Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu: ou la politique de Machiavel au XIXe Siècle par un contemporain
Oui.
Mais vous comprenez bien que je n'entends pas rendre la vie matérielle difficile à la population ouvrière de la capitale, et je rencontre là un écueil, c'est incontestable; mais la fécondité de ressources que doit avoir mon gouvernement me suggérerait une idée; ce serait de bâtir pour les gens du peuple de vastes cités où les logements seraient à bas prix, et où leurs masses se trouveraient réunies par cohortes comme dans de vastes familles.
Des souricières!
Oh! l'esprit de dénigrement, la haine acharnée des partis ne manquera pas de dénigrer mes institutions. On dira ce que vous dites. Peu m'importe, si le moyen ne réussit pas on en trouvera un autre.
Je ne dois pas abandonner le chapitre des constructions sans mentionner un détail bien insignifiant en apparence, mais qu'y a-t-il d'insignifiant en politique? Il faut que les innombrables édifices que je construirai soient marqués à mon nom, qu'on y trouve des attributs, des bas-reliefs, des groupes qui rappellent un sujet de mon histoire. Mes armes, mon chiffre doivent être entrelacés partout. Ici, ce seront des anges qui soutiendront ma couronne, plus loin, des statues de la justice et de la sagesse qui supporteront mes initiales. Ces points sont de la dernière importance, j'y tiens essentiellement.
C'est par ces signes, par ces emblêmes que la personne du souverain est toujours présente; on vit avec lui, avec son souvenir, avec sa pensée. Le sentiment de sa souveraineté absolue entre dans les esprits les plus rebelles comme la goutte d'eau qui tombe incessamment du rocher creuse le pied de granit. Par la même raison je veux que ma statue, mon buste, mes portraits soient dans tous les établissements publics, dans l'auditoire des tribunaux surtout; que l'on me représente en costume royal ou à cheval.
A côté de l'image du Christ.
Non pas, sans doute, mais en face; car la puissance souveraine est une image de la puissance divine. Mon image s'allie ainsi avec celle de la Providence et de la justice.
Il faut que la justice elle-même porte votre livrée. Vous n'êtes pas un chrétien, vous êtes un empereur Grec du Bas-Empire.
Je suis un empereur catholique, apostolique et romain. Par les mêmes raisons que celles que je viens de vous déduire, je veux que l'on donne mon nom, le nom Royal, aux établissements publics de quelque nature qu'ils soient. Tribunal royal, Cour royale, Académie royale, Corps législatif royal, Sénat royal, Conseil d'État royal; autant que possible ce même vocable sera donné aux fonctionnaires, aux agents, au personnel officiel qui entoure le gouvernement. Lieutenant du roi, archevêque du roi, comédien du roi, juge du roi, avocat du roi. Enfin, le nom de royal sera imprimé à quiconque, hommes ou choses, représentera un signe de puissance. Ma fète seule sera une fète nationale et non pas royale. J'ajoute encore qu'il faut, autant que possible, que les rues, les places publiques, les carrefours portent des noms qui rappellent les souvenirs historiques de mon règne. Si l'on suit bien ces indications, fût-on Caligula ou Néron, on est certain de s'imprimer à jamais dans la mémoire des peuples et de transmettre son prestige à la postérité la plus reculée. Que de choses n'ai-je point encore à ajouter! il faut que je me borne.
Car qui pourrait tout dire sans un mortel ennui?[16].
Me voici arrivé aux petits moyens; je le regrette, car ces choses ne sont peut-être pas dignes de votre attention, mais, pour moi, elles sont vitales.
La bureaucratie est, dit-on, une plaie des gouvernements monarchiques; je n'en crois rien. Ce sont des milliers de serviteurs qui sont naturellement rattachés à l'ordre de choses existant. J'ai une armée de soldats, une armée de juges, une armée d'ouvriers, je veux une armée d'employés.
Vous ne vous donnez plus la peine de rien justifier.
En ai-je le temps?
Non, passez.
Dans les États qui ont été monarchiques, et ils l'ont tous été au moins une fois, j'ai constaté qu'il y avait une véritable frénésie pour les cordons, pour les rubans. Ces choses ne coûtent presque rien au prince et il peut faire des heureux, mieux que cela, des fidèles, au moyen de quelques pièces d'étoffe, de quelques hochets en argent ou en or. Peu s'en faudrait, en vérité, que je ne décorasse sans exception ceux qui me le demanderaient. Un homme décoré est un homme donné. Je ferais de ces marques de distinction un signe de ralliement pour les sujets dévoués; j'aurais, je crois bien, à ce prix, les onze douzièmes de mon royaume. Je réalise par là, autant que je le puis, les instincts d'égalité de la nation. Remarquez bien ceci: plus une nation en général tient à l'égalité, plus les individus ont de passion pour les distinctions. C'est donc là un moyen d'action dont il serait trop malhabile de se priver. Bien loin par suite de renoncer aux titres, comme vous me l'avez conseillé, je les multiplierais autour de moi en même temps que les dignités. Je veux dans ma cour l'étiquette de Louis XIV, la hiérarchie domestique de Constantin, un formalisme diplomatique sévère, un cérémonial imposant; ce sont là des moyens de gouvernement infaillibles sur l'esprit des masses. A travers tout cela, le souverain apparaît comme un Dieu.
On m'assure que dans les États en apparence les plus démocratiques par les idées, l'ancienne noblesse monarchique n'a presque rien perdu de son prestige. Je me donnerais pour chambellans les gentilhommes de la plus vieille roche. Beaucoup d'antiques noms seraient éteints sans doute; en vertu de mon pouvoir souverain, je les ferais revivre avec les titres, et l'on trouverait à ma cour les plus grands noms de l'histoire depuis Charlemagne.
Il est possible que ces conceptions vous paraissent bizarres, mais ce que je vous affirme, c'est qu'elles feront plus pour la consolidation de ma dynastie que les lois les plus sages. Le culte du prince est une sorte de religion, et, comme toutes les religions possibles, ce culte impose des contradictions et des mystères au-dessus de la raison[17]. Chacun de mes actes, quelque inexplicable qu'il soit en apparence, procède d'un calcul dont l'unique objet est mon salut et celui de ma dynastie. Ainsi que je le dis, d'ailleurs, dans le Traité du Prince, ce qui est réellement difficile, c'est d'acquérir le pouvoir; mais il est facile de le conserver, car il suffit en somme d'ôter ce qui nuit et d'établir ce qui protége. Le trait essentiel de ma politique, comme vous avez pu le voir, a été de me rendre indispensable[18]; j'ai détruit autant de forces organisées qu'il l'a fallu pour que rien ne pût plus marcher sans moi, pour que les ennemis mêmes de mon pouvoir tremblassent de le renverser.
Ce qui me reste à faire maintenant ne consiste plus que dans le développement des moyens moraux qui sont en germe dans mes institutions. Mon règne est un règne de plaisirs; vous ne me défendez pas d'égayer mon peuple par des jeux, par des fêtes; c'est par là que j'adoucis les moeurs. On ne peut pas se dissimuler que ce siècle ne soit un siècle d'argent; les besoins ont doublé, le luxe ruine les familles; de toutes parts on aspire aux jouissances matérielles; il faudrait qu'un souverain ne fût guère de son temps pour ne pas savoir faire tourner à son profit cette passion universelle de l'argent et cette fureur sensuelle qui consume aujourd'hui les hommes. La misère les serre comme dans un étau, la luxure les presse; l'ambition les dévore, ils sont à moi. Mais quand je parle ainsi, au fond c'est l'intérêt de mon peuple qui me guide. Oui, je ferai sortir le bien du mal; j'exploiterai le matérialisme au profit de la concorde et de la civilisation; j'éteindrai les passions politiques des hommes en apaisant les ambitions, les convoitises et les besoins. Je prétends avoir pour serviteurs de mon règne ceux qui, sous les gouvernements précédents, auront fait le plus de bruit au nom de la liberté. Les plus austères vertus sont comme celle de la femme de Joconde; il suffit de doubler toujours le prix de la défaite. Ceux qui résisteront à l'argent ne résisteront pas aux honneurs; ceux qui résisteront aux honneurs ne résisteront pas à l'argent. En voyant tomber à leur tour ceux que l'on croyait le plus purs, l'opinion publique s'affaiblira à tel point qu'elle finira par abdiquer complétement. Comment pourra-t-on se plaindre en définitive? Je ne serai rigoureux que pour ce qui aura trait à la politique; je ne persécuterai que cette passion; je favoriserai même secrètement les autres par les mille voies souterraines dont dispose le pouvoir absolu.
