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Curiosités Infernales

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PRÉSAGES

I.—PRÉSAGES DE GUERRE, DE SUCCÈS ET DE DÉFAITES.

«Parcourez, si vous voulez, tous les siècles, dit Gaffarel[1], vous n'en trouverez pas un, suivant ceste vérité, où quelque nouveau prodige n'ait monstré ou les biens, ou les malheurs qu'on a veu naistre. Ainsi vit-on un peu auparavant que Xerxès couvrît la terre d'un million d'hommes des horribles et espouventables météores, présages du malheur, qui arriva tout aussi bien du temps d'Attila surnommé flagellum Dei; et si on veut se donner la peine de prendre la chose de plus haut, la pauvre Jérusalem fut-elle pas advertie du malheur qui la rendit la plus désolée des villes, par mille semblables prodiges? car souvent on vit en l'air des armées en ordre avec contenance de se vouloir choquer: et un jour de la Pentechoste, le grand prestre entrant dans le temple pour faire les sacrifices que Dieu ne regardait plus, on ouït un bruit tout soudain et aussitost une voix qui cria: «Retirons-nous d'icy!» Je laisse l'ouverture de la porte de cuivre sans qu'on la touchast et mille autres prodiges racontés dans Josephe.

[Note 1: Curiositez inouyes, p. 57.]

«Apian a marqué ceux qui furent veus et ouys devant les guerres civiles, comme voix espouvantables et courses étranges des chevaux qu'on ne voyait point. Pline a descrit ceux qui furent pareillement ouys aux guerres Cymbriques et entre autres plusieurs voix du ciel et l'alarme que sonnaient certaines trompettes horribles. Auparavant que les Lacédémoniens fussent vaincus en la bataille Leuctrique, on oüyt dans le temple les armes qui rendirent son d'elles-mesmes: et environ ce temps, à Thebes, les portes du temple d'Hercule furent ouvertes sans qu'aucun les ouvrit, et les armes qui estoient pendues contre la muraille furent trouvées à terre comme le déduit Cicéron, non sans estonnement. Du temps que Miltiades alla contre les Perses, plusieurs spectres en firent voir l'événement, et sans m'escarter si loin, voyez Tite Live qui, pour s'estre pleu à descrire un bon nombre de semblables merveilles, quelques autheurs lui ont donné le titre non d'historien, mais de tragédien. Que si nous voulons passer dans les autres siècles qui ne sont pas si éloignés de nous, nous trouverons que du règne de Théodose, on vit de mesme une estoille portant espée: et du temps du sultan Selim, mille croix qui brillaient en l'air et qui annonçaient la perte que les chrétiens firent après.»

François Guichardin[1] parlant du commencement de la guerre portée par les Français au delà des monts pour la conquête du royaume de Naples, dit ceci sur les affaires de 1494: «Chascun demeuroit esperdu des bruits courans qu'en divers endroits d'Italie l'on avoit veu des choses repugnantes au cours de nature et des cieux. Que de nuit en l'Apouille estoyent aparus trois soleils au milieu du ciel, environnez de nuages, avec horribles esclairs, foudres et tonnerres. Qu'au territoire d'Arezze estoyent visiblement passez par l'air infinis hommes armez, montez sur puissans chevaux, avec un terrible retentissement de trompettes et de tambours. Que les images des saints avoyent sué en plusieurs lieux d'Italie. Que partout estoyent nez plusieurs monstres d'hommes et d'animaux. Que plusieurs autres choses estoyent avenues contre l'ordre de nature en divers endroits, au moyen de quoi se remplissoyent d'une crainte incroyable les peuples desja estonez pour la renommée de la puissance et vaillance ardente des François.»

[Note 1: Au Ier livre de son Histoire des guerres d'Italie, section XVI, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. V, p. 322.]

«Le Milanois, dit Goulart, fut averti en l'an 1520 et en l'an 1521 par divers estranges présages des grands changemens qui y avinrent es divers evenements de la guerre, et les désolations incroyables de tout le pays sur lequel il tomba du ciel douze cens pierres de grele de couleur de fer enrouillé, extremement dures, et qui sentoyent le soulfre. Deux heures devant qu'elles tombassent, il se fit au ciel un feu du tout extraordinaire de merveilleuse estendue et fort ardant. Cest merveille que l'air ait soustenu si longuement un poids si lourd de tant de pierres entre lesquelles on en trouva une pesant soixante livres et une autre deux fois autant. Dedans deux ans apres les François quitterent l'Italie, en laquelle ils rentrèrent l'an 1515. Milan se vit réduite à toute extrémité de saccagement, guerres, embrasements, pestes. La foudre qui fit tant de dommage au chateau de Milan l'an 1521 sembla présager aussi la grande révolution des afaires qui y aparut depuis, tant en la mesme année qu'es suivantes comme il se void es récit de Guichardin en son Histoire des guerres d'Italie

D'après Gomez[1], «Quelques mois devant la bataille de Ravenne, l'an 1512, l'Italie fut estonnée par divers prodiges et fit estat d'estre battue de force coups. Sur le couvent des Cordeliers de Modène furent veus de nuict des flambeaux allumez en l'air, et de jour apparurent là mesme des fantosmes en forme d'hommes qui s'entretuoyent. La ville de Creme fut en plein midi couverte de si espaisses tenebres, que chascun y pensoit estre en plein minuict. Tout l'air retentissoit de bruits espouvantables, les esclairs extraordinaires, et multipliez sans guère d'intervalles faisoyent un nouveau jour. Parmi cela survindrent des gresles extrêmement violentes et si pesantes que le raport en semble incroyable.»

[Note 1: Histoire de Ximenes, liv. V, cité par Goulard, Thrésor des histoires admirables, t. IV, p. 780.]

Paul Jove[1] raconte que «Devant que les Suisses sortissent de Novarre, où ils tenoient bon, l'an 1513, pour Maximilien Sforce, duc de Milan, contre l'armée françoise, à laquelle commandoit le sieur de la Trimouille, assisté de Jean-Jacques Trivulce et autres chefs de guerre, les chiens qui estoient au camp des François, s'amassèrent en troupes et entrèrent dedans Novarre, où se rendans es corps de garde, ils commencèrent à faire feste aux Suisses, par toutes les contenances coustumières à tels animaux lorsque plus ils veulent amadouer leurs maistres. Jacques Motin d'Ury, vaillant capitaine, comme il en fit preuve bientost après, prenant cette reddition des chiens à bon présage, s'accourut vers l'empereur Maximilian, et l'asseura que les François seroient mis en déroute pour ce que les anciens Suisses avoient tousjours marqué que l'armée vers qui se rangeoyent les chiens du parti contraire demeuroit victorieuse: les chiens quittant les hommes couards et malheureux, pour se ranger aux vaillants et aux fortunez.»

[Note 1: Livre II de ses Histoires.]

