Curiosités Infernales
MONDE DES ESPRITS
I.—NATURE DES ESPRITS
«Il y a, dit un manuscrit de magie[1], plusieurs sortes d'esprits de différents ordres et de différents pouvoirs. Les terrestres sont les gnomes qui sont les gardiens des trésors cachés… Les nimphes résident aux eaux. Les silphes habitent dans les airs. Les salamandres habitent dans la région du feu. Il faut noter que tous ces esprits sont sous la domination des sept planètes.»
[Note 1: Opérations des sept esprits des planètes, manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 70, p. 1.]
Pour Taillepied[1], les corps des esprits sont de l'air. «Pour résolution donc de ce point, dit-il, il faut conclure que les corps des esprits, quand ils se veulent apparoistre, sont de l'air. Et comme l'eau s'amasse en glace, et quelquefois se durcit et devient cristal, ainsi l'air duquel les esprits s'enveloppent, s'espaissit en corps visible. Que si l'air ne peut suffire, ils peuvent rester parmi quelque chose de vapeur ou d'eau, pour leur donner couleur, comme nous voyons cela advenir en l'arc qui est aux nuées, lequel, comme dit le poëte au quatriesme des Énéides:
[Note 1: Traicté de l'apparition des esprits, etc., par F.-N. Taillepied.
Paris, Fr. Julliot, 1617, in-12, p. 186.]
  Du clair soleil à l'opposite estant
  Mille couleurs diverses va portant.
Il n'est pas bon d'attribuer aux esprits angéliques tant bons que mauvais, les membres de vie, comme les poulmons, le coeur et le foye: car ils ne vestent pas des corps pour les vivifier ains seulement pour se faire voir et s'en servir comme d'instruments. Il est vray qu'ils boyvent et mangent, mais ce n'est pas par nécessité, c'est afin que, se manifestant à nous par quelques arguments, ils nous donnent à entendre la volonté de Dieu.»
«Loys Vivès, au premier livre de la Vérité de la religion chrestienne, escrit, dit le même auteur[1], qu'ès terres nouvellement descouvertes n'y a chose si commune que les esprits qui apparoissent environ midy, tant ès villes comme aux champs, parlent aux hommes, leur commandent ou défendent quelque chose, les tourmentent, espouvantent et battent aussy… Olaus le Grand, archeveque d'Upsale, escrit au second livre de son Histoire des peuples septentrionaux, chapitre troisième, qu'il y a en Irlande des esprits qui apparoissent en forme d'hommes qu'on aura cogneus, ausquels ceux du pays touchent en la main avant que de sçavoir rien de la mort de ceux qu'ils touchent. Quelques-uns pensent que ce ne sont pas ames des trespassez, ains seulement démons surnommez par les anciens Lémures ou loups garoux, Faunes, Satyres, Larves ou masques, Manes, Pénates ou dieux tutélaires et domestiques, Nymphes, Demy-dieux, Luittons, Fées et d'une multitude d'autres noms; mais comme il n'y a point de répugnance que les démons, soient bons ou mauvais, ne se représentent aux hommes sous quelque forme visible, aussi, il ne répugne point que les âmes séparées ne s'apparoissent ainsy, le tout par la permission de Dieu et sa volonté.»
[Note 1: Page 100.]
Le comte de Gabalis[1] raconte que «Un jour il fut transporté en la caverne de Typhon, qui n'est pas fort esloignée des sources du Nil du costé de la Libie, par une jeune sylfe qui avoit conceu une forte passion d'amour pour luy; il y trouva une salamandre qui après un long discours qu'elle luy fit de la nature des estres spirituels et nuisibles, de leur naissance et de leur mort, ajouta: «Je suis sur le poinct de voir finir une vie qui a desjà duré 9715 ans et qui doit aller jusqu'à 9720 ans qui est l'aage des demy-dieux; voicy, comte, un présent que je vous fais dont vous ne connoistrez bien le prix qu'après que vous l'aurez gardé quelque temps, je vous prie de l'estimer pour l'amour de moy», puis elle disparut. C'estoit des secrets merveilleux escritz sur des escorces d'arbre, en langue égyptienne, que la belle sylfe luy expliqua… et d'où il prétendoit avoir tiré son excellent livre.
[Note 1: Les Sorts égyptiens, manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 94, préface.]
«Le plus célèbre des gnomes, d'après M. Alf. Maury[1], est Alberick, qui était commis à la garde du trésor des Niebelungen. Les gnomes fuient la présence du jour, habitent sous les pierres, comme nous l'apprend l'Avismal, et dans les cavernes, ainsi qu'on le dit dans les Niebelungen. Plusieurs légendes racontent comment des gnomes ont été découverts sous des pierres, derrière lesquelles ils étaient blottis. Telle est la légende dans laquelle il est question d'un de ces nains, qu'un jeune berger trouva près de Dresde, sous une pierre, et qu'il employa dès lors à garder ses troupeaux.»
[Note 1: Les Fées du moyen âge, p. 70.]
S'il y a dans le monde des esprits quelques géants, en général ils se présentent plutôt sous la forme de nains.
«Dans toutes les contrées septentrionales, les croyances relatives aux Elfes sont associées à d'autres relatives aux nains, dit M. A. Maury[1]. Les légendes sur ces êtres singuliers sont fort nombreuses en Allemagne; elles nous les représentent comme les génies de la terre et du sol; mais outre les nains proprements dits, les dwergs ou dwerfs et les bergmännchen, tout le peuple des esprits participe de ce caractère de petitesse. Les Elfes, les Nix, les Trolls nous sont représentés comme d'une taille plus qu'enfantine. Les Berstuc, les Koltk[2] n'ont que quelques pouces de hauteur. En Bretagne, il en est de même des fées ou Korrigans. Mille contes, mille Mährchen disent comment des laboureurs, des paysans les ont découverts cachés sous une motte de terre reposant à l'ombre d'un brin d'herbe[3].»
[Note 1: Les Fées du moyen âge, p. 80.]
[Note 2: Berstuc, Maskrop et Koltk sont les noms que reçoivent les nains chez les Wendes. Cf. Mash, Obotritische alterthumer, III, 39. Les nains, sont appelés en danois, dverg; en allemand, zwerg; en vieil allemand, duuerch; en flamand, dwerg; aux îles Feroe, drorg, drôrg; en écossais, duergh; en anglais, dwarf.]
    [Note 3: Voyez, par exemple, dans Keightley, la légende de
    Reichest, t. I, p. 24.]
D'après les croyances bretonnes, il existe des génies de la taille des pygmées, doués, ainsi que les fées, d'un pouvoir magique, d'une science prophétique. Mais loin d'être blancs et aériens comme celles-ci, ils sont noirs, velus et trapus; leurs mains sont armées de griffes de chat et leurs pieds de cornes de bouc; ils ont la face ridée, les cheveux crêpus, les yeux creux et petits, mais brillants comme des escarboucles, la voix sourde et cassée par l'âge.
II.—FOLLETS ET LUTINS
«Les Elfes, dit M. A. Maury[1], attachent souvent leurs services à un homme ou à une famille, et suivant les contrées, ils ont reçu dans ce cas des noms différents. On les appelle nis, kobold, en Allemagne; brownie, en Écosse; cluircaune, en Irlande; le vieillard Tom Gubbe ou Tonttu, en Suède; niss-god-drange, dans le Danemark et la Norwège; duende, trasgo, en Espagne; lutin, goblin ou follet en France; hobgoblin, puck, robin good-fellow, robin-hood, en Angleterre; pwcca, dans le pays de Galles.
[Note 1: Les Fées du moyen âge, p. 76.]
En Suisse, des génies familiers sont attachés à la garde des troupeaux; on les appelle servants. Le pasteur de l'Helvétie leur fait encore sa libation de lait.
«Le cluricaune se distingue des Elfes, parce qu'on le rencontre toujours seul. Il se montre sous la figure d'un petit vieillard, au front ridé, au costume antique; il porte un habit vert foncé à larges boutons; sa tête est couverte d'un chapeau à bords retroussés. On le déteste à raison de ses méchantes dispositions, et son nom est employé comme expression de mépris. On parvient quelquefois par les menaces ou la séduction à le soumettre comme serviteur; on l'emploie alors à fabriquer des souliers. Il craint l'homme, et lorsque celui-ci le surprend, il ne peut lui échapper. Le cluricaune connaît en général, ainsi que les nains, les lieux où sont enfouis les trésors; et, comme les nains bretons, on le représente avec une bourse de cuir à la ceinture, dans laquelle se trouve toujours un shelling. Quelquefois il a deux bourses, l'une contient alors un coin de cuivre. Le cluricaune aime à danser et à fumer; il s'attache en général à une famille, tant qu'il en subsiste un membre; il a un grand respect pour le maître de la maison, mais entre dans de violents accès de colère lorsque l'on oublie de lui donner sa nourriture.»
«En plusieurs lieux, les servants s'appellent drôles, mot qui est la corruption de troll. Les trolls sont, dans certaines légendes, de véritables génies domestiques. Dans le Perche, on trouve des croyances analogues; des servants prennent soin des animaux et promènent quelquefois d'une main invisible l'étrille sur la croupe du cheval[1]. Dans la Vendée, moins complaisants, ils s'amusent seulement à leur tirer les crins[2]. Cependant, en général, les soins de tous ces êtres singuliers ne sont qu'à moitié désintéressés, ils se contentent de peu, mais néanmoins ils veulent être payés de leur peine[3].
[Note 1: Fret, Chroniques percheronnes, tome I, p. 67. L'auteur du Petit Albert, rapporte l'histoire d'un de ces invisibles palefreniers qui, dans un château, étrillait les chevaux depuis six ans.]
[Note 2: A. de la Villegille, Notice sur Chavagne en Paillers, p. 30. Mém. des antiq. de France, nouv. série, tome VI.]
[Note 3: Suivant Shakspeare (Midsummer night's dream, Acte. II,) Robin Good Fellow est chargé de balayer la maison à minuit, de moudre la moutarde; mais si l'on n'a pas soin de laisser pour lui une tasse de crème et de lait caillé, le lendemain le potage est brûlé, le feu ne peut pas prendre.]
Don Calmet[1] raconte certains faits singuliers qu'il rapporte aux follets:
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 246.]
«Pline[1] le Jeune avoit un affranchi, nommé Marc, homme lettré, qui couchoit dans un même lit avec son frère plus jeune que lui. Il lui sembla voir une personne assise sur le même lit, qui lui coupoit les cheveux du haut de la tête; à son réveil il se trouva rasé, et ses cheveux jetés par terre au milieu de la chambre. Peu de temps après, la même chose arriva à un jeune garçon qui dormoit avec plusieurs autres dans une pension: celui-ci vit entrer par la fenêtre deux hommes vêtus de blanc, qui lui coupèrent les cheveux comme il dormoit, puis sortirent de même par la fenêtre; à son réveil, il trouva ses cheveux répandus sur le plancher. A quoi attribuer tout cela, sinon à un follet?
[Note 1: Plin. l. VII. Epist. 27 et suiv.]
«Tritheme dans sa chronique d'Hirsauge[1], sous l'an 1130, raconte qu'au diocèse d'Hildesheim en Saxe, on vit assez longtemps un esprit qu'ils appeloient en allemand Heidekind, comme qui diroit génie champêtre: Heide signifie vaste campagne, Kind, enfant. Il apparoissoit tantôt sous une forme, tantôt sous une autre; et quelquefois sans apparoître il faisoit plusieurs choses qui prouvoient et sa présence et son pouvoir. Il se mêloit quelquefois de donner des avis importants aux puissances: souvent on l'a vu dans la cuisine de l'évêque aider les cuisiniers et faire divers ouvrages. Un jeune garçon de cuisine qui s'étoit familiarisé avec lui lui ayant fait quelques insultes, il en avertit le chef de cuisine, qui n'en tint compte; mais l'Esprit s'en vengea cruellement: ce jeune garçon, s'étant endormi dans la cuisine, l'Esprit l'étouffa, le mit en pièces et le fit cuire. Il poussa encore plus loin sa fureur contre les officiers de la cuisine et les autres officiers du prince. La chose alla si loin qu'on fut obligé de procéder contre lui par censures, et de le contraindre par les exorcismes à sortir du pays.
[Note 1: Chronic. Hirsaug., ad ann. 1130.]
«Olaus Magnus dit que dans la Suède et dans les pays septentrionaux, on voyait autrefois des esprits familiers qui, sous la forme d'hommes ou de femmes, servaient des particuliers.
«Un nouveau voyage des pays septentrionaux, imprimé à Amsterdam en 1708, dit que les peuples d'Islande sont presque tous sorciers; qu'ils ont des démons familiers qu'ils nomment Troles, qui les servent comme des valets, qui les avertissent des accidents ou des maladies qui leur doivent arriver: ils les réveillent pour aller à la pêche quand il y fait bon, et s'ils y vont sans l'avis de ces génies, ils ne réussissent pas.
«Le père Vadingue rapporte d'après une ancienne légende manuscrite, dit dom Calmet[1], qu'une dame nommée Lupa, avoit eu pendant treize ans un démon familier qui lui servoit de femme de chambre, et qui la portoit à beaucoup de désordres secrets, et à traiter inhumainement ses sujets. Dieu lui fit la grâce de reconnoître sa faute, et d'en faire pénitence par l'intercession de saint François d'Assise et de saint Antoine de Padoue, en qui elle avoit toujours eu une dévotion particulière.»
[Note 1: Traité sur l'apparition des esprits, t. Ier, p. 252.]
«Cardan parle d'un démon barbu de Niphus qui lui faisait des leçons de philosophie.
«Le Loyer raconte que dans le temps qu'il étudioit en droit à Toulouse, il étoit logé assez près d'une maison où un follet ne cessoit toute la nuit de tirer de l'eau d'un puits et de faire crier la poulie. D'autres fois il sembloit tirer sur les degrés quelque chose de pesant; mais il n'entroit dans les chambres que très rarement et à petit bruit.»
«On m'a raconté plusieurs fois qu'un religieux de l'ordre de Cîteaux avoit un génie familier qui le servoit, accommodoit sa chambre, et préparoit toutes choses lorsqu'il devoit revenir de campagne. On y étoit si accoutumé, qu'on l'attendoit à ces marques, et qu'il arrivoit en effet. On assure d'un autre religieux du même ordre qu'il avoit un esprit familier qui l'avertissoit non seulement de ce qui se passoit dans la maison, mais aussi de ce qui arrivoit au dehors; et qu'un jour, il fut éveillé par trois fois, et averti que des religieux s'étoient pris de querelles et étoient prêts à en venir aux mains, il y accourut et les arrêta.
«On nous a raconté plus d'une fois qu'à Paris, dans un séminaire, il y avoit un jeune ecclésiastique qui avoit un génie qui le servoit, lui parloit, arrangeoit sa chambre et ses habits. Un jour le supérieur passant devant la chambre de ce séminariste l'entendit qui parloit avec quelqu'un; il entra, et demanda avec qui il s'entretenoit: le jeune homme soutint qu'il n'y avoit personne dans sa chambre, et en effet le supérieur n'y vit et n'y découvrit personne; cependant comme il avoit ouï leur entretien, le jeune homme lui avoua qu'il avoit depuis quelques années un génie familier, qui lui rendoit tous les services qu'auroit pu faire un domestique, et qui lui avoit promis de grands avantages dans l'état ecclésiastique. Le supérieur le pressa de lui donner des preuves de ce qu'il disoit: il commanda au génie de présenter une chaise au supérieur; le génie obéit. L'on donna avis de la chose à Monseigneur l'archevêque, qui ne jugea pas à propos de la faire éclater. On renvoya le jeune clerc, et on ensevelit dans le silence cette aventure si singulière.»
«Guillaume, évêque de Paris[1], dit qu'il a connu un baladin qui avoit un esprit familier qui jouoit et badinoit avec lui, et qui l'empêchoit de dormir, jettant quelque chose contre la muraille, tirant les couvertures du lit, ou l'en tirant lui-même lorsqu'il étoit couché. Nous sçavons par le rapport d'une personne fort sensée qu'il lui est arrivé en campagne et en plein jour de se sentir tirer le manteau et les bottes, et jetter à bas le chapeau; puis d'entendre des éclats de rire et la voix d'une personne décédée et bien connue qui sembloit s'en réjouir.»
[Note 1: Guillelm. Paris, 2 part. quaest. 2, c. 8.]
«Voici, rapporte dom Calmet[1], une histoire d'un esprit, dont je ne doute non plus que si j'en avois été témoin, dit celui qui me l'a écrite. Le comte Despilliers le père, étant jeune, et capitaine des cuirassiers, se trouva en quartier d'hiver en Flandre. Un de ses cavaliers vint un jour le prier de le changer d'hôte, disant que toutes les nuits il revenoit dans sa chambre un esprit qui ne le laissoit pas dormir. Le comte Despilliers renvoya son cavalier, et se mocqua de sa simplicité. Quelques jours après le même cavalier vint lui faire la même prière; et le capitaine pour toute réponse voulut lui décharger une volée de coups de bâton, qu'il n'évita que par une prompte fuite. Enfin il revint une troisième fois à la charge, et protesta à son capitaine qu'il ne pouvoit plus résister, et qu'il seroit obligé de déserter si on ne le changeoit de logis. Despilliers qui connoissoit le cavalier pour brave soldat et fort raisonnabe lui dit en jurant: Je veux aller cette nuit coucher avec toi et voir ce qui en est. Sur les dix heures du soir, le capitaine se rend au logis de son cavalier, et ayant mis ses pistolets en bon état sur la table, se couche tout vêtu, son épée à côté de lui, près de son soldat, dans un lit sans rideaux. Vers minuit, il entend quelque chose qui entre dans la chambre et qui en un instant met le lit sans dessus dessous et enferme le capitaine et le soldat sous le matelas et la paillasse. Despilliers eut toutes les peines du monde à se dégager, et à retrouver son épée et ses pistolets, et s'en retourna chez lui fort confus. Le cavalier fut changé de logis dès le lenmain, et dormit tranquillement chez un nouvel hôte. M. Despilliers racontoit cette aventure à qui vouloit l'entendre; c'étoit un homme intrépide et qui n'avoit jamais sçu ce que c'étoit que de reculer. Il est mort maréchal de camp des armées de l'empereur Charles VI et gouverneur de la forteresse de Segedin. M. son fils m'a confirmé depuis peu la même aventure comme l'ayant apprise de son père.»
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 267.]
III.—GNOMES. ESPRITS DES MINES. GARDES DES TRÉSORS.
«George Agricola[1] qui a sçavamment traité la matière des mines, des metaux, et de la maniere de les tirer des entrailles de la terre, reconnoit, dit dom Calmet[2], deux ou trois sortes d'esprits qui apparoissent dans les mines: les uns sont fort petits, et ressemblent à des nains ou des pygmées; les autres sont comme des vieillards recourbés et vêtus comme des mineurs, ayant la chemise retroussée et un tablier de cuir autour des reins; d'autres font, ou semblent faire ce qu'ils voient faire aux autres, sont fort gais, ne font mal à personne; mais de tous leurs travaux il ne résulte rien de réel.»
[Note 1: De mineral. subterran., p. 504.]
[Note 2: Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p, 248.]
«Lavater, cité par Taillepied[1], dit qu'un homme luy a escrit qu'à Davoise, au pays des Grisons, il y a une mine d'argent en laquelle Pierre Buol, homme notable et consul de ce lieu-là, a faict travailler ès années passées, et en a tiré de grandes richesses. Il y avoit en icelle un esprit de montagne lequel principalement le jour de vendredy, et souvent, lorsque les métaillers versoient ce qu'ils avoient tiré dans les cuves, faisoit fort de l'empescher, changeant à sa fantaisie les métaux des cuves en autres. Ce consul ne s'en soucioit autrement, car quand il vouloit descendre en la mine ou en remonter, se confiant en Jésus-Christ, s'armoit du signe de la croix, et jamais ne lui advint aucun mal. Or un jour advint que cest esprit fit plus de bruit que de coutume, tellement qu'un métailler impatient commença à l'injurier et à luy commander d'aller au gibet avec imprécation et malédiction. Lors cet esprit print le métailler par la tête, laquelle il luy tordit en telle sorte que le devant estoit droitement derrière: dont il ne mourut pas toutefois, mais vesquit depuis longtemps ayant le col tors et renversé, cognu familièrement de plusieurs qui vivent encor; quelques années après il mourut.
