Curiosités historiques sur Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Mme de Maintenon, Mme de Pompadour, Mme du Barry, etc.
Les objets qui en faisaient l'ornement sont décrits dans les Mémoires conservés aux archives de la préfecture de Seine-et-Oise. La description de quelques-uns de ces objets fera juger de ce que devait être ce charmant logis[120].
Dans le salon, on voyait sur la cheminée une magnifique pendule à colonnes, ornée de figures de porcelaine; au milieu, une superbe table ornée de porcelaines de France: le dessus, qui était le morceau principal, représentait un tableau en miniature d'après Leprince, les garnitures de bronze, parfaitement ciselées et dorées d'or mat.—Il y avait aussi un très-beau forte-piano anglais, qu'on avait fait organiser à Paris par le fameux Clicot, avec flûtes et galoubet, un mouvement pour le luth et deux autres pour les cymbales; la caisse, que l'on fut obligé d'y ajouter pour contenir les tuyaux et les soufflets, était plaquée en bois rose et à mosaïques blanches et bleues, et très-richement garnie de bronzes dorés d'or mat.—Sur un des côtés était une superbe commode d'ancien laque, de la première qualité, le panneau du milieu à magots très-richement habillés; les frises plaquées en ébène, les garnitures de bronze, ciselées et dorées d'or mat; le marbre blanc de statuaire.—Et de l'autre côté une autre belle commode, ornée de cinq morceaux de porcelaine de France, à fleurs et filets d'or, très-richement garnie de bronzes bien finis et dorés d'or mat; le dedans doublé en tapis vert et galonné d'or; le marbre blanc de statuaire.—Sur chacune de ces commodes se trouvaient: d'un côté un très-fort groupe de bronze et de couleur antique, composé de quatre figures représentant l'enlèvement d'Hélène par Pâris, le tout sur un pied de bronze doré d'or moulu;—et de l'autre côté un autre groupe de bronze, plus petit, et d'après Sarrazin, composé de cinq enfants qui jouent avec un bouc; le tout sur un pied de marqueterie de Boule, et orné de bronzes dorés d'or moulu;—enfin un fort lustre de cristal de roche, à six luminaires, et ayant coûté 16,000 livres, était appendu au milieu de la pièce. Comme l'on jouait souvent dans ce petit salon, madame du Barry avait fait faire une boîte de jeux, dont ces Mémoires nous ont conservé la description: cette boîte était en acajou, doublée en tabis bleu, galonnée en or; elle renfermait quatre boîtes à quadrilles en ivoire, le trèfle, le pique, le cœur et le carreau en or incrusté sur chacune desdites boîtes et entourés d'un cartouche avec nœuds de rubans, le tout en or et aussi incrusté;—les quatre-vingts fiches et les vingt contrats distingués par le trèfle; le pique, le cœur et le carreau, aussi en or et incrustés.
Dans la chambre à coucher, il y avait une commode ornée de tableaux de porcelaine d'après Watteau et Wanloo, très-richement garnie de bronzes très-bien finis et dorés d'or mat;—un secrétaire en armoire, de porcelaine de France, fond vert et à fleurs, richement garni de bronzes dorés d'or moulu.—On voyait sur les meubles deux cuvettes à mettre des fleurs, en porcelaine de France, fond petit vert, à marines en miniatures.—Une cuvette gros bleu caillouté d'or, avec des sujets de Teniers, en miniature, et deux autres, moins grandes et décorées de même.—Sur la cheminée, une pendule dorée d'or de Germain: elle représentait les trois Grâces supportant un vase dans lequel était un cadran tournant, et au-dessus un Amour indiquait l'heure avec sa flèche; le tout était élevé sur un piédestal très-bien ciselé et doré.
Le cabinet ne le cédait point au reste: sur la cheminée était une pendule à vase et serpent, en bronze doré d'or moulu, le cadran tournant; le piédestal garni de trois morceaux de porcelaine de France, fond bleu, avec des enfants en miniature; le dard du serpent fait en marcassite. On y voyait aussi une très-jolie table à gradins, en porcelaine de France, fond vert et cartouches à fleurs, très-richement ornée de bronzes dorés d'or moulu, le dessus du tiroir couvert d'un velours vert et les pièces d'écritoire dorées. Sur des étagères on remarquait, parmi une quantité d'objets de toutes sortes: une cassette d'ancien laque, fond noir, ouvrage en or de reliefs et aventurine, avec paysages et magots;—cinq tasses et soucoupes d'ancien Saxe, à tableaux et à miniatures, avec la théière et la boîte à thé pareilles;—une cave, composée de quatre gros flacons, un gobelet et sa soucoupe, le tout de cristal de roche; six petits flacons de cristal de Bohême; deux cuillers et un entonnoir d'or; les dix flacons garnis d'or et le tout dans une boîte de bois des Indes garnie de velours rouge. Cette jolie cave avait été achetée à la vente de madame de Lauraguais.—Enfin on remarquait encore dans ce cabinet un baromètre et un thermomètre de Passemant, montés très-richement en bronzes dorés d'or moulu, et ornés de trois plaques de porcelaine de France, à enfants en miniature.
Tout, jusqu'aux lieux les plus secrets de ce petit appartement, portait le goût du luxe de la comtesse. Ainsi, dans le petit couloir qui menait à la garde-robe, on voyait, au-dessous de la croisée, une commode à portes de 52 pouces de long, en bois rose et garnie de bronzes dorés d'or moulu, le marbre en brèche d'Alep; et dans la garde-robe, un meuble de toilette secrète à dossier, en marqueterie, fond blanc, à mosaïques bleues et filets noirs, avec rosettes rouges, garni de velours bleu brodé d'or, et sabots dorés d'or moulu; la boîte à éponges et la cuvette en argent; deux tablettes d'encoignure, aussi en marqueterie, garnies de bronzes dorés d'or moulu; et une chaise de garde-robe en marqueterie pareille aux autres meubles, la lunette recouverte de maroquin, et les poignées et sabots dorés d'or moulu.
Aussitôt que madame du Barry eut la jouissance du château de Louveciennes, elle y fit faire de nombreux travaux. Mais quoiqu'elle y eût dépensé beaucoup d'argent, elle ne put transformer en boudoirs de petite maison ces grands appartements bâtis pour une fille de Louis XIV. Elle y renonça, et tout en conservant le château principal, elle fit bâtir, un peu plus loin, un pavillon beaucoup plus approprié à la destination galante qu'elle voulait lui donner.
Ce pavillon, d'où l'on jouit d'une vue magnifique et qui, regardé des bords de la Seine, est d'un effet très-pittoresque et paraît suspendu dans les airs, fut bâti par l'architecte Ledoux, pendant les années 1771 et 1772. On appela les plus habiles artistes pour travailler à son embellissement, et l'intérieur était un véritable modèle de goût et d'élégance.
On se doute bien que les appartements particuliers de la comtesse, dans cette nouvelle habitation, ne le cédaient pas à ceux de Versailles, et en parcourant les cartons de la préfecture de Seine-et-Oise, on voit figurer, dans les diverses parties du pavillon de Louveciennes, des objets analogues à ceux déjà indiqués à Versailles.
Louis XV, quand il venait à Louveciennes, n'avait pas d'autre appartement que celui de la comtesse, excepté pourtant la partie destinée à sa toilette. On sait qu'il était extrêmement soigneux de sa personne, et il est à présumer que dans ce lieu il devait avoir quelquefois besoin de réparer le désordre de sa tenue.
Cette partie, complétement réservée au roi, se composait d'une antichambre, d'un cabinet et d'une garde-robe. L'antichambre, tapissée en damas bleu et blanc, n'offrait aucun meuble remarquable. Dans le cabinet de toilette, il y avait dans la cheminée un feu doré d'or moulu, à trophées militaires, garni de pelle, pincettes et tenailles analogues.—Sur la cheminée, une garniture de trois pièces de porcelaine de Saxe à petites fleurs en relief, sur un fond petit bleu, avec cartouches en miniatures sur fond d'or, et ornées de bronzes dorés d'or moulu.—Une paire de flambeaux, cannelés de bronze doré d'or moulu.—De chaque côté de la cheminée, une forte paire de bras à trois branches et colliers de perles, en bronze doré d'or moulu.—De l'autre côté, en face de la cheminée, une paire de girandoles à trois branches, d'un nouveau modèle de goût antique, dorées d'or moulu.—Au-dessous, une commode d'ancien laque du Japon, richement ornée de bronzes dorés, avec son marbre de cinq pieds en gruotte d'Italie.—Enfin, au milieu était un fauteuil à poudrer, garni de maroquin rouge, avec un coussin sur fond de canne, et devant une table d'ébénisterie à mosaïques, sur fond gris satiné, avec une tablette dans les jambes, et garnie en bronzes dorés.—Quant à la garde-robe, elle renfermait tous les meubles déjà indiqués dans celle de madame du Barry, excepté cependant qu'au lieu du raffinement de luxe observé dans ceux de la comtesse, ils étaient fort simples et tous en bois de noyer[121].
Au milieu des grandeurs de la favorite, la famille du Barry ne s'oubliait pas. Déjà plusieurs fois le mari de la comtesse, Guillaume du Barry, était venu tourmenter sa femme de ses doléances et avait cherché à obtenir par elle des faveurs et de l'argent. Pour faire cesser ces importunités, madame du Barry lui constitua 5,000 livres de rente, et par sentence contradictoire du Châtelet de Paris du 1er avril 1772, elle fut séparée d'habitation avec son mari[122]. Quant au comte Jean, il avait toujours conservé un certain ascendant sur madame du Barry. Il avait placé auprès d'elle sa propre sœur, mademoiselle Claire du Barry, petite bossue que la comtesse aimait fort peu, pour surveiller toutes ses actions et lui rappeler sans cesse que sa faveur était due à son frère, et qu'elle devait en être reconnaissante. On verra qu'il sut en tirer ainsi des sommes s'élevant à plus d'un million. Mais il ne voulait pas seulement de l'argent, il fallait encore qu'il profitât de la favorite pour satisfaire son ambition. Le comte Jean avait un fils, débauché comme le père; il voulut le marier à une fille de grande maison, et pouvoir, à l'aide de cette alliance, marcher de pair avec les premières familles de la cour. C'est ce qu'il parvint à réaliser grâce à la faveur et surtout à l'argent de madame du Barry.
M. le prince de Soubise avait pour parente une jeune personne d'une grande beauté, mais peu riche, la fille du marquis de Tournon. Ce fut elle que l'on destina au fils du comte du Barry. A peine âgée de dix-sept ans, mademoiselle de Tournon était encore au couvent lorsque l'on décida de son sort. Par ce mariage, les du Barry s'alliaient presque au sang royal, puisque la mère du duc de Bourbon, fils du prince de Condé, était fille du prince de Soubise. Le roi, sous l'influence de madame du Barry, pressait fortement la conclusion de ce mariage; le prince de Soubise le désirait aussi, le prince de Condé seul s'y opposait. Mais enfin, vaincu par les instances du roi, il y donna son consentement. Le 18 juillet 1773, le roi et la famille royale signèrent le contrat de mariage du vicomte du Barry avec mademoiselle de Tournon; quelques jours après ils reçurent la bénédiction nuptiale, et le 1er août suivant, la nouvelle vicomtesse était présentée au roi et à la famille royale par madame du Barry elle-même.
En faveur de ce mariage, le vicomte du Barry fut fait capitaine des Suisses de M. le comte d'Artois, et sa femme, qui reçut en dot 200,000 livres de madame du Barry[123], fut nommée dame pour accompagner la comtesse d'Artois.
Madame du Barry acheta fort peu de biens pendant sa grandeur. Elle fit l'acquisition d'une maison à Saint-Vrain, près Arpajon, et d'une petite ferme appelée la Maison-Rouge, à Villiers-sur-Orge, près de Lonjumeau[124].
On a vu par le contrat de mariage de madame du Barry que sa mère se nommait madame Rançon. En effet, elle avait épousé, en 1749, un nommé Rançon, commis aux aides, titre qu'on changea, dans le contrat de la comtesse, en celui d'intéressé dans les affaires du roi. On conçoit qu'avec un si mince emploi pour toute fortune, M. et madame Rançon devaient mener une assez triste existence. Dans sa haute position, madame du Barry n'oublia pas sa mère. Elle allait souvent la voir, et elle la mit à même de vivre largement. Quoiqu'elle n'eût ni les manières ni le langage d'une femme de qualité, on ne pouvait cependant continuer de donner ce nom de Rançon à la mère d'une comtesse qui avait l'insigne honneur d'être la maîtresse du roi, et on l'appela madame de Montrable. C'est pour madame de Montrable que madame du Barry acheta la Maison-Rouge, et cette dame l'habita fort longtemps.
La maison de madame du Barry était devenue très-considérable, et ses équipages et ses gens ne pouvaient plus tenir dans l'hôtel de la rue de l'Orangerie, qu'elle avait loué la première année de son arrivée à Versailles[125]. Il y avait, sur l'avenue de Paris, une charmante habitation construite par Binet, valet de chambre du Dauphin et parent de madame de Pompadour. Madame du Barry l'acheta pour y faire construire un grand hôtel. Ledoux, son architecte, tout en conservant le joli pavillon de Binet, y fit ajouter des constructions considérables, afin d'y placer les chevaux, les voitures et les gens. C'était un véritable palais, et l'on alla même jusqu'à y élever une chapelle, à laquelle, pour la desservir, madame du Barry nomma un aumônier en titre[126].
Madame du Barry était arrivée au comble de la faveur; le roi n'était pas encore dans un âge très-avancé (64 ans), tout lui faisait espérer une longue carrière dans le poste qu'elle occupait; et cependant, quelques jours encore, et toute cette grandeur allait disparaître. Louis XV, déjà triste et souffrant, venait, pour se distraire, de passer quelques jours à Trianon, lorsqu'il y fut atteint de la petite vérole. Ramené à Versailles, il y succomba le 10 mai 1774.
Quelques jours avant la mort du roi, et lorsqu'on le vit dans un état tout à fait désespéré, on fit partir de Versailles madame du Barry. Elle se retira à Rueil, chez M. et madame d'Aiguillon, qui lui prodiguèrent les soins les plus affectueux.
Le premier acte du nouveau monarque fut d'éloigner de la cour celle qui en avait été le scandale pendant les dernières années de la vie du feu roi. Le jour même de la mort de Louis XV, le duc de la Vrillière fut envoyé à Rueil et remit à madame du Barry une lettre de cachet lui intimant l'ordre de se rendre immédiatement au couvent de Pont-aux-Dames, près de Meaux.
La chute de madame du Barry entraîna celle de toute la famille. Le comte Jean et son fils sortirent de France. Quant au comte Guillaume, resté à Toulouse, il y fut l'objet des huées et des railleries de la populace.
Il y avait un an que madame du Barry était renfermée dans l'abbaye de Pont-aux-Dames. Sa santé s'altérait de cette vie si éloignée de ses habitudes. Ses amis faisaient des efforts pour l'en faire sortir, et elle parvint enfin à obtenir la permission d'aller habiter sa petite maison de Saint-Vrain. Elle y passa une partie de l'année 1775; mais, vers l'automne, des fièvres assez graves attribuées à l'humidité de ce lieu ayant attaqué une partie de ses gens et la menaçant elle-même, elle obtint enfin de M. de Maurepas, oncle de M. d'Aiguillon, alors tout-puissant, de revenir habiter le joli pavillon de Louveciennes.
Pendant le temps de sa faveur, madame du Barry avait eu à sa disposition des sommes considérables; mais légère comme elle l'était, coquette et désirant contenter à l'instant ses moindres caprices sans regarder à la dépense, surprise surtout par la brusque mort de Louis XV, elle n'eut point le temps de satisfaire ses créanciers, et il fut établi que lorsqu'elle quitta la cour elle avait pour plus de 1,200,000 livres de dettes.
Les créanciers de la comtesse ne savaient à qui s'adresser pendant son séjour à Pont-aux-Dames. L'intendant général de la maison du roi recevait de toutes parts des réclamations. On jugea alors nécessaire de se rendre compte de la fortune de madame du Barry et des sommes qu'elle avait reçues pendant le temps de sa faveur. Montvallier, intendant de la comtesse, fut chargé de dresser un état de toutes ces sommes. Voici cet état, copié sur les papiers déposés à la préfecture de Seine-et-Oise[127]:
«État des sommes payées pour le compte de madame la comtesse du Barry, par M. Beaujon[128], pendant qu'elle était en faveur à la cour de France.
«15 juillet 1774.»
OBSERVATION.
Montvallier prévient qu'il n'a pu rendre le travail plus complet, attendu qu'il n'a pas la suite des bordereaux de M. Beaujon, et qu'il y a même une lacune entre celui du 15 février 1772 et celui du 10 septembre suivant, et qu'il lui a été fait une remise de pièces sans bordereaux par madame du Barry, pour cette lacune, montant ensemble à la somme de 93,200 livres, employée dans les articles qui suivent, savoir:
| ART. 1er.—Aux marchands orfèvres, joailliers et bijoutiers. | |||||||
| Orfèvres | 313,328 | l. | 4 | s. | |||
| Joailliers | 1,808,635 | 9 | |||||
| Bijoutiers | 158,000 | » | |||||
| Total | 2,279,963 | l. | 13 | s. | |||
| ART. 2.—Aux marchands de soieries, dentelles, toiles, modes, etc. | |||||||
| Soieries | 369,810 | l. | 15 | s. | 3 | d. | |
| Toiles, dentelles | 215,888 | 6 | » | ||||
| Modes | 116,818 | 5 | » | ||||
| Merceries | 35,443 | 14 | » | ||||
| Total | 737,961 | l. | » | s. | 3 | d. | |
| ART. 3.—A divers parfumeurs, fourreurs, chapeliers, chaudronniers, etc. | 52,148 l. 9 s. | ||||||
| ART. 4.—Pour meubles, tableaux, vases et autres ornements. | |||||||
| Meubles | 24,398 | l. | 18 | s. | |||
| Tableaux, vases | 91,519 | 19 | |||||
| Total | 115,918 | l. | 17 | s. | |||
| ART. 5.—Aux tailleurs et brodeurs. | |||||||
| Tailleurs | 60,322 | l. | 10 | s. | |||
| Brodeurs | 471,178 | » | |||||
| Total | 531,500 | l. | 10 | s. | |||
| ART. 6.—Pour achat de voitures, chevaux et fourrages. | |||||||
| Voitures et entretien | 67,470 | l. | 1 | s. | |||
| Chevaux | 57,347 | » | |||||
| Fourrages | 6,810 | » | |||||
| Total | 131,627 | l. | 1 | s. | |||
| ART. 7.—Aux peintres, sculpteurs, etc. | |||||||
| Doreurs | 78,026 | l. | » | s. | » | d. | |
| Sculpteurs | 95,426 | » | » | ||||
| Peintres | 48,875 | 12 | 6 | ||||
| Fondeurs | 98,000 | » | » | ||||
| Marbriers | 17,540 | 8 | 10 | ||||
| A divers ouvriers menuisiers, serruriers | 32,240 | 8 | » | ||||
| Total | 370,108 | l. | 9 | s. | 4 | d. | |
| ART. 8.—Pour les anciens et nouveaux ouvrages de Louveciennes. | |||||||
| Anciens ouvrages | 111,475 | l. | 6 | s. | 9 | d. | |
| Jardins | 3,739 | 19 | » | ||||
| Nouveaux ouvrages | 205,638 | 16 | 8 | ||||
| Jardins | 3,000 | » | » | ||||
| Total | 323,854 | l. | 2 | s. | 5 | d. | |
| ART 9.—Sommes payées, qu'on n'a pu appliquer aux différents comptes, les motifs des payements n'étant point connus | 55,619 l. | 2 | s. | » | d. | ||
| ART 10.—Pour dépenses extraordinaires, dons, gratifications, musique, aumônes | 47,525 | 5 | » | ||||
| ART 11.—Sommes payées, divisées en deux parties, la première considérée comme pour le compte de madame du Barry, et la deuxième pour ses affaires; à madame du Barry directement ou pour elle; aux comte, vicomte et demoiselle du Barry, et autres | 1,081,052 l. | 15 | s. | 2 | d. | ||
| A ses gens d'affaires et autres, y compris l'acquisition du pavillon de l'avenue de Paris, à Versailles |
661,628 | 16 | 9 | ||||
| ART 12.—A-compte sur la construction du bâtiment audit pavillon | 18,000 | » | » | ||||
| ART 13.—Recouvrements à faire | 20,000 | » | » | ||||
| Total général | 6,375,559 l. | 11 | s. | 11 | d. | ||
Certifié véritable et conforme aux bordereaux mentionnés
ci-dessus.