Après avoir détruit la conscience politique, vous deviez entreprendre de détruire la conscience morale; vous avez tué la société, maintenant vous tuez l'homme. Plût à Dieu que vos paroles retentissent jusque sur la terre; jamais réfutation plus éclatante de vos propres doctrines n'aurait frappé des oreilles humaines.
Laissez-moi finir.
VINGT-QUATRIÈME DIALOGUE.
Il ne me reste plus maintenant qu'à vous indiquer certaines particularités de ma manière d'agir, certaines habitudes de conduite qui donneront à mon gouvernement sa dernière physionomie.
En premier lieu, je veux que mes desseins soient impénétrables même pour ceux qui m'approcheront le plus près. Je serais, sous ce rapport, comme Alexandre VI et le duc de Valentinois, dont on disait proverbialement à la cour de Rome, du premier, «qu'il ne faisait jamais ce qu'il disait; du second, qu'il ne disait jamais ce qu'il faisait.» Je ne communiquerais mes projets que pour en ordonner l'exécution et je ne donnerais mes ordres qu'au dernier moment. Borgia n'en usait jamais autrement; ses ministres eux-mêmes ne savaient rien et l'on était toujours réduit autour de lui à de simples conjectures. J'ai le don de l'immobilité, mon but est là; je regarde d'un autre côté, et quand il est à ma portée, je me retourne tout à coup et je fonds sur ma proie avant qu'elle n'ait eu le temps de jeter un cri.
Vous ne sauriez croire quel prestige une telle puissance de dissimulation donne au prince. Quand elle est jointe à la vigueur de l'action, un respect superstitieux l'environne, ses conseillers se demandent tout bas ce qui sortira de sa tête, le peuple ne place sa confiance qu'en lui; il personnifie à ses yeux la Providence dont les voies sont inconnues. Quand le peuple le voit passer, il songe avec une terreur involontaire ce qu'il pourrait d'un signe de la nuque; les États voisins sont toujours dans la crainte et le comblent de marques de déférence, car ils ne savent jamais si quelque entreprise toute prête ne fondra pas sur eux du jour au lendemain.
Vous êtes fort contre votre peuple parce que vous le tenez sous votre genou, mais si vous trompez les États avec qui vous traitez comme vous trompez vos sujets, vous serez bientôt étouffé dans les bras d'une coalition.
Vous me faites sortir de mon sujet, car je ne m'occupe ici que de ma politique intérieure; mais si vous voulez savoir un des principaux moyens à l'aide desquels je tiendrais en échec la coalition des haines étrangères, le voici: Je règne sur un puissant royaume, je vous l'ai dit; eh bien! je chercherais autour de mes États quelque grand pays déchu qui aspirât à se relever, je le relèverais tout entier à la faveur de quelque guerre générale, comme cela s'est vu pour la Suède, pour la Prusse, comme cela peut se voir d'un jour à l'autre pour l'Allemagne ou pour l'Italie, et ce pays, qui ne vivrait que par moi, qui ne serait qu'une émanation de mon existence, me donnerait, tant que je serais debout, trois cent mille hommes de plus contre l'Europe armée.
Et le salut de votre État à côté duquel vous élèveriez ainsi une puissance rivale et par suite ennemie dans un temps donné?
Avant tout je me conserve.
Ainsi vous n'avez rien, pas même le souci des destinées de votre royaume[19]?
Qui vous dit cela? Pourvoir à mon salut, n'est-ce pas pourvoir en même temps au salut de mon royaume!
Votre physionomie royale se dégage de plus en plus; je veux la voir toute entière.
Daignez donc ne pas m'interrompre.
Il s'en faut bien qu'un prince, quelle que soit sa force de tête, trouve toujours en lui les ressources d'esprit nécessaires. Un des plus grands talents de l'homme d'État consiste à s'approprier les conseils qu'il entend autour de lui. On trouve très-souvent dans son entourage des avis lumineux. J'assemblerais donc très-souvent mon conseil, je le ferais discuter, débattre devant moi les questions les plus importantes. Quand le souverain se défie de ses impressions, ou n'a pas assez de ressources de langage pour déguiser sa véritable pensée, il doit rester muet ou ne parler que pour engager plus avant la discussion. Il est très-rare que, dans un conseil bien composé, le véritable parti à prendre dans telle situation donnée, ne se formule pas de manière ou d'autre. On le saisit et très-souvent l'un de ceux qui a donné fort obscurément son avis est tout étonné le lendemain de le voir exécuté.
Vous avez pu voir dans mes institutions et dans mes actes, quelle attention j'ai toujours mise à créer des apparences; il en faut dans les paroles comme dans les actes. Le comble de l'habileté est de faire croire à sa franchise, quand on a une foi punique. Non-seulement mes desseins seront impénétrables mais mes paroles signifieront presque toujours le contraire de ce qu'elles paraîtront indiquer. Les initiés seuls pourront pénétrer le sens des mots caractéristiques qu'à de certains moments je laisserai tomber du haut du trône; quand je dirai: Mon règne, c'est la paix, c'est que ce sera la guerre; quand je dirai que je fais appel aux moyens moraux, c'est que je vais user des moyens de la force. M'écoutez-vous?
Oui.
Vous avez vu que ma presse a cent voix et qu'elles parlent incessamment de la grandeur de mon règne, de l'enthousiasme de mes sujets pour leur souverain; qu'elles mettent en même temps dans la bouche du public les opinions, les idées et jusqu'aux formules de langage qui doivent défrayer ses entretiens; vous avez vu également que mes ministres étonnent sans relâche le public des témoignages incontestables de leurs travaux. Quant à moi, je parlerais rarement, une fois l'année seulement, puis çà et là dans quelques grandes circonstances. Aussi chacune de mes manifestations serait accueillie, non-seulement dans mon royaume, mais dans l'Europe entière, comme un événement.
Un prince dont le pouvoir est fondé sur une base démocratique, doit avoir un langage soigné, mais cependant populaire. Au besoin il ne doit pas craindre de parler en démagogue, car après tout il est le peuple, et il en doit avoir les passions. Il faut avoir pour lui certaines attentions, certaines flatteries, certaines démonstrations de sensibilité qui trouveront place à l'occasion. Peu importe que ces moyens paraissent infimes ou puérils aux yeux du monde, le peuple n'y regardera pas de si près et l'effet sera produit.