[Note 1: Traité sur l'apparition des esprits, p. 128-130.]
«George Agricola escrit qu'à Annenberg, en une mine qu'on appelle Couronne de rose, un esprit ayant forme de cheval tua douze hommes, ronflant et soufflant contre eux, tellement qu'il la fallut quitter, encore qu'elle fût riche d'argent.
«Semblablement, on dit qu'en la mine de Saint-Grégoire en Schueberg, il en fut veu un, ayant la teste enchaperonnée de noir, lequel print un tireur de métal et l'esleva fort haut, qui ne fut pas sans l'offenser grandement en son corps.
«Olaus Magnus, cité par dom Calmet[1], dit qu'on voit dans les mines, surtout dans celles d'argent où il y a un plus grand profit à espérer, six sortes de démons qui, sous diverses formes, travaillent à casser les rochers, à tirer les seaux, à tourner les roues, qui éclatent quelquefois de rire et font diverses singeries; mais que tout cela n'est que pour tromper les mineurs qu'ils écrasent sous les rochers ou qu'ils exposent aux plus éminents dangers pour leur faire proférer des blasphèmes ou des jurements contre Dieu. Il y a plusieurs mines très riches qu'on a été obligé d'abandonner par la crainte de ces dangereux esprits.»
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 251.]
«Les nains de la Bretagne, les bergmânnchen de l'Allemagne sont regardés, dit M. A. de Maury[1], comme d'une extrême habileté dans l'art de travailler les métaux. Les idées défavorables que l'on a sur eux les font même passer chez les Bretons, les Gallois, les Irlandais, comme de faux monnayeurs; c'est au fond des grottes, dans les flancs des montagnes, qu'ils cachent leurs mystérieux ateliers. C'est là qu'aidés souvent des Elfes et des autres génies analogues, ils forgent, ils trempent, ils damasquinent ces armes redoutables dont ils ont doté les dieux et parfois les mortels. L'un de ces forgerons nommé Wiéland ou Velant, instruit par les nains de la montagne de Kallowa, s'était acquis une immense renommée. Son nom de la Scandinavie était passé dans la France, changé en celui de Galant, Galant qui avait fabriqué Durandal, l'épée de Charlemagne, et Merveilleuse, l'épée de Doolen de Mayence. La Vilkina Saga nous dit que la mère de ce célèbre Vieland était un Elfe et son père un géant vade. Suivant d'autres traditions, il serait lui-même un licht elf. Ainsi, les Elfes, en une foule de circonstances, voient leur histoire se mêler à celle des nains. L'Edda parle aussi de l'extrême habileté des Elfes dans l'art de travailler les métaux: ce sont eux qui ont forgé Gungner, l'épée d'Odin, qui ont fait à Sifa sa chevelure d'or, à Freya sa chaîne d'or. Le cluricaune irlandais est aussi un forgeron et le paysan assure entendre souvent la montagne retentir du bruit de son marteau.»
[Note 1: Les Fées du moyen âge, p. 81-82.]
«A la ville de Greisswald et dans les environs, ajoute M. Alfred Maury[1], c'est une tradition répandue chez le peuple, que jadis, à une époque que l'on ne peut plus déterminer, le pays était habité par un grand nombre de nains. On ignore le chemin qu'ils ont suivi en s'en allant, mais on croit qu'ils se sont réfugiés dans les montagnes. Une légende prussienne raconte comment les nains qui habitaient Dardesheim furent chassés par un forgeron, et comment depuis on ne les a plus revus. Dans l'Erzgebirge, une tradition toute semblable dit que les nains ont été chassés par l'établissement des forges. Dans le Harz, même légende. Le peuple du Nord-Jutland dit que les trolls ont quitté Vendyssel pour ne plus reparaître.»
[Note 1: Les Fées du moyen âge, p. 91-92.]
«Suivant Bodin[1], Oger Ferrier, médecin fort sçavant, estant à Thoulouse, print à louage une maison près de la Bourse, bien bastie et en beau lieu, qu'on lui bailla quasi pour neant, pource qu'il y avoit un esprit malin qui tourmentoit les locataires. Mais lui ne s'en soucioit non plus que le philosophe Athenodorus, qui osa seul demeurer en une maison d'Athènes, deserte et inhabitée par le moyen d'un esprit. Oyant ce qu'il n'avoit jamais pensé, et qu'on ne pouvoit seurement aller en la cave, ni reposer quelquefois, on l'avertit qu'il y avoit un jeune escholier portugais, estudiant lors à Thoulouse, lequel faisoit voir sur l'ongle d'un jeune enfant les choses cachées. L'escholier appelé usa de son mestier, et une petite fille enquise dit qu'elle voyoit une femme richement parée de chaînes et dorures, et qui tenoit une torche en la main, près d'un pilier. Le Portugais conseilla au médecin de faire fouir en terre, dedans la cave, près du pilier, et lui dit qu'il trouveroit un thrésor. Qui fut bien aise, ce fut le médecin, lequel fit creuser. Mais lors qu'il esperoit trouver le thrésor, il se leva un tourbillon de vent, lequel esteignit la lumière, sortit par un soupirail de la cave et rompit deux toises de creneaux qui estoyent en la maison voisine, dont il tomba une partie sur l'ostvent et l'autre partie en la cave, par le soupirail, et sur une femme portant une cruche d'eau qui fut rompue. Depuis, l'esprit ne fut ouï en sorte quelconque. Le jour suivant, ce Portugais, averti du fait, dit que l'esprit avoit emporté le thrésor, et que c'estoit merveille qu'il n'avoit offensé le médecin, lequel me conta l'histoire deux jours après, qui estoit le 15 de decembre 1558, estant le ciel serein et beau comme il est d'ordinaire es-jours alcyoniens, et fus voir les creneaux de la maison voisine abatus, et l'ost de la boutique rompu.»
[Note 1: Démonomanie, liv. III, chap. III, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 629.]
«Philippe Mélanchthon, ajoute le même auteur[1], récite une histoire quasi semblable, qu'il y eut dix hommes, à Magdebourg, tuez de la ruine d'une tour lors qu'ils fossoyoient pour trouver les thrésors que Satan leur avoit enseignez. J'ay apris aussi d'un Lyonnais, qui depuis fut chapelain à l'église Notre-Dame de Paris, que lui avec ses compagnons avoyent descouvert par magie un thrésor à Arcueil près de Paris. Mais voulant avoir le coffre où il estoit, qu'il fut emporté par un tourbillon et qu'il tomba sur lui un pan de la muraille, dont il est et sera boiteux toute la vie. Et n'y a pas longtemps qu'un prestre de Nuremberg ayant trouvé un thrésor à l'aide de Satan, et sur le point d'ouvrir le coffre, fut accablé des ruines de la maison. J'ay sceu aussi d'un pratricien de Lyon, qu'ayant esté avec ses compagnons la nuict, pour conjurer les esprits à trouver un thrésor, comme ils avoient commencé de fouir en terre, ils ouyrent la voix comme d'un homme qui estoit sur la roue, près du lieu où ils creusoyent, criant espouvantablement aux larrons, ce qui les mit en fuite. Au mesme instant les malins esprits les poursuivirent battans jusques en la maison d'où ils estoyent sortis, et entrèrent dedans, faisant un bruit si grand, que l'hoste pensoit qu'il tonnast. Depuis, il fit serment qu'il n'iroit jamais cercher thrésor.
[Note 1: Au même endroit.]
Le sieur de Villamont[1] raconte ce qui suit:
[Note 1: Voyages, liv. I, chap. XXIII.]
«Près de Naples, nous trouvans au bord de la mer, joignant une montagne où l'on descend en la grotte qu'on appelle du roi Salar, nous entrasmes dedans icelle grotte avec un flambeau allumé, et cheminasmes jusques à l'entrée de certaine fosse, où nostre guide s'arresta, ne voulant passer outre. Lui ayant demandé la cause de cela, respondit que ceste entrée estoit très périlleuse et que ceux qui s'ingeroyent de passer plus avant n'en retournoyent jamais dire nouvelles aux autres: ainsi qu'arriva (dit-il) il y a environ six ans (il racontoit l'histoire au commencement de l'année 1589), au prieur de l'abbaye de Margouline, à un François et à un Aleman, lesquels arrivez à ceste fosse furent avertis par moi de n'entrer dedans. Mais se mocquant de mes admonitions prindrent chacun son flambeau pour descendre. Ce que voyans, je les y laissai entrer, sans vouloir aller en leur compagnie, les attendant toutefois à l'entrée d'icelle. Mais voyant qu'ils ne retournoyent point, je me doutai incontinent qu'ils estoyent morts, de sorte qu'estant retourné à Naples, je le récitay à plusieurs; tant qu'enfin cela vint à la connaissance des parents du prieur, qui me firent constituer prisonnier, alléguant contre moi que je l'avois fait entrer dedans, ou du moins, ne l'avois averti de l'inconvénient. Mais sur-le-champ, je prouvay le contraire et fus absous à pur et à plein. En peu de jours après on descouvrit que ces trois estoient magiciens qui avoyent entrepris de descendre en cette fosse pour y cercher un thrésor.»
«L'an 1530, dit Jean des Caurres[1], le diable monstra à un prestre, au travers d'un crystal, quelques thrésors en la ville de Noriberg. Mais ainsi que le prestre le cherchoit dedans un lieu fossoyé devant la ville, ayant pris un sien amy pour spectateur, et comme déjà il commençoit à voir un coffre au fond de la caverne, auprès duquel il y avoit un chien noir couché, il entra dedans et incontinent il fut estouffé et englouti dedans la terre, laquelle tomba dessus et remplit de rechef la caverne.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées et histoires, p. 292.]
«Dom Calmet[1], rapporte que deux religieux fort éclairés et fort sages, le consultèrent sur une chose arrivée à Orbé, village d'Alsace, près l'abbaye de Pairis.
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 274.]
«Deux hommes de ce lieu leur dirent qu'ils avoient vu dans leur jardin sortir de la terre une cassette, qu'ils présumoient être remplie d'argent, et que l'ayant voulu saisir, elle s'étoit retirée et cachée de nouveau sous la terre. Ce qui leur étoit arrivé plus d'une fois.»
Le même auteur ajoute[1]:
[Note 1: Au même endroit.]
«Théophane, historiographe grec, célèbre et sérieux, sous l'an de J.-C. 408, raconte que Cabades, roi de Perse, étant informé qu'entre le pays de l'Inde et de la Perse, il y avoit un château nommé Zubdadeyer, qui renfermoit une grande quantité d'or, d'argent et de pierreries, résolut de s'en rendre maître; mais ces trésors étoient gardés par des démons, qui ne souffroient point qu'on en approchât. Il employa, pour les conjurer et les chasser, les exorcismes des mages et des Juifs qui étoient auprès de lui; mais leurs efforts furent inutiles. Le roi se souvint du Dieu des chrétiens, lui adressa ses prières, fit venir l'évêque qui étoit à la tête de l'Eglise chrétienne de Perse, et le pria de s'employer pour lui faire avoir ces trésors, et pour chasser les démons qui les gardoient. Le prélat offrit le saint sacrifice, y participa, et étant allé sur le lieu, en écarta les démons gardiens de ces richesses, et mit le roi en paisible possession du château.»
«Racontant cette histoire à un homme de considération[1], il me dit que dans l'isle de Malthe, deux chevaliers ayant aposté un esclave qui se vantoit d'avoir le secret d'évoquer les démons, et de les obliger de découvrir les choses les plus cachées, ils le menèrent dans un vieux château où l'on croyoit qu'étoient cachés des trésors. L'esclave fit ses évocations, et enfin le démon ouvrit un rocher d'où sortit un coffre. L'esclave voulut s'en emparer, mais le coffre rentra dans le rocher. La chose recommença plus d'une fois; et l'esclave, après de vains efforts, vint dire aux chevaliers ce qui lui étoit arrivé, mais qu'il étoit tellement affaibli par les efforts qu'il avoit faits, qu'il avoit besoin d'un peu de liqueur pour se fortifier; on lui en donna, et quelque temps après, étant retourné, on ouït du bruit, l'on alla dans la cave avec de la lumière pour voir ce qui étoit arrivé, et l'on trouva l'esclave étendu mort et ayant sur toute sa chair comme des coups de canifs représentant une croix. Il en étoit si chargé qu'il n'y avoit pas de quoi poser le doigt qui n'en fût marqué. Les chevaliers le portèrent au bord de la mer, et l'y précipitèrent avec une grosse pierre pendue au col.»
[Note 1: M. le chevalier Guiot de Marre.]
«La même personne nous raconta encore à cette occasion qu'il y a environ quatre-vingt-dix ans qu'une vieille femme de Malthe fut avertie par un génie qu'il y avoit dans sa cave un trésor de grand prix, appartenant à un chevalier de très grande considération, et lui ordonna de lui en donner avis: elle y alla, mais elle ne put obtenir audience. La nuit suivante, le même génie revint, lui ordonna la même chose; et comme elle refusoit d'obéir, il la maltraita et la renvoya de nouveau. Le lendemain elle revint trouver le seigneur, et dit aux domestiques qu'elle ne sortirait point qu'elle n'eût parlé au maître. Elle lui raconta ce qui lui étoit arrivé; et le chevalier résolut d'aller chez elle, accompagné de gens munis de pieux et d'autres instruments propres à creuser: ils creusèrent, et bientôt il sortit de l'endroit où ils piochoient une si grande quantité d'eau, qu'ils furent obligés d'abandonner leur entreprise. Le chevalier se confessa à l'inquisiteur, de ce qu'il avoit fait et reçut l'absolution, mais il fut obligé d'écrire dans les registres de l'inquisition le fait que nous venons de raconter.
«Environ soixante ans après, les chanoines de la cathédrale de Malthe, voulant donner au devant de leur église une place plus vaste, achetèrent des maisons qu'il fallut renverser, et entre autres celle qui avoit appartenu à cette vieille femme; en y creusant, on y trouva le trésor, qui consistoit en plusieurs pièces d'or de la valeur d'un ducat, avec l'effigie de l'empereur Justin Ier. Le grand maître de Malthe prétendoit que le trésor lui appartenoit comme souverain de l'isle; les chanoines le lui contestoient. L'affaire fut portée à Rome. Le grand maître gagna son procès; l'or lui fut apporté de la valeur d'environ soixante mille ducats; mais il les céda à l'église cathédrale. Quelque temps après, le chevalier dont nous avons parlé, qui étoit alors fort âgé, se souvint de ce qui lui étoit arrivé, et prétendit que ce trésor lui devoit appartenir: il se fit mener sur les lieux, reconnut la cave où il avoit d'abord été et montra dans les registres de l'inquisition ce qu'il y avoit écrit soixante ans auparavant. Cela ne lui fit point recouvrer le trésor, mais c'était une preuve que le démon connoissoit et gardoit cet argent.»
«Voici l'extrait d'une lettre écrite de Kirchheim, du 1er janvier 1747, à M. Schopfflein, professeur en histoire et en éloquence à Strasbourg, et rapportée par dom Calmet[1]:
[Note 1: Ouvrage cité, p. 282-283.]
«Il y a plus d'un an que M. Cavallari, premier musicien de mon sérénissime maître, et Vénitien de nation, avoit envie de faire creuser à Rothenkirchen, à une lieue d'ici, qui étoit autrefois une abbaye renommée, et qui fut ruinée du temps de la réformation. L'occasion lui en fut fournie par une apparition que la femme du censier de Rothenkirchen avoit eue plus d'une fois en plein midi, et surtout le 7 mai, pendant deux ans consécutifs. Elle jure et en peut faire serment, qu'elle a vu un prêtre vénérable en habits pontificaux, brodés en or, qui jetta devant lui un grand tas de pierres, et quoiqu'elle soit luthérienne, par conséquent incrédule sur ces sortes de choses-là, elle croit pourtant que si elle avoit eu la présence d'esprit d'y mettre un mouchoir ou un tablier, toutes les pierres seraient devenues de l'argent. M. Cavallari demanda donc permission d'y creuser, ce qui lui fut d'autant plus facilement accordé que le dixième du trésor est dû au souverain. On le traita de visionnaire, et on regarda l'affaire des trésors comme une chose inouïe. Cependant il se moqua du qu'en dira-t-on, et me demanda si je voulois être de moitié avec lui; je n'ai pas hésité un moment d'accepter cette proposition, mais j'ai été bien surpris d'y trouver de petits pots de terre remplis de pièces d'or. Toutes ces pièces plus fines que les ducats sont pour la plupart du quatorzième et quinzième siècle. Il m'en a échu pour ma part 666, trouvées à trois différentes reprises. Il y en a des archevêques de Mayence, de Trêves et de Cologne, des villes d'Oppenheim, de Baccarat, de Bingen, de Coblens; il y en a aussi de Rupert Paladin, de Frédéric, burgrave de Nuremberg, quelques-unes de Wenceslas, et une de l'empereur Charles IV, etc.
«L'histoire qu'on vient de rapporter est rappelée, ajoute dom Calmet, avec quelques circonstances différentes, dans un imprimé qui annonce une lotterie de pièces trouvées à Rothenkirchen, au pays de Nassau, pas loin de Donnersberg. On y lit que la valeur de ces pièces est de 12 livres 10 sols, argent de France. La lotterie devait se tirer publiquement le 1er février 1750. Chaque billet étoit de six livres, argent de France.»
Bartolin, dans son livre de la Cause du mépris de la mort, que faisoient les anciens Danois, liv. II, ch. II, raconte, d'après dom Calmet[1], «que les richesses cachées dans les tombes aux des grands hommes de ce pays-là, étoient gardées par les mânes de ceux à qui elles appartenoient, et que ces mânes ou ces démons répandoient la frayeur dans l'âme de ceux qui vouloient enlever ces trésors, par un déluge d'eau qu'ils répandoient, ou par des flammes qu'ils faisoient paroître autour des monuments qui renfermoient ces corps et ces trésors.»
[Note 1: Ouvrage cité, t. I, p. 284.]
IV.—ESPRITS FAMILIERS.
«Plutarque, au livre qu'il a fait du Daemon de Socrates, tient, dit Bodin[1] comme chose très certaine l'association des esprits avec les hommes et dit que Socrates, estimé le plus homme de bien de la Grèce, disoit souvent à ses amis qu'il sentoit assiduellement la présence d'un esprit, qui le destournoit toujours de mal faire et de danger. Le discours de Plutarque est long et chacun en croira ce qu'il voudra, mais je puis assurer avoir entendu d'un personnage encore en vie l'an 1580 qu'il y avoit un esprit qui lui assistoit assiduellement, et commença à le connoistre ayant environ trente-sept ans: combien que ce personnage me disoit qu'il avoit opinion que toute sa vie l'esprit l'avoit accompagné, par les songes précédens et visions qu'il avoit eu de se garder des vices et inconvéniens. Toutesfois il ne l'avoit jamais apperceu sensiblement, comme il fit depuis l'âge de trente-sept ans: ce qui lui avint, comme il dit, ayant un an auparavant continué de prier Dieu de tout son coeur soir et matin à ce qu'il lui pleust envoyer son bon ange, pour le guider en toutes ses actions. Après et devant la prière il employoit quelque temps à contempler les oeuvres de Dieu, se tenant quelques fois deux ou trois heures tout seul assis à méditer et contempler, et cercher en son esprit, et à lire la Bible pour trouver laquelle de toutes les religions débatues de tout costez estoit la vraye. Et disoit souvent ces vers du pseaume 143:
[Note 1: Démonomanie, liv. 1, ch. II.]
