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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite)

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«Furent-ilz mignotz, sommeilleurs,

Diffameurs, desloyaulx, pilleurs?

Certes nenny.

Ilz estoient bons, et tous uny.

Pourquoy est le monde honny,

Et sera encores comme ny

A secouru.

Car honneur a bien peu couru,

Et n'y a on point recouru.

Puisque le bon Bertran (Duguesclin) mouru.

On a gueuchié

Aux coups, et de costé penchié.

Prouffit a honneur devanchié.

On n'a point les bons avanchié.

Mais mignotise,

Flaterie, oultrage, faintise,

Vilain cueur paré de cointise,

Ont régné avec convoitise,

Qui a tiré;

Dont tout a été deciré,

Et le bien publique empiré.

...»

Alors, les romans de chevalerie étaient fort en vogue; on aimait les fêtes, les tournois, les revues; chaque petit seigneur, sous cette monarchie en ruine, regrettant les concessions faites, songeait à se rendre important, à reconquérir tout le terrain perdu pendant deux siècles, non par des services rendus à l'État, mais en prêtant son bras au plus offrant, en partageant les débris du pouvoir royal, en opprimant le peuple, en pillant les villages et les campagnes, et, pour s'assurer l'impunité, les barons couvraient le sol de châteaux mieux défendus que jamais. Les moeurs de la noblesse offraient alors un singulier mélange de raffinements chevaleresques et de brigandage, de courtoisie et de marchés honteux. Au delà d'un certain point d'honneur et d'une galanterie romanesque, elle se croyait tout permis envers l'État, qui n'existait pas à ses yeux, et le peuple qu'elle affectait de mépriser d'autant plus qu'elle avait été forcée déjà de compter avec lui. Aussi est-ce à dater de ce moment que la haine populaire contre la féodalité acquit cette énergie active qui, transmise de générations en générations, éclata d'une manière si terrible à la fin du siècle dernier. Haine trop justifiée, il faut le dire! Mais ces derniers temps de la féodalité chevaleresque et corrompue, égoïste et raffinée, doivent-ils nous empêcher de reconnaître les immenses services qu'avait rendus la noblesse féodale pendant les siècles précédents?... La féodalité fut la trempe de l'esprit national en France; et cette trempe est bonne. Aujourd'hui que les châteaux seigneuriaux sont détruits pour toujours, nous pouvons être justes envers leurs anciens possesseurs; nous n'avons pas à examiner leurs intentions, mais les effets, résultats de leur puissance.

Au XIe siècle, les monastères attirent tout à eux, non-seulement les âmes délicates froissées par l'effrayant désordre qui existait partout, les esprits attristés par le tableau d'une société barbare où rien n'était assuré, où la force brutale faisait loi, mais aussi les grands caractères qui prévoyaient une dissolution générale si on ne parvenait pas à établir, au milieu de ce chaos, des principes d'obéissance et d'autorité absolue, appuyés sur la seule puissance supérieure qui ne fût pas contestée, celle de Dieu (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE). Bientôt, en effet, les monastères, qui renfermaient l'élite des populations, furent non-seulement un modèle de gouvernement, le seul, mais étendirent leur influence en dehors des cloîtres et participèrent à toutes les grandes affaires religieuses et politiques de l'Occident. Mais, par suite de son institution même, l'esprit monastique pouvait maintenir, régenter, opposer une digue puissante au désordre; il ne pouvait constituer la vie d'une nation, sa durée eût enfermé la civilisation dans un cercle infranchissable. Chaque ordre religieux était un centre dont on ne s'écartait que pour retomber dans la barbarie. À la fin du XIIe sièèle, l'esprit monastique était déjà sur son déclin; il avait rempli sa tâche. Alors l'élément laïque s'était développé dans les villes populeuses; les évêques et les rois lui offrirent, à leur tour, un point de ralliement en bâtissant les grandes cathédrales (voy. CATHÉDRALE). Autre danger; il y avait à craindre que la puissance royale, secondée par les évêques, ne soumît cette société à un gouvernement théocratique, immobile comme les anciens gouvernements de l'Égypte. C'est alors que la féodalité prend un rôle politique, peut-être à son insu, mais qu'il n'est pas moins important de reconnaître. Elle se jette entre la royauté et l'influence cléricale, empêchant ces deux pouvoirs de se confondre en un seul, mettant le poids de ses armes tantôt dans l'un des plateaux de la balance, tantôt dans l'autre. Elle opprime le peuple, mais elle le force de vivre; elle le réveille, elle le frappe ou le seconde, mais l'oblige ainsi à se reconnaître, à se réunir, à défendre ses droits, à les discuter, à en appeler même à la force; en lui donnant l'habitude de recourir aux tribunaux royaux, elle jette le tiers-état dans l'étude de la jurisprudence; par ses excès mêmes, elle provoque l'indignation de l'opprimé contre l'oppresseur. L'envie que causent ses priviléges devient un stimulant énergique, un ferment de haine salutaire, car il empêche les classes inférieures d'oublier un instant leur position précaire, et les force à tenter chaque jour de s'en affranchir. Mieux encore, par ses luttes et ses défiances, la féodalité entretient et aiguise l'esprit militaire dans le pays, car elle ne connaît que la puissance des armes; elle enseigne aux populations urbaines l'art de la fortification; elle les oblige à se garder; elle conserve d'ailleurs certains principes d'honneur chevaleresque que rien ne peut effacer, qui relevèrent l'aristocratie pendant les XVIe et XVIIe siècles, et qui pénétrèrent peu à peu jusque dans les plus basses classes de la société.

Il en est de l'éducation des peuples comme de celle des individus, qui, lorsqu'ils sont doués d'un tempérament robuste, apprennent mieux la vie sous des régents fantasques, durs et injustes même, que sous la main indulgente et paternelle de la famille. Sous le règne de Charles VI, la féodalité défendant mal le pays, le trahissant même, se fortifiant mieux que jamais dans les domaines, n'ayant d'autres vues que la satisfaction de son ambition personnelle, dévastant les campagnes et les villes sous le prétexte de nuire à tel ou tel parti, met les armes dans les mains du peuple, et Charles VII trouve des armées.

Si les provinces françaises avaient passé de l'influence monastique sous un régime monarchique absolu, elles eussent eu certainement une jeunesse plus heureuse et tranquille; leur agglomération sous ce dernier pouvoir eût pu se faire sans secousses violentes, mais auraient-elles éprouvé ce besoin ardent d'union, d'unité nationale qui fait notre force aujourd'hui et qui tend tous les jours à s'accroître? C'est douteux. La féodalité avait d'ailleurs un avantage immense chez un peuple qui se développait: elle entretenait le sentiment de la responsabilité personnelle, que le pouvoir monarchique absolu tend au contraire à éteindre; elle habituait chaque individu à la lutte; c'était un régime dur, oppressif, vexatoire, mais sain. Il secondait le pouvoir royal en forçant les populations à s'unir contre les châtelains divisés, à former un corps de nation.

Parmi les lois féodales qui nous paraissent barbares, il en était beaucoup de bonnes et dont nous devons, à nos dépens, reconnaître la sagesse, aujourd'hui que nous les avons détruites. L'inaliénabilité des domaines, les droits de chasse et de pêche entre autres, n'étaient pas seulement avantageux aux seigneurs, ils conservaient de vastes forêts, des étangs nombreux dont le défrichement et l'assèchement deviennent la cause de désastres incalculables pour le territoire, en nous envoyant ces inondations et ces sécheresses périodiques qui commencent à émouvoir les esprits disposés à trouver que tout est pour le mieux dans notre organisation territoriale actuelle. À cet égard, il est bon d'examiner d'un oeil non prévenu ces lois remplies de détails minutieux sur la conservation des domaines féodaux. Ces lois sont dictées généralement par la prudence, par le besoin d'empêcher la dilapidation des richesses du sol. Si aujourd'hui, malgré tous les soins des gouvernements armés de lois protectrices, sous une administration pénétrant partout, il est difficile d'empêcher les abus de la division de la propriété, dans quels désordres la culture des campagnes ne serait-elle pas tombée au moyen âge, si la féodalité n'eût pas été intéressée à maintenir ses priviléges de possesseurs de terres, priviléges attaqués avec plus de passion que de réflexion, par un sentiment d'envie plutôt que par l'amour du bien général. Si ces priviléges sont anéantis pour jamais; s'ils sont contraires au sentiment national, ce que nous reconnaissons; s'ils ne peuvent trouver place dans notre civilisation moderne, constatons du moins ceci: c'est qu'ils n'étaient pas seulement profitables aux grands propriétaires du sol, mais au sol lui-même, c'est-à-dire au pays. Laissons donc de côté les discours banals des détracteurs attardés de la féodalité renversée, qui ne voient, dans chaque seigneur féodal, qu'un petit tyran tout occupé à creuser des cachots et des oubliettes; ceux de ses amis qui nous veulent représenter ces barons comme des chevaliers défenseurs de l'opprimé et protecteurs de leurs vassaux, couronnant des rosières, et toujours prêts à monter à cheval pour Dieu et le roi; mais prenons la féodalité pour ce qu'elle fut en France, un stimulant énergique, un de ces éléments providentiels qui concoururent (aveuglément, peu importe) à la grandeur de notre pays; respectons les débris de ses demeures, car c'est peut-être à elles que nous devons d'être devenus en Occident la nation la plus unie, celle dont le bras et l'intelligence ont pesé et pèseront longtemps sur les destinées de l'Europe.

Examinons maintenant cette dernière phase, brillante encore, de la demeure féodale, celle qui commence avec le règne de Charles VI.

La situation politique du seigneur s'était modifiée; il ne pouvait plus compter, comme dans les beaux temps de la féodalité, sur le service de ses hommes des villages et campagnes (ceux-ci ayant manifesté leur haine profonde pour le système féodal); il savait que leur concours forcé eût été plus dangereux qu'utile; c'était donc à leurs vassaux directs, aux chevaliers qui tenaient des fiefs dépendant de la seigneurie et à des hommes faisant métier des armes qu'il fallait se fier, c'est-à-dire à tous ceux qui étaient mus par les mêmes intérêts et les mêmes goûts; c'est pourquoi le château de la fin du XIVe siècle prend, plus encore qu'avant cette époque, l'aspect d'une forteresse, bien que la puissance féodale ait perdu la plus belle part de son prestige. Le château du commencement du XVe siècle proteste contre les tendances populaires de son temps, il s'isole et se ferme plus que jamais; les défenses deviennent plus savantes parce qu'elles ne sont garnies que d'hommes de guerre. Il n'est plus une protection pour le pays, mais un refuge pour une classe privilégiée qui se sent attaquée de toutes parts, et qui fait un suprême effort pour ressaisir la puissance.

Au XIIe siècle, le château de Pierrefonds, ou plutôt de Pierre-fonts, était déjà un poste militaire d'une grande importance, possédé par un comte de Soissons, nommé Conon. Il avait été, à la mort de ce seigneur qui ne laissait pas d'héritiers, acquis par Philippe-Auguste, et ce prince avait confié l'administration des terres à un bailli et un prévôt, abandonnant la jouissance des bâtiments seigneuriaux aux religieux de Saint-Sulpice. Par suite de cette acquisition, les hommes coutumiers du bourg avaient obtenu du roi une «charte de commune qui proscrivoit l'exercice des droits de servitude, de main-morte et de formariage et en reconnaissance de cette immunité, les bourgeois de Pierrefonds devaient fournir au roi soixante sergents, avec une voiture attelée de quatre chevaux 132.» Par suite de ce démembrement de l'ancien domaine, le château n'était guère plus qu'une habitation rurale; mais sous le règne de Charles VI, Louis d'Orléans, premier duc de Valois, jugea bon d'augmenter ses places de sûreté, et se mit en devoir, en 1390, de faire reconstruire le château de Pierrefonds sur un point plus fort et mieux choisi, c'est-à-dire à l'extrémité du promontoire qui domine une des plus riches vallées des environs de Compiègne, en profitant des escarpements naturels pour protéger les défenses sur trois côtés, tandis que l'ancien château était assis sur le plateau même, à cinq cents mètres environ de l'escarpement. La bonne assiette du lieu n'était pas la seule raison qui dût déterminer le choix du duc d'Orléans. Si l'on jette les yeux sur la carte des environs de Compiègne, on voit que la forêt du même nom est environnée de tous côtés par des cours d'eau, qui sont: l'Oise, l'Aisne et les deux petites rivières de Vandi et d'Automne. Pierrefonds, appuyé à la forêt vers le nord, se trouvait ainsi commander un magnifique domaine facile à garder sur tous les points, ayant à sa porte une des plus belles forêts des environs de Paris. C'était donc un lieu admirable, pouvant servir de refuge et offrir les plaisirs de la chasse au châtelain. La cour de Charles VI était très-adonnée au luxe, et parmi les grands vassaux de ce prince, Louis d'Orléans était un des seigneurs les plus magnifiques, aimant les arts, instruit, ce qui ne l'empêchait pas d'être plein d'ambition et d'amour du pouvoir; aussi voulut-il que son nouveau château fut, à la fois, une des plus somptueuses résidences de cette époque et une forteresse construite de manière à défier toutes les attaques. Monstrelet en parle comme d'une place de premier ordre et un lieu admirable.

Pendant sa construction, le château de Pierrefonds, défendu par Bosquiaux, capitaine du parti des Armagnacs, fut attaqué par le comte de Saint-Pol, envoyé par Charles VI pour réduire les places occupées par son frère; Bosquiaux, plutôt que de risquer de laisser assiéger ce beau château encore inachevé, sur l'avis du duc d'Orléans, rendit la place, qui, plus tard, lui fut restituée. Le comte de Saint-Pol ne la quitta toutefois qu'en y mettant le feu. Louis d'Orléans répara le dommage et acheva son oeuvre. En 1420, le château de Pierrefonds, dont la garnison était dépourvue de vivres et de munitions, ouvrit ses portes aux Anglais. Charles d'Orléans et Louis XII complétèrent cette résidence; toutefois il est à croire que ces derniers travaux ne consistaient guère qu'en ouvrages intérieurs, car la masse encore imposante des constructions appartient aux commencements du XVe siècle.

Le château de Pierrefonds, dont nous donnons le plan (24), au niveau du rez-de-chaussée de la cour 133, est à la fois une forteresse de premier ordre et une résidence renfermant tous les services destinés à pourvoir à l'existence d'un grand seigneur et d'une nombreuse réunion de chevaliers. Séparée du plateau à l'extrémité duquel il est assis par un fossé A creusé à main d'homme dans le roc, son entrée principale G est précédée d'une vaste basse-cour C, autour de laquelle s'élevaient les écuries, étables et logements des serviteurs. On voit encore en C' l'abreuvoir circulaire destinée au bétail et aux chevaux. La porte d'entrée de la basse-cour était percée dans le mur de clôture de l'est. Les trois côtés nord, ouest et est du château dominent des escarpements très-prononcés au bas desquels s'étend le bourg de Pierrefonds. Pour pénétrer dans le château, il fallait franchir une porte ouverte à l'extrémité du mur des lices vers le point D, suivre sous les remparts les terrasses E E' E", entrer par la porte orientale de la basse-cour vers F, traverser diagonalement cette basse-cour, et se présenter devant l'entrée G percée d'une porte charretière et d'une poterne en équerre s'ouvrant de flanc. Cette première défense franchie sous l'énorme tour I du donjon qui la commande perpendiculairement, on se trouvait sur un pont de bois soutenu par deux piles isolées, et on arrivait aux ponts-levis H et K de la porte et de la poterne. Outre les ponts-levis, le couloir d'entrée L était muni de deux portes et d'une herse tombant en arrière de la petite porte du corps de garde M. Ce corps de garde occupait le rez-de-chaussée d'une haute tour de guet carrée, munie de son petit escalier particulier et de ses latrines N à tous les étages. Par elle-même, cette entrée est bien défendue, et la porte charretière de la défense extérieure étant ouverte, il était impossible à des gens placés dans la basse-cour de voir ce qui se passait dans la cour intérieure du château. Mais ce qui vient surtout rendre cette entrée difficile à forcer, c'est la grosse tour I du donjon dont les murs, d'une épaisseur considérable (4m,60), ne sont, à rez-de-chaussée, percés d'aucune ouverture et dont les machicoulis supérieurs devaient permettre d'écraser les assaillants qui se seraient emparés soit du pont, soit du fossé. La tour I se relie au donjon proprement dit, de forme carrée, divisé en plusieurs salles, et qui, par sa position, commande au loin les deux seuls points accessibles du château, c'est-à-dire ses faces sud et sud-est. Mais la construction de ce donjon mérite que nous l'étudiions avec soin, d'autant mieux qu'il diffère de ceux des XIIe et XIIIe siècles.

À Pierrefonds, le donjon est non-seulement le point principal de la défense, c'est encore l'habitation seigneuriale, construite avec recherche, et contenant un grand nombre de services propres à rendre ses appartements agréables. Il se compose d'un étage de caves, d'un rez-de-chaussée voûté dont nous donnons le plan, qui ne pouvait servir que de magasins, de dépôts de provisions, et de trois étages de salles munies de cheminées. À chaque étage, la distribution était pareille à celle du rez-de-chaussée; mais les salles, séparées par des planchers, ne possédaient plus les colonnes que nous voyons sur notre plan. De la salle principale des étages supérieurs, à laquelle on arrivait par le grand escalier P, on communiquait à la tour carrée O par un passage pratiqué dans l'angle de jonction, et ces salles principales étaient éclairées chacune par deux larges et hautes fenêtres percées dans le mur oriental de chaque côté des cheminées. Ce donjon était couvert par deux combles avec chéneau intermédiaire sur le mur de refend qui le coupe de l'est à l'ouest. Deux pignons à l'est et deux pignons à l'ouest fermaient ces deux combles. Entre le donjon et la tour sud-est étaient de grandes latrines J auxquelles on arrivait par un passage détourné; entre ces latrines et la petite salle sud-est du donjon est un retrait prenant jour sur la cour Q. De cette même salle sud-est, au niveau des caves, on communiquait à une petite poterne R donnant sur le fossé et à l'escalier de la tour d'angle. Un gros contre-fort S, à l'angle du donjon, sur la cour principale, était probablement terminé par une échauguette, sorte de petit redan qui commandait le couloir de l'entrée L. Le grand escalier P était précédé, du côté le plus en vue, sur la cour, par un large perron et une loge ou portique qui permettaient au seigneur et à ses principaux officiers de réunir la garnison dans la cour et de lui donner des ordres d'un point élevé 134. La disposition de ce perron dut être modifiée; nous avons lieu de croire qu'il n'était dans l'origine qu'une terrasse avec un petit escalier posé sur le côté. Une annexe importante du donjon de Pierrefonds, c'est la tour carrée O. Posée à l'angle nord-est, elle est flanquée de contre-forts portant à leur sommet des échauguettes, qui permettaient de voir ce qui se passait dans la campagne par-dessus la courtine T, la seule qui ne soit pas doublée par des bâtiments, car l'espace Q est une cour. En V, la courtine T est percée d'une large poterne munie de vantaux et d'un pont-levis; le seuil de cette poterne est placé à huit mètres au-dessus de la base extérieure de la muraille. À partir de cette base, l'escarpement du plateau étant assez abrupt, il n'est guère possible d'admettre qu'un pont à niveau donnait accès à la poterne; quoique en face, à cinquante mètres environ du rempart, il existe un mamelon qui paraît élevé en partie à main d'homme et qui semble avoir été surmonté d'un châtelet. Nous serions disposés à croire que la poterne V était munie d'une de ces trémies assez fréquemment employées dans les châteaux pour faire entrer, au moyen d'un treuil, les approvisionnements de toute nature, sans être obligé d'admettre des personnes étrangères à la garnison dans l'enceinte intérieure; dans ce cas, le châtelet, placé sur le mamelon en dehors, aurait été destiné à masquer et à protéger l'introduction des approvisionnements. Comme surcroît de précaution, le contre-fort nord-est de la tour O, relié à la chapelle Y, est percé d'une porte garnie de vantaux et d'une herse. Si donc il était nécessaire d'admettre des étrangers dans la cour Q pour l'approvisionnement du château, ceux-ci ne pouvaient pénétrer dans la cour intérieure, ni même voir ce qui s'y passait. Nous verrons tout à l'heure quelle était l'utilité double de cette porte X. La tour carrée O possède cinq étages au-dessus du rez-de-chaussée, se démanchant avec les planchers du donjon et ne communiquant, comme nous l'avons dit, avec ceux-ci que par des passages détournés et des bouts de rampes. C'était un ouvrage qui, au besoin, pouvait s'isoler, commandait les dehors par son élévation, donnait des signaux aux défenses supérieures de la grosse tour I et en pouvait recevoir. Les deux entrées principales du château G et V étaient ainsi fortement protégées par des ouvrages très-élevés et puissants, et les deux angles sud-ouest et nord-est du donjon, bien appuyés, bien flanqués, couvraient sa masse. Quant à l'angle sud-est, le plus exposé, il était devancé par une tour très-haute Z possédant une guette et cinq étages de défenses. Ce n'était pas par sa propre construction que le donjon de Pierrefonds, l'habitation seigneuriale, se défendait, mais par les appendices considérables dont il était entouré.