Louveciennes, le 14 juillet 1774.
Signé: MONTVALLIER.
Pour payer toutes ses dettes, madame du Barry restait avec sa propriété de Louveciennes et 150,000 livres de rentes viagères. Elle parvint à faire des arrangements avec la plupart de ses créanciers; quant aux plus récalcitrants, elle les paya à l'aide de la vente de plusieurs de ses bijoux, et de la cession qu'elle fit de son hôtel de Versailles, en 1775, à Monsieur, frère du roi, moyennant la somme de 224,000 livres[129].
Retirée à Louveciennes, madame du Barry y mena une vie fort tranquille. Belle et bonne, malgré sa position équivoque à la cour, elle s'y était fait un grand nombre d'amis. Les plus grands personnages et bon nombre de dames allaient à Louveciennes. On vit même le frère de Marie-Antoinette, l'empereur Joseph II, venir lui faire une visite, et lui offrir le bras en se promenant avec elle dans ses jardins. La comtesse avait su se créer une petite cour, et les anciens amis de Louis XV étaient toujours les bienvenus dans son château. Habituée depuis plusieurs années à satisfaire tous ses caprices sans savoir ce qu'ils pouvaient coûter, elle recevait ses hôtes en princesse, et, jolie femme, continuait toutes ces folles dépenses de toilette qu'une jolie femme, même sans être une madame du Barry, a souvent tant de peine à abandonner. On la trouvait de plus toujours prête à secourir ses amis; et l'on voit dans les papiers de la préfecture de Seine-et-Oise que le 9 avril 1775, c'est-à-dire un an après la mort de Louis XV, elle prêta 200,000 livres à M. le duc d'Aiguillon, qui ne les lui rendit que le 30 août 1784.
Madame du Barry dut donc économiser fort peu pour payer ses créanciers, et ses dettes, au lieu de diminuer, ne firent qu'aller en augmentant. Aussi, pour se liquider complétement, à force d'instances et de démarches de ses amis, elle obtint enfin du roi Louis XVI, en avril 1784, l'échange de 60,000 livres de rente contre 1,250,000 livres qui lui furent délivrées par le trésor royal[130].
Après comme pendant sa faveur, madame du Barry eut les mêmes soins de sa mère; et lorsqu'elle mourut, le 20 octobre 1788, elle constitua au profit du sieur Rançon de Montrable, le mari de sa mère, une rente viagère de 2,000 livres pour, dit-elle, reconnaître les bons procédés de Rançon à l'égard de son épouse[131]. Elle n'oublia pas non plus la famille de sa mère; elle constitua des rentes à ses oncles et tantes, et maria très-avantageusement plusieurs des ses cousines[132].
Madame du Barry était excessivement bonne pour ses domestiques. Elle avait en eux une très-grande confiance, dont ils abusèrent plusieurs fois, surtout à l'époque de la Révolution. Soit que ces domestiques, paresseux et insouciants comme ils le sont dans la plupart des grandes maisons, n'exerçassent point une surveillance assez active, soit que quelques-uns d'entre-eux s'entendissent avec les fripons que tentaient les richesses accumulées dans ce lieu, toujours est-il que plusieurs vols considérables eurent lieu à Louveciennes, depuis que la comtesse y faisait son séjour habituel.
Le 20 avril 1776, trois individus fort bien mis se présentent au château et demandent à parler à madame du Barry. L'un d'eux, décoré de la croix de Saint-Louis, est introduit dans son cabinet, où elle se trouvait seule en ce moment, pendant que les deux autres restent dans la chambre qui précède. Il va droit à elle un pistolet à la main, la menace de tirer si elle fait le moindre geste pour appeler, et lui ordonne de donner ce qu'elle a d'argent et de bijoux. Effrayée, elle s'empresse de remettre à cet homme un riche écrin qu'elle avait près d'elle. Le voleur, frappé de la beauté des diamants et content de sa proie, se retire avec ses compagnons sans qu'on ait jamais pu les retrouver.
Un autre vol, beaucoup plus considérable, eut lieu dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791.
On a vu que dans sa retraite de Louveciennes, madame du Barry avait conservé de nombreux amis. Parmi eux se trouvait M. le duc de Brissac. Brave, loyal et d'une superbe figure, le duc fit impression sur le cœur de la comtesse. Ils s'attachèrent bientôt l'un à l'autre, et leurs relations devinrent si intimes, que madame du Barry était aussi souvent à Paris, à l'hôtel de Brissac, que le duc était à Louveciennes[133]. C'est pendant l'un de ces séjours à Paris que s'accomplit le vol dont on va parler.
A l'aide des sacrifices qu'elle avait déjà faits, madame du Barry était parvenue à combler la plus grande partie de ses dettes. Mais à l'époque dont il s'agit (1791), elle en avait contracté de nouvelles.
Sa négligence à se rendre compte de ses propres affaires, le goût des folles dépenses qui ne l'avait pas quittée, mais surtout le besoin de soulager les infortunes que la Révolution commençait à faire peser sur ses amis, avaient mis de nouveau le désordre dans ses finances. Déjà elle avait cherché, par l'entremise de son banquier, à faire vendre quelques-uns de ses diamants à l'étranger. Elle avait, à cet effet, réuni dans un seul endroit du château ses bijoux les plus précieux. Peu défiante, elle s'était fait aider dans ce travail par plusieurs de ses domestiques; aussi savait-on parfaitement dans la maison le lieu où étaient placées toutes ces richesses, et si les gens de la comtesse n'y furent pour rien, leurs indiscrétions mirent au moins sur la voie les malfaiteurs qui accomplirent ce vol audacieux.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791, pendant que madame du Barry était à Paris chez le duc de Brissac, des voleurs s'introduisirent dans le château, allèrent droit au lieu où étaient les diamants et les bijoux de la comtesse, et enlevèrent tout ce qui s'y trouvait réuni; puis ils se retirèrent tranquillement, sans que personne dans la maison se fût aperçu de leur présence. Depuis quelque temps madame du Barry, pour ajouter à sa sûreté, avait demandé au commandant des Suisses de Courbevoie de lui donner un des soldats du régiment pour lui servir de concierge. Aussitôt que l'on eut connaissance du vol, la municipalité de Louveciennes fit arrêter le Suisse qui servait de gardien. Interrogé par ses officiers, il avoua que des hommes qu'il ne connaissait pas l'avaient enivré dans un cabaret; mais voilà tout ce que la police de l'époque put recueillir sur cet attentat.
C'était une immense perte pour madame du Barry, car on venait de lui enlever ses bijoux les plus précieux. On peut juger de la valeur de ce vol et des richesses accumulées dans ce lieu par l'état des objets volés qu'elle fit afficher dans Paris et annoncer dans les journaux étrangers:
«Trois bagues montées chacune d'un brillant blanc, le premier pesant 35 grains, le deuxième 50 grains, et le troisième 28 grains;
»Une bague montée d'un saphir, carré long, avec un Amour gravé dessus, et deux brillants sur le corps;
»Un baguier en rosette verte, renfermant vingt à vingt-cinq bagues, dont une grosse émeraude;
»Une pendeloque montée à jour, pesant environ 36 grains, d'une belle couleur, mais très-jardineuse, ayant beaucoup de dessous;
»Une autre d'un onyx, représentant le portrait de Louis XIII, dont les cheveux et les moustaches sont en sardoine;
»Une autre d'un César, de deux couleurs, entourée de brillants;
»Une autre d'une émeraude, carré long, pesant environ 20 grains;
»Une autre d'un brun-puce, pesant de 14 à 16 grains;
»Une autre d'un Bacchus antique, gravée en relief sur une cornaline brûlée;
»Une autre d'une sardoine jaune, gravée par Barrier, représentant Louis XIV, entourée sur le corps de roses de Hollande;
»Une autre d'un gros saphir en cœur, montée à jour, entourée de diamants sur le corps et sur la moitié de l'anneau.—L'onyx de Louis XIII et l'émeraude carrée sont montés de même et garnis également de diamants, de roses et de brillants;
»Plus, dans ce baguier, il y a un Bonus Eventus antique, gravé sur un onyx;—un brillant blanc pesant 29 grains;—un autre pesant 25 grains;—un autre, forme de pendeloque, pesant 28 grains;—un autre, rond, pesant 23 grains;—un autre, 25 grains;—un, 24 grains;—un, qualité inférieure, carré long, 23 grains;—trois pesant chacun 28 grains;—un brillant en épingle, forme longue, pesant 30 grains;—un brillant, forme losange, 33 grains;
»Deux bracelets, ensemble de 24 grains;
»Une rose montée à jour, de deux cent vingt-huit brillants blancs, dont un gros au milieu, cristallin, pesant 24 grains;
»Un collier de vingt-quatre beaux brillants, montés en chatons à jour, de 20 grains chaque;
»Huit parties de rubans en bouillon, chacune de vingt-un brillants à jour, pesant depuis 4 grains jusqu'à 8;
»Une paire de boucles de souliers de quatre-vingt-quatre brillants, pesant 77 karats 1/4;
»Une croix de seize brillants, pesant 8 à 10 grains chaque;
»Soixante-quatre chatons, pesant de 6 jusqu'à 10 grains;
»Une belle paire de girandoles en gros brillants de la valeur de 12,000 livres;
»Une bourse à argent en soie bleue, avec ses coulants, ses glands et leurs franges, le tout en petits brillants montés à jour;
»Un esclavage à double rang de perles, avec sa chute, le tout d'environ deux cents perles, pesant 4 à 5 grains chaque;—un gros brillant au haut de la chute, pesant 24 à 26 grains, et au bas un gland à franges et son nœud, le tout en brillants montés à jour;
»Une paire de bracelets à six rangs de perles, pesant 4 à 5 grains; le fond du bracelet est une émeraude surmontée d'un chiffre en diamants, en deux L pour l'un, et d'un D et B pour l'autre, et deux cadenas de quatre brillants, pesant 8 à 10 grains;
»Un rang de cent quatre perles enfilées, pesant 4 à 5 grains chacune;
»Un portrait de Louis XV peint par Massé, entouré d'une bordure d'or, à feuilles de laurier; ledit portrait de 5 à 6 pouces de haut;
»Un autre portrait de Louis XV, peint par le même, plus petit, dans un médaillon d'or;
»Une montre d'or simple, de Romilly;
»Un étui d'or à une dent émaillée en vert, avec un très-gros brillant au bout, pesant environ 12 grains, tenant sur le tout par une vis;
»Une paire de boutons de manches, d'une émeraude, d'un saphir, d'un diamant jaune et d'un rubis, le tout entouré de brillants couleur de rose, pesant 36 à 40 grains, montés en bouton de cou;
»Deux grandes bandes de cordons de montre, composées de seize chaînons à trois pierres, dont une grande émeraude, et deux brillants de 3 à 4 grains de chaque côté, et trois autres petites bandes de deux chaînons chaque, pareils à ceux ci-dessus;
»Une barrette d'un très-gros brillant, carré long, pesant environ 60 grains, avec trois grosses émeraudes pesant 8 à 10 grains, avec deux brillants aux deux côtés, pesant un grain chaque, montés à jour;
»Une bague d'un brillant d'environ 26 grains, montée à jour, avec des brillants sur le corps;
»Deux girandoles d'or formant flambeaux, montées sur deux fûts de colonne d'or émaillées de lapis, surmontées de deux tourterelles d'argent, de carquois et de flèches, faites par Durand;
»Un étui d'or émaillé en vert, au bout duquel est une petite montre faite par Romilly, entourée de cercles de diamants et ayant un chiffre par derrière[134].
»Deux autres étuis d'or, l'un émaillé en rubans bleus, et l'autre en émaux de couleur et paysages;
»Dix-sept diamants démontés, de toutes formes, pesant depuis 25 jusqu'à 30 grains chacun, dont une pendeloque montée, pesant 36 grains;
»Soixante-quatre chatons dans un seul fil, formant collier, pesant 8, 9 et 10 grains chacun, en diamants montés à jour.
»Deux boucles d'oreilles de coques de perles, avec deux diamants au bout;
»Un portrait de Louis XVI, de Petitot;
»Un autre portrait de feu Monsieur, tous les deux en émail, ainsi qu'un portrait de femme, également de Petitot;
»Une écritoire de vieux laque superbe, enrichie d'or et formant nécessaire, tous les ustensiles en or;
»Deux souvenirs, l'un en laque rouge et l'autre en laque fond d'or à figures, l'un monté d'or et l'autre monté en or émaillé;
»Deux flambeaux d'argent de toilette, perlés et armoriés;
»Une boîte de cristal de roche couverte d'une double boîte travaillée à jour;
»Des pièces d'or et des médailles d'or de différents pays;
»Quarante petits diamants pesant un karat chaque;
»Deux lorgnettes, l'une émaillée en bleu, l'autre émaillée en rouge, avec le portrait du feu roi, toutes deux montées en or;
»Un souvenir en émail bleu avec des peintures en grisailles, représentant d'un côté une offrande, et de l'autre côté une jardinière avec un petit chien à longues oreilles;
»Un reliquaire, d'un pouce environ, d'un or très-pur, émaillé en noir et blanc, une petite croix montée dessus assez gothiquement, et une perle fine de la grosseur d'un pois au bas;
»Et plusieurs autres bijoux d'un très-grand prix.»
On peut penser à quelle somme considérable devait s'élever un pareil vol.
Ses ennemis répétaient partout que ce vol n'existait pas, et que madame du Barry avait fait courir ce bruit pour arranger plus aisément ses affaires. D'autres prétendirent plus tard qu'elle avait porté elle-même ses bijoux en Angleterre, pour soulager les infortunes de la plupart des émigrés retirés à Londres; Cet autre bruit se répandit surtout lorsque l'on sut qu'ils venaient d'être retrouvés dans ce pays. Ce fut l'un des chefs d'accusation les plus violents que fit valoir contre cette malheureuse femme le farouche Fouquier-Tainville, et aujourd'hui encore il est répété par ses biographes; bien entendu cependant qu'ils ne le regardent plus comme un acte criminel, mais au contraire comme très-honorable.
Quels que soient les motifs que l'on ait fait valoir pour douter du vol de madame du Barry, un acte authentique, solennel, fait peu de jours avant la mort, le testament de M. de Brissac, dont on parlera bientôt, le constate et ne laisse aucun doute sur sa réalité.
Ce vol fût donc un extrême malheur pour madame du Barry, et elle fit toutes les démarches possibles pour pouvoir se mettre sur la trace des coupables. Dans le courant de février suivant, madame du Barry apprit que ses voleurs avaient été arrêtés à Londres. Il paraît que peu de jours après leur arrivée dans ce pays, un Anglais, qui leur servait d'interprète, se présenta chez un lapidaire et lui offrit à très-bon marché une riche collection de diamants. Le joaillier les lui acheta; mais, frappé de la beauté de ces pierres, de leur nombre, de leur bas prix et étonné surtout que tant de pierres précieuses se trouvassent ainsi dans les mains d'un inconnu, il prévint la police, qui arrêta l'interprète et ses compagnons, encore munis de tous les bijoux de la comtesse.
Madame du Barry partit immédiatement pour Londres, où on lui représenta ses diamants. Elle les reconnut parfaitement. Mais comme la procédure devait durer un certain temps, les diamants furent déposés chez MM. Hamerleys et Morland, banquiers à Londres, scellés de son cachet et de celui des banquiers, et madame du Barry revint à Louveciennes.
Un mois après son retour, elle reçut une lettre de Londres, qui l'y appelait de nouveau pour la poursuite du procès de ses voleurs. Cette fois, madame du Barry, pensant rester plus longtemps que la première, se munit d'un passe-port signé du roi et de M. de Montmorin, valable pour trois semaines, et lui permettant d'emmener avec elle le chevalier d'Escourt, le joaillier Rouen, deux femmes de chambre, un valet de chambre et deux courriers, et elle partit après avoir reçu de ses banquiers à Paris, MM. Wandenyver, des lettres de crédit pour Londres. Elle y resta plus des trois semaines que lui accordait son passe-port, espérant toujours voir la fin du procès. Mais comme rien ne finissait encore, elle se décida à revenir en France, et arriva à Paris dans les premiers jours de juillet.
Sa liaison avec le duc de Brissac n'avait point cessé, et paraissait au contraire se resserrer à mesure que les orages s'accumulaient sur la France et éloignaient tous ceux qu'un grand nom ou une grande fortune semblaient désigner d'avance aux fureurs populaires. M. de Brissac, en loyal et brave chevalier, ne voulut point abandonner le roi au milieu des dangers dont il était entouré. Nommé commandant de la garde constitutionnelle, il inspira à cette garde, composée des éléments les plus divers, un esprit d'unité et d'amour pour le roi, qui fut la cause de sa perte.
Le 29 mai 1792, le député Bazire vient dénoncer à la tribune de l'Assemblée législative la garde constitutionnelle du roi, comme animée d'un mauvais esprit, et particulièrement son chef, M. de Brissac. Après une discussion qui va toujours en s'envenimant, Couthon demande le licenciement de cette garde et l'arrestation de Brissac, et l'assemblée adopte successivement deux décrets, conformes à la proposition de Couthon.
M. de Brissac fut immédiatement arrêté, et envoyé à Orléans pour y être jugé par la haute cour de justice. Un de ses aides de camp, un jeune officier qui lui était fort attaché, M. de Maussabré, courut à Louveciennes pour annoncer ces terribles nouvelles à madame du Barry.
Il était parvenu à entretenir quelques intelligences avec le duc depuis son arrestation, et c'est par lui qu'une correspondance put s'établir entre le duc et la comtesse. Après la fatale journée du 10 août, ce jeune officier chercha un refuge chez madame du Barry. Malheureusement pour lui, et malgré toutes les précautions prises pour le dérober à tous les regards, il y fut découvert par un détachement de fédérés. Emmené à Paris, il fut emprisonné à l'Abbaye, où il périt égorgé le mois de septembre suivant.
Le duc de Brissac, renfermé dans les prisons d'Orléans, ne se faisait aucune illusion sur le sort qui l'attendait. Il se préparait à la mort qu'il allait bientôt recevoir d'une si horrible manière, et le 11 août 1792, il écrivait ses dernières volontés, transmises plus tard à sa famille. Il n'oublie pas dans son testament celle qu'il aimait depuis longtemps. Après avoir institué pour sa légataire universelle sa fille, madame de Mortemart, il ajoute en s'adressant à elle:
«Je lui recommande ardemment une personne qui m'est bien chère, et que les malheurs des temps peuvent mettre dans la plus grande détresse. Ma fille aura de moi un codicille qui lui indiquera ce que je lui ordonne à ce sujet.»
Ce codicille est ainsi conçu:
«Je donne et lègue à madame du Barry, de Louveciennes, outre et par-dessus ce que je lui dois, une rente viagère et annuelle de 24,000 livres, quitte et exempte de toute retenue, ou bien l'usufruit et jouissance pendant sa vie de ma terre de la Rambaudière et de la Graffinière, en Poitou, et des meubles qui en dépendent; ou bien encore une somme de 300,000 livres une fois payée en argent, le tout à son choix, d'autant qu'après qu'elle aura opté pour l'un desdits trois legs, les deux autres seront pour non avenus. Je la prie d'accepter ce faible gage de mes sentiments et de ma reconnaissance, dont je lui suis d'autant plus redevable que j'ai été la cause involontaire de la perte de ses diamants, et que si jamais elle parvient à les retirer d'Angleterre, ceux qui resteront égarés, ou les frais des divers voyages que leur recherche aura rendus nécessaires, ainsi que ceux de la prime à payer, s'élèveront au niveau de la valeur effective de ce legs. Je prie ma fille de lui faire accepter. La connaissance que j'ai de son cœur m'assure de l'exactitude qu'elle mettra à l'acquitter, quelles que soient les charges dont ma succession se trouvera grevée par mon testament et mon codicille, ma volonté étant qu'aucun de mes autres legs ne soit délivré que celui-ci ne soit entièrement accompli.
»Ce 11 août 1792.
»Signé: Louis-Hercule Timoléon
de Cossé-Brissac[135].»
Après des paroles si formelles, il est impossible de douter de la réalité du vol.
