parti en France.—Négociations de l'ambassadeur, relatives à la demande qui a été faite pour le commerce des Pays-Bas.—Mémoire général sur les affaires d'Angleterre.—Mesures rigoureuses prises contre les catholiques, surtout vers le nord, où se montre une grande agitation.—Les projets d'expédition contre la France paraissent suspendus depuis que des craintes sérieuses se manifestent pour la tranquillité du royaume.—Vives sollicitations des protestants d'Angleterre pour que de prompts secours soient envoyés à la Rochelle.—Le conseil demande à Marie Stuart la remise de la lettre qui lui a été écrite par les seigneurs d'Angleterre pour l'engager à épouser le duc de Norfolk.—Déclaration lui est faite qu'il sera sursis à la décision qu'elle sollicite sur ses demandes, jusqu'à ce qu'elle ait livré cette pièce, qu'elle annonce avoir envoyée en Écosse.—Moyens qui ont été employés pour obtenir le retour du duc de Norfolk.—Détails confidentiels.—Effet produit sur les résolutions du duc par la certitude que le roi et la reine-mère donnent une entière approbation à son mariage.—La déclaration des commissaires lui est favorable.—Emportement d'Élisabeth contre les commissaires et contre le duc, poussé à une telle violence qu'elle tombe sans connaissance.—Chefs divers de l'accusation portée contre le duc de Norfolk.—Reproches qui sont faits aux comtes d'Arundel et de Pembroke, et à lord Lumley.—Sir William Cécil veut faire épouser sa belle-sœur au duc de Norfolk; c'est la condition qu'il met à sa sortie de la Tour.—Étroite surveillance à laquelle est soumise la reine d'Écosse.—Espoir qu'elle ne court aucun danger.—Protestation d'Élisabeth à l'ambassadeur, qu'elle répond de la vie de Marie Stuart comme de la sienne propre.—Remontrances de l'ambassadeur au conseil:—sur le commerce en général;—sur la demande qui lui a été faite au sujet des Pays-Bas;—sur l'interdiction absolue du commerce avec la Rochelle;—sur la restitution des prises,—et sur les affaires de la reine d'Écosse.—Instances de l'ambassadeur pour que Marie Stuart ne soit pas livrée à la garde de ses ennemis.

Au Roy.

Sire, j'yray vendredi prochain présenter les lettres de Voz Majestez et le Sr. d'Amour, pourteur d'icelles, à la Royne d'Angleterre, ainsy qu'elle m'a mandé que je l'aille trouver au dict jour; et cependant, pour ne vous retarder quelques adviz des choses, qui passent en ce royaulme, concernantz vostre service, je dépesche le Sr. de Vassal pour les vous aller raporter et pour vous en faire entendre aultant que j'en ay aprins sur le lieu, sellon que je l'ay bien instruict de tout; auquel, pour ceste occasion, je vous suplie très humblement, Sire, vouloir adjouxter foy.

Et vous ayant à faire la présente de tant plus briefve, je ne vous diray en icelle sinon que les protestans de ce royaulme ont faict tenir quelques jours la nouvelle de vostre victoire si secrecte, ou bien l'ont faicte aller si déguysée, que, n'en pouvant les catholiques avoir quasi aulcune notice, ilz ont envoyé devers moy bien fort secrectement, mais non sans ardeur et affection, pour sçavoir ce qui en estoit. Aus quelz ayant faict curieusement entendre et la certitude et la grandeur du combat, et comme il a pleu à Dieu vous en faire avoir le dessus par la valleur et bonne conduicte de Monseigneur vostre frère, non en forme de rencontre et par surprinse, mais de vifve force en aperte campaigne, où toutes les troupes ont combatu, et les aultres particullaritez du discours que Vostre Majesté m'en a envoyé, ilz en ont infinyement remercyé Dieu, et l'ont invoqué de grand dévotion sur l'entier succez du reste de voz affaires, bénissant en mille sortes vostre bon heur et le bon heur de Mon dict Seigneur vostre frère; et monstrent, Sire, qu'ilz ont esté en grand frayeur de leur propre faict, mais que meshuy, où que les choses aillent, soit à continuer la guerre ou bien à tretter quelque pacification, qu'elles ne pourront estre conclues qu'au grand advantaige de leur bonne cause que vous soubstenez, et bien fort à la gloyre et réputation de Vostre Majesté.

Le Sr. Chapin a esté plus favorablement receu à son arrivée en ceste court qu'il ne l'a esté en l'entrée de ce royaulme, luy ayant la Royne d'Angleterre faict fort gracieulx recueil, et a admiz les principaulx de sa compaignie à luy bayser la main. Elle s'est fort plaincte du duc d'Alve et de Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, lequel ne s'est encores présenté à elle, bien qu'ilz soyent tous deux dans la mêmes commission. J'entendray plus avant de ce que le dict Sr. Chapin aura tretté, car c'est de devant hyer seulement qu'il a heu son audience, et par mes premières je vous en donray adviz, aydant le Créateur, auquel je prie, etc.

De Londres ce xxvııȷe d'octobre 1569.

A la Royne.

Madame, il vous plairra entendre par le Sr. de Vassal, présent pourteur, la suytte des choses dont je vous manday le commancement par le Sr. de La Croix, ès quelles j'avois de long temps prévu que Voz Majestez vouldroient enfin qu'il y fût procédé sellon que me l'avez escript par le Sr. de Sabran, ce que, de moy mesmes, je les avois ainsy disposées, de façon qu'il n'a tenu à moy que l'effect ne s'en soit ensuyvy comme l'eussiez peu desirer, mais il va encores assés bien sellon vostre propos, et je mettray peyne de le mesnager le mieulx qu'il me sera possible.

Les bonnes nouvelles de la victoire, ainsy qu'elles ont grandement resjouy les catholiques, ainsy ont elles infinyement attristé ceulx de la nouvelle religion, qui, à ceste occasion, ont, ces jours passés, assemblé leurs concistoires et proposé plusieurs choses pour relever leurs affaires, et pour remettre et confirmer leur armée; dont je suys en grand peyne comme je pourray sçavoir ce qu'ilz en ont arresté, car s'il m'a esté cy devant très difficile, il m'est à ceste heure quasi impossible de descouvrir leurs conseilz. Tant y a que je tendray toutjour à divertir, le plus que faire se pourra, le mal qui vous pourroit venir de ce royaulme.

J'avoys cy devant baillé à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil certains articles, ès quelz celluy de la restriction de ne porter par les Francoys aulcune sorte de merchandises de Flandres icy, ny d'icy en Flandres, est contenu, non de tout sellon la dépesche de Voz Majestez du xxe septembre, par laquelle m'ordonnez de le laysser passer, ny sellon celle du dernier du dict moys, où me commandez de le reffuser du tout, mais j'ay suyvy la voye du millieu, comme verrez par les dicts articles; ce que je suplie très humblement Vostre Majesté ne trouver mauvais, car il m'a semblé expédiant de le faire ainsy pour vostre service, sellon la grande affection que ceste princesse monstre d'y avoir: dont le Sr. Chapin n'a obmiz de m'envoyer curieusement enquérir de ce qu'elle m'y avoit respondu. Il vous plairra me commander ce que, en cella et aultres occurrances de deçà, il vous plairra estre faict, affin que je ne faille d'y procéder justement sellon vostre intention; et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxvııȷe d'octobre 1569.

LE SIEUR DE VASSAL DIRA A LEURS MAJESTEZ, oultre le contenu des lettres:

Que, pour garder que la prison du duc de Norfolc, et la détention des aultres seigneurs arrestez, et le resserrement de la Royne d'Escoce, qui sont choses mal agréables aulx subjectz de ce royaulme, ne les face eslever, ceulx qui président meintennant en ce conseil, ont fait despescher lettres de leur Royne aulx officiers et gens, qui ont charge en provinces, expéciallement vers le Nort, de pourvoir dilligentment qu'il ne se face aulcune assemblée, par quelque prétexte que ce soit; et qu'ilz trouvent moyen de retirer toutes sortes d'armes, mesmement les haquebuttes, des mains du peuple, le plus gracieusement qu'il leur sera possible; et qu'ilz soyent soigneux d'advertyr diligentment la Royne de la moindre nouveaulté, qu'ilz verront advenir, deffendant à toute manière de gens de ne parler de l'estat du gouvernement de ce royaulme, ny de la Royne leur Mestresse, ny des seigneurs de son conseil, sur peyne de prison et d'aultres rigoureuses punitions; et surtout qu'après ceste victoire du Roy, ilz ayent l'œil bien ouvert sur les actions de ceulx qui sont cogneuz catholiques, mesmement au dict pays du Nort, parce que aulcuns, vers ce quartier là, s'estoient déjà miz en campaigne, et aussi ez aultres endroictz de ce royaulme.

Et semble que l'armement et apareil des grands navyres de ceste Royne sera miz en quelque suspens, demeurant néantmoins ainsy apresté qu'il est, pour s'en ayder à ung besoing, sans qu'ilz le gettent pour encores en mer; car ne se faict aulcune ordonnance pour cella. Vray est qu'ilz sentent merveilleusement la perte qu'ont faict ceulx de la Rochelle, et les vouldroient secourir de tout ce qu'ilz pourroient, mais toute leur principalle entente est, pour ceste heure, de pourvoir au dedans de leur pays, et sont à conseiller seulement, par les instantes sollicitations de ceulx de la nouvelle religion, comme ils pourront, tant d'icy que d'Allemaigne, relever les affaires des dictz de la Rochelle, et remettre et confirmer leur armée deffaicte.

Et de tant que ceste Royne est entrée en plusieurs grandes souspeçons et deffiances de son estat, à cause que les principaulx de sa noblesse et les premiers de son conseil ont escript à la Royne d'Escoce pour la suplier d'avoir agréable le mariage d'elle avec le duc de Norfolc, et que les protestans estiment qu'il y a de la menée des catholiques avec intelligence des princes estrangiers, la dicte Dame a faict requérir, par les comtes de Cherosbery et de Huntington, la dicte Royne d'Escoce de luy faire veoir l'original des lettres et les seings de ceulx, qui les luy ont escriptes, et luy en envoyer une coppie. A quoy la dicte Royne d'Escoce a respondu qu'elle les avoit envoyées à ceulx de sa noblesse et de son conseil en son royaulme, pour avoir leur adviz, et que, si l'on luy vouloit bailler ung passeport, elle les envoyeroit quérir et les feroit tenir par l'évesque de Roz à la dicte Dame, sa bonne sueur; ce que les dictz comtes n'ont accepté, et luy ont dict qu'il ne sera aulcunement procédé à l'expédition de ses affaires jusques à ce qu'elle ayt satisfaict à cella.

Or, il a esté usé de plusieurs artiffices envers le dict duc pour le faire retourner, parce qu'on craignoit que son partement mît aulx armes tout ce royaulme, expéciallement de luy promettre beaulcoup de choses pour la Royne d'Escoce, et qu'au contraire, s'il s'opiniastroit de ne venir poinct, ou s'il essayoit d'attempter quelque chose par la force, qu'il mettroit la personne de la dicte Dame et toutz ses affaires en grand dangier.

Tant y a que, si les comtes d'Arondel et de Pembrot et milor de Lomelley n'ussent poinct esté en arrest, et ne fussent venuz se présenter en ceste court, ains s'en fussent allez chacun en sa contrée, comme ilz l'avoient promiz, il semble que le dict duc eust persévéré de son costé en son entreprinse, mesmement que les seigneurs du Nort, lesquelz l'on n'oze encores mander venir, de peur qu'ilz ne reffuzent tout ouvertement de le faire, se monstrent toutz bien disposez pour luy.

Et il avoit, sur le doubte qu'on luy avoit donné du dangier où seroit la Royne d'Escoce, mandé par mon adviz aulx comte de Lestre et secrétaire Cecille qu'il ne pouvoit employer que eulx deux seulz envers la Royne, leur Mestresse, pour la bien disposer envers la Royne d'Escoce, et pour la garder de n'ordonner rien contre elle; dont les en prioyt de toute son affection, et que, s'il prenoit aulcun mal à la personne de la dicte Dame, qu'il luy costeroit la vie, ou il leur feroit perdre la leur; ce qui, à la vérité, a beaulcoup servy.

Néantmoins, ayant le dict duc esté trop facille à retourner, il a esté incontinent miz en arrest dans son logis soubz estroicte garde, où toutesfoys j'ay trouvé moyen, par Mr. l'évesque de Roz, de luy faire entendre la bonne intention de Leurs Majestez Très Chrestiennes sur le faict du mariage, ce qui l'a tellement confirmé qu'il s'est résolu d'y persévérer jusques à la mort, et qu'après la Royne, sa Mestresse, il demeurera à jamais fidelle serviteur de Leurs dictes Très Chrestiennes Majestez;

Et n'a layssé pour cella de respondre bien fort sagement aulx interrogatoires, qui luy ont esté faictz par les commissaires, de sorte que, raportant iceulx commissaires ses bonnes responces à la dicte Dame, elle a monstré n'estre contante de ce qu'ilz le vouloient excuser, et leur dict plusieurs choses qui procédoient d'ung cueur fort offancé; mesmes, ainsy que l'ung d'eulx s'advança de dire que sellon les loix du pays ils ne le trouvoient coulpable de rien:—«Allez, dict elle, ce que les loix ne pourront sur sa teste, mon authorité le pourra.»—Et entra en si grand collère qu'elle esvanouyt, et courut l'on au vinaigre et aultres remèdes pour la faire revenir.

Ainsy fut le dict duc envoyé le lendemain à la Tour, et aussi tost ordonné de visiter ses maysons, ouvrir ses coffres, saysir ses papiers, mandé les gentishommes de Norfolc pour venir déposer et tesmoigner contre luy; dont aulcuns se sont présentez, aultres ont reffuzé de le faire, et fut envoyé en plusieurs endroictz de ce royaulme pour informer de sa vie et de ses faictz.

Tant y a qu'aulcuns principaulx du conseil luy ont mandé qu'il ne fût en peyne de rien pour cella, car n'y avoit vériffication aulcune qui fût pour préjudicier à sa vie, et qu'il n'y avoit de proposé contre luy que trois faictz:

Le premier, d'une sienne lettre qu'il avoit escripte au comte de Mora, touchant le dict mariage, laquelle le dict comte a envoyée à la Royne d'Angleterre non sans qu'on le luy imputte à ung très mauvais tour;—l'aultre, est ung souspeçon seulement d'avoir praticqué avec les princes de dellà la mer;—et le troisiesme, ce sien partement de court sans congé.