Les autres parties du château de Pierrefonds ne sont pas moins intéressantes à observer. La grand'salle était en a, couverte par une charpente avec entraits apparents, suivant l'usage. Une large cheminée la chauffait. La grand'salle était en communication avec une seconde salle b, d'où l'on parvenait à la tour du coin c. La construction de cette tour est fort singulière, et nous pensons qu'on peut la regarder comme destinée aux oubliettes. Il n'est pas un château dans lequel les Guides ne vous fassent voir des oubliettes, et généralement ce sont les latrines qui sont accusées d'avoir englouti des victimes humaines sacrifiées à la vengeance des châtelains féodaux; mais, cette fois, il nous parait difficile de ne pas voir de véritables oubliettes dans la construction de la tour sud-ouest du château de Pierrefonds. Au-dessus du rez-de-chaussée est un étage voûté en arcs ogives, et au-dessous de cet étage une cave d'une profondeur de 7 mètres, voûtée en calotte elliptique. On ne peut descendre dans cette cave que par un oeil percé à la partie supérieure de la voûte, c'est-à-dire au moyen d'une échelle ou d'une corde à noeuds; au centre de l'aire de cette cave circulaire est creusé un puits, qui nous a paru avoir huit mètres de profondeur, bien qu'en partie comblé; puits dont l'ouverture de 1m,60 de diamètre correspond à l'oeil pratiqué au centre de la voûte elliptique de la cave. Cette cave, qui ne reçoit ni jour ni air de l'extérieur, est accompagnée d'un siége d'aisance pratiqué dans l'épaisseur du mur. Elle était donc destinée à recevoir un être humain, et le puits creusé au centre de son aire était probablement une tombe toujours ouverte pour les malheureux que l'on voulait faire disparaître à tout jamais 135 (voy. OUBLIETTES).

Ce qui viendrait appuyer encore notre opinion, c'est que la grand'salle a servait, suivant l'usage, de tribunal (son parquet était placé en a'). Les justiciables cités devant le tribunal du seigneur étaient introduits par le corps de garde M dans la salle d'attente b, sans pouvoir entrer dans la cour du château, puisque la herse du passage L est placée au delà de l'entrée du corps de garde. C'était là, en effet, un point important, aucune personne étrangère à la garnison ne devant, à cette époque, pénétrer dans un château, à moins d'une permission spéciale. Après avoir subi la question dans la tour e joignant la grand'salle, si les accusés étaient reconnus coupables, ils étaient ramenés devant la tribune a' pour entendre prononcer leur condamnation, et de là entraînés dans la tour du coin c pour y être enfermés soit dans la salle du rez-de-chaussée, soit dans la cave, soit enfin dans le cul de basse-fosse que nous venons de décrire, suivant la rigueur de la peine qu'ils devaient subir. S'ils étaient reconnus innocents, ils sortaient par le corps de garde comme ils étaient entrés, sans pouvoir donner les moindres détails sur les dispositions intérieures du château, puisqu'ils n'avaient vu que le tribunal et ses annexes.

La grand'salle a et cette annexe b occupaient toute la hauteur du bâtiment en aile. La tour e était munie de cinq étages de défenses, flanquait la courtine et commandait le dehors des lices.

La garnison logeait dans l'aile du nord, et au rez-de-chaussée les cuisines étaient très-probablement disposées en l. Un grand escalier à vis f montait aux deux étages de cette aile au-dessus du rez-de-chaussée. La tour g contient de grandes latrines à tous les étages, ce qui indique sur ce point un nombreux personnel. Ces latrines sont ingénieusement disposées pour éviter l'odeur. Elles ont à l'étage inférieur une large fosse avec conduit latéral pour l'extraction des matières, et tuyau de ventilation 136. Un poste était établi dans les salles h. Les deux tours UU', les mieux conservées de tout le château, sont admirables comme construction et dispositions défensives; tous leurs étages, sauf les caves, sont munis de cheminées. Deux autres salles réservées à la garnison sont situées en m. C'était par la salle n que l'on descendait aux vastes caves qui s'étendent sous l'aile de l'ouest. Nous donnons en B le plan de l'étage inférieur de l'aile du nord au niveau du sol des lices, qui se trouve à huit mètres en contrebas du sol de la cour intérieure. En p est une petite poterne fermée seulement par des vantaux. C'était par cette poterne que devaient sortir et rentrer les rondes en cas de siége et avant la prise des lices. Pour se faire ouvrir la porte, les rondes se faisaient reconnaître au moyen d'un porte-voix pratiqué à la gauche de cette poterne, et qui, se divisant en deux branches dans l'épaisseur du mur de refend, correspondait au poste du rez-de-chaussée h et au premier étage. Il fallait ainsi que deux postes séparés eussent reconnu la ronde pour faire ouvrir la poterne par des hommes placés dans un entresol situé au-dessus de l'espace q, à mi-étage. Mais ces hommes n'entendaient pas le mot de passe jeté par ceux du dehors dans le porte-voix, et ne devaient aller ouvrir la poterne, en descendant par un escalier de bois pratiqué en u, qu'après en avoir reçu avis du poste supérieur. D'ailleurs, en cas de trahison, le poste voûté de l'entresol, ne communiquant pas avec le rez-de-chaussée de la cour, n'eût pas permis à l'ennemi de s'introduire dans le château, en admettant qu'il fût parvenu à surprendre ce poste. Une fois la ronde entrée par la poterne p, il était nécessaire qu'elle connût les distributions intérieures du château; car, pour parvenir à la cour, il lui fallait suivre à gauche le couloir s, se détourner sous l'aile de l'est, monter par le petit escalier à vis t, passer sur un pont volant assez élevé au-dessus de la cour Q, et se présenter devant la porte X fermée de vantaux et par une herse. Si une troupe ennemie s'introduisait par la poterne p, trois couloirs se présentaient à elle, dont deux, les couloirs r et k, sont des impasses; elle risquait ainsi de s'égarer et de perdre un temps précieux.

Si les dispositions défensives du château de Pierrefonds n'ont pas la grandeur majestueuse de celles du château de Coucy, elles ne laissent pas d'être combinées avec un art, un soin et une recherche dans les détails, qui prouvent à quel degré de perfection étaient arrivées les constructions des places fortes seigneuriales à la fin du XIVe siècle, et jusqu'à quel point les châtelains à cette époque étaient en défiance des gens du dehors.

Les lices EE'E" étaient autrefois munies de merlons détruits pour placer du canon à une époque plus récente; elles dominent l'escarpement naturel qui est de vingt mètres environ au-dessus du fond du vallon. Au sud de la basse-cour, le plateau s'étend de plain-pied en s'élargissant et se relie à une chaîne de collines en demi-lune présentant sa face concave vers la forteresse. Cette situation était fâcheuse pour le château, du moment que l'artillerie à feu devenait un moyen ordinaire d'attaque, car elle permettait d'envelopper la face sud d'un demi-cercle de feux convergents. Aussi, dès l'époque de Louis XII, deux forts en terre, dont on retrouve encore la trace, avaient été élevés au point de jonction du plateau avec la chaîne de collines. Entre ces forts et la basse-cour, de beaux jardins s'étendaient sur le plateau, et ils étaient eux-mêmes entourés de murs de terrasses avec parapets.

Nous avons vainement cherché les restes des aqueducs qui devaient nécessairement amener de l'eau dans l'enceinte du château de Pierrefonds. Nulle trace de puits dans cette enceinte, non plus que dans la basse-cour. Les approvisionnements d'eau étaient donc obtenus au moyen de conduites qui prenaient les sources que l'on rencontre sur les rampants des collines se rattachant au plateau. Tout ce qui est nécessaire à la vie journalière d'une nombreuse garnison et à sa défense est trop bien prévu ici pour laisser douter du soin apporté par les constructeurs dans l'exécution des aqueducs. Il serait intéressant de retrouver la trace de ces conduits au moyen de fouilles dirigées avec intelligence.

Une vue cavalière du château de Pierrefonds, prise du côté des lices du nord (25), fera saisir l'ensemble de ces dispositions, qui sont encore aujourd'hui très-imposantes malgré l'état de ruine des constructions.

Mais ce qui doit particulièrement attirer notre attention dans cette magnifique résidence, c'est le système de défense nouvellement adopté à cette époque. Chaque portion de courtine est défendue à sa partie supérieure par deux étages de chemins de ronde, l'étage inférieur étant muni de machicoulis, créneaux et meurtrières; l'étage supérieur, sous le comble, de créneaux et meurtrières seulement (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 37). Les sommets des tours possèdent trois, quatre et cinq étages de défenses, un chemin de ronde avec machicoulis et créneaux au niveau de l'étage supérieur des courtines, un ou deux étages de créneaux avec meurtrières intermédiaires et un parapet crénelé autour des combles. Si l'on s'en rapporte à une vignette assez ancienne (XVIe siècle), la tour e, bâtie au milieu de la courtine de l'ouest, vers la ville, possédait cinq étages de défenses, ainsi que celles du coin Z et du donjon I. Une guette très-élevée surmontait celle du coin. Malgré la multiplicité de ces défenses, elles pouvaient être garnies d'un nombre de défenseurs relativement restreint, car elles sont disposées avec ordre, les communications sont faciles, les courtines sont bien flanquées par des tours saillantes et rapprochées, les rondes peuvent se faire de plain-pied tout autour du château à la partie supérieure sans être obligé de descendre des tours sur les courtines et de remonter de celles-ci dans les tours, ainsi que l'on était forcé de le faire dans les châteaux des XIIe et XIIIe siècles. On remarquera qu'aucune meurtrière n'est percée à la base des tours. Ce sont les crénelages des murs extérieurs des lices qui seuls défendaient les approches. La garnison, forcée dans cette première enceinte, se réfugiait dans le château, et, occupant les étages supérieurs, bien couverts par de bons parapets, écrasait les assaillants qui tentaient de s'approcher du pied des remparts.

Bertrand Du Guesclin avait attaqué quantité de châteaux bâtis pendant les XIIe et XIIIe siècles, et profitant du côté faible des dispositions défensives de ces places fortes, il faisait, le plus souvent, appliquer des échelles le long des courtines basses des châteaux de cette époque, en ayant le soin d'éloigner les défenseurs par une grèle de projectiles; il brusquait l'assaut et prenait les places autant par échelades que par les moyens lents de la mine et de la sape.

Nous avons indiqué, dans les notes sur la description du Louvre de Guillaume de Lorris, comment la défense des anciens châteaux des XIIe et XIIIe siècles exigeait un grand nombre de postes divisés, se défiant les uns des autres et se gardant séparément. Ce mode de défense était bon contre des troupes n'agissant pas avec ensemble, et procédant, après un investissement préalable, par une succession de siéges partiels ou par surprise; il était mauvais contre des armées disciplinées entraînées par un chef habile qui, abandonnant les voies suivies jusqu'alors, faisait sur un point un grand effort, enlevait les postes isolés sans leur laisser le temps de se reconnaître et de se servir de tous les détours et obstacles accumulés dans la construction des forteresses. Pour se bien défendre dans un château du XIIIe siècle, il fallait que la garnison n'oubliât pas un instant de profiter de tous les détails infinis de la fortification. La moindre erreur ou négligence rendait ces obstacles non-seulement inutiles, mais même nuisibles aux défenseurs; et dans un assaut brusqué, dirigé avec énergie, une garnison perdait ses moyens de résistance à cause même de la quantité d'obstacles qui l'empêchaient de se porter en masses sur un point attaqué. Les défenseurs, obligés de monter et de descendre sans cesse, d'ouvrir et de fermer quantité de portes, de filer un à un dans de longs couloirs et des passages étroits, trouvaient la place emportée avant d'avoir pu faire usage de toutes leurs ressources. Cette expérience profita certainement aux constructeurs de forteresses à la fin du XIVe siècle; ils élevèrent les courtines pour se garantir des échelades, n'ouvrirent plus de meurtrières dans les parties basses des ouvrages, mais les renforcèrent par des talus qui avaient en outre l'avantage de faire ricocher les projectiles tombant des machicoulis; ils mirent les chemins de ronde et courtines en communication directe, afin de présenter, au sommet de la fortification, une ceinture non-interrompue de défenseurs pouvant facilement se rassembler en nombre vers le point attaqué et recevant les ordres avec rapidité; ils munirent les machicoulis de parapets solides bien crénelés et couverts, pour garantir les hommes contre les projectiles lancés du dehors. Les chemins de ronde donnant dans les salles supérieures servant de logements aux troupes (des bâtiments étant alors adossés aux courtines), les soldats pouvaient à toute heure et en un instant occuper la crête des remparts.

Le château de Pierrefonds remplit exactement ce nouveau programme. Nous avons fait le calcul du nombre d'hommes nécessaire pour garnir l'un des fronts de ce château. Ce nombre pouvait être réduit à soixante hommes pour les grands fronts et à quarante pour les petits côtés. Or pour attaquer deux fronts à la fois, il faudrait supposer une troupe très-nombreuse, deux mille hommes au moins, tant pour faire les approches que pour forcer les lices, s'établir sur les terre-plains E E'E'', faire approcher les engins et les protéger. La défense avait donc une grande supériorité sur l'attaque. Par les larges machicoulis des chemins de ronde inférieurs, elle pouvait écraser les pionniers qui auraient voulu s'attacher à la base des murailles. Pour que ces pionniers pussent commencer leur travail, il eût fallu soit creuser des galeries de mines, soit établir des passages couverts en bois; ces opérations exigeaient beaucoup de temps, beaucoup de monde et un matériel de siége. Les tours et courtines sont d'ailleurs renforcées à la base par un empattement qui double à peu près l'épaisseur de leurs murs, et la construction est admirablement faite en bonne maçonnerie, avec revêtement de pierre de taille dure. Les assaillants se trouvaient, une fois dans les lices, sur un espace étroit, ayant derrière eux un précipice et devant eux de hautes murailles couronnées par plusieurs étages de défenses; ils ne pouvaient se développer, leur grand nombre devenait un embarras; exposés aux projectiles de face et d'écharpe, leur agglomération sur un point devait être une cause de pertes sensibles; tandis que les assiégés, bien protégés par leurs chemins de ronde couverts, dominant la base des remparts à une grande hauteur, n'avaient rien à redouter et ne perdaient que peu de monde. Une garnison de trois cents hommes pouvait tenir en échec un assiégeant dix fois plus fort pendant plusieurs mois. Si, après s'être emparé des deux forts du jardin et de la basse-cour de Pierrefonds, l'assiégeant voulait attaquer le château par le côté de l'entrée, il lui fallait combler un fossé très-profond enfilé par la grosse tour I du donjon et par les deux tours de coin; sa position était plus mauvaise encore, car soixante hommes suffisaient largement sur ce point pour garnir les défenses supérieures; et, pendant l'attaque, une troupe, faisant une sortie par la poterne p, allait prendre l'ennemi en flanc dans le fossé, soit par le terre-plain E, soit par celui E''. Le châtelain de Pierrefonds pouvait donc, à l'époque où ce château fut construit, se considérer comme à l'abri de toute attaque, à moins que le roi n'envoyât une armée de plusieurs mille hommes bloquer la place et faire un siége en règle. L'artillerie à feu seule pouvait avoir raison de cette forteresse, et l'expérience prouva que, même devant ce moyen puissant d'attaque, la place était bonne; Henri IV voulut la réduire; elle était encore entre les mains d'un ligueur nommé Rieux 137; le duc d'Épernon se présenta devant Pierreronds, en mars 1591, avec un gros corps d'armée et du canon; mais il n'y put rien faire, et leva le siége après avoir reçu un coup de feu pendant une attaque générale qui fut repoussée par Rieux et quelques centaines de routiers qu'il avait avec lui. Toutefois, ce capitaine, surpris avec un petit nombre des siens pendant qu'il faisait le métier de voleur de grand chemin, fut pendu à Noyon, et la place de Pierrefonds, commandée par son lieutenant, Antoine de Saint-Chamant, fut de nouveau assiégée par l'armée royale, sous les ordres de François des Ursins, qui n'y fit pas mieux que d'Épernon. Une grosse somme d'argent donnée au commandant de Pierrefonds fit rentrer enfin cette forteresse dans le domaine royal 138.

En 1616, le marquis de Coeuvre, capitaine de Pierrefonds, ayant embrassé le parti des Mécontents, le cardinal de Richelieu fit décider dans le conseil du roi que la place serait assiégée par le comte d'Auvergne. Cette fois elle fut attaquée avec méthode et en profitant de la disposition des collines environnantes. Des batteries, protégées par de bons épaulements qui existent encore, furent élevées sur la crête de la demi-lune de coteaux qui cerne le plateau à son extrémité sud. Les deux fortins ayant été écrasés de feux furent abandonnés par les assiégés; le comte d'Auvergne s'en empara aussitôt, y établit des pièces de gros calibre, et, sans laisser le temps à la garnison de se reconnaître, ouvrit contre la grosse tour du donjon, la courtine sud et les deux tours du coin, un feu terrible qui dura deux jours sans relâche. À la fin du second jour, la grosse tour du donjon s'écroula, entraînant dans sa chute une partie des courtines environnantes. Le capitaine Villeneuve, qui commandait pour le marquis, s'empressa dès lors de capituler, et Richelieu fit démanteler la place, trancher les tours du nord, et détruire la plus grande partie des logements.

