Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1 - (A)
DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DE
L'ARCHITECTURE
FRANÇAISE
DU XIe AU XVIe SIÈCLE
PAR
M. VIOLLET-LE-DUC
ARCHITECTE DU GOUVERNEMENT
INSPECTEUR-GÉNÉRAL DES ÉDIFICES DIOCÉSAINS
TOME PREMIER.
PARIS
B. BANCE, ÉDITEUR
RUE BONAPARTE, 13.
1854
L'auteur et l'éditeur se réservent le droit de faire traduire et
reproduire cet ouvrage
dans les pays où la propriété des ouvrages
français est garantie par des traités.
PRÉFACE
orsque nous commencions à étudier l'architecture du moyen âge (il y a
de cela vingt-cinq ans), il n'existait pas d'ouvrages qui pussent nous
montrer la voie à suivre. Il nous souvient qu'alors un grand nombre de
maîtres en architecture admettaient à peine l'existence de ces monuments
qui couvrent le sol de l'Europe et de la France surtout. À peine
permettait-on l'étude de quelques édifices de la renaissance française
et italienne; quant à ceux qui avaient été construits depuis le
bas-empire jusqu'au XVe siècle, on n'en parlait guère que pour les citer
comme des produits de l'ignorance et de la barbarie. Si nous nous
sentions pris d'une sorte d'admiration mystérieuse pour nos églises et
nos forteresses françaises du moyen âge, nous n'osions avouer un
penchant qui nous semblait une sorte de dépravation du goût,
d'inclination peu avouable. Et cependant par instinct nous étions attiré
vers ces grands monuments dont les trésors nous paraissaient réservés
pour ceux qui voudraient se vouer à leur recherche.
Après un séjour de deux ans en Italie nous fûmes plus vivement frappé encore de l'aspect de nos édifices français, de la sagesse et de la science qui ont présidé à leur exécution, de l'unité, de l'harmonie et de la méthode suivies dans leur construction comme dans leur parure. Déjà cependant des esprits distingués avaient ouvert la voie; éclairés par les travaux et l'admiration de nos voisins les Anglais, ils songeaient à classer les édifices par styles et par époques. On ne s'en tenait plus à des textes la plupart erronés, on admettait un classement archéologique basé sur l'observation des monuments eux-mêmes. Les premiers travaux de M. de Caumont faisaient ressortir des caractères bien tranchés entre les différentes époques de l'architecture française du nord. En 1831, M. Vitet adressait au ministre de l'Intérieur un rapport sur les monuments des départements de l'Oise, de l'Aisne, du Nord, de la Marne et du Pas-de-Calais, dans lequel l'élégant écrivain signalait à l'attention du gouvernement des trésors inconnus, bien qu'ils fussent à nos portes. Plus tard, M. Mérimée poursuivait les recherches si heureusement commencées par M. Vitet, et, parcourant toutes les anciennes provinces de France, sauvait de la ruine quantité d'édifices que personne alors ne songeait à regarder, et qui font aujourd'hui la richesse et l'orgueil des villes qui les possèdent. M. Didron expliquait les poëmes sculptés et peints qui couvrent nos cathédrales, et poursuivait à outrance le vandalisme partout où il voulait tenter quelque oeuvre de destruction. Mais, il faut le dire à notre honte, les artistes restaient en arrière, les architectes couraient en Italie ne commençant à ouvrir les yeux qu'à Gênes ou Florence; ils revenaient leurs portefeuilles remplis d'études faites sans critique et sans ordre, et se mettaient à l'oeuvre sans avoir mis les pieds dans un monument de leur pays.
La commission des Monuments historiques instituée près le ministère de l'Intérieur commençait cependant à recruter un petit nombre d'artistes qu'elle chargeait d'étudier et de réparer quelques-uns de nos plus beaux monuments du moyen âge. C'est à cette impulsion donnée dès l'origine avec prudence, que nous devons la conservation des meilleurs exemples de notre architecture nationale, une heureuse révolution dans les études de l'architecture, d'avoir pu étudier pendant de longues années les édifices qui couvrent nos provinces, et réunir les éléments de ce livre que nous présentons aujourd'hui au public. Au milieu de difficultés sans cesse renaissantes, avec des ressources minimes, la commission des Monuments historiques a obtenu des résultats immenses; tout faible que soit cet hommage dans notre bouche, il y aurait de l'ingratitude à ne pas le lui rendre, car, en conservant nos édifices, elle a modifié le cours des études de l'architecture en France; en s'occupant du passé, elle a fondé dans l'avenir.
Ce qui constitue les nationalités, c'est le lien qui unit étroitement les différentes périodes de leur existence; il faut plaindre les peuples qui renient leur passé, car il n'y a pas d'avenir pour eux! Les civilisations qui ont profondément creusé leur sillon dans l'histoire, sont celles chez lesquelles les traditions ont été le mieux respectées, et dont l'âge mûr a conservé tous les caractères de l'enfance. La civilisation romaine est là pour nous présenter un exemple bien frappant de ce que nous avançons ici; et quel peuple eut jamais plus de respect pour son berceau que le peuple romain! Politiquement parlant, aucun pays, malgré des différences d'origines bien marquées, n'est fondu dans un principe d'unité plus compacte que la France; il n'était donc ni juste ni sensé de vouloir mettre à néant une des causes de cette unité: ses arts depuis la décadence romaine jusqu'à la renaissance.
En effet, les arts en France du IXe au XVe siècle ont suivi une marche régulière et logique, ils ont rayonné en Angleterre, en Allemagne, dans le nord de l'Espagne, et jusqu'en Italie, en Sicile et en Orient; et nous ne profiterions pas de ce labeur de plusieurs siècles? Nous ne conserverions pas et nous refuserions de reconnaître ces vieux titres enviés avec raison par toute l'Europe? Nous serions les derniers à étudier notre propre langue? Les monuments de pierre ou de bois périssent, ce serait folie de vouloir les conserver tous et de tenter de prolonger leur existence en dépit des conditions de la matière, mais ce qui ne peut et ne doit périr, c'est l'esprit qui a fait élever ces monuments, car cet esprit c'est le nôtre, c'est l'âme du pays. Dans l'ouvrage que nous livrons aujourd'hui au public nous avons essayé non-seulement de donner de nombreux exemples des formes diverses adoptées par l'architecture du moyen âge, suivant un ordre chronologique, mais surtout et avant tout de faire connaître les raisons d'être de ces formes, les principes qui les ont fait admettre, les moeurs et les idées au milieu desquelles elles ont pris naissance. Il nous a paru difficile de rendre compte des transformations successives des arts de l'architecture sans donner en même temps un aperçu de la civilisation dont cette architecture est comme l'enveloppe, et si la tâche s'est trouvée au-dessus de nos forces, nous aurons au moins ouvert une voie nouvelle à parcourir, car nous ne saurions admettre l'étude du vêtement indépendamment de l'étude de l'homme qui le porte. Or toute sympathie pour telle ou telle forme de l'art mise de côté, nous avons été frappé de l'harmonie complète qui existe entre les arts du moyen âge et l'esprit des peuples au milieu desquels ils se sont développés. Du moment où la civilisation du moyen âge se sent vivre, elle tend à progresser rapidement, elle procède par une suite d'essais sans s'arrêter un instant; à peine a-t-elle entrevu un principe qu'elle en déduit les conséquences, et arrive promptement à l'abus sans se donner le temps de développer son thème; c'est là le côté faible, mais aussi le côté instructif des arts du XIIe au XVIe siècle. Les arts compris dans cette période de trois siècles ne peuvent, pour ainsi dire, être saisis sur un point, c'est une chaîne non interrompue dont tous les anneaux sont rivés à la hâte par les lois impérieuses de la logique. Vouloir écrire une histoire de l'architecture du moyen âge, ce serait peut-être tenter l'impossible, car il faudrait embrasser à la fois, et faire marcher parallèlement l'histoire religieuse, politique, féodale et civile de plusieurs peuples; il faudrait constater les influences diverses qui ont apporté leurs éléments à des degrés différents dans telle ou telle contrée, trouver le lien de ces influences, analyser leurs mélanges et définir les résultats; tenir compte des traditions locales, des goûts et des moeurs des populations, des lois imposées par l'emploi des matériaux, des relations commerciales, du génie particulier des hommes qui ont exercé une action sur les événements soit en hâtant leur marche naturelle, soit en la faisant dévier, ne pas perdre de vue les recherches incessantes d'une civilisation qui se forme, et se pénétrer de l'esprit encyclopédique, religieux et philosophique du moyen âge. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les nations chrétiennes occidentales ont inscrit sur leur drapeau le mot: Progrès; et qui dit progrès dit labeur, lutte et transformation.
La civilisation antique est simple, une; elle absorbe au lieu de se répandre; tout autre est la civilisation chrétienne; elle reçoit et donne, c'est le mouvement, la divergence sans interruption possible. Ces deux civilisations ont dû nécessairement procéder très-différemment dans l'expression de leurs arts; on peut le regretter, mais non aller à l'encontre; on peut écrire une histoire des arts égyptien, grec ou romain, parce que ces arts suivent une voie dont la pente égale monte à l'apogée et descend à la décadence sans dévier, mais la vie d'un homme ne suffirait pas à décrire les transformations si rapides des arts du moyen âge, à chercher les causes de ces transformations, à compter un à un tous les chaînons de cette longue chaîne si bien rivée quoique composée d'éléments si divers.
On a pu, lorsque les études archéologiques sur le moyen âge ne faisaient que poser les premiers jalons, tenter une classification toute de convention, et diviser les arts par périodes, par styles primaires, secondaires, tertiaires, de transition, et supposer que la civilisation moderne avait procédé comme notre globe dont la croûte change de nature après chaque grande convulsion; mais par le fait cette classification, toute satisfaisante qu'elle paraisse, n'existe pas, et de la décadence romaine à la renaissance du XVIe siècle il n'y a qu'une suite de transitions sans arrêts. Ce n'est pas que nous voulions ici blâmer une méthode qui a rendu d'immenses services, en ce qu'elle a posé des points saillants, qu'elle a mis la première de l'ordre dans les études, et qu'elle a permis de défricher le terrain; mais, nous le répétons, cette classification n'existe pas, et nous croyons que le moment est venu d'étudier l'art du moyen âge comme on étudie le développement et la vie d'un être animé qui de l'enfance arrive à la vieillesse par une suite de transformations insensibles, et sans qu'il soit possible de dire le jour où cesse l'enfance et où commence la vieillesse. Ces raisons, notre insuffisance peut-être, nous ont déterminé à donner à cet ouvrage la forme d'un Dictionnaire. Cette forme, en facilitant les recherches au lecteur, nous permet de présenter une masse considérable de renseignements et d'exemples qui n'eussent pu trouver leur place dans une histoire, sans rendre le discours confus et presque inintelligible. Elle nous a paru, précisément à cause de la multiplicité des exemples donnés, devoir être plus favorable aux études, mieux faire connaître les diverses parties compliquées, mais rigoureusement déduites des besoins, qui entrent dans la composition de nos monuments du moyen âge, puisqu'elle nous oblige pour ainsi dire à les disséquer séparément, tout en décrivant les fonctions, le but de ces diverses parties et les modifications qu'elles ont subies. Nous n'ignorons pas que cette complication des arts du moyen âge, la diversité de leur origine, et cette recherche incessante du mieux qui arrive rapidement à l'abus, ont rebuté bien des esprits, ont été cause de la répulsion que l'on éprouvait, et que l'on éprouve encore, pour une étude dont le but n'apparaît pas clairement. Il est plus court de nier que d'étudier; longtemps on n'a voulu voir dans ce développement d'une des parties intellectuelles de notre pays que le chaos, l'absence de tout ordre, de toute raison, et cependant lorsque l'on pénètre au milieu de ce chaos, que l'on voit sourdre une à une les sources de l'art de l'architecture du moyen âge, que l'on prend la peine de suivre leur cours, on découvre bientôt la pente naturelle vers laquelle elles tendent toutes, et combien elles sont fécondes. Il faut reconnaître que le temps de la négation aveugle est déjà loin de nous, notre siècle cherche à résumer le passé; il semble reconnaître (et en cela nous croyons qu'il est dans le vrai) que pour se frayer un chemin dans l'avenir, il faut savoir d'où l'on vient, profiter de tout ce que les siècles précédents ont laborieusement amassé. Ce sentiment est quelque chose de plus profond qu'une réaction contre l'esprit destructeur du siècle dernier, c'est un besoin du moment; et si quelques exagérations ont pu effrayer les esprits sérieux, si l'amour du passé a parfois été poussé jusqu'au fanatisme, il n'en reste pas moins au fond de la vie intellectuelle de notre époque une tendance générale et très-prononcée vers les études historiques, qu'elles appartiennent à la politique, à la législation, aux lettres ou aux arts. Il suffit pour s'en convaincre (si cette observation avait besoin de s'appuyer sur des preuves), de voir avec quelle avidité le public en France, en Angleterre et en Allemagne se jette sur toutes les oeuvres qui traitent de l'histoire ou de l'archéologie, avec quel empressement les erreurs sont relevées, les monuments et les textes mis en lumière. Il semble que les découvertes nouvelles viennent en aide à ce mouvement général. Au moment où la main des artistes ne suffit pas à recueillir les restes si nombreux et si précieux de nos édifices anciens, apparaît la photographie qui forme en quelques années un inventaire fidèle de tous ces débris. De sages dispositions administratives réunissent et centralisent les documents épars de notre histoire; les départements, les villes voient des sociétés se fonder dans leur sein pour la conservation des monuments épargnés par les révolutions et la spéculation; le budget de l'État, au milieu des crises politiques les plus graves, ne cesse de porter dans ses colonnes des sommes importantes pour sauver de la ruine tant d'oeuvres d'art si longtemps mises en oubli. Et ce mouvement ne suit pas les fluctuations d'une mode, il est constant, il est chaque jour plus marqué, et après avoir pris naissance au milieu de quelques hommes éclairés, il se répand peu à peu dans les masses; Il faut dire même qu'il est surtout prononcé dans les classes industrielles et ouvrières, parmi les hommes chez lesquels l'instinct agit plus que l'éducation; ils semblent se reconnaître dans ces oeuvres issues du génie national.
Quand il s'est agi de reproduire ou de continuer des oeuvres des siècles passés, ce n'est pas d'en bas que nous sont venues les difficultés, et les exécutants ne nous ont jamais fait défaut; Mais c'est précisément parce que cette tendance est autre chose qu'une mode ou une réaction, qu'il est fort important d'apporter un choix scrupuleux, une critique impartiale et sévère, dans l'étude et l'emploi des matériaux qui peuvent contribuer à rendre à notre pays un art conforme à son génie. Si cette étude est incomplète, étroite, elle sera stérile et fera plus de mal que de bien; elle augmentera la confusion et l'anarchie dans lesquelles les arts sont tombées depuis tantôt cinquante ans, et qui nous conduiraient à la décadence; elle apportera un élément de désordre de plus; si, au contraire, cette étude est dirigée avec intelligence et soin; si l'enseignement officiel l'adopte franchement et arrête ainsi ses écarts, réunit sous sa main tant d'efforts partiels qui se sont perdus faute d'un centre, les résultats ne se feront pas attendre, et l'art de l'architecture reprendra le rang qui lui convient chez une nation éminemment créatrice. Des convictions isolées, si fortes qu'elles soient, ne peuvent faire une révolution dans les arts; si aujourd'hui nous cherchons à renouer ces fils brisés, à prendre dans un passé qui nous appartient en propre les éléments d'un art contemporain, ce n'est pas au profit des goûts de tel ou tel artiste ou d'une coterie; nous ne sommes au contraire que les instruments dociles des goûts et des idées de notre temps, et c'est aussi pour cela que nous avons foi dans nos études et que le découragement ne saurait nous atteindre; ce n'est pas nous qui faisons dévier les arts de notre époque, c'est notre époque qui nous entraîne.... Où? qui le sait! Faut-il au moins que nous remplissions de notre mieux la tâche qui nous est imposée par les tendances du temps où nous vivons. Ces efforts, il est vrai, ne peuvent être que limités, car la vie de l'homme n'est pas assez longue pour permettre à l'architecte d'embrasser un ensemble de travaux, soit intellectuels soit matériels; l'architecte n'est et ne peut être qu'une partie d'un tout; il commence ce que d'autres achèvent, ou termine ce que d'autres ont commencé; il ne saurait donc travailler dans l'isolement, car son oeuvre ne lui appartient pas en propre, comme le tableau au peintre, le poème au poète. L'architecte qui prétendrait seul imposer un art à toute une époque ferait un acte d'insigne folie. En étudiant l'architecture du moyen âge, en cherchant à répandre cette étude, nous devons dire que notre but n'est pas de faire rétrograder les artistes, de leur fournir les éléments d'un art oublié pour qu'ils les reprennent tels quels, et les appliquent sans raisons aux édifices du XIXe siècle; cette extravagance a pu nous être reprochée, mais elle n'a heureusement jamais été le résultat de nos recherches et de nos principes. On a pu faire des copies plus ou moins heureuses des édifices antérieurs au XVIe siècle, ces tentatives ne doivent être considérées que comme des essais destinés à retrouver les éléments d'un art perdu mais non comme le but auquel doit s'arrêter notre architecture moderne. Si nous regardons l'étude de l'architecture du moyen âge comme utile, et pouvant amener peu à peu une heureuse révolution dans l'art, ce n'est pas à coup sûr pour obtenir des oeuvres sans originalité, sans style, pour voir reproduire sans choix et comme une forme muette, des monuments remarquables surtout à cause du principe qui les a fait élever, mais c'est au contraire pour que ce principe soit connu, et qu'il puisse porter des fruits aujourd'hui comme il en a produit pendant les XIIe et XIIIe siècles. En supposant qu'un architecte de ces époques revienne aujourd'hui, avec ses formules et les principes auxquels il obéissait de son temps, et qu'il puisse être initié à nos idées modernes, si l'on mettait à sa disposition les perfectionnements apportés dans l'industrie, il ne bâtirait pas un édifice du temps de Philippe Auguste ou de saint Louis, parce qu'il fausserait ainsi la première loi de son art, qui est de se conformer aux besoins et aux moeurs du moment, d'être rationnel. Jamais peut-être des ressources plus nombreuses n'ont été offertes aux architectes; les exécutants sont nombreux, intelligents et habiles de la main; l'industrie est arrivée à un degré de perfectionnement qui n'avait pas été atteint. Ce qui manque à tout cela c'est une âme, c'est ce principe vivifiant qui rend toute oeuvre d'art respectable, qui fait que l'artiste peut opposer la raison aux fantaisies souvent ridicules des particuliers ou d'autorités peu compétentes trop disposés à considérer l'art comme une superfluité, une affaire de caprice ou de mode. Pour que l'artiste respecte son oeuvre, il faut qu'il l'ait conçue avec la conviction intime que cette oeuvre est émanée d'un principe vrai, basé sur les règles du bon sens; le goût, souvent, n'est pas autre chose, et pour que l'artiste soit respecté lui-même, il faut que sa conviction ne puisse être mise en doute; or, comment supposer qu'on respectera l'artiste qui, soumis à toutes les puérilités d'un amateur fantasque, lui bâtira, suivant le caprice du moment, une maison chinoise, arabe, gothique, ou de la renaissance? Que devient l'artiste au milieu de tout ceci? N'est-ce pas le costumier qui nous habille suivant notre fantaisie, mais qui n'est rien par lui-même, n'a et ne peut avoir ni préférence, ni goût propre, ni ce qui constitue avant tout l'artiste créateur, l'initiative? Mais l'étude d'une architecture dont la forme est soumise à un principe, comme le corps est soumis à l'âme, pour ne point rester stérile, ne saurait être incomplète et superficielle. Nous ne craindrons pas de le dire, ce qui a le plus retardé les développements de la renaissance de notre architecture nationale, renaissance dont on doit tirer profit pour l'avenir, c'est le zèle mal dirigé, la connaissance imparfaite d'un art dans lequel beaucoup ne voient qu'une forme originale et séduisante sans apprécier le fond. Nous avons vu surgir ainsi de pâles copies d'un corps dont l'âme est absente. Les archéologues en décrivant et classant les formes n'étaient pas toujours architectes praticiens, ne pouvaient parler que de ce qui frappait leurs yeux, mais la connaissance du pourquoi devait nécessairement manquer à ces classifications purement matérielles, et le bon sens public s'est trouvé justement choqué à la vue de reproductions d'un art dont il ne comprenait pas la raison d'être, qui lui paraissait un jeu bon tout au plus pour amuser quelques esprits curieux de vieilleries, mais dans la pratique duquel il fallait bien se garder de s'engager. C'est qu'en effet s'il est un art sérieux, qui doive toujours être l'esclave de la raison et du bon sens, c'est l'architecture. Ses lois fondamentales sont les mêmes dans tous les pays et dans tous les temps, la première condition du goût en architecture, c'est d'être soumis à ces lois; et les artistes qui, après avoir blâmé les imitations contemporaines de temples romains dans lesquelles on ne pouvait retrouver ni le souffle inspirateur qui les a fait élever, ni des points de rapports avec nos habitudes et nos besoins, se sont mis à construire des pastiches des formes romanes ou gothiques, sans se rendre compte des motifs qui avaient fait adopter ces formes, n'ont fait que perpétuer d'une manière plus grossière encore les erreurs contre lesquelles ils s'étaient élevés.
Il y a deux choses dont on doit tenir compte avant tout, dans l'étude d'un art, c'est la connaissance du principe créateur, et le choix dans l'oeuvre créée. Or le principe de l'architecture française au moment où elle se développe avec une grande énergie, du XIIe au XIIIe siècle, étant la soumission constante de la forme aux moeurs, aux idées du moment, l'harmonie entre le vêtement et le corps, le progrès incessant, le contraire de l'immobilité; l'application de ce principe ne saurait non-seulement, faire rétrograder l'art, mais même le rendre stationnaire. Tous les monuments enfantés par le moyen âge seraient-ils irréprochables, qu'ils ne devraient donc pas être aujourd'hui servilement copiés, si l'on élève un édifice neuf, ce n'est qu'un langage dont il faut apprendre à se servir pour exprimer sa pensée, mais non pour répéter ce que d'autres ont dit; et dans les restaurations, même lorsqu'il ne s'agit que de reproduire ou de réparer des parties détruites ou altérées, il est d'une très-grande importance de se rendre compte des causes qui ont fait adopter ou modifier telle ou telle disposition primitive, appliquer telle ou telle forme; les règles générales laissent l'architecte sans ressources devant les exceptions nombreuses qui se présentent à chaque pas, s'il n'est pas pénétré de l'esprit qui a dirigé les anciens constructeurs.
On rencontrera souvent dans cet ouvrage des exemples qui accusent
l'ignorance, l'incertitude, les tâtonnements, les exagérations de
certains artistes; mais, que l'on veuille bien le remarquer, on y
trouvera l'influence, l'abus même parfois d'un principe vrai, une
méthode, en même temps qu'une grande liberté individuelle, l'unité de
style, l'harmonie dans l'emploi des formes, l'instinct des proportions,
toutes les qualités qui constituent un art, soit qu'il s'applique à la
plus humble maison de paysan ou à la plus riche cathédrale, comme au
palais du souverain. En effet, une civilisation ne peut prétendre
posséder un art que si cet art pénètre partout, s'il fait sentir sa
présence dans les oeuvres les plus vulgaires. Or de tous les pays
occidentaux de l'Europe, la France est encore celui chez qui cette
heureuse faculté s'est le mieux conservée, car c'est celui qui l'a
possédée au plus haut degré depuis la décadence romaine. De tout temps
la France a imposé ses arts et ses modes à une grande partie du
continent européen; elle a essayé vainement depuis la renaissance de se
faire italienne, allemande, espagnole, grecque, son instinct, le goût
natif qui réside dans toutes les classes du pays l'ont toujours ramené à
son génie propre en la relevant après les plus graves erreurs; il est
bon, nous croyons, de le reconnaître, car trop longtemps les artistes
ont méconnu ce sentiment et n'ont pas su en profiter. Depuis le règne de
Louis XIV surtout, les artistes ont fait ou prétendu faire un corps
isolé dans le pays, sorte d'aristocratie étrangère, méconnaissant ces
instincts des masses. En se séparant ainsi de la foule, ils n'ont plus
été compris, ont perdu toute influence, et il n'a pas dépendu d'eux que
la barbarie ne gagnât sans retour ce qui restait en dehors de leur
sphère. La preuve en est dans l'infériorité de l'exécution des oeuvres
des deux derniers siècles comparativement aux siècles précédents.