  Enseigne-moi comme il faut faire,
  Pour bien ta volonté parfaire:
  Car tu es mon vrai Dieu entier.
  Fay que ton esprit débonnaire
  Me guide et meine au droit sentier.
Il blasmoit ceux qui prient Dieu qu'il les entretiene en leur opinion, et continuant ceste prière et lisant les sainctes Escritures il trouve en Philon, Hebrieu, au livre des Sacrifices que le plus grand et le plus agréable sacrifice que l'homme de bien et entier peut faire à Dieu, c'est de soi-mesme estant purifié par lui. Il suivit ce conseil offrant à Dieu son âme. Depuis il commença comme il m'a dit d'avoir des songes et visions pleines d'instructions: tantost pour corriger un vice, tantost un autre, tantost pour se garder d'un danger, tantost pour estre résolu d'une difficulté, puis d'une autre, non seulement des choses divines, mais encores des choses humaines. Entre autres il lui sembla avoir ouy la voix de Dieu en dormant, qui lui dit: Je sauverai ton âme: c'est moi qui te suis apparu ci-devant. Depuis, tous les matins, sur les trois ou quatre heures, l'esprit frappoit à sa porte: lui se leva quelquefois ouvrant la porte et ne voyoit personne. Tous les matins l'esprit continuoit: et s'il ne se levoit, il frappoit de rechef et le resveilloit jusques à ce qu'il se fust levé. Alors il commença d'avoir crainte pensant que ce fust quelque malin esprit, comme il disoit: pour ceste cause il continuoit de prier Dieu, sans faillir un seul jour, que Dieu lui envoyast son bon ange, et chantoit souvent les Psalmes qu'il sçavoit quasi tous par coeur. Et lors l'esprit se fit connoistre en veillant, frappant doucement. Le premier jour il apperceut sensiblement plusieurs coups sur un bocal de verre, ce qui l'estonnoit bien fort: et deux jours après ayant un sien ami secrétaire du Roy disnant avec lui oyant que l'esprit frappoit sur une escabelle joignant de lui, commença à rougir et craindre; mais il lui dit: N'ayez point de crainte, ce n'est rien. Toutes fois pour l'asseurer il lui conta la vérité du fait. Or il m'a asseuré que depuis cest esprit l'a toujours accompagné, lui donnant un signe sensible, comme le touchant tantost l'oreille dextre, s'il faisoit quelque chose qui ne fust bonne, et à l'oreille senestre, s'il faisoit bien. Et s'il venoit quelqu'un pour le tromper et surprendre, il sentoit soudain le signal à l'oreille dextre; si c'estoit quelque homme de bien, et qui vinst pour son bien, il sentoit aussi le signal à l'oreille senestre. Et quand il vouloit boire et manger chose qui fust mauvaise, il sentoit le signal; s'il doutoit aussi de faire ou entreprendre quelque chose, le mesme signal lui avenoit. S'il pensoit quelque chose mauvaise, et qu'il s'y arrestast, il sentoit aussi tost le signal pour s'en destourner. Et quelquesfois quand il commençoit à louer Dieu par quelque psalme ou parler de ses merveilles, il se sentoit saisi de quelque force spirituelle, qui lui donnoit courage. Et afin qu'il discernast le songe par inspiration d'avec les autres resveries qui aviennent quand on est mal disposé, ou que l'on est troublé d'esprit, il estoit esveillé de l'esprit sur les deux ou trois heures du matin; et un peu après il s'endormoit. Alors il avoit les songes véritables de ce qu'il devoit faire ou croire des doutes qu'il avoit, ou de ce qui lui devoit avenir. En sorte qu'il dit que depuis ce temps-là ne lui est advenu quasi chose dont il n'ait eu advertissement, ni doute des choses qu'on doit croire, dont il n'ait eu resolution. Vrai est qu'il demandoit tous les jours à Dieu qu'il lui enseignast sa volonté, sa loy, sa vérité… Au surplus de toutes ses actions il estoit assez joyez et d'un esprit gay. Mais si en compagnie il lui advenoit de dire quelque mauvaise parole et de laisser pour quelques jours à prier Dieu, il estoit aussi tost adverti en dormant. S'il lisoit un livre qui ne fust bon, l'esprit frappoit sur le livre, pour le lui faire laisser, et estoit aussi tost destourné s'il faisoit quelque chose contre sa santé, et en sa maladie gardé soigneusement… Surtout il estoit adverti de se lever matin, et ordinairement dès quatre heures, il dit qu'il ouyt une voix en dormant qui disoit: Qui est celui qui le premier se lèvera pour prier? Aussi dit-il qu'il estoit souvent adverti de donner l'aumosne; et lorsque plus il donnoit l'aumosne, plus il sentoit que ses afaires prosperoyent. Et comme ses ennemis avoyent délibéré de le tuer, ayans sceu qu'il devoit aller par eau, il eust vision, en songe, que son père lui amenoit deux chevaux, l'un rouge et l'autre blanc; qui fust cause qu'il envoya louer deux chevaux, que son homme lui amena, l'un rouge et l'autre blanc, sans lui avoir dit de quel poil il les vouloit. Je lui demanday pourquoy il ne parloit à l'esprit? Il me fit responce qu'une fois il le pria de parler à lui: mais qu'aussi tost l'esprit frappa bien fort contre sa porte, comme d'un marteau, lui faisant entendre qu'il n'y prenoit pas plaisir, et souvent le destournoit de s'arrester à lire et escrire pour reposer son esprit et à méditer tout seul, oyant souventes fois en veillant une voix bien fort subtile et inarticulée. Je lui demanday s'il avoit jamais veu l'esprit en forme. Il me dit qu'il n'avoit jamais rien veu en veillant, hors-mis quelque lumière en forme d'un rondeau, bien fort claire. Mais un jour estant en extrême danger de sa vie, ayant prié Dieu de tout son coeur, qu'il lui plust le préserver, sur le poinct du jour entre-sommeillant dit qu'il apperceut sur le lict où il estoit couché, un jeune enfant vestu d'une robe blanche, changeant en couleur de pourpre, d'un visage de beauté esmerveillable: ce qu'il asseuroit bien fort. Une autre fois, estant aussi en danger extreme, se voulant coucher, l'esprit l'en empescha, et ne cessa qu'il ne fust levé; lors il pria Dieu toute la nuict sans dormir. Le jour suivant Dieu le sauva de la main des meurtriers d'une façon estrange et incroyable. Après s'estre eschappé du danger, dit qu'il ouit en dormant une voix qui disoit: Il faut bien dire qui en la garde du haut Dieu pour jamais se retire. Pour le faire court, en toutes les difficultez, voyages, entreprises qu'il avoit à faire, il demandoit conseil à Dieu. Et comme il priait Dieu qu'il lui donnast sa bénédiction, une nuict il fut advis en dormant qu'il voyoit son père qui le bénissoit.»
«Il y a, dit Bodin[1], un gentilhomme en Picardie, auprès de Villiers-Costerets, qui avoit un esprit familier en un anneau, duquel il vouloit disposer à son plaisir, et l'asservir comme un esclave, l'ayant acheté bien cher d'un Espagnol; et d'autant qu'il lui mentoit le plus souvent, il jetta l'anneau dedans le feu, pensant y jetter l'esprit aussi, comme si cela se pouvoit enclorre. Depuis il devint furieux et tourmenté du diable.»
[Note 1: Démonomanie, liv. II, ch. III.]
Au récit de Paul Jove[1], Corneille Agrippa avait un chien noir qui n'était autre que le diable, lequel lui apprenait ce qui se passait partout. Ce chien noir se tenait dans le cabinet de Corneille Agrippa couché sur des tas de papiers, pendant que son maître travaillait. Au moment de mourir et pressé de se repentir, Agrippa ôta à ce chien un collier de clous qui formaient des inscriptions magiques, et lui dit d'un ton affligé: Va-t'en, malheureuse bête, qui es cause de ma perte. Ce chien voyant son maître prêt à expirer alla se précipiter dans le Rhône.
[Note 1: Elogia virorum illustrium. Venise, 1546, in-fol.]
«J'ay connu un personnage, dit Bodin[1], lequel me descouvrit une fois qu'il estoit fort en peine à cause d'un esprit qui le suivoit et se présentoit à lui en plusieurs formes: de nuict le tiroit par le nez, l'esveilloit, le battoit souvent, et quoy qu'il le priast de laisser reposer, il n'en vouloit rien faire; et le tourmentoit sans cesse lui disant: Commande moi quelque chose: et qu'il estoit venu à Paris pensant qu'il le deust abandonner, ou qu'il y peust trouver remede à son mal, sous ombre d'un proces qu'il estoit venu solliciter. J'apperçus bien qu'il n'osoit pas me descouvrir tout. Lui demandant quel profit il avoit eu de s'assujettir à tel maistre, il me dit qu'il pensoit parvenir aux biens et honneurs, et sçavoir les choses cachées: mais que l'esprit l'avoit toujours abusé; que pour une vérité il disoit trois mensonges, et ne l'avoit jamais sceu enrichir d'un double, ni faire jouir de celle, qu'il aimoit, principale occasion qui l'avoit induit à l'invoquer, et qu'il ne lui avoit aprins les vertus des plantes, ni des pierres, ni des sciences secrettes, comme il esperoit, et qu'il ne lui parloit que de se venger de ses ennemis, ou faire quelque tour de finesse et de meschanceté. Je lui dis qu'il estoit aisé de se défaire d'un tel maistre, et sitost qu'il viendroit, qu'il appelast le nom de Dieu à son aide et qu'il s'adonnast à servir Dieu de bon coeur. Depuis je n'ay veu le personnage, ni peu sçavoir s'il s'estoit repenti.»
[Note 1: Démonomanie, liv. II, ch. III.]
PRODIGES
I.—PRODIGES CÉLESTES
«L'an 1500, dit Goulart[1] d'après Conrad Licosthenes[2], qui avait recueilli toutes ces histoires de Job Fincel, de Marc Frytsch, et de plusieurs autres, l'on vit en Alsace, près de Saverne, une teste de taureau, entre les cornes de laquelle estincelloit une fort grande estoile.
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 46 et suiv.]
[Note 2: De prodigiis et ostentis.]
«En la même année, le vingt uniesme jour de may, sur la ville de Lucerne en Suisse, se vid un dragon de feu, horrible à voir, de la grosseur d'un veau, et de douze pieds de long, lequel vola vers le pont de la rivière de Russ qui y passe.
«L'an 1503, en la duché de Bavière, sur une villette nommée Vilsoc, fut veu un dragon couronné et jettant des flammes de feu par la gorge.
«Sur la ville de Milan, en plein jour, le ciel net et serain, furent veuës plusieurs estoiles merveilleusement luisantes.
«Au commencement de janvier l'an 1514, environ les huit heures du matin, en la duché de Witemberg furent veus trois soleils au ciel. Celui du milieu estoit beaucoup plus grand que les autres. Tous les trois portoient la figure d'une longue espée, de couleur luisante et marquettée de sang, dont les poinctes s'estendoyent fort avant. Cela avint le douziesme jour du mois. Le lendemain sur la ville de Rotvil on vid le soleil monstrant une face effroyable, environné de cercles de diverses couleurs. Deux jours auparavant, et le dix-septième de mars suivant, furent veus trois soleils, et trois lunes aussi l'onziesme de janvier et le dix-septiesme de mars. Jacques Stopel, médecin de Memminge fit un ample discours et prognostic sur ces apparitions suivies de grands troubles, notamment en Souabe.
«En l'année 1520, les bourgeois de Wissembourg, ville assise au bord du Rhin, entendirent un jour en plein midi bruire estrangement en l'air un horrible cliquetis d'armes, et des courses de gens combatans et crians comme en bataille rangée. Ce qui donna telle espouvante que tous coururent aux armes, pensans que la ville fust assiégée et que les ennemis fussent près des portes.
«Lorsque l'empereur Charles V fut couronné en la ville d'Aix-la-Chapelle, on vid le soleil environné d'un grand cercle, avec un arc en ciel. En la ville d'Erford furent veus trois soleils. Outre plus un chevron ardant terrible à regarder à cause de sa masse et de sa longueur. Ce chevron baissant en terre, y fist un grand degast, puis remontant en l'air, se convertit en forme de cercle.
«Job Fincel, en son recueil des Merveilles de nostre temps, remarque que l'an 1523, un paysan de Hongrie, faisant quelque voyage avec son chariot, fut surpris de la nuict et contraint demeurer à la campagne pour y attendre le jour. Ayant dormi quelque temps il se resveille, descend du chariot pour se promener, et, regardant en haut, vid en l'air les semblances de deux princes combatans avec les espées es mains l'un contre l'autre. Il y en avoit un de haute taille et robuste: l'autre estoit plus petit et portoit une couronne sur la teste. Le grand mit bas et tua le petit, puis luy ayant osté la couronne la jetta comme contre terre, tellement qu'elle fut despecée en diverses pièces. Trois ans après, Ladislas, roy de Hongrie, fut tué en bataille par les Turcs.
«En l'an 1525 fut veu en Saxe, environ le trespas de l'électeur Frédéric, surnommé le Sage, le soleil couronné d'un grand cercle entier et tout rond, resemblant en couleur l'arc céleste. Au mois d'aoust de la mesme année, le soleil se monstra l'espace de quelques jours ainsi qu'une grosse boule de feu allumée et de toute autre couleur que l'ordinaire. S'ensuivit tost après la sédition des paysans en Alemagne.
«L'an 1528, environ la mi-may, sur la ville de Zurich furent veus quatre parélies environnez de deux cercles entiers et le soleil entouré de quatre petits cercles. Au mesme an, la ville d'Utrecht, estroitement assiégée et finalement prinse par les Bourguignons, apparut en l'air un prognostic de ce malheur, dont les habitants furent aussi merveilleusement estonnez. C'est à sçavoir une grande croix qu'on surnomme de sainct André, laquelle estoit de couleur blafarde et hideuse à voir.
«Le septiesme jour de février 1536, environ minuict, furent veus au ciel, sur un quartier d'Espaigne, deux hommes armez, et courans sus l'un à l'autre avec l'espée au poing; l'un portoit au bras gauche une rondelle où estoit peint un aigle avec ce mot autour, Regnabo, c'est-à-dire Je régnerai. L'autre avoit un grand bouclier avec une estoile et un croissant et cette inscription Regnavi, c'est-à-dire J'ai régné. Celui qui portoit l'aigle renversa l'autre.
«En l'an 1537, le premier jour de février, fut veu en Italie un aigle volant en l'air, portant au pied droict une bouteille et au gauche un serpent entortillé, suivi d'un nombre innombrable de pies. Au même temps fut veue aussi en l'air une croix bourguignonne de diverses couleurs. Quinze jours auparavant, fut veue en Franconie, entre Pabenberp et la forest de Turinge, une estoile de grandeur merveilleuse, laquelle s'estant abaissée peu à peu se réduisit en forme d'un grand cercle blanc, dont tost après sortirent des tourbillons de vent et des touffes de feu, qui tombans en terre, firent fondre des pointes de picques, fers et mords de cheval, sans offenser homme ni édifice quelconque.
«Le vingt-neuviesme jour de mars 1545, environ les huict heures du matin, cheut es environs de Cracovie un esclat de fouldre après un tonnerre si impétueux que toute la Pologne en fust esmeue. Incontinent aparurent au ciel trois croix roussastres, entre lesquelles estoit un homme armé de toutes pièces, lequel, avec une espée ardante, combatoit une armée, laquelle il desfit: et là-dessus survint un horrible dragon lequel engloutit cest homme victorieux. Incontinent le ciel s'ouvrit comme tout en feu, et fut ainsi veu l'espace d'une bonne heure. Puis aparurent trois arcs en ciel avec leurs couleurs acoustumées, sur le plus haut desquels estoit la forme d'un ange comme on le représente en figure de jeune homme qui a des ailes aux espaules, tenant un soleil en l'une de ses mains, une lune en l'autre. Ce deuxiesme spectacle ayant duré une demi-heure en présence de tous ceux qui voulurent le voir, quelques nuées s'eslevèrent qui couvrirent ces aparences.
«Un jour d'octobre 1547, environ les sept heures du matin, fut veue au pays de Saxe la forme d'une bière de trespassé couverte d'un drap noir, chamarré d'une croix de couleur rousse, précédée et suivie de plusieurs figures d'hommes en dueil, chacun d'iceux portant une trompette dont ils commencerent à sonner si haut que les habitans du pays en entendoyent aisement le bruit. En ces entrefaites aparut un homme armé de toutes pieces, de terrible regard, lequel desgaignant son espée coupa une partie du drap, puis de ses deux mains deschira le reste, quoi fait lui et tous les autres s'esvanouyrent.
«Au mois de juin 1553, furent veus en l'air serain et descouvert, sur la ville de Cobourg, entre cinq et six heures du soir, diverses sortes d'hommes, puis des armées qui se donnoyent bataille, et un aigle voltigeant, les ailes tout espandues. En juillet furent veus au ciel deux serpens entrelassez, se rongeans l'un l'autre, et au milieu d'eux une croix de feu. En cette mesme année décéda le duc George, prince d'Anhalt, excellent théologien. Le jour qu'il trespassa, l'on apperceut de nuict au ciel sur la ville de Witteberg une croix bleue. Quelques jours devant la bataille donnée entre Maurice, duc de Saxe et Albert, marquis de Brandebourg, l'image d'un grand homme apparut es nuées en un endroit de Saxe. Du corps de cest homme, lequel paroissoit nud, commença tout premier à découler du sang goute après goute, puis on en vid sortir des étincelles de feu, finalement il disparut peu à peu.
«L'onziesme jour de janvier 1556, vers les montagnes qui ceignent d'un costé la ville d'Augsbourg, le ciel s'ouvrit, et sembla se fendre, dont tous furent merveilleusement estonnez: surtout à cause des cas pitoyables qui avindrent incontinent après. Car au mesme jour le messager d'Augsbourg tua d'un coup de pistole certain capitaine aux portes de la ville. Le lendemain la femme d'un forgeur d'espées, estimant faire un grand butin, tua dedans sa maison un marchant. Incontinent après sa servante se tua soi-mesme d'un coup de cousteau. Un jour après, en querelle, un boucher fut renversé mort d'un coup d'espée: et deux villages furent tous bruslez. Le quinziesme jour du mesme mois, le garde de la forest de Saincte-Catherine fut transpercé et trouvé occis d'un coup de harquebuse. Et le dix-septiesme, un valet d'orfevre, poussé de désespoir, se noya. La nuict suivante, plusieurs furent blessez à mort par les rues.
«En divers jours et mois de la mesme année 1556 furent remarquées autres apparitions; comme en février furent veus au ciel sur la comté de Boets des armées à pied et à cheval qui combatoyent furieusement. Au mois de septembre, sur une villette du marquisat de Brandebourg, nommée Custrin, environ les neuf heures du soir, on vid infinies flammesches de feu saillans du ciel, et au milieu deux grands chevrons ardans. Sur la fin fut entendue une voix criant: Malheur, malheur à l'Église!
«Wolfgang Strauch, de Nuremberg, escrit que l'an 1556, sur une ville de Hongrie qu'il nomme Babatscha, fut veue, le sixiesme jour d'octobre, peu avant soleil levant, la semblance de deux garçons nuds combatans en l'air avec le cimeterre es mains et le bouclier es bras. Celui qui portoit en son bouclier un aigle double chamailla si rudement sur l'autre dont le bouclier portoit un croissant, qu'il sembla que le corps navré de plusieurs playes tombast du ciel en terre. Au mesme temps et lieu fut veu l'arc en ciel avec ses couleurs accoustumées et aux bouts d'icelui deux soleils. Non gueres loin d'Augsbourg fut veu au ciel le combat d'un ours contre un lyon, au mois de decembre en la mesme annee; et à Witteberg, en Saxe, le sixiesme jour d'icelui mois, trois soleils et une nuée tortue marquetée de bleu et de rouge, estendue en arc, le soleil paroissant pasle et triste entre les parélies.
