Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2 - (A suite - C)
CAVALIER, s. m. On désigne ainsi un ouvrage en terre élevé au milieu des bastions ou boulevards, pour en doubler le feu et commander la campagne. Ce n'est guère qu'au XVIe siècle que l'on eut l'idée d'exécuter ces ouvrages pour renforcer des points faibles ou pour dominer des fronts. On en exécuta beaucoup, pendant les guerres de siége de cette époque, en dedans des anciens fronts fortifiés du moyen âge, et on leur donnait alors généralement le nom de plate-forme; ils présentaient comme une suite de fortins détachés, possédant des feux de face et de flanc, avec une pente douce du côté de la ville pour amener les pièces et pouvoir les mettre en batteries. Les cavaliers étaient ou semi-circulaires ou carrés. Les plus anciennes représentations de cavaliers se voient figurées sur les bas-reliefs en marbre du commencement du XVIe siècle qui garnissent les parois du tombeau de Maximilien, à Inspruck.
Voici (1) un de ces cavaliers copié sur l'un de ces bas-reliefs représentant la ville d'Arras. Il est en portion de cercle, établi en arrière d'un bastion A possédant un orillon avec deux batteries découvertes C et une batterie casematée au niveau du fond du fossé. Le cavalier B est revêtu et planté à cheval sur la gorge du bastion; il commande ainsi les dehors, le bastion et les deux courtines voisines. La fig. 2 nous montre un autre cavalier carré fermé sur ses quatre faces, élevé au milieu d'un bastion dont les parapets sont munis de fascines et de gabions. Ce cavalier est également revêtu, percé d'une porte; ses parapets sont garnis de fascines. Cette seconde figure est copiée sur le bas-relief représentant l'enceinte de la ville de Vérone.
Lorsque l'on éleva, au XVIe siècle, des bastions en avant des anciennes enceintes du moyen âge, on conserva souvent, de distance en distance, les tours les plus fortes de ces enceintes, en détruisant seulement les courtines; on remplit ces tours de terre, on enleva leurs crénelages, et on établit des plates-formes sur leur sommet pour recevoir une ou plusieurs pièces de canon. Les tours furent ainsi converties en cavaliers. Mais en France, ces dispositions ne furent prises qu'accidentellement et pour profiter d'anciennes défenses, tandis qu'en Allemagne, nous les trouvons, dès le XVIe siècle, érigées en système, ainsi qu'on peut le voir encore à Nuremberg. Dans la fortification moderne même, les Allemands n'ont pas renoncé aux tours isolées, bâties, de distance en distance, en arrière des ouvrages extérieurs. À la Rochelle, pendant les siéges que cette ville eut à subir à la fin du XVIe siècle, des cavaliers en terre d'une grande importance furent élevés en arrière des anciennes enceintes, et, étant armés de pièces à longue portée, firent beaucoup de mal aux assiégeants.
Les cavaliers tiennent lieu aussi, dans certains cas, de traverses, c'est-à-dire que leur élévation au-dessus des courtines et des bastions empêche l'artillerie des assiégeants d'enfiler des ouvrages dominés du dehors; ou bien, comme à Saint-Omer encore, au XVIIe siècle, du côté de la porte Sainte-Croix (3), ils commandent au loin des plaines s'abaissant vers les abords d'une place, et forcent l'assiégeant à ne commencer ses travaux d'approche qu'à une grande distance. Ce cavalier de la porte Sainte-Croix de Saint-Omer se composait d'une haute batterie semi-circulaire revêtue A, protégée par un fossé plein d'eau: elle doublait les feux du saillant E C de la ville le plus facilement attaquable, et, au moyen du fossé qui l'entourait presque entièrement, donnait aux assiégés une dernière défense assez forte pour arrêter l'ennemi qui eût pu se loger dans le bastion saillant, et le forcer, pour passer outre, de faire un nouveau siége. C'est encore là une dernière trace du donjon du moyen âge.
CAVE, s. f. Étage souterrain voûté, pratiqué sous le rez-de-chaussée des habitations. De tout temps, les palais, les maisons ont été bâtis sur caves. Les caves ont l'avantage d'empêcher l'humidité naturelle du sol d'envahir les rez-de-chaussée des habitations, et procurent un lieu dont la température égale, fraîche, permet de conserver des provisions de bouche qui entreraient en fermentation si elles restaient exposées aux changements de la température extérieure. Mais c'est surtout dans les pays de vignobles que les caves ont été particulièrement pratiquées sous les maisons. En Bourgogne, en Champagne, dans le centre et le sud-ouest de la France, on voit des maisons anciennes, d'assez chétive apparence, qui possèdent jusqu'à deux étages de caves voûtées, construites avec soin, quelquefois même taillées dans le roc.
Pendant le moyen âge, les villes, étant entourées de murailles, ne pouvaient s'étendre; il en résultait que les terrains réservés aux constructions particulières, lorsque la population augmentait, devenaient fort chers; on prenait alors en hauteur et sous le sol la place que l'on ne pouvait obtenir en surface, et les caves étaient quelquefois habitées. On y descendait ordinairement par une ouverture pratiquée devant la façade sur la voie publique. Dans quelques villes de province, et particulièrement en Bourgogne, on voit encore un grand nombre de ces descentes de caves qui empiètent sur la rue, et sont fermées par des volets légèrement inclinés pour faire écouler les eaux pluviales (voy. MAISON).
CAVEL, s. m. Vieux mot qui signifie une cheville de bois, une clef (voy. CLEF).
CÈNE (la). Dernier repas de Jésus-Christ entouré de ses apôtres. La Cène est quelquefois sculptée sur les tympans des portes de nos églises du moyen âge. On la voit figurée en bas-relief sur le linteau de la porte occidentale de l'église abbatiale de Saint-Germain des Prés (XIIe siècle). Une des plus belles représentations de la Cène se trouve sur le linteau de la porte principale de l'église de Nantua (XIIe siècle). Cette sculpture est fort remarquable; on ne voit à la table de Jésus-Christ que onze apôtres; Judas est absent. Le nom de chaque apôtre est gravé au-dessus de lui. Voici l'ordre dans lequel sont placés les apôtres, en commençant par la gauche du spectateur: Simon, Taddæus, Bartholomeus, Jacobus, Matheus, Petrus, (le Christ), Johannes, Andreas, Jacobus, Philippus, Thomas. Saint Jean appuie sa tête sur la poitrine de Notre-Seigneur. Dans le tympan au-dessus, on voit le Christ entouré des quatre signes des évangélistes; mais ce bas-relief a été complétement mutilé, ainsi que les anges qui garnissaient la première voussure. Sur les chapiteaux qui portent les voussures, on voit, sculptés, l'Annonciation, la Visitation, la naissance du Sauveur, le voyage des Mages et l'Adoration des bergers et des Mages. Sur le linteau de la porte de droite de la façade de Notre-Dame de Dijon (XIIIe siècle), au-dessous du crucifiement sculpté dans le tympan, on voit aussi une représentation de la Cène, malheureusement fort mutilée. La passion de Notre-Seigneur est fréquemment représentée en sujets légendaires sur les verrières des églises. La Cène ouvre la série de ces sujets, et l'apôtre saint Jean, placé le plus souvent à la droite du Christ, y est encore représenté incliné sur la poitrine de son maître. Dans les monastères, on peignait souvent la Cène sur un des murs du réfectoire; mais nous n'avons jamais pu rencontrer en France une seule de ces peintures complète.
CERPELIÈRE, s. f. Vieux mot qui est employé comme cercle, enceinte circulaire.
CHAFFAUT, s. m. Vieux mot dont on a fait échafaud. Chaffaut s'employait principalement pour désigner un appentis, un hourd (voyez ce mot). En Champagne, en Bourgogne, on dit encore chaffaut pour échafaud.
CHAÎNAGE, s. m. Ce mot s'applique aux longrines de bois, aux successions de crampons de fer posés comme les chaînons d'une chaîne, ou même aux barres de fer noyés dans l'épaisseur des murs, horizontalement, et destinés à empêcher les écartements, la dislocation des constructions en maçonnerie.
Les Romains et, même avant eux, les Grecs avaient l'habitude, lorsqu'ils construisaient en assises de pierres de taille ou de marbre, de relier les assises entre elles par de gros goujons de fer, de bronze ou même de bois, et les blocs entre eux par des crampons ou des queues d'aronde. Mais les Grecs et les Romains posaient les blocs de pierre taillés à côté les uns des autres et les uns sur les autres saus mortier (voy. JOINT, LIT). Le mortier n'était employé, chez les Romains, que pour les blocages, les ouvrages de moellon ou de brique, jamais avec la pierre de taille.
Dès l'époque mérovingienne, on avait adopté une construction mixte, qui n'était plus le moellon smillé des Romains et qui n'était pas l'ouvrage antique en pierre de taille: c'était une sorte de grossier blocage revêtu de parements de carreaux de pierre assez mal taillés et réunis entre eux par des couches épaisses de mortier (voy. CONSTRUCTION).
Du temps de César, les Gaulois posaient, dans l'épaisseur de leurs murailles de défense, des longrines et des traverses de bois assemblées entre les rangs de pierre. Peut-être cet usage avait-il laissé des traces même après l'introduction des arts romains dans les Gaules. Ce que nous pouvons donner comme certain, c'est que l'on trouve, dans presque toutes les constructions mérovingiennes et carlovingiennes, des pièces de bois noyées longitudinalement dans l'épaisseur des murs, en élévation et même en fondation 317. Ces pièces de bois présentent un équarrissage qui varie de 0,12c. × 0,12c. à 0,20c. × 0,20c.
Jusqu'à la fin du XIIe siècle, cette habitude persiste, et ces chaînages sont posés, comme nos chaînages modernes, à la hauteur des bandeaux indiquant des étages, à la naissance des voûtes et au-dessons des couronnements supérieurs. Les travaux de restauration que nous eûmes l'occasion de faire exécuter dans des édifices des XIe et XIIe siècles nous ont permis de retrouver un grand nombre de ces chaînages en bois, assez bien conservés pour ne pas laisser douter de leur emploi. Dans la nef de l'église abbatiale de Vézelay, qui date de la fin du XIe siècle, il existe un premier chaînage de bois au-dessus des archivoltes donnant dans les collatéraux, et un second chaînage, interrompu par les fenêtres hautes, au niveau du dessus des tailloirs des chapiteaux à la naissance des grandes voûtes. Ce second chaînage de bois offre cette particularité qu'il sert d'attache à des crampons en fer destinés à recevoir des tirants transversaux d'un mur de la nef à l'autre à la base des arcs doubleaux. Ces tirants étaient-ils destinés à demeurer toujours en place pour éviter l'écartement des grandes voûtes? nous ne le pensons pas. Il est à croire qu'ils ne devaient rester posés que pendant la construction, jusqu'à ce que les murs goutterols fussent chargés, ou jusqu'à ce que les mortiers des voûtes eussent acquis toute leur dureté, c'est-à-dire jusqu'au décintrage (voy. CONSTRUCTION).
Voici (1) comment sont posées les chaînes de bois et les grands crampons ou crochets destinés à recevoir un tirant, en supposant les assises supérieures enlevées; et (2) la coupe du mur avec la position du chaînage A et du crochet en fer B sous le sommier des grands arcs doubleaux.
En démolissant la tour de l'eglise abbatiale de Saint-Denis, qui datait du milieu du XIIe siècle, on trouva, à chaque étage, un chaînage en bois d'un fort équarrissage chevillé par des chevilles en fer aux retours d'équerre, ainsi que l'indique la fig. 3, et noyé dans le milieu des murs. La pourriture de ce chaînage formant un vide de près de 0,30 c. de section dans l'épaisseur de la maçonnerie et sur tout son pourtour, n'avait pas peu contribué à déterminer l'écrasement des parements intérieurs et extérieurs. Des croix horizontales en bois venaient en outre s'assembler dans les milieux des longrines, à chaque étage, comme l'indique la fig. 4, et devaient relier les quatre trumeaux de la tour entre les baies; mais ces croix, visibles à l'intérieur, avaient été brûlées, au XIIIe siècle, avant la construction de la flèche.
Nous trouvons encore, pendant la première moitié du XIIIe siècle, des chaînages en bois dans les constructions militaires et civiles. Le donjon du château de Coucy laisse voir, à tous ses étages, au niveau du sommet des voûtes, des chaînages circulaires en bois, de 0,30 × 0,25 c. d'équarrissage environ, sortes de ceintures noyées dans la maçonnerie, desquelles partent des chaînes rayonnantes également en bois, passant sous les bases des piles engagées portant les arcs de la voûte et venant se réunir au centre (voy. DONJON).
Cependant, à la fin du XIIe siècle déjà, on reconnut probablement le peu de durée des chaînages en bois, car on tenta de les remplacer par des chaînages en fer. La grande corniche à damiers qui couronne le choeur de la cathédrale de Paris, et qui dut être posée vers 1195, se compose de trois assises de pierre dure formant parpaing, dont les morceaux sont tous réunis ensemble par deux rangs de crampons, ainsi que l'indique la fig. 5. Cela constituait, au sommet de l'édifice, au-dessus des voûtes, un puissant chaînage; mais ces crampons, en s'oxydant, et prenant, par suite de cette décomposition, un plus fort volume, eurent pour effet de fêler presque toutes ces pierres longitudinalement, et de faire, de cette tête de mur homogène, trois murs juxtaposés.
En construisant la Sainte-Chapelle de Paris, Pierre de Montereau se rapprocha davantage du système des chaînages modernes. Au niveau du dessous des appuis des fenêtres de la chapelle haute, à la naissance des voûtes et au-dessous de la corniche supérieure, il posa une suite de crampons de 0,30 c. à 0,50 c. de longueur, qui, au lieu d'être scellés dans chaque morceau de pierre, vinrent s'agrafer les uns dans les autres, conformément à la fig. 6. Cette chaîne, posée dans une rigole taillée dans le lit de l'assise, fut coulée en plomb. Le chaînage, au niveau de la naissance de la voûte, se reliait, à chaque travée, à une forte barre de fer de 0,05 c. d'équarrissage, passant au-dessus des chapiteaux des meneaux à travers ceux-ci et faisant ainsi partie de l'armature des vitraux. À mi-hauteur des fenêtres, il existe des barres semblables, qui sont reliées entre elles dans l'épaisseur des piles. Ce système de chaînage était certainement moins dangereux que celui employé au sommet du choeur de la cathédrale de Paris; cependant il eut encore, malgré la masse de plomb dont il est enveloppé, l'inconvénient de faire casser un grand nombre de pierres. Pour donner une idée de la puissance du gonflement du fer, lorsqu'il passe à l'état d'oxyde ou de carbonate de fer, nous ferons observer que le chaînage placé au-dessous des appuis des grandes fenêtres de la Sainte-Chapelle, en gonflant, souleva les assises composant ces appuis et les meneaux qu'elles supportent, au point de faire boucler ces meneaux et de les briser sur quelques points, bien qu'ils soient d'une grande force.
Au XIIIe siècle, le fer ne se travaillait qu'à la main, et on ne possédait pas des forges comme celles d'aujourd'hui, qui fournissent des fers passés au cylindre, égaux et d'une grande longueur. Pierre de Montereau eût pu cependant chaîner la Sainte-Chapelle au moyen de pièces de fer d'une plus grande longueur que celles indiquées dans la fig. 6, puisque, dans le vide des fenêtres, les traverses se reliant aux chaînages ont plus de quatre mètres de long; mais il faut croire qu'alors la difficulté de faire forger des fers de cette longueur et d'une forte épaisseur était telle qu'on évitait d'en employer, à moins de nécessité absolue.
Au XIVe siècle, on voit déjà de longs morceaux de chaînes en fer posés dans les constructions. Nous citerons, entre autres exemples, la façade de la cathédrale de Strasbourg, qui, de la base jusqu'à la hauteur du pied de la flèche, est chaînée avec un grand soin à tous les étages, au moyen de longues barres de fer plat bien forgées, noyées entre les lits des assises; le choeur de l'ancienne cathédrale de Carcassonne, qui est de même solidement chaîné au moyen de longues et fortes barres de fer passant à travers les baies, et servant d'armatures aux vitraux; l'église Saint-Ouen de Rouen, la cathédrale de Narbonne.
Les architectes du XIIIe siècle n'employèrent pas seulement les chaînages à demeure, noyés dans les constructions, ils s'en servirent aussi comme d'un moyen provisoire pour maintenir les poussées des arcs des collatéraux sur les piles intérieures, avant que celles-ci ne fussent chargées. Dans le choeur et la nef des cathédrales de Soissons et de Laon, dans la nef de la cathédrale d'Amiens, dans le choeur de celle de Tours, constructions élevées de 1210 à 1230, on observe, au-dessus des chapiteaux portant les archivoltes et les voûtes en arcs d'ogives des bas-côtés, entaillées dans le lit inférieur des sommiers, des pièces de bois sciées au ras du ravalement; ces pièces de bois n'ont guère que 0,12 c. × 0,12 c. d'équarrissage. Ce sont des tirants posés, en construisant les voûtes, entre les cintres doubles sur lesquels on bandait les archivoltes et les arcs doubleaux et laissés jusqu'à l'achèvement de l'édifice, c'est-à-dire jusqu'au moment où les piles intérieures étaient chargées au point de ne plus faire craindre un bouclement produit par la poussée des voûtes des bas-côtés. On pouvait ainsi, sans risques, décintrer ces voûtes, se servir des bois pour un autre usage, et livrer même ces bas-côtés à la circulation. La construction terminée, on sciait les tirants en bois.
La fig. 7 318 fera comprendre l'emploi de ce procédé fort ingénieux et simple. On voit en A le bout du chaînage de bois scié; Ce moyen avait été indiqué par l'expérience; beaucoup de piles intérieures d'églises, bâties à la fin du XIIe siècle, sont sorties de la verticale, sollicitées par la poussée des voûtes des bas-côtés avant l'achèvement de la construction; car, pour interrompre le culte le moins longtemps possible, à peine les bas-côtés étaient-ils élevés, on fermait les voûtes, on les décintrait, on établissait un plafond sur la nef centrale à la hauteur du triforium, et on entrait dans l'église.
À la cathédrale de Reims, dont la construction est exécutée avec un grand luxe, on avait substitué aux chaînes provisoires en bois posées sous les sommiers des arcs des piles des bas-côtés, des crochets en fer dans lesquels des tirants en fer, portant un oeil à chaque extrémité, venaient s'adapter; la construction chargée autant qu'il était nécessaire pour ne plus craindre un bouclement des piles, on enleva les tirants; les crochets sont restés en place. On retrouve les traces de ces chaînages provisoires jusqu'à la fin du XIVe siècle.
Les chaînages en fer noyés dans la maçonnerie à demeure et dont nous avons parlé plus haut étaient, autant que les ressources des constructeurs le permettaient, coulés en plomb dans les scellements ou les rigoles qui les renfermaient, quelquefois scellés simplement au mortier. Nous avons vu aussi de ces chaînes scellées à leurs extrémités et dans leur longueur au moyen d'un mastic gras qui paraît être composé de grès pilé, de minium, de litharge et d'huile, ou dans un bain de résine. Les tirants scellés par ce procédé, dans des édifices de la fin du XIIIe siècle, se sont moins oxydés que ceux scellés au plomb ou au mortier. La présence du plomb paraît même avoir hâté quelquefois la décomposition du fer, surtout lorsque les chaînes sont placées au coeur de la maçonnerie, loin des parements.
Pendant le XVe siècle, les constructeurs ont préféré souvent placer leurs chaînes libres le long des murs, au-dessus des voûtes, transversalement ou longitudinalement. On avait dû reconnaître déjà, à cette époque, les effets funestes que produisait le fer noyé dans la maçonnerie par les maîtres des oeuvres des XIIIe et XIVe siècles. Ces chaînes libres sont ordinairement composées de barres de fer carré de deux à six mètres de longueur, réunies à leurs extrémités par des boucles et des clavettes, ainsi que l'indique la fig. 8 319. On tendait la chaîne fortement en frappant sur les clavettes, comme on le fait aujourd'hui pour les chaînages dont les bouts sont assemblés à traits-de-Jupiter.
CHAINE. Pendant le moyen âge et jusque vers le commencement du XVIIe siècle, il était d'usage de placer aux angles des rues, aux portes des villes et des faubourgs, à l'entrée des ponts, des chaînes que l'on tendait la nuit, ou lorsqu'on craignait quelque surprise. Ces chaînes, fort lourdes, étaient scellées d'un bout à un gros anneau fixe et de l'autre venaient s'accrocher à un crochet 320 ou à une barre de fer, sorte de verrou garni d'un moraillon entrant dans une serrure que l'on fermait à clef pour empêcher les premiers venus de détendre la chaîne. Lorsque les chaînes étaient tendues dans une ville, il devenait impossible à de la cavalerie de circuler; les piétons même se trouvaient ainsi arrêtés à chaque pas 321. Dans les rues, les maisons permettaient de sceller les chaînes à leurs parois; mais sur les routes, à l'entrée des ponts ou des faubourgs, en dehors des portes et passages, les chaînes étaient attachées à des poteaux de bois avec contrefiches. Ces supports étaient désignés sous le nom d'estaques. En temps de paix, les portes des villes restaient souvent ouvertes la nuit, et on se contentait de tendre les chaînes, attachées à l'extérieur, d'une tour à l'autre. On voit encore, à la porte Narbonnaise de Carcassonne, la place de la chaîne; elle était scellée d'un bout à la paroi de l'une des tours; l'autre bout était introduit, par un trou pratiqué à cet effet, dans la salle basse de la tour en face; on passait une barre de fer dans le dernier chaînon, et, du dehors, il n'était plus possible de détendre la chaîne. La fig. 1 explique cette manoeuvre très-simple.
CHAÎNE (DE PIERRE). Dans la bâtisse on désigne, par chaînes, des piles
formées d'assises de pierre ou de matériaux résistants se reliant aux
maçonneries et ne présentant pas de saillies sur le nu des murs. On ne
trouve que rarement ce procédé employé dans les constructions du moyen
âge. Quand les murs sont en maçonnerie ordinaire, et qu'on veut les
renforcer par des points d'appui espacés plus résistants, la chaîne de
pierre forme presque toujours une saillie extérieure, et prend alors le
nom de contrefort. Cependant les constructions rurales, militaires ou
civiles, bâties avec économie présentent quelquefois des chaînes de
pierre noyées dans les murs et ne portant pas une saillie à l'extérieur,
mais formant un pilastre intérieur pour porter une poutre, une charge
quelconque. Alors, pour économiser les matériaux et pour éviter les
évidements, ces chaînes sont appareillées et posées ainsi que l'indique
la fig. 1; les pierres A formant boutisse, les pierres B parement
extérieur, les pierres C morceau du pilastre sans liaisons; ainsi de
suite de la base au sommet du mur.
