Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Second: Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
Et desjà a commancé dire à la Royne, sa Mestresse, qu'il luy failloit regarder de bonne sorte à ce qu'elle avoit à faire en l'endroict de la Royne d'Escoce, et en sortir si bien une foys que cella ne luy empeschât d'entendre à ses aultres affaires, et qu'il n'en fût jamais plus parlé; en quoy sembloit qu'il n'y eust que ung de deux moyens, ou de mettre entière fin à la dicte Dame, ou de la restablir bien tost en son estat:
Que si elle avoit pensé ou desiré la fin de ceste princesse, il la suplioyt de regarder ce que sa propre conscience luy en disoit, et là où en yroit sa réputation, et quel grief exemple elle proposeroit à elle mesmes et à toutz les aultres princes souverains, qui sont aujourdhuy au monde.
Mais si elle la veult remettre, qu'elle ne doubte d'y procéder hardyment le plus tost qu'elle pourra; car, par ce moyen elle remédiera à beaulcoup de choses, qui ne luy sont peu importantes meintennant, qui concernent sa seureté et celle de son royaulme, par ce que luy estant le Roy d'Espaigne ennemy et le Roy non asseuré amy, l'Empereur offancé contre elle et le Pape plus irrité que toutz, ilz luy pourroient sussiter tant d'affaires qu'elle ne sçauroit commant s'en démesler, là où, par ceste restitution, elle recouvrera l'amytié et bienveuillance des ungs, et divertira l'entreprinse des aultres; car la dicte Dame mesmes, laquelle elle aura obligée et faicte sienne, s'y employera et y employera ses parans; et, quoy que soit, mais qu'elle l'ayt mise de son party, et par ainsy réuny toute l'isle en une concorde à sa dévotion, elle n'aura que doubter des entreprinses des estrangiers; et que le fondement, qu'elle peult avoir faict sur le comte de Mora, n'est bon ny seur, car il n'est le vray ny légitime Roy d'Escoce.
La dicte Dame, s'estant bien fort esbahye de veoir procéder ce propos d'ung tant sien espécial serviteur, comme est le dict comte, luy a néantmoins respondu qu'elle ne pense se pouvoir jamais asseurer de la Royne d'Escoce, et qu'il est certain, qu'aussi tost qu'elle sera en son pays, elle pratiquera tout ce qu'elle pourra contre elle et contre son estat, et qu'elle aura ministre propre monsieur le Cardinal, son oncle, pour l'en solliciter; non que pour cella il luy soit jamais tumbé en l'entendement de toucher à sa personne, ny souffrir d'y estre touché, non plus qu'à la sienne propre, mais qu'elle estime le plus seur estre de la retenir par deçà, et laysser les choses d'Escoce ez mains du régent soubz le jeune Roy;
Vray est qu'elle commançoit à cognoistre que les siens mesmes, et ses plus obligés, la trahyssent et prennent le party de la Royne d'Escoce contre elle, à quoy elle avoit besoing de prendre garde, et qu'elle espéroit d'y bien remédier.
Le dict comte a répliqué qu'il avoit esté meu d'une singulière et très dévotte affection de vray et fidelle vassal et serviteur, et encores de conseiller très affectionné au bien, au repos et à l'aquit de l'honneur de la dicte Dame, de luy ouvrir ce propoz, et qu'elle considérât bien qu'en gardant la Royne d'Escoce par deçà, elle norrissoit le serpent dans le sein, qui seroit matière propre à plusieurs partisans qu'elle a en ce royaulme de tramer toutjour quelque chose sur le faict de sa restitution en son estat, et de sa prétention en cestuy cy; mais qu'elle pouvoit adviser de bonne heure de conduyre ce faict, avec tant de seurté pour elle et pour ses affaires, qu'il ne luy pourroit jamais venir dommaige de ce costé.
Elle a répliqué qu'elle ne voyoit pouvoir prendre aulcune bonne seurté là dessus, car, si la Royne d'Escoce offroit ostages, ce seroient ceulx qui ont esté contre elle, qui sont les principaulx du pays, affin de s'en deffaire, et remuer puys après l'Escoce à son playsir, ou bien, dict elle, son filz, qu'elle n'ayme guières.
Le comte a respondu que, touchant ceulx qui ont esté ses adversaires, il ne faict doubte qu'elle ne les baille fort volontiers, mais quant au filz, que l'évesque de Roz ne pensoit que cella se peult ayséement faire.
Lesquelz propoz, encor que la dicte Dame ne les ayt bien prins, et que le secrétaire Cecille se soit esforcé de les luy faire despuys trouver encores pires, allégant que ces seigneurs, qui entreprennent de favoriser la Royne d'Escoce, ont pensé de la mort d'elle, et de veoir l'aultre la survivre, et estre, après sa mort, eslevée à ceste coronne, et qu'ilz la recognoissoient desjà en leur cueur pour Royne; n'ayant de sa part fondé son espérance que en la vie de sa propre Royne, de laquelle il ne veult jamais penser à la mort qu'il ne se prépare incontinent à celle de luy mesmes; et nonobstant aussi la sollicitation des ministres et de toutz les adversaires de la dicte Royne d'Escoce, ses affaires prènent grand fondement par le moyen du duc de Norfolc, qui prétend de l'espouser.
Et, par prétexte d'asseurer la Royne d'Angleterre des promesses et conventions qui se feront entre elles deux, semble qu'on luy ayt desjà faict trouver bon qu'elle soit maryée en Angleterre, et quant désormais elle ne le trouveroit bon, l'on ne laira de passer oultre, tant les choses semblent estre advancées avec le dict duc de Norfolc. A quoy la dicte Royne d'Escoce monstre non seulement de consentir, mais bien fort le desirer, comme entrant par là en possession de la coronne d'Angleterre après sa cousine, veu la bonne part que le dict duc a avec toute la noblesse, et grande authorité par tout le pays, et qui desjà faict publier partout que le droict de la dicte Dame est le plus certain; de sorte que les aultres, qui y prétendent, commancent de céder, nonobstant la résistance de ceulx de la nouvelle religion, desquelz aulcuns des principaulx sont desjà gaignez pour elle, et nonobstant que Me. Cecille luy ayt esté contraire jusques icy, qui meintennant, en faveur du duc, monstre soubstenir plus que nul aultre le party de la dicte Dame.
Mais affin que le Roy ne preigne jalouzie de ce mariage, et ne craigne qu'il préjudicie en rien à l'alience qu'il a avec les Escossoys, ilz allèguent desjà que le petit prince demeurera dans le pays, sans rien changer ny innover des anciens trettez, qui sont entre la France et l'Escoce.
J'entendz que l'ambassadeur d'Espaigne, encor que, possible, il n'ayt la notice de toutes ces particullaritez, a esté néantmoins recerché de tenir la main au dict mariage, et de faire que le Roy Catholique, son Maistre, le trouve bon, bien que je sçay qu'aulcuns de ceulx qui le conduysent conseillent les parties de le consommer, et puys l'aller remonstrer aulx princes et parans qui y peuvent avoir intérest.
Et encor que la Royne d'Angleterre ayt quelque sentyment de toute ceste pratique, et qu'il luy en face assés mal au cueur, si veoyt elle la partie desjà si faicte qu'elle n'entreprend de s'y opposer, mesme semble que, si elle ne se résould d'entendre bientost à la liberté et restablissement de la Royne d'Escoce, qu'on l'y fera procéder malgré elle.
Le Sr. Quenelles a esté commiz, pour ung mois, à la garde de la dicte Dame, estant le comte de Cherosbery tumbé en une griefve malladye, qui luy a saysy la personne et l'entendement; et cependant l'on pourvoirra de luy envoyer un comte ou ung grand seigneur pour plus honnorer la dicte Dame, en ayant esté déboutté le comte de Betfort, parce qu'il est trop protestant.
Mesmes est l'on après à pourchasser que la Royne d'Angleterre et elle se voyent bien tost, par prétexte qu'elles pourront plus seurement et plus ayséement contracter, en présence l'une avecques l'aultre, du tiltre de ce royaulme, que ne feroient par procureurs; mais c'est pour plus ayséement conclurre le dict mariage, auquel semble à la vérité qu'ilz prétendent d'y procéder si soubdainement que puys après, si aulcuns princes ou parans ne le trouvoient bon, l'on leur puisse respondre qu'il est desjà faict.
XLIXe DÉPESCHE
—du Ier jour d'aoust 1569.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)
Voyage de la reine d'Angleterre.—Explications demandées par l'ambassadeur aux seigneurs du conseil, sur les actes d'hostilité contre la France, qui se multiplient tous les jours.—Désir qu'ils montrent de conserver la paix et de voir terminer promptement les guerres civiles de France par une pacification.—La reine confirme toutes les déclarations faites par son conseil.—L'ambassadeur pense néanmoins que les Anglais n'attendent pour se déclarer qu'une occasion favorable.—Espoir d'un prompt arrangement pour la restitution des prises.—Mouvements dans les duchés de Suffolk et Norfolk.—L'audience est refusée à l'ambassadeur d'Espagne, mais on ne doit concevoir pour cela aucune crainte de guerre entre les deux pays.—Nécessité de se tenir en France sur le pied de guerre à l'égard d'Élisabeth.—Vive recommandation de l'ambassadeur auprès de la reine-mère en faveur de Mr. Norrys et de sa femme.—Déclaration d'Élisabeth pour la restitution des prises.
Au Roy.
Sire, voyant faire icy, despuys quelques jours, plus grand dilligence que de coustume de mener bien vifvement les affaires à solliciter ceulx du conseil, à pratiquer gens, armer vaysseaulx, cercher deniers, dépescher messagiers en Allemaigne, envoyer souvent à la Rochelle, et plusieurs aultres démonstrations et préparatifz, qui me faisoient doubter d'une prochaine déclaration de guerre, j'ay bien vollu, avant que ceste Royne ayt commancé son progrez, et avant que aulcuns seigneurs de ce conseil, qui ne la vont accompaigner, mesmement de ceulx qui tiennent le party de la paix, se soyent esloignez en la contrée, les prier de venir prendre leur disner en mon logis, pour leur parler si vifvement de ces matières que les bons eussent occasion de les prandre à cueur pour y remédier, et les aultres cognussent qu'elles estoient desjà descouvertes.
Dont y estantz venuz messieurs le duc de Norfolc, les comtes d'Arondel et de Lestre, milor Chamberlan, le secrétaire Cecille et aultres seigneurs, après que je les ay heu honnorez, et trettez, et mercyés, je les ay priez de m'excuser si, pour l'occasion du soubdain voyage de la Royne, leur Mestresse, et de la prochaine absence d'aulcuns d'eulx, que je n'espérois de long temps trouver ensemble, je ne différois à plus loing qu'à ceste heure, en mon propre logis, de leur parler d'affaires; mais ce ne seroit pour les ennuyer, ains pour garder qu'il ne vînt ennuy à noz Maistre et Mestresse sur aulcunes choses, lesquelles on s'esforceroit de faire mal aller entre eulx et leurs deux royaulmes: que je les voulois bien asseurer, sur la parolle royalle de Vostre Majesté et sur celle de la Royne vostre mère, que, despuys la dernière conclusion de la paix, vous n'aviez faict, ny tretté, ny presté l'oreille à tretter aulcune chose de ce monde, qui fût contre le bien, la grandeur et l'estat de la dicte Dame, ny en quoy vous eussiez pensé l'offancer, ny luy faire desplaysir, ny pareillement à nul d'eulx; et qu'ayant espéré la mesme correspondance de leur costé, vous estiez merveilleusement esbahy de veoir que les effectz fussent meintennant au contraire.
En premier lieu vous aviez naguières receu une confirmation du mesmes adviz, que desjà je leur avois donné, comme au nom et par les ambassadeurs ou agentz de la dicte Dame en Allemaigne, il s'y faisoit levée de gens de guerre, de pied et de cheval, et grande forniture de deniers aulx princes protestans; et qu'à l'instance d'elle ilz estoient sollicitez et instiguez de descendre en vostre royaulme:—segondement, que, sans qu'il aparût guerre en nulle aultre part de la chrestienté sinon en France, et que la dicte Dame fût hors de souspeçon qu'on la luy fît, elle néantmoins se préparoit de toutes choses, comme pour la faire;—tiercement, que vous voyez les subjectz de ce royaulme continuer ung commerce qui ne vous pouvoit estre que suspect et odieux avec ceulx de la Rochelle, lesquelz vous réputiez meintennant voz grandz ennemys, et iceulx de la Rochelle conduyre de mesmes fort ouvertement leurs intelligences par deçà, et s'y fornyr d'armes, de monitions de guerre, de vivres, d'argent en quantité, en tirer des hommes, et toute faveur, par mer et par terre, contre vous et voz bons subjectz; davantaige que les pirates, nonobstant les ordonnances de la dicte Dame, ne layssoient d'estre receuz ez portz de ce royaulme, et sortir d'iceulx sur voz subjectz; et mesmes j'estois adverty que, puys huict jours, il estoit sorty, de divers endroictz d'Angleterre, plus de vingt cinq vaysseaulx armez, pour aller nomméement piller la flotte des Françoys, qui revient des Terres Neufves; finalement que la justice, ores qu'elle ne fût du tout dényée, estoit néantmoins tant prolongée et dissimulée à vos subjectz sur les prinses et déprédations, qu'on leur avoit faictes par deçà, que les fraiz de leur poursuyte, laquelle estoit encores sans fruict, commançoit desjà d'esgaller et de surmonter le principal:
Qui estoient choses toutes contraires à la paix, par lesquelles ilz monstroient desjà faire violance à icelle, ce que vous ne pouviez, ny vouliez croyre procéder de la dicte Dame ny d'eulx, ses conseillers; tant y a que vous voyez bien qu'ilz le tolléroient à ceulx qui, sellon leur passion, ne faisoient difficulté d'employer contre vous le nom, le crédit et la faveur de la dicte Dame et de ce royaulme: ce qui enfin vous provoqueroit d'en cercher la vengence et d'en procurer, quelque jour, ung juste rescentiment. A quoy je les prioys de remédier de bonne grâce, et de s'employer si bien à faire cesser toutz ces mauvais exploictz, que Vostre Majesté n'eust occasion se despartir de l'amytié et bonne intelligence, en laquelle je leur déclairois et asseurois devant Dieu, que vous vouliez aultant constantment persévérer avec la dicte Dame et ses subjectz, s'il ne tenoit à elle et à eulx, comme avec quel aultre que ce fût des princes et estatz voz voysins, tant vous fussent ilz estroictement alliez et confédérez.
Lequel propoz, Sire, fut paysiblement escouté de ces seigneurs, et le secrétaire Cecille, se tenant au millieu d'eulx, le leur récita en anglois, et, après qu'ilz eurent quelque temps conféré ensemble, monsieur le duc, prononceant en langaige du pays aulcuns peu de motz, ordonna au milor Chamberlan de me les expliquer en françoys, qui furent, en substance, que eulx toutz vouloient, de tout leur pouvoir et affection, conserver la paix avec Vostre Majesté et avec vostre royaulme, et que ce qu'ilz desiroient meintennant le plus estoit de vous veoir bien d'accord avec voz subjectz, et veoir leur Mestresse esclarcye d'aulcunes choses, qu'elle a eu grand occasion de doubter en ceste guerre; mais, puysque je debvois aller le lendemain trouver la dicte Dame, ilz me prioient de luy faire la mesme remonstrance, et luy porter hardyment les chefs d'icelle par escript, et ilz espéroient qu'elle m'y respondroit avec toute satisfaction; ou, si elle le commettoit à eulx, ilz mettroient peyne de me la donner si bonne, que j'aurois occasion de demeurer contant; seulement me vouloient dire qu'ilz estoient fort esbahys comme la guerre de France duroit tant, veu ce que je disois que vous ne prétendiez aultre chose, sinon de recouvrer l'obéyssance de voz subjectz, et que voz subjectz disoient ne desirer rien tant en ce monde, que d'estre receuz à la vous randre avec l'acquit de leurs consciences.
Je ne leur ay respondu que bien peu de parolles là dessus, car aussi le temps ne le permettoit; mais, estant, le jour après, allé trouver la dicte Dame au lieu de Lambet, auquel partant de Grenuich elle faisoit la première dynée de son progrez, et m'ayant ainsy que de coustume et encores plus bénignement receu, à cause des recommandations et bonnes parolles que, par voz lettres du xvȷe du passé vous me commandiez luy dire, qui certes sont venues bien à propoz, avec le récit des choses advenues au siège de la Charité, lesquelles on luy avoit desjà mandées en bien aultre façon qu'elles ne sont; je luy ay touché les mesmes poinctz que j'avois remonstrez aus dictz seigneurs en parolles, possible, plus respectueuses, néantmoins bien fort expresses, pour luy faire cognoistre que vous aviez grande occasion de révoquer à offance et infraction de paix beaulcoup de choses, qui procédoient des siens et de son royaulme.
A quoy la dicte Dame estant préparée de responce, après avoir avecques tout respect et grande démonstration de faveur accepté voz recommendations, et monstré qu'elle avoit grand contantement de veoir que vous la teniez pour aultant vostre bonne seur comme elle asseuroit bien fort de l'estre, et desirer vostre prospérité, m'a dict que sur les pratiques que je luy allégois d'Allemaigne, elle ne me pouvoit dire sinon ce que, despuys six sepmaines une aultre foys elle m'en avoit respondu: c'est qu'elle n'y en avoit mené ny commandé d'y en mener aulcune, en quelque façon que ce fût, contre vous ny contre vostre coronne, et estat; et n'estoit pour non plus souffrir en Angleterre qu'on y en menât pas une, que raysonnablement l'on peult juger estre contre la paix, laquelle elle vouloit de son costé meintenir ferme et asseurée avec Vostre Majesté; seulement elle avoit, là et icy, faict regarder à ce qui estoit besoing de pourvoir pour se conserver elle, et son royaulme, et sa religion, qui estoit tout ce qu'elle m'en pouvoit dire, et [que] cella se trouveroit toujour véritable; et qu'au regard des aultres particullaritez, elle commanderoit, comme elle commanda sur l'heure, à ceulx de son conseil de m'y pourvoir le plus au contantement de Vostre Majesté qu'il leur seroit possible. Puys me réitéra ce que, quelques jours auparavant, elle m'avoit dict que, puysque Dieu n'avoit vollu exaulcer son bon desir sur la paix de vostre royaulme, elle le prioyt à ceste heure d'exaulcer la prière, qu'elle luy faisoit, que la guerre ne vous y peult nuyre en chose qui fût contre vostre grandeur et authorité; au reste qu'elle estoit bien ayse qu'au siège de la Charité, les choses n'y eussent tant succédé à vostre dommaige comme on disoit, et qu'elle vouldroit de bon cueur que voz subjectz, qui sont en armes, eussent, des deux costez, prins à bon escient la vraye charité entre eulx.
Et ainsy m'estant licencié bien fort gracieusement de la dicte Dame et des dicts seigneurs, après avoir sondé le plus avant que j'ay peu de leur intention, laquelle ilz m'ont assés monstrée franche et bonne sur l'entretennement de la paix, mais non si claire ny ouverte sur les aprestz d'Allemaigne, ny sur ceulx d'icy, comme je desiroys, je ne vous puys dire, Sire, sinon qu'ilz monstrent de temporiser et de guetter une occasion sur le succez qu'ilz verront de la guerre de France; dont je ne deffauldray ny d'office envers eulx à les contenir, aultant qu'il me sera possible, ny de dilligence envers Voz Majestez pour vous advertir toutjour de ce que je leur verray faire.
Hier matin, la dicte Dame, touchant la restitution des biens des Françoys en son royaulme, expédia une lettre, signée de sa main, non du tout aulx termes de celle, que Vostre Majesté m'a envoyée, parce qu'il a semblé à son conseil que cella ne se pourroit, d'ung costé n'y d'aultre, ainsy proprement exécuter, mais en la forme que verrez par la coppie que je vous en envoye, et monstre l'on icy d'y vouloir assés droictement procéder.
Il y a eu, ces jours passez, quelque aparance de sublévation en Suffoc et Norfolc, de laquelle ne sçay encores bien la cause; tant y a que jusques à dix sept principaulx autheurs d'icelle ont esté prins, mais les officiers du pays ont esté si dilligentz qu'ilz l'ont bientost esteinte.
Les différans des Pays Baz demeurent encores en quelque suspens et y a commissaires depputez pour vandre aulcunes prinses. Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne a demandé audience, plus de huict jours y a, qui ne luy a esté encores ottroyée; et ceste Royne s'esloigne d'icy et est desjà partie de Richemont, continuant son progrez, sans la luy bailler. Néantmoins l'on ne parle au dict affaire que d'accord, et n'y a aparance qu'il y doibve avoir guerre entre eulx.
Le faict de la Royne d'Escoce se va entretennant jusques au retour du Sr. de Bortyc et jusques à ce que le comte de Mora aura envoyé ses députez, auquel ceste Royne a naguières escript que s'il faict plus le long et le restif en cella, qu'elle advisera de procéder sans luy à l'accommodement de la Royne d'Escoce et à sa restitution en son estat. Sur ce, etc.
De Londres ce 1er d'aoust 1569.
A la Royne.
Madame, sur la pluspart des choses que je vous ay naguières mandées par le Sr. de Vassal, je continue meintennant en la lettre du Roy dire à Voz Majestez ce que j'ay dict et faict en icelles, pour davantaige les descouvrir, et quelz propoz j'en ay tenuz à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil; dont me semble, Madame, que ny de leurs bonnes parolles ny d'une partie de leurs démonstrations, lesquelz je ne veulx dire que ne soyent bonnes, je ne puys toutesfoys juger que leur intention soit tant à la paix, comme ce que je veoy qu'ilz font soubz main et à couvert monstre qu'ilz l'ont à la guerre; et ne puys cognoistre encores si mes remonstrances produyront aulcun fruict: tant y a qu'on a tenu sur icelles ung bien estroict conseil, mais je loue bien fort ceste vostre bonne et prudente résolution de vouloir avoir l'œil tout aussi ouvert à prendre garde ez lieux, où il est vraysemblable que ceulx cy pourroient dresser leurs premières entreprinses, comme si vous estiez en guerre ouverte avec eulx, et ne laysser pourtant de leur donner de vostre costé, et prendre du leur, toute l'asseurance que vous pourrez. De ma part, Madame, à la mezure que je verray, jour par jour, que leurs affaires se formeront, je ne fauldray d'uzer de toute la dilligence qu'il me sera possible pour incontinent le vous mander.
Je suys allé prandre congé de ceste Royne quand elle s'est achemynée de Grenuich, et l'ay priée de trouver bon que je la peusse aller trouver en son progrez, s'il se offroit occasion de négocier aulcune chose d'importance avecques elle, ce qu'elle m'a fort libérallement accordé, et que je seray le bien venu en quelle part qu'elle sera, bien qu'on dict qu'elle n'avoit accoustumé de tretter d'affaires en ses voyages, et qu'elle ne donne volontiers audience aulx ambassadeurs oultre Windezor, parce que la plus part de ceulx de son conseil ne sont plus lors avecques elle. L'on faict compte que sur la fin de ce moys elle pourra estre à Hamptonne, et puys passera en l'isle d'Ouic, et que son dict voyage durera envyron deux moys; bien me vient on de dire, despuys une heure, qu'il se parle aulcunement de rompre son dict progrez. Elle m'a parlé et faict parler si souvant de Mr Norrys, son ambassadeur, et de madame sa femme, pour leur faire avoir bon trettement en France, que je suplie très humblement Vostre Majesté, de tant que telles personnes doibvent par droict estre exemptes et préservées de toute injure, les vouloir emparer pour l'honneur de leur Mestresse soubz vostre bonne faveur et protection; et je suplieray le Créateur, après avoir très humblement baysé les mains de Votre Majesté, qu'il vous doinct, Madame, en parfaite santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.
De Londres ce 1er d'aoust 1569.
Déclaration et promesse de la Royne d'Angleterre, touchant la restitution des biens des Françoys en son royaulme.