Madame du Barry était à Louveciennes lorsque le duc de Brissac fut massacré à Versailles. On dit que quelques-uns des forcenés qui prirent part à cette boucherie portèrent à Louveciennes la tête du duc, et vinrent la mettre sous ses yeux[136]. Ce terrible coup la plongea dans la plus profonde douleur.—Isolée dans son château, elle craignit pour elle-même, et commença à prendre des précautions pour sauver ses richesses. Aidée d'un valet de chambre dévoué, nommé Morin, qui paya de sa tête son attachement à sa maîtresse, elle cacha ce qu'elle avait de plus précieux dans différentes parties de la maison et des jardins.
Elle entretenait toujours une correspondance avec Londres à l'occasion de ses diamants. On lui écrivit de cette ville qu'il fallait absolument suivre le procès, parce que c'était la seule manière de rentrer en possession de son bien. Elle s'occupa alors des moyens de passer tranquillement en Angleterre, et surtout de ne pas être considérée comme émigrée.
Elle écrivit au président de la Convention nationale et au ministre des affaires étrangères Lebrun, pour leur expliquer le motif de son voyage et les assurer qu'elle ne comptait pas abandonner la France, et qu'elle prenait l'engagement formel de revenir à Louveciennes aussitôt la fin de son procès. Quelques jours après, elle reçut du ministre son passe-port, et une lettre lui disant qu'elle ne serait en rien tourmentée pour ce voyage, et qu'elle pouvait le faire en toute assurance. Mais pour plus de certitude et pour bien établir dans le pays même qu'elle ne voulait pas émigrer, et prévenir les malintentionnés dans le cas d'une absence prolongée, elle renouvela, devant la municipalité de Louveciennes, les déclarations déjà faites par elle au président de la Convention et au ministre. La municipalité inscrivit cette déclaration sur ses registres, et lui en remit une copie ainsi conçue:
«Ce jourd'hui 7 octobre 1792, l'an Ier de la République française, s'est présentée devant nous, officiers municipaux de la commune de Louveciennes, district de Versailles, département de Seine-et-Oise, dame Vaubernier du Barry, résidant habituellement en ce lieu, laquelle nous a déclaré qu'étant obligée d'aller à Londres, pour assister au jugement définitif des voleurs qui, la nuit du 10 au 11 janvier 1791, lui ont volé ses bijoux dans son château de Louveciennes, elle nous en fait la déclaration pour qu'elle ne puisse point être regardée comme émigrée pendant son absence, ni traitée comme telle par aucune autorité constituée, de laquelle déclaration elle nous a requis acte que nous lui avons octroyé, vu la lettre de M. Lebrun, ministre des affaires étrangères, en date du 2 du courant, qui est restée annexée à la présente minute, et la susdite dame du Barry a signé avec nous, les jours et an que dessus.
»Bon pour copie conforme à l'original, le 8 septembre 1792[137].»Suivent les signatures.»
Après s'être mise en règle, madame du Barry partit pour Londres le 14 octobre 1792. Pendant qu'elle était en Angleterre, de terribles événements s'étaient passés en France. Le roi était tombé sous la hache du bourreau. Partout s'étaient développées les passions révolutionnaires. Jusque dans les petits villages, on voyait s'établir des assemblées populaires, des clubs, et Louveciennes n'y avait point échappé. Un intrigant nommé Greive était venu s'y établir depuis quelque temps. Aussitôt son arrivée, il y forma un club. Son premier acte fut une dénonciation contre madame du Barry, et, le 14 février 1793, le procureur général syndic du district de Versailles adressait aux administrateurs du district la lettre suivante:
«La femme du Barry, propriétaire à Louveciennes, a quitté la France au moyen d'un passe-port, au commencement de 1792, pour poursuivre en Angleterre les auteurs d'un vol considérable fait en sa maison.
»Le doute inspiré sur cette poursuite par le laps de temps et par l'ignorance de ses effets a fait naître nécessairement l'incertitude.
»Dans cet état, l'administration a pensé qu'il convenait de prendre sur les biens de cette femme des mesures conservatrices pour assurer à la fois ses droits et ceux de la nation.
»Elle me charge, en conséquence, de vous inviter à faire apposer les scellés sur la maison de la femme du Barry, à Louveciennes, d'y commettre un gardien, et de lui adresser le procès-verbal qui sera dressé à cette occasion.
»Vous voudrez bien, citoyens, presser cette opération et m'en faire part aussitôt qu'elle aura été faite[138].»
Deux jours après, les membres du Directoire du district répondirent à la lettre du procureur syndic par une résolution ainsi conçue:
«Vu la lettre du procureur général syndic, le directoire du district a commis le citoyen Brunette, l'un de ses membres, à l'effet de procéder, en présence de deux officiers de la commune de Louveciennes, à l'apposition des scellés sur tous les meubles, titres et effets de la femme du Barry, et établir à la conservation desdits scellés un ou plusieurs gardiens solvables, lesquels ne pourront être choisis parmi les parents, domestiques ou agents de ladite du Barry, et auxquels il sera attribué un salaire journalier de trente sols par jour[139].
»Fait à Versailles, le 16 février 1793, an II de la République.»
Greive savait bien que madame du Barry n'avait point émigré; mais il espérait que ce premier acte, qui paraissait la soupçonner d'émigration, lui ferait peur, empêcherait son retour en France et le mettrait à même, sous le prétexte du salut public, de toucher aux trésors accumulés dans le château, et dont il espérait tirer un peu parti pour lui-même.
Mais madame du Barry comptait bien revenir à Louveciennes. Ayant appris à Londres que les scellés avaient été mis sur ses biens, elle se hâta de quitter l'Angleterre. Son procès ayant été jugé le 28 février, jour du terme du tribunal, elle partit de Londres le 3 mars, arriva à Calais le 5, où elle fut retenue jusqu'au 18 pour attendre de nouveaux passe-ports du pouvoir exécutif, et arriva à Louveciennes le 19[140].
L'arrivée de madame du Barry déconcerta un peu Greive, mais ne l'empêcha pas de suivre ses projets. La société populaire de Louveciennes était composée d'une quarantaine de membres, au nombre desquels se trouvaient plusieurs domestiques de madame du Barry, et entre autres les nommés Salanave et Zamor. Le premier était un valet de chambre que madame du Barry renvoya plusieurs jours après son retour, à cause de quelques actes d'infidélité; l'autre était un nègre, élevé par elle, dont elle était la marraine, auquel elle avait assuré des rentes, et qu'à cause de son ingratitude elle chassa de sa maison. A l'aide de ces deux hommes, Greive sut tout ce qui se passait dans l'intérieur du château, les personnes qu'on y recevait, et recueillit une foule de renseignements qui lui permirent de continuer ses dénonciations.
Le 2 juin 1793, la Convention avait rendu un décret portant: «Les autorités constituées, dans toute l'étendue de la République, seront tenues de faire saisir et mettre en état d'arrestation toutes les personnes notoirement suspectées d'aristocratie ou d'incivisme; elles rendront compte à la Convention nationale de l'activité qu'elles apporteront à mettre à exécution le présent décret, et demeureront responsables des désordres que pourrait occasionner leur négligence.»
Greive fait assembler la société populaire de Louveciennes, et le 26 juin se présente devant les administrateurs du département de Seine-et-Oise. Là il lit une adresse signée de trente-six citoyens de Louveciennes, dans laquelle on demande la mise à exécution du décret de la Convention et un exemplaire de ce décret pour la commune.
Le lendemain 27, armé de ce décret, Greive, accompagné du maire de la commune, se présente chez madame du Barry et procède à son arrestation.
Les administrateurs du département ne paraissaient pas avoir un zèle aussi exagéré du bien public que les clubistes de Louveciennes, et ils se doutaient un peu du motif qui les faisait agir. Pour prévenir l'acte de vengeance qu'ils redoutaient, ils envoyèrent le même jour à Louveciennes un des membres du district de Versailles, en le chargeant de faire exécuter la loi avec quelques modifications et restrictions. Arrivé juste au moment où l'on se disposait à faire enlever madame du Barry, le membre du district fit suspendre son arrestation, et reprocha vivement à la municipalité son extrême précipitation.
Greive et les membres de la société populaire, dont la plupart avaient été employés dans la maison de madame du Barry, irrités de ce contre-temps, rédigèrent une autre pétition qu'ils adressèrent cette fois à la Convention. Dans cette pièce, remplie de déclamations et de grands sentiments patriotiques, comme on en voyait dans tous les écrits de cette époque, on accumula les accusations contre madame du Barry, et on demanda l'approbation de la Convention nationale pour l'arrestation de la citoyenne se disant comtesse du Barry, de sa nièce, fille d'un émigré, et de ceux de ses domestiques notoirement suspects d'aristocratie et d'incivisme, c'est-à-dire de ses domestiques restés fidèles. «Dites, ajoutent les pétitionnaires, dites que nous avons rempli votre vœu, en mettant à prompte exécution votre décret du 2 juin; ordonnez l'impression de notre adresse, afin de donner le branle aux autres communes du département; déclarez que nous avons bien mérité de la patrie, etc.»
La Convention ne pouvait qu'approuver de pareils sentiments, exprimés dans un pareil style; aussi le président remercia la députation de Louveciennes de son patriotisme, et l'invita aux honneurs de la séance.
De retour à Louveciennes, et forts de l'approbation de la Convention, les membres de la société populaire arrêtèrent madame du Barry et les diverses personnes indiquées dans leur pétition, et les conduisirent à Versailles, pour les faire enfermer dans les prisons de cette ville. Goujon[141] était alors procureur général syndic; il leur reprocha leur acte comme illégal, leur représenta que les faits sur lesquels ils basaient leur accusation étaient dénués de preuves, et ordonna de reconduire les prisonniers à Louveciennes.
Empêché dans l'exécution de ses desseins, Greive fit alors imprimer un libelle dont voici le litre: «l'Égalité controuvée, ou Histoire de la protection, contenant les pièces relatives à l'arrestation de madame du Barry, ancienne maîtresse de Louis XV, pour servir d'exemple aux patriotes trop ardents qui veulent sauver la République, et aux modérés qui s'entendent à merveille pour la perdre.» Dans cet écrit, Greive s'intitule défenseur officieux des braves sans-culottes de Louveciennes et ami de Franklin et Marat, et n'épargne ni madame du Barry, ni le comité de sûreté générale, qu'il accuse de faiblesse, ni le département.
Pendant ce temps, madame du Barry cherchait, par tous les moyens, à conjurer l'orage qui s'accumulait sur sa tête. Elle adressa à la Convention des notes explicatives de sa conduite, tandis que la plupart des habitants de Louveciennes qui ne faisaient pas partie de la société des sans-culottes présentaient de leur côté plusieurs pétitions en sa faveur. Elle fit aussi des démarches auprès des administrateurs du département pour être protégée contre ses ennemis.
Le directoire du département voyait avec peine l'acharnement que l'on mettait à perdre cette malheureuse femme, dont le principal crime était ses richesses. Il envoya auprès d'elle un de ses membres, nommé Lavallery[142]. Celui-ci lui conseilla d'abandonner Louveciennes et de se retirer à Versailles, où il serait plus aisé de la protéger. Mais tout ce que madame du Barry avait encore de richesse était enfoui à Louveciennes, et elle craignait que, pendant son absence et sous le moindre prétexte, on ne fouillât sa maison, et que l'on ne s'emparât de ce qui y était caché, et elle ne voulut pas quitter ce séjour.
Greive cependant ne perdait pas un instant pour arriver à ses fins. Il reçut du nègre Zamor une foule de renseignements qu'il mit habilement à profit, et à force de dénonciations réitérées et d'actives démarches, il obtint enfin du Comité de sûreté générale de la Convention l'ordre d'arrêter madame du Barry. Muni de cet ordre, il accourt à Louveciennes, et le dimanche 22 septembre, il se fait accompagner au château par le maire, le juge de paix et deux gendarmes, fait mettre les scellés sur tous les meubles, ordonne à madame du Barry de le suivre, la fait placer entre les deux gendarmes dans une mauvaise voiture de place qu'il avait fait venir exprès, y monte après elle et l'emmène triomphant à Paris, où il la dépose dans la prison de Sainte-Pélagie.
Greive avait remis au Comité de sûreté générale de la Convention les papiers qu'il pensait devoir le plus compromettre madame du Barry. Un ami de Marat, Héron, fut chargé de les examiner, et, sur son rapport, le Comité rendit, le 29 brumaire de l'an II (19 novembre 1793), l'arrêté suivant:
«CONVENTION NATIONALE.
»COMITÉ DE SÛRETÉ GÉNÉRALE ET DE SURVEILLANCE DE
LA CONVENTION NATIONALE,
»du 29 brumaire, l'an II de la République
française,
»UNE ET INDIVISIBLE.
»Le Comité de sûreté générale, ayant pris connaissance des diverses pièces trouvées chez la nommée du Barry, mise en état d'arrestation par mesure de sûreté générale, comme personne suspecte, aux termes du décret du 17 septembre dernier (vieux style), considérant qu'il résulte de l'ensemble desdites pièces que la femme du Barry est prévenue d'émigration et d'avoir, pendant le séjour qu'elle a fait à Londres, depuis le mois d'octobre 1792 jusqu'au mois de mars dernier (vieux style), fourni aux émigrés réfugiés à Londres des secours pécuniaires, et entretenu avec eux des correspondances suspectes; et que les nommés Wandenyver père et fils, négociants, sont prévenus d'avoir fait passer des fonds à la femme du Barry pendant qu'elle était en Angleterre; arrête: que la femme du Barry, prévenue d'émigration, et que les nommés Wandenyver père et fils, prévenus d'avoir fait passer à ladite dame du Barry des fonds pendant son séjour a Londres, seront traduits au tribunal révolutionnaire, pour y être poursuivis et jugés à la diligence de l'accusateur public.
»Les représentants du peuple, membres du Comité de sûreté générale de la Convention nationale,
»VOULAND, DAVID, VADIER, DUBARRAN, JAGOT,
PANIS, LAVICOMTERIE.»
Les Wandenyver ne se trouvaient ainsi compromis que parce qu'ils étaient les banquiers de madame du Barry. Mais pour donner plus d'importance à ce procès et compromettre davantage ces banquiers, qui faisaient alors beaucoup d'affaires et étaient chargés des intérêts de plusieurs grandes familles, le Comité rendit, deux jours après, un nouvel arrêté ainsi conçu:
«COMITÉ
»DE SÛRETÉ GÉNÉRALE ET DE SURVEILLANCE DE LA
CONVENTION NATIONALE,
»du 1er frimaire, l'an II de la République,
»UNE ET INDIVISIBLE.
»En faisant droit à la dénonciation faite par le citoyen Héron au Comité, d'après son mémoire imprimé, rédigé par le martyr de la liberté (Marat), représentant du peuple, dans lequel on y reconnaissait Wandenyver, ainsi qu'une multitude de complices, pour avoir été les instruments d'un complot de banqueroute générale, qui aurait perpétué l'esclavage des Français et sauvé la tête du tyran, entretenu les abus de la féodalité, qui servaient au déshonneur de la nation française; considérant que les faits pour lesquels Wandenyver a subi interrogatoire à notre Comité ne sont qu'une suite de ceux désignés dans le développement de la banqueroute, en ce qu'il y a coopéré, ainsi qu'au massacre du peuple, dont il est conjointement accusé avec tous ceux désignés dans le mémoire; le Comité arrête qu'ils seront traduits au tribunal révolutionnaire pour y être jugés, et que les pièces françaises et espagnoles seront jointes au présent arrêté pour servir au procès.
»Les représentants du peuple, membres du Comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention nationale,
»MOYSE BAYLE, DAVID, AMAR, JAGOT,
LOUIS (du Bas-Rhin), A. Benoit,
GUFFROY, LAVICOMTERIE.»
Dès que l'arrêté qui traduisait madame du Barry et ses co-accusés devant le tribunal révolutionnaire fut rendu, son procès ne dura pas longtemps. Le 3 décembre (13 frimaire an II), Fouquier lit à là chambre du conseil l'acte d'accusation, la chambre en donne acte et ordonne le transfèrement des prévenus à la Conciergerie. Le 6, ils paraissent devant le tribunal, et, le 7, ils sont condamnés à mort.
L'acte d'accusation dressé par Fouquier-Tainville contre cette malheureuse femme est un chef-d'œuvre du genre. Son titre de maîtresse du roi et ses folles dépenses lui donnèrent beau jeu pour se laisser aller à toute son indignation d'honnête homme et de bon patriote, et il en usa largement, comme on peut le voir dans toute la partie qui regarde madame du Barry, qu'on ne lira pas sans curiosité.