Dans les constructions militaires de Normandie qui datent des XIIe et XIIIe siècles, on rencontre des chaînes de pierre destinées à renforcer des angles obtus lorsque les murs sont bâtis en moellons. Le donjon de la Roche-Guyon en présente un exemple remarquable (voy. DONJON).
CHAIRE A PRÊCHER, s. f. Pupitre. Sorte de petite tribune élevée au-dessus du sol des églises, des cloîtres ou des réfectoires de monastères, destinée à recevoir un lecteur ou prédicateur. Dans les églises primitives, il n'y avait pas, à proprement parler, de chaires à prêcher, mais deux ambons ou pupitres placés des deux côtés du choeur pour lire l'épître et l'Évangile aux fidèles. On voit encore cette disposition conservée dans la petite basilique de Saint-Clément à Rome et dans celle de Saint-Laurent hors les murs. Dès le XIIe siècle, cependant, il paraîtrait qu'outre les ambons destinés à la lecture de l'épître et de l'Évangile, on avait aussi parfois, dans l'église, un pupitre destiné à la prédication.
Guillaume Durand, dans son Rational, s'exprime ainsi à l'égard du pupitre 322: «Le pupitre placé dans l'église, c'est la vie des hommes parfaits, et on l'appelle ainsi pour signifier en quelque sorte un pupitre public ou placé dans un lieu public et exposé aux regards de tous. En effet, nous lisons ces mots dans les Paralipomènes: «Salomon fit une tribune d'airain, la plaça au milieu du temple, et, se tenant debout dessus et étendant la main, il parlait au peuple de Dieu.» Esdras fit aussi un degré de bois pour y parler, et lorsqu'il y montait, il était élevé au-dessus de tout le peuple... On donne encore à ce pupitre le nom d'analogium, parce qu'on y lit et qu'on y annonce la parole de Dieu On... l'appelle aussi ambon, de ambiendo, entourer, parce qu'il entoure comme d'une ceinture celui qui y monte.»
Mais le plus souvent c'était sur une estrade mobile que se tenait le prédicateur lorsqu'une circonstance voulait que l'on exhortât les fidèles réunis dans une église ou dans le préau d'un cloître.
Les églises italiennes ont conservé des chaires à prêcher d'une époque assez ancienne, des XIIIe et XIVe siècles; elles sont en pierre, ou plutôt en marbre, ou en bronze. Celle de la cathédrale de Sienne, qui date du XIIIe siècle 323 est fort belle; elle est portée sur des colonnes posées sur des lions, et son garde-corps est orné de bas-reliefs représentant la Nativité. A Saint-Marc de Venise, les ambons placés à droite et à gauche des jubés affectent la forme de chaires à prêcher et sont composés de marbres précieux, de porphyre et de jaspe. On voit également, dans l'église San-Miniato de Florence, dans la chapelle royale de Palerme, des pupitres pouvant servir de chaires, placés à la gauche de l'autel, à l'entrée du choeur.
Mais en France, aucune de nos anciennes églises n'a conservé, que nous sachions, de chaires à prêcher, ou pupitres pouvant en tenir lieu, antérieurs au XVe siècle. L'usage, à partir du XIIe siècle surtout, était, dans nos églises du Nord, de disposer à l'entrée des choeurs des jubés, sur lesquels on montait pour lire l'épître et l'Évangile et pour exhorter les fidèles, s'il y avait lieu (voy. JUBÉ). Toutefois ces prédications, avant l'institution des frères prêcheurs, ne se faisaient qu'accidentellement. Jacques de Vitry, écrivain du XIIIe siècle, dit «que Pierre, chantre de Paris, voulant faire connaître les talents extraordinaires de Foulques, son disciple, le fit prêcher en sa présence et devant plusieurs habiles gens dans l'église de Saint-Severin; et que Dieu donna une telle bénédiction à ses sermons, quoiqu'ils fussent d'un style fort simple, que même tous les sçavans de Paris s'excitoient les uns les autres à venir entendre le prêtre Foulques, qui preschoit, disoient-ils, comme un second saint Paul.. Ces faits sont d'environ l'an 1180... 324» Il est probable que, dans ces cas particuliers, les prédicateurs se plaçaient dans une chaire mobile disposée en quelque lieu de l'église pour la circonstance. La chaire n'était alors, ainsi que l'indique la fig. 1 325, qu'une petite estrade en bois fermée de trois côtés par un garde-corps recouvert sur le devant d'un tapis.
Mais, au XIIIe siècle, quand les ordres prêcheurs se furent établis pour combattre l'hérésie et expliquer au peuple les vérités du christianisme, la prédication devint un besoin auquel les dispositions architectoniques des édifices religieux durent obéir. Pour remplir exactement ces conditions, les dominicains, les jacobins entre autres, bâtirent des églises à deux nefs, l'une étant réservée pour le choeur des religieux et le service divin, l'autre pour la prédication (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE, fig. 24 et 24 bis). Alors les chaires devinrent fixes et entrèrent dans la construction. Elles formaient comme un balcon saillant à l'intérieur de l'église, porté en encorbellement, accompagné d'une niche prise aux dépens du mur, et ordinairement éclairée par de petites fenêtres; on y montait par un escalier pratiqué dans l'épaisseur de la construction. La nef sud de la grande église du couvent des jacobins de Toulouse possédait, à son extrémité occidentale, une chaire de ce genre à laquelle on montait par un escalier s'ouvrant en dehors de l'église dans le petit cloître; nous en avons vu encore les traces, quoique la saillie du cul-de-lampe eût été coupée et la niche bouchée. C'est ainsi qu'étaient disposées les chaires des réfectoires des monastères, destinées à contenir le lecteur pendant les repas des religieux. L'une des plus anciennes et des plus belles chaires de réfectoire qui nous soient conservées est celle de l'abbaye Saint-Martin-des-Champs; nous en donnons ici (2) le plan, (2 bis) la coupe, et (3) l'élévation perspective.
On remarquera la disposition ingénieuse de l'escalier montant à cette chaire: pratiqué dans l'épaisseur du mur, il n'est clos du côté de l'intérieur que par une claire-voie; mais pour éviter que la charge du mur au-dessus n'écrasât cette claire-voie, le constructeur a posé un arc de décharge A qui vient la soulager, et, afin que cet arc ne poussât pas à son arrivée en B, les deux premiers pieds-droits C C de la claire-voie ont été inclinés de façon à opposer une butée à cette poussée. Aujourd'hui on trouverait étrange qu'un architecte se permit une pareille hardiesse; incliner des pieds-droits! On lui demanderait d'user d'artifices pour obtenir ce résultat de butée sans le rendre apparent; au commencement du XIIIe siècle, on n'y mettait pas autrement de finesses.
Sauval cite la chaire du réfectoire de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, bâti par Pierre de Montereau, comme un chef-d'oeuvre en ce genre. Elle était, dit-il, «portée sur un gros cul-de-lampe, chargé d'un grand cep de vigne coupé et fouillé avec une patience incroyable 326.» Lebeuf parle aussi de la chaire du réfectoire de Saint-Maur-des-Fossés, comme étant remarquable et «revêtue de dix images ou petites statues de saints d'un travail antique, mais grossier 327.» Les exemples de ces chaires de réfectoires ne sont pas rares; elles sont toujours disposées à peu près comme celle représentée fig. 2 et 3.
En 1109, un morceau considérable de la vraie croix fut rapporté de Jérusalem à Paris par la voie de terre, en traversant la Grèce, la Hongrie, l'Allemagne et la Champagne. Il fut provisoirement déposé à Fontenet-sous-Louvre, puis transporté en grande pompe à Saint-Cloud pour y être gardé jusqu'au premier d'août, jour désigné pour sa réception solennelle dans la cathédrale de Paris. Il y eut une grande affluence de peuple dans la plaine de Saint-Denis pendant la translation de cette précieuse relique de Fontenet à Saint-Cloud, pour la voir passer. Depuis lors, tous les ans, le second mercredi du mois de juin, le morceau de la vraie croix était rapporté dans la plaine située entre la Chapelle, Aubervilliers et Saint-Denis, afin d'être exposé à la vénération des fidèles, trop nombreux pour pouvoir être reçus dans la cathédrale.
«Au sortir de Notre-Dame, dit l'abbé Lebeuf 328, on passoit au cimetière de Champeaux, dit depuis des Innocens. Après une pause faite en ce lieu, et employée à quelques prières pour les morts, l'évêque commençoit la récitation du Pseautier qui étoit continuée jusqu'au lieu indiqué (ci-dessus) usque ad indictum. Là, après une antienne de la croix, l'évêque ou une autre personne en son nom, étant au haut d'une tribune dressée exprès, faisoit un sermon au peuple: après quoi le même prélat, aidé de l'archidiacre, donnoit la bénédiction à toute la multitude avec la croix apportée de Paris, se tournant d'abord à l'orient d'où cette relique est venue, puis au midi vers Paris, ensuite au couchant, et enfin au septentrion du côté de Saint-Denis...»
Cet exemple de prédication en plein air n'est pas le seul. Saint Bernard prêcha, monté sur une estrade, du haut de la colline de Vézelay, devant l'armée des croisés rassemblés dans la vallée d'Asquin, en présence de Louis le Jeune. La chaire du prédicateur n'était alors qu'une petite plate-forme sans garde-corps; car, au milieu d'un vaste espace, en plein air, le prédicateur devait être vu en pied; sa posture dans une boîte semblable à nos chaires eût été ridicule 329.
Les prédications en plein air étaient fréquentes au moyen âge et jusqu'au moment de la réformation. Les prédicateurs se retirèrent sous les voûtes des églises quand ils purent craindre de trouver parmi la foule assemblée des contradicteurs. Ceux qui se seraient permis de provoquer un scandale au milieu d'un champ ou sur une place publique, n'osaient et ne pouvaient le faire dans l'enceinte d'une église.
Nous trouvons encore des chaires élevées dans les cloîtres et cimetières pendant les XIVe et XVe siècles, et même sur la voie publique tenant à l'église. Le cloître de la cathédrale de Saint-Dié en contient une en pierre, placée vers le commencement du XVIe siècle, et que nous donnons figure 4. Ce petit monument est recouvert par un auvent également en pierre, destiné à garantir le prédicateur contre les ardeurs du soleil et surtout à rabattre la voix sur l'assistance: car, pour les chaires élevées en plein air ou dans les églises, on sentit bientôt la nécessité de suspendre au-dessus du prédicateur un plafond pour empêcher la voix de se perdre dans l'espace; cet appendice de la chaire prit le nom d'abat-voix.
À l'un des angles de l'église Saint-Lô, sur la rue, on trouve encore une de ces chaires extérieures en pierre, dont la porte communique avec un escalier intérieur, et qui est recouverte d'un riche abat-voix terminé en pyramide 330. Cette chaire date de la fin du XVe siècle. Mais c'est particulièrement pendant le XVIe siècle et au moment de la réformation que l'on établit des chaires dans la plupart des églises françaises. La prédication était, à cette époque, un des moyens de combattre l'hérésie avec ses propres armes; on plaça les chaires dans les nefs (ce qui ne s'était pas fait jusqu'alors), afin que le prédicateur se trouvat au milieu de l'assistance. Les cathédrales de Strasbourg et de Besançon ont conservé des chaires en pierre de cette époque; celle de Strasbourg particulièrement est d'une excessive richesse et du travail le plus précieux. Son abat-voix est couronné par une pyramide chargée de détails et découpures infinies; ce monument est d'ailleurs, comme composition et ornementation, d'un assez mauvais goût, se rapprochant du style adopté en Allemagne à la fin de l'ère ogivale.
Bientôt on cessa de faire des chaires en marbre ou en pierre; on se contenta de les établir en bois, en les adossant et les accrochant même parfois aux piliers.
Nous ne saurions donner à nos lecteurs des chaires dont la construction remonterait aux XIIIe et XIVe siècles, par la raison qu'il n'y en avait point alors dans les églises se rapprochant de la forme adoptée depuis le XVIe siècle. Ce meuble est cependant aujourd'hui indispensable, et si les architectes des XIIe et XIIIe siècles eussent dû exécuter des chaires, ils leur auraient certainement donné des formes parfaitement en harmonie avec leur destination et les matériaux employés, marbre, pierre, métal ou bois. En l'absence de tout document, nous croyons devoir nous abstenir, laissant à chacun le soin de satisfaire à ce nouveau programme.
CHAIRE, s. f. Siége épiscopal (cathedra). Dans les églises primitives, le siége de l'évêque était placé au fond de l'abside, derrière l'autel (voy. CATHÉDRALE). Cette disposition existe encore dans quelques basiliques italiennes; on la retrouve conservée dans la cathédrale de Lyon, le sanctuaire étant fermé et dépourvu de collatéraux. Le siége de l'abbé, dans les églises abbatiales antérieures au XIIe siècle, était placé de la même manière. Ces chaires étaient généralement fixes (c'est pourquoi nous nous en occupons ici), en marbre, en métal, en pierre ou en bois, et se reliaient à des bancs ou stalles disposés de chaque côté le long des murs de l'abside. Nous possédons encore en France quelquès exemples, en petit nombre, de ces meubles fixes tenant à la disposition architectonique du sanctuaire; seulement ils ont été déplacés. Nous avons vu encore en Allemagne une de ces chaires absidales en pierre, demeurée en place, quoique mutilée, dans la cathédrale d'Augsbourg. Le style de ce monument, fort ancien 331, n'est pas tellement particulier au pays d'outre-Rhin que nous ne puissions le considérer comme appartenant à l'époque carlovingienne d'Occident.
Nous croyons donc devoir donner cette chaire (1), l'un des plus anciens meubles fixes que possède l'architecture romane du Nord. Sa forme se rapproche beaucoup de celle des chaises antiques que possèdent les musées d'Italie et de France.
Dans la sacristie de l'église de l'ancien prieuré de Saint-Vigor près Bayeux, il existe une chaire en marbre rouge autrefois placée au fond du sanctuaire. Le nouvel évêque venait s'asseoir dans cette chaire la veille de son entrée à Bayeux. De là, le prélat, avant son intronisation, donnait sa première bénédiction au peuple, revêtu de ses habits pontificaux 332, puis s'acheminait à cheval, processionnellement, vers la ville.
On voit dans l'église Notre-Dame-des-Dons, cathédrale d'Avignon, la chaire en marbre blanc veiné qui était autrefois fixée au fond du sanctuaire; elle est aujourd'hui posée à la droite de l'autel, et sert encore, nous le croyons, de siège épiscopal. Cette chaire date du XIIe siècle; elle est fort belle comme composition et travail (2).
D'un côté est sculpté le lion de saint Marc, de l'autre le boeuf de saint Luc. On sent encore l'influence antique dans ce meuble, comme dans l'architecture de la Provence à cette époque. Mais il existe une chaire en pierre, du XIIIe siècle, conservée dans la cathédrale de Toul, et connue sous le nom de chaire de saint Gérard, dont la forme ainsi que les détails sont étrangers aux traditions antiques. Les accoudoirs sont composés avec ce respect pour les usages ou les besoins qui caractérise les arts de cette époque. La sculpture est franche, parfaitement à l'échelle de ce petit monument, riche sans être chargée. Il est difficile de rencontrer une composition à la fois plus simple et mieux décorée 333. Des coussins épais étaient naturellement posés sur la tablette de ces meubles.
«Au fond du sanctuaire de la cathédrale de Reims, dit M. Didron dans ses Annales archéologiques 334, derrière le maître autel, on voyait, avant 1793, un siége en pierre, haut d'un mètre soixante-dix centimètres, et large de soixante-dix centimètres. C'est là qu'on intronisait les nouveaux archevêques. Ce monument de Reims s'appelait la chaire de saint Rigobert... Dans cette chaire, on plaçait, pendant la vacance du siége archiépiscopal, la crosse la plus ancienne de tout le trésor de la cathédrale. Par là, saint Nicaise, saint Remi, saint Rigobert ou même Hincmar, auxquels cette crosse pouvait avoir appartenu, étaient censés gouverner le diocèse en attendant la nomination d'un nouvel archevêque.»
On suspendait au-dessus de la chaire épiscopale un dais en étoffe; mais plus tard, pendant les XIVe et XVe siècles, ces dais entrèrent dans la composition même du monument, et furent faits comme eux en pierre ou en bois. Il existe encore, dans l'église Saint-Seurin ou Saint-Severin de Bordeaux, une chaire épiscopale en pierre de la fin du XIVe siècle, ainsi complétée d'une façon magnifique (3). Au centre du dais, sur le devant, entre les deux gâbles, est sculptée une mitre d'évêque soutenue par deux anges. Le siége et les accoudoirs sont délicatement ajourés. Les quatre pieds-droits qui supportent le dais étaient autrefois décorés de statuettes, aujourd'hui détruites. Deux autres figures devaient être placées également sur deux consoles incrustées dans la muraille, sous le dais, au-dessus du dossier. Cette chaire est aujourd'hui déplacée; elle était autrefois fixée au fond du sanctuaire, suivant l'usage.
En Normandie, en Bretagne, et plus fréquemment en Angleterre, on voit, dans les sanctuaires des églises dépourvues de bas-côtés, des siéges ménagés dans l'épaisseur de la muraille, à la gauche de l'autel, et formant une arcature renfoncée, sous laquelle s'asseyaient l'officiant et ses deux acolytes. Ces chaires à demeure sont quelquefois de hauteurs différentes, comme pour indiquer l'ordre hiérarchique dans lequel on devait s'asseoir. Le Glossaire d'Architecture, de M. Parker d'Oxford, en donne un assez grand nombre d'exemples, depuis l'époque romane jusqu'au XVIe siècle. Nous renvoyons nos lecteurs à cet excellent ouvrage. En France, ces sortes de siéges sont fort rares, et il est probable que, dès une époque assez reculée, on les fit en bois, ou tout au moins indépendants de la construction, comme celui que nous donnons (fig. 3). Ces chaires, ou formes anglaises, se combinent ordinairement avec la piscine; dans ce cas, il y a quatre arcatures au lieu de trois, la piscine étant sous la travée la plus rapprochée de l'autel.
Mais à la fin du XVe siècle, on établit de préférence les chaires épiscopales, les trônes, à la tête des stalles du choeur, à la gauche de l'autel (voy. STALLE).
Dans les salles capitulaires, il y avait aussi, au milieu des sièges, la chaire du président du chapitre, de l'évêque ou de l'archevêque. À Mayence, on voit encore une de ces chaires qui date du XIIe siècle, dans la salle carrée attenante au cloître de la cathédrale.
On donnait aussi le nom de chaires, pendant le moyen âge et jusqu'au XVIIe siècle, aux stalles des religieux ou des chapitres.
CHAMBRE, s. f. Pièce retirée dans un palais, un hôtel ou une maison, destinée à recevoir un lit. Par suite de cette destination, on donna le nom de chambre aux salles dans lesquelles le roi tenait ou pouvait tenir un lit de justice; aux salles dans lesquelles, chez les grands, était placé le dais sous lequel s'asseyait le seigneur lorsqu'il exerçait ses droits de justicier; on appelait ces chambres: chambre du dais, chambre de parement.
La grand'chambre du Palais à Paris avait été bâtie par Enguerrand de Marigny, sous Philippe le Bel 335; elle fut richement décorée en 1506 336.
Jean sans Peur, duc de Bourgogne, fit faire, dans l'hôtel d'Artois, après le meurtre du duc d'Orléans, une chambre «toute de pierres de taille, pour sa sûreté, la plus forte qu'il put, et terminée de machicoulis, où toutes les nuits il couchait 337.» Dans les donjons, il y avait la chambre du châtelain, qui se trouvait toujours près du sommet et bien munie; quelquefois même on ne pouvait y arriver que par des couloirs détournés, ou au moyen d'échelles ou de ponts volants que l'on relevait la nuit.
Les chambres des riches hôtels étaient somptueusement décorées.
Les solives des plafonds en étaient sculptées, peintes et dorées; les fenêtres garnies de vitraux et de volets quelquefois doubles, ajourés de fines découpures et pleins; les parements tendus de tapisseries, les lambris en bois travaillés avec art et se reliant à des bancs fixes (banquiers) garnis de dossiers en étoffe et de coussins; le pavé de carreaux de terre cuite émaillée avec tapis; une grande cheminée, souvent avec bas-reliefs sculptés, armoiries peintes, occupait l'un des côtés: elle était accompagnée de ses accessoires, de tablettes latérales pour poser un flambeau, quelquefois d'une petite fenêtre s'ouvrant près de l'un des jambages ou sous le manteau même de la cheminée, pour voir le dehors en se chauffant; de ses écrans et escabeaux. Les portes perdues derrière la tapisserie étaient étroites et basses. Le lit, placé perpendiculairement à la face opposée à la cheminée, était large, garni de courtines et d'un dais à gouttières; il se trouvait ordinairement plus rapproché d'un mur que de l'autre, de façon à laisser un petit espace libre qu'on appelait la ruelle. Quelquefois, dans l'ébrasement profond de l'une des fenêtres, on plaçait une volière et des fleurs, car les oiseaux devenaient les compagnons ordinaires des femmes nobles, dont les distractions, hormis les grandes fêtes publiques, étaient rares. Une chaire (chaise à dossier) se trouvait au fond de la ruelle; un dressoir, une petite table, des escabeaux et carreaux pour s'asseoir, complétaient l'ameublement (voy. le Dictionnaire du Mobilier).
«Adonc est li sires levé
Et est entrez dedenz sa chambre
Qui tote estoit ovrée à l'ambre.
N'a el monde beste n'oisel
Qui n'i soit ovré à cisel,
Et la procession Renart
Qui tant par sot engin et art,
Que rien a fere n'i lessa
Cil qui si bel la conpassa.
Qu'en li séust onques nomer 338.
. . .