La Royne, en considération de semblable promesse et accord faict par le Roy Très Chrestien, son bon frère, pour le bien de ses subjectz, promect et accorde au dict Seigneur Roy Très Chrestien que les biens apartenant aulx Françoys, qui ont esté miz et demeurent soubz arrest, en quelque lieu ou port que ce soit d'Angleterre, estant en leur espèce, ou, s'ilz ne le sont, la vraye valleur d'iceulx, leur seront réallement randuz et dellivrez dans ung certain jour du moys d'aoust prochain, qui sera advizé, nommé et accordé entre Monsieur le Mareschal de Cossé et Richard Patric et Hugues Offley, merchans de Londres, commis et envoyés par Sa Majesté pour conférer avec le dict sieur Mareschal sur la dicte restitution; et que des dicts biens ainsy arrestez, si le tout ou partie a esté miz hors d'arrest au proffict d'aultre que de ceulx à qui ilz apartiennent, ensemble des aultres biens, qu'iceulx Françoys monstreront et vériffieront sommairement leur apartenir par deçà, Sa Majesté promect leur en faire administrer prompte justice, sommairement et de plain, sans figure ny longueur de procès, contre ceulx qui les ont prins et les détiennent, ou en sont coulpables, en faisant le Roy, son bon frère, tant sur la dicte restitution au dict jour qu'administration de justice, procéder de mesmes pour les Anglois en son royaulme.
A Richemond le xxvııȷ de juillet 1569.
A esté adjouxté par le sr. de la Mothe Fénélon, ambassadeur du Roy, ce qui s'ensuyt:
Ayant la Majesté de la Royne d'Angleterre veu et leu la promesse, que le Roy, Mon Seigneur, a faict et signée de sa main le vııȷe de juillet 1569, touchant la restitution des biens des Anglois en son royaulme, et desirant d'user de toute correspondance à icelle, l'a faicte regarder aulx seigneurs de son conseil, qui ont estimé estre mal aysé de pouvoir exécuter une promesse du tout semblable pour les Françoys en Angleterre; dont m'en ont faict remonstrer les difficultez suyvant lesquelles la Majesté de la dicte Dame a trouvé bon de faire une déclaration et promesse, signée de sa main, pour la restitution des biens des Françoys en son royaulme, en la forme qui est mise cy dessus, et que, jouxte la teneur d'icelle, les deux soyent exécutées en France et en Angleterre au proffict de leurs communs subjectz; et ainsy l'a accordé, au lieu de Richemond le xxvııȷe de juillet 1569.
Le DÉPESCHE
—du Ve d'aoust 1569.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Valet.)
Emprunt fait en Angleterre sur les joyaux de la reine de Navarre.—Armement de plusieurs navires de guerre par les envoyés d'Allemagne et de la Rochelle.—Proposition faite aux Anglais de faciliter à leurs vaisseaux une descente en Normandie.—Troubles de Suffolk, Norfolk et d'Irlande.—Préparatifs d'une nouvelle flotte marchande pour Hambourg.—Démarches de l'ambassadeur d'Espagne afin d'obtenir audience.—Départ de sir Henri Chambrenant pour la Rochelle avec plusieurs volontaires.
Au Roy.
Sire, pendant que la Royne d'Angleterre a séjourné à Richemont, Mr. le cardinal de Chatillon, le vydame de Chartres, le Sr. Du Doict et le Sr. Dolovyn, agent du prince d'Orange, ont esté souvant devers elle pour luy faire plusieurs sollicitations au contraire de ce que, en ma dernière audience, je l'ay instantment priée ne vouloir faire ny souffrir estre faict en son royaulme au préjudice de la paix. Sur quoy elle a assemblé ceulx de son conseil, lesquelz, à ce que j'entendz, n'ont ainsy entièrement résolu les choses comme les aultres desiroient, et ne m'ont du tout déboutté de mes justes remonstrances; ce que je métray peyne de sçavoir plus en particulier et au vray. Tant y a que le dict sieur Cardinal a mené, durant ce séjour, les seigneurs de ce conseil faire bonne chère en son logis à Chin, et, ung jour de la sepmaine passée, luy et les aultres députez de la Rochelle ont aporté monstrer à la dicte Dame les bagues de la Royne de Navarre, lesquelles elle a esté curieuse de veoir, et aulcuns orfèvres ont esté appellés pour les priser: qui, à ce que j'entendz, les ont estimées valloir soixante mil livres esterlin, c'est deux cens mil escuz; et m'a l'on dict que la dicte Dame s'est excusée de prester rien dessus, mais qu'on se retirât aulx merchans pour y trouver deniers, dont semble que Me. Grassan, principal merchant de ceste ville, qui est néantmoins facteur de la dicte dame, ayt prins la charge de faire fornir sur icelles trente mil livres esterlin, c'est cent mil escuz; et crains bien fort, nonobstant aulcuns empeschemens que l'on y a miz, que la somme se trouvera: car il n'est possible de persuader qu'on puysse ny doibve empescher les particulliers, qui veulent faire ce secours et assistance à ceulx de leur religion.
Les quatre ourques, que j'ay cy devant mandé qu'on armoit en ceste rivière, seront prestes dans dix jours; elles sont les mieulx artillées qu'il est possible, et pourra en icelles et en deux aultres floyns, que de mesmes l'on équipe, si c'est pour combat de mer, plus de huict cens hommes, et si c'est pour mettre gens en terre, elles sont capables d'en transporter plus de trois mille à la foys. J'ay faict instance de ne les laysser sortir, et ay prié monsieur l'ambassadeur d'Espaigne de s'y opposer aussi de son costé. A quoy, pour mon regard, l'on m'a desjà aulcunement bien respondu; mais je ne sçay si je les pourray arrester du tout, au moins les retarderay je tant que je pourray, et feray prendre garde à leur embarquement pour en donner adviz à Mr. le maréchal de Cossé. J'ay sceu que quelques marinyers de Normandie sont venuz remonstrer à ceulx de la nouvelle religion, qui sont par deçà, comme il a esté retiré beaulcoup de gens de guerre de leur pays pour aller au camp, et qu'à ceste cause, s'ilz veulent entreprendre de descendre en quelque endroict de leur coste, ilz n'y trouveront grand résistance. A quoy, Sire, je vous suplie très humblement de pourvoir; car il ne fault que bien peu d'aysance à ceulx cy pour les convyer à nous mal faire.
Ces commancemens de sublévation, qui ont appareu en Suffoc et Norfolc, ont miz toute ceste court en peyne, et est l'on bien fort après pour descouvrir que c'est. Celle d'Irlande semble aller en augmentant, et enfin le comte d'Ormont y a esté dépesché en poste. Milor Sideney y a eu quelque commancement de victoire, où l'on dict qu'il a deffaict trois cens hommes; mais j'entendz qu'il n'y avoit que douze ou quinze soldatz, et que le reste estoit tout paysans qui ont esté surprins en ung vilage.
Ceulx cy préparent une segonde flotte pour Hembourg, laquelle s'en va desjà chargée, la plus part sur navyres ostrelins, bien que les merchans de Londres ne se contantent guyères de la première, parce qu'ilz n'ont encores vandu, à ce qu'ilz disent, que les gros draps de petite valleur, et les fins draps de priz demeurent en séjour.
L'ambassadeur d'Espaigne ayant une foys demandé audience, et ne luy ayant esté accordée, a esté en dellibération de n'en demander plus; mais ceulx qui portent le faict de son Maistre en ceste court, l'ont conseillé de la demander encores une foys, sans s'arrester à ces sérémonies, et qu'ilz espèrent la luy faire ottroyer, ce qu'il n'a ainsy proprement vollu faire, craignant un segond reffuz; mais par prétexte de demander ung passeport pour une sienne dépesche en Flandres, il a envoyé sonder si l'on luy vouldroit accorder la dicte audience; je ne sçay encores que luy aura raporté son homme.
Le comte de Mora ayant mandé qu'il avoit assigné l'assemblée du conseil d'Escoce au xxve de juillet, pour accorder de depputez et de mémoires, qu'on envoyeroit par deçà, a faict jusques à ceste heure retarder icy les affaires de la Royne d'Escoce; mais j'entendz que dans dix jours l'on est délibéré de procéder à l'expédition d'iceulx avec les dicts depputez s'ilz viennent, ou sans eulx si ne viennent pas, et d'y mettre une bonne fin. Sur ce, etc.
De Londres ce ve d'aoust 1569.
A la Royne.
Madame, par mes précédantes, du xxvıȷe du passé et du premier d'estuy cy, j'ay faict entendre à Voz Majestez l'estat des choses de deçà le plus par le menu que je les ay peu sçavoir, lesquelles continuant estre encores de mesme, je ne vous mande en la lettre du Roy sinon ce que despuys est survenu, qui semble torner à la confirmation d'icelles. Et à cella j'adjouxteray seulement, Madame, que, ayantz ceulx cy naguières dépesché, d'ung costé le sire Gilles Grays en Hembourg sur ung vaysseau légier qu'ilz appellent le brigantin de la poste, et layssé aller de l'aultre le sire Henry Chambrenant, luy quinziesme, vers ceulx de la Rochelle, non par exprès congé, mais comme de luy mesmes, pour estre néantmoins comme ung agent de ceste Royne en leur camp, affin de luy escripre la vérité des choses ainsy qu'elles y adviendront, parce qu'on commence à n'adjouxter foy à ce qui s'en mande de dellà, ilz sont attandans, à ceste heure, nouvelles de ces deux endroictz, et tiennent cependant leur apareil et armement prestz; et ne layssent pour cella de se porter toutjour gracieusement envers moy, avec toutz signes de paix, et je metz peyne de les y confirmer, et fays entre deux tout ce que je puys pour leur oster l'opinion de la guerre, à laquelle je vous ay mandé que je les veoy préparez. Je vays aujourd'huy trouver la dicte Dame à Otlan, où elle m'a assigné l'audience, et par les propos que je luy tiendray de vostre dépesche du xxvıȷe du passé, j'essayeray de tirer des siens ce que je pourray de son intention, et de bien disposer icelle envers vous et voz présens affaires, le plus qu'il me sera possible; aydant le Créateur auquel je prie, etc.
De Londres ce ve d'aoust 1569.
LIe DÉPESCHE
—du Xe jour d'aoust 1569.—
(Envoyée exprès jusques à Bouloigne par Jaques Blassé.)
Élisabeth, à la sollicitation de l'ambassadeur, prononce l'arrêt des navires qui sont en armement pour le compte des envoyés d'Allemagne et de la Rochelle.—Efforts des protestants pour faire lever l'arrêt.—Nouvelle entrevue de l'ambassadeur et d'Élisabeth.—Instances de la reine pour une prompte pacification en France.—Elle se montre peu inquiète du soulèvement d'Irlande.—Elle annonce que de nouveaux apprêts de guerre se font en Allemagne.—Déclaration des seigneurs anglais, que si la paix n'est pas bientôt rétablie en France, ils se joindront ouvertement aux protestants.—Retour des commissaires anglais envoyés à Rouen.—Hésitation de la reine d'Angleterre, qui se trouve également engagée par ses promesses envers les deux partis qui sont en armes en France.
Au Roy.
Sire, ceulx qui sollicitent icy les affaires de ceulx de la Rochelle et des princes protestans, voyantz les quatre ourques, qu'ilz avoient armées dans ceste rivière, estre à mon instance mises en arrest, qui aultrement s'en alloient prestes pour partir dans huict jours, ont faict, lundy et mardy de la sepmaine passée, soir et matin, une extrême dilligence, envers ceste Royne et les seigneurs de son conseil, de faire lever le dict arrest et d'obtenir d'aultres provisions, qu'ilz pourchassoient pour l'entretennement de leur guerre. Sur quoy, arrivant le mercredy à Otlan, je trouvay qu'ilz y estoient encores avec grand espérance d'obtenir une pleyne et entière déclaration de ce qu'ilz demandoient. Néantmoins s'estantz ung peu retirez, les seigneurs du conseil sortirent à la salle de présence pour tretter paysiblement avecques moy des choses que j'avois à dire à leur Maistresse, à laquelle incontinent après ilz m'introduyrent, et je cogneuz par le propos qu'elle me commança qu'il n'y avoit guières qu'elle avoit débattu du faict de ceste guerre avec monsieur le cardinal de Chastillon; car elle m'en parla tout soubdain, et travailla beaulcoup de descouvrir de moy si Vostre Majesté estoit fermement résolue de vouloir mettre fin à ceste guerre et aulx différans de la religion par les armes. Sur quoy, sans m'advancer de rien, j'escoutay paysiblement son discours, lequel pour estre long je remettray, Sire, à le vous faire entendre par ung des miens que j'envoyeray bientost le vous réciter; seulement vous diray qu'il semble que, du costé d'Allemaigne et d'icy, l'on envoyera devers Voz Majestez Très Chrestiennes pour en sçavoir vostre intention, affin de veoir si la cause de la religion va séparée de celle de l'estat ou non, pour, puys après, faire là dessus une déterminée résolution en leurs affaires.
Je fiz un particullier récit de l'estat des vostres à la dicte Dame, tant de ce que Monsieur, frère de Vostre Majesté, s'alloit remettre en campaigne que de ce que ceulx de la Rochelle avoient exploicté de leur part, et de la nouvelle levée des Suysses, et de celles des gens de pied françoys, jouxte le contenu de voz lettres, luy touchant à propos ung mot du desplaysir que vous aviez d'entendre la sublévation de son pays d'Irlande, à quoy vous n'estiez prest de tenir aulcunement la main; ains au contraire, si vous y pouviez quelque chose pour la conservation de son estat et authorité au dict pays, vous me commandiez luy dire que vous vous y offriez de bon cueur. Et poursuyviz les aultres particullaritez, que j'avois à luy dire des choses d'Allemaigne et de celles d'icy, de celles de la Rochelle et de la restitution des prinses, avec grand soing de la disposer envers vous et vos présens affaires, le mieulx que je le pouvois faire.
La dicte Dame me respondit que, pour la confiance que Voz Majestez Très Chrestiennes monstriez avoir d'elle en voz affaires, en les luy faisant ainsy privéement communiquer, elle se sentoit obligée d'en desirer la prospérité, comme certes elle faisoit, et vous prioyt de croyre que, demeurant la religion, de laquelle elle estoit, en son estat, elle desiroit au reste que vostre coronne et vostre grandeur et authorité, ensemble celle de la Royne, vostre mère, demeurassent aussi entiers et sans diminution comme elle le desiroit pour elle mesmes; et que la sublévation d'Irlande n'estoit guyères dangereuse, car estoit chose assés ordinaire à ces sauvaiges, de laquelle elle sçavoit desjà comment en debvoir sortir; qu'aussy aysé, disoit elle, fût il de remédier aulx troubles de vostre royaulme: néantmoins elle ne layssoit de vous estre aultant attenue de l'offre que luy faisiez en cella, comme s'il y alloit de la propre coronne d'Angleterre; dont me prioyt vous en présenter son meilleur salut et son bien exprès mercyement par mes premières; et que, si vous aviez heu ceste bonne pensée pour elle à la conservation de son pays, qu'elle en avoit heu premier une aultre pour vous pure et droicte à la conservation du vostre, et s'estimeroit encores bien heureuse s'il luy en pouvoit venir une segonde en l'entendement, pour la mettre en termes, qui vous fût aultant agréable comme elle la vous desiroit bien fort utille; que touchant les choses d'Allemaigne, Quillegrey luy avoit escript qu'ung comte du pays, non à la vérité de ces grandz, mais bien ung des principaulx et plus estimez aulx charges de la guerre, luy avoit dict qu'il estoit très asseuré qu'une aultre levée d'Allemans, de pied et de cheval, estoit preste et qu'elle marcheroit bientost pour aller secourir la cause de leur religion, comme avoit faict celle du duc de Deux Pontz; et que, des quatre ourques dont je luy avois parlé, elle les avoit faictes arrester; et pour la restitution des biens des Françoys, qu'elle en avoit signé une lettre, laquelle elle commanda sur l'heure au secrétaire Cecille de me la monstrer et m'en bailler la coppie.
Et ainsy, je me licentiay en bien fort bons termes de la dicte Dame; néantmoins, au partir d'elle, retrouvant encores aulcuns de ces seigneurs dans la salle, l'ung des principaulx me dict, comme en riant, et toutesfoys en façon qui ne sembloit se moquer, que si nous ne sçavions avoir la paix avec les nostres, ilz ne la pourroient ny vouldroient avoir avecques nous; et adjouxta avec sèrement, et comme homme qui sembloit y avoir regrect, que si Vostre Majesté menoit cecy à l'extrémité des armes, qu'il voyoit que les choses n'yroient bien entre ces deux royaulmes. Et despuys, j'ay entendu que Dolovyn a mandé continuer l'aprest des ourques, et qu'il espère avant quinze jours faire lever l'arrest d'icelles, lequel terme je crains bien fort que se raporte au temps qu'ilz entendent que ces aultres Allemans commanceront de marcher, et qu'ilz veulent lors mettre tout le reste de leur apareil en mer. Ilz dépeschent promptement deux des grandz navyres de guerre pour conduyre la segonde flotte qui va en Hembourg, et les dix aultres, qui sont prestz, demeurent dans la rivière de Rochestre, oultre ung bon nombre d'aultres qui sont en équipaige dans divers portz de ce royaulme. Je ne seray cependant ny paresseux, ny endormy sur leurs actions, à mettre en besoigne tout ce que je pourray pour les modérer, et au moins pour les vous mander d'heure à aultre, ainsy que je les verray advenir.
Les merchans qui estoient allez à Roan sont revenuz, qui font ung très bon rapport de Mr. le mareschal de Cossé et de ceulx avec qui ilz ont eu affaire. Il est venu deux aultres merchans françoys avecques eulx; je les ay toutz ouys parler et semble que les différans et difficultez qui se font, des deux costez, se pourront aulcunement accommoder. Il avoit esté respondu au secrétaire de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne que son maistre pourroit venir à l'audience quant il luy plairroit, et despuys estant renvoyé pour sçavoir l'heure d'icelle, l'on luy a opposé nouvelles difficultez qui mettent la matière en longueur. L'on n'attend que l'arrivée de ceulx qui, en l'assemblée de St Jehansthon le xxve du passé, ont esté depputez par le comte de Mora pour venir icy, affin de procéder incontinent après au faict du restablissement de la Royne d'Escoce. Sur ce, etc.
De Londres, ce xe d'aoust 1569.
L'on me vient d'advertir que ceste levée de reytres, dont ceste Royne m'a cy dessus parlé, se faict par des nepveuz du feu duc de Deux Pontz, oultre celle du duc de Cazimir, et que par lettres de Quillegrey, du xxıȷe du passé, l'on a adviz qu'ilz marcheront aussitost que xıııȷ mil livres esterlin, c'est envyron quarante sept mil escuz, restans de xl mil livres esterlin, dont souvant j'ay faict mencion, seront fornyes, lesquelles seront bientost prestes. Je mettray peyne de sçavoir plus au vray ce qui en est.
A la Royne.
Madame, ce que j'escriptz présentement en la lettre du Roy est pour vous représanter toutjour l'estat auquel me semble que continuent les choses de deçà, et le jugement qu'on peult faire à quoy elles deviendront, sellon les propos que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de son conseil m'en ont tenu, qui certes monstrent, elle et eulx, d'estre en perplexité comment ilz pourront satisfaire aulx contraires promesses, qu'il semble qu'ilz ont faictes aulx deux parties; sçavoir, à Voz Majestez Très Chrestiennes de persévérer en la paix et aulx aultres d'estre avec eulx en ceste guerre, avec lesquelz on voyt bien desjà qu'ilz sont de volonté et de plusieurs secours, que soubz main ilz leur ont baillé et baillent encores toutz les jours; mais les aultres, ne se contantans de cella, les pressent de se déclairer davantaige ouvertement pour leur cause, estimans que cella portera grand faveur, et bien fort grand dommaige à la vostre; à quoy par leurs apprestz ilz monstrent certes se disposer, bien que leurs parolles, mesmement celles de la dicte Dame, ne sont rien moins qu'à la déclaration de guerre, dont est mal aysé de préveoir au vray ce qu'ilz feront; et croy que eulx mesmes ne l'ont encores plus expressément déterminé que de commettre leurs entreprinses à ce que le temps et l'occasion leur présentera. La dicte Dame a respondu résolument qu'elle ne prestera poinct d'argent sur les bagues de la Royne de Navarre, laquelle responce a esté pour satisfaire Vostre Majesté et contanter aulcuns de ce conseil; mais en effect le sieur Grassan faict secrectement toute la dilligence qu'il peult, pour trouver en ceste ville les xxx mil livres esterlin, dont en mes précédantes je vous ay faict mencion: et ainsi, la pluspart des choses qui s'obtiennent, icy et en Allemaigne, au proffict de ceulx de la Rochelle, sur le crédit et moyen de la dicte Dame, se mènent sans le sceu d'aulcuns principaulx de ce conseil, et quelque foys sans celluy mesmes de la Royne, et souvant contre l'intention d'elle et d'eulx, et si secrectement que je suys en grand peyne de les descouvrir. Il est freschement arrivé de la Rochelle ung Allemant, et en sa compaignie ung Françoys, de qui je ne sçay encores le nom, qui ont aporté toutz deux plusieurs lettres de leur camp à ceste Royne et aulx seigneurs de son dict conseil; je mettray peyne de sçavoir que c'est, et prieray atant le Créateur, etc.
De Londres ce xe d'aoust 1569.
LIIe DÉPESCHE
—du XVe jour d'aoust 1569.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Bordillon.)
Continuation de l'armement des navires dont l'arrêt a été prononcé.—Détails sur la nouvelle flotte destinée pour Hambourg.—Résultat de l'assemblée de Saint-Johnstown en Écosse.—Refus fait par le comte de Murray de consentir à aucun accord avec Marie Stuart.—Arrivée à Londres des déclarations touchant la cession que la reine d'Écosse est accusée d'avoir faite de ses droits au trône d'Angleterre.—Nouvelles de la Rochelle.—Grandes espérances des protestants de France.—Lettre de M. de Chatillon à un seigneur anglais.—Relation envoyée par ceux de la Rochelle à Élisabeth, de leurs opérations militaires depuis leur jonction avec le duc de Deux-Ponts.—Combat de la Roche-Abeille.—Défense de Niort.—Défaite des capitaines Richelieu et Lancereau.—Prise de Chabanois par l'amiral de Coligni.—Siége de Lusignan.—Déclaration des protestants, qu'ils ne demandent qu'un dernier édit de pacification.—Nouvelle ordonnance de la reine d'Angleterre contre les pirates.
Au Roy.
Sire, cest apareil des quatre ourques et des trois aultres vaysseaulx, qui debvoient sur la fin de la sepmaine passée sortir de la rivière de Londres, ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes, monstroient s'adresser ou contre voz subjectz, ou sur quelque endroict de votre royaulme, parce que les Srs. de Jumelles, Du Doict, de Launay de Bretaigne, le jeune Mouy, Sainct Fale, l'Allement naguières revenu de la Rochelle, et aulcuns aultres Françoys, se randoient conducteurs du Sr. Dolovyn, général de la flotte; dont s'estant trouvé le dict Dolovyn et ses ourques en arrest, eulx aussi sont demeurez arrestez jusques icy: mais ne tiennent pourtant leur entreprinse délayssée, ains se préparent toutjour pour l'aschever, ayant desjà miz les armes, les monitions, pouldres, vivres et encores quelques enseignes, que je présupose estre de ces compaignies des Flamans qu'ilz prétendent s'embarquer, et plus de cent cinquante pièces de fer de fonte, tout dedans leurs vaysseaulx, et sollicitent au possible de faire lever le dict arrest: ce que je crains bien fort qu'ilz obtiennent, car j'entendz qu'à icelluy Doloyvn, quant il a dressé son équipage, le capitaine Peletan, lieutenant de l'artillerye, luy a promiz fornir de la Tour quelque quantité de pouldres, ung nombre de piques et de haquebutes, et il aschapte des corseletz à la ville, qui n'est sans que aulcuns de ce conseil luy tiennent la main en cella; lesquelz, possible, n'en advouhent rien, meintennant que la chose est descouverte, néantmoins ilz s'esforceront de faire que l'entreprinse ne réuscisse vayne, comme desjà semble qu'on veuille permettre à icelluy Dolovyn de sortir, en baillant caution ou bien prenant la moictié des mariniers qui soyent de ce pays: à quoy il dict qu'il ne veult condescendre. Je feray tout ce qu'il me sera possible pour l'empescher, et cependant Vostre Majesté fera, s'il luy playt, advertyr en la coste de Normandie et Picardie qu'on se tienne sur ses gardes, et aussi à Brest et à Bourdeaulx; car il a esté tenu propoz entre eulz de ces deux lieux.