Après avoir annoncé qu'il avait été procédé à l'examen des pièces du procès et à l'interrogatoire des accusés, il ajoute:
«Qu'examen fait desdites pièces par l'accusateur public, il en résulte que les plaies profondes et mortelles qui avaient mis la France à deux doigts de sa perte avaient été faites à son corps politique bien des années avant la glorieuse et impérissable révolution qui doit nous faire réjouir des maux cuisants qui l'ont précédée, puisqu'elle nous a délivrés pour jamais des monstres barbares et fanatiques qui nous tenaient enchaînés sur l'héritage de nos pères; que, pour prendre une idée juste de l'immoralité de l'accusée du Barry, il faut jeter un coup d'œil rapide sur les dernières années, pendant le cours desquelles le tyran français, Louis quinzième du nom, a scandalisé l'univers, en donnant la surintendance de ses honteuses débauches à cette célèbre courtisane; qu'en 1769, ce Sardanapale moderne se trouvant blasé sur toutes les jouissances qu'il avait poussées à l'excès dans le Parc aux Cerfs, sérail infâme où le déshonneur d'une infinité de familles honnêtes fut consommé, s'abandonna lâchement aux vils complaisants qui l'entouraient pour réveiller ses feux presque éteints; qu'un de ces odieux complaisants ayant fait la connaissance d'un ci-devant comte du Barry, noyé de dettes, et le plus crapuleux libertin, eut occasion de voir chez lui la nommée Vaubernier, sa maîtresse, qui n'était passée dans ses bras qu'après avoir fait un cours de prostitution; que le ci-devant comte du Barry, à qui tous les moyens étaient bons pour parvenir à apaiser ses créanciers, proposa à ce complaisant de lui céder la Vaubernier, s'il parvenait à la faire admettre au nombre des sultanes du crime couronné; que cette créature éhontée lui fut en effet présentée, et qu'en peu de temps elle parvint, par ses rares talents, à prendre l'empire le plus absolu sur le faible et débile despote. Bientôt des fleuves d'or roulèrent à ses pieds; les pierreries les plus précieuses lui furent données avec profusion; les artistes les plus célèbres furent occupés aux chefs-d'œuvre les plus dispendieux; elle devint la cause universelle des ci-devant grands; les ministres, les généraux et les ci-devant princes de l'Église furent nommés et culbutés par cette nouvelle Aspasie; et tous venaient bassement faire fumer leur encens à ses genoux; le faste le plus insolent, les dépravations et les débordements de tout genre furent affichés par elle; le scandale était, à son comble; elle puisait à pleines mains dans les coffres de la nation pour enrichir sa famille et combler l'abîme de dettes du ci-devant comte du Barry, qui avait poussé l'infamie et le déshonneur jusqu'à devenir son époux. Son imbécile amant ne rougit pas lui-même d'insulter au peuple, en se plaçant à côté d'elle dans les chars les plus brillants et la promenant ainsi dans différents lieux; que, pour ne pas effaroucher sa pudeur, l'accusateur public ne soulèvera pas le voile qui doit couvrir à jamais les vices effroyables de la cour, jusqu'en l'année 1774, époque à laquelle celui à qui des esclaves avaient donné le nom de Bien-Aimé disparut de dessus la terre, emportant dans ses veines le poison infect du libertinage, et couvert du mépris des Français; que la du Barry fut reléguée à Rhetel-Mazarin, et de là à Meaux, dans la ci-devant abbaye de Pont-aux-Dames; que dans cette retraite salutaire, elle aurait dû faire les plus sérieuses réflexions sur le néant des grandeurs et sur les désordres de sa conduite qui avaient entraîné la ruine de son pays; mais qu'ayant été rendue à la liberté par le dernier tyran des Français, il lui conserva non-seulement les dépouilles du peuple, mais encore la combla de nouvelles prodigalités, et lui abandonna le château de Louveciennes, où elle se forma une nouvelle cour, à laquelle se présentèrent en foule les vils courtisans qui avaient profité de sa faveur pour dilapider les finances avec elle; qu'elle les tint enchaînés à son char jusqu'à l'époque mémorable où le peuple français, fatigué de ses chaînes, se leva, brisa ces chaînes et en frappa la tête du despote. Tous les soi-disant grands d'alors, se voyant prêts à être écrasés par la vengeance nationale, s'enfuirent épouvantés, abandonnèrent un sol qu'ils avaient souillé depuis trop longtemps, furent implorer l'assistance des tyrans de l'Europe pour venir égorger un peuple qui avait eu le courage de conquérir sa liberté; mais ce peuple saura leur faire mordre la poussière, ainsi qu'à ceux qui ont épousé leurs projets sanguinaires; que la du Barry ayant vu se dissiper l'essaim de ses adorateurs, et réduite à régner seulement sur son nombreux domestique, ne retrancha non-seulement rien de son faste, mais forma le dessein d'être utile tant aux émigrés qu'au petit nombre de ses amis qui étaient restés en France, et qui trouvaient chez elle un asile assuré, notamment Laroche, ci-devant grand vicaire d'Agen, condamné à la peine de mort par jugement du tribunal; que pour procurer d'une manière certaine des secours aux émigrés, elle se servit d'un stratagème qui lui donna la facilité de faire quatre voyages à Londres; qu'elle prétendit avoir éprouvé un vol considérable de diamants et autres effets, dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791, et que les voleurs étaient passés en Angleterre, où il fallait qu'elle se rendit pour en poursuivre la restitution; que ce vol n'était qu'un jeu concerté entre elle et un nommé Forth, le plus rusé des espions que le cabinet britannique ait envoyés en France pour soutenir le parti de la cour et s'opposer aux progrès de notre révolution; que, pour suivre les auteurs de ce prétendu vol, elle eut le talent de subtiliser différents passe-ports, tant du ministère des affaires étrangères que de la municipalité de Louveciennes et du département de Seine-et-Oise, dont plusieurs membres la protégeaient ouvertement, et particulièrement le nommé Lavalery[143], qui depuis s'est donné la mort; qu'au moyen de ces passe-ports clandestins, elle se joua impunément de la loi contre les émigrés, puisqu'elle était encore à Londres dans les premiers jours du mois de mars dernier; que pendant les quatre séjours qu'elle fit dans cette ville, elle vivait habituellement avec tous les émigrés qui s'y étaient réfugiés, et auxquels elle a prêté des sommes d'argent considérables, ainsi qu'il sera démontré par la suite; qu'elle avait également formé les liaisons les plus étroites avec les lords les plus puissants, tous conseillers intimes du tyran de l'Angleterre, et particulièrement avec l'infâme Pitt, cet ennemi implacable du genre humain, pour lequel elle avait un si haut degré d'estime, qu'elle rapporta dans la république française une médaille d'argent portant l'effigie de ce monstre[144]; qu'elle favorisait également de tout son pouvoir les ennemis de l'intérieur, auxquels elle prodiguait les trésors immenses qu'elle possédait; qu'elle fit compter une somme de deux cent mille livres en constitution de rentes à Rohan-Chabot, qui possède des terres considérables dans la Vendée, sur l'étendue desquelles s'est formé le premier noyau des rebelles, selon la commune renommée[145]; que par l'entremise d'un nommé d'Escourt, ci-devant chevalier, elle prêta une pareille somme de 200,000 livres à la Rochefoucault, ancien évêque de Rouen[146]; que ce même d'Escourt, détenu à la Force, le nommé Laboudie, son neveu, et le ci-devant vicomte de Jumilhac, émigré, ont reçu d'elle des sommes considérables à la même époque; qu'elle provoquait des rassemblements dans son pavillon de Louveciennes, dont elle voulait faire un petit château fort, ce qui est suffisamment prouvé par les huit fusils que son bon ami, le scélérat d'Angremont, escroqua pour elle à la municipalité de Paris, sous le prétexte que c'était la municipalité de Louveciennes qui demandait ces fusils, ce qui a été reconnu faux; qu'elle comptait tellement sur la contre-révolution, à laquelle elle travaillait si puissamment, qu'elle avait fait cacher dans sa cave sa vaisselle plate et autre argenterie; qu'elle avait fait enterrer dans son jardin ses diamants, son or, ses pierres précieuses, avec les titres de noblesse, brevets, etc., de l'émigré Graillet[147]; qu'elle avait également fait enterrer dans les bois les bronzes les plus riches et les bustes de la royauté; et qu'elle avait dans un grenier un magasin énorme de marchandises et d'étoffes du plus haut prix, dont elle avait nié l'existence; qu'il a été trouvé chez elle une collection rare d'écrits et de gravures contre-révolutionnaires; que lors de son séjour à Londres, elle a publiquement porté le deuil du tyran; que cette femme, enfin, qui a fait tout le mal qui était en elle, et dont Forth, le fameux espion anglais, s'était adroitement servi comme d'un instrument utile aux desseins perfides des cours des Tuileries et de Londres, entretenait des correspondances et des liaisons avec les ennemis les plus cruels de la République, tels que Crussol, de Poix, Canonet, Calonne, etc., et une foule d'autres, dont il serait trop long de donner l'énumération; qu'elle était tellement protégée par le parti ministériel de la Grande-Bretagne, que quand la guerre fut déclarée à cette puissance, elle resta tranquillement à Londres, tandis que les Français en étaient chassés ou horriblement persécutés, ce qui ne peut laisser aucun doute sur le rôle odieux que jouait cette femme, que l'on doit regarder comme un des plus grands fléaux de la France, et comme un gouffre épouvantable dans lequel s'est engloutie une quantité effrayante de millions, etc.»
Le 8 décembre 1793 (18 frimaire an II), madame du Barry fut conduite au supplice.
On sait qu'elle jeta les hauts cris depuis la Conciergerie jusqu'à la place de la Révolution, où était dressée la guillotine. Elle avait une telle frayeur de cette horrible mort, qu'arrivée sur l'échafaud elle cria à la foule qui l'entourait: A moi! A moi! et s'adressant ensuite au bourreau: Encore un moment, monsieur, je vous en prie, lui dit-elle les larmes aux yeux. Un instant après, elle avait cessé de vivre[148].
On a vu, le jour même de l'arrestation de madame du Barry, Greive faire mettre les scellés sur une partie du mobilier du château de Louveciennes. Le lendemain, il revint accompagné du juge de paix, son ami, et ils procédèrent seuls à la continuation de la pose des scellés et à l'examen des richesses de ce lieu. Jusqu'au 27, Greive fut parfaitement le maître de faire tout ce que bon lui semblait dans cette habitation, et l'on verra dans le résumé historique des opérations des commissaires envoyés par le directoire du département de Seine-et-Oise que des soupçons sérieux s'élevèrent dans leur esprit sur la probité qui avait présidé à ce premier travail.
Salanave, l'ancien domestique de madame du Barry, faisait partie du comité de salut public du district de Versailles. Greive, dont presque tous les membres de ce comité étaient les amis, fit nommer Salanave et un appelé Soyer commissaires chargés de prendre connaissance des scellés apposés par le juge de paix de Marly. On pense bien que ces deux commissaires, en se rendant à Louveciennes le 27, approuvèrent tout ce qui avait été fait. Ils nommèrent ensuite pour la garde des scellés Fournier, le père du juge de paix, et Zamor, ce nègre si excellent et si intelligent patriote[149]. De plus, pour la sûreté des trésors renfermés, on établit une garde composée de dix-huit patriotes faisant partie de la société des sans-culottes de Louveciennes. C'était une fort bonne affaire pour ces patriotes, car on voit dans le résumé historique dont on a déjà parlé que cette garde, depuis son installation jusqu'au 13 frimaire, c'est-à-dire en soixante-dix jours, avait déjà coûté 9,274 livres.
On n'attendit pas la condamnation de madame du Barry pour fouiller dans sa maison, et l'on procéda comme si l'on avait été sûr de sa mort. Des commissaires spéciaux furent désignés pour faire l'inventaire et l'estimation de tout ce qui s'y trouvait. Outre un précieux mobilier, de nombreux objets d'art et des bijoux de prix, les commissaires ont surtout été frappés de la quantité d'objets de toilette, tels que dentelles, corsets de toutes couleurs, brodés en soie, or et argent; étoffes de soie et de velours, simples ou brochées d'or et d'argent, coupées ou en pièces, et en si grand nombre, qu'elles furent estimées à environ 200,000 mille livres, mises à part et destinées à être vendues à l'étranger[150].
Cependant, malgré les recherches les plus minutieuses, un grand nombre des cachettes faites par madame du Barry avaient échappé aux regards scrutateurs des commissaires. Le jour même de sa mort, persuadée que c'était moins à sa personne qu'à ses richesses qu'on en voulait, et qu'en faisant connaître exactement les divers endroits où elles étaient enfouies, elle pourrait sauver sa vie, elle se décida à en faire la déclaration; ce qui ne la sauva pas, mais fut la cause de la mort de Morin, le seul de ses domestiques resté fidèle.
Cette déclaration servit beaucoup aux commissaires dans leurs recherches, comme on le verra dans le résumé historique. Dans le grand nombre de bijoux indiqués, on en voit quelques-uns qui montrent son intimité avec le duc de Brissac. Ainsi elle indique dans une des cachettes «une boîte, montée en cage d'or, avec le portrait de l'épouse de Brissac;—un portrait de la fille de ce dernier, monté en or;—un autre de son frère;—une boîte d'écaille blonde montée en or, avec une très-belle pierre blanche gravée, où est le portrait de Brissac et de la déclarante;—un portrait en émail de la grand'mère de Brissac;—deux tasses d'or avec leurs manches de corail, et quelques autres objets appartenant à Brissac;—une paire d'éperons d'or, avec des chiffres appartenant à feu Brissac».
Deux jours après la mort de madame du Barry, Fouquier-Tainville écrivit au directoire du département de Seine-et-Oise pour lui annoncer le jugement et faire procéder au séquestre des biens de la condamnée, et le 4 nivôse suivant (24 décembre), le directoire prenait la délibération suivante:
«Vu par l'administration la lettre de l'accusateur public près le tribunal révolutionnaire, du 20 frimaire, qui annonce que la femme du Barry a été condamnée, par jugement de ce tribunal du 17 du même mois, à la peine de mort, et que tous ses biens étaient acquis et confisqués au profit de la nation, il convenait de faire procéder au séquestre des biens de cette condamnée qui sont situés dans l'étendue du département de Seine-et-Oise.
»Vu la lettre adressée le 19 du mois dernier par l'administration provisoire des domaines nationaux aux administrateurs composant le directoire du département de Seine-et-Oise, de laquelle il appert que le glaive de la loi a fait tomber la tête d'une femme qui avait la plus grande part à la dilapidation de la fortune publique et qui, à ce premier crime que la nation avait à lui reprocher, a joint celui d'émigrer et d'avoir des relations avec les ennemis de notre liberté, qu'il importe que les mesures les plus promptes soient prises pour que ce qu'elle avait conservé des scandaleuses prodigalités de l'avant-dernier tyran rentre en entier sous la main de la nation; il engage donc l'administration, si les scellés ne sont déjà mis dans sa dernière demeure, à Louveciennes, à les y faire apposer sans délai et à faire procéder le plus tôt possible à l'inventaire, afin de mettre la régie en possession des immeubles et d'avoir un moyen de tirer du mobilier le meilleur parti possible; qu'au surplus l'administration ne saurait mettre trop de soins dans le choix des gardiens qui y sont ou qui y seraient établis, ni les faire surveiller avec trop d'exactitude; que les objets précieux que renferme cette habitation perdraient beaucoup de leur valeur si l'on n'apportait la plus grande attention à empêcher qu'ils ne soient dégradés, et qu'il y en a que, vu leur peu de volume, il serait facile de soustraire. Il invite l'administration à le tenir au courant de ce qu'elle fera pour remplir le vœu de cette lettre et pour que la République ne perde rien de ce qu'elle doit retrouver dans cette importante confiscation;
»L'administration, considérant que les scellés ont été apposés chez ladite femme, à Louveciennes, et l'inventaire fait dès le mois de février dernier, arrête qu'en attendant la vente des immeubles ayant ci-devant appartenu à la femme du Barry, à laquelle il sera procédé le plus tôt possible, il sera à la poursuite et diligence du directoire du district de Versailles, également procédé à la vente de tous les effets mobiliers provenant de cette femme;
»Invite en outre le directoire du district de Versailles à exercer la surveillance la plus active sur les gardiens qui sont déjà établis dans la maison qu'occupait cette femme, ou qui leur seront substitués, pour prévenir la dégradation des objets précieux qui s'y trouvent et la spoliation de ceux que leur peu de volume rend faciles à soustraire, comme aussi à constater les effets qui ont pu être distraits du mobilier de cette femme, pour en assurer le recouvrement.
»Arrête aussi que le directeur de la régie nationale sera tenu de prendre, conjointement avec le directoire du district de Versailles, les mesures convenables pour opérer le séquestre des biens de cette femme, et que, dès à présent, l'administration lui en sera confiée pour la conservation des droits tant de ses créanciers que de la République[151].»
Par suite de cette délibération, le district de Versailles donna de nouveaux pouvoirs à la commission qu'elle avait chargée dès le 29 frimaire de procéder à l'inventaire et à la constatation des objets mobiliers, d'art, etc., de toute nature du château de Louveciennes.
Cette commission s'était déjà transportée à Louveciennes, et elle procéda consciencieusement à ce travail long et difficile. On voit, dans les nombreux procès-verbaux particuliers adressés par elle au district de Versailles[152], combien elle eut de peine et souvent de luttes à soutenir avec ceux jusqu'alors chargés de ce travail, pour y établir l'ordre et la clarté et remplir le mandat qui lui avait été confié.
Lorsqu'elle crut sa mission terminée, elle adressa au directoire du district de Versailles les divers procès-verbaux des opérations dont chacun de ses membres en particulier avait été chargé. Les procès-verbaux étaient accompagnés d'un résumé historique du travail général de la commission. Ce résumé raconte tout ce qui s'est passé à Louveciennes depuis la mort de madame du Barry jusqu'au moment de la vente de ses effets; il est, par conséquent, le complément de ce récit.
RÉSUMÉ HISTORIQUE
DES OPÉRATIONS DES COMMISSAIRES DE LOUVECIENNES.
«La du Barry, condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire de Paris, le 18 frimaire, a fait le même jour la déclaration des lieux où elle avait caché différents objets précieux, et des personnes à qui elle les avait confiés.
»En conséquence, les commissaires, à leur arrivée à Louveciennes, le 21 frimaire, se sont occupés d'abord des moyens de parvenir à la découverte des objets déclarés.—Le moyen qui devait être le plus fructueux était de faire traduire à Louveciennes Morin[153], valet de chambre de la du Barry et son homme de confiance; aussi les commissaires ont écrit à l'accusateur public, et lui ont même envoyé un exprès.
»Avant que de procéder à aucune recherche, ils ont interrogé pendant plusieurs jours ceux des domestiques de la du Barry qui n'avaient pas été arrêtés avec cette femme. D'après les dépositions qu'ils ont reçues, ils n'ont trouvé de coupables que le nommé Déliant, frotteur, et particulièrement la femme Déliant, dénommée dans la déclaration de la du Barry, comme dépositaire de deux boîtes renfermant des bijoux, diamants et autres effets précieux.
»La fausseté qui avait dicté les réponses de la femme Déliant a engagé la commission à la mettre en arrestation chez elle, avec son mari, et à leur donner deux gardes choisis par la municipalité du lieu.
»Le nommé Déliant, frotteur, a prouvé par ses déclarations moins de mauvaise foi que sa femme. Cet homme, moribond depuis longtemps, a paru avoir peu de connaissance des dépôts confiés à cette dernière, et depuis huit jours il est mort à l'infirmerie de Versailles, où la commission l'avait fait transporter.
»La femme Déliant, lors de son premier interrogatoire, le 22 frimaire, avait simplement déclaré que la du Barry, cinq ou six jours avant son arrestation, lui avait mis dans son tablier plusieurs paquets enveloppés de papier; que le même jour, d'après les ordres de sa maîtresse, elle les avait cachés dans un fumier contre la melonnière; mais la suite prouvera la fausseté de cette déclaration.
»Le 24 frimaire, jour de l'arrivée de Morin, la femme Déliant, voulant prévenir les perquisitions que les commissaires se disposaient à faire chez elle, avait, le même jour, demandé à leur parler; mais les commissaires étant, dans ce moment-là, occupés à faire fouiller le jardin de Morin, le citoyen Greive, commissaire du Comité de sûreté générale de la Convention, s'est rendu chez ladite Déliant. Cette femme lui a remis cent quatre-vingt-treize louis simples en or, à elle confiés par la du Barry quelque temps avant son dernier voyage en Angleterre.
»Le 16 frimaire, les commissaires ont interrogé ladite Déliant. Il résulte de sa déclaration que la du Barry, à l'époque de son dernier voyage en Angleterre, lui avait remis trois coffres renfermant beaucoup d'objets précieux, pour les mettre soi-disant plus en sûreté et à l'abri d'être volés; que le lendemain de l'arrestation de la du Barry, ladite Déliant les avait déposés dans la maison de la veuve Aubert, sa mère, où ils sont restés environ douze jours; que les perquisitions exercées dans la maison de la du Barry et dépendances lui donnant à craindre qu'on ne trouvât chez sa mère les coffres y déposés, elle avait, la veille de son arrestation et de son incarcération aux Récollets[154], ouvert les trois coffres, avait vidé les objets y contenus, les avait mis dans son tablier et cachés le même soir dans un fumier contre la melonnière, à l'exception de quatre rouleaux de louis simples, d'un gobelet d'or avec son couvercle, d'une bourse pleine de jetons d'argent et de quelques flacons; que sa mère avait jeté le lendemain dans la pièce d'eau du Grand Jet de Marly ces derniers objets, à l'exception cependant de quatre rouleaux de louis, qu'elle avait gardés pour elle sans en donner connaissance à son mari.
»Les 24 et 26 frimaire, les commissaires ont interrogé Morin. Mais avant de rendre compte des découvertes qu'ils ont faites sur ses indications, il est nécessaire de suivre la conduite de la femme Déliant.
»Le même jour de l'interrogatoire de cette dernière, il a été déposé entre les mains des commissaires, par Agathe Gournay et la femme Borgard, une montre enrichie de diamants, trouvée par elles, il y avait six semaines, dans une pièce d'eau du jardin de Marly; et par Jacques Richard, fontainier, deux flacons de cristal de roche, sans bouchons ni sans garnitures, et trouvés dans la même pièce.
»La femme Déliant avait été présente au dépôt de la montre dont est question, et cet acte de probité, peu conforme à son caractère fourbe et à sa conduite plus que suspecte, la faisant regarder elle-même comme très-coupable à ses propres yeux, cette femme, sous prétexte de satisfaire des besoins naturels, a surpris la surveillance de ses gardes et s'est coupé la gorge avec un rasoir.
»Les commissaires ont fait dresser par le juge de paix procès-verbal de cet événement, qui n'a pas eu de suites funestes, au moyen des soins du chirurgien appelé alors.
»Dans le même moment, le mari de ladite Déliant, alité depuis longtemps, ayant déclaré que sa femme avait jeté quelque chose par la fenêtre, l'on a trouvé dans une gouttière, au-dessous du charbonnier, sous la fenêtre de la chambre desdits Déliant, quatre boîtes, dont une d'or enrichie de diamants, une autre aussi d'or; lesdites renfermées dans un sac à poudre, jetées comme il est dit par ladite femme Déliant, quoique cette dernière n'ait jamais voulu en convenir.
»Les commissaires ont séparé ladite Déliant de son mari, lui ont donné deux gardes pendant deux jours, au bout desquels ils l'ont fait transférer à l'infirmerie de Versailles, où elle est encore.
»Les bijoux, diamants et autres effets précieux, cachés dans le fumier par ladite femme Déliant, y ont été trouvés par le citoyen Greive deux mois et demi après l'arrestation de la du Barry; mais comme on n'a jamais eu l'état désignatif et la connaissance positive des objets que renfermaient les trois boîtes, il reste incertain si tous ont été trouvés.
»Sans vouloir rien préjuger sur la conduite que l'on a tenue, le 11 frimaire, lors de cette découverte, les commissaires ignorent s'il y a eu un procès-verbal dressé au moment même, mais il ne leur a été remis d'autre procès-verbal que celui de reconnaissance, fait le 13 frimaire, par Houdon, juge de paix actuel de Louveciennes, c'est-à-dire deux jours et demi après la découverte, le juge de paix n'ayant été appelé qu'à cette époque.