Et quant au comte d'Arondel et millord de Lomelley, il leur estoit principallement imposé d'avoir persuadé le duc qu'il se deubt saysir de la Tour, ce que ne se pouvant vériffier parce que le millor de Havar, qui l'avoit raporté, allégoit ung autheur, et cest autheur ung aultre autheur, et en fin se trouvant que cella provenoit d'ung ouy dire, ilz n'ont esté miz en la Tour; néantmoins ilz demeurent encores, et aussi le comte de Pembrot, en arrest, bien qu'il s'estime que le dict [comte de] Pembrot, de tant qu'il n'est chargé que d'avoir conseillé le dict mariage, comme le cuydant aultant agréable à la Royne sa Mestresse, comme il a toutjours estimé qu'il luy estoit utille et à tout son royaulme, s'il en veult demander ung bien peu de pardon à la dicte Dame, qu'il sera miz incontinent en liberté.

Et le comte de Lestre monstre encores favoriser en plusieurs sortes, soubz main, le dict duc, et estre infinyement irrité et offancé contre le dict Cecille, qui va aigrissant la matière, lequel néantmoins excuse les extrêmes poursuytes qu'il y faict sur l'extrême courroux de sa Mestresse, et met en avant ung seul moyen pour remédier aulx affaires de la Royne d'Escoce et à ceulx du dict duc tout ensemble, qui est de quicter et renoncer entièrement par l'ung et l'aultre au dict mariage.

A quoy ayant respondu l'évesque de Roz, quant il le luy a dict, que la Royne d'Escoce, sa Mestresse, en seroit très contante, parce qu'elle n'y avoit jamais prétandu que pour cuyder complaire à la Royne d'Angleterre sa sœur, et à la noblesse du pays, car c'estoit ung personnaige qu'elle n'avoit jamais veu que le duc; et que grâces à Dieu, il luy avoit esté proposé de plus grandz partys, le dict Cecille répliqua qu'il ne suffiroit de se quicter de parolle, ains le fauldroit faire par effect, dont luy feroit entendre plus clairement, une aultre foys, comme cella s'entendoit.

Et j'ay aprins despuys, que c'est de contraindre le dict duc d'espouser, avant sortir de la Tour, madame Obey, veufve du feu dernier ambassadeur d'Angleterre, qui estoit en France, laquelle est sœur de la femme du secrétaire Cecille.

Dont, affin d'admener les choses à ce poinct par longueur de prison du dict duc, et par une plus estroicte garde de la Royne d'Escoce et prolongation de ses affaires, iceulx commissaires, qui président à ceste heure seulz en ce conseil, ont dict au dict évesque de Roz, que la Royne d'Angleterre se trouvoit meintennant si pressée d'aulcuns siens grandz affaires, qu'encor que l'abbé de Donfermelin, depputté du comte de Mora, fût arrivé, elle ne pourroit entendre en façon du monde, de quelques jours, à l'expédition des affaires de la Royne d'Escoce; dont le prioyent se retirer à Londres jusques à ce que l'on le manderoit, qui seroit le plustost que la dicte Dame se trouveroit en disposition d'y vacquer.

Sur ce dessus, de tant que le dict duc propose de se conduyre en cecy par le conseil du dict évesque de Roz et aulcunement par le mien, et qu'il semble que je pourray retenir ou lascher une partie de ses dellibérations, sellon que je pourray comprendre que Leurs Majestez Très Chrestiennes le vouldront, il leur plairra m'en mander bien expressément leur intention.

Et cependant, la personne de la Royne d'Escoce demeure asseurée en la garde du comte de Cherosbery, et, bien que le comte de Huntington y soit, il n'en a l'authorité, avec ce, que toutz ceulx de ce conseil se constituent pleiges pour luy qu'il ne fera rien qui ne soit digne d'homme d'honneur, pour respecter en toutes sortes, comme sera son debvoir, la dicte Dame; et mesmes la Royne d'Angleterre m'en a respondu comme de sa propre vie, comme aussi la dicte Royne d'Escoce, à présent, ne parle plus que de trop grand aguet qu'on a sur elle.

L'AMBASSADEUR DE FRANCE A LA MAJESTÉ DE LA ROYNE D'ANGLETERRE.

1.—Que le Roy Très Chrestien, par ses lettres du xxe de septembre, mande au dict ambassadeur d'accorder les choses qui furent proposées à Fernan Castel, le xvıȷe d'aoust dernier, touchant le commerce d'entre la France et d'Angleterre, et que, de sa part, il veult et desire que toute contractation, tant par mer que par terre, et pareillement la navigation aillent libres et bien asseurées entre les communs subjectz de Leurs Majestez.

2.—Et la prie le dict Roy, son frère, qu'elle ayt agréable de faire abstenir ses dicts subjectz du fréquent et ordinaire commerce qu'ilz mènent à la Rochelle, pour jouyr et user de celluy que très libérallement il luy offre en toutz les aultres endroictz de son royaulme, avecques promesse d'y faire favorablement recuillyr et bien tretter les dictz subjectz de la dicte Dame, et les faire pourvoir des choses qu'ilz desirent avoir de son royaulme, avec aultant de commodité qu'ilz les pourroient recouvrer au dict lieu de la Rochelle.

3.—Touchant la restriction de ne pourter par les Françoys aulcunes sortes de merchandises de Flandres en Angleterre, ny d'Angleterre en Flandres, durant la suspencion des deux pays, le dict Roy, Son Seigneur, estime qu'il n'y a lieu d'en faire article à part, attandu les bons termes où l'on est d'accorder du premier jour ces différendz, se réservant toutesfoys, au cas que la Majesté de la dicte Dame persévère de le desirer, qu'il advisera avec son conseil du moyen que, sans contrevenir aulx trettez, il l'en pourra satisfaire, ainsy qu'il desire la gratiffier en beaulcoup plus grand chose que cella.

4.—De tant que les sieurs commissaires, ordonnez sur la restitution des prinses, n'ont peu satisfaire à l'exécution d'icelle dans le jour de St. Michel, comme il avoit esté arresté, le dict ambassadeur suplie très humblement la Majesté de la dicte Dame que son bon playsir soit accorder d'ung aultre jour, pour à icelluy réallement et véritablement faire la restitution des prinses, qui se trouveront en essence apartenir aulx Françoys; ou qui, par les dicts commissaires, aura esté desjà ordonné leur estre payées, affin qu'en mesme temps la restitution et mainlevée se face en France des biens des Anglois.

5.—Et que, des aultres choses dont les dicts commissaires n'ont encores donné deuhe condempnation au proffict des Françoys, Sa dicte Majesté veuille promettre qu'il leur en sera faict prompte justice, sans figure ne longueur de procès, à la mesure qu'ilz la viendront requérir, et qu'ilz pourront sommairement vériffier qu'elles leur apartiennent.

6.—Au regard des affaires de la Royne d'Escoce, le dict ambassadeur, de la part du Roy, Son Seigneur, et par son exprès mandement requiert deux choses:—La première, touchant la liberté et bon trettement de sa personne, qu'il playse à la Majesté de la Royne d'Angleterre commander qu'elle ne soit commise ez mains de ceulx qu'elle repputte ses ennemys, et qu'il ne luy soit dict ny fait aulcune chose qui ne convienne à la dignité de ce que Dieu l'a faicte estre princesse souveraine en la chrestienté, parante et alliée des plus grands princes chrestiens, expéciallement du Roy, Son Seigneur, et de la Majesté mesmes de la dicte Dame.

7.—La seconde, qu'elle veuille résouldre le Roy, son bon frère, du secours et assistance que Sa dicte Majesté entend donner à la dicte Royne d'Escoce, pour estre remise en son estat, sans laysser passer plus avant les mauvais subjectz de la dicte Dame à establir leurs affaires, comme ilz font, contre elle dans son propre pays; lesquelz luy ont desjà ruyné, et se préparent de luy ruyner encores davantaige, et de tiranniser ses bons et fidelles subjectz, et de vouloir, à toute force, luy emporter son chasteau de Dombertran; à quoy sera son bon playsir d'obvier par quelque bon expédiant et prompt remède, sellon qu'elle a toutjour promiz que oportunément elle le feroit.


LXIXe DÉPESCHE

—du Ier jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Valet.)

Audience donnée par la reine d'Angleterre à l'ambassadeur et au sieur d'Amour, envoyé par le roi pour lui rendre compte de la bataille de Moncontour.—Élisabeth offre de nouveau sa médiation au roi.—Elle se loue du sieur Ciapino Vitelli.—Elle se plaint vivement de l'ambassadeur d'Espagne, qu'elle ne veut pas recevoir en audience.—Elle consent avec peine qu'il fasse partie de la commission établie pour régler les différends entre l'Angleterre et l'Espagnes.—Nom des membres de cette commission.—Retards ménagés par les Anglais pour empêcher d'en venir à un accord.—Profonde méfiance que leur inspire le sieur Ciapino Vitelli.—L'ambassadeur sollicite un passe-port pour que le sieur d'Amour puisse se rendre auprès de la reine d'Écosse, suivant les ordres du roi.—Il renouvelle les diverses demandes qu'il a déjà faites pour elle.—Le passe-port est refusé, malgré les vives instances de l'ambassadeur.—Déclaration d'Élisabeth, qu'elle a fait connaître au roi par son ambassadeur, tous les reproches qu'elle est en droit d'adresser à Marie Stuart.—Insistance de l'ambassadeur pour qu'il soit gardé le secret sur ce qu'une copie de la lettre écrite par les seigneurs du conseil à Marie Stuart, pour l'engager à épouser le duc de Norfolk, a été envoyée en France.—Assurance donnée par le sieur Ciapino Vitelli, que si les ducs Casimir et Auguste descendent d'Allemagne, le duc d'Albe entrera aussitôt en campagne.

Au Roy.

Sire, se retrouvant la Royne d'Angleterre vendredy dernier, qui estoit le jour qu'elle m'avoit assigné pour luy aller présenter les lettres de Voz Majestez, fort pressée d'affaires, et m'ayant contremandé au sabmedy à deux heures après midy, elle les a receues allors, ensemble celluy qui les aportoit bien fort favorablement; et, après s'estre curieusement enquise de vostre bon portement et de celluy de la Royne et de Monsieur, et de monsieur le duc et de Madame, et puys d'aulcunes particullaritez de la bataille, elle m'a respondu, quasi en la mesme façon comme la première foys que je luy en avois parlé; c'est qu'elle se resjouyt de cestuy vostre advantaige aultant et, possible, plus que nul autre de voz aultres alliez et confédérez, tant parce qu'elle estime debvoir cella à vostre commune amytié, que pour l'intérest qu'elle a que les subjectz ne viennent au dessus de leurs princes; mais que, pour aultres respectz, elle ne peut faire qu'elle n'en soit assez marrye, principallement pour l'amour de vous mesmes, de tant que une victoire sur voz subjectz ne sçauroit estre qu'à vostre propre dommaige, et ne peult remplyr vostre royaulme que de sa propre callamité; et qu'aussi, à dire vray, quoy que je luy heusse dict que vous ne prétandiez aultre chose que l'obéyssance de voz subjectz, si creignoit elle néantmoins que vous y voulussiez meintennant cercher la ruyne de leur religion, me demandant fort expressément si j'avois heu souvenance de ce que, à ce propos, elle m'avoit naguyères prié de vous escripre, comme elle seroit très ayse de vous pouvoir proposer quelque bon expédiant avec voz subjectz, qui vous fût aultant agréable et à la Royne, comme elle mettroit peyne de le faire réuscyr proffitable et advantaigeux pour Voz Majestez, et si vous m'y aviez encores rien respondu.

Je luy ay dict que je n'avois rien obmiz de son dict propos par mes dernières lettres, mais que la responce ne pouvoit estre si tost venue, et qu'au reste, voz subjectz expérimenteroient, ainsy qu'ilz ont toutjour faict, beaulcoup de clémence en Voz Majestez, pourveu que vous trouvissiez en eulx la parfaicte obéissance qu'ilz vous doibvent.

Les aultres responces de la dicte Dame sur aulcunes choses, que je luy avois auparavant proposées, et dont j'en avois baillé ung mémoire à ceulx de son conseil, ont esté gracieuses, et s'est esforcée de les faire à vostre contantement, desquelz je vous envoyeray la substance par le premier. Et puys m'a touché ung mot de la venue du Sr. Chapin Vitel, qu'on appelle le marquis de Chetona, comme elle l'avoit trouvé de bonne sorte franc et ouvert, et homme propre pour tretter des affaires qu'ilz avoient à démesler ensemble, ès quelz elle espéroit que le tort du duc d'Alve seroit manifeste; car juroit son Dieu qu'elle n'avoit jamais pensé de retenir l'argent du Roy d'Espaigne, son frère, et que luy aussi avoit enfin monstré qu'il ne le croyoit pas, ains avoit courtoysement envoyé devers elle.

Sur quoy je luy ay dict que Voz Majestez Très Chrestiennes avoient esté très ayses d'entendre l'acheminement du dict marquis par deçà, et que ces différendz allassent prendre ce bon trein d'accord que ung chacun y espéroit, et que m'aviez commandé luy offrir tout le service à quoy elle trouveroit bon de m'employer en cest endroict, au nom de Voz Majestez, ainsy que je luy voulois bien dire que j'avois desjà offert le semblable au dict sieur marquis et à monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, lesquelz j'avoys veuz en passant à Colbronc, où nous [nous] estions rencontrez; ce que la dicte Dame a heu bien fort agréable.

Et à ce propos, Sire, j'ay à vous dire que, jusques à vendredy dernier, je n'ay jamais peu obtenir que la dicte Dame m'ayt vollu permettre de visiter le dict ambassadeur, lequel aussi elle n'a encores aulcunement souffert venir en sa présence, mesmes y a heu beaulcoup à faire à la persuader qu'elle le layssât estre ung des depputtez de la conférance, mais enfin elle l'a consenty; et ainsy,—luy et le dict sieur marquis, et le sieur de Latour, secrétaire des Estatz de Flandres, et le Sr. de Fonges, homme bien lettré, toutz quatre pour le Roy d'Espaigne, et le milord Quiper, le marquis de Norampton, le comte de Lestre et le secrétaire Cécille, pour la Royne d'Angleterre,—conviendront, certains jours de la sepmaine, en la maison du parc de Vuyndesor pour tretter de ces différandz; mais, pour encores, la matière est si crue qu'on ne peult cognoistre quel boult elle fera, tant y a que, des deux costez, l'on monstre avoir grande espérance de l'accord; et ceulx d'icy semblent préparer le Sr. Piquelin comme pour l'envoyer, incontinent après le dict accord, ambassadeur en Espaigne. Néantmoins, de tant que les premiers articles, qu'on a proposez pour le Roy Catholique, semblent estre d'une si grande demande qu'on me l'a dicte monter à six millions d'or, j'ay opinion, joinct ce que j'ay compris du parler de la dicte Dame, que le pouvoir des dictz depputez d'Espaigne sera trouvé deffaillant, et non assés ample; et que, là dessus, la matière pourra estre acrochée. Et si, semble qu'on ayt aulcunement suspecte la venue du dict marquis par deçà, et qu'on crainct qu'il ne se suscite quelque nouvelleté dans le pays pendant qu'il y est, dont se tient ung grand aguet sur luy, et sur le dict ambassadeur d'Espaigne, et sur les dépesches qu'ilz font en Flandres; et en font, eulx aussi, plusieurs de leur part pour contenir et réprimer ce qu'ilz sentent, et qu'on dict assés ouvertement qui s'esmeut en divers endroictz de ce royaulme.