Nous donnons (1) un plan d'une de ces chambres privées, que l'on avait le soin, autant que faire se pouvait, de placer à l'angle des bâtiments et de mettre, par ce moyen, en communication avec une tourelle qui servait de boudoir ou de cabinet de retraite. La disposition que nous indiquons ici se retrouve fréquemment, à quelques détails près, dans les châteaux des XIIIe, XIVe et XVe siècles. En A est le lit, en B la ruelle avec sa chaire C et ses carreaux D; en E le dressoir, en F des bancs fixes, bahuts destinés à contenir la garderobe; en G la cheminée avec sa petite fenêtre H et sa tablette I; en K les portes, en L la tourelle, en M la petite table avec son banc à dossier N, en O des escabeaux mobiles, en X une armoire destinée au linge et aux objets de toilette. Les femmes recevaient souvent le matin ou le soir couchées, et alors ce n'était que les intimes et les membres de la famille qui étaient admis dans la ruelle. Le jour, on recevait les visites sur le banc à plusieurs places posé près de la cheminée; les hommes se tenaient sur les escabeaux ou carreaux; les gens que l'on faisait attendre ou les inférieurs s'asseyaient près de l'entrée sur les bancs bahuts. Les femmes de haut rang tendaient leurs chambres en noir pendant les quinze premiers jours de grand deuil et restaient couchées, les contrevents fermés. Pendant leurs couches, les chambres étaient richement décorées, mais également fermées et éclairées aux flambeaux 339. Les époux, même dans les classes élevées, n'avaient habituellement qu'une chambre; chez les bourgeois, les enfants couchaient, pendant leurs premiers ans, dans des berceaux que l'on plaçait tout à côté du lit dans la ruelle. Aussi ne trouve-t-on qu'un petit nombre de chambres dans des maisons, même vastes, souvent une seule; les familiers couchaient dans les galetas. Quand on recevait un parent ou un étranger auquel on voulait faire honneur, les maîtres, dans la bourgeoisie comme chez les paysans, abandonnaient leur chambre et allaient coucher dans la salle, c'est-à-dire dans la grande pièce qui servait à la fois de salon, de lieu de réunion et de salle à manger; ou bien, ce qui arrivait souvent, on dressait un lit dans la chambre des maîtres, et maîtres et étrangers couchaient dans la même chambre (voy. HÔTEL, MAISON).
CHANCEL, s. m. Canchel, chaingle. Enceinte, clôture; le chancel du choeur, pour la clôture du choeur d'une église; s'employait aussi comme balustrade.
CHANFREIN, s. m. Arête abattue suivant un angle de 45 degrés. Dans l'architecture du moyen âge, surtout à dater de l'époque ogivale, les arêtes à la portée de la main, au lieu d'être laissées à angle droit, sont souvent abattues. Les chanfreins sont très-fréquemment appliqués à la charpente et à la menuiserie de cette époque (voy. BIZEAU, CHARPENTE, MENUISERIE).
CHANTIER, s. m. Place vague, espace découvert sur lequel on dépose les matériaux qui doivent servir à la construction d'un édifice (voy. CONSTRUCTION). On désigne aussi par ce mot des pièces de bois que l'on pose à terre horizontalement, pour isoler et soustraire à l'humidité du sol des charpentes ou des planches, des tonneaux contenant des boissons.
CHANTIGNOLLE, s. f. Petite pièce de charpente qui sert à empêcher les pannes de glisser sur l'arbalétrier. La pièce A (1) est une chantignolle.
La chantignolle est toujours assemblée dans l'arbalétrier à tenon et mortaise et chevillée, pour éviter qu'elle ne se relève par suite de la pression que la panne exerce sur sa partie supérieure. Souvent, dans les charpentes de la période ogivale, les pièces verticales sont moisées; mais, comme alors on n'employait pas de boulons mais simplement des clefs de bois pour serrer les moises contre les pièces moisées, on posait des chantignolles A sous ces moises pour que leur poids ne fatiguât pas les clefs, ainsi que l'indique la fig. 2 (voy. CHARPENTE).
CHAPE, s. f. Crouste. Vieux mot employé pour voûte, lieu voûté. Aujourd'hui on entend par chape l'enduit que l'on pose sur l'extrados d'une voûte pour le protéger. Toutes les voûtes ogivales étaient couvertes d'une chape en mortier ou en plâtre. En cas d'incendie, cette précaution suffit pour empêcher la braise de calciner l'extrados des voûtes, surtout si la chape est en plâtre. Nous avons vu aussi des chapes de voûtes faites en ciment de brique dans les édifices du Languedoc. La chape a cet avantage encore de garantir les voûtes des filtrations d'eau pluviale, lorsque les couvertures sont en mauvais état ou lorsqu'on fait des réparations aux toitures. Sur les voûtes ogivales, les chapes sont faites avec soin; elles étaient surtout destinées à les garantir pendant le laps de temps qui s'écoulait entre leur achèvement et le montage des charpentes. À cet effet, dans les reins des voûtes, sont ménagées des cuillers en pierre avec gargouille extérieure, qui ne servaient que pendant cet intervalle de temps et aussi dans le cas de dégradations à la couverture 340 (v. GARGOUILLE, VOÛTE).
Note 340: (retour) Ces gargouilles existent encore à la Sainte-Chapelle du Palais sous les pignons des fenêtres, et à Amiens; dans ce dernier édifice, ce sont des baies assez grandes pour qu'un homme puisse y passer; ces baies correspondent aux gargouilles qui desservent les chéneaux à l'arrivée des arcs-boutants.
CHAPELLE, s. f. «Dans Plusieurs endroits on appelle les prêtres, dit Guillaume Durand 341, chapelains (capellani), car de toute antiquité les rois de France, lorsqu'ils allaient en guerre, portaient avec eux la chape (capam) du bienheureux saint Martin, que l'on gardait sous une tente qui, de cette chape, fut appelée chapelle (a capa, capella). Et les clercs à la garde desquels était confiée cette chapelle reçurent le nom de chapelains (capellani a capella); et par une conséquence nécessaire, ce nom se répandit, dans certains pays, d'eux à tous les prêtres. Il y en a même qui disent que de toute antiquité, dans les expéditions militaires, on faisait, dans le camp, de petites maisons de peaux de chèvre qu'on couvrait d'un toit, et dans lesquelles on célébrait la messe, et que de là a été tiré le nom de chapelle (a caprarum pellibus, capella).»
La première de ces deux étymologies est établie sur un fait. La petite cape que saint Martin revêtit après avoir donné sa tunique à un pauvre, était religieusement conservée dans l'oratoire de nos premiers rois, d'où cet oratoire prit le nom de capella. L'oratoire, depuis lors appelé chapelle, se trouvait compris dans l'enceinte du palais royal 342. Le nom de chapelle fut, par extension, donné aux petites églises qui ne contenaient ni fonts baptismaux ni cimetières 343; aux oratoires dans lesquels on renfermait les trésors dès églises, des monastères, des châteaux ou des villes 344, les chartes, les archives 345 des reliques considérables; puis aux succursales, des paroisses, aux édicules annexés aux grandes églises cathédrales, conventuelles ou paroissiales, et contenant un autel, et même la cuve baptismale; aux oratoires élevés dans l'enceinte des cimetières, sur un emplacement sanctifié par un miracle ou par la présence d'un saint.
Nous diviserons donc cet article 1° en chapelles (saintes); 2° chapelles ou oratoires de châteaux, d'évêchés; 3° isolées, des morts, votives; 4° annexes d'églises; 5° chapelles faisant partie des églises, et renfermées dans leur périmètre.
Note 342: (retour) «Capella, postmodum appellata ædes ipsa, in qua asservata est capa, seu capella S. Martini, intra Palatii ambitum inedificata: in quam etiam præcipua Sanctorum aliorum [Grec leiphana] illata, unde ob ejusmodi Reliquiarum reverentiam ædiculæ istæ sanctæ capellæ vulgo appellantur.» Ducange, Gloss.
CHAPELLES (SAINTES). Dès les premiers siècles du christianisme, on avait élevé un grand nombre d'oratoires sur les emplacements témoins du martyre des saints. Ces oratoires se composaient le plus souvent d'une crypte avec petite église au-dessus. «Lorsque les saincts Denis, Rustic, et Eleuthère, souffrirent le martyre, dit Dubreul 346, une bonne dame chrétienne nommée Catulle, demeuroit en un village, que l'on surnommoit de son nom: laquelle ensevelit et enterra les corps des susnommés martyrs en une petite chapelle (au-bas de la butte Montmartre), jusques en laquelle (par grand mirâcle) sainct Denys avoit apporté sa teste entre ses bras, après que l'on la luy eust tranchée, laquelle (chapelle) fut rebastie du temps de saincte Geneviefve... Cette chapelle est double, sçavoir la plus petite qui est presque dans terre, et l'autre plus grande qui est érigée au dessus d'icelle. Mais au dessoubs de tout ce bastiment il y avoit encore une chapelle ou cave sousterraine, qui toutefois a demeurée incogneüe à nos pères jusques en l'an 1611...»
Cette disposition de chapelle double en hauteur demeure traditionnelle pendant les premiers siècles du moyen âge. Nous la voyons conservée encore dans la célèbre Sainte-Chapelle du Palais bâtie par saint Louis à Paris; mais ce n'était pas avec l'intention de consacrer la chapelle inférieure au dépôt des reliques. Au contraire, à Paris, c'est dans la chapelle haute que la couronne d'épines, les morceaux de la vraie croix et les saintes reliques recueillies par Louis IX furent déposés; la chapelle basse était réservée aux familiers du palais et au public; elle servit aussi de sépulture aux chanoines. De toutes les chapelles palatines qui existaient en France, celle de Paris est aujourd'hui la plus complète et l'une des plus anciennes. Elle fut commencée en 1242 ou 1245 et terminée en 1247, sur l'emplacement de deux oratoires, l'un bâti en 1154 en l'honneur de Notre-Dame, l'autre bâti en 1160 sous le titre de Saint-Nicolas. Jérôme Morand 347 prétend que c'est pour rappeler ces deux fondations que la Sainte-Chapelle actuelle est double. Nous voyons là plutôt l'influence de traditions antérieures, comme nous l'avons dit, et surtout une nécessité commandée par la disposition même du palais. Ainsi, la chapelle haute communiquait de plein pied avec les salles du premier étage et les appartements royaux, tandis que la chapelle basse, au niveau du sol extérieur, pouvait être abandonnée au public.
De tous temps, cet édifice, dû au maître Pierre de Montereau, fut considéré avec raison comme un chef-d'oeuvre. Le roi saint Louis n'épargna rien pour en faire le plus brillant joyau de la capitale de ses domaines; et si une chose a lieu de nous étonner, c'est le peu de temps employé à sa construction. En prenant les dates les plus larges, on doit admettre que la Sainte-Chapelle fut fondée et complétement achevée dans l'espace de cinq ans; huit cent mille livres tournois auraient été employées à sa construction, à sa décoration et à l'acquisition des précieuses reliques qu'elle renfermait. Si l'on observe avec une scrupuleuse attention les caractères archéologiques de la Sainte-Chapelle, on est forcé de reconnaître l'exactitude des dates historiques. Le mode de construction et l'ornementation appartiennent à cette minime fraction du XIIIe siècle. Pendant les règnes de Philippe-Auguste et de saint Louis, les progrès de l'architecture sont si rapides, qu'une période de cinq années y introduit des modifications sensibles; or la plus grande unité règne dans l'édifice, de la base au sommet. Ce n'est plus la fermeté un peu rude des sommets de la façade de Notre-Dame de Paris (1230), et ce n'est pas encore, il s'en faut de beaucoup, la maigreur des deux extrémités des transsepts de la même église (1257).
Pierre de Montereau fut également chargé d'élever une chapelle dédiée à la Vierge, dans l'enceinte de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Cette chapelle avait été fondée, en 1245, par l'abbé Hugues; or les fragments assez nombreux qui nous restent de cette construction 348 accusent une certaine recherche, un travail déjà maigre dans l'ornementation et les moulures, qui se rapproche de l'exécution du portail Saint-Étienne de Notre-Dame de Paris et s'éloigne de celle de la Sainte-Chapelle; c'est qu'en effet la chapelle de la Vierge de Saint-Germain-des-Prés n'avait été achevée que sous l'abbé Thomas, mort en 1255. Il y avait donc cinq années de différence environ entre la construction de la Sainte-Chapelle du Palais et la chapelle de Saint-Germain-des-Prés; cette différence se fait sentir dans le style des deux édifices; donc, la sainte-Chapelle du Palais a dû être élevée en quatre ou cinq années au plus, puisqu'elle ne laisse pas voir, même dans ses parties supérieures, cette tendance à la recherche et à la maigreur. On nous pardonnera d'insister sur ce point; nous désirons constater ainsi, une fois de plus, la rapidité avec laquelle les maîtres des oeuvres construisaient leurs édifices au XIIIe siècle, lorsqu'ils n'étaient pas entravés par le manque de ressources, et détruire une opinion trop généralement accréditée, même parmi les personnes éclairées, savoir: que les édifices de cette époque n'ont pu être élevés qu'avec lenteur. Lorsqu'on parcourt la Sainte-Chapelle du Palais, on ne peut concevoir comment ce travail, surprenant par la multiplicité et la variété des détails, la pureté d'exécution, la richesse de l'ornementation et la beauté des matériaux, a pu être achevé pendant un laps de temps aussi court. De la base au faîte, elle est entièrement bâtie en pierre dure de choix, liais cliquart; chaque assise est cramponnée par des agrafes en fer, coulées en plomb; les tailles et la pose sont exécutées avec une précision rare; la sculpture en est composée et ciselée avec un soin particulier. Sur aucun point on ne peut constater ces négligences, résultat ordinaire de la précipitation; et cependant, telle qu'elle est aujourd'hui, la Sainte-Chapelle du Palais est privée d'une annexe importante qui, à elle seule, était un monument: nous voulons parler du trésor des chartes accolé à son flanc nord, bâti et terminé en même temps qu'elle.
Nous donnons (1) le plan de la chapelle basse du Palais 349. Un porche précède la porte principale; un bas-côté étroit fait le tour du vaisseau. L'architecte a dû l'établir pour ne pas être contraint ou de trop élever le sommet de la voûte, ou de poser les naissances des arcs près du sol. Il était commandé par la hauteur des sols des appartements du premier étage, qui déjà existaient, et il tenait à placer le dallage de la chapelle haute de plain-pied avec ces appartements et galeries. Deux escaliers de service communiquent du rez-de-chaussée au premier étage et au comble. La chapelle basse est éclairée par des fenêtres occupant tout l'espace compris entre les formerets et l'appui décoré d'une arcature, de sorte que ces fenêtres affectent la forme de triangles dont deux côtés sont curvilignes; elles sont admirablement composées pour la place (voy. FENÊTRE), et étaient autrefois garnies de vitraux colorés ou en grisaille.
Cette chapelle laisse voir de nombreuses traces de peintures du XIIIe siècle 350, et, dans l'arcature, des médaillons enrichis d'incrustations de verre avec dorures d'une finesse rare, de gaufrures et de petites figures d'apôtres en bas-relief sculptées dans un stuc autrefois peint. Le dallage de cette chapelle est entièrement composé de pierres tombales. Au premier étage (fig. 2), un porche précède le vaisseau, comme au rez-de-chaussée. Avant 1793, au trumeau de la porte était adossée une statue du Christ bénissant et tenant l'Évangile. Au-dessus, dans le linteau, était sculpté un Jugement dernier, le Pèsement des âmes, et, dans le tympan, le Fils de l'Homme montrant ses plaies, ayant la sainte Vierge à sa droite, saint Jean à sa gauche, tous deux agenouillés comme à la porte centrale de la cathédrale de Paris. Toutes ces sculptures ont été complétement détruites. Le porche servait de communication, du côté du nord, avec les galeries du paiais royal, et formait comme un vaste balcon couvert, de plain-pied avec l'église. Lorsqu'on entre dans la Sainte-Chapelle haute, ce qui frappe surtout, c'est l'extrême légèreté apparente de la construction. Au-dessus d'une arcature très-riche, s'ouvrent de grandes fenêtres qui occupent tout l'espace compris entre les contreforts sous les formerets des voûtes; de sorte que la construction ne paraît consister qu'en légers faisceaux de colonnes portant ces voûtes. Les vitraux qui garnissent les fenêtres, à cause de leur puissante coloration, ne laissent pas voir les contreforts extérieurs qui constituent à eux seuls la solidité de l'édifice. L'arcature régnant sous les appuise des grandes fenêtres repose sur un banc continu, et présente, dans des quatre-feuilles, des scènes de martyres (voy. ARCATURE, fig. 8). Les statues des douze apôtres, portées sur des culs-de-lampe, sont adossées aux piliers. À l'abside, un édicule avec clôture fut élevé derrière l'autel après la mort de saint Louis, pour porter la grande châsse contenant les saintes reliques (voy. AUTEL, fig. 11 et 12). L'intérieur de la Sainte-Chapelle était entièrement couvert de riches peintures et de dorures avec incrustations de verres colorés et dorés. Mais les vitraux forment certainement la partie la plus brillante de cette décoration; ils sont, comme couleur et composition, d'une grande beauté, quoique, dans l'exécution, on s'aperçoive de la précipitation avec laquelle ils durent être fabriqués.
Nous présentons (3) la coupe transversale de la Sainte-Chapelle du Palais, qui fera comprendre mieux qu'aucune description la construction simple et hardie en même temps de ce charmant édifice.
Le plan 2 indique en A l'annexe, le trésor des chartes, avec le passage B communiquant à la chapelle. Cet annexe était divisé en trois étages; celui du rez-de-chaussée servait de sacristie à la chapelle basse; celui du premier, de trésor et de sacristie à la chapelle haute; et le dernier étage, auquel on arrivait par un escalier à vis, de dépôt des chartes. Une autre porte de service, percée dans l'arcature en C, mettait la galerie du nord longeant les premières travées en communication avec la chapelle haute. Sous les deux fenêtres D D, deux renfoncements d'un mètre environ de profondeur sur la largeur de la travée étaient les places d'honneur réservées au roi et à la reine. Mais Louis XI, qui probablement trouva ces places trop en évidence, fit bâtir en E un réduit entre les contreforts, dans lequel il se retirait pour entendre les offices; une petite ouverture biaise et grillée lui permettait de voir l'autel sans être vu.
Sous Charles VII, des travaux importants vinrent modifier certaines parties de la Sainte-Chapelle. Ce prince fit refaire la rose en pierre et ses vitraux, les couronnements des deux escaliers et les crochets du grand pignon. Déjà, au XIVe siècle, on avait changé la décoration des pignons ou gâbles des fenêtres; des crochets dans le goût de cette époque et des statues d'anges étaient venus remplacer les fleurons et les crochets du XIIIe siècle. Charles VII fit également exécuter la flèche en charpente recouverte de plomb qui surmontait le comble, ainsi que les crêtes et décorations de la toiture. Nous ne savons pas si la Sainte-Chapelle de saint Louis possédait une flèche; aucune vignette antérieure au XVe siècle ne la représente, aucun texte n'en parle 351. Le fait paraît douteux, car, contrairement aux habitudes des architectes du XIIIe siècle, rien, dans la construction en maçonnerie, n'indique que cette flèche ait dû être élevée. Peut-être quelque tour du palais, dans le voisinage de la Sainte-Chapelle, tenait-elle lieu de clocher, Louis XII, étant goutteux et ne pouvant monter à la Sainte-Chapelle par les escaliers du palais qu'il n'habitait pas, fit faire le long du flanc sud un vaste degré couvert par des voûtes et un comble. Ce degré était assez doux pour que des porteurs pussent monter sa litière jusque sous le porche. Les voûtes de cet escalier furent détruites par l'incendie de 1630 352, et remplacées par un appentis en charpente.
À l'imitation du roi de France, les grands vassaux de la couronne se
firent bâtir, dans leur résidence habituelle, une sainte chapelle, et le
roi lui-même en éleva quelques autres. Celle du château de
Saint-Germain-en-Laye est même antérieure de quelques années à celle du
Palais; son achèvement ne saurait ètre postérieur à 1240. Ce
très-curieux monument, fort peu connu, engagé aujourd'hui au milieu des
constructions de François Ier et de Louis XIV, est assez complet
cependant pour que l'on puisse se rendre un compte exact, non-seulement
de ses dimensions, mais aussi de sa coupe, de ses élévations latérales
et des détails de sa construction et décoration. La sainte chapelle de
Saint-Germain-en-Laye a cela de particulier qu'elle n'appartient pas au
style ogival du domaine royal, mais qu'elle est un dérivé des écoles
champenoise et bourguignonne.
Nous en donnons (4) le plan 353. Conformément aux constructions champenoises et bourguignonnes, les voûtes portent sur des piles saillantes à l'intérieur, laissant au-dessus du soubassement une circulation. La coupe transversale (5), faite sur le milieu d'une travée, explique la disposition principale de cet édifice. Les formerets A des voûtes, au lieu de servir d'archivoltes aux fenêtres, sont isolés, laissent entre eux et les baies un espace B couvert par le chéneau. Les fenêtres sont alors prises sous la corniche et mettent à jour tout l'espace compris entre les contreforts. Si nous examinons la coupe longitudinale (6), faite sur une travée, et (6 bis), faite sur la pile intérieure en B C (voy. fig. 5), nous pourrons nous rendre un compte exact du système de construction adopté. Les fenêtres n'étant plus circonscrites par les formerets sont carrées; les tympans, étant ajourés et faisant partie des meneaux, ne laissent comme pleins visibles que les contreforts. À l'extérieur, chaque travée est conforme à la fig. 6 ter; le monument tout entier ne consiste donc qu'en un soubassement, des contreforts et une claire-voie fort belle et combinée d'une manière solide; car les contreforts (très-minces) sont étrésillonnés par ces puissants meneaux portant l'extrémité de la corniche supérieure et le chéneau. Ces meneaux ne sont réellement que de grands châssis vitrés posés entre des piles et les maintenant dans leurs plans.