Dans mon ouvrage je recommande au prince de prendre pour type quelque grand homme du temps passé, dont il doit autant que possible suivre les traces[20]. Ces assimilations historiques font encore beaucoup d'effet sur les masses; on grandit dans leur imagination, on se donne de son vivant la place que la postérité vous réserve. On trouve d'ailleurs dans l'histoire de ces grands hommes des rapprochements, des indications utiles, quelquefois des situations identiques, dont on tire des enseignements précieux, car toutes les grandes leçons politiques sont dans l'histoire. Quand on a trouvé un grand homme avec qui l'on a des analogies, on peut faire mieux encore: Vous savez que les peuples aiment qu'un prince ait l'esprit cultivé, qu'il ait le goût des lettres, qu'il en ait même le talent. Eh bien, le prince ne saurait mieux employer ses loisirs qu'à écrire, par exemple, l'histoire du grand homme des temps passés, qu'il a pris pour modèle. Une philosophie sévère peut taxer ces choses de faiblesse. Quand le souverain est fort on les lui pardonne, et elles lui donnent même je ne sais quelle grâce.
Certaines faiblesses, et même certains vices, servent d'ailleurs le prince autant que des vertus. Vous avez pu reconnaître la vérité de ces observations d'après l'usage que j'ai dû faire tantôt de la duplicité, et tantôt de la violence. Il ne faut pas croire, par exemple, que le caractère vindicatif du souverain puisse lui nuire; bien au contraire. S'il est souvent opportun d'user de la clémence ou de la magnanimité, il faut qu'à de certains moments sa colère s'appesantisse d'une manière terrible. L'homme est l'image de Dieu, et la divinité n'a pas moins de rigueur dans ses coups que de miséricorde. Quand j'aurais résolu la perte de mes ennemis, je les écraserais donc jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que poussière. Les hommes ne se vengent que des injures légères; ils ne peuvent rien contre les grandes[21]. C'est du reste ce que je dis expressément dans mon livre. Le prince n'a que le choix des instruments qui doivent servir à son courroux; il trouvera toujours des juges prêts à sacrifier leur conscience à ses projets de vengeance ou de haine.
Ne craignez pas que le peuple s'émeuve jamais des coups que je porterai. D'abord, il aime à sentir la vigueur du bras qui commande, et puis il hait naturellement ce qui s'élève, il se réjouit instinctivement quand on frappe au-dessus de lui. Peut-être ne savez-vous pas bien d'ailleurs avec quelle facilité on oublie. Quand le moment des rigueurs est passé, c'est à peine si ceux-là mêmes que l'on a frappés se souviennent. A Rome, au temps du Bas-Empire, Tacite rapporte que les victimes couraient avec je ne sais quelle jouissance au-devant des supplices. Vous entendez parfaitement qu'il ne s'agit de rien de semblable dans les temps modernes; les moeurs sont devenues fort douces: quelques proscriptions, des emprisonnements, la déchéance des droits civiques, ce sont là des châtiments bien légers. Il est vrai que, pour arriver à la souveraine puissance, il a fallu verser du sang et violer bien des droits; mais, je vous le répète, tout s'oublie. La moindre cajolerie du prince, quelques bons procédés de la part de ses ministres ou de ses agents, seront accueillis avec les marques de la plus grands reconnaissance.
S'il est indispensable de punir avec une inflexible rigueur, il faut récompenser avec la même ponctualité: c'est ce que je ne manquerais jamais de faire. Quiconque aurait rendu un service à mon gouvernement, serait récompensé dès le lendemain. Les places, les distinctions, les plus grandes dignités, formeraient autant d'étapes certaines pour quiconque serait en possession de servir utilement ma politique. Dans l'armée, dans la magistrature, dans tous les emplois publics, l'avancement serait calculé sur la nuance de l'opinion et le degré de zèle à mon gouvernement. Vous êtes muet.
Continuez.
Je reviens sur certains vices et même sur certains travers d'esprit, que je regarde comme nécessaires au prince. Le maniement du pouvoir est une chose formidable. Si habile que soit un souverain, si infaillible que soit son coup d'oeil et si vigoureuse que soit sa décision, il y a encore un immense alea dans son existence. Il faut être superstitieux. Gardez-vous de croire que ceci soit de légère conséquence. Il est, dans la vie des princes, des situations si difficiles, des moments si graves, que la prudence humaine ne compte plus. Dans ces cas-là, il faut presque jouer au dé ses résolutions. Le parti que j'indique, et que je suivrais, consiste, dans certaines conjonctures, à se rattacher à des dates historiques, à consulter des anniversaires heureux, à mettre telle ou telle résolution hardie sous les auspices d'un jour où l'on a gagné une victoire, fait un coup de main heureux. Je dois vous dire que la superstition a un autre avantage très grand; le peuple connaît cette tendance. Ces combinaisons augurales réussissent souvent; il faut aussi les employer lorsque l'on est sûr du succès. Le peuple, qui ne juge que par les résultats, s'habitue à croire que chacun des actes du souverain correspond à des signes célestes, que les coïncidences historiques forcent la main de la fortune.
Le dernier mot est dit, vous êtes un joueur.
Oui, mais j'ai un bonheur inouï, et j'ai la main si sûre, la tête si fertile que la fortune ne peut pas tourner.
Puisque vous faites votre portrait, vous devez avoir encore d'autres vices ou d'autres vertus à faire passer.
Je vous demande grâce pour la luxure. La passion des femmes sert un souverain bien plus que vous ne pouvez le penser. Henri IV a dû à son incontinence une partie de sa popularité. Les hommes sont ainsi faits, que ce penchant leur plaît chez ceux qui les gouvernent. La dissolution des moeurs a été de tout temps une fureur, une carrière galante dans laquelle le prince doit devancer ses égaux, comme il devance ses soldats devant l'ennemi. Ces idées sont françaises, et je ne pense pas qu'elles déplaisent trop à l'illustre auteur des Lettres persanes. Il ne m'est pas permis de tomber dans des considérations trop vulgaires, cependant je ne puis me dispenser de vous dire que le résultat le plus réel de la galanterie du prince, est de lui concilier la sympathie de la plus belle moitié de ses sujets.
Vous tournez au madrigal.
On peut être sérieux et galant: vous en avez fourni la preuve. Je ne rabats rien de ma proposition. L'influence des femmes sur l'esprit public est considérable. En bonne politique, le prince est condamné à faire de la galanterie, alors même qu'au fond il ne s'en soucierait pas; mais le cas sera rare.
Je puis vous assurer que si je suis bien les règles que je viens de tracer, on se souciera fort peu de la liberté dans mon royaume. On aura un souverain vigoureux, dissolu, plein d'esprit de chevalerie, adroit à tous les exercices du corps: on l'aimera. Les gens austères n'y feront rien; on suivra le torrent; bien plus, les hommes indépendants seront mis à l'index: on s'en écartera. On ne croira ni à leur caractère, ni à leur désintéressement. Ils passeront pour des mécontents qui veulent se faire acheter. Si çà et là, je n'encourageais pas le talent, on le repousserait de toutes parts, on marcherait sur les consciences comme sur le pavé. Mais au fond, je serai un prince moral; je ne permettrai pas que l'on aille au delà de certaines limites. Je respecterai la pudeur publique, partout où je verrai qu'elle veut être respectée. Les souillures ne m'atteindront pas, car je me déchargerai sur d'autres des parties odieuses de l'administration. Ce que l'on pourra dire de pis, c'est que je suis un bon prince mal entouré, que je veux le bien, que je le veux ardemment, que je le ferai toujours, quand on me l'indiquera.
Si vous saviez combien il est facile de gouverner quand on a le pouvoir absolu. Là, point de contradiction, point de résistance; on peut suivre à loisir ses desseins, on a le temps de réparer ses fautes. On peut sans opposition faire le bonheur de son peuple, car c'est là ce qui me préoccupe toujours. Je puis vous affirmer que l'on ne s'ennuiera pas dans mon royaume; les esprits y seront sans cesse occupés par mille objets divers. Je donnerai au peuple le spectacle de mes équipages et des pompes de ma cour, on préparera de grandes cérémonies, je tracerai des jardins, j'offrirai l'hospitalité à des rois, je ferai venir des ambassades des pays les plus reculés. Tantôt ce seront des bruits de guerre, tantôt des complications diplomatiques sur lesquelles on glosera pendant des mois entiers; j'irai bien loin, je donnerai satisfaction même à la monomanie de la liberté. Les guerres qui se feront sous mon règne seront entreprises au nom de la liberté des peuples et de l'indépendance des nations, et pendant que sur mon passage les peuples m'acclameront, je dirai secrètement à l'oreille des rois absolus: Ne craignez rien, je suis des vôtres, je porte comme vous une couronne et je tiens à la conserver: j'embrasse la liberté européenne, mais c'est pour l'étouffer.
