Curiosités Infernales
The Project Gutenberg eBook of Curiosités Infernales
Title: Curiosités Infernales
Author: P. L. Jacob
Release date: January 1, 2004 [eBook #10685]
Most recently updated: October 28, 2024
Language: French
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CURIOSITÉS
INFERNALES
PAR
P. L. JACOB
BIBLIOPHILE
DIABLES, BONS ANGES, FÉES, ELFES, FOLLETS ET LUTINS, ESPRITS FAMILIERS POSSÉDÉS ET ENSORCELÉS, REVENANTS, LAMIES, LÉMURES, LARVES, VAMPIRES PRODIGES ET SORTILÈGES, ANIMAUX PARLANTS, PRÉSAGES DE GUERRE, DE NAISSANCE, DE MORT, ETC.
1886
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PRÉFACE
Simon Goulart en envoyant à son frère Jean Goulart un volume de son Thrésor des histoires admirables et mémorables lui dit: «Ce sont pieces rapportees et enfilees grossièrement ausquelles je n'adjouste presque rien du mien, pour laisser à vous et à tout autre debonnaire lecteur la meditation libre du fruit qu'on en peut et doit tirer. Dieu y apparoit en diverses sortes près et loin, pour maintenir sa justice contre les coeurs farouches de tant de personnes qui le regardent de travers; item pour tesmoigner en diverses sortes sa grace à ceux qui le reverent de pure affection.»
Autant nous en dirons de notre ouvrage. De tout temps il y a eu des croyants et des incrédules.
«Les ignorans, dit Bodin[1], pensent que tout ce qu'ils oyent raconter des sorciers et magiciens soit impossible. Les athéistes et ceux qui contrefont les sçavans ne veulent pas confesser ce qu'ils voyent, ne sçachans dire la cause, afin de ne sembler ignorants. Les sorciers et magiciens s'en moquent pour deux raisons principalement: l'une pour oster l'opinion qu'ils soyent du nombre; l'autre pour establir par ce moyen le règne de Satan. Les fols et curieux en veulent faire l'essay.»
[Note 1: En la préface de sa Démonomanie.]
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CURIOSITÉS INFERNALES
LES DIABLES
I.—EXISTENCE DES DÉMONS
«Il y en a plusieurs, dit Loys Guyon[1], tant incrédules de nostre temps, qui ne veulent croire qu'il y ait des demons ou malins esprits qui habitent en certaines maisons (qui sont cause que personne n'y peut fréquenter) ou par les deserts qui font fourvoyer les voyageurs. Et aussi en d'autres lieux… Ce qui m'a donné occasion d'escrire de ces demons, c'est que lisant le livre du voyage de Marc Paul, Venétien, des Indes Orientales, il escrit d'un desert, qu'il appelle Lop, qui est situé dans les limites de la grande Turquie qui est entre les villes de Lop et de Sanchion, qu'on ne sçauroit passer en vingt-cinq ou trente journées, et pour ce qu'il est nécessaire à aucuns, pour la négotiation qu'ont ceux de Lop avec ceux de Sanchion ou de la province du Tanguth, de passer par ces deserts, combien qu'ils s'en passeroyent bien, s'ils pouvoyent, veu les dangers et grandes difficultez qui s'y trouvent… C'est chose admirable qu'en ce desert l'on void et oid de jour, et le plus souvent de nuict, diverses illusions et fantosmes, de malins esprits, au moyen de quoy, ja n'est besoin à ceux qui y passent de s'eslongner à la trouppe, et s'escarter de la compagnie. Autrement, à cause des montagnes et costaux, ils perdroyent incontinent la veüe de leurs compagnons. Et les appellent par leurs propres noms, feignans la voix d'aucuns de la trouppe et par ce moyen les destournent et divertissent de leur vray chemin, et les meinent à perdition tellement qu'on ne sçait qu'ils deviennent. On oid aussi quelquefois en l'air des sons et accords d'instrumens de musique, et le plus souvent des bedons et tabourins, et pour ces causes ce desert est fort dangereux et perilleux à passer.
[Note 1: Diverses leçons. Lyon, 1610, 3 vol. in-12, t. II, p. 300 et suivantes.]
«Voilà ce qu'en a laissé par escrit, Marc Paul qui y a esté, qui vivoit l'an 1250, je pensoy que ce fussent choses fabuleuses (et controuvées à plaisir ou pour quelque autre raison). Mais ayant leu les oeuvres de Teuet, cosmographe, pour la plus grand part tesmoin oculaire de beaucoup de choses que plusieurs autheurs ont laissé par escrit, et entre autres de ce desert de Lop, je n'ay plus creu que ce fussent fables.
«Que semblables choses ne se voyant ailleurs, il se void en ce qu'on a escrit de plusieurs grands et illustres personnages qui s'estoyent retirez aux deserts d'Égypte, comme sainct Machaire, sainct Anthoine, sainct Paul l'hermite, lesquels ont trouvé tous les deserts lieux pleins de grande solitude, remplis de démons. Comme fit sainct Anthoine qui estant sorti de sa cellule, ayant envie de voir jour et Paul l'hermite, qui demeuroit en un desert plus haut que luy trois journées, trouva en chemin, une forme monstrueuse d'homme, qui estoit un cheval, et tel que ceux que les poëtes anciens ont appelé Hippocentaures. Auquel il demanda le chemin du lieu où demeuroit ledict Paul Hermite, lequel parla. Mais il ne peut estre entendu et monstra de l'une de ses mains le chemin et puis après il s'osta de devant luy, s'enfuyant d'une grande vitesse. Or si c'est homme estoit point quelque illusion du Diable, faite pour espouvanter le sainct homme ou si (comme les solitudes sont coustumieres de produire diverses formes d'animaux monstrueux) le desert avoit engendré cest homme ainsi difforme, nous n'en avons rien de certain.
«Sainct Anthoine donc s'esbahissant de ceste occurrence, et resvant, sur ce que desja il avoit veu, ne discontinua son voyage, et de passer outre. Mais il ne fut gueres avant, qu'estant en un vallon pierreux et plein de rochers, il vid un autre homme d'assez basse stature, mais laid, et difforme, ayant le nez crochu et deux cornes qui lui armoyent horriblement le front, et le bas du corps, lequel alloit en finissant ainsi que les cuisses et pieds d'un bouc. Le vieillard sans s'estonner de ceste forme si hideuse, ne s'esmouvant d'un tel spectacle, si effroyable, se fortifia, comme estant bon gendarme chrestien vestu des armes de Jésus-Christ,… et, voicy ce monstre susdit qui lui présenta des dattes et fruicts de palmier comme pour gage d'amitié et asseurance. Ceci encouragea ce bon hermite qui, apprivoisé du monstre, s'arresta un peu et s'enquit de son estre et que c'est qu'il faisoit en ceste solitude, auquel cest animal inconu respondit: Je suis mortel et un des citoyens et habitans de ce desert, que les gentils et idolatres aveugles et deçeus sous l'illusion diverse d'erreur, adorent et reverent sous le nom de faunes, pans, satyres et incubes. Je suis venu de la part de ceux de ma trouppe, et compagnie vers toy pour te requerir qu'il te plaise de prier le commun Dieu et Seigneur de nous tous, pour nous misérables, lequel sçavons estre venu au monde pour le salut et rachat de tous les hommes, et que le son de sa parole a esté semé et espandu par toute la terre. Ce monstre parlant ainsi, le voyager chargé d'ans et vénérable hermite Anthoine pleuroit à chaudes larmes, lesquelles couloyent le long de sa face honnorable, non de douleur, ains de joye.
«En Hirlande, il s'y void et entend des malins esprits parmi les montagnes, et combien qu'aucuns disent que ce ne sont que des fausses visions qui proviennent de ce que les habitans usent de viandes et breuvages vaporeux, comme de pain faict de chair de poisson seché. Et leur boire sont bieres fortes. Mais i'ay sceu (asseurement) des Anglois qui y ont demeuré quelques années, qui vivoyent civilement et delicatement, qu'il y avoit des esprits malins parmy les montagnes, lesquels molestent par leurs façons de faire et font peur aux voyageurs soit de jour et de nuict.
«Plusieurs autres démons luy ont donné de grandes fascheries en son desert, lui jettans sur son chemin des vaisselles d'or et d'argent, lesquelles choses il voyoit soudain s'esvanouir.»
«Les Arabes qui, communément voyagent par les deserts de leurs pays, y voyent des visions espouvantables et quelquefois des hommes qui s'esvanouissent incontinent, entre autres Teuet atteste avoir ouy dire à un truchement arabe qui le conduisoit par l'Arabie déserte nommée Geditel, qu'un jour conduisant une caravanne par les deserts du royaume de Saphavien, le sixiesme de juillet, à cinq heures du matin, luy Arabe et plusieurs de sa suite ouyrent une voix assez esclattante, et intelligible qui disoit en la mesme langue du pays: Nous avons longuement cheminé avec vous. Il fait beau temps, suivons la droitte voye. Avint qu'un folastre nommé Berstuth, qui conduisoit quelques trouppes de chameaux, qui toutesfois n'apercevoit homme vivant, la part d'où venoit ceste voix, respond: Mon compagnon, je ne sçay qui tu es, suy ton chemin. Lors ces paroles dites, l'esprit espouvanta si bien la trouppe composée de divers peuples barbares qu'un chascun estoit presque esperdu, et n'osoyent à grand peine passer outre.
«Jésus-Christ fut tenté au desert par le malin esprit.
«Et voilà comme l'on peut recueillir que ce ne sont fables (de dire) qu'il y a des esprits malins par les deserts; et qu'il semble que Dieu permet qu'ils habitent plus tost en ces lieux escartez que là où demeurent les hommes à fin qu'ils n'en soyent si communément offensez. Comme fit l'ange Raphael duquel est parlé en la saincte Escriture, au livre de Tobie, qui confina le demon qui avoit fait mourir sept maris à la fille de Raguel aux deserts de la haute Egypte.
«D'autres démons fréquentent la mer et les eaux douces, et dans icelles, et causent des naufrages aux navigeans et plusieurs autres maux, et y apparoissent des phantosmes. Et d'iceux esprits, comme escrit Torquemada, il s'en void journellement sur la rivière Noire, en Norvege, qui sonnent des instrumens musicaux et lors cest signe qu'il mourra bien tost quelque grand du pays. J'ay veu et fréquenté avec un Espagnol qui par tourmente de mer fut jetté jusques aux mers, qui sont environ les terres du grand Khan de Tartarie, qu'il a veu souvent en ces régions-là de ces phantosmes tant sur mer que sur terre, notamment aux grandes solitudes de Mangy et deserts de Camul, et choses si estranges que je ne les auseroy mettre par escrit, de peur qu'on ne les voulust croire.
«Quelqu'un pourra objecter qu'il n'est pas vraysemblable que les demons qui sont aux deserts de Lop, et d'ailleurs appellent les voyageans par leurs noms, d'autant qu'iceux n'ont organes pour pouvoir parler suivant ce que Jésus-Christ dit que les esprits n'ont ni chair ni os. Je respon, suivant en l'opinion de S. Augustin, S. Basile, Coelius Rodigin et Appulée, que les anges se peuvent former des corps aeriens, de la nature la plus terrestre, et par le moyen d'iceux parler comme firent ces trois anges qui apparurent à Abraham. Et l'ange Gabriel, qui annonça la conception de Jésus-Christ à la Vierge Marie. Et que les demons s'en peuvent aussi forger non pas d'une matiere si pure, mais plus abjecte.
«J'ay parlé d'un monstre chevre-pied qui apparut à sainct Anthoine, que je pense avoir esté engendré par le moyen de Satan, d'autre façon que les autres demons. Neantmoins il requit ce sainct personnage de prier Dieu pour luy et pour d'autres monstres habitans ce desert. Son corps n'estoit point aérien mais charnel, comme ceux des boucs. Il fut prins et mené tout vif en Alexandrie vingt ans après, au grand estonnement de tous ceux qui le virent, et combien qu'on le voulust nourrir curieusement quelques jours après sa prise il mourut, et son corps fut salé et embaumé et puis porté à Antioche et présenté à Constantin, fils du grand Constantin.
«Lycosthène escrit estre avenu à Rotwille en Alemagne, l'an de grâce 1545, que le diable fut veu en plein midi allant et se pourmenant par la place: cest ici que les citoyens s'effroyèrent, craignans qu'ainsi qu'il avoit fait ailleurs, il ne bruslast toute la ville. Mais chascun s'estant mis en devotion de prier Dieu, et ordonner des jeunes et aumosnes, ce malin esprit lors s'en alla, et jaçoit que le diable vienne peu souvent vers nous si est ce que Dieu le souffrant, il n'y vient point sans de bien grandes occasions, et pour estre l'executeur de la vengeance divine. Et ne nous faut point tourmenter sur ce que les demons sont si corporels, ainsi que vrayement tient la doctrine des chrestiens, veu que Dieu le veut ainsi.
«Ils se rendent sensibles et visibles par les moyens des corps empruntez ou formez en l'air ou en esblouissant le sens des personnes, et leur présentant des idées en l'âme, qu'ils pensent voir par la veüe extérieure ainsi que S. Augustin dit, qu'aucuns de son temps pensoyent estre transmuez par quelques sorcières en bestes à corne, là où le bon sainct ne voyoit autre cas que la figure de l'homme, mais le sens visible de ceux-cy estant ensorcelé et perverti par la force de l'imagination causoit l'opinion de leur changement où l'effect estoit tout au contraire. Suivant ces discours, il se void que par tout les demons ou diables s'efforcent de nuire à l'homme, encor qu'il se retire au plus hideux et inhabitable desert du monde, soit qu'il habite dans les plus populeuses villes, tousiours taschera-il de le faire tresbucher.»
Lavater[1], ministre calviniste, admet avec beaucoup de méfiance les faits surnaturels; son ouvrage est précédé de plusieurs chapitres où il raconte des faits merveilleux en apparence et qui pour lui ne sont que des supercheries; ils ont pour titres:
[Note 1: Trois livres Des apparitions des esprits, fantosmes, prodiges, etc. composez par Loys Lavater, plus trois questions proposées et résolues, par M. Pierre Martyr. Geneve, Fr. Perrin, 1571, in-12.]
«CH. I. Les mélancholiques et insensez s'impriment en la fantasie beaucoup de choses dont il n'est.
«CH. II. Gens craintifs se persuadent de voir et ouïr beaucoup de choses espouvantables dont il n'est rien.
«CH. III. Ceux qui ont mauvaise vue et ouïe imaginent beaucoup de choses qui ne sont pas.
«CH. IV. Beaucoup de gens se masquent, pour faire que ceux ausquels ils s'adressent, pensent avoir veu et ouï des esprits.
«CH. V. Les prestres et moines ont contrefait les esprits et forgé des illusions comme un nommé Mundus abusa de Paulina par ce moyen, et Tyrannus de beaucoup de nobles et honnestes femmes.
«CH. VI. Timothée Aelurus ayant contrefait l'ange, usurpe une couschée: quatre jacopins de Berne ont forgé beaucoup de visions et de ce qui s'en est ensuivi.
«CH. VII. L'histoire du faux esprit d'Orléans.
«CH. VIII. D'un curé de Clavenne qui apparut à une jeune fille et luy fit croire qu'il estoit la Vierge Marie et d'un autre qui contrefit l'esprit; ensemble du cordelier escossois et du jésuite qui contrefit le le diable à Ausbourg.»
Voici cette dernière histoire:
«Pendant que j'escrivois cet oeuvre, j'ay entendu par des gens dignes de foy, qu'en l'an 1569 il y avoit à Ausbourg, ville fort renommée d'Allemagne, une servante et quelques serviteurs d'une grande famille qui ne tenoyent pas grand compte de la secte des jésuites au moyen de quoy l'un de ceste secte promit au maistre qu'il feroit aisément changer d'opinion à ses serviteurs. Pour ce faire, après s'estre déguisé en diable, il se cacha en quelque lieu de la maison où la servante allant quérir quelque chose de son gré, ou y estant envoyée par son maître, trouva ce jésuite endiablé qui luy fit fort grand peur. Elle conta incontinent le tout à un de ses serviteurs, l'exhortant de n'aller en ce lieu-là. Toutefois peu après il y vint, et comme ce diable desguisé vouloit se ruer dessus, il desgaine son poignard et perce le diable de part en part, tellement qu'il demeure mort sur la place. Cette histoire a esté écrite et imprimée en vers allemans, et est maintenant entre les mains de tout le monde.
II.—APPARITIONS DU DIABLE
Le Loyer[1] prétend que les démons paraissent plus volontiers dans les carrefours, dans les forêts, dans les temples païens et dans les lieux infestés d'idolâtrie, dans les mines d'or et dans les endroits où se trouvent des trésors.
[Note 1: Discours et histoires des spectres, visions et apparitions, par P. Le Loyer. Paris, Nic. Buon, 1605, in-4°, p. 340.]
Nous lui empruntons l'histoire suivante:
«Un gendarme nommé Hugues avait été pendant sa vie un peu libertin et mesme soupçonné d'hérésie. Comme il étoit près de la mort, une grande trouppe d'hommes se présenta à luy et le plus apparent d'entre eux luy dit: Me connois-tu bien, Hugues?—Qui es-tu, répondit Hugues?—Je suis, dit-il, le puissant des puissants, et le riche des riches. Si tu crois que je te puis préserver du péril de mort, je te sauveray et ferai que tu vivras longuement. Afin que tu sçaches que je te dis vray, sçaches que l'empereur Conrad est à ceste heure paisible possesseur de son empire et a subjugué l'Allemagne et l'Italie en bien peu de temps. Il luy dit encore plusieurs autres choses qui se passoient par le monde. Quand Hugues l'eut bien escouté, il haussa la main dextre pour faire le signe de la croix, disant: J'atteste mon Dieu et Seigneur Jésus-Christ, que tu n'es autre qu'un diable menteur. Alors le diable lui dit: Ne hausse pas ton bras contre moy et tout aussitost ceste bande de diables disparut comme fumée. Et Hugues, le même jour de la vision, trespassa le soir.»
Le Loyer raconte aussi[1] cette autre apparition du diable:
[Note 1: Discours et histoires des spectres, etc., page 317.]
«En la ville de Fribourg, du temps de Frédéric, second du nom, un jeune homme bruslé par trop ardemment de l'amour d'une fille de la mesme ville, pratiqua un magicien auquel il promit argent, s'il pouvoit par son moyen jouir de l'amour de la fille. Le magicien le mene de belle nuit en un cellier escarté où il dresse son cercle, ses figures et ses caractères magiques, entre dans le cercle et y fait pareillement entrer l'escolier. Les esprits appelez se présentent mais en diverses formes, fantosmes et illusions… Enfin le plus meschant diable de tous se montre à l'escolier en la forme de la fille qu'il aymoit et en contenance fort joyeuse s'approche du cercle. L'escolier aveuglé et transporté d'amour, estend sa main hors le cercle pour penser prendre la fille, mais tout content, le diable lui saisit la main, l'arrache du cercle et le rouant ou tournant deux ou trois tours lui casse et brise la tête contre la muraille du celier, et jeta le corps tout mort sur le magicien, et ce fait luy et les autres esprits disparurent.
«Il ne faut pas demander si le magicien fut bien effrayé à ce piteux spectacle, se voyant en outre chargé du pesant fardeau de l'escolier. Il ne bougea de la nuit de l'enclos de son cercle, et le lendemain matin il se fit si bien ouïr criant et lamentant, qu'on accourt à son cry et est trouvé à demy mort avec le corps de l'escolier et est dégagé à toute peine.»
«Au surplus, dit Le Loyer[1], quant aux hérétiques et hérésiarques de nostre temps, ils ne se trouveront pas plus exempts d'associations avec le diable et de ses visions. Car Luther a eu un démon, et a esté si impudent que de le confesser bien souvent par ses écrits. Je ne le veux faire voir que par un traicté qu'il a faict de la messe angulaire, où il se descouvre ouvertement et dit qu'entre luy et le diable y avoit familiarité bien grande, et qu'ils avoient bien mangé un muy de sel ensemble. Que le diable le visitoit souvent, parloit à luy fort privément, le resveilloit de nuict, et le provocquoit d'escrire contre la messe, luy enseignant des arguments dont il se pourroit servir pour l'impugner.
[Note 1: Même ouvrage, p. 297.]
«Mais Luther est-il seul qui à sa confusion est contraint de confesser sa conférence avec le diable? Il y a aussi Zwingle, sacramentaire qui dit que resvant profondément une nuict sur le sens des paroles de Jésus-Christ: Cecy est mon corps, se présente à luy un esprit, qu'il est en doute s'il estoit blanc ou noir, qui lui enseigna d'interpreter le passage de l'Écriture sainte d'une autre façon que l'Église des catholiques ne l'interprétoit et dire que ces mots: Cecy est mon corps, valaient tout autant comme qui diroit: Cecy signifie mon corps…
«Alors que Bucere, disciple de Luther, estoit en l'agonie de la mort, un diable s'apparut en la chambre où il estoit et s'approchant peu-à-peu auprès de son lit, non sans essayer les présens poussa rudement Bucere et le fit tomber en la place où il trespassa à l'instant.
«C'est aussy chose qu'on tient pour toute véritable et ainsi l'affirme Érasme Albert, ministre de Basle, que trois jours devant que Carolostade trespassa, le diable fut veu près de luy en forme d'homme de haute et énorme stature, comme Carolostade preschoit. Ce fut un présage de la mort future de cet hérétique.»
Dans l'affaire des possédées de Louviers, suivant le Père Bosroger[1],
[Note 1: La Piété affligée, ou Discours historique et théologique
de la possession des religieuses dictes de Saincte-Élisabeth de
Louviers, etc., par le R.P. Esprit de Bosroger. Rouen, Jean Le
Boulenger, 1652, in-4°, p. 137.]
«La soeur Marie de Saint-Nicholas apperceut deux formes effroyables, l'une représentait un vieil homme avec une grande barbe, lequel ressemblait à nostre faux spirituel; ce phantosme qu'elle apperceut à quatre heures du matin, environ le soleil levant s'assit sur les pieds de sa couche, et luy dit d'un ton d'homme désespéré: Je viens de voir Madelène Bauan, et la soeur du Saint-Sacrement; ah que Madelène est méchante! elle est entièrement à nous, mais l'autre nous ne la sçaurions gagner. Ce spectre obligea la soeur Marie de Saint-Nicholas de recourir à Dieu en faisant le signe de la croix, et aussitost elle fut délivrée de ce phantosme; l'autre estoit seulement comme une teste grosse et fort noire, que cette fille envisagea en plein jour à la fenestre d'un grenier, laquelle donnoit dans celui où elle travailloit; cette teste la regarda long-temps, et luy causa une grande frayeur, elle ne laissa pourtant de la considérer attentivement, jusqu'à ce qu'elle remarqua que cette teste commençoit à descendre de la fenestre; car pour lors elle fut saisie de peur, et se retira, puis aussitost ayant pris courage, elle alla dans le grenier où la forme avoit paru, mais elle n'y trouva plus rien, sinon quelque temps après qu'elle avisa dans le meme endroit des cordes qui se rouloient d'elles-memes et l'on voyoit tomber le linge dont elles étoient chargées; souvent on renversoit les meubles et on entendoit des bruits épouvantables.»