Le système de la construction ogivale admis, nous devons avouer que le parti de construction adopté à la sainte chapelle de Saint-Germain nous semble supérieur à celui de la Sainte-Chapelle de Paris, en ce qu'il est plus franc et plus en rapport avec l'échelle du monument. La richesse de l'architecture de la Sainte-Chapelle de Paris, le luxe de la sculpture ne sauraient faire disparaître des défauts graves évités à Saint-Germain. Ainsi, à Paris, les contreforts, entièrement reportés à l'extérieur, gênent la vue par leur saillie; ils sont trop rapprochés; la partie supérieure des fenêtres est quelque peu lourde et encombrée de détails; les gâbles qui les surmontent sont une superfétation inutile, un de ces moyens de décoration qui ne sont pas motivés par le besoin. Si l'effet produit par les verrières entre des piles minces et peu saillantes à l'intérieur est surprenant, il ne laisse pas d'inquiéter l'oeil par une excessive légèreté apparente. À Saint-Germain, on comprend comment les voûtes sont maintenues par ces piles qui se prononcent à l'intérieur. Les meneaux ne sont qu'un accessoire, qu'un châssis vitré indépendant de la grosse construction. Ce petit passage champenois ménagé au-dessus de l'arcature inférieure, en reculant les fenêtres, donne de l'air et de l'espace au vaisseau; il rompt les lignes verticales dont, à la Sainte-Chapelle de Paris, on a peut-être abusé. Les fenêtres elles-mêmes, au lieu d'être relativement étroites comme à Paris, sont larges; leurs meneaux sont tracés de main de maître, et rappellent les beaux compartiments des meilleures fenêtres de la cathédrale de Reims. Les fenêtres de la Sainte-Chapelle de Paris ont un défaut, qui paraîtrait bien davantage si elles n'éblouissaient pas par l'éclat des vitraux, c'est que les colonnettes des meneaux sont démesurément longues et que les entrelacs supérieurs ne commencent qu'à partir de la naissance des ogives (voy. FENÊTRE). Cela donne à ces fenêtres une apparence grêle et pauvre que l'architecte a voulu dissimuler à l'extérieur, où les vitraux ne produisent aucune illusion, par ces détails d'archivoltes et ces gâbles dont nous parlions tout à l'heure. À la chapelle de Saint-Germain, aucun détail superflu: c'est la construction seule qui fait toute la décoration; et sans vouloir faire tort à Pierre de Montereau, on peut dire que si l'architecte (champenois probablement) de la chapelle de Saint-Germain eût eu à sa disposition les trésors employés à la construction de celle de Paris, il eût fait un monument supérieur, comme composition, à celui que nous admirons dans la Cité. Il a su (chose rare) conformer son architecture à l'échelle de son monument, et, disposant de ressources modiques, lui donner toute l'ampleur d'un grand édifice. À la Sainte-Chapelle de Paris, on trouve des tâtonnements, des recherches qui occupent l'esprit plutôt qu'elles ne charment. À Saint-Germain, tout est clair, se comprend au premier coup d'oeil. Le maître de cette oeuvre était sûr de son art; c'était en même temps un homme de goût et un savant de premier ordre 354. L'intérieur de ce monument était peint et les fenêtres garnies probablement de vitraux. Inutile de dire que leur effet devait être prodigieux à cause des larges surfaces qu'ils occupaient. Rien n'indique qu'une flèche surmontât cette chapelle. On ne voit point non plus que des places spéciales aient été réservées dans la nef, comme à la Sainte-Chapelle du Palais, pour des personnages considérables. Il faut dire que la chapelle de Saint-Germain-en-Laye n'était que le vaste oratoire d'un château de médiocre importance. Tous les détails de ce charmant édifice sont traités avec grand soin; la sculpture en est belle et entièrement due à l'école champenoise, ainsi que les profils.
De riches abbayes voulurent aussi rivaliser avec le souverain en élevant de grands oratoires indépendants de leur église. Nous avons dit que les abbés de Saint-Germain-des-Prés chargèrent l'architecte Pierre de Montereau de leur bâtir la chapelle de la sainte Vierge près de leur réfectoire (voy. Architecture monastique, fig. 15). Les abbés étaient seigneurs féodaux, et, comme tels, voulaient imiter ce que faisait le suzerain dans ses domaines; beaucoup d'abbayes virent donc, vers le milieu du XIIIe siècle, élever, dans leur enceinte, de grandes chapelles isolées, dont la construction n'était pas toujours justifiée par un besoin urgent. Le prieuré de Saint-Martin-des-Champs à Paris bâtit aussi, vers cette époque, deux grandes chapelles, l'une dédiée à Notre-Dame, l'autre à saint Michel.
Voici (7) le plan de la chapelle de la Vierge de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés 355, qui se distingue surtout de celui de la Sainte-Chapelle du Palais par la disposition de ses voûtes, dont les arcs ogives, s'il faut en croire un dessin de M. Alexandre Lenoir relevé avant la destruction de ce beau monument, comprenaient deux travées, et dont l'abside était plantée d'une façon peu conforme aux habitudes des constructeurs du milieu du XIIIe siècle. Mais Pierre de Montereau avait certainement, dans la construction de la chapelle de la Vierge, été forcé de se renfermer dans une dépense assez peu élevée, relativement à la dimension donnée à l'édifice. Ce genre de voûtes est moins dispendieux que celui adopté pour la Sainte-Chapelle du Palais, et les fragments des couronnements qui existent encore accusent une exécution peu dispendieuse. L'abbaye Saint-Germain-des-Prés n'avait pas, telle riche qu'elle fût, les ressources du roi de France. À ce point de vue, la comparaison de ces deux édifices, élevés presque en même temps par le même architecte, est intéressante.
Mais saint Louis ne fut pas le seul roi de France qui éleva des saintes chapelles. Le vaste château de Vincennes, commencé par le roi Jean, était achevé, au point de vue militaire, sous Charles V. Son fils commença, sur de grandes proportions, la construction d'une sainte chapelle, au milieu de son enceinte. Charles VI éleva le bâtiment vers l'abside jusqu'aux corniches supérieures, dans la nef jusqu'aux naissances des archivoltes des fenêtres, et sur la façade jusqu'au-dessous de la rose. Les malheurs de la fin de ce règne ne permirent pas de continuer l'édifice, qui resta en souffrance pendant un siècle. François Ier reprit les constructions vers 1525, elles ne furent achevées que sous Henri II. Les deux sacraires et le trésor à deux étages annexés à la chapelle étaient terminés à la fin du XIVe siècle ou au commencement du XVe. Deux époques bien distinctes ont donc concouru à l'édification de la sainte chapelle de Vincennes, et cependant, au premier abord, ce monument présente une grande unité. Les architectes de la renaissance chargés de l'achever ont, autant qu'il était possible à cette époque, cherché à conserver l'ordonnance de l'ensemble, le caractère des détails. Il faut examiner la sculpture, reconnaître les dégradations causées aux parties supérieures des constructions laissées inachevées pendant un siècle, par les pluies et la gelée, pour trouver les points de soudure des deux époques.
La fig. 8 donne le plan de la sainte chapelle de Vincennes 356, avec ses annexes. Ce sont d'abord deux oratoires à double étage ayant vue sur le sanctuaire par deux petites ouvertures biaises. À la suite, à droite, un escalier conduisant à l'étage supérieur de l'oratoire, aux terrasses et aux combles. À gauche, la sacristie avec son trésor, également à deux étages, le trésor ayant, comme à la Sainte-Chapelle du Palais, la forme, en plan et en élévation, d'une petite chapelle. Un escalier particulier conduit au premier étage du trésor et au comble.
Il est vraisemblable que l'oratoire construit par Louis XI entre deux des contreforts de la Sainte-Chapelle de Paris, pendant la seconde moitié du XVe siècle, est une imitation de ceux de la sainte chapelle, de Vincennes, cette disposition ayant paru plus commode que celle adoptée par saint Louis, et ne consistant qu'en deux renfoncements dans l'épaisseur de la muraille (voy. fig. 2, en D). Le roi, la reine se trouvaient ainsi séparés des assistants, et voyaient le prêtre à l'autel sans être vus.
À Vincennes, une tribune large est portée par une voûte au-dessus de l'entrée; elle occupe toute la première travée. À Paris, cette tribune n'est qu'une simple galerie d'un mètre de largeur tout au plus. Les statues des apôtres et de quatre anges, derrière l'autel, étaient, à Vincennes comme à Paris, adossées aux piliers, à la hauteur de l'appui des fenêtres, supportées par des culs-de-lampe et surmontées de dais 357. Les murs d'appui sous les meneaux n'étaient point décorés d'arcatures à Vincennes, mais probablement garnis autrefois de bancs en bois avec des tapisseries. Les fenêtres de l'abside ont seules conservé leurs vitraux, qui sont peints, au XVIe siècle, par Jean Cousin et représentent le Jugement dernier. Parmi les vitraux de la renaissance, ceux-ci peuvent prendre le premier rang; ils sont bien composés et d'une belle exécution. Le comble de la sainte chapelle de Vincennes, construit en bois de chêne, est combiné avec une grande perfection; il ne fut jamais surmonté que d'une flèche fort petite et simple, qui n'existe plus.
Voici (9) la coupe transversale de la sainte chapelle de Vincennes; si elle couvre une superficie plus grande que celle de Paris, elle est loin de présenter en coupe une proportion aussi heureuse. Sous clef, la Sainte-Chapelle du Palais a un peu plus de deux fois sa largeur, tandis que celle de Vincennes n'a, du sommet de la voûte au pavé, que les neuf cinquièmes de sa largeur. À ce sujet, qu'il nous soit permis de faire remarquer combien on se laisse entraîner à propager les erreurs les plus faciles à constater cependant, lorsqu'on parle des édifices de l'époque ogivale. On veut toujours que ces édifices affectent des proportions élancées, et qu'ils aient des hauteurs exagérées relativement à leur base; d'une part, on loue les architectes de ces temps d'avoir ainsi accumulé des matériaux sur une base étroite; d'autre part, on les blâme. Or ces monuments ne méritent ni cette louange ni ce blâme; les rapports de leur hauteur avec leur largeur sont ceux que, de tous temps, on a donnés aux édifices voûtés: une fois et demie, deux fois la largeur. S'ils adoptent des proportions plus sveltes, c'est pour prendre des jours au-dessus des collatéraux, lorsqu'ils en possèdent. Ce dont il faut louer ou blâmer les architectes du moyen âge, suivant les goûts de chacun, c'est d'avoir eu le mérite ou le tort de faire paraître les intérieurs de leurs édifices beaucoup plus élevés qu'ils ne le sont réellement.
Note 354: (retour) La chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye est aujourd'hui fort dénaturée; les contreforts ont été revêtus, au XVIIe siècle, de placages dans le goût du temps; le sol intérieur a été relevé de plus d'un mètre. L'arcature a été détruite, ainsi que la balustrade extérieure. Cependant nos dessins (sauf la décoration des contreforts, sur laquelle nous n'avons aucune donnée) présentent rigoureusement l'ensemble et les détails de cette belle construction. Des fouilles faites avec intelligence par l'architecte M. Millet, ont mis à nu les bases intérieures. Des fragments de l'arcature et de la balustrade ont été retrouvés; les piles ont été dégagées. Quant aux autres parties de l'édifice, elles sont conservées, et la construction n'a subi aucune altération. On ne saurait trop étudier cette chapelle, qui nous paraît être un des exemples les plus caractérisés de cet art du XIIIe siècle, au moment de sa splendeur. Si l'on avait quelques doutes sur la date, il surfirait de comparer ses profils et sa sculpture avec les profils et la sculpture des monuments champenois du XIIIe siècle, pour être assuré que la chapelle du château de Saint-Germain est contemporaine des chapelles absidales de la cathédrale de Reims, des parties inférieures du choeur de la cathédrale de Troyes, de la chapelle de l'archevêché de Reims, constructions qui sont antérieures à 1240. La corniche supérieure et la balustrade dont on a retrouvé des fragments peuvent même remonter à 1230.
CHAPELLES DE CHATEAUX, D'ÉVÊCHÉS. Chaque seigneur féodal voulait posséder, dans l'enceinte de son château, une chapelle, desservie par un chapelain ou même par un chapitre tout entier. Ces chapelles ne furent donc pas seulement de simples oratoires englobés dans l'ensemble des constructions, mais de petits monuments presque toujours isolés, ayant leurs dépendances particulières, ou se reliant aux bâtiments d'habitation par une galerie, un porche, un passage. Très-fréquemment, ces chapelles sont à double étage, afin de placer l'oratoire du maître au niveau des appartements qui se trouvaient toujours au-dessus du rez-de-chaussée, de séparer le seigneur et sa famille des domestiques et gens à gages qui habitaient l'enceinte du château, et aussi par suite de cette tradition dont nous avons parlé au commencement de cet article. Il va sans dire que les évêques, dans l'enceinte du palais épiscopal, avaient leur chapelle. L'évêque Maurice de Sully en avait élevé une à Paris, à deux étages, du côté de la rivière, et qui existait encore avant le sac de l'archevêché en 1831.
L'archevêché de Reims possède la sienne, qui est fort belle, à deux étages, et dont la construction remonte à 1230 environ. Son rez-de-chaussée, dont nous donnons le plan (10), est construit avec une grande simplicité, tandis que le premier étage est richement décoré à l'iniérieur par de fines sculptures. La fig. 11 présente le plan de ce premier étage.
Suivant le mode de construction adopté en Champagne, les piles forment saillie à l'intérieur, de façon à diminuer à l'extérieur la saillie des contre-forts; ces piles, isolées de la muraille jusqu'à quatre mètres du sol, donnent un étroit bas-côté autour de la chapelle et produisent un charmant effet. Les murs sont décorés par une arcature posée sur un banc continu, et les fenêtres ouvertes au-dessus de cette arcature sont sans meneaux.
Voici (12) la coupe de ce petit édifice, d'une bonne exécution, et qui, malgré les plus regrettables mutilations, passe avec raison pour un chef-d'oeuvre; on y trouve, en effet, toutes les qualités à la fois gracieuses et solides de la bonne architecture champenoise, et, à côté de Notre-Dame de Reims, la chapelle de l'archevêché paraît encore une des meilleures conceptions du XIIIe siècle.
Pendant l'époque romane, les chapelles de châteaux ou d'évêchés sont géneralement d'une grande simplicité, comprenant une nef courte avec une abside; quelquefois de petits bras de croix formant deux réduits pour le châtelain et sa famille, des bas-côtés étroits accompagnent la nef, et deux absidioles flanquent l'abside centrale. Telle était la chapelle du château de Montargis (voy. CHATEAU).
Certains châteaux d'une grande importance possédaient deux chapelles; l'une située dans la basse-cour pour les gens de service et la garnison, l'autre au milieu des bâtiments d'habitation intérieurs pour le seigneur du lieu. Cette disposition existait à Coucy, ainsi que le fait voir le plan de Ducerceau 358. La chapelle de la basse-cour paraît être de l'époque romane; celle du château, dont le rez-de-chaussée est encore visible, datait du commencement du XIIIe siècle; elle communiquait directement, au premier étage, avec la grande salle; c'était un admirable édifice, à en juger par les nombreux fragments qui jonchent le sol autour des piles ruinées du rez-de-chaussée, quoique d'une simplicité de plan peu ordinaire (voy. CHATEAU).
À dater du milieu du XIIIe siècle, la construction de la Sainte-Chnpelle du Palais eùt une influence sur les chapelles seigneuriales, et son plan servit de type. À l'exemple du saint roi, les fondateurs de chapelles seigneuriales les décoraient de la façon la plus somptueuse, et augmentaient leurs trésors de vases et d'ornements précieux. L'hôtel Saint-Pol, à Paris, qui devint une des résidences les plus habituelles des rois pendant les XIVe et XVe siècles, possédait une chapelle «dans laquelle Charles V avoit fait placer des figures de pierre représentant les apôtres, dit Sauval; Charles VI les fit peindre richement par François d'Orliens, le plus célèbre peintre de ce temps-là; leurs robes et leurs manteaux étoient rehaussés d'or, d'azur et de vermillon glacé de fin sinople; leurs têtes, accompagnées d'un diadème (nimbe) rond de bois, que l'on avait oublié, qui portoit un pied de circonférence, brilloient encore d'or, de vert, de rouge et de blanc, le plus fin qui se trouvât... Au Louvre, Charles V entoura encore la principale chapelle de treize grands prophètes, qui tenoient chacun un rouleau dans un petit clocher de menuiserie terminé d'une tourelle, où il fit mettre une petite cloche: les vitres furent peintes d'images de saints et de saintes couronnées d'un dais, et assises dans un tabernacle.»
Les oratoires tenant aux chapelles royales, comme ceux encore existant à Vincennes, contenaient eux-mêmes des reliques, et étaient munis d'une cheminée, de tapis et de prie-Dieu.
La chapelle de l'hôtel de Bourbon était une des plus riches parmi celles des résidences princières à Paris. «Louis II (duc de Bourbon), dit encore Sauval, comme prince dévot et libéral, prit un soin tout particulier du bâtiment de la chapelle, aussi bien que de ses ornemens: sa voûte rehaussée d'or, les enrichissements dont elle est couverte, ses croisées qui l'environnent coupées si délicatement, ses vitres chargées de couleurs si vives, dont elle est éclairée; enfin les fleurs de lis de pierre qui terminent chacune de ses croisées, et si bien pensées pour la chapelle d'un prince du sang, témoignent assés qu'il ne plaignoit pas la dépense... Il fit faire à côté gauche de l'autel un oratoire de menuiserie à claire-voie où il arbora quatre grands écussons; dans le premier étoient gravées les armes de Charles VI à cause que cette chapelle fut achevée sous son règne; celles de Charles, dauphin, remplissoient le second; dans le troisième étoient les siennes; et dans le dernier celles d'Anne, dauphine d'Auvergne, sa femme. C'est dans cet oratoire que le roi se retire ordinairement pour entendre la messe.»
Ce n'est pas seulement à Paris qu'on déployait ce luxe de peinture et de sculpture dans les chapelles particulières. Le château de Marcouci, dit l'abbé Lebeuf, «possédait deux chapelles l'une sur l'autre, peintes toutes deux; celle du rez-de-chaussée étoit dédiée à la sainte Trinité, l'autre étoit au niveau du premier étage... À la voûte sont peints les apôtres, chacun avec un article du symbole, et des anges qui tiennent chacun une antienne de la Trinité notée en plein-chant. Sur les murs sont les armes de Jean de Montaigu et celles de Jacqueline de la Grange, sa femme; il y a aussi des aigles éployées et des feuilles de courge...»
On peut encore voir aujourd'hui la charmante chapelle de l'hotel de Jacques Coeur, à Bourges, dont les voûtes sont peintes d'azur avec des anges vêtus de blanc portant des phylactères, comme ceux du château de Marcouci. Mais nous ne multiplierons pas les citations; il suffit de celles-ci pour donner une idée de la recherche que l'on apportait dans la décoration des chapelles privées pendant le moyen-âge.
Vers la fin du XVe et le commencement du XVIe seulement, on s'écarta parfois du plan type de la Sainte-Chapelle de Paris, pour adopter les plans à crois grecque 359, les rotondes avec croisillons 360, les salles carrées 361 avec tribune pour le seigneur du lieu.
CHAPELLES ISOLÉES, DES MORTS, VOTIVES. Beaucoup de nos grandes églises conventuelles ne furent d'abord que des oratoires, successivement agrandis par la munificence des rois ou de puissants seigneurs. Le sol des Gaules, pendant les premiers temps mérovingiens, étaient couverts d'oratoires bâtis souvent à la hâte, pour perpétuer le souvenir d'un miracle et la présence d'un saint. Ces édicules furent le centre autour duquel vinrent se fonder les premiers établissements monastiques. Plus tard, des évêques, des abbés ou des seigneurs fondèrent des chapelles autour de ces abbayes, dans le voisinage des églises, soit pour remplir un voeu, soit pour y trouver un lieu de sépulture pour eux et leurs successeurs. Saint Germain fit bâtir, près le portail de l'église Saint-Vincent (Saint-Germain-des-Prés), une chapelle en l'honneur de Saint Symphorien, et voulut y être enterré 362. En 754, sous le règne de Pépin, les restes de ce saint évêque furent transférés de cette chapelle dans la grande église.
Le cardinal Pierre Bertrand fonda plusieurs chapelles, et, entre autres, une, vers 1300, au couvent des Cordeliers, à Annonay, où fut enterrée sa mère 363. Philippe de Maisières, conseiller du roi Charles V, se retire aux Célestins en 1380, sans toutefois prendre l'habit; il y mourut en 1405, dans «la même infirmerie qu'il avoit fait bastir à ses propres cousts et déspens, avec une belle chapelle et un petit cloître pour recréer les malades 364.» Les maisons d'asile, les maladreries, les collèges et hôtels-Dieu possédaient des chapelles plus ou moins vastes, mais toutes fort riches des dons des fidèles et, par conséquent, décorées avec luxe et remplies d'ornements précieux. Des oratoires plus modestes, et qui n'étaient souvent qu'une petite salle couverte d'un comble en charpente ou d'une voûte en moellons surmontée d'un campanile ou seulement d'un pignon percé d'une baie pour recevoir une cloche, s'élevaient près d'un ermitage ou dans les passages difficiles des montagnes, sur quelque sommet escarpé. Ces monuments isolés consacrés par quelque tradition religieuse, ou élevés par suite d'un voeu, étaient et sont encore, dans certaines provinces de France, en grande vénération; on s'y rendait, processionnellement, un jour de l'année, pour y entendre la messe; l'assistance se tenait dans la campagne, autour du monument, et la porte ouverte laissait voir le prêtre à l'autel. Ces chapelles sont souvent bâties sur des plans assez étranges, imposés soit par les dispositions du terrain, comme la chapelle de Saint-Michel du Puy-en-Velay, par exemple, soit par un souvenir, une tradition, la présence d'un tombeau, les traces de quelque miracle, peut-être même les restes d'un réticule antique. Il serait donc difficile de classer ces monuments qui, la plupart d'ailleurs, n'ont aucun caractère architectonique.
Nous devons cependant faire connaître à nos lecteurs quelques-unes de ces étrangetés monumentales, et nous choisirons, parmi elles, les exemples présentant des formes qui permettent de leur donner une date à peu près certaine, ou qui sortent des données ordinaires.