Une seule chose pourrait peut-être, un moment, compromettre ma fortune; ce serait le jour où l'on reconnaîtra de tous côtés que ma politique n'est pas franche, que tous mes actes sont marqués au coin du calcul.
Quels seront donc les aveugles qui ne verront pas cela?
Mon peuple tout entier, sauf quelques coteries dont je me soucierai peu. J'ai d'ailleurs formé autour de moi une école d'hommes politiques d'une très grande force relative. Vous ne sauriez croire à quel point le machiavélisme est contagieux, et combien ses préceptes sont faciles à suivre. Dans toutes les branches du gouvernement il y aura des hommes de rien, ou de très-peu de conséquence, qui seront de véritables Machiavels au petit pied qui ruseront, qui dissimuleront, qui mentiront avec un imperturbable sang-froid; la vérité ne pourra se faire jour nulle part.
Si vous n'avez fait que railler d'un bout à l'autre de cet entretien, comme je le crois, Machiavel, je regarde cette ironie comme votre plus magnifique ouvrage.
Une ironie! Vous vous trompez bien si vous le pensez. Ne comprenez-vous pas que j'ai parlé sans voile, et que c'est la violence terrible de la vérité qui donne à mes paroles la couleur que vous croyez voir!
Vous avez achevé.
Pas encore.
Achevez donc.
VINGT-CINQUIÈME DIALOGUE.
Je régnerai dix ans dans ces conditions, sans changer quoi que ce soit à ma législation; le succès définitif n'est qu'à ce prix. Rien, absolument rien, ne doit me faire varier pendant cet intervalle; le couvercle de la chaudière doit être de fer et de plomb; c'est pendant ce temps que s'élabore le phénomène de destruction de l'esprit factieux. Vous croyez peut-être qu'on est malheureux, qu'on se plaint. Ah! je serais inexcusable s'il en était ainsi; mais quand les ressorts seront le plus violemment tendus, quand je pèserai du poids le plus terrible sur la poitrine de mon peuple, voici ce qu'on dira: Nous n'avons que ce que nous méritons, souffrons.
Vous êtes bien aveugle si vous prenez cela pour une apologie de votre règne; si vous ne comprenez pas que l'expression de ces paroles est un regret violent du passé. C'est là un mot stoïque qui vous annonce le jour du châtiment.
Vous me troublez. L'heure est venue de détendre les ressorts, je vais rendre des libertés.
Mieux vaut mille fois l'excès de votre oppression; votre peuple vous répondra: gardez ce que vous avez pris.
Ah! que je reconnais bien là la haine implacable des partis. N'accorder rien à ses adversaires politiques, rien, pas même les bienfaits.
Non, Machiavel, rien avec vous, rien! la victime immolée ne reçoit pas de bienfaits de son bourreau.
Ah! que je pénétrerais aisément à cet égard la pensée secrète de mes ennemis. Ils se flattent, ils espèrent que la force d'expansion que je comprime me lancera tôt ou tard dans l'espace. Les insensés! Ils ne me connaîtront bien qu'à la fin. En politique que faut-il pour prévenir tout danger avec la plus grande compression possible? une imperceptible ouverture. On l'aura.
Je ne rendrai pas des libertés considérables, à coup sûr; eh bien, voyez pourtant à quel point l'absolutisme aura déjà pénétré dans les moeurs. Je puis gager qu'au premier bruit de ces libertés, il s'élèvera autour de moi des rumeurs d'épouvante. Mes ministres, mes conseillers s'écrieront que j'abandonne le gouvernail, que tout est perdu. On me conjurera, au nom du salut de l'État, au nom du pays, de n'en rien faire; le peuple dira: à quoi songe-t-il? son génie baisse; les indifférents diront: le voilà à bout; les haineux diront: Il est mort.
Et ils auront tous raison, car un publiciste moderne[22] a dit avec une grande vérité: «Veut-on ravir aux hommes leurs droits? il ne faut rien faire à demi. Ce qu'on leur laisse, leur sert à reconquérir ce qu'on leur enlève. La main qui reste libre dégage l'autre de ses fers.»
C'est très-bien pensé; c'est très-vrai; je sais que je m'expose beaucoup. Vous voyez bien que l'on est injuste envers moi, que j'aime plus la liberté qu'on ne le dit. Vous m'avez demandé tout à l'heure si j'avais de l'abnégation, si je saurais me sacrifier pour mes peuples, descendre du trône au besoin: vous avez maintenant ma réponse, j'en puis descendre par le martyre.
Vous êtes bien attendri. Quelles libertés rendez-vous?
Je permets à ma chambre législative de me témoigner chaque année, au moment du jour de l'an, l'expression de ses voeux dans une adresse.
Mais puisque l'immense majorité de la chambre vous est dévouée, que pouvez-vous recueillir sinon des remerciements et des témoignages d'admiration et d'amour?
Eh bien, oui. Ces témoignages ne sont-ils pas naturels?
Sont-ce toutes les libertés?
Mais cette première concession est considérable, quoique vous en disiez. Je ne m'en tiendrai cependant pas là. Il s'opère aujourd'hui en Europe un certain mouvement d'esprit contre la centralisation, non pas chez les masses, mais dans les classes éclairées. Je décentraliserai, c'est-à-dire que je donnerai à mes gouverneurs de province le droit de trancher beaucoup de petites questions locales soumises auparavant à l'approbation de mes ministres.
Vous ne faites que rendre la tyrannie plus insupportable si l'élément municipal n'est pour rien dans cette réforme.
Voilà bien la précipitation fatale de ceux qui réclament des réformes: il faut marcher à pas prudents dans la voie de la liberté. Je ne m'en tiens cependant pas là: je donne des libertés commerciales.
Vous en avez déjà parlé.
C'est que le point industriel me touche toujours: je ne veux pas qu'on dise que ma législation va, par un excès de défiance envers le peuple, jusqu'à l'empêcher de pourvoir lui-même à sa subsistance. C'est pour cette raison que je fais présenter aux chambres des lois qui ont pour objet de déroger un peu aux dispositions prohibitives de l'association. Du reste, la tolérance de mon gouvernement rendait cette mesure parfaitement inutile, et comme, en fin de compte, il ne faut pas se désarmer, rien ne sera changé à la loi, si ce n'est la formule de la rédaction. On a aujourd'hui, dans les chambres, des députés qui se prêtent très-bien à ces innocents stratagèmes.
Est-ce tout?
Oui, car c'est beaucoup, trop peut-être; mais je crois pouvoir me rassurer: mon armée est enthousiaste, ma magistrature fidèle, et ma législation pénale fonctionne avec la régularité et la précision de ces mécanismes tout-puissants et terribles que la science moderne à inventés.
Ainsi, vous ne touchez pas aux lois de la presse?
Vous ne le voudriez pas.
Ni à la législation municipale?
Est-ce possible?
Ni à votre système de protectorat du suffrage?
Non.
Ni à l'organisation du Sénat, ni à celle du Corps législatif, ni à votre système intérieur, ni à votre système extérieur, ni à votre régime économique, ni à votre régime financier?