»Quant aux objets jetés dans les pièces d'eau du jardin de Marly par la mère de la femme Déliant, on a trouvé seulement la montre déposée par Agathe Gournay et la femme Borgard, les deux flacons remis par Richard, deux autres flacons trouvés par les commissaires lors de leurs perquisitions dans la pièce d'eau du Grand Jet de Marly, un flacon remis au moment même par Joséphine Lochard. Il reste conséquemment à recouvrer le gobelet et le couvercle en or, provenant d'un plateau de toilette, et la bourse pleine de jetons d'argent.
»Après être entrés dans les détails des déclarations toujours tardives, toujours partielles de la femme Déliant, de la nature des dépôts précieux qui lui ont été confiés par la du Barry, de l'usage inconcevable qu'elle en a fait, des événements tragiques qui ont suivi sa conduite, les commissaires rendent compte du résultat de Morin, valet de chambre et agent secret de la du Barry.
»Les perquisitions les plus amples avaient été faites dans le jardin de ce prévenu, et toujours infructueusement. Cet homme allait être jugé, exécuté, emportant avec lui la connaissance des différents dépôts, si les commissaires n'eussent pas écrit à l'accusateur public, ne lui eussent pas envoyé un exprès au moment où Morin allait subir la peine due à ses crimes.
»Les 24 et 26 frimaire, les commissaires ont interrogé ce prévenu: d'après ses déclarations, et sur ses indications, ils ont trouvé cachés derrière des bois de charpente placés contre un mur du jardin de Morin une douzaine de cuillers d'or à café; dans le grenier au-dessus de la cuisine de sa maison, une croix d'argent, un calice et une patène d'argent; une boîte à quadrille, la boîte, les fiches et contrats en ivoire, incrustés en or; dans le jardin de Morin, et enterrés en divers endroits sous des arbres hors de monter, et près la grille, deux boîtes de sapin renfermant savoir:
| Argent blanc | 7,203 | liv. |
| 40 doubles louis | 1,920 | |
| Un louis en or | 24 | |
| 2 guinées et une demi-guinée | 36 | |
| Total | 9,183 | liv. |
»En outre, 99 jetons d'argent et un globe d'argent-vermeil.
»D'après la déclaration de la du Barry, on aurait dû trouver douze sacs de 1,200 livres environ, et différents objets précieux. Cependant lesdites boîtes ne renfermaient que cinq sacs, les louis, les guinées en or et le gobelet d'argent-vermeil.
»Il est à croire que Morin en a détourné une partie; l'espérance qu'il avait d'être acquitté l'a sans doute engagé à ne pas déclarer les dépôts qu'il avait faits pour le compte de sa maîtresse et pour son propre compte, et il serait nécessaire de faire fouiller son jardin en entier.
»Les commissaires ont aussi trouvé dans la chambre de Morin, et sur ses indications, une râpe à muscade en argent, dans un étui d'argent; un paquet intitulé Graines de panais, contenant dix-sept aunes de galon d'argent à livrée, et quelques autres objets.
»Les perquisitions antérieures faites par le citoyen Greive avaient procuré la découverte de 393 livres en argent blanc, d'un billet qui prouvait que Morin était chargé de faire passer cette somme à l'abbé de Fontenille, poste restante, à Coblentz. Cette somme existe encore dans la chambre de Morin, et les commissaires du district chargés de faire l'inventaire en rendront compte en tant que de besoin.
»Les commissaires ont fait ce qui dépendait d'eux pour tirer de Morin tous les aveux qui pouvaient aider leurs découvertes; mais cet homme n'a déclaré que les dépôts trouvés antérieurement, et il est hors de doute qu'il avait la connaissance de plusieurs autres, dans le cas où sa conduite contre-révolutionnaire n'aurait pas été dévoilée et punie.
»L'objet principal de la mission des commissaires était de faire des recherches. Quoique le citoyen Greive eût découvert une grande partie des objets déclarés et non déclarés par la du Barry, il restait encore des recherches à faire, et les commissaires n'ont rien négligé pour les rendre heureuses.
»A cet effet, ils ont renouvelé dans plusieurs endroits les perquisitions les plus exactes. Ils ont fait fouiller deux fois dans le jardin de Morin, et deux jours de suite dans la cave commune de la maison de la du Barry; mais ces nouvelles fouilles n'ont produit aucune découverte, et quoique que l'on soit bien persuadé qu'il existe encore des dépôts cachés, il faudrait avoir, pour les trouver, des indices particuliers, les terrains environnant la maison de la du Barry étant trop spacieux pour qu'on puisse hasarder de nouvelles fouilles, dispendieuses d'ailleurs et d'un succès incertain.
»D'après l'arrêté du comité de salut public et les instructions du ministre, les commissaires devaient remettre à la Trésorerie nationale les assignats, espèces monnayées, et aux domaines tout ce qui consisterait en bijoux, diamants et autres objets précieux.
»Pour remplir une partie de leur mission, il ne suffisait pas de faire un simple inventaire de ces objets, il fallait en faire le récolement exact, pour opérer la décharge des commissaires et gardiens responsables.
»A cet effet, les commissaires ont procédé au dépouillement de tous les procès-verbaux de l'ancien et du nouveau juge de paix, dressés sur la réquisition du citoyen Greive, commissaire du comité de sûreté générale de la Convention, en présence des officiers municipaux de Louveciennes. Ils ont fermé l'état désignatif de tous les objets y mentionnés par nature et espèce, en distinguant par ordre l'argenterie, les effets en or, etc.
»Ce relevé, nécessaire pour assurer la justesse de toutes vérifications, a demandé un temps très-long, à raison de la lecture qu'il a fallu prendre de tous les procès-verbaux, et de ce que chaque objet se trouvait mentionné isolément dans un procès-verbal et dans un autre.
»Les commissaires ont d'abord procédé à la reconnaissance d'une somme de 37,986 livres en numéraire, trouvée chez la du Barry. Cette somme, jointe à celle de 13,815 liv. découverte par la commission, forme celle de 51,801 liv. remise par elle à la Trésorerie nationale.
»Il avait été trouvé, en outre, dans la commode de la chambre à coucher de la du Barry, une somme de 3,443 liv. en assignats; mais cette somme a été mise par les citoyens Lacroix et Musset, représentants du peuple à Versailles, à la disposition du citoyen Greive, pour subvenir aux dépenses du moment, et il reste encore une somme de 29 liv. en assignats, et 7 liv. en argent monnayé.
»Les commissaires observent qu'il a été déposé entre leurs mains, le 27 nivôse, par le citoyen Fournier, ancien juge de paix, à l'appui d'un procès-verbal de découverte, chez la femme Couture, une somme de 1,200 liv., savoir: 400 liv., dont 200 liv. démonétisées appartenant à Morin, et 800 livr. au nommé Pétry, coiffeur, détenu à Paris. Les commissaires du district chargés de faire l'inventaire rendront compte de ces sommes et des autres en tant que de besoin.
»Les commissaires, en suivant l'ordre de leur relevé sur les procès-verbaux remis entre leurs mains, ont fait, en présence du citoyen Greive, du juge de paix et du maire de Louveciennes, le récolement et la reconnaissance de l'argenterie, des effets en or, cristaux, bijoux, diamants et autres objets précieux, mis sous les scellés dans la chambre à coucher de la du Barry, nº 4. Ils ont rédigé procès-verbal de chaque opération, et en ont donné copie au citoyen Greive et à la municipalité du lieu.
»Cette vérification leur a demandé un temps très-long, attendu que beaucoup de ces objets n'avaient pas été désignés suivant leur nature et espèce, et suivant les termes techniques qui leur convenaient. Peut-être que le plaisir d'avoir fait les découvertes, la précipitation avec laquelle on a procédé à leur inventaire, ont fait négliger les formalités de la rédaction et l'exactitude dans la prescription et reconnaissance des objets; mais en général les commissaires ont aperçu un défaut d'ordre, et ils ne peuvent mieux le prouver que par le grand nombre d'effets qu'ils ont reconnus n'avoir pas été inventoriés. Le désordre ne porte pas seulement sur les objets découverts, mais sur tous ceux en évidence dans la maison. Ces objets sont épars et en confusion.
»Les commissaires ont trouvé, dans différents endroits de la maison, plusieurs étuis de chagrin et galuchat, qui renfermaient sans doute des effets précieux et qui, cependant, ne font pas partie de ceux inventoriés et reconnus. Les commissaires ont vu, entre autres étuis, celui dans lequel devait se trouver une paire de boucles de souliers en or, garnies de perles, dont l'existence antérieure est prouvée par la déclaration même de la du Barry. Tous ces étuis ont été trouvés vides. Les commissaires ignorent si les objets qu'ils contenaient existaient au moment de l'arrestation de cette femme, ou si elle n'en aurait pas disposé elle-même, d'une manière ou d'une autre.
»Les commissaires ont remis successivement à l'administration des domaines l'argenterie, les bijoux, diamants, effets en or, et généralement tous les objets provenant soit de leurs découvertes personnelles, soit des découvertes faites avant eux par le citoyen Greive, commissaire de sûreté du comité général de la Convention. Ils invitent à en acquérir la preuve par l'examen de l'état ci-joint, dont les objets y mentionnés portent le numéro correspondant à celui des objets désignés dans les procès-verbaux et récépissés de remise aux domaines. Ils joignent aussi au présent résumé historique d'opérations l'état de comparaison des objets déclarés par la du Barry et trouvés, avec ceux qui restent à découvrir.
»Jusque-là les commissaires avaient rempli l'objet intrinsèque de leur mission. Mais la nature même de leurs fonctions les a entraînés dans une quantité de détails dont ils devaient prendre connaissance, autant parce qu'ils se sont trouvés liés à leurs fonctions que parce que le besoin de se mettre à l'abri de tous reproches leur recommandait de faire tout ce qui intéressait le bien public.
»Des mesures de sûreté générale, relatives à la conservation des dépôts précieux, existant dans la maison de la du Barry, avaient exigé la surveillance d'une garde assez nombreuse; mais l'enlèvement successif de ces dépôts demandait une économie dans cette dépense. En conséquence, les commissaires ont réduit, le 6 pluviôse, la garde à six hommes, au lieu de dix-huit. Cette garde, depuis le 2 vendémiaire, jour de son établissement par le citoyen Greive, jusqu'au 13 frimaire, avait été payée sur des fonds mis à la disposition du citoyen Greive, savoir: 3,143 liv. par les citoyens Lacroix et Musset, représentants du peuple à Versailles, et 3,000 liv. par Voulant et Jajot; mais le citoyen Greive n'avait plus de fonds disponibles. Il est dû encore à la garde la somme de 3,151 liv., et les commissaires en ont envoyé l'état à l'administration du district de Versailles.
»Le besoin de rétablir l'ordre dans la maison de la du Barry devait fixer, la sollicitude des commissaires. Ce soin paraissait cependant devoir appartenir plus particulièrement au citoyen Greive, qui depuis longtemps habitait la maison de la du Barry, connaissait les causes de la dépense, et l'avait mise ou laissée sur le pied où les commissaires l'ont trouvée.—Mais le citoyen Greive, trop occupé sans doute de l'exécution des grandes mesures de sûreté générale, dont il annonçait être chargé par sa qualité même, n'avait pas le temps d'entrer dans les petits détails. Les commissaires ont cru devoir prendre sur eux de faire la réforme commandée par l'économie, en attendant d'ailleurs la solution de plusieurs questions dont la nature les attachait encore à leur place.
»Jusque-là différentes circonstances, dont il sera parlé ci-après, avaient occasionné une dépense assez considérable de bouche et de chauffage; mais les circonstances n'étant plus les mêmes, les commissaires ont jugé devoir rompre le cours de cette dépense. A cet effet, ils ont arrêté les mémoires du boulanger, du boucher et des autres fournisseurs de la maison. Ils ont envoyé à l'administration du district de Versailles le bordereau de cette dépense, montant à la somme de 2,749 fr.
»Cette dépense, dont le citoyen Greive peut rendre compte mieux que personne des causes qui l'ont déterminée, a été plus considérable pendant le cours de sa mission. En général, cette dépense a été faite par les différents commissaires qui se sont succédé, par le juge de paix, son greffier, par les officiers municipaux, dans un temps où le secret des opérations demandait leur permanence continuelle, par les personnes que le citoyen Greive a employées à auner les étoffes, à peser les matières d'or et d'argent, par les prévenus traduits devant la commission, par les gendarmes, huissiers qui les ont accompagnés, enfin par toutes les personnes dont la présence a été reconnue nécessaire.
»Les fonctions des commissaires ont acquis, par l'effet des circonstances, une plus grande latitude. Ils ont appris, par exemple, qu'il existait à Paris, dans la maison de Brissac, un coffre de fer caché entre deux boiseries. A cet effet, ils sont allés plusieurs fois à Paris pour se concerter avec le ministre sur les moyens à employer pour sa découverte. Le ministre a écrit lui-même au comité de surveillance de la Fontaine de Grenelle, pour l'inviter à nommer deux membres pour seconder les commissaires dans leurs recherches. Le citoyen Villette s'est présenté lui-même au comité de cette section, à celui de sûreté générale; mais les formalités à remplir pour la levée des scellés chez Brissac ont arrêté sans doute l'usage de toutes mesures, et le coffre de fer reste encore à découvrir, ou, s'il a été découvert, la commission l'ignore.
»Les commissaires ont aussi, sur la réquisition des citoyens Lacroix et Musset, représentants du peuple à Versailles, fait l'inventaire du vieux linge existant dans la maison de la du Barry, et l'ont envoyé à l'hôpital militaire de Saint-Cyr.
»Ces différentes démarches et opérations ont occupé les commissaires en attendant la réponse à plusieurs questions de la solution desquelles dépendait la continuation ou la cessation de leurs fonctions.
»Une de ces questions était de connaître la manière dont on disposerait des étoffes précieuses existant dans la maison de la du Barry. Une grande partie de ces étoffes, dont la valeur peut s'élever à 200,000 livres, ne pouvait être vendue qu'à l'étranger. Le ministre, sur les observations des commissaires, avait écrit au comité de salut public: depuis peu, ce comité a chargé l'administration des subsistances d'en faire l'inventaire, et dans ce moment ce travail occupe les commissaires.
»Le rétablissement de l'ordre, des précautions de tout genre, le besoin d'éviter même des dilapidations, le besoin de liquider la succession de la du Barry pour payer les créanciers, toutes ces considérations ont engagé les commissaires à demander qu'il soit procédé promptement à l'inventaire du mobilier de la du Barry, et, depuis le 20 pluviôse, les citoyens Delcros et Lequoy ont été nommés à cet effet par l'administration du district de Versailles.
»En conséquence, les pouvoirs du citoyen Villette, seul commissaire du pouvoir exécutif à Louveciennes, doivent cesser lorsqu'il aura fini, conjointement avec le commissaire des subsistances et ceux du district, l'inventaire des étoffes dont il est spécialement chargé par le ministre.
»Voici la manière dont les membres composant la commission de Louveciennes ont cru devoir rendre compte de leur mission, chacun pour les opérations auxquelles ils ont été présents, nonobstant les pièces qu'ils joignent à l'appui de leur compte, certifiant le tout sincère et véritable.
»Signé à la minute: Huvé, Villette, Delcros, Houdon, Bicault et Lequoy, secrétaire[155].»
Outre la commission générale, deux autres devaient s'entendre avec elle, l'une, pour faire passer immédiatement à Versailles tout ce qui pourrait être employé par l'État, l'autre, pour envoyer aussi dans cette ville les objets d'art, afin de les ajouter à ceux déjà très-nombreux provenant des maisons du roi et des princes, que l'on réunissait dans le palais.
La première de ces commissions fit passer au district, en fer, cuivre, linge, literie, harnais, sucre et eau-de-vie, pour la somme de 128,089 fr. Le linge, la literie, le sucre et l'eau-de-vie furent envoyés à la maison de Saint-Cyr, transformée en hôpital militaire. Le reste fut déposé dans les magasins de l'État.
La commission des arts fit choix des objets qui lui parurent dignes d'être conservés. Comme la plupart de ces œuvres d'art sont aujourd'hui dans les musées et dans les palais impériaux, il n'est pas sans intérêt d'en faire connaître l'origine, en donnant la liste dressée alors par la commission. Ces objets sont au nombre de cinquante-cinq.
1º Deux tableaux de Vien;
2º Une gaîne avec chapiteau et base de granit d'Italie;
3º Une Vénus Callipyge (petite proportion);
4º Un Apollon du Belvédère;
5º Thésée enlevant Hermione;
6º Une Vestale entretenant le feu sacré, suivie par deux enfants;
7º Un groupe représentant Louis XV porté par quatre guerriers;
8º Un petit buste de Louis XV;
9º Un feu en bronze doré, cerf, sanglier et attributs de chasse;
10º Un tableau représentant une marine, par Vernet, de huit pieds de haut sur cinq de large.
11º Un autre tableau de même dimension, représentant une ruine, par Robert;
12º Quatre dessus de porte, par Fragonard;
13º Une Nymphe en marbre, fuyant, et un Amour la menaçant;
14º Une Baigneuse, de Falconnet;
15º Le buste de Louis XV, en marbre, par Pajou;
16º Une pendule représentant l'Amour porté par les Grâces, en bronze doré d'or moulu;
17º Deux vases de porcelaine de Sèvres, fond azur;
18º Deux vases de porcelaine, forme étrusque;
19º Un baromètre et thermomètre avec cartouches et figures de porcelaine;
20º Deux vases en marbre blanc et porphyre;
21º Deux feux dorés d'or moulu, les plus riches;
22º Deux figures en marbre blanc, proportion de deux pieds;
23º Deux candélabres à trois branches, représentant deux femmes groupées;
24º Deux autres, en forme de bouteille;
25º Un feu doré, en forme de vase;
26º Une table en porcelaine de Sèvres, les peintures d'après Vanloo;
27º Un vase de porphyre;
28º Un feu en forme de cassolettes et pommes de pin;
29º Trois chandeliers à trois branches, en cassolettes;
30º Le buste de la du Barry, par Pajou, sur sa gaîne;
31º Partie d'un forte-piano;
32º Deux grands vases de porphyre;
33º Une harpe dans sa robe de taffetas noir;
34º Un tableau représentant la Fuite de l'Amour;
35º La Marchande d'Amours, par Vien;
36º La Cruche cassée, par Greuze;
37º Jupiter et Antiope;
38º Une pastorale, par Boucher, de trente-six pouces de haut sur vingt-huit de large;
39º Un paysage, de Visnose;
40º Une bordure ovale de trois pieds de haut, richement sculptée et dorée;
41º Une autre de deux pieds de haut;
42º Une commode de vieux laque;
43º Une autre plaquée, en porcelaine de Sèvres, à sujets et figures très-jolis;
44º Un tableau représentant la Visitation d'Élisabeth;
45º Un autre représentant la Vierge et l'Enfant Jésus;
46º Un autre, non fini, représentant la du Barry en Bacchante;
47º Un pastel: un Enfant jouant du tambour de basque, d'après Drouet;
48º Un Enfant jouant du triangle, d'après Drouet;
49º Un tableau représentant un enfant tenant une pomme, peint par Drouet, de vingt pouces de haut sur dix-huit de large;
50º Un tableau: une Femme en lévite blanche;
51º Un autre: Louis XV en habit de revue;
52º Un autre: Louis XV enfant;
53º Une gravure enluminée représentant un paysage;
54º Une estampe représentant la femme Lebrun;
55º Un tableau peint sur toile, par Robert, représentant une esquisse de la messe, de quatorze pouces de haut sur seize de large.
Après les travaux particuliers des diverses commissions, la commission générale fit un relevé de tous les procès-verbaux d'inventaires, enlèvements, reconnaissances et ventes du mobilier ayant eu lieu successivement sous sa direction; elle y ajouta les récépissés de dépôt des différents objets extraits, de la maison de madame du Barry, et elle envoya cet immense travail au district de Versailles pour le faire passer au directoire du département de Seine-et-Oise. Ce travail, avec toutes les pièces à l'appui, forme aujourd'hui la plus grande partie des papiers renfermés aux archives de la préfecture de Seine-et-Oise, sous le nom de madame du Barry.