Le président de Thou[1] raconte ce qui suit: «Le propre jour que la ville d'Afrique, jadis Aphrodisium fut prise sur les Turcs par l'armée de l'empereur Charles V, de laquelle estoyent chefs Antoine Dore et Christofle de Vegue, une plaisante avanture fut prise à bon présage par les assiégeants. Vegue avoit en ses pavillons une biche privée qu'on sçait être un animal qui se donne l'espouvante au moindre bruit qu'on face. Neantmoins le jour de l'assaut environ le quinziesme de septembre 1550, ceste biche non tracassée de personne, ains de son mouvement, monte a la bresche et sans s'esfaroucher au bruit des huées de tant de soldats, ni de l'artillerie qui tonnoit horriblement, ni des baies qui siffloient de celle part, passa outre, et entra la première devant tous les soldats dedans la ville, laquelle tost après fut emportée d'assaut, plusieurs Mores et Turcs tués à la bresche et par les places, et dix mille personnes de divers aage réduites en captivité par les victorieux.»

[Note 1: A la fin du Ve livre de l'Histoire de son temps.]

Alvaro Gamecius[1] raconte que «Le cardinal Ximenes s'aprestant pour aller faire la guerre aux Mores en la coste de Barbarie, estant en un village nommé Vaiona, l'on y vid en l'air durant quelques jours une croix, de quoi chascun discouroit à sa fantaisie. Ximenes pensant à ce prodige, et prestant l'oreille aux diverses conjectures qu'on lui en proposoit, un de la troupe lui dit: Monseigneur, ceste croix vous admoneste de partir sans long délai: Vaiona est presque autant que Veayna, ce mot, en langue espagnole (Ve-ayna) signifie va viste. En s'embarquant, la croix se montra en Afrique: alors un evesque nommé Cazalla s'écriant aux soldats leur dit: Courage, mes amis! la victoire est nostre sous ce signal. Un autre cas survint alors: c'est qu'un grand et furieux sanglier descendu des costaux bocageux proches de la rade, traversa quelques compagnies bien rangées: sur quoi grandes huées se firent, chascun criant: Mahomet! Mahomet! De sorte qu'à coups de dards et d'autres traits le sanglier fut terrassé mort. Au contraire l'arrière garde de l'armée des Mores fut remarquée suivie d'un très grand nombre de vautours, oiseaux carnassiers. L'on n'entendoit es forests proche d'Oran que rugissemens de lions, lesquels es nuicts suivantes s'assemblèrent par troupes et allèrent dévorer les corps tués. Comme les Espagnols assailloyent Oran, on vid deux arcs en ciel sur la ville. Lors un docte personnage à la suite de Ximenes, eslongné delà se mit à crier: Oran est à nous! Ximenes en dit autant à ses amis: et comme il continuoit à discourir de ce presage, les nouvelles lui vindrent de la prise. Ce que je vais dire, adjouste Gomez, semblera de tout admirable: mais rien ne fut estimé plus certain pour lors, et plusieurs le remarquerent en leurs escrits. Outre les lettres de particuliers à leurs amis, Gonsales, Gilles, et celui qui escrivit en latin l'histoire de ceste guerre de Barbarie, afferment très expressement que le soleil s'arresta et contint son cours quatre heures et plus durant le combat des Espagnols contre les Mores d'Oran. Car ainsi que les Espagnols pretendoyent gagner la montagne, le soleil commençoit à baisser: ce qui troubloit fort Pierre de Navarre, chef des troupes, ne les voyant encore qu'au pied de la montagne. Ximenes avoit bien remarqué cest arrest du soleil, mais il s'en teut, jusques à ce que cette merveille fut divulguée partout. On asseure aussi que quelques Mores ayant pris garde à cela, tout estonnez de ce signe du tout extraordinaire et miraculeux, abjurerent le mahométisme et se firent baptiser.»

    [Note 1: Au IVe livre de l'Histoire de Fr. Ximenes, cité par
    Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. IV. p. 682.]

D'après Joachim Curseus[1], «Matthias surnommé Corvin, couronné roi de Hongrie l'an 1464, quelques années après faisant forte guerre aux Turcs, sans vouloir entendre ni à paix ni à trefve avec eux, assiegea une de leurs forteresses nommée Sabaai, quoiqu'elle eût cinq mille hommes de guerre en garnison. Il la fit battre rudement, et durant les plus grands tonnerres de son artillerie, portant balles de calibre et poids extraordinaire, s'endormit si profond, quoique d'ordinaire ce fust le plus vigilant et le moins dormant de son temps, qu'il ne se resveilla qu'à haute heure, encore que son chambellan l'appelast souvent et à haute voix. Ce qui lui fut un presage de victoire, car tost apres, il força ceste place paravant estimée imprenable. Plutarque en dit autant d'Alexandre le Grand devant la bataille d'Arbelles contre Darius.»

[Note 1: En ses Annales de Silésie, cité par Goulart, Thrésor des histoire admirables, t. III, p. 320.]

Suivant Arluno[1], «Peu avant la prise de Ludovic Sforce, duc de Milan, emmené prisonnier en France, où il mourut à Loches, on ouit autour du chasteau de Milan, sur la miniuct, un cliquetis d'armes, des sons de tambours et fanfares de trompettes; on vid des baies enflammées lescher les murailles. Dans le chasteau furent veus des conils ayans deux testes, des chiens furieux courir de chambre en chambre, et disparoir soudainement. Auparavant, comme Sforce faisoit revue de son armée, presque au mesme endroit où quelque temps après il fut pris prisonnier, le cheval de guerre sur lequel il estoit monté fondit par deux fois sous son maistre, et broncha par terre, sans qu'au cheval apparust douleur, foulure ni foiblesse quelconque.»

    [Note 1: En son Histoire de Milan, IIe section, citée par
    Goulart, Thrésor des histoires admirables, tome IV, p. 332.]

Le docteur Aubery[1] cité par Goulart, raconte que «En la chapelle de Bourbon l'Archambauld à cinq lieues de Moulins, se présentent infinis embellissemens en pierre, bois, bronze et es vitres merveilleuses en l'esmail de leurs diverses couleurs. Les vistres qui sont au costé du couchant se voient enrichies de fleurs de lys sans nombre, et traversées ci-devant d'une barre. Mais le mesme jour que Henri III fut meschamment assassiné, la foudre emporta cette barre, sans endommager les fleurs de lys qui la touchoient: présage heureux de l'acquisition du sceptre de France due à la royale maison de Bourbon.»

    [Note 1: Aubery, docteur médecin, en son Traicté des bains de
    Bourbon-Lancy et Archambauld
.]

«Le jour qu'Alexandre de Médicis, duc de Florence, fut tué en sa chambre, et de la main de Laurent de Médicis, son cousin, l'an 1537, dit Goulart, d'après le supplément de Sabellic, en saison d'hiver, le verger et le jardin de Cosme de Médicis, son successeur, reverdit et florit, tous les autres vergers et jardins dedans et dehors la ville de Florence demeurant en leur estat, selon la saison.»