Tel qu'il est encore aujourd'hui, avec ses bâtiments rasés et ses tours éventrées à la sape, le château de Pierrefonds est un sujet d'études inépuisable. Des fouilles ont déjà dégagé les ouvrages du sud vers le fossé, et si ces travaux étaient continués, ils donneraient des renseignements précieux; car c'est de ce côté que devaient être les défenses les plus fortes, comme étant le plus accessible. On voit encore dans les salles ruinées du donjon des traces qui indiquent leur décoration intérieure et qui consistait principalement en boiseries appliquées contre les murs. Les rainures destinées à recevoir les bâtis de ces lambris existent, ainsi que de nombreux scellements et quantité de clous à crochets propres à suspendre des tapisseries. Bien que la destruction de cette forteresse ait été une nécessité, on ne peut, en voyant ses ruines importantes, s'empêcher de regretter qu'elle ne soit pas parvenue intacte jusqu'à nos jours, car elle présentait certainement le spécimen le plus complet d'un château bâti d'un seul jet, à une époque où l'artillerie à feu n'était pas encore employée comme moyen d'attaque contre les forteresses, et où cependant les armes à jet du moyen âge et tous les engins de siége avaient atteint leur plus grande perfection. Il nous donnerait une idée de ce qu'étaient ces demeures déjà richement décorées à l'intérieur, où les habitudes de luxe et de comfort même commençaient à prendre, dans la vie des seigneurs, une grande place.

Si nous voulons voir un château de la même époque, mais bâti dans des proportions plus modestes, il nous faut aller à Sully-sur-Loire. Le plan que nous en donnons (26) est à la même échelle que celui de Pierrefonds 139. Les tours de ces deux forteresses, combinées de la même manière au point de vue de la défense à leur sommet, sont de diamètres égaux. Mais Pierrefonds est un château bâti sur un escarpement, tandis que Sully est un château de plaine élevé sur le bord de la Loire, entouré de larges et profonds fossés B alimentés par le fleuve. C'est le bâtiment principal F, le donjon, qui fait face à la Loire et qui n'en est séparé que par un fossé et une levée assez étroite. En avant de l'unique entrée C est la basse-cour entourée d'eau et protégée par des murs d'enceinte dont les soubassements existent seuls aujourd'hui. La porte est, conformément aux dispositions adoptées dès le XIIIe siècle, divisée en porte charretière et poterne, ayant l'une et l'autre leur pont-levis particulier. Lorsqu'on est entré dans la cour D, on ne peut pénétrer dans le donjon F qu'en passant sur un second pont-levis jeté sur un fossé et une porte bien défendue flanquée de deux tourelles, dont l'une contient l'escalier qui dessert les trois étages de ce bâtiment. Outre cet escalier principal, chaque tour possède son escalier de service. Les étages des tours, comme à Pierrefonds, ne sont point voûtés, mais séparés par des planchers en bois. Le corps de logis F, divisé en deux salles, possède un rez-de-chaussée et deux étages fort beaux 140, le second étant mis en communication avec les chemins de ronde munis de machicoulis, de meurtrières et de créneaux. Comme à Pierrefonds aussi, les tours dominent de beaucoup le grand corps de logis F, qui lui-même commande les bâtiments en aile. Les côtés G étaient seulement défendus par des courtines couvertes et une tour de coin 141.

La vue cavalière de ce château (27), prise vers l'angle sud-ouest du donjon, explique la disposition générale des bâtiments et les divers commandements. Il n'y a qu'un étage de défenses à Sully, mais la largeur des fossés remplis d'eau était un obstacle difficile à franchir; il n'était pas nécessaire, comme à Pierrefonds, de se prémunir contre les approches et le travail des mineurs 142.

Nous ne croyons pas nécessaire de multiplier les exemples de châteaux bâtis de 1390 à 1420, car, en ce qui touche à la défense, ces constructions ont, sur toute la surface de la France, une analogie frappante. Si, au XIIe siècle, on rencontre des différences notables dans la façon de fortifier les résidences seigneuriales, au commencement du XVe siècle il y avait unité parfaite dans le mode général de défense des places et dans les habitudes intérieures du châtelain. Une grande révolution se préparait cependant, révolution qui devait à tout jamais détruire l'importance politique des châteaux féodaux; l'artillerie à feu devenait un moyen terrible d'attaque et de défense; employée d'abord en campagne contre les armées mobiles, on reconnut bientôt qu'elle pouvait servir à la défense des forteresses. On plaça donc des bouches à feu à l'entour des châteaux, le long des lices et sur les plates-formes. Beaucoup de donjons et de tours virent enlever leur toiture, qui fut remplacée par des terrasses pour loger de l'artillerie. Toutefois ces engins, posés sur des points très-élevés, devaient causer au milieu des assaillants plus d'effroi que de mal; leur feu plongeant et assez rare (ces pièces étant fort longues à charger) ne causait pas grand dommage. D'un autre côté, les assiégeants amenèrent aussi des pièces de fort calibre pour battre les murailles, et leur effet fut tel que les possesseurs des châteaux reconnurent bientôt qu'il fallait modifier les défenses pour les préserver contre ces nouveaux engins de destruction. Ce ne fut qu'à grand'peine cependant qu'ils se rendirent à l'évidence, tant les vieilles tours de leurs châteaux leur inspiraient de confiance. L'artillerie à feu fut, au contraire, adoptée avec empressement par les armées nationales, par le peuple et la royauté. Le peuple, soit instinct, soit calcul, comprit rapidement qu'il avait enfin entre les mains le moyen de détruire cette puissance féodale à laquelle, depuis le XIVe siècle, il avait voué une haine mortelle. Une armée de vilains ne savait pas résister à ces hommes couverts de fer, habitués dès l'enfance au maniement des armes et possédant cette confiance en leur force et leur courage qui supplée au nombre. Les tentatives de révolte ouverte avaient été d'ailleurs cruellement châtiées pendant le XIVe siècle, et à la place des vieux châteaux du XIIe siècle, les populations des campagnes et des bourgades avaient vu, pendant le règne de Charles V et au commencement de celui de Charles VI, leurs seigneurs dresser de nouvelles forteresses aussi imposantes d'aspect qu'elles étaient bien munies et combinées pour la défense. Les barons, plus orgueilleux que jamais, malgré la diminution de leur puissance politique, n'avaient pas à craindre les soulèvements populaires derrière leurs murailles, et regardaient alors un bon château comme un moyen de composer avec les partis qui déchiraient le pays. La royauté affaiblie, ruinée, sans influence sur ses grands vassaux, semblait en être revenue aux humiliations des derniers Carlovingiens. L'invasion étrangère ajoutait encore à ces malheurs, et les seigneurs, soit qu'ils restassent fidèles au roi de France, soit qu'ils prissent parti pour les Bourguignons et les Anglais, conservaient leurs places fortes comme un moyen d'obtenir des concessions de l'un ou l'autre parti au détriment des populations, qui, dans ces intrigues et ces marchés, étaient toujours foulées et supportaient seules les frais et les dommages d'une guerre désastreuse.

Cependant des bourgeois, des gens de métier cherchaient à tirer parti de la nouvelle puissance militaire que le XIVe siècle avait vu naître, et, vers 1430, grâce à leurs efforts, les armées royales pouvaient déjà dresser des batteries de canons devant les châteaux (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE).

Mais alors, en France, la noblesse comme le peuple étaient tout occupés à chasser les Anglais du royaume, et la grande guerre étouffait ces querelles de seigneur à seigneur, non qu'elles n'eussent toujours lieu, mais elles n'avaient pas d'importance en face des événements qui agitaient la nation. Aussi, peu de châteaux furent élevés pendant cette période de luttes terribles. Dans les châteaux bâtis vers le milieu du XVe siècle, on voit cependant que l'artillerie à feu commence à préoccuper les constructeurs; ceux-ci n'abandonnent pas l'ancien système de courtines flanquées de tours, système consacré par un trop long usage pour être mis brusquement de côté; mais ils le modifient dans les détails; ils étendent les défenses extérieures et ne songent pas encore à placer du canon sur les tours et courtines. Conservant les couronnements pour la défense rapprochée, ils garnissent de bouches à feu les parties inférieures des tours.

Cette transition est fort intéressante à étudier, et quoique nous possédions peu de châteaux qui aient été bâtis d'un seul jet pendant le règne de Charles VII, il en est un cependant que nous donnerons ici, tant à cause de son état de conservation que parce que son système de défense est suivi avec méthode dans toutes ses parties; c'est le château de Bonaguil. Sis à quelques kilomètres de Villeneuve-d'Agen, ce château est bâti sur un promontoire qui commande un défilé; son assiette est celle de tous les châteaux de montagne; entouré d'escarpements, il n'est accessible que d'un seul côté.

En voici le plan (28) 143: en A est la première entrée, munie d'un pont-levis et s'ouvrant dans un ouvrage avancé, sorte de barbacane ou de boulevard O. On voit ici déjà que les constructeurs se sont efforcés de flanquer cette première défense. En R étaient des écuries probablement.

Un large fossé taillé dans le roc sépare l'ouvrage avancé du château, dans lequel on pénètre par un second pont-levis B avec porte et poterne C. Un donjon E, de forme bizarre, commande les dehors, l'ouvrage avancé O et les fossés. En P sont élevés les bâtiments d'habitation auxquels on arrive par un bel escalier à vis J. D est la rampe qui monte à la porte surélevée du donjon E. En S est un ouvrage séparé du château par le donjon. Comme à Pierrefonds, le donjon établit une séparation entre deux cours. Les ponts-levis relevés, on ne pouvait s'introduire dans le château qu'en franchissant la poterne F percée dans le mur de contre-garde extérieur, en suivant le fond du fossé N, en franchissant une seconde porte G percée dans une traverse, une troisième porte H donnant sur une belle plate-forme M, en prenant l'escalier I, et passant par un petit pont-levis K. Là on trouvait un bel et large escalier à paliers ne communiquant à l'escalier J intérieur que par un étroit et sombre couloir sur lequel, à droite et à gauche, s'ouvrent des meurtrières. Le grand escalier ne monte que jusqu'au rez-de-chaussée, surélevé de la cour intérieure; sa cage se termine à son sommet par une grosse tour carrée en communication avec les appartements. On voit qu'ici, comme dans les anciens châteaux féodaux, toutes les précautions les plus minutieuses étaient prises pour masquer les entrées et les rendre d'un accès difficile. Par le fait, il n'y a qu'une seule entrée, celle A B, les détours que nous venons de décrire ne pouvant être pratiqués que par les familiers du château et pour faire des sorties lorsque besoin était. Mais des dispositions, toutes nouvelles alors, viennent modifier l'ancien système défensif; d'abord l'ouvrage avancé O avec la plate-forme M donnent des saillants considérables, qui battent les dehors au loin, et flanquent le château du côté où il est accessible de plain-pied; puis au ras de la contrescarpe des fossés, au niveau de la crête des murs de contre-garde, des embrasures pour du canon sont percées à rez-de-chaussée dans les courtines et les étages inférieurs des tours; les tours sont à peine engagées, pour mieux flanquer les courtines. Si l'on en juge par l'ouverture des portes qui donnent entrée dans les tours, les pièces mises ainsi en batterie à rez-de-chaussée ne pouvaient être d'un gros calibre. Quant aux couronnements, ils sont munis de chemins de ronde saillants avec machicoulis et créneaux; mais les consoles portant les parapets de la grosse tour cylindrique ne sont plus de simples corbeaux de 0,30 c. à 0,40 c. d'épaisseur; ce sont de gros encorbellements, des pyramides posées sur la pointe, qui résistaient mieux au boulet que les supports des premiers machicoulis (voy. MACHICOULIS). Les merlons des parapets sont percés de meurtrières qui indiquent évidemment, par leur disposition, l'emploi d'armes à feu de mains.

Voici (29) une vue cavalière de ce château, prise du côté de l'entrée 144. On voit, dans cette figure, que les embrasures destinées à l'artillerie à feu sont percées dans les étages inférieurs des constructions, et suivent la déclivité du terrain, de manière à raser les alentours. Pour les couronnements des tours, la méthode adoptée au XIVe siècle est encore suivie. La transition est donc évidente ici, et le problème que les architectes militaires cherchaient à résoudre dans la construction des places fortes vers le milieu du XVe siècle pourrait être résumé par cette formule: «Battre les dehors au loin, défendre les approches par un tir rasant de bouches à feu, et se garantir contre l'escalade par un commandement très-élevé, couronné suivant l'ancien système pour la défense rapprochée. 145» Le donjon, couvert en terrasse et fortement voûté, était fait aussi pour recevoir du canon à son sommet, ce qui était d'ailleurs justifié par les abords qui, d'un côté, commandent le château.

Sous Louis XI, la ligue du Bien Public marqua le dernier effort de l'aristocratie féodale pour ressaisir son ancienne puissance; à cette époque, beaucoup de seigneurs garnirent leurs châteaux de nouvelles défenses appropriées à l'artillerie; ces défenses consistaient principalement en ouvrages extérieurs, en grosses tours épaisses et percées d'embrasures pour recevoir du canon, en plates-formes ou boulevards commandant les dehors.

Le plan du château d'Arques, que nous avons donné (fig. 4), a conservé en B un ouvrage de la fin du XVe siècle, disposé en avant de l'ancienne entrée pour battre le plateau situé en face du côté du nord, et empêcher un assiégeant d'enfiler la cour du château, au moyen de batteries montées sur ce plateau, qui n'en est séparé que de deux cents mètres. Ces défenses jouèrent un rôle assez important pendant la journée d'Arques, le 21 septembre 1589, en envoyant quelques volées de leurs pièces au milieu de la cavalerie de Mayenne, au moment où la victoire était encore incertaine. L'ouvrage avancé du château d'Arques est bien construit et possède, pour l'époque, d'assez bons flanquements. Dans les positions déjà très-fortes par la situation des lieux, les seigneurs féodaux prirent généralement peu de souci de l'artillerie et se contentèrent de quelques fortins élevés autour de leurs demeures pour protéger les abords et commander les chemins; c'est surtout autour des châteaux de plaine que des travaux furent exécutés, à la fin du XVe siècle, pour présenter des obstacles à l'artillerie à feu, que l'on découronna un grand nombre de tours afin de les terrasser et d'y placer du canon, que l'on fit des remblais derrière les courtines pour pouvoir mettre sur leur crête des pièces en batterie, et que l'on supprima les vieilles barbacanes pour les remplacer par des plates-formes ou boulevards, carrés ou circulaires. Cependant les seigneurs qui bâtissaient à neuf des châteaux de montagne avaient égard aux nouveaux moyens d'attaque.

Le château de Bonaguil nous a fait voir déjà comment on avait cherché, vers le milieu du XVe siècle, à munir d'artillerie une demeure féodale par certaines dispositions de détail qui ne changeaient rien, en réalité, aux dispositions générales antérieures à cette époque. Il n'en fut pas longtemps ainsi, et les châtelains reconnurent, à leurs dépens, que, pour protéger leur demeure féodale, il fallait planter des défenses en avant et indépendantes des bâtiments d'habitation; qu'il fallait s'étendre en dehors, sur tous les points saillants, découverts, afin d'empêcher l'ennemi de placer ses batteries de siége sur quelque plateau commandant le château.

Ce commencement de la transition entre l'ancien système de défense et le nouveau est visible dans le château du Hoh-Koenigsbourg, situé entre Sainte-Marie aux Mines et Schelestadt, sur le sommet d'une des montagnes les plus élevées de l'Alsace. Au XVe siècle, les seigneurs du Hoh-Koenigsbourg s'étaient rendus redoutables à tous leurs voisins par leurs violences et leurs actes de brigandage 146. Les plaintes devinrent si graves que l'archiduc Sigismond d'Autriche, landgrave de l'Alsace supérieure, s'allia avec l'évêque de Strasbourg, landgrave de l'Alsace inférieure, avec les seigneurs de Ribeaupierre, l'évêque et la ville de Bale, pour avoir raison des seigneurs du Hoh-Koenigsbourg. Les alliés s'emparèrent en effet du château, en 1462, et le démolirent. Ce domaine, par suite d'une de ces transmissions si fréquentes dans l'histoire des fiefs, fut cédé à la maison d'Autriche. Dix-sept ans après la destruction du Hoh-Koenigsbourg, l'empereur Frédéric IV le concéda en fief aux frères Oswald et Guillaume, comtes de Thierstein, ses conseillers et serviteurs 147. Ceux-ci s'empressèrent de relever le Hoh-Koenigsbourg de ses ruines et en firent une place très-forte pour l'époque, autant à cause de son assiette naturelle que par ses défenses propres à placer de l'artillerie a feu.

Nous donnons (30) le plan de l'ensemble de la place. Pour s'expliquer la forme bizarre de ce plan, il faut savoir que le Hoh-Koenigsbourg est assis sur le sommet d'une montagne formant une crête de rochers abrupts dominant la riche vallée de Schelestadt et commandant deux défilés. Les constructions, à des niveaux très-différents, par suite de la nature du sol, s'enfoncent dans un promontoire de roches du côté A, et, se relevant sur un pic en B, suivent la pente de la montagne jusqu'au point C. Les bâtiments d'habitation sont élevés en D, probablement sur l'emplacement du vieux château dont on retrouve des portions restées debout et englobées dans les constructions de 1479. Les frères Oswald et Guillaume firent trancher une partie du plateau pour établir les gros ouvrages de contre-approche E. Car c'est par ce côté seulement que le château est abordable. À deux cents mètres environ de ce point, sur le prolongement de la crête de la montagne, s'élevait un fortin détruit aujourd'hui, mais dont l'assiette importait à la sûreté de la place. L'ouvrage E, terrassé en F, oppose des épaisseurs énormes de maçonnerie du seul côté où l'assiégeant pouvait établir des batteries de siége. Vers le rampant de la crête en G est un ouvrage supérieur muni de tours flanquantes pour du canon, et en H une enceinte inférieure se terminant en étoile et percée d'embrasures pour des arquebusiers ou des pièces de petit calibre. Outre ces défenses majeures, une enceinte I flanquée de tourelles bat l'escarpement et devait enlever aux assaillants tout espoir de prendre le château par escalade. L'entrée est en K, et l'on arrive, après avoir pourtourné le gros ouvrage G, aux parties supérieures occupées par les bâtiments d'habitation, dont nous donnons le plan (31). La tour carrée L est le donjon qui domine l'ensemble des défenses et paraît appartenir à l'ancien château; en M est la grand'salle, une des plus grandioses conceptions du moyen âge qui se puisse voir. Nous avons l'occasion de revenir sur cette belle construction au mot SALLE.

Quoique le château du Hoh-Koenigsbourg présente un singulier mélange des anciennes et nouvelles dispositions défensives, on y trouve déjà cependant une intention bien marquée d'employer l'artillerie à feu et de s'opposer à ses effets; sous ce rapport, et à cause de la date précise de sa construction, cette place mérite d'être étudiée. Les constructions paraissent avoir été élevées à la hâte et en partie avec des débris plus anciens; mais on trouve dans leur ensemble une grandeur, une hardiesse qui produisent beaucoup d'effet. La partie réservée à l'habitation particulièrement semble appartenir à des temps héroïques. La grand'salle M, à deux étages, était voûtée à sa partie supérieure, probablement pour placer du canon sur la terrasse. Posées en travers de la crête du rocher, les batteries en barbette, établies sur cette plate-forme très-élevée, commandaient d'un côté le gros ouvrage E et le revers de celui G. Le donjon L est complétement dépourvu d'ouvertures, sauf la porte, qui est étroite et basse. C'était probablement dans cette tour qu'étaient conservées les poudres. Sa partie supérieure, à laquelle on ne pouvait arriver que par un petit escalier extérieur, servait de guette, car elle domine, autant par son assiette sur une pointe de rocher que par sa hauteur, l'ensemble des défenses.