D'après le même auteur, dans la même affaire[1],
[Note 1: La Piété affligée, p. 421.]
«Un homme ayant apporté à Picard une lettre d'importance arriva à onze heures de nuit à son presbytère passant au travers de la cour close d'un mur, et entra dans la cuisine qui étoit ouverte, où il trouva Picard courbé sur la table, et un homme noir et inconnu vis-à-vis de luy. Picard luy feit sa réponse de bouche, passa de la cuisine dans une chambre basse, laquelle il trouva pareillement ouverte; aussitost le déposant entendit un cry effroyable dont il avoit eu grand peur: ce vilain homme noir et inconnu luy reprocha qu'il trembloit, et avoit peur.»
Crespet[1] cite d'autres apparitions du diable:
[Note 1: Deux livres de la hayne de Sathan et malins esprits contre l'homme et de l'homme contre eux, par P. P. Crespet, prieur des Célestins de Paris. 1590, in-12, p. 379.]
«Or le bon Père Cesarius dans ses exemples dit bien autrement d'une concubine de prestre, laquelle voyant que son paillard désespéré s'estoit tué soy-mesme, s'alla rendre nonnain où estant à cause qu'elle n'avoit entièrement confessé ses pechez, fut vexée d'un diable incube qui la tourmentoit toutes les nuicts, pour a quoy obvier, elle s'advisa de faire une confession générale de tous ses péchez. Ce qu'ayant faict, jamais le diable n'approcha d'elle depuis.
«Je ne puis omettre, ajoute-t-il, ce que à ce propos je trouve ès archives de ce monastère où je réside, qu'un bon religieux plein de foy (1504) voyant que le diable se meslant parmy les esclairs de tonnerre estoit entré en l'église où les religieux estoient assemblez pour prier Dieu, et qu'il vouloit tout renverser et prophaner les choses dédiées à Dieu, se vint constamment présenter armé du signe de la croix et commanda au nom de crucifix à Sathan de désister et sortir de la maison de Dieu, à la voix duquel il fut forcé d'obéir, et se retirer sans aucune offence.»
«Mais entre tous les contes, desquels j'aye jamais entendu parler, ou veu, dit Jean des Caurres[1], cestui-cy est digne de merveille, lequel est advenu depuis peu de temps à Rome. Un jeune homme, natif de Gabie, en une pauvre maison, et de parents fort pauvres, estant furieux, de mauvaise condition et de meschante conversation de vie, injuria son père, et luy fit plusieurs contumélies; puis estant agité de telle rage, il invoqua le diable, auquel il s'estoit voué: et incontinent se partit pour aller à Rome, et à celle fin entreprendre quelque plus grande meschanceté contre son père. Il rencontra le diable sur le chemin, lequel avoit la face d'un homme cruel, la barbe et les cheveux mal peignez, la robe usée et orde, lequel lui demanda en l'accompagnant la cause de sa fascherie et tristesse. Il lui respondit qu'il avoit eu quelques paroles avec son père, et qu'il avoit délibéré de luy faire un mauvais tour. Alors le diable luy fit réponse que tel inconvénient luy estoit advenu; et ainsi le pria-il de le prendre pour compagnon, et à celle fin que ensemble ils se vengeassent des torts qu'on leur avoit faicts. La nuit doncques estant venue, ils se retirèrent en une hostelerie, et se couchèrent ensemble. Mais le malheureux compagnon print à la gorge le pauvre jeune homme, qui dormoit profondément et l'eust estranglé, n'eust esté qu'en se réveillant il pria Dieu. Dont il advint que ce cruel et furieux se disparut, et en sortant estonna d'un tel brui et impétuosité toute la chambre que les solives, le toict et les thuilles en demeurèrent toutes brisées. Le jeune homme espouvanté de ce spectacle, et presque demy mort, se repentit de sa meschante vie et de ses meffaicts, et estant illuminé d'un meilleur esprit, fut ennemy des vices, passa sa vie loing des tumultes populaires et servit de bon exemple. Alexandre escrit toutes ces choses.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées en histoires, etc., par
Jean des Caurres. Paris, Guill. Choudière, 1584, in-8°, p. 390.]
«Lorsque j'étudiais en droit en l'académie de Witemberg, dit Godelman[1], cité par Goulart[2], j'ay ouy souvent reciter à mes précepteurs qu'un jour, certain vestu d'un habit estrange vint heurter rudement à la porte d'un grand théologien, qui lors lisoit en icelle académie, et mourut l'an 1516. Le valet ouvre et demande qu'il vouloit? Parler à ton maistre, fit-il. Le théologien le fait entrer: et lors cest estranger propose quelques questions sur les controverses qui durent sur le fait de la religion. A quoi le théologien ayant donné prompte solution, l'estranger en mit en avant de plus difficiles, le théologien lui dit: Tu me donnes beaucoup de peine: car j'avois le présent autre chose à faire et la dessus se levant de sa chaire montre en un livre l'exposition de certain passage dont ils débatoyent. En cest estrif il aperçoit que l'estranger avoit au lieu de doigts des pattes et des griffes comme d'oyseau de proye. Lors il commence à lui dire: Est-ce toi donc? Escoute la sentence prononcée contre toi (lui monstrant le passage du troisième chapitre de Genese): La semence de la femme brisera la teste du serpent. Il adjousta: Tu ne nous engloutiras pas tous. Le malin esprit tout confus, despité et grondant, disparut avec grand bruit, laissant si puante odeur dedans le poisle qu'il s'en sentit quelques jours après, et versa de l'encre derrière le fourneau.»
[Note 1: Jean-George Godelman, docteur en droit à Rostoch, au traité De magis, veneficis, lamis, etc., livre 1, ch. III.]
[Note 2: Thrésor d'histoires admirables et mémorables de nostre temps, recueillies de divers autheurs, mémoires et avis de divers endroits. Paris, 1600, 2 vol. in-12.]
Le même auteur fournit encore cette autre histoire à Goulart:
«En la ville de Friberg en Misne, le diable se présente en forme humaine à un certain malade, lui monstrant un livre et l'exhortant de nombrer les péchez dont il se souviendroit, pour ce qu'il vouloit les marquer en ce livre. Du commencement le malade demeura comme muet: mais recouvrant et reprenant ses esprits, il respond. C'est bien dit, je vay te deschifrer par ordre mes péchez. Mais escri au dessus en grosses lettres: La semence de la femme brisera la teste du serpent. Le diable, oyant cette condamnation sienne s'enfuit, laissant la maison remplie d'une extrême puanteur.»
Goulart emprunte celle-ci à Job Fincel[1]:
[Note 1: Job Fincel, au premier livre Des Miracles.]
«L'an mil cinq cens trente quatre, M. Laurent Touer, pasteur en certaine ville de Saxe, voyant quelques jours devant Pasques à conférer avec aucuns du lieu, selon la coustume, des cas divers et scrupules de conscience, Satan en forme d'homme lui apparut et le pria de permettre qu'il communiquast avec lui; sur ce il commence à desgorger des horribles blasphèmes contre le Sauveur du monde. Touer lui résiste et le réfute par tesmoignages formels recueillis de l'Escriture sainte, que ce malheureux esprit tout confus, laissant la place infectée de puanteur insupportable s'esvanouit.»
«Un moine nommé Thomas, dit Alexandre d'Alexandrie[1], personnage digne de foy, et la preud'hommie duquel j'ay esprouvée en plusieurs afaires m'a raconté pour chose vraye, avec serment, qu'ayant eu debat de grosses paroles avec certains autres moines, après s'estre dit force injures de part et d'autre, il sortit tout bouillant de cholere d'avec eux et se promenant seul en un grand bois rencontra un homme laid, de terrible regard, ayant la barbe noire, et robe longue. Thomas lui demande où il alloit? J'ay perdu, respondit-il, ma monture, et vai la cercher en ces prochaines campagnes. Sur ce ils marchent de compagnie pour trouver ceste monture, et se rendent pres d'un ruisseau profond. Le moine commence à se deschausser pour traverser ce ruisseau: mais l'autre le presse de monter sur ses espaules, promettant le passer à l'aise. Thomas le croid, et chargé dessus l'embrasse par le col: mais baissant les yeux pour voir le gué, il descouvre que son portefaix avoit des pieds monstrueux et du tout estranges. Dont fort estonné, il commence à invoquer Dieu à son aide. A ceste voix, l'ennemi confus jette sa charge bas, et grondant de façon horrible disparoît avec tel bruit et de si extraordinaire roideur, qu'il arrache un grand chesne prochain et en fracasse toutes les branches. Thomas demeura quelque temps comme demy-mort, par terre, puis s'estant relevé, reconnut que peu s'en estoit falu que ce cruel adversaire ne l'eust fait perir de corps et d'ame.»
[Note 1: Au IVe livre, chap. XIX de ses Jours géniaux, cité par
Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. Ier, p. 535.]
III.—ENLÈVEMENTS PAR LE DIABLE
J. Wier[1] rapporte cette histoire d'une femme emportée par le diable:
[Note 1: Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables, des magiciens, infames, sorciers et empoisonneurs, le tout compris en 5 livres, traduit du latin, de Jean Wier, sans date, vers 1577.]
«L'an 1551 il advint près Mégalopole joignant Wildstat, les festes de la Pentecoste, ainsi que le peuple se amusoit à boire et ivrongner, qu'une femme que estoit de la compagnie, nommoit ordinairement le diable parmy ses jurements, lequel en la présence d'un chacun l'enleva par la porte, et la porta en l'air. Les autres qui estoyent présens sortirent incontinent tous estonnez pour voir où ceste femme estoit ainsi portée, laquelle ils virent hors du village pendue quelque temps au haut de l'air, dont elle tomba en bas et la trouvèrent après morte au milieu d'un champ.»
D'après Textor[1]: «Il y en eut un lequel ayant trop beu, se print à dire, en follastrant, qu'il ne pouvoit avoir une ame, puisqu'il ne l'avoit point veuë. Son compagnon l'acheta pour le prix d'un pot de vin, et la revendit à un tiers là présent et inconnu lequel tout à l'heure saisit et emporta visiblement ce premier vendeur au grand estonnement de tous.»
[Note 1: En son Traicté de la nature du vin, liv I, ch. XIII, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 67.]
Crespet[1] cite d'autres exemples d'enlèvements par le diable: «Tesmoing, dit-il, ce grand usurier qui dernièrement voyant que les bleds estoient à bon prix se desespera et appellant le diable il le veit incontinent à son secours, qui l'emporta au haut d'un chesne et le jectant du haut en bas, lui rompit le col.
[Note 1: De la hayne de Sathan, p. 379.]
«Un autre qui avoit perdu son argent au jeu; apres qu'il eut blasphemé le nom de Dieu et de la Vierge Marie, fut visiblement emporté par le diable, auquel il s'estoit voué.»
Chassanion[1] rapporte que «Jean François Picus, comte de la Mirande, tesmoigne avoir parlé à plusieurs lesquels s'estant abusez après la veine espérance des choses à venir, furent par apres tellement tourmentez du diable avec lequel ils avoyent fait certain accord, qu'ils s'estimeroyent bien heureux d'avoir la vie sauve. Dit d'avantage que de son temps il y eut un certain magicien, lequel promettoit à un trop curieux et peu sage prince de lui représenter comme en un théâtre du siège de Troyes, et lui faire voir Achilles et Hector en la manière qu'ils combattoyent. Mais il ne peut l'exécuter se trouvant empesché par un autre spectacle plus hideux de sa propre personne. Car il fut emporté en corps et en âme par un diable sans que depuis il soit comparu.»
[Note 1: En son Histoire des jugemens de Dieu, liv. I, ch. II, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 718.]
Le Loyer[1] raconte encore cette histoire d'un diable noyant un anabaptiste:
[Note 1: Discours et histoires des spectres, etc., p. 332.]
«En Pologne, dit-il, un chef et prince d'anabaptistes invita aucuns de sa secte à son baptesme les assurant qu'ils y verroient merveilles et que le saint esprit descendrait visiblement sur luy. Les invitez se trouvent au baptesme, mais comme cet anabaptiste qui devait être baptisé mettait le pied dans la cuve pleine d'eau, incontinent, non le saint esprit, qui n'assiste point les hérétiques, ains l'esprit de septentrion qui est le diable, apparoist visiblement devant tous, prend l'anabaptiste par les cheveux, l'éleve en l'air et tant et tant de fois luy froisse la teste et le plonge en l'eau qu'il le laissa mort et suffoqué dans la cuve.»
«Nous lisons aussi que le baillif de Mascon, magicien, fut emporté, dit J. des Caurres[1], par les diables à l'heure du disner, il fut mené par trois tours à l'entour de la ville de Mascon, en la présence de plusieurs où il cria par trois fois: Aydez-moy, citoyens, aidez-moy. Dont toute la ville demeura estonnée, et luy perpétuel compagnon des diables, ainsi que Hugo de Cluny le monstre à plein.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées et histoires, p. 392.]
«Un homme de guerre voyageant par le marquisat de Brandebourg, à ce que rapporte Simon Goulart[1], d'après J. Wier[2], se sentant malade et arresté à une hostellerie, bailla son argent à garder à son hostesse. Quelques jours après estant guéri il le redemanda à ceste femme, laquelle avoit déjà délibéré avec son mari de le retenir, par quoy elle lui nia le dépost, et l'accusa comme s'il lui eust fait injure: le passant au contraire, se courrouçoit fort, accusant de desloyauté et larcin cette siene hostesse. Ce que l'hoste ayant entendu, maintint sa femme, et jetta l'autre hors de sa maison, lequel choléré de tel affront tire son espée et en donne de la pointe contre la porte. L'hoste commence à crier au voleur, se complaignant qu'il vouloit forcer sa maison. Ce qui fut cause que le soldat fut pris, mené en prison, et son procès fait par le magistrat, prest à le condamner à mort. Le jour venu que la sentence devoit estre prononcée et exécutée le diable entra en la prison, et annonça au prisonnier qu'il estoit condamné à mourir; toutefois que s'il vouloit se donner à lui, il lui promettoit de le garantir de tout mal. Le prisonnier fit response qu'il aimoit mieux mourir innocent que d'estre délivré par tel moyen. Derechef le diable lui ayant représenté le danger où il estoit, et se voyant rebuté, fit néantmoins promesse de l'aider pour rien et faire tant qu'il le vengeroit de ses ennemis. Il lui conseilla donc lorsqu'il seroit appelé en jugement de maintenir qu'il étoit innocent et de prier le juge de lui bailler pour advocat celui qu'il verroit là présent avec un bonnet bleu: c'est assavoir lui qui plaideroit la cause. Le prisonnier accepte l'offre et le lendemain, amené au parquet de justice, oyant l'accusation de ses parties et l'advis du juge, requiert (selon la coustume de ces lieux là), d'avoir un advocat qui remonstrast son droit: ce qui lui fut accordé. Ce fin Docteur es loix commence à plaider et à maintenir subtilement sa partie, alléguant qu'elle estoit faussement accusée, par conséquent mal jugée; que l'hoste lui détenoit son argent et l'avoit forcé; mesmes il raconta comme tout l'affaire estoit passé, et déclaira le lieu où l'argent avoit esté serré. L'hoste au contraire se défendoit, et nioit tant plus impudemment, se donnant au diable, et priant qu'il l'emportast, s'il estoit ainsi qu'il l'eust pris. Alors ce Docteur au bonnet bleu, laissant les plaids, empoigne l'hoste, l'emporte dehors du parquet, et l'esleve si haut en l'air que depuis on ne peut sçavoir qu'il estoit devenu.» Paul Eitzen[3] dit que ceci avint l'an 1541 et que ce soldat revenoit de Hongrie.
[Note 1: Thrésor d'histoires admirables, tome I, p. 285.]
[Note 2: Au IVe livre de Praestigiis Daemonum, ch. XX.]
[Note 3: Au VIe livre de ses Morales, ch. XVIII.]
Les mêmes auteurs nous font encore connaître les deux histoires suivantes:
«Un autre gentilhomme coustumier de se donner aux diables, allant de nuict par pays, accompagné d'un valet, fut assailli d'une troupe de malins esprits, qui vouloyent l'emmener à toute force. Le valet désireux de sauver son maistre, commence à l'embrasser. Les diables se prennent à crier: «Valet lasche prise»; mais le valet perséverant en sa délibération, son maistre eschappa.»
«En Saxe, une jeune fille fort riche promit mariage à un beau jeune homme mais pauvre. Lui prevoyant que les richesses et la légèreté du sexe pourroyent aisement faire changer d'avis à ceste fille, lui descouvrit franchement ce qu'il en pensoit. Elle au contraire commence à lui faire mille imprécations, entre autres celle qui s'ensuit: Si j'en épouse un autre que le diable m'emporte le jour des nopces. Qu'avient-il? Au bout de quelque temps l'inconstante est fiancée à un autre, sans plus se soucier de celui-ci, qui l'admonneste doucement plus d'une fois de sa promesse, et de son horrible imprécation. Elle hochant la teste à telles admonitions s'appreste pour les espousailles avec le second: mais le jour des nopces, les parens, alliés et amis faisans bonne chere, l'espousée esveillée par sa conscience se monstroit plus triste que de coustume. Sur ce voici arriver en la cour du logis où se faisoit le festin, deux hommes de cheval, qu'on ameine en haut, où ils se mettent à table, et après disné, comme l'on commençoit à danser, on pria l'un d'iceux (comme c'est la coustume du pays d'honorer les estrangers qui se rencontrent en tels festins) de mener danser l'espousée. Il l'empoigne par la main et la pourmeine par la salle: puis en présence des parens et amis, il la saisit criant à haute voix, sort de la porte de la salle, l'enleve en l'air, et disparoit avec son compagnon et leurs chevaux. Les pauvres parens et amis l'ayans cherchée tout ce jour, comme il continuoyent le lendemain, esperans la trouver tombée quelque part, afin d'enterrer le corps, rencontrent les deux chevaliers, qui leur rendirent les habits nuptiaux avec les bagues et joyaux de la fille, adjoutans que Dieu leur avoit donné puissance sur ceste fille et non sur les acoustremens d'icelle, puis s'esvanouirent.»
Goulard répète aussi cette attaque du diable rapportée par Alexandre d'Alexandrie[1]:
[Note 1: Au IIe livre de ses Jours géniaux.]
«Un mien ami, homme de grand esprit, et digne de foy estant un jour à Naples chez un sien parent, entendit de nuit la voix d'un homme criant a l'aide, qui fut cause qu'il aluma la chandelle, et y courut pour voir que c'estoit. Estant sur le lieu, il vid un horrible fantosme, d'un port effroyable et du tout furieux, lequel vouloit à toute force entrainer un jeune homme. Le pauvre misérable crioit et se défendoit, mais voyant aprocher celui-ci soudain il courut au devant, l'empoigne par la main et saisit sa robe le plus estroitement qu'il lui fut possible et après s'estre long temps débattu commence à invoquer le nom et l'aide de Dieu et eschappe, le fantosme disparoissant. Mon ami meine en son logis ce jeune homme, pretendant s'en desfaire doucement, et le renvoyer chez soy. Mais il ne sceut obtenir ce poinct, car le jeune homme estoit tellement estonné qu'on ne pouvoit le rassurer, tressaillant sans cesse de la peur qu'il avoit pour si hideuse rencontre. Ayant enfin reprins ses esprits, il confessa d'avoir mené jusques alors une fort méchante vie, esté contempteur de Dieu, rebelle à père et à mère, ausquels il avoit dit et fait tant d'injures et outrages insupportables qu'ils l'avoyent maudit. Sur ce il estoit sorti de la maison et avoit rencontré le bourreau susmentionné.»
Goulart[1] raconte encore d'autres histoires d'enlèvements par le diable d'après divers auteurs:
[Note 1: Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 538.]
«Un docteur de l'académie de Heidelberg ayant donné congé à certain sien serviteur de faire un voyage en son pays, au retour comme ce serviteur aprochoit de Heidelberg, il rencontre un reître monté sur un grand cheval, lequel par force l'enlève en croupe, en tel estat il essaye d'empoigner son homme pour se tenir plus ferme; mais le reître s'esvanouit. Le serviteur emporté par le cheval bien haut en l'air, fut jetté bas près d'un pont hors la ville, où il demeura quelques heures sans remuer pied ni main: enfin revenu à soi, et entendant qu'il estoit près de son lieu, reprint courage, se rendit au logis, où il fut six mois entiers attaché au lict, devant que pouvoir se remettre en pied[1].»
[Note 1: Extrait du Mirabiles Historiae de spectris, Leipzig, 1597.]
«Près de Torge en Saxe, certain gentilhomme se promenant dans la campagne, rencontre un homme lequel le salue, et lui offre son service. Il le fait son palefrenier. Le maistre ne valoit gueres. Le valet estoit la meschanceté mesme. Un jour le maistre ayant à faire quelque promenade un peu loin, il recommande ses chevaux, spécialement un de grand prix à ce valet, lequel fut si habile que d'enlever ce cheval en une fort haute tour. Comme le maistre retournoit, son cheval qui avoit la teste à la fenestre le reconnut, et commence à hennir. Le maistre estonné, demande qui avoit logé son cheval en si haute escuirie. Ce bon valet respond que c'estoit en intention de le mettre seurement afin qu'il ne se perdist pas, et qu'il avoit soigneusement executé le commandement de son maistre. On eut beaucoup de peine à garrotter la pauvre beste et la devaler avec des chables du haut de la tour en bas. Tost après quelques uns que ce gentilhomme avoit volez, deliberans de le poursuivre en justice, le palefrenier lui dit: Maistre, sauvez-vous, lui monstrant un sac, duquel il tira plusieurs fers arrachez par lui des pieds des chevaux, pour retarder leur course au voyage qu'ils entreprenoyent contre ce maistre: lequel finalement attrappé et serré prisonnier, pria son palefrenier de lui donner secours. Vous estes, respond le valet, trop estroitement enchaisné; je ne puis vous tirer de là. Mais le maistre faisant instance, enfin le valet dit: Je vous tireray de captivité moyennant que vous ne fassiez signe quelconque des mains pour penser vous garantir. Quoi accordé, il l'empoigne avec les chaines, ceps et manottes, et l'emporte par l'air. Ce misérable maistre esperdu de se voir en campagne si nouvelle pour lui conmence à s'escrier: Dieu éternel, où m'emporte-on? Tout soudain le valet (c'est-à-dire Satan) le laisse tomber en un marest. Puis se rendant au logis, fait entendre à la damoiselle l'estat et le lieu ou estoit son mari, afin qu'on l'allast desgager et delivrer.»