L'architecture surtout qui ne peut se produire qu'à l'aide d'une grande
quantité d'ouvriers de tous états, ne présentait plus à la fin du XVIIIe
siècle qu'une exécution abâtardie, molle, pauvre et dépourvue de style à
ce point de faire regretter les dernières productions du bas-empire. La
royauté de Louis XIV, en se mettant à la place de toute chose en France,
en voulant être le principe de tout, absorbait sans fruit les forces
vives du pays, plus encore peut-être dans les arts que dans la
politique; et l'artiste a besoin pour produire de conserver son
indépendance. Le pouvoir féodal n'était certainement pas protecteur de
la liberté matérielle; les rois, les seigneurs séculiers, comme les
évêques et les abbés, ne comprenaient pas et ne pouvaient comprendre ce
que nous appelons les droits politiques; on en a mésusé de notre temps,
qu'en eût-on fait au XIIe siècle! Mais ces pouvoirs séparés, rivaux même
souvent, laissaient à la population intelligente et laborieuse sa
liberté d'allure. Les arts appartenaient au peuple, et personne, parmi
les classes supérieures, ne songeait à les diriger, à les faire dévier
de leur voie. Quand les arts ne furent plus exclusivement pratiqués par
le clergé régulier, et qu'ils sortirent des monastères pour se répandre
dans cent corporations laïques, il ne semble pas qu'un seul évêque se
soit élevé contre ce mouvement naturel; et comment supposer d'ailleurs
que des chefs de l'Église, qui avaient si puissamment et avec une si
laborieuse persévérance aidé à la civilisation chrétienne, eussent
arrêté un mouvement qui indiquait mieux que tout autre symptôme que la
civilisation se répandait dans les classes moyennes et inférieures? Mais
les arts, en se répandant en dehors des couvents entraînaient avec eux
des idées d'émancipation, de liberté intellectuelle qui durent vivement
séduire des populations avides d'apprendre, de vivre, d'agir, et
d'exprimer leurs goûts et leurs tendances. C'était dorénavant sur la
pierre et le bois, dans les peintures et les vitraux, que ces
populations allaient imprimer leurs désirs, leurs espérances; c'était là
que sans contrainte elles pouvaient protester silencieusement contre
l'abus de la force. À partir du XIIe siècle cette protestation ne cesse
de se produire dans toutes les oeuvres d'art qui décorent nos édifices du
moyen âge; elle commence gravement, elle s'appuie sur les textes sacrés,
elle devient satirique à la fin du XIIIe siècle, et finit au XVe par la
caricature. Quelle que soit sa forme, elle est toujours franche, libre,
crue même parfois. Avec quelle complaisance les artistes de ces époques
s'étendent dans leurs oeuvres sur le triomphe des faibles, sur la chute
des puissants! Quel est l'artiste du temps de Louis XIV qui eût osé
placer un roi dans l'enfer à côté d'un avare, d'un homicide; quel est le
peintre ou le sculpteur du XIIIe siècle qui ait placé un roi dans les
nuées entouré d'une auréole, glorifié comme Dieu, tenant la foudre, et
ayant à ses pieds les puissants du siècle? Est-il possible d'admettre,
quand on étudie nos grandes cathédrales, nos châteaux et nos habitations
du moyen âge qu'une autre volonté que celle de l'artiste ait influé sur
la forme de leur architecture, sur le système adopté dans leur
décoration ou leur construction? L'unité qui règne dans ces conceptions,
la parfaite concordance des détails avec l'ensemble, l'harmonie de
toutes les parties ne démontrent-elles pas qu'une seule volonté a
présidé à l'érection de ces oeuvres d'art? Cette volonté peut-elle être
autre que celle de l'artiste? Et ne voyons-nous pas, à propos des
discussions qui eurent lieu sous Louis XIV, lorsqu'il fut question
d'achever le Louvre, le roi, le surintendant des bâtiments, Colbert, et
toute la cour donner son avis, s'occuper des ordres, des corniches,
et de tout ce qui touche à l'art, et finir par confier l'oeuvre à un
homme qui n'était pas architecte, et ne sut que faire un dispendieux
placage, dont le moindre défaut est de ne se rattacher en aucune façon
au monument et de rendre inutile le quart de sa superficie? On jauge une
civilisation par ses arts, car les arts sont l'énergique expression des
idées d'une époque, et il n'y a pas d'art sans l'indépendance de
l'artiste. L'étude des arts du moyen âge est une mine inépuisable,
pleine d'idées originales, hardies, tenant l'imagination éveillée, cette
étude oblige à chercher sans cesse, et par conséquent elle développe
puissamment l'intelligence de l'artiste. L'architecture, depuis le XIIe
siècle jusqu'à la renaissance, ne se laisse pas vaincre par les
difficultés, elle les aborde toutes franchement; n'étant jamais à bout
de ressources, elle ne va cependant les puiser que dans un principe
vrai. Elle abuse même trop souvent de cette habitude de surmonter des
difficultés parmi lesquelles elle aime à se mouvoir. Ce défaut!
pouvons-nous le lui reprocher? Il tient à la nature d'esprit de notre
pays, à ses progrès et ses conquêtes, dont nous profitons, au milieu
dans lequel cet esprit se développait. Il dénote les efforts
intellectuels d'où la civilisation moderne est sortie, et la
civilisation moderne est loin d'être simple; si nous la comparons à la
civilisation païenne, de combien de rouages nouveaux ne la
trouverons-nous pas surchargée; pourquoi donc vouloir revenir dans les
arts à des formes simples quand notre civilisation, dont ces arts ne
sont que l'empreinte, est si complexe? Tout admirable que soit l'art
grec, ses lacunes sont trop nombreuses pour que dans la pratique il
puisse être appliqué à nos moeurs. Le principe qui l'a dirigé est trop
étranger à la civilisation moderne pour inspirer et soutenir nos
artistes modernes. Pourquoi donc ne pas habituer nos esprits à ces
fertiles labeurs des siècles d'où nous sommes sortis? Nous l'avons vu
trop souvent, ce qui manque surtout aux conceptions modernes en
architecture, c'est la souplesse, cette aisance d'un art qui vit dans
une société qu'il connaît; notre architecture gêne ou est gênée, en
dehors de son siècle, ou complaisante jusqu'à la bassesse, jusqu'au
mépris du bon sens. Si donc nous recommandons l'étude des arts des
siècles passés avant l'époque où ils ont quitté leur voie naturelle, ce
n'est pas que nous désirions voir élever chez nous aujourd'hui des
maisons et des palais du XIIIe siècle, c'est que nous regardons cette
étude comme pouvant rendre aux architectes cette souplesse, cette
habitude d'appliquer à toute chose un principe vrai, cette originalité
native et cette indépendance qui tiennent au génie de notre pays.
N'aurions-nous que fait naître le désir chez nos lecteurs d'approfondir
un art trop longtemps oublié, aurions-nous contribué seulement à faire
aimer et respecter des oeuvres qui sont la vivante expression de nos
progrès pendant plusieurs siècles, que nous croirions notre tâche
remplie; et si faibles que soient les résultats de nos efforts, ils
feront connaître, nous l'espérons du moins, qu'entre l'antiquité et
notre siècle, il s'est fait un travail immense dont nous pouvons
profiter, si nous savons en recueillir et choisir les fruits.
VIOLLET-LE-DUC.
DICTIONNAIRE RAISONNÉ
DE
L'ARCHITECTURE
FRANÇAISE
du XIe AU XVIe SIÈCLE
ABAQUE, s. m. (TAILLOIR.) Tablette qui couronne le chapiteau de la
colonne. Ce membre d'architecture joue un grand rôle dans les
constructions du moyen âge; le chapiteau recevant directement les
naissances des arcs, forme un encorbellement destiné à équilibrer le
porte-à-faux du sommier sur la colonne, le tailloir ajoute donc à la
saillie du chapiteau en lui donnant une plus grande résistance; biseauté
généralement dans les chapiteaux de l'époque romane primitive (1), il
affecte en projection horizontale, la forme carrée suivant le lit
inférieur du sommier de l'arc qu'il supporte; il est quelquefois décoré
de moulures simples et d'ornements, particulièrement pendant le XIIe
siècle, dans l'Ile-de-France, la Normandie, la Champagne, la Bourgogne
et les provinces méridionales(2). Son plan reste carré pendant la
première moitié du XIIIe siècle, mais alors il n'est plus décoré que par
des profils d'une coupe très-mâle (3), débordant toujours les feuillages
et ornements du chapiteau. L'exemple que nous donnons ici est tiré du
choeur de l'église de Vézelay, bâti de 1200 à 1210.
Vers le milieu du XIIIe siècle, lorsque les arcs sont refouillés de moulures accentuées présentant en coupe des saillies comprises dans des polygones, les abaques inscrivent ces nouvelles formes (4). alors les feuillages des chapiteaux débordent la saillie des tailloirs. (Église de Semur en Auxois et cathédrale de Nevers.)
On rencontre souvent des abaques circulaires dans les édifices de la
province de Normandie, à la cathédrale de Coutances, à Bayeux, à Eu, au
Mont-Saint-Michel; les abaques circulaires apparaissent vers le milieu
du XIIIe siècle: les profils en sont hauts, profondément refouillés,
comme ceux des chapiteaux anglais de la même époque. Quelquefois dans
les chapiteaux des meneaux de fenêtres (comme à la Sainte-Chapelle du
Palais, comme à la cathédrale d'Amiens, comme dans les fenêtres des
chapelles latérales de la cathédrale de Paris), de 1230 à 1250, les
abaques sont circulaires (5).
Vers la fin du XIIIe siècle les abaques diminuent peu à peu d'importance: ils deviennent bas, maigres, peu saillants pendant le XIVe siècle (6), et disparaissent presque entièrement pendant le XVe (7). Puis, sous l'influence de l'architecture antique, les abaques reprennent de l'importance au commencement du XVIe siècle. (Voy. CHAPITEAU.)
Pendant la période romane et la première moitié du XIIIe siècle, les
abaques ne font pas partie du chapiteau; ils sont pris dans une autre
assise de pierre; ils remplissent réellement la fonction d'une tablette
servant de support et de point d'appui aux sommiers des arcs. Depuis le
milieu du XIIIe siècle jusqu'à la renaissance, en perdant de leur
importance comme moulure, les abaques sont, le plus souvent, pris dans
l'assise du chapiteau; quelquefois même les feuillages qui décorent le
chapiteau viennent mordre sur les membres inférieurs de leurs profils au
XVe siècle, les ornements enveloppent la moulure de l'abaque, qui se
cache sous cet excès de végétation. Le rapport entre la hauteur du
profil de l'abaque et le chapiteau, entre la saillie et le galbe de ses
moulures et la disposition des feuillages ou ornements, est fort
important à observer; car ces rapports et le caractère de ces moulures
se modifient non-seulement suivant les progrès de l'architecture du
moyen âge, mais aussi suivant la place qu'occupent les chapiteaux. Au
XIIIe siècle principalement, les abaques sont plus ou moins épais, et
leurs profils sont plus ou moins compliqués, suivant que les chapiteaux
sont placés plus ou moins près du sol. Dans les parties élevées des
édifices, les abaques sont très-épais, largement profilés, tandis que
dans les parties basses ils sont plus minces et finement moulurés.
ABAT-SONS, s. m. C'est le nom que l'on donne aux lames de bois recouvertes de plomb ou d'ardoises qui sont attachées aux charpentes des beffrois pour les garantir de la pluie, et pour renvoyer le son des cloches vers le sol. Ce n'est guère que pendant le XIIIe siècle que l'on a commencé à garnir les beffrois d'abat-sons. Jusqu'alors les baies des clochers étaient petites et étroites; les beffrois restaient exposés à l'air libre. On ne trouve de traces d'abat-sons antérieurs au XVe siècle que dans les manuscrits (1). Ils étaient souvent décorés d'ajours, de dents de scie (2) à leur extrémité inférieure, ou de gaufrures sur les plombs.
ABAT-VOIX, s. m. (Voy. CHAIRE.)
ABBAYE, s.f. (Voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE.)
ABSIDE, s. f. C'est la partie qui termine le choeur d'une église, soit par un hémicycle, soit par des pans coupés, soit par un mur plat. Bien que le mot abside ne doive rigoureusement s'appliquer qu'à la tribune ou cul-de-four qui clôt la basilique antique, on l'emploie aujourd'hui pour désigner le chevet, l'extrémité du choeur, et même les chapelles circulaires ou polygonales des transepts ou du rond-point. On dit: chapelles absidales, c'est-à-dire chapelles ceignant l'abside principale; abside carrée: la cathédrale de Laon, l'église de Dol (Bretagne), sont terminées par des absides carrées, ainsi que beaucoup de petites églises de l'Ile-de-France, de Champagne, de Bourgogne, de Bretagne et de Normandie. Certaines églises ont leurs croisillons terminés par des absides semi-circulaires, tels sont les transepts des cathédrales de Noyon, de Soissons, de Tournay, en Belgique; des églises de Saint-Macaire, près Bordeaux; de Saint-Martin de Cologne, toutes églises bâties pendant le XIIe siècle ou au commencement du XIIIe. Dans le midi de la France la disposition de l'abside de la basilique antique se conserve plus longtemps que dans le nord; les absides sont généralement dépourvues de bas-côtés et de chapelles rayonnantes jusque vers le milieu du XIIIe siècle; leurs voûtes en cul-de-four sont plus basses que celles du transept, telles sont les absides des cathédrales d'Avignon, des églises du Thor (1) (Vaucluse), de Chauvigny (Basse), dans le Poitou (2), d'Autun, de Cosne-sur-Loire (3), des églises de l'Angoumois et de la Saintonge, et, plus tard, celles des cathédrales de Lyon, de Béziers, de la cité de Carcassonne, de Viviers
Mais il est nécessaire de remarquer que les absides des églises de Provence sont généralement bâties sur un plan polygonal, tandis que celles des provinces plus voisines du nord sont élevées sur un plan circulaire. Dans les provinces du centre l'influence romaine domine, tandis qu'en Provence et en remontant le Rhône et la Saône c'est l'influence gréco-byzantine qui se fait sentir jusqu'au XIIIe siècle.
Cependant, dès la fin du XIe siècle, on voit des bas-côtés et des
chapelles rayonnantes circonscrire les absides de certaines églises de
l'auvergne, du Poitou, du centre de la France; ce mode s'étend pendant
le XIIe siècle jusqu'à Toulouse. Telles sont les absides de
Saint-Hilaire de Poitiers (4), de Notre-Dame du Port, à Clermont; de
Saint-Étienne de Nevers; de Saint-Sernin de Toulouse. Dans
l'Île-de-France, en Normandie, sauf quelques exceptions: les absides des
églises ne se garnissent guère de chapelles rayonnantes que vers le
commencement du XIIIe siècle, et souvent les choeurs sont seulement
entourés de bas-côtés simples, comme dans les églises de Mantes et de
Poissy, ou doubles ainsi que cela existait autrefois à la cathédrale de
Paris, avant l'adjonction des chapelles du XIVe siècle (5). On voit
poindre les chapelles absidales dans les grands édifices appartenant au
style de l'Île-de-France à Chartres et à Bourges (6); ces chapelles sont
alors petites, espacées; ce ne sont guère que des niches moins élevées
que les bas-côtés.
Ce n'est point là cependant une règle générale: l'abside de l'église de
Saint-Denis possède des chapelles qui datent du XIIe siècle, et prennent
déjà une grande importance; il en est de même dans le choeur de l'église
de Saint-Martin-des-Champs, à Paris (7). Ce plan présente une
particularité, c'est cette travée plus large percée dans l'axe du choeur,
et cette grande chapelle centrale. Ici comme à Saint-Denis, comme dans
les églises de Saint-Remy de Reims, et de Vézelay(8), constructions
élevées pendant le XIIe siècle ou les premières années du XIIIe, on
remarque une disposition de chapelles qui semble appartenir aux églises
abbatiales. Ces chapelles sont largement ouvertes sur le bas-côté, peu
profondes, et sont en communication entre elles par une sorte de double
bas-côté étroit, qui produit en exécution un grand effet.
C'est pendant le cours du XIIIe siècle que les chapelles absidales
prennent tout leur développement. Les chevets des cathédrales de Reims,
d'Amiens (9) et de Beauvais, élevés de 1230 à 1270 nous en ont laissé de
remarquables exemples.
C'est alors que la chapelle absidale, placée dans l'axe de l'église et dédiée à la sainte-Vierge, commence à prendre une importance qui s'accroît pendant le XIVe siècle, comme à Saint-Ouen de Rouen (10), pour former bientôt une petite église annexée au chevet de la grande, comme à la cathédrale de Rouen, et, plus tard, dans presque toutes les églises du XVe siècle.
Les constructions des absides et chapelles absidales qui conservent le
plan circulaire dans les édifices antérieurs au XIIIe siècle,
abandonnent ce parti avec la tradition romane, pour se renfermer dans le
plan polygonal plus facile à combiner avec le système des voûtes à
nervures alors adopté, et avec l'ouverture des grandes fenêtres à
meneaux, lesquelles ne peuvent s'appareiller sur un plan circulaire.
En France, les absides carrées ne se rencontrent guère que dans des édifices d'une médiocre importance. Toutefois, nous avons cité la cathédrale de Laon et l'église de Dol, qui sont terminées par des absides carrées et un grand fenestrage comme la plupart des églises anglaises.
Ce mode de clore le chevet des églises est surtout convenable pour des édifices construits avec économie et sur de petites dimensions. Aussi a-t-il été fréquemment employé dans les villages ou petites bourgades, particulièrement dans le nord et la Bourgogne. Nous citerons les absides carrées des églises de Montréal (Yonne), XIIe siècle; de Vernouillet (11), XIIIe siècle, de Gassicourt, XIVe siècle, près Mantes; de Tour (12), fin du XIVe siècle, près Bayeux; de Clamecy, XIIIe siècle, circonscrite par le bas-côté.
Nous mentionnerons aussi les églises à absides jumelles; nous en connaissons plusieurs exemples, et, parmi les plus remarquables, l'église de Varen, XIIe siècle (Tarn-et-Garonne) et l'église du Thor, à Toulouse, fin du XIVe (13). Dans les églises de fondation ancienne, c'est toujours sous l'abside que se trouvent placées les cryptes; aussi le sol des absides, autant par suite de cette disposition que par tradition, se trouve-t-il élevé de quelques marches au-dessus du sol de la nef et du transept. Les églises de Saint-Denis en France et de Saint-Benoît-sur-Loire, présentent des exemples complets de cryptes réservées sous les absides, et construites de manière à relever le pavé des ronds-points de quinze à vingt marches au-dessus du niveau du transept. (Voy. CRYPTE.)
Parmi les absides les plus remarquables et les plus complètes, on peut citer celles des églises d'Ainay à Lyon, de l'Abbaye-aux-Dames à Caen, de Notre-Dame-du-Port à Clermont, de Saint-Sernin à Toulouse, XIe et XIIe siècles; de Brioude, de Fontgombaud, des cathédrales de Paris, de Reims, d'Amiens, de Bourges, d'Auxerre, de Chartres, de Beauvais, de Séez; des églises de Pontigny, de Vézelay, de Semur en Auxois, XIIe et XIIIe siècles; des cathédrales de Limoges, de Narbonne, d'Alby; des églises de Saint-Ouen de Rouen, XIVe siècle; de la cathédrale de Toulouse, de l'église du Mont-Saint-Michel-en-mer, XVe siècle; des églises de Saint-Pierre de Caen, de Saint-Eustache de Paris, de Brou, XVIe. Généralement les absides sont les parties les plus anciennes des édifices religieux: 1° parce que c'est par là que la construction des églises a été commencée; 2° parce qu'étant le lieu saint, celui où s'exerce le culte, on a toujours dû hésiter à modifier des dispositions traditionnelles; 3° parce que par la nature même de la construction, cette partie des monuments religieux du moyen âge est la plus solide, celle qui résiste le mieux aux poussées des voûtes, aux incendies, et qui se trouve dans notre climat, tournée vers la meilleure exposition.
Il est cependant des exceptions à cette règle, mais elles sont assez rares, et elles ont été motivées par des accidents particuliers, ou parce que des sanctuaires anciens ayant été conservés pendant que l'on reconstruisait les nefs, on a dû après que celles-ci étaient élevées, rebâtir les absides pour les remettre en harmonie avec les nouvelles dispositions.
ACCOLADE, s. f. On donne ce nom à certaines courbes qui couronnent les
linteaux des portes et fenêtres, particulièrement dans l'architecture
civile. Ce n'est guère que vers la fin du XIVe siècle que l'on commence
à employer ces formes engendrées par des arcs de cercle, et qui semblent
uniquement destinées à orner les faces extérieures des linteaux. Les
accolades sont, à leur origine, à peine apparentes (1); plus tard, elles
se dégagent, sont plus accentuées (2); puis, au commencement du XVIe
siècle, prennent une grande importance (3), et accompagnent presque
toujours les couronnements des portes, les arcatures, décorent les
sommets des lucarnes de pierre, se retrouvent dans les plus menus
détails des galeries, des balustrades, des pinacles, des clochetons.
Cette courbe se trouve appliquée indifféremment aux linteaux de pierre
ou de bois, dans l'architecture domestique.
ACCOUDOIR, s. m. C'est le nom que l'on donne à la séparation des stalles, et qui permet aux personnes assises de s'accouder lorsque les miséricordes sont relevées. (Voy. STALLES.) Les accoudoirs des stalles sont toujours élargis à leur extrémité en forme de spatule pour permettre aux personnes assises dans deux stalles voisines de s'accouder sans se gêner réciproquement (1). Les accoudoirs sont souvent supportés, soit par des animaux, des têtes, des figures ou par des colonnettes (2). On voit encore de beaux accoudoirs dans les stalles de la cathédrale de Poitiers, des églises de Notre-Dame-de-la-Roche, de Saulieu, XIIIe siècle; dans celles des églises de Bamberg, d'Anellau, de l'abbaye de Chaise-Dieu, de Saint-Géréon de Cologne, XIVe siècle; de Flavigny, de Gassicourt, de Simorre, XVe siècle; des cathédrales d'Alby, d'Auch, d'Amiens, des églises de Saint-Bertrand de Comminges, de Montréal (Yonne), de Saint-Denis en France, provenant du château de Gaillon, XVIe siècle.
AGRAFE, s. f. C'est un morceau de fer ou de bronze qui sert à relier ensemble deux pierres. (Voy. CRAMPON.)
AIGUILLE, s. f. On donne souvent ce nom à la terminaison pyramidale d'un clocher ou d'un clocheton, lorsqu'elle est fort aiguë; on désigne aussi par aiguille l'extrémité du poinçon d'une charpente qui perce le comble et se décore d'ornements de plomb. (Voy. FLÈCHE, POINÇON.)
ALBATRE s. m. Cette matière a été fréquemment employée dans le moyen
âge, du milieu du XIIIe siècle au XVIe, pour faire des statues de
tombeaux et souvent même les bas-reliefs décorant ces tombeaux, des
ornements découpés se détachant sur du marbre noir (1), et des retables,
vers la fin du XVe siècle. L'exemple que nous donnons ici provient des
magasins de Saint-Denis. Il existe, dans la cathédrale de Narbonne, une
statue de la sainte Vierge, plus grande que nature, en albâtre oriental,
du XIVe siècle, qui est un véritable chef-d'oeuvre. Les belles statues
d'albâtre de cette époque, en France, ne sont pas rares; malheureusement
cette matière ne résiste pas à l'humidité. Au Louvre, dans le Musée des
monuments français, dans l'église de Saint-Denis, on rencontre de belles
statues d'albâtre provenant de tombeaux. Les artistes du moyen âge
polissaient toujours l'albâtre lorsqu'ils l'employaient pour la
statuaire, mais à des degrés différents. Ainsi, souvent les nus sont
laissés à peu près mats et les draperies polies, quelquefois c'est le
contraire qui a lieu. Souvent aussi on dorait et on peignait la
statuaire en albâtre, par parties, en laissant aux nus la couleur
naturelle. Le Musée de Toulouse renferme de belles statues d'albâtre
arrachées à des tombeaux; il en a une surtout d'un archevêque de
Narbonne, en albâtre gris, de la fin du XIVe siècle, qui est d'une
grande beauté; la table sur laquelle repose cette figure était incrustée
d'ornements de métal, probablement de cuivre doré, dont on ne trouve que
les attaches. (Voy. TOMBES, STATUES.)
ALIGNEMENT, s. m. De ce que la plupart des villes du moyen âge se sont élevées successivement sur des cités romaines ou sur les villages gaulois, au milieu des ruines ou à l'entour de mauvaises cabanes, on en a conclu, un peu légèrement, que l'édilité au moyen âge n'avait aucune idée de ce que nous appelons aujourd'hui les alignements des rues d'une ville, que chacun pouvait bâtir à sa fantaisie en laissant devant sa maison l'espace juste nécessaire à la circulation. Il n'en est rien. Il existe, en France, un assez grand nombre de villes fondées d'un jet pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, qui sont parfaitement alignées, comme le sont les villes de l'Amérique du nord, bâties par les émigrants européens.
Le pouvoir féodal n'avait pas à sa disposition les lois d'expropriation pour cause d'utilité publique; et quand, par suite de l'agglomération successive des maisons, une ville se trouvait mal alignée, ou plutôt ne l'était pas du tout, il fallait bien en prendre son parti; car si tout le monde souffrait de l'étroitesse des rues, et de leur irrégularité, personne n'était disposé, pas plus qu'aujourd'hui, à démolir sa maison bénévolement, à céder un pouce de terrain pour élargir la voie publique ou rectifier un alignement. Le représentant suprême du pouvoir féodal, le roi, à moins de procéder à l'alignement d'une vieille cité par voie d'incendie, comme Néron à Rome, ce qui n'eût pas été du goût des bourgeois, n'avait aucun moyen de faire élargir et rectifier les rues de ses bonnes villes.