Au surplus, Sire, j'ay faict entendre à ceste princesse que Vostre Majesté avoit commandé au Sr. d'Amour de porter voz lettres de conjouissance à la Royne d'Escoce, sur la victoire que Dieu vous a donnée, avec ung semblable discours de ce qui y a succédé, comme vous le luy avez envoyé à elle; dont l'ay priée de luy octroyer ung passeport pour y aller, et que puysque l'abbé de Donfermelin a esté icy de la part du comte de Mora, et qu'elle l'a desjà renvoyé, qu'il luy playse meintennant satisfaire aulx choses, que je luy ay dernièrement requises pour la liberté et bon trettement de la personne de la Royne d'Escoce et pour le secours qu'elle luy veult bailler, affin de la restablir à sa couronne, et résister aux entreprinses que le comte de Mora va exécutant, de jour en jour, contre elle.

A quoy elle m'a respondu que, quant à l'abbé de Donfermelin, il avoit porté des commissions si estranges et mauvaises contre la Royne d'Escoce, que, si elle ne fût poinct offancée meintennant, elle mettroit peyne de les faire réparer au comte de Mora, quoy qu'il costât, mais qu'elle n'estoit aulcunement convyée de ce faire; et, quant aulx aultres choses que je luy avois requises pour elle, qu'elle avoit envoyé ung discours des tortz qu'elle luy avoit faictz à son ambassadeur Mr. Norrys, pour les faire au vray entendre à Voz Majestez, et qu'elle espéroit que vous les cognoistriez telz que dorsenavant vous seriez plus pour sa cause que pour celle de la Royne d'Escoce; et qu'elle vouldroit en toutes sortes honnorer voz messaiges et messaigiers, mais vous suplioyt ne trouver mauvais si elle ne permettoit, durant ce sien juste courroux, que ses subjectz vissent recepvoir une si grand visite, comme seroit celle de la part de Vostre Majesté à la dicte Royne d'Escoce; mais que si je luy voulois bailler voz lettres, que pour l'honneur d'icelles elle les luy feroit seurement tenir.

Je luy ay répliqué plusieurs choses là dessus bien fort vifvement, sellon que monsieur l'évesque de Roz et moy les avions auparavant bien pensées, mais elle est demeurée fermement résolue de ne vouloir en rien procéder sur les affaires de la dicte Royne d'Escoce, qu'elle n'ayt responce de ce que son ambassadeur vous en aura proposé.

Chiffre.—[Sur quoy Vostre Majesté trouvera ez mains du Sr. de Flemy de quoy pouvoir bien respondre au dict ambassadeur, mais il fault que ce soit en sorte que le dict ambassadeur ne cognoisse qu'on ayt envoyé en France la coppie de la lettre que les seigneurs de ce conseil ont escripte à la Royne d'Escoce pour le mariage du duc de Norfolc. J'ay receu nouvelles de la dicte Dame qu'elle se porte bien, et qu'elle est infinyement marrye que les lettres, qu'elle vous escripvoit dernièrement, ayent esté perdues avecques mon pacquet, et qu'il vous playse l'excuser meintennant, si elle ne vous escript; car n'a la liberté de faire ung seul mot que fort secrectement par le chiffre que nous avons ensemble. Elle vous reccommande sur toutes choses le secours de son chasteau de Dombertran. Le comte de Lenoz est dépesché pour aller en Escoce pour faire partie au secrétaire Ledinthon, que le comte de Mora veult faire exécuter comme coulpable du murtre du feu Roy d'Escoce. Sur ce, etc.

De Londres ce 1er de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, ceste dépesche est pour vous faire toutjour entendre la continuation des choses, que par le Sr. de Vassal je vous ay naguières mandées, lesquelles sont en l'estat que Vostre Majesté verra en la lettre que j'escriptz au Roy, à laquelle me remettant, et attandant de vous renvoyer le Sr. d'Amour, aussitost qu'aurons recouvert les lettres de la response que la Royne d'Angleterre veult faire aulx vostres, je vous diray seulement, Madame, que ceste princesse a merveilleusement loué la valleur de Monseigneur vostre filz sur le gain de ceste bataille, et m'a dict qu'elle lyra avec affection le discours d'icelle, pour y trouver les actes généreux de son hardiesse; et qu'elle a entendu que le Roy s'est acheminé en son camp pour avoir part à la gloire, que les exploictz des armes ont accoustumé de produire aulx grandz princes; et en toutes sortes elle a parlé fort honnorablement de l'ung et de l'aultre, et pareillement de la digne et vertueuse conduicte que Vostre Majesté donne à leurs affaires. Mais aulcuns des siens, qui sont fort protestans, affin d'opposer toutjour quelque chose à la grandeur de la victoire, ont desja semé que les Viscomtes, nonobstant Mr. Damville, ont repassé les rivières, et se sont joinctz à monsieur l'Admyral; et que le dict Admyral, pour n'avoir fait guières grand perte de gens de cheval en ceste bataille, se trouve à ceste heure plus fort que jamais en campaigne. Tant y a qu'on m'a asseuré qu'ilz ne le croyent ainsy, et qu'ilz sçavent que desjà plusieurs familles sont passées de la Rochelle par deçà pour craincte du siège.

Il est arrivé despuys trois jours ung homme que le comte Pallatin a dépesché après l'arrivée de Mr. de Lizy, mais je ne sçay encores ce qu'il a proposé, et me sera très difficile de le descouvrir, parce que toutz ceulx qui ont meintennant le manyement en ceste court sont très passionnez protestans. Il semble que l'ambassadeur d'Espaigne et le marquis de Chetona ayent contraires adviz des choses d'Allemaigne, car le dict ambassadeur dict que [le duc de] Cazimir a vi mil reytres arrestez et que le duc Auguste en peult mettre cinq mil aux champs quant il vouldra, ainsy que le Sr. de Chanthonay par ses dernières le luy a escript; et le dict marquis dict que le duc d'Alve a les plus seurs adviz du dict pays que nul aultre, et qu'il est asseuré que le dict [duc] de Cazimir, encor qu'il ayt ung nombre de capitaines arrestez, n'a toutesfoys baillé l'antiguelt aulx soldatz pour les avoir bien prestz quant il vouldra, et qu'il y courra du temps assés, avant que sa levée commance de marcher, ainsy que fit celle du duc de Deux Pontz; et que le duc Auguste employe la grand authorité qu'il a en Allemaigne à estre mesnagier et se faire riche; et que si ceulx là viennent en armes, que le dict duc d'Alve leur yra incontinent au devant avec six mil chevaulx et douze mil hommes de pied, les meilleurs gens de guerre qui soyent soubz le ciel; discourant plusieurs aultres choses là dessus qu'il a faict cadrer à la parfaicte intelligence et grand confiance, dont aujourduy les affaires d'entre ces deux grandz Roys de France et d'Espaigne se conduysent.

A quoy, encor que je me soys monstré fort consentant pour le regard de Voz Majestez Très Chrestiennes, je n'ay layssé pourtant de luy dire que, de leur costé, ilz monstrent de vouloir jouyr d'un trop grand repoz, durant nostre grand travail, sur ung débat qui leur touche aultant qu'à nous, et qu'ils debvoient desjà avoir couru sus à ces princes protestans, qui viennent ainsy soubstenir ceulx qui mènent la guerre dans vostre royaulme. Noz propoz n'ont esté que fort gracieulx et pleins de toute bonne affection, ainsy que les avons menez, et nous [nous] sommes entrevisitez souvant pendant que j'ay esté prez du dict Vuyndesor; et se sont curieusement enquiz où est à présent le prince d'Orange.

J'entendz que Doulovyn et le bastard de Briderode, après avoir faict, sur la pescherie de Flandres et sur aulcuns lieux maritimes de Olande et Frize, ung pillage de six ou sept vintz mil escuz, et ayant joinct, à ce qu'on dict, envyron trente vaysseaulx, toutz bien équipez en guerre, et deux mil harquebouziers, et ung nombre de corseletz, se dellibèrent de tenir la mer. D'aultre part le capitaine Sores est desjà party de la Rochelle avec dix ou douze navyres bien armez, dont celluy où il va, lequel s'appelle le Prince, est de trois centz tonneaulx avec deux centz cinquante bons hommes dedans; et encor que ny les ungs ny les aultres n'abordent pour le présent en ce royaulme, néantmoins les pleinctes des maulx qu'ilz commancent de faire, viennent jusques icy, et je suys après à les faire remédier; mais il sera bon que cependant voz frontières de mer et les pouvres merchantz soyent advertys d'y prendre garde, ainsy que j'en ay desjà donné adviz aulx gouverneurs, qui sont plus voysins d'icy. Sur ce, etc.

De Londres ce 1er de novembre 1569.

J'entendz que le capitaine Vilènes de Boulonoys est venu de deçà soubz ung passeport de Vostre Majesté. Mandés moy, s'il vous playt, s'il faudra que je le face observer, et sera vostre bon playsir commander qu'il soit faict part de ceste dépesche à Monseigneur vostre filz.


LXXe DÉPESCHE

—du Ve jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. d'Amour, vallet de chambre du Roy.)

Retour du sieur d'Amour en France.—Réserve que doit s'imposer l'ambassadeur depuis les dernières arrestations faites dans le conseil.—Commencement des conférences sur les affaires d'Espagne.—Refus fait par Élisabeth de permettre à l'ambassadeur d'Espagne de siéger dans la commission.—Nouvelles instances de l'ambassadeur de France pour que le commerce d'Angleterre avec la Rochelle soit absolument interdit, et pour que Marie Stuart soit enfin rétablie en Écosse.—Élisabeth promet satisfaction pour la demande concernant la Rochelle, mais elle refuse formellement de s'occuper des affaires de Marie Stuart.—Déclaration qu'elle attendra la réponse du roi sur la communication qui lui a été faite de sa part.—Crainte qu'Élisabeth ne veuille livrer la reine d'Écosse au comte de Murray.—Secours préparés secrètement en Angleterre pour la Rochelle.—L'accord pour la restitution des prises est terminé.—Grand nombre de pirates qui se mettent de nouveau en campagne.—Crainte qu'ils ne se réunissent aux flottes ennemies, déjà en mer, pour tenter quelque coup de main sur les côtes de France.—Convention arrêtée avec l'Angleterre, touchant le commerce des deux nations et la restitution des prises qui ont été respectivement faites.

Au Roy.

Sire, m'ayant la Royne d'Angleterre, aujourduy matin, envoyé les lettres qu'elle répond à celles de Voz Majestez, j'en ay incontinent dressé ceste dépesche pour vous renvoyer le Sr. d'Amour, lequel s'estant bien et sagement acquicté de sa charge, vous rendra lui mesmes compte de ce que la dicte Dame luy a dict, et de ce qu'il luy a respondu; et parce que, de ma part, je vous ay assez informé par mes précédantes de toutz les propos qu'elle m'a tenuz, touchant la victoire qu'il a pleu à Dieu vous donner, je ne vous en diray icy rien davantaige. Seulement adjouxteray, Sire, que les protestans de deçà s'esforcent en plusieurs sortes de relever par parolles la réputation des affaires de ceulx de la Rochelle, ainsy qu'ilz les vouldroient bien fort relever par effect, s'ilz pouvoient; publians qu'ilz n'ont perdu que quelques gens de pied, et que pour leur rester la cavallerye aussi entière que celle de Monsieur, frère de Vostre Majesté, ilz ne sont pour quicter encores la campaigne. Et m'a l'on dict que aulcuns des plus passionnez ont mandé à monsieur l'Admyral que s'il peult meintenir la guerre jusques à l'entrée du printemps, qu'il sera lors sans aulcun doubte secouru d'Allemaigne d'un grand nombre de gens de pied et de cheval, et d'icy de tout ce qu'on pourra d'argent; ce que je n'ay encores comprins debvoir estre ainsy par les propos de ceste Royne, laquelle, pour dire vray, est celle de toutz ceulx de sa court et de tout son conseil que je trouve mieulx disposée et plus respectueuse ez choses qui vous pourroient offancer en ceste guerre, estantz les aultres, qui tenoient le party de la paix, toutz meintennant en prison ou en arrest, ce qui me faict aller plus réservé en aulcunes choses envers la dicte Dame.

Et mesmes voyant que presque toutz les grandz et les principaulx merchantz estrangiers et naturelz de ce royaulme, lesquelz peuvent assez envers elle, concourent toutz à l'accord des différandz des Pays Bas, quant ilz voyent le Sr. marquis de Chetona de par deçà, dont j'ay miz peyne, en monstrant de le desirer aussi, de faire pareillement de mon costé que vous ne soyez demeuré en suspens avec ceste Royne et les siens, et que le commerce ayt esté déclairé libre entre voz deux royaulmes, en quoy semble que je l'aye plus inclinée à ce party, qu'elle ne se veult encores laysser persuader pour l'aultre; duquel ne se cognoist qu'il y ayt guières de contantement entre les depputez sur les premiers abouchemens qu'ilz ont heu ensemble, où enfin elle n'a vollu que l'ambassadeur d'Espaigne, icy résidant, ayt aulcunement assisté, bien qu'une foys elle eust monstré le vouloir permettre.

Et je n'ay layssé pourtant, ez propos que j'ay tenuz à la dicte Dame, de luy insister fort fermement sur deux principaulx poinctz, l'ung de deffandre le traffic de la Rochelle à ses subjectz, et l'aultre de pourvoir aulx affaires de la Royne d'Escoce. En quoy il y a heu beaulcoup de contention entre elle et moy, mais non sans qu'elle ayt monstré ne vous vouloir non plus offancer, qu'elle ne veult estre offancée de Vostre Majesté; et en fin, j'ay obtenu, pour le regard du dict commerce de la Rochelle ce que verrez par sa response qu'elle m'a faicte bailler en escript, me priant d'asseurer Voz Majestez Très Chrestiennes que, si elle y pouvoit quelque chose de mieulx, elle le feroit en toutes sortes pour vous en contanter; mais que les privillièges de ses merchans, lesquelz elle a juré de meintenir, ne luy permectent rien davantaige.

