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Couleurs. Contes nouveaux; suivis de Choses anciennes

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LE RÊVE

Primary touchait à la cinquantaine, lorsque sa maîtresse lui dit, un matin, avec cet air spécial que prennent les femmes pour annoncer à leur bien-aimé des choses d'un embêtement rare et décisif, mais des choses qui crucifient leur chair, à elles, et qui la flattent, des choses comme seules elles peuvent en dire, des choses représentatives — absolument — de leur sexe :

— Tu sais, je suis enceinte.

— C'est une fille, Monsieur, dit la sage-femme, des épingles entre les lèvres. Primary, les yeux vagues, regardait, sans le voir, l'être à la peau de crevette cuite, le fœtus macéré par les alcools amniotiques : il rêvait : une fille : il la voyait montrant sous sa robe de huit ans, de fluettes jambes de jeune autruche, courant et s'arrêtant de courir à la caresse d'un désir mâle, grimpeuse volontiers vers des genoux agités et chatouilleurs ; il la voyait chuchoteuse et sourieuse, les yeux larges et la bouche gourmande, innocente et tentatrice, angélique et sournoise…

— Ce sera pour ma vieillesse.

— Allez-vous-en, dit la sage-femme, des épingles entre les lèvres.

Et quand il fut sorti, elle se pencha vers la mère plus abolie sous les draps que sous la neige une ellébore, — et familièrement, de femme à femme :

— Soyez tranquille, pauvre chérie, il l'aimera bien.

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