Philippe Auguste, en se mettant à l'une des fenêtres de son Louvre, par une de ces belles matinées de printemps où le soleil attire à lui toute l'humidité du sol, eut, dit-on, son odorat tellement offensé par la puanteur qui s'exhalait des rues de Paris, qu'il résolut de les empierrer pour faciliter l'écoulement des eaux. De son temps, en effet, on commença à paver les voies publiques; il pouvait faire paver des rues qui se trouvaient sur son domaine, mais il n'eût pu, même à prix d'argent, faire reculer la façade de la plus médiocre maison de sa capitale, sans le consentement du propriétaire. Il ne faut donc pas trop taxer nos aïeux d'instincts désordonnés, mais tenir compte des moeurs et des habitudes de leur temps, de leur respect pour ce qui existait, avant de les blâmer. Ce n'était pas par goût qu'ils vivaient au milieu de rues tortueuses et mal nivelées, car lorsqu'ils bâtissaient une ville neuve, ils savaient parfaitement la percer, la garnir de remparts réguliers, d'édifices publics, y réserver des places avec portiques, y élever des fontaines et des aqueducs. Nous pourrons citer comme exemples les villes d'Aigues-Mortes, la ville neuve de Carcassonne, Villeneuve-le-Roy, Villeneuve l'Archevêque en Champagne, la ville de Montpazier en Périgord, dont nous donnons le plan (1); la ville de Sainte-Foy (Gironde). Toutes villes bâties pendant le XIIIe siècle.
ALLÈGE, s.m. Mur mince servant d'appui aux fenêtres, n'ayant que l'épaisseur du tableau, et sur lequel portent les colonnettes ou meneaux qui divisent la croisée dans les édifices civils (1). Pendant les XIe, XIIe et XIIIe siècles, les allèges des croisées sont au nu du parement extérieur du mur de face.
Au XIVe siècle, la moulure ou les colonnettes qui servent de pied-droit à la fenêtre et l'encadrent, descendent jusqu'au bandeau posé à hauteur de plancher, et l'allège est renfoncé (2), indiquant bien ainsi qu'il n'est qu'un remplissage ne tenant pas au corps de la construction. Au XVe siècle, l'allège est souvent décoré par des balustrades aveugles, comme on le voit encore dans un grand nombre de maisons de Rouen, à la maison de Jacques Coeur à Bourges (3); au XVIe siècle, d'armoiries, de chiffres, de devises et d'emblèmes, comme à l'ancien hôtel de la cour des comptes de Paris (4), bâti par Louis XII, et dans quelques maisons d'Orléans. La construction de cette partie des fenêtres suit ses transformations. Dans les premiers temps, les assises sont continuées, et l'allège fait corps avec les parements extérieurs; plus tard, lorsque les allèges sont accusés à l'extérieur, ils sont faits d'un seul morceau posé en délit; quelquefois même, le meneau descend jusqu'au bandeau du plancher, et les deux parties de l'allège ne sont que des remplissages, deux dalles posées de champ, parfaitement propres à recevoir de la sculpture.
ÂMES (Les), s. f. La statuaire du moyen âge personnifie fréquemment les
âmes. Dans les bas-reliefs représentant le jugement dernier (voy.
JUGEMENT DERNIER), dans les bas-reliefs légendaires, les vitraux, dans
les tombeaux, les âmes sont représentées par des formes humaines,
jeunes, souvent drapées, quelquefois nues. Parmi les figures qui
décorent les voussures des portes principales de nos églises, dans le
tympan desquelles se trouve placé le jugement dernier, à la droite de
Notre-Seigneur, on remarque souvent Abraham portant des groupes d'élus
dans le pan de son manteau (1); ce sont de petites figures nues, ayant
les bras croisés sur la poitrine ou les mains jointes. Dans le curieux
bas-relief qui remplit le fond de l'arcade du tombeau de Dagobert à
Saint-Denis (tombeau élevé par saint Louis), on voit représentée, sous
la forme d'un personnage nu, ayant le front ceint d'une couronne, l'âme
de Dagobert soumise à diverses épreuves avant d'être admise au ciel.
Dans presque tous les bas-reliefs de la mort de la sainte Vierge, sculptés pendant les XIIIe et XIVe siècles, Notre-Seigneur assiste aux derniers moments de sa mère, et porte son âme entre ses bras comme on porte un enfant. Cette âme est représentée alors sous la figure d'une jeune femme drapée et couronnée. Ce charmant sujet, empreint d'une tendresse toute divine, devait inspirer les habiles artistes de cette époque; il est toujours traité avec amour et exécuté avec soin. Nous donnons un bas-relief en bois du XIIIe siècle existant à Strasbourg, et dans lequel ce sujet est habilement rendu (2). On voit, dans la chapelle du Liget (Indre-et-Loire), une peinture du XIIe siècle de la mort de la Vierge; ici l'âme est figurée nue; le Christ la remet entre les bras de deux anges qui descendent du ciel.
Dans les vitraux et les peintures, la possession des âmes des morts est souvent disputée entre les anges et les démons; dans ce cas, l'âme que l'on représente quelquefois sortant de la bouche du mourant est toujours figurée les mains jointes, et sous la figure humaine jeune et sans sexe.
AMORTISSEMENT, s. m. Mot qui s'applique au couronnement d'un édifice, à la partie d'architecture qui termine une façade, une toiture, un pignon, un contre-fort; il est particulièrement employé pour désigner ces groupes, ces frontons contournés décorés de vases, de rocailles, de consoles et de volutes, si fréquemment employés pendant le XVIe siècle dans les parties supérieures des façades des édifices, des portes, des coupoles, des lucarnes.
Dans la période qui précède la renaissance, le mot amortissement est également appliquable à certains couronnements ou terminaisons; ainsi, on peut considérer l'extrémité sculptée de la couverture en dallage de l'abside de l'église du Thor (Vaucluse), comme un amortissement (1); de même que certains fleurons qui sont placés à la pointe des pignons pendant les XIIIe (2), XIVe et XVe siècles. Les têtes des contre-forts des chapelles absidales de la cathédrale d'Amiens, XIIIe siècle (3), sont de véritables amortissements.
ANCRE, s. f. Pièce de fer placée à l'extrémité d'un chaînage pour maintenir l'écartement des murs. (Voy. CHAÎNAGE.) Les ancres étaient bien rarement employées dans les constructions antérieures au XVe siècle; les crampons scellés dans les pierres, et les rendant solidaires, remplaçaient alors les chaînages. Mais dans les constructions civiles du XVe siècle, on voit souvent des ancres apparentes placées de manière à retenir les parements extérieurs des murs. Ces ancres affectent alors des formes plus ou moins riches, présentant des croix ancrées (1), des croix de Saint-André (2); quelquefois, dans des maisons particulières, des lettres (3), des rinceaux (4).
On a aussi employé, dans quelques maisons du XVe siècle, bâties avec économie, des ancres de bois, retenues avec des clefs également de bois (5), et reliant les solives des planchers avec les sablières hautes et basses des pans de bois de face.
ANGE, s. m. Les représentations d'anges ont été fréquemment employées dans les édifices du moyen âge soit religieux, soit civils. Sans parler ici des bas-reliefs, vitraux et peintures, tels que les Jugements Derniers, les Histoires de la sainte Vierge, les Légendes, où ils trouvent naturellement leur place, ils jouent un grand rôle dans la décoration extérieure et intérieure des églises. Les anges se divisent en neuf choeurs et en trois ordres: le premier ordre comprend les Trônes, les Chérubins, les Séraphins; le deuxième: les Dominations, les Vertus, les Puissances; le troisième: les Principautés, les Archanges, les Anges.
La cathédrale de Chartres présente un bel exemple sculpté de la
hiérarchie des anges au portail méridional, XIIIe siècle. La porte nord
de la cathédrale de Bordeaux donne aussi une série d'anges complète,
dans ses voussures. La chapelle de Vincennes en offre une autre du XVe
siècle. Comme peinture, il existe dans l'église de Saint-Chef (Isère)
une représentation de la hiérarchie des anges qui date du XIIe siècle
(voir pour de plus amples détails la savante dissertation de M. Didron
dans le Manuel d'Iconographie chrétienne p. 71).
À la cathédrale de
Reims, on voit une admirable série de statues d'anges placées dans les
grands pinacles des contre-forts (1). Ces anges sont représentés drapés,
les ailes ouvertes, nu-pieds, et tenant dans leurs mains le soleil et la
lune, les instruments de la Passion de N. S. ou les différents objets
nécessaires au sacrifice de la sainte messe. À la porte centrale de la
cathédrale de Paris, au-dessus du Jugement Dernier, deux anges de
dimensions colossales, placés des deux côtés du Christ triomphant,
tiennent les instruments de la Passion. La même disposition se retrouve
à la porte nord de la cathédrale de Bordeaux (2); à Chartres, à Amiens
(voy. JUGEMENT DERNIER). À la cathédrale de Nevers, des anges sont
placés à l'intérieur, dans les tympans du triforium (3). À la
Sainte-Chapelle de Paris, des anges occupent une place analogue dans
l'arcature inférieure; ils sont peints et dorés, se détachent sur des
fonds incrustés de verre bleu avec dessins d'or, et tiennent des
couronnes entre les sujets peints représentant des martyrs (4). À la
porte centrale de la cathédrale de Paris, bien que la série ne soit pas
complète et qu'on ne trouve ni les séraphins ni les chérubins, les deux
premières voussures sont occupées par des anges qui sortant à mi-corps
de la gorge ménagée dans la moulure, semblent assister à la grande scène
du Jugement Dernier, et forment, autour du Christ triomphant, comme une
double auréole d'esprits célestes. Cette disposition est unique, et ces
figures, dont les poses sont pleines de vérité et de grâce, ont été
exécutées avec une perfection inimitable, comme toute la sculpture de
cette admirable porte.
Au Musée de Toulouse, on voit un ange fort beau, du XIIe siècle, en
marbre (5), provenant d'une annonciation; il est de grandeur naturelle,
tient un sceptre de la main gauche, et ses pieds nus portent sur un
dragon dévorant un arbre feuillu; il est nimbé; les manches de sa
tunique sont ornées de riches broderies.
Au-dessus du Christ triomphant de la porte nord de la cathédrale de Bordeaux, XIIIe siècle, on remarque deux anges en pied, tenant le soleil et la lune (6); cette représentation symbolique se trouve généralement employée dans les crucifiements (voy. CRUCIFIEMENT). Dans la cathédrale de Strasbourg, il existe un pilier, dit «Pilier des Anges,» au sommet duquel sont placées des statues d'anges sonnant de la trompette, XIIIe siècle (7). Ces anges sont nimbés.
Sur les amortissements qui terminent les pignons ou gâbles à jour des chapelles du XIVe siècle de l'abside de la cathédrale de Paris, on voyait autrefois une série d'anges jouant de divers instruments de musique; ce motif a été fréquemment employé dans les églises des XIVe et XVe siècles. Les anges sont souvent thuriféraires; dans ce cas, ils sont placés à côté du Christ, de la sainte Vierge, et même quelquefois à côté des saints martyrs. À la Sainte-Chapelle, les demi-tympans de l'arcature basse sont décorés de statues d'anges à mi-corps sortant d'une nuée, et encensant les martyrs peints dans les quatre-feuilles de ces arcatures (8). Presque toujours, de la main gauche, ils tiennent une navette.
La plupart des maître-autels des cathédrales ou principales églises de France étaient encore, il y a un siècle, entourés de colonnes en cuivre, surmontées de statues d'anges également en métal, tenant les instruments de la Passion ou des flambeaux (voy. AUTEL).
Les sommets des flèches en bois, recouvertes de plomb, ou l'extrémité
des croupes des combles des absides, étaient couronnés de figures
d'anges en cuivre ou en plomb, qui sonnaient de la trompette, et, par la
manière dont leurs ailes étaient disposées, servaient de girouettes. Il
existait à Chartres et à la Sainte-Chapelle du Palais, avant les
incendies des charpentes, des anges ainsi placés. Des anges sonnant de
la trompette sont quelquefois posés aux sommets des pignons, comme à
Notre-Dame de Paris; aux angles des clochers, comme à l'église de
Saint-Père-sous-Vézelay. À la base de la flèche en pierre de l'église de
Semur-en-Auxois, quatre anges tiennent des outres suivant le texte de
l'apocalypse (chap. VII): «.... Je vis quatre anges qui se tenaient
aux quatre coins de la terre, et qui retenaient les quatre vents du
monde....» La flèche centrale de l'église de l'abbaye du
Mont-Saint-Michel était couronnée autrefois par une statue colossale de
l'archange saint Michel terrassant le démon, qui se voyait de dix lieues
en mer.
Dans les constructions civiles, on a abusé des représentations d'anges pendant les XVe et XVIe siècles. On leur a fait porter des armoiries, des devises; on en a fait des supports, des culs-de-lampe. Dans l'intérieur de la clôture du choeur de la cathédrale d'Alby, qui date du commencement du XVIe siècle, on voit, au-dessus des dossiers des stalles, une suite d'anges tenant des phylactères (9).
ANIMAUX, s. m. Saint Jean (apocalypse, chap. IV et V) voit dans le ciel entr'ouvert le trône de Dieu entouré de vingt-quatre vieillards vêtus de robes blanches, avec des couronnes d'or sur leurs têtes, des harpes et des vases d'or entre leurs mains; aux quatre angles du trône, sont quatre animaux ayant chacun six ailes et couverts d'yeux devant et derrière: le premier animal est semblable à un lion, le second à un veau, le troisième à un homme, le quatrième à un aigle.
Cette vision mystérieuse fut bien des fois reproduite par la sculpture et la peinture pendant les XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles. Cependant, elle ne le fut qu'avec des modifications importantes.
On fit, dès les premiers siècles
du christianisme, des quatre animaux, la personnification des quatre
évangélistes: le lion à saint Marc, le veau à saint Luc, l'ange (l'homme
ailé) à saint Matthieu, l'aigle à saint Jean; cependant saint Jean, en
écrivant son Apocalypse, ne pouvait songer à cette personnification
puisque alors les quatre évangiles n'étaient pas écrits. Toutefois,
l'Apocalypse étant considérée comme une prophétie, ces quatre animaux
sont devenus, vers le VIIe siècle, la personnification ou le signe des
évangélistes. Pendant le XIIe siècle, la sculpture, déjà fort avancée
comme art, est encore toute symbolique; le texte de saint Jean est assez
exactement rendu. Au portail occidental de l'église de Moissac, on voit
représenté sur le tympan de la porte le Christ sur un trône, entouré des
quatre animaux nimbés, tenant des phylactères, mais ne possédant chacun
que deux ailes, et dépourvus de ces yeux innombrables; au-dessous du
Christ, dans le linteau, sont sculptés les vingt-quatre vieillards. Au
portail royal de la cathédrale de Chartres (1), on voit aussi le Christ
entouré des quatre animaux seulement. Les vingt-quatre vieillards sont
disposés dans les voussures de la porte. Au portail extérieur de
l'église de Vézelay, on retrouve, dans le tympan de la porte centrale,
les traces du Christ sur son trône, entouré des quatre animaux et des
vingt-quatre vieillards placés en deux groupes de chaque côté du trône.
Plus tard, au XIIIe siècle, les quatre animaux n'occupent plus que des
places très-secondaires. Ils sont placés comme au portail principal de
Notre-Dame de Paris, par exemple, sous les apôtres, aux quatre angles
saillants et rentrants des deux ébrasements de la porte. L'ordre observé
dans la vision de saint Jean se perd, et les quatre animaux ne sont plus
là que comme la personnification admise par tous, des quatre
évangélistes. On les retrouve aux angles des tours, comme à la tour
Saint-Jacques-la-Boucherie de Paris, XVIe siècle; dans les angles
laissés par les encadrements qui circonscrivent les roses, dans les
tympans des pignons, sur les contre-forts des façades, dans les clefs de
voûtes, et même dans les chapiteaux des piliers de choeurs.
Avant le XIIIe siècle, les quatre animaux sont ordinairement seuls;
mais, plus tard, ils accompagnent souvent les évangélistes qu'ils sont
alors destinés à faire reconnaître. Cependant, nous citerons un exemple
curieux de statues d'évangélistes de la fin du XIIe siècle, qui portent
entre leurs bras les animaux symboliques. Ces quatre statues sont
adossées à un pilier du cloître de Saint-Bertrand de Comminges (2).
La décoration des édifices religieux et civils présente une variété infinie d'animaux fantastiques pendant la période du moyen âge. Les bestiaires des XIIe et XIIIe siècles attribuaient aux animaux réels ou fabuleux des qualités symboliques dont la tradition s'est longtemps conservée dans l'esprit des populations, grâce aux innombrables sculptures et peintures qui couvrent nos anciens monuments; les fabliaux venaient encore ajouter leur contingent à cette série de représentations bestiales. Le lion, symbole de la vigilance, de la force et du courage; l'antula, de la cruauté; l'oiseau caladre, de la pureté; la sirène; le pélican, symbole de la charité; l'aspic, qui garde les baumes précieux et résiste au sommeil; la chouette, la guivre, le phénix; le basilic, personnification du diable; le dragon, auquel on prêtait des vertus si merveilleuses (voy. les Mélang. archéol. des RR. PP. Martin et Cahier), tous ces animaux se rencontrent dans les chapiteaux des XIIe et XIIIe siècles, dans les frises, accrochés aux angles des monuments, sur les couronnements des contre-forts, des balustrades.
À Chartres, à
Reims, à Notre-Dame de Paris, à Amiens, à Rouen, à Vézelay, à Auxerre,
dans les monuments de l'ouest ou du centre, ce sont des peuplades
d'animaux bizarres, rendus toujours avec une grande énergie. Au sommet
des deux tours de la façade de la cathédrale de Laon, les sculpteurs du
XIIIe siècle ont placé, dans les pinacles à jour, des animaux d'une
dimension colossale (3). Aux angles des contre-forts du portail de
Notre-Dame de Paris, on voit aussi sculptées d'énormes bêtes, qui, en se
découpant sur le ciel, donnent la vie à ces masses de pierre (4). Les
balustrades de la cathédrale de Reims sont surmontées d'oiseaux
bizarres, drapés, capuchonnés. Dans des édifices plus anciens, au XIIe
siècle, ce sont des frises d'animaux qui s'entrelacent, s'entre-dévorent
(5); des chapiteaux sur lesquels sont figurés des êtres étranges,
quelquefois moitié hommes, moitié bêtes; possédant deux corps pour une
tête, ou deux têtes pour un corps; les églises du Poitou, de la
Saintonge, de la Guyenne, les monuments romans de la Bourgogne et des
bords de la Loire, présentent une quantité prodigieuse de ces animaux,
qui, tout en sortant de la nature, ont cependant une physionomie à eux,
quelque chose de réel qui frappe l'imagination; c'est une histoire
naturelle à part, dont tous les individus pourraient être classés par
espèces. Chaque province possède ses types particuliers, qu'on retrouve
dans les édifices de la même époque; mais ces types ont un caractère
commun de puissance sauvage; ils sont tous empreints d'un sentiment
d'observation de la nature très-remarquable. Les membres de ces
créatures bizarres sont toujours bien attachés, rendus avec vérité;
leurs contours sont simples et rappellent la grâce que l'on ne peut se
lasser d'admirer dans les animaux de la race féline, dans les oiseaux de
proie, chez certains reptiles. Nous donnons ici un de ces animaux,
sculpté sur un des vantaux de porte de la cathédrale du Puy-en-Velay
(6). Ce tigre, ce lion, si l'on veut, est en bois; sa langue, suspendue
sur un axe, se meut au moyen d'un petit contre-poids quand on ouvre les
vantaux de la porte; il était peint en rouge et en vert. Il existe, sur
quelques chapiteaux et corbeaux de l'église Saint-Sernin de Toulouse,
une certaine quantité de ces singuliers quadrupèdes qui semblent
s'accrocher à l'architecture avec une sorte de frénésie; ils sont
sculptés de main de maître (7).
Au XIVe siècle, la sculpture, en
devenant plus pauvre, plus maigre, et se bornant presque à l'imitation
de la flore du nord, supprime en grande partie les animaux dans
l'ornementation sculptée ou peinte; mais, pendant le XVe siècle et au
commencement du XVIe, on les voit reparaître, imités alors plus
scrupuleusement sur la nature, et ne remplissant qu'un rôle
très-secondaire par leur dimension. Ce sont des singes, des chiens, des
ours, des lapins, des rats, des renards, des limaçons, des larves, des
lézards, des salamandres; parfois aussi, cependant, des animaux
fantastiques, contournés (8), exagérés dans leurs mouvements; tels sont
ceux que l'on voyait autrefois sculptés sur les accolades de l'hôtel de
La Trémoille, à Paris.
Les représentations des fabliaux deviennent plus fréquentes, et, quoique
fort peu décentes parfois, se retrouvent dans des chapiteaux, des
frises, des boiseries, des stalles, des jubés. La satire remplace les
traditions et les croyances populaires. Les artistes abusent de ces
détails, en couvrent leurs édifices sans motif ni raison, jusqu'au
moment où la Renaissance vient balayer tous ces jeux d'esprit usés, pour
y substituer ses propres égarements.
ANNELÉE (Colonne). (Voy. BAGUE.)
APOCALYPSE, s. f. Le livre de l'Apocalypse de saint Jean ne se prête guère à la sculpture; mais, en revanche, il ouvre un large champ à la peinture; aussi ces visions divines, ces prophéties obscures n'ont-elles été rendues en entier, dans le moyen âge, que dans des peintures murales ou des vitraux. Les roses des grandes églises, par leur dimension et la multiplicité de leurs compartiments, permettaient aux peintres-verriers de développer cet immense sujet. Nous citerons la rose occidentale de l'église de Mantes, dont les vitraux, qui datent du commencement du XIIIe siècle, reproduisent, avec une énergie remarquable, les visions de saint Jean. La rose de la Sainte-Chapelle du Palais, exécutée à la fin du XVe siècle, présente les mêmes sujets, rendus avec une excessive finesse. Parmi les peintures murales, devenues fort rares aujourd'hui en France, nous, mentionnerons celles du porche de l'église de Saint-Savin en Poitou, qui donnent quelques-unes des visions de l'Apocalypse. Ces peintures datent du commencement du XIIe siècle.
APOTRES, s. m. Dans le canon de la messe, les douze apôtres sont désignés dans l'ordre suivant: Pierre, Paul, André, Jacques, Jean, Thomas, Jacques, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Simon et Taddée.
Toutefois, dans l'Iconographie chrétienne française du XIe au XVIe
siècle, cet ordre n'est pas toujours exactement suivi: Matthias, élu
apôtre à la place de Judas Iscariote (Actes des apôtres, chap. 1er),
remplace souvent Taddée; quelquefois Jacques le Mineur et Simon cèdent
la place aux deux évangélistes Luc et Marc; Paul ne peut trouver place
parmi les douze apôtres qu'en excluant l'un de ceux choisis par
Jésus-Christ lui-même, tel que Jude, par exemple. Il est donc fort
difficile de désigner les douze apôtres par leurs noms dans la statuaire
des XIe, XIIe et XIIIe siècles; plus tard les apôtres, portant les
instruments de leur martyre ou divers attributs qui les font distinguer,
on peut les désigner nominativement. Cependant, dès le XIIIe siècle,
dans la statuaire de nos cathédrales, quelques apôtres, sinon tous, sont
déjà désignés par les objets qu'ils tiennent entre leurs mains. Saint
Pierre porte généralement deux clefs, saint Paul une épée, saint André
une croix en sautoir, saint Jean quelquefois un calice, saint Thomas une
équerre, saint Jacques une aumônière garnie de coquilles et une épée ou
un livre, saint Philippe une croix latine, saint Barthélemy un coutelas,
saint Matthieu un livre ouvert. Ce n'est guère qu'à la fin du XIe siècle
ou au commencement du XIIe, que la figure de saint Pierre est
représentée tenant les clefs. Nous citerons le grand tympan de l'église
de Vézelay, qui date de cette époque, et dans lequel on voit saint
Pierre deux fois représenté tenant deux grandes clefs, à la porte du
paradis, et près du Christ. À la cathédrale de Chartres, portail
méridional, la plupart des apôtres tiennent des règles; à la cathédrale
d'Amiens, portail occidental, XIIIe siècle, les instruments de leur
martyre ou les attributs désignés ci-dessus. Quelquefois Paul, les
évangélistes, Pierre, Jacques et Jude, tiennent des livres fermés, comme
à la cathédrale de Reims; à Amiens, on voit une statue de saint Pierre
tenant une seule clef et une croix latine en souvenir de son martyre.
Les apôtres sont fréquemment supportés par de petites figures
représentant les personnages qui les ont persécutés, ou qui rappellent
des traits principaux de leur vie.
C'est surtout pendant les XIVe et XVe
siècles que les apôtres sont représentés avec les attributs qui aident à
les faire reconnaître, bien que ce ne soit pas là une règle absolue. Au
portail méridional de la cathédrale d'Amiens, le linteau de la porte est
rempli par les statues demi-nature des douze apôtres. Là ils sont
représentés dissertant entre eux: quelques-uns tiennent des livres,
d'autres des rouleaux déployés (1 et 1 bis). Ce beau bas-relief, que
nous donnons en deux parties, bien qu'il se trouve sculpté sur un
linteau et divisé seulement par le dais qui couronne la sainte Vierge,
est de la dernière moitié du XIIIe siècle. À l'intérieur de la clôture
du choeur de la cathédrale d'Alby (commencement du XVIe siècle), les
douze apôtres sont représentés en pierre peinte; chacun d'eux tient à la
main une banderole sur laquelle est écrit l'un des articles du Credo.