Je ne touche qu'à ce que je vous ai dit. A proprement parler, je sors de la période de la terreur, j'entre dans la voie de la tolérance; je le puis sans dangers; je pourrais même rendre des libertés réelles, car il faudrait être bien dénué d'esprit politique pour ne pas reconnaître qu'à l'heure imaginaire que je suppose, ma législation a porté tous ses fruits. J'ai rempli le but que je vous avais annoncé; le caractère de la nation est changé; les légères facultés que j'ai rendues ont été pour moi la sonde avec laquelle j'ai mesuré la profondeur du résultat. Tout est fait, tout est consommé, il n'y a plus de résistance possible. Il n'y a plus d'écueil, il n'y a plus rien! Et cependant je ne rendrai rien. Vous l'avez dit, c'est là qu'est la vérité pratique.
Hâtez-vous de terminer, Machiavel. Puisse mon ombre ne vous rencontrer jamais, et que Dieu efface de ma mémoire jusqu'à la dernière trace de ce que je viens d'entendre!
Prenez garde, Montesquieu; avant que la minute qui commence ne tombe dans l'éternité vous chercherez mes pas avec angoisse et le souvenir de cet entretien désolera éternellement votre âme.
Parlez!
Revenons donc. J'ai fait tout ce que vous savez; par ces concessions à l'esprit libéral de mon temps, j'ai désarmé la haine des partis.
Ah! vous ne laisserez donc pas tomber ce masque d'hypocrisie dont vous avez couvert des forfaits qu'aucune langue humaine n'a décrits. Vous voulez donc que je sorte de la nuit éternelle pour vous flétrir! Ah! Machiavel! vous-même n'aviez pas enseigné à dégrader à ce point l'humanité! Vous ne conspiriez pas contre la conscience, vous n'aviez pas conçu la pensée de faire de l'âme humaine une boue dans laquelle le divin créateur lui-même ne reconnaîtrait plus rien.
C'est vrai, je suis dépassé.
Fuyez! ne prolongez pas un instant de plus cet entretien.
Avant que les ombres qui s'avancent en tumulte là-bas n'aient atteint ce noir ravin qui les sépare de nous, j'aurai fini; avant qu'elles ne l'aient atteint vous ne me reverrez plus et vous m'appellerez en vain.
Achevez donc, ce sera l'expiation de la témérité que j'ai commise en acceptant cette gageure sacrilége!
Ah! liberté! voilà donc avec quelle force tu tiens dans quelques âmes quand le peuple te méprise ou se console de toi par des hochets. Laissez-moi vous conter à ce sujet une bien courte apologue:
Dion raconte que le peuple romain était indigné contre Auguste à cause de certaines lois trop dures qu'il avait faites, mais que, sitôt qu'il eut, fait revenir le comédien Pilade, que les factieux avaient chassé de la ville, le mécontentement cessa.
Voilà mon apologue. Maintenant voici la conclusion de l'auteur, car c'est un auteur que je cite:
«Un pareil peuple sentait plus vivement la tyrannie lorsque l'on chassait un baladin que lorsqu'on lui enlevait toutes ses lois[23].»
Savez-vous qui a écrit cela?
Peu m'importe!
Reconnaissez-vous donc, c'est vous-même. Je ne vois que des âmes basses autour de moi, qu'y puis-je faire? Les baladins ne manqueront pas sous mon règne et il faudra qu'ils se conduisent bien mal pour que je prenne le parti de les chasser.
Je ne sais si vous avez exactement rapporté mes paroles; mais voici une citation que je puis vous garantir: elle vengera éternellement les peuples que vous calomniez:
«Les moeurs du prince contribuent autant à la liberté que les lois. Il peut, comme elle, faire des hommes des bêtes, et des bêtes des hommes; s'il aime les âmes libres, il aura des sujets, s'il aime les âmes basses, il aura des esclaves[24].»
Voilà ma réponse, et si j'avais aujourd'hui à ajouter quelque chose à cette citation, je dirais:
«Quand l'honnêteté publique est bannie du sein des cours, quand la corruption s'étale là sans pudeur, elle ne pénètre pourtant jamais que dans le coeur de ceux qui approchent un mauvais prince; l'amour de la vertu continue à vivre dans le sein du peuple, et la puissance de ce principe est si grande que le mauvais prince n'a qu'à disparaître pour que, par la force même des choses, l'honnêteté revienne dans la pratique du gouvernement en même temps que la liberté.»
Cela est très-bien écrit, dans une forme très-simple. Il n'y a qu'un malheur à ce que vous venez de dire, c'est que, dans l'esprit comme dans l'âme de mes peuples, je personnifie la vertu, bien mieux, je personnifie la liberté, entendez-vous, comme je personnifie la révolution, le progrès, l'esprit moderne, tout ce qu'il y a de meilleur enfin dans le fond de la civilisation contemporaine. Je ne dis pas qu'on me respecte, je ne dis pas qu'on m'aime, je dis qu'on me vénère, je dis que le peuple m'adore; que, si je le voulais, je me ferais élever des autels, car, expliquez cela, j'ai les dons fatals qui agissent sur les masses. Dans votre pays on guillotinait Louis XVI qui ne voulait que le bien du peuple, qui le voulait avec toute la foi, toute l'ardeur d'une âme sincèrement honnête, et, quelques années auparavant, on avait élevé des autels à Louis XIV qui se souciait moins du peuple que de la dernière de ses maîtresses; qui, au moindre coup de tête, eût fait mitrailler la canaille en jouant aux dés avec Lauzun. Mais je suis, moi, bien plus que Louis XIV, avec le suffrage populaire qui me sert de base; je suis Washington, je suis Henri IV, je suis saint Louis, Charles-le-Sage, je prends vos meilleurs rois, pour vous faire honneur. Je suis un roi d'Égypte et d'Asie en même temps, je suis Pharaon, je suis Cyrus, je suis Alexandre, je suis Sardanapale; l'âme du peuple s'épanouit quand je passe; il court avec ivresse sur mes pas; je suis un objet d'idolâtrie; le père me montre du doigt à son fils, la mère invoque mon nom dans ses prières, la jeune fille me regarde en soupirant et songe que si mon regard tombait sur elle, par hasard, elle pourrait peut-être reposer un instant sur ma couche. Quand le malheureux est opprimé, il dit: Si le roi le savait; quand on veut se venger, qu'on espère un secours, on dit: Le roi le saura. On ne m'approche jamais, du reste, que l'on ne me trouve les mains pleines d'or. Ceux qui m'entourent, il est vrai, sont durs, violents, ils méritent parfois le bâton, mais il faut qu'il en soit ainsi; car leur caractère haïssable, méprisable, leur basse cupidité, leurs débordements, leurs gaspillages honteux, leur avarice crasse font contraste avec la douceur de mon caractère, mes allures simples, ma générosité inépuisable. On m'invoque, vous dis-je, comme un dieu; dans la grêle, dans la disette, dans les incendies, j'accours, la population se jette à mes pieds, elle m'emporterait au ciel dans ses bras, si Dieu lui donnait des ailes.
Ce qui ne vous empêcherait pas de la broyer avec de la mitraille au moindre signe de résistance.
C'est vrai, mais l'amour n'existe pas sans la crainte.
Ce songe affreux est-il fini?
Un songe! Ah! Montesquieu! vous allez pleurer longtemps: déchirez l'Esprit des lois, demandez à Dieu de vous donner l'oubli pour votre part dans le ciel; car voici venir la vérité terrible dont vous avez déjà le pressentiment; il n'y a pas de songe dans ce que je viens de vous dire.
Qu'allez-vous m'apprendre!