En 1633, le château de Hoh-Koenigsbourg, entretenu et habité par une garnison jusqu'alors, fut assiégé par les Suédois. Ceux-ci, s'étant emparés du fortin extérieur, y montèrent une batterie de mortiers et bombardèrent la place, qui n'était pas faite pour résister à ces terribles engins. Elle fut en partie détruite, incendiée, et la garnison fut obligée de se rendre.

Mais, à la fin du XVe siècle, l'artillerie à feu allait commencer le grand nivellement de la société française. L'artillerie à feu exigeait l'emploi de moyens de défense puissants et dispendieux. Les seigneurs n'étaient plus assez riches pour bâtir des forteresses en état de résister d'une manière sérieuse à ce nouvel agent de destruction, pour les munir efficacement, ni assez indépendants pour pouvoir élever des châteaux purement militaires en face de l'autorité royale, sous les yeux de populations décidées à ne plus supporter les abus du pouvoir féodal. Déjà à cette époque les seigneurs paraissent accepter leur nouvelle condition; s'ils bâtissent des châteaux, ce ne sont plus des forteresses qu'ils élèvent, mais des maisons de plaisance dans lesquelles cependant on trouve encore, comme un dernier reflet de la demeure féodale du moyen âge. Le roi donne lui-même l'exemple; il abandonne les châteaux fermés. La forteresse, devenue désormais citadelle de l'État destinée à la défense du territoire, se sépare du château qui n'est plus qu'un palais de campagne, réunissant tout ce qui peut contribuer au bien-être et à l'agrément des habitants. Le goût pour les résidences somptueuses que la noblesse contracta en Italie pendant les campagnes de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier, porta le dernier coup au château féodal. Beaucoup de seigneurs ayant visité les villas et les palais d'outre-mont trouvèrent, au retour, leurs vieilles forteresses patrimoniales sombres et tristes. Conservant le donjon et les tours principales comme signe de leur ancienne puissance, ils jetèrent bas les courtines fermées qui les réunissaient, et les remplacèrent par des bâtiments largement ouverts, accompagnés de loges, de portiques décorés avec luxe. Les bailles ou basses-cours, entourées de défenses et de tours, furent remplacées par des avant-cours contenant des communs destinés au logement des serviteurs, des écuries splendides, des parterres garnis de fleurs, des fontaines, jeux de paume, promenoirs, etc. Les seigneurs ne songeaient plus alors à se faire servir par leurs hommes de corvée, comme cela avait lieu deux siècles avant; ils avaient des serviteurs à gages, qu'il fallait loger et nourrir dans le château et ses dépendances. Peu à peu, les tenanciers à tous les degrés s'étaient exonérés, au moyen de rentes perpétuelles ou de sommes une fois payées, des corvées et de tous les droits seigneuriaux qui sentaient la servitude.

Dès le commencement du XVIe siècle, beaucoup de paysans étaient propriétaires et n'avaient, les divers impôts payés, rien à démêler avec leur seigneur. Depuis le XIIIe siècle, la population des campagnes n'a pas abandonné un seul jour l'espoir de s'affranchir d'abord, puis de devenir propriétaire du sol qu'elle cultive. Il serait curieux (si la chose était possible) de supputer les sommes énormes qu'elle a successivement sacrifiées à cette passion pour la terre. Elle a peu à peu racheté les droits seigneuriaux sur les personnes, droits de main-morte, de formariage, de corvées, de redevances en nature, puis les droits sur la terre; puis enfin, poursuivant son but jusqu'à nos jours, elle a consenti des baux, sous forme de fermages; d'amphithéoses, ne laissant échapper aucune occasion, non-seulement de se maintenir sur le sol, mais de l'acquérir. Aujourd'hui, le paysan achète la terre à des prix énormes, bien plus par amour de la propriété que par intérêt, puisque son capital ne lui rapporte souvent qu'un demi pour cent. Il semble ainsi, par instinct, destiné combattre l'abus du principe de la division de la propriété admis par la révolution du siècle dernier. En face de cette marche persistante de la classe agricole, la féodalité, au XVIe siècle, ayant besoin d'argent pour reconstruire ses demeures et entretenir un personnel toujours croissant de serviteurs à gages, abandonne la plus grande partie de ses droits, se dépouille de ses priviléges, droits de chasse, de pêche, droits sur les routes, ponts, cours d'eau. Les uns sont absorbés par la royauté, les autres par la population des campagnes. Pendant que la noblesse songe à ouvrir ses châteaux, ne comptant plus s'y défendre, qu'elle les rebâtit à grands frais, que son amour pour le luxe et le bien-être s'accroît, elle tarit la source de ses revenus pour se procurer de l'argent comptant. Une fois sur cette voie, on peut prévoir sa ruine définitive. Quelque étendues que fussent ses concessions, quelque affaiblie que fût sa puissance, le souvenir de l'oppression féodale du moyen âge resta toujours aussi vif dans les campagnes; et le jour où, criblés de dettes, leurs châteaux ouverts, la plupart de leurs droits n'existant plus que dans leurs archives, les seigneurs furent surpris par les attaques du tiers-état, les paysans se ruèrent sur leurs demeures pour en arracher jusqu'aux dernières pierres.

La nouvelle forme que revêt la demeure féodale au commencement du XVIe siècle mérite toute notre attention; car, à cette époque, si l'architecture religieuse décroît rapidement pour ne plus se relever, et ne présente que de pâles reflets d'un art mourant qui ne sait où il va, ce qu'il veut ni ce qu'il fut, il n'en est pas de même de l'architecture des demeures seigneuriales. En perdant leur caractère de forteresses, elles en prennent un nouveau, plein de charmes, et dont l'étude est une des plus intéressantes et des plus instructives qui se puisse faire. On a répété partout et sous toutes les formes que l'architecture de la renaissance en France avait été chercher ses types en Italie; on a même été jusqu'à dire que ses plus gracieuses conceptions étaient dues à des artistes italiens. On ne saurait nier que la révolution qui se produit dans l'art de l'architecture, à la fin du XVe siècle, coïncide avec nos conquêtes en Italie; que la noblesse française, sortant de ses tristes donjons, s'était éprise des riantes villas italiennes, et que, revenue chez elle, son premier soin fut de transformer ses sombres châteaux en demeures somptueuses, étincelantes de marbres et de sculptures. Mais ce qu'il faut bien reconnaître, en face des monuments témoins irrécusables, c'est que le désir des seigneurs français fut interprété par des artistes français qui surent satisfaire à ces nouveaux programmes d'une manière complétement originale, qui leur appartient, et qui n'emprunte que bien peu à l'Italie. Il ne faut pas être très-expert en matière d'architecture pour voir qu'il n'y a aucun rapport entre les demeures de campagne des Italiens de la fin du XVe siècle et nos châteaux français de la renaissance. Nulle analogie dans les plans, dans les distributions, dans la façon d'ouvrir les jours et de couvrir les édifices; aucune ressemblance dans les décorations intérieures et extérieures. Le palais de ville et celui des champs, en Italie, présentent toujours une certaine masse rectiligne, des dispositions symétriques, que nous ne retrouvons dans aucun château français de la renaissance et jusqu'à Louis XIV. Si l'architecture ne consistait qu'en quelques profils, quelques pilastres ou frises décorés d'arabesques, nous accorderions volontiers que la renaissance française s'est faite italienne; mais cet art est heureusement au-dessus de ces puérilités; les principes en vertu desquels il doit se diriger et s'exprimer dérivent de considérations bien autrement sérieuses. La convenance, la satisfaction des besoins, l'harmonie qui doit exister entre les nécessités et la forme, entre les moeurs des habitants et l'habitation, le judicieux emploi des matériaux, le respect pour les traditions et les usages du pays, voilà ce qui doit diriger l'architecte avant tout, et ce qui dirigea les artistes français de la renaissance dans la construction des demeures seigneuriales: ils élevèrent des châteaux encore empreints des vieux souvenirs féodaux, mais revêtant une enveloppe nouvelle en rapport avec cette société élégante, instruite, polie, chevaleresque, un peu pédante et maniérée que le XVIe siècle vit éclore et qui jeta un si vif éclat pendant le cours du siècle suivant. Soit instinct, soit raison, l'aristocratie territoriale comprit que la force matérielle n'était plus la seule puissance prépondérante en France, que ses forteresses devenaient presque ridicules en face de la prédominance royale; ses donjons redoutables, de vieilles armes rouillées ne pouvant plus inspirer le respect et la crainte au milieu de populations chaque jour plus riches, plus unies, et commençant à sentir leur force, à discuter, à vivre de la vie politique. En gens de goût, la plupart des seigneurs s'exécutèrent franchement et jetèrent bas les murs crénelés, les tours fermées, pour élever à leur place des demeures fastueuses, ouvertes, richement décorées à l'intérieur comme à l'extérieur, mais dans lesquelles cependant on retrouve bien plus la trace des arts français que celle des arts importés d'Italie. Les architectes français surent tirer un parti merveilleux de ce mélange d'anciennes traditions avec des moeurs nouvelles, et les châteaux qu'ils élevèrent à cette époque sont, la plupart, des chefs-d'oeuvre de goût, bien supérieurs à ce que la renaissance italienne sut faire en ce genre. Toujours fidèles à leurs anciens principes, ils ne sacrifièrent pas la raison et le bon sens à la passion de la symétrie et des formes nouvelles, et n'eurent qu'un tort, celui de laisser dire et croire que l'Italie était la source de leurs inspirations.

Mais, avant de présenter à nos lecteurs quelques exemples de ces châteaux des premiers temps de la renaissance, et pour faire comprendre comment ils satisfaisaient aux moeurs de leurs habitants, il est nécessaire de connaître les penchants des seigneurs à cette époque. On a pu voir que le château féodal fortifié sacrifia tout à la défense, même dans des temps où l'aristocratie avait déjà pris des habitudes de luxe et de bien-être fort avancées. Les moyens de défense de ces demeures consistaient principalement en dispositions imprévues, singulières, afin de dérouter un assaillant; car si tous les châteaux forts eussent été bâtis à peu près sur le même modèle, les mêmes moyens qui eussent réussi pour s'emparer de l'un d'eux auraient été employés pour les prendre tous. Il était donc important, pour chaque seigneur qui construisait une place de sûreté, de modifier sans cesse les détails de la défense, de surprendre l'assaillant par des dispositions que celui-ci ne pouvait deviner. De là une extrême variété dans ces demeures, un raffinement de précautions dans les distributions intérieures, une irrégularité systématique; car chacun s'ingéniait à faire mieux ou autrement que son voisin. Des habitudes de ce genre, contractées par des générations qui se succèdent pendant plusieurs siècles, ne peuvent être abandonnées du jour au lendemain; et un châtelain, faisant rebâtir son château au commencement du XVIe siècle, eût été fort mal logé, à son point de vue, s'il n'eût rencontré à chaque pas, dans sa nouvelle demeure, ces détours, ces escaliers interrompus, ces galeries sans issues, ces cabinets secrets, ces tourelles flanquantes du château de son père ou de son aïeul. Les habitudes journalières de la vie s'étaient façonnées, pendant plusieurs siècles, à ces demeures compliquées à l'intérieur, et ces habitudes, une fois prises, devaient influer sur le programme des nouveaux châteaux, bien que l'utilité réelle de tant de subterfuges architectoniques, commandés par la défense, n'existât plus de fait. Un seigneur du moyen âge, logé dans un des châteaux du XVIIe siècle, où les distributions sont larges et symétriques, où les pièces s'enfilent, sont presque toutes de la même dimension et comprises dans de grands parallélogrammes, où le service est direct, facile, où les escaliers sont vastes et permettent de pénétrer immédiatement au coeur de l'édifice, se fût trouvé aussi mal à l'aise que si on l'eût parqué, lui et sa famille, dans une grande pièce divisée par quelques cloisons. Il voulait des issues secrètes, des pièces petites et séparées des grandes salles par des détours à lui connus, des vues de flanc sur ses façades, des chambres fermées et retirées pour le soir, des espaces larges et éclairés pour les assemblées; il voulait que sa vie intime ne fût pas mêlée à sa vie publique, et le séjour du donjon laissait encore une trace dans ses habitudes. Telle salle devait s'ouvrir au midi, telle autre au nord. Il voulait voir ses bois et ses jardins sous certains aspects, ou bien l'église du village sous laquelle reposaient ses ancêtres, ou telle route, telle rivière. Les yeux ont leurs habitudes comme l'esprit, et on peut faire mourir d'ennui un homme qui cesse de voir ce qu'il voyait chaque jour, pour peu que sa vie ne soit pas remplie par des préoccupations très-sérieuses. La vie des seigneurs, lorsque la guerre ne les faisait pas sortir de leurs châteaux, était fort oisive, et ils devaient passer une bonne partie de leur temps à regarder l'eau de leurs fossés, les voyageurs passant sur la route, les paysans moissonnant dans la plaine, l'orage qui s'abattait sur la forêt, les gens qui jouaient dans la basse-cour. Le châtelain contractait ainsi, à son insu, des habitudes de rêverie qui lui faisaient préférer telle place, telle fenêtre, tel réduit. Il ne faut donc pas s'étonner si, dans des châteaux rebâtis au XVIe siècle, on conservait certaines dispositions étranges qui étaient évidemment dictées par les habitudes intimes du seigneur et des membres de sa famille; certes, l'Italie n'avait rien à voir là-dedans, mais bien les architectes auxquels les châtelains confiaient leurs désirs, résultats d'un long séjour dans un même lieu. Il existe encore en France un assez grand nombre de ces châteaux qui servent de transition entre la demeure fortifiée des seigneurs du moyen âge et le palais de campagne de la fin du XVIe siècle. Leurs plans sont souvent irréguliers comme ceux des châteaux du XIIe au XIVe siècle, soit parce qu'en les rebâtissant on utilisait les anciennes fondations, soit parce qu'on voulait jouir de certains points de vue, conserver des dispositions consacrées par l'usage, ou profiter de l'orientation la plus favorable à chacun des services.

Tel était, par exemple, le château de Creil, élevé sur une île de l'Oise, commencé sous Charles V et rebâti entièrement à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe. Nous en donnons le plan (32) 148. En A était le pont qui réunissait l'île aux deux rives de l'Oise défendu par un petit châtelet; en B, l'entrée de la basse-cour. On pénétrait dans la demeure seigneuriale par un second pont C jeté sur un large fossé rempli d'eau; en D est la cour, entourée des bâtiments d'habitation. Suivant un usage assez fréquent, une petite église, élevée dans la basse-cour, servait de chapelle seigneuriale et de paroisse aux habitants de la ville. En E était un jardin réservé aux habitants du château. Ce plan fait ressortir ce que nous disions tout à l'heure à propos du goût que la noblesse avait conservé pour les dispositions compliquées du château féodal. Celui de Creil, quoiqu'il fût naturellement protégé par son assiette au milieu d'une rivière, n'était point fait pour soutenir un siége; et cependant nous y retrouvons, sinon les tours formidables des châteaux du moyen âge, quantité de tourelles flanquantes, de pavillons en avant-corps uniquement disposés pour jouir de la vue extérieure, et offrir, à l'intérieur, ces cabinets, ces réduits si fort aimés des châtelains.

La vue (33) que nous donnons, prise du châtelet A 149, nous dispensera de plus longs commentaires; elle indique bien clairement que ces tours étroites et ces pavillons saillants n'étaient pas élevés pour les besoins de la défense, mais pour l'agrément des habitants et pour simuler, en quelque sorte, la grande forteresse féodale. On multipliait les guettes, les couronnements aigus, comme pour rappeler, sur une petite échelle, l'aspect extérieur des anciens châteaux hérissés de défenses; mais ce n'était plus là qu'un jeu, un caprice d'un riche seigneur qui, sans prétendre se mettre en guerre avec ses voisins, voulait encore cependant que sa résidence conservât l'apparence d'une demeure fortifiée.

C'était d'après ces données que le château de Chantilly avait été élevé un peu plus tard, mais sur des proportions plus grandioses. Chantilly, situé à quatre kilomètres environ de Senlis, est un des plus charmants lieux de cette partie de la France; de belles eaux, des prairies étendues, des bois magnifiques avaient fait choisir l'assiette du château, qui était moins encore que Creil destiné à la défense. Nous donnons (34) le plan des dispositions d'ensemble de cette résidence, qui fut l'asile de tant de personnages illustres et de beaux esprits. Voici ce qu'en dit Ducerceau 150: «Le bastiment consiste en deux places; la première est une court E, en laquelle sont quelques bastimens ordonnez pour les offices; la seconde est une autre court estant comme triangulaire, et est eslevée plus haute que la première de quelque neuf ou dix pieds, et faut monter de la première pour parvenir à la seconde.» On voit en effet, à côté du pont, le petit escalier qui gagne la différence de niveau entre les deux cours. «Entour de laquelle (court triangulaire) de tous costez est le bastiment seigneurial, faict de bonne manière et bien basty. Iceluy bastiment et court sont fondez sur un rocher, dans lequel y a caves à deux estages, sentant plutost, pour l'ordonnance, un laberinthe qu'une cave, tant y a d'allées les unes aux autres, et toutes voultées. Pour le regard de l'ordonnance du bastiment seigneurial il ne tient parfaictement de l'art antique ne moderne, mais des deux meslez ensemble. Les faces en sont belles et riches... En la court première est l'entrée du logis,» par la grande salle D. «Les faces des bastimens estans en icelle tant dans la court que dehors, suivent l'art antique, bien conduicts et accoustrez. Ces deux courts avec leurs bastimens sont fermez d'une grande eau en manière d'estang dont entre icelles y a séparation comme d'un fossé, par laquelle séparation ladite eau passe au travers. Au-dessus y a un pont pour aller et venir d'une des courts à l'autre. Joignant le grand corps de logis y a une terrace A, pratiquée d'un bout du parc, à laquelle on va de la court du logis seigneurial par le moyen d'un pont P estant sur l'eau, lequel faict séparation du logis seigneurial et de la terrace, et d'icelle on vient au parc par-dessus un arc, sur lequel est praticqué un passage couvert... Ce lieu est accompagné d'un grand jardin B, à l'un des costez duquel est une galerie à arceaux (portique), eslevée un peu plus haut que le rez du jardin. D'un costé d'iceluy jardin est la basse-court I, en laquelle sont plusieurs bastimens ordonnés pour écuries. Outre le grand jardin, et prochain iceluy, y en a un autre, non pas de telle grandeur. Iceux jardins sont environnés de places, esquelles aucunes sont bois, prez, taillis, cerizaies, forts d'arbres, et autres commoditez. Aucunes d'icelles places sont fermées par canaux, les autres non; et en ces places est la haironnerie. Le parc est fort grand, à l'entrée duquel à sçavoir du costé du chasteau, est une eau, qui donne un grand plaisir. Ce lieu est fermé du costé de Paris, de la forest de Senlis, dans laquelle y a une voûte pour aller du lieu au grand chemin de Paris. En somme, ce lieu est tenu pour une des plus belles places de France.»