Goulart raconte, d'après Curoeus[1], que «Le dixiesme jour de septembre l'an 1513, Jacques, quatriesme de ce nom, roy d'Escosse, ayant embrassé le parti de France, s'esleva contre l'Angleterre, et la querelle s'eschauffa tellement qu'il y eut bataille donnée en laquelle le roy Jaques et la fleur de la noblesse d'Escosse mourut sur le champ. Lors y avoit un gentilhomme escossois serré fort estroitement en prison à Londres, lequel dit tout haut, plusieurs l'oyans quelques heures avant la bataille: Si les deux armées (angloise et escossoise) combattent aujourd'hui, je sçay pour certain que le roy mon seigneur sera le plus foible. Car je remarque en ce conflict et tourbillon des vents en l'air, que les vents sont merveilleusement contraires à l'Escosse. Ceste parole ne fut pas sans raison et sans événement: car il est certain que les anges conservateurs des estats publics et de l'ordre establi de Dieu combattent fermement contre les esprits malins qui prennent plaisir aux meurtres, et au renversement du bon ordre que le seigneur aprouve, comme on lit en l'histoire de Perse, où l'ange raconte à Daniel que par longue espace de temps il a réprimé le malin esprit, lequel incitoit les Grecs à aller ruiner la monarchie persique.»

[Note 1: Annales de Silésie.]

«Il y a en Norwege, dit Ziegler[1], un lac nommé le lac de Mos, dans lequel (sur l'instant du changement es affaires publiques) aparoit un serpent de longueur incroyable. L'an 1522, on y en vid un, lequel avoit, autant que plusieurs présumèrent, cinquante brasses de longueur. Peu de temps après le roi Christierne second fut chassé de son royaume.»

[Note 1: Description de Scondie, cité par Goulart, Thrésor d'histoires admirables.]

«Les peuples septentrionaux, ajoute Goulart, d'après Olaus[1], disent que les poissons monstrueux et non guères vus, venans à paroir en leur mer sont présages infaillibles de grands troubles par le monde.»

[Note 1: Olaus, au liv. XXI, ch. I.]

Cardan[1] rapporte que «L'an 1554, les pescheurs de Genes tirerent de la mer une teste de poisson de grandeur prodigieuse, car on conta du fond de la gorge au bout du museau dix-neuf pas. L'année suivante, les Genois perdirent l'isle de Corse.»

[Note 1: Au LXXIVe chap. du XIVe livre de la Diversité des choses.]

II.—PRÉSAGES DE NAISSANCE

«L'evesque d'Olmutz raconte, dit Goulart[1], que lorsque Wenceslas, depuis empereur (sous lequel survindrent beaucoup de désordres en Alemagne, en Boheme et ailleurs) nasquit, le feu se prit à l'église de Saint-Sebauld, en la ville de Nuremberg, où l'on chaufoit l'eau pour le baptiser, qu'il urina dedans les fonds et fit des ordures sur l'autel; sa mère, femme de l'empereur Charles IV, mourut en cette couche de Wenceslas, lequel fut le plus chétif empereur que l'Alemagne ait veu.»

[Note 1: Au XXIIIe livre de l'Histoire de Boheme.]

D'après Abraham Bucholcer[1]. «Jean Frideric, electeur de Saxe, né le trentiesme jour de juillet 1503, apporta du ventre de sa mère le presage de son avanture, asçavoir sur son dos une croix luisante comme or, laquelle veuë par un homme d'eglise venerable par sa vieillesse et piété, lequel avoit esté appelle par les dames de chambre de l'électrice, il dit: Ce petit enfant portera quelque jour une croix que tout le monde verra, puis que des son entrée au monde il en a l'enseigne si manifeste. On en vid le commencement en la princesse Sophie, sa mère, laquelle mourut douze jours après cest acouchcment.»

[Note 1: En sa Chronologie.]

«J'ai apris de gens dignes de foi, dit le docteur Philippe Camerarius[1], que le très puissant roi de la Grand'Bretagne, Jacques, venant au monde, fut veu ayant sur le corps un lyon et une couronne bien apparente, aucuns disent de plus une espée: marques de grand presage et dignes de plus ample consideration.»

[Note 1: Au IIIe vol. de ses Méditations historiques, liv. III, ch. II.]

Suivant Marin Barlet[1], «La princesse d'Albanie, fort enceinte, songea qu'elle se delivroit d'un grand serpent, qui de son corps couvroit l'Albanie, ouvroit la gueule sur la Turquie pour l'engloutir, et estendoit doucement la queue vers Occident. Elle se delivra d'un fils, lequel avoit sur le bras droit la forme d'une espée bien emprainte. Il fut nommé George, puis, par les Turcs, Scanderberg, c'est-à-dire seigneur Alexandre. Ce fut un très sage, très heureux et très valeureux prince, qui fit rude guerre aux Turcs.»

[Note 1: Vie de Scanderberg, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 314.]

Baptiste Fulgose[1] raconte que «Elisabet d'Arc, païsanne lorraine, estant fort enceinte, elle conta à ses voisins, au village, avoir songé qu'elle enfantoit la foudre, dont elles ne firent que rire. Tost après elle acoucha d'une fille, ce qui augmenta la risée. Ceste fille, nommée Jeanne, et surnommée la Pucelle, devenue en aage, quitta les moutons, prit les armes, et fut une vraye fouldre de guerre: car par une speciale faveur et force divine, elle ravit aux Anglois, possesseurs de la pluspart du royaume de France, tout le bonheur dont ils avoyent jouy plusieurs années, les afoiblit, batit et harassa en tant de rencontres et de sièges, qu'ils furent contraints quitter tout. Finalement, Jeanne, prise en certaine sortie, fut bruslée vive par les Anglois, lesquels depuis ne durèrent gueres en France, ains repassèrent la mer.»

[Note 1: Au liv. I, chap. V, du recueil de ses Histoires mémorables, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 341]

Jean François Pic de la Mirandole[1] raconte que «Bien peu de temps avant la naissance de Jean Picus, prince de la Mirandole, tant renommé entre les doctes de nostre temps, l'on descouvrit un grand globe de flamme ardante sur la chambre de la mère de ce prince, lequel globe de feu disparut incontinent. Cela presageoit premièrement en la forme ronde la perfection de l'intelligence qu'auroit l'enfant, lequel nasquit en ceste chambre au mesme instant, et qui seroit admiré de tout le monde, à cause de la prompte vivacité de son esprit, tout épris de l'amour des sciences, de la spéculation des choses sublimes, et de la continuelle contemplation des mysteres celestes. Outre plus, ce feu sembloit presager l'excellence du parler de ce prince, lequel embrasoit ses auditeurs en l'amour des choses divines: mais que ce feu ne feroit que passer. De fait, ce grand prince mourut fort jeune, asçavoir en l'aage de trente-deux ans, l'an 1494, au mois de novembre, estant né le vingt-quatriesme de fevrier 1463.»