Fr. des Rues[1] rapporte que «L'an 1558, veille de Pasques, s'esleva de terre sur le midi en la lande de Raoul en Normandie un tourbillon tel, qu'il entrainoit tout ce qui lui estoit à la rencontre, enfin se haussant en l'air, parut une colonne coulourée de rouge et de bleu, qui l'accompagnoit et s'arresta en l'air. Cependant on voyoit des flesches et dards qui s'eslançoyent contre ceste colonne, sans que l'on vist ceux qui les descochoyent: et au haut du tourbillon, sur la colonne, l'on entendoit crier des oiseaux de diverses sortes voltigeans à l'entour. Ce tourbillon fut suivi de griefve mortalité au pays.»
[Note 1: Dans ses Antiquitez de France.]
«Après la considération des nues, dit Gaffarel[1] vient celle de la pluye en laquelle on ne peut rien lire que par la troisième espèce de lecture qui est par hieroglyphe, et de ce genre est la pluye de sang ou de couleur rouge tombée en Suisse l'an 1534, laquelle se formait en croix sur les habits. Jean Pic a immortalisé ce prodige par une longue suite de vers, dont ceux-ci expriment nettement l'histoire:
[Note 1: Curiositez inouyes.]
  Permixtam crucem rubro spectavimus olim
  Nec morum discrimen erat sacer alque prophanus
  Jam conspecta sibi gestabant mystica Patres
  Conscripti et pueri, conscriptus sexus aterque
  Et templa et vestes, a summa Caesari aula
  Ad tenues vicos, ad dura mapalia ruris
  Cernere erat liquido deductum ex aethere signum.
Ces gouttes d'eau ne formaient pas seulement des croix sur les vetements mais encore sur les pierres et sur la farine, conséquence assuree, dit Gaffarel, qu'il y avait quelque chose de divin.
«La neige, la gresle et la gelée, continue le même auteur, portent encore quelquefois des charactères bien estranges, et dont la lecture n'est pas à mespriser. On a souvent veu de la gresle sur laquelle on a remarqué ou la figure d'une croix, ou d'un bouclier, ou d'un coeur, ou d'un mort, et si nous ne méprisions pas ces merveilles, nous lirions sans doute dans l'advenir la vérité de ces figures hieroglyphiques. Faict quelques ans qu'en Languedoc, un de mes amis, se trouvant à la chasse, fut estonné par le bruit extraordinaire du tonnerre et d'un vent fort violent; il pensa de se mettre à l'abry, mais comme il estoit bien avant dans le bois, jugeant qu'avant la pluie qui suit ordinairement cet orage, il ne pourrait arriver à sa maison, il choisit la couverture d'un rocher, sous lequel après qu'il eust demeuré l'espace d'un quart d'heure, que la malice du temps estoit passée avec une légère pluie il se remit en route malgré la grele.
Mais comme il prit garde que cette grele estoit faite à son advis autrement que la commune, il s'arrête pour la considérer, il en prend une, et veid en même temps, prodige espouventable! qu'elle portait la figure d'un casque, d'autres un escusson, et d'autres une espée. Ce nouveau prodige l'estonne, et l'appréhension de quelque malheur luy fit reprendre le chemin du rocher, où il ne fut pas plustost arrivé, qu'il tomba si grande quantité de gresle et avec telle violence qu'elle tua, non pas seulement les oyseaux, mais quantité d'autres animaux. Il me souvient d'avoir veu le mesme autrefois en Provence… Quelque temps après, le Languedoc veit ses campagnes couvertes de soldats et les places rebelles assiégées et assaillies avec tant de sang répandu que le seul souvenir en sera à jamais funeste.»
Goulart[1] rapporte que «Au mois de novembre de l'année 1523 fut veue une comete et tost apres le ciel tomba tout en feu, lançant une infinité d'esclairs et foudres en terre, laquelle trembla, puis survindrent des estranges ravines d'eaux, notamment au royaume de Naples. Peu après s'ensuivit la prise de François Ier, roi de France; l'Allemagne fut troublée d'horribles séditions, Louys, roi de Hongrie, fut tué en bataille contre les Turcs. Il y eut par toute l'Europe de merveilleux remuements. Rome fut prinse et pillée par l'armée impériale.
[Note 1: Thrésor des histoires admirables.]
«En cette mesme année de la prinse et du sac de Rome, à sçavoir l'an 1527, on vid une comete plus effroyable que les précédentes. Après icelle survindrent les terribles ravages des Turcs en Hongrie, la famine en Souabe, Lombardie et Venise, la guerre en Suisse, le siege de Viene, en Autriche, la suete en Angleterre, le desbord de l'Océan en Hollande et Zélande, où il noya grande estendue de pays, et un tremblement de terre de huict jours durant en Portugal.»
«La plus redoutable des cometes de notre temps, ajoute le même auteur, fut celle de l'an 1527. Car le regard d'icelle donna telle frayeur à plusieurs qu'aucuns en moururent, autres tombèrent malades. Elle fut veue de plusieurs milliers d'hommes paraissant fort longue et de couleur de sang. Au sommet d'icelle fut veue la représentation d'un bras courbé tenant une grande espée en sa main, comme s'il eust voulu frapper. Au bout de la pointe de cette espée, il y avoit trois estoiles: mais celle qui touchoit droitement la pointe estoit plus claire et plus luisante que les autres. Aux deux costez de cette comete se voyaient force haches, poignards, espées sanglantes, parmi lesquelles on remarquait un grand nombre de testes d'hommes descapitez, ayant les barbes et cheveux hérissez horriblement. Et qu'a veu l'espace de soixante-trois ans l'Europe, sinon les horribles effects en terre de cest horrible présage au ciel?»
II.—ANIMAUX PARLANTS
Un ancien auteur[1] nous rappelle plusieurs histoires d'animaux parlants:
[Note 1: Le chois de plusieurs histoires et autres choses mémorables, p. 648 et suiv.]
«Quelquefois, dit-il, Dieu fait parler les bestes brutes pour enseigner les créatures humaines en leur ignorance. Une asnesse me servira de caution, laquelle comme elle portait Balaam sur son dos, apperceut l'ange du Seigneur. A raison de quoy elle se destourna de la voye pour luy ceder la place: mais Balaam qui ne sçavoit point la cause de ce desvoyement, battit avec exceds ceste simple beste, toutes les trois fois qu'elle s'estoit desplacée de son chemin, pour la reverance qu'elle portoit au serviteur de Dieu: et à cause de ce respectueux devoir, le Seigneur disposa la bouche de l'asnesse à proferer tels propos: «Quel sujest t'ay-je donné pour estre si rudement frapée de toy d'un baston par trois diverses reprises? Ne suis-je pas ta beste qui t'ay tousiours fidelement porté jusques à ce jour? Et n'eust esté la reverance que j'ai referé à l'ange du Seigneur, je ne me fusse retiré du chemin par lequel je t'ay fort souvent porté en toutes les affaires.» Ces paroles finies, Dieu dessilla les yeux de Balaam pour contempler l'ange tenant un glaive nud en la main, et lors il s'inclina en terre, et adora ce messager du Tout-Puissant, qui luy fit une reprimende pour avoir outragé son asnesse, mesme luy dit qu'il estoit sorti tout expres pour estre son adversaire à cause de sa vie perverse, et du tout esloignée des ordonnances du Seigneur. Ce n'est donc à tort que nous sommes envoyez par les sages à l'escolle des bestes, l'instinct naturel desquelles Dieu fortifie souventes fois de la parole, pour recevoir d'elles quelque instruction en nos impiétés.
«Quelque temps auparavant la mort de Caesar, dictateur, un boeuf, tirant à la charrue, se tourna vers le laboureur qui le pressoit par trop à la besongne, et luy dit qu'à grand tort il le frappoit, parce que la récolte des bleds seroit si abondante qu'il ne se trouveroit pas assez d'hommes pour les manger.
«Sur la fin de l'empire de Domitian, l'on entendit une corneille prononcer ces mots en grec: Toutes choses prendront un heureux succeds, voulant par là signifier que les injustices et severitez de Domitian devoient bien tost prendre fin avec sa vie, selon qu'il advint. Car la benignité et clemence de Nerva et Trajan succédèrent à l'arrogance et cruauté de Domitian, au grand contentement de tout l'empire romain.
«Le seigneur de Moreuil, père de Joachime de Soissons, dame de Crequi, estoit si adonné au plaisir de la chasse, qu'il ne se contentoit point d'y emploier les jours ouvriers, mais davantage desroboit à l'Eglise catholique les festes pour les prophaner à tels vains exercices. Tellement qu'un jour il se seroit monstré si aveuglé et refroidy de devotion que d'aller courir un lievre le jour du vendredy sainct, au lieu qu'il ne devoit bouger de l'Eglise pour vacquer à prières et contemplation de la douloureuse mort de Jesus-Christ, qui avoit esté flagellé et attaché à l'arbre de la croix, ce jour-là, pour la rédemption de nos âmes. Mais son péché fut tallonné de près d'une grande repentance. Car il courut un lievre qui luy fit tant de ruses et de hourvaris que non seulement il eschapa de la poursuite des chiens, et rendit vaine l'expérience des veneurs, mais davantage ce maistre lievre se mettant sur son derriere tourna les yeux devers ledit seigneur de Moreuil, en luy disant: «Que t'en semble? n'ay-je pas bien couru pour un courtault?» Cest estrange prodige donna une telle espouvante à ce seigneur, qu'il ne pouvoit assez tost retrouver son chasteau pour se debotter et aller à l'Eglise, à celle fin que par sa penitence et prieres il peust expier l'énormité de son offence, faisant voeu que delà en avant il ne prostitueroit plus les jours de festes en la vanité de tels plaisirs, ains les passeroit en toutes sainctes occupations. Or comme l'asnesse de Balaam se plaignoit à son maistre d'avoir esté batue quand elle honora l'ange de Dieu, tout de mesme le lievre fit cognoistre au seigneur de Moreuil qu'il ne devoit estre si maltraicté de ses veneurs et chiens en un jour plus convenable aux oeuvres pieuses qu'à se donner du plaisir.»
EMPIRE DES MORTS
I.—AMES EN PEINE. LAMIES ET LÉMURES.
Suivant Loys Lavater[1]: «Quelquefois un esprit se montrera en la maison, ce qu'appercevant, les chiens se jetteront entre les jambes de leurs maîtres et n'en voudront partir, car ils craignent fort les esprits. D'autrefois quelqu'un viendra tirer ou emporter la couverture du lit, se mettra dessus ou dessous icelle, ou se pourmenera par la chambre. On a veu des gens à cheval ou à pied comme du feu, qu'on cognoissoit bien et qui estoyent morts auparavant. Parfois aussi ceux qui estoyent morts en bataille ou en leur lict venoyent appeler les leurs, qui les cognoissoyent à la voix. Souventes fois on a veu la nuict des esprits trainans les pieds, toussans et souspirans, lesquels estans interroguez, se disoyent estre l'esprit de cestui ou de cestui là. Estans de rechef enquis comme on pourroit les aider, requeroyent qu'on fit dire des messes, qu'on allast en pèlerinage et qu'ainsi ils seraient délivrés. Puis après sont apparus en grande magnificence et clarté, disant qu'ils estoyent délivrés et remercyoient grandement leurs bienfaiteurs: promettans d'intercéder pour eux envers Dieu et la vierge Marie.»
[Note 1: Des apparitions des esprits, etc.]
«Mélanchthon, dit le même auteur[1], en son Traité de l'âme escrit avoir eu lui mesme plusieurs apparitions, et connu plusieurs personnes dignes de foy qui affirmoyent avoir parlé à des esprits. En son livre intitulé Examen ordinandorum, il dit avoir eu une tante soeur de son père, laquelle demeurée enceinte après la mort de son mari, ainsi qu'elle estoit assise près du feu, deux hommes entrent en sa maison, l'un desquels ressembloit au mari mort, et se donnoit a conoistre pour tel, l'autre de fort haute taille, estoit vestu en cordelier. Celui qui ressembloit au mari s'approche du fouyer, salue sa femme, la prie de ne s'estonner point, disant qu'il venoit lui donner charge de faire quelque chose. Sur ce, il commande au cordelier de se retirer dedans le poisle. Et ayant devisé longuement avec la femme, lui parlant de prestres et de messes, estant prest à partir, il lui dit, tendant sa main: Touchez là; mais pour ce qu'elle estoit saisie d'estonnement, il l'asseura qu'elle n'auroit aucun desplaisir. Ainsi donc elle le toucha et combien que la main d'icelle ne devinst impotente, tant y a qu'il la brusla tellement qu'elle fut tousiours nouée depuis. Cela fait, il appelle le cordelier, puis tous deux disparurent.
[Note 1: Livre I, ch. XIV.]
Suivant Le Loyer[1], «Jean Pic de la Mirandole apparut à Hierosme Savonarolle, jacobin ferrarais, et luy dist qu'il souffrait les peines du purgatoire pour n'avoir assez fait profiter le talent que Dieu luy avait donné et pour avoir faict fort peu de cas des révélations intérieures à luy faictes, qui l'advertissaient de continuer ses honnêtes travaux et achever ce qu'il avait pourpensé en son esprit. Et ne craignit point Savonarolle de dire en plein sermon la révélation qu'il avait eue, admonestant ses parents et amis de prier et faire prier Dieu pour son âme.»
[Note 1: Discours et histoires des spectres, p. 649.]
«Les trespassez, dit Jean des Caurres[1], recognoissent les biens qu'on leur faict, comme a esté cogneu de nostre temps, en la cité de Ponts, près Narbonne, où trespassa un escolier qui estoit excommunié, pour le salaire qu'il devoit à un sien regent, à la cité de Rhodes, l'esprit duquel parla à son amy, le priant s'en aller audit Rhodes querir son absolution, ce que son compagnon luy accorda, et s'en allant, passa par les montagnes chargées de neige; ledict esprit l'accompagnoit tousiours, et parloit à luy sans qu'il veit rien. Et à cause que le chemin estoit couvert de neige, l'esprit lui ostoit la neige et luy monstroit le chemin. Après avoir obtenu l'absolution de l'évesgue de Rhodes, l'esprit le conduit derechef à Saint-Ponts, et donna l'absolution au corps mort comme est la coustume en l'Eglise catholique, et ledit esprit et ame du trespassé, ayans tous, print congé de luy, le remerciant et promettant luy rendre le service.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 377.]
Ils se vengent aussi de ce qu'on leur manque de parole:
«Aux gestes de Charles le Grand, on lit, dit des Caurres[1], qu'un de ses capitaines pria un sien compagnon que s'il mouroit en la bataille, qu'il donnast un beau cheval qu'il avoit pour son ame. Luy trespassé, son compagnon voyant la beauté du cheval, le tient pour luy. Douze jours après, le trespassé s'apparut à luy, se lamentant, que à faute de n'avoir donné le cheval en aumosne pour son ame, il avoit demouré douze jours en peine, et qu'il en porteroit la peine. Pour quoy mourut soudain.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 377.]
«J'ai vu, dit Bodin[1], un jeune homme prisonnier l'an 1590 qui avoit tué sa femme en cholère, et avoit eu sa grace qui lui fut intériné, lequel néanmoins se plaignoit qu'il n'avoit aucun repos, estant toutes les nuicts battu par icelle, comme il disoit. Les anciens tenoyent que les ames des occis souvent pourchassent la vengeance des meurtriers. Nous lisons en Plutarque que Pausanias, roy de Lacedemone, estant à Constantinople, on lui fit présent d'une jeune damoiselle… Entrant, de nuit en la chambre, elle fit tomber la lumière, ce qui esveilla Pausanias en sursaut, et pensant qu'on voulust le tuer en tenebres; tout effrayé il print sa dague, et tua la demoiselle sans connoistre qui elle estoit. Dès lors Pausanias fut incessamment tourmenté d'un esprit jusques à la mort, qui ressembloit (comme il disoit) à la damoiselle.»
[Note 1: Démonomanie, livre II, ch. III.]
Selon Taillepied[1]: «Si un brigand s'approche du corps qu'il aura occis, le mort commencera à escumer, suer, et donner quelque autre signe. Platon au neufviesme livre de ses loix, dit que les ames des meurtris poursuivent furieusement, et souvent, les ames des meurtriers. A l'occasion de quoy Marsile Ficius, au seiziesme livre de l'Immortalité des âmes, chapitre cinquiesme, estime qu'il advient que si un meurtrier vient où sera à descouvert le corps de celuy qu'il aura fraischement tué, et il approche près pour regarder et contempler la playe, le sang en sortira de rechef. Ce qu'aussi Lucrèce affirme estre véritable, et les juges l'ont observé… Quand un voleur sera assis à table, s'il advient que quelque verre de vin soit espandu, le vin ne tombera de côté ne d'autre, ains percera la table…
[Note 1: Traité de l'apparition des esprits p. 139.]
«D'après Jean de Caurres[1], saint Augustin au II de Civitate Dei parle de Tiberius Graccus, duquel aussi fait mention Saluste de Bello Jugurtino, lequel fut meurdry estant tribun du peuple, et comment après sa mort, son frère Caius Graccus, aspiroit audit office odieux au peuple, la nuict en dormant luy apparut la face de son frère, luy disant que s'il acceptoit ledit office, qu'avoit esté cause de sa mort, qu'il mourroit de mesme mort que luy, ce qu'advint.
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 377.]
«Valère au premier[1], qui parle des songes et des miracles recite de Simonides, lequel venant à un port de mer par navire, trouva audict port un homme mort, non ensevely, lequel il ensevelit. Et pour recompense de ceste oeuvre de charité l'esprit appartenant à ce corps, la nuict, en dormant, parla à luy, en demonstrant qu'il se gardast le matin de monter sur le navire s'il aymoit ne point mourir. Simonides creut, et estant au port, il vit devant ses yeux perir le navire et tous ceux qui estoient avec luy. Le jour precedent, ledit Simonides encore receut une autre bénéfice, pour avoir ensevely celuy que dessus: car soupant chez Stophas, au village de Cyanone en Thessale, voicy un messager qui vient à luy soudain, disant qu'il y avoit à l'huys deux jeunes jouvenceaux qui instamment demandoient parler à luy: parquoy il sortit sur l'heure, et s'en alla à l'huys, et ne trouva aucun. Et estant là, le soupoir où Stophas, et autres invités faisoient grande chere, tomba et tous moururent à ceste ruine, hormis le Simonides.
[Note 1: En son premier livre.]
«Avenzoar Albamaaron, medecin arabe mahométiste, escrit comment luy estant malade d'une grande maladie des yeux, un sien amy medecin; desia trespassé, luy apprint en dormant la medecine pour sa maladie, par laquelle il guarit.
Loys Lavater[1] rapporte, d'après Manlius, en ses Lieux communs, le fait suivant:
[Note 1: De l'apparition des esprits, liv. I, ch. II.]
«Théodore Gaza, docte personnage, avoit obtenu en don du pape certaine mestairie. Son fermier fossoyant un jour en certain endroit trouva une buye ou urne, en laquelle y avoit des os. Sur ce un fantosme lui aparut et commanda de remettre cette urne en terre, autrement son fils mourroit. Et pour ce que le fermier ne tint conte de cela, bien peu de temps apres son fils fut tué. Au bout de quelques jours le fantosme retourna, menassant le fermier de lui faire mourir son autre fils, s'il ne remettoit en terre l'urne et les os qu'il avoit trouvés dedans. Le fermier ayant pensé à soy, en voyant son autre fils tombé malade, conta le tout à Théodore, lequel estant allé en sa mestairie, et au lieu d'où le fermier avoit tiré l'urne, fit refaire une fosse au mesme endroit, où ils cachèrent et l'urne et les os; ce qu'estant fait, le fils du fermier recouvra incontinent la santé.»