Guillaume Durand, au XIIIe siècle (dans le Rationale div. offic.), dit
que les apôtres, avant de se séparer pour aller convertir les nations,
composèrent le Credo, et que chacun d'eux apporta une des douze
propositions du symbole (voy. les notes de M. Didron, du Manuel
d'iconographie chrétienne, p. 299 et suiv.). On trouve souvent, dans
les édifices religieux du XIe au XVIe siècle, les légendes séparées de
quelques-uns des apôtres; on les rencontre dans les bas-reliefs et
vitraux représentant l'histoire de la sainte Vierge, comme à la
cathédrale de Paris, à la belle porte de gauche de la façade et dans la
rue du Cloître. À Semur en Auxois, dans le tympan de la porte
septentrionale (XIIIe siècle), est représentée la légende de saint
Thomas, sculptée avec une rare finesse.
Cette légende, ainsi que celle
de saint Pierre, se retrouve fréquemment dans les vitraux de cette
époque. En France, à partir du XIIe siècle, les types adoptés pour
représenter chacun des douze apôtres sont conservés sans trop
d'altérations jusqu'au XVe siècle. Ainsi, saint Pierre est toujours
représenté avec la barbe et les cheveux crépus, le front bas, la face
large, les épaules hautes, la taille petite; saint Paul chauve, une
mèche de cheveux sur le front, le crâne haut, les traits fins, la barbe
longue et soyeuse, le corps délicat, les mains fines et longues; saint
Jean imberbe, jeune, les cheveux bouclés, la physionomie douce; au XVe
et surtout au XVIe siècle, saint Pierre, lorsqu'il est seul, est souvent
vêtu en pape, la tiare sur la tête et les clefs à la main.
Parmi les plus belles statues d'apôtres, nous ne devons pas omettre celles qui sont adossées aux piles intérieures de la Sainte-Chapelle (XIIIe siècle), et qui portent toutes une des croix de consécration (2). Ces figures sont exécutées en liais, du plus admirable travail, et couvertes d'ornements peints et dorés imitant de riches étoffes rehaussées par des bordures semées de pierreries. Cet usage de placer les apôtres contre les piliers des églises et des choeurs particulièrement, était fréquent; nous citerons comme l'un des exemples les plus remarquables le choeur de l'ancienne cathédrale de Carcassonne du commencement du XIVe siècle. Les apôtres se plaçaient aussi sur les devants d'autels, sur les retables en pierre, en bois ou en métal. Sur les piliers des cloîtres, comme à Saint-Trophyme d'Arles, autour des chapiteaux de l'époque romane, sur les jubés, en gravure; dans les bordures des tombes, pendant les XIVe, XVe et XVIe siècles (3).
À la cathédrale de Paris, comme à Chartres, comme à Amiens, les douze apôtres se trouvent rangés dans les ébrasements des portes principales, des deux côtés du Christ homme, qui occupe le trumeau du centre; plus anciennement, dans les bas-reliefs des XIe et XIIe siècles, comme à Vézelay, ils sont assis dans le tympan, de chaque côté du Christ triomphant. À Vézelay, ils sont au nombre de dix seulement, disposés en deux groupes; des rayons partent des mains du Christ, et se dirigent vers les têtes nimbées des dix apôtres; la plupart d'entre eux tiennent des livres ouverts (4).
Au portail royal de Chartres, le tympan de gauche représente l'Ascension; les apôtres sont assis sur le linteau inférieur, tous ayant la tête tournée vers Notre-Seigneur, enlevé sur des nuées; quatre anges descendent du ciel vers les apôtres et occupent le deuxième linteau. Dans toutes les sculptures ou peintures du XIe au XVIe siècle, les apôtres sont toujours nu-pieds, quelle que soit d'ailleurs la richesse de leurs costumes; ils ne sont représentés coiffés que vers la fin du XVe siècle. L'exemple que nous avons donné plus haut, tiré du portail méridional d'Amiens (XIIIe siècle), et dans lequel on remarque un de ces apôtres, saint Jacques, la tête couverte d'un chapeau, est peut-être unique. Quant au costume, il se compose invariablement de la robe longue ou tunique non fendue à manches, de la ceinture, et du manteau rond, avec ou sans agrafes. Ce n'est guère qu'à la fin du XVe siècle que la tradition du costume se perd, et que l'on voit des apôtres couverts parfois de vêtements dont les formes rappellent ceux des docteurs de cette époque.
APPAREIL, s. m. C'est le nom que l'on donne à l'assemblage des pierres
de taille qui sont employées
dans la construction d'un édifice.
L'appareil varie suivant la nature des matériaux, suivant leur place;
l'appareil a donc une grande importance dans la construction, c'est lui
qui souvent commande la forme que l'on donne à telle ou telle partie de
l'architecture, puisqu'il n'est que le judicieux emploi de la matière
mise en oeuvre, en raison de sa nature physique, de sa résistance, de sa
contexture, de ses dimensions et des ressources dont on dispose.
Cependant chaque mode d'architecture a adopté un appareil qui lui
appartient, en se soumettant toutefois à des règles communes. Aussi
l'examen de l'appareil conduit souvent à reconnaître l'âge d'une
construction. Jusqu'au XIIe siècle l'appareil conserve les traditions
transmises par les constructeurs du Bas-Empire. Seulement on ne
disposait alors que de moyens de transport médiocres, les routes étaient
à peine praticables, les engins pour monter les matériaux insuffisants,
les constructions sont élevées en matériaux de petites dimensions,
faciles à monter; les murs, les contre-forts ne présentent que leurs
parements en pierre, les intérieurs sont remplis en blocages (1); les
matériaux mis en oeuvre sont courts, sans queues, et d'une hauteur donnée
par les lits de carrière; mais ces lits ne sont pas toujours observés à
la pose; parfois les assises sont alternées hautes et basses, les hautes
en délit et les basses sur leur lit. Ce mode d'appareil appartient plus
particulièrement au midi de la France. Dans ce cas, les assises basses
pénètrent plus profondément que les assises hautes dans le blocage, et
relient ainsi les parements avec le noyau de la maçonnerie. Les arcs
sont employés dans les petites portées, parce que les linteaux exigent
des pierres d'une forte dimension, et lourdes par conséquent (2). Les
tapisseries sont souvent faites en moellon piqué, tandis que les
pieds-droits des fenêtres, les angles, les contre-forts sont en pierre
appareillée. Ces constructions mixtes en moellon et pierre de taille se
rencontrent fréquemment encore pendant le XIIe siècle dans les bâtisses
élevées avec économie, dans les châteaux forts, les maisons
particulières, les églises des petites localités. La nature des
matériaux influe puissamment sur l'appareil adopté; ainsi dans les
contrées où la pierre de taille est résistante, se débite en grands
échantillons, comme en Bourgogne, dans le Lyonnais, l'appareil est
grand; les assises sont hautes, tandis que dans les provinces où les
matériaux sont tendres, où le débitage de la pierre est par conséquent
facile, comme en Normandie, en Champagne, dans l'Ouest, l'appareil est
petit, serré, les tailleurs de pierre, pour faciliter la pose,
n'hésitent pas à multiplier les joints. Une des qualités essentielles de
l'appareil adopté pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, c'est
d'éviter les évidements, les déchets de pierre; ainsi, par exemple, les
retours d'angles sont toujours appareillés en besace (3). Les piles
cantonnées de colonnes sont élevées, pendant les XIe et XIIe siècles,
par assises dont les joints se croisent, mais où les évidements sont
soigneusement évités (4). Plus tard, dans la première moitié du XIIIe
siècle, elles sont souvent formées d'un noyau élevé par assises, et les
colonnes qui les cantonnent sont isolées et composées d'une ou plusieurs
pierres posées en délit (5). Les lits des sommiers des arcs sont
horizontaux jusqu'au point où, se dégageant de leur pénétration commune,
ils se dirigent chacun de leur côté et forment alors une suite de
claveaux extradossés (6). Chaque membre d'architecture est pris dans une
hauteur d'assise, le lit placé toujours au point le plus favorable pour
éviter des évidements et des pertes de pierre; ainsi l'astragale au lieu
de tenir à la colonne, comme dans l'architecture romaine, fait partie du
chapiteau (7). La base conserve tous ses membres pris dans la même
pierre. Le larmier est séparé de la corniche (8). Les lits se trouvent
placés au point de jonction des moulures de socles avec les parements
droits (9). Dans les contrées où les matériaux de différentes natures
offrent des échantillons variés comme couleur, en Auvergne, par exemple,
on a employé le grès jaune ou le calcaire blanc, et la lave grise; de
manière à former des mosaïques sur les parements des constructions; les
églises de Notre-Dame-du-Port à Clermont (10), de Saint-Nectaire, du Puy
en Vélay, d'Issoire, présentent des appareils où les pierres de
différentes couleurs forment des dessins par la façon dont elles sont
assemblées. Pendant les XIe et XIIe siècles on a beaucoup fait usage de
ces appareils produits par des combinaisons géométriques; non-seulement
ces appareils compliqués ont été employés pour décorer des parements
unis, mais aussi dans la construction des arcs, ainsi qu'on peut le voir
dans quelques édifices du Poitou, de la Mayenne et des bords de la
Loire.
La porte occidentale de l'église Saint-Étienne de Nevers nous
donne un bel exemple de ces arcs appareillés, avec un soin tout
particulier (11). Au XIIIe siècle ces recherches, qui sentent leur
origine orientale, disparaissent pour faire place à un appareil purement
rationnel, méthodique, résultat des besoins à satisfaire et de la nature
des matériaux; le principe est toujours d'une grande simplicité,
l'exécution pure, franche, apparente; les matériaux n'ont que les
dimensions exigées pour la place qu'ils occupent.
Le corps de la
construction est une bâtisse durable, les assises sont posées sur leurs
lits, tandis que tout ce qui est remplissage, décoration, meneaux,
roses, balustrades, galeries, est élevé en matériaux posés en délit,
sorte d'échafaudage de pierre indépendant de l'ossature de l'édifice,
qui peut être détruit ou remplacé sans nuire à sa solidité (voy.
CONSTRUCTION).
Rien ne démontre mieux ce principe que l'étude de
l'appareil d'une de ces grandes roses en pierre qui s'ouvrent sous les
voûtes des nefs et des transepts. Ces roses, comme toutes les fenêtres
à meneaux, ne sont que de véritables châssis de pierre que l'on peut
enlever et remplacer comme on remplace une croisée de bois, sans toucher
à la baie dans laquelle elle est enchâssée. Les divers morceaux qui
composent ces roses ou ces meneaux ne se maintiennent entre eux que par
les coupes des joints et par la feuillure dans laquelle ils viennent
s'encastrer. L'appareil de ces châssis de pierre est disposé de telle
façon que chaque fragment offre une grande solidité en évitant les trop
grands déchets de pierre (12) (voy. MENEAUX, ROSES). Les joints tendent
toujours aux centres des deux courbes intérieures sans tenir compte
souvent des centres des courbes maîtresses (13), afin d'éviter les
épaufrures qui seraient produites par des coupes maigres.
Du reste, les
meneaux comme les roses servent de cintres aux arcs qui les recouvrent
ou les entourent, et ces châssis de pierre ne peuvent sortir de leur
plan vertical à cause de la rainure ménagée dans ces arcs (14).
Quelquefois, comme dans les fenêtres des bas côtés de la nef de la
cathédrale d'Amiens par exemple, la rainure destinée à maintenir les
meneaux dans un plan vertical est remplacée par des crochets saillants
ménagés dans quelques-uns des claveaux de l'archivolte (15); ces
crochets intérieurs et extérieurs entre lesquels passe le meneau
remplissent l'office des pattes à scellement de nos châssis de bois.
Un des grands principes qui ont dirigé les constructeurs des XIIIe et XIVe siècles dans la disposition de leur appareil, ç'a été de laisser à chaque partie de la construction sa fonction, son élasticité, sa liberté de mouvement, pour ainsi dire. C'était le moyen d'éviter les déchirements dans des gigantesques monuments. Lorsque des arcs sont destinés à présenter une grande résistance à la pression, ils sont composés de plusieurs rangs de claveaux soigneusement extradossés et d'une dimension ordinaire (de 0m,30 à 0m,40 environ), sans liaisons entre eux, de manière à permettre à la construction de tasser, de s'asseoir sans occasionner des ruptures de voussoirs; ce sont autant de cercles concentriques indépendants les uns des autres, pouvant se mouvoir et glisser même les uns sur les autres (16).
De même qu'une réunion de planches de bois cintrées sur leur plat et concentriques, présente une plus grande résistance à la pression, par suite de leur élasticité et de la multiplicité des surfaces, qu'une pièce de bois homogène d'une dimension égale à ce faisceau de planches; de même ces rangs de claveaux superposés et extradossés sont plus résistants, et surtout conservent mieux leur courbe lorsqu'il se produit des tassements ou des mouvements, qu'un seul rang de claveaux dont la flèche serait égale à celle des rangs de claveaux ensemble. Nous devons ajouter que les coupes des claveaux des arcs sont toujours normales à la courbe. Dans les arcs formés de deux portions de cercle, vulgairement désignés sous le nom d'ogives, toutes les coupes des claveaux tendent aux centres de chacun des deux arcs (17), de sorte que dans les arcs dits en lancettes les lits des claveaux présentent des angles très-peu ouverts avec l'horizon (18). C'est ce qui fait que ces arcs offrent une si grande résistance à la pression et poussent si peu. L'intersection des deux arcs est toujours divisée par un joint vertical; il n'y a pas, à proprement parler, de clef; en effet, il ne serait pas logique de placer une clef à l'intersection de deux arcs qui viennent buter l'un contre l'autre à leur sommet, et l'ogive n'est pas autre chose.
La dernière expression du principe que nous avons émis plus haut se rencontre dans les édifices du XIVe siècle. L'appareil des membres de la construction qui portent verticalement diffère essentiellement de l'appareil des constructions qui buttent ou qui contribuent à la décoration. L'église de Saint-Urbain de Troyes nous donne un exemple très-remarquable de l'application de ce principe dans toute sa rigueur logique. La construction de cette église ne se compose réellement que de contre-forts et de voûtes; les contre-forts sont élevés par assises basses posées sur leurs lits; quant aux arcs-boutants, ce ne sont que des étais de pierre et non point des arcs composés de claveaux; les intervalles entre les contre-forts ne sont que des claires-voies en pierre comme de grands châssis posés en rainure entre ces contre-forts; les chéneaux sont des dalles portant sur la tête des contre-forts et soulagés dans leur portée par des liens en pierre formant des pignons à jour, comme seraient des liens de bois sous un poitrail; les décorations qui ornent les faces de ces contre-forts ne sont que des placages en pierre de champ posée en délit et reliée au corps de la construction de distance en distance, par des assises qui font partie de cette construction. Les murs des bas côtés ne sont que des cloisons percées de fenêtres carrées à meneaux, éloignées des formerets des voûtes. Les arêtes (arcs ogives) des voûtes des porches se composent de dalles de champ qui reçoivent sur un repos les triangles de ces voûtes, et, s'élevant au-dessus d'eux, sont taillées de manière à porter le dallage de la couverture comme le feraient les arêtiers d'une charpente.
Il semble que l'architecte de ce charmant édifice ait cherché, dans la disposition de l'appareil de ses constructions, à économiser autant que faire se peut la pierre de taille. Et cependant cette église porte ses cinq cents ans sans que sa construction ait notablement souffert, malgré l'abandon et des restaurations inintelligentes. La manière ingénieuse avec laquelle l'appareil a été conçu et exécuté a préservé cet édifice de la ruine, que son excessive légèreté semblait promptement provoquer. L'étude de l'appareil des monuments du moyen âge ne saurait donc être recommandée; elle est indispensable lorsqu'on veut les restaurer sans compromettre leur solidité, elle est utile toujours, car jamais cette science pratique n'a produit des résultats plus surprenants avec des moyens plus simples, avec une connaissance plus parfaite des matériaux, de leur résistance et de leurs qualités.
Dans les édifices du XIe au XVIe siècle, les linteaux ne sont
généralement employés que pour couvrir de petites ouvertures, et sont
alors d'un seul morceau. Dans les édifices civils particulièrement, où
les fenêtres et les portes sont presque toujours carrées, les liteaux
sont hauts, quelquefois taillés en triangle (19) pour mieux résister à
la pression, ou soulagés près de leur portée par des consoles tenant aux
pieds-droits (20). Quand ces linteaux doivent avoir une grande longueur,
comme dans les cheminées dont les manteaux souvent jusqu'à quatre ou
cinq mètres de portée, les linteaux sont appareillés en plates-bandes
(21) à joints simples ou à crossettes (22), ou à tenons (23). Les
constructeurs connaissaient donc alors la plate-bande appareillée, et
s'ils ne l'employaient que dans des cas exceptionnels et lorsqu'ils ne
pouvaient faire autrement, c'est qu'ils avaient reconnu les
inconvénients de ce genre d'appareil. D'ailleurs il existe du côté du
Rhin, là où les grès rouges des Vosges donnent des matériaux très
résistants et tenaces, un grand nombre de plates-bandes appareillées
dans des édifices des XIIe, XIIIe et XIVe siècles. Dans la portion du
château de Coucy, qui date du XVe siècle, on voit encore d'immenses
fenêtres carrées dont les linteaux, qui n'ont pas moins de quatre mètres
de portée, sont appareillés en claveaux, sans aucun ferrement pour les
empêcher de glisser. Mais ce sont là des exceptions; les portions d'arcs
de cercle sont toujours préférées par les appareilleurs anciens (24), du
moment que les portées sont trop grandes pour permettre l'emploi de
linteaux d'un seul morceau.
Depuis l'époque romane jusqu'au XVe siècle exclusivement on ne ravalait
pas les édifices, les pierres n'étaient point posées épannelées, mais
complètement taillées et achevées. Tout devait donc être prévu par
l'appareilleur sur le chantier avant la pose. Aussi jamais un joint ne
vient couper gauchement un bas-relief, un ornement ou une moulure. Les
preuves de ce fait intéressant abondent: 1° les marques de tâcherons qui
se rencontrent sur les pierres; 2° les coups de bretture, qui
diffèrent à chaque pierre; 3° l'impossibilité de refouiller certaines
moulures ou sculptures après la pose comme dans la fig. 8, par exemple;
4° les tracés des fonds de moulures que l'on retrouve dans les joints
derrière les ornements (25);
5° les erreurs de mesures, qui ont forcé les poseurs de couper parfois une portion d'une feuille d'une sculpture pour faire entrer à sa place une pierre taillée sur le chantier; 6° les combinaisons et pénétrations de moulures de meneaux, qu'il serait impossible d'achever sur le tas si la pierre eût été posée épannelée seulement; 7° enfin, ces exemples si fréquents d'édifices non terminés, mais dans lesquels les dernières pierres posées sont entièrement achevées comme taille ou sculpture.
Au XVe siècle le système d'appareil se modifie profondément. Le désir de produire des effets extraordinaires, la profusion des ornements, des pénétrations de moulures, l'emportent sur l'appareil raisonné prenant pour base la nature des matériaux employés. C'est alors la décoration qui commande l'appareil souvent en dépit des hauteurs de bancs; il en résulte de fréquents décrochements dans les lits et les joints, des déchets considérables de pierre, des moyens factices pour maintenir ces immenses galbes à jour, ces porte-à-faux; le fer vient en aide au constructeur pour accrocher ces décorations qui ne sauraient tenir sans son secours, et par les règles naturelles de la statique. Cependant encore ne voit-on jamais un ornement coupé par un lit, les corniches sont prises dans une hauteur d'assise, les arcs sont extradossés, les meneaux appareillés suivant la méthode employée par les constructeurs antérieurs, bien qu'ils affectent des formes qui se concilient difficilement avec les qualités ordinaires de la pierre. On ne peut encore signaler ces énormités si fréquentes un siècle plus tard, où l'architecte du château d'Écouen appareillait des colonnes au moyen de deux blocs posés en délit avec un joint vertical dans toute la hauteur, ou comme au château de Gaillon on trouvait ingénieux de construire des arcs retombant sur un cul-de-lampe suspendu en l'air, où l'on prodiguait ces clefs pendantes dans les voûtes d'arêtes, accrochées aux charpentes.
Constatons, en finissant, ce fait principal qui résume toutes les observations de détail contenues dans cet article. Du XIe siècle à la fin du XIVe, quand la décoration des édifices donne des lignes horizontales, la construction est horizontale; quand elle donne des lignes verticales, la construction est verticale; l'appareil suit naturellement cette loi. Au XVe siècle la décoration est toujours verticale, les lignes horizontales sont rares, à peine indiquées, et cependant la construction est toujours horizontale, c'est-à-dire en contradiction manifeste avec les formes adoptées.
APPENTIS, s. m. C'est le nom que l'on donne à certaines constructions de bois qui sont accolées contre des édifices publics ou bâtiments privés, et dont les combles n'ont qu'un égout; l'appentis a toujours un caractère provisoire, c'est une annexe à un bâtiment achevé que l'on élève par suite d'un nouveau besoin à satisfaire, ou qu'on laisse construire par tolérance.
Encore aujourd'hui, un grand nombre de nos édifices publics, et particulièrement de nos cathédrales, sont entourés d'appentis élevés contre leurs soubassements, entre leurs contre-forts. Ces constructions parasites deviennent une cause de ruine pour les monuments, et il est utile de les faire disparaître. Quelquefois aussi elles ont été élevées pour couvrir des escaliers extérieurs, tel est l'appentis construit au XVe siècle contre l'une des parois de la grande salle du chapitre de la cathédrale de Meaux (1); pour protéger des entrées ou pour établir des marchés à couvert autour de certains grands édifices civils.
APPLICATION, s. f. On désigne par ce mot, en architecture, la superposition de matières précieuses ou d'un aspect décoratif sur la pierre, la brique, le moellon ou le bois. Ainsi on dit l'application d'un enduit peint sur un mur; l'application de feuilles de métal sur du bois, etc. Dans l'antiquité grecque l'application de stucs très-fins et colorés sur la pierre, dans les temples ou les maisons, était presque générale. À l'époque romaine on remplaça souvent ces enduits assez fragiles par des tables de marbre, ou même de porphyre, que l'on appliquait au moyen d'un ciment très-adhérent sur les parois des murs en brique ou en moellon. Cette manière de décorer les intérieurs des édifices était encore en usage dans les premiers siècles du moyen âge en Orient, en Italie et dans tout l'Occident. Les mosaïques à fond d'or furent même substituées aux peintures, sur les parements des voûtes et des murs, comme plus durables et plus riches. Grégoire de Tours cite quelques églises bâties de son temps, qui étaient décorées de marbres et de mosaïques à l'intérieur, entre autres l'église de Châlon-sur-Saône, élevée par les soins de l'évêque Agricola. Ces exemples d'application de mosaïques, si communs en Italie et en Sicile, sont devenus fort rares en France, et nous ne connaissons guère qu'un spécimen d'une voûte d'abside décorée de mosaïques, qui se trouve dans la petite église de Germigny-les-Prés, près de Saint-Benoît-sur-Loire, et qui semble appartenir au Xe siècle. Depuis l'époque carlovingienne jusqu'au XIIe siècle le clergé en France n'était pas assez riche pour orner ses églises par des procédés décoratifs aussi dispendieux; il se préoccupait surtout, et avec raison, de fonder de grands établissements agricoles, de policer les populations, de lutter contre l'esprit quelque peu désordonné de la féodalité. Mais pendant le XIIe siècle, devenu plus riche, plus fort, possesseur de biens immenses, il put songer à employer le superflu de ses revenus à décorer d'une manière somptueuse l'intérieur des églises. De son côté, le pouvoir royal disposait déjà de ressources considérables dont il pouvait consacrer une partie à orner ses palais. L'immense étendue que l'on était obligé alors de donner aux églises ne permettait plus de les couvrir à l'intérieur de marbres et de mosaïques; d'ailleurs ce mode de décoration ne pouvait s'appliquer à la nouvelle architecture adoptée; la peinture seule était propre à décorer ces voûtes, ces piles composées de faisceaux de colonnes, ces arcs moulurés. L'application de matières riches sur la pierre ou le bois fut dès lors réservée aux autels, aux retables, aux jubés, aux tombeaux, aux clôtures, enfin à toutes les parties des édifices religieux qui, par leur dimension ou leur destination, permettaient l'emploi de matières précieuses. Suger avait fait décorer le jubé de l'église abbatiale de Saint-Denis par des applications d'ornements en bronze et de figures en ivoire. Il est souvent fait mention de tombeaux et d'autels recouverts de lames de cuivre émaillé ou d'argent doré. Avant la révolution de 1792, il existait encore en France une grande quantité de ces objets (voy. TOMBEAUX) qui ont tous disparu aujourd'hui. Sur les dossiers des stalles de cette même église de Saint-Denis, qui dataient du XIIIe siècle, on voyait encore du temps de D. Doublet, au commencement du XVIIe siècle, des applications de cuirs couverts d'ornements dorés et peints. Les portes principales de la façade étaient revêtues d'applications de lames de cuivre émaillées et d'ornements de bronze doré (D. Doublet, t. 1, p. 240 et suiv. Paris, 1625).