Des Caurres[1] raconte que «à la montagne d'Ethna, non guères loin de l'île de Luppari, montagne qu'on appelle la gueule d'enfer, Dieu monstra la peine des damnez. Il y a si long temps qu'elle brusle et tout demeure en son entier, comme fera enfer, quand elle auroit autant entier que toute l'Italie, elle devroit estre consommée. On entend là cris et complainctes, et les ennemis et mauvais esprits meinent là grand bruict, et suscitent de grandes tempestes sur la mer près de ceste montagne. De nostre temps un prélat après son trespas, fut trouvé en chemin par ses amis, lequel se disoit estre damné et qu'il s'en alloit en ceste montaigne. Il n'y a pas encor longtemps qu'une nef de Sicile aborda là, en laquelle y avoit un père gardien de ce pays-là avec son compagnon, le Diable luy dit qu'il le suivist pour faire quelque chose que Dieu avoit ordonné. Et soudain fut porté par luy en une cité assez loin de là. Et quand il fut là, le mauvais esprit le conduit au sépulchre de l'Evesque du lieu, qui estoit mort depuis trois mois: Et lui commanda de despouiller ses habillemens épiscopaux, et lui dit apres: Ces habillemens soyent à toy, et le corps à moy comme est son âme; dans une demie heure, ledit religieux fut rapporté audit navire, et racompta ce qu'il avoit veu. Pour vérifier cecy le patron du navire fit voile vers ceste cité: le sépulchre fut ouvert et trouvèrent que le corps n'y estoit point. Et ceux qui l'avoient revestu après sa mort recogneurent les dicts habillemens épiscopaux. Un homme de bien, et grand prescheur d'Italie, a mis cecy en escript, qui a cogneu ces gens-là.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 378.]
«En ce mesme temps, continue des Caurres, y avoit en Sicile un jeune homme addonné à toute volupté, à jeux, et reniemens: lequel le vice-roy de Sicile, envoya un soir, en un monastère pour quérir une salade d'herbes: en chemin soudain il fut ravy en l'air, et on ne le vit plus. Un peu de temps après un navire passoit auprès de ceste montagne, et voicy une voix qui appelle par deux fois le patron du navire, et voyant qu'il ne respondoit point pour la troisième, ouit que s'il n'arrestoit il enfondroit le navire. Le patron demande ce qu'il vouloit, qui respondit: Je suis le diable, et di au vice-roy qu'il ne cerche plus un tel jeune homme, car je l'ay emporté, et est icy avec nous: voicy la ceinture de sa femme qu'il avoit prinse pour jouer; laquelle ceinture il jette sur le navire.»
IV.—MÉTAMORPHOSES DU DIABLE
Le diable apparaît sous toutes sortes de figures.
«Que diray-je davantage? lit-on dans l'ouvrage de Le Loyer[1]. Il n'y a sorte de bestes à quatre pieds que le diable ne prenne, ce que les hermites vivans es déserts ont assez éprouvé. A sainct Anthoine qui habitoit es déserts de la Thébaïde les loups, les lions, les taureaux se présentoient à tous bouts de champ; et puis à sainct Hilarion faisant ses prières se monstroit tantost un loup qui hurloit, tantost un regnard qui glatissoit, tantost un gros dogue qui abbayoit. Et quoy? le diable n'auroit-il pas été si impudent mesmes, que ne pouvant gaigner les hermites par cette voye, il se seroit montré, comme il fit à sainct Anthoine, en la forme que Job le dépeint sous le nom de Léviathan, qui est celle qui lui est comme naturelle et qu'il a acquise par le péché, voire qui lui demeurera es enfers avec les hommes damnés. Ce n'est point des animaux à quatre pieds seulement que les diables empruntent la figure, ils prennent celles des oyseaux, comme de hiboux, chahuans, mouches, tahons… Quelquefois les diables s'affublent de choses inanimées et sans mouvement, comme feu, herbes, buissons, bois, or, argent et choses pareilles… Je ne veux laisser que quand les esprits malins se monstrent ils ne gardent aucune proportion parce qu'ils sont énormément grands et petits comme ils sont gros et grêles à l'extrémité.»
[Note 1: Discours et histoires des spectres, etc. p. 353.]
«J'ai entendu, dit Jean Wier, cité par Goulart[1], que le diable tourmenta durant quelques années les nonnains de Hessimont à Nieumeghe. Un jour il entra par un tourbillon en leur dortoir, où il commença un jeu de luth et de harpe si mélodieux, que les pieds frétilloyent aux nonnains pour danser. Puis il print la forme d'un chien se lançant au lict d'une soupçonnée coulpable du péché qu'elles nomment muet. Autres cas estranges y sont advenus, comme aussi en un autre couvent près de Cologne, le diable se pourmenoit en guises de chiens et se cachant sous les robes des nonnains y faisoit des tours honteux et sales autant en faisoit-il à Hensberg au duché de Cleves sous figures de chats.»
[Note 1: Thrésor d'histoires admirables, etc.]
«Les mauvais esprits, dit dom Calmet[1], apparoissent aussi quelquefois sous la figure d'un lion, ou d'un chien, ou d'un chat, ou de quelque autre animal, comme d'un taureau, d'un cheval ou d'un corbeau: car les prétendus sorciers et sorcières racontent qu'au sabbat on le voit de plusieurs formes différentes, d'hommes, d'animaux, d'oyseaux.»
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. Ier, p. 44.]
«Le diable n'apparoit aux sorciers dans les synagogues qu'en bouc, dit Scaliger[1]; et en l'Escriture lors qu'il est reproché aux Israëlites qu'ils sacrifioient aux demons, le mot porte aux boucs. C'est une chose merveilleuse que le diable apparoisse en cette forme.
[Note 1: Scaligerana, Groeningue, P. Smith, 1669, in-12. 2e
partie, article Azazel.]
«Les diables, dit-il plus loin[1], ne s'addressent qu'aux foibles; ils n'auroient garde de s'addresser à moy, ie les tuerois tous.»
[Note 1: Même ouvrage, article Diable.]
Quelquefois le diable apparaît sous la forme empruntée d'un corps mort.
«Je ne puis, dit Le Loyer[1], pour vérifier que les diables prennent des corps morts qu'ils font cheminer comme vifs, apporter histoire plus récente que celle-ci. Ceux qui ont recueilliz l'histoire de notre temps de la démoniaque de Laon disent qu'un des diables qui étoit au corps d'elle appelé Baltazo print le corps mort d'un pendu en la plaine d'Arlon pour tromper le mary de la démoniaque, et la fraude du diable fut descouverte en ceste façon. Le mary estoit ennuyé des frais qu'il faisoit procurant la santé de sa femme, n'y pouvant plus fournir. Il s'addresse donc à un sorcier, qui l'asseure qu'il délivrera sa femme des diables desquels elle estoit possédée. Le diable Baltazo est employé par le sorcier et mené au mary qui leur donne à tous à souper, où se remarque que Baltazo ne but point. Après le souper, le mary vint trouver le maître d'escole de Vervin en l'église du lieu, où il vaquoit aux exorcismes sur la démoniaque. Il ne luy cele point la promesse qu'il avoit du sorcier, et réitérée de Baltazo durant le souper qu'il guériroit sa femme, s'il le vouloit laisser seul avec elle: mais le maître d'escole avertit le mary de prendre bien garde de consentir cela. Quelque demie heure apres le mary qui s'étoit retiré, amène Baltazo dans l'église, que l'esprit Baalzebub qui possédoit la femme appela incontinent par son nom, et luy dit quelques paroles. Depuis Baltazo sort de l'église, disparoit et ne sçait-on ce qu'il devint. Le maistre d'escole qui voit tout cecy, conjure Baalzebub, et le contraint de confesser que Baltazo étoit diable et avoit prins le corps d'un mort, et que si la démoniaque eut esté laissée seule, il l'eust emportée en corps et en âme.»
[Note 1: Discours et histoires des spectres, visions, etc. p. 244.]
«L'exemple de Nicole Aubry, démoniaque de Laon est plus que suffisant pour montrer ce que je dis, ajoute Le Loyer[1]. Car devant que le diable entrast en son corps, il se presenta à elle en la forme de son père décédé subitement, luy enjoignit de faire dire quelques messes pour son âme, et de porter des chandelles en voyage. Il la suivoit partout où elle alloit sans l'abandonner. Cette femme simple obéit au diable en ce qu'il lui commandoit, et lors il leve le masque, se montre à elle, non plus comme son père, mais comme un phantosme hideux et laid, qui luy persuadoit tantost de se tuer, tantost de se donner à luy.—Cela se pouvoit attendre par les réponses que la démoniaque faisoit au diable, luy résistant en ce qu'elle pouvoit.—Je me veux servir de l'histoire de la démoniaque de Laon attestée par actes solennels de personnes publiques, tout autant que si elle estoit plus ancienne. Il y a des histoires plus anciennes qu'elle n'est, où à peine on pourroit remarquer ce qui s'est veu en ceste femme démoniaque. Ce fut pour nostre instruction que la femme fut ainsi tourmentée au coeur de la France, mais notre libertinisme fut cause que nous ne les peusmes apprendre.»
[Note 1: Discours et histoires des spectres, visions, etc., p. 320.]
Bodin[1] fait connaître une histoire analogue:
[Note 1: Démonomanie, livre III, ch. VI.]
«Pierre Mamor récite, dit-il, qu'à Confolant sur Vienne, apparut en la maison d'un nommé Capland un malin esprit se disant estre l'âme d'une femme trespassée, lequel gemissoit et crioit en se complaignant bien fort, admonestant qu'on fist plusieurs prières et voyages, et révéla beaucoup de choses véritables. Mais quelqu'un lui ayant dit: Si tu veux qu'on te croye dis Miserere mei Deus, secundum magnam misericordiam tuam. Sa réponse fut: Je ne puis. Alors les assisants se mocquerent de lui, qui s'enfuit en fremissant.»
Le diable prend même parfois la forme de personnes vivantes.
Voici par exemple ce que rapporte Loys Lavater[1]:
[Note 1: Trois livres des apparitions des esprits, fantasmes, prodiges, etc., composez par Loys Lavater, plus trois questions proposées et résolues par M. Pierre Martyr. Geneve, Fr. Perrin, 1571, in-12.]
«J'ai ouï dire à un homme prudent et honnorable baillif d'une seigneurie dépendante du Zurich, qui affirmoit qu'un jour d'esté allant de grand matin se promener par les prez, accompagné de son serviteur, il vid un homme qu'il cognoissoit bien, se meslant meschamment avec une jument: de quoy merveilleusement estonné retourna soudainement, et vint frapper à la porte de celuy qu'ils pensoyent avoir veu, où il trouva pour certain qu'il n'avoit bougé de son lict. Et si ce bailli, n'eust diligemment seu la vérité, un bon et honneste personnage eust esté emprisonné et gehenné. Je récite ceste histoire, afin que les juges soyent bien avisez en tels cas. Chunégonde, femme de l'empereur Henry second, fut soupeçonnée d'adultere, et le bruit courut qu'elle s'accointoit trop familierement d'un gentilhomme de la cour. Car on avoit veu souvent la forme d'iceluy (mais c'estoit le diable qui avoit pris ce masque) sortant de la chambre de l'empereur. Elle monstra peu après son innocence en marchant sur des grilles de fer toutes ardentes (comme la coutume estoit alors) et ne se fit aucun mal.»
«En l'île de Sardaigne, dit P. de Lancre[1] et en la ville de Cagliari, une fille de qualité, de fort riche et honnorable maison, ayant veu un gentilhomme d'une parfaicte beauté et bien accompli en toute sorte de perfections s'amouracha de luy, et y logea son amitié avec une extrême violence. (Elle sut dissimuler et le gentilhomme ne s'apperceut de rien). Un mauvais démon pipeur, plus instruit en l'amour et plus affronteur que luy, embrassant cette occasion, recognut aisément que cette fille esprise et combatue d'amour seroit bientôt abbatue… Et pour y parvenir plus aisément, il emprunta le masque et le visage du vray gentilhomme, prenant sa forme et figure, et se composa du tout à sa façon, si bien qu'on eut dit que c'estoit non seulement son portrait, mais un autre luy-même. Il la vit secretement et parla à elle, lui feignit des amours et des commoditez pour se voir. De manière que le mauvais esprit qui trouve les sinistres conventions les meilleures abusa non seulement de la simplicité de ceste jeune fille, ains encore du sacrement de mariage par le moyen duquel la pauvre damoyselle pensoit aucunement couvrir sa faute et son honneur. De sorte que, l'ayant espousé clandestinement, adjoustant mal sur mal, comme plusieurs s'attachent ordinairement ensemble pour mieux assortir quelque faict execrable tel que celuy-ci, ils jouyrent de leurs amours quelques mois, pendant lesquels cette fille faussement contente cachoit le plus possible ses amours… Il advint, que sa mère luy donna quelque chose sainte qu'elle portoit par dévotion, qui lui servit d'antidote contre le démon et contre son amour, brouillant ses entrées et troublant ses commoditez. Le diable lui avait recommandé de ne pas lui envoyer de messager, mais la jalousie la poussant, elle en envoya un au gentilhomme pour le prier de se rendre auprès d'elle, lui reprocha son abandon, etc. Le gentilhomme tout étonné lui déclara qu'elle a été pipée et établit qu'à l'époque du prétendu mariage il était absent. La damoyselle reconnut alors l'oeuvre du démon et se retira dans un monastère pour le reste de sa vie.»
[Note 1: Tableau de l'inconstance des mauvais anges, p. 218.]
Wier[1] raconte cette histoire d'une jeune fille servante d'une religieuse de noble maison, à qui le diable voulut jouer un mauvais tour. «Un paysan lui avoit promis mariage; mais il s'amouracha d'une autre: dont ceste-ci fut tellement contristée, qu'estant allée environ une demie lieue loin du couvent, elle rencontra le diable en forme d'un jeune homme, lequel commença à deviser familièrement avec elle, lui descouvrant tous les secrets du paysan, et les propos qu'il avoit tenus à sa nouvelle amie: et ce afin de faire tomber cette jeune fille en désespoir et en résolution de l'estrangler. Estans parvenus près d'un ruisseau, lui print l'huile qu'elle portoit, afin qu'elle passast plus aisément la planche, et l'invita d'aller en certain lieu qu'il nommoit; ce qu'elle refusa, disant: Que voulez-vous que j'aille faire parmi ces marest et étangs? Alors il disparut, dont la fille conçeut tel effroy qu'elle tomba pasmée: sa maistresse, en estant avertie la fit rapporter au couvent dedans une lictière. Là elle fut malade, et comme transportée d'entendement, estant agitée de façon estrange en son esprit, et parfois se plaignoit estre misérablement tourmentée du malin, qui vouloit l'oster de là et l'emporter par la fenestre. Depuis elle fut mariée à ce paysan et recouvra sa première santé.»
[Note 1: Histoires, disputes et discours des illusions et
impostures des diables.]
Le même auteur[1] rapporte cette histoire singulière d'une métamorphose du diable:
[Note 1: Histoires des impostures des diables, p. 196.]
«La femme d'un marchand demeurant à deux ou trois lieues de Witemberg, vers Slésic, avoit, dit-il, accoustumé pendant que son mary estoit allé en marchandise, de recevoir un amy particulier. Il advint donc pendant que le mary étoit aux champs que l'amoureux vint veoir sa dame, lequel après avoir bien beu et mangé, il faict son devoir, comme il luy sembloit, il apparut sur la fin en la forme d'une pie montée sur le buffet, laquelle prenoit congé de la femme en cette manière: Cestuy-ci a esté ton amoureux. Ce qu'ayant dit, la pie disparut, et oncques depuis ne retourna.»
Bouloese rapporte cette singulière aventure arrivée à Laon[1]:
[Note 1: Le Trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit en colère de Beelzebub, obtenue à Laon l'an 1566, par Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]
«Lors ce médecin réformé, sans en communiquer au catholique, ne perdant cette occasion de bouche ouverte, tira de sa gibessière une petite phiole de verre contenant une liqueur d'un rouge tant couvert qu'à la chandelle il apparoissoit noir, et luy jetta en la bouche. Et Despinoys esmeu par la puanteur, haulsant la main droicte au devant s'escria disant: Fy, fy, Monsieur nostre maistre que luy avez-vous donné? Et en tomba sur sa main de ce rendue pour un temps fort puante (dont par après il fut contraint de manger avec la gauche tenant cependant la droicte derrière le dos) comme aussi toute la chambre fut remplie de cette puantueur. Le corps devint roide comme une buche, sans mouvement ny sentiment quelconque. Dont ce médecin réformé fort étonné, dist que c'estoit une convulsion. Et retira une autre bouteille pleine de liqueur blanche, qu'il disoit notre eau de vie avec la quintessence de romarin pour faire revenir à soy la patiente, et faire cesser la convulsion. Et pour exciter la patiente lui feist frotter et battre les mains en criant: Nicole, Nicole, il faut boire. Cependant une beste noire (avec révérence semblable à un fouille-merde: aussi à Vrevin s'était montrée une autre sorte de grosse mouche a vers que par ses effets l'on a jugée estre ce maistre mouche Beelzebub), beste noire que peu après appela le diable escarbotte, fut veue et se pourmena sur le chevet du lict et sur la main du dict Despinoys en l'endroit de la susdite puante liqueur respandue… Toutefois ce médecin disant estre une ordure tombée du ciel du lit, secoua, mais en vain, pour en faire tomber d'autres. Et se voyant ne pouvoir exciter la patiente et avoir esté reprins d'avoir jeté en la bouche d'icelle, ceste liqueur tant puante, print une chandelle et s'en alla.»
V.—SIGNES DE LA POSSESSION DU DÉMON.
«Combien qu'il y ait parfois quelques causes naturelles de la phrénésie ou manie, dit Mélanchthon en une de ses epistres[1], c'est toutes fois chose asseurée que les diables entrent en certaines personnes et y causent des fureurs et tourmens ou avec les causes naturelles ou sans icelles; veu que l'on void parfois les malades estre gueris par remedes qui ne sont point naturels. Souvent aussi tels spectacles sont tout autant de prodiges et prédictions de choses à venir. Il y a douze ans qu'une femme du pays de Saxe, laquelle ne sçavoit ni lire ni escrire, estant agitée du diable, le tourment cessé, parloit en grec et en latin des mots dont le sens estoit qu'il y auroit grande angoisse entre le peuple.»
[Note 1: Cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t.
I, p. 142.]
Le docteur Ese[1] donne comme marques conjecturales de la possession:
[Note 1: Traicté des marques des possédés et la preuve de la véritable possession des religieuses de Louvein, par P. M. Ese, docteur en médecine. Rouen, Ch. Osmont, 1644, in-4°.]
1° Avoir opinion d'être possédé;
2° Mener une mauvaise vie;
3° Vivre hors de toute société;
4° Les maladies longues, les symptômes peu ordinaires, un grand sommeil, les vomissements de choses estranges;
5° Blasphémer le nom de Dieu et avoir souvent le diable en bouche;
6° Faire pacte avec le diable;
7° Estre travaillé de quelques esprits;
8° Avoir dans le visage quelque chose d'affreux et d'horrible;
9° S'ennuyer de vivre et se désespérer;
10° Estre furieux, faire des violences;
11° Faire des cris et hurlemens comme les bestes.
Nous trouvons dans une histoire des possédées de Loudun[1] les questions proposées à l'université de Montpellier par Santerre, prêtre et promoteur de l'évêché et diocèse de Nîmes, touchant les signes de la possession, et les réponses judicieuses de cette université.
[Note 1: Histoire des diables de Loudun, ou de la possession des religieuses ursulines et de la condamnation et du supplice d'Urbain Grandier, curé de la même ville. Amsterdam, Abraham Wolfgang, 1694, in-12, p. 314.]
Question.
Si le pli, courbement et remuement du corps, la tête touchant quelque fois la plante des piés, avec autres contorsions et postures étranges sont un bon signe de possession?
Réponce.
Les mimes et sauteurs font des mouvements si étranges, et se plient, replient en tant de façons, qu'on doit croire qu'il n'y a sorte de posture, de laquelle les hommes et femmes ne se puissent rendre capables par une sérieuse étude, ou un long exercice, pouvant même faire des extensions extraordinaires et écarquillemens de jambes, de cuisses et autres parties du corps à cause de l'extension des nerfs, muscles et tendons, par longue expérience et habitude; partant telles opérations ne se font que par la force de la nature.
Question.
Si la vélocité du mouvement de la tête par devant et par derrière, se portant contre le dos et la poitrine est une marque infaillible de possession?
Réponce.
Ce mouvement est si naturel qu'il ne faut ajouter de raison à celles qui ont été dites sur le mouvement des parties du corps.
Question.
Si l'enflure subite de la langue, de la gorge et du visage, et le subit changement de couleur, sont des marques certaines de possession?
Réponce.
L'enflement et agitation de poitrine par interruption sont des effets de l'aspiration ou inspiration, actions ordinaires de la respiration, dont on ne peut inférer aucune possession. L'enflure de la gorge peut procéder du souffle retenu et celle des autres parties des vapeurs mélancoliques qu'on voit souvent vaguer par toutes les parties du corps. D'où s'ensuit que ce signe de possession n'est pas recevable.
Question.
Si le sentiment stupide et étourdi ou la privation de sentiment, jusques à être pincé et piqué sans se plaindre, sans remuer, et même sans changer de couleur, sont des marques certaines de possession?
Réponce.
Le jeune Lacédémonien qui se laissait ronger le foye par un renard qu'il avoit dérobé, sans faire semblant de le sentir et ceux qui se faisoient fustiger devant l'autel de Diane jusques à la mort sans froncer le sourcil, montrent que la résolution peut bien faire soufrir des piqûres d'épingle sans crier, étant d'ailleurs certain que dans le corps humain il se rencontre en quelques personnes de certaines petites parties de chair, qui sont sans sentiment, quoique les autres parties qui sont alentour, soient sensibles, ce qui arrive le plus souvent par quelque maladie qui a précédé. Partant tel effet est inutile pour la possession.
Question.
Si l'immobilité de tout le corps qui arrive à de prétendus possédés par le commandement de leurs exorcistes, pendant et au milieu de leurs plus fortes agitations est un signe univoque de vraie possession diabolique?
Réponce.
Le mouvement des parties du corps étant involontaire, il est naturel aux personnes bien disposées de se mouvoir ou de ne se mouvoir pas selon leur volonté, partant un tel effet, ou suspension de mouvements n'est pas considérable pour en inférer une possession diabolique, si en cette immobilité il n'y a privation entière du sentiment.
Question.
Si le japement ou clameur semblable à celui du chien, qui se fait dans la poitrine plutôt que dans la gorge est une marque de possession?
Réponce.