Dans cette résidence, qui, au point de vue de la construction, n'a rien en réalité d'une forteresse; nous voyons encore toutes les dispositions du château féodal conservées. Isolement au moyen d'étangs et de fossés pleins d'eau, ponts étroits d'un accès peu facile, tourelles flanquantes aux angles, avant-cour avec les offices, basse-cour avec ses dépendances, jardins clos avec promenoir, logis irréguliers et disposés suivant la dimension des pièces qu'ils contiennent, passages détournés, caves immenses permettant d'amasser des provisions considérables, et enfin passage long, voûté pour communiquer, sans être vu, avec la grande route. Cependant le château de Chantilly ne pouvait, pas plus que celui de Creil, opposer une défense sérieuse à une attaque à main armée 151. Les courtines et les tourelles du château étaient ouvertes par de larges fenêtres, les combles garnis de belles lucarnes; mais le chemin de ronde supérieur avec les machicoulis traditionnels sont encore conservés. Si ces galeries supérieures ne pouvaient plus protéger le château contre les effets de l'artillerie, elles étaient souvent conservées pour les besoins du service; car elles donnaient de longs couloirs permettant de desservir toutes les pièces des étages élevés, et facilitaient la surveillance.

On remarquera que tous les corps de logis des châteaux, encore à cette époque, sont simples en épaisseur, c'est-à-dire qu'ils n'ont que la largeur des pièces disposées en enfilade; celles-ci se commandaient, et les couloirs supérieurs, comme les caves, offraient du moins une circulation indépendante des salles et chambres, à deux hauteurs différentes 152. Ce ne fut guère qu'au XVIIe siècle que l'on commença, dans les châteaux, à bâtir des corps de logis doubles en épaisseur.

Cependant, il ne faudrait pas croire que l'irrégularité des plans fût, au commencement du XVIe siècle, une sorte de nécessité, le résultat d'une idée préconçue; au contraire, à cette époque, on cherchait, dans les demeures seigneuriales, la symétrie; on lui sacrifiait même déjà les distributions intérieures, avec l'intention de présenter, à l'extérieur, des façades régulières, un ensemble de bâtiments d'un aspect monumental. Sous ce rapport, l'Italie avait exercé une influence sur les constructeurs français; mais c'était, avec l'emprunt de quelques détails architectoniques, tout ce que les architectes avaient pris aux palais italiens; car, d'ailleurs, le château seigneurial conservait son caractère français, soit dans l'ensemble des dispositions générales, soit dans les distributions intérieures, ses flanquements par des tourelles, ou par la manière de couvrir les bâtiments.

Le beau château du Verger en Anjou, demeure des princes de Rohan-Guémené, joignait ainsi les anciennes traditions du château féodal aux dispositions monumentales en vogue au commencement du XVIe siècle. Il se composait (35) d'une basse-cour dans laquelle on pénétrait par une porte flanquée de tourelles, avec grosses tours aux angles, bâtiments de service symétriquement placés en aile; puis de la demeure seigneuriale, séparée de l'avant-cour par un fossé, flanqué également de quatre grosses tours rondes réunies par de grands corps de logis à peu près symétriques. Un fossé extérieur entourait l'ensemble du château. On voit, dans cette vue, que la courtine de face et ses deux tours sont encore percées à leur base d'embrasures pour recevoir des bouches à feu, qu'elles sont garnies de machicoulis et de créneaux. Ce n'était plus là qu'un signe de puissance, non une défense ayant quelque valeur. Mais, comme nous le disions plus haut, les seigneurs ne pouvaient abandonner ces marques ostensibles de leur ancienne indépendance; pour eux, il n'y avait pas de château sans tours et sans créneaux, sans fossés et pont-levis.

Tel était aussi le beau château de Bury, situé à huit kilomètres de Blois, proche de la Loire. Les bâtiments avaient été élevés par le sire Florimond Robertet, secrétaire d'État sous les rois Charles VIII, Louis XII et François Ier. Ils réunissaient tout ce qui composait une demeure seigneuriale du moyen âge. On entrait dans la cour principale du château par un pont-levis A flanqué de deux tourelles (36). Cette cour F était bordée de trois côtés par des corps de logis parfaitement réguliers, bien qu'ils fussent destinés à contenir des services divers, et terminés aux quatres angles par quatre tours. Du corps de logis du fond on descendait dans un jardin particulier E, avec fontaine monumentale au centre, terminé par deux autres tours isolées aux angles, contenant des logis, et une petite chapelle G. À gauche, en C, était la basse-cour avec son entrée particulière B, des écuries, magasins et dépendances; en D par derrière, une seconde basse-cour avec jardins, treilles, arbres fruitiers, et gros colombier en forme de tour en K. Le parc s'étendait au delà des bâtiments, et le devant du château ainsi que la basse-cour étaient entourés de fossés pleins d'eau. Les logis propres à l'habitation étaient au fond de la cour seigneuriale, à gauche étaient les offices, cuisines; à droite, en H, la galerie, c'est-à-dire la grand'salle que nous voyons conservée encore comme dernier souvenir des moeurs féodales. Un portique élevé derrière la courtine antérieure réunissait les deux ailes de droite et de gauche, et ne s'élevant que d'un rez-de-chaussée, ne masquait pas la vue des étages supérieurs des trois corps de logis. Ici, bien que des tours garnies de machicoulis à leur partie supérieure conservent la forme cylindrique, elles donnent à l'intérieur des chambres carrées, cette disposition étant beaucoup plus commode pour l'habitation que la forme circulaire. Ainsi les usages nouveaux commandaient des distributions qui n'étaient plus en harmonie avec les anciennes traditions, et ces tours, qui ne servaient que pour l'habitation, gardaient encore à l'extérieur leur forme de défense militaire. Le colombier lui-même se donne les airs d'un donjon isolé. On ne faisait plus alors que jouer au château féodal. Quoi qu'il en soit, ces demeures sont, au point de vue de l'art, de charmantes créations, et la vue cavalière que nous donnons du château de Bury (37) 153 fait ressortir, mieux qu'une description, tout ce qu'il y a d'élégance dans ces habitations seigneuriales de la renaissance qui venaient remplacer les sombres châteaux fermés du moyen âge.

Nous ne multiplierons pas ces exemples; ils sont entre les mains de tout le monde, et les monuments sont là qui parlent éloquemment. Blois, Gaillon, Azay-le-Rideau, Chenonceau, Amboise, le château neuf de Loches, le château d'Ussé et tant d'autres demeures seigneuriales du commencement du XVIe siècle, offrent un charmant sujet d'études pour les architectes; elles sont la plus brillante expression de la renaissance française et, ce qui ne gâte rien, la plus raisonnable application de l'art antique chez nous. La royauté donnait l'exemple, et c'est autour d'elle que s'élèvent les plus beaux châteaux du XVIe siècle. Souveraine de fait, désormais, elle donnait l'impulsion aux arts comme à la politique. François Ier, ce roi chevalier qui porta le dernier coup à la chevalerie, détruisait les anciennes résidences royales, et son exemple fit renverser plus de donjons que tous ses devanciers et successeurs réunis ne purent faire par la force. Il jeta bas la grosse tour du Louvre, de laquelle relevaient tous les fiefs de France. Quel seigneur de la cour, après cela, pouvait songer à conserver son nid féodal? Ce prince commence et achève la transition entre la demeure seigneuriale du moyen âge et le château moderne, celui de Louis XIII et de Louis XIV. Il bâtit Chambord et Madrid. Le premier de ces deux palais conserve encore l'empreinte du château féodal; le second n'est qu'une demeure de plaisance, dans laquelle on ne trouve plus trace des anciennes traditions. Quoique nous ne soyons pas un admirateur passionné du château de Chambord, il s'en faut de beaucoup, cependant nous ne pouvons le passer sous silence; il doit naturellement clore cet article. Nous en donnons ici le plan (38) 154.

Il n'est personne en France qui n'ait vu cette singulière résidence. Vantée par les uns comme l'expression la plus complète de l'art de l'architecture au moment de la renaissance, dénigrée par les autres comme une fantaisie bizarre, un caprice colossal, une oeuvre qui n'a ni sens ni raison, nous ne discuterons pas ici son mérite; nous prendrons le château de Chambord pour ce qu'il est, comme un essai dans lequel on a cherché à réunir deux programmes sortis de deux principes opposés, à fondre en un seul édifice le château fortifié du moyen âge et le palais de plaisance. Nous accordons que la tentative était absurde; mais la renaissance française est, à son début, dans les lettres, les sciences ou les arts, pleine de ces hésitations; elle ne marche en avant qu'en jetant parfois un regard de regret derrière elle; elle veut s'affranchir du passé et n'ose rompre avec la tradition; le vêtement gothique lui paraît usé, et elle n'en a pas encore un autre pour le remplacer.

Le château de Chambord est bâti au milieu d'un territoire favorable à la chasse, entouré de bois couvrant une plaine agreste; éloigné des villes, c'est évidemment un lieu de plaisir, retiré, parfaitement choisi pour jouir à la fois de tous les avantages qu'offrent la solitude et l'habitation d'un palais somptueux. Pour comprendre Chambord, il faut connaître la cour de François Ier. Ce prince avait passé les premières années de sa jeunesse près de sa mère, la duchesse d'Angoulême, qui, vivant en mauvaise intelligence avec Anne de Bretagne, éloignée de la cour, résidait tantôt dans son château de Cognac, tantôt à Blois, tantôt à sa maison de Romorantin. François avait conservé une affection particulière pour les lieux où s'était écoulée son enfance dans la plus entière liberté. Parvenu au trône, il voulut faire de Chambord, qui n'était jusqu'alors qu'un vieux manoir bâti par les comtes de Blois, un château magnifique, une résidence royale. On prétend que le Primatice fut chargé de la construction de Chambord; le Primatice serait-il là pour nous l'assurer, nous ne pourrions le croire, car Chambord n'a aucun des caractères de l'architecture italienne du commencement du XVIe siècle; c'est, comme plan, comme aspect et comme construction, une oeuvre non-seulement française, mais des bords de la Loire. Si l'on veut nous accorder que le Primatice ait élevé Chambord en cherchant à s'approprier le style français, soit; mais alors cette oeuvre n'est pas de lui, il n'y a mis que son nom, et cela nous importe peu 155.

Le plan de Chambord est le plan d'un château français; au centre est l'habitation seigneuriale, le donjon, flanqué de quatre tours aux angles. De trois côtés, ce donjon est entouré d'une cour fermée par des bâtiments, munis également de tours d'angles. Conformément à la tradition du château féodal, le donjon donne d'un côté directement sur les dehors et ne se réunit aux dépendances que par deux portiques ou galeries. La grand'salle, figurant une croix, forme la partie principale du donjon. Au centre est un grand escalier à double vis permettant à deux personnes de descendre et monter en même temps sans se rencontrer, et qui communique du vestibule inférieur à la grand'salle, puis à une plate-forme supérieure. Cet escalier se termine par un couronnement à jour et une lanterne qui sert de guette. Dans les quatre tours et les angles compris entre les bras de la salle, en forme de croix, sont des appartements ayant chacun leur chambre de parade, leur chambre, leurs retraits, garde-robes, privés et escalier particulier. La tour A contient, au premier étage, la chapelle. Les bâtiments des dépendances, simples en épaisseur suivant l'usage, sont distribués en logements; des fossés entourent l'ensemble des constructions. Du donjon on descendait dans un jardin terrassé et environné de fossés, situé en B. Les écuries et la basse-cour occupaient les dehors du côté de l'arrivée par la route de Blois. Comme ensemble, c'est là un château féodal, si ce n'est que tout est sacrifié à l'habitation, rien à la défense; et cependant ces couloirs, ces escaliers particuliers à chaque tour, cet isolement du donjon rappellent encore les dispositions défensives du château fortifié, indiquent encore cette habitude de l'imprévu, des issues secrètes et des surprises. Ce n'était plus, à Chambord, pour dérouter un ennemi armé que toutes ces précautions de détail étaient prises, mais pour faciliter les intrigues secrètes de cette cour jeune et toute occupée de galanteries. C'était encore une guerre.

Chambord est au château féodal des XIIIe et XIVe siècles ce que l'abbaye de Thélème est aux abbayes du XIIe siècle; c'est une parodie. Plus riche que Rabelais, François Ier réalisait son rêve; mais ils arrivaient tous deux au même résultat: la parodie écrite de Rabelais sapait les institutions monastiques vieillies, comme la parodie de pierre de François Ier donnait le dernier coup aux châteaux fermés des grands vassaux. Nous le répétons, il n'y a rien d'italien en tout ceci, ni comme pensée ni comme forme.

À l'extérieur, quel est l'aspect de cette splendide demeure? C'est une multitude de combles coniques et terminés par des lanternes s'élevant sur les tours, des clochetons, d'immenses tuyaux de cheminée richement sculptés et incrustés d'ardoises, une forêt de pointes, de lucarnes de pierre; rien enfin qui ressemble à la demeure seigneuriale italienne, mais, au contraire, une intention évidente de rappeler le château français muni de ses tours couvertes par des toits aigus, possédant son donjon, sa plate-forme, sa guette, ses escaliers à vis, ses couloirs secrets, ses souterrains et fossés.

Mais Chambord nous donne l'occasion de signaler un fait curieux. Dans beaucoup de châteaux reconstruits en partie au commencement du XVIe siècle, on conserva les anciennes tours, autant à cause de leur extrême solidité et de la difficulté de les démolir que parce qu'elles étaient la marque de la demeure féodale. Mais pour rendre ces tours habitables, il fallait les éclairer par de larges fenêtres. Pratiquer des trous à chaque étage et construire des baies en sous-oeuvre eût été un travail difficile, dispendieux et long. On trouva plus simple, dans ce cas, pour les tours avec planchers de bois (et c'était le plus grand nombre), de pratiquer du haut en bas une large tranchée verticale et de remonter dans cette espèce de créneau autant de fenêtres qu'il y avait d'étages, en reprenant seulement ainsi les pieds-droits les linteaux et alléges. Une figure est nécessaire pour faire comprendre cette opération. Soit (39) une tour fermée; on y pratiquait une tranchée verticale, ainsi qu'il est indiqué en A, tout en conservant les planchers intérieurs. Puis (39 bis) on bâtissait les fenêtres nouvelles, ainsi qu'il est indiqué dans cette figure. Pour dissimuler la reprise et éviter la difficulté de raccorder les maçonneries neuves des pieds-droits avec les vieux parements extérieurs des tours, qui souvent étaient fort grossiers, on monta, de chaque côté des baies, des pilastres peu saillants se superposant à chaque étage. Cette construction en raccordement, donnée par la nécessité, devint un motif de décoration dans les tours neuves que l'on éleva au commencement du XVIe siècle, ainsi que nous le voyons dans les vues des châteaux de Bury et de Chambord. Les machicoulis devinrent aussi l'occasion d'une décoration architectonique là où on n'en avait plus que faire pour la défense; à Chambord, les tours et murs des bâtiments sont couronnés par une corniche qui rappelle cette ancienne défense; elle se compose de coquilles posées sur des corbeaux et formant ainsi un encorbellement dont la silhouette figure des machicoulis. Rien d'italien dans ces traditions, qui sont à Chambord la décoration principale de tous les extérieurs.

Au XVIe siècle, le sol français était couvert d'une multitude de châteaux qui faisaient l'admiration des étrangers. Car, à côté des vieilles demeures féodales que leur importance ou leur force avaient fait conserver, à la place de presque tous les châteaux de second ordre, les seigneurs avaient élevé des habitations élégantes et dans la construction desquelles on cherchait à conserver l'ancien aspect pittoresque des demeures fortifiées. Les guerres de religion, Richelieu et la Fronde en détruisirent un grand nombre. Alors la noblesse dut s'apercevoir, un peu tard, qu'en rasant elle-même ses forteresses pour les remplacer par des demeures ouvertes, elle avait donné une force nouvelle aux envahissements de la royauté. C'est surtout pendant les luttes de la fin du XVIe siècle et du commencement du XVIIe que les suprêmes efforts de la noblesse féodale se font sentir. Agrippa d'Aubigné nous paraît être le dernier rejeton de cette race puissante; c'est un héros du XIIe siècle qui surgit, tout d'une pièce, dans des temps déjà bien éloignés, par les moeurs, de cette grande époque. Le dernier peut-être il osa se renfermer dans les forteresses de Maillezay et du Dognon, les garder contre les armées du roi, auxquelles il ne les rendit pas; en quittant la France il les vendit à M. de Rohan. Avec cet homme d'un caractère inébranlable, mélange singulier de fidélité et d'indépendance, plus partisan que français, s'éteint l'esprit de résistance de la noblesse. Quand, de gré ou de force, sous la main de Richelieu et le régime absolu de Louis XIV, la féodalité eut renoncé à lutter désormais avec le pouvoir royal, ses demeures prirent une forme nouvelle qui ne conservait plus rien de la forteresse seigneuriale du moyen âge.

Cependant le château français, jusqu'au XVIIIe siècle, fournit des exemples fort remarquables et très-supérieurs à tout ce que l'on trouve en ce genre en Angleterre, en Italie et en Allemagne. Les châteaux de Tanlay, d'Ancy-le-Franc, de Verneuil, de Vaux, de Maisons, l'ancien château de Versailles, les châteaux détruits de Meudon, de Rueil, de Richelieu, de Brèves en Nivernais, de Pont en Champagne, de Blérancourt en Picardie, de Coulommiers en Brie, offrent de vastes sujets d'études pour l'architecte. On y trouve la grandeur du commencement du XVIIe siècle, grandeur solide, sans faux ornements; des dispositions larges et bien entendues, une richesse réelle. Dans ces demeures, il n'est plus trace de tours, de créneaux, de passages détournés; ce sont de vastes palais ouverts, entourés de magnifiques jardins, faciles d'accès. Le souverain peut seul aujourd'hui remplir de pareilles demeures, aussi éloignées de nos habitudes journalières et de nos fortunes de parvenus que le sont les châteaux fortifiés du moyen âge.

La révolution de 1792 anéantit à tout jamais le château, et ce que l'on bâtit en ce genre aujourd'hui, en France, ne présente que de pâles copies, d'un art perdu, parce qu'il n'est plus en rapport avec nos moeurs. Un pays qui a supprimé l'aristocratie et tout ce qu'elle entraîne de priviléges avec elle ne peut sérieusement bâtir des châteaux. Car qu'est-ce qu'un château avec la division de la propriété, sinon un caprice d'un jour? Une demeure dispendieuse qui périt avec son propriétaire et ne laissant aucun souvenir, est destinée à servir de carrière pour quelques maisons de paysans ou des usines.