Ce que je viens de vous décrire, cet ensemble de choses monstrueuses devant lesquelles l'esprit recule épouvanté, cette oeuvre que l'enfer même pouvait seul accomplir, tout cela est fait, tout cela existe, tout cela prospère à la face du soleil, à l'heure qu'il est, sur un point de ce globe que nous avons quitté.
Où?
Non, ce serait vous infliger une seconde mort.
Ah! parlez, au nom du ciel!
Eh bien!...
Quoi?...
L'heure est passée! Ne voyez-vous pas que le tourbillon m'emporte!
Machiavel!!
Voyez ces ombres qui passent non loin de vous en se couvrant les yeux; les reconnaissez-vous? ce sont des gloires qui ont fait l'envie du monde entier. A l'heure qu'il est, elles redemandent à Dieu leur patrie!...
Dieu éternel, qu'avez-vous permis!...
FIN.
Notes de bas de page:
(Note de l'Éditeur.)
(Note de l'Éditeur.)
(Note de l'éditeur.)
(Note de l'éditeur.)
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES.
Rencontre de Machiavel et de Montesquieu aux enfers.
Machiavel fait l'éloge de la vie posthume. Il se plaint de la réprobation que la postérité a attachée à son nom, et se justifie.
Son seul crime a été de dire la vérité aux peuples comme aux rois; le machiavélisme est antérieur à Machiavel.
Son système philosophique et moral; théorie de la force.—Négation de la morale et du droit en politique.
Les grands hommes font le bien des sociétés en violant toutes les lois. Le bien sort du mal.
Causes de la préférence donnée à la monarchie absolue.—Incapacité de la démocratie.—Despotisme favorable au développement des grandes civilisations.
Réponse de Montesquieu.—Les doctrines de Machiavel n'ont point de base philosophique.—La force et l'astuce ne sont pas des principes.
Les pouvoirs les plus arbitraires sont obligés de s'appuyer sur le droit. La raison d'État n'est que l'intérêt particulier du Prince ou de ses favoris.
Le droit et la morale sont les fondements de la politique. Inconséquence du système contraire. Si le Prince s'affranchit des règles de la morale, les sujets en feront autant.
Les grands hommes qui violent les lois sous prétexte de sauver l'État font plus de mal que de bien. L'anarchie est souvent bien moins funeste que le despotisme.
Incompatibilité du despotisme avec l'état actuel des institutions chez les principaux peuples de l'Europe.—Machiavel invite Montesquieu à justifier cette proposition.
Développement des idées de Montesquieu.—La confusion des pouvoirs est la cause première du despotisme et de l'anarchie.
Influence des moeurs politiques sous l'empire desquelles le Traité du Prince a été écrit. Progrès de la science sociale en Europe.
Vaste système de garanties dont les nations se sont entourées. Traités, constitutions, lois civiles.
Séparation des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. C'est le principe générateur de la liberté politique, le principal obstacle à la tyrannie.
Que le régime représentatif est le mode de gouvernement le mieux approprié aux temps modernes. Conciliation de l'ordre et de la liberté.
Justice, base essentielle du gouvernement. Le Monarque qui pratiquerait aujourd'hui les maximes du Traité du Prince serait mis au ban de l'Europe.
Machiavel soutient que ses maximes n'ont pas cessé de prévaloir dans la politique des princes.—Il offre de le prouver.
Machiavel fait la critique du régime constitutionnel. Les pouvoirs resteront immobiles ou sortiront violemment de leur orbite.
Masse du peuple indifférente aux libertés publiques dont la jouissance réelle lui échappe.
Régime représentatif inconciliable avec le principe de la souveraineté populaire et l'équilibre des pouvoirs.
Révolutions. Que la souveraineté populaire conduit à l'anarchie et l'anarchie au despotisme.
État moral et social des peuples modernes incompatible avec la liberté.
Le salut est dans la centralisation.
Césarisme du Bas-Empire. Inde et Chine.
La fatalité du despotisme est une idée que Montesquieu continue à combattre.
Machiavel a pris pour des lois universelles des faits qui ne sont que des accidents.
Développement progressif des institutions libérales depuis le système féodal jusqu'au régime représentatif.
Les institutions ne se corrompent qu'avec la perte de la liberté. Il faut donc la maintenir avec soin dans l'économie des pouvoirs.
Montesquieu n'admet pas sans réserve le principe de la souveraineté populaire. Comment il entend ce principe. Du droit divin, du droit humain.
Continuation du même sujet.—Antiquité du principe électif. Il est la base primordiale de la souveraineté.
Conséquences extrêmes de la souveraineté du peuple.—Les révolutions ne seront pas plus fréquentes sous l'empire de ce principe.
Rôle considérable de l'industrie dans la civilisation moderne. L'industrie est aussi inconciliable avec les révolutions qu'avec le despotisme.
Le despotisme est tellement sorti des moeurs dans les sociétés les plus avancées de l'Europe, que Montesquieu défie Machiavel de trouver le moyen de l'y ramener.
Machiavel accepte le défi, et le dialogue s'engage sur cette donnée.
Machiavel généralise d'abord le système qu'il se propose d'employer.
Ses doctrines sont de tous les temps; dans le siècle même, il a des petits-fils qui savent le prix de ses leçons.
Il ne s'agit que de mettre le despotisme en harmonie avec les moeurs modernes.—Principales règles qu'il déduit pour arrêter le mouvement dans les sociétés contemporaines.
Politique intérieure, politique extérieure.
Nouvelles règles empruntées au régime industriel.
Comment on peut se servir de la presse, de la tribune et des subtilités du droit.
A qui il faut donner le pouvoir.
Que par ces divers moyens on change le caractère de la nation la plus indomptable et on la rend aussi docile à la tyrannie qu'un petit peuple de l'Asie.
Montesquieu engage Machiavel à sortir des généralités; il le met en présence d'un État fondé sur des institutions représentatives et lui demande comment il pourra retourner de là au pouvoir absolu.
2e PARTIE.—HUITIÈME DIALOGUE.—La politique de Machiavel en action
On a raison, par un coup d'État, de l'ordre de choses constitué.
On s'appuie sur le peuple et pendant la dictature on remanie toute la législation.
Nécessité d'imprimer la terreur, au lendemain d'un coup d'État. Pacte du sang avec l'armée. Que l'usurpateur doit frapper toute la monnaie à son effigie.
Il fera une constitution nouvelle et ne craindra pas de lui donner pour base les grands principes du droit moderne.
Comment il s'y prendra pour ne pas appliquer ces principes et les écarter successivement.
NEUVIÈME DIALOGUE.—La Constitution
Continuation du même sujet. On fait ratifier par le peuple le coup d'État.
On établit le suffrage universel; il en sort l'absolutisme.
La constitution doit être l'oeuvre d'un seul homme; soumise au suffrage sans discussion, présentée en bloc, acceptée en bloc.
Pour changer la complexion politique de l'État, il suffit de changer la disposition des organes: Sénat, Corps législatif, Conseil d'État, etc.
Du Corps législatif. Suppression de la responsabilité ministérielle et de l'initiative parlementaire. La proposition des lois n'appartient qu'au Prince.
On se garantit contre la souveraineté du peuple par le droit d'appel au peuple et le droit de déclarer l'état de siége.
Suppression du droit d'amendement. Restriction du nombre des députés.—Salariat des députés. Raccourcissement des sessions.—Pouvoir discrétionnaire de convocation, de prorogation et de dissolution.
DIXIÈME DIALOGUE.—La Constitution. (Suite.)
Du Sénat et de son organisation. Le Sénat ne doit être qu'un simulacre de corps politique destiné à couvrir l'action du Prince et à lui transmettre le pouvoir absolu et discrétionnaire sur toutes les lois.
Du Conseil d'État. Il doit jouer dans une autre sphère le même rôle que le Sénat. Il transmet au Prince le pouvoir réglementaire et judiciaire.