L'industrie humaine est si souple à contrefaire toute sorte de raisonnements, qu'on voit tous les jours des personnes façonnées à exprimer parfaitement le raisonnement, le cri et le chant de toutes sortes d'animaux, et à les contrefaire sans remuer les lèvres qu'imperceptiblement. Il s'en trouve même plusieurs qui forment des paroles et des voix dans l'estomac, qui semblent plutôt venir d'ailleurs que de la personne qui les forme de la sorte, et l'on appelle ces gens les engastronimes, ou engastriloques. Partant un tel effet est naturel, comme le remarque Pasquier au chap. 38 de ses Recherches par l'exemple d'un certain boufon nommé Constantin.
Question.
Si le regard fixe sur quelque objet sans mouvoir l'oeil d'aucun côté est une bonne marque de possession?
Réponce.
Le mouvement de l'oeil est volontaire comme celui des autres parties du corps et il est naturel de le mouvoir, ou de le tenir fixe, partant il n'y a rien en cela de considérable.
Question.
Si les réponces que de prétendues possédées font en françois, à quelques questions qui leur sont faites en latin, sont une marque de possession?
Réponce.
Nous disons qu'il est certain que d'entendre et de parler les langues qu'on n'a pas aprises sont choses surnaturelles, et qui pourroient faire supposer qu'elles se font par le ministère du Diable, ou de quelque autre cause supérieure; mais de répondre à quelques questions seulement, cela est entièrement suspect, un long exercice ou des personnes avec lesquelles on est d'intelligence pouvant contribuer à telles réponces, paroissant être un songe de dire que les diables entendent les questions qui leur sont faites en latin et répondent toujours en françois et dans le naturel langage de celui qu'on veut faire passer pour un énergumène. D'où il s'ensuit qu'un tel effet ne peut conclure la résidence d'un démon, principalement si les questions ne contiennent pas plusieurs paroles et plusieurs discours.
Question.
Si vomir les choses telles qu'on les a avalées est un signe de possession?
Réponce.
Delrio, Bodin et autres auteurs disent que par sortilège les sorciers font quelquefois vomir des clous, des épingles et autres choses étranges par l'oeuvre du diable. Ainsi dans les vrais possédés le diable peut faire de même. Mais de vomir les choses comme on les a avalées, cela est naturel, se trouvant des personnes qui ont l'estomac faible, et qui gardent pendant plusieurs heures ce qu'elles ont avalées, puis le rendent comme elles l'ont pris et la Lientérie rendant les aliments par le fondement, comme on les a pris par la bouche.
Question.
Si des piqûres de lancette dans diverses parties du corps, sans qu'il en sorte du sang, sont une marque certaine de possession?
Réponce.
Cela doit se rapporter à la composition du tempérament mélancolique, le sang duquel est si grossier qu'il ne peut en sortir par de si petites plaies, et c'est par cette raison que plusieurs étant piqués, même en leurs veines et vaisseaux naturels, par la lancette d'un chyrurgien, n'en rendent aucune goutte comme il se voit par expérience. Partant il n'y a rien d'extraordinaire.»
J. Bouloese[1] raconte comment vingt-six diables sortirent du corps de
Nicole, la possédée de Laon:
[Note 1: Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, obtenue à Laon l'an 1566, par J. Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]
«A deux heures de l'après midy fut rapportée la dicte Nicole, estant possédée du diable, à la dicte église où furent faites par ledit de Motta les conjurations comme auparavant. Nonobstant toute conjuration le dit Beelzebub dit à haute voix qu'il n'en sortirait. Après dîner donc retournant le dit de Motta aux conjurations luy demanda combien ils en étoient sortis? Il répond 26. Il faut maintenant (ce disoit de Motta) que toy et tous tes adhérans sortiez comme les autres. Il répond: Non je ne sortiray pas icy; mais si tu me veux mener à sainte Restitute, nous sortirons là. Il te suffise s'ils sont sortis 26. Et puis le dit de Motta demande signe suffisant comment ils estoient sortis. Il dist pour tesmoignage que l'on regarde au petit jardin du trésorier qui est sur le portail; car ils ont prins et emporté trois houppes (c'est-à-dire branches) d'un verd may (d'un petit sapin) et trois escailles de dessus l'église de Liesse faicte en croix, comme les autres de France communément. Ce qui a été trouvé vray, comme a veu monsieur l'abbé de Saint-Vincent, monsieur de Velles, maistre Robert de May, chanoine de l'église Nostre-Dame de Laon, et autres.»
Le même auteur[1] rapporte les contorsions de la démoniaque de Laon:
[Note 1: Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, etc., p. 187.]
«Et autant, dit-il, que le révérend père évêque lui mettoit la saincte hostie devant les yeux, luy disant: Sors ennemy de Dieu: d'autant plus se jectoit-elle à revers de coté et d'autre, en se tordant la face devers les pieds et en muglant horriblement et les pieds à revers les orteils estant mis au talon, contre la force de huict ou dix hommes elle se roidissoit et eslançoit en l'air plus de six pieds, ou la hauteur d'un homme. De sorte que les gardes, voire mesme en l'air avec elle parfois élevés en suoient de travail. Et encore qu'ils s'appesantissent le plus qu'ils pouvoient, pour la retenir en bas: si ne la pouvoient-ils toutes fois maistriser que quasi elle ne leur eschapast, et fust arrachée des mains sans qu'elle se monstrast aucunement eschauffée.
«Le peuple voyant et oyant chose si horrible, monstrueuse, hydeuse et espouvantable crioient: Jésus, miséricorde! Les uns se cachoient ne l'osant regarder. Les autres cognoissant l'enragée cruauté de cet excessif indicible et incredible tourment pleuroient à grosses larmes piteusement redoublans: Jésus, miséricorde!»
«Après la patiente ainsi pis que morte dure, roide, contrefaite, courbée et diforme, estoit par la permission du révérend père évêque laissée à toucher et à manier à ceux qui vouloient. Mais principalement le fut-elle par les prétendus réformez, hommes très forts. Et nommeement Françoys Santerre, Christofle Pasquot, Gratian de la Roche, Marquette, Jean du Glas et autres très forts hommes assez remarqués entre eux de leur prétendue religion réformée, s'efforcèrent mais en vain de luy redresser les membres, de les poser en leur ordre, luy ouvrir les yeux et la bouche. Mais ils ne peurent en sorte que ce feust. Aussy eussiez vous plustost rompu que ployé quelque membre d'icelle, ou faict mouvoir ou le bout du nez ou des aureilles, ou autre membre d'icelle, tant elle estoit roide et dure. Et lors elle estoit tenue, comme elle parloit par après, déclarant qu'elle enduroit un mal incrédible. C'est à sçavoir le diable par le tourment de l'âme, faisant le corps devenir pierre ou marbre.»
Jean Le Breton rapporte les faits suivants sur les possédées de
Louviers[1]:
[Note 1: De la défense de la vérité touchant la possession des
religieuses de Louviers, par M. Jean Le Breton, théologien.
Evreux, Nic. Hamillon, 1643, in-4°, p. 8.]
«Le quatrième fait est que plusieurs fois le jour, elles témoignent de grands transports de fureur et de rage, durant lesquels elles se disent démons, sans offenser néantmoins personne, et sans blesser mesmes les doigts de la main des prestres, lorsqu'au plus fort de leurs rages, ils les mettent en leur bouche.»
«La cinquiesme est que durant ces fureurs et ces rages, elles font d'estranges convulsions et contorsions de leurs corps, et entr'autre se courbent en arrière, en forme d'arc, sans y employer leurs mains, et ce en sorte que tout leur corps est appuyé sur leur front autant et plus que sur leurs pieds, et tout le reste est en l'air et demeurent longtemps en cette posture et la réitèrent jusqu'à sept ou huict fois: et après tous ces efforts et mille autres, continuez quelquefois quatre heures durant, principalement, dans les exorcismes, et durant les plus chaudes après disnées des jours caniculaires, se sont au sortir de là trouvées aussi saines, aussi fraisches, aussi tempérées, et le poulx aussi haut et aussi esgal, que si rien ne leur fut arrivé.»
«Le sixième est qu'il y en a parmy elles qui se pasment et s'esvanouissent durant les exorcismes, comme à leur gré, et en telle sorte que leur pasmoison commence lorsqu'elles ont le visage le plus enflammé et le poulx le plus fort… Elles reviennent de cette pasmoison sans que l'on y emploie aucun remède et d'une manière plus merveilleuse que n'en a esté l'entrée; car c'est en remuant premièrement l'orteil, et puis le pied, et puis la jambe, et puis la cuisse, et puis le ventre, et puis la poitrine, et puis la gorge, mais ces trois derniers par un grand mouvement de dilatation… le visage demeurant cependant tousjours apparemment interdit de tous ses sens, les quels enfin il reprend tout à coup en grimaçant et hurlant et la religieuse retournant en même temps en ses agitations et contorsions précédentes.»
Le docteur Ese[1] raconte comme suit ce qu'éprouvait la soeur Marie du couvent des religieuses de Louviers:
[Note 1: Traicté des marques des possédés, p. 51.]
«La dernière qui étoit soeur Marie du Sainct-Esprit, prétendue possédée par Dagon, grande fille et de belle taille un peu plus maigre, mais sans mauvais teint ny aucune sorte de maladie entra dans le réfectoire… le visage droict sans arrester ses yeux, et les tournant d'un costé et d'autre, chantant, sautant, dansant, et frappant doucement, qui l'un, qui l'autre, et en suite en se pourmenant tousjours, parla en termes très élégants et significatifs du contentement qu'il avoit (parlant de la personne du diable) de sa condition et de l'excellence de sa nature… et disoit tout cela en marchant avec une contenance arrogante, et le geste semblable, ensuite il commença à entrer en furie et prononcer quantité de blasphèmes, puis se prit à parler de sa petite Magdelaine, sa bonne amie, sa mignonne, et sa première maistresse, et de là se lança dans un panneau de vitre la teste la première sans sauter et sans faire aucun effort, et y passa tout le corps se tenant à une barre de fer qui faisoit le milieu, et comme elle voulut repasser de l'autre costé de la vitre, on lui fit commandement en langage latin est in nomine Jesu rediret non per aliam sed per eadem viam, ce qu'après avoir longuement contesté et dit qu'il n'y rentreroit pas, elle le fit pourtant et rentra par le même passage, et aussitost qu'elle fut revenue, les médecins l'ayant considérée, touché le poulx et fait tirer la langue, ce qu'elle permit en raillant et parlant d'autre chose, ils ne luy trouvèrent ny esmotion telle qu'ils avoient cru devoir estre, ny autre disposition conforme à la violence de tout ce qu'elle avoit fait et dit; et sortir de cette sorte contant tousjours quelque bagatelle et la compagnie se retira.»
Un autre historien des possédées de Louviers[1] rapporte ce fait surprenant:
[Note 1: Histoire de madame Bavent, religieuse du monastère de
Sainct-Louis de Louviers. Paris, 1652, in-4°.]
«Au milieu de la nef de cette chappelle estoit exposé un vase d'une espèce de marbre qui peut avoir près de deux pieds de diamètre et un peu moins d'un pied de profondeur, les bords sont espais de trois doigts ou environ, et si pesant que trois personnes des plus robustes auront peine de le souslever estant par terre, ceste fille qui paroist d'une constitution fort débile entrant dans la chapelle ne fit que prendre ce vase de l'extrémité de ses doigts et l'ayant arraché du pied d'estal sur lequel il estoit posé, le renversa sans dessus dessoubs et le jetta par terre avec autant de facilité qu'elle auroit fait un morceau de carte ou de papier. Ceste force prodigieuse en un sujet si foible surprit tous les assistans; cependant la fille paraissant furieuse et transportée couroit de part et d'autre avec des mouvements si brusques et si impétueux qu'il estoit malaisé de l'arrester. Un des ecclésiastiques présents l'ayant saisy par le bras fut estonné de voir que ce bras, comme s'il n'eust esté attaché à l'espaule que par un ressort, n'empeschoit pas le reste du corps de tourner par dessus et par dessoubs par un certain mouvement que la nature ne souffre pas, ce qu'elle fit sept ou huit fois avec une promptitude et une agilité si extraordinaire qu'il est difficile de se l'imaginer.»
La Relation des Ursulines possédées d'Auxonne[1] contient les faits suivants:
[Note 1: Manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 90, in-4°.]
«Mons de Chalons ne fut pas plutost à l'autel (à minuit) que dans le jardin du monastère et tout à l'entour de la maison fut ouy dans l'air un bruit confus, accompagné de voix incognues et de certains sifflemens, quelquefois de grands crix, de sons estranges et non articulés comme de plusieurs personnes ensemble, tout cela avoit quelque chose d'affreux parmy les tenebres et dans la nuit. En même temps des pierres furent jettées de divers endroits contre les fenestres du choeur où l'on célébroit la sainte messe, quoique ces fenestres soient fort esloignées des murailles que font la closture du monastere, ce qui fait croire que ne pouvoient pas venir du dehors. La vitre en fut cassée en un endroit mais les pierres ne tomberent point dans le choeur. Ce bruit fut entendu de plusieurs personnes dedans et dehors, celuy qui estoit en sentinelle en la citadelle de la ville de ce costé là, comme il déclara le jour suivant, en prit l'alarme et mons l'evesque de Chalons à l'autel ne peut s'empescher d'en concevoir du soupçon de quelque chose de si extraordinaire qui se passoit en la maison, que les demons ou les sorciers faisoient quelques efforts dans ce moment qu'il repoussoit du lieu où il estoit par de secrettes imprécations et des exorcismes intérieurs.»
«Les religieuses cordelieres en la mesme ville entendirent ce bruit et en demeurèrent effrayées. Elles creurent que leur monastere trembloit soubs leurs pieds et dans ceste consternation et ce bruit confus qu'elles entendirent furent obligées d'avoir recours aux prières.»
«Dans ce mesme temps furent entendues dans le jardin quelques voix faibles comme de personnes qui se plaignoient et sembloient demander du secours. Il estoit près d'une heure après minuit et faisoit fort mauvais temps et fort obscur. Deux ecclésiastiques furent envoyés pour voir que c'estoit et trouvèrent dans le jardin du monastere Marguerite Constance et Denise Lamy, celle-là montée sur un arbre et l'autre couchée au pied du degré pour entrer dans le choeur; elles estoient libres et dans l'usage de leur raison, mais néantmoins comme esperdues, particulièrement la dernière, fort faible et sans couleur et le visage ensanglanté comme une personne effrayée et qui avoit peine à se rassurer; l'autre avoit aussy du sang sur le visage mais elle n'estoit point blessée, les portes de la maison estoient bien fermées et les murailles du jardin élevées de dix ou douze pieds.»
«Le mesme jour après midy mons l'esveque de Chalons ayant dessein d'exorciser Denise Lamy après l'avoir envoyée quérir et n'ayant pas esté rencontrée, il lui commanda intérieurement de le venir trouver en la chappelle de Saincte-Anne où il estoit. Ce fut une chose assez surprenante de voir la prompte obéissance du demon à ce commandement qui n'avoit esté conceu que dans le fonds de la pensée, car environ l'espace d'un quart d'heure après, on entendit frapper impétueusement à la porte de la chappelle, comme une personne extremement pressée, et la porte estant ouverte on vit entrer cette fille brusquement sautant et bondissant dans la chappelle, le visage tout changé et fort différent de son naturel, la couleur haute, les yeux estincelans, un visage effronté et dans une agitation si violente qu'on eut de la peine à l'arrester, ne voulant pas souffrir qu'on mist l'estole à l'entour du corps qu'elle arrachoit et jettait en l'air avec une extrême violence, malgré les efforts de quatre ou cinq ecclésiastiques qui employoient tout ce qu'ils avoient de force et d'industrie pour l'arrester, de sorte qu'il fut proposé de la lier: mais on le jugeoit difficile dans les transports où elle estoit.»
«Une autre fois estant dans le fort de ses agitations… on commanda au démon de faire cesser le poulx en l'un de ses bras, ce qu'il fit incontinent avec moins de résistance et de peine que l'autre fois. On lui commanda ensuite de le faire retourner, et cela fut exécuté à l'instant… Le commandement lui ayant esté fait de rendre la fille absolument insensible à la douleur, elle protesta qu'elle estoit en cet estat, présentant son bras hardiment pour estre percé et brulé comme on voudroit: en effet, l'exorciste rendu plus hardi par les expériences précédentes ayant pris une aiguille assez longue, la lui enfonça tout entière entre l'ongle et la chair dont elle se moquoit tout haut, déclarant qu'elle n'en sentoit rien du tout. Tantost elle faisoit couler le sang et tantost le faisoit cesser selon qu'il lui estoit ordonné, elle-mesme prenoit l'aiguille et le perçoit en divers endroits du bras et de la main. On fit encor davantage: l'un des assistans ayant pris une espingle et lui ayant tiré la peau du bras un peu au-dessus du poignet la lui perça de part en part, de sorte que l'on voyoit l'espingle toute cachée dans le bras en sortir seulement par les deux extrémités, et tout cela sans qu'il en sortist une goutte de sang, sinon après lui avoir commandé d'en donner, et sans monstrer la moindre apparence de sentiment ou de douleur.»
La même relation donne comme preuves de la possession des religieuses d'Auxonne:
«Les grandes agitations du corps qui ne se peuvent concevoir que par ceux qui en sont tesmoins. Ces grands coups de teste qu'elles se donnent de toute leur force tantost contre le pavé, tantost contre les murs, et cela si souvent et si durement qu'il n'est aucun des assistans qui ne frémisse en le voyant sans qu'elles tesmoignent de sentir aucune douleur ny qu'il paroisse ny sang, ny blessure, ny contusion.»
«L'estat du corps dans une posture extremement violente, se tenant droictes sur les genoux, pendant que la teste renversée en arrière penche à un pied près ou environ vers la terre, en sorte qu'il paroist comme tout rompu. Leur facilité de porter la teste estant plus basse par derrière que la ceinture du corps sans bransler des heures entières, leur facilité de respirer en cet estat, l'égalité du visage qui ne change presque point dans ces agitations, l'égalité du poulx, la froideur dans laquelle elles sont pendant ces mouvements, la tranquillité dans laquelle elles demeurent au mesme instant qu'elles en sont revenues subitement sans que la respiration soit plus forte que l'ordinaire, les renversements de la teste en arrière jusque contre terre avec une promptitude merveilleuse. Quelquefois les trente et quarante fois de suite devant et arrière, la fille demeurant à genoux et les bras croisés sur l'estomach quelquefois et dans le mesme estat, la teste renversée tournant à l'entour du corps et faisant comme un demy cercle avec des effets apparemment insupportables à la nature.»
«Les convulsions horribles et universelles par tous les membres accompagnées de hurlemens et de cris. Quelquefois la frayeur sur le visage à la veue de certains fantosmes ou spectres dont elles se disoient estre menacées dans un changement si extraordinaire et des traits si différents de leur naturel qu'elles imprimoient la crainte dans l'âme des assistans, quelquefois avec une abondance de larmes que l'on ne pouvoit arrester, accompagnées de plaintes et de cris aigus. D'autrefois la bouche extraordinairement ouverte, les yeux égarés et la prunelle renversée au point qu'il n'y paroissoit plus que le blanc, tout le reste demeurant caché soubz les paupières mais retournants à leur naturel au simple commandement de l'exorciste assisté du signe de la croix.»
«Souvent on les a veu ramper et se traîner par terre sans aucun secours ou des pieds ou des mains, quelquefois le derrière de la teste ou le devant du front a esté veu se joindre à la plante des pieds, quelques unes couchées par terre qu'elles ne touchent que de l'extrémité de l'estomach, tout le reste du corps, la teste, les pieds et les bras portés en l'air en assez long espace de temps, quelquefois renversées en arrière en sorte que touchans le pavé du haut de la teste ou de la plante des pieds, tout le reste demeuroit en l'air estendu comme une table, elles marchoient en cet estat sans le secours des mains. Il leur est ordinaire de baiser la terre demeurans à genoux, le visage renversé par derrière, en sorte que le sommet de la teste va joindre la plante des pieds, les bras croisés sur la poitrine et dans cette posture faire un signe de la croix avec la langue sur le pavé.»
«On remarque une estrange différence entre l'estat dans lequel elles sont estans libres et dans leur naturel et dans celuy qu'elles font paroistre quand elles sont agitées dans la chaleur du transport et de la fureur: telle qui est infirme tant par la délicatesse de sa complexion et de son sexe que par maladie quand le démon l'a saisie et que l'autorité de l'église l'a forcée de paroistre devient si furieuse dans de certains momens que quatre ou cinq hommes avec toute leur force, sont empeschés à l'arrester; leurs visages mesmes se monstrent si diformes et si différents de leur naturel qu'on ne les reconoist plus et ce qui est de plus estonnant est qu'après des transports et des violences de ceste nature quelquefois pendant trois ou quatre heures après des efforts dont les corps les plus robustes seroient lassés à demeurer au lit plusieurs jours, après des hurlements continuels et des cris capables de rompre un estomach, estans retournés en leur naturel, ce qui se fait en un instant, on les void sans lassitude et sans émotion, l'esprit aussy tranquille, le visage aussy composé, l'haleine aussy lente, le poulx aussy peu altéré que si elles n'avoient pas bougé d'un siege.»
«Mais on peut dire que parmy toutes les marques de possession qui ont paru dans ces filles, une des plus surprenantes et des plus communes aussy parmy elles, est l'intelligence de la pensée et des commandemens intérieurs qui leur sont faits tous les jours par les exorcistes et les prestres, sans que ceste pensée soit manifestée au dehors ou par le discours ou par aucun signe extérieur. Il suffit qu'elle leur soit adressée intérieurement ou mentalement pour leur estre congneue et cela s'est vérifié par tant d'expériences pendant le séjour de mons l'evesque de Chalons, par tous les ecclésiastiques qui ont voulu l'esprouver que l'on ne peut douter raisonnablement de toutes ces particularités et de plusieurs autres, qu'il est impossible de spécifier icy par le détail.»
Plusieurs archevêques ou évêques et docteurs en Sorbonne émirent, à propos de l'affaire d'Auxonne, l'avis suivant:
«Que de toutes ces filles qui sont de différentes conditions il y en a de séculieres, de novices, de postulantes, de professes; il y en a de jeunes; il y en a qui sont âgées; quelques unes sont de la ville, les autres n'en sont pas, quelques sont de bonne condition, d'autres de basse naissance; quelques unes riches, d'autres pauvres et de moindre condition; qu'il y a dix ans ou plus que cette affliction est commencée dans ce monastère; qu'il est malaisé que depuis un si long temps un dessein de fourberie et de friponnerie put conserver le secret parmi des filles en si grand nombre, de conditions et d'intérêts si différents; qu'après une recherche et une enquête plus exacte, le dit seigneur evesque de Chalons n'a trouvé personne, soit dans le monastere, soit dans la ville, qui n'ait parlé avantageusement de l'innocence et de la régularité, tant des filles que des ecclésiastiques qui ont travaillé devant lui aux exorcismes, et qu'il témoigne avoir reconnu de sa part en leurs déportements pour des personnes d'exemples de mérite et de probité, témoignage qu'il croit devoir à la justice et à la vérité.»