Nos vieilles églises du moyen âge, toutes dépouillées qu'elles soient, sont encore vivantes; le culte catholique, ne s'est pas modifié; et s'il est survenu, depuis le XIIIe siècle, quelques changements dans la liturgie, ces changements n'ont pas une assez grande importance pour avoir éloigné de nous les édifices sacrés. Mais les châteaux féodaux appartiennent à des temps et à des moeurs si différents des nôtres, qu'il nous faut, pour les comprendre, nous reporter par la pensée à cette époque héroïque de notre histoire. Si leur étude n'a pour nous aujourd'hui aucun but pratique, elle laisse dans l'esprit une trace profondément gravée. Cette étude n'est pas sans fruits; sérieusement faite, elle efface de la mémoire les erreurs qu'on s'est plu à propager sur la féodalité; elle met à nu des moeurs empreintes d'une énergie sauvage, d'une indépendance absolue, auxquelles il est bon parfois de revenir, ne fût-ce que pour connaître les origines des forces, encore vivantes heureusement, de notre pays. La féodalité était un rude berceau; mais la nation qui y passa son enfance et put résister à ce dur apprentissage de la vie politique, sans périr, devait acquérir une vigueur qui lui a permis de sortir des plus grands périls sans être épuisée. Respectons ces ruines, si longtemps maudites, maintenant qu'elles sont silencieuses et rongées par le temps et les révolutions; regardons-les, non comme des restes de l'oppression et de la barbarie, mais bien comme nous regardons la maison, désormais vide, où nous avons appris, sous un recteur dur et fantasque, à connaître la vie et à devenir des hommes. La féodalité est morte; elle est morte vieillie, détestée; oublions ses fautes, pour ne nous souvenir que des services qu'elle a rendus à la nation entière en l'habituant aux armes, en la plaçant dans cette alternative ou de périr misérablement ou de se constituer, de se réunir autour du pouvoir royal; en conservant au milieu d'elle et perpétuant certaines lois d'honneur chevaleresque que nous sommes heureux de posséder encore aujourd'hui et de retrouver dans les jours difficiles. Ne permettons pas que des mains cupides s'acharnent à détruire les derniers vestiges de ses demeures, maintenant qu'elles ont cessé d'être redoutables, car il ne convient pas à une nation de méconnaître son passé, encore moins de le maudire.

Note 17: (retour) De bell. Gall., I, VI, c. 23.
Note 18: (retour) Demor. Germ., c. 16.
Note 19: (retour) Voy. l'Hist. de la civil. en France, par M. Guizot, leçon 8e.
Note 20: (retour) Hist. de la civil. en France, leçon 8e.
Note 21: (retour) Grégoire de Tours parle de plusieurs châteaux assiégés par l'armée de Théodoric... «Ensuite, dit-il, liv. III, Chastel-Marlhac fut assiégé (dans le Cantal, arrond. de Mauriac). Tunc obsessi Meroliacensis castri... Il est entouré, non par un mur, mais par un rocher taillé de plus de cent pieds de hauteur. Au milieu est un grand étang, dont l'eau est très-bonne à boire; dans une autre partie sont des fontaines si abondantes, qu'elles forment un ruisseau d'eau vive qui s'échappe par la porte de la place; et ses remparts renferment un si grand espace, que les habitants y cultivent des terres et y recueillent des fruits en abondance.» On le voit, cet établissement présente plutôt les caractères d'un vaste camp retranché que d'un château proprement dit.
Note 22: (retour) Expéd. des Normands, par M. Depping, liv. IV, chap. III.--Recherches sur le Haguedike et les prem. étab. milit. des Normands sur nos côtes.--Mém. de la Soc. des antiq. de Normandie, ann. 1831-33, par M. de Gerville.
Note 23: (retour) Voy., dans les Actes de l'ac. imp. de Bordeaux, la notice de M. Léo Drouyn sur quelques châteaux du moyen âge, 1854.
Note 24: (retour) En Angleterre même, les Gallois qui sont de même race que les Bretons, encore aujourd'hui, ne se regardent pas comme Anglais; pour eux les Anglais sont toujours des Saxons ou des Normands.
Note 25: (retour) Les bordiers devaient le curage des biefs de moulins, la couve des blés et du foin, des redevances en nature comme chapons, oeufs, taillage des haies, certains transports, etc.
Note 26: (retour) Les vavasseurs et les hôtes étaient des hommes libres: les premiers tenant des terres par droit héréditaire et payant une rente au seigneur; les seconds possédant un tènement peu important, une maison, une cour et un jardin, et payant cette jouissance au seigneur au moyen de redevances en nature s'ils étaient établis à la campagne, ou d'une charge d'hébergeage s'ils étaient dans une ville. La condition des hôtes diffère peu d'ailleurs de celle du paysan.
Note 27: (retour) Hic Willelmus castrum Archarum in cacumine ipsius montis condidit (Guillaume de Jumiéges). Arcas castrum in pago Tellau primus statuit. Chron. de Fontenelle.
Note 28: (retour) Lib. VII, cap. I.
Note 29: (retour) On voit encore des restes assez considérables de cette enceinte extérieure, notamment du côté de la porte vers Dieppe.
Note 30: (retour) Le plan est complété, en ce qui regarde les bâtiments intérieurs, au moyen du plan déposé dans les archives du château de Dieppe, dressé au commencement du XVIIIe siècle, et réduit par M. Deville dans son Histoire du château d'Arques. Rouen, 1839.
Note 31: (retour) Le Roman de Rou, Rob. Wace, vers 8600 et suiv.
Note 32: (retour) Le Roman de Rou, vers 10211.
Note 33: (retour) Le roi de France, afin de corrompre les vassaux du duc Robert de Normandie. Roman de Rou, vers 15960.
Note 34: (retour) Il avait de l'or à boisseaux.
Note 35: (retour) Marquis, seigneurs chargés de la défense des marches ou frontières.
Note 36: (retour) Le château inférieur fut presque entièrement reconstruit au XVe siècle; cependant de nombreux fragments de constructions antérieures à cette époque existent encore, entre autres une poterne du commencement du XIIIe siècle et des caves qui paraissent fort anciennes.
Note 37: (retour) Hist. du château Gaillard et du siége qu'il soutint contre Philippe-Auguste, en 1203 et 1204, par A. Deville. Rouen, 1849.
Note 38: (retour) Les parties intérieures de cet ouvrage existent encore:

«Endroit la vile d'Andeli,

Droit en mi Sainne, a une ilete,

Qui comme un cerne ost réondete;

Et est de chascune partie

Sainne parfonde et espartie.

Cele ilete, qui s'en eléve,

Est si haute au-dessus de l'éve (l'eau),

Que Sainne par nule cretine (crue)

N'a povoir d'i faire ataïne.

Ne jusqu'au plain desus reclorre,

Li Roy Richart l'ot faite clorre,

A cui ele estoit toute quite,

De forz murs à la circuite,

Bien crenelez d'euvre nouvele.

En mi ot une tour trop bele;

Le baille (l'enceinte extérieure) et le maisonnement,

Fu atournez si richement

Aus pierres metre et asséoir,

Que c'iert un déduit du veoir.

Pont i ot qui la rabeli,

Pour passer Sainne à Andeli

Qui là endroit est grant et fiére.


(Guill. Guiart, Branche des roy. Lignages, vers 3162 et suiv.)

Note 39: (retour)

«Au desus et travers de Sainne,

Estoïent en cete semainne

Ordenéement, comme **aliz**,

Entroit Gaillart trois granz paliz

A touchant l'une et l'autre rive.

N'i furent pas mis par oidive,

Mes pour faire aus nés destourbance

Que l'en amenast devers France.

Jamais nule nef ne fut outre

Qui ne féist les piex descoutre;

Dont là ot plainnes maintes barges.»


(Guill. Guiart, Branche des roy. lignages, vers 3299 et suiv.)

Note 40: (retour) Ces quatre tours sont dérasées aujourd'hui; on n'en distingue plus que le plan et quelques portions encore debout.
Note 41: (retour) Les traces des défenses de ce chemin de ronde sont à peine visibles aujourd'hui. Nous avons eu le soin de n'indiquer que par un trait les ouvrages complétement dérasés.
Note 42: (retour) «Ecce quam puichra filia unius anni!» (Bromton, Hist. angl. scriptores antiqui. col. 1276.)--Hist. du chât. Gaillard, par A. Deville. C'était, comme le dit Guillaume Guiart,

«Un des plus biaus chastiaus du monde

Et des plus forz, si com je cuide,

Au deviser mist grant estuide (Richard)

Tuit cil qui le voïent le loent.

Trois paires de forz murs le cloent,

Et sont environ adossez

De trois paires de granz fossez

Là faiz on le plain de sayve,

Acisel, en roche nayve,

Ainz que li liens fu entaillez,

En fu maint biau deniers bailliez.

Ne croi, ne n'ai oï retraire,

Que nus homs féist fossez faire

En une espace si petite

Comme est la place desus dite,

Puis le tens au sage Mellin (l'enchanteur Merlin);

Qui coustassent tant estellin.»


(Guill. Guiart, vers 3202 et suiv.)

Nous verrons tout à l'heure comment cette agglomération de défenses sur un petit espace fut précisément la cause, en grande partie, de la prise du château Gaillard.
Note 43: (retour) Jean de Marmoutier, moine chroniqueur du XIIe siècle, raconte que Geoffroy Plantagenet, grand-père de Richard Coeur de Lion, assiégeant un certain château fort, étudiait le traité de Végèce.
Note 44: (retour)

...

«Mes l'autre (la seconde enceinte) est quatre tanz plus bèle,

Trop sont plus bèles les entrées;

Et les granz tours, dont les ventrées

Ens el fonz du fossé s'espandent,

Trop plus haut vers le ciel s'estandent.

...

Entre les deus a grant espace,

Pour ce que, se l'en préist l'une,

L'autre à deffendre fut commune.

Tout amont comme en réondèce,

Resiet la mestre forterèce (la dernière enceinte)

Qui rest noblement façonnée,

Et de fossez environnée;

Onques tiex ne feurent véuz.

S'un rat estoit dedanz chéuz,

Là seroit qui ne l'iroit querre.»


(Guill. Guiart, vers 3238 et suiv.)

En effet, les fossés sont creusés à pic, et, comme le dit Guillaume, nul n'aurait pu aller chercher un rat qui serait tombé au fond.
Note 45: (retour) Les constructions sont dérasées aujourd'hui au niveau du point O (fig. 13); il est probable que des hourds ou bretèches se posaient, en cas de siège, au sommet de la partie antérieure des segments, ainsi que nous l'avons indiqué en B, afin d'enfiler les fossés, de battre leur fond et d'empêcher ainsi le mineur de s'y attacher. Nous en sommes réduits sur ce point aux conjectures.
Note 46: (retour)

«Pluseurs François garnis de targes,

Que l'en doit entiex faiz loer,

Prennent nus par Sainne à noer;

À dalouères et à haches,

Vont desrompant piex et estaches;

Les gros fuz de leur place lièvent.

Cil de Gaillart forment les grièvent,

Qui entr'eus giètent grosses pierres,

Dars et quarriaus à tranchanz quierres,

Si espés que tous les en queuvrent.

Non-pour-quant ileuques tant euvrent,

Comment qu'aucuns ocis i soient,

Que les trois paliz en envoient,

Ronz et tranchiez, contreval Sainne,

Si que toute nef, roide ou plainne

Puet par là, sans destourbement,

Passer assez legièrement.»


(Guill. Guiart, vers 3310 et suiv.)

Note 47: (retour)

«Anglois meuvent, le jour décline;

Leur ost, qui par terre chemine,

S'en va le petit pas serrée.

Là ot tante lance serrée,

Tante arbaleste destendue,

Et tante targe à col pendue,

Painte d'or, d'azur et de sable,

Que li véoirs est délitable.


(Guill. Guiart, vers 3445 et suiv.)

Note 48: (retour) Ce passage explique parfaitement l'assiette du camp de Philippe-Auguste qui se trouvait en R (fig. 10), précisément au sommet de la colline qui domine la roche Gaillard et qui ne s'y réunit que par cette langue de terre dont nous avons parlé. On voit encore, d'ailleurs, les traces des deux fossés de contrevallation et de circonvallation creusés par le roi. Ces travaux de blocus ont les plus grands rapports avec ceux décrits par César et exécutés à l'occasion du blocus d'Alesia; ils rappellent également ceux ordonnés par Titus lors du siége de Jérusalem.
Note 49: (retour) C'est le sentier qui aboutit à la poterne S (voy. la fig. 11); c'était en effet la seule entrée du château Gaillard.
Note 50: (retour) Cette chaussée est encore visible aujourd'hui.
Note 51: (retour) La fig. 14 représente à vol d'oiseau le château Gaillard au moment où, les approches étant à peu près terminées, les assiégeants se disposent à aller combler le fossé. On voit en A l'estacade rompue par les gens de Philippe-Auguste pour pouvoir faire passer les bateaux qui devaient attaquer l'île B; en C le Petit-Andely, en E l'étang entre le petit et le grand Andely; D les tours de la ligne de circonvallation et de contrevallation tracée par Philippe-Auguste, afin de rendre l'investissement du château Gaillard complet; F le val où moururent de faim et de misère la plupart des malheureux qui s'étaient réfugiés dans le château et que la garnison renvoya pour ne pas épuiser ses vivres. On voit aussi, à l'extrémité de la chaussée faite par l'armée assiégeante, pour arriver par une pente au fossé de l'ouvrage avancé, deux grandes pierrières qui battent la tour saillante contre laquelle toute l'attaque est dirigée; puis, en arrière, un beffroi mobile que l'on fait avancer pour battre tous les couronnements de cet ouvrage avancé et empêcher les assiégés de s'y maintenir.
Note 52: (retour) Il s'agit ici, comme on le voit, de tout l'ouvrage avancé dont les deux murailles, formant un angle aigu au point de leur réunion avec la tour principale A, vont en déclinant suivant la pente du terrain. La description de Guillaume est donc parfaitement exacte.
Note 53: (retour) La fidélité scrupuleuse de la narration de Guillaume ressort pleinement lorsqu'on examine le point qu'il décrit ici. En effet, le fossé est creusé dans le roc, à fond de cuve; il a dix mètres de large environ sur sept à huit mètres de profondeur. On comprend très-bien que les soldats de Philippe-Auguste, ayant jeté quelques fascines et des paniers de terre dans le fossé, impatients, aient posé des échelles le long de la contrescarpe et aient voulu se servir de ces échelles pour escalader l'escarpe, espérant ainsi atteindre la base de la tour; mais il est évident que le fossé devait être comblé en partie du côté de la contrescarpe, tandis qu'il ne l'était pas encore du côté de l'escarpe, puisqu'il est taillé à fond de cuve; dès lors les échelles qui étaient assez longues pour descendre ne l'étaient pas assez pour remonter de l'autre côté. L'épisode des trous creusés à l'aide de poignards sur les flancs de la contrescarpe n'a rien qui doive surprendre, le rocher étant une craie mêlée de silex. Une saillie de soixante centimètres environ qui existe entre le sommet de la contrescarpe et la base de la tour a pu permettre à de hardis mineurs de s'attacher aux flancs de l'ouvrage. Encore aujourd'hui, le texte de Guillaume à la main, on suit pas à pas toutes ces opérations de l'attaque, et pour un peu on retrouverait encore les trous percés dans la craie par ces braves pionniers lorsqu'ils reconnurent que leurs échelles étaient trop courtes pour atteindre le sommet de l'escarpe.
Note 54: (retour) C'est le bâtiment H tracé sur notre plan, fig. 11.
Note 55: (retour) C'étaient les latrines; dans son histoire en prose, l'auteur s'exprime ainsi: «Quod quidem religioni contrarium videbatur.» Les latrines étaient donc placées sous la chapelle, et leur établissement, du côté de l'escarpement, n'avait pas été suffisamment garanti contre une escalade, comme on va le voir. Les latrines jouent un rôle important dans les attaques des châteaux par surprise; aussi on verra comme, pendant les XIIIe et XIVe siècles, elles furent l'objet d'une étude toute spéciale.
Note 56: (retour) C'est le pont marqué sur notre plan et communiquant de l'ouvrage avancé à la basse-cour E.
Note 57: (retour) C'est le pont L (fig. 14).
Note 58: (retour) Un chat (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE).

«Un chat fait sur le pont atraire.»

(Guill. Guiart, vers 4340.)