Le relevé général est terminé par le bordereau du |
707,251 l. | 15 s. |
Les bijoux, diamants, cristaux, etc., |
400,000 | » |
Les matières d'or, 89 marcs, 6 onces, | 60,000 | » |
Celles d'argent, 1,449 marcs, à 45 | 65,205 | » |
Celles de vermeil, 84 marcs, à | 4,200 | » |
Galons et franges d'or, 34 marcs | 2,700 | » |
Galons d'argent et brûlé, 121 marcs | 3,600 | » |
Cuivre, fer, plomb et étain | 4,000 | » |
Total général de l'appréciation des | [156] 1,246,956 l. | 15 s. |
Quand madame du Barry fut arrêtée, elle avait encore un grand nombre de dettes, et la municipalité de Louveciennes ne tarda pas à être accablée de mémoires de tous les créanciers. Tous ces mémoires, visés par elle, furent envoyés au district. Il résulte de leur relevé général qu'ils s'élevaient à la somme de 956,124 liv. 13 s. 4 d.—La vérification de ces mémoires fut renvoyée à une commission chargée de mettre la plus grande sévérité dans l'examen de ces dettes. Le gouvernement d'alors dut être satisfait de l'habileté des commissaires, car les mémoires ont été si bien examinés et contrôlés, que presque aucun des créanciers n'a été payé.
Les parents de madame du Barry, auxquels on a vu qu'elle avait fait des pensions viagères, réclamèrent aussi la continuation de leurs pensions; mais on les supprima toutes, à l'exception de celle de Rançon, le mari de la mère de madame du Barry, qui vint se retirer à Versailles, et y mourut le 25 octobre 1801.
La propriété de Louveciennes avait été vendue le 20 thermidor an III (7 août 1795)[157], et le comte Guillaume, qui s'était remarié[158], était mort à Toulouse, le 2 août 1811, à l'âge de 79 ans. Tout avait disparu. Il ne restait plus, comme souvenir du nom de du Barry, que la honte jetée par lui sur les dernières années du règne de Louis XV. Mais à ce souvenir, cependant, venait se mêler celui des souffrances supportées par cette malheureuse femme dans les derniers temps de sa vie, et l'on se prenait de pitié quand on considérait par quelle horrible mort elle avait expié ses quelques années de bonheur!
Ce nom devait recevoir encore une nouvelle humiliation, et il devait la recevoir de ses propres parents, de ses héritiers.
Dans l'acte de mariage de madame du Barry, elle y était dite fille du sieur Jean-Jacques Gomard de Vaubernier, intéressé dans les affaires du roi. Aussitôt le retour en France, en 1814, du roi Louis XVIII, les héritiers Gomard firent de nombreuses démarches auprès des ministres pour être remis en possession des objets ayant appartenu à madame du Barry, et existant dans les établissements publics. Ils se fondaient, pour appuyer leur demande, sur l'acte de naissance[159] de madame du Barry, annexé à celui de célébration de son mariage à la paroisse de Saint-Laurent, ainsi conçu:
«Extrait des registres de baptême de la paroisse de Vaucouleurs, diocèse de Touls, pour l'année mil sept cent quarante-six.
»Jeanne, fille de Jean-Jacques Gomard de Vaubernier et d'Anne Bécu, dite Quantigny, est née le dix-neuf août mil sept cent quarante-six, a été baptisée le même jour, a eu pour parrain Joseph de Mange et pour marraine Jeanne de Birabin, qui ont signé avec moi:
»L. Gaon, vicaire de Vaucouleurs; Joseph de Mange et Jeanne de Birabin.
»Je soussigné, prêtre-curé de la paroisse et ville de Vaucouleurs, diocèse de Touls, certifie à qui il appartient, vu le présent extrait conforme à l'original.
»A Vaucouleurs, ce quatre juillet mil sept cent cinquante-neuf.
»L.-P. Dubois.
»Nous, Claude-François Duparge, licencié ès loix, conseiller du roi, commissaire enquesteur-examinateur en la ville et prévôté de Vaucouleurs, faisant les fonctions de M. le président Prevost, absent, certifions que les écriture et signature ci-dessus sont du sieur Dubois, curé de Vaucouleurs, et que foy y est et doit y être ajoutée. En témoignage de quoi nous avons signé les présentes et scellé de notre cachet.—A Vaucouleurs, ce quatre juillet mil sept cent cinquante-neuf:
»Signé, Duparge, avec paraphe. Approuvé l'écriture, Duparge[160].»
Après beaucoup de démarches infructueuses, et après avoir présenté au ministre des finances un acte de notoriété constatant que le sieur Philbert Gomard, frère de Gomard de Vaubernier, père de madame du Barry, étant le plus proche parent de la comtesse à l'heure de sa mort, était son héritier, le même acte établissant leur filiation comme héritiers directs du sieur Philbert Gomard, le ministre les autorisa à faire retirer de la préfecture de Seine-et-Oise les papiers de madame du Barry, déposés aux archives lors du séquestre mis sur ses biens en 1793. Ces papiers devaient servir à les diriger dans les réclamations qu'ils faisaient au gouvernement. L'inventaire des papiers ainsi donnés un peu légèrement montre combien de documents intéressants ont été perdus pour les recherches historiques.
Inventaire des titres et papiers provenant de madame la comtesse du Barry, condamnée révolutionnairement, et dont les biens ont été séquestrés; lesquels papiers, par suite du séquestre, ont été extraits du domicile de ladite dame, à Louveciennes, transférés à l'administration du ci-devant district de Versailles, et ensuite déposés aux archives de la préfecture de Seine-et-Oise:
1re liasse.—Composée de pièces relatives aux anciens ouvrages faits au pavillon de Louveciennes, années 1760 et 1770, etc., mémoires de divers fournisseurs, et ouvriers, quittances, états de payements et diverses pièces de renseignements.
2e liasse.—Anciens mémoires de fournisseurs et ouvriers quittancés de 1770 à 1774. Bail passé à madame du Barry par la veuve Duru et consorts, d'une maison située à Versailles, rue de l'Orangerie, le 22 décembre 1768. Bordereau des sommes payées par Me Lepot-d'Auteuil, notaire.
3e liasse.—Autres différents mémoires de marchands, ouvriers et fournisseurs, également quittancés. Dépenses de tout genre à l'hôtel et pavillon de l'avenue de Paris, à Versailles, en 1773. Comptes rendus par M. de Montvallier, intendant de madame la comtesse du Barry, ès années 1773 et 1774.
4e liasse.—Divers mémoires de marchands, orfèvres, bijoutiers, drapiers, modistes, fournisseurs, gagistes, peintres, ouvriers, etc., en 1772 et années suivantes, également quittancés. Inventaires et états d'effets mobiliers, tels que tableaux, statues, pièces d'ornement, etc., étant à Louveciennes, à différentes époques, notamment un inventaire général du mobilier de Louveciennes, fait en 1774.
5e liasse.—Mémoires quittancés d'orfèvres, bijoutiers, marchands de meubles et d'étoffes. États de gages payés aux personnes de la maison de madame du Barry, et autres pièces diverses de dépenses, années 1771 et suivantes.
6e liasse.—Pièces relatives à la construction du nouveau pavillon de Louveciennes, en 1771 et 1772. Comptes et mémoires quittancés de divers entrepreneurs, marchands, ouvriers, etc.
7e liasse.—Formée de mémoires et de quittances donnés par des ouvriers, marchands, fournisseurs, pensionnaires et autres personnes attachées à madame du Barry, en diverses années.
8e liasse.—Mémoires acquittés de marchands, ouvriers, fournisseurs, notamment du sieur Aubert, joaillier, du sieur Cozette, entrepreneur de la manufacture royale des Gobelins. Quittances de sommes payées pour pensions et bienfaits accordés par madame du Barry. Ouvrages faits à un hôtel, à Versailles, avenue de Paris, et à une maison à Saint-Vrain.
9e liasse.—Pièces relatives aux locations de baraques, boutiques et appentis établis sur la contrescarpe, à Nantes, concédés à madame du Barry, pour l'usufruit seulement, sa vie durant, par brevet du roi du 23 décembre 1769. Compte du sieur Dardel, régisseur, et du sieur Couillaud de la Pironnière, receveur du produit desdites boutiques, etc. Pièces et plans y relatifs. Baux desdits biens, passés en 1771.
10e liasse.—Papiers, mémoires, lettres, relatifs aux dépenses faites à la Maison-Rouge, sise commune de Villiers-sur-Orge. Inventaire d'effets mobiliers garnissant ladite maison. Lettres et autres pièces de correspondance particulière de madame du Barry, en 1792 et 1793. Quittances, reçus de l'année 1793. Contrat du 24 octobre 1775, devant Me Deschesnes, notaire à Paris, concernant vente par madame la comtesse du Barry à Monsieur, frère du roi, d'un grand hôtel sis à Versailles, avenue de Paris, moyennant 224,000 liv[161].
Tels sont les papiers remis aux héritiers Gomard. Où sont aujourd'hui ces titres, ces lettres de madame du Barry? Que sont-ils devenus? Ils ornent probablement la collection de quelque amateur d'autographes[162].
Malgré toutes leurs demandes, ils n'avaient encore rien recueilli de la succession de madame du Barry, lorsque fut rendue, le 17 avril 1825, la loi d'indemnité des biens des émigrés.
A l'époque de sa mort, madame du Barry ne possédait aucun immeuble, et par conséquent ses héritiers n'avaient rien à réclamer de l'indemnité. Mais l'on se rappela alors le testament de M. de Brissac, et l'on réclama de la famille de Mortemart, héritière du duc, et qui avait une part considérable dans la liquidation du milliard d'indemnité, l'exécution du legs fait au profit de madame du Barry.
Jusque-là, les héritiers Gomard s'étaient seuls présentés. Mais lorsqu'il se fut agi du legs du duc de Brissac, les héritiers Bécu, c'est-à-dire ceux du côté maternel, vinrent, non-seulement pour entrer en partage, mais contestèrent même aux Gomard leur titre d'héritiers de madame du Barry.
On a vu qu'une fois riche, madame du Barry n'a jamais cessé de faire du bien à sa famille. Elle mit sa mère à l'abri du besoin et fit une pension viagère à Rançon, son beau-père, lorsqu'il fut devenu veuf. Les frères de sa mère reçurent aussi d'elle des pensions viagères, et elle dota leurs filles en leur faisant faire des mariages avantageux. Mais on ne voit nulle part qu'elle se soit jamais intéressée aux Gomard. D'où vient cette différence dans la manière d'agir de madame du Barry à l'égard de sa famille? Le procès qui s'est élevé entre les divers héritiers va nous en donner l'explication.
Les Gomard appuyaient leurs prétentions à l'héritage de madame du Barry sur l'acte de naissance déposé à la paroisse de Saint-Laurent, reconnaissant comme père de madame du Barry Jean-Jacques Gomard de Vaubernier. Les Bécu attaquèrent cet acte comme faux, et présentèrent un autre acte de naissance, levé par eux sur les registres de l'état civil de la ville de Vaucouleurs, le 25 septembre 1827, constatant que madame du Barry était fille naturelle de Anne Bécu, et que, par conséquent, les héritiers Gomard n'avaient aucun droit dans cette succession.
De là, procès entre les deux branches et jugement du tribunal civil de première instance de la Seine du 9 janvier 1829, confirmé par arrêt de la cour royale de Paris du 22 février 1830, qui donne gain de cause aux Bécu et les reconnaît comme seuls héritiers de madame du Barry.
La cause de ce faux acte de naissance s'explique aisément. Madame du Barry était la maîtresse du roi. Le mariage lui donnait un nom et allait lui permettre d'arriver aux plus grandes faveurs. Mais il fallait un peu flatter la vanité des du Barry, et d'ailleurs Louis XV n'aurait-il pas eu quelque répugnance à conserver pour maîtresse, quoique comtesse, la bâtarde d'une pauvre fille de campagne?
Il est probable que celui qui joua le rôle le plus important dans la fabrication de cet acte fut cet abbé Gomard, aumônier du roi, qu'on a vu déjà figurer à la célébration du mariage de madame du Barry, comme fondé de pouvoir de sa mère et de son beau-père. Depuis longtemps cet abbé était lié avec Rançon et sa femme, et les pamphlets du temps disent qu'il connaissait très-bien le père de madame du Barry: il était, de plus, intime avec Lebel, le valet de chambre de Louis XV, et avec le comte Jean. On peut donc supposer que ce fut lui qui fit placer dans cet acte le nom de son propre frère Jean-Jacques Gomard de Vaubernier, mort depuis longtemps, comme père de Jeanne Bécu, et en fit ainsi une fille légitime[163].
Il est curieux, au reste, d'examiner les transformations que l'on fit subir à l'acte primitif que voici:
«Extrait des registres de l'état civil de la ville de Vaucouleurs, déposés aux archives du tribunal de première instance séant à Saint-Mihiel (Meuse).
»Jeanne, fille naturelle d'Anne Béqus, dit Quantiny, est née le dix-neufième aoust de l'an mil sept cent quarante-trois, et a été baptisée le même jour. Elle a eu pour parain Joseph Demange, et pour maraine Jeanne Birabin, qui ont signé avec moy.
»Les signatures sont ainsi apposées sur l'acte:
»Janne Birabine. L. galon, vic. de Vau.
»Joseph Demange.
Pour copie collationnée sur la seconde minute déposée aux archives.
»Saint-Mihiel, le 25 septembre 1827. Le commis-greffier,
»François.[164]»
D'abord, et c'était la partie essentielle, on donne un père à la fille naturelle; et, comme le nom de Gomard tout court est encore bien bourgeois, on y ajoute celui de Vaubernier. Puis, comme le parrain et la marraine doivent être à la hauteur du père de l'enfant, on fait du simple Joseph Demange, monsieur Joseph de Mange avec une particule, et de Jeanne Birabin, qui, suivant l'usage de la campagne, est appelée la Birabine, et signe comme on est dans l'habitude de l'appeler, on fait madame de Birabin. Enfin, comme il paraîtra plus agréable au roi de lui donner pour maîtresse une demoiselle noble et mineure qu'une fille naturelle et majeure, on retranche trois ans de l'acte primitif, et on fait naître madame du Barry le 19 août 1746, au lieu du 19 août 1743.
Après l'arrêt de la cour royale de Paris, qui frappe de faux l'acte de naissance déposé à l'église de Saint-Laurent, et reconnaît les Bécu comme seuls héritiers de madame du Barry, ceux-ci continuèrent à attaquer la famille de Mortemart pour l'exécution du legs de M. de Brissac. Le procès dura jusqu'à la fin de 1833. Enfin les héritiers Bécu s'entendirent avec la famille de Mortemart sur la somme à recevoir; mais elle leur profita peu et fut presque entièrement absorbée par les créanciers de madame du Barry et par les frais du procès[165].
Outre les détails généraux qu'on a pu faire connaître grâce à L'analyse des diverses pièces indiquées dans ce récit, il en est de particuliers à la personne même de madame du Barry, qu'il est bon de rappeler en terminant:
1º Madame du Barry était fille naturelle, et son véritable nom était Jeanne Bécu.
2º A l'époque de son mariage on fit un faux acte de naissance, dans lequel on lui donna pour père légitime Jean-Jacques Gomard de Vaubernier.
3º C'est donc à tort que, dans toutes les biographies, et dans les plus récents ouvrages sur l'histoire de France, on lui conserve le nom de Jeanne Gomard de Vaubernier, et il faut lui rendre son vrai nom de Jeanne Bécu.
4º Par suite de l'examen de son véritable acte de naissance, on voit que madame du Barry avait 26 ans quand elle devint la maîtresse du roi Louis XV, et non vingt-trois ans, comme cela semblait résulter du faux acte. Elle est, par conséquent, morte sur l'échafaud à l'âge de cinquante ans.
Quant aux sommes que madame du Barry a coûté à la France pour avoir eu l'honneur d'être la maîtresse du roi, on peut, d'après l'examen de ces mêmes pièces, en faire le relevé suivant:
| 1º | Mobilier donné par le roi à madame du Barry, lors de
son mariage | 30,000 l. | » |
| 2º | Sommes payées pour madame
du Barry, par Baujon, banquier de la cour, depuis 1769, première année de sa faveur, jusqu'en 1774, année de la mort de Louis XV | 6,375,559 l. | 11 s. 11 d. |
| 3º | Pour achat de son hôtel de
Versailles, par Monsieur, frère du roi, le 24 octobre 1775 | 224,000 | » |
| 4º | Pour l'échange de 50,000 livres
de rente viagère contre 1,250,000 livres, délivrées par le trésor royal par arrêt du roi en avril 1784 | 1,250,000 | » |
| 5º | Madame du Barry jouit de
150,000 livres de rente viagère sur la ville de Paris, les États de Bourgogne et les loges de Nantes, depuis l'année 1769 jusqu'en 1784, ce qui donne un total de | 2,400,000 | » |
| 6º | Depuis l'année 1784 jusqu'en
1793, elle n'a plus que 100,000 livres de rente viagère, ce qui donne un total de | 900,000 | » |
| 7º | La jouissance du château de
Louveciennes et de ses nombreuses dépendances; les diverses dépenses faites à l'ancien château et la construction du pavillon, peuvent s'évaluer à un revenu de 50,000 livres de rente, ce qui fait, depuis 1769 jusqu'en 1793 | 1,250,000 | » |
| Le total général de toutes ces
sommes est de | 12,429,559 l. | 11 s. 11 d.!!! | |
NOTES.
Les trois lettres suivantes nous ont été communiquées par M. Vatel, avocat à Versailles. Elles nous ont paru assez intéressantes pour être publiées en notes.
Nº I.—Lettre de M. de Brissac à madame du Barry.
Brissac, ce samedi 5 septembre 1789.
Les courriers ne sont pas assez fréquents, madame la comtesse, il est bien vrai; car cette lettre qui partira demain par le Mans, arrivera aussitôt que celle d'hier par la levée; mais c'est un plaisir que de s'entretenir avec vous qu'il ne faut pas laisser échapper. Oui, l'avenir comme le présent est désolant. A moins que la raison, le plus beau de l'apanage de l'homme, ne le cède à l'esprit, l'ambition, la vanité, quel est l'homme qui ne désire pas le bonheur et la liberté pour lui et les autres, a moins qu'il ne soit un forcené? et je vois qu'il y en a trop. Mais des personnes agissantes, assez franchement loyales pour concourir à l'arrangement avantageux de tous, à ce gros de la nation, dont la philosophie parle ainsi que le philosophe, qui par malheur ne connaît ni n'a les moyens de lui faire éprouver ce charme du vrai bonheur qu'il n'est pas permis a tout le monde de connaître, où sont-ils, ces hommes? Bien loin de nous. On ne les écoute pas, ou ils ne parlent pas, ou ils n'existent pas. Que de tristesse toutes ces idées procurent! L'amour sortant, ou fuyant l'esclavage, n'est pas mon emblème, madame la comtesse, quoique ce soit celui de mon âge; il n'en est point, il est vrai, si la beauté et la bonté d'accord partagent un sentiment senti par un cœur digne de celui qu'il a pu toucher. Mais, par parenthèse, j'ai ouï dire du mal de ce tableau, que l'on trouve froid, correct, mais peu piquant. Je l'ai un peu pensé comme le critique; mais les détails et le fini, ainsi que le coloris, en sont beaux et donneront toujours du charme à ce tableau. Pas une dame ne prendra pour elle ces insultes que leur fait l'amour, ou plutôt le peintre qui peut être froid, ou son âge et ses travaux. Je pense qu'il y a eu fort peu de portraits, surtout de madame Lebrun, qui a présenté celui de madame la duchesse d'Orléans. Elle est faite pour être généralement aimée et estimée, et peut paraître en public en quel temps que ce soit. Le Salon est-il beau? Je crois que les campagnards n'auront pas été le voir. D'ailleurs il ne vaut pas la peine depuis longtemps de se déplacer.—Je ne crois pas vous avoir dit que je mangeais de mauvais pain; je le fais venir du Pont-de-Cé, et il est bon, pas très-bien fait, mais mieux qu'ici, où on devrait le manger excellent a cause de la beauté et bonté du grain. Notre froment est un des plus beaux de la France, sans vouloir néanmoins attaquer et celui de Brie, et le bienfait aimable et charmant de vos amies du Pont. Elles vous aiment pour vous-même, parce qu'elles vous connaissent bien, et qu'alors il est difficile de vous refuser le tribut qu'arrache et beauté, et bonté et douceur, et cette aimable et parfaite égalité d'humeur qui fait le charme d'une société habituelle. Aussi auraient-elles voulu vous garder, aussi vous y voudraient-elles; et moi je voudrais également y partager avec vous retraite et solitude, le tout bien tranquille. C'est ainsi que le trouble fait penser l'homme raisonnable, qui a reconnu que le plus grand bien à faire est la chose la plus difficile, et plus tumultueuse que l'orage, qui ramène si souvent et si promptement un beau jour. Je ne vois pas que nous avancions en besogne. Hélas! pourvu qu'elle soit faite, terminée, je serai content. Je le serai beaucoup aussi, madame la comtesse, quand il me sera permis de vous offrir tous mes hommages, tout mon respect et tous les sentiments que je vous ai toujours offerts avec joie et plaisir.