«Joint à ce que dessus le certificat du sieur Morel, médecin présent à tout, qui assure que toutes ces choses passent les termes de la nature, et ne peuvent partir que de l'ouvrage du démon; le tout bien considéré nous estimons que toutes ces accusations extraordinaires en des filles excèdent les forces de la nature humaine et ne peuvent partir que de l'opération du démon, possédant et obsédant ces corps.»
VI.—SABBAT
J. Wier[1], qui pense que le sabbat n'existe que dans l'imagination des sorcières, donne la composition de leur onguent.
[Note 1: Histoires, disputes et discours des illusions et
impostures des diables, p. 165.]
«Elles font bouillir un enfant dans un vaisseau de cuivre et en prennent la gresse qui nage au dessus, et font espessir le dernier bouillon en manière d'un consumé, puis elles serrent cela pour s'en aider à leur usage: elles y meslent du persil de eau, de l'aconite, des fueilles de peuple et de la suie; ou bien elles font en ceste manière: elles mélangent de la berle, de l'acorum vulgaire, de la quintefueille, du sang de chauve-souris, de la morelle endormante et de l'huile: ou bien, si elles font des autres compositions, elles ne sont dissemblables de ceste-cy. Elles oignent avec cet onguent toutes les parties du corps, les ayant auparavant frottées jusques à les faire rougir; à celle fin de attirer la chaleur, et relascher ce qui estoit estrainct par la froidure. Et à celle fin que la chair soit relaschée et que les pertuis du cuir soient ouverts elles y meslent de la gresse ou de l'huile, il n'y a point de doute que ce ne soit à fin que la vertu des sucs descende dedans et qu'elle soit plus forte et puissante. Ainsi pensent-elles être portées de nuict à la clarté de la lune par l'air aux banquets, aux musiques, aux dances et aux embrassements des plus beaux jeunes hommes qu'elles désirent.»
Suivant Delrio[1]:
[Note 1: Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio, etc. traduit et abrégé du latin, par André du Chesne Tourangeau. Paris, Jean Petitpas, 1611, in-12.]
«Elles y sont portées le plus souvent sur un baston, qu'elles oignent de certain onguent composé de gresse de petits enfans que le diable leur fait homicidier, combien que quelquefois elles s'en frottent aussi les cuisses, ou autres parties du corps. Ainsi frottées elles ont coutume de s'asseoir sur une fourche, baguette, ou manche de ballay, mesme sur un taureau, sur un bouc ou sur un chien… puis mettant le pied sur la cramaillère s'envolent par la cheminée et sont transportées en leurs assemblées diaboliques où bien souvent elles trouvent des feux noirs et horribles tous allumez. Là le démon leur apparoist en forme de bouc ou de chien, lequel elles adorent en diverses postures, tantost pliant les genouils en terre, tantost debout et dos contre dos, tantost brandillants les cuisses contrehaut et renversant la teste en arrière, de sorte que le menton soit porté vers le ciel: voire pour plus grand hommage lui offrent des chandelles noires ou des nombrils de petits enfants et le baisant aux parties honteuses de derrière. Mais quoy pourroit-on écrire sans horreur que quelquefois elles imitent aussi le sacrifice de la saincte messe, l'eau béniste et semblables cérémonies des catholiques par mocquerie et dérision. Elles y présentent en outre leurs enfants au diable, luy dédient de leur semence espandue en terre, et luy apportent aucunes fois la sainte Hostie en leur bouche, laquelle elles foulent à beaux pieds en leur présence.»
Le même auteur[1] explique les banquets et les danses du sabbat:
[Note 1: Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio, etc., p. 897.]
«Quelquefois elles dansent devant le repas et quelquefois après, ordinairement y a diverses tables, trois ou quatre, chargées quelquefois de morceaux friands et délicats, et quelquefois insipides et grossiers, selon les dignitez et moyens des personnes. Quelquefois elles ont chacune leur démon assis auprès d'elles, et quelquefois elles sont toutes rangées d'un coté et leur démon rangé à l'opposite. Elles n'oublient pas aussi de bénir leurs tables avant le repas, mais avec des paroles remplies de blasphèmes avouant Beelzebub pour créateur et conservateur de toutes choses. Elles luy rendent semblablement action de graces après le repas avec les mêmes blasphèmes. Et il ne faut pas oublier qu'elles assistent à ces banquets aucunes fois à face découverte et d'autres fois masquées ou voilées de quelque linge. Elles dancent peu après dos contre dos et en rond, chacune tenant son démon par les mains, ou bien quelquefois les chandelles ardentes, qu'elles luy avaient offertes en l'allant adorer et baiser. A ces ébats ne manquent aucunes fois le haubois et les ménétriers, si quelquefois elles ne se contentent de chanter à la voix. Finalement après la dance ausquels elles rendent après compte de ce qu'elles ont fait depuis la dernière assemblée, et sont celles là les mieux venues, lesquelles ont commis de plus énormes et de plus exécrables méchancetez. Les autres qui se sont comportez un peu plus humainement sont sifflées et mocquées, mises à l'écart et le plus souvent encore battues et maltraitées de leurs maîtres.»
Delrio[1] décrit la sortie du sabbat et fait connaître à quelle époque il se tient:
[Note 1: Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio,
etc., p. 199.]
«Elles recueillent en dernier lieu des poudres que quelques uns pensent être les cendres du bouc, dont le démon avait pris la figure et lequel elles avoient adoré, subitement consumé par les flames en leur présence, ou reçoivent d'autres poisons, qu'elles cachent pour s'en servir à l'exécution de leurs pernicieux desseins, puis enfin s'en retournent en leurs maisons celles qui sont près à pied, et les plus éloignées en la façon qu'elles y avoient été transportées. J'avois oublié que ces sabbats diaboliques se font le plus souvent environ la minuit, pour ce que Satan fait ordinairement ses efforts pendant les ténèbres: et qu'ils se tiennent encor à divers jours en diverses provinces: en Italie, la nuit d'entre le vendredy et le samedy, en Lorraine les nuits qui précèdent le jeudy et le dimanche et en d'autres lieux, la nuit d'entre le lundy et le mardy.»
Esprit de Bosroger[1] rapporte les aveux de Madeleine Bavan, à propos du sabbat:
[Note 1: La piété affligée, p. 389.]
«I. Qu'étant à Rouen dans la maison d'une couturière chés laquelle elle resta l'espace de trois ans elle fut débauchée par un magicien qui en abusa plusieurs, la fit transporter au sabbat avec trois de ses compagnes qu'il avait aussi débauchées: il y célébra la messe avec une chemise gatée de salletés luy appartenant, le dit magicien estant au sabbat, les fit signer dans un régistre d'environ deux mains de papier; Madeleine adjoute qu'elle emporta du sabbat la vilaine chemise de laquelle le magicien s'était servi, et étant de retour la prist sur soy, pendant lequel temps elle se sentit fort portée à l'impudicité jusqu'à ce qu'elle eust quittée par l'ordre d'un sage confesseur cette abominable chemise.»
«II. Madeleine Bavan a dit qu'il ne s'était presque point passé de semaine pendant l'espace de huit mois ou environ, que le magicien ne l'ait menée au sabbat, où une fois entr'autres ayant célébré une exécrable messe, il la maria avec un des principaux diables de l'enfer nommé Dagon qui parut alors en forme d'un jeune homme, et luy donna une bague; ce maudit mariage fait, le dit prétendu jeune homme luy mit la bague dans le doigt, puis se séparèrent chacun de leur costé, avec promesse faite par ce jeune homme qu'il ne seroit pas longtemps sans la revoir, aussy il luy apparut dès le lendemain, comme il a fait quantité de fois pendant plusieurs années, ayant souvent sa compagnie charnelle, qui excepté le plaisir qu'elle ressentoit dans son esprit lui causoit plus de douleur que de volupté, comme elle-mesme l'assure.»
«Madeleine Bavan a dit[1] qu'elle a vu trois ou quatre fois des femmes magiciennes accoucher au sabbat, après la délivrance desquelles on mettait leurs enfans sur l'autel qui y demeuroient pleins de vie pendant la célébration de leur détestable messe, laquelle étant achevée, tous les assistans (entre lesquelles était la dite Bavan) et les mères memes égorgeoient d'un commun consentement ces pauvres petits enfans, qu'ils déchiroient et après que chacun en avoit tiré les principales parties, comme le coeur et autres pour en faire charmes, maléfices et sortilèges; ils mettoient le reste en terre; ausquels égorgements elle a contribué avec Picard et a fait des maléfices des dits enfants qu'elle a rapportés à l'intention générale de celuy qui présidait au sabbat, et comme elle ne sçavoit sur qui les appliquer, elle les bailla aux premiers trouvés du sabbat.»
[Note 1: La piété affligée, p. 395.]
«Elle confesse avoir adoré le bouc du sabbat lequel paroist demy homme et demy bouc, lesquelles adorations du bouc se font tousjours à dessein de profaner le très saint sacrement de l'Eucharistie.»
«Elle avoue avoir plusieurs fois adoré d'autres diables, référant ses intentions à celles qu'ont les magiciens en général: celles qu'elle se formoit en particulier n'avoient point d'autre but que la charnalité.»
«Pour revenir aux sorciers et sorcières, quand ils vouloyent faire venir ces esprits à eux, dit Loys Lavater[1], ils s'oignoyent d'un onguent qui faisoit fort dormir; puis se couchoyent au lict, où ils s'endormoyent tant profondément qu'on ne les pouvoit esveiller, ni en les perçant d'aiguilles ni en les brûlant. Pendant qu'ils dormoyent ainsi, les diables leur proposoyent des banquets, des danses, et toutes sortes de passe-temps, par imagination. Mais puisque les diables ont si grande puissance, rien n'empêche qu'ils ne puissent quelquefois prendre les hommes, et les emporter dans quelque forest puis leur faire voir là tels spectacles…»
[Note 1: Trois livres des apparitions, etc., p. 297.]
«Il avint un jour que quelqu'un fort adonné à ces choses, fut soudainement emporté hors de sa maison en un lieu fort plaisant, où après avoir veu danser toute la nuict et fait grande chère, au matin tout cela estant esvanouy, il se vit enveloppé dans des épines et halliers fort espais. Mais outre ce qu'ils sont paillards aussi sont-ils fort cruels, car ils entrent es maisons en forme de chiens ou de chats et tuent ou despouillent les petits enfants.»
«Paul Grillaud, Italien qui vivoit l'an 1537, en son premier livre de Sortilegiis, tesmoigne, dit Crespet[1], qu'il y eut un pauvre homme sabin demourant près de Rome qui fut persuadé par sa femme de se gresser comme elle de quelques unguens pour estre transporté avec les autres sorciers. Pendant que ce transport se fist par la vertu de la gresse et de quelques paroles qu'on dit, et non pas par la vertu du diable, il se trouva donc au comté de Bénévent soubs un grand noyer, où estoient amassez infinis sorciers qui beuvoient et mangeoient a son advis, et se mit avec eux pour boire et manger; mais ne voyant point de sel sur table, en demanda ne se doubtant que les diables l'ont en horreur et aussitost qu'il eust nommé le nom de Dieu de ce que le sel lui fut apporté disant en son langage: Laudato sia Dio pur e venuto questo sale, incontinent tous les diables avec leurs sorciers disparurent, et demoura le pauvre home tout seul, nud comme il estoit et fut contraint de s'en retourner à pied mendiant son pain et vint accuser sa femme qui fut bruslée.»
[Note 1: De la hayne de Satan pour l'homme, p. 236.]
«D'après le même[1], Daneau… rend compte d'un procès fait à Genève… à une femme laquelle avoit publiquement confessé estant interrogée, qu'elle avoit souvent assisté au chapitre et assemblée des autres sorciers, tout joignant le chapitre de la grande église dédiée à saint Pierre (mais maintenant le repaire de Sathan où est annoncée sa volonté) et qu'après tous les autres qui là estoient congregez elle avoit adoré le diable en forme de renard roux, qui se faisoit appeler Morguet et déposa qu'on le baisoit par le derrière qui étoit fort froid et sentoit fort mauvais. Où une jeune fille étant arrivée, dédaignant baiser une place tant vilaine et infame, le dict renard se transforma en homme, et luy feit baiser son genoüil qui estoit aussi froid que l'autre lieu, et de son poulce luy imprima au front une marque qui lui causa une grande douleur; tout cela est dans le dit livre imprimé, et ce que s'ensuit à sçavoir, que la ditte femme déposa devant les juges que quand elle vouloit aller à l'assemblée, elle avoit un baston blanc tacheté de rouge, et comme les autres lui avoient appris, elle disoit à ce baston: «Baston blanc rouge, meyne-moi où le diable te commande.»
[Note 1: De la hayne de Satan pour l'homme, p. 231.]
«Barth à Spina raconte[1] qu'une jeune fille de Bergame fut trouvée à Venise, laquelle ayant veu lever de nuict sa mère, qui despouillant sa chemise s'estoit ointe, et chevauchant un baston estoit sortie par la fenestre et s'estoit esvanouye, par une curiosité en voulut autant faire, et incontinent elle fut portée au lieu où estoit sa mère arrivée, mais voyant le diable s'imprima le signe de la croix et invoqua le nom de la Vierge Marie, et incontinent elle fut délaissée seule, et se trouva toute nue comme le procès en fut fait d'elle et de sa mère et le tout vérifié.»
[Note 1: Même ouvrage, p. 241.]
«Il allegue un autre exemple d'une autre femme de Ferrare laquelle estant couchée auprès de son mary se leva de nuict pensant qu'il fust bien endormy mais il la contemploit comme elle print de l'onguent dans un vaisseau qu'elle tenoit caché, et aussitost fut enlevée, il se leve et en voulut autant faire, et se trouva incontinent au lieu où estoit sa femme qui estoit en une cave, mais n'ayant le moyen de retourner comme il étoit allé, se trouva seul et appréhendé comme larrons conta l'affaire, accusa sa femme qui fut convaincue et chastiée.»
Goulart[1] rapporte, d'après Baudouain de Roussey[2], le fait suivant:
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 178.]
[Note 2: Épîtres médicinales.]
«M. Théodore fils de Corneille, jadis consul de la ville de Goude en Hollande m'a récité l'histoire qui s'ensuit l'affirmant très véritable. En un village nommé Ostbrouch près d'Utrect se tenoit une veufve au service de laquelle estoit un quidam s'occupant en ce qui estoit requis pour les affaires de la maison. Icelui ayant prins garde, comme les valets sont curieux encores que ce ne fust comme en passant, que bien avant en la nuict et lorsque tous les domestiques estoyent couchez, cette veufve estoit d'ordinaire en l'estable vers un certain endroit, lors estendant les mains elle empoignoit le rastelier d'icelle estable où l'on met d'ordinaire le foin pour les bestes. Lui s'esbahissant que vouloit dire cela, délibere de faire le mesme au desceu de sa maistresse, et essayer l'effect de telle cérémonie. Ainsi donc tost apres, en suivant sa maistresse qui estoit entrée en l'estable y va et empoigne le rastelier. Tout soudain il se sent enlevé en l'air, et porté en une caverne sous terre, en une villette ou bourgade nommée Wych, où il trouve une synagogue de sorcieres, devisantes ensemble de leurs maléfices. La maistresse estonnée de telle présence non attendue lui demanda par quelle adresse, il s'estoit rendu en telle compagnie. Il lui deschiffre de poinct en poinct ce que dessus. Elle commence à se despiter et courroucer contre lui craignant que telles assemblées nocturnes ne fussent descouvertes. Néantmoins elle fut d'avis de consulter avec ses compagnes ce que seroit de faire en la difficulté qui se présentoit. Finalement elles furent d'avis de recueillir amiablement ce nouveau venu en stipulant de lui promesse expresse de se taire, et de jurer qu'il ne manifesteroit à personne les secrets qui lors luy avoyent esté descouverts contre son opinion et mérite. Ce pauvre corps promet mons et merveilles, flatte les unes et les autres et pour n'estre pas rudement admis en leur synagogue, feint avoir très grande envie d'être delà en avant admis en leur synagogue, s'il leur plaisoit. En ces consultations, l'heure se passe et le temps de déloger aprochoit. Lors se fait une autre consultation à l'instance de la maîtresse sçavoir si pour la conservation de plusieurs, il estoit point expédient d'égorger ce serviteur ou s'il faloit le reporter. D'un commun consentement fut encliné au plus doux avis de le reporter en la maison, puisqu'il avoit presté serment de ne rien déceler. La maistresse prend cette charge et après promesse expresse et réciproque, elle charge ce serviteur sur ses épaules promettant le reporter en sa maison. Mais comme ils eurent fait une partie du chemin, ils descouvrirent un lac plein de joncs et de roseaux. La maistresse rencontrant cette occasion et craignant toujours que ce jeune homme se repentant d'avoir été admis à ces festes d'enfer ne descouvrist ce qu'il avoit veu s'eslance impétueusement et secoue de dessus ses épaules le jeune homme espérant (comme il est à présumer) que ce malavisé perdroit la vie, tant par la violence de sa chute du fort haut, que par son enfondrement en l'eau bourbeuse de ce lac, où il demeureroit enseveli.»
«Mais comme Dieu est infiniment miséricordieux, ne voulant pas permettre la mort du pécheur, ains qu'il se convertisse et vive, il borna les furieux desseins de la sorciere, et ne permit pas que le jeune homme fut noyé, ains lui prolongea la vie, tellement que sa cheute ne fut pas mortelle, car roulant et culbutant en bas il rencontre une touffe espaisse de cannes et roseaux qui rabattirent la violence du coup en telle sorte toutes fois qu'il fut rudement blessé, et n'ayant pour aide que la langue, tout le reste de la nuict, il sentit des douleurs en ce lict de joncs et d'eau bourbeuse.»
«Le jour venu en se lamentant et criant, Dieu voulut que quelques passants estonnez de cette clameur du tout extraordinaire, après avoir diligemment cherché trouverent ce pauvre corps demi transi tout esrené et froissé ayant outre plus les deux cuisses dénouées. Ils s'enquirent d'où il estoit, qui l'avoit mis en tel point et entendant l'histoire précédente après l'avoir tiré de ce misérable gîte le chargerent et firent porter par chariot à Utrect. Le bourgmaistre nommé Jean le Culembourg, gentilhomme vertueux, esmeu et ravi en admiration d'un cas si nouveau, fit soigneuse enqueste du tout, deserna prinse de corps contre la sorciere, et la fit serrer en prison, où elle confessa volontairement, sans torture et de poinct en poinct, tout ce qui s'estoit passé, suppliant qu'on eust pitié d'elle. La conclusion de ce procès, par commun avis de tout le conseil produisit condamnation de mort tellement que ceste femme fut bruslée. Le serviteur ne fut de longtemps après guéri de sa froissure universelle et particulièrement de ses cuisses, chastié devant tous de sa curiosité détestable.»
Bodin[1] rapporte d'après Sylvestre Rieras qu'en Italie, dans la ville de Come, «l'official et l'inquisiteur de la foy, ayans grand nombre de sorcières qu'ils tenoyent en prison, et ne pouvans croire les choses estranges qu'elles disoyent, en voulurent faire la preuve, et se firent mener à la synagogue par l'une des sorcières, et se tenans un peu à l'escart virent toutes les abominations, hommages au diable, danses, copulations. Enfin le diable qui faisoit semblant de ne les avoir pas veu, les batit tant qu'ils en moururent quinze jours après.»
[Note 1: Démonomanie, préface.]
«Nous trouvons, dit Bodin[1], au 6e livre de Meyr, qui a escrit fort diligemment l'histoire de Flandres, que l'an 1459 grand nombre d'hommes et femmes, furent brulés en la ville d'Arras accusées les uns par les autres et confessèrent qu'elles estoient la nuit transportées aux danses et puis qu'ils se couplaient avecques les diables qu'ils adoraient en figure humaine.»
[Note 1: Démonomanie.]
«Jacques Sprenger et ses quatre compagnons inquisiteurs des sorciers escrivent qu'ils ont fait le procès à une infinité de sorciers en ayant fait exécuter fort grand nombre en Allemagne, et mesmement aux pays de Constance et de Ravenspur l'an 1485 et que toutes generallement sans exception, confessoient que le diable avoit copulation charnelle avec elle après leur avoir fait renoncer Dieu et leur religion.»
«Suivant P. de Lancre[1], Jeannette d'Abadie aagée de seize ans dict, qu'elle a veu hommes et femmes se mesler promiscuement au sabbat. Que le diable leur commandait de s'accoupler et de se joindre, leur baillant à chacun tout ce que la nature abhorre le plus, sçavoir la fille au père, le fils à la mère, la seur au frère, la filleule au parrain, la pénitente à son confesseur, sans distinction d'aage, de qualité ny de parentulle.»
[Note 1: Tableau des inconstances des mauvais anges, p. 222.]
«Vers l'année 1670, dit Balthazar Bekker[1], il y eut en Suède, au village de Mohra, dans la province d'Elfdalen, une affaire de sorcellerie qui fit grand bruit. On y envoya des juges. Soixante-dix sorcières furent condamnées à mort; une foule d'autres furent arrêtées, et quinze enfants se trouvèrent mêlés dans ces débats.»
[Note 1: Le Monde enchanté, liv. VI, ch. XXIX, d'après les relations originales.]
«On disait que les sorcières se rendaient de nuit dans un carrefour, qu'elles y évoquaient le diable à l'entrée d'une caverne, en disant trois fois:
—«Antesser, viens! et nous porte à Blokula!»
«C'était le lieu enchanté et inconnu du vulgaire, où se faisait le sabbat. Le démon Antesser leur apparaissait sous diverses formes, mais le plus souvent en justaucorps gris, avec des chausses rouges ornées de rubans, des bas bleus, une barbe rousse, un chapeau pointu. Il les emportait à travers les airs à Blokula, aidé d'un nombre suffisant de démons, pour la plupart travestis en chèvres; quelques sorcières, plus hardies, accompagnaient le cortège, à cheval sur des manches à balai. Celles qui menaient des enfants plantaient une pique dans le derrière de leur chèvre; tous les enfants s'y perchaient à califourchon, à la suite de la sorcière, et faisaient le voyage sans encombre.»
«Quand ils sont arrivés à Blokula, ajoute la relation, on leur prépare une fête; ils se donnent au diable, qu'ils jurent de servir; ils se font une piqûre au doigt et signent de leur sang un engagement ou pacte; on les baptise ensuite au nom du diable, qui leur donne des raclures de cloches. Ils les jettent dans l'eau, en disant ces paroles abominables:
—«De même que cette raclure ne retournera jamais aux cloches dont elle est venue, ainsi que mon âme ne puisse jamais entrer dans le ciel.»