La chapelle de Planès, dans le Roussillon, située à six kilomètres de Mont-Louis, peut passer pour un de ces caprices de construction que l'on rencontre en recueillant ces monuments élevés au milieu des déserts. Elle se compose d'une coupole portée sur une base triangulaire et sur trois grandes niches ou culs-de-four. Construite grossièrement en moellons, il serait assez difficile de lui assigner une date précise. Cependant le système de la bâtisse et la forme du plan ne nous permettent pas de la regarder comme antérieure au XIIIe siècle.
Voici le plan (13) de cet édicule. La porte est percée en A près de l'un des angles du triangle équilatéral. La fig. 14 présente sa vue extérieure, et la fig. 15 sa coupe sur la ligne B C. À moins de supposer que la chapelle de Planès ait été élevée en l'honneur de la sainte Trinité, nous ne saurions expliquer la disposition trilobée du plan. Quoi qu'il en soit, nous ne donnons cet exemple que comme une de ces exceptions dont nous avons parlé.
Il existe, dans l'enceinte de l'abbaye de Montmajour près Arles, une chapelle élevée sous le titre de la Sainte-Croix, et qui mérite toute l'attention des architectes et archéologues. C'est un édifice composé de quatre culs-de-four égaux en diamètre, dont les arcs portent une coupole à base carrée; un porche précède l'une des niches qui sert d'entrée.
En voici (16) le plan. L'intérieur n'est éclairé que par trois petites fenêtres percées d'un seul côté. La porte A donne entrée dans un petit cimetière clos de murs. La chapelle de Sainte-Croix de Montmajour est bien bâtie en pierres de taille, et son ornementation, très-sobre, exécutée avec une extrême délicatesse, rappelle la sculpture des églises grecques des environs d'Athènes. Sur le sommet de la coupole s'élève un campanile.
La fig. 17 présente l'élévation extérieure de cette chapelle, et la fig. 18 sa coupe sur la ligne B C. L'intérieur est complétement dépourvu de sculpture, et devait probablement être décoré par des peintures. Nous voyons, dans cet édifice, une de ces chapelles des morts que l'on élevait, pendant le moyen âge, au milieu ou proche des cimetières, non point une église pouvant être utilisée pour le service journalier d'une communauté, même provisoirement, ainsi que le suppose M. Vitet 365. Sa forme ni ses dimensions n'eussent pu permettre de réunir, dans son enceinte, les moines d'une abbaye comme celle de Montmajour, et de disposer les religieux d'une façon convenable près de l'autel. Pourquoi, d'ailleurs, adopter un plan en forme de croix grecque pour une église destinée aux religieux d'une abbaye qui doivent être placés dans un choeur suivant un ordre hiérarchique et sur deux lignes parallèles? Pourquoi cette absence presque totale de fenêtres? Pourquoi cette porte latérale donnant sur un petit terrain clos de murs et complétement rempli de tombes creusées dans le roc, si l'on ne veut voir dans l'église Sainte-Croix de Montmajour la chapelle funéraire de l'abbaye? Si, au contraire, nous admettons cette hypothèse, sa forme, ses dispositions et sa dimension sont parfaitement expliquées. Les moines apportent le mort, processionnellement; on le dépose sous le porche; les frères restent en dehors. La messe dite, on bénit le corps et on le transporte à travers la chapelle, en le faisant passer par la porte latérale A pour le déposer dans la fosse. On traverse la chapelle pour entrer dans le cimetière, qui cependant avait une porte extérieure. Les seules fenêtres qui éclairent cette chapelle s'ouvrent toutes trois sur l'enclos servant de champ de repos. La nuit, une lampe brûlait au centre du monument, et, conformément à l'usage admis dans les premiers siècles du moyen âge, ces trois fenêtres projetaient la lueur de la lampe dans le charnier. Pendant l'office des morts, un frère sonnait la cloche suspendue dans le clocher au moyen d'une corde passant par un oeil, réservé, à cet effet, au centre de la coupole.
La chapelle Sainte-Croix de Montmajour fut bâtie en 1019 366. Ce n'était pas seulement dans le voisinage des cimetières particuliers, des établissements religieux que l'on élevait des chapelles des morts. Tous les charniers placés au milieu des villes ou près des églises possédaient un oratoire; quelquefois même cet oratoire n'était qu'une sorte de dais ou de pyramide en pierre portée sur des colonnes, laissant des ajours entre elles, de manière à permettre à l'assistance de voir le prêtre qui, le jour des Morts, disait la messe et donnait ainsi la bénédiction en plein air.
Il existe encore une très-jolie chapelle de ce genre à Avioth (Meuse), qui date du XVe siècle. Nous en donnons le plan (19), la coupe (20) et la vue perspective (21) 367. Cette chapelle est placée près de la porte d'entrée du cimetière; elle s'élève sur une plate-forme élevée d'un mètre environ au-dessus du sol; l'autel est enclavé dans la niche A, fig. 19 et 20; à côté est une petite piscine. Au milieu de la chapelle est placé un tronc en pierre B, d'une grande dimension, pour recevoir les dons que les assistants s'empressaient d'apporter pour le repos des âmes du purgatoire. La messe dite, le prêtre sortait de la chapelle, s'avançait sur la plate-forme pour exhorter les fidèles à prier pour les morts, et donnait la bénédiction. On remarquera que cette chapelle est adroitement construite pour laisser voir l'officiant à la foule et pour l'abriter autant que possible du vent et de la pluie. Au-dessus des colonnes courtes, qui, avec leur base et chapiteau n'ont plus de deux mètres de haut, est posée une claire-voie; sorte de balustrade qui porte des fenêtres vitrées. Il est à croire que du sommet de la voûte pendait un fanal allumé la nuit, suivant l'usage; la partie supérieure de la chapelle devenait ainsi une grande lanterne (voy. LANTERNE des morts).
On trouve encore, dans quelques cimetières de Bretagne, de ces chapelles ou abris pour dire la messe le jour des Morts.
Le petit monument, composé d'un mur d'appui avec un comble en pavillon élevé sur quatre colonnes, que l'on voyait encore, à la fin du siècle dernier, dans l'enceinte du charnier des Innocents à Paris, et qui se trouve reproduit dans la Statistique monumentale de M. Alb. Lenoir, sous le nom de Préchoir, n'est autre chose qu'une de ces chapelles des morts destinées à abriter le prêtre, le jour de la fête des Morts, pendant la messe et la bénédiction 368.
CHAPELLES ANNEXES des grandes églises. Jusqu'au XIIIe siècle, les églises les plus importantes ne possédaient qu'un petit nombre de chapelles; les cathédrales elles-mêmes en étaient souvent dépourvues (voy. CATHÉDRALE, ÉGLISE).
Lorsqu'au XIIIe siècle il se fut établi des modificatious importantes dans les habitudes du clergé, que l'on sentit la nécessité de multiplier les offices pour se conformer aux désirs des fidèles, qui ne pouvaient tous, à une même heure, assister au service divin, ou pour satisfaire les corps privilégiés qui voulaient avoir leur chapelle, leur église particulière, on bâtit des chapelles plus ou moins vastes sur les flancs ou à l'abside des grandes églises, dans leur voisinage, et en communication avec elles. Les églises conventuelles avaient un choeur fermé par des stalles et des jubés; l'assistance ne pouvait que difficilement voir les offices. Les monastères bâtirent donc des chapelles où les religieux ordinés pouvaient dire les offices pour les fidèles en dehors du choeur clôturé. Quelquefois aussi, des chapelles anciennes, en grande vénération, furent laissées près des églises nouvelles. C'est ainsi que les religieux de Saint-Bénigne de Dijon conservèrent la curieuse rotonde qui renfermait les reliques de ce saint en reconstruisant leur nouveau choeur (voy. SÉPULCRE (saint)), et qu'une chapelle à deux étages, qui date du Xe siècle, fut laissée debout, à la fin du XIIe siècle, par les religieux qui rebâtirent l'église de Neuwiller (Bas Rhin).
Cette chapelle, dont nous donnons le plan (22), était placée sous le vocable du fondateur, saint Adelphe, et présente une disposition des plus curieuses. C'est une petite basilique, à deux étages, dont le rez-de-chaussée est voûté et le premier étage couvert par une charpente apparente. Ce premier étage est presque de plain-pied avec le sanctuaire de la grande église, tandis que le rez-de-chaussée est, relativement au sol du choeur de l'église, une véritable crypte.
Nous en présentons (23) la coupe transversale 369.
Vers la fin du XIIIe siècle, on éleva, derrière l'abside de la grande église abbatiale de Saint-Germer (près Gournay), une grande chapelle copiée sur la Sainte-Chapelle haute de Paris, et communiquant avec le sanctuaire de l'église au moyen d'une charmante galerie. Ce monument, exécuté avec un grand soin, était décoré de vitraux en grisailles et de peintures; son autel portait le beau retable en pierre peinte qui est aujourd'hui déposé dans le musée de Cluny à Paris, et qui est un des chefs-d'oeuvre de la statuaire de cette époque 370.
La cathédrale de Mantes, bâtie à la fin du XIIe siècle, ne posséda aucune chapelle jusqu'au XIVe; à cette époque, on éleva contre le bas-côté sud du choeur une belle chapelle, composée de quatre voûtes retombant sur une pile centrale, mise en communication avec ce bas-côté par l'ouverture de deux arceaux percés entre les anciennes piles.
Nous donnons (24) une vue extérieure de cette chapelle, l'un des meilleurs exemples de l'architecture du commencement du XIVe siècle qu'il y ait dans l'Île de France, et (25) une vue intérieure prise de l'ancien bas-côté du XIIe siècle. Cette adjonction fut faite avec adresse; en conservant les voûtes du bas-côté, dont les arcs A B sont anciens, l'architecte du XIVe siècle remplaça la pile C en sous-oeuvre, accola les deux piles d'entrée D D aux piles E du collatéral du XIIe siècle, conserva les anciens contreforts F; et, supprimant celui qui existait derrière la pile C, y substitua un arc aigu venant reporter le poids des constructions supérieures sur la pile G. Une charmante arcature décore l'appui des quatre grandes fenêtres dont les meneaux offrent un dessin d'une pureté remarquable.
Les XIVe, XVe et XVIe siècles bâtirent à proximité, ou attenant aux grandes églises, une quantité innombrable de chapelles; parmi les plus belles, on doit citer la chapelle de la Vierge bâtie à l'abside de la cathédrale de Rouen (XIVe siècle), les grandes chapelles élevées sur le flanc sud de la cathédrale de Lyon et nord des cathédrales de Châlons et de Langres (XVIe siècle).
CHAPELLES (comprises dans le plan général des églises). À quelle époque précise des chapelles vinrent-elles entourer le sanctuaire des églises? Il serait difficile, nous le croyons, de répondre d'une façon catégorique à cette question dans l'état actuel des connaissances archéologiques; nous n'essayerons même pas de la discuter; nous nous bornerons à constater quelques faits. Mais, avant tout, nous devons dire que nous ne donnons le nom de chapelles qu'aux absidioles plus ou moins profondes et larges, circulaires, carrées ou à pans, qui s'ouvrent sur les bas-côtés d'une église; nous rangeons les chapelles posées à l'extrémité des bas-côtés, comme dans la fig. 22 de cet article, ou celles qui s'ouvrent des deux côtés du sanctuaire sur les transsepts, au nombre des absides secondaires. Or nous voyons des chapelles absidales donnant sur le bas-côté qui pourtourne le sanctuaire, dans des églises dont la construction remonte au IXe ou Xe siècle, comme, par exemple, l'église de Vignory. Dans le centre de la France, nous trouvons des chapelles absidales dès le Xe siècle 371. L'église de Saint-Savin (Poitou) nous donne cinq chapelles s'ouvrant dans le bas-côté du sanctuaire (XIe siècle). L'église Saint-Étienne de Nevers (XIe siècle) en présente trois; celle de Notre-Dame-du-Port de Clermont (XIe siècle), quatre. Dans d'autres provinces, les chapelles absidales apparaissent beaucoup plus tard. En Normandie, par exemple, les sanctuaires demeurent longtemps, jusqu'à la fin du XIIe siècle, sans bas-côtés et, par conséquent, sans chapelles absidales. En Bourgogne, nous ne les voyons adoptées qu'au XIIe siècle. Les abbayes commencent, dans les provinces du Nord et de l'Est, à élever des chapelles absidales dès le XIe siècle 372. Au XIIe siècle, elles se développent en nombre et en étendue 373.
La cathédrale française, qui naît à la fin du XIIe siècle, semble protester contre ce besoin de multiplier les autels. Érigée sous une pensée dominante, l'unité, elle n'admet les chapelles qu'assez tard (voy. CATHÉDRALE). Si nous les voyons poindre, au XIIe siècle, dans les deux cathédrales de Noyon et de Senlis, c'est que ces deux monuments s'élèvent sous l'influence évidente de l'église abbatiale de Saint-Denis, et encore, à la cathédrale de Senlis, par exemple, dont la construction n'est pas aussi directement soumise à celle de l'abbaye que la construction de la cathédrale de Noyon, ces chapelles absidales osent à peine se développer; elles ne forment en plan, à l'extérieur, qu'un arc de cercle très-ouvert; elles peuvent difficilement contenir un petit autel, et ne présentent qu'une faible excroissance en dehors du périmètre du bas-côté. Bientôt, cependant, il y a réaction contre le principe qui avait fait exclure les chapelles des cathédrales; on augmente en nombre et en étendue d'abord celles de l'abside, puis on en construit après coup le long des bas-côtés des nefs. Cet exemple est suivi dans les églises paroissiales. Nous ne nous occuperons pas des chapelles élevées entre les contreforts des bas-côtés des nefs, car elles ne consistent réellement qu'en une voûte et une fenêtre; mais nous essayerons de présenter une série de chapelles absidales en prenant les types principaux classés par ordre chronologique, ou suivant leur ordonnance.
Les chapelles absidales romanes ne consistent à l'intérieur qu'en une demi-tour ronde voûtée en cul-de-four, percée d'une, de deux ou trois fenêtres cintrées, simples, ou ornées de colonnettes des deux côtés de l'ébrasement. Ces chapelles, destinées à être peintes, ne sont pas décorées de sculptures. Quelquefois le soubassement reçoit une arcature 374. À l'extérieur, au contraire, elles sont enrichies de moulures, de délicates sculptures et quelquefois d'incrustations de pierres de diverses couleurs. Telles sont les chapelles absidales de l'église de Notre-Dame-du-Port à Clermont, dont nous donnons (26) une vue intérieure, et (27) une vue extérieure. Ces chapelles sont à double étage, c'est-à-dire qu'elles règnent dans la crypte comme au rez-de-chaussée; cela leur donne à l'extérieur une proportion très-allongée, les voûtes de la crypte étant au-dessus du niveau du sol extérieur afin d'obtenir des jours par de petites baies percées dans le soubassement. Les deux figures 26 et 27 font voir que l'ordonnance des chapelles est indépendante de celle du bas-côté. Les corniches ne sont pas posées au même niveau. Cependant, à Notre-Dame-du-Port, la différence du niveau entre la corniche du bas-côté et celle des chapelles n'est pas telle, que la couverture en dalle de ces chapelles ne dépasse l'arase de la corniche du bas-côté. Pour éviter le mauvais effet des pénétrations des couvertures des chapelles sur les dallages du collatéral, on a élevé les petits pignons A (fig. 27) qui arrêtent le dallage des chapelles et masquent une couverture à deux égouts pénétrant le dallage continu du bas-côté. Cela est adroitement combiné, quoique un peu recherché; mais les dispositions les plus simples ne sont pas celles qu'on adopte tout d'abord. Les formes primitives des chapelles absidales romanes des provinces du centre et de l'Aquitaine varient peu; et si nous avons choisi cet exemple, c'est qu'il est un des plus anciens et des plus beaux. Les chapelles absidales de Notre-Dame-du-Port sont encore empreintes d'un certain parfum de bonne antiquité qui leur donne à nos yeux un caractère particulier. Ce n'est plus l'architecture antique, mais ce n'est pas l'architecture romane du Nord et de l'Est. D'où venait cet art, comment était-il né dans ces provinces centrales de la France? Comment se fait-il que, dès le XIe siècle, il se distingue entre tous les styles d'architecture des autres provinces par son extrême finesse; par son exécution délicate, la pureté de ses profils et l'harmonie parfaite de ses proportions? La façon dont est disposée la décoration de l'extérieur de ces chapelles dénote un art arrivé à un haut degré. La sculpture n'est pas prodiguée, elle est fine et cependant produit un grand effet par son judicieux emploi. Les incrustations de pierre noire (lave) entre les modillons et au-dessus des archivoltes des fenêtres contribuent à donner de l'élégance à la partie supérieure de ces chapelles, sans leur rien enlever de leur fermeté.
Lorsqu'au XIIe siècle on abandonne les voûtes en cul-de-four pour adopter définitivement la voûte en arcs d'ogive, les constructeurs profitent de ce nouveau mode pour agrandir les fenêtres des chapelles et pour les orner de colonnes dégagées qui reçoivent les arcs et les formerets. C'est d'après ce principe que sont construites les chapelles de l'église abbatiale de Saint-Denis et celles de la cathédrale de Noyon (milieu du XIIe siècle), dont nous avons présenté (28) l'aspect intérieur. Quant aux chapelles de la cathédrale de Senlis, elles ne se composent que de deux travées dont une seule est percée d'une fenêtre. En voici (29) le plan, (30) la vue extérieure et (31) l'aspect intérieur. À Noyon, l'arc doubleau d'entrée est plein cintre; à Saint-Leu d'Esserent et à Senlis, il est ogival; cependant ces chapelles sont construites à la même époque, ou peu s'en faut. Les chapelles de Noyon sont décorées d'une petite arcature plein cintre, celles de Saint Leu et de Senlis en sont dépourvues.
Il faut mentionner un fait important: soit que ces chapelles se composent de deux travées, comme à Senlis, ou de quatre traviées, comme à Noyon et à Saint-Leu, l'autel de chacune d'elles est placé suivant l'axe du chevet, de façon à être toujours orienté, et, par conséquent, dans l'une des travées latérales, ainsi que l'indique la fig. 31. Cependant les chapelles absidales de l'église abbatiale de Saint-Denis faisaient exception à cette règle; leurs autels étaient tous posés perpendiculairement au rayon partant du centre du sanctuaire et formant l'axe de chacune des chapelles. Dans les grandes églises de l'ordre de Cluny et dans les cathédrales de l'Oise citées plus haut, bâties vers le milieu du XIIe siècle, les chapelles absidales sont semi-circulaires; elles sont carrées dans les églises de l'ordre de Citeaux. À Clairvaux, à Pontigny, c'est un parti franchement adopté, et qui nous paraît commandé par la règle de cet ordre, qui voulait que les constructions monastiques se renfermassent dans les données les plus simples. En effet, les chapelles circulaires entraînent des dépenses importantes, parce qu'elles compliquent les constructions, nécessitent des développements considérables de murs, exigent une main-d'oeuvre dispendieuse, des couvertures difficiles à exécuter, des pénétrations, des coupes particulières, et, par suite, un grand détail de précautions. Les chapelles carrées, au contraire, ne font qu'ajouter une précinction au bas-côté, ne demandent qu'un mur de clôture très-simple et des couvertures qui ne sont que le prolongement de celles du collatéral de l'abside; les contre-forts nécessaires à la buttée des voûtes supérieures leur servent de murs de séparation; les voûtes composées de deux arcs ogives se construisent plus économiquement que les voûtes couvrant une surface semi-circulaire, une seule fenêtre les éclaire au lieu de deux. Ces chapelles carrées ne sont donc réellement qu'un second bas-côté divisé par des murs de refend construits suivant les rayons partant du point centre du sanctuaire 375.
Les constructeurs de l'église de Pontigny (Yonne) voulurent cependant, tout en se conformant à cette donnée de l'ordre, faire une concession au goût du temps. Le choeur de cette église abbatiale, élevé pendant les dernières années du XIIe siècle, conserve le principe des chapelles absidales carrées à l'extérieur, tandis qu'à l'intérieur ces chapelles sont plantées sur un polygone irrégulier.
Voici (32) le plan d'une de ces chapelles. La couverture ne tient pas compte de cette forme polygonale; elle passe uniformément sur toutes, laissant seulement les souches des arcs-boutants percer l'appentis. Nous devons reconnaître toutefois qu'il y eut de l'indécision dans la façon de couvrir les chapelles absidales de l'église de Pontigny, car les filets solins des combles, ménagés sur les flancs des souches des arcs-boutants, ne suivent pas la direction de ces combles, et donnent à croire qu'on avait voulu faire, soit des combles brisés, soit un appentis sur le bas-côté, pénétré par des combles à double pente avec pignon sur chacune des chapelles. Ces tâtonnements, quant à la manière de couvrir les chapelles absidales des églises monastiques, ne sont pas seulement apparents à Pontigny. Il y avait là une difficulté qui, évidemment, embarrassa longtemps les architectes des grandes églises d'abbayes pendant les XIe et XIIe siècles. On arrivait à couvrir ces chapelles par des procédés qui n'ont rien de franc et accusent une certaine indécision. Cela est visible dans le choeur de l'église Saint-Martin-des-Champs de Paris, dans le choeur de l'église de Vézelay, où les couvertures des chapelles circulaires, au lieu d'être coniques, forment une surface gauche qu'il n'était possible d'obtenir que par un massif posé sur les voûtes. Dans les églises de l'Auvergne, du Poitou et de l'Aquitaine, les chapelles absidales étant plus basses que le collatéral, les couvertures venaient naturellement buter contre le mur de ce collatéral, sous sa corniche; mais, dans l'Est et le Nord, on voulut de bonne heure donner aux chapelles absidales la hauteur du collatéral, et les constructeurs, après avoir arasé les corniches, ne savaient plus trop comment couvrir ces surfaces inégales, et reculaient devant les difficultés que présentent des pénétrations de combles en charpente.
Dans l'Île de France et les provinces voisines, les églises de quelque importance possédaient toutes, au-dessus des bas-côtés, une galerie aussi large que lui, formant au premier étage un second collatéral. Cette disposition permettait d'éviter les difficultés que nous venons de signaler, puisque le mur de précinction de la galerie du premier étage présentait une surface verticale assez haute pour permettre d'appuyer une couverture contre elle. Ce que nous disons ici est parfaitement expliqué par la vue extérieure des chapelles absidales de la cathédrale de Senlis (fig. 30). Mais aussi ces chapelles n'avaient-elles qu'une faible profondeur, et n'étaient-elles pas, à cause de leur exiguïté, d'un usage commode.