La première flotte, que ceulx ci avoient envoyé en Hembourg est desjà de retour dans ceste rivière, et dict on qu'elle vient assés bien pourveue de merchandises aschaptées de dellà, ce qui contante aulcunement les merchantz, et faict ung merveilleux playsir à ceulx de la nouvelle religion, qui remonstrent par ce commancement de traffic qu'on se pourra dorsenavant passer d'aller en Envers. Les navyres, qu'on disoit que le duc d'Alve avoit faict armer en Olande et Zélande, n'ont monstré aulcun semblant de les empescher; dont ceste segonde flotte pour le dict Hembourg, qui est d'envyron xxv vaysseaulx, s'en va partir plus confidentment le xxve de ce moys, soubz la conduicte de deux seulz navyres de guerre de ceste Royne, affrettez et avitaillez aulx despens des merchans, comme asseurez qu'ilz ne trouveront point de rencontre, bien qu'il semble que l'entremise d'accorder les différantz des Pays Bas soit, despuys quelques jours, ung peu réfroydie; et ceulx cy passent toutjour oultre à faire vandre les merchandises des Espaignolz, dont en a esté vendu, despuys huict jours, pour xx mil escuz en ceste ville, qu'on les estime valloir plus de soixante mille. Je crains fort que l'argent de la dicte vante aille à l'entretennement de la guerre de France ou aulx levées d'Allemaigne.
J'entendz que le comte de Mora, encor qu'il ayt proposé le faict de la Royne d'Escoce en termes indifférantz, qui sembloient laysser le libre jugement d'icelluy à ceulx de l'assemblée tenue à St. Jean Sthon le xxve du passé, a néantmoins faict, par les voix et suffrages de ceulx de son party, qui s'y sont trouvez en plus grand nombre que les aultres, que rien n'y ayt esté déterminé à l'advantaige de la dicte Dame, et a envoyé ung simple messagier devers ceste Royne pour s'excuser de ne pouvoir entendre à nul expédiant de la restitution de la dicte Royne d'Escoce, sans offancer sa conscience et sans préjudicier au petit Roy, son Maistre, et au bien du pays; et qu'il estime l'avoir desjà assés estably pour le pouvoir deffandre par la force: ce que monsieur l'évesque de Roz a opinion que ne sera aprouvé de ceste Royne ny de ceulx de son conseil; dont, dans peu de jours, nous en sçaurons la résolution, car je m'en vays pour cest effect, et pour la restitution des prinses, trouver demain la dicte Dame, estantz l'excuse du dict comte de Mora et la déclaration de Voz Majestez, touchant le titre de ce royaulme, arrivez à poinct pour estre en mesme temps trettez et débatuz avec la dicte Dame et les seigneurs de son conseil. Sur ce, etc.
De Londres ce xve d'aoust 1569.
Je viens tout présentement d'estre adverty qu'il a esté mandé à monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, qu'il aura audience, quant il vouldra, de ceste Royne, en faisant aparoir qu'il ayt receu lettre du Roy Catholique, despuys celle que la dicte Dame luy a escript cest yver en latin. Je ne sçay encores si le dict sieur ambassadeur acceptera la dicte condicion. Je vous envoye la coppie d'une nouvelle proclamation que la dicte Dame a faicte contre les pirates.
A la Royne.
Madame, j'ay miz en la lettre du Roy les particullaritez, qui servent de principal argument pour la dépesche que je fays présentement à Voz Majestez, demeurant le reste des choses d'icy au mesmes estat que je vous ay naguières mandé, du xe du présent, et ne fauldray de vous escripre toutjour ce que, jour par jour, je verray advenir de plus ou de moins en icelles. Cella vous diray je, icy, davantaige, Madame, que l'Allemant et le Françoys, naguières arrivez de la Rochelle, semblent estre principallement venuz pour représanter l'estat de leur armée et de leurs affaires à ceste Royne, et solliciter quelques deniers, qu'ilz attandent de ce royaulme. Ilz ont distribué plusieurs lettres, dont par l'extraict de l'une, qui est de monsieur l'Admyral, et d'ung discours, lequel à grand difficulté j'ay recouvert, Votre Majesté verra de quelle façon ilz parlent de leur faict, et seray bien ayse d'estre advisé s'ilz ont envoyé à Voz Majestez la remonstrance dont ilz font mencion en icelluy[10]; car ceste Royne m'en a parlé fort expressément ainsy que je le vous [ferai] plus à plain entendre par ung des miens, que sur aultres occasions je dépescheray devers Voz Majestez, aussitost que le Sr. de Vassal, que je vous envoyay sur la fin du mois passé, sera de retour. Le dict Allemant s'enreva à la Rochelle et dict on qu'il est à ce comte de Mensfelt, qui est avec eulx, lequel est pensionnaire de ceste Royne.
Le conseiller Cavaignes a faict quelque semblant de vouloir aussi repasser à la Rochelle, pour aller prendre la charge qu'avoit au dict lieu le conseiller Bourg son beau frère, qu'on dict estre despuy naguières décédé. Je ne sçay encores s'il partira. Toutz ceulx cy de la nouvelle religion se monstrent, à ceste heure, grandement relevez en l'espérance de leurs affaires, faisans estat que Poictiers sera prins, et que ceulx de dedans, voyans ne pouvoir estre secouruz, ont desjà commancé de parlementer; que l'armée du Roy ne pourra de long temps estre rassemblée, et que cependant la leur aura exploicté beaulcoup de choses à leur proffict; et que bientost le renfort, qu'ilz attandent encores d'Allemaigne, entrera en France, pendant que les aultres princes catholiques ne s'esmeuvent guières chauldement pour réprimer leur entreprinse. Sur ce, etc.
De Londres ce xve d'aoust 1569.
COPIE D'UNE LETTRE APORTÉE DE LA ROCHELLE.
Monsieur, ayant entendu par toutes les dépesches que m'a faictes monsieur le Cardinal, mon frère, et mesmes par la dernière que m'a aportée Mr. du Puench, de quelle bonne volonté et affection vous embrassez les affaires qui se présentent par dellà pour le bien de ceste cause, et la bonne assistance que vous donnez en iceulx à mon dict sieur le Cardinal, davantaige ce que vous faictes, à toutes occasions, pour son particullier, je n'ay vollu faillir, par ce pourteur s'en retournant, de vous en faire ung bien fort affectionné remercyement, attandant que Dieu me donne le moyen de le pouvoir recognoistre en quelque bon endroict envers vous ou les vostres, lequel s'offrant vous vous pouvez asseurer, Monsieur, que je mettray peyne de ne demeurer ingrat de tant d'obligation que nous vous avons, lesquelles néantmoins je vous prieray d'accroistre par toutz les aultres playsirs que vous nous pourrez faire cy après; car ayant la charge que nous avons sur les braz à suporter, vous sçavés que nous aurons, tant qu'elle durera, bon besoing de l'ayde, faveur et assistance de Sa Majesté, ce que vous estant assés cogneu que nous ne pouvons avoir du mal à faulte d'estre secouruz que vous ne vous en sentiez bientôt après, je ne m'estendray, avec le bon zèle que je sçay que vous avez à ce qui nous touche, à vous faire ceste plus longue que pour me reccommander bien affectionnéement à vostre bonne grâce et suplier Dieu vous donner, Monsieur, en sancté, augmentation des siennes.
Et est escript par postille—du camp de Busserolles, ce vıe jour de juillet 1569.
Et plus bas,
Vostre entièrement bon amy
Chastillon.
DISCOURS ENVOYÉ DE LA ROCHELLE A LA ROYNE D'ANGLETERRE.
Parce que nous ne voulons faillir, par toutes les commoditez et occasions que nous pourrons avoir, de tenir la Majesté de la Royne d'Angleterre au vray advertye, et Messieurs de son Conseil, de l'estat de noz affaires de deçà, comme il est très raysonnable, tant pour le regard des obligations que nous luy avons, que pour la connexité de la cause commune et chrestienne, que nous soubstenons au priz de noz vies et biens, nous avons advisé d'envoyer à monsieur le Cardinal de Chastillon ce petit discours, pour faire entendre à Sa Majesté comme, après que nous fusmes advertys du passaige du feu duc de Deux Pontz à la Charité, avec les forces qu'il avoit tant d'Allemans que de Françoys, et qu'il s'acheminoit pour nous venir joindre, et que Monsieur, frère du Roy, avoit joinct les forces de Mr. d'Aumalle, qui dellibéroient d'empescher les passaiges au dict feu sieur Duc, il fut advisé d'aller audevant d'icelluy, et de passer la Vienne, et de marcher jusques auprès de la ville de Limoges, où on leur assigna le rendez vous, affin de les recuillir le plus tost qu'on pourroit; et que pour cest effect messieurs l'Admyral et de La Rochefoucault prendroient l'eslite de nostre armée, principallement de l'arquebouzerie, pour le grand besoin qu'en avoit le dict feu sieur Duc pour passer les détroictz, où s'estans acheminez les dictz sieurs Admyral et de La Rochefoucault, ilz furent advertys que le dict feu sieur Duc avoit desjà passé la dicte rivière de Vienne, et qu'il estoit logé à deux lieues de la mayson d'Escars, où le logis du dict sieur Admyral fut faict: lequel, sans s'arrester en son dict logis, passa oultre pour aller trouver le dict feu sieur Duc, auquel il ne peult parler, à cause qu'il estoit à l'extrémité de sa malladie, dont il morut peu d'heures après; qui est chose, qui doibt bien estre à jamais remarquée comme ung singulier et expécial œuvre de Dieu, qui ayt vollu faire ceste grâce, et donner moyen à ce prince de traverser tant de pays avec ung grand attirail d'artillerye, d'infanterie et de bagaiges, et à la teste et veue d'une grand armée, et de passer tant de rivières, tant de lieux et détroictz difficiles et périlleux, et telz qu'il n'est mémoire qu'armée en ayt jamais passé de semblables, et par où, à grand peyne, peult on dire qu'une seule charrette eust peu passer, de façon qu'il semble que cella soit ung songe à ceulx qui ne l'ont poinct veu; et qu'estant hors de dangier, et au lieu où il souhaytoit, pour secourir les esglizes de ce royaulme, le jour mesmes Dieu l'ayt vollu retirer à soy; et qui plus est que sa mort n'ayt aporté aulcun changement ou nouvelleté en son armée, qui ayt peu empescher qu'on n'ayt tellement négocié et accordé avec les chefz, colonnelz et reytres de la dicte armée, sur les difficultez qui s'offroient, et qu'en bien peu de jours on ne les ayt randuz contantz, tant pour le regard de leurs payemens et sur les aultres faictz qui se pouvoient révoquer en doubte; ce que fut faict à St. Yriès la Perche; pendant lequel séjour, Monsieur, frère du Roy, ayant joinct ses forces d'Itallie, se vollut aprocher avecques son armée à deux lieues près de nous, où il fut résolu de l'aller veoir, et d'essayer de le combattre; et ayans trouvé en teste près de leur logis, en ung passaige où il y avoit ung ruysseau et des marescaiges, le Sr. Strossy, colonnel général des bandes françoyses, logé avec toute la fleur de leur infanterie, il fut tellement chargé qu'il fut prins prisonnier, son lieutenant thué et ses meilleurs capitaines, et de cinq à six cens soldatz, sans que jamais le reste de leur armée, qui voyoit jouer le jeu, se vollût mettre en campaigne ny faire contenance de soubstenir leur infanterie; et n'eust été que, tout ce jour là, la pluye fut si extrême et si grande que noz harquebouziers ne pouvoient plus jouer, il y a bien aparance que l'exécution eust esté beaulcoup plus grande, et eust miz fin aulx différantz d'une part et d'aultre. Mais puysqu'il a pleu à Dieu que les choses soyent passées de ceste façon, nous avons assés d'occasion de le louer et remercyer, et de nous contanter. Despuys, on séjourna encores ung jour au lieu de St. Yriès pour veoir s'il ne prandroit point d'envye aulx ennemys d'avoir leur revenche; et, voyans qu'au lieu d'en faire quelque contennance, ilz ne comparoissoient plus despuys ce temps là, et qu'à ceste cause, il estoit besoing de prendre séjour en quelque pays fertil, où noz reytres peussent se reposer et rafreschir du travail de leur long voyage, on fit marcher l'armée du cousté où nous sommes à présent, delliberez et résoluz de cercher toutes les occasions pour attirer nos dictz ennemys au combat, comme la chose que nous souhaitons et desirons le plus.
Le mardy, xıııȷe de juing, le Sr. du Lude, et grande compaignie de cavallerye et infanterye, avec quatre canons et deux collevrines, commancèrent à battre Nyort, place assés mauvaise et mal aysée à fortiffier, en laquelle le Sr. de La Brosse estoit cappitaine, et y avoit assés peu de soldatz; ce qui fut la principalle occasion de faire entreprendre au dict Sr. du Lude de l'assiéger, mais le capitaine Puyviault, malgré les ennemys, y entra avec bon nombre de soldatz, et soubstint deux assaultz fort furieulx, que donnèrent les ennemys le premier de ce moys, desquelz y est demeuré mil ou douze centz; et ne fault oblyer que les femmes y ont faict plus de debvoir qu'on ne pouvoit espérer de leur sexe. Entre toutz, les dictz La Brosse et Puyviault y ont acquiz grande réputation, estantz toutjours à la bresche, où, encores qu'ilz fussent blessez en plusieurs endroictz, ilz ont repoussé les ennemys avec si grand perte de leurs gens, et tel estonnement et confuzion, que, entendans d'aultre part que le secours, que nous envoyions à ceulx de dedans, estoit prochain, ilz levèrent le siège si hastivement, le sabmedy ıȷe de ce moys, qu'ilz ont laissé ung de leurs canons. Monsieur de Telligny, qui conduysoit le dict secours, lequel estoit de huict cornettes de Françoys et quatre de reytres, les a poursuyviz de si prez, que, n'ayantz eu loysir de gaigner Poictiers, ilz ont esté contrainctz retirer à St. Maixant le reste de leur artillerye, avec leur infanterie et cavallerye à Partenay, et meintennant les tient serrez de si prèz et encloz (leur empeschant les vivres, cependant que nostre camp s'aproche), qu'il est mal aysé qu'ilz se puissent saulver.
La nuict du mercredy, Mr. de La Noue, gouverneur de Rochellois, ayant assemblé quelques forces de son gouvernement, sortit de la Rochelle pour aller secourir le dict Nyort, et fut adverty que à Frontenay Labattu, distant de trois lieues du dict Nyort, les compaignies des capitaines Richellieu et Lancereau estoient logées, lesquelles il surprint si à propos qu'il en fut thué envyron trois cens et plus de deux centz chevaulx prins.
Le jeudy vıȷe, monsieur l'Admyral print par force Chabanois, où tout fut miz en pièces, réservé le capitaine nommé La Planche. Luzignan est meintennant assiégé et sur le poinct d'estre emporté, de là nous espérons aller devant Poictiers.
Le comte de Mongommery, avec les Viscomtes, est party de Montauban et a donné jusques dedans les portes de Thoulouse, et ruyné l'abbaye de St. Jean Roch, qui est aulx faulx bourgs avec grand estonnement de toute la ville.
Et pour ce que nous avons eu toutjour en singulière recommendation de justiffier noz actions de plus en plus, et faire toucher au doict et à l'œil l'équité et justice de ceste cause, encore qu'elle doibve assés estre cognue et manifeste à tout le monde, il fut advisé, quant nous eusmes accordé avec noz reytres et faict leur payement, de dresser et envoyer une remonstrance au Roy, meintennant que nous avons, avec l'ayde et assistance divine, assés heureux succez et aparance d'advantaige sur noz adversaires, pour estre aussi, cy après, publiée par toute la chrestienté, affin qu'on cognoisse de quel pied nous marchons en ce faict; et si nous sommes menez et poussez pour aultre fin que pour la conservation de la liberté de noz consciences, de nostre religion, de noz honneurs, et de noz vies, et de noz biens; et s'il tient à nous qu'on ne paciffie les troubles qui sont en ce royaulme. Ce qui servira pour ceulx, lesquelz mal advertys ou passionnez, publient que nous voulons attempter à l'estat duquel nous avons toutjours esté aultant zélateurs et desireulx que noz ennemys en ont esté envyeulx et marrys, et [qu'ilz ont] troublé le repos et tranquillité d'icelluy.
ORDONNANCE FAICTE PAR LA ROYNE D'ANGLETERRE CONTRE LES PIRATES.
La Majesté de la Royne entend que, combien que, par ses premières ordonnances et proclamations, il ayt été notiffié à ses subjectz, nomméement aulx officiers de ses portz, de arrester les pirates et faire cesser toutes pilleryes, si est ce que quelque nombre de vaysseaulx, armés et conduictz par certaines désordonnées personnes, de diverses nations, hantent encores toutjours les mers estroictes, et ressortent secrectement en petites criques et places secrectes de ce royaulme, pour y prandre vivres et aultres choses à eulx nécessaires, et se font licencier de se mettre en mer pour donner couverture à leurs entreprinses, affin qu'ilz ne soyent prins comme pirates.
Pour à quoy remédier, et affin que ce prétexte ne puisse, en aulcune manière, ayder à telles personnes à commettre leurs pilleryes, ny à ceulx qui, pour leur gain particullier ou en faveur d'iceulx, les vouldroient favoriser soubz une fainte prétention d'ignorance,
Sa Majesté estroictement charge et commande à toute manière d'officiers et ministres ayantz gouvernement et charge dans aulcun port de ville, ou ayantz authorité de faire depputez soubz eulx en aulcune petite crique, de quelque part que ce soit, que dorsenavant il ne soit souffert à aulcunes personnes, vennantz de la mer, d'avoir vivres, monitions ou aultres choses nécessaires pour eulx, leur compaignie ou vaysseaulx, s'ilz ne sont notoirement cogneuz estre de l'équipage des vaysseaulx merchandz, passagiers, ouy pescheurs, ayantz affaire par deçà; deffendant en oultre de rien achapter ou recepvoir, directement ou indirectement, des dictes personnes vennantz de la mer, jusques à ce que les merchandises ou biens ayent esté aportez et miz à terre, et aulx places accoustumées sellon les loix de ce royaulme, avec le consentement des officiers des coustumes, et que toutz debvoirs ayent esté payés pour iceulx, sellon l'usaige des merchandz, sur peyne à ceulx qui feront le contraire ou qui en seront consentz, d'estre miz en prison et y demeurer jusques à ce que inquisition aura esté faicte (sellon les loix de ce royaulme) d'eulx et de leurs faictz, comme en cas de pilleryes, et d'estre jugez et puniz comme pirates, ainsy que par les loix sera ordonné; et quiconque donnera information de ce contre aulcun officier des coustumes ou quelcun de ses depputez, et le pourra prouver, et [si] il est capable d'exercer le dict office, il le jouyra, ou aultrement sera deuhement et libérallement récompensé selon ses mérites.
Davantaige Sa Majesté veult et entend que toute sorte d'officiers, et expéciallement Gardes des portz, Visadmyraulx, Connestables et Capitaines des châtaulx, assis dessus la mer, et toutz aultres, ayantz office en portz de ville ou places à prendre terre, respondront par cy après, à leur plus grand et extrême péril, de faire leur dilligence en leurs jurisdictions, de s'enquérir, mettre guet; et par ce moyen apréhender toutes navyres de personnes qui hantent la mer avec vaysseaulx armez, et n'estantz pas merchantz aparans, et entièrement arrester toutz aultres qui équiperont leurs vaysseaulx en guerre, exepté seulement ceulx qui seront notoirement cogneuz estre ordinaires merchandz, passaigiers ou pescheurs; et de n'adlouer dorsenavant ou admettre aulcune allégation de licence à naviguer sur la mer avec vaysseau armé, à personne, quelle qu'elle soit, si ce n'est à ceulx qui sont bien cogneuz apartenir à Sa Majesté, et qui peuvent estre envoyez en mer pour la tenir libre de pirates.
Et si quelcun est trouvé coulpable ou manifestement négligent à cella, Sa Majesté leur faict entendre qu'ilz seront puniz avec telle sévérité que l'exemple en demeurera cy après aulx aultres pour se garder d'offancer en mesme cas.
Donné à Otlan le ııȷe jour d'aoust 1569, à l'unziesme an du règne de Sa Majesté.
LIIIe DÉPESCHE
—du XXIIe d'aoust 1569.—
(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)
Arrivée en Angleterre des députés envoyés de Rouen pour traiter de la restitution des prises.—Bonne réception qui leur est faite.—Espoir qu'un accord ne tardera pas à être conclu.—Plainte de l'ambassadeur à Élisabeth, au sujet de l'armement des navires qui se continue, malgré l'arrêt qu'elle a ordonné.—Déclaration de la reine, que ces navires appartiennent au prince d'Orange, qui les fait armer pour se défendre contre le duc d'Albe, et qu'elle en a tacitement autorisé la sortie.—Prochain départ du conseiller Cavaignes, qui est remplacé par le sieur Dudoit en sa charge d'agent des protestants de la Rochelle.—Vives instances faites par l'ambassadeur auprès de la reine d'Angleterre en faveur de la reine d'Écosse.—Élisabeth annonce qu'elle y pourvoira, et que déjà elle a refusé de recevoir le message du comte de Murray.—Elle s'emporte en grande colère contre Marie Stuart, et menace de l'échafaud, en présence de l'ambassadeur, plusieurs des seigneurs de son conseil.—Préparatifs d'une nouvelle flotte qui semble destinée pour la Rochelle.—Les seigneurs d'Angleterre insistent de nouveau pour qu'une pacification se fasse en France.
Au Roy.
Sire, j'ay esté trouver la Royne d'Angleterre sur son progrès à Fernan Castel, qui est trente cinq mille loing d'icy, pour luy présenter les deux depputez de Roan, lesquelz elle a bénignement ouys; et, de tant qu'ilz venoient par vostre commission, elle les a admiz à luy baiser la main, et leur a dict en général qu'elle ne vous donroit l'advantaige de faire aulcune chose en faveur et proffict des Anglois, qu'elle n'en fît aultant ou plus, pour l'honneur de Vostre Majesté, en faveur des Françoys, et qu'ilz pourroient au reste, moy présent, proposer à ceulx de son conseil ce qu'ilz avoient à dire, lesquelz satisferoient aultant abondantment à leurs justes remonstrances comme par rayson et justice il seroit possible de le faire. Puys tretta de ce faict à part avecques moy, ensemble du chastiement des pirates et de la continuation du commerce; en quoy nous eusmes aulcuns petitz différans, lesquelz je incistay fort qu'ilz fussent reiglez sellon les trettez de paix, et conduysis le propos à luy toucher ung mot de l'impression de guerre, où je sçavois qu'on l'entretenoit, et qu'elle ne la vous debvoit aulcunement commancer, ny craindre aussi que Vostre Majesté, sans estre expressément provoquée, la luy commançeât; en quoy, pour monstrer qu'elle donnoit quelque lieu à ma remonstrance, elle me satisfit assés bien sur les particullaritez dont je luy avois parlé; ce qui me fit passer oultre à luy remonstrer davantaige bien vifvement, qu'après qu'à mon instance elle avoit commandé d'arrester les quatre ourques et trois aultres vaysseaulx qu'on avoit armez dans ceste rivière, l'on n'avoit layssé de les préparer et avitailler secrectement pour les getter du premier jour dehors: ce qui estoit grandement contre sa parolle et contre sa promesse.
A quoy elle me respondit que, sur la première remonstrance que je luy avois faicte là dessus, elle s'estoit enquise du faict de ces vaysseaulx et avoit trouvé qu'à la vérité l'homme du prince d'Orange, qui les armoit, avoit quelque entreprinse en main, mais elle la luy avoit rompue, et luy avoit cassé trois ou quatre centz soldatz, qu'il avoit toutz pretz et bien armez, et qu'elle s'estoit courroucée à son admyral d'avoir permiz cest armement dans ceste rivière, sans luy en avoir rien dict; mais qu'à présent ce n'estoit plus chose que je deusse craindre. Il est vray que luy ayant le dict homme du prince d'Orange faict aparoir qu'il avoit achapté les dictes ourques, et que c'estoit le ruyner du tout de les luy oster, elle luy permettroit de les admener sans faire semblant d'en rien sçavoir.