Nos monuments du moyen âge ont été complètement dénaturés dans le dernier siècle, et radicalement dévastés en 1793; nous ne voyons plus aujourd'hui que leurs murs dépouillés, heureux encore quand nous ne leur reprochons pas cette nudité. Le badigeon et la poussière ont remplacé les peintures; des scellements arrachés, des coups de marteau sont les seules traces indiquant les revêtements de métal qui ornaient les tombes, les clôtures, les autels. Quant aux matières moins précieuses et qui ne pouvaient tenter la cupidité des réformateurs, on en rencontre d'assez nombreux fragments. Parmi les applications le plus fréquemment employées depuis le XIIe siècle jusqu'à la renaissance, on peut citer le verre, la terre cuite vernissée et les pâtes gaufrées. Les marbres étaient rares dans le nord de la France pendant le moyen âge, et souvent des verres colorés remplaçaient cette matière; on les employait alors comme fond des bas-reliefs, des arcatures, des tombeaux, des autels, des retables; ils décoraient aussi les intérieurs des palais. La Sainte-Chapelle de Paris nous a laissé un exemple complet de ce genre d'applications. L'arcature qui forme tout le soubassement intérieur de cette chapelle contient des sujets représentant des martyrs; les fonds d'une partie de ces peintures sont remplis de verres bleus appliqués sur des feuilles d'argent et rehaussés à l'extérieur par des ornements très-fins dorés. Ces verres d'un ton vigoureux, rendus chatoyants par la présence de l'argent sous-apposé, et semés d'or à leur surface, jouent l'émail. Toutes les parties évidées de l'arcature, les fonds des anges sculptés et dorés qui tiennent des couronnes ou des encensoirs sont également appliqués de verres bleus ou couleur écaille, rehaussés de feuillages ou de treillis d'or. On ne peut concevoir une décoration d'un aspect plus riche, quoique les moyens d'exécution ne soient ni dispendieux ni difficiles. Quelquefois aussi ce sont des verres blancs appliqués sur de délicates peintures auxquelles ils donnent l'éclat d'un bijou émaillé. Il existe encore à Saint-Denis de nombreux fragments d'un autel dont le fond était entièrement revêtu de ces verres blancs appliqués sur des peintures presque aussi fines que celles qui ornent les marges des manuscrits. Ces procédés si simples ont été en usage pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, mais plus particulièrement à l'époque de saint Louis.
Quant aux applications de terres cuites vernissées, elles sont devenues fort rares, étant surtout employées dans les édifices civils et les maisons particulières; nous citerons cependant comme exemple une maison en bois de Beauvais, de la fin du XVe siècle, dont tous les remplissages de face sont garnis de terres cuites émaillées de diverses couleurs.
À partir du XIIe siècle, les applications de pâtes gaufrées se trouvent
fréquemment sur les statues et les parties délicates de l'architecture
intérieure. Ces applications se composaient d'un enduit de chaux
très-mince sur lequel, pendant qu'il était encore mou, on imprimait des
ornements déliés et peu saillants, au moyen d'un moule de bois ou de
fer. On décorait ainsi les vêtements des statues, les fonds de retables
d'autels (voy. RETABLE), les membres de l'architecture des jubés, des
clôtures; quelquefois aussi la menuiserie destinée à être peinte et
dorée; car il va sans dire que les gaufrures que l'on obtenait par ce
procédé si simple, recevaient toujours de la dorure et de la peinture
qui leur donnaient de la consistance et assuraient leur durée. Nous
présentons ici (1) un exemple tiré des applications de pâtes dorées qui
couvrent les arcatures du sacraire de la Sainte-Chapelle; cette gravure
est moitié de l'exécution, et peut faire voir combien ces gaufrures sont
délicates. Ce n'était pas seulement dans les intérieurs que l'on
appliquait ces pâtes; on retrouve encore dans les portails des églises
des XIIe et XIIIe siècles des traces de ces gaufrures sur les vêtements
des statues. À la cathédrale d'Angers, sur la robe de la Vierge du
portail nord de la cathédrale de Paris, des bordures de draperies sont
ornées de pâtes. Au XVe siècle l'enduit de chaux est remplacé par une
résine, qui s'est écaillée et disparaît plus promptement que la chaux.
Des restaurations faites à cette époque, dans la Sainte-Chapelle du
Palais, présentaient quelques traces visibles de gaufrures non-seulement
sur les vêtements des statues, mais même sur les colonnes, sur les nus
des murs; c'étaient de grandes fleurs de lis, des monogrammes du Christ,
des étoiles à branches ondées, etc.
Pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, on appliquait aussi, sur le bois, du vélin rendu flexible par un séjour dans l'eau, au moyen d'une couche de colle de peau ou de fromage; sur cette enveloppe, qui prenait toutes les formes des moulures, on étendait encore un encollage gaufré par les procédés indiqués ci-dessus; puis on dorait, on peignait, on posait des verres peints par-dessous, véritables fixés que l'on sertissait de pâtes ornées (voy. FIXÉ). Il existe encore dans le bas côté sud du choeur de l'église de Westminster, à Londres, un grand retable du XIIIe siècle exécuté par ces procédés; nous le citons ici parce qu'il appartient à l'école française de cette époque, et qu'il a dû être fabriqué dans l'Ile-de-France (voy. RETABLE). Le moine Théophile, dans son Essai sur divers arts, chap. XVII, XVIII et XIX, décrit les procédés employés au XIIe siècle pour appliquer les peaux de de vélin et les enduits sur les bois destinés à orner les retables, les autels, les panneaux. Il parait que du temps du moine Théophile on appliquait des verres colorés par la cuisson sur les verres des vitraux, de manière à figurer des pierres précieuses dans les bordures des vêtements, sans le secours du plomb. Il n'existe plus, que nous sachions, d'exemples de vitraux fabriqués de cette manière; il est vrai que les vitraux du XIIe siècle sont fort rares aujourd'hui (voy. Theophili presb. et monac. Diversarum artium schedula. Paris. 1843).
APPUI, s. m. C'est la tablette supérieure de l'allége des fenêtres (voy. ALLÉGE); on désigne aussi par barres d'appui les pièces de bois ou de fer que l'on scelle dans les jambages des fenêtres, et qui permettent de s'accouder pour regarder à l'extérieur, lorsque ces fenêtres sont ouvertes jusqu'au niveau du sol des planchers. Les barres d'appui ne sont guère en usage avant le XVIe siècle, ou si elles existent, elles ne sont composées que d'une simple traverse sans ornements. Par extension, on donne généralement le nom d'appui à l'assise de pierre posée sous la fenêtre dans les édifices religieux, militaires ou civils, quand même ces fenêtres sont très-élevées au-dessus du sol.
L'appui, dans les édifices élevés du XIIIe au XVIe siècle, est toujours disposé de façon à empêcher la pluie qui frappe contre les vitraux de couler le long des parements intérieurs. Il est ordinairement muni à l'extérieur d'une pente fortement inclinée, d'un larmier et d'une feuillure intérieure qui arrête les eaux pénétrant à travers les interstices des vitraux et les force de s'épancher en dehors (1). Quelquefois l'appui porte un petit caniveau à l'intérieur, avec un ou deux orifices destinés à rejeter en dehors les eaux de pluie ou la buée qui se forme contre les vitres. Cette disposition, qui fait ressortir le soin que l'on apportait alors dans les moindres détails de la construction, se trouve particulièrement appliquée aux appuis des fenêtres des habitations.
On remarque dans la plupart des fenêtres des tours de la Cité de Carcassonne, qui datent de la fin du XIIIe siècle, des appuis ainsi taillés (2). Dans les édifices de l'époque romane du XIe au XIIe siècle ces précautions ne sont pas employées; les appuis des fenêtres ne sont alors qu'une simple tablette horizontale (3), comme dans les bas côtés de la nef de l'église de Vézelay par exemple, ou taillée en biseau des deux côtés, extérieurement pour faciliter l'écoulement des eaux, intérieurement pour laisser pénétrer la lumière (4) (voy. FENÊTRE). Dans les églises élevées pendant la première moitié du XIIIe siècle, les appuis forment souvent comme une sorte de cloison mince sous les meneaux des fenêtres supérieures, dans la hauteur du comble placé derrière le triforium sur les bas côtés; telles sont disposées la plupart des fenêtres hautes des édifices bourguignons bâtis de 1200 à 1250, et notamment celles de l'église de Semur en Auxois (5), dont nous donnons ici un dessin. Ces appuis, contre lesquels est adossé le comble des bas côtés doubles du choeur, n'ont pas plus de 0m,15 d'épaisseur. Ces sortes d'appuis sont fréquents aussi en Normandie, et la nef de l'église d'Eu nous en donne un bel exemple.
Dans l'architecture civile des XIIe et XIIIe siècles les appuis des fenêtres forment presque toujours un bandeau continu, ainsi qu'on peut le voir dans un grand nombre de maisons de Cordes, de Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne), sur les façades de la maison romane de Saint-Gilles (6), de la maison des Musiciens à Reims, des charmantes maisons de la ville de Cluny.
Plus tard, au XIVe siècle, les appuis font une saillie portant larmier au droit de chaque fenêtre (7), et sont interrompus parfois sous les trumeaux. Dans les édifices civils et habitations du XVe siècle, ils ne portent plus de larmiers et forment une avance horizontale profilée à ses extrémités, de manière à offrir un accoudoir plus facile aux personnes qui se mettent à la fenêtre; nous en donnons ici un exemple tiré de l'hôtel de ville de Compiègne (8). Cette disposition ne se perd que vers la fin du XVIe siècle, lorsque les appuis en pierre sont remplacés, dans l'architecture civile, par des barres d'appui en fer façonné. Les fenêtres des maisons de bois qui existent encore des XVe et XVIe siècles sont munies d'appuis qui se relient aux poteaux montants, et donnent de la force et de la résistance au pan-de-bois par une suite de petites croix de Saint-André qui maintiennent le dévers. Les pans-de-bois de face des maisons du XVIe siècle ne sont, la plupart du temps, que des claires-voies formées de poteaux dont l'aplomb n'est conservé qu'au moyen de la combinaison de la charpente des appuis. Voici un exemple d'appuis tiré d'une maison bâtie pendant le XVe siècle à Rouen, rue Malpalu (9). Au commencement du XVIe siècle, ce système de croix de Saint-André appliqué aux appuis est généralement abandonné; les appuis ne sont portés au-dessus des sablières que par des petits potelets verticaux souvent enrichis de sculptures, entre lesquels sont disposés des panneaux plus ou moins ornés; en voici un exemple (10) provenant d'une autre maison de Rouen, rue de la Grosse-Horloge (voy. MAISONS). On donne aussi le nom d'appui à la tablette qui couronne les balustrades pleines ou à jour (voy. BALUSTRADES).
ARBALÉTRIER, s. m. Pièce de charpente inclinée qui, dans une ferme, s'assemble à son extrémité inférieure sur l'entrait, et à son extrémité supérieure au sommet du poinçon. Les arbalétriers forment les deux côtés du triangle dont l'entrait est la base. Dans les charpentes anciennes apparentes ou revêtues à l'intérieur de planches ou bardeaux formant un berceau, les arbalétriers portent les épaulements qui reçoivent les courbes sous lesquelles viennent se clouer les bardeaux (1).
L'arbalétrier porte les pannes recevant les chevrons dans les charpentes antérieures et postérieures à l'époque dite gothique; mais pendant les XIIe, XIIIe, XIVe, XVe et même XVIe siècles, les arbalétriers sont dans le même plan que les chevrons et portent comme eux la latte ou la volige qui reçoit la couverture. Dans les charpentes non apparentes des grands combles au-dessus des voûtes l'arbalétrier est quelquefois roidi par un sous-arbalétrier destiné à l'empêcher de fléchir dans sa plus longue portée (2). Dans les demi-fermes à pente simple qui couvrent les bas côtés des églises, et en général qui composent les combles à un seul égout, l'arbalétrier est la pièce de bois qui forme le grand côté du triangle rectangle (3) (voy. FERME, CHARPENTE).
ARBRE, s. m. On a souvent donné ce nom au poinçon des flèches en charpente (voy. POINÇON, FLÈCHE).
ARBRE DE JESSÉ (voy. JESSÉ).
ARC, s. m. C'est le nom que l'on donne à tout assemblage de pierre, de moellon, ou de brique, destiné à franchir un espace plus ou moins grand au moyen d'une courbe. Ce procédé de construction, adopté par les Romains, fut développé encore par les architectes du moyen âge.
On classe les arcs employés à cette époque en trois grandes catégories: les arcs plein cintre, formés par un demi-cercle (1); les arcs surbaissés ou en anse de panier, formés par une demi-ellipse, le grand diamètre à la base (2); les arcs en ogive ou en tiers-point, formés de deux portions de cercle qui se croisent et donnent un angle curviligne plus ou moins aigu au sommet, suivant que les centres sont plus ou moins éloignés l'un de l'autre (3).
Les arcs plein cintre sont quelquefois surhaussés (4) ou outre-passés, dits alors en fer à cheval (5), ou bombés lorsque le centre est au-dessous de la naissance (6).
Jusqu'à la fin du XIe siècle, l'arc plein cintre avec ses variétés est seul employé dans les constructions, sauf quelques rares exceptions. Quant aux arcs surbaissés que l'on trouve souvent dans les voûtes de l'époque romane, ils ne sont presque toujours que le résultat d'une déformation produite par l'écartement des murs (7), ayant été construits originairement en plein cintre. C'est pendant le XIIe siècle que l'arc formé de deux portions de cercle (et que nous désignerons sous le nom d'arc en tiers-point, conformément à la dénomination admise pendant les XVe et XVIe siècles), est adopté successivement dans les provinces de France et dans tout l'Occident. Cet arc n'est en réalité que la conséquence d'un principe de construction complétement nouveau (voy. CONSTRUCTION, OGIVE, VOUTES); d'une combinaison de voûtes que l'on peut considérer comme une invention moderne, rompant tout à coup avec les traditions antiques. L'arc en tiers-point disparaît avec les dernières traces de l'art du moyen âge, vers le milieu du XVIe siècle; il est tellement inhérent à la voûte moderne qu'on le voit longtemps encore persister dans la construction de ces voûtes; alors que déjà, dans toutes les autres parties de l'architecture, les formes empruntées à l'antiquité romaine étaient successivement adoptées. Les architectes de la renaissance voulant définitivement exclure cette forme d'arcs, n'ont trouvé rien de mieux que d'y substituer, comme à Saint-Eustache de Paris, vers la fin du XVIe siècle, des arcs en ellipse, le petit diamètre à la base; courbe désagréable, difficile à tracer, plus difficile à appareiller, et moins résistante que l'arc en tiers-point.
Outre les dénominations précédentes qui distinguent les variétés d'arcs employés dans la construction des édifices du moyen âge, on désigne les arcs par des noms différents, suivant leur destination; il y a les archivoltes, les arcs-doubleaux, les arcs-ogives, les arcs formerets, les arcs-boutants, les arcs de décharge.
ARCHIVOLTES. Ce sont les arcs qui sont bandés sur les piles des nefs ou des cloîtres, sur les pieds droits des portails, des porches, des portes ou des fenêtres, et qui supportent la charge des murs. Les archivoltes, pendant la période romane jusqu'au XIIe siècle sont plein cintre, quelquefois surhaussées, très-rarement en fer à cheval. Elles adoptent la courbe brisée dite en tiers-point dès le commencement du XIIe siècle dans l'Ile-de-France et la Champagne; vers la fin du XIIe siècle dans la Bourgogne, le Lyonnais, l'Anjou, le Poitou, la Normandie; et, seulement pendant le XIIIe siècle, dans l'Auvergne, le Limousin, le Languedoc et la Provence.--Archivoltes s'ouvrant sur les bas côtés. Elles sont généralement composées, pendant le XIe siècle, d'un ou deux rangs de claveaux simples (8) sans moulures; quelquefois le second rang de claveaux, vers la fin du XIe siècle, comme dans la nef de l'Abbaye-aux-Dames de Caen (9), est orné de bâtons rompus, de méandres ou d'un simple boudin (10). L'intrados de l'arc qui doit reposer sur le cintre en charpente, pendant la construction, est toujours lisse. Les ornements qui décorent les seconds arcs varient suivant les provinces; ils sont presque toujours empruntés aux formes géométriques dans la Normandie, aux traditions antiques dans la Bourgogne (11) (nef de l'église abbatiale de Vézelay), dans le Mâconnais, le Lyonnais et la Provence. C'est surtout pendant le XIIe siècle que les archivoltes se couvrent d'ornements; toutefois l'arc intérieur reste encore simple ou seulement refouillé aux arêtes par un boudin inscrit dans l'épannelage carré du claveau, pour ne pas gêner la pose sur le cintre en charpente (12) (nef de la cathédrale de Bayeux).
Les rangs de claveaux se multiplient et arrivent jusqu'à trois. L'Ile-de-France est avare d'ornements dans ses archivoltes et prodigue les moulures (13), tandis que le centre de la France reste fidèle à la tradition, conserve longtemps et jusque vers le commencement du XIIIe siècle ses deux rangs de claveaux, celui intérieur simple, tout en adoptant l'arc en tiers-point (cathédrale d'Autun) (14).
Mais alors les ornements disparaissent peu à peu des archivoltes des nefs et sont remplacés par des moulures plus ou moins compliquées. En Normandie, on voit les bâtons rompus, les dents de scie, persister dans les archivoltes jusque pendant le XIIIe siècle. En Bourgogne et dans le Mâconnais, parfois aussi les billettes, les pointes de diamant, les rosaces, les besants; en Provence, les oves, les rinceaux, les denticules, tous ornements empruntés à l'antiquité. L'intrados de l'arc intérieur commence à recevoir des moulures très-accentuées pendant le XIIIe siècle; ces moulures, en se développant successivement, finissent par faire perdre aux claveaux des arcs cet aspect rectangulaire dans leur coupe qu'ils avaient conservé jusqu'alors.
Nous donnons ici les transformations que subissent les archivoltes des nefs de 1200 à 1500: Cathédrale de Paris, Saint-Pierre de Chartres, etc. (15), 1200 à 1230; cathédrale de Tours (16), 1220 à 1240; cathédrale de Nevers (17), 1230 à 1250. Dans ce cas le cintre en charpente nécessaire à la pose du rang intérieur des claveaux doit être double. Autres exemples de la même époque (18 et 19), avec arc extérieur saillant sur le nu du parement, Saint-Père-sous-Vézelay, 1240 à 1250. Cathédrale de Paris (20), 1320 à 1330; cathédrales de Narbonne et de Clermont (21), 1340. Les profils s'évident de plus en plus à mesure qu'ils se rapprochent du XVe siècle: Saint-Severin de Paris (22), XVe siècle; église de Saint-Florentin (23), commencement du XVIe siècle. Vers la fin du XVe siècle, les coupes des arcs et leurs courbes sont à peu près identiques dans tous les monuments élevés à cette époque.
ARCHIVOLTES DE CLOÎTRES. Ils conservent la forme plein cintre fort tard jusque vers la fin du XIIIe siècle dans le centre et le midi de la France (voy. CLOÎTRE).
ARCHIVOLTES DE PORTAILS. Les murs-pignons des façades d'églises étant toujours d'une forte épaisseur, les portes sont nécessairement cintrées par une succession d'archivoltes superposées. Ces archivoltes, dans les édifices romans, présentent quelquefois jusqu'à quatre ou cinq rangs de claveaux, un plus grand nombre encore dans les édifices bâtis pendant la période ogivale; les murs de ces derniers monuments, par suite de leur hauteur et de leur épaisseur, doivent être portés sur des arcs très-solides; or, comme les constructeurs du moyen âge avaient pour méthode, lorsqu'ils voulaient résister à une forte pression, non d'augmenter la longueur de la flèche des claveaux de leurs arcs, mais de multiplier le nombre de ces arcs, méthode excellente d'ailleurs (voy. APPAREIL), il en résulte qu'ils ont superposé jusqu'à six, sept et huit arcs concentriques au-dessus des linteaux des portes de leurs façades.
Ces séries d'archivoltes sont décorées avec plus ou moins de luxe, suivant la richesse des édifices. Pendant le XIe siècle, les archivoltes des portails sont pleins cintres; elles n'adoptent la forme ogivale que vers le milieu du XIIe siècle, sauf dans quelques provinces où le plein cintre persiste jusque pendant le XIIIe siècle, notamment dans la Provence, le Lyonnais et la Bourgogne. Elles se distinguent dans l'Île-de-France et le centre, pendant le XIe siècle, par une grande sobriété d'ornements, tandis qu'en Normandie, en Bourgogne, en Poitou, en Saintonge, on les voit chargées, pendant le XIIe siècle particulièrement, d'une profusion incroyable d'entre-lacs, de figures, de rosaces; en Normandie, ce sont les ornements géométriques qui dominent (24), (église de Than, près Caen, XIe siècle).
Dans la Provence, ce sont les moulures fines, les ornements plats sculptés avec délicatesse. Dans le Languedoc et la Guyenne, la multiplicité des moulures et les ornements rares (25), église Saint-Sernin de Toulouse, Église de Loupiac, Gironde (26); portail sud de l'église du Puy-en-Vélay (27). Dans le Poitou et la Saintonge, les figures bizarres, les animaux, les enchevêtrements de tiges de feuilles, ou les perlés, les besants, les pointes de diamant finement retaillées, les dents de scie, et les profils petits séparés par des noirs profonds; église de Surgère, Charente (28).
Dans la Bourgogne, les rosaces, les personnages
symboliques; portail de l'église d'Avallon, Yonne (29). On voit par
l'examen de ces exemples appartenant aux XIe et XIIe siècles, que quelle
que soit la richesse de la décoration, les moulures, ornements ou
figures se renferment dans un épannelage rectangulaire. Jusqu'au XVe
siècle, les architectes conservent scrupuleusement ce principe. Ainsi,
vers la fin du XIIe siècle et pendant les XIIIe et XIVe siècles, les
archivoltes, dans les grands portails des cathédrales du nord, sont
presque toujours chargées de figures sculptées chacune dans un claveau;
ces figures sont comprises dans l'épannelage des voussoirs; nous en
donnons un exemple (30) tiré du portail sud de la cathédrale d'Amiens,
XIIIe siècle; A indique la coupe des claveaux avant la sculpture. De
même, si l'archivolte se compose de moulures avec ou sans ornements, la
forme première du claveau se retrouve (31); porte latérale de l'église
Saint-Nazaire de Carcassonne, XIVe siècle.
Au XVe siècle cette méthode change; les archivoltes des portails sont posées avec la moulure ou gorge qui doit recevoir les figures; cette gorge porte seulement les dais et supports des statuettes, et celles-ci sont accrochées après coup au moyen d'un gond scellé dans le fond de la moulure (32); portail de l'église Notre-Dame de Semur; dès lors ces statuettes, sculptées dans l'atelier et adaptées après coup, n'ont plus cette uniformité de saillie, cette unité d'aspect qui, dans les portails des XIIIe et XIVe siècles, fait si bien valoir les lignes des archivoltes et leur laisse une si grande fermeté, malgré la multiplicité des détails dont elles sont chargées.
ARCHIVOLTES DES PORTES. Toutes les portes des époques romane et ogivale étant, sauf quelques exceptions qui appartiennent au Poitou et à la Saintonge, couronnées par un linteau, les archivoltes ne sont que des arcs de décharge qui empêchent le poids des maçonneries de briser ces linteaux. Les moulures qui décorent ces archivoltes subissent les mêmes transformations que celles des portails; le plein cintre persiste dans les archivoltes des portes; on le voit encore employé jusque vers la fin du XIIIe siècle pour les baies d'une dimension médiocre, alors que la courbe en tiers-point domine partout sans mélange. (voy. PORTE)
ARCHIVOLTES DES FENÊTRES. Elles restent plein cintre jusque pendant le XIIIe siècle dans les provinces méridionales et du centre; adoptent la courbe en tiers-point dans l'Île-de-France vers le milieu du XIIe siècle. Dans la Normandie, la Bourgogne, la Picardie et la Champagne, de 1200 à 1220 environ (voy. FENÊTRE). Elles sont généralement, pendant la période ogivale, immédiatement posées sous le formeret des voûtes et se confondent même parfois avec lui; exemples: cathédrales d'Amiens, de Beauvais, de Troyes, de Reims, etc.
ARC-DOUBLEAU. ARC-OGIVE. ARC-FORMERET. L'arc-doubleau est l'arc qui partant d'une pile à l'autre dans les édifices voûtés, forme comme un nerf saillant sous les berceaux (33), ou sépare deux voûtes d'arêtes. Nous donnons ici le plan d'une voûte d'arête afin de désigner par leurs noms les différents arcs qui la composent (34). Soient EF, GH, les deux murs; AB, CD, sont les arcs-doubleaux; AD, CB, les arcs-ogives; AC, BD, les arcs-formerets.