«La plus grande séduction que le diable emploie est la bonne chère; et il donne à ces gens un superbe festin, qui se compose d'un potage aux choux et au lard, de bouillie d'avoine, de beurre, de lait et de fromage. Après le repas, ils jouent et se battent; et si le diable est de bonne humeur, il les rosse tous avec une perche, «ensuite de quoi il se met à rire à plein ventre.» D'autres fois il leur joue de la harpe.»
«Les aveux que le tribunal obtint apprirent que les fruits qui naissaient du commerce des sorcières avec les démons étaient des crapauds ou des serpents.
«Des sorcières révélèrent encore cette particularité, qu'elles avaient vu quelquefois le diable malade, et qu'alors il se faisait appliquer des ventouses par les sorciers de la compagnie.»
«Le diable enfin leur donnait des animaux qui les servaient et faisaient leurs commissions, à l'un un corbeau, à l'autre un chat, qu'ils appelaient emporteur, parce qu'on l'envoyait voler ce qu'on désirait, et qu'il s'en acquittait habilement. Il leur enseignait à traire le lait par charme, de cette manière: le sorcier plante un couteau dans une muraille, attache à ce couteau un cordon qu'il tire comme le pis d'une vache; et les bestiaux qu'il désigne dans sa pensée sont traits aussitôt jusqu'à épuisement. Ils employaient le même moyen pour nuire à leurs ennemis, qui souffraient des douleurs incroyables pendant tout le temps qu'on tirait le cordon. Ils tuaient même ceux qui leur déplaisaient, en frappant l'air avec un couteau de bois.»
«Sur ces aveux on brûla quelques centaines de sorciers, sans que pour cela il y en eût moins en Suède.»
On ne peut guère évoquer les démons avec sûreté sans s'être placé dans un cercle qui garantisse de leur atteinte, parce que leur premier mouvement serait d'empoigner, si l'on n'y mettait ordre. Voici ce qu'on lit à ce propos dans le Grimoire du pape Honorius:
«Les cercles se doivent faire avec du charbon, de l'eau bénite aspergée, ou du bois de la croix bénite… Quand ils seront faits de la sorte, et quelques paroles de l'Évangile écrites autour du cercle, sur le sol, on jettera de l'eau bénite en disant une prière superstitieuse dont nous devons citer quelques mots:—«Alpha, Oméga, Ely, Elohé, Zébahot, Elion, Saday. Voilà le lion qui est vainqueur de la tribu de Juda, racine de David. J'ouvrirai le livre et ses sept signes…»
On récite après la prière quelque formule de conjuration, et les esprits paraissent.
Le Grand Grimoire ajoute «qu'en entrant dans ce cercle il faut n'avoir sur soi aucun métal impur, mais seulement de l'or ou de l'argent, pour jeter la pièce à l'esprit. On plie cette pièce dans un papier blanc, sur lequel on n'a rien écrit; on l'envoie à l'esprit pour l'empêcher de nuire; et, pendant qu'il se baisse pour la ramasser devant le cercle, on prononce la conjuration qui le soumet.»
Le Dragon rouge recommande les mêmes précautions.
Il nous reste à parler des cercles que les sorciers font au sabbat pour leurs danses. On en montre encore dans les campagnes; on les appelle cercle du sabbat ou cercle des fées, parce qu'on croyait que les fées traçaient de ces cercles magiques dans leurs danses au clair de la lune. Ils ont quelquefois douze ou quinze toises de diamètre, et contiennent un gazon pelé à la ronde de la largeur d'un pied, avec un gazon vert au milieu. Quelquefois aussi tout le milieu est aride et desséché, et la bordure tapissée d'un gazon vert. Jessorp et Walker, dans les Transactions philosophiques, attribuent ce phénomène au tonnerre: ils en donnent pour raison que c'est le plus souvent après des orages qu'on aperçoit ces cercles.
D'autres savants ont prétendu que les cercles magiques étaient l'ouvrage des fourmis, parce qu'on trouve souvent ces insectes qui y travaillent en foule.
On regarde encore aujourd'ui, dans les campagnes peu éclairées, les places arides comme le rond du sabbat. Dans la Lorraine, les traces que forment sur le gazon les tourbillons des vents et les sillons de la foudre passent toujours pour les vestiges de la danse des fées, et les paysans ne s'en approchent qu'avec terreur[1].
[Note 1: Madame Élise Voïart, Notes au livre Ier de la Vierge d'Arduène.]
VII.—UNION CHARNELLE AVEC LE DIABLE. INCUBES ET SUCCUBES.
«Le bruit commun, dit saint Augustin[1] est, et plusieurs l'ont essayé et encore entendu de ceux la foy desquels ne peut estre révoquée en doute que certains faunes et animaux silvestres appelez du commun incubes ont esté fâcheux et envieux aux femmes, tellement qu'ils ont souvent convoité d'habiter avec elles, et se trouvent certains démons que les François appellent Dusii, lesquels s'efforcent tant qu'ils peuvent de cognoistre les femmes et souvent ils accomplissent leur dessein; tellement que de nier cela est un traict d'un homme impudent.»
[Note 1: Cité de Dieu, livres XXIII et XIX.]
Crespet[1] rapporte que «Col. Rhodiginus livre II, chap. VI, des Antiques leçons, soustient que les diables peuvent habiter avec les femmes, Daemones foecundos esse femine, et coïre, angelos vero bonos minime. Et souvent on a trouvé des sorcières es lieux escartés, couchées à la renverse et se remuer comme estans en l'acte vénérien, et aussitost le diable se lever en forme de nuée espaisse et foetide.»
[Note 1: Crespet, La hayne de Sathan, p. 296.]
D'après Bodin[1] «Jeanne Herviller, native de Verbery près Compiegne, entre autres choses, confessa que sa mere avoit este condamnée d'estre bruslée toute vive par arrest du parlement, confirmatif de la sentence du juge de Senlis, qu'à l'aage de douze ans sa mère la présenta au diable en forme d'un grand homme noir et vestu de noir, botté, esperonné, avec une espée au costé et un cheval noir à la porte, auquel la mère dit: Voicy ma fille que je vous ay promise, et à la fille: Voicy vostre amy qui vous fera bien heureuse, et dès lors elle renonça à Dieu, à la religion, et puis coucha avec elle charnellement en la mesme sorte et manière que font les hommes avecques les femmes, hormis que la semence estoit froide. Cela, dit-elle, continua tous les quinze jours, mesmes icelle estant couchée près de son mary sans qu'il s'en apperceut. Et un jour le diable luy demanda si elle voulait estre enceinte de lui et elle ne voulut pas.»
[Note 1: Démonomanie.]
Merlin passait pour fils du diable. «Je pense, dit Le Loyer[1], que ce n'est point chose tant incroyable qu'il ait esté engendré du diable en une sorcière: car en la mesme isle vers le royaume d'Écosse, au pays de Marrée, y eut une fille qui se trouva grosse du fait du diable. Ce ne fut pas sans donner à penser à ses parents, qui la pouvoit avoir engrossée, parce qu'elle abhorroit les noces et n'avait voulu être mariée. Ils la pressent de dire qui l'avait engrossée: elle confesse, que c'estoit le diable qui couchoit toutes les nuicts avec elle, en forme de beau jeune homme. Les parents ne se contentent pas la responce de la fille, pratiquent sa chambrière qui de nuict les fit entrer dans la chambre avec torches. Ce fut lors qu'ils apperceurent au lict de la fille, un monstre fort horrible n'ayant forme aucune d'homme. Le monstre fait contenance de ne vouloir quitter le lict, et fait on venir le prestre pour l'exorciser. Enfin le monstre sort, mais c'est avec tel tintamarre et fracassement, qu'il brusla les meubles qui estoient en la chambre, et en sortant descouvrit le toict et couverture de la maison. Trois jours après, dict Hectore Boïce, la sorcière engendra un monstre, le plus vilain qui fust oncque né en Écosse, que les sages femmes estoufferent.»
[Note 1: Discours et histoires des spectres, etc., p. 315.]
«J'ai leu autrefois, dit le même[1], en Thomas Valsingham, Anglais, que la nuict d'une feste de Pentecote une femme du pays et de la paroisse de Kenghesla du diocèse de Wintchester et doyenné d'Aulton, nommée Jeanne, fut en songe, non tant admonestée, que pressée et sollicitée d'aller trouver un jeune homme qui l'entretenait par amourettes. Elle se mit en chemin dès le lendemain, et estant en la forêt de Wolmer, se présente à elle un démon en la forme de l'amoureux nommé Guillaume, qui l'accoste et jouyt d'elle. Ceste maladie elle pense luy avoir été causée par l'amoureux, qui se justifie et montre qu'il était impossible qu'il fust en la forest en la même heure dont elle se plaignoit et par là fut la vérité du démon incube descouverte. Cela rengrégea encore la maladie de la femme et advint cette merveille. La maison où gisait la femme fut tellement remplie de puanteur que personne n'y pouvoit durer, et trois jours après mourut ayant les lèvres fort livides, le ventre noir et enflé par tout le corps. A toute peine huict hommes la portèrent en terre tant elle pesoit.»
[Note 1: Même ouvrage, p. 340.]
Goulart rapporte cette singulière histoire d'après un personnage, dit-il, très digne de foy: L'an 1602, un gentilhomme françois se trouvant près d'un bois, en voit sortir une fille éplorée et échevelée qui lui demande appui et protection contre des voleurs qui avaient tué sa compagnie et avaient voulu la violer. Le gentilhomme, tirant son épée, prit cette demoiselle en croupe et traversa la forêt sans rencontrer personne. Il l'amena, dans une hôtellerie où elle ne voulut manger ni boire que sur les instances du gentilhomme. Cette demoiselle supplia ensuite son sauveur de la laisser coucher dans la même chambre que lui. Il y consentit après quelques difficultés, et l'on dressa deux lits. Le gentilhomme se coucha dans le sien. «Mais la damoiselle, environ une heure après, se despouilla près de l'autre lict, et comme feignant croire que le gentilhomme dormist, commence à se descouvrir, à se contempler en diverses parties. Le gentilhomme picqué d'infame passion attisée par l'indigne regard d'un masque qui lui paroissoit et sembloit le plus beau qui jamais se fust présenté à ses yeux, se laissa gaigner par l'infame convoitise de son coeur alléché par les redoutables attraits d'un très cauteleux ennemi, mettant le reverence de Dieu et le salut de son ame en oubli, se leve de son lict, s'en va dans celui de la damoiselle qui le receut et passèrent la nuict ensemble. Le matin venu, le pauvre miserable retourne trouver sa couche, et y estant s'endort. La damoiselle se lève et disparoit sans saluer gentilhomme, hoste ni hostesse. Le gentilhomme esveillé la demande, elle ne se trouve point: il l'attend jusques environ midi: lors n'en pouvant avoir de nouvelles il monte à cheval, et poursuit son chemin. A peine estoit-il à demie-lieue de la ville qu'il descouvre au bout d'une raze campagne un cavalier armé de pied en cap, lequel venoit à lui, bride abatue, les armes au poin. Le gentilhomme qui estoit bon soldat l'attend de pied ferme, et repousse vaillamment l'effort de cest ennemi couvert, lequel se retirant un peu à quartier, haussa la visière. Alors le pauvre gentilhomme conut la face de la damoiselle avec laquelle il avoit passé la nuict precedente, lui déclairant lors en termes expres qu'il avoit eu la compagnie du diable, que sa resistance estoit vaine, qu'il ne pouvoit s'en desdire.» Le gentilhomme invoqua l'assistance de Dieu, Satan disparut. Le gentilhomme tournant bride rebroussa vers sa maison où, désolé, se mit au lit, confessa ce qui lui était arrivé devant plusieurs personnes notables, et mourut peu de jours après, espérant à la miséricorde de Dieu.
Guyon[1] rapporte aussi l'histoire de quelques personnes qui ont eu commerce avec le diable:
[Note 1: Diverses leçons, t. II, p. 56.]
«Ruoffe en son livre de la Conception et génération humaine, tesmoigne que de son temps, une paillarde eut affaire à un esprit malin par une nuict, ayant forme d'homme, et que soudain après le ventre luy enfla, et que pensant estre grosse, elle tomba en une si étrange maladie que toutes ses entrailles tombèrent, sans que par aucun artifice des médecins, elle peust estre guérie.»
«En ce pays de Lymosin, environ l'an 1580, un gentilhomme cadet venant de la chasse du lièvre, à soleil couchant, trouva en son chemin un esprit transformé en une belle femme, cuydant à la vérité qu'elle fust telle: estant alleché par elle à volupté, eut affaire à elle, se sentit saisi soudain d'une si grande chaleur par tout son corps, que dans trois jours après il mourut, et persista de dire jusques à la mort, que ceste chaleur provenoit de ceste copulation et ne resvoit nullement, et que soudain après l'acte venerien ceste femme s'evanoüit.»
«Nous avons veu deux femmes du bourg de Chambaret à sçavoir la mère et la fille, qui disoyent et affermoient le diable avoir eu affaire avec elles par force visiblement et par violence, et leur ventre s'enfla grandement, et les touchay et visitay, et les trouvay telles; l'on les tenoit pour insensées de tenir telles paroles. Elles changerent de lieux, s'en allerent caymandant ailleurs et depuis j'ay entendu qu'elles n'estoyent plus grosses et qu'elles furent deschargées par beaucoup de fumées et ventositez qui sortirent de leurs corps, l'on m'a dit qu'elles estoyent encore en vie.»
Selon Crespet[1], «Hector Boëtius, hystoriographe escossois, sur la fin du livre VIII de son Hystoire escossoise, récite que l'an 1486 quelques marchans navigeans d'Escosse en Flandre, se voient à l'improviste assaillis d'une effroyable tempeste qui les environna, de sorte qu'ils pensaient aller au fond de l'Océan. L'air estoit troublé, les nues obscures et espaisses, le soleil avoit perdu sa clarté, dont ils soupçonnèrent qu'il y avoit de la malice de Sathan parmy tant de tourmente, ce que pensoit faire tomber en desespoir ces pauvres gens. Or de malheur en leur navire, il y avoit une femme, laquelle voyant si grand désordre et effroy commença à confesser sa faute et s'accuser, que de longtemps elle avoit souffert un dyable incube qui la venoit parfois vexer et qu'il ne faisoit que partir de sa compagnie, les suppliant qu'ils la jetassent en la mer, car elle se sentoit grandement coupable pour un crime tant horrible et infame. Toutefois, il y eut des gens catholiques au navire, et entre autres un prestre qui la confessa et remit en meilleure espérance devant lequel se prosternant en un lieu escarté pour confesser ses péchés avec une amertume de coeur, souspirs et sanglots, se confiant en la miséricorde de Dieu, et aussistost qu'il luy eust donné l'absolution sacramentale, les assistans veirent lever en l'air du navire une espaisse nuée avec une fadeur et fumée accompagnée de flame qui s'alla jetter en fond, et aussitost la sérénité fut rendue.»
[Note 1: De la hayne de Sathan, p. 296.]
«Le même auteur (Boëtius), au mesme livre, cité par Crespet, poursuit encore un autre exemple de la région, Gareotha, d'un jeune adolescent, beau et élégant en perfection, lequel confessa devant son evesque qu'il avoit souvent eu la compagnie d'une jeune fille qui le venoit de nuict chatouiller en son lit, et le baisotoit se supposant à luy, afin qu'il fust eschauffé pour faire l'oeuvre charnel, sans que jamais il peut sçavoir qui elle estoit, ou d'où elle venoit, car les portes et fenestres de sa chambre avoient toujours esté fermées, mais par le conseil des gens doctes il changea de demeure, et à force de prières, confessions, jeunes et autres dévots exercices il fut délivré.»
«J'ay aussi leu, dit Bodin[1], l'extraict des interrogatoires faicts aux sorcieres de Longwy en Potez qui furent aussi bruslées vives que maistre Adrian de Fer, lieutenant général de Laon m'a baillé. J'en mettrai quelques confessions sur ce point.»
[Note 1: Démonomanie.]
«Marguerite Bremont, femme de Noel de Lavatet, a dit que lundy dernier après avoir failli elle fut avec Marion sa mère à une assemblée près le moulin Franquis de Longwy en un pré et avoit sa dite mère un ramon entre ses jambes disant: Je ne mettray point les mots, et soudain elles furent transportées toutes deux au lieu où elles trouvèrent Jean Robert, Jeanne Guillemin, Marie femme de Simon d'Agneau et Guillemette femme d'un nommé Legras qui avoient chacun un ramon. Se trouvèrent aussi en ce lieu six diables, qui estoient en forme humaine, mais fort hideux à voir. Que après la danse finie les diables se couchèrent avecque elles, et eurent leur compagnie et l'un d'eux, qui l'avoit menée danser la print et la baisa par deux fois et habita avec elle l'espace de plus d'une demie heure mais délaissa aller sa semence bien froide.»
P. de Lancre[1] répète diverses histoires d'incubes et de succubes:
[Note 1: Tableau de l'inconstance des mauvais anges, p. 214.]
«Henry, institeur, et Jaques Spranger, qui furent esleus du pape Innocent VIII pour faire le procès aux sorciers d'Allemagne, racontent que bien souvent ils ont veu des sorcières couchées par terre le ventre en sus, remuant le corps avec la même agitation que celles qui sont en cette sale action, prenant leur plaisir avec ces esprits et démons incubes qui leur sont visibles mais invisibles à tous autres, sauf qu'ils voient après cet abominable accouplement une puante et sale vapeur s'eslever du corps de la sorcière de la grandeur d'un homme: si bien que plusieurs maris jaloux voyant les malins esprits acointer ainsi et cognoistre leurs femmes pensant que ce fussent vrayment des hommes mettoient la main à l'espée, et qu'alors les démons disparoissans ils demeuroient moquez et rudement baffouez par leurs femmes.»
«François Pic de la Mirandole dict avoir cognu un homme de soixante-quinze ans qui s'appeloit Benedeto Berna, lequel par l'espace de quarante ans eut accointance avec un esprit succube qu'il appeloit Harmeline et la conduisoit et menoit quant et luy en forme humaine, en la place et partout et parloit avec elle: de manière que plusieurs l'oyant parler, et ne voyant personne le tenoient pour fol. Et un autre nommé Pinet en tint un l'espace de trente ans sous le nom de Fiorina.»
«Sur quoy est remarquable ce que dict Bodin que les diables ne font paction expresse avec les enfants qui leur sont vouez, s'ils n'ont atteint l'aage de puberté et dict que Jeanne Herviller disposa que sa mère qui l'avait dédiée à Satan si tost qu'elle fut née, ne fut jamais désirée par Satan ny ne s'accoupla avec luy, qu'elle n'eust atteint l'aage de douze ans. Et Magdeleine de la Croix, abbesse de Cordoue, en Espagne, dict de même, que Satan n'eut cognoissance d'elle qu'en ce mesme aage.»
«Or cette opération de luxure n'est commise ou pratiquée par eux pour plaisir qu'ils y prennent, parce que comme simples esprits, ils ne peuvent prendre aucune joye ny plaisir des choses sensibles. Mais ils le font seulement pour faire choir l'homme dans le précipice dans lequel ils sont, qui est la disgrâce de Dieu très haut et très puissant.»
«Johannès d'Aguerre dict que le diable en forme de bouc avoit son membre au derrière et cognoissoit les femmes en agitant et poussant avec iceluy contre leur devant.»
«Marie de Marigrane, aagée de quinze ans, habitante de Biarrix dict, qu'elle a veu souvent le diable s'accoupler avec une infinité de femmes qu'elle nomme par nom et surnom: et que sa coutume est de cognoistre les belles par devant, et les laides au rebours.»
«Toutes les sorcières s'accordent en cela, dit Delrio[1], que la semence qu'elles reçoivent du diable, est froide comme glace, et qu'elle n'apporte aucun plaisir, mais horreur plutost, et par conséquent ne peut être cause d'aucune génération. Je répons que le démon, voulant décevoir la femme souz l'espèce et figure de quelque homme sans qu'elle s'apperçoive qu'il est un démon, imite lors le plus convenablement qu'il peut tout ce qui est requis en l'accouplement de l'homme et de la femme, et par ainsi met-il en peine s'il veut que la génération s'en ensuive (ce qui avient rarement) d'y employer tout ce qui est nécessaire à la génération, cherchant une semence prolifique, qu'il conserve et jette d'une si grande vitesse que les esprits vitaux ne s'évaporent. Mais quand il n'a point d'intention d'engendrer, alors il se sert de je ne sçay quoy de semblable à la semence, chaud toutefois de peur que son imposture ne soit descouverte et tempere aussi le corps qu'il a pris de peur que par son attouchement, il n'apporte de la crainte, de l'horreur ou de l'épouvantement. Au contraire quand ils se couplent avec celles qui n'ignorent pas que ce soit un démon, il jette le plus souvent une semence imaginaire et froide, de laquelle je confesse ingénûment qu'il ne peut rien provenir. Et qui plus est, toutes les sorcières s'accordent en cela, qu'il les interroge si elles conçoivent de ses oeuvres; et si d'aucunes se trouvent qui en aient envie, lors il se sert, comme je l'ay dit, de la vraye semence de l'homme.»
[Note 1: Les controverses et recherches magiques, p. 187.]
Les démons, selon Delrio[1], peuvent aussi produire de certains monstres inaccoutumés, tels que celuy qu'on a veu au Brésil, de dix-sept palmes de hauteur, couvert d'un cuir de lésard, ayant des tétins fort gros, les bras de lyon, les yeux étincelans et flamboïans et la langue de même: tels aussi que ceux qui furent pris aux forets de Saxe, en l'an 1240 avec un visage demy humain: si ce n'est par aventure qu'ils fussent nez de l'accouplement de quelques hommes avec des bêtes brutes: qui est la plus certaine origine de la plus part des monstres. Car ainsi jadis Alcippe enfanta-t'elle un éléphant, pendant la guerre Marsique. Ainsi trois femmes ont-elles accouché depuis l'une en Suisse d'un lyon, en l'an 1278, l'autre à Pavie d'un chat en l'an 1271 et l'autre d'un chien en la ville de Bresse. Ainsi encore l'an 1531 une autre femme a-elle enfanté d'une meme ventrée, premièrement un chef d'homme enveloppé d'une taye, par après un serpent à deux pieds et troisièmement un pourceau tout entier… Certainement en ces exemples ci-dessus allégués, je pense qu'il faut dire que c'est le démon, qui souz la figure de telles bestes a engrossé ces femmes.»
[Note 1: Les controverses et recherches magiques.]
VIII.—PACTE AVEC LE DIABLE. MARQUE DES SORCIERS.
Un auteur anonyme[1] nous a conservé l'engagement pris par Loys Gaufridy envers le diable:
[Note 1: De la vocation des magiciens et magiciennes, etc. Paris,
Ollivier de Varennes, 1623, in-12.]