A cella je m'oposay bien ferme, et qu'elle debvoit penser, puys qu'il sortoit armé de ceste rivière, qu'elle seroit responsable de tout le mal qu'il feroit.
Elle me répliqua qu'il n'admèneroit poinct de gens de guerre, et qu'il n'yroit aulcunement contre voz pays ny subjectz, mais qu'il luy estoit besoing de se conduyre bien seurement pour doubte du duc d'Alve, qui l'avoit faict pilloriser en effigie, et ne failloit doubter qu'il ne le fît exécuter en personne, s'il le pouvoit prendre; et m'en parla en telle façon qu'elle ne me layssa moyen de l'en presser davantaige.
Bien sceuz je, avant partir du dict lieu, que aulcuns Françoys, qui avoient dellibéré se mettre ès dictes ourques, sollicitoient ung congé de s'aller embarquer ailleurs pour passer à la Rochelle, et qu'il leur avoit desjà esté ottroyé ung passeport pour quarante hommes seulement, mandant de les laysser sortir de ce royaulme avec leurs armes; dont, de tant que ceulx là se sont desjà acheminez hors d'icy, j'ay envoyé en divers lieux veoir où, et quant, et quel sera l'embarquement. Le conseiller Cavaignes est de la partie, au lieu duquel j'entendz que le Sr. Du Doict demeurera, icy, agent. Par ainsy se cognoist que le voyage des dictes ourques estoit premièrement entreprins pour aller descendre en France, dont, Sire, je vays ainsy peu à peu gaignant temps et tout ce que je puys envers ceste princesse; car, au demeurant, il y a ung apareil de guerre tout prest en son royaulme.
Je diz puys après à la dicte Dame, suyvant vostre lettre du xxıȷe de juillet, et suyvant plusieurs aultres de la Royne d'Escoce, que puysqu'elle avoit meintennant receu les amples déclarations de Voz Majestez Très Chrestiennes et celle de Monsieur, frère de Vostre Majesté, et de monsieur le Cardinal de Lorrayne, sur la seurté du tiltre de son royaulme; et receu aussi, d'aultre part, la déclaration que le comte de Mora luy avoit mandée pour faire perdre le sien à la Royne d'Escoce, je la suplioys, au nom de la dicte Dame, et très instantment de la part de Voz Majestez Très Chrestiennes, qu'elle luy vollût promptement ottroyer la prévoyance et remède qu'elle luy avoit toutjour promiz. Sur quoy je luy admenay toutz les argumens que j'avois pour le luy persuader, et pour luy faire veoir que, comme c'estoit une entreprinse honnorable et utille, que aussi elle luy estoit nécessaire, et qu'elle ne pouvoit, ny debvoit plus la prolonger, ny aulcunement la reffuzer; aultrement qu'il failloit qu'elle la remît paysiblement ez mains de Vostre Majesté et vous mettriez peyne de l'exécuter, sellon que vous y estiez en plusieurs sortes bien fort obligé.
Elle se monstra aulcunement altérée et ung peu esmeue là dessus, et me respondit en propos amples, lesquelz seront trop plus convenables de vous estre récitez de bouche par ung des miens, que j'envoyeray bien tost devers vous, que de les mettre icy par escript; tant y a qu'en substance, elle me pria vous escripre qu'elle n'avoit encores eu loysir de veoir les déclarations, que luy aviez envoyées, lesquelles elle espéroit que seroient telles que je luy disois; et quant à celle du comte de Mora, qu'elle ne l'avoit vollue accepter, ny en tiltre de déclaration ny de responce, et avoit renvoyé son messaigier pour luy dire qu'il luy en eust à faire, tout promptement, une meilleure, ou qu'elle mesme se la feroit et pourvoirroit, sans luy, au faict de la Royne d'Escoce; et pourtant elle prioit Voz Majestez d'avoir pacience pour quinze jours seulement: car incontinent après, elle procèderoit en cest affaire d'une façon qu'elle espéroit ne debvoir estre que bien aprouvée de toutz les princes du monde; mais qu'elle me vouloit bien dire qu'elle avoit miz peyne d'estre plus que bonne mère à la Royne d'Escoce, là où elle, au contraire, s'estoit esforcée de faire plusieurs pratiques dans ce royaulme à son préjudice, et que celle qui ne vouloit bien user envers sa mère méritoit d'avoir une marastre; appelant là dessus ceulx de son conseil et monsieur l'évesque de Roz, ausquelz elle récita en françoys la plus part de ce que je luy avois dict, et pareillement la responce qu'elle m'avoit faicte, puys leur desduysit en anglois, en grand collère, aulcunes grandes pleinctes de la Royne d'Escoce, et menassa les plus habilles et les plus grandz de leur faire trancher la teste.
Je prins, quelque temps après, le propoz pour le ramener à doulceur, et pour aulcunement justiffier Voz Majestez et moy, vostre ambassadeur, de n'avoir jamais entendu en aulcunes sinistres pratiques, qui ayent peu tant soit peu altérer vostre commune amytié. A quoy elle me respondit, Sire, qu'elle vous en deschargeoit et moy aussi, et qu'elle sçavoit bien qui en estoient les coulpables.
Je me licentiay gracieusement de la dicte Dame, et me sembla, à veoir la contenance des principaulx d'auprès d'elle, qu'ilz estoient toutz esmeuz de ces propos, sur lesquelz monsieur l'évesque de Roz a despuys tretté avecques elle; et j'espère que bien tost je vous pourray mander tout ce qui aura succédé en cella, aydant le Créateur auquel je prie, etc.
De Londres ce xxıȷe d'aoust 1569.
Il semble que ceulx cy préparent encores une nouvelle flotte pour la Rochelle, sur quoy Vostre Majesté me commandera s'il fauldra que je m'y oppose, et que je leur offre que vous les ferez accommoder de vin et de sel, ez aultres endroictz de vostre royaulme, aulx pareilles conditions qu'ilz les vont quérir au dict lieu.
A la Royne.
Madame, oultre ce que j'ay touché en la lettre du Roy des propoz que la Royne d'Angleterre m'a naguières tenu à Fernan Castel, j'aurois à vous faire entendre plusieurs particullaritez et discours, qui sont intervenuz là dessus entre elle et moy; mais, parce qu'ilz seroient longs à mettre icy, je vous diray seulement, Madame, que quant à la restitution des prinses, et chastiement des pirates, et continuation du commerce, elle et ceulx de son conseil ont monstré de me vouloir beaulcoup contanter, et ont depputé quatre bons et honnestes merchantz de cette ville pour convenir avec ceulx de Roan de toutes leurs difficultez; ès quelles, s'ilz correspondent d'effect à ce qu'ilz promettent de parolle, j'espère qu'on ne se despartira sans quelque accord, et avons cependant prolongé la mutuelle restitution jusques au prochain jour de St. Michel.
La dicte Dame m'a parlé du siège de Poictiers et de la remonstrance, que ceulx qui sont devant ont envoyé faire à Voz Majestez pour se justiffier de la continuation de ceste guerre sur la deffance de leur religion et de leurs vies, laquelle ilz disent estre très légitime; et ay cogneu qu'ilz avoient envoyé faire ung grand fondement de cella envers la dicte Dame, comme j'estime qu'ilz ont faict le semblable envers les aultres princes protestans; et semble que Mr. Norrys luy ayt envoyé une coppie de la dicte remonstrance, et qu'il luy ayt escript que monsieur le comte de Retz la vous avoit aportée. A laquelle remonstrance, parce que je ne l'avois veue, je n'ay respondu que ce que j'ay estimé convenir à l'honneur et grandeur de Voz Majestez; c'est que je craignois que vous ne trouveriez jamais bonne, ny vouldriez jamais accepter aulcune de leurs remonstrances, quelles humbles parolles qu'ilz y sceussent mettre, tant qu'ilz seroient en armes; et que j'estimois qu'il leur fauldroit venir à une vraye et parfaicte obéyssance de les poser d'eulx mesmes, pour se commettre à la foy, bonté et clémence de Vos dictes Majestez, ne faisant doubte que ne fussiez prestz d'en user lors très abondantment envers eulx.
Elle m'a répliqué qu'ilz estoient comme celluy qui avoit appellé d'Allexandre à Allexandre mieux conseillé, et qu'ainsy se commettroient ilz franchement et sans craincte à Voz Majestez, quant vous ne seriez plus conseillez de leurs ennemys, mesmement de ceulx qui sont hors de vostre royaulme; car ilz ne se pouvoient deffier de vostre bonne volonté et affection, qui estiez leurs vrays et naturelz Princes et Seigneurs.
Je luy ay respondu que, à la vérité, ilz n'avoient aulcun bon argument de se deffier; car despuys les premiers troubles, ès quelz ilz vous avoient assés offancez, ilz estoient souvant venuz au pouvoir de Voz Majestez, qui ne les aviez pourtant que bien trettez et toutjours essayé de les gaigner et attirer par doulceur. Et ce mesmes propos me fut, le mesmes jour, répété par le secrétaire Cecille, en présence des seigneurs de ce conseil, tout exprès pour oster de l'opinion d'aulcuns d'eulx qu'il n'y avoit rien de rebellion en ceste cause; à quoy incistant toutjour, de ma part, qu'ilz avoient donc à poser les armes et recourir à la clémence de Voz Majestez, eulx toutz de grand affection m'ont demandé quelle seureté ilz pourroient avoir de la clémence et bénignité, que vous leur prométriez. Je leur ay respondu que d'y demander seurté ilz y esteindroient le nom de clémence, et que je voyois bien que là gysoit le principal poinct; mais puysque Voz Majestez estiez de la partie, il estoit raysonnable que les principalles difficultez fussent remises en voz mains, et que vous eussiez, comme très légitimes et débonnayres princes, l'honneur et l'advantaige de les décider entre voz subjectz, et que la seurté seroit en l'honneur de vostre parolle, en la bonne estime que vouliez acquérir de toute droicture et intégrité envers les aultres princes, et en la foy, amour et confiance que vous desiriez que vos propres subjectz prinsent de vous. Il semble aulx propoz de la dicte Dame et des dictz seigneurs de son conseil qu'ilz souhaitent grandement de veoir réuscir quelque paix en vostre royaulme.
Touchant les affaires de la Royne d'Escoce, la dicte Dame a monstré qu'elle estoit aulcunement irritée et offancée contre elle, en quoy au moins elle ne trouvera que je y aye en rien mal meslé Voz Majestez, ny mené aultre pratique en cella que d'avoir toutjour franchement et droictement procuré envers elle et les seigneurs de son conseil, et envers toutz ceulx que j'ay cognuz bien affectionnez à la dicte Dame, le bien, et la liberté, et la restitution d'elle à sa couronne. Je ne sçay ce qui aura succédé despuys mon partement de ceste court, mais il m'a semblé d'y avoir layssé les choses assés altérées pour cause de cest affaire; lequel est pour produyre enfin quelque nouveaulté en ce royaulme.
Les esmotions d'Irlande, à ce que j'entendz, vont toutjour grossissant, et commancent de donner peyne et soucy à ceste Royne. Elle a encores prolongée l'audience à l'ambassadeur d'Espaigne, et cependant le duc d'Alve a faict republier aulx Pays Bas une plus estroicte exclusion, que devant, de tout traffic avec les Anglois. Sur ce, etc.
De Londres ce xxıȷe d'aoust 1569.
Nicollas, le corrier, qui a accoustumé de servir ordinairement en ceste charge, me presse de luy donner congé parce qu'il dict n'avoir, longtemps y a, rien receu de ses gaiges, et de tant qu'il faict en ce temps assés besoing icy, il vous plairra, Madame, le faire aulcunement contanter.
LIVe DÉPESCHE
—du XXVIe jour d'aoust 1569.—
(Envoyée jusques à la Court par Nicolas le chevaulcheur.)
Départ d'un grand nombre de Français et de gens de guerre pour la Rochelle, avec le conseiller Cavaignes.—Craintes que l'on doit concevoir en France de plusieurs expéditions maritimes qui se préparent à la fois.—Plaintes faites à ce sujet par l'ambassadeur au conseil qui promet d'y remédier.—Chargement de la flotte de Hambourg.—L'ambassadeur d'Espagne ne peut encore obtenir d'audience.—Satisfaction manifestée par Élisabeth des déclarations qui lui ont été remises touchant la cession, qu'aurait faite Marie Stuart de ses droits au trône d'Angleterre.—Elle se montre plus favorable à la reine d'Écosse.—Remontrance de ceux de la Rochelle au roi, pour demander un édit de pacification.—Protestation de leur dévouement au roi.—Déclaration qu'ils n'ont pris les armes que pour la défense de leur religion.—Ils offrent une soumission entière sous la seule condition que l'exercice de la religion réformée leur sera irrévocablement garanti.—Ils sollicitent la convocation d'un concile général.
Au Roy.
Sire, ceulx que j'avois secrectement envoyé pour espier le chemin que prendroient les Françoys et Flamans, qui sont naguières partys de ceste ville, m'ont raporté qu'ilz les ont layssez s'embarquant en divers portz de ce royaulme, sans avoir peu certainement aprendre où ilz vont: car les ungs parlent de faire voyle à la Rochelle; les aultres d'aller trouver le capitaine Sores[11], qu'ilz disoient estre de retour vers ceste mer estroicte avec vingt ou vingt cinq navyres bien armez; aultres d'aller avec l'homme du prince d'Orange, qui a desjà fait avaller ses ourques et aultres vaysseaulx prez de l'embouchure de cette rivière; aultres qu'ilz vont rencontrer le bastard de Briderode, lequel, ayant avec quatre bons navyres de guerre reconvoyé, de Hembourg jusques en la coste de deçà, une partie de la flotte des Anglois qui s'estoit escartée par tormente, est descendu prendre des rafreschissemens vers Aruich. Et semble à la vérité que ceste troupe faict divers chemyns, mais Cavaigne au moins avec sa compagnie prent celluy de la Rochelle, lequel Cavaignes va succéder à la charge qu'avoit le conseiller Bourg, son beau frère, qui est décédé en Angolesme le vȷe de juillet, et emporte, à ce que j'entendz, sept mille vc. {lt} esterlin, c'est vingt cinq mil escuz, qui est tout ce qu'il a peu pratiquer pour ceste foys, provenant de la vante de cinq cens miliers de métal, que les Anglois ont dernièrement aporté à leur retour de Brouage.
Et de tant qu'aulcuns ont estimé que toute ceste compaignie ensemble pourroit faire le nombre de trois mil homes de guerre, j'ay esté incontinent devers aulcuns seigneurs de ce conseil, qui d'advanture se sont trouvez en ceste ville, pour leur remonstrer que l'embarquement de tant d'hommes est chose fort contraire à la promesse, que la Royne, leur Mestresse, et eulx m'ont dernièrement faicte, et que j'ay grande occasion de ne leur donner jamais plus de foy, et d'escripre dorsenavant à Vostre Majesté et de paix et de guerre tout aultrement que je n'ay faict jusques icy.
A quoy ilz m'ont respondu qu'ilz ne peuvent croire que les choses passent aultrement que la Royne et eulx me les ont promises, et que, possible, à cause de ceste seconde flotte qui va en Hembourg, et du partement de l'homme du prince d'Orange, lequel ilz n'estiment qu'il prègne la routte de France, et aussi du partement d'aulcuns Françoys qui à la vérité passent à la Rochelle, il y peult avoir bruict et aparance d'ung plus grand embarquement qu'à la vérité il n'est; car n'estiment qu'en tout y ayt plus de deux à trois cens hommes d'effect, qui n'est nombre de quoy je doibve faire cas; et que du capitaine Sores ilz n'en ont rien entendu, ny ne croyent qu'il soit de retour; vray est qu'en ce temps ilz ne peuvent en façon du monde contenir ceulx de la nouvelle religion; toutesfoys que, sur mon advertissement, ilz mettront peyne de s'enquérir que c'est, affin d'y remédier.
Cependant, Sire, encor que je n'estime que cest apareil, qui sort meintennant d'icy, soit pour faire grand effect en terre, si n'ay je vollu faillir de vous en donner promptement adviz, et l'ay aussi mandé aulx gouverneurs de voz places, qui sont sur la coste de dellà, affin d'y prendre garde, et je vériffieray encores mieulx ce qui en est pour les en advertir d'heure à aultre.
La dicte flotte pour Hembourg est desjà chargée de beaulcoup plus grand nombre de draps que n'estoit la première, et sera preste de sortir de ceste rivière le dernier de ce moys, soubz la conduicte de deux grandz navyres de guerre de ceste Royne. Le bruict continue qu'il s'en prépare une aultre pour la Rochelle; dont vous suplie me mander si je offriray, de vostre part, à ceulx cy que vous les ferez fornir de vins et sel, ez aultres endroictz de vostre royaulme, à pareilles condicions qu'ilz les ont à la Rochelle, affin de leur interrompre ce traffic. L'on a divulgué par tout ce royaulme que la Royne de Navarre et monsieur le prince son filz, et ceulx de leur party, vous ont envoyé offrir une soubzmission d'obéyssance par escript, de laquelle le secrétaire Cecille m'a envoyé une coppie; et de tant qu'aulcuns des grandz m'ont mandé qu'ilz ont opinion qu'elle a esté faicte par deçà, parce qu'on l'a traduicte d'anglois en françoys, je la vous envoye affin de veoir s'ilz la publient en aultre façon qu'ilz ne l'ont faicte.
Les affaires de la Royne d'Escoce sont traversés de beaulcoup de difficultez; mais je n'espère encores que bien de la fin d'iceulx, et, possible, que les mesmes difficultez les establyront. Ceulx des Pays Bas demeurent encores en suspens, et l'audience est différée à monsieur l'ambassadeur d'Espaigne; néantmoins le desir de les accorder ne se réfroydit aulcunement, ains s'eschauffe de plus en plus des deux costez; dont ne reste que le moyen de le tretter, lequel demeure sur la réputation à qui parlera le premier. Sur ce, etc.
De Londres ce xxvȷe d'aoust 1569.
Tout présentement, le Sr. de Vassal vient d'arriver avec les deux dépesches de Vostre Majesté, du xve et xvȷe du présent, aus quelles je feray responce par mes premières.
A la Royne.
Madame, vous verrez en la lettre que j'escriptz au Roy ce que, pour ceste foys, j'ay principallement à faire entendre à Voz Majestez des choses de deçà, sinon touchant le faict de la Royne d'Escoce, qu'il me reste encores vous dire, Madame, que ceulx, qui luy sont icy bien affectionnez, estiment luy importer grandement que le desir et bonne affection, que le Roy et Vous avez à son restablissement, soyent signiffiez et bien cogneuz à la Royne d'Angleterre; dont estiment estre fort requiz qu'il vous playse tenir à son ambassadeur, Mr. Norrys, un semblable langaige que, de la part du Roy et Vostre, je luy ay tenu icy à elle, pour l'admonester de ne plus prolonger ny reffuzer son secours à ceste princesse, ou bien remectre paysiblement l'entreprinse en vostre main; et ne trouver mauvais ny prendre aulcune deffiance de Voz Majestez, quant elle verra que, du premier jour, vous l'y mettrez à bon escient, avec d'aultres particullaritez que je vous manderay par ung des miens, aussitost que j'auray receu une responce que j'attandz demain de ceste court; qui pourtant, Madame, pourrez différer de parler au dict sieur ambassadeur jusques à ma première dépesche.
Or, le jour après que j'euz dernièrement parlé de cest affaire à la dicte Royne d'Angleterre, elle se fit lyre la déclaration du Roy et Vostre, celle de Monsieur filz de Vostre Majesté[12], de monsieur le Cardinal de Lorrayne et de Mr. l'Arsevesque de Glasco, touchant le tiltre de ce royaulme; lesquelles elle trouva en la forme qu'elle desiroit. Et ayant, avec loysir, pensé aulx choses que, le jour précédant, je luy avois dictes là dessus, et d'icelles conféré avec les seigneurs de son conseil, elle vollut parler, secrectement et à part, à Mr. l'évesque de Roz, pour entendre le fondz et la vérité de plusieurs raportz qu'on luy avoit faictz de la dicte Royne d'Escoce; lequel luy en dict franchement ce qui en estoit: de quoy elle demeura consolée, voyant qu'il n'y avoit rien qui tournât à son préjudice, ny qu'on eust pensé de rien entreprendre en ce faict, sans son sceu ny sans son expresse permission et volonté. Dont, considérant mon instante sollicitation au nom de Voz Majestez pour la liberté et restitution de la dicte Royne d'Escoce, elle luy a escript incontinent une bonne lettre, pleyne de consolation et de promesses, et en a escript d'aultres bien expresses au comte de Mora, telles, comme le dict sieur évesque de Roz les luy a vollu deviser; lesquelles luy ont esté desjà envoyées par ung gentilhomme escouçoys, nommé Me. Thomas Flemy. Et, dans quinze jours, nous espérons qu'il sera commancé de procéder en telle façon sur ceste matière, que nous pourrons clairement juger quelle en pourra estre la fin; et adjouxteray ce mot, que le dict affaire semble estre passé si avant que je croy que d'icelluy deppend ou le repoz, ou le grand trouble de ce royaulme. Sur ce, etc.
De Londres ce xxvȷe d'aoust 1569.
Copie d'une remonstrance, que ceulx de la Rochelle ont mandé avoyr envoyée au Roy, après l'arrivée du duc de Deux Pontz.
Au Roy.
Sire, c'est une chose merveilleusement estrange et presque incroyable qu'entre tant de subjectz, que Dieu a vollu soubzmettre soubz l'obéyssance de Vostre Majesté, et qui se vantent ordinairement d'estre tant affectionnez au bien de voz affaires et conservation de vostre couronne, il n'y en ayt néantmoins ung seul qui face seulement semblant de s'esforcer à esteindre ce feu qu'on voyt journellement embrazer, et [qui] peult consummer cestuy vostre royaulme; et que au contraire ilz s'en sont trouvez plusieurs qui ont infinyement travaillé à l'allumer et augmenter, et accroistre. Et, combien que cella deust plustost et premièrement procéder de ceulx qui, de gayeté de cueur et pour leur seul [intérest] particullier ont esmeu et sucité ces troubles, contre le gré et volonté de Vostre Majesté, et qui font la guerre ou la paix, quant il leur playt, et non pas de ceulx qui iniquement et injustement sont assailliz et poursuyviz en leurs consciences, honneurs, vies et biens, et qui n'ont aultre intention que de se deffandre et conforter contre telles injustes violences, n'ayant jamais rien tant hay que les troubles et esmotions ny tant procuré que l'entretien de la paix, toutesfoys la Royne de Navarre et Mr. le Prince, son filz, Mr. le Prince de Condé et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, esmeuz et poussez de ceste affection et obligation naturelle qu'ilz ont à Vostre Majesté et à la conservation de vostre royaulme, n'ont peu ny vollu différer plus long temps à recercher et raporter de leur part, comme ilz ont toutjours faict, toutz les remèdes propres et convenables dont ilz ont peu adviser, pour garentyr cestuy vostre royaulme d'une ruyne et subversion dont il a esté tant de foys, comme il est encores plus que jamais, menassé; et pour restablir une paix et tranquillité publique à laquelle, pour s'estre toutjours démonstrez par trop facilles et enclins, on sçayt assés en quelz périlz et dangiers ilz ont esté prestz de tumber, si Dieu par sa saincte grâce ne les en eust, contre toute espérance et opinion humaine, garentys et préservez; tellement qu'ilz ont fort peu d'occasion d'espérer et attandre de pouvoir parvenir à ce qu'ilz desirent, si ce n'est qu'il playse à Dieu de changer du tout le cueur de leurs ennemys qui vous envyronnent, et les incliner à une paciffication; estimans plustost les dictz sieurs Princes et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, que, au lieu de recognoistre ceste libéralle et franche volonté qui est manifeste aujourd'huy, et le debvoir auquel ilz se veulent mettre pour restablyr une parfaicte et estroicte unyon et repoz entre voz subjectz, qu'elle sera calomniée et sinistrement interprétée, comme elle a toutjours esté, par ceulx qui ne hayssent et ne craignent rien plus que de veoir ceste réconcilliation; d'aultant néantmoins que les dicts sieurs Princes, Seigneurs, Chevaliers et aultres, qui les accompaignent, n'ont jamais rien eu en plus grande recommendation que de randre toutjours de plus en plus leurs actions manifestes à Vostre Majesté, et imprimer souvant des tesmoignages du desir singulier, qu'ilz ont toutjours heu, de vivre et morir en l'estroicte obéyssance et subjection naturelle qu'ilz vous doibvent, et faire paroistre à tout le monde combien leurs cueurs et volontez sont esloignez des impostures et calompnies du cardinal de Lorrayne et aultres ses adhérans, ministres et pensionnaires des ennemys naturelz de vostre coronne.