[Note 1: En la Vie de Pic de la Mirandole, son oncle.]

«Jerosme Fracastor de Verone, encore fort petit, à ce que raconte l'auteur de sa vie[1], estant porté entre les bras de sa mere un jour d'esté, l'air venant à se troubler, voici un coup de fouldre, lequel atteint et tue la mère, sans que son petit enfant fust tant soit peu offensé, presage de l'illustre renommée d'icelui, docte entre les doctes qui ont esté depuis cent ans.»

[Note 1: Vie de J. Fracastor, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 315.]

III.—PRÉSAGES DE MORT

Goulart[1], d'après un livre intitulé la Mort du roi a fait un chapitre entier sur les avertissements merveilleux et prédictions de diverses sortes de la mort du roi Henri IV; on y trouve ceux-ci:

[Note 1: Thrésor des histoires admirables t. IV, p. 436.]

«On ne parloit en ce temps-là que de quelque grand accident qui devoit arriver. On rappeloit la mémoire de plusieurs prédictions sur les comètes, les éclipses et les conjonctions des planètes supérieures. Leovice avoit conjuré les rois qui estoient sous le Bélier et la Balance de penser à eux. L'estoile veue l'année precedente en plain midi avoit esté considerée par les mathematiciens comme un signal de quelque sinistre effect. La rivière de Loire s'estoit desbordée en pareille fureur qu'au temps de la mort violente de Henri II et Henri III. Les saisons perverties, l'extreme froid, l'extreme chaleur, et ces montagnes de glace que l'on vid sur les rivières de Loire et de Saône, mettoyent les esprits en pareilles appréhensions. On avoit fait courir par Paris des vers de la Samaritaine du Pont-Neuf à l'imitation des centuries de Nostradamus, qui parloit clairement de la mort du roi.

«L'arbre planté en la cour du Louvre, le premier jour de mai tomba de soi-mesme, sans effort et contre toute apparence, la teste devers le petit degré. Bassompierre voyant cela dit au duc de Guise, avec lequel il estoit apuyé sur les barres de fer du petit perron au devant de la chambre de la roine, qu'en Alemagne et en Italie on prendroit ceste cheute à mauvais signes, et pour le renversement de l'arbre dont l'ombre servoit à tout le monde. Le roi estimant qu'ils parloyent d'autre chose, porta sa teste tout bellement entre les leurs, escouta ce discours, et leur dit: Il y a vingt ans que j'ai les oreilles battues de ces presages. Il n'en sera que ce qu'il plaira à Dieu.

«Plusieurs choses furent prinses et remarquées à Sainct-Denis pour mauvais augure. Le roi et la roine dirent que leur sommet avoit esté rompu par une orfraye, oiseau nocturne et funebre, qui avoit crouassé toute la nuict sur la fenestre de leur chambre. La pierre qui sert à l'ouverture de la cave où sont enterrez les rois, se trouva ouverte. La curiosité, qui s'amuse à toutes choses, prit à mauvais signe que le cierge de la roine s'esteignit de soi-mesme; et que si elle n'eust porté sa main à sa couronne, elle fust tombée deux fois. Le mesme jour du jeudi 13, ce mesme prince considérant les théâtres si bien peuplez et en si bon ordre, dit que cela le faisoit souvenir du jour du jugement et que l'on seroit bien estonné si le juge se presentoit.»

«L'empereur Maximilien Ier et Philippe Ier, son fils, roy d'Espagne, dit Hedion en sa Chronique[1], estans en leur cabinet au palais de Brusselles, pour resoudre de quelque afaire d'importance, un vent se leve lequel arrache et jette hors de la paroy entre les deux princes une assez grosse pierre, laquelle Philippe leve de terre: et comme il continuoit de parler à son père, un tourbillon survint qui lui fit tomber ceste pierre des mains, laquelle se brisa sur le planché. C'est un presage, dit alors Philippe à Maximilien, que vous serez bien-tost pere de mes enfans. Peu de semaines après, Philippe, jeune prince, mourut, laissant ses pupilles à l'empereur Maximilien son père.»

    [Note 1: Cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t.
    II, p. 915.]

Selon Paul Jove[1], «Le pape Adrian VI s'acheminant d'Espagne à Rome pour son premier exploit voulut voir à Saragousse les os et reliques d'un sainct: ce qui fit dire à plusieurs qu'Adrian mourroit bien tost. Il avint alors aussi qu'une riche lampe de cristal, en l'église de ce sainct, se brisa soudainement, dont toute l'huile fut versée sur Adrian et sur quelques prestres autour de lui, dont leurs habillemens furent gastez. Arrivé à Rome, le palais où il demeuroit fut embrasé et consommé en un instant. Il canoniza Benno, evesque aleman, et Antonin, archevesque de Florence: mais il les suivit bientost et mourut après icelles canonizations, que l'on tient pour presages de mort prochaine aux papes qui les font.»

[Note 1: En sa Vie d'Adrian VI, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 945.]

D'après Sabellic[1], Philebert de Chalon, prince d'Aurange, ayant assiégé Florence, entendit que secours venoit aux Florentins. Sur ce il resoud d'aller au devant: et comme il vouloit monter à cheval, fait assembler autour de lui les capitaines, et commande qu'on apporte des flaccons et des tasses, les faisant emplir de vin, afin que tous beussent par ensemble. Comme les uns et les autres estoient prests à boyre, voici une pluye impétueuse et soudaine, le ciel estant fort serein auparavant, laquelle arrouse abondamment le prince et ses capitaines, qui beuvoyent en pleine campagne. Incontinent chacun dit son avis de ceste avanture. Le prince rioit à gorge desployée: A ce que je voy, dit-il, compagnons, nous ne parlerons que bien trempez à nos ennemis, puisque Dieu a voulu si benignement verser de l'eau en nostre vin. Ce furent ses derniers propos: car tost après ayant chargé et rompu ce secours il fut au combat transpercé d'un boulet, dont il mourut.»

[Note 1: Supplément au XIIIe livre, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 943.]