Les voûtes sont construites en berceau jusque vers le commencement du XIIe siècle; les arcs-doubleaux alors se composent d'un ou deux rangs de claveaux le plus souvent sans moulures ni ornements (35). Quelquefois les arcs-doubleaux affectent en coupe la forme d'un demi-cylindre comme dans la crypte de l'église Saint-Eutrope de Saintes (36). Les nefs de la première moitié du XIIe siècle, sont voûtées en berceau ogival, les arcs-doubleaux se composent de deux rangs de claveaux, le second étant orné d'une moulure ou d'un boudin sur ses arêtes (37), cathédrale d'Autun. La nef de l'église de Vézelay, antérieure à cette époque, présente des arcs-doubleaux pleins cintres, les voûtes sont en arête, mais sans arcs-ogives (38).
Dans les édifices civils du XIIe siècle, les arcs-doubleaux sont ordinairement simples, quelquefois chanfreinés seulement sur leurs arêtes (39); c'est vers la fin du XIIe siècle que les arcs-doubleaux commencent à se composer d'un faisceau de tores séparés par des gorges, cathédrale de Paris (40), églises de Saint-Julien-le-Pauvre, de Saint-Étienne de Caen, de Bayeux, etc. Mais comme on peut l'observer à la cathédrale de Paris, les arcs-doubleaux sont alors minces, étroits, formés d'un seul rang de claveaux, n'ayant pas beaucoup plus de saillie ou d'épaisseur que les arcs-ogives avec lesquels leurs profils les confondent. Vers le milieu du XIIIe siècle, les arcs-doubleaux prennent deux et même quelquefois trois rangs de claveaux et acquièrent ainsi une beaucoup plus grande résistance que les arcs-ogives, lesquels ne se composent jamais que d'un seul rang de claveaux. Les profils de ces arcs se modifient alors et suivent les changements observés plus haut dans les archivoltes des nefs. Nous donnons ci-contre les coupes des arcs-doubleaux A et des arcs-ogives B de la Sainte-Chapelle du Palais (41); ces formes d'arcs se rencontrent avec quelques variantes sans importance dans tous les édifices de cette époque, tels que les cathédrales d'Amiens, de Beauvais, de Reims, de Troyes, les églises de Saint-Denis, les salles du Palais, la salle synodale de Sens, etc.; les profils de ces arcs se conservent même encore pendant le XIVe siècle, plus maigres, plus refouillés, plus recherchés comme détails de moulures.
Mais au XVe siècle, les tores avec ou sans arêtes saillantes, sont abandonnés pour adopter les formes prismatiques, anguleuses, avec de grandes gorges. Les arcs-doubleaux et les arcs-ogives se détachent de la voûte (42); la saillie la plus forte de leurs profils dépasse la largeur de l'extrados, et ceci était motivé par la méthode employée pour construire les remplissages des voûtes. Ces saillies servaient à poser les courbes en bois nécessaires à la pose des rangs de moellons formant ces remplissages (voy. VOÛTE). Il faut remarquer ici que jamais les arcs-ogives, les arcs-doubleaux ni les formerets ne se relient avec les moellons des remplissages, ils ne font que porter leur retombée comme le feraient des cintres en bois; c'est là une règle dont les constructeurs des édifices romans ou gothiques ne se départent pas, car elle est impérieusement imposée par la nature même de la construction de ces sortes de voûtes (voy. VOÛTE). C'est pendant le XVe siècle que les arcs-doubleaux et les arcs-ogives, aussi bien que les archivoltes, viennent pénétrer les piles qui les portent en supprimant les chapiteaux. Quelquefois les profils de ces arcs se prolongent sur les piles jusqu'aux bases, où ils viennent mourir sur les parements cylindriques ou prismatiques de ces piles, passant ainsi de la ligne verticale à la courbe, sans arrêts, sans transitions. Ces pénétrations sont toujours exécutées avec une entente parfaite du trait (voy. PÉNÉTRATIONS, PROJECTIONS).
Les arcs-formerets sont engagés dans les parements des murs et se
profilent comme une moitié d'arc-ogive ou d'arc-doubleau (43); ils ne
présentent que la saillie nécessaire pour recevoir la portée des
remplissages des voûtes. Souvent, à partir du XIIIe siècle, ils
traversent l'épaisseur du mur, forment arc de décharge et archivolte à
l'extérieur, au-dessus des meneaux des fenêtres (44); Saint-Denis,
Troyes, Amiens, Beauvais, Saint-Ouen de Rouen, etc. Les voûtes des
églises de Bourgogne, bâties pendant le XIIIe siècle, présentent une
particularité remarquable: leurs formerets sont isolés des murs, ce sont
des arcs indépendants, portant les voûtes et la charpente des combles.
Les murs alors ne sont plus que des clôtures minces, sortes de cloisons
percées de fenêtres et portant l'extrémité des chéneaux au moyen d'un
arc de décharge (45). Cette disposition offre beaucoup d'avantages, elle
annule le fâcheux effet des infiltrations à travers les chéneaux, qui ne
peuvent plus alors salpêtrer les murs, puisque ces chéneaux sont aérés
par-dessous; elle permet de contre-butter les voûtes par des
contre-forts intérieurs qui reportent plus sûrement la poussée sur les
arcs-boutants; elle donne toutes facilités pour ouvrir dans les murs des
fenêtres aussi hautes et aussi larges que possible, celles-ci n'étant
plus obligées de se loger sous les formerets. De plus, l'aspect de ces
voûtes, bien visiblement portées par les piles et indépendantes de
l'enveloppe extérieure de l'édifice, est très-heureux; il y a dans cette
disposition quelque chose de logique qui rassure l'oeil, en rendant
intelligible pour tous le système de la construction. On voit, ainsi que
l'indique la figure (45),
comme les arcs-doubleaux, les arcs-ogives et
les arcs-formerets viennent se pénétrer à leur naissance, afin de poser
sur un étroit sommier et reporter ainsi toute la poussée des voûtes sur
un point rendu immobile au moyen de la buttée de l'arc-boutant; mais
dans les voûtes des bas côtés, il y a un autre problème à résoudre, il
s'agit là d'avoir des archivoltes assez épaisses pour porter les murs de
la nef; les piliers rendus aussi minces que possible pour ne pas gêner
la vue, ont à supporter non-seulement la retombée de ces archivoltes,
mais aussi celle des arcs-doubleaux et des arcs-ogives. La pénétration
de ces arcs, dont les épaisseurs et les largeurs sont très-différentes,
présente donc des difficultés à leur point de départ sur le tailloir du
chapiteau. Elles sont vaincues à partir du XIIIe siècle avec une adresse
remarquable, et nous donnons ici comme preuve la disposition des
naissances des archivoltes, des arcs-doubleaux et arcs-ogives des bas
côtés du choeur de la cathédrale de Tours, XIIIe siècle (46).
L'archivolte A, aussi épaisse que les piles, est surhaussée afin de
pouvoir pénétrer les voûtes au-dessus de la naissance des arcs-ogives B
et ses derniers rangs de claveaux reportent le poids des murs sur le
sommier de l'arc-doubleau C; ainsi, l'arc-ogive et la voûte elle-même
sont indépendants de la grosse construction, qui peut tasser sans
déchirer ou écraser la construction plus légère de ces voûtes et
arcs-ogives (voy. VOÛTE).
À la réunion du transsept avec la nef et le choeur des églises, on a toujours donné, pendant les époques romane et ogivale, une grande force aux arcs-doubleaux, tant pour résister à la pression des murs, que pour supporter souvent des tours ou flèches centrales. Alors les arcs-doubleaux se composent de trois, quatre ou cinq rangs de claveaux, comme à la cathédrale de Rouen, à Beauvais, à Bayeux, à Coutances, à Eu, etc. En Normandie particulièrement, où la croisée des églises était toujours couronnée par une tour centrale, les grands arcs-doubleaux ont deux rangs de claveaux placés côte à côte à l'intrados au lieu d'un seul, ainsi qu'on le pratiquait dans l'Ile-de-France, la Bourgogne et la Champagne; cela permettait de donner moins de saillie aux quatre piliers et de mieux démasquer les choeurs; toutefois cette disposition ne rassure pas l'oeil comme cette succession d'arcs concentriques se débordant les uns les autres et reposant sur un seul arc à l'intrados.
À partir du XIIIe siècle jusqu'au XVIe, les arcs-doubleaux, les arcs-ogives et les formerets ne sont plus ornés que par des moulures, sauf quelques très-rares exceptions; ainsi dans les chapelles du choeur de Saint-Étienne de Caen, qui datent du commencement du XIIIe siècle, les arcs-ogives sont décorés par une dentelure(47), mais il faut dire qu'en Normandie ces sortes d'ornements, restes de l'architecture romane, soit par suite d'un goût particulier, soit à cause de la facilité avec laquelle se taille la pierre de Caen, empiètent sur l'architecture ogivale jusque vers le milieu du XIIIe siècle.
Pendant le XIIe siècle, en Bourgogne, dans l'Ile-de-France, on voit encore les arcs-doubleaux et les arcs-ogives ornés de dents de scie, de pointes de diamant, de bâtons rompus(48); salle capitulaire de l'église de Vézelay, porche de l'église de Saint-Denis, etc. Les arcs-ogives du choeur de l'église de Saint-Germer sont couverts de riches ornements.
C'est à la fin du XVe siècle et pendant le XVIe que l'on appliqua de nouveau des ornements aux arcs-doubleaux, arcs-ogives et formerets, mais alors ces ornements présentaient de grandes saillies débordant les moulures; le choeur de l'église de Saint-Pierre de Caen est un des exemples les plus riches de ce genre de décoration appliqué aux arcs des voûtes; mais c'est là un abus de l'ornementation que nous ne saurions trop blâmer, en ce qu'il détruit cette pureté de lignes qui séduit dans les voûtes en arcs d'ogives, qu'il les alourdit et fait craindre leur chute.
ARC-BOUTANT. Ce sont les arcs extérieurs qui par leur position sont
destinés à contre-butter la poussée des voûtes en arcs d'ogives. Leur
naissance repose sur les contre-forts, leur sommet arrive au point de la
poussée réunie des arcs-doubleaux et des arcs-ogives. Suivant les goûts
de chaque école, on a beaucoup blâmé ou beaucoup loué le système des
arcs-boutants; nous n'entreprendrons pas de les défendre ou de faire
ressortir leurs inconvénients; il n'y a qu'une chose à dire à notre sens
sur ce système de construction, c'est qu'il est l'expression la plus
franche et la plus énergique du mode adopté par les constructeurs du
moyen âge. Jusqu'à leur application dans les églises gothiques, tout est
tâtonnement; du moment que les arcs-boutants sont nettement accusés dans
les constructions, la structure des églises se développe dans son
véritable sens, elle suit hardiment la voie nouvelle. Demander une
église gothique sans arc-boutants, c'est demander un navire sans quille,
c'est pour l'église comme pour le navire une question d'être ou de
n'être pas. Le problème que les architectes de l'époque romane s'étaient
donné à résoudre était celui-ci: élever des voûtes sur la basilique
antique. Comme disposition de plan, la basilique antique satisfaisait
complétement au programme de l'église latine: grands espaces vides,
points d'appui minces, air et lumière. Mais la basilique antique était
couverte par des charpentes, l'abside seule était voûtée; or dans notre
climat les charpentes ne préservent pas complètement de la neige et du
vent; elles se pourrissent assez rapidement quand on n'emploie pas ces
dispositions modernes de chéneaux en métal, de conduits d'eau, etc.,
procédés qui ne peuvent être en usage qu'au milieu d'un peuple chez
lequel l'art de la métallurgie est arrivé à un haut degré de perfection.
De plus, les charpentes brûlent, et un édifice couvert seulement par une
charpente que l'incendie dévore est un édifice perdu de la base au
faîte. Jusqu'aux Xe et XIe siècles il n'est question dans les documents
écrits de notre histoire que d'incendies d'églises qui nécessitent des
reconstructions totales. La grande préoccupation du clergé, et par
conséquent des architectes qui élevaient des églises, était dès le Xe
siècle de voûter les nefs des basiliques. Mais les murs des basiliques
portés par des colonnes grêles ne pouvaient présenter une résistance
suffisante à la poussée des voûtes hautes ou basses. Dans le centre de
la France les constructeurs, vers le XIe siècle, avaient pris le parti
de renoncer à ouvrir des jours au sommet des murs des nefs hautes, et
ils contre-buttaient les voûtes en berceau de ces nefs hautes, soit par
des demi-berceaux, comme dans la plupart des églises auvergnates, soit
par de petites voûtes d'arêtes élevées sur les bas côtés. Les nefs alors
ne pouvaient être éclairées que par les fenêtres de ces bas côtés
presque aussi hautes que les grandes nefs. Les murs extérieurs, épais et
renforcés de contre-forts, maintenaient les poussées combinées des
grandes et petites voûtes (voy. ÉGLISES, VOÛTES). Mais dans le nord de
la France ce système ne pouvait prévaloir; de grands centres de
population exigeaient de vastes églises, on avait besoin de lumière, il
fallait prendre des jours directs dans les murs des nefs, et renoncer
par conséquent à contre-butter les voûtes hautes par des demi-berceaux
continus élevés sur les bas côtés. Dans quelques églises de Normandie,
celles entre autres de l'abbaye aux Hommes et de l'abbaye aux Dames de
Caen, les constructeurs avaient cherché un moyen terme: ils avaient
élevé sur des piles fort épaisses les grandes voûtes d'arêtes des nefs
hautes, et ménageant de petits jours sous les formerets de ces voûtes,
ils avaient cherché à contre-butter leur poussée par un demi-berceau
continu bandé sur le triforium (49). Mais ce demi-berceau n'arrive pas
au point de la poussée de ces voûtes hautes. Et pourquoi un demi-berceau
continu pour maintenir une voûte d'arête dont les poussées sont
reportées sur des points espacés au droit de chaque pile? Il y a quelque
chose d'illogique dans ce système qui dut bientôt frapper des esprits
enclins à tout ramener à un principe vrai et pratique. Or, supposons que
le demi-berceau A figuré dans la coupe de la nef de l'abbaye aux Hommes
(49) soit coupé par tranches, que ces tranches soient conservées
seulement au droit des poussées des arcs-doubleaux et des arcs-ogives,
et supprimées entre les piles, c'est-à-dire dans les parties où les
poussées des grandes voûtes n'agissent pas, l'arc-boutant est trouvé; il
permet d'ouvrir dans les travées des jours aussi larges et aussi bas que
possible. Le triforium n'est plus qu'une galerie à laquelle on ne donne
qu'une importance médiocre. Le bas côté, composé d'un rez-de-chaussée,
est couvert par un comble à pente simple. Ces murs épais deviennent
alors inutiles, les piles des nefs peuvent rester grêles, car la
stabilité de l'édifice ne consiste plus que dans la résistance des
points d'appui extérieurs sur lesquels les arcs-boutants prennent
naissance (voy. CONTRE-FORT). Il fallut deux siècles de tâtonnements,
d'essais souvent malheureux, pour arriver à la solution de ce problème
si simple, tant il est vrai que les procédés les plus naturels, en
construction comme en toute chose, sont lents à trouver. Mais aussi dès
que cette nouvelle voie fut ouverte elle fut parcourue avec une rapidité
prodigieuse, et l'arc-boutant, qui naît à peine au XIIe siècle, est
arrivé à l'abus au XIVe. Quelques esprits judicieux veulent conclure de
la corruption si prompte du grand principe de la construction des
édifices gothiques, que ce principe est vicieux en lui-même; et
cependant l'art grec, dont personne n'a jamais contesté la pureté, soit
comme principe, soit comme forme, a duré à peine soixante-dix ans, et
Périclès n'était pas mort que déjà l'architecture des Athéniens arrivait
à son déclin. Nous pensons, au contraire, que dans l'histoire de la
civilisation, les arts qui sont destinés à faire faire un grand pas à
l'esprit humain sont précisément ceux qui jettent tout à coup une vive
clarté pour s'éteindre bientôt par l'abus même du principe qui les a
amenés promptement à leur plus grand développement (voy. ARCHITECTURE).
Les besoins auxquels les architectes du moyen âge avaient à satisfaire en élevant leurs églises les amenaient presque malgré eux à employer l'arc-boutant; nous allons voir comment ils ont su développer ce système de construction et comment ils en ont abusé.
Ce n'est, comme nous venons de le dire, qu'à la fin du XIIe siècle que l'arc-boutant se montre franchement dans les édifices religieux du nord de la France; il n'apparaît dans le centre et le midi que comme une importation, vers la fin du XIIIe siècle, lorsque l'architecture ogivale, déjà développée dans l'Ile-de-France, la Champagne et la Bourgogne, se répand dans tout l'occident.
Nous donnons en première ligne et parmi les plus anciens l'un des
arcs-boutants du choeur de l'église Saint-Remy de Reims, dont la
construction remonte à la dernière moitié du XIIe siècle (50). Ici
l'arc-boutant est simple, il vient contre-butter les voûtes au point de
leur poussée, et répartit sa force de résistance sur une ligne verticale
assez longue au moyen de ce contre-fort porté sur une colonne
extérieure, laissant un passage entre elle et le mur au-dessus du
triforium. Mais bientôt les constructeurs observèrent que la poussée des
voûtes en arcs d'ogives d'une très-grande portée, agissait encore
au-dessous et au-dessus du point mathématique de cette poussée. La
théorie peut, en effet, démontrer que la poussée d'une voûte se résout
en un seul point, mais la pratique fait bientôt reconnaître que cette
poussée est diffuse et qu'elle agit par suite du glissement possible des
claveaux des arcs et de la multiplicité des joints, depuis la naissance
de ces arcs jusqu'à la moitié environ de la hauteur de la voûte (51).
En
effet, soit A le point mathématique de la poussée d'une voûte en arc
d'ogive, si la voûte a une portée de 10 à 15 mètres, par exemple, un
seul arc-boutant arrivant en A ne suffira pas pour empêcher la voûte
d'agir encore au-dessus et au-dessous de ce point. De même qu'en étayant
un mur qui boucle, si l'on est prudent, on posera verticalement sur ce
mur une couche en bois et deux étais l'un au-dessus de l'autre pour
arrêter le bouclement; de même les constructeurs qui élevèrent, au
commencement du XIIIe siècle, les grandes nefs des cathédrales du nord,
établirent de C en B un contre-fort, véritable couche de pierre, et
deux arcs-boutants l'un au-dessus de l'autre, le premier arrivant en C
au-dessous de la poussée, le second en B au-dessus de cette poussée. Par
ce moyen les voûtes se trouvaient étrésillonnées à l'extérieur, et les
arcs-doubleaux ne pouvaient, non plus que les arcs-ogives, faire le
moindre mouvement, le point réel de la poussée se trouvant agir sur un
contre-fort maintenu dans un plan vertical et roidi par la buttée des
deux arcs-boutants. Au-dessous de la naissance de la voûte ce
contre-fort C B cessait d'être utile, aussi n'est-il plus porté que par
une colonne isolée, et le poids de ce contre-fort n'agissant pas
verticalement, les constructeurs sont amenés peu à peu à réduire le
diamètre de la colonne, dont la fonction se borne à prévenir des
dislocations, à donner du roide à la construction des piles sans
prendre de charge; aussi vers le milieu du XIIIe siècle ces colonnes
isolées sont-elles faites de grandes pierres minces posées en délit et
peuvent-elles se comparer à ces pièces de charpente nommées chandelles
que l'on pose plutôt pour roidir une construction faible que pour porter
un poids agissant verticalement. Les voûtes hautes du choeur de la
cathédrale de Soissons, dont la construction remonte aux premières
années du XIIIe siècle, sont contre-buttées par des arcs-boutants
doubles (52) dont les têtes viennent s'appuyer contre des piles portées
par des colonnes engagées. Un passage est réservé entre la colonne
inférieure et le point d'appui vertical qui reçoit les sommiers des
voûtes.
Il est nécessaire d'observer que le dernier claveau de chacun
des arcs n'est pas engagé dans la pile et reste libre de glisser dans le
cas où la voûte ferait un mouvement par suite d'un tassement des points
d'appui verticaux, c'est là encore une des conséquences de ce principe
d'élasticité appliqué à ces grandes bâtisses et sans lequel leur
stabilité serait compromise. La faculté de glissement laissée aux
arcs-boutants empêche leur déformation, et il n'est pas besoin de dire
qu'ils ne peuvent conserver toute leur force d'étrésillonnement
qu'autant qu'ils ne se déforment pas. En effet (53), soit A B C un
arc-boutant, la pile verticale D venant à tasser, il faudra, si l'arc
est engagé au point A, qu'il se rompe en B, ainsi que l'indique la fig.
1. Si, au contraire, c'est le contre-fort E qui vient à tasser, l'arc
étant engagé en A, il se rompra encore suivant la fig. 2. On comprend
donc combien il importe que l'arc puisse rester libre en A pour
conserver au moyen de son glissement possible la pureté de sa courbure.
Ces précautions dans la combinaison de l'appareil des arcs-boutants
n'ont pas été toujours prises, et la preuve qu'elles n'étaient pas
inutiles, c'est que leur oubli a presque toujours produit des effets
fâcheux.
La nef de la cathédrale d'Amiens, élevée vers 1230, présente une disposition d'arcs-boutants analogue à celle du choeur de la cathédrale de Soissons, seulement les colonnes supérieures sont dégagées comme les colonnes inférieures, elles sont plus sveltes, et le chaperon du second arc-boutant sert de canal pour conduire les eaux des chéneaux du grand comble à l'extrémité inférieure de l'arc, d'où elles tombent lancées par des gargouilles (voy. CHÉNEAU, GARGOUILLE). Ce moyen de résistance opposé aux poussées des voûtes par les arcs-boutants doubles ne sembla pas toujours assez puissant aux constructeurs du XIIIe siècle; ils eurent l'idée de rendre solidaires les deux arcs par une suite de rayons qui les réunissent, les étrésillonnent et leur donnent toute la résistance d'un mur plein, en leur laissant une grande légèreté. La cathédrale de Chartres nous donne un admirable exemple de ces sortes d'arcs-boutants (54). La construction de cet édifice présente dans toutes ses parties une force remarquable, les voûtes ont une épaisseur inusitée (0m,40 environ), les matériaux employés, lourds, rugueux, compactes, se prêtant peu aux délicatesses de l'architecture gothique de la première moitié du XIIIe siècle. Il était nécessaire, pour résister à la poussée de ces voûtes épaisses et qui n'ont pas moins de 15 mètres d'ouverture, d'établir des buttées énergiques, bien assises; aussi, fig. A, on observera que tout le système des arcs pénètre dans les contre-forts, s'y loge comme dans une rainure, que tous les joints de l'appareil sont normaux aux courbes, qu'enfin c'est une construction entièrement oblique destinée à résister à des pesanteurs agissant obliquement.
Ce système d'étrésillonnement des arcs au moyen de rayons intermédiaires
ne paraît pas toutefois avoir été fréquemment adopté pendant le XIIIe
siècle; il est vrai qu'il n'y avait pas lieu d'employer des moyens aussi
puissants pour résister à la poussée des voûtes, ordinairement fort
légères, même dans les plus grandes églises ogivales. À la cathédrale de
Reims les arcs-boutants sont doubles, mais indépendants l'un de l'autre;
ils deviennent de plus en plus hardis vers le milieu du XIIIe siècle,
alors que les piles sont plus grêles, les voûtes plus légères. Une fois
le principe de la construction des églises gothiques admis, on en vint
bientôt à l'appliquer dans ses conséquences les plus rigoureuses.
Observant avec justesse qu'une voûte bien contre-buttée n'a besoin pour
soutenir sa naissance que d'un point d'appui vertical très-faible
comparativement à son poids, les constructeurs amincirent peu à peu les
piles et reportèrent toute la force de résistance à l'extérieur, sur les
contre-forts (voy. CONSTRUCTION). Ils évidèrent complètement les
intervalles entre les piles, sous les formerets, par de grandes fenêtres
à meneaux; ils mirent à jour les galeries au-dessous de ces fenêtres
(voy. TRIFORIUM), et tout le système de la construction des grandes nefs
se réduisit à des piles minces, rendues rigides par la charge, et
maintenues dans un plan vertical par suite de l'équilibre établi entre
la poussée des voûtes et la buttée des arcs-boutants.
La nef et l'oeuvre haute du choeur de l'église de Saint-Denis, bâties sous saint Louis, nous donnent une des applications les plus parfaites de ce principe (55), que nous trouvons adopté au XIIIe siècle dans les choeurs des cathédrales de Troyes, de Sées, du Mans, et plus tard, au XIVe siècle, à Saint-Ouen de Rouen. Toute la science des constructeurs d'églises consistait donc alors à établir un équilibre parfait entre la poussée des voûtes d'une part, et la poussée des arcs-boutants de l'autre. Et il faut dire que s'ils n'ont pas toujours réussi pleinement dans l'exécution, les erreurs qu'ils ont pu commettre démontrent que le système n'était pas mauvais, puisque malgré des déformations effrayantes subies par quelques-uns de ces monuments, ils n'en sont pas moins restés debout depuis six cents ans, grâce à l'élasticité de ce mode de construction. Il faut ajouter aussi que dans les grands édifices bâtis avec soin, au moyen de ressources suffisantes et par des gens habiles, ces déformations ne se rencontrent pas, et l'équilibre des constructions a été maintenu avec une science et une adresse peu communes.