Avant de passer outre, nous devons revenir sur ce que nous venons de dire des chapelles absidales des églises du Poitou et de l'Aquitaine. Dans ces provinces, les bas-côtés des églises ont à peu près la hauteur du vaisseau principal (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CATHÉDRALE), afin de contrebuter la poussée des voûtes centrales; quoique ce mode eût l'inconvénient d'empêcher d'ouvrir des jours au-dessus des collatéraux sous les voûtes hautes, il avait l'avantage d'éviter la construction des arcs-boutants, et de donner des bas-côtés fort élevés contre lesquels on pouvait adosser des chapelles d'une bonne dimension comme diamètre et hauteur, sans que leur couverture vînt dépasser le niveau des corniches de ces collatéraux. La chapelle était alors une absidiole semi-circulaire accolée à un mur élevé; elle était un appendice à l'édifice, un édicule indépendant pour ainsi dire, ayant son ordonnance particulière.
L'exemple pris sur le plus beau monument de ce genre qu'il y ait en Saintonge, et que nous donnons (33), expliquera nettement ce qu'est la chapelle absidale dans les églises romanes de l'Ouest. À Saintes, il existe une charmante église du XIIe siècle, Saint-Euthrope, qui possède une vaste crypte, ou plutôt une église basse, à rez-de-chaussée, sous le choeur. L'abside de cette église est flanquée de trois chapelles dont nous reproduisons l'aspect extérieur. Ces chapelles règnent dans la crypte comme au niveau du choeur, ainsi que le fait voir notre gravure; leurs fenêtres ne sont pas de la même dimension que celles du collatéral A; elles sont plus petites. Les chapelles de Saint-Euthrope de Saintes sont donc, comme nous le disions, un petit édifice accolé à un autre plus grand. Si ce parti peut être adopté dans l'architecture romane de l'Ouest, dont l'échelle n'est pas soumise à des proportions fixes, qui ne tient pas compte de l'unité dans ses dispositions architectoniques, il n'aurait pu être admis par les architectes des provinces du Nord à la fin du XIIe siècle, alors que l'architecture ne se permettait plus ces désaccords d'échelle, et que l'on revenait à des lois impérieuses d'unité. D'ailleurs on n'avait pas, dans le Nord, cette ressource des collatéraux élevés; il fallait les tenir assez bas pour pouvoir éclairer largement le vaisseau central au-dessus de leur couverture. Force fut donc, lorsqu'on voulut, au commencement du XIIIe siècle, ouvrir des chapelles à l'abside des églises, de leur donner la hauteur des bas-côtés et de les couvrir sans trop de difficultés, sans gêner l'écoulement des eaux et sans nuire à l'ordonnance générale. On procéda timidement d'abord; à Bourges, par exemple, les chapelles absidales ne formèrent que des demi-tourelles attachées au bas-côté, couvertes par des terrassons coniques en dalles 376. À Chartres, les chapelles absidales ne furent guère aussi que des niches couronnées par des pavillons dallés. C'est en Champagne que les chapelles absidales paraissent prendre, dès la fin du XIIe siècle, un développement considérable. Le choeur de l'église Saint-Remy de Reims est contemporain de celui de la cathédrale de Paris, c'est-à-dire qu'il dut être élevé vers 1180; il y a même entre ces deux édifices une très-grande analogie. Cependant les doubles bas-côtés du choeur de Notre-Dame de Paris n'avaient pas de chapelles ou n'en possédaient que de très petites, tandis qu'à Saint-Remy de Reims on voit apparaître autour de l'abside une disposition particulière à la Champagne, disposition que nous retrouvons amoindrie dans les chapelles du tour du choeur de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, et qui consiste à ouvrir les chapelles sur le bas-côté, de façon à ce que leur voûte soit inscrite dans un cercle. Ainsi, à Saint-Remy de Reims (33 bis) 377, les chapelles absidales sont parfaitement circulaires, voûtées au moyen de quatre arcs ogives, de cinq formerets et de trois arcs doubleaux ouverts sur le bas-côté. Deux colonnes A A séparent la chapelle du collatéral et complètent les huit points d'appui sur lesquels reposent les quatre arcs ogives. Ces chapelles, à l'extérieur, ne laissent voir qu'un segment de cercle assez peu étendu, à cause de la saillie des gros contreforts qui les séparent et sont destinés à contrebuter les arcs-boutants des voûtes hautes. Dans l'axe, une chapelle beaucoup plus profonde B termine le chevet. Au-dessus de l'arcature qui décore à l'intérieur le soubassement de ces chapelles règne un passage traversant les piles qui portent les arcs; les fenêtres occupent tout l'espace laissé entre ces piles et sont terminées à leur sommet par des berceaux ogives concentriques aux formerets. Les voûtes sont contrebutées par les piles formant contreforts à l'intérieur. À Châlons-sur-Marne, les chapelles présentent, à l'extérieur, des contreforts qui ne sont qu'une demi-colonne cannelée terminée par une statue et un dais (voy. CONTREFORT). Ce plan circulaire, les piles formant contreforts intérieurs, les deux colonnes posées à l'entrée de la chapelle sur le collatéral, et jusqu'aux demi-colonnes cannelées extérieures, sont des dispositions qui rappellent encore l'architecture antique romaine. Son influence, surtout apparente dans la Haute Marne, à Langres, et le long de la Saône, se fait encore sentir jusqu'à Reims (ville qui possède encore un monument antique), et même jusqu'à Chalons, pendant les premières années du XIIIe siècle. Les chapelles absidales de la cathédrale de Reims, élevées vingt ou vingt-cinq ans après celles de l'église de Saint-Remy, sont évidemment dérivées de ces dernières. Mais à la cathédrale de Reims, Robert de Coucy a supprimé les colonnes isolées de l'entrée, et a donné à son plan plus d'ampleur.
Les chapelles absidales de la cathédrale de Reims méritent d'être étudiées avec soin. Commencées sur un plan circulaire, comme celles de Saint-Remy, elles deviennent polygonales au niveau de l'appui des fenêtres; c'est la transition entre les deux systèmes roman et ogival. Les architectes soumis aux principes de l'école ogivale reconnaissaient: 1° que les archivoltes des fenêtres percées dans un mur cylindrique poussaient au vide; 2° que les meneaux ne pouvaient être établis solidement qu'autant qu'ils se trouvaient dans un plan droit; que leur taille, suivant un plan courbe, présentait des difficultés insurmontables. Ainsi, en adoptant les meneaux comme châssis de fenêtres et pour maintenir les vitraux, on se trouvait forcément entraîné à abandonner la forme cylindrique dans les absidioles aussi bien que dans les grandes absides. Mais la rencontre des meneaux avec les talus circulaires du soubassement nécessitait des pénétrations compliquées, un raccordement présentant certaines difficultés; on trouva bientôt plus naturel de prolonger la forme polygonale jusqu'au sol. Pour nous résumer, l'habitude des constructions romanes fait commencer, au XIIIe siècle, des chapelles sur plan circulaire; le principe de la construction adoptée fait renoncer au plan circulaire en construisant les fenêtres, surtout lorsque celles-ci sont garnies de meneaux; ce principe, une fois admis, fait abandonner la forme cylindrique même pour les soubassements, et commande la forme polygonale ou prismatique dans les plans des chapelles. Il y avait dans tout le système ogival des données impérieuses qui forçaient ainsi les architectes, de déductions en déductions, à l'appliquer avec plus de rigueur, quelle que fût la force des traditions antérieures. Toutefois, à Reims, l'architecte sut se tirer avec adresse du mauvais pas où il s'était engagé en fondant les chapelles sur plan circulaire; mais la tentative de concilier les deux systèmes ne fut guère renouvelée depuis; on avait fait là, évidemment, ce que nous appelons une école 378.
Nous donnons (34) le plan inférieur d'une des chapelles absidales de la cathédrale de Reims 379, et (35) le plan au niveau des fenêtres, qui indique comment les meneaux viennent pénétrer le talus conique couronnant le soubassement à l'extérieur. Suivant le mode champenois, il existe une circulation au-dessus du soubassement décoré d'une arcature à l'intérieur.
Les fenêtres se trouvent ainsi, comme à Saint-Remy, comme à la chapelle de l'archevêché de Reims, comme à la chapelle du château de Saint-Germain-en-Laye, ouvertes dans un renfoncement produit par la saillie intérieure des piles. À Reims, cependant, on ne retrouve pas le formeret isolé de la fenêtre par un plafond portant le chéneau (ce qui est du reste une disposition bourguignonne); c'est un ébrasement concentrique au formeret qui sépare celui-ci de la baie. La fig. 36, donnant la vue intérieure de l'une de ces chapelles, nous dispensera de plus longues explications à ce sujet; elle fait voir le passage pratiqué au-dessus de l'arcature et toute l'ordonnance intérieure. La proportion de ces chapelles est des plus heureuses; leur aspect est solide, les détails de la sculpture et les profils sont traités avec la plus rare perfection. À l'extérieur, ces chapelles ne sont pas moins belles et simples, et n'était la malencontreuse galerie à jour placée, vers le milieu du XIIIe siècle, sur la corniche supérieure, dont le moindre inconvénient est de faire paraître ces chapelles petites, on pourrait les présenter comme un modèle parfait et complet d'architecture ogivale primitive. La fig. 37 reproduit leur aspect extérieur. S'élevant jusqu'au niveau supérieur du collatéral, elles sont couvertes par des charpentes formant pavillons pyramidaux isolés, revêtues de plomb. Entre ces pavillons et l'appentis recouvrant le bas-côté, est un beau chéneau de pierre posé sur les arcs doubleaux d'entrée des chapelles, et rejetant les eaux à travers les gros contreforts séparatifs, par des canaux dans lesquels un homme peut entrer debout, et des gargouilles. Ce canal principal est coupé en croix par un autre canal d'égale hauteur, recevant les eaux des chéneaux posés sur la corniche du couronnement des chapelles.
Malgré que les chapelles absidales de la cathédrale de Reims soient fort bien composées, elles n'ont pas encore complétement abandonné les traditions romanes; on en retrouve la trace dans le soubassement circulaire, dans les piles saillantes à l'intérieur, dans ce bandeau horizontal qui, couronnant l'arcature, coupe les colonnettes, et dans la construction qui est quelque peu lourde. Si nous voulons voir des chapelles absidales de l'époque ogivale arrivées à leur complet développement, il faut nous transporter dans la cathédrale d'Amiens; celles-ci sont d'autant plus intéressantes à étudier qu'elles ont servi de type à toutes les constructions élevées depuis lors, entre autres pour les chapelles des cathédrales de Beauvais, de Cologne, de Nevers, de Séez, et, plus tard, de Clermont, de Limoges, de Narbonne, de l'église de Saint-Ouen de Rouen, etc. Les chapelles absidales de la cathédrale d'Amiens sont hautes, largement ouvertes et éclairées; leur construction ne comporte exactement que le volume de matériaux nécessaires à leur stabilité; elles sont aussi simplement conçues qu'élégantes d'aspect.
Nous donnons (38) le plan d'une de ces chapelles pris au niveau des fenêtres, (39) une vue intérieure, et (40) une vue extérieure. Trois grandes verrières, qui n'ont pas moins de quatorze mètres de hauteur, et l'arcature inférieure avec sa piscine, font toute leur décoration à l'intérieur; les fenêtres, comme à la Sainte-Chapelle de Paris, occupent tout l'espace compris entre cette arcature, les piles et les voûtes, auxquelles leurs archivoltes servent de formerets. À l'extérieur, une belle corniche à crochets et feuilles les couronne; les contreforts, dont toute la saillie est reportée en dehors, reçoivent des archivoltes abritant les fenêtres et dont l'épaisseur porte le chéneau supérieur. Les bahuts de la charpente reposent directement sur les formerets des voûtes. Il est impossible d'imaginer une construction voûtée plus simple et plus sage. Les sommets des contreforts sont brusquement terminés par des talus sur lesquels viennent se reposer des animaux, chevaux, griffons et dragons. À la chapelle de la Vierge, ces animaux sont remplacés par des rois de Juda (voy. AMORTISSEMENT). Nous ne pensons pas que ce couronnement soit complet, car on aperçoit, au sommet des contreforts, comme des assises recoupées, des repentirs, des négligences qui marquent une certaine hâte de finir tant bien que mal, et qui ne répondent pas à l'exécution soignée, précise des constructions jusques et y compris la corniche. Ce qui nous confirme dans l'opinion que les couronnements des contreforts des chapelles de la cathédrale d'Amiens 380 n'ont pas été terminés comme ils avaient été projetés, ou que l'incendie qui détruisit leur couverture, avant l'érection de la partie haute du choeur, les ayant calcinés, ils furent refaits avec parcimonie et à la hâte, c'est qu'à Beauvais et à la cathédrale de Cologne particulièrement, les chapelles copiées sur celles d'Amiens portent des pinacles très-élevés et dont la proportion élancée forme un complément indispensable au bon effet de ces contreforts saillants et minces, et plus encore, assurent leur parfaite stabilité par leur poids. Il est intéressant de comparer ces deux édifices, Amiens et Cologne, qui ont entre eux des rapports si intimes. Les chapelles absidales de Cologne, comme celles d'Amiens, reposent sur un plateau circulaire qui les inscrit et sert de base à tout le chevet; leur proportion est pareille, les meneaux des fenêtres identiques. À Amiens, deux gargouilles prises dans la hauteur du larmier rejettent les eaux des chéneaux à chaque contrefort; à Cologne, c'est une seule gargouille prise dans la hauteur de la corniche feuillue sous le larmier qui remplit cet office. À Amiens, les balustrades refaites au XVIe siècle devaient, nous le croyons, rappeler la balustrade de la Sainte-Chapelle de Paris; à Cologne, la balustrade est semblable à celle de Beauvais. Restent les sommets des contreforts, incomplets ou inachevés à Amiens, terminés à Cologne, quelques années après la construction des chapelles, vers le commencement du XIVe siècle, par de hauts pinacles à jour renfermant des statues. Dans l'une comme dans l'autre de ces deux cathédrales, les chapelles absidales sont couvertes par des pavillons en charpente isolés et pyramidaux. À Beauvais, les couvertures des chapelles étaient en dalles; mais il ne faut pas oublier que, dans ce dernier monument, il y a un double triforium; et que l'architecte avait voulu laisser à cette belle disposition toute son importance à l'extérieur, et ne point la masquer par des combles.
À Clermont en Auvergne, à Limoges et à Narbonne, et plus tard à Évreux, les chapelles absidales furent protégées par un dallage formant une seule et même pente, très-faible, avec celui établi sur le bas-côté; mais nous ne pouvons considérer ce mode de couverture comme définitif; il nous sera facile de le démontrer. À Clermont, à Limoges et à Narbonne, ces dallages sans ressauts, mais presque planes, sont couverts d'épures tracées sur la pierre comme sur une aire. Ces épures sont celles, naturellement, de constructions postérieures à l'érection des chapelles; ce sont les tracés des arcs-boutants, des portails des transsepts, des fenêtres hautes. Dans les villes du moyen âge, l'espace manquait pour établir des chantiers avec tous leurs accessoires. Sitôt les chapelles et bas-côtés du chevet achevés, on les recouvrait d'une aire dallée, et cette surface servait de chantier aux appareilleurs pour tracer leurs épures; ce qu'ils faisaient avec le plus grand soin, puisque, encore aujourd'hui, nous pouvons les relever exactement et tailler dessus des panneaux. Or, à Clermont, quoiqu'il y ait un dallage, on voit tout autour des souches des arcs-boutants qui percent l'aire, des chéneaux disposés pour recevoir des combles; bien mieux, le mur du triforium porte un filet de comble et des corbeaux destinés à soutenir les faîtages de l'appentis en charpente que l'on projetait sur le bas-côté. À Limoges, des restaurations récentes ont fait disparaître des traces analogues dont probablement on n'a pas compris l'importance au point de vue archéologique. Ces dispositions indiquent évidemment qu'au XIIIe siècle on ne songeait pas à élever des chapelles absidales polygonales sans combles pyramidaux, et que ces dallages n'étaient que des couvertures provisoires destinées à fournir un emplacement aux traceurs d'épures pendant la construction des parties supérieures, et en même temps à protéger les voûtes jusqu'au moment où on aurait pu, l'oeuvre achevée, établir des combles définitifs. La forme polygonale des chapelles de chevet adoptée depuis le XIIIe siècle jusqu'au XVIe demande une couverture pyramidale, et les architectes de ces temps avaient un sentiment trop juste de l'effet des masses architectoniques pour ne pas être choqués par l'absence de ce couronnement indispensable; car c'est un principe général, l'architecture ogivale, que toute partie d'un monument doit porter sa couverture propre, lorsqu'elle se détache tant soit peu de la masse. Nous voulons bien admettre qu'à la cathédrale de Narbonne on n'a jamais songé à couvrir autrement les chapelles absidales que par une plate-forme dallée, mais ces chapelles étaient couronnées par un crénelage au lieu d'une balustrade. La cathédrale de Narbonne était presque une forteresse en même temps qu'une église, et dans ce cas les plates-formes étaient justifiées; c'est là une exception. Quant aux chapelles absidales de la cathédrale de Limoges, l'absence de combles pyramidaux jure avec leur composition, qui appartient exclusivement à l'école d'architecture du Nord. L'une de ces chapelles, celle du chevet (fig. 41), offre une particularité rare, même au XIVe siècle, c'est que les fenêtres sont couronnées par des gâbles à jour; or cette partie de la cathédrale de Limoges date de la fin du XIIIe siècle. Pour le reste de la composition de la chapelle du chevet de la cathédrale de Limoges, on retrouve les éléments fournis par Amiens, Beauvais et Cologne.
La fig. 41 fera reconnaître la parenté qui existe entre ces monuments. Toutefois, outre les gâbles à jour qui font exception, à Limoges comme à Clermont, la balustrade des chapelles absidales passe au-devant des gros contreforts séparatifs, et on peut regretter que cette disposition n'ait pas été adoptée antérieurement par les architectes d'Amiens et de Cologne, car elle sert de transition entre le gros contrefort inférieur et celui supérieur servant de buttée aux arcs-boutants; et de plus, elle rend l'entretien facile, ainsi que le nettoyage des gargouilles. Les chapelles du chevet de la cathédrale de Limoges portent sur un énorme soubassement en granit qui englobe leur base dans sa masse. À partir de ce moment (les dernières années du XIIIe siècle), on ne voit plus que des dispositions particulières aient été prises pour la construction des chapelles absidales; les mêmes errements sont suivis par les architectes jusqu'au XVIe siècle, quant à l'ensemble, et les différences que l'on pourrait signaler, entre les chapelles du XVe et celles du XIIIe, ne tiennent qu'aux détails de l'architecture qui se modifient.
Nous terminerons donc ici cet article, puisque nous avons, dans le cours du Dictionnaire, l'occasion de revenir sur chacun de ces détails.
Note 371: (retour) Une importante découverte vient ajouter un fait nouveau à ceux déjà connus. Des fouilles, exécutées dans le sanctuaire de la cathédrale de Clermont, sous la direction de M. Mallay et la nôtre, viennent de faire reconnaître l'ancien plan de la cathédrale primitive, qui date du Xe au XIe siècle; ces fouilles ont laissé voir quatre chapelles autour du bas-côté du sanctuaire, comme dans l'église de Notre-Dame-du-Port.
CHAPITEAU, s. m. Nom que l'on donne à l'évasement que forme la partie supérieure d'une colonne ou d'un pilastre, et qui sert de transition entre le support et la chose portée.
Les Romains, à partir de l'époque impériale, n'employaient plus, sauf de rares exceptions, dans leurs édifices, que l'ordre corinthien. Plus riche que les autres, se prêtant aux grandes dimensions des monuments, il convenait au goût et aux programmes romains. Mais, dans les derniers temps de la décadence, les sculpteurs étaient arrivés à pervertir étrangement les formes des chapiteaux antiques. Des chapiteaux ionique et corinthien, on avait fait un mélange que l'on est convenu d'appeler le chapiteau composite, mais qui, par le fait, n'est qu'un amalgame assez disgracieux de deux éléments destinés à rester séparés. Déjà même les Romains avaient introduit dans le chapiteau composite des figures, des victoires ailées, des aigles; ils avaient chargé le tailloir d'ornements, et cherché, dans cette partie importante de la décoration architectonique, la richesse plutôt que la pureté du galbe, si bien comprise par les Grecs. Lorsque dans les Gaules, sous les rois mérovingiens, on voulut élever de nouveaux édifices sur les ruines qui couvraient le sol, les matériaux ne manquaient pas; la sculpture était un art perdu; on employa donc tous les anciens fragments que l'on put recueillir dans la construction des bâtisses nouvelles. Des colonnes et des chapiteaux, différents de diamètre et de hauteur, vinrent se ranger tant bien que mal dans un même monument. Les anciennes basiliques de Rome ne sont elles-mêmes qu'une réunion de fragments antiques. Cette variété d'ornementation, imposée par la nécessité, fut cause que les yeux s'habituèrent à voir, dans un même édifice, des chapiteaux fort différents par la composition, l'âge, le style et la provenance. Lorsque les fragments antiques vinrent à manquer, il fallut y suppléer par des oeuvres nouvelles, et les sculpteurs, depuis le VIe siècle jusqu'au IXe, cherchèrent à imiter les vieux débris romains qu'ils avaient sous les yeux. Ces imitations, faites par des mains inhabiles, avec des outils grossiers, sans aucune idée de la mise au point régulière, ne furent que d'informes réminiscences des arts antiques, dans lesquelles on chercherait vainement des règles, des principes d'art. Toutefois, il faut reconnaître que, dès cette époque reculée, il se fit une véritable révolution dans la manière d'employer le chapiteau; ce membre de la colonne reçut une destination plus vraie que celle qui lui avait été affectée par les Grecs et les Romains.
Certains développements sont nécessaires pour faire comprendre toute l'importance de ce changement de destination donnée au chapiteau.