Et touchant les affaires de la Royne d'Escoce, de tant que je ne luy ay aussi vollu admettre les excuses qu'elle m'a alléguées, de n'y pouvoir meintennant entendre, elle m'a dict, tout ouvertement, que la Royne d'Escoce l'a si griefvement offancée de tretter mariage avecques ung sien subject, et praticquer avecques luy de la succession du royaulme d'Angleterre, sans l'en avoir advertye, (veu les bons tours de parante et de vraye amye qu'elle luy avoit toutjour monstré), qu'elle demeure fermement résolue, quoy que doibve advenir, de ne pourvoir en rien aulx affaires de la dicte Dame, qu'elle n'ayt heu responce de ce que son ambassadeur Mr. Norrys vous en aura faict entendre de sa part, en quoy j'ay estimé ne debvoir, pour ceste foys, passer plus avant; mais j'ay conseillé monsieur l'évesque de Roz d'envoyer demander audience pour luy faire une recharge, lequel a prié le marquis de Chetona de faire aussi quelque office en cest endroict, affin de monstrer que les deux plus grandz Roys de la chrestienté concourent à procurer la restitution de ceste princesse.

Aulcuns ont opinion que la Royne d'Angleterre a si grand desir de veoir meintennant la dicte Royne d'Escoce hors de son pays, qu'elle est pour la délivrer ez mains du comte de Mora; et qu'à cest effect elle pourroit bien avoir ainsy soubdain renvoyé l'abbé de Donfermelin, pour advertir le dict comte de préparer des forces sur la frontière affin de la recepvoir; ce que je n'ay encores du tout descouvert, mais je mettray peyne de le sçavoir et d'y remédier par toutz les moyens que je pourray.

Le comte de Lenoz avoit heu, sabmedy dernier, son passeport pour aller au dict pays d'Escoce, affin de se randre partie au secrétaire Ledinthon, mais pour quelques considérations, que ceste Royne a heu, il a faict arrester [son dict passeport], dont il y a envoyé ung promoteur. Et remectant les aultres particullaritez de deçà à la suffizance du dict sieur d'Amour, je supplieray, pour la fin de la présente, le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté, qu'il vous doinct, etc.

De Londres ce ve de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, vous recepvrez, s'il vous playt, par le Sr. d'Amour les lettres, que la Royne d'Angleterre respond à celles que Vostre Majesté luy avoit escriptes, et il vous comptera le soing qu'elle a heu de s'enquérir de vostre bon portement et santé, et vous fera aussi entendre les aultres particularitez qu'il a aprinses, icy mesmes, de la dilligence, que ceulx de la nouvelle religion de deçà mettent à relever les affaires de ceulx de leur party qui sont en France; en quoy quelcun m'a adverty qu'ilz sont après à achapter des armes, picques, corseletz et haquebuttes en ce pays, et que aulcuns merchandz de la Rochelle sont venuz faire provision de quelques bledz, cher et burres, pour passer le tout de dellà le plus secrectement que faire se pourra, parce que ceste Royne s'y monstre assés difficille, et bonne partie de ses subjectz en sont bien fort mal contantz. Mais ceulx, qui manyent à ceste heure la court et les affaires, sont si passionnez protestans qu'ilz donnent ordre que cella s'exécutte sans qu'on en sente rien, et pouvez croyre, Madame, que je suys en grand peyne d'avoir affaire à gens qui sont du tout contraires aulx présentes intentions de Voz Majestez sur les troubles de vostre royaulme, et que ceulx qui s'y monstroient modérez sont à présent toutz prisonniers; je ne lairay pourtant de mesnaiger les bonnes parolles et les promesses de ceste princesse en vostre endroict, le mieulx qu'il me sera possible, pour garder qu'il ne vous viègne de mal d'icy, que le moins que faire se pourra.

Nous avons enfin arresté ung expédiant sur la restitution des prinses, le plus convenable que nous avons peu obtenir en affaire si mal aysé que celluy là; et veu le désadveu de ceste Royne sur toutz les exploictz de ces pirates, il ne s'y pouvoit, par voye de justice, faire guières rien de mieulx, mesmes que les subjectz de ce royaulme se plaignent qu'ilz demeurent beaulcoup plus intéressez par les Bretons, sans qu'ilz en puyssent avoir aulcune rayson, qu'ilz n'ont porté de dommaige à toutz les Françoys. Il vous playrra, Madame, commander par voz lettres expresses à la court de Parlement de Roan et à Mr. de la Meilleraye, qu'ilz ne faillent de faire la mainlevée des biens des Anglois au dict Roan, le xxve jour de ce moys de novembre, comme de mesmes la restitution se fera pardeçà aulx Françoys, sellon qu'il a esté ainsy convenu entre la Royne d'Angleterre et moy et les depputtez du dict Roan.

La mer se va, de rechef, remplissant de pirates, dont j'ay faict dépescher commission contre aulcuns Anglois, qui y sont, pour les faire apréhender quelle part qu'ilz aborderont en ce royaulme; mais l'on m'a dict que le sire Artus Chambrenant, inthime amy du comte de Montgomery, et en la maison de qui la comtesse de Montgomery s'est retirée, arme quelques vaysseaulx vers la coste d'Ouest, lesquelz, s'ilz se joignent avec le bastard de Briderode et le Sr. Dolovyn et le capitaine Sores, ilz pourront faire, tout ensemble, le nombre de cinquante navyres de guerre, qui est pour debvoir prandre garde à la seurté de la mer et à quelque descente en terre, qui se pourroit faire pour surprendre quelque lieu mal gardé.

Ung personnaige, (chiffre) [marqué de pouldre au visaige], m'est venu prier de vous escripre qu'il ne peut encores partir d'icy de dix jours, et que l'affaire, pour lequel il y est, se porte comme il le desiroit. Sur ce, je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, etc.

De Londres ce ve de novembre 1569.

CONVENTION TOUCHANT LA RESTITUTION DES PRISES.

Responce faicte par les seigneurs du conseil d'Angleterre aulx articles à eulx propozés par le Sr. de La Mothe Fénélon (contenuz en la dépesche du xxvııȷe d'octobre dernier passé.—V. ci-dessus, p. 305.)

Au premier.—La Royne entend de l'observer ainsy de sa part.

2.—La Royne ne peult commander à ses merchantz de ressortir en certain lieu, ny de mener leur traffic en ung aultre, sinon ainsy qu'ilz l'estimeront plus commode, mais l'on les advertyra de l'offre du Roy, ne doubtant en rien, s'ilz peuvent trouver aultant de proffict et de seurté ez aultres endroictz, qu'ilz y ressortiront et non à la Rochelle; et n'entend licencier ny permettre aus dictz merchantz, ny aultres ses subjectz de porter au dict lieu de la Rochelle aulcunes choses qui puissent servyr ny ayder à la guerre, ny qu'ilz en puissent charger plus grand quantité que pour servir à eulx ou à leur propre deffance dans leurs vaysseaulx.

3.—La Royne se confye que le Roy vouldra en ce considérer la rayson de sa requeste.

4.—Ordre est donné aulx commissaires de mander et assigner ung jour.

5.—La Royne est bien disposée de faire par toutz bons moyens administrer justice avec prompte exécution d'icelle.

6.—De ceste matière la Royne a adverty le Roy, son bon frère, par son ambassadeur.

7.—De ceste cy aussi elle l'a adverty par son dict ambassadeur.

C'est la remonstrance, en forme d'articles, que les Srs. de Vymont et Cavellier, merchantz de Roan, depputez pour la restitution des biens des Françoys, prins ou arrestez en Angleterre despuys le moys d'octobre 1568, après longue poursuyte et condempnation obtenue d'une partie d'iceulx devant les Seigneurs Commissaires à ce depputez, ont présentée à la Royne d'Angleterre et au Sr. de La Mothe Fénélon, Ambassadeur du Roy, aulx fins y contenues, laquelle ayant esté renvoyée à iceulx sieurs commissaires, pour avoir leur adviz, et l'ayant eulx donné, avec aprobation suyvante des Seigneurs du Conseil de la dicte Dame, la teneur de la dicte remonstrance, et de l'adviz et de la dicte aprobation est comme s'ensuyt:

REMONSTRANCE DES DICTZ DEPPUTEZ.

1.—Qu'il playse à Sa Majesté et à Monseigneur l'Ambassadeur limiter le jour pour le faict de la restitution, de part et d'aultre, au 15 de novembre prochain 1569;

2.—Auquel jour seront levez toutz les arrestz, faictz en France, tant sur les deniers, navyres que merchandises, appartenant aulx subjectz de Sa dicte Majesté, et, si les dictz subjectz vouloient avoir leurs navyres, deniers et merchandises, ou partie d'icelles, avant le dict jour limité, la délivrance leur en sera faicte, en baillant bonne caution de la valleur de ce qui leur sera dellivré;

3.—Auquel jour seront semblablement dellivrez aulx subjectz du Roy Très Chrestien toutz les navyres, biens, deniers et merchandises, dont les juges delléguez de Sa Majesté ont jà ordonné et sentencié, et mesmes de ce qu'ilz pourront ordonner et sentencier avant le dict jour; et, au réciproque que dessus, si les subjectz du Roy vouloient avoir et enlever leurs navyres, merchandises et deniers, ou partie d'iceulx, avant le dict jour limité, la dellivrance leur en sera faicte en baillant bonne caution de ce qui leur sera dellivré.

4.—Et, pour aultant que les dictz juges delléguez n'ont peu vuyder les demandes, contenues en ung cayer à eulx baillé par les delléguez françoys, tant à cause des parties absentes, des preuves qu'ilz disent n'estre suffisantes, que mesmes de la malladie intervenue à Londres, Sa dicte Majesté veuille promettre que les delléguez anglois feront prompte justice aulx subjectz du Roy, en la forme qu'ilz ont commencé, pour le faict des navyres, deniers et merchandises prinses, saysies, arrestées et amenées en ce royaulme, despuys le premier jour d'octobre dernier, 1568, jusques à ce jour.

ADVIZ DES COMMISSAIRES.

Sur le premier article.—Les Commissaires de Sa Majesté l'accordent.

Sur le segond.—Ilz accordent semblablement à icelluy, pourveu que toutes les debtes y puyssent estre comprinses.

Sur le tiers.—Sur cestuy, ilz déclairent que tant toutes telles navyres, argent, biens et merchandises des subjectz du Roy Très Chrestien, qui sont encores arrestez, si comme l'argent procédant de la vante d'aulcuns biens ou merchandises, qui ont esté arrestées et sont vandues, qui sont ou seront ainsy ordonnées par les dictz Commissaires à estre délivrées avant le jour assigné, seront pareillement délivrées allors ou auparavant, soubz semblable caution, comme au second article cy dessus est expéciffié. Et quant à l'argent, qui est deu par sentences desjà prononcées ou qui se prononceront avant le jour [dict], ne leur semble raysonnable d'estre comprins à la condition de la restitution des choses réelles, mais ilz accordent que les parties condempnées seront contrainctes de faire payement ou satisfaction d'iceulx, avec aussi grande expédition qu'on pourra par ordre de justice et leur commission, et plus tôt s'il est possible, par quelque aultre voye que ce soit.

Sur le quatriesme.—A cest article ilz disent qu'ilz sont contentz de procéder en ces causes suivant la teneur de leur commission, pourveu que la Majesté de la Royne soit asseurée du Roy Très Chrestien que les subjectz de Sa Majesté puissent avoir semblable expédition de justice, avec asseurance par dellà, touchant telles grandes injures et déprédations qu'ilz ont souffert par les subjectz du dict Roy Très Chrestien en Bretaigne, et ailleurs en France, despuys le premier jour d'octobre 1568.

CE QUI S'ENSUYT A ESTÉ DESPUYS ADJOUXTÉ

Il est accordé qu'après le dict jour, 25 de novembre, restitution estant faicte de chacun costé, le traffic mutuel entre les subjectz des deux royaulmes sera ouvert et remiz en liberté en la forme qu'il a esté par le passé.

APROBATION DU CONSEIL.

Ces articles, ainsy qu'ilz ont esté responduz, ont esté exibez par l'Ambassadeur de France et les Commissaires, lesquelz les Seigneurs du Conseil, les ayant dellibérez et considérez, les allouent de la part de la Majesté de la Royne, et promettent, en tant que en peult apartenir à Sa Majesté, [qu'ilz] seront deuhement accomplis, pourveu qu'ainsy soit faict par le Roy de France à ses subjectz.

A Vuindesore, le dernier jour d'octobre 1569.

Et plus bas est escript:

Concordat cum originali et registro, S. F. Alen.

PUYS DE LA MAIN DU DICT Sr. DE LA MOTHE.

Le contenu cy dessus, en la forme qu'il est, avec l'acte au pied des Seigneurs du Conseil d'Angleterre, nous a esté exibé, et nous l'avons aprouvé, et avons promis que nous procurerons envers le Roy, Nostre Seigneur et Maistre, de le faire ainsy deuhement accomplir en France au proffict des Anglois, comme la Majesté de la Royne d'Angleterre, sellon sa promesse, le fera accomplir, icy, au proffict des Françoys; et par ce, l'avons soubz signé à Londres, le xe jour de novembre 1569, qui a esté aussi soubssigné des dictz depputtez.

De La Mothe Fénélon, Ambassadeur.

J. Vymont. J. Cavellier.


LXXIe DÉPESCHE

—du XIIe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr. de Vymont.)

Efforts des seigneurs anglais pour relever le courage des protestants de France.—Nouvelle activité dans les armements faits en Angleterre.—Prochain départ de sir John Hawkins à la tête d'une flotte qui pourrait être secrètement destinée pour la Rochelle.—Désir témoigné par Élisabeth que le commerce soit entièrement libre avec la France.—Nouvelles rigueurs exercées contre Marie Stuart.—Les remontrances de l'ambassadeur à ce sujet ne sont point écoutées.—Crainte qu'il témoigne du sort qui lui est réservé.—Nouvelles rigueurs exercées contre le duc de Norfolk.—Bienveillance dont on use envers le comte d'Arundel et lord Lumley.—Mise en liberté du comte de Pembrocke.—Les négociations avec l'Espagne, après avoir été rompues, sont prêtes à se renouer.—Détails sur le traité concernant le commerce et la restitution des prises.—Recommandation pressante de l'ambassadeur pour que Marie Stuart ne soit pas abandonnée.

Au Roy.