Joach. Camerarius[1] et Abr. Bucolcer[2], racontent ce qui suit selon Goulart[3]: «Guillaume Nesenus, personnage excellent en sçavoir et crainte de Dieu, s'estant jetté dedans une barque de pescheur en temps d'esté, pour traverser l'Elbe, rivière qui passe à Witeberg en Saxe, comme c'estoit sa coustume de s'esbatre quelques fois à passer ainsi ceste rivière, et conduire lui-mesme sa barque, alla heurter alors contre un tronc d'arbre caché dedans l'eau, qui renversa la barque, et Nesenus au fond dont il ne peut eschapper, ains fut noyé. Cela avint sur le soir. Le mesme jour, un peu après disné, comme Camerarius sommeilloit, avis lui fut qu'il entroit une barque de pescheur et qu'il tomboit en l'eau. Sur ce arriva vers lui, Philippe Melanchthon son familier ami, auquel il fit en riant le conte de ce sien songe, tenant sa vision pour chose vaine… Melanchthon et Camerarius devisans ensemble de ce songe et triste accident, se ramentierent l'un à l'autre ce qui leur estoit advenu et à Nesenus peu de jours auparavant. Ils faisoyent eux trois quelque voyage en Hesse, et ayans couché en une petite ville nommée Trese, le matin passerent un ruisseau proche de là, pour y abreuver leurs chevaux. Comme ils estoyent en l'eau, Nesenus decouvre en un costeau proche de là trois corbeaux croquetans, battans des aisles et sautelans. Sur ce il demande à Melanchthon que lui sembloit de cela? Melanchthon respondit promptement: Cela signifie que l'un de nous trois mourra bien tost. Camerarius confesse que ceste response le poignit jusques au coeur, et le troubla grandement; mais Nesenus ne fit qu'en secouer la teste, et poursuivit son chemin alaigrement. Camerarius adjouste qu'il fut en termes de demander à Melanchthon la raison de cette sienne conjecture; et que tost apres Melanchthon lui dit que, se sentant foible et valetudinaire, il ne pouvoit estimer que sa vie deut estre gueres plus longue. Et je ne ramentoy point ces choses, dit-il, comme si j'attribuois quelque efficace au vol et mouvement des oiseaux, ni ne fay point de science des conjectures qu'on voudroit bastir là dessus: comme aussi je sçay que Melanchthon ne s'en est jamais soucié. Mais j'ai bien voulu faire ce recit pour monstrer que parfois on void avenir des choses merveilleuses dont il ne faut pas se mocquer, et qui apres l'evenement suggèrent diverses pensées à ceux qui les voyent ou en entendent parler.»

[Note 1: Vie de Ph. Mélanchthon.]

[Note 2: Indices chronologiques, an 1524.]

[Note 3: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 373.]

Au récit de Zuinger[1], «La peste estant fort aspre es environs du Rhin l'an 1364, plusieurs mourans à Basle avoyent ceste coustume par présage merveilleux au fort de la maladie, et quelques heures devant que rendre l'âme, d'appeller par nom et surnom quelqu'un de leurs parens, alliés, voisin ou amis. Ce nommé tomboit tost après malade, et faisoit le mesme, ainsi cest appel continuoit du troisiesme au quatriesme, et consequemment: en telle sorte qu'on eust dit que ces malades estoyent les huissiers de Dieu pour adjourner ceux que la providence désignoit à comparoir en personne devant lui.»

[Note 1: En son Théâtre de la vie humaine, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 446.]

D'après Camerarius,[1] «Les comtes de Vesterbourg ont près du Rhin un chasteau basti en lieu fort haut eslevé. La peste y estant survenuë, les comtes s'en retirerent pour aller quelques jours en air meilleur et plus asseuré, où ils séjournerent trop peu. De retour, comme ils montoyent au chasteau, et approchoyent de la porte, la cloche de l'horloge posée en une haute tour sonne onze heures en lieu de trois ou quatre après midi. Cest accident extraordinaire occasiona les comtes de s'enquerir du portier paravant laissé seul au chasteau pour le garder, que vouloit dire ce changement. Il protesta n'en sçavoir rien, veu qu'on avoit laissé l'horloge plusieurs jours, sans qu'aucun y eust touché. Incontinent la peste se renouvella, laquelle emporta les comtes et toutes les personnes rentrées avec eux au chasteau: le nombre fut d'onze, autant que l'horloge, avoit sonné de coups.»

[Note 1: Au IIIe vol. de ses Méditations historiques, liv. I, ch. XV, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 318.]

«En la seigneurie de l'archevesque et electeur de Treves, se void, dit Camerarius[1], un vivier ou estang en lieu conu de ceux du pays, duquel quand il sort quelque poisson de grandeur desmesurée, et qui se monstre, on tient que c'est un certain presage de la mort de l'électeur, et que par longue suite d'années on a vérifié ceste avanture. En la baronnie de Hohensax, en Suisse, quand un de la famille doit mourir, des plus hautes montagnes qui séparent la baronnie d'avec le canton d'Appenzel, tombe une fort grosse pierre de rochers avec tant de bruit que le roulement d'icelle est entendu clairement près et loin, jusques à ce qu'elle s'arreste en la plaine du chasteau de Fontez.»

[Note 1: En ses Méditations historiques, vol. III, liv. I, ch. XV, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables. t. III, p. 318.]

Taillepied[1] cite ce fait rapporté par Léon du Vair: «Que dirai-je du monastère de Saint-Maurice, qui est situé es confins et limites de Bourgongne, près le fleuve du Rhosne? Il y a là dedans un vivier, auquel selon le nombre de moines, on met aussi tant de poissons: que s'il arrive que quelqu'un des religieux tombe malade, on verra aussi sur le fil de l'eau un de ces poissons qui nagera comme estant demy-mort, et si ce religieux doit aller de vie à trespas, ce poisson mourra deux ou trois jours devant luy.»

[Note 1: Traité de l'apparition des esprits, p. 139.]

«Le sixiesme jour d'avril 1490, dit Goulart[1], Mathias, roi de Hongrie, surnommé la frayeur des Turcs, mourut d'apoplexie à Vienne, en Austriche. Tous les lyons que l'on gardoit en des lieux clos à Bude moururent ce jour là. Un peu devant le trespas du prince Jean Casimir, comte palatin du Rhin et administrateur de l'électoral, le lyon qu'il faisoit soigneusement nourrir mourut: ce que le prince prit pour presage de son deslogement. Un cheval que Louis, roi de Hongrie, montoit, perit soudain, un peu devant la bataille de Varne, en laquelle ce jeune prince demoura. Car ayant esté mis en route, et voulant se sauver à travers un marests, le cheval qui le portoit ne peut l'en desgager, ains y enfondra et perdit son maistre. Le frère Battory, roi de Pologne, estant mort en Transsilvanie, le cheval du roi mourut soudain, et quelques jours après vindrent nouvelles du trespas du prince decedé fort loin de là.»

[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. III. p. 316]

D'après Joach. Camerarius[1], «Maurice, électeur de Saxe, prince vaillant et excellent, eut divers presages de sa mort peu de jours avant la bataille donnée l'an 1553, entre lui et Albert, marquis de Brandebourg, lequel il mit en route. La teste d'une siene statue de pierre fut emportée d'un coup de fouldre, sans que les statues des autres électeurs eslevées en lieu public en une ville de Saxe nommée Berlin, fussent tant soit peu atteintes de cest esclat. Un vent impetueux s'esleva le jour precedent la bataille, lequel arracha et deschira deux grands pavillons de l'electeur, en l'un desquels on faisoit sa cuisine, en l'autre se dressoyent les tables pour ses repas ordinaires. Au mesme temps il plut du sang auprès de Lipsic.»