Les ordres grecs se composent, comme on sait, de la colonne avec son chapiteau supportant un entablement, autrement dit, une superposition de plates-bandes comprenant l'architrave, la frise et la corniche. Il en est de même des ordres romains. Avant les dernières années du Bas-Empire, pas de colonnes grecques ou romaines sans l'entablement, et ce n'est que fort tard, dans quelques édifices de la décadence, que l'on voit, par exception, l'archivolte romain posé sur le chapiteau sans entablement. Dans les ordres grecs et romains, le chapiteau est plutôt un arrêt destiné à satisfaire les yeux, qu'un appendice nécessaire à la solidité de l'édifice, car la première plate-bande ne dépasse pas l'aplomb du diamètre supérieur de la colonne, et le chapiteau est ainsi (au point de vue de la solidité) un membre inutile, dont la forte saillie ne porte rien sur deux de ses faces.
La fig. 1, qui donne un chapiteau d'un des temples d'Agrigente avec son entablement, exprime clairement ce que nous voulons indiquer. Supposant les parties A du chapiteau coupées, l'architrave portera tout aussi bien sur le fût de la colonne. En gens de sens et de goût, les Athéniens furent évidemment frappés de ce défaut, car, dans la construction du Parthénon, ils firent saillir l'architrave sur le nu de la colonne, ainsi que l'indique la fig. 2. La fonction du chapiteau est là bien marquée; c'est un encorbellement placé sur le fût cylindrique de la colonne pour donner une large assiette à la plate-bande. Ces finesses échappèrent aux Romains; ils ne virent dans le chapiteau qu'un simple ornement, et ne profitèrent pas de son évasement pour porter une plate-bande plus large que le diamètre supérieur du fût de la colonne.
Dès les premiers temps du moyen âge, l'entablement disparaît totalement, pour ne plus reparaître qu'au XVIe siècle, et le chapiteau avec son tailloir porte l'archivolte sans intermédiaire. Alors, le chapiteau prend un rôle utile; du cylindre il passe au carré par un encorbellement, et reçoit le sommier de l'arc; ce rôle, il le conserve jusqu'à l'époque de la renaissance. Cependant, jusqu'au XIe siècle, en posant un sommier d'arcs sur le tailloir du chapiteau, on n'osait pas toujours profiter de l'évasement donné par la saillie de ce tailloir, et on tenait le lit de pose du sommier à l'aplomb de la colonne. C'est ainsi que sont disposés les chapiteaux de la nef de l'église Saint-Menoux (Allier), qui datent du IXe ou Xe siècle (3).
Ce n'était que successivement qu'on arrivait à se servir de l'évasement du chapiteau comme d'un encorbellement pouvant être utilisé pour porter un sommier dont le lit de pose débordait le diamètre de la colonne. Nous verrons quelles furent les conséquences importantes de cette innovation dans la construction des édifices, et comme le chapiteau dut peu à peu abandonner les formes antiques pour se prêter à cette fonction imposée par les principes de l'architecture du moyen âge. Dans les édifices mérovingiens et carlovingiens, on plaçait souvent des colonnes aux angles saillants, ainsi que l'indique la fig. 4, afin de dégager et d'orner ces angles; si une voûte en berceau venait se reposer sur le mur A B, le chapiteau de la colonne formait support de la tête du berceau et venait affleurer le nu A B suivant la ligne B B' C; le tailloir seul formait saillie sur le nu du mur. C'est dans cette position que nous voyons les premiers chapiteaux porter une maçonnerie en encorbellement; car, dans un même édifice, les colonnes isolées portent des sommiers d'archivoltes dont le lit de pose inscrit exactement le diamètre supérieur du fût, tandis que les colonnes d'angle sont déjà surmontées de chapiteaux dont l'évasement, comme dans la fig. 4, sert à supporter un sommier saillant.
La crypte de l'église Saint-Étienne d'Auxerre nous présente ces deux exemples, qui datent de la même époque (IXe ou Xe siècle).
La fig. 4 bis est l'élévation perspective du plan 4, et la fig. 5 le chapiteau d'une colonne isolée. On voit que si le chapiteau de la colonne d'angle porte un sommier plus saillant que le nu de la colonne, il n'en est pas encore de même pour la colonne isolée. Ces trois chapiteaux, fig. 3, 4 bis et 5, font voir comment les sculpteurs carlovingiens interprétaient le feuillé du chapiteau romain; les uns, ne sachant comment réserver et dégager dans la pierre le revers de la feuille, posaient celle-ci de profil et comme rabattue sur la corbeille; les autres se contentaient de quelques cannelures ciselées en éventail pour simuler les nerfs et découpures de la feuille romaine. Ces artistes primitifs tentaient cependant de se soustraire parfois à la tradition antique, et taillaient déjà, dès le Xe siècle, des figures sur les corbeilles de leurs chapiteaux, ou des formes dont il serait difficile de découvrir l'origine, des traits, des zigzags, de grossiers linéaments; souvent aussi ils se contentaient de les épanneler. Mais nous ne voulons pas fatiguer nos lecteurs par des reproductions de ces premiers et informes essais, qui n'ont qu'un attrait de curiosité; nous arriverons au XIe siècle, époque pendant laquelle la forme des chapiteaux, leur fonction et leur sculpture peuvent être parfaitement définies.
Il nous faut d'abord distinguer les chapiteaux, à partir de cette époque, en chapiteaux de colonnes isolées, monocylindriques, et en chapiteaux de colonnes engagées.
Dans les églises, les colonnes monocylindriques sont ordinairement réservées pour le tour des sanctuaires; partout ailleurs la colonne est presque toujours engagée au moins d'un tiers dans une pile, un pilastre ou un mur. La fonction de la colonne engagée étant, dans l'intérieur des monuments, de supporter un archivolte, et son diamètre ne dépassant guère un pied (de 0,33 c. à 0,40 c., voy. COLONNE), il fallait donner au chapiteau un évasement assez considérable pour recevoir le lit du sommier de cet archivolte qui devait soutenir un mur épais ou tout au moins un contrefort. Dès l'instant que le système de la construction des voûtes romanes était adopté, le chapiteau n'était plus un simple ornement, il entrait dans la construction comme une des parties les plus importantes, puisqu'il devenait l'assiette, le point de départ des voûtes (voy. CONSTRUCTION, PILE). Donc, après ces tâtonnements et ces grossiers essais des architectes et sculpteurs, nous voyons tout à coup, au XIe siècle, le chapiteau composé pour remplir une fonction nouvelle et utile. Cela est particulièrement sensible dans les édifices de l'Auvergne, du Nivernais et de la Bourgogne, qui datent de cette époque. Dans ces provinces, les archivoltes présentent une section carrée qui exige un point d'appui solide pour recevoir le sommier; le chapiteau est alors muni d'un double tailloir, le premier tenant à l'assise même du chapiteau, et le second formant tablette saillante; or c'est ce premier tailloir qui embrasse exactement la surface donnée par le lit de pose du sommier.
La fig. 6, copiée sur l'un des chapiteaux du tour du choeur de l'église de Saint-Étienne de Nevers (seconde moitié du XIe siècle), fera comprendre le rôle utile du chapiteau roman.
Dans l'Île de France et la Normandie, l'indécision dure plus longtemps; les archivoltes sont munis souvent de gros boudins, sont maigres et ne viennent pas franchement se reposer sur la saillie du chapiteau. Cela est apparent dans la nef de la cathédrale d'Évreux, où quelques piles du XIe siècle, qui ont conservé leurs chapiteaux et archivoltes primitifs, nous présentent une disposition reproduite ici (7).
C'est toujours dans le voisinage des grands centres monastiques qu'il faut étudier l'architecture romane, c'est là qu'elle se développe avec le plus de vigueur et de franchise. En Bourgogne, l'ordre de Cluny forme une école, au XIe siècle, à nulle autre comparable; c'est donc à lui que nous irons demander les exemples les plus beaux de cette époque. C'est à Vézelay, puisque l'église mère de Cluny est détruite aujourd'hui. La nef de l'église de Sainte-Madeleine de Vézelay présente une série de quatre-vingt-quatorze chapiteaux décorés d'ornements et de figures; leur galbe, leur proportion et la façon monumentale dont la sculpture est traitée, sont un riche sujet d'études auquel on revient toujours après avoir examiné d'autres édifices du même temps. Parmi ces chapiteaux, on en remarque quelques-uns, vers les transsepts, qui appartiennent à une époque antérieure, et ont été replacés, lors de la reconstruction de la nef, à la fin du XIe siècle. Il ne semble pas que le maître de l'oeuvre ait suivi un ordre méthodique dans le classement de ces chapiteaux; étant tous appareillés de la même manière et sculptés, comme toujours, avant la pose, il est vraisemblable que les poseurs les ont montés et scellés à leur place sans suivre un ordre, mais au fur et à mesure qu'ils sortaient des mains des sculpteurs. Outre les chapiteaux feuillus et qui n'ont aucune signification, il en est un grand nombre, parmi ceux à figures, qu'il est difficile, pour nous du moins, d'expliquer. Quelques-uns représentent des scènes de l'Ancien Testament; par exemple, la bénédiction de Jacob, la mort d'Absalon, David et Goliath, Moïse descendant du Sinaï (8). Ce chapiteau est un de ceux qui sont traités avec le plus de verve; son tailloir est décoré de gros boutons orlés qui rappellent les oves antiques. Le démon s'échappe par la bouche du Veau d'or à la vue de Moïse, un homme apporte un chevreau pour le sacrifier à l'idole et paraît interdit. Les gestes sont justes, bien sentis et fortement accentués; la figure du démon est d'une énergie sauvage qui ne manque pas de style. En somme, si les détails de ces sculptures sont souvent barbares, jamais on ne peut leur reprocher d'être vulgaires. Dans les compositions, il y a toujours quelque chose de grand, de vrai, de dramatique qui captive l'attention et fait songer. Beaucoup de ces chapiteaux représentent des paraboles: le mauvais riche, l'enfant prodigue; des légendes: celles de Caïn, tué par son fils Tubal, de saint Eustache; des scènes de la vie de saint Antoine et de saint Benoît; puis des vices et leur punition (le diable joue un grand rôle dans ces compositions); des travaux de l'année: la moisson, la mouture du grain, la vendange, etc.; des animaux bizarres tirés des bestiaires (9); des lions et des oiseaux adossés ou affrontés au milieu de feuillages. Tous ces ornements et figures se renferment dans le même épannelage, consistant en un cône tronqué renversé pénétré par un cube donnant en projection horizontale (10) le tracé A, et en projection verticale le tracé B. L'astragale tient toujours au fût, et le second tailloir saillant est pris dans une autre assise; du reste, tous les tailloirs sont variés comme profil ou décoration. Si les chapiteaux à figures de la nef de l'église de Vézelay sont d'un style tant soit peu sauvage, il n'en est pas ainsi de ceux composés uniquement de feuillages; ces derniers sont d'une pureté d'exécution et d'une beauté incomparable.
Mais c'est surtout pendant le XIIe siècle que la sculpture des chapiteaux atteignit une singulière perfection. Leur fonction désormais arrêtée, supports avant d'être ornements, ils conservent cette forme dominante en se couvrant de la parure la plus riche, la plus délicate et la plus variée. Depuis longtemps déjà il était admis que les chapiteaux d'un même monument, en se renfermant dans un galbe uniforme, devaient tous être variés; c'était donc là, pour les sculpteurs, une occasion de se surpasser les uns les autres, de faire preuve de talent dans la composition, de finesse d'exécution, de patience et de soin. C'étaient, dans les intérieurs des monuments, de nombreuses pages à remplir, destinées à captiver l'attention et à instruire la foule. Les chapiteaux à figures tiennent essentiellement à l'architecture romane, surtout dans les provinces éloignées de l'Île de France. Ils persistent, jusque vers la fin du XIIe siècle, dans le Poitou, le Berry, la Bourgogne, l'Aquitaine et l'Auvergne, tandis que les feuillages, les entrelacs sont adoptés de préférence dans les provinces dépendant du domaine royal. Nous ne trouvons ces grands chapiteaux avec tailloirs très saillants et large sculpture qu'à Vézelay et dans le voisinage de cette célèbre abbaye. Ailleurs, pendant les XIe et XIIe siècles, ils sont plus trapus, moins saillants sur la colonne, moins hauts, et ne sont pas couronnés par ces énormes tailloirs d'un effet si monumental. À Vézelay, les chapiteaux des colonnes engagées des bas-côtés ont en hauteur, compris le tailloir, le quart de la hauteur du fût, tandis que généralement, en Auvergne et dans le Berry, ils n'ont guère que le cinquième ou le sixième de la hauteur du fût. En Normandie, dans le Maine, l'Anjou et le Poitou, ils sont plus bas encore, comparativement à la longueur de la colonne.
La dimension des matériaux employés était pour quelque chose dans ces différences de proportion. En Bourgognes, les bancs de pierre sont hauts et ont toujours été extraits en blocs d'une grande dimension, tandis que, dans les provinces que nous venons de désigner, la pierre était, de temps immémorial, extraite par bancs d'une faible épaisseur. Or, pendant la période romane, les chapiteaux sont toujours sculptés dans une hauteur d'assise; jamais un lit ne vient les séparer en deux assises. Les chapiteaux étant, comme tous les membres de l'architecture, taillés et terminés avant la pose, il eût été impossible de raccorder des sculptures faites sur deux pierres. Ce ne fut que plus tard que l'on composa des chapiteaux en deux ou trois assises, et nous verrons comment s'y prirent les appareilleurs et sculpteurs pour rassembler ces divers morceaux terminés sur le chantier. Il va sans dire que, si la hauteur des bancs calcaires influe sur la proportion donnée aux chapiteaux, la qualité de la pierre, pendant toute la période romane, vient en aide au sculpteur si elle est fine et compacte, gêne son travail si elle est grossière et poreuse. Là où les matériaux permettent une grande délicatesse de ciseau, les chapiteaux sont sculptés avec une rare perfection; ils se couvrent de détails à peine visibles à la distance où ils sont placés. Il est tel chapiteau, du XIIe siècle, des provinces favorisées par la nature des matériaux, qui peut passer pour une oeuvre destinée à être vue de près comme le serait un meuble. Les exemples abondent; nous en choisirons un entre tous, tiré des ruines de l'église de Déols (Bourg-Dieu) près Châteauroux (11).
Ce chapiteau est, comparativement à ceux de la Bourgogne de la même époque, bas; son tailloir est fin, peu saillant, les ornements exécutés avec une délicatesse remarquable; il présente ces singuliers enchevêtrements d'animaux que l'on rencontre si souvent dans les provinces voisines de la Loire et jusque dans l'Angoumois. Ce n'est plus là cet art imposant de la Bourgogne, ce galbe hardi des chapiteaux du porche de Vézelay, contemporain de l'église de Déols. La sculpture n'est pas découpée sur le fond, mais très-modelée; les traditions antiques ne paraissent pas avoir dominé l'artiste, qui semble plutôt inspiré par ces dessins d'étoffes, ces ivoires, ces bijoux vernis d'Orient et si fort prisés au XIIe siècle (voy. SCULPTURE).
Mais c'est surtout dans les contrées méridionales comprises entre la Garonne, la Loire et la mer, que, dès le XIe siècle, les chapiteaux se couvrent d'animaux traités avec une rare énergie, modelés simplement, d'un caractère étrange et plein de style. On en jugera par l'exemple que nous donnons (12), copié sur un chapiteau du porche de l'église de Moissac (partie du XIe siècle). Cette sculpture, dessinée avec vigueur, coupée dans une pierre dure par une main habile, n'est cependant pas exempte de finesse; la netteté de la composition, la franche disposition des masses, n'excluent pas la délicatesse des détails, comme le fait voir, autant que possible, notre gravure. Les articulations, les mouvements de ces lions fantastiques ayant une seule tête pour deux corps sont vrais, bien compris dans le sens de la décoration monumentale; la sculpture est peu saillante, afin de ne pas déranger la silhouette du chapiteau, dont la forme est trapue comme celle de tous les chapiteaux de grosses colonnes. Car il est, dès l'époque romane, un fait à remarquer, c'est que la hauteur d'assises commandant la hauteur du chapiteau, il en résulte que, dans le même édifice, les chapiteaux des grosses colonnes sont bas, larges, écrasés, tandis que ceux des colonnettes sont sveltes, élancés. Il ne faut pas croire que ce principe est adopté d'une façon absolue, mais il a toujours une influence sur les proportions des chapiteaux qui sont d'autant plus allongées, relativement au diamètre des colonnes, que celles-ci sont plus grêles.
Nous avons dit qu'à partir des temps mérovingiens, les chapiteaux portent directement les sommiers des arcs et ne sont plus, comme dans l'architecture antique grecque et romaine, destinés à soutenir une plate-bande. À cette règle, quelque générale qu'elle soit, il y a cependant des exceptions.
Dans les provinces du centre, en Auvergne, dans le Poitou et l'Aquitaine, dès le XIe siècle, on rencontre souvent des colonnes tenant lieu de contreforts sur les parois extérieures des absides ou chapelles circulaires (voy. au mot CHAPELLE, les fig, 27 et 34). Les chapiteaux alors portent directement la corniche sous la couverture, l'intervalle entre ces chapiteaux étant soulagé par des corbeaux. On trouve de beaux exemples de ces chapiteaux autour des absides des église d'Issoire, de Saint-Necttaire, de Chamaillères, de Notre-Dame du Port à Clermont (13), qui datent du XIe siècle; nous les rencontrons encore au Mas-d'Agenais, sur les bords de la Garonne, à Saint-Sernin de Toulouse, à la cathédrale d'Agen, et jusqu'à Saint-Papoul sur les frontières du Roussillon. La corniche n'est, dans ce cas, qu'une simple tablette destinée à recevoir les premières dalles de la couverture et à protéger les murs par sa saillie. On sent encore l'influence antique dans le chapiteau (fig. 13) d'une des chapelles de Notre-Dame du Port; mais ces réminiscences sont peu communes, et les chapiteaux appartenant à ce style et à l'architecture des XIe et XIIe siècles de ces provinces, ont un caractère original.
Pour rencontrer des chapiteaux dans la composition desquels les traditions gallo-romaines ont une grande influence jusqu'au commencement du XIIIe siècle, il faut aller dans certaines localités de l'Est et du Sud-Est, à Autun, à Langres, le long de la Saône et du Rhône. Les chapiteaux des colonnes monocylindriques du sanctuaire de la cathédrale de Langres, qui datent de la seconde moitié du XIIe siècle, sont évidemment imités de chapiteaux corinthiens gallo-romains; on y retrouve même le faire de la sculpture, les trous nombreux de trépan percés pour dessiner les séparations des membres des feuilles, la découpure dentelée des feuillages, les volutes, culots et retroussis, le tailloir curviligne avec ses quatre fleurons et la corbeille corinthienne. Souvent, à côté de ces chapiteaux imités de l'antiquité, le goût particulier à l'époque apparaît, et les feuillages corinthiens sont remplacés par des figures, comme à la cathédrale d'Autun, par des entrelacs ou des rosaces, genre d'ornement fréquemment adapté aux chapiteaux pendant le XIIe siècle, ainsi que le fait voir la fig. 14, reproduisant un chapiteau de l'ancien cloître roman de l'abbaye de Vézelay 381. Il faut reconnaître que, même dans les contrées où la tradition gallo-romaine persiste, à cause surtout du voisinage de fragments antiques qui couvraient encore le sol, cette influence n'a d'effet que sur les chapiteaux posés sur des colonnes monocylindriques comme les colonnes antiques, et sur des pilastres disposés comme le sont les pilastres antiques. Sur les colonnes engagées, d'angles, et les colonnettes, le chapiteau roman prend sa place, comme si ces genres de supports appartenaient exclusivement à ce style et ne pouvait admettre de mélanges. Cela est bien visible dans la cathédrale de Langres.
Ce monument ne présente à l'intérieur et à l'extérieur que les colonnes monocylindriques du choeur, dont nous avons parlé tout à l'heure, et des pilastres. Les chapiteaux de ces colonnes et pilastres rappellent avec plus ou moins de fidélité la sculpture et la composition des chapiteaux corinthiens romains. Mais le triforium du choeur présente une suite d'arcatures supportées par des colonnettes accouplées. Ces colonnettes sont surmontées de chapiteaux jumeaux portant les sommiers des petits archivoltes. Cela est une disposition toute romane; or les chapiteaux jumeaux des colonnes accouplées ont, la plupart, un caractère étranger aux arts antiques; on en jugera par l'exemple que nous donnons ici (15).
Le mur supportant le triforium du choeur de la cathédrale de Langres est épais; pour le porter sans avoir des colonnettes d'un fort diamètre, l'architecte a dû éloigner passablement ces colonnettes l'une de l'autre, suivant la section du mur; voulant aussi que les chapiteaux jumeaux fussent pris dans une seule pierre, afin de ne pas donner trop de quillage à ses colonnettes, il les a réunis par une grosse tête de lion, ainsi que le fait voir notre figure.
Un procédé analogue avait été suivi pour la taille des bases jumelles de ces colonnettes, qui sont également dégagées dans un seul morceau de pierre (voy. BASE, fig. 19). Ainsi, d'une part, nous voyons la forme primitive de la colonne ou des pilastres antiques faire conserver, à Langres, la forme et la composition du chapiteau corinthien; et, de l'autre, l'adoption d'une disposition toute romane de colonnettes, faire adopter le chapiteau roman dans lequel les traditions antiques ne sont plus apparentes.
C'est, nous le répétons, pendant la seconde moitié du XIIe siècle, que ces influences diverses agissent à Langres. Mais il fallait que cette tradition de la forme antique fût bien forte dans cette contrée, puisque, pendant les dernières années du XIIe siècle ou les premières du XIIIe, lorsque l'on construit la nef de la cathédrale, en conservant le pilastre antique cantonnant les piles, on voit encore, dans la composition des chapiteaux de ces pilastres, la disposition corinthienne conservée avec certains détails et ornements qui appartiennent à la sculpture la plus belle et la plus caractérisée de la première période ogivale.
Ainsi nous trouvons (16) dans un même chapiteau, comme masse, les divisions des feuilles sur la corbeille corinthienne, les restes des volutes avec leurs caulicoles et bagues, puis les retroussis, et un beau crochet appartenant franchement à la sculpture des premières années du XIIIe siècle.
Un autre chapiteau de la même nef présente, avec un souvenir plus effacé mais persistant encore du chapiteau corinthien, des détails qui, quoique fort étranges, sont empreints du style des premières années du XIIIe siècle; c'est ce chapiteau dont les retroussis des feuilles viennent couvrir des têtes humaines (17).