Et [d'autant] que les Françoys, qui ont esté contrainctz de s'assembler à leur très grand regrect, ne tendent que à meintenir et conserver leur religion, leurs honneurs, leurs vies et leurs biens, ilz ont estimé que telles considérations ne les pouvoient ny debvoient empescher ou retarder de poursuyvre et pourchasser, de tout leur pouvoir, l'effaict d'une tant salutaire et nécessaire paix à ce royaulme, et rendre tesmoignage de l'humillité, révérance et respect, qu'ilz portent à Vostre Majesté; ce qu'ilz eussent encores beaulcoup plustost faict, sinon qu'ilz ont toutjours estimé que leurs ennemys eussent pancé, ou pour les moins vollu faire acroyre, que c'eust esté la nécessité qui les eust induictz à cella,—veu mesmes les asseurances, que leurs dictz ennemys ont bien ozé donner à Vostre Majesté, qu'il ne s'estoit faict aulcune levée de gens de guerre en Allemaigne pour le secours des dicts sieurs Princes; et, quant bien on en auroit faict, qu'il y avoit moyen et forces suffizantes pour les empescher d'entrer en ce royaulme; et, ores qu'ilz y fussent entrez, qu'il y avoit tant de rivières et de passaiges entre eulx et les dictz sieurs Princes, qu'il seroit fort aysé de les empescher de se joindre; et quant ilz seroient joinctz, que les dictz sieurs Princes n'auroient aulcuns vivres pour les entretenir;—ayantz pour ceste cause vollu temporiser et attandre qu'ilz eussent joinctz et payés leurs dictes forces, et rassemblé les aultres qui estoient dissipées et esparces, lesquelles on sçayt estre telles qu'on ne peult nyer qu'ilz ne puyssent bien ayséement résister à leurs dictz ennemys et exécuter des mauvais dessings, s'ilz en avoient quelque mauvaise volonté, comme on a vollu dire.
Si donc, aulx premiers troubles que feu monsieur le Prince de Condé et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, receurent et acceptèrent les condicions de la paix, concernant le seul faict de la religion et liberté de leurs consciences, incontinent après la mort de feu monsieur de Guyse et du Mareschal de Sainct André, et après avoir prins prisonnier monsieur le Connestable, qui estoient les trois principaulx chefz et conducteurs de l'armée;—si, aulx derniers troubles, incontinent qu'on offrit au dict sieur Prince et aulx Seigneurs et Gentishommes de sa compaignie, le restablissement de l'exercisse de la religion, quoy qu'ilz eussent joinctes grandes forces estrangières et qu'on fût prest de donner l'assault à la ville de Chartres, à la teste et veue du camp de l'ennemy, qui estoit la plus part desbandé, et que, à la seule démonstration de paix, qui fut faicte par ung trompète envoyé soubz le nom de Vostre Majesté, non seulement le dict sieur Prince despartit de faire donner l'assault, mais fit du tout lever le siège et retirer son armée, sans avoir néantmoins raporté d'une si prompte obéyssance que une paix sanglante et playne d'infidellité;—si, aulx mesmes troubles, le lendemain de la bataille St. Deniz, le dict sieur Prince envoya vers Vostre Majesté le Sr. de Telligny pour luy remonstrer la ruyne et désolation qui menassoit dez lors ce royaulme, si on y laissoit entrer les estrangiers qui estoient desjà sur les frontières, et pour proposer et mettre en avant les moyens et remèdes pour parvenir à une paix qui ne touchoit que le seul faict de la religion, encores que le dict sieur Prince eust [eu] du meilleur en la dicte bataille, comme on sçayt, et que monsieur le Connestable, l'ung des principaulx chefs de l'armée des ennemys, y eust esté thué;—brief, si voz éedictz ont toutjours esté faictz et la paix accordée, lorsque ceulx de la religion ont eu moyen, par les forces, de s'en faire croyre, s'ilz en eussent vollu abuser;—et qu'en toutz les propoz et traictez de paix, il n'ayt esté faict mencion que du seul faict de la religion, et que leurs ennemys n'ayent jamais esté amenez à une paciffication que par une nécessité, et lors [que] par la force ouverte ilz ne pouvoient plus rien entreprendre contre eulx;—en quelle conscience et avec quel visaige et contenance peult on dire qu'il va en ces troubles d'aultre faict que de la religion?
Et affin néantmoins de convaincre toutjours davantaige le dict cardinal de Lorrayne, et aultres ses adhérans, des menteries et impostures qu'ilz publient encores toutz les jours, les dictz sieurs Princes, et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, voulans oblyer l'infidellité, lascheté et desloyaulté, dont l'on a usé en leur endroict par le passé, déclairent et protestent aujourdhuy devant Vostre Majesté, comme devant Dieu, que quelques mauvais traitemens qu'on leur ayt faict recepvoir jusques à ceste heure, il ne leur est jamais tumbé en pensée de les inputer à Vostre Majesté, pour estre vostre naturel par tropt esloigné de telles sévéritez, rigueurs et injustices, dont vous avez par tant de fois randu de si ouvertes démonstrations qu'on n'en peult justement doubter. Et moins encores ont ilz pensé à changer, ny mesmes diminuer, tant peu que ce soit, de la volonté et affection naturelle qu'ilz ont tousjours eue à la conservation, advancement et grandeur de vostre estat; et que, si par toutz les effectz susdictz on a cogneu et veu à l'œil qu'ilz n'ont aultre fin et intention que de servir à Dieu, sellon sa vollonté et sellon qu'ilz sont instruictz par sa saincte parolle, soubz l'obéyssance, profession et authorité de voz éedictz, et d'estre maintenuz et conservez esgallement comme voz aultres subjectz en leurs honneurs, vies et biens, que meintennant ilz en veulent encores randre une preuve et tesmoignage si manifeste, que leurs ennemys mesmes ne les puyssent révoquer en doubte; non que toutes foys ilz veuillent entrer en aulcune justiffication de leurs actions passées, pour estre leurs ignocences et justice de leur cause assés cogneue de Vostre Majesté et de toutz les roys, princes et potentatz estrangiers, qui ne sont de la faction et party d'Espaigne; et moins encores veulent ilz entrer en capitullation avec Vostre Majesté, saichans bien, grâces à Dieu, quel est le debvoir d'un bon et fidelle subject envers son souverain Prince et Seigneur naturel; mais d'aultant, Sire, qu'on sçayt assés le bon marché qu'on a faict, par cy devant, de la foy et parolle de Vostre Majesté, qui doibt estre saincte, sacrée et inviolable, et avec quelle audace on a abusé de vostre nom et authorité, au péril et dangier extrême de toutz voz subjectz, qui font profession de la religion réformée; il semble bien qu'on ne doibt trouver estrange si les dictz sieurs Princes, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, vous suplient très humblement de vouloir déclairer vostre volonté, touchant la liberté de l'exercisse de la dicte religion, par ung éedict solempnel, perpétuel et irrévocable; affin que par icelluy ceulx qui ont esté desjà par deux foys si témérayres que d'enfraindre et violler, avec toute impunité, ceulx que vous avez faictz, soient plus retenuz par le dict troisiesme éedict.
Et, pour ce que ceulx qui n'ont jamais peu endurer l'union et repos, qui estoient meintennu entre voz subjectz par le moyen de l'observation de voz éedictz, ont prins occasion de les altérer et corrompre par nouvelles interprétations et modiffications, du tout contraires à la substance de voz éedictz et à l'intention de Vostre Majesté; et que les dictz sieurs Princes, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, recognoissent qu'ilz ont esté, par ung très juste jugement de Dieu, beaulcoup plus affligez en temps de paix que en temps de guerre ouverte, pour avoir trop ayséement consenty, aulx trettez de paix qui ont esté faicts, qu'on ayt faict la part à Dieu, et qu'on se soit contanté qu'il fût festé seulement en certains lieux et endroictz de ce royaulme et par certaines personnes.
Ne pouvant plus en saine conscience rien remettre de ce qui apartient du service de Dieu, ils suplient très humblement Vostre Majesté de vouloir ottoyer et accorder générallement à toutz voz subjectz, de quelque quallité et condicion qu'ilz soyent, libre exercisse de la dicte religion en toutes les villes, villaiges et bourgades, et toutz aultres lieux et endroictz de vostre royaulme, et pays de vostre obéyssance, sans aulcune exeption ou réservation, modiffication, ou restriction de personnes, de temps, ou des lieux, avec les seurtez nécessaires et requises; et oultre, ordonner et enjoindre à toutz vos dictz subjectz de faire profession manifeste de l'une ou l'aultre religion, affin de couper chemyn à plusieurs, lesquelz abusans de ce bénéfice, sont tumbez en athéisme et en une liberté généralle, s'estans licenciez de toute exercisse et profession de religion, ne desirans rien plus que de veoir une confuzion en ce royaulme, et tout ordre de pollice et dicipline eclésiastique renversée et oblyée, chose trop dangereuse et pernicieuse, et qui ne se doibt aulcunement tollérer.
Et d'aultant que les dictz sieurs Princes, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, ne doubtent pour ce, que ceulx qui ont tousjours jusques à meintennant jetté le fondement de leur desseings sur les calompnies qu'ilz publient pour les randre odieulx, mesmes à l'endroict de ceulx qui sont, par la grâce de Dieu, affranchiz de la servitude et tyrannie de l'Antechrist, ne fauldront de mettre en avant qu'ilz veulent opiniastrément deffandre sans rayson ce qu'ilz ont une foys résolu de croyre touchant les articles de la religion chrestienne, [plutôt] que de se corriger et rétracter: ilz déclairent et protestent, comme ilz ont toutjours faict, que, si en quelque poinct de la confession de foy, cy devant présantée à Vostre Majesté par les esglizes réformées de vostre royaulme, on les peult enseigner, par la parolle de Dieu accompaignée de lieux conjoinctz de l'escripture saincte, qu'ilz s'esloignent de la doctrine des prophettes et apostres, que promptement ilz donneront les mains et cèderont très volontiers à ceulx qui les instruyront mieulx par la parolle de Dieu qu'ilz n'ont esté par cydevant, s'ilz errent en quelque article.
Et pour ceste cause ne desirent rien tant que la convocation d'ung concille libre et général, auquel ung chacun puysse estre ouy et desduyre ses raysons, qui seront confirmées ou convaincues par la pure parolle de Dieu, qui est le moyen duquel il a esté usé de tout temps et anciennement en pareille occasion.
Par ce moyen, Sire, il ne fault doubter que Dieu ne face la grâce à Vostre Majesté de veoir les cueurs et volontez de voz subjectz unys et réconciliez, et vostre royaulme retourner en son premier estat et esplandeur, à la honte et confuzion de voz ennemys et des nostres, lesquelz par leurs secrectes menées et très estroictes intelligences qu'ilz ont avec l'Espaignol, ont bien sceu industrieusement et subtillement divertyr l'orage et la tempeste, qui estoit ez Pays Bas, pour la faire retorner et tumber sur vostre coronne et sur vostre royaulme.
Ce qu'ilz suplient très humblement Vostre dicte Majesté vouloir bien et exactement considérer; et juger, s'il luy playt, s'il est plus à propos d'attandre des deux armées, qui sont meintennant assemblées dans vostre royaulme, une sinistre et sanglante victoire, de laquelle le vaincu raporte aultant de fruict et de gain que le vaincueur, ou bien de les employer ensemble, pour le service de Vostre Majesté et bien de voz affaires, en beaulcoup de belles occasions qui se présentent aujourduy, aultant importantes au repos de vostre royaulme et conservation de vostre coronne, que nulles aultres qui se sont offertes de nostre temps; et par ce moyen renvoyer la tempeste et l'orage aulx lieux dont ilz sont venuz:
En quoy les dictz sieurs Princes, et les Seigneurs, Chevaliers, Gentishommes et aultres, qui les accompaignent, sont déllibérez et résoluz, comme en toutes aultres choses où il yra du bien et grandeur de vostre estat, d'employer leurs personnes et biens, et toutz les moyens que Dieu leur a donnez, jusques à la dernière goutte de leur sang; ne recognoissans en ce monde aultre souverayneté ou principaulté que la vostre, en l'obéyssance et subjection de laquelle ilz veulent vivre et mourir, qui est telle et semblable que ung Prince Souverain et Seigneur naturel peult attandre et desirer de bons, fidelles et loyaulx subjectz et serviteurs.
LVe DÉPESCHE
—du Ier de septembre 1569.—
(Envoyée jusques à la Court par le Sr. de Sabran.)
Notification est faite à la reine d'Angleterre des projets de mariage du roi de France avec une fille de l'empereur d'Allemagne, et de Madame avec le roi de Portugal.—Nouvel arrêt des navires du prince d'Orange.—Crainte que cet arrêt ne soit bientôt levé.—Opinion de l'ambassadeur sur la remontrance de la reine de Navarre.—Prochain départ de la flotte destinée pour Hambourg.—Retour d'une flotte qui avait été envoyée à Narva.—Arrivée à Londres d'un ambassadeur venant de Moscovie.—Pressantes recommandations de l'ambassadeur pour qu'il soit fait de vives démonstrations en France en faveur de la reine d'Écosse.—Lettre secrète pour la reine-mère, avec recommandation expresse de la brûler après l'avoir lue.—Détails sur le projet de mariage entre le duc de Norfolk et Marie Stuart.—Des promesses réciproques ont été échangées.—Quelles sont les conditions du mariage.—Sollicitations faites par le duc auprès de l'ambassadeur pour obtenir le consentement du roi, de la reine-mère et des princes de la Maison de Lorraine.—Ce que le duc désire qui soit fait en France pour assurer le rétablissement de la reine d'Écosse sur son trône.—Mémoire général sur les affaires d'Angleterre, d'Espagne et d'Écosse.—Nouvelles d'Allemagne.—Préparatifs secrets faits en Angleterre pour pouvoir, à l'occasion, tenter une expédition en France.—Déclaration faite par Élisabeth au cardinal de Chatillon, qu'elle ne peut lui donner les secours d'hommes et d'argent qu'il demande.—Crainte de l'ambassadeur, que les nouvelles démonstrations d'amitié qui lui sont faites ne cachent quelque projet de guerre.—Caractère du soulèvement d'Irlande.—Refus fait par Élisabeth de recevoir l'ambassadeur d'Espagne en audience, sans qu'il ait été de nouveau accrédité auprès d'elle par Philippe II.—Les négociations relatives aux différends avec les Pays-Bas demeurent en suspens.—Mécontentement que montre Élisabeth de la résolution prise à son égard dans l'assemblée de Saint-Johnstown, en Écosse.—Décisions arrêtées dans cette assemblée sur les quatre articles proposés pour la reine d'Écosse.—Instances de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth pour qu'elle se prononce en faveur de Marie Stuart.—La reine d'Angleterre demande un délai de quinze jours avant de déclarer sa détermination définitive.—Pressante nécessité de secourir Dumbarton.—Entrevue de la reine d'Angleterre et de M. le cardinal de Chatillon.—Assurance est donnée à la reine par le cardinal, que les protestants de France n'ont rien négligé pour arriver à une pacification.—Réclamation officielle de l'ambassadeur auprès de la reine d'Angleterre en faveur de la reine d'Écosse.—Déclaration lui est faite que si elle refuse de la rétablir sur son trône, la France prendra les armes pour elle.—Réponse d'Élisabeth à cette réclamation.—Avis secret concernant les affaires de la reine d'Écosse.—Instances qui sont faites auprès d'elle pour qu'elle épouse le roi Philippe II ou un prince d'Espagne.—Négociations de sir Hamilton auprès du duc d'Albe pour obtenir un secours d'argent.—Conditions mises par le duc à la coopération de l'Espagne, pour le rétablissement de Marie Stuart.—Mécontentement que l'on doit éprouver en France de la conduite de l'Espagne dans cette négociation.
Au Roy.
Sire, par le retour du Sr. de Vassal j'ay receu voz deux dépesches du xve et xvıe du passé, sur lesquelles ayant envoyé demander audience à la Royne d'Angleterre elle me l'a avec quelque difficulté accordée pour ung jour de la sepmaine prochaine, vers Anthonne à lx mil d'icy, où je l'yray trouver; et n'obmettray rien du contenu en icelles ny de chose qui se offre meintennant icy pour vostre service. Et à mon retour je vous feray entendre comme elle aura prins les nouvelles du mariage de Vostre Majesté et de celluy de Madame[13]. Cependant, Sire, je continueray vous dire que ces Françoys et Flamans, qui sont naguières partys de ceste ville, se sont acheminez en divers portz et se sont embarquez comme pour faire divers chemyns; et l'homme du prince d'Orange voulant, mècredy dernier, sortir de ceste rivière avec ses ourques et vaysseaulx, a esté de rechef arresté; mais il a envoyé en dilligence devers les seigneurs de ce conseil pour faire lever le dict arrest, ce que je croy qu'il obtiendra, et yra trouver le bastard de Briderode, qui est encores en la coste de deçà avec quatre navyres bien armez; et estiment aulcuns que toutz ces hommes, qui sont partiz d'icy, encor qu'ilz aillent sortir de divers portz, ne laysseront pourtant, quoy qu'on m'ayt promiz, de se joindre ensemble sur mer pour s'acheminer à la Rochelle ou vers quelque endroict de la coste de France, et dict on que le capitaine Sores a aussi ung aultre équipage de xxv ou xxx navyres; de quoy, à toutes advantures, j'ay desjà donné adviz aulx gouverneurs de la frontière de dellà, affin d'y prendre garde.
J'entendz qu'on faict imprimer en langaige de ce pays la remonstrance, que la Royne de Navarre vous a envoyé, et qu'on dellibère la publier en divers endroictz de ce royaulme, et que mesmes on l'envoye en Allemaigne pour justiffier ceulx de la nouvelle religion qu'ilz ne procèdent d'aulcune rébellion en ceste guerre; mais il court ung bruict par ceste ville que la dicte remonstrance a esté forgée par deçà pour entretenir ceste Royne, et pour s'opposer à l'opinion des catholiques, ne croyant le monde que ceulx de la Rochelle se soyent aulcunement miz à tel debvoir. Je useray là dessus comme il plairra à Vostre Majesté me le mander.
La flotte pour Hembourg est desjà chargée et parée pour le premier bon vent; l'on l'estime valloir plus d'un million d'or. Elle s'en va avec double équipaige d'hommes en toutz les vaysseaulx, soubz la conduicte de deux grandz navyres de guerre de ceste Royne. Il est revenu une aultre flotte bien chargée de merchandises des pays froidz, que ceulx cy avoient au commancement de l'esté envoyé à Narves; et avec icelle est arrivé ung ambassadeur du duc de Moscouvie, lequel n'a encores parlé à ceste Royne. Il est bien accompaigné, et, tant luy que toutz les siens portent des patenostres en leurs seintures, ce qui les faict estre plus mal veuz de ceulx de la nouvelle religion, qui les estiment estre catholiques. Et par ce, Sire, que je vous envoye le Sr. de Sabran instruict d'aultres plus importantes particullaritez, je ne feray la présente plus longue que pour vous suplier très humblement de luy donner foy, et prier dévottement le Créateur, etc.
De Londres ce 1er de septembre 1569.
A la Royne.
Madame, ce que j'adjouxteray meintennant icy, oultre le contenu en la lettre du Roy, et oultre ce que particullièrement j'ay donné charge au Sr. de Sabran de vous dire, auquel s'il vous playt, Madame, vous adjouxterez foy, est que les affaires de la Royne d'Escoce sont sur le poinct ou d'estre remédiez, si Voz Majestez les veulent ung peu ayder, ou bien de demeurer, possible, à jamais sans remède, s'ilz sont à ce coup habandonnez; dont ceulx, qui en sentent icy l'importance, estiment estre requiz qu'il vous playse faire deux choses: l'une, de parler là dessus vifvement à l'ambassadeur de la Royne d'Angleterre, conforme à ce que j'en ay desjà dict à elle de vostre part, affin que vostre affection et intention en cella luy soient davantaige cogneuz par les lettres de son ambassadeur; dont j'ay baillé au dict Sr. de Sabran ung mémoire de ce qui en a esté tretté entre elle et moy, avec toutes ses responces, affin de vous pouvoir servir de quelque adviz pour en mieulx discourir avec icelluy sieur ambassadeur;—l'aultre, d'envoyer, dans le mois d'octobre prochain, quelque secours d'ung petit nombre d'arquebouziers à Dombertran, si ceste Royne, entre cy et là, n'accommode les affaires de la dicte Dame, ainsy que j'ay donné charge au dict Sr. de Sabran de vous en représenter le besoing: qui vous monstrera aussi, Madame, deux lettres, que la Royne d'Escoce m'a escriptes, dont l'une est de sa main, laquelle, avecques la créance de celluy qui me l'a aportée, me font très humblement suplier Voz Majestez, ès quelles elle a, après Dieu, sa confiance, qu'il vous playse luy assister de ce peu qu'elle vous requiert, qui luy conservera à elle son estat, et à vous beaulcoup de réputation envers les aultres princes, voz alliez et confédérez, pour avoir Voz Majestez, au millieu de voz plus grandz affaires, heu le soing de secourir ceste vostre première et principalle alliée et confédérée. Et j'entendz, Madame, que la pouvre princesse n'a receu aulcune plus grande consolation, despuys sa fortune, que d'entendre, par le retour du Sr. Bortyc, que vous l'aviez avecques ses affaires en bonne souvenance et recordation: et atant je prie Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, en parfaite santé, très heureuse et très longue vie et toute la grandeur et prospérité que vous desire.
De Londres ce 1er de septembre 1569.
AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.
Madame, je n'ay plus tost entendu vostre desir sur le propoz d'entre la Royne d'Escoce et le duc de Norfolk, que je n'aye incontinent miz peyne de l'advancer par toutz les moyens que j'ay peu, et ay si bien conduict l'affaire que luy, en personne, et elle, par l'évesque de Roz, m'ont déclairé y avoir, soubz l'espérance de la restitution d'elle à sa coronne et promesse de luy qu'il l'y restituera, ung mutuel consentement de mariage entre eulx: de quoy luy s'est franchement commiz à moy, et m'a dict avoir lettre d'elle pour s'y commettre; et je l'ay mené à cella que, de luy mesme, il m'a recherché d'avoir là dessus l'approbation de Voz Majestez Très Chrestiennes, nomméement de Vous, Madame, dont je l'ay asseuré que je travailleray de vous disposer fort bien envers eulx, pourveu qu'ilz se veuillent toutz deux gouverner par vous, ce qu'il m'a promiz et donné la main qu'ilz feront; et que, de sa part, après la Royne sa Mestresse, il demeurera, tout oultre, bien asseuré serviteur du Roy et Vostre, tout le temps de sa vie.
C'est ung fort homme de bien, véritable et secrect, auquel sera besoing, Madame, que me permettiez de l'asseurer du consentement du Roy et Vostre, et que vous luy ferez encores, pour le regard des parans maternelz de la dicte Dame, avoir celluy de monsieur et madame de Lorrayne, et de monsieur le Cardinal; et, au reste, il vous requiert très humblement de deux choses:
L'une, de parler vifvement, à leur ambassadeur de dellà, de la restitution de la dicte Royne d'Escoce, affin que vostre desir et bonne affection en cella soyent clairement cogneues à la Royne d'Angleterre, leur Maistresse;
Et l'aultre, qu'il vous playse envoyer cinq ou six cens harquebouziers françoys seulement, qui soyent avitaillez et amonitionnez pour ung temps, à Dombertran, avant la fin d'octobre prochain; car cella, avec l'assistance qu'il y fera d'icy, relèvera grandement la part de la dicte Dame dans le pays, ce qu'il estime n'estre que bon de le dire au dict ambassadeur, et comme c'est pour la garde seulement de la place, et pour recepvoir plus grandz forces, si voyés qu'il soit besoing d'y en envoyer, faignant d'avoir desjà donné charge à Mr. de Martigues ou à Mr. de Bouillé d'aprester ung armement en Bretaigne pour cest effect; et que Vostre Majesté ne craigne, pour ceste démonstration de Dombertran, d'irriter davantaige les Anglois, car dict qu'il y pourvoirra de tout son pouvoir.