«Il y avoit, dit Jean des Caurres[1], en Athenes, une grande maison, mais fort descriée et dangereuse. Lorsqu'il estoit nuict, on y entendoit un bruict, comme de plusieurs fers, lequel commençoit premièrement de loin: mais puis estant approché plus pres, il sembloit que ce fut le bruit de quelques menotes, ou des fers que l'on met aux pieds des prisonniers. Incontinent apparoissoit la semblance d'un vieil homme tout atténué de maigreur et rempli de crasse, portant une longue barbe, et les cheveux hérissés. Il avoit les fers aux pieds, et des menotes aux mains, qu'il faisoit cliqueter. Et aussi ceux qui habitoient la dedans, passoient les miserables nuicts sans dormir, estans remplis de peur et d'horreur: dont ils tomboient en maladie, et en la fin, par augmentation de la peur, ils mouroient. Car le long du jour encore que l'image fut absente, si est-ce que la mémoire leur en demeuroit en l'entendement: si bien que la premiere crainte estoit cause d'une plus longue. Ainsi la maison descriée demeura deserte, et du tout abandonnée à ce monstre. Toutefois on y avoit mis un escriteau pour la vendre ou louer à quelqu'un qui par aventure ne seroit adverty du faict. Or sus ces entrefaictes, le philosophe Athenodore vint en Athènes. Il leut l'escriteau, il sceut le prix, et soupçonnant par le bon marché qu'on luy en faisoit, et s'en estant enquis, on luy en dist la verité. Ce nonobstant il la loua de plus grande affection. Le soir approchait, il commanda que l'on fist son lict en la première partie de la maison. Il demanda ses tablettes à escrire, sa touche, sa lumière, et laissa tous ses domestiques au dedans. Et à fin que son esprit oisif ne luy fantastiquast les espouvantails et craintes, dont on luy avoit parlé, il se mit attentivement à escrire, et y employa, non seulement les yeux, mais aussi l'esprit et la main. La nuict venue, il entendit le fer qui cliquetoit: toutefois il ne leva point l'oeil, et ne laissa d'escrire, mais il s'asseura davantage, et presta l'aureille. Alors le bruit augmenta, redoubla et approcha: tellement qu'il l'entendoit desia comme à l'entrée, puis au dedans. Il regarde, et voit, et recognoist la semblance de laquelle on luy avoit parlé. Elle estoit debout, et lui faisoit signe du doigt, comme si elle l'eust appellé. Et luy au contraire luy faisoit signe de la main qu'elle attendist un petit. Derechef il se mit à escrire. Mais elle vint sonner ses chaisnes à l'entour de la teste de l'écrivain, lequel la regarda comme auparavant. Et voyant qu'elle lui faisoit signe, tout soudainement il prit sa lumière, et la suyvit. Elle alloit lentement comme si elle eust eu peine à marcher, à cause de ses fers. Et incontinent qu'elle fut au milieu de la maison, elle se disparut et laissa le philosophe tout seul. Lequel print quelques herbes et feuilles, pour marquer le lieu auquel elle l'avoit laissé. Le jour suivant il s'en alla vers le magistrat, et l'advertit de faire fouiller au lieu marqué. On trouva des os entrelassez de chaisnes, que le corps pourry par la terre, et par la longueur du temps, avoit quitté aux fers, lesquels estant rassemblez furent enterrez publiquement, et n'y eust onques depuis esprit qui apparust en la maison.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 388.]
Goulart[1] rapporte l'histoire suivante:
[Note 1: Trésor des histoires admirables, t. I, p. 543.]
«Jean Vasques d'Ayola et deux autres jeunes Espagnols partis de leur pays pour venir estudier en droit à Boulogne la Grasse, ne pouvant trouver logis commode pour faire espargne, furent avertis qu'en la rue où estoit leur hostellerie y avoit une maison déserte et abandonnée, à cause de quelques fantosmes qui y apparoissoyent, laquelle leur seroit laissée pour y habiter sans payer aucun louage, tandis qu'il leur plairoit y demeurer. Eux acceptent la condition, sont mesmes accommodez de quelques meubles, et font joyeusement leur mesnage en icelle l'espace d'un mois, au bout duquel comme les deux compagnons d'Ayola se fussent couchez d'heure, et lui fust en son estude fort tard, entendant un grand bruit comme de plusieurs chaisnes de fer, que l'on bransloit et faisoit entrechoquer, sortit de son estude, avec son espée, et en l'autre main son chandelier et la chandelle allumée, puis se planta au milieu de la salle, sans resveiller ses compagnons, attendant que deviendroit ce bruit, lequel procedoit à son advis du bas des degrez du logis respondant à une grande cour que la salle regardoit. Sur ceste attente, il descouvre à la porte de ces degrez un fantosme effrayable, d'une carcasse n'ayant rien que les os, traînant par les pieds et le faut du corps ces chaisnes qui bruioyent ainsi. Le fantosme s'arreste, et Ayola s'acourageant commence à le conjurer, demandant qu'il eust à lui donner à entendre en façon convenable ce qu'il vouloit. Le fantosme commence à croiser les bras, baisser la teste, et l'appeler d'une main pour le suivre par les degrez. Ayola respond: Marchez devant et je vous suivray. Sur ce le fantosme commence à descendre tout bellement, comme un homme qui traîneroit des fers aux pieds, suivi d'Ayola, duquel la chandelle s'esteignit au milieu des degrez. Ce fut renouvellement de peur: néantmoins, s'esvertuant de nouveau, il dit au fantosme: Vous voyez bien que ma chandelle s'est amortie, je vay la r'allumer; si vous m'attendez ici, je retourneray incontinent. Il court au foyer, r'allume la chandelle, revient sur les degrez, où il trouve le fantosme et le suit. Ayant traversé la cour du logis, ils entrent en un grand jardin, au milieu duquel estoit un puits; ce qui fit douter Ayola que le fantosme ne lui nuisît: pourtant il s'arresta. Mais le fantosme se retournant fit signe de marcher jusques vers un autre endroit du jardin: et comme ils s'avançoyent celle part, le fantosme disparut soudain. Ayola resté seul commence à le rappeler, protestant qu'il ne tiendroit à lui de faire ce qu'il seroit en sa puissance; et attendit un peu. Le fantosme ne paroissant plus, l'Espagnol retourne en sa chambre, resveille ses compagnons, qui le voyant tout pasle, lui donnerent un peu de vin et quelque confiture, s'enquerans de son avanture, laquelle il leur raconta. Tost après le bruit semé par la ville de cest accident, le gouverneur s'enquit soigneusement de tout, et entendant le rapport d'Ayola en toutes ses circonstances, fit fouiller en l'endroit où le fantosme estoit disparu. Là fut trouvée la carcasse enchaînée ainsi qu'Ayola l'avoit veuë, en une sépulture peu profonde, d'où ayant esté tirée et enterrée ailleurs avec les autres, tout le bruit qui paravant avoit esté en ce grand logis cessa. Les Espagnols retournez en leur pays, Ayola fut pourvu d'office de judicature: et avoit un fils président en une ville d'Espagne du temps de Torquemada, lequel fait ce discours en la troisième journée de son Hexameron.»
Taillepied[1] raconte le fait suivant: «Environ l'an 1559, un gentilhomme d'un village près de Meulan sur Seine, seigneur de Flins, avoit ordonné par testament qu'on ensevelist son corps avec ses ancetres en la ville de Paris. Quand il fut trespassé, son fils héritier ne s'en souciant beaucoup d'exécuter la volonté de son père le fit inhumer dans l'église dudit village. Mais advint que l'esprit du père fit tant grand bruit et tourmente dans la chambre du fils qui couchoit en son lict à Paris que le fils fut contrainct d'envoyer des saquemans (pillards, voleurs) qu'il loua à prix d'argent, pour aller deterrer le corps dudit trespassé, et le faire apporter au lieu où il avait esleu sa sépulture. Le lendemain matin je fus à ce village, en un jour de dimanche, où l'histoire me fut récitée tout au long, et y avoit dans l'église une si grande puanteur de ce corps qui avoit esté levé le jour précédent, qu'on n'y pouvoit aucunement durer pour l'infection.»
[Note 1: Traité de l'apparition des esprits, p. 123.]
«En Islande, dit Jean des Caurres[1], qui est une isle vers Aquilon des dernières en laquelle, au solstice de l'esté, n'y a nulle nuit, et à celuy de l'hyver n'y a nul jour, il y a une montagne nommée Hecla, qui est bruslante comme Ethna, et là bien souvent les morts se monstrent aux gens qui les ont cogneus, comme s'ils estaient vifs: en sorte que ceux qui n'ont sceu leur mort, les estiment vivans. Et revelent beaucoup de nouvelles de loin pays. Et quand on les invite de venir en leurs maisons, ils respondent avec grands gemissemens qu'ils ne peuvent, mais faut qu'ils s'en aillent à la montaigne de Hecla, et soudain disparaissent, et ne les voit-on point. Et communément apparoissent ceux qui ont esté submergez en la mer, ou qui sont morts de quelque mort violente.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 378.]
Adrien de Montalembert[1] raconte cette histoire d'Antoinette, jeune religieuse de l'abbaye de Saint-Pierre à Lyon et d'une grande piété, qui parlait souvent de l'abbesse du monastère, morte dans le repentir après une vie déréglée et se recommandait à elle:
[Note 1: La merveilleuse histoire de l'esprit qui depuis naguères est apparu au monastère des religieuses de Saint-Pierre de Lyon, laquelle est plaine de grant admiration, comme l'on pourra voir à la lecture de ce présent livre, par Adrien de Montalembert Paris, 1528, in-12.]
«Or advint une nuit que la dicte Antoinette, jeune religieuse, estoit toute seule en sa chambre, en son lict couchée et dormoit non point trop durement si luy fut advis que quelque chose luy levoit son queuvrechef tout bellement et luy fesoit au front le signe de la croix puis doulcement et souef en la bouche le baisoit. Incontinent la pucelle se réveille non point grandement effrayée ains tant seulement esbahye, pensant a par soy que ce pourroit estre qui l'auroit baisée et de la croix signée, entour d'elle rien n'apperçoit… pour cette fois la pucelle ne y prinst pas grand advis cuydant qu'elle eust ainsi songé et n'en parla a personne.
Advint aucuns jours après qu'elle ouyt quelque chose entour d'elle faisant aucun son, et comme soubz ses pieds frapper aucuns petiz coups, ainsi qui heurteroit du bout d'un baston dessoubz ung carreau ou un marchepied. Et sembloit proprement que ce qui fesoit ce son et ainsi heurtoit fust dedans terre profondement; mays le son qui se faisoit estoit ouy quasi quatre doys en terre tousjours soubz les piedz de la dicte pucelle. Je l'ay ouy maintes fois et en me repondant sur ce que l'enqueroys frapoit tant de coups que demandoys. Quand la pucelle eut ja plusieurs fois entendu tel son et bruyt estrange elle commença durement s'esbahir, et toute espouvantée le compta a la bonne abbesse, laquelle bien la sceut réconforter et remectre en bonne asseurance non pensant à autre chose qu'à la simplesse de la pucelle. Et pour mieulx y pourvoir ordonna qu'elle coucheroit en une chambre prochaine d'elle si que la pucelle n'eust sceu tant bellement se remuer que incontinent ne l'eust ouye.
«Les povres religieuses de léans furent toutes esperdues de prime face, ignorans encore que c'estoit. Si vindrent premièrement au refuge à nostre Seigneur et se misrent toutes en bon estat. Et fut interroguée la pucelle diligemment assavoir que lui sembloit de ceste adventure. Elle respond qu'elle ne sçait que ce pourroit estre si ce n'estoit seur Alis la secrétaine pourtant que depuys son trespas souvant l'avoit songée et veue en son dormant. Lors fut conjuré l'esperit pour sçavoir que c'estoit. Il respondit qu'il estoit l'esperit de seur Alis véritablement de léans jadis secrétaine. Et en donna signe évident. La chose fut assez facile à croyre par ce que moult tousjours avoit aymé la pucelle. L'abbesse, voyant ce, délibéra apres soy estre conseillée envoyer quérir le corps de la trespassée et pour ce fut enquise l'âme premierement si elle vouldroit que son corps fust léans en terre. Elle incontinent donna signe que moult le désiroit; adonc la bonne dame abbesse l'envoya déterrer et amener honnestement en l'abbaye. Cependant l'ame menoit bruit entour la pucelle a mesure que son corps de léans approuchait de plus en plus. Et quand il fut à la porte du monastère moult se démenoit en frappant et en heurtant dessoubz les pieds de la pucelle. Durant aussi que les dames faisoient le service de ses funérailles ne cessoit et n'avoit aucun repos. Bonnemens ne sçait-on pourquoy ainsy se démenoit cette ame ou pour la douleur qu'elle enduroit ou pour le plaisir qu'elle avoit de veoir son corps en son abbaye dont jadis elle estoit partie. Le service achevé fut mys en une fousse la casse ou cercueil qui contenoit les ossements en une petite chapelle de Notre-Dame, sans les couvrir aultrement fors d'ung drap mortuaire. Et ainsi me fust montré.
«Or sachez sire que cest esperit ne faisoit aucun mal, frayeur ne destourbier a créature, ains les dames de léans le tindrent depuys à grande consolation pourtant que le dit esperit faisoit signe de grand resjouissance quand l'on chantoit le service divin et quand l'on parloit de Dieu fust à l'esglise ou aultre part. Mais jamais n'estoit ouy si la pucelle n'estoit présente, car jour et nuict luy tenoit compaignie et la suyvoit; ny oncques puis ne l'abandonna en quelque lieu qu'elle fust. Je vous diray grand merveille de ceste bonne ame. Je luy demanday en la conjurant ou nom de Dieu assavoir si incontinent qu'elle fut partie de son corps elle suyvit ceste jeune religieuse. L'ame respondit que ouy véritablement ny jamais ne l'abandonneroit que ne vollast au ciel pour jouyr de la vision éternelle entièrement. Ce sçay bien véritablement car ce luy ay je demandé depuys et l'ay ouy maintes fois. Et moult estoit famyliere de moy. Et par elle ont esté sceuz de grans cas qui ne pourroient estre congneuz de mortelle créature dont je me suys donné grand admiration et merveilles. Les secretz de Dieu sont inscrutables et aux ignorants incrédibles. Mais ceulx qui ont ouy et veu telles choses certes l'en les doit croire plus entièrement.»
II.—REVENANTS, SPECTRES, LARVES.
Goulart[1] rappelle cette histoire d'après Job Fincel[2]: «Un riche homme de Halberstad, ville renommée en Allemagne, tenoit d'ordinaire fort bonne table, se donnant en ce monde tous les plaisirs qu'il pouvoit imaginer, si peu soigneux de son salut, qu'un jour il osa vomir ce blasphème entre ses escornifleurs, que s'il pouvoit tousiours passer ainsi le temps en délices, il ne désireroit point d'autre vie. Mais au bout de quelques jours et outre sa pensée, il fut contraint mourir. Après sa mort on voyoit tous les jours en sa maison superbement bastie, des fantosmes survenant au soir, tellement que les domestiques furent contraints cercher demeure ailleurs. Ce riche aparoissoit entre autres, avec une troupe de banquetteurs en une sale qui ne servoit de son vivant qu'à faire festins. Il estoit entouré de serviteurs qui tenoyent des flambeaux en leurs mains, et servoyent sur table couverte de coupes et gobelets d'argent doré, portans force plats, puis desservans: outre plus on oyoit le son des flustes, luths, espinettes et autres instrumens de musique, bref, toute la magnificence mondaine dont ce riche avoit eu son passetemps en sa vie. Dieu permit que Satan représentast aux yeux de plusieurs de telles illusions, afin d'arracher l'impiété du coeur des Epicuriens.»
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 539.]
[Note 2: Au IIe livre des Merveilles de notre temps.]
Des Caurres[1] raconte «comment l'an 1555 en une bourgade, près de Damas en Syrie, nommée Mellula, mourut une femme villageoise, qui demeura six jours au sepulchre; le septiesme jour elle commença à crier dessous terre, à la voix de laquelle s'assemblèrent une grande multitude de gens et appelèrent les parens et mary de la defuncte, devant lesquels elle fut tirée vive du sepulchre et ressuscitée. Et voulant son mary la conduire à sa maison, ne vouloit, mais à grande instance demandoit estre amenée à l'église des chrestiens, ce que le mary et parens ne vouloient: mais elle persistait à prier qu'on la y menast, car vouloit estre baptisée et estre chrestienne. Les parens indignez la menèrent à la grande ville de Damas, et la livreront ez mains de la justice, à fin que comme hérétique elle fut punie. Le bruit en courut par tout le pays. Dont s'assembla en Damas une infinité de peuple pour ceste chose nouvelle. Elle fut présentée à celuy qui est juge des choses appartenans à la religion, le cadi, à laquelle dit le juge: O insensée! veux-tu suivre la foy damnée des chrestiens pour estre condamnée à damnation éternelle en enfer? Auquel respondit, disant: Je veux estre chrestienne pour évader les peines que tu dis, à cause que nul n'est sauvé que les chrestiens: à laquelle respondit le cadi: Et quelle certitude as-tu de cecy? Elle respond que tous ceux laquelle avoit cogneu en leur vie qui estoient trespassez, les avoit tous veus en enfer. Alors crièrent tous ceux qui estoient la présens: Adonc nous sommes tous damnez? elle respond qu'ouy; ce que entendant, le peuple avec grande fureur la voulurent lapider, les autres crioient que comme infidelle fut bruslée. Le cadi dit qu'il n'en estoit pas d'avis, afin que les chrestiens ne s'en glorifiassent au grand mespris d'eux et de leur foy, mais pour nostre gloire traittons la comme folle et insensée et la renvoyons pour telle, par instrument public. Ce que fut fait; à l'heure ceste bonne femme s'en vint à l'église des chrétiens, et receut la foy et le baptesme: et depuis vesquit avec les chrestiens en la religion chrestienne, et en icelle mourut.»
[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 376.]
«Certain Italien, dit Alexandre d'Alexandrie[1], ayant fait enterrer honnestement un sien ami trespassé, et comme il revenoit à Rome, la nuict l'ayant surpris, il fut contraint s'arrester en une hostellerie, sur le chemin, où, bien las de corps et affligé d'esprit, il se met en la couche pour reposer. Estant seul et bien esveillé, il lui fut avis que son ami mort, tout pasle et descharné, lui aparoissoit tel qu'en sa dernière maladie, et s'aprochoit de lui, qui levant la teste pour le regarder et transi de peur, l'interrogue, qu'il estoit? Le mort ne respondant rien se despouille, se met au lict, et commence à s'approcher du vivant, ce lui sembloit. L'autre ne sçachant de quel costé se tourner, se met sur le fin bord, et comme le défunct aprochoit tousiours, il le repousse. Se voyant ainsi rebuté, ce fut à regarder de travers le vivant, puis se vestir, se lever du lict, chausser ses souliers et sortir de la chambre sans plus aparoir. Le vivant eut telles affres de ceste caresse, que peu s'en falut aussi qu'il ne passast le pas. Il recitoit que quand ce mort aprocha de lui dans le lict, il toucha l'un de ses pieds, qu'il trouva si froid que nulle glace n'est froide à comparaison.»
    [Note 1: Au IIe livre de ses Jours géniaux, ch. IX, cité par
    Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 533.]