Vos lettres sont presque toujours sept jours à arriver. Il m'en parvient de Paris à deux jours de date; celles de Versailles éprouvent le même retard. Mille respectueux hommages a mademoiselle votre belle-sœur.
Nº 2.—Lettre de madame du Barry aux administrateurs du district de Versailles.
Citoyens administrateurs,
La citoyenne de Vaubernier du Barry est très étonnée qu'après toutes les promesses qu'elle vous a fournies des raisons qui l'ont forcée d'aller en Angleterre, vous l'ayez traitée comme émigrée.—Avant son départ elle vous a communiqué la déclaration qu'elle avait faite à sa municipalité; vous l'avez enregistrée dans vos bureaux. Vous savez que c'est le quatrième voyage qu'elle est obligée de faire, toujours pour le même motif.
Elle espère que vous voudrez bien faire lever les scellés qui ont été apposés chez elle, contre toute justice, puisque la loi n'a jamais défendu de sortir du royaume à ceux que des affaires particulières et pressantes appellent en pays étranger. Toute la France est instruite du vol qui lui a été fait la nuit du 10 au 11 janvier 1791; que ses voleurs ont été arrêtés à Londres; qu'elle y a eu une procédure suivie, dont le dernier jugement n'a été rendu que le 28 février dernier, ainsi que l'atteste le certificat ci-joint.
Louveciennes, ce 27 mars 1793.
Nº 3.—Lettre de Lavallery, membre du district de Versailles, à madame du Barry.
Citoyenne,
Je me ferai représenter le plus tôt possible votre demande, dont le succès ne me paraît pas devoir éprouver de grandes difficultés, vu la notoriété du motif de vos absences, si vous avez eu surtout le soin de joindre à votre mémoire les pièces justificatives, telles que vos passe-ports ou leurs copies certifiées, certificats de résidence, etc. Soyez convaincue que s'il est des occasions où je désire donner du prix à mon travail, vous avez droit à les faire naître. Votre sexe vous donne le droit de désirer la tranquillité, et votre amabilité.... Mille pardons, citoyenne, un républicain et un inconnu ne doit parler que la langue des affaires.
Agréez l'assurance de mon respect et de tout l'intérêt que vous avez droit d'inspirer.
Versailles, 17 mai (an II de la République).
Nº 4.—Récit de la mort de madame du Barry, extrait du journal la Nouvelle Minerve, intitulé Souvenirs de la Révolution.
... Arrivé au pont au Change, j'y trouvai une assez grande foule rassemblée. Je n'eus pas besoin de demander l'explication de ce rassemblement: elle ne se fit pas attendre. J'entendis au loin des cris déchirants, et aussitôt je vis sortir de la cour du palais de Justice cette fatale charrette que Barrère, dans un de ces accès de gaieté qui lui étaient si familiers, avait appelée la bière des vivants. Une femme était sur cette charrette, qui approcha lentement de l'endroit où je m'étais arrêté. Sa figure, son attitude, ses gestes exprimaient le désespoir arrivé au plus haut paroxysme. Alternativement d'un rouge foncé et d'une pâleur effrayante, se débattant au milieu de l'exécuteur et de ses deux aides, qui avaient peine à la maintenir sur son banc, et poussant de ces cris affreux que je disais tout à l'heure, elle invoquait tour à tour leur pitié et celle des assistants. C'était madame du Barry que l'on conduisait au supplice. Revenue de Londres cinq ou six jours auparavant pour retirer de son château de Louveciennes des bijoux de prix qu'elle y avait cachés en partant pour l'émigration, elle avait été dénoncée le soir même de son arrivée, par son nègre favori, Zamor, gardien du château en son absence, et traduite au tribunal révolutionnaire[167]. Agée alors de quarante-deux à quarante-trois ans seulement, sa figure, malgré la terreur profonde qui en altérait les traits, était encore remarquablement belle[168]. Entièrement vêtue de blanc, comme Marie-Antoinette qui l'avait quelques semaines auparavant précédée sur la même route, ses cheveux du plus beau noir formaient un contraste pareil à celui que présente le drap funéraire jeté sur un cercueil. Coupés sur la nuque, ainsi que cela se pratique en pareil cas, ceux de devant étaient ramenés à chaque instant sur le front par ses mouvements désordonnés, et lui cachaient une partie du visage. «Au nom du ciel, mes amis, s'écriait-elle au milieu des sanglots et des larmes, au nom du ciel, sauvez-moi, je n'ai jamais fait de mal à personne; sauvez-moi.»
La frayeur délirante de cette malheureuse femme produisait une telle impression parmi le peuple, qu'aucun de ceux qui étaient venus là pour insulter à ses derniers moments ne se sentit le courage de lui adresser une parole d'injure. Autour d'elle tout semblait stupéfié, et l'on n'entendait d'autres cris que les siens; mais ces cris étaient si perçants qu'ils auraient, je n'en doute pas; dominé ceux de la multitude, si elle en eût proféré. J'ai dit tout à l'heure, je crois, que personne ne s'était senti le courage de l'injurier. Si fait. Un homme, un seul, vêtu avec une certaine recherche, éleva la voix au moment où la charrette passant vis-a-vis de moi, la patiente, toujours s'adressant au peuple, s'écriait: «La vie! la vie! qu'on me laisse la vie, et je donne tous mes biens à la nation.»—«Tu ne donnes à la nation que ce qui lui appartient, dit cet homme, puisque le tribunal vient de les confisquer, tes biens.» Un charbonnier, qui était placé devant lui, se retourne et lui donne un soufflet. J'en éprouvai un sentiment de plaisir.
On sait que pendant toute la route elle continua à pousser les mêmes cris, et à s'agiter dans des convulsions frénétiques pour fuir la mort qui déjà l'avait saisie; aussi, on sait qu'arrivée à l'échafaud il fallut user de violence pour l'attacher à la fatale planche, et que ses derniers mots furent ceux-ci: «Grâce! grâce! monsieur le bourreau! Encore une minute, monsieur le bourreau! encore... et tout fut dit.»
Jamais la terreur ne fut portée à une si haute expression, et madame du Barry est la seule femme qui ait offert un spectacle aussi déchirant. Toutes les autres femmes victimes de nos discordes civiles ont montré a ce moment suprême autant de calme que de courage, et plus d'une a raffermi le courage de ses compagnons d'infortune.
Nº 5.—Bibliothèque de madame du Barry.
La bibliothèque de la ville de Versailles renferme cent quarante-deux ouvrages ayant appartenu à madame du Barry, et formant trois cent quatre-vingts volumes. Presque tous ces volumes sont reliés en maroquin rouge, dorés sur tranches et portent sur le plat des deux côtés les armes de la comtesse avec la fameuse devise Boutez en avant, qui donna lieu dans le temps à tant de commentaires ironiques. La date de leur impression ne dépasse pas l'année 1774. Plusieurs sont reliés en maroquin vert et portent les mêmes ornements que les rouges. Ils paraissent provenir de cadeaux. Il est bien probable que ces livres faisaient partie de la bibliothèque des appartements de madame du Barry au château de Versailles, où ils sont sans doute restés jusqu'à la révolution. D'autres volumes, beaucoup moins bien reliés que les précédents et portant les armes de la comtesse sur le dos, font aussi partie de cette collection; mais la date de leur impression est postérieure à l'année 1774, et ils proviennent de son habitation de Louveciennes.
Beaucoup de ces ouvrages sont des œuvres littéraires; mais en parcourant leurs titres et en y retrouvant la plupart des productions futiles et licencieuses d'une partie de la littérature du dix-huitième siècle, on pourra juger, sans en être surpris, du goût qui a présidé à la composition de cette bibliothèque.
Presque tous les exemplaires venant de la bibliothèque de madame du Barry, outre leurs jolies reliures, sont surtout remarquables par la beauté de l'exécution typographique. On peut citer sous ce rapport les Baisers, de Dorat, charmant exemplaire orné de figures exécutées par Eisen, d'un fini extrême, mais d'une très-grande indécence. Au reste, plusieurs des ouvrages de cette collection, et particulièrement les romans de Crébillon fils, sont accompagnés de gravures fort licencieuses.
Parmi les divers ouvrages dont nous donnons la liste, on en doit particulièrement signaler quatre comme se rapportant à la personne même de madame du Barry, par les dédicaces adulatrices qui lui sont adressées.
Le premier porte pour titre: le Royalisme, ou Mémoires de du Barry de Saint-Aunet et de Constance de Cézelli, sa femme. Anecdotes héroïques sous Henri IV, par M. de Limairac.—La plupart des exemplaires de cet ouvrage ne portent aucun nom d'auteur. Dans celui-ci, le nom de l'auteur se trouve non seulement à la suite du titre, mais encore au bas de l'épître dédicatoire. Cet exemplaire a certainement été offert par l'auteur à la comtesse; le choix de l'exemplaire et sa magnifique reliure en maroquin rouge, toute couverte de dorures, en sont la preuve. Au-dessus de l'épître dédicatoire sont gravées les armes de madame du Barry, et de chaque côté deux levrettes enchaînées. Voici cette épître:
A madame la comtesse du Barry.
Madame,
Daignez accueillir avec bonté un hommage public de sentiment et de reconnaissance. Le zèle seul m'a dicté ce petit ouvrage; seul il ose vous l'offrir. Je sens qu'il est capable d'égarer dans une carrière qui demande des talents, mais j'espère, madame, que vos suffrages suppléeront à la médiocrité des miens. Les traits que je développe dans cet essai le rendent digne de paraître sous vos auspices. Ils sont tous puisés dans votre maison; ils retracent la fidélité la plus héroïque de deux sujets pour le roi. Trop heureux si vous voulez bien me pardonner une entreprise au-dessus de mes forces, en faveur du motif qui me l'a inspirée.
Je suis avec un profond respect, madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
de Limairac.
Le second est un Almanach de Flore, pour 1774. C'est un recueil de quarante-huit fleurs gravées et coloriées. Au-dessous de chaque fleur se trouve une devise et derrière un horoscope. Ces devises et ces horoscopes sont divisés en séries de numéros, applicables à une demoiselle, à un garçon, à une femme mariée, à un homme marié, à une veuve et à un veuf. L'auteur était un capitaine d'infanterie nommé Douin, né à Versailles.
La beauté des dorures de ce petit volume, relié en maroquin rouge, fait présumer que c'est encore un cadeau offert à madame du Barry. Après le titre sont placées deux gravures en rouge. L'une représente un tournesol regardant le soleil avec cette devise.
| L'astre est constant, |
| La fleur fidèle; |
allégorie se rapportant aux amours du roi et de la comtesse. L'autre offre le portrait de madame du Barry. Au-dessous sont deux flèches croisées avec un cœur et les vers suivants:
| A la plus belle. |
| Je dormais; le Maître des dieux |
| Me dit: «Je sais ce que tu veux; |
| Choisis ou déesse, ou mortelle, |
| Pour lui consacrer tes couplets.» |
| Quoi, lui dis-je, une bagatelle! |
| «Ne crains rien: je te le permets.» |
| Je choisirai donc la plus belle. |
Le troisième ouvrage est intitulé Contes moraux et nouvelles idylles de D... et Salomon Gessner.—Les contes sont de Diderot, et la traduction des idylles de Gessner est de Meister, qui fut secrétaire de Grimm.
Le traducteur dont le nom ne parut pas sur cette édition ne voulut cependant pas le laisser ignorer de madame du Barry, et dans l'exemplaire qu'il lui adressa, il ajouta une épître dédicatoire signée de lui. Cette épître, écrite par un habile calligraphe, est ainsi conçue:
| De la beauté, les talents et les arts |
| Chérissent tous l'aimable empire. |
| Que l'églogue au naïf sourire |
| Arrête un instant vos regards! |
| Comme vous, belle sans parure, |
| Elle doit tout aux mains de la nature. |
| Comme vous elle a quelquefois, |
| Sous l'air d'une simple bergère, |
| Charmé les héros et les rois, |
| Même les dieux. Apollon, pour lui plaire, |
| Vint oublier l'Olympe à l'ombre de ces bois. |
| Quel dieu pour vous ne l'oublierait de même, |
| Si de l'amour la puissance suprême |
| Vous permettait encore un choix? |
Je suis avec le plus profond respect, madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
MEISTER.
Enfin le quatrième est un recueil contenant deux opéras comiques: les Étrennes de l'Amour et le Nouveau Marié, dont les paroles sont de Cailhava. En envoyant cet exemplaire à madame du Barry, l'auteur écrivit sur la première page les vers suivants:
| A madame la comtesse du Barry. |
| Transporté par un songe au haut de l'Empyrée, |
| J'ai cru voir cette nuit la belle Cythérée, |
| L'aimable Hébé, le dieu qù'invoquent les amants. |
| La tendre Volupté, les Grâces, les Talents, |
| Qui d'un air satisfait parcouraient mon ouvrage. |
| Un sourire flatteur m'annonçait leur suffrage. |
| J'ai redouté leur fuite à l'instant du réveil; |
| Mais je les vois encor, ce n'est pas un mensonge: |
| Un seul de vos regards réalise mon songe, |
| Et j'étais moins heureux dans les bras du sommeil. |
Voici maintenant la liste générale des ouvrages ayant appartenu à madame du Barry, et possédés aujourd'hui par la bibliothèque de la ville de Versailles:
Grammaire générale et raisonnée, par Cl. Lancelot et Ant. Arnaud, avec des notes par Duclos. Paris, Prault, 1754, 1 vol. in-12.
Abrégé du Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, par Berthelin. Paris, les libraires associés, 1762, 3 vol. in-4º.
Les Œuvres de Clément Marot, de Cahors, valet de chambre du roi, revues et augmentées de nouveau. La Haye, Moetgens, 1714, 2 vol. in-12.
Les Œuvres de François Villon, avec les notes de Clément Marot et les poésies de Jean Marot et de Michel Marot. Paris, Constelier, 1723, 2 vol. petit in-8º.
Les Métamorphoses d'Ovide, traduites en français, avec des remarques et des observations historiques, par l'abbé Banier, nouvelle édition, 2 tomes en 1 volume. Paris, Nyon, 1738, in-4º, avec figures, par Humblot.
Satires et autres Œuvres de Regnier, accompagnées de remarques historiques de Cl. Brossette. Nouvelle édition considérablement augmentée, par Lenglet du Fresnoy. Londres, Tonson, 1733, grand in-4º, belle édition dont les pages sont entourées de cadres rouges.
L'Arcadie de Sannazar, traduite de l'italien, par Pecquet. Paris, Nyon, 1737, 1 vol. in-12.
Recueil de traductions en vers français, contenant le poëme de Pétrone, deux épîtres d'Ovide et le Pervigilium Veneris, avec des remarques par le président Bouhier. Paris, compagnie des libraires, 1738, 1 vol. in-12.
Les Poésies du roi de Navarre, avec des notes et un glossaire français, précédées de l'histoire des révolutions de la langue française depuis Charlemagne jusqu'à saint Louis, d'un discours sur l'ancienneté des chansons françaises et de quelques autres pièces, par Levesque de la Revallière. Paris, Guérin, 1742, 2 vol. in-12.
Œuvres de madame et de mademoiselle Deshoulières, nouvelle édition. Paris, les libraires associés, 1754, 2 vol. in-12.
La Colombiade, ou la Foi portée au nouveau monde, poëme, par madame Dubocage. Paris, Desaint, 1756, 1 vol. in-8º orné de jolies vignettes.
L'Art d'aimer et le remède d'amour, traduction d'Ovide, par l'abbé de Marolles. Amsterdam, 1757, 1 vol. in-12 avec des figures, par Vanloo et Eisen.
Œuvres de l'abbé de Chaulieu, nouvelle édition, par de Saint-Marc. Paris, David, 1757, 2 vol. in-12.
Le Conte du Tonneau, par le fameux docteur Swift, traduit de l'anglais. La Haye, H. Scheurleer, 1757, suivi du Traité des dissensions entre les nobles et le peuple dans les républiques d'Athènes et de Rome, etc. L'Art de ramper en poésie et l'Art du mensonge politique, par le même, 3 vol. in-12.
Œuvres de M. le marquis de Ximenez, ancien mestre de camp de cavalerie, nouvelle édition. Paris, 1772.—Ce volume contient encore: Amalazonte, tragédie du même auteur. Paris, Jarry, 1758, 1 vol. in-8º, relié en maroquin vert avec de nombreuses dorures; c'est probablement un cadeau.
L'Univers perdu et reconquis par l'Amour, suivi d'Iphis et Amarante, ou l'Amour vengé, par de Carné. Amsterdam, 1758, 1 vol. in-8º.
Poésies de Haller, traduites de l'allemand, par Tscharner, édition retouchée et augmentée. Berne, soc. typog., 1760, 2 vol. in-12.
Poésie du philosophe de Sans-Souci, nouvelle édition. Sans-Souci, 1760, 2.vol. in-12.
Le Trésor du Parnasse, ou le plus joli des recueils, par Couret de Villeneuve et Berenger. Londres, 1762, 6 vol. in-12.
La Farce de maistre Pierre Pathelin, avec son Testament à quatre personnages. Paris, Durand, 1762, 1 vol. petit in-8º.
Œuvres diverses de Desmahis. Genève, 1763, 1 vol. in-12.
Le Hasard du coin du feu, dialogue moral par Crébillon fils. La Haye, 1763, 1 vol. in-12.
L'Iliade d'Homère, traduite en vers, avec des remarques, par de Rochefort. Paris, Saillant, 1766, 2 vol. in-8º.
La Pharsale de Lucain, traduite en français par Marmontel. Paris, Merlin, 1766, 2 vol. in-8º, avec des figures, par Gravelot.
Roman comique, par Scarron, nouvelle édition. Amsterdam, comp. des libraires, 1766, 3 vol. in-12.
Traité de la prosodie française, par l'abbé d'Olivet. Paris, Barbou, 1767.—Dans le même volume se trouve: Remarques sur Racine, par l'abbé d'Olivet. Paris, Barbou, 1766, 1 vol. in-8º.
Œuvres complètes de M. le c. de B... (le cardinal de Bernis), dernière édition. Londres, 1767, deux tomes dans 1 volume in-12.
Œuvres de S. Gessner, traduites de l'allemand, par Huber. Zurich, Orel, 1768, 2 vol. in-12.
Essais de Montaigne, avec les notes de Coste, nouvelle édition. Londres, Nourse, 1769, 10 vol. in-12.
Le Messie, poëme en dix chants, traduit de l'allemand, de Klopstock, par d'Antelmy, Junker et autres. Paris, Vincent, 1769, 2 vol. in-12.
Narcisse dans l'île de Vénus, poëme en quatre chants, par Malfilâtre. Paris, Lejay, 1769, 1 vol. in-8º orné d'un frontispice par Eisen, et de figures par Saint-Aubin.
La Peinture, poëme en trois chants, par Lemierre. Paris, Jay, 1769, 1 vol. in-4º.—Au frontispice est un portrait du grand Corneille. Les figures sont de Cochin.
Les Nuits d'Young, suivies des œuvres diverses du même auteur, traduites de l'anglais par Letourneur, deuxième édition. Paris, Lejay, 1769, 4 vol. in-8º avec figures par Eisen.
Les Grâces, précédées d'une dissertation par l'abbé Massieu, et suivies d'un discours par le P. André; recueil publié par de Querlon. Paris, Prault, 1769, 1 vol. in-8º avec figures, de Boucher et de Moreau jeune.
Les Quatre parties du jour, poëme traduit de l'allemand de Zacharie, par Millier. Paris, Musier, 1769, 1 vol. in-8º avec de charmantes figures par Eisen.
Les Éléments, poëme par Delavergue. La Haye, Gosse, 1770, 1 vol. in-8º.
La Récréation des honnêtes gens, ou Opuscules en vers, par M. de la M... Amsterdam et Paris, Fétil, 1770, 1 vol. in-8º, relié en maroquin vert.
Les Baisers, précédés du Mois de mai, poëme par Dorat. La Haye et Paris, Lambert, 1770, 1 vol. in-8º.
Jérusalem délivrée, poëme héroïque du Tasse, traduit en français par Mirabaud. Paris, Barrais, 1771, 2 vol. in-12.