Sire, ma précédante dépesche est du ve de ce moys par le Sr. d'Amour, et despuys, s'estant espandu divers bruictz par deçà des choses de France, j'ay toutjour attandu qu'il m'en vînt quelque confirmation par lettres de Voz Majestez, mais voycy le xxxıııȷe jour que je n'en ay receu aulcune, et n'ay layssé pourtant d'espérer et de faire espérer à ceulx, qui vous sont icy bien affectionnez, beaulcoup mieulx de voz affaires, sellon la victoire qu'il a pleu à Dieu vous donner, qu'aulcuns principaulx protestantz de ce royaulme ne les publient. Lesquelz usent de tout artiffice de nouvelles controuvées pour garder que ceulx de leur party n'ayent la cause de ceulx de la Rochelle pour si habandonnée qu'ilz n'essayent encores, par aulcun nouveau renfort de reytres et par quelque contribution d'icy, de les secourir, dont ceulx, qui aujourduy manyent seulz l'estat de ce royaulme, craignantz que vostre victoire ayt esbranlé les fondemens de leur religion par la chrestienté, vont faisant tout à descouvert de grandes dilligences affin de les relever en France, de les confirmer en Allemaigne et les asseurer icy; ayant, incontinent après les nouvelles de la dicte victoire, faict dépescher la flotte des Anglois à la Rochelle pour ne laysser d'y continuer leur traffic, et pour accommoder ceulx du lieu de quelques deniers en change de leur vin et sel, et n'ozantz d'eulx mesmes leur envoyer monitions ny vivres de ce royaulme, ilz ont procuré que le Sr. Dolovyn et le bastard de Briderode leur en ayent desparty largement du butin qu'ilz ont faict vers Olande et Frize; et sont après à dépescher Quillegrey, avec l'homme du comte Pallatin, qui est icy, pour aller encourager et anymer par grandes persuasions et promesses les princes d'Allemaigne au secours de monsieur l'Admyral, dont je crains qu'ilz hastent [le duc de] Cazimir de se mettre en campaigne avant la fin de l'yver. Et dedans cestuy leur royaulme, qui est le lieu où ilz se trouvent les plus empeschez, ilz ont envoyé ordonnance et commissions par toutes les provinces pour réprimer les catholiques et authoriser les protestans; et n'estimantz encores cella suffizant, ont commandé ung guet et garde en armes en divers endroitz, lequel a esté commancé de faire despuys quatre jours ez rues et carrefours de ceste ville et le relèvent seulement à midy et à minuict; et ont aussi envoyé, despuis huict jours, nouvelles monitions et pouldres à leurs grandz navyres; et m'a l'on dict que Haquens faict dilligence d'armer encores sept aultres bons vaysseaulx de guerre, mais l'on me veult faire croyre que c'est pour ung nouveau voyage qu'il entreprend aulx Indes, et que les plus grandz de ce royaulme font les frays non sans opinion que ceste Royne mesmes y contribue, parce que on prend les monitions de la Tour, mais nul de ses propres vaysseaulx n'y va, affin de n'offancer le Roy d'Espaigne. De ma part j'ay aulcunement suspect le dict apareil, et crains qu'il se faict pour secourir ceulx de la Rochelle, estant le commun bruict icy que vostre armée les va assaillir, et que mesmes vous avez pour cella faict arrester aulcuns navyres anglois à Bourdeaulx en les payant, affin de les assiéger par mer et par terre. Il est vray qu'il n'y a encores rien d'ordonné touchant les hommes et les vivres pour le dict armement de ceulx cy, sinon seulement quelques milliers de biscuyt, et j'auray l'œil à ce qui s'y ordonnera davantaige pour vous en advertir incontinent.

Aulcuns ont miz grand peyne envers ceste princesse de luy faire avoir suspect le traffic des aultres endroictz de vostre royaulme, sinon de la Rochelle, pour avoir meilleure colleur d'y adresser toutjour les flottes de ce royaulme, mais elle m'a néantmoins fort libérallement accordé qu'après la mainlevée et restitution faicte de chacun costé, au xxve de ce moys, elle veult que le commerce mutuel d'entre voz deux royaulmes soit ouvert, et aille libre comme auparavant. Par ainsy ne fault doubter, quoy qu'advienne de ceulx de la Rochelle, que les merchantz ne les délayssent d'eulx mesmes, quant cella sera faict, pour ressortir ailleurs où bon vous semblera; dont adviserez, Sire, comme il sera bon d'y procéder, car si Vostre Majesté veult que cella se face par proclamation, je presseray ceulx de ce conseil d'envoyer publier et notiffier, par leurs villes et portz et tout le long de leur coste, la continuation et seurté du dict commerce avecques la France, ce qui ne plairra guières à ceulx qui vous vouldroient desjà veoir en guerre de ce costé.

Ceulx cy sentent qu'avec la division de la religion la cause de la Royne d'Escosse va divisant et mettant en grand trouble tout leur royaulme, dont, pour y cuyder remédier ilz font observer et garder de fort prez la dicte Dame, laquelle s'en met en frayeur pour aulcunes rigueurs et contrainctes qu'on luy use, de quoy je suys extrêmement marry; mais il n'y a ordre que je puysse, pour ceste heure, obtenir rien de plus gracieulx pour elle de ceste Royne, sa cousine, ny de ceulx de son conseil, n'ayant toutesfoys layssé de dire et faire en leur endroict tout ce qui convient pour protester ung grande revanche contre ceulx qui seront cause ou de son mal ou de la perte de son estat, et n'ay poinct cogneu, au parler de ceste princesse, ny des dictz [seigneurs] de son conseil qu'on veuille rien attempter de viollant ny d'indigne contre la personne de la dicte Dame, sinon seulement de garder qu'elle ne puisse practiquer qu'avec ceulx qui l'ont en garde. Néantmoins elle a trouvé moyen, nonobstant cella, de me faire tenir quatre petites lettres, qui sont cy encloses, que je croy qu'elle les a escriptes sans lumyère, desquelles je m'asseure que Voz Majestez seront meues à compassion et seront convyées luy assister et de secourir son chasteau de Dombertran.

Le duc de Norfolc est toutjour en la Tour, et les gardes luy ont esté ces jours passez redoublés. Le comte d'Arondel et milord de Lomelley sont encores en arrest, mais avec quelque liberté de s'aller promener à cheval, accompaignez d'aulcuns gentishommes qui sont commiz à les garder. Le comte de Pembrot, ayant avec grande démonstration de malcontantement requis d'estre deschargé de la Grand Mestrize d'Angleterre et de n'estre plus du conseil, pour se retirer chez luy, a esté licencié d'aller en sa mayson prez de Londres, mais non deschargé de ses estatz.

L'ambassadeur d'Espaigne s'en est retourné en cette ville, et le marquis de Chetona est demeuré encores à Coulbronc, qui de rechef a heu audience de ceste Royne, mais ne sçay encor ce qu'il y a négocié; tant y a qu'ayant semblé une foys que tout son affaire fût interrompu, l'on a despuys remandé les depputez pour faire encores ung abouchement, affin de renouer les matières, et, dans peu de jours, se verra ce qui s'en doibt espérer, aydant le Créateur auquel je prie, etc.

De Londres ce xıȷe de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, aulx choses, que Vostre Majesté verra en la lettre du Roy, je n'ay que adjouxter icy davantaige sinon l'instance, que les seigneurs de ce conseil m'ont faicte, de leur bailler ung semblable escript de ma main pour la seurté de la parolle et promesse de Voz Majestez sur la mainlevée, au xxve de ce moys, des biens des Anglois arrestez en France, et sur la seurté et liberté de leur commerce par dellà, après qu'elle sera faicte, comme ilz m'ont faict délivrer un acte de leur conseil pour la restitution des prinses au proffict de voz subjectz et pour le libre commerce d'iceulx par deçà, après le dict xxve du présent; ce que je leur ay ottroyé, et les Srs. Vimont et Cavellier, depputez de Roan qui estoient icy, s'estantz très bien acquictez de leur debvoir, et ayant emporté le dict acte de ce conseil, et obtenu, avant partir, tout ce qui s'est peu faire par justice, sont desjà en chemyn pour aller faire exécuter la dicte mainlevée à Callais et à Roan; à quoy, Madame, j'estime que Voz Majestez auront desjà mandé de n'y faire aulcune difficulté ainsy que je vous en ay cy devant supliez; et parce que j'entendz que quelques ungs, sans rayson, s'y veulent opposer, je vous suplie, Madame, en faire encores rafreschir le commandement à Mr. de La Meilleraye et à Mr. de Gordan, affin de ne donner à ceulx cy aulcune occasion de se plaindre.

Les protestantz publient que monsieur l'Admyral ayant joinct avecques luy les troupes du comte de Montgommery et des Viscomtes, et ayant confirmé ses aultres forces tant d'Allemans que Françoys, s'est remiz en campaigne et qu'il s'achemine vers la Charité pour empescher qu'on n'y mette le siège et pour aller, tout d'ung trait, recuillir les trouppes du duc de Cazimir, affin de recommancer et continuer la guerre plus forte que jamais; ce que je metz peyne de dissuader à ceulx qui desirent icy l'advantaige de Voz Majestez, leur remonstrant qu'il s'en fault tant que ceulx de la Rochelle n'entrepreignent, à ceste heure, de tenir la campaigne qu'au contraire ilz craignent grandement d'estre assiégez dans leur fort, ce que je vouldrois leur pouvoir confirmer par lettres de Voz Majestez, mais il y a long temps que je n'en ay receu aulcune.

Au surplus, Madame, je vous suplie considérer l'estat de la Royne d'Escoce sur le contenu de ces petites lettres qu'elle vous escript, et me donner quelque argument de la pouvoir aultant consoller en vostre nom, comme, en vostre mesmes nom, je metz peyne de procurer avec toute instance sa liberté, son bon trettement et sa restitution à sa couronne. Et espérant qu'il vous aura pleu me renvoyer desjà quelq'un des miens, qui sont par dellà, affin de vous en dépescher incontinent ung aultre comme il est besoing, je n'adjouxteray icy, pour le surplus, qu'une très dévotte prière à Dieu, etc.

De Londres ce xıȷe de novembre 1569.

Aulcuns, naguières arrivez icy de la Rochelle, disent que la Royne de Navarre, et madame la Princesse de Condé avec ses petitz enfans, estoient en propos de s'embarquer pour passer en ce royaulme.


LXXIIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par le Venicien.)

Plaintes de l'ambassadeur contre le retard qui est mis à lui donner des nouvelles de France.—Inquiétudes que cause en Angleterre l'agitation des catholiques dans le Nord.—Sévérité dont on use envers les seigneurs prisonniers.—Négociations avec l'Espagne.—Difficultés qui sont faites sur les pouvoirs du Sr. Ciapino Vitelli.—Entraves mises par les Anglais à la conclusion d'un arrangement.—Parti violent qu'ils ont pris de convertir en monnaie anglaise les réaux d'Espagne, jusqu'alors conservés comme un dépôt à la Tour.—Meilleur traitement fait à la reine d'Écosse, qui a été rendue à la garde du comte de Shrewsbury.—Mesures prises contre les catholiques.—Le serment sur la religion leur est imposé.—Résolution prise par plusieurs familles catholiques d'Angleterre de se réfugier en France, où elles demandent protection.—Ordre est donné par Élisabeth aux seigneurs du Nord de se rendre à la cour.—On redoute à Londres un soulèvement dans ces contrées.—Prise faite par le capitaine de Sore.—Mandement du conseil pour qu'il soit arrêté avec sa prise.—Remonstrances du conseil contre les entreprises des Bretons, qui attaquent tous les navires anglais qu'ils trouvent en mer.

Au Roy.

Sire, je vous ay escript ce qui se offroit à ma cognoissance des choses de deçà, le xıȷe de ce moys, et despuys, l'on m'a dict que ceulx cy ont receu lettres de Mr. Norrys, par lesquelles semble qu'il leur face les affaires de ceulx de la Rochelle assez désespérez, de quoy ilz sont en grand peyne, et croy que, pour cella, ilz veulent haster le partement de Quillegrey pour Allemaigne, l'ayant envoyé quérir en la contrée pour le dépescher, mais je ne puys sçavoir encores ce que portera sa commission, sinon qu'on m'a dict que les protestans se plaignent assez, que ceste Royne ne se veult laysser bien aller à toutes leurs persuasions, ains va fort réservée sur aulcunes d'icelles, et se oppose si fermement à celles qu'elle crainct pouvoir torner à manifeste offance de Vostre Majesté, qu'ilz la réputent pour peu affectionnée à leur religion.

J'ay bien miz peyne, de ma part, de mener, ou par desir de paix ou par craincte de guerre, toutjour la dicte Dame le mieulx que j'ay peu à la disposition de voz affaires, et le feray ainsy encores toutes les foys que j'auray à parler à elle, mais il ne me sciéroit bien, à ceste heure qu'elle est toute en affaires, de l'aller trouver, sinon avec quelque important argument de voz lettres, et voycy le xle jour de la plus fresche datte des dernières, que j'ay receu de Vostre Majesté, de quoy j'en suys bien en peyne, et ne sçay à quoy en debvoir imputer le retardement; sinon que je veulx croyre qu'il tient à toute aultre chose, plustost que penser qu'il en aille quelcune mal prez de Voz Majestez.

L'on avoit dict, ces jours passez, que la Royne d'Angleterre s'estant ung peu modérée envers ces seigneurs prisonniers, octroyeroit au duc de Norfolc de se pouvoir remuer au quartier de la dicte Dame dans la Tour, qui est espacieulx et large, par ce qu'il commance se trouver mal par faulte d'air dans celluy où il est, lequel est estroict, et est le propre lieu où son père fut miz quant il fut exécutté; et qu'elle accorderoit aussi à Milaris de Lomelley l'eslargissement du comte d'Arondel son père, et de millord de Lomelley son mary, mais j'entendz que sur ce poinct est arrivée une lettre du présidant du Nort, par laquelle il mande qu'à très grande difficulté peult il contenir le peuple, vers ce quartier là, de s'eslever, dont les dictes provisions de ces seigneurs sont demeurées, jusques à ce qu'on ayt descouvert d'où cella procède, et qu'on y ayt remédié; et a l'on contremandé en dilligence le comte de Pembrot, qui s'en alloit retirer du tout en Galles, où est sa principalle mayson, pour le faire retourner à la court; mais je ne sçay encores si c'est pour luy commander de nouveau l'arrest, ou pour le contanter, tant y a qu'il semble que ceulx cy se trouvent assez empeschez de beaulcoup de choses.

Quelq'un, à ce que j'entendz, a raporté à la Royne d'Angleterre que le marquis de Chetona a esté instantment pressé par l'ambassadeur d'Espaigne et par les deux depputez, qui sont icy avecques luy de Flandres, de parler plus bravement à elle, à cause de la victoire de Vostre Majesté, que ne porte leur commission, et qu'il ne l'a vollu faire sinon avec quelque gentil mot en passant; de quoy elle luy a sceu ung grand gré, et pour mon regard, encor que je luy aye grandement cellébré la dicte victoire, comme ung gain, qui ne pouvoit estre sinon [que] fort grand, d'avoir Vostre Majesté par vifve vertu asseuré vostre propre grandeur lorsqu'elle sembloit estre en plus d'hazard, n'ayant toutesfoys monstré en une seule parolle que la dicte victoire fût pour torner au dommaige de la dicte Dame, ains plus tôt à son proffict et de toutz les princes chrestiens, il m'a vallu quelque chose sur la restitution de noz prinses, ès quelles elle a despuys mieulx dépesché les commissaires de Roan que je n'espérois; et a, possible, aulcunement nuy à iceulx de Flandres, lesquelz, si les choses ne se rabillent, sont en termes de s'en retorner sans rien faire, disantz ceulx de ce Conseil que le pouvoir du dict marquis de Chetona est bien ample pour le Roy d'Espaigne à demander ce qu'il prétend, mais non assés pour la Royne, leur Mestresse, à tretter des choses dont elle veult demeurer d'accord avecques luy, ny, possible, assés suffizant pour en accorder pas une, et qu'il en fault attandre ung plus ample qui procède du mesmes Roy d'Espaigne, parce que cestuy cy est une subrogation de pouvoir, à la vérité bien expécial, que le duc d'Alve a de son Maistre pour tretter de toutz ces différandz avecques la dicte Royne d'Angleterre en la façon qu'il verra estre bon de le faire, avec puissance de substituer, comme il a substitué le dict marquis, lequel promect d'en faire venir de plus amples s'il est besoing, et de faire rattiffier tout ce qu'il accordera, et que, pourtant, il requiert qu'on ne veuille laysser de passer toutjour oultre. Dont nous verrons bien tost quel chemyn l'affaire pourra prendre, et cependant l'on convertyt en monoye de ce pays les réalles d'Espaigne qui sont en la dicte Tour.