«Je, Loys prestre, renonce à tous et à chascun des biens spirituels et corporels, qui me pourroient estre donnez et m'arriver de la part de Dieu, de la Vierge, et de tous les saincts et sainctes: et principalement de la part de Jean Baptiste mon patron, et des saincts apôtres Pierre et Paul et de sainct François. Et à toy, Lucifer, que te voy, et scay estre devant moi, je me donne moy-mesme, avec toutes les bonnes oeuvres que je ferai, excepté la valeur et le fruit des sacrements, au respect de ceux à qui je les administreray, et en cette manière j'ay signé ces choses et les atteste.»
Lucifer prit de son côté à l'égard de Loys Gaufridy l'engagement suivant:
«Je Lucifer, promets sous mon seing, à toy seigneur Loys Gaufridy prestre, de te donner vertu et puissance, d'ensorceler par le soufflement de bouche toutes et chacunes les femmes et les filles que tu désireras: en foy de quoy j'ay signé Lucifer.»
Suivant Bodin[1], «Magdeleine de la Croix, native de Cordoue en Espagne, abbesse d'un monastère, se voyant en suspicion des religieuses, et craignant le feu, si elle estoit accusée, voulut prévenir pour obtenir pardon du pape, et confesse que dès l'âge de douze ans, un malin esprit en forme d'un More noir la sollicita de son honneur auquel elle consentit et continua trente ans et plus, couchant ordinairement avec luy: par le moyen duquel estant dedans l'église elle estoit élevée en haut et quand les religieuses communioient après la consécration l'hostie venoit en l'air jusqu'à elle, au veu des autres religieuses qui la tenoient pour saincte, et le pretre aussi, qui trouvoit alors faute d'une hostie.»
[Note 1: Démonomanie.]
«On voit à Molsheim, dit dom Calmet[1], dans la chapelle de saint Ignace en l'église des PP. Jésuites une inscription célèbre qui contient l'histoire d'un jeune gentilhomme allemand, nommé Michel Louis, de la famille de Boubenhoren, qui ayant été envoyé assez jeune par ses parents à la cour du duc de Lorraine pour apprendre la langue françoise perdit au jeu de cartes tout son argent. Réduit au désespoir il résolut de se livrer au démon, si ce mauvais esprit vouloit ou pouvoit lui donner de bon argent: car il se doutoit qu'il ne lui en fourniroit que de faux et de mauvais. Comme il étoit occupé de cette pensée, tout d'un coup il vit paraître devant lui comme un jeune homme de son âge, bien fait, bien couvert, qui lui ayant demandé le sujet de son inquiétude lui présenta sa main pleine d'argent, et lui dit d'éprouver s'il étoit bon. Il lui dit de le venir retrouver le lendemain. Michel retourne trouver ses compagnons, qui jouoient encore, regagne tout l'argent qu'il avoit perdu, et gagne tout celui de ses compagnons. Puis il revient trouver son démon, qui lui demanda pour récompense trois gouttes de son sang, qu'il reçut dans une coquille de gland: puis offrant une plume à Michel il lui dit d'écrire ce qu'il lui dicteroit. Il lui dicta quelques termes inconnus qu'il fit écrire sur deux billets différens[2] dont l'un demeura au pouvoir du démon et l'autre fut mis dans le bras de Michel au même endroit d'où le démon avoit tiré du sang. Et le démon lui dit: Je m'engage de vous servir pendant sept ans, après lesquels vous m'appartiendrez sans réserve. Le jeune homme y consentit, quoique avec horreur, et le démon ne manquoit pas de lui apparaître jour et nuit sous diverses formes, et de lui inspirer diverses choses inconnues et curieuses, mais toujours tendantes au mal. Le terme fatal des sept années approchoit, et le jeune homme avoit alors environ vingt ans. Il revint chez son père: le démon auquel il s'étoit donné lui inspira d'empoisonner son père et sa mère, de mettre le feu à leur château et de se tuer soi-même. Il essaya de commettre tous ces crimes: Dieu ne permit pas qu'il y réussît, le fusil dont il vouloit se tuer ayant fait faute jusqu'à deux fois, et le venin n'ayant pas opéré sur ses père et mère. Inquiet de plus en plus, il découvrit à quelques domestiques de son père le malheureux état où il se trouvoit, et les pria de lui procurer quelques secours. En ce même temps le démon le saisit, et lui tourna tout le corps en arrière, et peu s'en fallut qu'il ne lui rompit les os. Sa mère qui étoit de l'hérésie de Suenfeld, et qui y avoit engagé son fils, ne trouvant dans sa secte aucun secours contre le démon qui le possedoit ou l'obsedoit, fut contrainte de le mettre entre les mains de quelques religieux. Mais s'en retira bientôt et s'enfuit à l'Islade d'où il fut ramené à Molsheim par son frère, chanoine de Wirsbourg, qui le remit entre les mains des PP. de la Société. Ce fut alors que le démon fit les plus violens efforts contre lui, lui apparoissant sous la forme d'animaux féroces. Un jour entre autres le démon sous la forme d'un homme sauvage et tout velu jetta par terre une cédule ou pacte différent du vrai qu'il avoit extorqué du jeune homme, pour tâcher sous cette fausse apparence de le tirer des mains de ceux qui le gardoient et pour l'empêcher de faire sa confession générale. Enfin on prit jour au 20 octobre 1603, pour se trouver en la chapelle de sainct Ignace, et y faire rapporter la véritable cédule contenant le pacte fait avec le démon. Le jeune homme y fit profession de la foi catholique et orthodoxe, renonça au démon, et reçut la sainte Eucharistie. Alors jettant des cris horribles, il dit qu'il voyoit comme deux boucs d'une grandeur démesurée, qui, ayant les pieds de devant en haut, tenoient entre leurs ongles chacun de leur côté l'une des cédules ou pactes. Mais dès qu'on eût commencé les exorcismes et invoqué le nom de sainct Ignace les deux boucs s'enfuirent, et il sortit du bras ou de la main gauche du jeune homme presque sans douleur et sans laisser de cicatrice, le pacte qui tomba aux pieds de l'exorciste. Il ne manquoit plus que le second pacte qui étoit resté au pouvoir du démon. On recommença les exorcismes, on invoqua sainct Ignace et on promit de dire une messe en l'honneur du sainct: en même temps parut une grande cigogne difforme, mal faite, qui laissa tomber de son bec cette seconde cédule, et on la trouva sur l'autel.»
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits et sur les
vampires, ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc., par le
R.P. dom Augustin Calmet, abbé de Senones. Nouvelle édition, Paris,
Debust aîné, 1751, 2 vol. in-12.]
[Note 2: Il y avait en tout dix lettres, la plupart grecques, mais qui ne formeront aucun sens. On les voyoit à Molsheim dans le tableau qui représente ce miracle.]
On parlait beaucoup chez les anciens de certains démons qui se montraient particulièrement vers midi à ceux avec lesquels ils avaient contracté familiarité. Ces démons visitent ceux à qui ils s'attachent, en forme d'hommes ou de bêtes, ou en se laissant enclore en un caractère, chiffre, fiole, ou bien en un anneau vide et creux au dedans. «Ils sont connus, ajoute Leloyer, des magiciens qui s'en servent, et, à mon grand regret, je suis contraint de dire que l'usage n'en est que trop commun[1].»
[Note 1: Histoire des spectres, liv. III, ch. IV, p. 198.]
Honsdorf en son Théâtre es exemples du 8e commandement, cité par Goulart[1], dit que: «Un docteur en médecine s'oublia si misérablement que de traiter alliance avec l'ennemi de nostre salut, qu'il avoit conjuré et enclos dans un verre d'où ce séducteur et familier esprit lui respondoit. Le médecin estoit heureux es guerisons des malades et amassa force escus en ses pratiques: tellement qu'il laissa à ses enfans la somme de vingt-six mille escus vaillant. Peu de temps avant sa mort, comme il commençoit à penser à sa conscience, il tombe en telle fureur que tout son propos estoit d'invoquer le diable, et vomir des blasphemes horribles contre le Sainct-Esprit. Il rendit l'ame en ce malheureux estat.»
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 624.]
Goulart[1] rapporte d'après Alexandre d'Alexandrie[2] l'histoire d'un prisonnier qui, ayant appelé le diable à son secours, avait visité les enfers:
[Note 1: Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 535-538.]
[Note 2: Au livre VI, ch. XXI de ses Jours géniaux.]
«Le seigneur d'une villette en la principauté de Sulmona, au royaume de Naples, se monstroit avare et superbe en son gouvernement: de telle sorte que ses pauvres sujets ne pouvoyent subsister, ains estoyent estrangement gourmandez de lui. Un autre homme de bien au reste, mais pauvre et mesprisé, battit rudement pour quelque occasion certain chien de chasse appartenant à ce seigneur, lequel griesvement irrité de la mort de son chien, fit empoigner et emprisonner ce pauvre homme en un cachot. Au bout de quelques jours les gardes qui tenoyent toutes les portes diligemment closes, venans à les ouvrir selon leur coustume, pour lui donner quelque peu de pain, ne trouvèrent point leur prisonnier en son cachot. L'ayans cerché et recerché par tout, sans pouvoir remarquer trace ni apparence quelconque d'evasion, finalement rapportèrent ceste merveille à leur seigneur, qui de prime face s'en mocquoit et les menaçoit, mais entendant puis après la vérité, ne fut pas moins estonné qu'eux. Au bout de trois jours après ceste alarme, toutes les portes des prisons et du cachot fermees comme devant, ce mesme prisonnier, sans le sceu d'aucun, aparut renfermé dedans son precedent cachot, ayant face et contenance d'homme esperdu; lequel requit que sans délai l'on le menast vers ce seigneur, auquel il avoit à dire choses de grande importance. Y ayant esté conduit, il raconte qu'il estoit revenu des enfers. L'occasion avoit esté que ne pouvant plus porter la rigueur de sa prison, vaincu de desespoir, craignant la mort, et destitué de bon conseil il avoit appellé le diable à son aide, à ce qu'il le tirast de ceste captivité. Que tost après le malin en forme hideuse et terrible lui estoit apparu dedans son cachot, où ils avoyent fait accord, suyvant lequel, il avoit esté desferré et tiré non sans griefs tourmens hors de là, puis précipité en des lieux souterrains et merveilleusement creux, comme au fond de la terre, où il avoit veu les cachots des meschans, leurs supplices, tenebres et miseres horribles, des sieges puants et effrayables: des Rois, Princes, et grands Seigeurs, plongez en des abysmes tenebreux: où ils brusloyent au feu ardent en des tourmens indicibles: qu'il avoit veu de Papes, Cardinaux, et autres Prelats magnifiquement vestus, et autres sortes de gens, en divers equipages, affligez de supplices distincts, en des goufres fort profonds, où ils estoyent tourmentez incessamment. Adjoustant qu'il y avoit reconnu plusieurs de sa conoissance, notamment un de ses plus grands amis d'autrefois, lequel l'avoit reconu, et enquis de son estat: le prisonnier lui ayant raconté que leur pays estoit en main d'un rude maistre, l'autre lui enjoignist qu'estant de retour il commandast à ce rude seigneur de renoncer à ses tyranniques déportemens: et déclarast que s'il continuoit sa place estoit marquée en certain siège prochain qu'il monstra au prisonnier. Et afin (dit cest esprit au prisonnier) que le seigneur dont nous parlons adjouste foy à ton rapport, di lui qu'il se souvienne du conseil secret et du propos que nous eusmes ensemble, lors que nous portions les armes en certaine guerre, et sous les chefs qu'il lui nomma. Puis il lui dit par le menu ce secret, leur accord, les paroles et promesses réciproques: lesquelles le prisonnier raconta distinctement les unes après les autres, par leur ordre, à ce seigneur, lequel fut merveilleusement estonné de ce message, s'esbahissant comme il s'estoit peu faire que les choses commises à lui seul et qu'il n'avoit jamais descouvertes à personne, lui fussent deschifrées si hardiment par un pauvre sien sujet, qui les representoit comme s'il les eust leües dedans un livre. On adjouste que le prisonnier s'estant enquis de l'autre avec lequel il devisoit es enfers s'il estoit possible et vrai que tant de gens qu'il voyoit si magnifiquement vestus, sentissent quelques tourmens? L'autre respondit qu'ils estoyent bruslez d'un feu continuel, pressez de tortures et supplices indicibles, et que tout ce parement d'or et d'escarlate n'estoit que feu ardent ainsi coulouré. Que voulant sentir si ainsi estoit, il s'estoit aproché pour toucher ceste escarlate; que l'autre l'avoit exhorté de s'en departir; mais que l'ardeur de feu lui avoit grillé tout le dedans de la main laquelle il monstroit tout rostie, et comme cuite à la braise d'un grand feu. Le pauvre prisonnier ayant esté relasché, paroissoit à ceux qui l'aborderent s'en retournant chez soi comme un homme tout hébété, qui n'oid ni ne void goutte, tousjours pensif, parlant fort peu, et ne respondant presque point aux questions qu'on lui faisoit. Son visage au reste estoit devenu si hideux, son regard tant laid et farouche, apres ce voyage qu'a peine sa femme et ses enfans le reconurent-ils: et le reconoissant, ne fut question que de cris et de larmes, le contemplant ainsi changé. Il ne vescut que fort peu de jours après ce retour, et avec beaucoup de difficulté peut-il pourvoir à ses petites afaires, tant il estoit esperdu.»
Crespet[1] décrit la marque dont Satan frappait les siens:
[Note 1: De la hayne de Sathan, p 244.]
«Or afin qu'on cognoisse que ce ne sont point songe il est tout évident, que la marque de Sathan sur les sorciers est comme lépreuse, car pour toute pointure d'alesnes et picqueures, le lieu est insensible, et c'est où on les éprouve vraiment estre sorciers de profession à telle marque car ils ne sentent la pointure non plus que s'ils étaient ladres et n'en sort jamais goutte de sang, voire jamais on ne peut faire jecter l'arme pour tout supplice qu'on leur puisse inférer.»
«Avec ce caractère ils reçoivent la puissance de nuire, de charmer, et en font aussi participans leurs enfans si couvertement ou expressément, ils donnent consentement au serment et alliance que leurs pères ont faictes avec les diables, ou bien de ce que les mères ont soubs cette intention dédié ou consacré leurs enfans aux démons dès qu'ils sont non seulement naiz mais aussi conceuz, et advient souvent que par les ministeres de ces démons quelques sorciers ont esté veu avoir deux prunelles en chaque oeil, et d'autres le pourtraict d'un cheval en l'un, et double prunelle en l'autre. Ce que s'est faict pour servir de marque et caractère de l'alliance faicte avec eux. Car les démons peuvent en graver et effigier sur la cher du tendrelet embrion tels ou semblables lignes et linéamens.»
«Ces marques, disait Jacques Fontaine[1], ne sont pas gravées par le démon sur les corps des sorciers, pour les recognoistre seulement, comme font les capitaines des compagnies de chevaux-légers qui cognoissent ceux qui sont de leur compagnie par la couleur des casaques, mais pour contrefaire le créateur de toutes choses, pour montrer sa superbe, et l'authorité qu'il a acquise sur les misérables humains que se laissent attrapper à ses cautelles et ruses pour le tenir en son service et subjection par la recognoissance des marques de leur maître. Pour les empescher en tant qu'il luy est possible, de se desdire de leurs promesses et serments de fidélité, parce qu'en luy faisan banqueroute, les marques ne demeurent pas moins tousjours sur leurs corps, pour, en cas d'accusation servir de moyen de les perdre à la moindre descouverte qu'il s'en puisse faire.»
[Note 1: Discours des marques des sorciers et de la réelle possession, etc., par Jacques Fontaine. Paris, Denis Langlois, 1611, in-12, p. 6.]
«Un accusé nommé Louis Gaufridy, qui venoit d'être condamné au feu… estoit marqué en plus de trente endroits du corps et principalement sur les reins où il avait une marque de luxure si énorme et profonde, esgard au lieu, qu'on y plantoit une esguille jusques à trois doigts de travers sans appercevoir aucun sentiment ny aucune humeur que la picqueure rendit.»
Le même auteur établit que les marques des sorciers sont des parties mortifiées par l'attouchement du doigt du diable.
«Vers 1591, on arrêta comme sorcière une vieille femme de quatre-vingts ans, mendiante en Poitou. Elle se nommait Léonarde Chastenet. Confrontée avec Mathurin Bonnevault, qui soutenait l'avoir vue au sabbat, elle confessa qu'elle y était allée avec son mari; que le diable, qui s'y montrait en forme de bouc, était une bête fort puante. Elle nia qu'elle eût fait aucun maléfice. Cependant elle fut convaincue, par dix-neuf témoins, d'avoir fait mourir cinq laboureurs et plusieurs bestiaux. Quand elle se vit condamnée pour ces crimes reconnus, elle confessa qu'elle avait fait pacte avec le diable, lui avait donné de ses cheveux, et promis de faire tout le mal qu'elle pourrait; elle ajouta que la nuit, dans sa prison, le diable était venu à elle, en forme de chat, «auquel, ayant dit qu'elle voudrait être morte, icelui diable lui avait présenté deux morceaux de cire, lui disant qu'elle en mangeât, et qu'elle mourrait; ce qu'elle n'avait voulu faire. Elle avait ces morceaux de cire; on les visita, et on ne put juger de quelle matière ils étaient composés. Cette sorcière fut donc condamnée, et ces morceaux de cire brûlés avec elle[1].»
[Note 1: Discours sommaire des sortilèges et vénéfices, tirés des procès criminels jugés au siège royal de Montmorillon, en Poitou, en l'année 1599, p. 19.]
IX.—FOURBERIES ET MÉCHANCETÉS DU DIABLE
L'argent qui vient du diable est ordinairement de mauvais aloi. Delrio conte qu'un homme, ayant reçu du démon une bourse pleine d'or, n'y trouva le lendemain que des charbons et du fumier.
Un inconnu, passant par un village, rencontra un jeune homme de quinze ans, d'une figure intéressante et d'un extérieur fort simple. Il lui demanda s'il voulait être riche; le jeune homme ayant répondu qu'il le désirait, l'inconnu lui donna un papier plié, et lui dit qu'il en pourrait faire sortir autant d'or qu'il le souhaiterait, tant qu'il ne le déplierait pas; et que s'il domptait sa curiosité, il connaîtrait avant peu son bienfaiteur. Le jeune homme rentra chez lui, secoua son trésor mystérieux, il en tomba quelques pièces d'or… Mais, n'ayant pu résister à la tentation de l'ouvrir, il y vit des griffes de chat, des ongles d'ours, des pattes de crapaud, et d'autres figures si horribles, qu'il jeta le papier au feu, où il fut une demi-heure sans pouvoir se consumer. Les pièces d'or qu'il en avait tirées disparurent, et il reconnut qu'il avait eu affaire au diable.
Un avare, devenu riche à force d'usures, se sentant à l'article de la mort, pria sa femme de lui apporter sa bourse, afin qu'il pût la voir encore avant de mourir. Quand il la tint, il la serra tendrement, et ordonna qu'on l'enterrât avec lui, parce qu'il trouvait l'idée de s'en séparer déchirante. On ne lui promit rien précisément; et il mourut en contemplant son or. Alors on lui arracha sa bourse des mains, ce qui ne se fit pas sans peine. Mais quelle fut la surprise de la famille assemblée, lorsqu'en ouvrant le sac on y trouva, non plus des pièces d'or, mais deux crapauds!… Le diable était venu, et en emportant l'âme de l'usurier, il avait emporté son or, comme deux choses inséparables et qui n'en faisaient qu'une[1].
[Note 1: Caesarii, Hist. de morientibus, cap. XXXIX Mirac. lib.
II.]
Voici autre chose: Un homme qui n'avait que vingt sous pour toute fortune se mit à vendre du vin aux passants. Pour gagner davantage, il mettait autant d'eau que de vin dans ce qu'il vendait. Au bout d'un certain temps, il amassa, par cette voie injuste, la somme de cent livres. Ayant serré cet argent dans un sac de cuir, il alla avec un de ses amis faire provision de vin pour continuer son trafic; mais, comme il était près d'une rivière, il tira du sac de cuir une pièce de vingt sous pour une petite emplette; il tenait le sac dans la main gauche et la pièce dans la droite; incontinent un oiseau de proie fondit sur lui et lui enleva son sac, qu'il laissa tomber dans la rivière. Le pauvre homme, dont toute la fortune se trouvait ainsi perdue, dit à son compagnon: Dieu est équitable; je n'avais qu'une pièce de vingt sous quand j'ai commencé à voler; il m'a laissé mon bien, et m'a ôté ce que j'avais acquis injustement[1].
[Note 1: Saint Grégoire de Tours, livre des Miracles.]
Un étranger bien vêtu, passant au mois de septembre 1606 dans un village de la Franche-Comté, acheta une jument d'un paysan du lieu pour la somme de dix-huit ducatons. Comme il n'en avait que douze dans sa bourse, il laissa une chaîne d'or en gage du reste, qu'il promit de payer à son retour. Le vendeur serra le tout dans du papier, et le lendemain trouva la chaîne disparue, et douze plaques de plomb au lieu des ducatons[1].
[Note 1: Boguet, Discours des sorciers.]
«M. Remy, dans sa Démonolâtrie[1], parle de plusieurs personnes qu'il a ouïes en jugement en sa qualité de lieutenant général de Lorraine, dans le temps où ce pays fourmilloit de sorciers et de sorcières: ceux d'entre eux qui croyoient avoir reçu de l'argent du démon, ne trouvoient dans leurs bourses que des morceaux de pots cassés et des charbons, ou des feuilles d'arbres, ou d'autres choses aussi viles et aussi méprisables.»
[Note 1: Ch. IV, ann. 1705, cité par dom Calmet, dans le Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 271.]
«Le R.P. Abram, jésuite, dans son Histoire manuscrite de l'Université de Pont-à-Mousson, rapporte, dit dom Calmet[1], qu'un jeune garçon de bonne famille, mais peu accommodé, se mit d'abord à servir dans l'armée parmi les goujats et les valets: de là ses parens le mirent aux écoles, mais ne s'accommodant pas de l'assujettissement que demandent les études, il les quitta, résolu de retourner à son premier genre de vie. En chemin il eut à sa rencontre un homme vêtu d'un habit de soie, mais de mauvaise mine, noir et hideux, qui lui demanda où il alloit, et pourquoi il avoit l'air si triste: Je suis, lui dit cet homme, en état de vous mettre à votre aise, si vous voulez vous donner à moi. Le jeune homme croyant qu'il vouloit l'engager à son service, lui demanda du tems pour y penser; mais commençant à se défier des magnifiques promesses qu'il lui faisoit, il le considéra de plus près, et ayant remarqué qu'il avoit le pied gauche fendu comme celui d'un boeuf, il fut saisi de frayeur, fit le signe de la croix, et invoqua le nom de Jésus; aussitôt le spectre disparut. Trois jours après la même figure lui apparut de nouveau, et lui demanda s'il avoit pris sa résolution: le jeune homme lui répondit qu'il n'avoit pas besoin de maître. Le spectre lui dit: Où allez-vous? Je vais, lui répondit-il, à une telle ville qu'il lui nomma. En même tems, le démon jetta à ses pieds une bourse qui sonnoit, et qui se trouva pleine de trente ou quarante écus de Flandres, entre lesquels il y en avoit environ douze qui paroissoient d'or, nouvellement frappés, et comme sortant de dessous le coin du monnoyeur. Dans la même bourse il y avoit une poudre que le spectre disoit être une poudre très subtile. En même tems il lui donnoit des conseils abominables pour contenter les plus honteuses passions, et l'exhortoit à renoncer à l'usage de l'eau bénite et à l'adoration de l'hostie qu'il nommoit par dérision ce petit gâteau. L'enfant eut horreur de ses propositions, fit le signe de la croix sur son coeur; et en même temps il se sentit si rudement jetté contre terre qu'il y demeura demi mort pendant une demi heure. S'étant relevé, il s'en retourna chez sa mère, fit pénitence et changea de conduite. Les pièces qui paroissoient d'or et nouvellement frappées, ayant été mises au feu, ne se trouvèrent que de cuivre.»