J'ay donné charge à ce gentilhomme, présent porteur, qui est confidant, de vous dire aulcunes particullaritez, touchant le dict secours, et aussi, comme il n'est possible de consommer encores de quelques jours le dict mariage, et que je suys après à vous faire envoyer des messagiers de l'une et l'aultre partie, affin de les engaiger et obliger toutz deux à Vostre Majesté, et, me remettant à luy, je n'adjouxteray pour le surplus à la présente, qu'une très dévote prière à Dieu, etc.
De Londres ce 1er de septembre 1569.
Le duc d'Alve a envoyé lettre en ceste ville pour dellivrer dix mil escuz à la dicte Dame, ce que je pense estre en erres de l'aultre party; mais j'espère les faire bailler au duc de Norfolc pour erres du sien. Je vous suplie très humblement faire brusler la présente.
MÉMOIRE BAILLÉ AU Sr. DE SABRAN.
LE DICT Sr. DE SABRAN DIRA A LEURS MAJESTEZ, oultre le contenu de la Dépesche:
Que la Royne d'Angleterre, continuant son progrez, est à présent à Bazin, esloigné xlv mil d'icy, et les choses de son royaulme demeurent en ung certain estat de paix, qui monstre néantmoins qu'elles sont disposées à la guerre, que la plus part de ceulx du pays s'atandent de l'avoir, et qu'il ne reste pour la commancer sinon qu'ilz voyent les affaires de France réduictz à ung poinct, qui face le jeu plus seur aulx leurs.
Oultre les aprestz et armemens dont j'ay faict mencion en mes aultres dépesches, l'on m'a donné adviz que le duc de Lunebourg, qui est pensionnaire de ceste Royne, et deux aultres coronnelz, tiennent une levée de trois mille reytres et de huict mille Allemans preste pour elle.
Et l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, m'a mandé avoir naguières receu lettres bien fresches de Mr. de Chantone, par lesquelles il luy mande que le duc de Cazimir a ses gens prestz; et que, oultre ceux là, le duc Auguste en a arresté d'aultres, de pied et de cheval, mais que pour encores ny les ungs ny les aultres ne marchent.
J'ay faict bien fort soigneusement enquérir du faict du dict de Lunebourg à ceulx, qui sont naguyères revenuz de Hembourg, qui disent qu'il ne haste sa dicte levée, et seulement qu'il tient ses hommes advertys et préparez, auxquelz il a distribué quelque peu d'argent venu d'icy, qui faict que, en leurs festins et compaignies, ilz boyvent, de là en hors, à la bonne grâce de la Royne d'Angleterre.
Vray est que Quillegrey est allé trouver les dicts ducs Auguste et Cazimir jusques en Saxe pour tretter, comme je présume, du faict de ceste guerre avec eux; et j'entendz qu'il a escript que icelluy de Cazimir avoit, jusques à ceste heure, différé de marcher pour aulcunes difficultez, lesquelles à présent estoient composées, et que bien tost il seroit en campaigne. L'on parle d'envoyer ung aultre ambassadeur en Allemaigne pour se trouver à la prochaine diette, et je présume que ce sera Trokmarthon; car j'entendz qu'il se met en ordre et se prépare pour quelque voyage.
Naguyères a esté envoyé commission en ceste ville de Londres, pour commander à ceulx, qui sont obligez de tenir chevaulx de service, de les avoir toutz prestz du premier jour, et à ceulx qui doibvent avoir des courtaultz, lesquelz ilz appellent chevaulx légiers, de se pourvoir comme les aultres de chevaulx de service, et aulx brigandiniers d'avoir des corseletz, et aulx tireurs d'arc d'avoir des haquebutes, et aulx merchandz de se pourvoir chacun d'armes à sa commodité.
Encores despuys, est venue aultre commission par où est mandé à toutes les paroisses que, sellon la grandeur et nombre d'hommes qui est en chacune d'icelles, l'on ayt à se fornyr de certaine quantité de piques, d'haquebutes, corseletz, arcz et aultres armes, et les aschapter de la Tour sellon le priz qui en a esté faict de chacune espèce d'icelles par les commissaires à ce depputez, dont le Sr. Thomas Grassan est le principal; et c'est affin d'armer beaulcoup d'hommes par tout ce royaulme, et tirer cependant de l'argent; et aussi pour renouveller les armes de la dicte Tour qui sont desjà si vieilles et usées, pour avoir esté longuement et souvant forbyes avecques du sablon, qu'il y en a une partie quasi percées à jour.
Oultre cella, l'on m'a donné adviz qu'aulx monstres généralles de ce pays, il y a esté faict une secrecte description de soldatz (sçavoir, de six mille harquebouziers, six mille corseletz et encores d'aultres douze mil hommes, mais ne sçay avec quelles armes), pour estre pretz et levez dans quatre jours, toutes les foys qu'on les mandera.
Ilz font aussi amaz d'argent par toutz les moyens qu'ilz peuvent, faisans vandre les merchandises d'Espaigne, faisans forger des angellotz neufs dans la Tour, comme pour soldoyer estrangiers, et arrester tous les payemens des particulliers, de sorte qu'on ne voyt plus courir aulcuns deniers parmy le commun; et, à ce propoz, l'on m'a donné adviz que, depuys quelques moys en çà, deux Anglois sont venuz de Genève à Lion avec plusieurs lettres d'eschange, qui donnent ordre au recouvrement des deniers pour le payement des reytres, mais je n'ay peu sçavoir leur nom.
Pour toutz ces aprestz, je n'estime que ceulx cy se hastent pourtant de nous commancer encores la guerre, ny d'exploicter ouvertement contre nous chose qui les puisse directement arguer de l'infraction des trettez, jusques à ce que le dict duc de Cazimir soit entré en France, ou que l'armée, qui est à Poictiers, soit aprochée en Normandie ou Picardie, ou qu'ilz voyent succéder une si grand bataille que les propres forces du royaulme ne soyent, puys après, suffizantes d'empescher que les leurs n'exécutent ce qu'ilz vouldront; ce qu'on m'a dict qu'ilz vont guettant sur toutes choses, et qu'en ce cas, ilz font estat d'avoir les estrangiers à leur dévotion: et j'entendz qu'il y a je ne sçay qui en France, qui continue les asseurer de la prinse de Callays dans vingt jours, s'ilz le veulent essayer; à quoy ne fault doubter qu'ilz n'ayent une merveilleuse affection, et se parle aussi qu'on pourra faire descente au Tresport.
Il est vray que, de la sublévation advenue en Suffoc et Norfolk, encor qu'il ayt apareu que les eslevez estoient de la nouvelle religion, et presque toutz ouvriers de layne, qui s'estoient ainsy mutinez, parce qu'on ne les employoit à leurs accoustumez ouvrages durant ceste suspencion de traffic des Pays Bas, dont ne leur restoit aulcun moyen de vivre, et aussi de celle d'Irlande, de laquelle, encor que ceulx cy monstrent ne faire cas, qui a néantmoins apareu jusques icy bien grande, si sont ilz en peyne de toutes deux; et aulcuns principaulx du conseil, pour l'importance d'icelles, et pour divertyr aulcunes aultres plus affectés entreprinses qui ne leur playsent pas, cryent et pressent qu'il fault pourvoir à celles cy, et ne se surcharger tout à la foys de beaulcoup d'affaires estrangières avecques les princes, en quoy proposent d'abandonner le faict de la Royne d'Escoce et les différans des Pays Bas.
Dont sur une mienne remonstrance, qu'en ces entrefaictes j'ay vifvement faicte à ceste Royne et aulx principaulx des siens, après qu'ilz l'ont eu mise en dellibération, en laquelle j'entendz que la dicte Dame mesmes a prins aulcunement le party de la soubstenir, il a esté advisé de faire dire par Mr. le duc de Norfolk à Mr. le cardinal de Chatillon que, voyant la dicte Dame que je révoquoys à infraction de paix beaulcoup de choses, qui se faisoient en son royaulme en faveur et proffict de ceulx de la Rochelle tant par mer que par terre, elle et eulx, ses conseillers, estimans n'estre bon ny convenable de perdre l'amytié du Roy, ny rompre la bonne paix qu'elle a avecques luy et avecques son royaulme, le vouloient bien advertyr, ensemble ceulx de son party, de se pourvoir ailleurs des remèdes et secours qu'ilz serchoient par deçà, et qu'ilz se contentassent que ce royaulme leur fût un reffuge de paix, sans le faire tumber en ung inconvéniant de guerre.
Et j'ay sceu despuys bien certainement que le dict duc luy a porté la parolle, et que suyvant icelle les ourques ont esté arrestées, lesquelles semble que prandront meintennant aultre routte que celle de France, bien qu'aulcuns m'en mettent en doubte, comme je le mande en la lettre du Roy. Les soldats de l'homme du prince d'Orange ont esté cassez, dont ce qu'il y avoit de Françoys se sont allés embarquer ailleurs. L'emprunct sur les bagues de la Royne de Navarre a esté en aparance reffuzé, et quelque forme de provision a esté ordonnée sur les prinses, et contre les pirates, et sur la continuation du commerce.
Je ne veulx toutesfoys rien inférer de paix ny de guerre pour cella, sinon aultant que, jour par jour, j'en verray advenir, et aultant que je pourray ramener les affaires au bien du service du Roy; car, au reste, toutz les adviz que j'ay, concourent à ce que ceulx cy n'attandent que l'ocasion et l'oportunité, que j'ay dict cy dessus, pour se déclairer; et que leurs présentes démonstrations ne sont que pour servyr au temps, affin de pouvoir prandre le party qui leur semblera plus expédiant de paix ou de guerre, quant ilz en verront leur poinct, et cependant en aparance satisfaire le Roy et ceulx qui luy sont icy bien affectionnez, mais en effet secourir et porter le faict des aultres, aultant qu'il leur est possible; comme, à la vérité, ilz les secourent d'argent, et de monitions, et de tout ce que secrectement ilz les peuvent accommoder par des moyens toutesfoys, qui ne chargent guyères les finances de ceste Royne, ny ne touchent quasi en rien à elle.
La sublévation d'Irlande a monstré, du commancement, debvoir estre la plus grande qu'on eust jamais veu dans le pays, tant pour le grand nombre d'hommes qui avoient prins les armes, que pour y avoir des principaulx du pays meslez, et que les deux anciennes factions, qui toutjour avoient esté ennemyes, s'estoient accommodées en cecy; mais j'entendz que ung des principaulx de l'entreprinse a mandé à ceste Royne que ce n'estoit contre elle, ny contre son authorité, qu'ilz s'estoient ainsy armez, ains pour aulcunes leurs prétentions particullières, esquelles ilz vouloient estre satisfaictz; et que, quant il verroit passer l'affaire à rebellion, il se retireroit incontinent, et ramèneroit au service de la dicte Dame la meilleur part de la troupe. Et despuys, estant le comte d'Ormont arrivé par dellà, encor qu'on ayt eu quelque mesfiance de luy, il a néantmoins faict en sorte, avec son frère et avec le comte de Quilday, qu'il a ramené les choses à quelque modération; de quoy ceste Royne et les siens, icy, ont receu grand plésyr, et ont eu très agréable que j'aye faict bon office et offres là dessus, de la part de Leurs Majestez Très Chrestiennes, à la dicte Dame, laquelle, pour ceste cause et pour l'opinion qu'elle a heu que d'aultres princes y allumoyent le feu, elle s'est monstrée despuys mieulx disposée envers le Roy, plus difficile ez différans des Pays Bas, et moins accordante aulx requestes de ceulx de la Rochelle; tant y a que les armes ne sont encores posées au pays d'Irlande.
DES DIFFÉRANDZ DES PAYS BAS.
L'Ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, a essayé par plusieurs moyens d'entrer en tretté avec ceulx cy sur les différandz des Pays Bas, et le duc d'Alve a fort vollu que, pour la réputation de son Maistre, il commençât d'y procéder par ung moyen de continuer à parler à elle comme l'ambassadeur ordinaire, sans monstrer avoir nouvelle ny expécialle commission du Roy Catholique pour cella. De quoy ayant esté reboutté plusieurs foys, il l'a faict néantmoins solliciter par interposées personnes, nomméement par ung sieur Georges Espée et par le Sr. Ridolfy, si instantment qu'avec l'ayde d'aulcuns principaulx seigneurs du conseil il luy avoit esté, une foys, mandé, parce qu'il asseuroit avoir plusieurs lettres là dessus du Roy, son Maistre, mais qu'elles estoient en chiffre, qu'il vînt quant il luy plairroit; et me fut donné adviz à moy que parmy beaulcoup de grandz promesses, qui se faisoient là dessus pour parvenir à cest accord, l'on y mesloit je ne sçay quoy qui touchoit à l'interest de la France, et que j'eusse à y prendre garde, ce qui m'a long temps tenu en peyne; mais je n'en ay encores peu rien descouvrir, sinon quelques propoz généraulx qui, à la vérité, tendoient à ung certain leur particullier proffict et advantaige, et à confirmer davantaige l'alience et intelligence d'entre eulx et leurs estatz, et, s'il y a rien de mal, je ne puys croyre qu'il procède du dict sieur ambassadeur, ains d'icelluy Espée, qui est, à ce que j'entendz, ung très mauvais Françoys.
Tant y a que, quant le dict sieur ambassadeur a, despuys, envoyé demander le jour, l'heure et le lieu de l'audience, la dicte Dame a de rechef assemblé son conseil pour luy respondre; et, ayant appellé premier le comte de Lestre pour luy dire bien peu de parolles tout bas, puys toutz les aultres ensemble, après avoir longuement débattu de l'affaire, elle leur a dict, tout hault, en langaige itallien, [de sorte] que les gens du dict sieur ambassadeur l'ont peu ouyr,—«Je n'en feray rien, car l'on me veult tromper; mais qu'il parle premièrement à vous et qu'il vous face voir s'il a des lettres de son Maistre, et puys je parleray à luy.»
Or, continuans toutjour le dict sieur ambassadeur et moy nostre mutuelle visitation par messaiges, il m'a mandé dire que la dicte Dame luy avoit une foys accordé la dicte audience, puys luy avoit mandé qu'il parlât premièrement à ceulx de son conseil, pour leur monstrer s'il avoit receu nouvel ordre et nouveau commandement du Roy, son Maistre, pour tretter et négocier de ces différans avecques elle; et qu'il avoit respondu que l'ordre, qu'il avoit de son dict Maistre, estoit une continuation de lettres qu'il luy avoit ordinairement escriptes, comme à son ambassadeur, pour tretter de toutes choses qui concernoient par deçà son service avecques elle, et qu'il n'avoit que faire avec ceulx de son conseil pour aller devers eulx; mais, s'ilz avoient à faire à luy, qu'ilz sçavoient où il demeuroit, et le pourroient venir trouver; et que despuys elle luy avoit envoyé offrir l'audience, mais qu'il n'y vouloit poinct aller.
Ainsy l'affaire demeure encores en suspens et les merchandises des Espaignolz se vandent.
DU FAICT DE LA ROYNE D'ESCOCE.
Après plusieurs remises et longueurs, uzées par la Royne d'Angleterre à la Royne d'Escoce, l'on tira enfin une promesse d'elle, au mois de juing dernier, qu'aussi tost qu'elle auroit receu la déclaration de Leurs Majestez Très Chrestiennes et de Monsieur, frère du Roy, sur le tiltre de ce royaulme, et qu'elle auroit heu la responce des Estatz d'Escoce, qui estoient convoquez par le comte de Mora à St. Jehansthon au xxve juillet, elle ne diffèreroit plus de procéder à la restitution de la dicte Dame; dont est advenu que, sur le xvıȷe d'aoust, la dicte Dame a receu les dictes déclarations touchant sa coronne, qu'elle a trouvées en la forme qu'elle les desiroit, et a heu la responce des dictz Estatz d'Escoce bien fort contraire à ce qu'elle espéroit.
Et fault entendre que, aus dictz Estatz, le dict comte de Mora a proposé assés pleinement quatre articles, qui concernoient le présent affaire de la dicte Royne d'Escoce, de sorte qu'on a cuydé qu'il deust laysser la libre détermination d'iceulx à l'assemblée, mais, luy et le comte de Morthon, et leurs adhérans, s'estoient, à ce qu'on dict, premièrement obligez, par sèrement et promesse entre eulx, de ne permettre que rien s'y conclûd au proffict de la dicte Dame, et d'employer eulx, leurs parans et amys, et toutz leurs moyens, pour empescher sa restitution.
Et ainsy, ilz ont obtenu, contre l'opinion du party qui estoit pour elle, lequel n'estoit là en grand nombre:—touchant le premier article, qui concernoit la restitution de la dicte Dame;—que, pour la recordation du murtre du feu Roy, et pour le bien du jeune Roy son filz, et l'utillité du pays, et aussi, pour leurs consciences, ilz ne pouvoient authoriser ny consentir qu'elle fût restituée.
Au segond, qui estoit du divorce du comte Boudouel, affin que la noblesse ne fût plus en deffiance de luy;—que c'estoit chose qui concernoit le faict particullier de la dicte Dame, auquel pour le présent, ilz n'avoient grand intérest, et qu'elle y procédât comme sa propre conscience l'en admonesteroit.
Pour le regard du troisiesme, qui estoit de surceoyr cependant toutz exploictz de guerre, et n'attempter rien contre ceulx qui tenoient le party de la dicte Dame, ny assiéger son chateau de Dombertran;—qu'il importoit grandement d'establir, le plus diligemment et seurement qu'ilz pourroient, l'authorité du jeune Roy, leur Maistre, dans le pays; par ainsy qu'ilz n'en pouvoient différer l'exécution.
Et sur le quatriesme, qui estoit de députer des commissaires pour venir devers la Royne d'Angleterre tretter des affaires de la dicte Royne d'Escoce et de l'estat de leur pays;—que, veu la résolution prinse sur les aultres trois articles, ilz ne voyent qu'il y heût lieu de faire aultre chose sur cestuy cy que d'advertyr la dicte Royne d'Angleterre de leur dicte résolution: ce que le comte de Mora print en sa charge de faire par une simple lettre.
Sur quoy, ayant l'évesque de Roz, au nom de la dicte Royne d'Escoce, et moy, de la part de Leurs Majestez Très Chrestiennes, bien fort pressé la Royne d'Angleterre que, puisqu'il luy aparoissoit meintennant de la manifeste usurpation qu'on vouloit faire de la coronne d'Escoce sur ceste princesse, qu'elle luy vollût accorder ou reffuzer résoluement son secours, à quoy elle nous y a faict la responce que j'ay escripte au Roy, le xxıȷe du passé, et a prins nouveau délay de quinze jours pour attandre si le dict comte de Mora luy envoyera quelque meilleure responce, ainsy qu'elle l'a conjuré et admonesté, par nouvelles lettres, de le faire.
Mais, de tant que la longueur porte ung merveilleux préjudice aulx affaires de la dicte Dame, elle et toutz ceulx, qui luy sont icy bien affectionnez, desirent que Leurs Majestez en facent une ferme et vifve remonstrance à Mr. Norrys, ambassadeur de la dicte Dame par dellà, comme ilz sont résoluz de pourveoir au restablissement de la dicte Royne d'Escoce, et que la Royne d'Angleterre, sa Maistresse, n'en doibt estre marrye, ny trouver mauvais qu'ilz mettent cependant quelque secours dans Dombertran, pour le pouvoir garder et pour y recepvoir plus grandz forces, quant Leurs dictes Majestez verront qu'il sera besoing y envoyer, monstrans qu'ilz ont desjà donné charge à Mr. de Martigues et à Mr. de Bouillé de dresser ung armement en Bretaigne pour cest effect. Et commant que soit, il est bien besoing que Leurs dictes Majestez, à bon escient, pourvoyent d'envoyer, dans la fin d'octobre, cinq ou six cens soldatz au dict Dombertran.
PROPOS DE LA ROYNE D'ANGLETERRE A Mr. LE CARDINAL DE CHATILLON.
La Royne d'Angleterre, craignant qu'enfin nostre guerre ne luy en cause une à elle, et que ne la face tumber en affaires et despences, monstre desirer infinyement la paix de France; dont, oultre plusieurs discours conformes à cella, que j'ay cy devant mandé qu'elle m'en a tenuz, elle m'a dict avoir naguières miz Mr. le cardinal de Chatillon en ce propos:
Qu'est ce qu'il espéroit de ceste guerre? et qu'il sçavoit bien qu'il failloit qu'elle prînt fin, comme toutes aultres choses, qui ont eu commancement; et de tant la luy debvoit on donner plustost, que le commancement avoit esté violent et mauvais; et, par ce qu'elle jugeoit bien, en son cueur, que le Roy et la Royne ne desiroient rien tant que de pouvoir posséder en paix et tranquillité leur royaulme, avec l'amytié, et bienveuillance, et prompte obéyssance de leurs subjectz, qu'il failloit que, de leur costé, ilz monstrassent une semblable volonté et vray debvoir de bons subjectz envers eulx.»
Et le dict sieur Cardinal luy avoit respondu, «qu'il prenoit sur sa damnation et sur la perte de son âme qu'il n'y avoit en son frère, ny en luy, ny en aulcun qu'il cogneust de leur party, aultre desir que d'aymer, honnorer et obéyr le Roy, et la Royne, et Messieurs ses frères; et leur conserver, à leur pouvoir, la grandeur et dignité de leur estat, aultant soigneusement que leur propre vie; et qu'ilz n'estoient en armes que pour leur religion qu'on leur vouloit oster, et pour leurs personnes qu'on vouloit partout massacrer, qui estoient deux très urgentes causes de leur légitime deffance.»
Qu'elle luy avoit répliqué, «que la cause de la religion touchoit à si grand nombre de personnes, tant en France que ailleurs, qu'elle ne pouvoit croyre que le Roy vollût s'opiniastrer de l'exterminer par force, car il fauldroit qu'il entreprînt le renversement de toute la chrestienté; mais que la cause des personnes touchoit bien à luy seul, parce que c'estoient ses subjectz; et que, là dessus, il failloit regarder de quelque moyen, qui fût honnorable pour l'ung et pour les aultres, et pourtant qu'il ne failloit tant se deffier du Roy et de la Royne [et qu'il failloit] qu'on en vînt à prendre confience de leur parolle et promesse.»
Qu'à cella il avoit représanté mille argumens pour ne pouvoir mettre assés de confience en la parolle de Leurs Majestez, pour n'avoir cy devant esté tenue ny gardée, ny leurs éedictz observez; et qu'estantz le Roy et la Royne ainsy possédez, comme ilz estoient meintennant, de leurs ennemys, ne failloit espérer aulcune modération en ces affaires.
Sur quoy elle avoit poursuyvy luy dire «qu'elle entendoit bien qu'il vouloit parler de monsieur le Cardinal de Lorrayne, mais, quant bien il ne seroit poinct avec Leurs Majestez, elle ne croyoit pourtant qu'elles se volussent meintennant commettre à eulx, ny se mettre en leurs mains, après une si cruelle guerre; par ainsy qu'il failloit qu'ilz pensassent de quelque bon et honnorable moyen d'en sortyr.»
Et qu'il luy avoit seulement respondu que Dieu envoyeroit le moyen, lequel, jusques icy, ne les avoit habandonnez; de laquelle responce elle n'estoit demeurée contante, et luy avoit dict qu'elle sçavoit qu'il adviendroit toutjour ce que Dieu vouldroit, mais qu'elle desiroit entendre de luy s'ilz estoient disposez de cercher de Dieu et accepter de luy ung paysible remède en ces malheurs; et qu'enfin il l'avoit asseurée qu'ilz l'avoient essayé, et qu'ilz avoient envoyé offrir à Leurs Majestez toutes condicions de paix humbles et convenables à très bons et fidelles subjectz, qui requièrent seulement la seurté de leurs personnes et l'exercisse de leur religion, à quoy ilz n'avoient esté ouys; ce qu'elle vouloit bien entendre de moy s'il estoit vray, car il luy en avoit faict aparoir, par aulcunes lettres de monsieur l'Admyral, qui justiffioient beaulcoup leur cause envers tout le monde. A quoy j'ay respondu ainsy qu'il est contenu en ma précédante dépesche du xxıȷe du passé.