La Bourgogne nous présente quelques autres exemples de chapiteaux de cette époque décorés de têtes en guise de crochets; nous en avons vu un dans la petite église de Sainte-Sabine (Côte-d'Or), entre Saint-Thibaut et Arnay le-Duc. La Normandie et le Maine en possèdent aussi en assez grand nombre, mais d'une date plus reculée.
Aucune époque de notre architecture ne fournit une aussi grande quantité de chapiteaux variés de forme et de détails que le XIIe siècle. À aucune époque aussi la sculpture de ce membre important de la colonne ne fut exécutée avec plus d'amour. Nous ne pouvons que donner quelques types bien caractérisés et en petit nombre, en essayant de les classer méthodiquement.
Puisque nous en sommes à l'interprétation plus ou moins exacte des formes antiques, nous ne saurions passer sous silence ces chapiteaux des bords de la Haute-Garonne qui ont une physionomie bien tranchée, et qui, en conservant à peu près les masses du chapiteau corinthien, subdivisent les grandes feuilles en gracieux fleurons s'enroulant les uns près des autres comme une sorte de damasquinage. L'église de Saint-Sernin de Toulouse en fournit de beaux échantillons exécutés avec une rare perfection.
Voici (18) un de ces chapiteaux. Dans le même monument, il en est d'autres qui ne donnent que l'épannelage de cette riche ornementation; quelques-uns, posés sur les colonnes monocylindriques du sanctuaire, sont des copies assez fidèles de chapiteaux romains, copies dans lesquelles cependant on trouve un style, un goût et une pureté d'exécution, qui rendent ces sculptures supérieures aux chapiteaux des bas-temps.
Il est un fait que nous devons signaler, car il est particulier à l'église de Saint-Sernin ainsi qu'à certaines églises méridionales du XIIe siècle, c'est qu'à l'intérieur de ces édifices les chapiteaux sont seulement décorés de feuillages, sauf de rares exceptions, tandis que ceux qui décorent les portails à l'extérieur sont presque tous couverts de figures légendaires, symboliques, ou d'animaux bizarres. Les colonnes du portail s'ouvrant à l'extrémité du transsept sud de l'église de Saint-Sernin sont surmontées de chapiteaux sur lesquels on a figuré la personnification des vices et leur punition. Le portail de la nef, du même côté, reproduit, sur ses chapiteaux, l'Annonciation, la Visitation, le massacre des Innocents, etc. Cette méthode de figurer des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament sur les chapiteaux des portails est généralement adoptée, au XIIe siècle, non-seulement dans le Midi, mais encore dans quelques-unes de nos églises du Nord. Le portail royal de la cathédrale de Chartres, par exemple, développe sur ses chapiteaux une série de scènes sacrées qui se suivent et forment comme une frise pourtournant les ressauts produits par la disposition des colonnes en retraite les unes sur les autres.
Mais c'est dans les cloîtres surtout que les chapiteaux sont, au XIIe siècle, couverts de scènes empruntées à l'histoire sacrée ou aux légendes des saints. Les cloîtres de Saint-Trophyme d'Arles, de Moissac, d'Elne, sont particulièrement riches en représentations de ce genre, ainsi que les admirables cloîtres, détruits aujourd'hui, des églises de Toulouse et d'Avignon. Les musées de ces villes renferment encore quelques-uns de ces fragments qui sont de la plus grande beauté et d'une finesse d'exécution incomparable. Les chapiteaux des cloîtres romans sont presque toujours doubles, les colonnes supportant les arcatures des galeries étant jumelles; et, dans ce cas, ces chapiteaux ne sont souvent qu'une frise sculptée supportée par un rang de feuilles au-dessus de chacune des astragales. Quelques-uns des chapiteaux déposés dans le musée de Toulouse et provenant, dit-on, du cloître de Saint-Sernin (XIIe siècle), sont ainsi composés.
Nous donnons (19) une copie de l'un d'eux. Il représente une chasse à l'ours au milieu d'enroulements d'un goût exquis. L'ours est remarquablement imité, contrairement aux habitudes des sculpteurs du XIIe siècle, qui donnaient presque toujours à leurs animaux une forme conventionnelle; on voit que le voisinage des Pyrénées a permis à l'artiste de prendre la nature sur le fait. Quant aux chapiteaux du cloître de Moissac, ils représentent des scènes diverses, dont les figurines sont sculptées avec la plus grande délicatesse, ou des ornements dans le genre de ceux du chapiteau de Saint-Sernin (fig. 18).
Mais, dans ces provinces méridionales, l'école des sculpteurs qui étaient arrivés, au XIIe siècle, à une si rare habileté, s'éteint pendant les guerres des Albigeois, et il nous faut retourner vers le Nord pour trouver la transition entre le chapiteau roman et le chapiteau appartenant au style ogival. Cette transformation suit pas à pas celle de l'architecture; elle est, à cause de cela même, fort intéressante à étudier. Dans les provinces septentrionales, et particulièrement dans le domaine royal, la sculpture avait atteint, au XIIe siècle, une perfection d'exécution qui ne le cède guère aux écoles méridionales. Toutefois, dans les chapiteaux de cette époque et appartenant aux édifices de ces contrées, les figures sont rares, l'ornementation, composée de feuillages ou d'enroulements, domine. L'influence du chapiteau corinthien antique se fait souvent sentir, mais elle est déjà soumise à des formes particulières; c'est plutôt un souvenir qu'une imitation. L'artiste adopte un galbe, certaines dispositions des masses qui lui appartiennent; il ne tâtonne plus, il a trouvé un type auquel il se soumettra de plus en plus jusqu'au moment où il abandonnera complétement les dernières traces de l'art romain. La transition entre le chapiteau roman plus ou moins fidèlement inspiré de la tradition antique, et le chapiteau appartenant à l'art ogival, peut être observée dans un assez grand nombre d'édifices construits pendant la première moitié du XIIe siècle.
Nous prendrons un exemple, entre beaucoup d'autres analogues, dans l'église de Sainte-Madeleine de Châteaudun (20). Les piliers de la nef de cette église (côté nord) sont cantonnés de colonnes engagées de diamètres différents; cependant tous les chapiteaux pris dans la même assise sont de la même hauteur, qu'ils appartiennent aux grosses ou minces colonnes. La corbeille du chapiteau de la colonne mince s'entoure de feuilles peu recourbées à leur extrémité, tandis que déjà le chapiteau de la grosse colonne retourne vigoureusement les bouts de ses feuilles de façon à former, à chaque extrémité, une masse assez volumineuse pour accrocher la lumière et faire prévaloir ainsi, au milieu du groupe de feuillages, certaines masses fortement accentuées. C'est, en effet, dans les gros chapiteaux que l'on voit se développer d'abord ces extrémités de feuilles qui peu à peu prennent une grande importance, jusqu'à figurer ces volumineux bourgeons, ces paquets de folioles que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de crochets.
Les puissants tailloirs carrés des chapiteaux romans, encore conservés dans l'architecture du XIIe siècle, supportant des sommiers d'arcs dont le lit était lui-même inscrit dans des angles droits, obligeaient les sculpteurs à donner aux angles du chapiteau une grande résistance pour ne pas être brisés sous la charge. Ces retroussis de feuilles, non point évidés comme les volutes du chapiteau corinthien antique qui n'ont rien à porter, mais pleins, formaient comme une console, un encorbellement nécessaire à la solidité. C'est pourquoi nous voyons ces retroussis adoptés d'abord dans les gros chapiteaux portant les arcs principaux, tandis qu'ils ne paraissent pas nécessaires dans les chapiteaux plus grêles qui n'ont que des arcs ogives à soutenir. À plus forte raison donnait-on aux angles des chapiteaux des colonnes isolées, portant de très-lourdes charges et répartissant cette charge sur un fût assez mince comparativement, un très-grand développement.
Cela est bien accusé dans les chapiteaux des colonnes monocylindriques du tour du choeur de l'église de Saint-Denis, quoique là encore on sente l'influence de la sculpture romane. Le développement est complet dans les chapiteaux du sanctuaire de l'église de Saint-Leu d'Esserent (21).
Nous n'avons pas besoin de faire ressortir les belles qualités de cette dernière sculpture, qui réunit au plus haut degré la finesse à la fermeté. Dans cet exemple, nulle confusion, pas de tâtonnements. Les angles de l'épais tailloir sont puissamment soutenus par les gros crochets, composés avec un art infini; entre eux on voit paraître la corbeille circulaire qui fait le fond du chapiteau; des têtes d'animaux sortant à la réunion des larges feuilles découpées occupent et décorent la partie moyenne. Les feuilles, afin de présenter à l'oeil une masse plus ferme, sont cernées par deux nerfs qui servent de tige au crochet d'angle, en s'enroulant sur eux-mêmes.
Pour tout artiste de goût, c'est là, quelle que soit l'école à laquelle il appartienne, une oeuvre digne de servir d'exemple, autant par la manière dont elle est composée que par son exécution, à la fois sobre, fine et monumentale.
La révolution qui s'opère dans la forme et les détails des chapiteaux, vers la fin du XIIe siècle, arrive promptement, dans le domaine royal et les provinces environnantes, à son entier développement, comme nous le verrons tout à l'heure; elle se fait moins rapidement en Bourgogne. L'influence romane persiste plus longtemps. Dans les provinces de l'Est, sur les bords du Rhin et de la Moselle, le chapiteau roman se décore de détails plus délicats, mais conserve sa forme primitive. Le chapiteau roman rhénan est bien connu; c'est une portion de sphère posée sur l'astragale et pénétrée par un cube.
La fig. 22 nous dispensera de plus longues explications au sujet de cette forme singulière que l'on rencontre dans presque toute l'Allemagne, et dont on trouve la trace dans certains édifices du Xe siècle, du nord-est de l'Italie et en Lombardie. Ces chapiteaux ont leurs faces plates décorées souvent, soit par des peintures, soit par des ornements déliés, découpés, peu saillants, comme une sorte de gravure.
Au XIIe siècle, lorsque tous les profils de l'architecture prirent plus de finesse, la forme cubique de ces chapiteaux dut paraître grossière; on divisa donc les gros chapiteaux en quatre portions de sphères se pénétrant et pénétrées ensemble par un cube, ainsi que l'indique la fig. 23; puis on orna chacune de ces parties qui formaient comme un groupe de quatre chapiteaux réunis.
La nef de l'église de Rosheim près Strasbourg, qui date du XIIe siècle, nous donne un bel exemple de ces sortes de chapiteaux (24). On voit que l'ornementation n'est qu'accessoire dans les chapiteaux rhénans; ce n'est guère qu'une gravure à peine modelée qui ne modifie pas le galbe géométrique du sommet de la colonne; on sent là l'influence byzantine, car si l'on veut examiner les chapiteaux de Saint-Vital de Ravenne et de Saint-Marc de Venise, on reconnaîtra que dans ces édifices la plupart des chapiteaux, appartenant aux constructions primitives, ne sont décorés que par des sculptures très-plates, découpées, ou même quelquefois, comme dans le bas-côté nord de cette dernière église, par des incrustations de couleur. Quelle que soit la beauté de travail de ces sculptures, la forme romane, même à la fin du XIIIe siècle, reste maîtresse; il ne semble pas que cet art puisse se transformer.
L'architecture comme la sculpture romane du Rhin ne peuvent se débarrasser de leurs langes carlovingiennes; elles tournent dans le même cercle jusqu'au moment où les arts français importés viennent prendre leur place. Cette immobilité ou ce respect pour les traditions, si l'on veut, existent, quoique avec moins de force, en Normandie. La forme du chapiteau normand roman persiste, sans modification sensible dans les masses, jusqu'au moment où le style français fait invasion dans cette province lors de la conquête de Philippe-Auguste. Le chapiteau cubique simple ou divisé se rencontre aussi dans cette province; il est souvent décoré de peintures, comme on peut le voir encore dans l'église de Saint-Georges de Boscherville et dans celle de l'abbaye de Jumièges. Nous retrouvons même ces chapiteaux dans des parties carlovingiennes des églises françaises de l'Est. La crypte de l'église Saint-Léger de Soissons contient encore un chapiteau cubique peint, fort remarquable, qui paraît dater du Xe siècle. Nous en donnons une copie (25). Les ornements sont blancs sur fond jaune ocre.
La pénétration du cube dans la sphère est tracée par une légère entaille double, ainsi que l'indique le profil fait sur l'axe A B, ce qui donne à ce chapiteau une physionomie particulière. Ce n'est pas là le pur chapiteau rhénan.
De tous ces divers styles romans, dont la variété est infinie et dont nous n'avons pu que tracer les caractères les plus saillants, un seul arrive à une transformation à la fin du XIIe siècle; c'est le style français proprement dit, car les chapiteaux suivaient naturellement les progrès de l'architecture (voy. ARCHITECTURE, CATHÉDRALE). Les autres se traînent sur des traces vieillies, se perdent, ou tombent dans des raffinements puérils. Nous allons donc pouvoir suivre pas à pas les transformations successives du chapiteau français, sans plus faire d'excursions, comme dans la première partie de cet article.
Ainsi que nous l'avons fait voir, il avait toujours existé une différence marquée dans la composition des chapiteaux romans appartenant à des colonnes isolées monocylindriques d'un diamètre assez fort par conséquent, et des chapiteaux de colonnettes et colonnes engagées. Toutefois, cette différence est plutôt le résultat d'un instinct naturel d'artiste que d'un système arrêté. En abandonnant la tradition romane pour entrer dans l'ère ogivale inaugurée, à la fin du XIIe siècle, dans les provinces du domaine royal, de la Champagne, de la Picardie et de la Bourgogne, la composition des chapiteaux se soumet à un mode fixe; elle devient logique comme le principe général de l'architecture. Ce sera dorénavant le sommier des arcs supporté par le chapiteau qui commandera la forme du tailloir; ce sera la forme du tailloir qui commandera la composition du chapiteau. Notons encore une fois ce fait, sur lequel nous reviendrons souvent, et dont nous ne saurions trop faire ressortir l'importance: dans l'architecture ogivale, c'est la voûte et ses divers arcs qui imposent aux membres inférieurs de l'architecture, aux supports, leur nombre, leur place et leur forme jusque dans les moindres détails.
À la fin du XIIe siècle, le chapiteau devient, comme tous les membres nombreux de l'architecture, un moyen de construction; il est comme une expansion intelligente de la pile; il prend ses fonctions de support au sérieux.
Dans l'Île de France on avait, à la fin du XIIe siècle, adopté fréquemment la colonne monocylindrique comme pile, non-seulement autour des sanctuaires, mais aussi dans les nefs, peut-être parce que cette forme est celle qui prend le moins d'espace, gêne moins que toute autre la circulation, et démasque le mieux les diverses parties intérieures d'un édifice. Mais la colonne cylindrique d'une nef devait porter: 1° deux archivoltes de travées, 2° l'arc doubleau et les deux arcs ogives du collatéral, 3° le faisceau de colonnettes montant jusqu'aux naissances des grandes voûtes. Ces membres compliqués, se pénétrant, ayant chacun leur fonction, demandaient une assiette large, sur laquelle ils devaient s'asseoir, et qui ne pouvait se renfermer dans la section horizontale d'un cylindre, dans un cercle, ni même dans le carré qui aurait inscrit ce cercle.
À la cathédrale de Paris, par exemple, dont le choeur et la nef sont portés sur des colonnes monocylindriques, la section de la colonne étant un cercle dont le centre est en A (26), les lits de sommiers des archivoltes tracent la projection horizontale B; ceux de l'arc doubleau du bas-côté et des deux arcs ogives, les projections C, D D; et, enfin, les bases des faisceaux de colonnettes montant jusqu'aux grandes voûtes, la projection horizontale E. Qu'ont fait les constructeurs? Ils ont tracé simplement le tailloir du chapiteau suivant le carré F G H I qui inscrit tous les lits de ces divers membres, et se sont contentés d'abattre ses angles pour éviter des aiguités désagréables, lorsque l'on regarde le chapiteau parallèlement à ses diagonales. Mais ce tailloir n'inscrit pas exactement les traces données, sur plan horizontal, par le lit des sommiers et bases des colonnettes; il reste deux surfaces K inutiles; on ne tarda pas à les éviter.
Avant de passer outre, nous faisons voir (27) l'élévation de ces chapiteaux des gros piliers cylindriques de la cathédrale de Paris, du côté de la nef. Les bancs de beau cliquart dont sont composés ces piles et leurs chapiteaux sont bas d'assises et ne portent guère plus de 0,40 c. à 0,45 c. de hauteur. Force était donc, pour donner aux chapiteaux une proportion convenable par rapport au diamètre de la colonne, de les sculpter dans deux assises. Notre fig. 27 montre comment l'ornementation de ces chapiteaux concorde avec la hauteur des assises, et comment on a pu raccorder les deux tambours des chapiteaux très-facilement, quoiqu'ils aient été sculptés avant la pose 382. Les chapiteaux des piles du choeur, sculptés et posés quelques années avant ceux de la nef, présentent les mêmes dispositions d'ensemble; seulement leurs crochets d'angles sont plus forts, plus larges, les feuilles plus grasses et moins découpées. Il est, du reste, une observation à faire au sujet des chapiteaux du choeur de Notre-Dame de Paris, que nous ne devons pas omettre, c'est que les chapiteaux des colonnettes isolées de la galerie du premier étage paraissent d'un travail plus ancien que les chapiteaux des grosses piles cylindriques du rez-de-chaussée. Ils ont dû tous cependant être taillés en même temps, et s'il y a quelques années de différence entre leur sculpture, évidemment ceux du triforium sont postérieurs à ceux du rez-de-chaussée. Mais, à cette époque de transition, encore rapprochée de la période romane, il n'est pas rare de rencontrer de ces sortes d'anachronismes en sculpture. Noyon, Senlis nous en offrent des exemples. Cela tenait à ce que l'on employait en même temps, pour sculpter les nombreux chapiteaux de ces grands monuments, des artistes d'âge différent; les uns appartenaient encore à la vieille école romane, d'autres plus jeunes suivaient les nouveaux errements. Or, comme en France on a toujours été enclin à préférer la nouveauté aux traditions, on confiait les sculptures les plus en vue, les plus importantes, aux artistes appartenant à la nouvelle école, et les oeuvres des vieux sculpteurs étaient reléguées dans les parties des édifices le moins en vue. Les corporations laïques d'artisans ou d'artistes qui, à la fin du XIIe siècle, étaient à l'origine de leur puissance, avaient cette intelligence des corps qui s'organisent dans le but de produire et de progresser; elles ne cherchaient pas à monopoliser les oeuvres d'art entre les mains de quelques hommes dans un intérêt personnel; elles favorisaient, au contraire, les innovations, et les patrons étaient débordés et supplantés par leurs apprentis devenus rapidement plus hardis et plus habiles. Les corporations, pour tout dire en un mot, étaient des corps et non des coteries 383.
Dans le même monument, la cathédrale de Paris, nous voyons les chapiteaux des piles séparant les deux collatéraux déjà combinés pour recevoir exactement les retombées des différents arcs des voûtes. Mais nous reviendrons tout à l'heure sur les fonctions si bien écrites du chapiteau appartenant à la période ogivale.
Pour faire ressortir l'influence exercée par la nature des matériaux employés, sur la sculpture des chapiteaux, nous présenterons un exemple tiré du tour du choeur de la grande église de Mantes, contemporaine du choeur de Notre-Dame de Paris, et qui paraît avoir été élevée par les mêmes maîtres. Les murs du sanctuaire de l'église de Mantes sont portés sur des colonnes en grès qui n'ont pas plus de 0,50 c. de diamètre. Pour résister à la charge supérieure, les chapiteaux durent être également sculptés dans un grès très-résistant, difficile à travailler et qu'il eût été dangereux de trop évider; ils devaient encore présenter un évasement considérable pour recevoir, sur le lit supérieur du tailloir, le sommier de deux archivoltes, de deux arcs ogives, d'un arc doubleau, et le départ de la colonnette montant jusqu'à la naissance des voûtes hautes. Afin d'éviter les brisures qui pouvaient se manifester aux angles de ces chapiteaux très-évasés, il fallait que ces angles fussent soutenus par la sculpture entourant la corbeille, que cette sculpture formât comme un encorbellement reportant la charge d'un large sommier sur un fût très-mince. Les sculpteurs résolurent exactement ce problème, ainsi que le fait voir la fig. 28. A est l'arc doubleau du collatéral. La composition de ce chapiteau a cela d'étrange que, sur quatre volutes d'angles, deux se retournent dans un sens, deux dans l'autre, mais toutes quatre sont fortement épaulées sous le retroussis. Cette méthode avait déjà été employée, quelques années auparavant, autour du choeur de l'église de Saint-Denis, pour les chapiteaux des colonnes monocylindriques qui datent de la construction de Suger, et qui portent les culées des arcs-boutants reconstruits au XIIIe siècle. Il est donc facile de reconnaître qu'au moment où l'architecture ogivale se développe, le chapiteau se soumet au système de construction adopté, sa fonction est nécessaire et sa forme se modèle sur les membres des arcs dont il doit porter la charge.
Si rapides que soient les transformations dans un art, il est certains usages, certaines traditions qui persistent, dont on ne s'affranchit qu'avec peine. Déjà la section horizontale du pilier roman était abandonnée depuis longtemps, le pilier ogival, dans les nefs, se composait d'un cylindre cantonné de quatre colonnes, qu'autour des sanctuaires on conservait encore la colonne monocylindrique, soit parce que cette forme était traditionnelle et que le clergé y tenait, soit parce qu'elle dégageait mieux les bas-côtés du choeur et permettait aux fidèles assemblés autour du sanctuaire de mieux voir les cérémonies, soit enfin parce que les travées de rond-point étant plus étroites que les autres, on voulait donner une grande légèreté apparente aux points d'appui, et ne pas diminuer la largeur des vides (voy. PILE, PILIER).
Cependant le système général de la construction des voûtes ogivales franchement appliqué ne pouvait concorder avec la colonne monocylindrique. L'esprit impérieusement logique des constructeurs excluait les surfaces horizontales ne supportant rien, inutiles par conséquent, quelque peu étendues qu'elles fussent (voy. BASE).