Goulart[1] rapporte, d'après divers auteurs résumés par Camerarius[2], les apparitions des morts dans certains cimetières: «Un personnage digne de foy, dit-il, qui avoit voyagé en divers endroits de l'Asie et de l'Egypte, tesmoignoit à plusieurs avoir veu plus d'une fois en certain lieu, proche du Caire (où grand nombre de peuple se trouve, à certain jour du mois de mars, pour estre spectateur de la résurrection de la chair, ce disent-ils), des corps des trespassez, se monstrans, et se poussans comme peu à peu hors de terre: non point qu'on les voye tout entiers, mais tantost les mains, parfois les pieds, quelquesfois la moitié du corps: quoi faict ils se recachent de mesme peu à peu dedans terre. Plusieurs ne pouvans croire telles merveilles, de ma part désirant en sçavoir de plus près ce qui en est, je me suis enquis d'un mien allié et singulier ami, gentilhomme autant accompli en toutes vertus qu'il est possible d'en trouver, eslevé en grands honneurs, et qui n'ignore presque rien. Iceluy ayant voyagé en pays susnommez, avec un autre gentil-homme aussi de mes plus familiers et grands amis, nommé le seigneur Alexandre de Schullembourg, m'a dit avoir entendu de plusieurs que ceste apparition estoit chose très-vraye, et qu'au Caire et autres lieux d'Egypte on ne la revoquoit nullement en doute. Pour m'en asseurer d'avantage, il me monstra un livre italien, imprimé à Venise, contenant diverses descriptions des voyages faits par les Ambassadeurs de Venise en plusieurs endroits de l'Asie et de l'Afrique: entre lesquels s'en lit un intitulé Viaggio di Messer Aluigi, di Giovanni, di Alessandria nelle Indie. J'ay extrait d'icelui, vers la fin quelques lignes tournées de l'italien en latin (et maintenant en françois) comme s'ensuit. Le 25e jour de mars, l'an 1540, plusieurs chrestiens, accompagnez de quelques janissaires, s'acheminèrent du Caire vers certaine montagnette stérile, environ à demi lieue de là, jadis désignée pour coemitiere aux trespassez: auquel lieu s'assemble ordinairement tous les ans une incroyable multitude de personnes, pour voir les corps morts y enterrez, comme sortans de leurs fosses et sepulchres. Cela commence le jeudi, et dure jusques au samedi, que tous disparoissent. Alors pouvez-vous voir des corps envelopez de leurs draps, à la façon antique, mais on ne les void ni debout, ni marchans: ains seulement les bras, ou les cuisses, ou autres parties du corps que vous pouvez toucher. Si vous allez plus loin, puis revenez incontinent, vous trouvez que ces bras ou autres membres paroissent encore d'avantage hors de terre. Et plus vous changez de place, plus ces mouvements se font voir divers eslevez. En mesmes temps il y a force pavillons tendus autour de la montagne. Car et sains et malades qui vienent là par grosses troupes croyent fermement que quiconque se lave la nuict precedente le vendredi, de certaine eau puisée en un marest proche de là, c'est un remede pour recouvrer et maintenir la santé, mais je n'ai point veu ce miracle. C'est le rapport du Venitien. Outre lequel nous avons celui d'un jacopin d'Ulme, nommé Félix, qui a voyagé en ces quartiers du Levant, et a publié un livre en alemand touchant ce qu'il a veu en la Palestine et en Egypte. Il fait le mesme récit. Comme je n'ai pas entrepris de maintenir que ceste apparition soit miraculeuse, pour confondre ces superstitieux et idolastres d'Egypte, et leur monstrer qu'il y a une resurrection et vie à venir, ni ne veux non plus refuter cela, ni maintenir que ce soit illusion de Satan, comme plusieurs estiment; aussi j'en laisse le jugement au lecteur, pour en penser et résoudre ce que bon lui semblera.»
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 42.]
[Note 2: Méditations historiques, ch. LXXIII.]
«J'adjousteray, dit Goulart, quelque chose à ce que dessus, pour le contentement des lecteurs. Estienne du Plais, orfevre ingénieux, homme d'honneste et agreable conversation, aagé maintenant d'environ quarante-cinq ans, qui a esté fort curieux en sa jeunesse de voir divers pays, et a soigneusement consideré diverses contrées de Turquie et d'Egypte, me fit un ample recit de ceste apparition susmentionnée, il y a plus de quinze ans, m'affermant en avoir esté le spectateur Claude Rocard, apoticaire à Cably en Champagne, et douze autres chrestiens, ayans pour trucheman et conducteur un orfevre d'Otrante en la Pouille, nommé Alexandre Maniotti, il me disoit d'avantage avoir (comme aussi firent les autres) touché divers membres de ces ressuscitans. Et comme il vouloit se saisir d'une teste chevelue d'enfant, un homme du Caire s'escria tout haut: Kali, kali, anté matarafdé: c'est-à-dire, Laisse, laisse, tu ne sçais que c'est de cela. Or, d'autant que je ne pouvois bonnement me persuader qu'il fust quelque chose de ce qu'il me contoit apporté de si loin, quoy qu'en divers autres récits, conferez avec ce qui se lit en nos modernes, je l'eusse toujours trouvé simple et veritable, nous demeurasmes fort longtemps en ceste opposition de mes oreilles à ses yeux, jusques à l'an 1591, que luy ayant monstré les observations susmentionnées du docteur Camerarius: Or cognoissez-vous (me dit-il) maintenant que je ne vous ay point conté des fables. Depuis, nous en avons devisé maintesfois, avec esbahissement et reverence de la sagesse divine. Il me disoit la dessus qu'un chrestien habitant en Egypte, lui a raconté par diverses fois, sur le discours de ceste apparition ou resurrection, qu'il avoit aprins de son ayeul et pere, que leurs ancestres recitoyent, l'ayant receu de longue main, qu'il y a quelques centaines d'années, que plusieurs chrestiens, hommes, femmes, enfans, s'estans assemblez en ceste montagne, pour y faire quelque exercice de leur religion, ils furent ceints et environnez de leurs ennemis en tres grand nombre (la montagnette n'ayant gueres de circuit) lesquels taillerent tout en pièces, couvrirent de terre ces corps, puis se retirerent au Caire; que depuis, ceste resurrection s'est demonstrée l'espace de quelques jours devant et apres celui du massacre. Voila le sommaire du discours d'Estienne du Plais, par lui confirmé et renouvellé à la fin d'avril 1600, que je descrivois ceste histoire, à laquelle ne peut prejudicier ce que recite Martin de Baumgarten en son voyage d'Egypte, faict l'an 1507, publié par ses successeurs, et imprimé à Nuremberg l'an 1594. Car au XVIIIe chap. du Ier liv. il dit que ces apparitions se font en une mosquée de Turcs pres du Caire. Il y a faute en l'exemplaire: et faut dire Colline ou Montagnette, non à la rive du Nil, comme escrit Baumgarten, mais à demie lieuë loin, ainsi que nous avons dit.»
«Ceux qui ont remarqué, dit un écrivain anonyme[1], les gestes ou escript la vie des papes sont autheurs que le pape Benoist 9e du nom, apparut après sa mort vagant çà et là, avec une façon fort horrible, ayant le corps d'un ours, la queue d'un asne, et qui interrogué d'où luy estoit advenue une telle métamorphose, il répondit: Je suis errant de ceste forme, pour ce que j'ay vescu en mon pontificat sans loy comme une beste.»
[Note 1: Histoires prodigieuses extraites de plusieurs fameux auteurs, etc.]
Le Loyer[1] rapporte l'histoire d'une Péruvienne qui reparut après sa mort. «C'est d'une Catherine, Indienne native de Peru, qui desdaignant de se confesser et morte impénitente, apparut toute en feu, et jettant de grandes flammes par la bouche, et par toutes les jointures du corps, tourmentant et inquiétant premièrement ceux de la maison où elle était décédée jusques à jetter pierres et puis à la fin se monstrant particulièrement à une servante, à laquelle ceste Catherine confessa qu'elle estoit damnée et luy en dit la cause. Il se remarque qu'elle avoit en horreur une chandelle de cire bénite ardente, qu'avoit la servante en main, et qu'elle pria la servante de la jetter par terre et l'estaindre parce qu'elle r'engregeoit sa peine. Les épistres de quelques jésuites attestent cette vision véritable, et produisent tant de personnes dignes de foy à tesmoignage, que force est d'en croire quelque chose et par les merveilles veues en ce siècle apprendre à ne se rendre trop incrédules aux miracles du passé.»
[Note 1: Discours et histoires des spectres, p. 658.]
«L'an 1534, dit Taillepied[1] la femme d'un prévost de la ville d'Orléans se sentant desjà de la farine luthérienne, pria son mary qu'on l'enterrast après son décez sans pompe ne bruit de cloche, ny d'aucunes prières d'église. Le mary qui portoit fort bonne affection à sa femme fit selon qu'elle avoit ordonné et la fit enterrer aux cordeliers, dans l'église aupres de son père et de son ayeul. Mais la nuict ensuyvant, ainsy qu'on disoit matines, l'esprit de la deffuncte s'apparut comme sur la voute de l'église, qui faisoit un merveilleux bruit et tintamarre. Les religieux advertirent les parents et amys de la deffuncte, ayant soupçon que ce bruict inaccoutumé venoit d'elle qui avoit été ainsi inhumée sans solennité. Et comme le peuple se fut trouvé en telle heure et qu'on eut adjuré l'esprit, il dit qu'il estoit damné pour s'estre adonné à l'hérésie de Luther, et commandoit que son corps fut déterré et porté hors de terre sainte. Et comme les cordeliers deliberoient de ce faire, ils furent empeschez par gens mal sentans de la foy, lesquels pour se purger firent comme les ariens envers Athanase.»
[Note 1: Traité de l'apparition des esprits, p. 123.]
«Chacun sçait, dit Alexandre d'Alexandrie[1], que durant la grande prospérité de Ferdinand Ier, roi d'Arragon, la ville et le royaume de Naples ne voyant près ni loin de soi tant soit petite apparence de guerre ou autre redoutable changement, un sainct homme nommé Catalde, lequel près de mille ans auparavant avoit esté evesque de l'église de Tarente, qui depuis le tenoit pour son patron, une fois aparut sur la minuit en vision à un prestre d'icelle église, et l'admonesta soigneusement de fouiller en certain endroit qu'il lui désigna, ou il trouveroit un livre, par lui escrit durant sa vie, dedans lequel y avoit beaucoup de secrets, escrits par mandement exprès de Dieu; qu'ayant trouvé ce livre, il le portast promptement au roi Ferdinand Ier. Le prestre adjoustant peu de foi à ceste vision, laquelle lui aparut encore plusieurs fois depuis en son repos, avint un jour que s'estant levé fort matin, et se trouvant seul en l'église, l'evesque Catalde se présente à lui, la mittre en teste, couvert de chape episcopale, et fit au prestre veillant et le contemplant le mesme commandement susmentionné, adjoustant des menaces s'il n'executoit ce qu'il lui estoit enjoint. Le jour, ce prestre, suivi de grande multitude de peuple, s'achemina en procession solennelle vers la cachette où estoit le livre, qui fut trouvé en placques ou tablettes de plomb, bien attachées et clouées, contenant ample déclaration de la ruine, des misères, désolations, et pitoyables confusions du royaume de Naples, au temps de Ferdinand Ier. De fait sur les aprests de la guerre, Ferdinand mourut. Charles VIII, roi de France, envahit le royaume de Naples; Alfonse, fils aisné de Ferdinand, des son advenement à la couronne dechassé, fut contraint s'enfuir en exil, où il mourut. Son fils, Ferdinand le Jeune, prince de très grande espérance, héritier du royaume, fut envelopé en guerre, et mourut en fleur d'aage. Puis les François et Espagnols partagèrent le royaume, chassans Frideric, fils puisné de Ferdinand, firent des desordres et saccagemens incroyables partout le pays. Enfin les Espagnols en chassèrent du tout les François.»
    [Note 1: Au IIIe livre de ses Jours géniaux, ch. XV, cité par
    Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. IV, p. 331.]
«Sabellic[1] escrit que la commune voix fut, lors que Charles VIII entreprit la conqueste de Naples par l'aveu du pape Alexandre VI, que le fantosme de Ferdinand Ier, mort peu auparavant, aparut par diverses fois de nuict à un chirurgien de la maison du roi, nommé Jaques, et du commencement en gracieux langage, puis avec menasses et rudes paroles, lui enjoignit de dire à son fils Alfonse, qu'il n'esperast pouvoir faire teste au roi de France: d'autant qu'il estoit ordonné que sa race, après avoir passé par infinis dangers, seroit privée de ce beau royaume, et finalement anéantie. Que leurs pechez seroyent cause de ce changement, spécialement un forfait commis par le conseil de Ferdinand dans l'église de Sainct-Leonard à Pouzzol, près de Naples. Ce forfait ne fut point déclaré. Tant va qu'Alfonse quitta Naples, et avec quatre galères chargées de ce qu'il avoit de plus précieux se sauva en Sicile. Bref en peu de temps, la maison d'Arragon perdit le royaume de Naples.»
    [Note 1: Au IXe livre de ses Histoires, Ennead. 10, cité par
    Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. IV, p. 332.]
Arluno[1], cité par Goulart[2] rapporte que «Deux marchans italiens estans en chemin pour passer de Piedmont en France, rencontrèrent un homme de beaucoup plus haute stature que les autres, lequel les appelant à soy leur tint tels propos: Retournez vers mon frère Ludovic, et lui baillez ces lettres que je luy envoye. Eux fort estonnez, demandent: Qui estes-vous? Je suis, dit-il, Galeas Sforce, et tout soudain s'esvanouit. Eux tournent bride vers Milan, de là à Vigevene, où Ludovic estoit pour lors. Ils prient qu'on les face parler au Duc, disans avoir lettres à lui bailler de la part de son frère. Les courtisans se mocquent d'eux; et pour ce qu'ils faisoyent tousiours instance de mesme, on les emprisonne, on leur présente la question: mais ils maintienent constamment leur premiere parole. La dessus les conseillers du duc furent en dispute, de ce qu'il faloit faire de ces lettres, ne sachans que respondre tant ils estoyent esperdus. Un d'entr'eux nommé le vicomte Galeas empoigne les lettres escrites et un papier plié en forme de briefs de Rome, le fermant attaché de menus filets de laiton, dont le contenu estoit: Ludovic, Ludovic, pren garde à toy; les Venitiens et François s'allieront ensemble pour te ruiner, et renverser entierement tes afaires. Mais si tu me fournis trois mille escus, je donneray ordre que les coeurs s'adouciront, et que le mal qui te menace s'eslongnera, me confiant d'en venir à bout, si tu veux me croire. Bien te soit. Et au bas: L'esprit de ton frère Galeas. Les uns estonnez de la nouveauté du fait, les autres se mocquant de tout cela, plusieurs conseillans qu'on mist les trois mille escus en depost au plus pres de l'intention de Galeas, le Duc estimant qu'on se mocqueroit de lui, s'il laschoit tant la main, s'abstint de desbourser l'argent et de le commettre en l'estrange main, puis renvoya les marchans en leurs maisons. Mais au bout de quelque temps, il fut dejetté de sa duché de Milan, prins et emmené prisonnier.»
[Note 1: En la première section de l'Histoire de Milan.]
[Note 2: Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 531.]
«En 1695, un certain M. Bézuel (qui depuis fut curé de Valogne), étant alors écolier de quinze ans, fit la connaissance des enfants d'un procureur nommé d'Abaquène, écoliers comme lui. L'aîné était de son âge; le cadet, un peu plus jeune s'appelait Desfontaines; c'était celui des deux frères que Bézuel aimait davantage. Se promenant tous deux en 1696, ils s'entretenaient d'une lecture qu'ils avaient faite de l'histoire de deux amis, lesquels s'étaient promis que celui qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles de son état au survivant. Le mort revint, disait-on, et conta à son ami des choses surprenantes.»
«Le jeune Desfontaines proposa à Bézuel de se faire mutuellement une pareille promesse. Bézuel ne le voulut pas d'abord; mais quelques mois après il y consentit, au moment où son ami allait partir pour Caen. Desfontaines tira de sa poche deux petits papiers qu'il tenait tout prêts, l'un signé de son sang, où il promettait, en cas de mort, de venir voir Bézuel; l'autre où la même promesse était écrite, fut signée par Bézuel. Desfontaines partit ensuite avec son frère, et les deux amis entretinrent correspondance.»
«Il y avait six semaines que Bézuel n'avait reçu de lettres, lorsque, le 31 juillet 1697, se trouvant dans une prairie, à deux heures après midi, il se sentit tout d'un coup étourdi et pris d'une faiblesse, laquelle néanmoins se dissipa; le lendemain, à pareille heure, il éprouva le même symptôme; le surlendemain, il vit pendant son affaiblissement son ami Desfontaines qui lui faisait signe de revenir à lui… Comme il était assis, il se recula sur son siège. Les assistants remarquèrent ce mouvement.»
«Desfontaines n'avançant pas, Bézuel se leva pour aller à sa rencontre; le spectre s'approcha alors, le prit par le bras gauche et le conduisit à trente pas de là dans un lieu écarté.»
«Je vous ai promis, lui dit-il, que si je mourais avant vous, je viendrais vous le dire: je me suis noyé avant-hier dans la rivière, à Caen, vers cette heure-ci. J'étais à la promenade; il faisait si chaud qu'il nous prit envie de nous baigner. Il me vint une faiblesse dans l'eau, et je coulai. L'abbé de Ménil-Jean, mon camarade, plongea; je saisis son pied, mais soit qu'il crût que ce fût un saumon, soit qu'il voulût promptement remonter sur l'eau, il secoua si rudement le jarret, qu'il me donna un grand coup dans la poitrine, et me jeta au fond de la rivière, qui est là très profonde.»
«Desfontaines raconta ensuite à son ami beaucoup d'autres choses.»
«Bézuel voulut l'embrasser, mais alors il ne trouva qu'une ombre.
Cependant, son bras était si fortement tenu qu'il en conserva une douleur.»
«Il voyait continuellement le fantôme, un peu plus grand que de son vivant, à demi nu, portant entortillé dans ses cheveux blonds un écriteau où il ne pouvait lire que le mot in… Il avait le même son de voix; il ne paraissait ni gai ni triste, mais dans une tranquillité parfaite. Il pria son ami survivant, quand son frère serait revenu, de le charger de dire certaines choses à son père et à sa mère; il lui demanda de réciter pour lui les sept Psaumes qu'il avait eus en pénitence le dimanche précédent, et qu'il n'avait pas encore récités; ensuite il s'éloigna en disant: «Jusqu'au revoir,» qui était le terme ordinaire dont il se servait quand il quittait ses camarades.»
«Cette apparition se renouvela plusieurs fois. L'abbé Bézuel en raconta les détails dans un dîner, en 1718, devant l'abbé de Saint-Pierre, qui en fait une longue mention dans le tome IV de ses Oeuvres politiques[1].
[Note 1: Dictionnaire des sciences occultes, de l'abbé Migac.]
Dans ses Mémoires, publiés en 1799, la célèbre tragédienne Clairon raconte l'histoire d'un revenant qu'elle croit être l'âme de M. de S…, fils d'un négociant de Bretagne, dont elle avait rejeté les voeux, à cause de son humeur haineuse et mélancolique, quoiqu'elle lui eût accordé son amitié. Cette passion malheureuse avait conduit le jeune insensé au tombeau. Il avait souhaité de la voir dans ses derniers moments; mais on avait dissuadé Mlle Clairon de faire cette démarche; et il s'était écrié avec désespoir: «Elle n'y gagnera rien, je la poursuivrai autant après ma mort que je l'ai poursuivie pendant ma vie!…»
«Depuis lors, Mlle Clairon entendit, vers les onze heures du soir, pendant plusieurs mois, un cri aigu; ses gens, ses amis, ses voisins, la police même, entendirent ce bruit, toujours à la même heure, toujours partant sous ses fenêtres, et ne paraissant sortir que du vague de l'air.»
«Ces cris cessèrent quelque temps. Mais ils furent remplacés, toujours à onze heures du soir, par un coup de fusil tiré dans ses fenêtres, sans qu'il en résultât aucun dommage.»
«La rue fut remplie d'espions, et ce bruit fut entendu, frappant toujours à la même heure dans le même carreau de vitre, sans que jamais personne ait pu voir de quel endroit il partait. A ces explosions succéda un claquement de mains, puis des sons mélodieux. Enfin, tout cessa après un peu plus de deux ans et demi[1]».