Le Bonheur, poëme en six chants avec des fragments de quelques épîtres, ouvrages posthumes d'Helvétius. Londres, 1772; précédé d'une Vie d'Helvétius, par Saint-Lambert, 1 vol. in-8º, relié en maroquin vert. Les armes de la comtesse sont sur le plat avec la devise Boutez en avant au-dessus.
Contes moraux et Nouvelles idylles de D... (Diderot) et Salomon Gessner, traduites par Meister. Zurich, 1773, 1 vol. in-4º.
Almanach des trois règnes, en huit parties: première partie, Almanach de Flore, 1774, gravé et orné de plus de cinquante planches en taille-douce, dessinées et coloriées d'après nature avec le plus grand soin, contenant quarante-huit devises et autant d'horoscopes pour tous les états et tous les âges. Les paroles sont de Douin, capitaine d'infanterie; les fleurs dessinées et gravées par Chevalier, lieutenant d'infanterie, le texte gravé par Drouet, ancien soldat d'infanterie. Versailles, Blaizot, 1774, 1 vol. in-24.
Les Comédies de M. Marivaux, jouées sur le théâtre de l'hôtel de Bourgogne par les comédiens ordinaires du roi. Paris, Briasson, 1732, 2 vol. in-12.
Recherches, sur les théâtres de France depuis l'année 1161 jusqu'à présent, par de Beauchamps. Paris, Prault, 1735, 3 vol. in-8º.
Réflexions historiques et critiques sur les différents théâtres de l'Europe, avec les pensées sur la déclamation, par Louis Riccoboni. Paris, Guérin, 1738, 1 vol. in-8º.
Tragédies-opéras de l'abbé Metastasio, traduites en français par M. C.-P. Richelet. Vienne, 1751, 12 vol. in-12.
Œuvres de théâtre de MM. Brueys et Palaprat. Paris, Briasson, 1755, 5 vol. in-12.
Choix de petites pièces du théâtre anglais par Dodsley et Gay, traduites des originaux par Patu. Paris, Prault, 1756, 2 vol. in-12.
Œuvres dramatiques de Néricault-Destouches, nouvelle édition. Paris, Prault, 1758, 10 vol. in-12.
Œuvres d'Alexis Piron, avec figures en taille douce d'après les dessins de Cochin. Paris, Duchesne, 1758, 3 vol. in-12.
Le Théâtre de Baron. Paris, les libraires associés, 1759, 3 vol. in-12.
Les Œuvres de théâtre de Dancourt, nouvelle édition. Paris, les libraires associés, 1760, 12 vol. in-12.
Le Prix de la beauté, ou les Couronnes, pastorale en trois actes et un prologue, avec des divertissements sur des airs choisis et nouveaux, par Goudot. Paris, Delormel, 1760, vol. in-4º.
Œuvres de M. Nivelle de la Chaussée, nouvelle édition, publiée par Sablier. Paris, Prault, 1762, 2 vol. 12.
Recueil contenant: 1º les Étrennes de l'Amour, comédie-ballet en un acte; 2º le Nouveau Marié, opéra-comique en un acte par Cailhava. Paris, Lejay et Duchesne, 1769-1770, 1 vol. in-8º.
Fables allemandes et contes français en vers, avec un Essai sur la Fable, par du Coudray. Paris, Jarry, 1770, 1 vol. in-8º.
Les Chefs-d'œuvre de Pierre et de Thomas Corneille, nouvelle édition, avec les Commentaires de Voltaire. Paris, libraires associés, 1771, 3 vol. in-12.
Théâtre des Grecs par le P. Brumoy, nouvelle édition enrichie de très-belles gravures et augmentée de la traduction entière des pièces grecques dont il n'existe que des extraits dans toutes les éditions précédentes, et de comparaisons, d'observations et de remarques nouvelles, par MM. de Rochefort et Dutheil. Paris, Cussac, 1785, 13 vol. in-4º, reliés en maroquin rouge, avec armes sur le dos.
Les Aventures de Télémaque, fils d'Ulysse, par François de Salignac de la Motte-Fénelon, nouvelle édition. Paris, Estienne, 1730, deux tomes en 1 volume in-4º, édition médiocre, ornée de figures par Coypel, Souville, Cazes et Humblot.
Le Marquis de Chavigny, par Boursault. Paris, Nyon, 1739, 1 vol. in-12.
Le Prince de Condé, par Boursault. Paris, Nyon, 1739. Dans le même volume: Ne pas croire ce qu'on voit, histoire espagnole par Boursault. Paris, Lebreton, 1739, 1 vol. in-12.
Œuvres de Maître François Rabelais, avec des remarques historiques et critiques de le Duchat, nouvelle édition ornée de figures, par Picart. Amsterdam, J. Bernard, 1741, 3 vol. in-4º.
Tanzaï et Néadarné, histoire japonaise, par Crébillon fils, Pékin, 1743, 2 vol. in-18, avec figures licencieuses.
Amours de Théagène et de Chariclée, histoire éthiopique. Londres, 2 vol. petit in-8º, avec figures, dont quelques-unes sont assez licencieuses.
Les Malheurs de l'Amour, par la marquise de Tencin et Pont-de-Vesle. Amsterdam et Paris, Prault, 1746, deux parties en 1 vol. in-12.
Lettres de la marquise de M*** au comte de R***, par Crébillon fils. La Haye, Scheurser, 1746, 1 vol. in-12.
Histoire amoureuse des Gaules, par le comte de Bussi-Rabutin, 1754, 5 vol. in-12.
Mémoires et Œuvres de madame Staal. Londres, 1755, 4 vol. in-12.
Histoire d'Emilie Montayne, par l'auteur de Julie Mondeville (Mistriss Brooke), traduite de l'anglais, par Robinet, 4 tomes en 2 vol. in-12.
Mémoires et Aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, par l'abbé Prévost. Amsterdam, Arkstée, 1759, 3 vol. in-12.
Mémoires du comte de Grammont, par le comte A. Hamilton, 1760, 2 vol. in-12.
Les Amours d'Ismène et d'Isménius, par M. de Beauchamps. La Haye, 1743.—Dans le même volume se trouve: Acajou et Zirphile, conte, par Duclos, Minutie, 1761, 1 vol. in-12, avec figures.
Amélie, roman de Fiedling, traduit de l'anglais, par madame Riccoboni. Paris, Brocas, 1762, 3 vol. in-12.
Lettres de milady Julliette Catesby à milady Henriette Campley, son amie, par madame Riccoboni. Amsterdam, 1762, 1 vol. in-12.
Histoire de miss Jenny, écrite et envoyée par elle à milady comtesse de Roscomond, par madame Riccoboni. Paris, Brocas, 1764, 2 vol. in-12.
La Nouvelle Héloïse, ou Lettres de deux amants habitants d'une petite ville au pied des Alpes, recueillies et publiées par Jean-Jacques Rousseau, nouvelle édition. Neufchâtel et Paris, Duchesne, 1764, 4 vol. in-12 avec figures, par Gravelot.
Contes moraux, par Marmontel. Paris, Merlin, 1765, 3 vol. in-12, avec le portrait de l'auteur, par Cochin, et ornés de figures par Gravelot.
Histoire de M. le marquis de Cressy, par madame Riccoboni. Paris, Humblot, 1766, 1 vol. 12.
Contes de Guillaume Vadé, 1768, 1 vol. in-8º.
Histoire d'Hippolyte, comte de Douglas, par madame d'Aulnoy. Amsterdam, Lhonoré, 1769, deux tomes en 1 vol. in-12.
Télèphe, en douze livres. Londres et Paris, Pissot, 1784, par Pechméja, 1 vol. in-8º relié en maroquin rouge, les armes sur le dos.
Voltariana, ou Éloges amphigouriques de F.-M. Arouet, sieur de Voltaire, discutés et décidés pour sa réception à l'Académie française, par Travenol et Mannory. Paris, 1748, 1 vol. in-8º.
Lettres de Rousseau, sur différents sujets de littérature. Genève, Barillot, 1750, 5 vol. in-12.
Essai historique et philosophique sur le goût, par Cartaud de la Vilale. Londres, 1751, 1 vol. in-12.
Considérations sur les ouvrages d'esprit, par Chicaneau de Neuville. Amsterdam, 1758, 1 vol. in-12.
Le Chef-d'œuvre d'un inconnu, poëme heureusement découvert et mis au jour, avec des remarques savantes et recherchées, par le docteur Chrysostome Matanasius, par Saint-Hyacinthe, aidé de S'gravesande, Sallengre, Prosper Marchand et autres. On trouve de plus une Dissertation sur Homère et sur Chapelain, par Van Effen; deux Lettres sur des Antiques; la préface de Cervantes, sur l'histoire de don Quichotte de la Manche; la déification d'Aristarchus Masso, et plusieurs autres choses non moins agréables qu'instructives, neuvième édition. Lausanne, Bousquet, 1758, 2 vol. in-12.
Pensées de Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets. Paris, Desprez, 1761, 1 vol. in-12.
Recueil de Lettres de madame la marquise de Sévigné à madame la comtesse de Grignan, sa fille. Paris, Compagnie des libraires, 1763, 8 vol. in-12.
Lettres secrètes de M. de Voltaire, publiées par L.-B. Robinet. Genève, 1765, 1 vol. in-8º.
Pensées de milord Bolingbroke, sur différents sujets d'histoire, de philosophie, de morale, etc., recueillies par Prault. Paris, Prault, 1771, 1 vol. in-12.
Les Loisirs d'un ministre, ou Essais dans le goût de ceux de Montagne, composés en 1736, par le marquis d'Argenson. Liége, Plomteux, 1787, 2 vol. in-8º, reliés en veau vert avec armes sur le dos.
Œuvres du Philosophe de Sans-Souci, au Donjon du Château, 1750, 3 vol. in-8º.
Œuvres de Saint-Évremont, avec la vie de l'auteur, par des Maileaux, 1753, 11 vol. in-12.
Œuvres de madame la marquise de Lambert. Paris, Ganeau, 1761, 2 vol. in-12.
Œuvres diverses de J. J. Rousseau. Neufchâtel, 1764, 8 vol. in-12. Le premier volume est orné d'un frontispice par Gravelot, et d'un portrait de J. J. Rousseau par Delatour.
Plaidoyer pour et contre J. J. Rousseau et le docteur D. Hume, l'historien anglais, avec des anecdotes intéressantes relatives au sujet; ouvrage moral et critique, pour servir de suite aux œuvres de ces deux grands hommes, par Bergerat. Paris, Dufour, 1768, 1 vol. in-12.
Les Œuvres de l'abbé de Saint-Réal, nouvelle édition. Libraires associés, 8 vol. in-12.
Œuvres posthumes de Frédéric II, roi de Prusse. Berlin, Woss et Decker, 1788, 15 vol. in-8º, reliés en maroquin fauve avec armes sur le dos.
Divers Éloges, par Thomas. Paris, Regnard, 1763-1773, 1 vol. in-8º.
La Muse historique, ou Recueil de Lettres en vers, contenant les nouvelles du temps, écrites à S. A. marquise de Longueville, par le sieur Loret. Paris, Ch. Chenault, de 1650 à 1664, 5 vol. in-fol.—Les lettres du 1er janvier 1665 au 28 mars de la même année sont manuscrites, et copiées par de la Rue, en 1771.
Anecdotes ecclésiastiques, tirées de l'Histoire du royaume de Naples, de Giannone, par Jacques Vernet. Amsterdam, Catuffe, 1753, 1 vol. petit in-8º.
Abrégé chronologique de l'Histoire des Juifs, par Charbuy. Paris, Chaubert, 1 vol. in-8º.
Lettres sur l'Egypte, par Savary. Paris, Onfroy, 1785, 3 vol. in-8º, avec armes sur le dos.
Histoire ancienne des peuples de l'Europe, par le comte de Buat. Paris, Desaint, 1772, 12 vol. in-12, avec armes sur le dos.
Mémoires de la cour de France, pour les années 1688 et 1689, par madame la comtesse de la Fayette. Amsterdam, Bernard, 1731, 1 vol. in-12.
Histoire de la vie et du règne de Louis XIV, par Bruzen de la Martinière. La Haye, Venduren, 1740, 2 vol. in-4º.
Histoire de madame de Luz, anecdote du règne de Henri IV, par Duclos. La Haye, de Hondt, 1744, deux parties en 1 vol. in-12. Histoire plus que galante.
Histoire politique du siècle, par Maubert de Gouvest. Londres, 1754, 2 vol. in-12.
Histoire du règne de Louis XIII, par le P. Griffet. Paris, Libraires associés, 1758, 2 vol. in-4º.
Les Amours de Henri IV, roi de France, avec ses lettres galantes à la duchesse de Beaufort et à la marquise de Verneuil. Amsterdam, 1765, deux parties en 1 vol. in-12.
Dictionnaire géographique et portatif de la France, par le P. Dominique Magnan. Paris, Desaint, 1765, 4 vol. in-8º.
Les Soirées helvétiennes, alsaciennes et francomtoises, par le marquis de Pezay. Amsterdam, Paris, Delalain, 1771, 1 vol. in-8º.
Usages et Mœurs des Français, par Poullin de Lumina. Lyon, Berthaud, 1769, 1 vol. in-12.
Le Royalisme, ou Mémoires de du Barry de Saint-Aunez et de Constance de Cézelli, sa femme, anecdotes héroïques sous Henri IV, par de Limairac. Paris, Valade, 1770, 1 vol. in-8º.
Histoire de la vie privée des Français, depuis l'origine de la nation jusqu'à nos jours, par Legrand d'Aussy. Paris, Pierres, 1782, 3 vol. in-8º, reliés en maroquin rouge, armes sur le dos.
Lettres du baron de Busbec, ambassadeur de Ferdinand 1er, roi des Romains, auprès de Soliman II, empereur des Turcs, etc., traduites en français, avec des notes historiques et géographiques, par l'abbé Defoy. Paris, Bauche, 1748, 3 vol. in-12.
Histoire abrégée de la vie d'Éléonore-Marie, archiduchesse d'Autriche, etc., par N. Frizon. Nancy, Cusson, 1725, 1 vol. in-8º.
Les Fastes du royaume de Pologne et de l'empire de Russie, par Constant Dorville. Paris, Costard, 1769, 2 vol. in-8º.
Histoire de l'Afrique et de l'Espagne sous la domination des Arabes, par Cardonne. Paris, Saillant, 1765, 3 vol. in-12.
Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, par Guillaume-Thomas Raynal. Neufchâtel, Libraires associés, 1783, 10 vol. in-8º, reliés en maroquin vert, armes sur le dos.
Monuments de la mythologie et de la poésie des Celtes, et particulièrement des anciens Scandinaves, pour servir de supplément et de preuves à l'introduction à l'histoire du Danemark, par Mallet. Copenhague, Philibert, 1756, 1 vol. in-4º.
Histoire de l'Académie française, par Pellisson et d'Olivet, troisième édition. Paris, Coignard, 1743, 2 vol. in-12.
Tablettes dramatiques, contenant l'abrégé de l'histoire du théâtre français, l'établissement des théâtres à Paris, un dictionnaire des pièces et l'abrégé de l'histoire des auteurs et des acteurs, par le chevalier de Mouy. Paris, Jarry, 1752, 1 vol. petit in-8º.
Histoire et commerce des Antilles anglaises, par Butel-Dumont, 1 vol. in-12.
Correspondance secrète, politique et littéraire, ou Mémoires pour servir à l'Histoire des cours, des sociétés et de la littérature en France, depuis la mort de Louis XV, 1789, 1790, par Métra et autres, 14 vol. in-12, reliés en veau vert, les armes sur le dos. On est d'autant plus étonné de trouver cet ouvvage parmi les livres de madame du Barry, qu'elle y est fort maltraitée.
Dictionnaire de littérature, par l'abbé Sabatier de Castres. Paris, Vincent, 1770, 3 vol. in-8º.
Recueil d'anecdotes, par madame de Laisse. Amsterdam, 1773, 1 vol. in-12.
Principes du droit politique, par Burlamaqui. Amsterdam, Châtelain, 1751, deux tomes en 1 vol. petit in-8º.
Le Droit public de France éclairci par les monuments de l'antiquité, par Bousquet. Paris, Desaint et Saillant, 1756, 1 vol. in-4º.
De l'autorité du clergé et du pouvoir du magistrat politique sur l'exercice des fonctions du ministère ecclésiastique, par Richer. Amsterdam, Arkstée, 1767, 2 vol. in-12.
Constitution de l'Angleterre, ou État du gouvernement anglais, comparé avec la forme républicaine et avec les autres monarchies de l'Europe, par Delolme. Genève, Barde, 1787, 2 vol. in-8º, reliés en veau marbré vert, avec armes sur le dos.
L'Alcoran de Mahomet, traduit de l'arabe par André du Ryer, sieur de la Garde Malézair, nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée des observations historiques et critiques sur le mahométisme, ou traduction du discours préliminaire mis à la tête de la version anglaise de l'Alcoran, publiée par Georges Sale. Amsterdam, Arkstée, 1770, 2 vol. in-12.
Réflexions, sentences et maximes morales, mises en nouvel ordre, avec des notes pratiques et historiques, par Amelot de la Houssaye, nouvelle édition, augmentée de maximes chrétiennes. Paris, Ganeau, 1754, 1 vol. in-12.
Émile, ou de l'Éducation, par J. J. Rousseau. Amsterdam, Néaulme, 1762, 4 vol. in-12.
Réflexions politiques sur les finances et le commerce, par Dutot. La Haye, Vaillant, 1754, 2 vol. in-12.
Essai politique sur le commerce, par Melon, nouvelle édition, 1761, 1 vol. in-12.
Annales politiques de feu M. Charles-Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre, nouvelle édition. Lyon, Duplais, 1767, 2 vol. in-12.
Essai philosophique, concernant l'entendement humain, par Locke, traduit de l'anglais par Coste. Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1758, 4 vol. in-12.
De la recherche de la vérité, par Mallebranche. Paris. 1762, 4 vol. in 12.
Histoire du ciel considéré selon les idées des poëtes, des philosophes et de Moïse, par Noël Planche. Paris, Estienne, 1739, 2 vol. in-12.
Considérations sur la constitution de la marine militaire de France, par de Secondat. Londres, 1756, 1 vol. in-12.
Rouge végétal à l'usage des dames, avec une lettre à M***, sur les maladies des yeux causées par l'usage du rouge et du blanc, par le docteur Deshais-Gendron. Paris, 1760, 1 vol. in-12.
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Nº 6.—Liste des dossiers, concernant madame du Barry, déposés à la bibliothèque publique de la ville de Versailles:
1º Dossier renfermant toutes les pièces regardant particulièrement madame du Barry.
2º Procès entre les héritiers du Barry, dans lequel est établie la preuve que madame du Barry est fille naturelle d'Anne Bécu.
3º Autre dossier, dans lequel on trouve une foule de renseignements sur tout ce qui regarde madame du Barry.
4º Dossier concernant le vol des diamants de madame du Barry, et les dépôts d'argent faits par elle en Angleterre.
5º Dossier Cossé-Brissac.
6º Dossier de Rançon de Montrabe, beau-père de madame du Barry.
7º Dossier contenant les états des dettes, oppositions et significations existant au trésor public, sur la comtesse du Barry.
8º Procès des héritiers de madame du Barry.—Mémoires imprimés.
9º, 10º, 11º, 12º. Dossiers des divers procès intentés par les héritiers de madame du Barry, contre MM. Rohan-Chabot, de Chabrillan, de Mondragon.
13º Dossier concernant le comte Guillaume du Barry, mari de la comtesse.—Son second mariage avec Madeleine Lemoine.—Sa mort.
14º et 15º Papiers concernant les parents de madame du Barry.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES.
| INTRODUCTION | I | ||
| I | — | Le château de Versailles sous Louis XIII et la journée des Dupes (1627-1630) | 1 |
| II | — | La naissance du duc de Bourgogne (1682) | 30 |
| III | — | Récit de la grande opération faite au roi Louis XIV (1686) | 57 |
| IV | — | Mort de Louvois (1691) | 74 |
| V | — | L'appartement de madame de Maintenon (1686-1715) | 85 |
| VI | — | L'ancienne machine de Marly ou de Ville et Rennequin | 115 |
| Pièces justificatives | 138 | ||
| VII | — | Détails inédits sur la mort de Louis XIV (1715) | 200 |
| VIII | — | Relevé des dépenses de madame de Pompadour | 209 |
| IX | — | Le Parc aux cerfs sous Louis XV (1755-1771) | 229 |
| X | — | Madame du Barry (1768-1793) | 243 |
| Notes | 249 | ||