    [Note 1: En sa harangue funèbre sur la mort de Maurice, électeur de
    Saxe.]

«En l'église cathédrale de Mersburg, près de Lipsic, dit Goulart[1], y a un evesque et des chanoines ausquels il estoit loisible de se marier. Ils ont laissé en icelle de grands et riches joyaux donnez des longtemps, et ont fait conscience de s'en accommoder. Pour la garde du temple il y a ordinairement quelques hommes qui tour à tour veillent en icelui tant de jour que de nuict. Iceux rapportèrent avoir observé de fort longtemps et entendu de leurs devanciers gardes que trois semaines avant le deces de chascun chanoine de nuict se fait un grand tumulte dedans le temple: et comme si quelque puissant homme donnoit de toute sa force quelques coups de poing clos sur la chaire du chanoine qui doit mourir; laquelle ces gardes marquent incontinent: et le lendemain venu en avertissent le chapitre. C'est un adjournement personnel à ce chanoine, lequel meurt dedans trois semaines après.»

[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. I, p. 549.]

Suivant un petit ouvrage anonyme[1], «Les Espagnols parlent d'une cloche en Arragon par eux appellée la cloche du miracle, en une colline près de Villela, laquelle (disent-ils) contient dix brasses de tour, sonne parfois, mais rarement, de soi-mesme, sans estre agitée par aucun instrument ni moyen visible ou sensible, comme de mains d'hommes, de violence des vents, de tremblement de terre, ou autres semblables agitations. Elle commence en tintant, puis sonne à volée, par intervalles d'heures et de jours. Les Portugais disent qu'elle sonna lors que le roi Sebastien fit le voyage d'Afrique et en l'an 1601 depuis le 13 de juin jusques au 24, à diverses reprises. On dit qu'elle sonna lorsque Alphonse V, roi d'Arragon, alla en Italie pour prendre possession du royaume de Naples, en la mort de Charles V, en une extrême maladie du roi Philippe II arresté à Badajos et au trespass de la roine Anne, sa dernière femme.»

[Note 1: Histoire de la paix, imprimée à Paris par Jean Richer, 1607, p. 233 et 234.]

Taillepied[1] rapporte certains présages qui précèdent l'exécution des condamnés: «Il advient aussi beaucoup de choses estranges es chateaux où sera emprisonné quelque malfaicteur digne de mort: car on y oïra de nuict de grands tintamarres, comme si l'on vouloit sauver par force le prisonnier, et semblera que les portes doivent être forcées; mais en allant voir que c'est, on ne trouvera personne, et le prisonnier n'en aura rien senty, ny ouy. On dit aussi que les bourreaux scavent souventes fois quand ils doivent exécuter quelque malfaicteur à mort: car leurs épées desquelles ils font justice leur en donnent quelque signe. Beaucoup de choses adviennent touchant ces pauvres misérables qui se tuent eux-mêmes. Il a fallu souvent les mener bien loing pour les jecter dans quelque grand'eau: adonc si les chevaux qui les tiraient les descendoient de quelque montagne, à grand'peine en pouvaient-ils venir à bout; et au contraire s'il falloit monter ils estoient contraints de courir, tant cela les poussoit fort.»

[Note 1: Traité de l'apparition des esprits, p. 138.]

IV.—AVERTISSEMENTS

«Souvent Dieu nous fait savoir, dit Gaffarel[1], ce qui doit arriver par quelque signe intérieur, soit en veillant, soit en dormant. Ainsi Camerarius prétend qu'il y a des personnes qui sentent la mort de leurs parents, soit devant ou après qu'ils sont trespassez par une inquiétude estrange et non accoustumée, fussent-ils à mille lieues loin d'eux. Feue ma mère Lucrèce de Bermond avoit un signe presque semblable: car il ne mouroit aucun de nos parents qu'elle ne songeast en dormant peu de temps auparavant, ou des cheveux, ou des oeufs, ou des dents mêlées de terre, et cela estoit infaillible et moy mesme lorsqu'elle disoit qu'elle avoit songé telles choses, j'en observois après l'évènement.»

[Note 1: Curiositez inouyes.]

D'après Taillepied[1], «On a observé es maisons de ville que, quand quelque conseiller devoit mourir, on entendoit du bruit en la place où il s'asseoit au conseil: comme le mesme advient aux bancs des églises, ou en autres lieux où on aura fréquenté et travaillé. Quand quelque moyne ou serviteur de couvent sera malade, on verra de nuit faire une bière en la même sorte qu'on la feroit par après. On oit bien souvent es cimetières de village faire une fosse avec grands soupirs et gémissemens quand quelqu'un doit mourir, et comme elle sera faite le jour suivant. Quelquefois aussi pendant que la lune luisoit on a veu des gens aller en procession après les funérailles d'un mort. Aucuns disent que quand on voit l'esprit de quelqu'un, et il ne meurt incontinent après, c'est signe qu'il vivra longtemps, mais il ne se faut pas amuser à telles spéculations, ains plustost chascun doit s'apprester comme s'il falloit mourir dès demain afin de n'estre abusé.»

[Note 1: Traité de l'apparition des esprits, in-12, p. 137.]

Suivant Th. Zuinger[1] «Henry II, roi de France, ayant esté déconseillé et prié nommément par la reine sa femme de ne point courir la lance le jour qu'il fut blessé à mort, ayant eu la nuict précédente vision expresse et présage du coup, ne voulut pourtant désister, mesme il contraignit le comte, de Montgomerry de venir à la jouste. Comme ils s'apprestoyent à rompre la dernière lance, un jeune garçon qui regardoit d'une fenestre ce passe temps, commence à crier tout haut regardant et monstrant le comte de Montgomerry: Hélas! cest homme s'en va tuer le roy.»

[Note 1: Théâtre de la vie humaine, Ve vol., liv. IV.]

«Suivant Buchanan[1], «Jaques Londin, Escossois, d'honneste maison, ayant esté longtemps travaillé d'une fièvre, le jour devant que Jaques V, roy d'Escosse fut tué, se haussant un peu dedans son lict environ midi, et comme tout estonné, commence à dire tout haut à ceux qui estoyent autour de lui: Sus, sus, secourez le roy: les parricides l'environnent pour le tuer. Un peu après il se met à pleurer et crier piteusement: Il n'est plus temps de lui aider, le pauvre prince est mort. Incontinent après, ce malade expira.»

[Note 1: Histoire d'Escosse, liv. XVII. cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 944.]