LE Sr. DE LA MOTHE FÉNÉLON A LA ROYNE D'ANGLETERRE.
—du XVIIe d'aoust 1569.—
Madame, le Roy, Mon Seigneur, et la Royne Très Chrestienne, sa mère, vous ont envoyé toutes les déclarations, que demandiez, touchant le tiltre de vostre coronne, et y ont de tant plus soigneusement procédé qu'ilz vous ont vollu faire cognoistre qu'ilz n'ont jamais pancé de vous offancer, et que ceulx là sont par trop malicieulx, qui ont supposé ceste cession pour traverser vostre commune amytié et vous mal mesler ensemble; car je vous veulx bien encores, pour une troysiesme foys, retourner dire cecy: qu'ilz n'ont pensé, ny pratiqué, ny presté l'oreille à pratiquer, rien qui soit contre vostre bien, grandeur ny estat, ny en quoy ilz estiment que vous deussiez prandre desplaysir, despuys le dernier tretté de paix.
Et meintennant, Madame, qu'il vous apert de la déclaration de Leurs Majestez et de celle de Monsieur, frère du Roy, pour le tiltre de vostre royaulme, et que vous avez receu celle que le comte de Mora faict pour priver la Royne d'Escoce du sien, je vous suplye, de la part de Leurs Majestez Très Chrestiennes, ottroyer meintennant à la dicte Dame la pourvoyance et remède, que luy avez toutjour promiz en ses affaires;
Et ne preniez qu'en bonne part si le Roy et la Royne vous en font faire ceste instance; car, par le debvoir de l'alliance et du parentaige, et de l'obligation des trettez qu'ilz ont avec ceste princesse et sa coronne, ils ne peuvent laysser de pourchasser sa restitution, ny s'en excuser envers Dieu ny le monde. Néantmoins ilz ont bien vollu attandre paciemment l'ordre que vous y mettriez, et n'y entreprendre rien de leur main, de peur de vous offancer, sinon seulement de vous en faire solliciter, par moy leur ambassadeur, le plus modestement que j'ay peu; et ne prétendent encores de s'en mesler, tant qu'il y aura espérance de vostre secours; ains seront très ayses d'en raporter à vous seulle leur propre obligation, et celle de ceste paouvre princesse, leur alyée, s'il vous playt le luy bailler.
Mais ilz me commandent bien de vous dire que si, de ceste heure en avant, ilz voyent que vostre secours luy soit de telle façon prolongé, qu'il ne luy puisse de rien plus servir, parce que le comte de Mora va exécutant toutz ses bons subjectz dans le pays, et les dépossedantz de leurs biens et maysons, et poursuyt le siège de Dombertran, qui est la seule place demeurée en l'obéyssance de la dicte Dame; et par ainsy que vostre secours luy viègne à deffaillir, qu'ilz se mettront, du premier jour, en debvoir de luy pourvoir du leur, par toutz les meilleurs moyens et expédiantz qu'ilz verront le pouvoir faire;
Que, encores que vous ayez opinion que le comte de Mora soit entré bon et bien intentionné en ceste cause, vous voyés bien meintennant, Madame, qu'il est devenu tout aultre; et ainsy advient de ceulx qui, peu à peu, prènent, d'eulx mêmes, quelque authorité (ou les armes), qu'ilz ne s'en veulent, puys après, volontiers despartyr par celle d'aultruy; car par vostre moyen, Madame, il pourroit tout ensemble pourvoir à la Royne, sa seur et sa Mestresse, au petit Prince son filz, au pays et subjectz, et bien fort seurement à luy mesmes et à ce qu'il eust desiré d'avancement dans le royaulme; et si, eust grandement satisfaict à sa réputation, et contanté Leurs Majestez Très Chrestiennes et toutz les aultres princes chrestiens, ce qu'il a tout mesprisé pour se cuyder contanter luy seul.
RÉPONSE DE LA ROYNE D'ANGLETERRE.
La dicte Dame m'a respondu—«que nulle aultre personne du monde ne desiroit plus soigneusement pourvoir au restablissement de la Royne d'Escoce qu'elle faisoit, pourveu que ce fût sans l'exposer au dangier de ses ennemys, et qu'elle le peult faire sellon son honneur et conscience, et, si je luy allégoys l'alliance de Leurs Majestez, elle luy estoit encores plus prochaine allyée;
«Qu'il y avoit quatre sortes de secours pour la remettre,—l'ung, de force;—l'aultre, de conseil;—l'aultre, d'argent;—et le quatriesme, par ung bon accord;—et que la dicte Royne d'Escoce n'avoit monstré tant mesprizer le repoz de son royaulme et le sang de ses subjectz, qu'elle n'eust toutjour préféré son retour à sa coronne par l'agréable consentement de ses subjectz que par la violence d'une guerre; et que, de sa part, oultre les aultres considérations, ceste cy luy passeroit fort la conscience, de ne la y vouloir remettre pour exécuter, puys après, cruellement ses vengeances; car ne vouldroit estre cause du sang qui s'y espandroit;
«Que, à la vérité, elle n'avoit accepté ny pour responce, ny pour satisfaction, ce que le comte de Mora luy avoit mandé, dont luy avoit soubdain escript que, si dans quinze jours il ne luy respondoit aultrement et mieulx, sellon le propos de la restitution de la Royne d'Escoce, elle mesmes se feroit la responce, et luy feroit sentyr ce qu'elle en auroit résolu; et, à ceste occasion, la dicte Dame pryoit Leurs Majestez Très Chrestiennes d'avoir pacience pour ce peu de temps.
«Il est vray qu'elle me vouloit bien dire que la dicte Royne d'Escoce ne s'estoit bien déportée envers elle, encores qu'elle luy heust esté plus que bonne mère, et luy eust saulvé la vye; et qu'elle sçavoit tout ce qu'elle avoit pratiqué, despuys qu'elle estoit entré en ce royaulme, aultant par le menu comme si elle y eust esté appellée, car les princes ont des oreilles grandes qui oyent loin et prez, en divers lieux; et que la dicte Royne d'Escoce s'estoit esforcée de mouvoir le dedans de ce royaulme contre elle, par le moyen d'aulcuns des siens qui luy promettent de grandz choses, mais c'estoient gens qui conçoyvent des montaignes mais ne produisent que petitz monceaulx de terre, qui l'avoient pancé si sotte qu'elle n'en sentyroit rien, mais elle s'en estoit toutjour moquée dans la manche; et que n'ayant la dicte Royne d'Escoce bien vollu user d'elle comme de bonne mère, elle méritoyt qu'elle luy fût marastre;
«Qu'elle se sentoit en assés bon estat de forces et d'argent, et de toutes choses, pour ne pouvoir estre constraincte, par nulle force qui soit aujourduy au monde, à faire en cest endroict, pour la Royne d'Escoce, sinon ce qu'elle estimeroit estre bon et convenable à son honneur, à son debvoir et à sa conscience; et que plusieurs choses s'obtiennent et se conduysent, par la bonne grâce et bienveillance, des princes bien nays, qui sont ayséement destornées, quant on les veult admener aultrement; et qu'il luy restoit sur le cueur plusieurs aultres choses, qu'elle me diroit mieulx à propos une aultre foys; seulement me vouloit demander comment j'estimoys que le Roy la peult secourir à ce besoing; car il luy fauldroit passer la mer.»
Sur quoy, après luy avoir donné satisfaction, pour Leurs Majestez Très Chrestiennes et pour moy, touchant ce qu'elle avoit sur le cueur de cest affaire, et m'ayant elle monstré d'en estre bien fort satisfaicte, je luy respondiz que, grâces à Dieu, le Roy avoit de très grandz moyens de la secourir, et qu'elle mesmes les pouvoit comprendre par ce qu'elle en oyoit dire, sans que je les luy particularisasse; et qu'il restoit, oultre cella, grand nombre de bons subjectz et serviteurs à ceste princesse dans son royaulme, aus quelz n'estoit besoing que de bien peu de secours; et, quant à passer la mer, il y avoit assés vaysseaulx en France, et des gens qui sçavoient bien ceste route; et que je croyois qu'elle mesmes, à ung besoing, nous ayderoit de ses propres vaysseaulx pour une si légitime entreprinse, laquelle je luy vouloys encores dire qu'il failloit, par nécessité, qu'elle fût exécutée.
Et nonobstant que lors, en présence de ceulx de son conseil, elle se courroucea asprement, et fit de grandz menasses, elle s'est despuys modérée, et n'ont, les persuasions de la duchesse de Suffoc et de la comtesse de Lenos contre ceste cause, tant peu comme les bonnes raysons qu'on luy admène pour icelle, dont s'en attand quelque bonne expédition en brief.
ADVERTISSEMENT TOUCHANT LE FAICT DE LA ROYNE D'ESCOCE.
Au mois de juing 1568, la feu Royne d'Espaigne escripvit une lettre à la Royne d'Escoce, pleyne de grand affection, pour luy persuader d'envoyer le petit prince d'Escoce, son filz, en Espaigne, affin d'estre norry prez du Roy Catholique, son mary, adjouxtant quelque mot de le vouloir accepter pour leur gendre, et luy réserver une de leurs petites filles en mariage; ce que la Royne d'Escoce accepta incontinent avec grand affection. Mais quant sa responce arriva en Espaigne, la Royne d'Espaigne estoit desjà allée à Dieu, dont le Roy, son mary, print les lettres, sur lesquelles il a despuys escript, par deux foys, à la Royne d'Escoce; sçavoir, en janvier et février derniers, confirmant l'affaire, et ouvrant encores quelques propos de mariage à la dicte Dame pour luy, ou pour l'archiduc Carlos, ou pour dom Joan d'Austria, lesquelz il disoit aymer aultant que soy mesmes.
L'ambassadeur d'Espaigne communiqua le propos à monsieur l'évesque de Roz, qui, à ce que j'entendz, monstra ne trouver bon qu'on parlât d'aultre que du Roy Catholique, et néantmoins il tint la main à conduyre, en caresme prenant dernier, ung des gens du dict ambassadeur jusques à Borthon devers la dicte Dame, qui y fut expressément envoyé pour la veoir, et nother ses parolles, ses contenances et sa forme de vivre, lequel fit, despuys, ung très bon récit de la dicte Dame, mais ne raporta, pour lors, aultre parolle d'elle, sinon qu'elle estoit en estat de ne pouvoir rien promettre ny d'elle, ny de son filz, car elle estoit en puyssance d'aultruy; seulement elle avoit besoing de secours pour estre remise à sa coronne, et que, s'il playsoit au Roy Catholique luy ayder, il se pouvoit promettre, d'elle et de son filz, tout ce que mériteroit la grande obligation qu'elle luy en auroit.
Peu de jours après, ayant la dicte Dame pratiqué ung moyen de se saulver et de se remettre en son pays, pourveu qu'elle fût ung peu secourue, dellibéra d'y employer le dict Roy Catholique et se commettre en ses mains, jusques à se offrir de passer en Flandres. Et à cest effect, le ser Jehan Amilthon fut envoyé devers le duc d'Alve, à Bruxelles, luy demander hommes et argent pour cest effect; lequel respondit qu'il seroit prest de mettre xx mil hommes dans l'Angleterre, à la dévotion de la dicte Dame, pourveu qu'il y eust quelques ungs du pays pour les recepvoir, et qu'il vît y avoir fondement ou aparance d'y pouvoir effectuer quelque chose, mais n'avoit encores ordonnance du Roy, son Maistre, de getter gens de guerre hors du pays, toutesfoys il l'en advertyroit promptement; et qu'au reste, argent ne manqueroit. Et comme le dict Amilthon luy répliqua, qu'au cas qu'il ne peust envoyer promptement des gens, il avoit charge de luy demander quelque prompt secours d'argent, il respondit que l'ung et l'aultre se bailleroient à la foys, quant le Roy, son Maistre, le luy auroit mandé, et que plustost ne se pouvoit faire.
Sur ceste responce, ayant la dicte Dame, despuys, sondé la volonté de ses partisans dans le pays, a trouvé que toutz estoient disposez de faire ce que le duc de Norfolc vouldroit, mais que, de mettre tant d'estrangiers dans le pays, ilz ne le trouvoient bon; car ne veulent, à ce qu'ilz disent, combattre pour conquérir ce royaulme au Roy d'Espaigne, ny avoir rien à faire avec ceste nation là; seulement, ilz se veulent employer à bien garder le droict qu'elle prétend à ceste coronne, après la Royne, sa cousine, et cependant la remettre à la scienne, en quoy ilz s'estiment estre assés fortz pour conduyre l'entreprinse, pourveu qu'on ayt ung peu d'argent.
Ce qu'estant remonstré, en bonne sorte, au dict duc d'Alve, sans aulcunement reffuzer ses hommes, mais monstrant seulement la difficulté de ne les pouvoir encores accepter, et le sollicitant, au reste, de quelques deniers contantz, il a, avec bonnes parolles, prolongé plusieurs moys la responce, essayant cependant d'obliger la Royne d'Escoce de ne se priver de la liberté de son mariage, pour en user, puys après, sellon le conseil du Roy, son Maistre, et de luy bailler toutjour le petit prince d'Escoce, son filz; en quoy le temps a coulé jusques à la my aoust dernier, qu'ayant le dict duc promiz de bailler lors une résolue responce, il a asseuré le dict Amilthon, qui y est pour la troisiesme foys retorné, de faire, dans le xve de septembre, délivrer argent par deçà à la dicte Dame. Et j'entendz que desjà il a envoyé une lettre d'eschange pour luy faire fornyr seulement dix mil escuz.
Ne fault doubter qu'il ne se meyne une bien estroicte pratique pour le mariage de la dicte Dame avec dom Joan d'Austria, et que, par les allées et venues du susdict Amilthon, et du voyage que Rollet, secrétaire de la dicte Dame a naguyères faict devers le duc d'Alve, au partyr d'Orléans, le propos n'en soit, possible, bien avant; mais ce ne seroit aulcunement l'advantaige d'elle, car n'auroit pourtant asseurance d'eschapper d'icy, ny d'estre remise en son estat, et si est sans doubte qu'elle perdroit le droict qu'elle prétend à ceste coronne; sur quoy, ayant l'ambassadeur d'Espaigne naguières miz monsieur l'évesque de Roz en divers propos du dict mariage, et de ce qui s'en parloit pour le duc de Norfolc, luy a incisté grandement qu'elle debvoit réserver en cella le consentement de Leurs Majestez Très Chrestienne et Catholique.
Est à craindre que la Royne d'Angleterre, pour certaine opinion qui luy est montée en la teste, veuille tenir la main au dict dom Joan, car a dict qu'elle se vouloit en toutes sortes dépétrer de la Royne d'Escoce et la remettre, pour son honneur, en son estat, bon gré mal gré qu'en eust le comte de Mora; et qu'elle sçavoit bien, qu'aussi tost qu'elle seroit en Escoce, qu'elle espouseroit ung estrangier, dont elle seroit haye et des Escouçoys et des Angloys, et se déboutteroit elle mesmes de l'espérance qu'elle monstre avoir si grande à la succession de ceste coronne.
Par le tret, que le Roy d'Espaigne a faict, de vouloir ainsy soubstraire au Roy ceste alliance d'Escoce, et s'emparer de la Royne et du petit Prince du pays, pour le mener norryr prez de luy, au mespriz de Leurs Majestez Très Chrestiennes et de la coronne de France, joinct ce qu'il a entreprins de la précédance, et ce qu'il a essayé de traverser la ligue des Suysses, il monstre qu'il a trop d'ambition sur le Roy, et qu'en plusieurs sortes il s'esforce de luy diminuer la grandeur, la dignité et les forces de son estat, et qu'il recognoist trop mal l'amytié que la Royne luy a toutjour portée et ne la respecte comme il debvroit.
LVIe DÉPESCHE
—du Ve de septembre 1569.—
(Envoyée jusques à Calais par Olivyer Champernon exprès.)
Intrigues des protestants pour empêcher le rétablissement de la reine d'Écosse.—Fausse nouvelle répandue à Londres de la prise de Poitiers par l'amiral de Coligni.—Élisabeth demande que la France renonce à servir d'intermédiaire pour le commerce des Pays-Bas avec l'Angleterre.—Sortie, en grand équipage de guerre, des navires qui avaient été mis en arrêt sur les instances de l'ambassadeur.—Combien il est urgent de donner appui et de porter secours à la reine d'Écosse.—État et évaluation des joyaux envoyés de France par les protestants pour obtenir un emprunt.—Déclaration du conseil d'Angleterre sur le commerce de France et sur la nécessité de le restreindre en ce qui concerne les Pays-Bas.—Réponse de l'ambassadeur, dans laquelle il proteste contre cette prétention.
Au Roy.
Sire, vous ayant, le premier de ce moys, dépesché le Sr. de Sabran, avec tout ce qui se offroit lors à ma cognoissance digne de celle de Vostre Majesté, je dellibérois partir le lendemain pour aller trouver la Royne d'Angleterre affin de luy présenter voz lettres, que j'ay receues dans vostre paquet, du xve du passé, mais j'ay heu adviz qu'au partir de Bazin, elle s'est mise hors de son dellibéré progrez, pour aller veoir quelques petitz lieux escartez, et l'on m'a dict que je feray beaulcoup mieulx d'attandre qu'elle soit arrivée en Amptonne; et ainsy j'ay attandu de partir jusques à ceste après dinée que je m'achemine au dict lieu pour y arriver aussitost qu'elle.
Je viens d'entendre que quelques mauvaises personnes luy ont merveilleusement soublevé le cueur contre la Royne d'Escoce par ung aultre nouveau moyen, après qu'ilz ont veu que celluy de la cession du tiltre de ce royaulme demeuroit convaincu par les amples déclarations de Vostre Majesté; c'est qu'ilz luy ont persuadé que, n'ayant la dicte Royne d'Escoce peu parvenir au premier et plus éminent lieu de ceste coronne, elle pratiquoit meintennant d'avoir le second, et que, contre ce que la dicte Royne d'Angleterre avoit tant fermement résisté à toutz ses estatz et parlemens de ne déclairer son successeur, elle s'esforçoit meintennant de monstrer que c'estoit elle, se insinuant pour seconde personne en ce royaulme, affin de se faire la première, veuille ou non la dicte Dame, et mesmes avant le temps, par le moyen des catholiques; lesquelz ilz luy remonstrent qu'elle les a eslevez en grandz espérances, et desjà toutz attirez à sa dévotion, dont le trouble n'est petit en ceste court, par ce mesmement que la dicte Dame a senty que toutz les plus grandz de ce royaulme, et les principaulx de son conseil, incistent que la dicte Royne d'Escoce soit délivrée et restituée à sa coronne. De quoy l'on m'a dict que la dicte Royne d'Angleterre est bien fort offancée contre le comte de Lestre et contre le secrétaire Cecille de ce qu'estans eulx deux ses expéciaulx serviteurs, ilz ne debvoient, sans son sceu, avoir entreprins, comme ilz ont faict, de porter ce party; et est fort après meintennant à les séparer du duc de Norfolc et du comte d'Arondel qui l'ont, quant à eulx, toutjour manifestement porté. Et de tant, Sire, que sur ce courroux l'on vouldra, possible, forger encores des nouveaulx délays ez affaires de la Royne d'Escoce, qui seroit aultant que les ruyner du tout, Vostre Majesté et celle de la Royne tiendrez, s'il vous playt, du premier jour, à l'ambassadeur, Mr. Norrys, le propoz conforme à ce que je vous ay mandé par le dict Sr. de Sabran affin que, sur les lettres qu'il en escripra à sa Mestresse, son dict conseil ayt plus grand argument de luy remonstrer qu'elle les doibt advancer, et ne les avoir ainsy suspectz, comme les malicieux le luy représantent.
Il y avoit icy quelque commancement de bruict, quant le dict Sr. de Sabran est party, que Poictiers avoit esté prins d'assault le xıxe du passé, mais ayant receu lettres de Mr. de La Meilleraye et de Mr. de Sigoignes qui disent le contraire, j'en ay admorty et les nouvelles et les gaigeures qui s'en faisoient en ceste ville; et j'espère que Dieu vouldra qu'il en adviègne aultrement, car certes j'aurois bien à rabattre les entreprinses qui se mettroient incontinent en avant sur la dicte nouvelle, si elle estoit vraye.
Ceulx de ce conseil, despuys le pourparler que je fiz avec eulx à Fernan Castel, quant je leur présentay les députez de Roan, m'ont envoyé ung escript en latin que j'ay miz dans ce paquet, et sont ung peu marrys que je leur aye faict la responce que Vostre Majesté verra touchant la restriction du commerce des Pays Bas, car estimoient que je passerois cella légièrement, ce que je n'ay ozé faire au préjudice des trettez, sans avoir vostre commandement là dessus; mais sellon que je voy qu'ilz y vont de grande affection, et pour le temps, je croy, Sire, qu'il n'y aura grand mal de le laysser couler, et sinon en le consentant expressément, à tout le moins en ne le contradisant guyères; car aussi bien y pourvoirront ilz par leurs costumiers à l'yssue des merchandises, comme j'entendz que le duc d'Alve l'a aussi prohibé aulx Pays Bas.
Il est quelque bruict qu'en Espaigne l'on a arresté les nefz venitiennes, qui venoient à Londres chargées de plusieurs merchandises nécessaires en ce royaulme, de quoy, s'il est vray, ceulx cy seront bien fort marrys.
Les quatre ourques et trois vaysseaulx de l'homme du prince d'Orange sont enfin sortyes de ceste rivière en grand équipage de guerre, mais je n'ay encores adviz quelle routte elles ont prins; seulement j'en ay adverty les gouverneurs de la frontière de dellà pour y prendre garde; et estantz toutes aultres choses en l'estat que je vous ay mandé par mes dernières, je n'adjouxteray, pour le surplus, à la présente qu'une dévotte prière à Dieu, etc.
De Londres ce ve de septembre 1569.
A la Royne.
Madame, avant m'acheminer vers la Royne d'Angleterre, laquelle j'espère trouver d'icy à trois jours à Amptonne, à lx mille d'icy, j'ay bien vollu faire une dépesche à Voz Majestez sur l'occasion de ces particullaritez, que Vostre Majesté verra en la lettre que j'escriptz au Roy; oultre lesquelles je ne vous diray, Madame, sinon touchant le faict de la Royne d'Escoce qu'il est heure que le Roy et Vous, Madame, luy assistiez, ainsy que par le récit que j'ay donné charge au Sr. de Sabran de vous en faire, et parce que j'en mande meintennant en la dicte lettre du Roy, Vostre Majesté jugera que oportunément et prudentment se devra faire; car le feu en est bien allumé en ceste court, et semble, à la vérité, qu'il y va maintennant du faict ou du failly. Je ne deffauldray de mon office en cest endroict, ainsy que me l'avez commandé, pour servir en voz affaires et à ceulx de la dicte Dame aultant qu'il me sera possible; et par ce qu'ung de mes amys m'a dict avoir entendu de monsieur l'ambassadeur d'Espaigne, qui est icy, que le duc d'Alve pourroit prandre jalouzie, s'il entendoit qu'on vollût mettre aulcun secours de Françoys dans Dombertran, je suplie Vostre Majesté juger si cella sera considérable.
Et, au reste, Madame, ayant miz peyne de m'enquérir des bagues que le Sr. Du Doict a aportées pour engaiger par deçà, j'ay sceu qu'elles sont celles cy, sçavoir:
De la Royne de Navarre, un collier estimé par les orfèvres de France—cent soixante mil escuz;
Et ung quarquant—xl mil escuz;
De Mr. le Prince de Condé, bordeures, toretz, oreillettes et ung vaze d'agathe—xxxv mil escuz;
De monsieur l'Admyral, ung vaze d'agathe—xv mil escuz;
Une couppe d'agathe—x mil escuz;
Une croix—quatre mil escuz;
Une oreillette—deux mil escuz;
Et de Mr. du Vijan ung ruby et une aultre bague—quatre mil escuz;
Mais les orfèvres de Londres ne les prisent tant; lesquelles bagues ne sont encores engaigées. Sur ce, je bayse très humblement les mains de Vostre Majesté, et prie Dieu qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce ve de septembre 1569.