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 272.]
Le diable engage quelquefois à faire des oeuvres de piété.
«L'an 1559, dit Bodin[1], le dix-septième jour de décembre, au village de Loen, en la comté de Juilliers, le curé osa bien interroguer le diable, qui tenoit une fille assiégée, si la messe estoit bonne et pourquoy il poussoit et contraignoit la fille d'aller soudain à la messe, quand on sonnoit la cloche. Satan respondit qu'il vouloit y aviser. C'estoit révoquer en doute le fondement de sa religion et en faire juge Satan. Or Jean de Sarisber, en son Policratic, livre II, chap. XXVI, parlant de ses beaux interrogatoires, dit: Les malins esprits sont si rusez, qu'ils feignent avec beaucoup de sollicitude qu'ils ne font que par force ce qu'ils font de leur plein gré. On diroit qu'ils sont contraints, et ils font qu'on les tire des lieux où ils sont, en vertu des exorcismes: et afin que l'on n'y prenne garde de si près, ils dressent des exorcismes comme au nom du Seigneur, ou en la foy de la saincte Trinité ou en la vertu de l'incarnation et de la passion, puis les suggèrent aux hommes et obéissent aux exorcistes jusques à tant qu'ils les ayent envelopez avec eux en mesme crime de sacrilège et peine de damnation.»
[Note 1: Démonomanie, livre III, ch. dernier.]
«Jean Wier récite, continue Bodin[1], qu'il a veu une fille demoniaque en Alemagne, laquelle interrogée par un exorciste, Satan respondit qu'il faloit que la fille allast en pelerinage à Marcodur, ville eslongnée de quelques lieues, que de trois pas l'un elle s'agenouillast, et fist dire la messe sur l'autel Saincte-Anne, et qu'elle seroit délivrée, predisant le signal de sa delivrance à la fin de la messe. Ce qui fut fait, et sur la fin de la messe, elle et le prestre virent un fantosme blanc, et fut ainsi delivrée.»
[Note 1: Démonomanie, livre III, dernier chap.]
«Nous avons vu un autre exemple, dit Bodin[1], de Philippe Woselich, religieux de Cologne en l'abbaye de Kructen, lequel fut assiégé d'un démon, l'an 1550. Le malin esprit interrogué dit à l'exorciste, qu'il estoit l'âme du feu abbé, nommé Mathias de Dure, pource qu'il n'avoit payé le peintre, lequel avoit si bien peint l'image de la Vierge Marie, et que le religieux ne pouvoit estre delivré s'il n'alloit en voyage à Treves et Aix la Chapelle, ce qui fut fait; et le religieux ayant obéi fut délivré.»
[Note 1: Démonomanie, livre III, dernier chap.]
Bodin[1] cite encore cette histoire, «notoire aux Parisiens, advenue en la ville de Paris, en la rue Sainct-Honoré, au Cheval rouge. Un passementier avoit atiré sa niepce chez luy la voyant orpheline. Certain jour la fille priant sur la fosse de son père à Sainct-Gervais, Satan se présente à elle seule, en forme d'homme grand et noir, lui prenant la main et disant: M'amie, ne crain point, ton pere et ta mere sont bien. Mais il faut dire quelques messes et aller en voyage à Nostre Dame des Vertus, et ils iront droit en paradis. La fille demande à cet esprit si soigneux du salut des hommes qui il estoit: Il répondit qu'il estoit Satan, et qu'elle ne s'estonna point. La fille fit ce qui lui estoit commandé. Quoy fait il lui dit qu'il faloit aller en voyage à Sainct-Jacques. Elle respondit: Je ne sçaurois aller si loin. Depuis Satan ne cessa de l'importuner, parlant familièrement à elle seule faisant sa besogne, lui disant ces mots: Tu es bien cruelle; elle ne voudroit pas mettre ses cizeaux au sein pour l'amour de moy. Ce qu'elle faisoit pour le contenter et s'en despêcher. Mais cela fait il lui demandoit en don quelque chose, jusques à de ses cheveux, dont elle lui donna un floquet. Quelques jours après il voulut lui persuader de se jetter dedans l'eau, tantost qu'elle s'estranglast, lui mettant au col à ceste fin la corde d'un puits; mais elle cria tellement qu'il ne poursuivit point. Combien que son oncle voulant un jour la revancher fut si bien battu, qu'il demeura malade au lict plus de quatre jours. Une autre fois Satan voulut la forcer et conoistre charnellement, et pour la résistance qu'elle fit, elle fut battue jusques à effusion de sang. Entre plusieurs qui virent cette fille fut un nommé Choinin, secretaire de l'evesque de Valence, lequel lui dit qu'il n'y avoit plus beau moyen de chasser l'esprit qu'en ne lui respondant rien de ce qu'il diroit: encore qu'il commandast de prier Dieu, ce qu'il ne fait jamais qu'en le blasphémant et le conjoignant tousjours avec ses créatures par irrision. De fait Satan voyant que la fille ne lui respondoit rien, ni ne faisoit chose quelconque pour lui la print et la jetta contre terre, et de puis elle ne vid rien. M. Amiot, evesque d'Auxerre et le curé de la fille n'y avoyent sceu remédier.»
[Note 1: Au 3e livre de la Démonomanie, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables.]
Goulart raconte, d'après Hugues Horst[1] que, «l'an 1584 au marquisat de Brandebourg furent veus plus de huict vingts personnes démoniaques qui proferaient choses esmerveillables, conoissoyent et nommoyent ceux qu'ils n'avoyent jamais veus: entre ces personnes on en remarquoit qui longtemps auparavant estoyent décesdez, lesquels cheminoyent criant qu'on se repentist et qu'on quittast les dissolutions en habits, et dénonçoient le jugement de Dieu, avouans qu'il leur estoit recommandé de par le souverain de publier, maugré bongré qu'ils en eussent, qu'on s'amendast et qu'ainsy les pecheurs fussent ramenez au droit chemin. Ces démoniaques faisoyent rage par où ils passoient, vomissoyent une infinité d'outrages contre l'église, ne parloient que d'apparitions de bons et de mauvais anges; le diable se monstroit sous diverses semblances; lorsque le sermon se faisoit au temple, il voloit en l'air avec grand sifflement, et parfois crioit: Hui, Hui: semant par les places des esguillettes des pièces de monnoye d'or et d'argent.»
[Note 1: Hugues Horst, Histoire de la dent d'or de l'enfant silésien.]
«En la province de Carthagène, dit Goulart[1], quand le malin esprit veut espouvanter ceux du pays, il les menace des huracans[2]. De fait quelques fois il en suscite de si estranges, qu'ils emportent les maisons, desracinent les arbres et renversent (par maniere de dire) les montagnes sans dessus dessous. Oviedo raconte que une fois en passant sur une montagne de la terre ferme des Indes, il vid un terrible mesnage. Cette montagne (dit-il) estoit toute couverte d'arbres grands et petits entassez espais, l'un sur l'autre, l'espace de plus de trois quarts de lieue, et y en avoit beaucoup d'arrachez hors de terre avec toutes leurs racines, qui montoyent autant que tout le reste. Chose si espouvantable que seulement à la voir elle donnoit frayeur à tous ceux qui la regardoyent comme jugeans que c'estoit là plustost une oeuvre diabolique que naturelle.» (Somm. de l'Inde occidentale, chapitre II.)
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 772.]
[Note 2: Ouragans.]
Érasme rapporte dans ses épîtres cette histoire recueillie par un auteur anonyme[1]:
[Note 1: Histoires prodigieuses extraictes de plusieurs fameux
auteurs, Paris, Jean de Bordeaux, 1571, 2 vol. in-18, p. 336.]
«Mais cecy est trop plus que véritable que naguère elle (Schiltach à huit lieues de Fribourg) a esté presque toute bruslée l'an 1533, le jeudy avant Pasques, et comme cela est advenu, voicy comme on l'a déposé véritablement devant le magistrat, ainsy que je l'ay ouy réciter à Henry Glaréan: c'est que le diable faisant signe en sifflant en quelque certaine maison, du hault d'icelle, il y eut un hostellier se tenant en icelle qui estimant que ce fut quelque larron, monta en hault mais n'y trouva personne, et soudain il oyt le mesme signe plus hault encore que la première fois, il y remonte, pour suivre, et empoigner le larron s'il le trouvoit par cas d'adventure; mais y estant, il ne voit rien, trop bien entendit-il le sifflet sur le feste de la cheminée: ce qui lui feit penser que c'estoit quelque illusion et ruse diabolique, et pour ce il encouragea les siens et feit appeler les ecclésiastiques: voicy deux prestres arrivez qui font leurs exorcismes et adjurations, il respond et confesse franchement quel il estoit, et enquis à quelle fin il estoit là venu ne faignit de respondre que c'estoit pour brûler toute la susdite ville. Les gens d'église se mirent à l'adjurer, et le menacer, mais il dit qu'il ne craignoit point leurs parolles ny menaces à cause que l'un d'eux estoit paillard et tous les deux larrons. Peu de temps après, il prit et porta sur la cheminée une femme avec laquelle il avoit hanté l'espace de quatorze ans, quoyque tous les ans elle allast à confesse et reçeut le sainct sacrement, à laquelle il mit en main un pot à feu, et luy commande de l'espandre. Cas merveilleux, elle l'espand, et tout sur l'heure, toute la ville fut arse et réduite en cendres, par le fait du diable, s'aidant du ministère de cette sorcière, et laquelle fut depuis aussi bruslée.»
Camerarius[1] ajoute à propos de l'incendie diabolique de Sciltac ou Schiltach que «le feu tomboit çà et là sur les maisons, en forme de boulets enflammez, et quand quelques-uns couroyent pour aider à esteindre l'embrasement chez leurs voisins, on les rappelloit incontinent pour secourir leurs propres maisons. On eut toutes les peines du monde à empescher qu'un chasteau basti de pierre de taille, et assez loin de la ville ne fust consommé de cest embrasement. J'ay entendu les particularitez de cette terrible visitation de la bouche propre du curé du lieu et d'autres habitans dignes de foy, qui avoyent été spectateurs de tout. Le curé me racontoit que ce malin et cruel esprit contrefaisoit au naturel les chants, ramages et mélodies de divers oiseaux. Plusieurs qui me tenoyent compagnie, s'esbahissoyent avec moi de voir que ce curé avoit comme une couronne entour ses longs cheveux qu'il portoit à l'antique, toute de diverses couleurs, et disoit que cela lui avoit esté fait par cest esprit, lequel lui jetta un cercle de tonneau à la teste. Il adjoustoit que le mesme esprit lui demanda un jour et à quelques autres s'ils avoyent jamais ouy crailler un corbeau? Que là dessus cest ennemi avoit crouassé si horriblement que tous tant qu'ils estoyent demeurèrent si esperdus que si ce ramage infernal eust duré tant soit peu plus longtemps, ils fussent tous transsis de peur. Outre plus, ce vieillard affirmoit, non sans rougir, que souventes fois cest ennemi de salut deschifroit à lui et aux autres hommes qui l'accompagnoient, tous les pechez secrets par eux commis, si exactement que tous furent contraints de quiter la place et se retirer en leurs maisons: tant ils estoyent confus.»
[Note 1: Dans ses Méditations historiques, ch. LXXIV, cité par
Goulart dans son Thrésor d'histoires admirables.]
«Un jour, dit Flodoard (historien, né à Épernay en 894, et qui a écrit l'histoire de l'église de Reims), un jour, saint Remi, archevêque de Reims, était absorbé en prières dans une église de sa ville chérie. Il remerciait Dieu d'avoir pu soustraire aux ruses du démon les plus belles âmes de son diocèse, lorsqu'on vint lui annoncer que toute la ville était en feu. Alors la brebis devint lion, la colère monta au visage du saint, qui frappa du pied les dalles de l'église avec une énergie terrible et s'écria: Satan je te reconnais; je n'en ai donc pas encore fini avec ta méchanceté!
«On montre encore aujourd'hui, encastrée dans les pierres du portail occidental de Saint-Remi de Reims, la pierre où sont très visiblement empreintes les traces du pied irrité de saint Remi.
«Le saint s'arma de sa crosse et de sa chape comme un guerrier de son épée et de sa cuirasse, et vola à la rencontre de l'ennemi. A peine eut-il fait quelques pas qu'il aperçut des gerbes de flammes qui dévoraient, avec une furie que rien n'arrêtait, les maisons de bois dont la ville était bâtie et les toits de chaume dont ces maisons étaient couvertes. A la vue du saint, l'incendie sembla pâlir et diminuer. Remi, qui connaissait l'ennemi auquel il avait affaire, fit un signe de croix, et l'incendie recula.
«A mesure que le saint avançait en faisant des signes de croix, l'incendie lâchait prise et fuyait, comme fasciné devant la puissance de l'évêque; on aurait dit un être intelligent et qui comprenait sa faiblesse. Quelquefois il se raidissait; il reprenait courage; il cherchait à cerner le saint dans une enveloppe de feu, à l'aveugler, à le réduire en cendres. Mais toujours un redoutable signe de croix parait les attaques et arrêtait les ruses.
«Forcé de reculer ainsi, de lâcher succcessivement toutes les maisons qu'il avait entamées, l'incendie vint s'abattre aux pieds de l'évêque, comme un animal dompté; il se laissa prendre et conduire à la volonté du saint, hors de la ville, dans les fossés qui fortifient encore Reims. Là, Remi ouvrit une porte, qui donnait dans un souterrain; il y précipita les flammes, comme on jette dans un gouffre un malfaiteur, et fit murer la porte.
«Sous peine d'anathème, sous peine de la ruine du corps et de la mort de l'âme, il défendit d'ouvrir à jamais cette porte. Un imprudent, un curieux, un sceptique peut-être, voulut braver la défense et entr'ouvrir le gouffre. Mais il en sortit des tourbillons de flammes qui le dévorèrent et rentrèrent ensuite d'elles-mêmes dans le trou où la volonté toujours vivante du saint les tenait enchaînées…»
«Voilà bien le démon de l'incendie; voilà bien, comme le fait remarquer M. Guizot, dans la préface de Flodoard qu'il a traduit, une bataille épique, aussi belle que la bataille d'Achille contre le Xante: Le fleuve est un demi-dieu, l'incendie est un démon. C'est aussi beau que dans Homère[1].»
[Note 1: M. Didron, Histoire du diable.]
Goulart[1] rapporte, d'après Godelman[2], une histoire qui montre le dangereux fruit des imprécations: «Un gentil-homme ayant convié quelques amis, et l'heure du somptueux festin venuë, se voyant frustré par l'excuse des conviez, entre en cholere, et commence à dire: Puisque nul homme ne daigne estre chez moi, que tous les diables y vienent. Quoy dit, il sort de sa maison, et entre au temple, où le pasteur de l'église preschoit, lequel il escoute assez longtemps et attentivement. Comme il estoit là, voici entrer en la cour du logis des hommes à cheval, de haute petarure tout noirs, qui commandent au valet de ce gentil-homme d'aller dire à son maistre, que ses hostes estoyent arrivez. Le valet tout effrayé court au temple, avertit son maistre, lequel bien estonné demande avis au pasteur. Icelui finissant son sermon conseille qu'on face sortir toute la famille hors du logis. Aussi tost dit, aussi tost executé: mais de haste que ces gens eurent de desloger, ils laissèrent dedans la maison un petit enfant dormant au berceau. Ces hostes, c'est-à-dire les diables, commencent à remuer les tables, à hurler, à regarder par les fenestres, en forme d'ours, de loups, de chats, d'hommes terribles, tenans es pattes des verres pleins de vin, des poissons, de la chair rostie et bouillie. Comme les voisins, le gentilhomme, le pasteur et autres contemployent en grand frayeur un tel spectacle, le pauvre pere commence à crier: Hélas, où est mon enfant! Il avoit encore le dernier mot en la bouche, quand un de ces hostes noirs apporte en ses bras l'enfant aux fenestres et le monstre à tous ceux qui estoyent en rue. Le gentil-homme tout esperdu, se prend à dire à celui de ses serviteurs auquel il se fioit le plus: Mon ami, que feroi-je? Monsieur, répond le serviteur, je remettrai et recommanderai ma vie à Dieu, puis au nom d'icelui j'entrerai dans la maison, d'où moyennant sa faveur et son secours, je vous rapporteray l'enfant. A la bonne heure, dit le maistre, Dieu t'accompagne, t'assiste et fortifie. Le serviteur ayant reçeu la bénédiction du pasteur et d'autres gens de bien qui l'accompagnoyent, entre au logis, et aprochant du poisle où estoyent ces hostes tenebreux, se prosterne à genoux, se recommande à Dieu, puis ouvre la porte, et void les diables en horrible forme, les uns assis, les autres debout, aucuns se pourmenans, autres rampans contre le planché, qui tous accourent à lui crians ensemble: Hui, hui, que viens-tu faire ceans? Le serviteur suant de destresse, et neantmoins fortifié de Dieu, s'adresse au malin qui tenoit l'enfant, et lui dit: Ça, baille moy cest enfant. Non feray, répond l'autre: il est mien. Va dire à ton maistre, qu'il viene le recevoir. Le serviteur insiste, et dit: Je fai la charge que Dieu m'a commise, et sçai que tout ce que je fai selon icelle lui est agreable. Pourtant à l'esgard de mon office, au nom, en l'assistance et vertu de Jésus-Christ, je t'arrache et saisi cest enfant, lequel je reporte à son pere. Ce disant, il empoigne l'enfant, puis le serre estroittement en ses bras. Les hostes noirs ne respondent que cris effroyables et ces mots: Hui meschant, hui garnement, laisse, laisse cest enfant: autrement nous te despecerons. Mais lui mesprisant leurs menaces sortit sain et sauf, et rendit l'enfant de mesmes es mains du gentil-homme son père. Quelques jours après tous ces hostes s'esvanouirent, et le gentil-homme devenu sage et bon chrestien, retourna en sa maison.
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 290.]
[Note 2: En son traité De magis, veneficis, etc., liv. I, ch. I.]
Le diable aime à punir les méchants: Job Fincel[1] rapporte que «l'an 1532, un gentil-homme aleman cruel envers ses sujets, commanda à certain paysan de lui aller querir en la forest prochaine un grand chesne, et le lui amener en sa maison, à peine d'estre rudement chastié. Le paysan tenant cela comme impossible, part en souspirant et larmoyant. Entré dedans la forest, il rencontre un homme (c'estoit l'ennemi) qui lui demande la cause de sa tristesse? A quoy le paysan satisfit, l'autre lui ayant commandé de s'en retourner, promet de donner ordre que le gentil-homme auroit bien tost un chesne. A peine le paysan estoit de retour au village que son homme de la forest jette tout contre la porte du gentil-homme et en travers un des plus gros et grands chesnes qu'on eust peu choisir, avec ses branches et rameaux. Qui plus est cest arbre se rendit dur comme fer tellement qu'il fust impossible de le mettre en pieces, au moyen de quoy le gentil-homme se vid contraint à sa honte, fascherie et dispense de percer sa maison en autre endroit et y faire fenestres et portes nouvelles.»
[Note 1: Cité par Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 540.]
On trouve sur le chapitre des malices du diable des légendes bien naïves. Il y avait à Bonn, dit Césaire d'Heisterbach, un prêtre remarquable par sa pureté, sa bonté et sa dévotion. Le diable se plaisait à lui jouer de petits tours de laquais: lorsqu'il lisait son bréviaire, l'esprit malin s'approchait sans se laisser voir, mettait sa griffe sur la leçon du bon curé et l'empêchait de finir; une autre fois il fermait le livre, ou tournait le feuillet à contretemps. Si c'était la nuit, il soufflait la chandelle. Le diable espérait se donner la joie de mettre sa victime en colère; mais le bon prêtre recevait tout cela si bien et résistait si constamment à l'impatience, que l'importun esprit fut obligé de chercher une autre dupe[1].
[Note 1: Caesarii Heisterb. Miracul. lib. V, cap. LIII.]
Un historien suisse rapporte qu'un baron de Regensberg s'était retiré dans une tour de son château de Bâle pour s'y adonner avec plus de soin à l'étude de l'Écriture sainte et aux belles-lettres. Le peuple était d'autant plus surpris du choix de cette retraite, que la tour était habitée par un démon. Jusqu'alors le démon n'en avait permis l'entrée à personne; mais le baron était au-dessus d'une telle crainte. Au milieu de ses travaux, le démon lui apparaissait, dit-on, en habit séculier, s'asseyait à ses côtés, lui faisait des questions sur ses recherches, et s'entretenait avec lui de divers objets, sans jamais lui faire aucun mal. L'historien crédule ajoute que, si le baron eût voulu exploiter méthodiquement ce démon, il en eût tiré beaucoup d'éclaircissements utiles[1].
[Note 1: Dictionnaire d'anecdotes suisses, p. 82.]
Cassien parle de plusieurs esprits ou démons de la même trempe qui se plaisaient à tromper les passants, à les détourner de leur chemin et à leur indiquer de fausses routes, le tout par malicieux divertissement[1].
[Note 1: Cassiani collat. VII, cap. XXXII.]
Un baladin avait un démon familier, qui jouait avec lui et se plaisait à lui faire des espiègleries. Le matin il le réveillait en tirant les couvertures, quel que froid qu'il fît; et quand le baladin dormait trop profondément, son démon l'emportait hors du lit et le déposait au milieu de la chambre[1].
[Note 1: Guillelmi Parisiensis, partie II, princip., cap. VIII.]
Pline parle de quelques jeunes gens qui furent tondus par le diable. Pendant que ces jeunes gens dormaient, des esprits familiers, vêtus de blanc, entraient dans leurs chambres, se posaient sur leur lit, leur coupaient les cheveux proprement, et s'en allaient après les avoir répandus sur le plancher[1].
[Note 1: Pline, lib. XVI, epist. arg. 7.]
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