La Royne d'Escoce m'a faict sçavoir de ses nouvelles, laquelle se porte bien de sa personne, et a senty quelque soulaigement despuys la dernière négociation que j'ay faicte pour elle, ayant ceste Royne, sa cousine, pour le respect de Voz Majestez Très Chrestiennes, nonobstant son grand courroux qui luy dure encores contre la dicte Dame, faict retirer le comte de Huntinton de sa garde, mais ne sçay encores si c'est pour l'en descharger du tout; tant y a que, pour le présent, elle est ez mains du comte de Cherosbery seul, qui se déporte, tant luy que madame la comtesse sa femme, en toutes choses bien fort honnestement et honnorablement envers la dicte Royne d'Escoce, et atant, Sire, je prie Dieu, etc.

De Londres ce xvııȷe de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, vous aurez assez amplement comprins l'estat des choses de deçà par ce que je vous en ay escript en mes trois précédantes dépesches, lesquelles, à la vérité, je suys bien en peyne de sçavoir si les avez receues ou non, car il passe aujourd'huy le xle jour que je n'ay heu ung seul mot de Voz Majestez; néantmoins des dictes choses, que j'ay desjà commancé de vous parler, affin que d'icelles mesmes l'évènement vous en soit ordinairement cogneu, j'en ay miz le succez en la lettre du Roy, ainsy que, jour par jour, je l'ay aprins ou l'ay veu advenir, et n'ay que vous dire icy davantaige, Madame, sinon que, à l'occasion d'une recerche et de certaine forme de sèrement, à quoy l'on veult obliger les subjectz de ce royaulme sur le faict de la religion, plusieurs catholiques, qui font grand scrupulle de conscience là dessus, aymans mieulx habandonner le pays que jurer ainsy, me viennent demander des passeportz pour se retirer en France; dont j'en ay desjà donné à deux gentishommes, mais non sans estre bien informé (et ne le feray poinct aultrement), qu'ilz sont bons catholiques et en réputation de gens de bien, et non factieulx. Sur quoy vous plairra, Madame, me commander comment, en semblable, j'en auray cy après à user, et vous diray davantaige qu'il semble que, de cella et de la presse qu'on faict aulx seigneurs du Nort de se venir représanter en ceste court, l'on doubte assés qu'il se puisse bientost former ung trouble en ce royaulme, ainsy que par ung des miens, s'il vous playt me renvoyer les aultres que j'ay par dellà, je le vous feray, avec les aultres particullaritez de deçà, plus amplement entendre.

Le capitaine Sores a freschement prins cinq riches ourques, qui avoient esté chargées en Envers pour Espaigne et Portugal, dont en a miz une à fondz, et il a conduict les aultres quatre en une rade à l'abry, vers le cap de Cornouailles, sans ozer entrer en aulcun port. Il a esté dépesché commission pour aller arrester luy et sa prinse, s'il peut estre apréhendé, monstrans ceulx de ce conseil qu'ilz ne veulent plus supporter, en façon du monde, les pirates; et me font grand instance que je veuille presser Voz Majestez de réprimer ceulx de Bretaigne, et que commandiez de faire justice des déprédations, que ceulx du dict pays ont commises et commettent, toutz les jours, sur les subjectz de ce royaulme. Sur ce, etc.

De Londres ce xvııȷe de novembre 1569.

Despuys la présente escripte, j'ay recouvert une coppie du mandement de la recherche et de la forme du sèrement, cy dessus mencionné, laquelle j'ay mise dans ce pacquet[19], affin que Vostre Majesté ayt plus grande notice des difficultez où ceulx cy se trouvent.


LXXIIIe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par l'Escouçoys.)

Nouvelles répandues à Londres, qui sont favorables aux protestants de la Rochelle.—Premier bruit du soulèvement des catholiques dans le Nord.—Les négociations avec l'Espagne paraissent devoir rester sans résultat.—Soupçons des Anglais contre le Sr. Ciapino Vitelli, à raison des troubles du Nord.—Instance de l'évêque de Ross auprès d'Élisabeth pour obtenir une réponse définitive.—Déclaration que, si elle refuse son secours, la reine d'Écosse se placera sous la sauvegarde de la France et de l'Espagne.—Élisabeth demande un nouveau délai pour se prononcer.—Caractère sérieux que peuvent prendre les affaires du Nord.—Crainte de l'ambassadeur que les Anglais ne fassent de nouveaux efforts pour jeter les Allemands en France.

Au Roy.

Sire, n'ayant, en mes précédantes du xvııȷe de ce moys, guières rien obmiz de ce que j'ay estimé digne de vous estre escript des choses de deçà, j'auray tant moins que dire meintennant par ceste cy à Vostre Majesté, et seulement qu'il semble estre venu nouvelles à ceulx cy, de leur ambassadeur Mr. Norrys, et aussi par la voye de la mer, comme monsieur l'Admyral, ayant forny les principaulx fortz et les places de garde, d'auprès de la Rochelle, d'ung bon nombre de gens de pied, il s'est remiz en campaigne avec sa cavalerye pour aller recuillyr les Viscomtes, qui ont desjà repassé la Garonne à six lieues par dessus Thoulouze; de quoy les protestans de ce royaulme sont rentrez en quelque meilleure espérance des affaires de ceulx de leur party, qu'ilz ne l'avoient auparavant, et s'esforcent de s'en prévalloir contre les catholiques, lesquelz, pour ceste occasion, envoyent souvent devers moy affin de sçavoir ce qui en est, et je ne leur puys dire rien de particullier là dessus, sinon que Vostre Majesté, par la dilligence et vertu de Monsieur, son frère, va toutjour poursuyvant la victoire et recouvrant les places qu'on vous a occupées, et chassant l'ennemy de la campaigne, et que voz affaires, nonobstant le déguisement de leurs nouvelles, prospèrent, grâces à Dieu, toutjour de mieulx en mieulx; dont desirerois avoir aulcune chose de plus expécial par voz lettres, affin de les en pouvoir mieulx contanter. Tant y a qu'on m'a dict que, nonobstant ceste invention et tout cest artiffice de nouvelles, l'allarme est bien chaulde en ceste court de l'eslévation des catholiques vers le Nort, ce que je mettray peyne de sçavoir plus au vray, affin de vous dépescher incontinent là dessus ung des miens en dilligence.

Il est arrivé despuys deux jours une dépesche du duc d'Alve, suyvant laquelle l'ambassadeur d'Espaigne, qui avoit layssé le marquis de Chetona seul à poursuyvre l'accord des différandz des Pays Bas à Vuyndesor, l'est allé retrouver, et semble que ceulx d'icy, pour n'estre veuz couper la broche de trop court au Roy d'Espaigne, continueront encores quelque conférance, et permettront que le dict ambassadeur soit ung des depputez de la part de son Maistre, mais je n'estime poinct qu'ilz concluent encores aulcun accord; et cependant le souspeçon croyt contre le dict marquis, à cause des troubles qui aparoissent plus formez despuys son arrivée, qu'ilz ne sembloient auparavant debvoir jamais estre, ce qui, possible, y peult bien avoir donné quelque challeur; mais en effect, j'ay opinion que l'occasion vient bien d'ailleurs.

Ces jours passez, la Royne d'Escoce a dépesché ung gros pacquet de lettres, qui sont arrivées toutes ouvertes en ceste court, parmy lesquelles s'en est trouvée une pour la Royne d'Angleterre, et les aultres pour l'évesque de Roz, pour monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, et pour moy, et encores quelques aultres pour les seigneurs de ce conseil, lesquelles toutes le secrétaire Cecille a renvoyé au dict sieur évesque, qui a incontinent envoyé demander audience pour présenter la sienne à la Royne d'Angleterre, et la sommer des choses contenues en icelle, ou à deffault qu'elle ne les veuille accomplir, qu'il nous baillera celles qui s'adressent au dict sieur ambassadeur d'Espaigne et à moy pour exorter Voz Majestez Très Chrestienne et Catholique au secours de la dicte Dame; mais la dicte Royne d'Angleterre luy a faict escripre, par Mr. le comte de Lestre, qu'elle le prie d'avoir ung peu de pacience, parce qu'elle est occupée en d'aultres si grandz et très urgentz affaires, qu'elle ne pourroit vacquer à l'ouyr encores de huict jours, mais, iceulx passez, qu'il pourra envoyer sçavoir l'heure de son audience, et la dicte Dame l'orra allors fort volontiers.

Cependant, Sire, je vous envoye la coppie[20] de la lettre de la dicte Royne d'Escoce affin que Vostre Majesté voye que ceste princesse, en requérant avec compassion ung honneste remède en ses affaires, retient toutjour la dignité qui convient à son estat de Royne et à la grandeur de son cueur, et que Vostre Majesté me commande, en cas que la Royne d'Angleterre l'en reffuze, ou diffère son dict secours et les aultres choses qu'elle luy requiert, ce que de vostre part je y auray à faire davantaige, oultre ce que je y ay tant expressément faict jusques icy, et je prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxıȷe de novembre 1569.

A la Royne.

Madame, attendant de vous envoyer, dans trois ou quatre jours, le Sr. de Sabran, je vous ay bien vollu faire ceste petite dépesche sur les occasions que Vostre Majesté verra en la lettre du Roy, à laquelle je adjouxteray ce mot de plus, que desjà j'ay adviz de trois endroictz, que la sublévation des catholiques vers le pays du Nort va fort en avant, et que ceulx cy sont assés empeschez d'y remédier, ayantz, à ceste occasion, mandé restraindre davantaige les seigneurs qui sont en prison et en arrest, et semble qu'ilz sont après à susciter une généralle entreprinse des princes protestans en la cause de la religion, pour cuyder remédier à leur particullier, dont est dangier que les Allemans, pour estre fort intéressez avec ceste princesse, ne s'esmeuvent bien tost, et que le prolongement de la guerre de la Rochelle ne les attire à faire leurs premiers effortz en vostre royaulme; sur quoy sera bon, Madame, que faciez prendre garde aulx aprestz et mouvemens qui se feront le long du Rhin, et je veilleray sur les actions de deçà, et sur celles que ceulx cy pratiqueront de dellà, le plus dilligement qu'il me sera possible, et prieray Dieu, etc.

De Londres ce xxıȷe de novembre 1569.


LXXIVe DÉPESCHE

—du XXVe jour de novembre 1569.—

(Envoyée exprès jusques à la Court par le Sr. de Sabran.)

Nécessité de mettre fin aux guerres civiles de France pour arrêter les entreprises des Anglais et des princes protestants d'Allemagne.—Soulèvement des catholiques dans le nord de l'Angleterre.—Prise d'armes par le comte de Northumberland.—La ville de Durham est tombée en son pouvoir.—Noms des seigneurs que l'on croit d'intelligence dans l'entreprise.—Mesures adoptées par Élisabeth.—Lettre secrète à la reine-mère.—Démonstrations qu'il est nécessaire de faire en France pour encourager le soulèvement des catholiques en Angleterre.—Mise en liberté du Sr. Roberto Ridolfy.—Mémoire secret.—Confiance des révoltés du Nord dans les secours du roi.—Promesses qui leur ont été faites par le duc d'Albe.—Détails sur les négociations qui ont eu lieu à ce sujet.—Intelligences des Espagnols avec les seigneurs qui ont pris les armes.—Menées de l'ambassadeur d'Espagne pour que les mariages d'Élisabeth, de Marie Stuart et du prince d'Écosse soient remis à la discrétion de Philippe II.—Mission secrète de sir John Hamilton auprès du duc d'Albe.—Vaste projet de domination de la part de l'Espagne sur l'Angleterre.—Opinion de l'ambassadeur, que les instructions données au Sr. Ciapino Vitelli pour traiter avec Élisabeth, portent de sacrifier les intérêts de la France.—Méfiance que l'on doit concevoir des projets du duc d'Albe et de sa conduite lors de l'entrée du duc de Deux-Ponts en France.—Assurance qu'il n'y a rien à redouter des intrigues de l'Espagne au sujet des mariages d'Élisabeth et de Marie Stuart.—Le duc de Norfolk et la reine d'Écosse sont fermement résolus à persister dans leur projet d'union.—Nouvelle mission de sir John Hamilton auprès du duc d'Albe, restreinte, cette fois, à traiter d'un secours.—Second mémoire.—Irritation de la reine d'Angleterre contre le duc de Norfolk.—Elle s'abandonne entièrement aux protestants.—Desseins politiques des seigneurs protestants d'Angleterre à l'égard de la reine d'Écosse, des guerres civiles de France et des affaires d'Espagne.—Ils fomentent les expéditions d'Allemagne, assurent le crédit, envoient l'argent.—Leurs efforts, depuis la victoire de Moncontour, pour faire déclarer ouvertement la guerre.—Ils prolongent la détention des seigneurs arrêtés sous l'espoir de les compromettre dans les affaires de France et des Pays-Bas.—Détails sur les causes du soulèvement du Nord.—Déclaration du comte de Northumberland, qu'il n'a pris les armes que pour la défense de la religion catholique.—Hésitation d'Élisabeth à l'égard de Marie Stuart, qu'elle veut livrer au comte de Murray.—Elle se décide à la retenir prisonnière sous une garde plus rigoureuse.—Plaintes qu'elle fait à l'ambassadeur de la conduite de Marie Stuart.—Justification de la reine d'Écosse.—Les négociations au sujet des Pays-Bas sont tenues en suspens.

Au Roy.