DÉCLARATION DU CONSEIL.
ACTA CONSILII IN FERNAMENSI CASTELLO.
—XVIIâ Augusti 1569.—
Presentibus:
Duce Norfolciæ,
Comite Bedfordiæ,
Comite Lecestriæ,
Prefecto regii cubiculi,
D. Secretario.
Conventum est ut de reliquo omnibus Anglis et Gallis mercatoribus libera commercii ratio sit, negociandi in Angliâ et Franciâ et utrinque reciprocè: et hinc indè importandi et exportandi omnia mercium et commodorum genera utriusque regionis, ità ut in quàm optimis pacis temporibus antehàc factum est; proviso tamen ut, durante hâc intercursûs suspensione inter Angliam et Regis Hispani Inferiorem Germaniam, nullus alterutræ nationis mercator ullas Inferioris Germaniæ merces directè aut indirectè advehat in Angliam, neve ex Angliâ in Inferiorem Germaniam. Fas tamen erit cuivis Gallicanæ nationis viro ab Angliâ Hamburgum indèque Orientem versùs liberè negociari, non aliter quàm aliis exteris id permittimus. Quâ etiam in re Anglis fautoribus utentur et adjutoribus.
Item, uti omnia Anglorum bona, ab octavo ultimi julii die hinc in Franciam evecta aut Gallorum in Angliam evecta, ab omni manuum invectione, quam arrestum vocant, soluta et libera sint, liceatque dominis pro arbitratu iis in contrahendo uti, eorumque bonorum estimationem in merces et res quas ipsis visum erit collocare, uti anteactis temporibus licitum est absque arresto aut impedimento.
Item, ut bona utriusvis nationis in utrovis regno antè octavum diem julii detenta, sub arresto rectè custodita remaneant usquè ad festum Sancti Michaelis: interim verò diligenter poterit inquiri quibus rationibus Gallorum bona, quæ ab illis repetentur, et in Angliâ antè diem octavum julii aut etiam posteà detenta aut capta fuisse probabuntur, poterint recuperari: cujus rei causâ, simulac duo illi honesti mercatores, Rothomago à mariscallo de Cossi nuper missi, petitiones et probationes suas coràm certis recuperatoribus, qui ad hoc munus delegati erunt, ediderint, omni indagine in singulis istius regni locis perquiretur, omnisque honesta etiam cogendi ratio adhibebitur, quò bona illa, quoad enim fieri poterit, in lucem prodeant atque ita illa sive illorum particulæ uspiàm deprehensæ aut verò illorum justæ estimationes collectæ antè festum Michaelis integrè dominis restituantur. Quo quidem tempore, de bonis etiàm Anglicis universalis et integra restitutio fiet eorum quæ antè octavum diem julii in Franciâ ullâ ratione detenta sunt.
Itera, si, propter magnas locorum distantias, antè festum Sancti Michaelis plena et integra restitutio bonorum Gallicorum, quæ illi petent et probabunt injustè allata in Angliam, fieri non poterit, eo fortassè quod aliqua eorum pars in extera hinc loca exportata fuerit, inscientibus eam fraudem factam nostris ministris, tamen adversùs delinquentes executio procedet ut illi ad restituendum non aliter planè cogantur, quàm si bona illa cuipiam essent subditorum coronæ Angliæ.
Et quoniàm illud sepè prædicatur magnum numerum Gallicorum mercatorum, qui in Hispaniam, Lusitaniam et Occidentem versùs negociatum eunt, cogi maximis impensis naves armare quo se tueantur adversùs eos tàm suæ nationis quàm alios quosdam qui Rochellam navigant, dabitur à Dominis Consiliariis opera ut illi, qui cum gubernatoribus Rochellæ multum possunt, conveniantur, quo, re ad æquas aliquas pactiones deductâ, mutuæ istæ marinæ Gallorum inter se violentiæ cessent et mare undiquè liberum et apertum reddatur et à periculis magìs vacuum.
L'AMBASSADEUR DE FRANCE.
Ce que les Seigneurs du Conseil d'Angleterre, le 17 d'aoust 1569, à Fernan Castel, ont advisé touchant le commerce d'entre ces deux royaulmes, que dorsenavant il demeurera libre, le dict ambassadeur le trouve raysonnable et bien fort expédiant.
Mais quant à la restriction du dict commerce de ne transporter par les subjectz de l'ung ny l'aultre royaulme aulcunes merchandises d'Angleterre en Flandres, ny de celles de Flandres en Angleterre, durant la suspention qui est entre les deux pays, de tant que cella semble torner au préjudice du cinquième article des derniers trettez de paix, le dict ambassadeur ne le peult soubscripre, mais il en advertyra le Roy par ses premières; duquel article la teneur s'ensuyt:
«Item conventum, concordatum et conclusum est quod, quandiù hæc pax et amicitia integra inviolataque permanebit, omnes et singuli utriusque prefatorum regnorum, omniumque terrarum et dominiorum, quæ nunc ab utrolibet predictorum regum possidentur aut in posterùm possidebuntur, incolæ, quâcumque dignitate, quocumque statu aut conditione extiterint, poterunt sese mutuis officiis amicitiæ prosequi et excipere liberè, tutò, securè, ultrò citròque, terrâ marique ac fluminibus commeare, navigare, inter se contrahere, emere, vendere, illicque quandiù velint morari, vel hinc indè, quandò visum erit, recedere et abire, et quæ comparaverint [aut] emerint arte, operâ, industriâ laboreve aut quocumque alio justo modo quesiverint ad suos vel exteros, quocumquè locorum libuerit, sine ullo impedimento, offensâ, arrestatione seu prohibitione, salvo conductu, licentiâ aut speciali permissione invehere et transportare possint[14].»
Et touchant le faict de la restitution, iceulx Seigneurs du Conseil se souviendront, s'il leur playt, qu'ilz ont accordé que dans trois jours seront nommez quatre notables merchans de Londres, pardevant lesquelz, en présence de monsieur le lieutenant de l'Admyral, les delléguez françoys monstreront leurs plainctes et demandes pour, sur icelles, de toutes les merchandises et navyres des Françoys, qui ont esté prinses, admenées ou arrestées par deçà despuys le moys de septembre dernier, qui se trouveront encores en essence, ou de la juste valleur d'icelles, leur estre faicte prompte restitution; et que des aultres, qu'ilz feront sommairement aparoir, leur sera de mesmes administré prompte justice sur le champ, sans forme ni longueur de procès, contre ceulx qui les ont prinses, ou les dettiennent, ou en sont coulpables.
Et, en attandant que la dicte justice puisse estre faicte aus dictz delléguez Françoys, il a esté accordé que les arrestz faictz en France et icy, précédant le viıȷe de juillet dernier, demeureront surciz jusques au prochain jour de St. Michel, si plus tost la dicte justice ne peult estre administrée aulx susdictz delléguez, et si, d'avanture, il estoit advenu quelque aultre arrest despuys le dict viıȷe de juillet, qu'il sera levé d'ung costé et d'aultre.
LVIIe DÉPESCHE
—du VIe de septembre 1569.—
(Envoyée jusques à Calais par homme exprès.)
Départ des sieurs de Lizy et de Jumelles sur la flotte destinée pour Hambourg, afin de hâter l'entrée en France de l'expédition du duc Casimir.—Nouvelle activité dans les préparatifs de guerre qui se font en Angleterre.
Au Roy.
Sire, après vous avoir amplement escript, du jour d'hyer, toutes occurrances de deçà, je ne pensoys qu'il se deust offrir argument ny matière de vous faire aulcune aultre dépesche jusques à ce que je serois de retour de devers ceste Royne; mais sur le raport d'ung certain personnaige, que j'avois envoyé espyer le partement de la flotte de Hembourg et recognoistre tout ce qui s'y feroit, lequel m'est venu trouver sur ce chemyn, j'ay à vous dire, Sire, qu'il a veu embarquer Mr. de Lizy et le Sr. de Jumelles sur l'ung des deux grandz navyres de guerre de ceste Royne, qui sont ordonnez pour la conduicte de la dicte flotte, et qu'il a entendu qu'ilz vont trouver le duc de Cazimir pour le haster; et que ung Allemant, qui estoit en leur compaignie, lequel naguières est venu d'Embourg, a dict que, quant il partit, le dict duc de Cazimir avoit toutes choses prestes pour se mettre en campaigne, aussitost qu'il auroit heu responce d'icy, et qu'il estoit bruict qu'il descendroit en France, nomméement en Picardie. De quoy, Sire, je n'ay vollu différer une seule heure de vous en donner l'adviz, afin que [vous] ne vous trouviez ny déceu ny surprins du dict costé d'Allemaigne, car on me baille cecy pour bien fort asseuré; et si ay heu quelque advertissement, en partant de Londres, qu'on emporte en ceste dicte flotte ung bon nombre d'angellotz en espèces, et que les bagues de la Royne de Navarre ont esté cependant consignées ez mains du Sr. Grassan, principal merchant du dict Londres; dont n'estant la présente pour rien davantaige, je prieray Dieu, etc.
De Londres ce vȷe de septembre 1569.
A la Royne.
Madame, cest adviz que Vostre Majesté trouvera en la lettre du Roy m'a faict ainsy haster ceste dépesche, incontinent après celle de hyer matin, affin que ne demeuriez en doubte des aprestz d'Allemaigne, comme j'estime qu'en estiez bien advertye d'ailleurs, et affin aussi, Madame, qu'y puyssiez pourvoir de bonne heure; et cognoys meintennant que ceste Royne ne m'a trompé quant elle m'en a donné le premier advertissement, car les choses aparoissent à ceste heure telles comme elle me les a cy devant dictes. L'on m'a mandé de ceste court qu'on y ordonne beaulcoup de préparatifz de guerre et qu'on dict que c'est pour se deffandre.
Je mettray peyne de sçavoir à quoy tend proprement leur entreprinse, car, en général, je vous ay desjà assés advertye de leur intention, de laquelle, s'il y a moyen de rebattre quelque chose, croyés, Madame, qu'il sera essayé, aydant le Créateur, auquel je prie, etc.
De Londres ce vȷe de septembre 1569.
LVIIIe DÉPESCHE
—du XIIIIe de septembre 1569.—
(Envoyée jusques à Calais par Olivyer Champernon exprès.)
Retard apporté dans le voyage de la reine par une indisposition du comte de Leicester.—Notification officielle est faite à Élisabeth, par l'ambassadeur, des projets de mariage du Roi et de Madame.—La reine se montre surprise de ces alliances.—Elle affirme à l'ambassadeur qu'elle n'a rien voulu prêter sur les joyaux de la reine de Navarre.—Elle proteste de sa volonté d'empêcher ses sujets de porter aucun secours à la Rochelle.—Elle insiste vivement sur la nécessité de restreindre le commerce de France avec les Pays-Bas;—Et s'excuse du retard apporté à la solution des affaires de la reine d'Ecosse.—Départ définitif des navires armés sous le nom du prince d'Orange.—Lettre secrète de l'ambassadeur à la reine-mère.—Détails confidentiels sur les débats qui se sont élevés entre Élisabeth et le duc de Norfolk, au sujet de son mariage projeté avec Marie Stuart.
Au Roy.
Sire, je n'ay plus tost que hier au soir peu estre de retour d'Anthonne, où j'ay esté trouver la Royne d'Angleterre, laquelle n'y est arrivée de trois jours si tost qu'elle cuydoit, parce que une fiebvre aigue a surprins Mr. le comte de Lestre en une maison écartée, qui est au comte de Soubtanton, où il a esté contrainct de se séjourner, et toute la court pour l'amour de luy; mais au bout de trois jours il a suyvy en lityère et à présent se porte bien.
J'ay présenté les lettres de Voz Majestez à la dicte Dame, laquelle a monstré du commancement estre ung peu troublée de la nouvelle qu'elles contenoient, dont m'a demandé si les choses estoient desjà conclues, sur quoy s'entend la jalouzie qu'elle a de la nouvelle confirmation d'alliance avec le Roy d'Espaigne. Je luy ay dict que vous aviez telle considération et respect à l'amytié d'elle que vous n'aviez vollu passer oultre en ce faict sans le luy communiquer, affin de faire veoir à tout le monde que, comme vous luy faisiés part d'ung propos, qui touche de si prez à la propre personne de Vostre Majesté, aussi vouliez vous qu'elle participât au bien, au proffict et à toutz les advantaiges qui proviendront de ceste alliance, laquelle ne seroit que pour confirmer davantaige celle que vous aviez avecques elle et la bonne paix, qui est entre vous et voz deux royaulmes, non moins fermement que avec ceulx mesmes, avec qui vous vous alliez.
De ce peu de motz ayant la dicte Dame prins aultre forme et aultre façon de parler, m'a prié de vous escripre qu'elle remercyoit très grandement Voz Majestez de la faveur que vous luy faiziés de luy communiquer ce privé et expécial propoz de vostre mariage et de celluy de Madame, lesquelz elle ne sçauroit que beaulcoup louer et aprouver, comme grandement convenables à la mutuelle grandeur de toutz les partys; et que, pour le regard de celluy de Vostre Majesté, il ne se pouvoit imaginer rien de plus grand ny de plus digne en la chrestienté que l'alliance d'ung Roy de France avec la fille d'ung Empereur. Il est vray qu'elle avoit ouy parler de l'aynée et non de la seconde, tant y a que pour son regard Vostre Majesté ne pouvoit guières prendre aultre alliance en la chrestienté, qui luy fût moins suspecte que ceste cy, parce qu'elle aymoit l'Empereur comme si elle estoit sa fille, et si se sentoit estre aymée de luy comme de son propre père, et ne fit mention du Roy d'Espaigne. Puis adjouxtant qu'elle se réjouyroit toutjour des choses qui reviendroient à vostre bien, grandeur et advantaige, aultant que si c'estoit pour elle mesmes, dont prioit Dieu de vous faire bien heureux cestuy vostre mariage, et le vous randre plain de tout playsir et de contantement, et qu'elle m'envoyeroit les lettres de sa responce pour les vous faire tenir.
Et quant à ce que je luy avois dict de ne prester, ny permettre d'estre presté, nulz deniers en son royaulme sur les bagues de la Royne de Navarre, parce que ce seroit contre le tretté de paix, sellon que vous la feziés advertyr qu'on les vouloit convertir à vous faire la guerre, elle me vouloit asseurer de n'avoir rien presté dessus les dictes bagues, ny ne pensoit qu'on les eust engaigées en ce royaulme; ains croyoit que Mr. de Lizy les eust emportées en Allemaigne, et que mesmes elle ne les avoit vollu veoir. Il est vray qu'elle avoit entendu d'ung sien orphèvre à qui elles avoient esté monstrées, qu'il y avoit ung beau vaze d'agatte, lequel elle eust volontiers retenu, mais saichant d'où il venoit, n'en avoit vollu aulcunement parler.
Et de faict, Sire, la pratique est menée de telle sorte par ceulx qui portent le faict de la nouvelle religion qu'il n'y court rien du propre de la dicte Dame, ains plus tost elle se décharge de quelques intérestz, et néantmoins j'entendz que les aultres sont accommodez en Allemaigne d'aulcuns deniers qui proviennent d'icy; de quoy je suys après à vériffier ce qui en est, affin de m'en plaindre et d'y remédier le mieulx qu'il me sera possible.
Et touchant le commerce que vous offriez à la dicte Dame en telz endroictz de vostre royaulme, que ses subjectz vouldroient choysir, pourveu qu'ilz n'allassent plus à la Rochelle, elle m'a dict qu'à la vérité elle m'avoit une foys promis d'y faire condescendre ses merchans, mais elle ne les avoit encores peu persuader, tant y a qu'elle communiqueroit de rechef là dessus avecques son conseil pour vous y satisfaire aultant qu'il seroit possible; et cependant elle me donnoit bien parolle avec sèrement que, quoy ce fût, nul de ses subjectz, sur peyne de mort, ne porteroit dorsenavant à la Rochelle armes, ny pouldres, ny artillerye, ny monitions, ny vivres, ny rien de quoy ceulx du dict lieu peussent estre secouruz contre Vostre Majesté; et parce que je ne me contantoys de cella, incistant qu'elle debvoit faire abstenir ses subjectz tout entièrement de ce traffic, elle m'a dict qu'elle en assembleroit son conseil et m'y feroit responce du premier jour;
Au surplus, qu'elle ne trouvoit poinct mauvais que j'eusse vollu attandre le commandement de Vostre Majesté sur la restriction de ne porter par les Françoys aulcunes sortes de merchandises des Pays Bas icy, ny d'icy aulx Pays Bas, veu ce que je luy allégois que cella touchoit les chappitres de la paix; toutes foys qu'elle vous prioyt, pour l'amytié qu'elle pansoit avoir mérité de Vostre Majesté, que vous luy vollussiez ottroyer la dicte restriction, veu qu'à présent le duc d'Alve luy estoit ennemy, et qu'il en avoit proclamé une semblable aulx Pays Bas contre l'Angleterre; de quoy je luy ay promiz vous escripre en si bonne sorte que j'espérois que vous ne l'en esconduyriez.
Et pour le regard de la Royne d'Escoce, m'a dict qu'elle ne voyoit que son affaire peult estre si promptement expédiée comme je l'en pressois, et que le mal qu'il sembloit que je luy voulois imputer de ce que le comte de Mora poursuyvoit de ruyner ceulx du party de la dicte Dame et de la déshériter du tout, pendant qu'elle estoit dettenue par deçà, ne provenoit de sa coulpe, ains des faultes du passé, et qu'il failloit attandre la responce du dict comte de Mora, ainsy qu'elle l'avoit remonstré à Mr. de Roz, qui ne l'avoit trouvé mauvais; auquel de Mora elle avoit cependant escript de se déporter de n'assiéger Dombertran, dont, aussitost que ses depputez seroient venuz, elle ne fauldroit de procéder incontinent à l'expédition de cest affaire en la bonne sorte qu'elle m'avoit toujour promiz.
«Il est vray, dict elle, qu'il se mène une pratique pour la dicte Dame avec ung certain personnaige de mon royaulme, lequel je me déporte de nommer à présent, et me veult on faire acroyre que c'est pour mon bien et advantaige; mais ne me veulent laysser juger s'il est ainsy, tant y a que je dellibère, comment que soit, d'en demeurer l'arbitre.»
Et je cognuz bien, Sire, que cest affaire mettoit une grande traverse en ceste court. Je prendray garde à ce qui en proviendra, et à toutes aultres choses qui toucheront icy vostre service, et remettray le surplus à mes prochaines, priant Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce xıve de septembre 1569.
A la Royne.
Madame, avant que je soys arrivé à Anthonne, la Royne d'Angleterre avoit receu des nouvelles de son ambassadeur, Mr. Norrys, qui ne luy avoit, ceste foys faict guières advantaigeux les affaires de ceulx de la nouvelle religion devant Poictiers; de quoy me semble que j'ay tiré plus gracieuse responce d'elle sur ce que je luy ay proposé, que, possible, je n'eusse faict, ainsy que Vostre Majesté le pourra veoir par la lettre que j'escriptz au Roy. Tant y a, Madame, qu'elle et les siens font encores grand fondement sur l'armée qui est devant le dict Poictiers, et espèrent d'aultres plus grandz choses du costé d'Allemaigne, non sans quelque opinion que le duc Auguste se meslera de l'entreprinse.
La dicte Dame a parlé si honnorablement des deux mariages du Roy et de Madame que je vous en ay bien vollu représanter sa responce, et j'espère que je vous en feray aussi bien tost tenir ses lettres. Elle, à ce propos, m'a bien vollu dire que, quant ce ne seroit que pour une si digne compaignie, il luy sembloit adviz qu'elle estoit convyée meintennant de se maryer, et m'a répété par trois foys, je ne sçay à quelle occasion, qu'elle ne feroit aulcun tort à son rang de princesse, et qu'asseuréement elle n'en espouseroit jamais qui ne fût prince, ce qu'elle a poursuyvy en beaulcoup de parolles; et je luy ay respondu en termes généraulx, lesquelz je remectz à une aultre foys. Puys, sur le faict de la Royne d'Escoce, nonobstant les responces dont elle a monstré procéder avec cueur attainct et offancé contre elle, je luy ay touché et à ceulx de son conseil aulcuns poinctz, desquelz j'entendz qu'ilz ont esté aulcunement ramenez à rayson, et je n'ay peu passer plus avant sans aparance de quelque dangier en voz affaires, ou bien sans excéder les termes de la modestie; mais je ne deffauldray en cest endroict, à toutes les occasions qu'il s'offrira, d'en debvoir faire instance de la part de Voz Majestez.
Monsieur l'ambassadeur d'Espaigne avoit envoyé son secrétaire devers la dicte Royne d'Angleterre pour luy communiquer, à ce que j'en peuz comprendre sur le lieu, une lettre du duc d'Alve pour entrer clairement en termes d'accord. Je mettray peyne de sçavoir proprement ce qui en est.
Ceulx de ce conseil m'ont parlé de leur vouloir bailler mes lettres de seurté pour les navyres qu'ilz envoyeront quérir leurs vins à Bourdeaulx, et, nonobstant que je leur aye respondu qu'il n'en estoit besoing en temps de si bonne paix, ilz m'ont fort incisté de ne leur reffuzer cella, de quoy je leur ay promiz que je vous en escriproys.
L'homme du prince d'Orange est enfin sorti de ceste rivière avecques ses ourques et vaysseaulx, le ıxe de ce moys, pendant que j'estois à Anthonne. Il ne m'a esté encores raporté quelle routte il a prins; l'on me veult faire acroyre qu'il n'a heu congé que d'aller vers les Pays Bas, mais aulcuns disent que son intention estoit d'aller à la Rochelle, et aultres disent qu'il avoit quelque entreprinse sur Belle Isle en Bretaigne. J'espère que, sellon mes advertissemens précédans, il trouvera toute la coste de dellà si bien fornye qu'il n'y recepvra que honte et dommaige, s'il s'y adresse; aydant le Créateur, auquel je prie, etc.
De Londres ce xıve de septembre 1569.
AULTRE LETTRE A PART A LA ROYNE.
Madame, il y avoit eu de grosses parolles entre la Royne d'Angleterre et le duc de Norfolc, premier que j'aye ceste foys parlé à elle, et j'entendz qu'elle s'estoit corroucée fort asprement à luy de ce qu'il trettoit, sans son sceu, de se maryer avec la Royne d'Escoce, lui deffendant fort expresséement de n'y prétandre plus, en quelque façon que ce soit. Sur quoy, après quelques excuses du dict duc comme il n'avoit jamais prétandu de faire rien sinon avec le bon congé de la dicte Dame, et qu'il avoit, devant toutes choses, proposé le bien, la seurté et l'advantaige d'elle et de sa coronne, il s'est excusé de n'obéyr à ce commandement qu'elle luy faisoit ainsy en collère, sinon après qu'elle l'auroit remonstré à son conseil. Et bien qu'elle ayt répliqué qu'elle n'avoit que faire en cella de l'adviz de son conseil, le dict duc est demeuré ferme en son opinion; et croy, si la dicte Dame ne se modère, qu'il taschera tout à la foys de faire eschapper la Royne d'Escoce pour se retirer en quelque lieu de plus grand seurté en ce mesmes royaulme que celluy où elle est à présent, et de s'absenter luy de la court, ce qui ne sera sans quelque altération. Dont, Madame, il sera plus à propoz que jamais que vous parliez à l'ambassadeur d'Angleterre, ainsy que par le Sr. de Sabran je le vous ay mandé; et je prieray Dieu, après avoir très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, etc.
De Londres ce xıve de septembre 1569.
Par postille à la lettre précédente de la Royne.
Despuys ceste lettre escripte, j'ay heu adviz que celle du duc d'Alve portoit de demander saufconduict pour aulcuns personnaiges, depputez de la part du Roy Catholique, affin de venir tretter avec cette Royne des différandz dessusdictz, et cuyde l'on que ce seront le Sr. Chapin Vitel et le docteur Vargas, et que desjà le saufconduict est expédié. Je vériffieray encores mieulx ce qui en est.