La courbure des arcs-boutants varie suivant la courbure des arcs-doubleaux, le diamètre des arcs-boutants, leur épaisseur et l'épaisseur de la culée ou contre-fort.
Ainsi les arcs-boutants primitifs sont généralement formés d'un quart de
cercle (56), mais leurs claveaux sont épais et lourds, ils résistent à
l'action de la poussée des voûtes par leur poids, et venant s'appuyer au
droit de cette poussée, ils ajoutent sur les piles A une nouvelle charge
à celle des voûtes; c'est une pesanteur inerte venant neutraliser une
poussée oblique. Quand on comprit mieux la véritable fonction des
arcs-boutants, on vit qu'on pouvait, comme nous l'avons dit déjà,
opposer à la poussée oblique une résistance oblique et non-seulement ne
plus charger les piles A d'un surcroît de poids, mais même les soulager
d'une partie du poids des voûtes. D'ailleurs on avait pu observer que
les arcs-boutants étant tracés suivant un quart de cercle, se relevaient
au point B, lorsque la poussée des voûtes était considérable et que le
poids des claveaux des arcs n'était pas exactement calculé de manière à
conserver leur courbure. Dès lors les arcs-boutants furent cintrés sur
une portion de cercle dont le centre était placé en dedans des piles des
nefs (57),
ils remplissaient ainsi la fonction d'un étai, n'opposaient
plus une force passive à une force active, mais venaient porter une
partie du poids de la voûte, en même temps qu'ils maintenaient son
action latérale, ils déchargeaient d'autant les piles A. Si par une
raison d'économie, ou faute de place, les culées C ne pouvaient avoir
une grande épaisseur, les arcs-boutants devenaient presque des piles
inclinées, très-légèrement cintrées, opposant aux poussées une
résistance considérable, et reportant cette poussée presque
verticalement sur les contre-forts. On voit des arcs-boutants ainsi
construits dans l'église Notre-Dame de Semur en Auxois (58), monument
que nous citerons souvent à cause de son exécution si belle et de
l'admirable entente de son mode de construction. Toutefois des
arcs-boutants ainsi construits ne pouvaient maintenir que des voûtes
d'une faible portée (celles de Notre-Dame de Semur n'ont que 8 mètres
d'ouverture) et dont la poussée se rapprochait de la verticale par suite
de l'acuité des arcs-doubleaux, car ils se seraient certainement
déversés en pivotant sur leur sommier D, si les arcs-doubleaux se
rapprochant du plein cintre eussent eu par conséquent la propriété de
pousser suivant un angle voisin de 45 degrés. Dans ce cas, tout en
cintrant les arcs-boutants sur un arc d'un très-grand rayon, et d'une
courbure peu sensible par conséquent, on avait le soin de les charger
puissamment au-dessus de leur naissance, près de la culée, pour éviter
le déversement. Ce système a été adopté dans la construction des
immenses arcs-boutants de Notre-Dame de Paris, refaits au XIVe siècle
(59). Ces arcs prodigieux, qui n'ont pas moins de 15 mètres de rayon,
furent élevés par suite de dispositions tout exceptionnelles (voy.
CATHÉDRALE); c'est là un fait unique.
Tous les exemples que nous venons de donner ne reproduisent que des arcs-boutants simples ou doubles d'une seule volée; mais dans les choeurs des grandes cathédrales, par exemple, ou dans les nefs des XIIIe, XIVe et XVe siècles bordées de doubles bas côtés, ou de bas côtés et de chapelles communiquant entre elles, il eût fallu établir des arcs-boutants d'une trop grande portée pour franchir ces espaces s'ils eussent été s'appuyer sur les contre-forts extérieurs, ou ces contre-forts auraient dû alors prendre un terrain considérable en dehors des édifices. Or nous ne devons pas oublier que le terrain était chose à ménager dans les villes du moyen âge. Nous le répétons, les arcs-boutants de la cathédrale de Paris, qui franchissent les doubles bas côtés, sont un exemple unique; ordinairement, dans les cas que nous venons de signaler, les arcs-boutants sont à deux volées, c'est-à-dire qu'ils sont séparés par un point d'appui intermédiaire ou repos, qui, en divisant la poussée, détruit une partie de son effet et permet ainsi de réduire l'épaisseur des contre-forts extérieurs.
Dans les choeurs des grandes églises bâties pendant les XIIIe, XIVe et
XVe siècles, les chapelles présentent généralement en plan une
disposition telle que derrière les piles qui forment la séparation de
ces chapelles, les murs sont réduits à une épaisseur extrêmement faible
(60) à cause de la disposition rayonnante de l'abside. Si l'on élevait
un contre-fort plein sur le mur de séparation de A en B, il y aurait
certainement rupture au point C, car c'est sur ce point faible que
viendrait se reporter tout le poids de l'arc-boutant. Si on se
contentait d'élever un contre-fort sur la partie résistante de cette
séparation, de C en B, par exemple, le contre-fort ne serait pas assez
épais pour résister à la poussée des arcs-boutants bandés de D en C, en
tenant compte surtout de la hauteur des naissances des voûtes,
comparativement à l'espace C B. À la cathédrale de Beauvais, la longueur
A B de séparation des chapelles est à la hauteur des piles D, jusqu'à la
naissance de la voûte comme 1 est à 6, et la longueur C B comme 1 est à
9. Voici donc comment les constructeurs du XIIIe siècle établirent les
arcs-boutants du choeur de cette immense église (61).
Pour laisser une plus grande résistance à la culée des contre-forts A C, ils ne craignirent pas de poser la pile A en porte à faux sur la pile B, calculant avec raison que la poussée des deux arcs-boutants supérieurs tendait à faire incliner cette pile A, et reportait sa charge sur son parement extérieur à l'aplomb de la pile B. Laissant un vide entre la pile A et le contre-fort C, ils bandèrent deux autres petits arcs-boutants dans le prolongement des deux grands, et surent ainsi maintenir l'aplomb de la pile intermédiaire A chargée par le pinacle D. Grâce à cette division des forces des poussées et à la stabilité donnée à la pile A et au contre-fort C par ce surcroît de pesanteur obtenu au moyen de l'adjonction des pinacles D et E, l'équilibre de tout le système s'est conservé; et si le choeur de la cathédrale de Beauvais a menacé de s'écrouler au XIVe siècle, au point qu'il a fallu élever de nouvelles piles entre les anciennes dans les travées parallèles, il ne faut pas s'en prendre au système adopté, qui est très-savamment combiné, mais à certaines imperfections dans l'exécution, et surtout à l'ébranlement causé à l'édifice par la chute de la flèche centrale élevée imprudemment sur le transsept avant la construction de la nef. D'ailleurs, l'arc-boutant que nous donnons ici appartient au rond-point dont toutes les parties ont conservé leur aplomb. Nous citons le choeur de Beauvais parce qu'il est la dernière limite à laquelle la construction des grandes églises du XIIIe siècle ait pu arriver. C'est la théorie du système mise en pratique avec ses conséquences même exagérées. Sous ce point de vue, cet édifice ne saurait être étudié avec trop de soin. C'est le Parthénon de l'architecture française; il ne lui a manqué que d'être achevé, et d'être placé au centre d'une population conservatrice et sachant comme les Grecs de l'antiquité, apprécier, respecter et vanter les grands efforts de l'intelligence humaine. Les architectes de la cathédrale de Cologne, qui bâtirent le choeur de cette église peu après celui de Beauvais, appliquèrent ce système d'arcs-boutants, mais en le perfectionnant sous le rapport de l'exécution. Ils chargèrent cette construction simple de détails infinis qui nuisent à son effet sans augmenter ses chances de stabilité (voy. CATHÉDRALE). Dans la plupart des églises bâties au commencement du XIIIe siècle, les eaux des chéneaux des grands combles s'égouttaient par les larmiers des corniches, et n'étaient que rarement dirigés dans des canaux destinés à les rejeter promptement en dehors du périmètre de l'édifice (voy. CHÉNEAU); on reconnut bientôt les inconvénients de cet état de choses, et, vers le milieu du XIIIe siècle, on eut l'idée de se servir des arcs-boutants supérieurs comme d'aqueducs pour conduire les eaux des chéneaux des grands combles à travers les têtes des contre-forts; on évitait ainsi de longs trajets, et on se débarrassait des eaux de pluie par le plus court chemin. Ce système fut adopté dans le choeur de la cathédrale de Beauvais (61). Mais on était amené ainsi à élever la tête des arcs-boutants supérieurs jusqu'à la corniche des grands combles, c'est-à-dire bien au-dessus de la poussée des voûtes, comme à Beauvais, ou à conduire les eaux des chéneaux sur ces arcs-boutants au moyen de coffres verticaux en pierre qui avaient l'inconvénient de causer des infiltrations au droit des reins des voûtes. La poussée de ces arcs-boutants supérieurs, agissant à la tête des murs, pouvait causer des désordres dans la construction. On remplaça donc, vers la fin du XIIIe siècle, les arcs-boutants supérieurs par une construction à claire-voie, véritable aqueduc incliné qui étrésillonnait les têtes des murs, mais d'une façon passive et sans pousser. C'est ainsi que furent construits les arcs-boutants du choeur de la cathédrale d'Amiens, élevés vers 1260 (62).
Cette première tentative ne fut pas heureuse. Les arcs-boutants, trop peu chargés par ces aqueducs à jour, purent se maintenir dans le rond-point, là où ils n'avaient à contre-butter que la poussée d'une seule nervure de la voûte; mais, dans la partie parallèle du choeur, là où il fallait résister à la poussée combinée des arcs-doubleaux et des arcs-ogives, les arcs-boutants se soulevèrent, et au XVe siècle on dut bander, en contre-bas des arcs primitifs, de nouveaux arcs d'un plus grand rayon, pour neutraliser l'effet produit par la poussée des grandes voûtes. Cette expérience profita aux constructeurs des XIVe et XVe siècles, qui combinèrent dès lors les aqueducs surmontant les arcs-boutants, de façon à éviter ce relèvement dangereux. Toutefois, ce système d'aqueducs appartient particulièrement aux églises de Picardie, de Champagne et du nord, et on le voit rarement employé avant le XVIe siècle dans les monuments de l'Île-de-France, de la Bourgogne et du nord-ouest.
Voici comment au XVe siècle l'architecte qui réédifia en grande partie le choeur de l'église d'Eu sut prévenir le relèvement des arcs-boutants surmontés seulement de la trop faible charge des aqueducs à jour. Au lieu de poser immédiatement les pieds-droits de l'aqueduc sur l'extrados de l'arc (63), comme dans le choeur de la cathédrale d'Amiens, il établit d'abord sur cet extrados un premier étai de pierre AB. Cet étai est appareillé comme une plate-bande retournée, de façon à opposer une résistance puissante au relèvement de l'arc produit au point C par la poussée de la voûte; c'est sur ce premier étai, rendu inflexible, que sont posés les pieds-droits de l'aqueduc, pouvant dès lors être allégé sans danger. D'après ce système, les à-jour D ne sont que des étrésillons qui sont destinés à empêcher toute déformation de l'arc de E en C; l'arc ECH et sa tangente AB ne forment qu'un corps homogène parfaitement rigide par suite des forces contraires qui se neutralisent en agissant en sens inverse. L'inflexibilité de la première ligne AB étant opposée au relèvement de l'arc, le chaperon FG conserve la ligne droite et forme un second étai de pierre qui maintient encore les poussées supérieures de la voûte; la figure ECHFG présente toute la résistance d'un mur plein sans en avoir le poids. Ces arcs-boutants sont à doubles volées, et le même principe est adopté dans la construction de chacune d'elles.
L'emploi de l'arc-boutant dans les grands édifices exige une science approfondie de la poussée des voûtes, poussée qui, comme nous l'avons dit plus haut, varie suivant la nature des matériaux employés, leur poids et leur degré de résistance. Il ne faut donc pas s'étonner si de nombreuses tentatives faites par des constructeurs peu expérimentés ne furent pas toujours couronnées d'un plein succès, et si quelques édifices périssent par suite du défaut d'expérience de leurs architectes.
Lorsque le goût dominant vers le milieu du XIIIe siècle poussa les constructeurs à élever des églises d'une excessive légèreté et d'une grande élévation sous voûtes, lorsque l'on abandonna partout le système des arcs-boutants primitifs dont nous avons donné des types (fig. 50, 52, 54), il dut y avoir, et il y eut en effet pendant près d'un demi-siècle, des tâtonnements, des hésitations, avant de trouver ce que l'on cherchait: l'arc-boutant réduit à sa véritable fonction. Les constructeurs habiles résolurent promptement le problème par des voies diverses, comme à Saint-Denis, comme à Beauvais, comme à Saint-Pierre de Chartres, comme à la cathédrale du Mans, comme à Saint-Étienne d'Auxerre, comme à Notre-Dame de Semur, comme aux cathédrales de Reims, de Coutances et de Bayeux, etc., tous édifices bâtis de 1220 à 1260; mais les inhabiles (et il s'en trouve dans tous les temps) commirent bien des erreurs jusqu'au moment où l'expérience acquise à la suite de nombreux exemples put permettre d'établir des règles fixes, des formules qui pouvaient servir de guide aux constructeurs novices ou n'étant pas doués d'un génie naturel. À la fin du XIIIe siècle, et pendant le XIVe, on voit en effet l'arc-boutant appliqué sans hésitation partout; on s'aperçoit alors que les règles touchant la stabilité des voûtes sont devenues classiques, que les écoles de construction ont admis des formules certaines; et si quelques génies audacieux s'en écartent, ce sont des exceptions.
Il existe en France trois grandes églises bâties pendant le XIVe siècle, qui nous font voir jusqu'à quel point ces règles sur la construction des voûtes et des arcs-boutants étaient devenues fixes: ce sont les cathédrales de Clermont-Ferrand, de Limoges et de Narbonne. Ces trois édifices sont l'oeuvre d'un seul homme, ou au moins d'une école particulière, et bien qu'ils soient élevés tous trois au delà de la Loire, ils appartiennent à l'architecture du nord. Comme plan et comme construction, ces trois églises présentent une complète analogie; ils ne diffèrent que par leur décoration; leur stabilité est parfaite; un peu froids, un peu trop soumis à des règles classiques, ils sont par cela même intéressants à étudier pour nous aujourd'hui. Les arcs-boutants de ces trois édifices (les choeurs seuls ont été construits à Limoges et à Narbonne) sont combinés avec un grand art et une connaissance approfondie des poussées des voûtes; aussi dans ces trois cathédrales, très-légères d'ailleurs comme système de bâtisse, les piles sont restées parfaitement verticales dans toute leur hauteur, les voûtes n'ont pas une lézarde, les arcs-boutants ont conservé toute la pureté primitive de leur courbe.
Nous donnons ici (64) un des arcs-boutants de la cathédrale de Clermont-Ferrand, construits comme toute cette église en lave de Volvic.
Un des arcs-boutants de la cathédrale de Narbonne (65), construits en pierre de Sainte-Lucie, qui est un calcaire fort résistant. Quant au choeur de la cathédrale de Limoges, il est bâti en granit. Dans l'un comme dans l'autre de ces arcs-boutants, les piles A reposent sur les piles de tête des chapelles, et le vide AB se trouve au-dessus de la partie mince des murs de séparation de ces chapelles, comme à Amiens. Ces constructions sont exécutées avec une irréprochable précision. Alors, au XIVe siècle, l'arc-boutant, sous le point de vue de la science, avait atteint le dernier degré de la perfection; vouloir aller plus loin, c'était tomber dans l'abus; mais les constructeurs du moyen âge n'étaient pas gens à s'arrêter en chemin. Évidemment ces étais à demeure étaient une accusation permanente du système général adopté dans la construction de leurs grandes églises; ils s'évertuaient à les dissimuler, soit en les chargeant d'ornements, soit en les masquant avec une grande adresse, comme à la cathédrale de Reims, par des têtes de contre-forts qui sont autant de chefs-d'oeuvre, soit en les réduisant à leur plus simple expression, en leur donnant alors la roideur que doit avoir un étai. C'est ce dernier parti qui fut franchement admis au XIVe siècle dans la construction des arcs-boutants de l'église de Saint-Urbain de Troyes (66).
Que l'on veuille bien examiner cette figure, et l'on verra que
l'arc-boutant se compose d'un petit nombre de morceaux de pierre; ce
n'est plus, comme dans tous les arcs précédents, une succession de
claveaux peu épais, conservant une certaine élasticité, mais au
contraire des pierres posées bout à bout, et acquérant ainsi les
qualités d'un étai de bois. Ce n'est plus par la charge que l'arc
conserve sa rigidité, mais par la combinaison de son appareil. Ici, la
buttée n'est pas obtenue au moyen de l'arc ABC, mais par l'étai de
pierre DE. L'arc ABC, dont la flexibilité est d'ailleurs neutralisée par
l'horizontale BG et le cercle F, n'est là que pour empêcher l'étai DE de
fléchir. Si l'architecte qui a tracé cet arc-boutant eût pu faire
tailler le triangle DBG dans un seul morceau de pierre, il se fût
dispensé de placer le lien AB. Toutefois, pour oser appareiller un
arc-boutant de cette façon, il fallait être bien sûr du point de la
poussée de la voûte et de la direction de cette poussée, car si ce
système de buttée eût été placé un peu au-dessus ou au-dessous de la
poussée, si la ligne DE n'eût pas été inclinée suivant le seul angle qui
lui convenait, il y aurait eu rupture au point B. Pour que cette rupture
n'ait pas eu lieu, il faut supposer que la résultante des pressions
diverses de la voûte agit absolument suivant la ligne DE. Ce n'est donc
pas trop s'avancer que de dire: le système de l'arc-boutant, au XIVe
siècle, était arrivé à son développement le plus complet. Mais on peut
avoir raison suivant les règles absolues de la géométrie, et manquer de
sens.
L'homme qui a dirigé les constructions de l'église de Saint-Urbain
de Troyes était certes beaucoup plus savant, meilleur mathématicien que
ceux qui ont bâti les nefs de Chartres, de Reims ou d'Amiens, cependant
ces derniers ont atteint le but et le premier l'a dépassé en voulant
appliquer ses matériaux à des combinaisons géométriques qui sont en
complet désaccord avec leur nature et leurs qualités; en voulant donner
à la pierre le rôle qui appartient au bois, en torturant la forme et
l'art enfin, pour se donner la puérile satisfaction de les soumettre à
la solution d'un problème de géométrie. Ce sont là de ces exemples qui
sont aussi bons à étudier qu'ils sont mauvais à suivre.
Ce même principe est adopté dans de grands édifices. On voit dans la partie de la nef de la cathédrale de Troyes, qui date du XVe siècle, un arc-boutant à double volée particulièrement bien établi pour résister aux poussées des grandes voûtes. Il se compose de deux buttées rigides de pierre réunies par une arcature à jour (67); la buttée inférieure est tangente à l'extrados de l'arc, de manière à reporter la poussée sur la naissance de cet arc, en le laissant libre toutefois par la disposition de l'appareil. Les pieds-droits de l'arcature à jour sont perpendiculaires à la direction des deux buttées, et les étrésillonnent ainsi beaucoup mieux que s'ils étaient verticaux, comme dans les arcs-boutants des choeurs de la cathédrale d'Amiens et de l'église d'Eu, donnés figures 62 et 63. Ces deux buttées rigides AB, CD, ne sont pas parallèles, mais se rapprochent en AC comme deux étais de bois, afin de mieux reporter la poussée agissant de B en F sur l'arc-boutant unique de la première volée E. La buttée rigide AB sert d'aqueduc pour les eaux du comble. Par le fait, cette construction est plus savante que gracieuse, et l'art ici est complétement sacrifié aux combinaisons géométriques.
Ce système d'arcs-boutants à jour, rigides, fut quelquefois employé avec
bien plus de raison lorsqu'il s'agissait de maintenir une poussée
agissant sur un vide étroit, comme dans la Sainte-Chapelle basse de
Paris (XIIIe siècle). Là, cet arc-boutant se compose d'une seule pierre
évidée venant opposer une résistance fort légère en apparence, mais
très-rigide en réalité, à la pression d'une voûte. La Sainte-Chapelle
basse du Palais se compose d'une nef et de deux bas côtés étroits, afin
de diminuer la portée des voûtes dont on voulait éviter de faire
descendre les naissances trop bas; mais les voûtes de ces bas côtés
atteignant la hauteur sous clef des voûtes de la nef (68), il fallait
s'opposer à la poussée des grands arcs-doubleaux et des arcs-ogives au
point A, au moyen d'un véritable étrésillon. L'architecte imagina de
rendre fixe ce point A, et de reporter sa poussée sur les contre-forts
extérieurs, en établissant un triangle à jour ABC découpé dans un seul
morceau de pierre.
Ce système d'arc-boutant, ou plutôt d'étrésillon, est employé souvent dans les constructions civiles pour contre-butter des poussées. Les manteaux des quatre cheminées des cuisines dites de saint Louis, au Palais de Paris, sont maintenus par des étrésillons pris également dans un seul morceau de pierre découpé à jour (voy. CHEMINÉE).
Il n'en résulte pas moins que l'arc-boutant surmonté d'un aqueduc se perfectionne sous le point de vue de la parfaite connaissance des poussées pendant les XIVe et XVe siècles, comme l'arc-boutant simple ou double. Les constructeurs arrivent à calculer exactement le poids qu'il faut donner aux aqueducs à jour pour empêcher le soulèvement de l'arc. Le caniveau qui couronne l'aqueduc devient un étai par la force qu'on lui donne aussi bien que par la manière dont il est appareillé.
Comme il arrive toujours lorsqu'un système adopté est poussé à ses dernières limites, on finit par perdre la trace du principe qui l'a développé; à la fin du XVe siècle et pendant le XVIe, les architectes prétendirent si bien améliorer la construction des arcs-boutants, qn'ils oublièrent les conditions premières de leur stabilité et de leur résistance. Au lieu de les former d'un simple arc de cercle venant franchement contre-butter les poussées, soit par lui-même, soit par sa combinaison avec une construction rigide servant d'étai, ils leur donnèrent des courbes composées, les faisant porter sur les piles des nefs en même temps qu'ils maintenaient l'écartement des voûtes. Ils ne tenaient plus compte ainsi de cette condition essentielle du glissement des têtes d'arcs, dont nous avons expliqué plus haut l'utilité; ils tendaient à pousser les piles en dedans, au-dessous et en sens inverse de la poussée des voûtes. Nous donnons ici (69) un des arcs-boutants de la nef de l'église Saint-Wulfrand d'Abbeville, construit d'après ce dernier principe pendant les premières années du XVIe siècle. Ces arcs ont produit et subi de graves désordres par suite de leur disposition vicieuse. Les contre-forts extérieurs ont tassé; il s'est déclaré des ruptures et des écrasements aux points A des arcs, les sommiers B ayant empêché le glissement qui aurait pu avoir lieu sans de grands inconvénients. Les arcs rompus aux points A ne contre-buttent plus les voûtes, qui poussent et écrasent, par le déversement des murs, les aqueducs supérieurs; en même temps ces arcs, déformés, chargés par ces aqueducs qui subissent la pression des voûtes, agissent puissamment sur les sommiers B, et, poussant dès lors les piliers vers l'intérieur à la naissance des voûtes, augmentent encore les causes d'écartement. Pour nous expliquer en peu de mots, lorsque des arcs-boutants sont construits d'après ce système, la poussée des voûtes qui agit de C en D charge l'arc A verticalement, en augmentant la pression des pieds-droits de l'aqueduc. Cette charge verticale, se reportant sur une construction élastique, pousse de A en B. Or, plus la poussée de A en B est puissante, et plus la poussée des voûtes agit en C par le renversement de la ligne DC. Donc les sommiers placés à la tête des arcs-boutants en B sont contraires au principe même de l'arc-boutant.
Les porches nord et sud de l'église Saint-Urbain de Troyes peuvent
donner une idée bien exacte de la fonction que remplissent les
arcs-boutants dans les édifices de la période ogivale. Ces porches sont
comme la dissection d'une petite église du XIVe siècle. Des voûtes
légères, portées sur des colonnes minces et longues, sont contre-buttées
par des arcs qui viennent se reposer sur des contre-forts complétement
indépendants du monument; pas de murs: des colonnes, des voûtes, des
contre-forts isolés, et les arcs-boutants placés suivant la résultante
des poussées. Il n'entre dans toute cette construction, assez importante
cependant, qu'un volume très-restreint de matériaux posés avec autant
d'art que d'économie (70). A indique le plan de ce porche, B la vue de
l'un de ses arcs-boutants d'angle. Comme dans toutes les bonnes
constructions de cette époque, l'arc-boutant ne fait que s'appuyer
contre la colonne, juste au point de la poussée, étayant le sommier qui
reçoit les arcs-doubleaux, les archivoltes et les arcs-ogives. Au-dessus
des arcs-boutants les contre-forts sont rendus plus stables par des
pinacles, et les colonnes elles-mêmes sont chargées et roidies par les
pyramidions qui les surmontent. Il est aisé de comprendre, en examinant
le plan A, comment les deux voûtes du porche, qui reposent d'un côté sur
le mur du transsept et de l'autre sur les trois colonnes CDE, ne peuvent
se maintenir sur des points d'appui aussi grêles qu'au moyen de la
buttée des trois arcs-boutants CF, DG, EH, reportant les résultantes de
leurs poussées sur les trois contre-forts IKL. L'espace MCDEN est seul
couvert, et forme comme un grand dais suspendu sur de frêles colonnes.