La Constitution est faite. Récapitulation des diverses manières dont le Prince fait la loi dans ce système. Il la fait de sept manières.
Aussitôt après la Constitution, le Prince doit décréter une série de lois qui écarteront, par voie d'exception, les principes de droit public reconnus en bloc dans la constitution.
ONZIÈME DIALOGUE.—Des lois
De la presse. Esprit des lois de Machiavel. Sa définition de la liberté est empruntée à Montesquieu.
Machiavel s'occupe d'abord de la législation de la Presse dans son royaume. Elle s'étendra aux journaux comme aux livres.
Autorisation du Gouvernement pour fonder un journal et pour tous changements dans le personnel de la rédaction.
Mesures fiscales pour enrayer l'industrie de la Presse. Abolition du jury en matière de Presse.—Pénalités par voie administrative et judiciaire. Système des avertissements. Interdiction des comptes rendus législatifs et des procès de Presse.
Répression des fausses nouvelles,—cordons de ceinture contre les journaux étrangers. Défense d'importer des écrits non autorisés.—Lois contre les nationaux qui écriront à l'étranger contre le gouvernement.—Lois du même genre imposées aux petits États-frontières contre leurs propres nationaux.—Les correspondants étrangers doivent être à la solde du gouvernement.
Moyens de refréner les livres.—Brevets délivrés par le gouvernement aux imprimeurs, éditeurs et libraires.—Retraits facultatifs de ces brevets.—Responsabilité pénale des imprimeurs. Elle oblige ces derniers à faire eux-mêmes la police des livres et à en référer aux agents de l'administration.
DOUZIÈME DIALOGUE.—De la Presse (suite)
Comment le gouvernement de Machiavel annihilera la Presse en se faisant journaliste.
Les feuilles dévouées au gouvernement seront deux fois plus nombreuses que les feuilles indépendantes. Journaux officiels, semi-officiels, officieux, semi-officieux.
Journaux libéraux, démocratiques, révolutionnaires tenus à la solde du gouvernement à l'insu du public. Mode d'organisation et de direction.
Maniement de l'opinion. Tactique, manéges, ballons d'essais.
Journaux de province. Importance de leur rôle.
Censure administrative sur les journaux.—Communiqués.—Interdiction de reproduire certaines nouvelles privées.
Les discours, les rapports et les comptes-rendus officiels sont une annexe de la Presse gouvernementale.—Procédés de langage, artifices et style nécessaires pour s'emparer de l'opinion publique.
Éloge perpétuel du gouvernement.—Reproduction de prétendus articles de journaux étrangers qui rendent hommage à la politique du gouvernement.—Critique des anciens gouvernements.—Tolérance en fait de discussions religieuses et de littérature légère.
TREIZIÈME DIALOGUE.—Des complots
Compte de victimes à faire pour assurer la tranquillité.
Des sociétés secrètes. Leur danger.—Déportation et proscription en masse de ceux qui en auront fait partie.
Déportation facultative de ceux qui resteront sur le territoire.
Lois pénales contre ceux qui s'affilieront à l'avenir.
Existence légale donnée à certaines sociétés secrètes dont le gouvernement nommera les chefs, afin de tout savoir et de tout diriger.
Lois contre le droit de réunion et d'association.
Modification de l'organisation judiciaire. Moyens d'agir sur la magistrature sans abroger expressément l'inamovibilité des juges.
QUATORZIÈME DIALOGUE.—Des institutions antérieurement existantes
Ressources que Machiavel leur emprunte.
Garantie constitutionnelle. Que c'est une immensité absolue, mais nécessaire, accordée aux agents du gouvernement.
Du ministère public. Parti que l'on peut tirer de cette institution.
Cour de Cassation; danger que présenterait cette juridiction si elle était trop indépendante.
Des ressources que présente l'art de la jurisprudence dans l'application des lois qui touchent à l'exercice des droits politiques.
Comment on supplée à un texte de loi par un arrêt. Exemples.
Moyen de prévenir autant que possible, dans certains cas délicats, le recours des citoyens aux tribunaux.—Déclarations officieuses de l'administration que la loi s'applique à tel ou tel cas ou dans tel et tel sens. Résultat de ces déclarations.
QUINZIÈME DIALOGUE.—Du suffrage
Des difficultés à éviter dans l'application du suffrage universel.
Il faut enlever à l'élection la nomination des chefs de corps dans tous les conseils d'administration qui sont issus du suffrage.
Que le suffrage universel ne saurait, sans le plus grand péril, être abandonné à lui-même pour l'élection des députés.
Il faut lier les candidats par un serment préalable.—Le gouvernement doit poser ses candidats en face des électeurs, et faire concourir à leur nomination tous les agents dont il dispose.
Les électeurs ne doivent pas avoir la faculté de se réunir pour concerter leur vote. On doit éviter de les faire voter dans les centres d'agglomération.
Suppression du scrutin de liste: Démembrement des circonscriptions électorales où l'opposition se fait sentir.—Comment ou peut gagner le suffrage sans l'acheter directement.
De l'opposition dans les Chambres. De la stratégie parlementaire et de l'art d'enlever le vote.
SEIZIÈME DIALOGUE.—De certaines corporations
Danger que présentent les forces collectives en général.
Des gardes nationales. Nécessité de les dissoudre. Organisation et désorganisation facultatives.
De l'Université. Qu'elle doit être entièrement sous la dépendance de l'État, afin que le gouvernement puisse diriger l'esprit de la jeunesse.—Suppression des chaires de droit constitutionnel.—Que l'enseignement et l'apologie de l'histoire contemporaine seraient très-utiles pour imprimer l'amour et la vénération du Prince dans les générations futures.—Mobilisation de l'influence gouvernementale au moyen de cours libres faits par les professeurs d'université.
Du Barreau. Réformes désirables. Les avocats doivent exercer leur profession sous le contrôle du gouvernement et être nommés par lui.
Du Clergé. De la possibilité pour un Prince de cumuler la souveraineté spirituelle avec la souveraineté politique. Danger que l'indépendance du sacerdoce fait courir à l'État.
De la politique à tenir avec le souverain pontife. Menace perpétuelle d'un schisme très-efficace pour le contenir.
Que le meilleur moyen serait de pouvoir tenir garnison à Rome, à moins que l'on ne se décide à détruire le pouvoir temporel.
DIX-SEPTIÈME DIALOGUE.—De la police
Vaste développement qu'il faut donner à cette institution.
Ministère de la police. Changement de nom si le nom déplaît.—Police intérieure, police extérieure.—Services correspondants dans tous les ministères.—Services de police internationale.
Rôle que l'on peut faire jouer à un Prince du sang.
Rétablissement du cabinet noir nécessaire.
Des fausses conspirations. Leur utilité. Moyen d'exciter la popularité en faveur du Prince et d'obtenir des lois d'État exceptionnelles.
Escouades invisibles qui doivent environner le Prince quand il sort. Perfectionnements de la civilisation moderne à cet égard.
Diffusion de la police dans tous les rangs de la société.
Qu'il est à propos d'user d'une certaine tolérance quand on a entre les mains toute la puissance de la force armée et de la police.
Comme quoi le droit de statuer sur la liberté individuelle doit appartenir à un magistrat unique et non à un conseil.
Assimilation des délits politiques aux délits de droit commun. Effet salutaire.
Listes du jury criminel composées par les agents du gouvernement. De la juridiction en matière de simple délit politique.
3e PARTIE.—DIX-HUITIÈME DIALOGUE. Des Finances et de leur esprit
Objections de Montesquieu. Le despotisme ne peut s'allier qu'avec le système des conquêtes et le gouvernement militaire.
Obstacles dans le régime économique. L'absolutisme ébranle le droit de propriété.