[Note 1: Mémoires d'Hippolyte Clairon, édit. de Buisson, p. 167.]
«Le samedi qui suivit les obsèques d'un notable bourgeois d'Oppenheim, Birck Humbert, mort en novembre 1620, peu de jours avant la Saint-Martin, on ouït certains bruits dans la maison où il avait demeuré avec sa première femme; car étant devenu veuf, il s'était remarié. Son beau-frère soupçonnant que c'était lui qui revenait, lui dit:
«Si vous êtes Humbert, frappez trois coups contre le mur.»
«En effet, on entendit trois coups seulement; d'ordinaire il en frappait plusieurs. Il se faisait entendre aussi à la fontaine où l'on allait puiser de l'eau, et troublait le voisinage, se manifestant par des coups redoublés, un gémissement, un coup de sifflet ou un cri lamentable. Cela dura environ six mois.»
«Au bout d'un an, et peu après son anniversaire, il se fit entendre de nouveau plus fort qu'auparavant. On lui demanda ce qu'il souhaitait: il répondit d'une voix rauque et basse: «Faites venir, samedi prochain, le curé et mes enfants.»
«Le curé étant malade ne put venir que le lundi suivant, accompagné de bon nombre de personnes. On demanda au mort s'il désirait des messes? Il en désira trois; s'il voulait qu'on fît des aumônes? il dit: «Je souhaite qu'on donne aux pauvres huit mesures de grain; que ma veuve fasse des cadeaux à tous mes enfants, et qu'on réforme ce qui a été mal distribué dans ma succession,» somme qui montait à vingt florins.»
«Sur la demande qu'on lui fit, pourquoi il infestait plutôt cette maison qu'une autre, il répondit qu'il était forcé par des conjurations et des malédictions. S'il avait reçu les sacrements de l'Église? «Je les ai reçus, dit-il, du curé, votre prédécesseur.» On lui fit dire avec peine le Pater et l'Avé, parce qu'il en était empêché, à ce qu'il assurait, par le mauvais esprit, qui ne lui permettait pas de dire au curé beaucoup d'autres choses.»
«Le curé, qui était un prémontré de l'abbaye de Toussaints, se rendit à son couvent afin de prendre l'avis du supérieur. On lui donna trois religieux pour l'aider de leurs conseils. Ils se rendirent à la maison, et dirent à Humbert de frapper la muraille; il frappa assez doucement. «Allez chercher une pierre, lui dit-on alors, et frappez plus fort.» Ce qu'il fit.»
«Quelqu'un dit à l'oreille de son voisin, le plus bas possible: «Je souhaite qu'il frappe sept fois,» et aussitôt l'âme frappa sept fois.»
«On dit le lendemain trois messes que le revenant avait demandées; on se disposa aussi à faire un pèlerinage qu'il avait spécifié dans le dernier entretien qu'on avait eu avec lui. On promit de faire les aumônes au premier jour, et dès que ses dernières volontés furent exécutées, Humbert Birck ne revint plus[1].»
[Note 1: Livre des prodiges, édit de 1821, p. 75.]
III.—FANTÔMES
Un autre auteur[1] raconte cette singulière apparition: «Au mois d'avril 1567 on vit… en celle grande plaine qui est dite d'Heyton souz Mioland (en Savoie) par l'espace de six jours continuels sortir d'une isle non habitée trois hommes vestuz de noir, incogneuz de chacun, et chacun desquels tenoit une croix en la main et après iceux marchoit une dame accoustrée en dueil et ainsi que se vestent coustumièrement les vefves, laquelle suyvant ces porte-croix, se tourmentoit et démenoit avec une si triste contenance qu'on eut dit qu'elle estoit attainte de quelque douleur, et angoisse désespérée. Cecy n'est rien si un grand escadron de peuple n'eust suivy ces vestus de dueil qui marchoient en procession, et l'habillement duquel représentoit plus de joye que des quatre premiers, en tant que toute ceste multitude estoit vestue à blanc, et monstrant plus de plaisir et allegresse que la susdite femme. La course de ces pourmeneurs s'estendoit tout le long de la campagne susnommée jusques à une autre isle voisine, où tous ensemble s'esvanouyssaient, et n'en voyait on rien n'en plus que si jamais il n'en eut esté mémoire, et au reste dès que quelcun approchoit pour les voir de plus près il en perdoit incontinent la vue…»
[Note 1: Histoires prodigieuses extraictes de plusieurs fameux auteurs, etc. Paris, Jean de Bordiane, 2 tomes, 1571, in-8°, p. 320.]
Suivant Job Fincel, cité par Goulart[1], «Il y a un village en la duché de Brunswic, nommé Gehern, à deux lieues de Blommenaw. L'an 1555, un paysan sorti au matin de ce lieu avec son chariot et ses chevaux pour aller querir du bois en la forest, descouvrit à l'entrée d'icelle quelques troupes de reitres couverts de cuirasses noires. Estonné de ceste rencontre, il retourne en porter les nouvelles au village. Les plus anciens du lieu, accompagnez de leur curé ou pasteur, sortent incontinent en campagne suivis de cent personnes, tant hommes que femmes, pour voir ceste cavalerie, et content quatorze bandes ou troupes distinctes, lesquelles en un instant se mirent en deux gros, comme pour combatre à l'opposite l'un de l'autre. Puis après on aperceut sortir de chasque gros un grand homme de contenance fiere et fort effroyable à voir. Ces deux de costé et d'autre descendent de cheval, faisant soigneuse reveue de leurs troupes: quoy fait, tous deux remontent. Incontinent les troupes commencent à s'avancer et à courir une grande campagne, sans se choquer: ce qui dura jusques à la nuict toute close, en présence de tous les paysans. Or en ce temps ne se parloit en la duché de Brunswic ni es environs d'aucune entreprise de guerre, ni d'amas de reitres: ce qui fit estimer que telle vision estoit un présage des maux avenus depuis par le juste jugement de Dieu.»
[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I. p. 510.]
Au récit de Torquemade[1], «Antoine Costille, gentil-homme espagnol demeurant à Fontaines de Ropel, sortit un jour de sa maison bien monté, pour aller à quelques lieues de là expédier des affaires, ausquelles ayant pourveu, et la nuict aprochant, il delibere retourner en sa maison. Au sortir du village où il estoit allé, il trouve un petit hermitage et chappelle garnie de certain treillis de bois au devant, et une lampe allumée au dedans. Descendu de cheval il fait ses devotions, puis jettant la veuë dedans l'hermitage, void, ce lui semble, sortir de dessouz terre trois personnes qui venoyent à lui les testes couvertes, puis se tenir coyes. Les ayant un peu contemplés, voyant leurs cheveux estinceller, quoy qu'il fust estimé fort vaillant, il eut peur, et remonté à cheval commence à picquer. Mais levant les yeux il descouvre ces personnes qui marchoyent un peu devant luy, et sembloyent l'accompagner. Se recommandant sans cesse à Dieu, il tourne de part et d'autre, mais ceste troupe estoit tousiours autour de lui. Finalement il coucha une courte lance qu'il portoit et brocha des esperons contre, pour donner quelque atteinte: mais ces fantosmes alloyent de mesme pas que le cheval, de manière qu'Antoine fut contraint les avoir pour compagnie jusques à la porte de son logis, où il y avoit une grande cour. Ayant mis pied à terre, il entre et trouve ces fantosmes: monte à la porte d'une chambre où sa femme estoit, qui ouvrit à sa parole, et comme il entroit, les visions disparurent. Mais il aparut tout esperdu, si desfait et troublé que sa femme estima qu'il avoit eu quelque rude traictement de la part de ses ennemis, en ce voyage. S'en estant enquise, et ne pouvant rien tirer de lui, elle envoyé appeller un grand ami qu'il avoit, homme fort docte, lequel vint tout à l'heure: et le trouvant aussi passé qu'un mort, le pria instamment de descouvrir son avanture. Costille lui ayant fait le discours, cest ami tascha de le resoudre, puis le fit souper, le conduisit en sa chambre, le laissa sur son lict avec une chandelle allumée sur la table, et sortit pour le laisser en repos. A peine fust-il hors de la chambre, que Costille commence à crier tant qu'il peut: A l'aide! à l'aide! secourez-moi! Lors tous les domestiques rentrèrent en la chambre, ausquels il dit que les trois visions estoyent venues à luy seul et qu'ayant creusé la terre de leurs mains, elles la lui avoyent jettée dessus les yeux, de manière qu'il ne voyoit goutte. Pourtant ne l'abandonnèrent plus ses domestiques, ains à toute heure il estoit bien accompagné, mais leur assistance et vigilance ne le peut garder de mourir le septiesme jour suivant, sans autre accident de maladie.»
[Note 1: En la 3e journée de son Hexameron, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 541.]
Le même[1] rapporte cette vision singulière:
[Note 1: En la 3e journée de son Hexameron, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 547.]
«Un chevalier espagnol, riche et de grande authorité, s'amouracha d'une nonnain, laquelle s'accordant à ce dont il la requeroit, pour lui donner libre entrée, lui conseilla de faire forger des clefs semblables à celles des portes de l'église, où elle trouveroit moyen d'entrer par autre endroit pour se rendre en certain lieu designé. Le chevalier fit accommoder deux clefs, l'une servant ouvrir la porte du grand portail de l'eglise, l'autre pour la petite porte d'icelle eglise. Et pour ce que le couvent des nonnains estoit un peu loin de son village, il partit sur la minuict fort obscure tout seul: et laissant son cheval en certain lieu seur, marcha vers le couvent. Ayant fait ouverture de la première porte, il vid l'eglise ouverte, et au dedans grande clairté de lampes et de cierges, et force gens qui chantoyent et faisoyent le service pour un trespassé. Cela l'estonna: neantmoins il s'approche, pour voir que c'estoit, et regardant de tous costez, apperçoit l'eglise pleine de moines et de prestres qui chantoyent aussi à ces funérailles, ayans au milieu d'eux un aix en forme de tombeau fort haut, couvert de noir, et à l'entour force cierges allumez en leurs mains. Son estonnement redoubla quand entre tous ces chantres il n'en peut remarquer pas un de sa cognoissance. Pourtant apres les avoir bien contemplez, il s'approche de l'un des prestres, et lui demande pour qui l'on faisoit ce service. Le prestre respond que c'estoit pour un chevalier, designant le nom et surnom de celui qui parloit, adjoustant que ce chevalier estoit mort et qu'on faisoit ses funérailles. Le chevalier se prenant à rire respond: Ce chevalier que vous me nommez est en vie: par ainsi vous vous abusez. Mais le prestre répliqua: Oui bien vous, car pour certain il est mort, et est ici pour estre enseveli; quoy dit il se remit à chanter. Le chevalier fort esbahi de ce devis, s'adresse à un autre et lui fait la mesme demande. Ce deuxiesme fait mesme response, affermant vrai ce que le premier avoit dit. Alors le chevalier tout estonné, sans attendre davantage, sortit de l'eglise, remonte à cheval, et s'achemine vers sa maison. Il est suivi et acompagné de deux grands chiens noirs qui ne bougent de ses costez, et quoi qu'il les menaçast de l'espée, ils ne l'abandonnent point. Mettant pied à terre à la porte de son logis, et entrant dedans, ses serviteurs le voyans tout changé le prient instamment de leur réciter son avanture: ce qu'il fait de poinct en poinct. On le mesne en sa chambre, où achevant de raconter ce qui estoit passé, les deux chiens entrent, se ruent furieusement sur lui, l'estranglent et despecent sans qu'aucun des siens peust le secourir.»
«Un mien ami nommé Gordian, personnage digne de foy, m'a recité, dit Alexandre d'Alexandrie[1], qu'allant vers Arezze avec certain autre de sa connoissance, s'estans esgarez en chemin ils entrerent en des forests, où ils ne voyent que de la neige, des lieux inaccessibles, et une effrayable solitude. Le soleil estant fort bas, ils s'assirent par terre tous recreus. Sur ce leur fut avis qu'ils entendoyent une voix d'homme assez pres de là; ils approchent et voyent sur une terre proche trois gigantales et espouvantables formes d'hommes, vestus de longues robes noires, comme en deuil, avec grands cheveux et fort longues barbes, lesquels les appellerent. Comme ces deux passans approchoyent, les trois fantosmes se firent plus grands de beaucoup qu'à la première fois: et l'un d'iceux paroissant nud, fit des fauts mouvemens et contenances fort deshonnestes. Ces deux fort estonnez de tel spectacle commencerent à fuir de vitesse à eux possible, et ayans traversé des precipices et chemins, du tout fascheux, se rendirent à toute peine en la logette d'un paysan, où ils passèrent la nuict.»
    [Note 1: Au IIe livre de ses Jours géniaux, ch. IX, cité par S.
    Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 534.]
«Ce que j'ay par tesmoignage de moy-mesme, et dont je suis bien asseuré, je l'adjouste, continue le même auteur. Estant malade à Rome, et couché dedans le lict, où j'estois bien éveillé, m'apparut un fantosme de belle femme, laquelle je regardai longuement tout pensif et sans dire mot, discourant en moy-mesme si je resvois, ou si j'estois vrayement esveillé. Et conoissant que tous mes sens estoyent en leur pleine vigueur, et que ce fantosme se tenoit toujours devant moy, je lui demande qui elle estoit. Elle se sousriant repetoit les mesmes mots, comme par mocquerie, et m'ayant contemplé longuement s'en alla.»
Torquemada[1] nous apprend encore que «Antoine de la Cueva, chevalier espagnol, pour raisons à nous incongnues, et par la permission de Dieu, fut tenté et travaillé en la vie de fantosmes et visions, de manière que pour la continuation il en avoit finalement perdu la crainte, combien qu'il ne laissast pas d'avoir tousiours de la lumière en la chambre où il couchoit. Une nuict, estant en la couche, et lisant en un livre, il sentit du bruit dessous la couche, comme s'il y eust quelque personne: et ne sachant que ce pouvoist estre, vid sortir d'un costé du lict un bras nud, qui sembloit estre de quelque more, lequel empoignant la chandelle la jetta à bas, avec le chandelier et l'esteignit. Alors le chevalier sentit ce more monter et se mettre avec lui en la couche. Comme ils se fusrent empoignez et embrassez ils commencerent à lutter de toute leur force, menans tel bruit que ceux de la maison se resveillerent, et venans voir que c'estoit ne trouverent autre que le chevalier, lequel estoit tout en eau, comme s'il fust sorti d'un bain et tout enflammé. Il leur conta son avanture, et que ce more les sentant venir s'estoit desfait de lui, et ne sçavoit qu'il estoit devenu.»
[Note 1: En la 3e journée de son Hexameron, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 547.]
Au recit de Goulart[1], «Le sieur de Voyennes, gentil-homme picard, en ses devis ordinaires, limitoit ses jours au signe de Taurus. Un jour estant à table en bonne compagnie, avis lui fut qu'il voyoit acourant à lui un taureau furieux. Lors tout esperdu il commença à s'escrier: Ha, messieurs, ce meschant animal me perce de ses cornes. Disant telles paroles, il cheut mort au bas de sa chaise.»
[Note 1: Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 329.]
Cardan[1], cité par Goulart[2], raconte que «Jacques Donat, riche gentil-homme vénitien, estant couché avec sa femme, et ayant un cierge allumé en sa chambre, deux nourrices dormantes en une couchette basse près d'un petit enfant, vid qu'on ouvroit tout bellement l'huis de sa chambre, et un homme inconnu mettant la teste à la porte. Donat se leve, empoigne son espée, fait allumer deux grands cierges, et, accompagné des nourrices, entre en sa salle et trouve tout clos. Il se retire en sa chambre fort esbahi. Le lendemain, ce petit enfant aagé d'un an non encore accompli et qui se portoit bien meurt.»
[Note 1: Au XVIe livre de la Diversité des choses, ch. XCIII.]
[Note 2: Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 531.]
D'après Bartelemi de Bologne[1], «Antoine Urceus, la nuict dernière de sa vie, estant couché, pensa voir un fort grand homme, lequel avoit la teste rase, la barbe pendante jusqu'en terre, les yeux estincellans, deux flambeaux es mains, se hérissant depuis les pieds jusques à la teste, auquel Antoine demanda: Qui es-tu, qui seul en équipage de furie, te promènes ainsi hors heures, et quand chacun repose? Di moy, que cherches-tu? En disant cela, Antoine se jette en bas du lict pour se sauver arrière de ce visiteur, et mourut misérablement le lendemain.»
[Note 1: En la Vie d'Urceus, citée par Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 530.]
Gilbert Cousin[1] raconte que «L'an 1536, un marchant sicilien allant de Catane à Messine, logea le vingt-unième jour de mars à Torminio, dit des anciens Taurominium. Remontant à cheval le lendemain matin, n'estant encore gueres esloigné de la ville, il rencontre dix massons, ce lui sembloit, tous chargez d'outils de leur mestier. Enquis de lui où ils alloyent, respondirent: Au Montgibel. Tost après, il en retrouva dix autres qui font mesme response que les precedens: et adjoustent que leur maistre les envoyoit à cause de quelque bastiment au Montgibel. Quel maistre? replique le marchant. Vous le verrez bien tost fit l'un d'entre eux. Incontinent apres lui vint à la rencontre en ce mesme chemin un géant, avec une fort longue barbe noire, comme le plumage d'un corbeau, lequel, sans autre préface ni salutation, s'enquiert du marchant s'il avoit point rencontré ses ouvriers en ce chemin. J'ay, dit l'autre, veu quelques massons prétendant aller bastir au Montgibel, mais je ne scay par le commandement de qui: si vous estes l'entrepreneur de tel bastiment, je désire entendre comment vous pensez faire en une montagne tellement couverte de neige, que le plus habile piéton du monde seroit bien empesché d'en sortir. Ce maistre bastisseur commence à respondre qu'il avoit la science et les moyens pour en venir à bout, voire pour faire plus grandes choses quand bon lui sembleroit; que le marchant qui ne faisoit gueres d'estat des paroles en croiroit bien tost ses propres yeux: quoi disant, il disparut en l'air. Le marchant esperdu de telle vision commence à paslir et chanceller, et peu s'en fallut qu'il n'esvanouyt sur la place. Il tourne bride demi mort vers la ville, où ayant raconté à gens dignes de foy ce qu'il avoit veu, donné ordre à ses afaires et pensé à sa conscience, il rend l'âme le soir de ce mesme jour. Au commencement de la nuict du jour suivant, qui estoit le vingt-troisiesme jour de mars, un horrible tremblement de terre se fit, et du faiste de ce Montgibel, du costé d'Orient, sortit avec bruit merveilleux une extraordinaire abondance de feu qui s'eslançoit fort impetueusement de ce mesme coté: dont les habitans de Catane estans bien estonnez, s'amasserent crians: Miséricorde! et continuans en supplications et prières jusques à ce que le feu vint à diminuer et s'esteindre.»
    [Note 1: Au VIIIe livre de ses Recueils et récits, cité par
    Goulart, Thrésor d'histoires admirables, t. I, p. 532.]
D'après les Curiositez inouyes de Gaffarel[1], «Cardan asseure que dans la ville de Parme il y a une noble famille de laquelle, quand quelqu'un doit mourir, on void toujours en la sale de la maison une vieille femme incogneue assise sous la cheminée, mais si assurément qu'elle ne manque jamais.»
[Note 1: Page 59.]
IV.—VAMPIRES
«Les revenans de Hongrie, ou les Vampires, sont, d'après dom Calmet[1], des hommes morts depuis un temps considérable, quelquefois plus, quelquefois moins long, qui sortent de leurs tombeaux et viennent inquiéter les vivans, leur sucent le sang, leur apparoissent, font le tintamare à leurs portes, et dans leurs maisons et enfin leur causent souvent la mort. On leur donne le nom de Vampires ou d'Oupires, qui signifie, dit-on, en esclavon une sangsue. On ne se délivre de leurs infestations qu'en les déterrant, en leur coupant la tête, en les empalant, en les brûlant, en leur perçant le coeur.»