Sire, il aparoit par divers respectz debvoir bien tost advenir divers inconvénians en ce royaulme sur la division de la religion, et sur les affaires de la Royne d'Escoce, et sur la détention de ces seigneurs prisonniers, et sur les différans des Pays Bas, mais principallement sur l'impression que les Anglois se donnent, les ungs de peur, et les aultres d'espérance, de la victoire que Vostre Majesté a dernièrement gaignée, et ay eu opinion, que de cella leur naistroient assés de pensemens pour leurs propres affaires, sans qu'ilz se meslassent plus de ceulx d'aultruy; mais j'entendz qu'en leur conseil, où à ceste heure n'y a que protestans, l'on n'estime que l'estat d'Angleterre deppende de rien tant que de l'évènement des choses de France, et que pourtant il leur y fault avoir l'œil plus ouvert que jamais; et que mesmes pour bien asseurer leur particullier, il leur est besoing de mouvoir le général de la religion par toute la chrestienté, et en relever la cause le plustost qu'on pourra en France, pendant que les armes y sont encores en vigueur. En quoy ilz ont tant d'aparantz argumens pour y persuader leur Mestresse, parce que ceulx qui leur souloient contradire ne sont plus auprès d'elle, que, joinct l'auctorité des princes d'Allemaigne, ès quelz elle faict ung grand fondement, je crains bien fort qu'ilz la conduysent, non à une déclaration de guerre, car pour encores elle leur contradict assés en cella, mais à leur permettre à eulx mesmes de fomenter soubz main celle guerre, qui dure encores en vostre royaulme, par les mesmes couvertz moyens qu'ilz y ont procédé jusques icy, et mesmes de dresser une commune entreprinse de toutz les protestans pour s'esforcer d'y restablir leur religion; de quoy la continuation de noz troubles les en mect en grand espérance. Et est sans doubte, Sire, que, tant plus les dictz troubles yront à la longue, plus vous produyront, chacun jour, de nouvelles difficultez, et ouvriront les moyens aulx aultres princes et aultres estatz voysins de projecter, s'ilz peuvent, toutjour des desseings à la ruyne du vostre, ainsy que j'ay donné charge au Sr. de Sabran de le vous faire entendre sellon les adviz qu'on m'en a donnez, lesquelz me font grandement desirer que Vostre Majesté y preigne garde; et je regarderay que produyront en ce royaulme ceulx qui desjà s'y manisfestent bien avant, qui sont telz, Sire, comme sellon le commun bruict je le vous vays récitter:

C'est que les seigneurs catholiques des confins d'Angleterre, qui sont vers le Nort, ayant esté mandez en ceste court pour venir donner compte d'où procédoit l'esmotion, qu'on entendoit estre en leur quartier, et ayant eulx, une et deux foys, reffuzé de le faire pour la craincte qu'ilz ont qu'on les fît arrester prisonniers, ainsy qu'on a faict le duc de Norfolc et le comte d'Arondel, et entendans que, de rechef, la Royne, leur Mestresse, les envoyoit sommer par ung hérault d'armes de ne faillir à se représanter du premier jour devers elle sur peyne de rebellion et de lèze majesté, ilz ont heu recours aulx armes; et le comte Northomberlan, à ce qu'on dict, a esté le premier qui s'est eslevé avec la ville de Duren, laquelle il a prinse, et y a érigé le crucifix et faict dire publicquement la messe, à laquelle plus de six mille personnes ont assisté et estime l'on,

Chiffre.—[Que, oultre les seigneurs prisonniers, les comtes de Vuesmerlan, [de] Dherby, de Comberlan, de Suthampton, le viscomte de Montegu, millor Dacres du Nort, millord de Morle, le sir Henry Percy, le sir de Morconnelle, le sir de Northon, le capitaine Rieth et plusieurs aultres principaulx personnaiges sont de l'intelligence; encore y veult on mesler le comte de Sussex; mais]

J'entendz que ceste Royne luy a donné charge et au comte de Housdon, et à milor Scrup, de mettre incontinent les garnysons de Vuarvich, de Carley et aulcunes troupes de Hiorc, aulx champs pour aller combattre le dict comte de Northomberlan, et qu'elle leur a envoyé une bonne quantité d'armes, lesquelles pour cest effect, et pour armer ung nombre d'hommes en ceste ville, elle a, ces jours passez, faict tirer de la Tour.

Je ne sçay si ce feu se pourra ayséement esteindre, mais il me semble que le commancement n'est moindre que celluy qui a embrasé vostre France. Il est vray que ceulx cy sont après à l'allumer par toute la chrestienté, si en aulcune manière ilz le peuvent faire, espérans que le leur particullier sera de tant plutost esteinct que de toutes partz l'on courra aulx remèdes. Je n'ay poinct veu ceste princesse despuys la nouvelle de ces troubles pour pouvoir juger quelle espérance elle a de les apayser, et n'estime que je la doibve encores aller trouver de quelques jours, sinon qu'il m'en vînt aulcune bonne occasion par voz lettres, jusques à ce que Vostre Majesté m'aura commandé l'office qu'il luy plairra que je face là dessus envers elle, ainsy qu'il vous peult souvenir, Sire, qu'elle s'est esforcée d'en faire quelques ungs envers vous au commancement des troubles de vostre royaulme. Sur ce, etc.

De Londres ce xxve de novembre 1569.

A la Royne.

Chiffre.—[Madame, estant advenu cella mesmes, que Voz Majestez, par leurs lettres du xxe septembre, m'ont signiffié estre de leur intention, je vous envoye le Sr. de Sabran pour vous dire en quoy en sont meintennant les choses, et comme elles monstrent d'estre si avant qu'il fault qu'elles passent oultre; dont est temps que Vostre Majesté regarde comment s'en prévaloir, car d'aultres veillent pour les convertir à leur proffict. Je ne me suys advancé de promettre rien en particullier, mais seulement vostre assistance et faveur en général, et suys très ayse que la Royne d'Escoce, de laquelle nous venons de recepvoir tout meintennant des lettres, concoure en mesmes opinion que moy, qu'il ne fault rien mouvoir ouvertement contre la Royne d'Angleterre, ains seulement qu'il playse à Voz Majestez envoyer ung petit renfort de harquebouziers en Escoce, par prétexte de garder Dombertran, qui puissent donner cueur à ceulx qui tiennent la part de la dicte Dame dans le pays, et tenir en tel suspens le comte de Mora qu'il n'oze venir, ny envoyer gens contre ceulx qui sont en armes en Angleterre; et qu'au reste vostre bon playsir soyt d'envoyer ung gentilhomme devers les Estatz d'Escoce pour les exorter à la restitution de leur Royne, lequel ayt aussi charge, en passant, d'en faire instance à la dicte Royne d'Angleterre et à ceulx de son conseil; et que, des pencions et revenuz, que la dicte Dame a en France, il vous playse l'en faire meintennant secourir pour les occasions qui se présentent, n'en ayant receu, despuys qu'elle est en Angleterre, qu'envyron quatre mil {lt}; et de ces trois choses elle me conjure ne faillir de vous en faire très humble prière et très grande instance de sa part.

Aulcuns aultres m'ont dict qu'il est fort requis que Voz Majestez facent faire aulcune démonstration en Normandie et Bretaigne d'aprester navyres, soubz colleur de serrer la mer à ceulx de la Rochelle, et que cella donra cueur aulx catholiques de Cornoaille et de tout le pays d'Ouest, qui ne sont moins fermes que ceulx du Nort, et tant les ungs que les aultres estimeront que ce soit pour leur secours; dont me semble, à la vérité, Madame, que ceste seulle démonstration, laquelle tiendra ceste princesse en doubte et les aultres en espoir, sera plus à propos pour vostre service par deçà et pour la commodité de voz présens affaires en France, que si vous passiez pour encores à plus grandz effectz. Et si, en aparance, garderez de mesmes envers ceste princesse, et, en effect, mieulx qu'elle n'a faict envers vous, les trettez de paix, lesquelz, despuys ung an, vous luy avez promiz d'inviolablement observer.

Ce de quoy les soublevez ont meintennant plus de besoing pour continuer leur entreprise est de deniers, et de cella requièrent ilz estre promptement secouruz. Le Sr. Roberto Ridolfy m'a prié de donner adviz de toutes ces choses à monsieur le Nonce, qui est prez de Voz Majestez, auquel il n'oze escripre, parce qu'il ne vient que de sortyr de prison, où, pour le souspeçon qu'on a heu de luy, il a esté dettenu ung mois; dont vous plairra, Madame, commander au Sr. de Sabran ce qu'il luy aura à dire. Et remettant à luy mesmes de vous rendre compte de toutes aultres particullaritez de deçà, je prieray en cest endroict Nostre Seigneur, etc.]

De Londres ce xxve de novembre 1569.

MÉMOIRE AU DICT Sr. DE SABRAN.

Chiffre.—[Suivant ce que leurs Majestez m'ont commandé par leurs lettres du xxe de septembre, le Sr. de Sabran leur dira que, pour la cause de la religion, et pour le faict de la Royne d'Escoce, et pour la détention de ces seigneurs prisonniers, les armes sont à bon escient prinses en ce royaulme par les catholiques vers les quartiers du Nort; mais je puys protester que c'est sans aulcune injure que j'aye procuré procéder en façon du monde de la part de Leurs dictes Majestez, et sans les avoir constituez en cause qui puisse estre réputée mauvaise envers Dieu ny le monde. Il est vray qu'espérans les dictz catholiques n'estre habandonnez du Roy, ilz ont ainsy entreprins ceste querelle, laquelle ilz estiment apartenir à Sa Majesté plus que à nul aultre prince chrestien, et sont après à me demander quelque secours de luy, ainsy qu'ilz disent que ceulx du contraire party ont envoyé demander ung nombre d'harquebouziers à monsieur l'Admiral; sur quoy Leurs Majestez me commanderont ce que je leur auray à respondre, car pour encores je ne leur ay promiz rien de particullier.

Or, nonobstant la conférance et le pourparlé d'accord, qui se faict sur les différans des Pays Bas, le duc d'Alve ne laysse de cercher le moyen comme il pourra bien allumer ceste guerre, car j'ay adviz qu'il a mandé aus dictz seigneurs du Nort, ne saichant encores leur prinse d'armes, qu'encor qu'il eust proposé d'attandre ung commandement plus réglé du Roy, son Maistre, qu'il ne l'a sur ce qu'il auroit à entreprendre avec eulx, et qu'il eust pensé ne debvoir jusques alors rien mouvoir ouvertement en leur faveur, ou au moins qu'il ne vît qu'ilz eussent commancé quelque chose de leur part, et qu'ilz se fussent miz aulx champs, ou qu'ilz eussent surprins quelque place, ou prins aulcuns prisonniers, ou remiz par force la Royne d'Escoce en liberté; si est ce que, sans temporiser davantaige, il seroit prest de leur fornyr cent mil escuz, et deux mille harquebouziers et mille corselletz, et encore cinq centz chevaulx, s'ilz luy envoyoient ung homme de qualité qui entendît le pays et les affaires, et qui le sceût résouldre du temps et du lieu qu'il fauldroit faire ceste descente, et luy désigner ceulx qui s'y trouveroient pour la recepvoir et la conduyre.

Et de cella l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a desjà envoyé lettres à iceulx seigneurs du Nort par un capitaine de leur intelligence, lequel ilz avoient pour aultres occasions dépesché par deçà, et icelluy mesmes capitaine est prest de passer devers le duc d'Alve, espérant qu'il accomplyra plus volontiers ses promesses, quant il verra que l'entreprinse est plus advancée qu'il ne cuydoit.

Possible que le dict duc est meu à cella pour n'espérer qu'il puysse obtenir aulcune rayson ny accord sur les dictz différans, et pour venger l'offance que véritablement il a receue des Anglois, aussi pour porter quelque faveur aulx catholiques, et pareillement pour la liberté de la Royne d'Escoce; car toutes ces choses concourent à cest affaire. Tant y a qu'il semble qu'il prétende principallement à la conqueste du pays, car il a desjà faict distribuer de l'argent, oultre le compte de ce secours, à aulcuns grandz, qui sont bien fort parcialz pour la mayson de Bourgoigne, et à d'aultres qui sont en obligation au Roy d'Espaigne, du temps qu'il estoit Roy de ce pays, lesquelz sont desjà gaignez.

Et le dict sieur ambassadeur faict grand presse que la Royne d'Escoce, puysque le duc de Norfolc est meintennant en prison, veuille délaysser le propos de mariage qu'elle a avecques luy, et que ce sera le Roy, son Maistre, qui l'espousera, ou la pourvoirra d'ung si bon et advantaigeux party, qu'elle n'en sçauroit trouver de meilleur en l'Europe; et faict grand instance que Me. Jehan Amilthon, serviteur de la dicte Dame, soit envoyé, avec lettres de créance d'elle, devers le dict duc d'Alve, affin, dict-il, de mieux conclure tout le faict du secours.

D'ailleurs l'on m'a donné adviz sur la négociation du marquis de Chetona que, pour la rendre plus agréable à ceste princesse, il semble qu'il y mesle je ne sçay quoy de préjudice contre la France sur la reddition de Callais et sur les entreprinses que la dicte Dame vouldroit faire par dellà; et qu'il luy mect en termes ung nouveau mariage avec de très grandz advantaiges qui ne sont à mespriser, et qu'en toutes sortes le duc d'Alve, cognoissant une fort grande importance de ce royaulme aulx affaires de son Maistre estime qu'il ne pourroit en rien mieulx employer ses forces et ses moyens que d'y estandre sa grandeur s'il peult.

Et, de tant qu'ung assés principal personnaige de ceste court, qui est fort protestant, a dict en quelque lieu que le duc d'Alve ne se monstroit trop contraire à ceulx de leur religion, ny ne procédoit, à ceste heure, que bien respectueusement envers eulx; et que mesmes, lorsque le duc de Deux Pontz temporisa si long temps d'entrer en France, ce fut pour taster l'intention du dict duc d'Alve, lequel, monstrant se préparer contre luy parce qu'il avoit receu le prince d'Orange et ses gens en sa compaignye, et qu'il craignoit que ce fût pour redescendre aulx Pays Bas, ne voulant le dict duc de Deux Pontz avoir à faire, tout à la foys, au dict duc d'Alve et à monsieur d'Aumalle, qui luy estoit en teste, n'entreprint jamais de marcher, jusques à ce que le dict duc d'Alve l'eust asseuré que, pourveu qu'il n'entrât aulx estatz de Flandres, il ne s'armeroit aulcunement contre luy, et ne bailleroit au Roy que le secours qu'il ne luy pourroit honnestement reffuzer; et que despuys, quant il a entendu la victoire, que Monsieur, frère du Roy, a gaignée, il luy est eschappé de dire que l'Admyral n'estoit pourtant du tout deffect, et qu'il n'estoit encores besoing qu'il le fût; j'ay beaulcoup suspectes les négociations et pratiques du dict duc d'Alve, qui est homme qui les sçayt projecter de loing.