Obstacles dans le régime financier. L'arbitraire en politique implique l'arbitraire en finances. Vote de l'impôt, principe fondamental.
Réponse de Machiavel. Il s'appuie sur le prolétariat qui est désintéressé dans les combinaisons financières, et ses députés sont salariés.
Montesquieu répond que le mécanisme financier des États modernes résiste de lui-même aux exigences du pouvoir absolu. Des budgets. Leur mode de confection.
DIX-NEUVIÈME DIALOGUE. Du système budgétaire (suite)
Garanties que présente ce système d'après Montesquieu. Équilibre nécessaire des recettes et des dépenses. Vote distinct du budget des recettes et du budget des dépenses. Interdiction d'ouvrir des crédits supplémentaires et extraordinaires. Vote du budget par chapitre. Cour des comptes.
Réponse de Machiavel. Les finances sont de toutes les parties de la politique celle qui se prête le mieux aux doctrines du machiavélisme.
Il ne touchera pas à la Cour des comptes, qu'il regarde comme une institution ingénue. Il se réjouit de la régularité de la perception des deniers publics et des merveilles de la comptabilité.
Il abroge les lois qui garantissent l'équilibre des budgets, le contrôle et la limitation des dépenses.
VINGTIÈME DIALOGUE. Continuation du même sujet
Que les budgets ne sont que des cadres élastiques qui doivent s'étendre à volonté. Le vote législatif n'est au fond qu'une homologation pure et simple.
De l'art de présenter le budget, de grouper les chiffres. Importance de la distinction entre le budget ordinaire et le budget extraordinaire. Artifices pour masquer les dépenses et le déficit. Que le formalisme financier doit être impénétrable.
Des Emprunts. Montesquieu explique que l'amortissement est un obstacle indirect à la dépense. Machiavel n'amortira pas; raisons qu'il en donne.
Que l'administration des finances est en grande partie une affaire de presse. Parti qu'on peut tirer des comptes-rendus et des rapports officiels.
Phrases, formules et procédés de langage, promesses, espérances dont on doit user soit pour donner de la confiance aux contribuables, soit pour préparer à l'avance un déficit, soit pour l'atténuer quand il est produit.
Que parfois il faut avouer hardiment qu'on s'est trop engagé et annoncer de sévères résolutions d'économie. Parti que l'on tire de ces déclarations.
VINGT ET UNIÈME DIALOGUE.—Des Emprunts (suite)
Machiavel fait l'apologie des emprunts. Nouveaux procédés d'emprunt par les États. Souscriptions publiques.
Autres moyens de se procurer des fonds. Bons du trésor. Prêts par les banques publiques, par les provinces et par les villes. Mobilisation en rentes des biens des communes et des établissements publics. Vente des domaines nationaux.
Institutions de crédit et de prévoyance. Sont un moyen de disposer de toute la fortune publique et de lier le sort des citoyens au maintien du pouvoir établi.
Comment on paie. Augmentation des impôts. Conversion. Consolidation. Guerres.
Comment on soutient le crédit public. Grands établissements de crédit dont la mission ostensible est de prêter à l'industrie, dont le but caché est de soutenir le cours des fonds publics.
IVe PARTIE.—VINGT-DEUXIÈME DIALOGUE.—Grandeurs du règne
Les actes de Machiavel seront en rapport avec l'étendue des ressources dont il dispose.—Il va justifier la théorie que le bien sort du mal.
Guerres dans les quatre parties du monde. Il suivra les traces des plus grands conquérants.
Au dedans, constructions gigantesques. Essor donné à l'esprit de spéculation et d'entreprise. Libertés industrielles. Amélioration du sort des classes ouvrières.
Réflexions de Montesquieu sur toutes ces choses.
VINGT-TROISIÈME DIALOGUE.—Des divers autres moyens que Machiavel emploiera pour consolider son empire et perpétuer sa dynastie
Établissement d'une garde prétorienne prête à fondre sur les parties chancelantes de l'empire.
Retour sur les constructions et sur leur utilité politique. Réalisation de l'idée de l'organisation du travail.—Jacquerie préparée en cas de renversement du pouvoir.
Voies stratégiques, bastilles, cités ouvrières dans la prévision des insurrections. Le peuple construisant contre lui-même des forteresses.
Des petits moyens.—Trophées, emblèmes, images et statues qui rappellent de toutes parts la grandeur du Prince.
Le nom Royal donné à toutes les institutions et à toutes les charges.
Rues, places publiques et carrefours doivent porter les noms historiques du règne.
De la bureaucratie.—Qu'il faut multiplier les emplois.
Des décorations et de leur usage. Moyens de se faire d'innombrables partisans à peu de frais.
Création de titres et restauration des plus grands noms depuis Charlemagne.
Utilité du cérémonial et de l'étiquette. Des pompes et des fêtes.—De l'excitation au luxe et aux jouissances sensuelles comme diversion aux préoccupations politiques.
Des moyens moraux. Appauvrissement des caractères. De la misère morale et de son utilité.
Comme quoi d'ailleurs aucun de ces moyens ne nuit à la considération du Prince et à la dignité de son règne.
VINGT-QUATRIÈME DIALOGUE.—Particularités de la physionomie du Prince tel que Machiavel le conçoit
Impénétrabilité de ses desseins. Prestige qu'elle donne au Prince.—Mot sur Borgia et Alexandre VI.
Moyens de prévenir la coalition des puissances étrangères trompées tour à tour. Reconstitution d'un État déchu qui donne trois cent mille hommes de plus contre l'Europe armée.
Des conseils et de l'usage que le Prince doit en faire.
Que certains vices sont des vertus dans le Prince. De la duplicité. Combien elle est nécessaire. Tout consiste à créer en toutes choses des apparences.
Mots qui signifieront le contraire de ce qu'ils paraîtront indiquer.
Langage que le Prince doit tenir dans un État à base démocratique.
Que le Prince doit se proposer pour modèle un grand homme des temps passés et écrire sa vie.
Comme quoi il est nécessaire que le Prince soit vindicatif. Avec quelle facilité les victimes oublient: Mot de Tacite.
Que les récompenses doivent suivre immédiatement le service rendu.
Utilité de la superstition. Elle habitue le peuple à compter sur l'étoile du Prince. Machiavel est le plus heureux des joueurs et sa chance ne peut jamais tourner.
Nécessité de la galanterie. Elle attache la plus belle moitié des sujets.
Combien il est facile de gouverner avec le pouvoir absolu. Joies de toutes sortes que Machiavel donnera à son peuple.—Guerres au nom de l'indépendance européenne. Il embrassera la liberté de l'Europe, mais pour l'étouffer.
École d'hommes politiques formés par les soins du Prince. L'État sera rempli de Machiavels au petit pied.
VINGT-CINQUIÈME ET DERNIER DIALOGUE.—Le dernier mot
Douze ans de règne dans ces conditions. L'oeuvre de Machiavel est consommé. L'esprit public est détruit. Le caractère de la nation est changé.
Restitution de certaines libertés. Rien n'est changé au système. Les concessions ne sont que des apparences. On est seulement sorti de la période de la terreur.
Stigmate infligé par Montesquieu. Il ne veut plus rien entendre.
Anecdote de Dion sur Auguste. Citation vengeresse de Montesquieu.
Apologie de Machiavel couronné. Il est plus grand que Louis XIV, qu'Henri IV et que Washington. Le peuple l'adore.
Montesquieu traite de visions et de chimères le système de gouvernement que vient d'échafauder Machiavel.
Machiavel répond que tout ce qu'il vient de dire existe identiquement sur un point du globe.
Montesquieu presse Machiavel de lui nommer le royaume où les choses se passent ainsi.
Machiavel va parler; un tourbillon d'âmes l'emporte.