Note 59: (retour) Richard avait eu le tort de ne pas ménager des embrasures à rez-de-chaussée pour enfiler ce pont, et le chat garantissant les mineurs français contre les projectiles lancés du sommet de la muraille, les assiégés sont obligés de créneler la muraille au niveau du sol de la cour.
Note 60: (retour) Le château Gaillard fut réparé par Philippe-Auguste après qu'il s'en fut emparé, et il est à croire qu'il améliora même certaines parties de la défense. Il supprima, ainsi qu'on peut encore aujourd'hui s'en assurer, le massif de rocher réservé au milieu du fossé de la dernière enceinte elliptique, et supportant le pont, ce massif ayant contribué à la prise de la porte de cette enceinte. Le château Gaillard fut assiégé une seconde fois au XVe siècle, et repris par le roi Charles VII aux Anglais, ainsi que le raconte Alain Chartier dans son histoire de ce prince. «Ce mois de septembre (1449), le seneschal de Poictou, et Monseigneur de Cullant, mareschal de France, messire Pierre de Brezé, messire Denys de Chailly, et plusieurs autres, le roy présent, firent mettre le siége devant Chasteau Gaillard, où eut à l'arrivée de grans vaillances faictes, et de belles armes. Le siége y fut longuement. Car c'est un des plus forts chateaulz de Normandie, assis sur tout le hault d'un rocq ioignant de la rivière de Seine; en telle manière que nuls engins ne le pouvoient grever. Le roy s'en retourna au soir au giste à Louviers, et de jour en jour, tant qu'il y fut, alloit veoir et fortifier ledit siége, auquel l'en fit plusieurs bastilles. Et après la fortification s'en retournèrent lesdits seigneurs françois, fors seulement lesdits de Brezé et de Chailly, qui là demourèrent accompaignez de plusieurs francs-archers pour la garde d'icelles bastilles. Ils se y gouvernèrent tous grandement et sagement; et tant que au bout de cinq sepmaines, lesdits Anglois se rendirent, et mirent ledit Chasteau Gaillard en l'obéissance du roy...» Il est évident que ce siége n'est qu'un blocus et que les Anglais n'eurent pas à soutenir d'assauts; le manque de vivres les décida probablement à capituler, car ils sortirent leurs corps et biens saufs; la garnison se composait de deux cent vingt combattants. Même à cette époque encore, où l'artillerie à feu était en usage, le château Gaillard était une place très-forte.
Note 61: (retour) Ce château n'existe plus; le plan des élévations et détails, d'un grand intérêt, sont donnés par Ducerceau dans ses Maisons royales de France.
Note 62: (retour) Notes insérées dans le Bulletin monum. Vol. IX, p. 246 et suiv.
Note 63: (retour) Voy. les Notes sur quelques châteaux de l'Alsace, par M. Al. Ramé. Paris, 1855.
Note 64: (retour) Some account of Domest. Archit. in Eng. from the conq. to the end of the thirteenth century. Ch. III.
Note 65: (retour) Il est entendu que nous ne parlons pas ici des reconstructions entreprises et terminées à la fin du XIVe siècle.
Note 66: (retour) Voyez, pour l'assiette du château de Coucy, à l'article ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 20.
Note 67: (retour) Cette porte pouvait aussi être défendue, mais beaucoup plus faiblement, contre la baille, dans le cas où celle-ci eût été prise avant la ville.
Note 68: (retour) Depuis peu, M. le ministre d'État et de la maison de l'Empereur a donné des ordres pour que ces restes puissent être conservés et pour que des fouilles soient entreprises. Ces travaux, commencés sous la surveillance de la Commission des monuments historiques, sauveront d'une ruine totale le château de Coucy, et permettront de retrouver des dispositions anciennes d'un grand intérêt pour l'histoire de l'art de la fortification au moyen âge.
Note 69: (retour) Les peintures, en grand nombre, que l'on trouve encore dans les intérieurs des tours du château de Coucy, sont d'un grand intérêt, et nous aurons occasion d'en parler dans l'article PEINTURE.
Note 70: (retour) Nous espérons bientôt reconnaître et dégager l'ensemble des souterrains de Coucy et pouvoir dire le dernier mot sur cette partie si peu connue de l'art de la fortification au XIIIe siècle.
Note 71: (retour) Cette vue est faite au moyen des ruines existantes et de la vue donnée par Ducerceau dans ses plus excellents bâtiments de France. Nous avons figuré, au sommet du donjon et de la tour de droite, une portion de hourds posés.
Note 72: (retour) Cette vue de l'intérieur de la cour du château de Coucy est supposée prise à côté de la chapelle regardant l'entrée. À droite, on voit se dresser le donjon avec sa poterne et son pont à bascule; au troisième plan est la porte principale et la chemise; au premier plan, la chapelle et le commencement du degré montant au chemin de ronde de la chemise.
Note 73: (retour) Instit. de saint Louis, le comte Beugnot.
Note 74: (retour) Guill. de Nangis.
Note 75: (retour) Instit. de saint Louis, le comte Beugnot.
Note 76: (retour) Les Olim (Ordonnances, t. I, p. 411).
Note 77: (retour) Ibid., note 35.
Note 78: (retour) Le Roman de la Rose, vers 3813.
Note 79: (retour) Guillaume de Lorris double ici les dimensions en longueur et largeur; mais il faut bien permettre l'exagération aux poëtes.
Note 80: (retour) En effet, devant la porte principale, vers la Seine, était un petit ouvrage avancé propre à contenir un poste.
Note 81: (retour) Ces quatre portes étaient une exception; généralement les châteaux ne possédaient, à cette époque, qu'une ou deux portes au plus, avec quelques poternes. Mais le Louvre était un château de plaine à proximité d'une grande ville, et la multiplicité des portes était motivée par les défenses extérieures qui étaient fort importantes et par la nécessité où se trouvait le souverain de pouvoir recevoir dans son château un grand concours de monde. Nous voyons cette disposition de quatre portes conservée, au XIVe siècle, à Vincennes et au château de la Bastille, qui n'était cependant qu'un fort comparativement peu important comme étendue. Les quatre portes étaient surtout motivées, nous le croyons, par le besoin qui avait fait élever ces forteresses plantées autour de la ville de Paris pour maintenir la population dans le respect. Il ne s'agissait pas ici de se renfermer et de se défendre comme un seigneur au milieu de son domaine; mais encore, dans un cas pressant, de détacher une partie de la garnison sur un point de la ville en insurrection, et, par conséquent, de ne pas se laisser bloquer par une troupe d'insurgés qui se seraient barricadés devant l'unique porte. Bien en prit, longtemps après, à Henri III, d'avoir plusieurs portes à son Louvre.
Note 82: (retour) Il est évident qu'il s'agit ici de herses (portes coulans).
Note 83: (retour) Les maîtres de l'oeuvre élèvent une tour avec une grande habileté au milieu de l'enceinte; il est question ici du donjon du Louvre, qui, contrairement aux habitudes des XIIe et XIIIe siècles, se trouvait exactement au milieu de l'enceinte carrée. Mais n'oublions pas que le donjon du Louvre était une tour exceptionnelle, un trésor autant qu'une défense. D'ailleurs les quatre portes expliquent parfaitement la situation de ce donjon, qui les masquait et les enfilait toutes les quatre.
Note 84: (retour) Il y a encore ici exagération de la part de Guillaume de Lorris; le donjon du Louvre n'avait que vingt mètres de diamètre environ sur trente mètres de haut; le donjon de Coucy est bien autrement important, son diamètre étant de trente-un mètres et sa hauteur de soixante-cinq environ; cependant le donjon de Coucy devait être élevé lorsque notre poëte écrivait son roman. Il est certain que ce donjon ne fut bâti qu'après celui de Philippe-Auguste. L'orgueilleux châtelain de Coucy, faisant dresser à la hâte les murs de son château, dans l'espoir de mettre la couronne de France sur sa tête, voulut-il faire plus et mieux que le suzerain auquel il prétendait succéder?
Note 85: (retour) Pensait-on, du temps de Guillaume de Lorris, que la chaux éteinte avec du vinaigre fit de meilleur mortier? et cette méthode était-elle employée?
Note 86: (retour) Ce passage mérite la plus sérieuse attention; il ne s'agit plus ici du donjon, mais de l'ensemble du château. Les courtines du Louvre de Philippe-Auguste n'étaient point doublées de bâtiments à l'intérieur, et le château du Louvre se composait seulement encore, comme les châteaux des XIe et XIIe siècles, d'une enceinte flanquée de tours avec un donjon au centre. Le seigneur habitait le donjon et la garnison les tours. On comprend comment alors on pouvait voir par-dessus les crénelages des courtines la partie supérieure des pierrières et mangonneaux établis sur l'aire de la cour. Il n'était pas possible de songer à placer ces énormes engins sur les chemins de ronde des courtines, encore moins sur les tours. Guillaume de Lorris dit bien «dedens le chastel,» c'est-à-dire en dedans des murs; et les descriptions de Guillaume de Lorris sont toujours précises. S'il y eût eu des bâtiments adossés aux courtines, ces bâtiments auraient été couverts par des combles, et on n'aurait pu voir le sommet des engins par-dessus les créneaux. Ce passage du poëte explique un fait qui paraît étrange lorsqu'on examine les fortifications de la première moitié du XIIIe siècle, et particulièrement celles des châteaux. Presque toutes les forteresses féodales de cette époque qui n'ont point été modifiées pendant les XIVe et XVe siècles présentent une suite de tours très-élevées et de courtines relativement basses; c'est qu'en effet, alors, les tours étaient des postes, des fortins protégeant une enceinte, qui avaient assez de relief pour garantir les grandes machines de jet, mais qui n'étaient pas assez élevées pour que ces machines ne pussent jeter des pierres sur les assaillants par-dessus les crénelages. Lorsque Simon de Montfort assiége Toulouse, il s'empare du château extérieur, qui passait, à tort ou à raison, pour être un ouvrage romain, mais dont les murs étaient fort élevés. Pressé par le temps, plutôt que de déraser les murs entre les tours, pour permettre l'établissement de grands engins, il fait faire des terrassements à l'intérieur. Ainsi, le système défensif des châteaux antérieurs à la seconde moitié du XIIIe siècle consiste en des tours d'un commandement considérable, réunies par des courtines peu élevées, libres à l'intérieur, afin de permettre l'établissement de puissantes machines de jet posées sur le sol. Ceci explique comment il se fait que, dans la plupart de ces châteaux, on ne voit pas trace de bâtiments d'habitation adossés à ces courtines. Au Château-Gaillard des Andelys, il n'y a que deux logis adossés aux courtines, l'un dans l'enceinte extérieure, l'autre dans l'enceinte intérieure; mais ces logis sont élevés du côté de l'escarpement à pic, qui ne pouvait permettre à l'assiégeant de s'établir en face des remparts. Nous verrons bientôt comment et pourquoi ce système fut complétement modifié au XVe siècle.
Note 87: (retour) Les chemins de ronde supérieurs des donjons se trouvaient munis d'armes de jet à demeure, outre les armes transportables apportées par chaque soldat au moment de la défense.
Note 88: (retour) En dehors de la porte du sud (porte principale) donnant sur la Seine, une première défense, assez basse, flanquée de tours, avait été bâtie à cinquante mètres environ de l'entrée du Louvre; cette première défense était double avec une porte à chaque bout. C'était comme un petit camp entouré de murailles formant, en avant de la façade sud du Louvre, ce qu'on appelait alors une lice. Ces ouvrages avaient une grande importance, car ils laissaient à la garnison d'un château, si elle parvenait à les conserver, toute sa liberté d'action; elle facilitait les sorties et remplissait l'office des barbacanes des grandes places fortes (voy. ce mot). Comme le dit Guillaume de Lorris, ces ouvrages bas, plantés en dehors des fossés, empêchaient la troupe ennemie de venir d'emblée jusqu'au bord du fossé, sans trouver de résistance. À une époque où les armes de jet n'avaient pas une portée très-longue, il était fort important d'entourer les châteaux d'ouvrages extérieurs très-considérables; car, autrement, la nuit et par surprise, une troupe aurait pu combler le fossé en peu d'instants et écheller les murailles. Ce fait se présente fréquemment dans l'histoire de nos guerres en France, lorsqu'il s'agit de châteaux de peu de valeur ou qui n'avaient pas une garnison assez nombreuse pour garnir les dehors.
Note 89: (retour) Footnote 89: Du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois.
Note 90: (retour) Ce passage est fort curieux; il nous donne une idée de la disposition des postes dans les châteaux. Chaque porte composait une défense qui pouvait s'isoler du reste de la forteresse, véritable châtelet muni de ses tours, de ses salles, cuisines, fours, puits, caves, moulins même; le seigneur en confiait la garde à un capitaine ayant un certain nombre d'hommes d'armes sous ses ordres. Il en était de même pour la garde des tours de quelque importance. Ces postes, habituellement, n'étaient pas relevés comme de nos jours; la garnison d'un château n'était dès lors que la réunion de plusieurs petites garnisons, comme l'ensemble des défenses n'était qu'une réunion de petits forts pouvant au besoin se défendre séparément. Les conséquences du morcellement féodal se faisaient ainsi sentir jusque dans l'enceinte des châteaux. De là ces fréquentes trahisons d'une part, ou ces défenses désespérées de l'autre, de postes qui résistent encore lorsque tous les autres ouvrages d'une forteresse sont tombés. De là aussi l'importance des donjons qui peuvent protéger le seigneur contre ces petites garnisons séparées qui l'entourent. Nous trouvons encore, dans ce passage de la description du Louvre, la confirmation de ce que nous disions tout à l'heure au sujet de la disposition des courtines et des tours. Les tours étant des ouvrages isolés reliés seulement par des courtines basses qu'elles commandaient, les rondes étaient difficiles, ou du moins ne pouvaient se faire qu'à un étage; les communications entre ces postes séparés étaient lentes; cela était une conséquence du système défensif de cette époque, basé sur une défiance continuelle. Ainsi, à une attaque générale, à un siége en règle, on opposait 1º les courtines basses munies par-derrière d'engins envoyant des projectiles par-dessus les remparts; 2º les crénelages de ces courtines garnis d'archers et d'arbalétriers; 3º les tours qui commandaient la campagne au loin et les courtines si elles étaient prises par escalade. Pour se garantir contre les surprises de nuit, pour empêcher qu'une trahison partielle pût faire tomber l'ensemble des défenses entre les mains de l'ennemi, on renfermait, chaque soir, les postes dans leurs tours séparées, et on évitait qu'ils pussent communiquer entre eux. Des guetteurs placés aux créneaux supérieurs des tours par les postes qu'elles abritaient, des sentinelles sur les chemins de ronde posées par le connétable et qui ne dépendaient pas des postes enfermés dans les tours, exerçaient une surveillance double, contrôlée pour ainsi dire. Ce ne sont pas là des conjectures basées sur un seul texte, celui d'un poëte; Sauval, qui a pu consulter un grand nombre de pièces perdues aujourd'hui, entre autres les registres des oeuvres royaux de la chambre des comptes, et qui donne sur le Louvre des détails d'un grand intérêt, dit (p. 14, liv, VII.): «Une bonne partie des tours, chacune, avoit à part son capitaine ou concierge, plus ou moins qualifié, selon que la tour étoit grosse, ou détachée du Louvre. Le comte de Nevers fut nommé, en 1411, concierge de celle de Windal, le 20 septembre. Sous Charles VI, les capitaines de celles du Bois, de l'Écluse et de la Grosse tour furent cassés plusieurs fois.» Le commandement d'une tour n'était donc pas une fonction transitoire, mais un poste fixe, une charge donnée par le seigneur.
Note 91: (retour) Du côté de la Seine.
Note 92: (retour) Du côté de la rue du Coq. Peur a la charge de grand connestable; la porte qui lui est confiée restant toujours fermée. Il semblerait que, du temps de Guillaume de Lorris, la porte du nord demeurait le plus souvent fermée, à cause du vent de bise. Cette porte n'était d'ailleurs qu'une poterne percée à la base d'une grosse tour servant probablement de logement à la connétablie du Louvre. La garde de cette poterne étant facile, puisqu'elle était fort étroite et habituellement fermée, pouvait être confiée au connétable, dont les fonctions consistaient à surveiller tous les postes, à donner les ordres généraux et à se faire remettre chaque soir les clefs des différentes portes.
Note 93: (retour) Ceci est une épigramme à l'adresse des Normands.
Note 94: (retour) Du côté des Tuileries.
Note 95: (retour) Pour médire, répandre de mauvais bruits.
Note 96: (retour) Chaque chef de poste faisait donc le guet à tour de rôle.
Note 97: (retour) La garnison du donjon, composée des plus fidèles, et en grand nombre.
Note 98: (retour) Le Roman du Renart, vers 18463 et suiv.
Note 99: (retour) Renart fuit et se réfugie dans son château qu'il fait réparer.
Note 100: (retour) Il était rare que l'on entrât à cheval dans le château même, les écuries étant généralement bâties dans la basse-cour comprise dans une première enceinte; on laissait les montures devant le pont du château.
Note 101: (retour) Renart engage les ouvriers à terminer promptement leur travail.
Note 102: (retour) Il fait faire un pont à bascule (voy. PONT).
Note 103: (retour) Il est encore question ici d'engins fixes dressés sur les chemins de ronde des tours.
Note 104: (retour) Il fait élever une guette sur chaque tour pour guetter les dehors.
Note 105: (retour) Il fait faire des hourds en dehors des murs (voy. HOURD).
Note 106: (retour) Des ouvrages avancés en bois pour défendre les dehors.
Note 107: (retour) En temps de guerre, on faisait faire, en dehors des châteaux, de grandes barbacanes de bois, que l'on garnissait de gens d'armes appelés par le seigneur. Celui-ci n'aimait guère à introduire, dans l'enceinte même du château, des soudoyers, les hommes qui lui devaient un service temporaire, et de la fidélité desquels il ne pouvait être parfaitement assuré.
Note 108: (retour) Ce dernier trait peint les moeurs du seigneur féodal. Personne du dehors ne connaît ses desseins.
Note 109: (retour) Extraits de Dolopathos d'Herbers, p. 282.
Note 110: (retour) Presque tous les châteaux n'ont qu'une entrée, ainsi que nous l'avons dit plus haut à propos du Louvre. Dans Li Romans de Parise la Duchesse, nous trouvons ces vers:

«An la porte devant a fet .i. pont lever.

. . .

N'i ot que .i. antrée, bien la firent garder.»

Et dans la seconde branche du roman d'Auberi le Bourguignon (voy. la chanson de Roland, XIIe siècle, pub. par Francisque Michel, 1837, p. XL):

«Fu li chastiax et la tors environ;

Bien fu assise par grant devision (réflexion, prévoyance)

De nulle part habiter (entrer) n'i puet-on

Fors d'une part, si comme nous cuidonz;

Là est l'antrée et par là i va-on.

Pont torneiz (à bascule) et barre à quareillon (à serrure)

Selve (forêt) i ot vielle dès le tans Salemon;

Bien fu garnie de riche venoison.

Las (proche) la rivière sont créu li frès jon

Et l'erbe drue que coillent li garson.

Li marois sont entor et environ

Et li fossé qui forment (entourent) sont parfont;

«Li mur de maubre, de chaus et de sablon,

Et les tornelles où mainnent li baron.

Et li vivier où furent li poisson.

Si fort chastel ne vît onques nus hom;

Là dedens ot sa sale et son donjon

Et sa chapelle por devant sa maison.

...

Note 111: (retour) La défense de la porte est toujours considérée comme devant être très-forte.
Note 112: (retour) Les ponts-levis étaient assez rares au XIIIe siècle; du moins ils ne tenaient pas encore aux ouvrages mêmes des portes, mais ils étaient posés en avant, à l'entrée ou au milieu des ponts, et se composaient d'un grand châssis mobile posé sur deux piles ou deux poteaux, roulant sur un axe et relevant un tablier au moyen de deux chaînes de suspension (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, PONT).
Note 113: (retour) Une chaussée conduisait à l'entrée, qui était fort étroite. Deux hommes n'y pouvaient passer de front.
Note 114: (retour) On faisait une distinction entre les bailles et les lices, les premières étaient, comme nous l'avons vu au château d'Arques, une encloserie extérieure, une basse-cour, comme encore au château de Coucy; les lices étaient les espaces laissés entre deux enceintes à peu près parallèles, entre les murs du château et les palissades extérieures.
Note 115: (retour) Lorsque l'assiette d'un château avait été choisie sur le sommet d'un escarpement, on taillait souvent le rocher qui devait lui servir de base de manière à rendre les escarpements plus formidables; souvent même on creusait les fossés à même le rocher, comme à Château-Gaillard, à la Roche-Guyon, et on réservait, à l'extérieur, une défense prise aux dépens du roc. Ces travaux sont ordinaires autour des châteaux assis sur du tuf, de la craie ou des calcaires tendres.
Note 116: (retour) Il s'y trouvait de nombreux logements.
Note 117: (retour) Des logements étaient encore disposés autour du donjon.
Note 118: (retour) Li palais, c'est la demeure du seigneur, distincte des herberjaiges, qui paraissent destinés au casernement de la garnison.
Note 119: (retour) Voici la grand'salle, cette dépendance indispensable de tout château.
Note 120: (retour) Dans les salles étaient suspendues les armes, les écus, les cors; c'était la principale décoration des intérieurs; et dans un grand nombre de châteaux, on voit encore la place des tablettes, des crochets de fer qui servaient à porter des panoplies d'armes et d'ustensiles de guerre et de chasse.
Note 121: (retour) N'avons-nous pas vu encore, à la fin du dernier siècle, la noblesse française agir en face des grandes émotions populaires comme
Note 122: (retour) Ce plan est réduit sur celui donné par M. le comte de Clarac dans son Musée de sculpture ant. et mod., 1826-1827.
Note 123: (retour) Voy. les Titres concern. Raimond du Temple, archit. du roi Charles V. Bib. de l'École des chartes, 2e série, t. III, p. 55. Raimond du Temple cumulait, auprès du roi Charles V, les fonctions de sergent d'armes et de maître des oeuvres, et les titres dont il est ici question font connaître les sentiments d'estime que le roi de France professait pour son garde-du-corps, architecte.
Note 124: (retour) La bibliothèque de Charles V était nombreuse et riche; c'est dans cette petite salle ronde que se forma l'un des noyaux de la Bibliothèque impériale.
Note 125: (retour) Lorsque Charles V veut faire les honneurs de son Louvre à l'empereur Charles IV, il y fait conduire ce prince en bateau: «Au Louvre arrivèrent; le Roy monstra à l'Empereur les beauls murs et maçonnages qu'il avoit fait au Louvre édifier; l'Empereur, son filz et ses barons moult bien y logia, et partout estoit le lieu moult richement paré; en la sale dina le Roy, les barons avec lui, et l'Empereur en sa chambre.» Des faits du sage Roy Charles V, Cristine de Pizan, ch. XLII.
Note 126: (retour) Ce qui prouve encore que la place de Vincennes n'avait pas été considérée par son fondateur comme un château, c'est ce passage de Cristine de Pisan, extrait de son Livre des faits et bonnes meurs du sage Roy Charles V. «Item, dehors Paris, le chastel du bois de Vincenes, qui moult est notable et bel, avoit entencion (le roi) de faire ville fermée; et là aroit establie en beauls manoirs la demeure de pluseurs seigneurs, chevaliers et autres ses mieulz amez, et à chascun y asseneroit rente à vie selon leur personne: celle-ci lieu voult le Roy qu'il fust franc de toutes servitudes, n'aucune charge par le temps avenir, ne redevance demander.» Chap, XI.
Note 127: (retour) M. Jules Quicherat a trouvé, dans la province de Burgos (vieille Castille), un village qui porte le nom de ce château devenu célèbre, au XIIIe siècle, par le séjour qu'y fit l'archevêque Bertrand de Goth, après l'avoir fait reconstruire. Selon M. Quicherat, au commencement du XIIIe siècle, un cadet de Biscaye, don Alonzo Lopès, apanagé de Villandraut (villa Andrando), eut deux fils, dont le plus jeune, don André, vint en France à la suite de Blanche de Castille, et s'arrêta en Guienne près Bazas, dans le lieu qui a conservé le nom de Villandraut. Un demi-siècle plus tard, l'alliance de la fille ou petite-fille d'André avec un membre de la famille de Goth fit passer cette seigneurie dans cette maison et bientôt dans la possession de celui qui, d'abord archevêque de Bordeaux, ne tarda pas à être élevé dans la chaire de saint Pierre, sous le nom de Clément V. 1306-1316. Comm. des mon. hist. de la Gironde.
Note 128: (retour) Fourmariaige, forimarige, taxe qu'un serf était tenu de payer à son seigneur pour pouvoir épouser une femme de condition libre ou une serve d'un autre seigneur.
Note 129: (retour) Hist. de Coucy-le-Château, par Melleville; Laon, 1848.
Note 130: (retour) Le Quadrilogue invectif, édit. de 1617, p. 447.
Note 131: (retour) Le Livre des quatre Dames, édit. de 1617, p. 665.
Note 132: (retour) Compiègne et ses environs, par L. Ewig.
Note 133: (retour) Ce plan est à l'échelle de 0,001 mill. pour mètre.
Note 134: (retour) Les perrons jouent un rôle important, à partir du XIIIe siècle, dans les châteaux (voy. PERRON).
Note 135: (retour) Ces sortes de tours servant de prisons sont désignées, pendant les XIIe et XIIIe siècles, sous le nom de cartre.