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, tome II, p. 2.]
«J'ai appris, dit dom Calmet[1], de feu monsieur de Vassimont, conseiller de la chambre des comtes de Bar, qu'ayant été envoyé en Moravie par feu Son Altesse royale Léopold premier, duc de Lorraine, pour les affaires de monseigneur le prince Charles, son frère, évêque d'Olmutz et d'Osnabruck, il fut informé par le bruit public qu'il étoit assez ordinaire dans ce pays-là de voir des hommes décédés quelque tems auparavant se présenter dans les compagnies et se mettre à table avec les personnes de leur connoissance sans rien dire; mais que faisant un signe de tête à quelqu'un des assistans, il mourroit infailliblement quelques jours après. Ce fait lui fut confirmé par plusieurs personnes, et entre autres par un ancien curé, qui disoit en avoir vu plus d'un exemple.»
[Note 1: Même ouvrage, t. II, p. 31.]
Charles-Ferdinand de Schertz raconte[1] «Qu'en un certain village, une femme étant venuë à mourir munie de tous ses sacremens, fut enterrée dans le cimetière à la manière ordinaire. Quatre jours après son décès, les habitans du village ouïrent un grand bruit et un tumulte extraordinaire, et virent un spectre qui paroissoit tantôt sous la forme d'un chien, tantôt sous celle d'un homme, non à une personne, mais à plusieurs, et leur causoit de grandes douleurs, leur serrant la gorge, et leur comprimant l'estomac jusqu'à les suffoquer: il leur brisoit presque tout le corps, et les réduisoit à une faiblesse extrême, en sorte qu'on les voyoit pâles, maigres et exténués. Le spectre attaquoit même les animaux, et l'on a trouvé des vaches abbatues et demi-mortes; quelquefois il les attachoit l'une à l'autre par la queue. Ces animaux par leurs mugissements marquoient assez la douleur qu'ils ressentoient. On voyoit les chevaux comme accablés de fatigue, tout en sueur; principalement sur le dos, échauffés, hors d'haleine, chargés d'écume comme après une longue et pénible course. Ces calamités durèrent plusieurs mois.»
[Note 1: Magia posthuma, Olmutz, 1706, cité par dom Calmet, Traité sur les apparitions des esprits, t. I, p. 33.]
Le même auteur rapporte l'exemple d'un pâtre du village de Blow, près de la ville de Kadam en Boheme, qui parut pendant quelque tems et qui appelloit certaines personnes, lesquelles ne manquoient pas de mourir dans la huitaine. Les paysans de Blow déterrèrent le corps de ce pâtre, et le fichèrent en terre avec un pieu, qu'ils lui passèrent à travers le corps. Cet homme en cet état se moquoit de ceux qui lui faisoient souffrir ce traitement, et leur disoit qu'ils avoient bonne grâce de lui donner ainsi un bâton pour se défendre contre les chiens. La même nuict il se releva, et effraya par sa présence plusieurs personnes, et en suffoqua plus qu'il n'avoit fait jusqu'alors. On le livra ensuite au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors du village et l'y brûler. Ce cadavre hurloit comme un furieux et remuoit les pieds et les mains comme vivant; et lorsqu'on le perça de nouveau avec des pieux, il jetta de très-grands cris, et rendit du sang très-vermeil, et en grande quantité. Enfin on le brûla, et cette exécution mit fin aux apparitions et aux infestations de ce spectre.
«Il y a environ quinze ans, rapporte dom Calmet[1], qu'un soldat étant en garnison chez un paysan haïdamaque, frontière de Hongrie, vit entrer dans la maison, comme il étoit à table auprès du maître de la maison son hôte, un inconnu qui se mit aussi à table avec eux. Le maître du logis en fut étrangement effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne savoit qu'en juger, ignorant de quoi il étoit question. Mais le maître de la maison étant mort dès le lendemain, le soldat s'informa de ce que c'étoit. On lui dit que c'étoit le père de son hôte, mort et enterré depuis plus de dix ans, qui s'étoit ainsi venu asseoir auprès de lui, et lui avoit annoncé et causé la mort.
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. I. p. 37.]
«En conséquence on fit tirer de terre le corps de ce spectre, et on le trouva comme un homme qui vient d'expirer, et son sang comme d'un homme vivant. Le comte de Cabreras lui fit couper la tête, puis le fit remettre dans son tombeau. Il fit encore informations d'autres pareils revenans, entr'autres d'un homme mort depuis plus de trente ans, qui étoit revenu par trois fois dans sa maison à l'heure du repas, avoit sucé le sang au col, la première fois à son propre frère, la seconde à un de ses fils, et la troisième à un valet de la maison; et tous trois en moururent sur-le-champ. Sur cette déposition, le commissaire fit tirer de terre cet homme, et, le trouvant comme le premier, ayant le sang fluide comme l'aurait un homme en vie, il ordonna qu'on lui passât un grand clou dans la tempe, et ensuite qu'on le remît dans le tombeau.
«Il en fit bruler un troisième qui étoit enterré depuis plus de seize ans, et avoit sucé le sang et causé la mort à deux de ses fils.»
Voici, d'après dom Calmet[1], ce qu'on lit dans les Lettres juives:
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. IV, p. 39.]
«Au commencement de septembre, mourut dans le village de Kisilova, à trois lieues de Gradisch, un vieillard âgé de soixante-deux ans. Trois jours après avoir été enterré, il apparut la nuit à son fils, et lui demanda à manger; celui-ci lui en ayant servi, il mangea et disparut.
«Le lendemain, le fils raconta à ses voisins ce qui étoit arrivé.
«Cette nuit le père ne parut pas; mais la nuit suivante il se fit voir, et demanda à manger. On ne sait pas si son fils lui en donna ou non, mais on trouva le lendemain celui-ci mort dans son lit: le même jour, cinq ou six personnes tombèrent subitement malades dans le village, et moururent l'une après l'autre, peu de jours après.
«On ouvrit tous les tombeaux de ceux qui étoient morts depuis six semaines: quand on vint à celui du vieillard, on le trouva les yeux ouverts, d'une couleur vermeille, ayant une respiration naturelle, cependant immobile comme mort; d'où l'on conclut qu'il étoit un signalé vampire. Le bourreau lui enfonça un pieu dans le coeur.
«On fit un bûcher, et l'on réduisit en cendres le cadavre.
«On ne trouva aucune marque de vampirisme, ni dans le cadavre du fils, ni dans celui des autres.»
Dom Calmet[1] rapporte en outre d'autres cas:
[Note 1: Traité sur les apparitions des esprits, t. II, p. 43.]
«Dans un certain canton de la Hongrie, nommé en latin Oppida Heidonum, le peuple connu sous le nom de Heiduque croit que certains morts, qu'ils nomment vampires, sucent tout le sang des vivants, en sorte que ceux-ci s'exténuent à vue d'oeil, au lieu que les cadavres, comme les sangsues, se remplissent de sang en telle abondance, qu'on le voit sortir par les conduits et même par les porres. Cette opinion vient d'être confirmée par plusieurs faits dont il semble qu'on ne peut douter, vu la qualité des témoins qui les ont certifiés.
«Il y a environ cinq ans, qu'un certain Heiduque, habitant de Médreïga, nommé Arnold Paul, fut écrasé par la chute d'un chariot de foin. Trente jours après sa mort, quatre personnes moururent subitement, et de la manière que meurent, suivant la tradition du pays, ceux qui sont molestés des vampires. On se ressouvint alors que cet Arnold Paul avoit souvent raconté qu'aux environs de Cassova et sur les frontières de la Servie turque, il avoit été tourmenté par un vampire turc: car ils croyent aussi que ceux qui ont été vampires passifs pendant leur vie, les deviennent actifs après leur mort, c'est-à-dire que ceux qui ont été sucés, sucent aussi à leur tour; mais qu'il avoit trouvé moyen de se guérir, en mangeant de la terre du sépulchre du vampire et en se frottant de son sang, précaution qui ne l'empêcha pas cependant de le devenir après sa mort, puisqu'il fut exhumé quarante jours après son enterrement, et qu'on trouva sur son cadavre toutes les marques d'un archi-vampire. Son corps étoit vermeil, ses cheveux, ses ongles, sa barbe, s'étoient renouvellés, et ses veines étoient toutes remplies d'un sang fluide et coulant de toutes les parties de son corps sur le linceul dont il étoit environné. Le Haduagi ou le bailli du lieu, en présence de qui se fit l'exhumation, et qui étoit un homme expert dans le vampirisme, fit enfoncer selon la coutume, dans le coeur du défunt Arnold Paul, un pieu fort aigu, dont on lui traversa le corps de part en part, ce qui lui fit, dit-on, jetter un cri effroyable, comme s'il étoit en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête, et l'on brûla le tout. Après cela, on fit la même expédition sur les cadavres de ces quatre autres personnes mortes de vampirisme, crainte qu'ils n'en fissent mourir d'autres à leur tour.
«Toutes ces expéditions n'ont cependant pu empêcher que sur la fin de l'année dernière, c'est-à-dire au bout de cinq ans, ces funestes prodiges n'ayent recommencé, et que plusieurs habitans du même village ne soient péris malheureusement. Dans l'espace de trois mois, dix-sept personnes de différent sexe et de différent âge sont mortes de vampirisme, quelques-unes sans être malades, et d'autres après deux ou trois jours de langueur.
«Une nommée Stanoska, fille, dit-on, du Heiduque Sovitzo, qui s'étoit couchée en parfaite santé, se réveilla au milieu de la nuit, toute tremblante et faisant des cris affreux, disant que le fils du Heiduque Millo, mort depuis neuf semaines, avoit manqué de l'étrangler pendant son sommeil. Dès ce moment elle ne fit que languir, et au bout de trois jours elle mourut. Ce que cette fille avoit dit du fils de Millo le fit d'abord reconnoître pour un vampire; on l'exhuma, et on le trouva tel. Les principaux du lieu, les médecins, les chirurgiens, examinèrent comment le vampirisme avoit pu renaître après les précautions qu'on avoit prises quelques années auparavant. On découvrit enfin, après avoir bien cherché, que le défunt Arnold Paul avoit tué non seulement les quatre personnes dont nous avons parlé, mais aussi plusieurs bestiaux, dont les nouveaux vampires avoient mangé, et entr'autres, le fils de Millo. Sur ces indices, on prit la résolution de déterrer tous ceux qui étoient morts depuis un certain tems, etc. Parmi une quarantaine, on en trouva dix-sept avec tous les signes les plus évidents de vampirisme: aussi leur a-t-on transpercé le coeur et coupé la tête, et ensuite on les a brûlés, et jetté leurs cendres dans la rivière.
«Toutes les informations et exécutions dont nous venons de parler ont été faites juridiquement, en bonne forme, et attestées par plusieurs officiers, qui sont en garnison dans le pays, par les chirurgiens majors, et par les principaux habitans du lieu. Le procès-verbal en a été envoyé vers la fin de janvier dernier au conseil de guerre impérial à Vienne, qui avait établi une commission militaire, pour examiner la vérité de tous ces faits.»
Dom Calmet[1] imprime une lettre d'un officier du duc Alexandre de
Wurtemberg qui certifie tous ces faits.
[Note 1: Même ouvrage, t. I, p. 64.]
«Pour satisfaire, y est-il dit, aux demandes de Monsieur l'Abbé dom Calmet, le soussigné a l'honneur de l'assurer, qu'il n'est rien de plus vrai et de si certain que ce qu'il en aura sans doute lu dans les actes publics et imprimés, qui ont été insérés dans les Gazettes par toute l'Europe; mais à tous ces actes publics qui ont paru, Monsieur l'Abbé doit s'attacher pour un fait véridique et notoire à celui de la députation de Belgrade par feu S. M. Imp. Charles VI, de glorieuse mémoire, et exécutée par feu son Altesse Sérénissime le Duc Charles-Alexandre de Wurtemberg, pour lors Vice-Roi, ou Gouverneur du Royaume de Servie.
«Ce Prince fit partir une députation de Belgrade moitié d'officiers militaires, et moitié du civil, avec l'Auditeur général du Royaume, pour se transporter dans un village, où un fameux Vampire décédé depuis plusieurs années faisoit un ravage excessif parmi les siens: car notez que ce n'est que dans leur famille et parmi leur propre parenté, que ces suceurs de sang se plaisent à détruire notre espèce. Cette députation fut composée de gens et de sujets reconnus pour leurs moeurs, et même pour leur savoir, irréprochables et même savans parmi les deux ordres: ils furent sermentés, et accompagnés d'un lieutenant de Grenadiers du Régiment du Prince Alexandre de Wurtemberg, et de 24 Grenadiers dudit Régiment.
«Tout ce qu'il y eut d'honnêtes gens, le Duc lui-même qui se trouvèrent à Belgrade, se joignirent à cette députation, pour être spectateurs oculaires de la preuve véridique qu'on allait faire.
«Arrivés sur les lieux, l'on trouva que dans l'espace de quinze jours le vampire, oncle de cinq, tant neveux que nièces, en avoit déjà expédié trois et un de ses propres frères; il en étoit au cinquième, belle jeune fille, sa nièce, et l'avoit déjà sucée deux fois, lorsque l'on mit fin à cette triste tragédie par les opérations suivantes.
«On se rendit avec les commissaires députés pas loin de Belgrade, dans un village, et cela en public, à l'entrée de la nuit, à sa sépulture. Il y avoit environ trois ans qu'il étoit enterré; l'on vit sur son tombeau une lueur semblable à celle d'une lampe, mais moins vive.
«On fit l'ouverture du tombeau, et l'on y trouva un homme aussi entier, et paroissant aussi sain qu'aucun de nous assistans: les cheveux et les poils de son corps, les ongles, les dents et les yeux (ceux-ci demi-fermés) aussi fortement attachés après lui, qu'ils le sont actuellement après nous qui avons vie, et existons, et son coeur palpitant.
«Ensuite l'on procéda à le tirer hors de son tombeau, le corps n'étant pas à la vérité flexible, mais n'y manquant nulle partie ni de chair, ni d'os; ensuite on lui perça le coeur avec une espèce de lance de fer rond et pointu; il en sortit une matière blanchâtre et fluide avec du sang, mais le sang dominant sur la matière, le tout n'ayant aucune mauvaise odeur; ensuite de quoi on lui trancha la tête avec une hache semblable à celle dont on se sert en Angleterre pour les exécutions: il en sortit aussi une matière et du sang semblable à celle que je viens de dépeindre, mais plus abondamment à proportion de ce qui sortit du coeur.
«Au surplus, on le rejetta dans la fosse, avec force chaux vive pour le consommer plus promptement; et dès-lors sa nièce, qui avoit été sucée deux fois, se porta mieux. A l'endroit où ces personnes sont sucées, il se forme une tache très bleuâtre; l'endroit du moment n'est pas déterminé, tantôt c'est en un endroit, tantôt c'est en un autre. C'est un fait notoire attesté par les actes les plus autentiques, et passé à la vue de plus de 1,300 personnes toutes dignes de foi.»
Le même abbé donne cette autre lettre sur le même sujet[1]:
[Note 1: Même ouvrage, t. II, p. 68.]
«Vous souhaitez, mon cher cousin, être informé au juste de ce qui se passe en Hongrie au sujet de certains revenants, qui donnent la mort à bien des gens en ce pays-là. Je puis vous en parler savamment: car j'ai été plusieurs années dans ces quartiers-là, et je suis naturellement curieux. J'ai ouï en ma vie raconter une infinité d'histoires ou prétendues telles, sur les esprits et sortilèges; mais de mille à peine ai-je ajouté foi à une seule: on ne peut être trop circonspect sur cet article sans courir risque d'en être la dupe. Cependant il y a certains faits si avérés, qu'on ne peut se dispenser de les croire. Quant aux revenants de Hongrie, voici comme la chose s'y passe. Une personne se trouve attaquée de langueur, perd l'appétit, maigrit à vue d'oeil, et au bout de huit ou dix jours, quelquefois quinze, meurt sans fièvre ni aucun autre symptôme, que la maigreur et le dessèchement.
«On dit en ce pays-là que c'est un revenant qui s'attache à elle et lui suce le sang. De ceux qui sont attaqués de cette maladie, la plupart croyent voir un spectre blanc, qui les suit partout comme l'ombre fait le corps. Lorsque nous étions en quartier chez les Valaques, dans le Bannat de Temeswar, deux cavaliers de la compagnie dont j'étois cornette moururent de cette maladie, et plusieurs autres qui en étoient encore attaqués en seroient morts de même, si un caporal de notre compagnie n'avoit fait cesser la maladie, en exécutant le remède que les gens du pays emploient pour cela. Il est des plus particuliers, et quoiqu'infaillible, je ne l'ai jamais lu dans aucun rituel. Le voici: «On choisit un jeune garçon qui est d'âge à n'avoir jamais fait oeuvre de son corps, c'est-à-dire, qu'on croit vierge. On le fait monter à poil sur un cheval entier qui n'a jamais sailli, et absolument noir; on le fait promener dans le cimetière, et passer sur toutes les fosses: celle où l'animal refuse de passer malgré force coups de corvache qu'on lui délivre, est réputée remplie d'un vampire; on ouvre cette fosse, et l'on y trouve un cadavre aussi gras et aussi beau que si c'étoit un homme heureusement et tranquillement endormi: on coupe le col à ce cadavre d'un coup de bêche, dont il sort un sang des plus beaux et des plus vermeils et en quantité. On jureroit que c'est un homme des plus sains et des plus vivans qu'on égorge. Cela fait, on comble la fosse, et on peut compter que la maladie cesse, et que tous ceux qui en étoient attaqués, recouvrent leurs forces petit à petit, comme gens qui échappent d'une longue maladie, et qui ont été exténués de longuemain. C'est ce qui arriva à nos cavaliers qui en étoient attaqués. J'étois pour lors commandant de la compagnie, et mon capitaine et mon lieutenant étant absens, je fus très-piqué que ce caporal eût fait faire cette expérience sans moi.»
Dom Calmet[1] rapporte encore deux faits de vampirisme en Pologne:
[Note 1: Même ouvrage, t. II, p. 72-73.]
«A Warsovie, un prêtre ayant commandé à un sellier de lui faire une bride pour son cheval, mourut auparavant que la bride fût faite; et comme il étoit de ceux que l'on nomme vampires en Pologne, il sortit de son tombeau habillé comme on a coutume d'inhumer les ecclésiastiques, prit son cheval à l'écurie, monta dessus, et fut à la vue de tout Warsovie à la boutique du sellier, où d'abord il ne trouva que la femme qui fut fort effrayée, et appela son mari, qui vint; et ce prêtre lui ayant demandé sa bride, il lui répondit: Mais vous êtes mort, M. le curé; à quoi il répondit: Je te vas faire voir que non, et en même tems le frappa de telle sorte que le pauvre sellier mourut quelques jours après et le prêtre retourna en son tombeau.»
«L'intendant du comte Simon Labienski, Staroste de Posnanie, étant mort, la comtesse douairière de Labienski voulut, par reconnaissance de ses services, qu'il fut inhumé dans le caveau des seigneurs de cette famille; ce qui fut exécuté. Quelque tems après, le sacristain qui avoit soin du caveau s'aperçut qu'il y avoit du dérangement, et en avertit la comtesse, qui ordonna suivant l'usage reçu en Pologne qu'on lui coupât la tête, ce qui fut fait en présence de plusieurs personnes, et entre autres du sieur Jonvinski, officier polonois et gouverneur du jeune comte Simon Labienski, qui vit que lorsque le sacristain tira ce cadavre de sa tombe pour lui couper la tête, il grinça les dents, et le sang en sortit aussi fluide que d'une personne qui mourroit d'une mort violente, ce qui fit dresser les cheveux à tous les assistans, et l'on trempa un mouchoir blanc dans le sang de ce cadavre dont on fit boire à tous ceux de la maison pour n'être point tourmentés.»