Cette élégante construction n'a éprouvé ni mouvement ni déversement,
malgré son extrême légèreté, et quoiqu'elle ait été laissée dans les
plus mauvaises conditions depuis longtemps.
On aura pu observer, d'après tous les exemples que nous avons donnés, que les arcs-boutants ne commencent à être chanfreinés ou ornés de moulures qu'à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle. En général, les profils des arcs-boutants sont toujours plus simples que ceux des arcs-doubleaux; il est évident qu'on craignait d'affaiblir les arcs-boutants exposés aux intempéries par des évidements de moulures, et qu'en se laissant entraîner à les tailler sur un profil, on obéissait au désir de ne point faire contraster ces arcs d'une manière désagréable avec la richesse des archivoltes des fenêtres et la profusion de moulures qui couvraient tous les membres de l'architecture dès la fin du XIIIe siècle. Cependant les moulures qui sont profilées à l'intrados des arcs-boutants sont toujours plus simples et conservent une plus grande apparence de force que celles appliquées aux archivoltes et aux arcs des voûtes.
Lorsqu'à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe on appliqua
le système des arcs-boutants aux grandes voûtes portées sur des piles
isolées, on ne songea d'abord qu'à contre-butter les poussées des voûtes
des nefs et des choeurs. Les voûtes des transsepts, se retournant à angle
droit, n'étaient contre-buttées que par des contre-forts peu saillants.
On se fiait sur le peu de longueur des croisillons composés de deux ou
trois travées de voûtes, on supposait que les buttées des contre-forts
des pignons et celles des murs des nefs suffisaient pour maintenir la
poussée des arcs-doubleaux entre ces buttées. À la cathédrale de Paris,
par exemple (71), il a toujours existé des arcs-boutants de A en B pour
maintenir la poussée des voûtes de la nef et du choeur; mais l'écartement
des voûtes des croisillons n'est maintenu que par les deux contre-forts
minces D et C, et il n'a jamais existé d'arcs-boutants de D en A et de C
en A. On ne pouvait songer en effet à bander des arcs-boutants qui
eussent pris les contre-forts AE en flanc; en admettant que ces
contre-forts fussent arrivés jusqu'au prolongement de l'arc-doubleau CD,
ce qui n'existe pas à la cathédrale de Paris. Cette difficulté non
résolue causa quelquefois la ruine des croisillons peu de temps après
leur construction. Aussi, dès le milieu du XIIIe siècle, on disposa les
contre-forts des angles formés par les transsepts de manière à pouvoir
butter les voûtes dans les deux sens (72). À la cathédrale d'Amiens, par
exemple, ces contre-forts, à la rencontre du transsept et du choeur,
présentent en plan la forme d'une croix, et il existe des arcs-boutants
de D en C comme de A en B. Quand les arcs-boutants sont à doubles
volées, la première volée est bandée de E en F comme de G en F.
Souvent il arrivait aussi que les arcs-boutants des nefs ou des choeurs, poussant sur la tranche de contre-forts très-larges mais très-minces, et qui n'étaient en réalité que des murs (73), comme aux choeurs de Notre-Dame de Paris, de l'église de Saint-Denis, de la cathédrale du Mans, tendaient à faire déverser ces murs; on établit également, vers le milieu du XIIIe siècle, des éperons latéraux A sur les flancs des contre-forts, pour prévenir ce déversement (voy. CONTRE-FORT).
On ne s'arrêta pas là; ces masses de constructions élevées pour maintenir les arcs-boutants ne pouvaient satisfaire les constructeurs du XVe siècle, qui voulaient que leurs édifices parussent plus légers encore qu'ils ne l'étaient réellement. Dans quelques églises, et notamment dans le choeur de l'église du Mont-Saint-Michel-en-Mer, ils remplacèrent les éperons A de flanc, par des arcs bandés d'un contre-fort à l'autre, comme une succession d'étrésillons destinés à rendre tous les contre-forts des arcs-boutants solidaires.
De tout ce qui précède on peut conclure que les architectes du moyen âge, après avoir résolu le problème de la construction des voûtes sur des piles minces et isolées, au moyen de l'arc-boutant, ont été frappés, sitôt après l'application du principe, des difficultés d'exécution qu'il présentait. Tous leurs efforts ont eu pour but d'établir l'équilibre entre la poussée des voûtes et la résistance des arcs-boutants, à baser ce système sur des règles fixes, ce qui n'était pas possible, puisque les conditions d'équilibre se modifient en raison de la nature, du poids, de la résistance et de la dimension des corps. Les hommes d'un génie supérieur, comme il arrive toujours, ont su vaincre ces difficultés, plutôt par l'instinct que par le calcul, par l'observation des faits particuliers que par l'application de règles absolues. Les constructeurs vulgaires ont suivi tels ou tels exemples qu'ils avaient sous les yeux, mais sans se rendre compte des cas exceptionnels qu'ils avaient à traiter; souvent alors ils se sont trompés. Est-ce à dire pour cela que l'arc-boutant, parce qu'il exige une grande sagacité de la part du constructeur, est un moyen dont l'emploi doit être proscrit? Nous ne le croyons pas. Car de ce que l'application d'un système présente des difficultés et une certaine finesse d'observation, ce n'est pas une raison pour le condamner, mais c'en est une pour l'étudier avec le plus grand soin.
ARC DE DÉCHARGE. C'est l'arc que l'on noie dans les constructions
au-dessus des linteaux des portes, au-dessus des vides en général, et
des parties faibles des constructions inférieures pour reporter le poids
des constructions supérieures sur des points d'appui dont la stabilité
est assurée. Les archivoltes des portails et portes sont de véritables
arcs de décharge (voy. ARCHIVOLTES, variété de l'Arc); toutefois on ne
donne guère le nom d'arcs de décharge qu'aux arcs dont le parement
affleure le nu des murs, qui ne se distinguent des assises horizontales
que par leur appareil, et quelquefois cependant par une faible saillie.
Dans les constructions romaines élevées en petits matériaux et en
blocages, on rencontre souvent des arcs de décharge en briques et en
moellons noyés en plein mur, afin de reporter les pesanteurs sur des
points des fondations et soubassements établis plus solidement que le
reste de la bâtisse. Cette tradition se conserve encore pendant la
période romane. Mais à cette époque les constructions en blocage
n'étaient plus en usage, et on ne trouve que très-rarement des arcs
destinés à diviser les pesanteurs dans un mur plein. D'ailleurs dans les
édifices romans la construction devient presque toujours un motif de
décoration, et lorsqu'en maçonnant on avait besoin d'arcs de décharge on
cherchait à les accuser, soit par une saillie, et même quelquefois par
un filet orné ou mouluré à l'extrados. Tels sont les arcs de décharge
qui se voient le long du mur des bas côtés de l'Église St-Étienne de
Nevers (fin du XIe siècle) (74). Ici ces arcs sont surtout destinés à
charger les piles des bas côtés qui reçoivent les poussées des voûtes;
les murs n'étant pas armés de contre-forts, ce surcroît de charge donne
aux points d'appui principaux une grande stabilité. C'est un système qui
permet d'élever des murs minces entre les piles destinées à recevoir le
poids des constructions, il présente par conséquent une économie de
matériaux; on le voit appliqué dans beaucoup d'églises du Poitou, de
l'Anjou, de l'Auvergne et de la Saintonge pendant la période romane.
Inutile d'ajouter que ces arcs de décharge sont toujours extradossés;
puisque leur fonction essentielle est de reporter les charges
supérieures sur leurs sommiers, ils doivent tendre à faire glisser les
maçonneries sur leurs reins.
Le pignon du transsept sud de l'église de Notre-Dame-du-Port à
Clermont-Ferrand est ainsi porté sur deux arcs de décharge à
l'extérieur, reposant sur une colonne (75). Souvent dans l'architecture
civile des XIe et XIIe siècles on rencontre des portes dont les linteaux
sont soulagés par des arcs de décharge venant appuyer leurs sommiers sur
une portée ménagée aux deux extrémités des linteaux (76), quelquefois
aussi au-dessus des linteaux on voit une clef posée dans l'assise qui
les surmonte et qui forme ainsi une plate-bande appareillée reportant le
poids des murs sur les deux pieds-droits (77). Un vide est laissé alors
entre l'intrados de la clef et le linteau pour éviter la charge de cette
clef en cas de mouvement dans les constructions. Des arcs de décharge
sont posés au-dessus des ébrasements intérieurs des portes et des
fenêtres dans presque tous les édifices civils du moyen âge.
Ces arcs sont plein cintre (78) (château de Polignac, Haute-Loire, XIe
siècle), rarement en tiers-point, et le plus souvent bombés seulement
pour prendre moins de hauteur sous les planchers (voy. FENÊTRE). Pendant
la période ogivale, les constructeurs ont à franchir de grands espaces
vides, ils cherchent sans cesse à diminuer à rez-de-chaussée les points
d'appui, afin de laisser le plus de place possible à la foule, de ne pas
gêner la vue; ce principe les conduit à établir une partie des
constructions supérieures en porte-à-faux; si dans le travers des nefs
ils établissent des arcs-boutants au-dessus des bas côtés, pour reporter
la poussée des grandes voûtes à l'extérieur, il faut, dans le sens de la
longueur, qu'ils évitent de faire peser les murs des galeries en
porte-à-faux sur les voûtes de ces bas côtés, trop légères pour porter
la charge d'un mur si mince qu'il soit. Dès lors, pour éviter le fâcheux
effet de ce poids sur des voûtes, des arcs de décharge ont été ménagés
dans l'épaisseur des murs de fond des galeries au premier étage. Ces
arcs reportent la charge de ces murs sur les sommiers des arcs-doubleaux
des bas côtés (voy. CONSTRUCTION, TRIFORIUM, GALERIE). On trouve des
arcs de décharge en tiers-point, dans les galeries hautes de Notre-Dame
de Paris, dans le triforium des nefs des cathédrales d'Amiens (79), de
Reims, de Nevers. Mais à Amiens, les fenêtres supérieures étant posées
sur la claire-voie intérieure du triforium, ces arcs de décharge ne
portent que le poids d'un mur mince, qui ne s'élève que jusqu'à l'appui
du fenestrage.
Dans les édifices de la Bourgogne, et d'une partie de la Champagne, les
fenêtres, au lieu d'être posées sur l'arcature intérieure, sont en
retraite sur les murs extérieurs du triforium. Dans ce cas, l'arc de
décharge est d'autant plus nécessaire que ce mur extérieur porte avec le
fenestrage la bascule des corniches de couronnement, il est quelquefois
posé immédiatement au-dessus de l'extrados des archivoltes, afin
d'éviter même la charge du remplissage, qui comme à Reims, à Paris et à
Amiens, garnit le dessous de l'arc en tiers-point, ou bien encore, l'arc
de décharge n'est qu'un arc bombé, noyé dans l'épaisseur du mur, un peu
au-dessus du sol de la galerie, ainsi qu'on peut le remarquer dans
l'église de Saint-Père-sous-Vézelay (80).
On rencontre des arcs de décharge, à la base des tours centrales des églises reposant sur les quatre arcs-doubleaux des transsepts, comme à la cathédrale de Laon. Sous les beffrois des clochers, comme à Notre-Dame de Paris. Il en existe aussi au-dessus des voûtes, pour reporter le poids des bahuts et des charpentes sur les piles, et soulager les meneaux des fenêtres tenant lieu de formerets, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, comme à Amiens, à la cathédrale de Troyes (81). Au XVe siècle, les arcs de décharge ont été fort en usage pour porter des constructions massives, reposant en apparence sur des constructions à jour; pour soulager les cintres des grandes roses du poids des pignons de face.
Il n'est pas besoin de dire, que les arcs jouent un grand rôle dans la construction des édifices du moyen âge, les architectes étaient arrivés, dès le XIIIe siècle, à acquérir une connaissance parfaite de leur force de résistance, et de leurs effets sur les piles et les murs, ils mettaient un soin particulier dans le choix des matériaux qui devaient les composer, dans leur appareil, et la façon de leurs joints. L'architecture romaine n'a fait qu'ouvrir la voie dans l'application des arcs à l'art de bâtir; l'architecture du moyen âge l'a parcourue aussi loin qu'il était possible de le faire, au point d'abuser même de ce principe à la fin du XVe siècle, par un emploi trop absolu peut-être, et des raffinements poussés à l'excès.
La qualité essentielle de l'arc, c'est l'élasticité. Plus il est étendu, plus l'espace qu'il doit franchir est large, et plus il est nécessaire qu'il soit flexible. Les constructeurs du moyen âge ont parfaitement suivi ce principe en multipliant les joints dans leurs arcs, en les composant de claveaux égaux, toujours extradossés avec soin. Ce n'est qu'au XVIe siècle, alors que l'art de bâtir, proprement dit, soumettait l'emploi des matériaux à des formes qui ne convenaient ni à leurs qualités, ni à leurs dimensions, que l'arc ne fut plus appliqué en raison de sa véritable fonction. Le principe logique qui l'avait fait admettre, cessa de diriger les constructeurs. En imitant ou croyant imiter les formes de l'antiquité romaine, les architectes de la renaissance s'écartaient plus du principe de la construction antique que les architectes des XIIe et XIIIe siècles; ou plutôt, ils n'en tenaient nul compte. Si dans leurs constructions massives, inébranlables, les Romains avaient compris la nécessité de laisser aux arcs une certaine élasticité en les extradossant, et en les formant de rangs de claveaux concentriques, lorsqu'ils avaient besoin de leur donner une grande résistance, à plus forte raison dans les bâtisses du moyen âge, où tout est équilibre, et mouvement par conséquent, devait-on ne pas perdre de vue le principe qui doit diriger les architectes dans la construction des arcs. Du jour où l'on cessa d'extradosser les arcs, où l'on voulut les composer de claveaux inégaux comme dimension, et comme poids par conséquent, les appareiller à crossettes, et les relier aux assises horizontales, au moyen de joints droits à la queue, on ne comprit plus la véritable fonction de l'arc (voy. CONSTRUCTION, VOÛTE).
ARCADE, s. t. Mot qui désigne l'ensemble d'une ouverture fermée par une archivolte. On dit: les arcades de ce portique s'ouvrent sur une cour. Le mot arcade est général, il comprend le vide comme le plein, l'archivolte comme les pieds-droits. On dit aussi: arcade aveugle pour désigner une archivolte ou arc de décharge formant avec les pieds-droits une saillie sur un mur plein. Les arcs de décharge des bas côtés de l'église de Saint-Étienne de Nevers (voy. ARC, fig. 74) sont des arcades aveugles. Les arcades aveugles sont très-souvent employées dans les édifices romans du Poitou, de l'Auvergne, de la Saintonge et de l'Angoumois; toutefois, quand elles sont d'une petite dimension, on les désigne sous le nom d'ARCATURE (voy. ce mot). Les constructeurs de l'époque romane donnant aux murs de leurs édifices une forte épaisseur suivant la tradition romaine, et aussi pour résister à la poussée uniforme des voûtes en berceau, cherchaient, autant pour économiser les matériaux que pour décorer ces murs massifs et les rendre moins lourds, à les alléger au moyen d'une suite d'arcades (voy. ARC DE DÉCHARGE) qui leur permettaient cependant de retrouver les épaisseurs de murs nécessaires pour maintenir les poussées des berceaux au-dessus de l'extrados de ces arcs. Par suite de l'application des voûtes en arcs d'ogives dans les édifices, il ne fut plus utile d'élever des murs épais continus; on se contenta dès lors d'établir des contre-forts saillants au droit des poussées (voy. CONSTRUCTION), et les intervalles entre ces contre-forts n'étant que des clôtures minces en maçonnerie, les arcades aveugles, ou arcs de décharge, n'eurent plus de raison d'être. Toutefois cette tradition subsista, et les architectes de la période ogivale continuèrent, dans un but purement décoratif, à pratiquer des arcades aveugles (arcatures) sous les appuis des fenêtres des bas côtés dans les intérieurs de leurs édifies, d'abord très-saillantes, puis s'aplatissant peu à peu à la fin du XIIIe siècle et pendant le XIVe, pour ne plus être qu'un placage découpé plus ou moins riche, sorte de filigrane de pierre destiné à couvrir la nudité des murs.
ARCATURE, s. t. Mot par lequel on désigne une série d'arcades d'une petite dimension, qui sont plutôt destinées à décorer les parties, lisses des murs sous les appuis des fenêtres ou sous les corniches, qu'à répondre à une nécessité de la construction. On rencontre dans certains édifices du Bas-Empire des rangées d'arcades aveugles qui n'ont d'autre but que d'orner les nus des murs. Ce motif de décoration paraît avoir été particulièrement admis et conservé par les architectes de l'époque carlovingienne, et il persiste pendant les périodes romane et ogivale, dans toutes les provinces de la France. Il est bon d'observer cependant que l'emploi des arcatures est plus ou moins bien justifié dans les édifices romans; quelques contrées, telles que la Normandie par exemple, ont abusé de l'arcature dans certains monuments du XIe siècle, ne sachant trop comment décorer les façades des grandes églises, les architectes superposèrent des étages d'arcatures aveugles de la base au faîte. C'est particulièrement dans les édifices normands bâtis en Angleterre, que cet abus se fait sentir; la façade de l'église de Peterborough en est un exemple. Rien n'est plus monotone que cette superposition d'arcatures égales comme hauteurs et largeurs, dont on ne comprend ni l'utilité comme système de construction, ni le but comme décoration. En France le sentiment des proportions, des rapports des vides avec les pleins, perce dans l'architecture du moment qu'elle se dégage de la barbarie. Dès le XIe siècle ces détails importants de la décoration des maçonneries, tels que les arcatures, sont contenus dans de justes bornes, tiennent bien leur place, ne paraissent pas être comme en Angleterre ou en Italie, sur la façade de la cathédrale de Pise par exemple, des placages d'une stérile invention. Nous diviserons les arcatures: 1° en arcatures de rez-de-chaussée; 2° arcatures de couronnements; 3° arcatures-ornements.
ARCATURES DE REZ-DE-CHAUSSÉE. Ces sortes d'arcatures sont généralement placées, dans l'architecture française, à l'intérieur, sous les appuis des fenêtres basses, et forment une série de petites arcades aveugles entre le sol et ces appuis. Les grandes salles, les bas côtés des églises, les chapelles, sont presque toujours tapissés dans leurs soubassements par une suite d'arcatures peu saillantes portées par des pilastres ou des colonnettes détachés reposant sur un banc ou socle de pierre continu. Nous donnons comme premier exemple de ce genre de décoration une travée intérieure des bas côtés de la nef de la cathédrale du Mans (1).
Dans cet exemple qui est du XIe siècle, la construction des maçonneries semble justifier l'emploi de l'arcature; les murs sont bâtis en blocages parementés en petits moellons cubiques comme certaines constructions gallo-romaines. L'arcature, par son appareil plus grand, la fermeté de ses pieds-droits monolithes, donne de la solidité à ce soubassement en le décorant, elle accompagne et couronne ce banc qui règne tout le long du bas côté. Le plus souvent même à cette époque, les arcatures sont supportées par des colonnettes isolées ornées de bases et de chapiteaux sculptés; nous choisirons comme exemple l'arcature des bas côtés de l'église abbatiale de Souvigny (Allier) (2), reposant toujours sur un banc conformément à l'usage adopté.
Dans ces arcatures, la base, le chapiteau et les claveaux des petits arcs sont engagés dans la maçonnerie du mur, et les fûts des colonnettes composés d'un seul morceau de pierre posé en délit, sont détachés. À Souvigny les arcs reposent alternativement sur un pilastre rectangulaire et sur une colonnette cylindrique.
Cet exemple remonte aux premières années du XIIe siècle. À mesure que
l'architecture se débarrasse des formes quelque peu lourdes de l'époque
romane, les arcatures basses deviennent plus fines, les arcs se décorent
de moulures, les colonnettes sont plus sveltes. Dans le bas côté sud de
l'église de Sainte-Madeleine de Châteaudun, on voit encore les restes
d'une belle arcature du XIIe siècle qui sert de transition entre le
style roman et le style ogival (3); les tailloirs des chapiteaux en sont
variés, finement moulurés, les archivoltes sont décorées de dents de
scie. Les arcatures basses des monuments de la Normandie sont vers cette
époque curieusement travaillées, parfois composées d'une suite de petits
arcs plein cintre qui s'entre-croisent et portent soit sur un rang de
colonnettes, soit sur des colonnettes et des corbeaux alternés; mais
c'est particulièrement en Angleterre que le style normand a développé ce
genre de décoration dans lequel quelques esprits plus ingénieux
qu'éclairés ont voulu voir l'origine de l'ogive (voy. OGIVE).
Le côté nord du choeur de la cathédrale de Canterbury présente à l'extérieur, entre les fenêtres de la crypte et celles des bas côtés, une arcature que nous donnons ici (3 bis), et qui forme un riche bandeau entre les contre-forts; cet exemple date des dernières années du XIIe siècle. Dans l'étage inférieur de la tour Saint-Romain de la cathédrale de Rouen, les colonnettes des arcatures sont accouplées, supportant déjà de petits arcs en tiers-point, bien que le plein cintre persiste longtemps dans ces membres accessoires de l'architecture, et jusque vers les premières années du XIIIe siècle; ainsi, les chapelles du choeur de l'église abbatiale de Vézelay sont tapissées sous les appuis des fenêtres, d'arcatures appartenant par les détails de leur ornementation au XIIIe siècle, tandis que leurs arcs sont franchement plein cintre (4).
En Bourgogne l'arc plein cintre persiste même dans les arcatures
jusque vers le milieu du XIIIe siècle. La petite église de Notre-Dame de
Dijon, dont la construction est postérieure à l'église de l'abbaye de
Vézelay, laisse encore voir dans les soubassements de ses chapelles du
transsept, de belles arcatures plein cintre sur des chapiteaux qui n'ont
plus rien de l'ornementation romane. La courbe en tiers-point ne
s'applique aux archivoltes des arcatures que vers 1230, l'arc trilobé
sert de transition, on le voit employé dans le transsept nord de
l'église Saint-Jean de Châlons-sur-Marne (5), dont la partie inférieure
date de 1220 à 1230; dans les travées encore existantes des bas côtés de
la cathédrale d'Amiens, même date; plus tard, de 1230 à 1240, l'arc en
tiers-point règne seul (6), ainsi qu'on peut le voir dans les chapelles
du choeur de la cathédrale de Troyes, d'abord simple, décoré seulement
par des moulures largement profilées, puis un peu plus tard, vers 1240,
par des redents, comme dans les chapelles du choeur de la cathédrale
d'Amiens (7) ou la Sainte-Chapelle basse du Palais à Paris.
Jusqu'alors cependant, les arcatures basses, qu'elles appartiennent à un monument riche ou à une église de petite ville, sont à peu de chose près semblables. Mais vers 1245, au moment où l'architecture ogivale arrivait à son apogée, les arcatures, dans les édifices bâtis avec luxe, prennent une plus grande importance, s'enrichissent de bas-reliefs, d'ornements, d'ajours, tendent à former sous les fenêtres une splendide décoration, en laissant toujours voir le nu des murs dans les entre-colonnements; ces murs eux-mêmes reçoivent de la peinture, des applications de gaufrures ou de verres colorés et dorés. La Sainte-Chapelle haute du Palais à Paris nous offre le plus bel exemple que l'on puisse donner d'une série d'arcatures ainsi traitées (8).
Alors, dans les édifices religieux, le parti adopté par les constructeurs ne laissait voir de murs que sous les appuis des fenêtres des bas côtés; toute la construction se bornant à des piles et des vides garnis de verrières, on conçoit qu'il eût été désagréable de rencontrer sous les verrières des bas-côtés, à la hauteur de l'oeil, des parties lisses qui eussent été en désaccord complet avec le système général de piles et d'ajours adopté par les architectes. Ces arcatures servaient de transition entre le sol et les meneaux des fenêtres en conservant cependant par la fermeté des profils, l'étroitesse des entre-colonnements et les robustes saillies des bancs, une certaine solidité d'aspect nécessaire à la base d'un monument. Les bas côtés de la cathédrale de Reims, quoique pourvus de ces larges bancs avec marche en avant, n'ont jamais eu, ou sont dépouillés de leur arcature; aussi, est-on choqué de la nudité de ces murs de pierre sous les appuis des fenêtres, nudité qui contraste avec la richesse si sage de tout l'intérieur de l'édifice. Pour nous, il n'est pas douteux que les bas côtés de la cathédrale de Reims ont dû être ou ont été garnis d'arcatures comme l'étaient autrefois ceux de la nef de l'église abbatiale de Saint-Denis, les parties inférieures de ces deux nefs ayant les plus grands rapports. Nous donnons ici (9) l'arcature basse de la nef de l'église de Saint-Denis, dont tous les débris existent encore dans les magasins de cet édifice, et dont les traces sont visibles sur place. Disons en passant que c'est avec quelques fragments de cette arcature que le tombeau d'Héloïse et d'Abailard, aujourd'hui déposé au Père-Lachaise, a été composé par M. Lenoir, dans le musée des Petits-augustins.