Tant y a qu'en ce qu'il prétend de mouvoir dans ce royaulme, je le laysse vollontiers passer comme une entreprinse desjà commancée, en laquelle il se déclaire fort qui n'est pour estre bientost achevée, et ne se peult encores juger quel bout elle fera; mesmes je l'advance, sans me rendre suspect, possible, plus que ses propres ministres, espérant que cella pourra revenir au sollaigement des affaires du Roy, avec ce, que je ne voys pas que les choses soient encores si disposées icy pour le dict duc, que ses intelligences ayent à sortir sitost ny si bien à effect comme il le desireroit.

Au regard du mariage de la Royne d'Angleterre je croy qu'on n'y battra que à froid, comme les aultres foys qu'on l'a cy devant entreprins, car luy ayant ung des seigneurs de son conseil naguières remonstré qu'elle estoit pour avoir dorsenavant toutjours troubles et esmotions, quant ses subjectz verront n'y avoir plus espoir de son mariage, ny d'avoir lignée d'elle; et que pourtant elle feroit bien de se résouldre bien tost à quelcun, et convoquer à cest effect son parlement pour en dellibérer; et que, s'il luy playsoit avoir agréable celluy du duc de Norfolc, tout son royaulme en seroit fort contant; elle a respondu que, si ses subjectz l'aymoient et desiroient la veoir vivre ou avoir lignée d'elle, qu'ilz debvoient la laysser en sa liberté de se maryer ou non, et de prendre tel party qu'elle vouldroit, sans luy en proposer ung ou aultre sellon leur affection, qui, possible, ne luy estoit agréable; et, quant à convoquer son parlement, que nul de ses prédecesseurs n'en avoit jamais tenu que trois en sa vie, et elle en avoit desjà tenu quatre, dont, en ce dernier, l'on l'avoit tant tourmentée de ceste matière de mariage, qu'on l'avoit faicte résouldre à deux choses:—l'une, de ne tenir jamais plus parlement, et l'autre, de ne se maryer jamais,—et qu'elle dellibéroit mourir en ceste opinion.

Touchant la Royne d'Escoce, je fays, à la vérité, tout ce que je puys pour interrompre la pratique du duc d'Alve et confirmer ce qui est entre elle et le duc de Norfolc, et en cella, la dicte Dame et le dict duc, encor qu'ilz soyent bien restrainctz et esloignez l'ung de l'aultre, ilz promettent toutesfoys, du lieu où ilz sont, qu'ilz ne s'abandonneront jamais, et respectent si fort leur mutuel bien et advantaige que chacun de son costé monstre mespriser sa propre liberté, et quasi sa vie, pour servir à celle de l'aultre; mais je crains que leur longue prison admène du changement en leurs affaires. Tant y a que j'ay pourveu que le susdict Amilthon, qui part pour aller devers le dict duc d'Alve, ne porte poinct de lettres de créance de la dicte Dame, parce que, ayant, aultres deux foys, esté envoyé devers luy, semble qu'il s'est ung peu trop advancé du mariage de sa Mestresse, et est sa créance limitée pour le secours seulement, si, d'advanture, il passe jusques à luy.

AULTRE MÉMOIRE AU Sr. DE SABRAN.

Chiffre.—[Que le courroux de la Royne d'Angleterre continue encores bien grand contre ceulx qui se sont meslez du mariage du duc de Norfolc et de la Royne d'Escoce, et de tant que les catholiques, lesquelz elle escoutoit assés vollontiers auparavant, ont monstré ne le trouver mauvais, et qu'au contraire toutz les protestans, sinon le comte de Lestre, l'on contradict comme leur estant grandement suspect, elle a du tout esloigné d'elle les catholiques et s'est commise de toutz ses affaires aulx protestans. Lesquelz n'ont pas ozé encores luy mettre en avant tout ce qu'ilz vouldroient contre les seigneurs qui sont en prison ou en arrest, à cause du dict comte de Lestre, qui s'est trouvé meslé en leur affaire, ny contre les catholiques qu'ilz craignent du pays du Nort, ny pareillement contre la Royne d'Escoce, ny aussi contre la paix de France, ny contre celle qu'elle a avec le Roy d'Espaigne, parce qu'ilz ne trouvent que la dicte Dame ayt le cueur disposé pour attempter de si grandes et difficiles entreprinses.

Mais ilz ne layssent de luy donner beaucoup de grandes impressions sur toutes ces choses, et ne se soucient que, soubz ombre de luy faire évitter l'inconveniant des unes, elle aille tumber au dangier des aultres, pourveu qu'ilz la puissent mener là où ilz prétandent.

Et ainsy, pour le regard des choses de France, desquelles nous ferons premièrement mencion, ilz tiennent la dicte Dame en craincte que, au cas que par une généralle victoire le Roy vienne à boult de la guerre de son royaulme, qu'il est sans doubte qu'il la luy viendra incontinent commancer au sien, et que pourtant elle ne doibt rien espargner pour faire qu'elle luy dure longuement, ou au moins pour le contraindre de venir à ung accord, auquel elle ne soit poinct oblyée.

Et ne la pouvant pour cella induyre de mouvoir aulcune chose ouvertement contre le Roy, ilz en mènent d'eulx mesmes d'aultres, soubz main, du costé d'Allemaigne, et d'icy, et pareillement à la Rochelle, qui ne sont moins préjudiciables; et après qu'elles sont descouvertes, ilz les collorent de tant d'apparance de proffict pour ce royaulme, que les plus auctorizez du contraire party sont contrainctz, en plain conseil, d'en laysser passer la plus part, et mesmes, quant il y en a aulcunes ès quelles ne peult eschoir aulcun honneste adveu sellon les trettez, ilz n'ont honte de conseiller la dicte Dame de les désadvouher.

Meintennant ilz sont après à dépescher le Sr. de Quillegrey, avec l'homme du comte Pallatin, en Allemaigne, pour aller mouvoir, par lettres et par promesses, les princes protestans au secours de ceulx de la Rochelle.

Et par le sentyment que j'ay, d'aulcunes sommes qu'on serche secrectement estre fornyes par les merchantz de Londres en Hembourg, il semble qu'il emportera lettre de crédict, pour respondre du payement de celles, que Mr. de Lizy aura desjà promises sur les bagues de la Royne de Navarre, lesquelles il a partie emportées, et partie layssées icy; et que mesmes, avec la contribution que les esglizes protestantes de ce royaulme pourront faire cette année, quelcun m'a dict qu'il pourra estre forny jusques à lx mil livres esterlin, qui est deux centz mil escuz, ce que je métray peine de sçavoir mieulx au vray.

D'ailleurs, ilz sollicitent les particulliers protestans de deçà de donner, chacun pour son regard, ce qu'ilz peuvent d'ayde et d'assistance à ceulx de la Rochelle en faveur de la religion; les ungs, en contribuant à leur secours; les aultres, en menant quelque commerce avec eulx; et aultres, en leur portant des rafreschissemens; et proposent grand scrupulle de conscience à ceste princesse, si elle les vouloit empescher; et puys couvrent leurs pratiques, pour le regard de celles de la Rochelle, de la liberté du traffic qui leur est permise par les trettez en tout le royaulme de France; et celles d'Allemaigne, que ce n'est que pour entretenir l'ancienne intelligence de ceste couronne avec les princes de l'empyre; et que l'argent qui y va n'est que pour payer les debtes de ce royaulme; et font quelques foys que leur Mestresse respond là dessus que, comme le Roy s'ayde des Allemans pour conserver son authorité, en quoy elle ne le veult aulcunement empescher, aussi s'en veult elle ayder pour deffandre sa religion, ce qu'il ne doibt trouver mauvais.

Et n'y a poinct de doubte qu'ilz s'esforceront de faire déclairer ce royaulme ouvertement à la guerre, affin de relever les affaires de leur religion, tant il leur semble que la victoire du troisiesme d'octobre les a esbranlez en la chrestienté, s'ilz n'y trouvoient ceste princesse aulcunement opposante; laquelle, pour ceste occasion, je mène le plus doulcement que je puys, affin qu'elle ne traverse et ne donne de l'empeschement davantaige aulx affaires du Roy; et ne suys encores guières bien asseuré d'elle, parce que souvant elle se rend facille à leurs persuasions, mais je le serois beaulcoup moins si les propres affaires de la dicte Dame ne se trouvoient à ceste heure aulcunement brouillez dans son royaulme.

Quant aulx seigneurs, qui sont icy en prison et en arrest, lesquelz se souloient opposer aulx menées des dictz protestans, et les descouvroient et interrompoient assés souvant, iceulx protestans, qui manyent tout, les entretiennent en espérance que leur détention ne sera longue, et que le plus dangereux est desjà passé, et que, pour mieulx apayser le courroux et mal contantement qu'elle a consceu contre eulx, il leur est besoing d'avoir encores ung peu de pacience; mais en effect ilz tâchent de les faire tremper[21] en prison, et cependant font une extrême dilligence de cercher de toutes partz quelque vériffication contre eulx, mesmement s'ilz ont rien praticqué en France ny aulx Pays Bas.

Et affin que le peuple ne s'esmeuve pour leur détention, et que les aultres de la noblesse, qui sont de leur party, ne soyent par cest exemple espouvantez de venir en court, quant ilz seront mandez, ilz publient que la dellivrance de ceulx cy sera du jour au lendemain; mais, voyantz que cella ne leur sert vers Norfolc et vers le pays du Nort, d'où les gourverneurs mandent qu'ilz ne peuvent contenir le peuple, et qu'au reste les dictz de la noblesse sont advertys de ne se fyer aulx mandemens des dictz protestans, s'ilz ne veulent expérimenter la prison, comme les aultres seigneurs, ilz ont naguières faict dépescher plusieurs lettres vers ces quartiers là, premièrement aulx principaulx de la noblesse, qu'ilz ayent à se représanter en court devant leur Royne dans quinze jours, pour aulcunes occasions concernantz le bien du royaulme; de quoy s'estantz, une et deux foys, excusez, et l'ayant, à la troisiesme foys, du tout reffuzé, ilz les ont envoyé sommer par ung hérault, sur peyne de rébellion et de lèze majesté:

Aultres lettres à ceulx qui ont charge par les dictes provinces, qui sont presque tous protestans, que, entendant la dicte Dame se continuer ung bruict de sublévation vers leurs quartiers, ilz ayent à descouvrir d'où cella procède et qui en sont les autheurs; et si, en nulle part, l'on faict amaz d'armes et de pouldres en plus grande quantité et en aultre manière qu'il n'a esté veu et n'a esté ordonné par les dernières monstres; et que chacun d'eulx ayt à recepvoir nouveau sèrement, de ceulx qui sont en leur jurisdiction et gouvernement, qu'ilz observeront les choses ordonnées au dernier parlement sur le faict de la religion, et qu'en ce, que les décretz du dict parlement ne les auroient assés obligez et qu'aulcuns feroient scrupulle de prester meintennant ce sèrement, s'ilz sont de la noblesse, qu'ilz ayent à prendre obligation d'eulx de deux centz livres esterlin, c'est six cens soixante six escuz, et s'il est de moindre qualité, de deux cens marcz, c'est quatre cens escuz, qu'ilz demeureront fidelles et obéyssantz subjectz à la Royne.

Davantaige ont escript aus dictz officiers que, de la moindre nouvelleté qu'ilz verront advenir, ilz ne faillent d'en donner incontinent adviz à la court, leur ayant cependant envoyé, de main en main, grand nombre d'armes pour les distribuer secrectement aulx plus parcialz protestans; et que des plus principaulx des dictz officiers cinq ou six ayent à s'achemyner vers la dicte Dame, pour luy venir tesmoigner les choses qu'en faisant ceste description ilz auront descouvertes; et s'ilz ne pouvoient, sinon avec leur dangier ou avec le dangier du pays, au cas qu'ilz l'habandonnassent ou qu'ilz s'esloignassent de leurs charges, venir par deçà, qu'ilz escripvent amplement, par quelque homme de bien, seur et secrect, l'entière relation de toutes les dictes choses, signé de leurs mains, qui puisse faire foy contre les coulpables, ce qui s'entend principallement contre ceulx qui sont en arrest.

Et j'entendz qu'on avoit supposé ung homme, comme venant de la part des dictz officiers, sans porter toutesfoys aulcune lettre, par lequel ilz avoient faict tesmoigner à ceste Royne que les choses n'alloient que bien vers leurs quartiers, expéciallement en l'endroict du peuple, lequel demeuroit ferme et constant pour elle; et que, si ceulx de la noblesse vouloient rien entreprendre contre son aucthorité, qu'ilz leur courroient sus, et que mesme la pluspart des dictz de la noblesse, entendans que la prison de ces seigneurs n'estoit que pour leur plus grande justiffication, demeuroient contantz sans rien entreprendre.

Mais ilz n'ont peu long temps dissimuler la vérité de ces affaires à la dicte Dame, car, coup sur coup, est venu nouvelles comme le comte de Northomberlant s'estant saisy de la ville de Duran y a relevé le crucifix et faict dire la messe, où six à sept mille personnes ont assisté; et bien tost après les propres lettres du dict comte sont arrivées, par lesquelles il signiffie son intention et la cause de son entreprinse à la dicte Dame avec offre de luy rendre entière obéyssance, après Dieu, auquel il propose, quoy que ce soit, de garder sa conscience pure en la vraye relligion catholique, mais de résister fermement à la violence et indiscrétion d'aulcuns particuliers qui sont auprès de la dicte Dame. Et ainsy, vivans les dictz protestans en grand deffiance des catholiques, tant plus ilz ont cuydé estreindre et presser la matière, tant plus semble qu'elle est preste de leur eschapper des mains.

Au regard de la Royne d'Escoce, les dictz protestans représentent à la Royne d'Angleterre ung très grand dangier de son estat, si elle n'interrompt le mariage d'elle avec le duc de Norfolc, lequel luy est d'ailleurs si odieux, qu'elle y est ayséement persuadée; mais on cognoist bien qu'ilz n'ont si grand soing de son estat, comme ilz craignent que le dict mariage relève la partie des dictz catholiques dans ceste isle; et ayant esté par aulcuns proposé à ceste Royne de renvoyer en quelque bonne et honneste façon la dicte Royne d'Escoce en son royaulme, ce qu'elle n'a rejecté (et m'a dict à moy mesmes en certain propos là dessus, qu'il luy tardoit plus de la sçavoir hors d'Angleterre que à elle mesmes d'en sorty), la dicte dame a trouvé bon de le mettre en avant à l'abbé de Donfermelin quant il s'en est retourné, affin qu'il disposât le comte de Mora de vouloir recepvoir la dicte Royne sa sœur et Mestresse avec honneur et seureté; mais les dictz protestans ont despuys mené une si vifve et dilligente praticque dans ce conseil, qu'ilz ont faict résouldre que, pour plus grande seureté de cest estat, il estoit besoing de la retenir soubz seure garde par deçà, enchargeant de nouveau au comte de Cherosbery d'y avoir plus grand soing que jamais; lequel, à ce que j'entendz, a mandé que toute l'Angleterre ne la sçauroit mettre en liberté, si la Royne, sa Mestresse, ne le commandoit.

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