Correspondance: Lettres de jeunesse
LXVI
Marseille, 19 septembre 1870.
Mon cher Roux,
Arnaud le remettra cette lettre et t'expliquera les raisons qui me font l'écrire.
En deux mots, veux-tu que nous fassions un petit journal à Marseille[7], pendant notre villégiature forcée. Cela occupera utilement notre temps. Sans toi, je n'ose tenter l'aventure. Avec toi, je crois le succès possible. Nous avons ici les hommes et les choses pour nous. Donne-moi une réponse immédiate. Tu ferais même bien, si ma proposition te souriait, de venir demain à Marseille avec Arnaud. L'affaire doit être enlevée.
Dis-toi tout ce que je ne te dis pas, et de toutes façons donne-moi une réponse. Nous réglerions les détails ensemble.
Mes compliments à ta famille.
Ton dévoué.
Émile Zola.
LXVII
Mon cher Roux.
Voici la requête. Je la crois excellente.
J'ai peu de choses à te dire. Remets la lettre et plaide la cause, s'il y a lieu. Il serait bon que le maire lût l'épître devant toi. Dis-lui bien que je n'ai pu indiquer le genre de récompense, mais que j'estime qu'il serait convenable de donner le nom de mon père à une rue. Cherche même avec lui la rue qu'on pourrait choisir. Tout cela, bien entendu, est livré aux hasards de la conversation.
J'écris à Arnaud pour le mettre en campagne. Il faudrait qu'on vît le plus de conseillers municipaux possible[8]. Enfin, fais ce que tu pourras. Tu as bien peu de temps à toi, et je te donne là une commission un peu lourde. Tu me pardonneras.
Rien de nouveau ici. Je ne mets pas le nez dehors d'ailleurs. Je travaille et suis à peu près à la moitié de mon roman,—qui doit continuer à ennuyer le public. Moi, j'en suis très satisfait, ce qui est le principal.
Bavarde un peu là-bas et viens vite me conter les cancans. Et les troubadours? ont-ils bien fait les choses? J'ai comme un vague désir de faire sur eux ma prochaine causerie de la Tribune. J'attends des détails dans les journaux.
Mes compliments à ta famille. Tu as les amitiés des miens.
Une bonne poignée de main, et à bientôt.
Émile Zola.
LXVIII
Paris, 25 décembre 1872.
Mon cher Roux.
Le petit Noël m'a apporté hier une andouillette de Vire comme on en voit peu, et j'ai embrassé le petit Noël. Je te remercie de ton cadeau, il est charmant, et me touche beaucoup. Tu m'en avais parlé; mais c'était si loin, qu'il m'a semblé le recevoir une seconde fois. Merci encore.
Je voulais d'ailleurs t'écrire pour te demander des nouvelles de ta revue; si tu as du temps à perdre, jette-moi un mot à la poste; cela me fera plaisir. Il est vrai que je te reverrai bientôt.
Je regrette que tu ne te sois pas trouvé ici ces jours derniers. L'interdiction du Corsaire a fait un bruit énorme. Les journaux, à court de copie au moment des vacances, se sont jetés sur mon article. J'y perds quelque argent, mais j'y gagne un terrible tapage. Charpentier fait faire des affiches. Moi, je suis en train d'écrire une brochure, une réponse ou plutôt une défense; j'attendrai lundi ou mardi pour la lancer, afin de ne pas trop paraître taper sur la grosse caisse; c'est moins une affaire d'argent que de précaution pour l'avenir.
Il y a quelques articles très curieux. Je n'ai pu malheureusement les collectionner, parce qu'il aurait fallu acheter tous les journaux pendant trois jours. Mais j'en ai pourtant mis de côté quelques-uns qui t'amuseront.
J'ai ce soir à dîner Béliard, Philippe et Alexis[9]. Hier, jour de réveillon, j'ai porté un toast à la réussite de ta revue. Puis nous sommes allés à la messe de minuit à la Trinité. C'est très pauvre, et pas solennel du tout. Au demeurant, il fait beau et Paris paraît très réjoui.
Tout le monde te serre la main. Moi, j'en fais autant, et des deux mains à la fois; et je te prie de présenter mes compliments et mes amitiés à ta famille.
Ton bien dévoué.
Émile Zola.
[1] La Fée Amoureuse, voir les premiers Contes à Ninon.
[2] Le vieux était Paul Cézanne.
[3] Mémorial, un journal d'Aix en Provence.
[4] M. Bellevaut, directeur du théâtre le Gymnase de Marseille.
[5] Directeur du Sémaphore de Marseille.
[6] Il faudrait rechercher le numéro du Gaulois à partir du 1er janvier 1868 pour avoir l'explication.
[7] Prévenu par le médecin qu'il devait conduire sa femme malade dans le Midi, Zola se décida à partir avec elle et sa mère pour les installer près de Marseille où il avait des amis. Lorsqu'il voulut retourner à Paris, les portes étaient fermées. Il eut donc, pour vivre tous les trois, l'idée de fonder un journal, la Marseillaise. Mais lorsqu'il apprit que le gouvernement de la Défense Nationale allait s'installer à Bordeaux, il partit tout de suite pour demander à ce qu'on l'utilisât. C'est alors que Glais-Bizoin le prit comme secrétaire: il ne le fut qu'un mois, et put enfin finir par envoyer à Paris des articles à la Cloche, jusqu'au retour du Gouvernement à Paris.
[8] Essais pour faire donner au canal construit par François Zola le nom de Canal Zola, et le nom à une rue; on décida au Conseil un boulevard.
[9] Béliard, un peintre, était un des bons amis d'Émile Zola, il est devenu maire d'Étampes. Philippe Solari, le sculpteur du buste qui est au cimetière; enfin Paul Alexis.