«Un autre présage du meurtre de ce prince fut comme conjoint avec le meurtre mesme. Trois domestiques du comte d'Atholie, gentils-hommes bien conus et vertueux, logez non gueres loin de la maison du roy, endormis environ la minuict, il sembla à l'un d'eux couché contre la paroy, nommé Dugal Stuart, que certain personnage s'aprochoit de lui, qui passant la main doucement par dessus la joue et la barbe de Stuart lui disoit: Debout, on veut vous tuer. Il s'esveille, et pensant à ce songe, l'un de ses compagnons s'escrie d'un autre lict: Qui est-ce qui me foule aux pieds? Stuart lui respond: C'est à l'avanture quelque chat qui rode ici la nuict. Alors le troisiesme qui dormoit encor, s'esveillant en sursaut, se jette du lict en bas et demande: Qui m'adonne bien serré sur la joue? Sur ce il lui semble que quelqu'un sautoit avec grand bruit par la porte hors de la chambre. Comme ces trois gentilshommes devisoyent de leurs visions, voici la maison du roy renversée avec grand bruit par violence et de pouldre à canon, dont s'ensuit la mort du prince.»

D'après le petit livre intitulé la Mort du roi, cité par Goulart[1], «Le vendredi quatorziesme jour de may 1610, une religieuse de l'abbaye de Sainct-Paul en Picardie, soeur de Villers Hodan, gouverneur de Dieppe, estant en quelque indisposition, fut visitée en sa chambre par son abbesse, soeur du cardinal de Sourdi, et après qu'elles se furent entretenues de paroles propres à leur condition, elle s'escria sans trouble ni sans les agitations et frayeurs propres aux enthousiastes: Madame, faites prier Dieu pour le roi: car on le tue. Et un peu après: Hélas! il est tué! En la conférence des paroles et de l'acte on a trouvé que tout cela n'avoit eu qu'une mesme heure.»

[Note 1: Thrésor des histoires admirables, t. IV.]

On lit dans une lettre de Mme de Sévigné au président de Monceau que, trois semaines avant la mort du grand Condé, pendant qu'on l'attendait à Fontainebleau, M. de Vernillon, l'un de ses gentilshommes, revenant de la chasse sur les trois heures, et approchant du château de Chantilly (séjour ordinaire du prince), vit, à une fenêtre de son cabinet, un fantôme revêtu de son armure, qui semblait garder un homme enseveli; il descendit de cheval et s'approcha, le voyant toujours; son valet vit la même chose et l'en avertit. Ils demandèrent la clef du cabinet au concierge; mais ils en trouvèrent les fenêtres fermées, et un silence qui n'avait pas été troublé depuis six mois. On conta cela au prince, qui en fut un peu frappé, qui s'en moqua cependant, ou parut s'en moquer, mais tout le monde sut cette histoire et trembla pour ce prince, qui mourut trois semaines après.

On sait que le duc de Buckingham, favori de Jacques Ier, roi d'Angleterre, fut assassiné en 1628 par Felton, officier a qui il avait fait des injustices. Quelque temps avant sa mort, Guillaume Parker, ancien ami de sa famille, aperçut à ses côtés en plein midi le fantôme du vieux sir George Villiers, père du duc, qui depuis longtemps ne vivait plus. Parker prit d'abord cette apparition pour une illusion de ses sens; mais bientôt il reconnut la voix de son vieil ami, qui le pria d'avertir le duc de Buckingham d'être sur ses gardes, et disparut. Parker, demeuré seul, réfléchit à cette commission, et, la trouvant difficile, il négligea de s'en acquitter. Le fantôme revint une seconde fois et joignit les menaces aux prières, de sorte que Parker se décida à lui obéir; mais il fut traité de fou, et Buckingham dédaigna son avis.

Le spectre reparut une troisième fois, se plaignit de l'endurcissement de son fils, et tirant un poignard de dessous sa robe: «Allez encore, dit-il à Parker; annoncez à l'ingrat que vous avez vu l'instrument qui doit lui donner la mort.»

Et de peur qu'il ne rejetât ce nouvel avertissement, le fantôme révéla à son ami un des plus intimes secrets du duc. Parker retourna à la cour. Buckingham, d'abord frappé de le voir instruit de son secret, reprit bientôt le ton de raillerie, et conseilla au prophète d'aller se guérir de sa démence. Néanmoins, quelques semaines après, le duc de Buckingham fut assassiné.

Paul Jove[1] rapporte que «Des chevaliers de Rhodes rendirent l'isle et la ville au Turc le jour de Noël, l'an 1521. En mesme instant de ceste reddition, comme le pape Adrian VI entroit en sa chapelle à Rome pour chanter messe, ayant fait le douziesme pas, une grosse pierre du portail de ceste chapelle se dissoult et tombe soudainement sur deux suisses de la garde du pape, qui tout à l'instant en furent escrasez sur la place.»

[Note 1: En la Vie d'Adrian VI, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. III, p. 327.]

Cardan[1] raconte que «Baptiste, son parent, estudiant à Pavie, s'esveilla de nuict, et délibéra prendre son fusil pour allumer la chandelle. En ces entrefaictes il entend une voix disant: Adieu, mon fils, je m'en vay à Rome, et lui sembla qu'il voyoit une très grande lumière, comme d'un fagot de paille tout en feu. Tout estonné il se cache sous la coultre de son lict, et y demeure le reste de la nuict et la matinée, jusques à ce que ses compagnons retournent de la leçon. Ils frapent à la porte de la chambre, dont leur ayant fait ouverture, et raconté son songe, il adjouste en pleurant que c'estoyent nouvelles de la mort de sa mère. Eux n'en firent que secoüer les oreilles. Mais le lendemain il receut nouvelle que sa mère estoit décédée en la mesme heure qu'il avoit veu ceste grande lumière, en un lieu éloigné d'environ une journée à pied loin de Pavie.»

[Note 1: De la variété des choses, Ve livre, chap. LXXXIV, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 1012.]

D'après Zuinger[1], «Jean Huber, docte médecin en la ville de Basle, estant en l'article de la mort, avis fut la nuict à Jean Lucas Isel, honnorable citoyen de Basle, demeurant lors à Besançon, lequel ne sçavoit du tout rien de ceste maladie, qu'il voyoit son lict couvert de terre fraischement fossoyée, laquelle voulant secouer, après avoir jetté bas la couverte, il vid (ce lui sembloit) Huber couché tout de son long sous les linceux, en un clin d'oeil transformé en petit enfant. La nuict du lendemain il eut une autre vision: car il sembla qu'il oyoit divers piteux cris de personnes qui plouroyent le trespas de Hubert, lequel vrayement estoit mort en ces entrefaictes. Isel esveillé receut au bout de quelques jours nouvelles de la mort de Huber.»

[Note 1: En son Théâtre de la vie humaine, Ve vol., liv. IV, cité par Goulart, Thrésor des histoires admirables, t. II, p. 1044.]

D'après des Caurres[1], «Possidonius historien, raconte de deux amis et compagnons d'Arcadie, qui est une partie d'Achaïe en la Grèce, que venans en la cité de Megara après Athènes, l'un logea à l'hostellerie, l'autre pour espargner logea à un cabaret. Celuy qui étoit au grand logis, la nuict en dormant vit son compagnon qui le prioit luy venir secourir, car son tavernier estoit apres à le tuer. Quoy oyant, son compagnon s'esveilla et estimant que ce fut un songe, se remist en son lict. Et si tost après qu'il fut endormy, voicy derechef son compagnon qui lui apparut, disant que puisqu'il ne l'avoit secouru en sa vie, qu'il luy aidast à venger sa mort contre le tavernier qui l'avoit meurdry, lequel avoit mis son corps sur une charrette couverte de fumier, à fin que le matin il envoyast par son chartier comme on a accoustumé à vuider le fumier, et luy dit qu'il se trouvast le matin à la porte, là où il trouveroit le corps, ce qui fut faict. Le chartier gagna au pied, et le cabaretier perdit la vie.»

[Note 1: Oeuvres morales et diversifiées, p. 377.]

«Durant nos dernières guerres, dit Goulart[1], un conseiller en la ville de Montpeslier, personnage honorable, estant avec d'autres au temple, priant Dieu, eut une vision soudaine de tous les endroits de sa maison: il lui sembla qu'un sien petit fils unique tomboit d'une haute gallerie en la basse cour de son logis. Il se leve en sursaut, va chez soi au grand pas, demande son enfant, le trouve sain et sauf, raconte son extase, commet dès lors une chambrière pour garder ce petit fils et de nuict et de jour. Trois mois après, ceste chambrière infiniment soigneuse de l'enfant se trouva avec icelui en la gallerie, et n'ayant fait que tourner le dos, l'enfant tombe en la basse cour et est trouvé roide mort. Le conseiller esperdu se prend à sa femme, qui n'en pouvoit mais, et la tanse fort asprement. Quatre jours après, comme ceste mère désolée ouvre certain cabinet, un fantosme tout tel que son fils mort, se présente à elle riant et feignant vouloir l'embrasser. Lors elle s'escrie: Ha! Satan, tu veux me tenter. Mon Dieu, assiste à ta servante. Ces mots proférés, le fantosme s'esvanouit.»

[Note 1: Thrésor des histoires admirables, tome III, p. 328.]

Les sorcières ont eu quelquefois des corneilles à leur service, comme on le voit par la légende qui suit, et qui, conservée par Vincent Guillerin[1], a inspiré plus d'une ballade sauvage, en Angleterre et en Ecosse.

[Note 1: Spect. hist. lib. XXVI.]

«Une vieille Anglaise de la petite ville de Barkley exerçait en secret au XIe siècle, la magie et la sorcellerie avec grande habileté. Un jour, pendant qu'elle dînait, une corneille qu'elle avait auprès d'elle et dont personne ne soupçonnait l'emploi, lui croassa je ne sais quoi de plus clair qu'à l'ordinaire. Elle pâlit, poussa de profonds soupirs et s'écria: «J'apprendrai aujourd'hui de grands malheurs.»

«A peine achevait-elle ces mots, qu'on vint lui annoncer que son fils aîné et toute la famille de ce fils étaient morts de mort subite. Pénétrée de douleur, elle assembla ses autres enfants, parmi lesquels était un bon moine et une sainte religieuse; elle leur dit en gémissant:

«Jusqu'à ce jour, je me suis livrée, mes enfants, aux arts magiques. Vous frémissez; mais le passé n'est plus en mon pouvoir. Je n'ai d'espoir que dans vos prières. Je sais que les démons sont à la veille de me posséder pour me punir de mes crimes. Je vous prie, comme votre mère, de soulager les tourments que j'endure déjà. Sans vous, ma perte me paraît assurée, car je vais mourir dans un instant. Renfermez mon corps dans une peau de cerf, dans une bière de pierre recouverte de plomb que vous lierez par trois tours de chaîne. Si, pendant trois nuits, je reste tranquille, vous m'ensevelirez la quatrième, quoique je craigne que la terre ne veuille point recevoir mon corps. Pendant cinquante nuits, chantez des psaumes pour moi, et que pendant cinquante nuits on dise des messes.»

«Ses enfants troublés exécutèrent ses ordres; mais ce fut sans succès. La corneille, qui sans doute n'était qu'un démon, avait disparu. Les deux premières nuits, tandis que les clercs chantaient des psaumes, les démons enlevèrent, comme s'ils eussent été de paille, les portes du caveau et emportèrent les deux chaînes qui enveloppaient la caisse: la nuit suivante, vers le chant du coq, tout le monastère parut ébranlé par les démons qui entouraient l'édifice. L'un d'entre eux, le plus terrible, parut avec une taille colossale, et réclama la bière. Il appela la morte par son nom; il lui ordonna de sortir. «Je ne le puis, répondit le cadavre, je suis liée.»

«Tu vas être déliée,» répondit Satan; et aussitôt il brisa comme une ficelle la troisième chaîne de fer qui restait autour de la bière: il découvrit d'un coup de pied le couvercle, et prenant la morte par la main, il l'entraîna en présence de tous les assistants. Un cheval noir se trouvait là, hennissant fièrement, couvert d'une selle garnie partout de crochets de fer; on y plaça la malheureuse et tout disparut; on entendit seulement dans le lointain les derniers cris de la sorcière.»

FIN

* * * * *

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE

LES DIABLES.

I.—Existence des démons

II.—Apparitions du diable

III.—Enlèvements par le diable

IV.—Métamorphoses du diable

V.—Signes de la possession du démon

VI.—Sabbat

VII.—Union charnelle avec le diable—Incubes et Succubes

VIII.—Pacte avec le diable—Marque des sorciers

IX.—Fourberies et méchancetés du diable

LES BONS ANGES

LE ROYAUME DES FÉES.

I.—Fées

II.—Elfes

NATURE TROUBLÉE.

I.—Possédés—Démoniaque

II.—Ensorcelés

III.—Hommes changés en bêtes—Lycanthropes—Loups-garous

IV.—Sortilèges

MONDE DES ESPRITS.

I.—Nature des esprits

II.—Follets et Lutins

III.—Gnomes—Esprits des mines—Gardes des trésors

IV.—Esprits familiers

PRODIGES.

I.—Prodiges célestes

II.—Animaux parlants

EMPIRE DES MORTS.

I.—Ames en peine—Lamies et Lémures

II.—Revenants, spectres, larves, etc.

III.—Fantômes

IV.—Vampires

PRÉSAGES.

I.—Présages de guerre, de succès et de défaites

II.—Présages de naissance

III.—Présages de mort

IV.—Avertissements

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