«Or fu Ogier en la grant cartre obscure

Où il estoit et en fers et en buis.

. . . . . . »


(Ogier l'Ardenois vers 10281).

Et plus haut:

«Et morrai chi en celle cartre obscure.

. . . . . . . »

En une crote (grotte) estoit li dux Ogier

Qui si iert basse ne se pooit drechier

Et si estroite ne se pooit couchier.»


(Vers 10254).

Note 137: (retour) Voyez le curieux discours de ce chef de bande, dans la Satyre Ménippée.
Note 138: (retour) Il existait, dans la galerie des Cerfs de Fontainebleau, une vue peinte de Pierrefonds, qui se trouvait ainsi au nombre des premières places du royaume.
Note 139: (retour) Échelle de 0,001 mill. pour mètre.
Note 140: (retour) Nous avons donné, à l'article CHARPENTE, la coupe de l'étage supérieur. Autrefois il n'y avait qu'une seule salle occupant toute la longueur du bâtiment F, et la cheminée qui la chauffait était pratiquée dans le pignon de gauche à l'ouest. (Voir la vue cavalière, fig. 27.)
Note 141: (retour) Cette dernière partie du château est dérasée aujourd'hui à quelques mètres au-dessus du sol de la cour.
Note 142: (retour) Aujourd'hui, quoique le château soit en partie habité par M. de Sully, les tours sont démantelées et le donjon à peu près abandonné; mais il existe, dans le château même, un modèle en relief des bâtiments exécuté dans le dernier siècle, et qui est fort exact; ce modèle nous a servi à compléter les parties détruites pendant la révolution, Le grand Sully habita ce château après la mort de Henri IV et fit percer, à tous les étages, des fenêtres qui n'existaient pas avant cette époque, les jours étant pris du côté de la cour intérieure.
Note 143: (retour) Ce plan est à l'échelle de 0,007 mill. pour mètre.
Note 144: (retour) Nous n'avons rétabli dans cette vue que les charpentes qui n'existent plus; quant aux maçonneries, elles sont presque intactes.
Note 145: (retour) Voy. ARCHITECTURE MILITAIRE.
Note 146x: (retour) Nous devons les curieux renseignements que nous possédons sur ce château à l'obligeance bien connue du savant archiviste de Strasbourg, M. Schéegans, et à notre confrère M. Boeswilwald.
Note 147: (retour) «Une lettre fort importante,» dit M. Schéegans dans une notice inédite sur le Hoh-Koenigsbourg, «que l'empereur écrivit aux magistrats de Strasbourg, et conservée dans les archives de cette ville, donne acte de cette cession. Par cette lettre, datée du 14 mars 1479, l'empereur Frédéric informe les magistrats: qu'en reconnaissance des services à lui rendus par les comtes de Thierstein, et pour d'autres motifs justes, il leur a concédé en fief le château ruiné de Hoh-Koenigsbourg, avec ses dépendances, et qu'il leur a permis de le reconstruire. En conséquence, l'empereur, en vertu du pouvoir impérial, prie les magistrats de Strasbourg et leur ordonne de venir en aide aux comtes de Thierstein, de leur prêter secours et assistance contre tous ceux qui chercheraient à les contrarier dans la prise de possession, reconstruction et jouissance dudit château, de ne pas souffrir qu'ils y soient troublés, et de leur fournir secours fidèle, au nom du Saint-Empire, contre tous ceux qui oseraient porter atteinte à leurs droits.»
Note 148: (retour) À l'échelle de 0,007 mil. pour dix mètres.
Note 149: (retour) Cette vue ainsi que le plan sont tirés de l'oeuvre de Ducerceau sur les Bâtiments en France, le château étant détruit depuis la Révolution.
Note 150: (retour) Les plus excellens bastimens de France, liv. II.
Note 151: (retour) Toutes les constructions ne dataient pas de la même époque; les plus anciennes remontaient à la fin du XVe siècle. Mais, pendant le XVIe siècle, les bâtiments, surtout à l'intérieur, furent en grande partie décorés avec un grand luxe d'architecture. Plus tard encore, pendant le XVIIe siècle, les communs furent modifiés.
Note 152: (retour) Voy., dans Les plus excellens bastimens de France, de Ducerceau, les vues et détails des constructions de Chantilly.
Note 153: (retour) Voy. Ducerceau et l'oeuvre (petite) d'Israël Sylvestre. Voy. aussi, dans le Guide hist. du voyage à Blois et aux environs, par M. De la Saussaye, 1815, une excellente notice sur ce beau château de la renaissance.
Note 154: (retour) À l'échelle d'un demi-millimètre pour mètre.
Note 155: (retour) Notre vieux poëte, Charles de Sainte-Marthe, né en 1542, mort en 1555, écrivait, dans ses Conseils aux poëtes, pendant que l'on bâtissait Chambord, ces vers pleins de sens, et qui font connaître quelle était alors la manie des beaux-esprits en France de ne rien trouver de bon que ce qui venait d'Italie:

«Ne veulx-tu donq, ô François, y entendre?

Ne veulx-tu donq virilement contendre

Contre quelcuns barbares estrangiers

Qui les François disent estre légiers?

D'où prennent-ils d'ainsi parler audace?

C'est seulement à la mauvaise grace

Que nous avons des nostres dépriser

Et sans propos les aultres tant priser.


Qu'a l'Italie ou toute l'Allemaigne,

La Grèce, Escosse, Angleterre ou Espaigne

Plus que la France? Est-ce point de tous biens?

Est-ce qu'ils ont aux arts plus de moyens?

Ou leurs esprits plus aiguz que les nostres?

Ou bien qu'ils sont plus savants que nous aultres?

Tant s'en fauldra que leur veuillons céder

Que nous dirons plus tost les excéder.


Un seul cas ont (et cela nous fait honte),

C'est que des leurs ils tiennent un grand compte,

Et par amour sont ensemble conjoincts,

Mais nous, François, au contraire, disjoincts.

Car nous avons à écrire invectives.

...

C'est quelque maître des oeuvres français, quelque Claude ou Blaise de Tours ou de Blois, qui aura bâti Chambord; et si le Primatice y a mis quelque chose, il n'y paraît guère. Mais avoir à la cour un artiste étranger, en faire une façon de surintendant des bâtiments, le combler de pensions, cela avait meilleur air que d'employer Claude ou Blaise, natif de Tours ou de Blois, bonhomme qui était sur son chantier pendant que le peintre et architecte italien expliquait les plans du bonhomme aux seigneurs de la cour émerveillés. Nos lecteurs voudront bien nous pardonner cette sortie à propos du Primatice; mais nous ne voyons en cet homme qu'un artiste médiocre qui, ne pouvant faire ses affaires en Italie, où se trouvaient alors cent architectes et peintres supérieurs à lui, était venu en France pour emprunter une gloire appartenant à des hommes modestes, de bons praticiens dont le seul tort était d'être né dans notre pays et de s'appeler Jean ou Pierre.



CHATELET, s. m. On donnait ce nom, pendant le moyen âge, à de petits châteaux établis à la tête d'un pont, au passage d'un gué, à cheval sur une route en dehors d'une ville ou à l'entrée d'un défilé. On désignait aussi, par le mot châtelet, des ouvrages en bois et en terre que les assiégeants élevaient de distance en distance entre les lignes de contrevallation et de circonvallation pour appuyer les postes destinés à garder ces lignes.

Dès le IXe siècle, la Cité, à Paris, était entourée de murailles flanquées de tours irrégulières, le tout en bois. Deux ponts donnaient accès dans la Cité, l'un au nord, à la place du Pont-au-Change actuel, l'autre au midi, à la place du Petit-Pont. Les têtes de ces deux ponts étaient déjà, et probablement avant cette époque, défendues par des châtelets, l'un, celui du nord, s'appelait le grand Châtelet, l'autre, celui du sud, le petit Châtelet. Le grand Châtelet formait une forteresse à peu près carrée, avec cour au milieu et portes détournées. Deux tours flanquaient les deux angles vers le faubourg. Le petit Châtelet n'était, en réalité, qu'une porte avec logis au-dessus et deux tours flanquantes. Ces ouvrages, détruits à plusieurs reprises lors des incursions normandes, furent reconstruits sous Philippe-Auguste, puis sous saint Louis, et réparés sous Charles V. Ils ont tous deux été démolis depuis la révolution.

Les châtelets prenaient quelquefois l'importance d'un véritable château avec ses lices extérieures, ses logis, ses enceintes flanquées et son donjon. Tel était le châtelet qui faisait tête de pont au Pont-de-l'Arche sur la Seine et dont nous donnons ici un croquis (1) d'après une gravure de Mérian. Mais ce qui distingue le châtelet du château, c'est moins son étendue que sa fonction. Le châtelet défend un passage. Guillaume de Nangis rapporte qu'en 1179 les templiers construisirent, au gué de Jacob, un châtelet dont les Turcs s'emparèrent et qu'ils détruisirent 156.

La dénomination de châtelet n'est point arbitraire; ainsi le maréchal de Boucicault fait élever plusieurs forts dans la ville de Gênes, au commencement du XVe siècle: l'un, celui du port, est appelé la Darse; «l'autre chastel, feit édifier en la plus forte place de la ville, et est appellé Chastellet, qui tant est fort que à peu de deffence se tiendroit contre tout le monde. Si est faict par telle manière que ceulx d'iceluy chastel peuvent aller et venir, maugré tous leurs ennemis, en l'autre chastel qui sied sur le port 157

Ce qui paraît distinguer particulièrement le châtelet du château, c'est que le premier est une construction uniquement destinée à la défense ou à la garde d'un poste, d'un défilé, d'un pont ou même d'une ville, ne possédant pas, comme le château, des bâtiments d'habitation et de plaisance; le châtelet n'est pas une résidence seigneuriale, c'est un fort habité par un capitaine et des hommes d'armes. C'est donc sa destination secondaire, et non son importance comme étendue et force, qui en fait un diminutif du château.

Quelquefois le châtelet n'était qu'une seule grosse tour carrée à cheval sur un passage, ou même un ouvrage palissadé avec quelques flanquements (voy. BASTILLE, PORTE).

Note 156: (retour) «In transmarinis partibus milites templi, ope regis (Jerusalem) et principum coadunati, in loco qui dicitur Vadum Jacob castrum fortissimum munierunt; quod cum aliquandiu tenuissent, Turci Templarios seditione capiunt, castrum expugnant, et ad terram dejiciunt.» Chron. de Guill. de Nang.
Note 157: (retour) Le livre des faicts du mareschal de Boucicaut, chap. IX, Coll. des mem. pour servir à l'hist. de France.


CHEMIN DE RONDE, s. m. Allée des murs. C'était la saillie du rempart derrière les merlons, nécessaire à la défense et à la circulation. Les merlons étant posés sur le parement extérieur des murailles, et ayant une épaisseur qui variait de 0,38 c. à 0,58 c. (14 à 21 pouces), il restait en dedans du rempart un couronnement de maçonnerie que l'on recouvrait de dalles et qui formait le chemin de ronde. Naturellement, les chemins de ronde étaient plus ou moins larges en raison de l'épaisseur du rempart. Lorsque le mur n'avait qu'une épaisseur médiocre, le dallage du chemin de ronde débordait à l'intérieur, afin de suppléer à la maçonnerie et de permettre à deux hommes, au moins, de passer de front.

Pendant la période carlovingienne, les chemins de ronde des remparts étaient mis en communication directe avec le terre-plain intérieur au moyen d'emmarchements assez rapprochés. Plus tard, à partir du XIIe siècle, on ne pouvait généralement circuler sur les chemins de ronde qu'en passant par les tours et les escaliers qui desservaient leurs étages. Les habitants d'une ville n'en avaient pas ainsi la libre jouissance, et ils étaient uniquement réservés à la garnison. Dès une époque fort ancienne, en temps de guerre, les chemins de ronde étaient élargis au moyen de galeries de bois couvertes, posées en encorbellement en dehors des merlons, galeries désignées sous les noms de hourds dans le Nord, de corseras en Languedoc. Au XIVe siècle, les chemins de ronde furent munis de machicoulis en pierre, couverts ou découverts. Plus tard encore, après l'emploi de l'artillerie à feu dans la défense des places, des chemins de ronde en bois furent quelquefois posés par-dessus les parapets percés d'embrasures, destinées à recevoir des bouches à feu (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, CHÂTEAU, COURTINE, EMBRASURE, ENCEINTE, HOURD, MACHICOULIS).



CHEMINÉE, s. f. Queminée. Foyer disposé dans une salle avec tuyau de conduite pour la fumée. Il ne paraît pas qu'il y ait eu des cheminées dans les intérieurs des palais ou des maisons de l'époque romaine. Pendant les premiers siècles du moyen âge, on chauffait les intérieurs des appartements soit au moyen de réchauds remplis de braise que l'on roulait d'une pièce dans l'autre, comme cela se pratique encore en Italie et en Espagne, soit par des hypocauste, c'est-à-dire au moyen de foyers inférieurs, qui répandaient la chaleur, par des conduits, sous le pavage des appartements et dans l'épaisseur des murs, ainsi que le font nos calorifères modernes. Dans les abbayes primitives, ce mode de chauffage était usité, ainsi que le démontre le plan de l'abbaye de Saint-Gall, qui date de l'année 820 environ (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE, (p. 243)). Les cuisines primitives des abbayes et châteaux n'avaient pas, à proprement parler, de cheminées, mais n'étaient elles-mêmes qu'une immense cheminée munie d'un ou plusieurs tuyaux pour la sortie de la fumée (voy. CUISINE). Nous ne voyons guère apparaître les cheminées ou foyers, disposés dans les intérieurs, qu'au XIIe siècle, et à dater de cette époque les exemples abondent. La cheminée primitive se compose d'une niche prise aux dépens de l'épaisseur du mur, arrêtée de chaque côté par deux pieds-droits, et surmontée d'un manteau et d'une hotte, sous laquelle s'engouffre la fumée. Les plus anciennes cheminées sont souvent tracées sur plan circulaire, le foyer formant un segment de cercle et le manteau l'autre segment. Telle est la belle cheminée, sculptée que l'on voit encore aujourd'hui dans le bâtiment de la maîtrise dépendant de la cathédrale du Puy-en-Vélay, et qui date du XIIe siècle.

Nous en donnons le plan (1) et l'élévation perspective (2).

La hotte de cette cheminée affecte la forme conique et aboutit à un tuyau cylindrique dont le demi-diamètre est en saillie sur le nu du mur intérieur. Ce tuyau dépasse de beaucoup le pignon du bâtiment; mais nous arriverons tout à l'heure à cette partie essentielle de la cheminée. On voit encore, dans la cuisine de l'ancien collége de Vézelay, une belle cheminée sculptée, mais sur plan barlong, qui remonte également au XIIe siècle 158.

Les cheminées du XIIe siècle ne prennent pas des dimensions aussi étendues en largeur que celles élevées un siècle plus tard. Aussi le manteau est-il, à cette époque, formé d'une plate-bande d'un seul morceau ou de deux morceaux, comme celui de la cheminée du Puy. Cependant nous voyons déjà, à la fin du XIIe siècle, l'arc adopté pour le manteau.

Il existe dans le château de Vauce, près Ébreuil (Allier), une belle cheminée ainsi construite, sur plan barlong (3) 159; son manteau se compose de deux sommiers engagés dans le mur, portant sur les deux pieds-droits, et d'une clef; il n'a que 0,20 c. d'épaisseur environ. Le contre-coeur 160 est maçonné en tuileaux, afin de mieux résister à l'action du feu. Plus tard, une plaque en fonte de fer posée debout devant le contre-coeur vient encore protéger la maçonnerie contre l'ardeur du foyer, et des carreaux de brique tapissent l'âtre.

Rarement, au XIIe siècle, posait-on les cheminées adossées à des murs de refend; on les logeait de préférence sur les murs de face entre deux croisées. Si les murs de la maison n'étaient pas très-épais, le contre-coeur formait saillie à l'extérieur porté en encorbellement, ainsi qu'on en voit quelques exemples dans des maisons de la ville de Cluny, ou portait sur la saillie formée par la porte d'entrée du rez-de-chaussée. Cette dernière disposition existe encore dans une maison normande, du XIIe siècle, de la ville de Lincoln en Angleterre, dite maison du Juif. Elle présente trop d'intérêt pour que nous ne la donnions pas ici (4). La cheminée chauffe la salle principale au premier étage, et le contre-coeur A ainsi que le tuyau qui le surmonte portent entièrement sur un arc posé sur deux corbeaux formant un abri au-dessus de la porte d'entrée B sur la rue. Tout en se chauffant, on voulait voir ce qui se passait dans la rue, et, non contents de placer les cheminées entre les fenêtres de la façade des maisons, les bourgeois perçaient quelquefois une petite fenêtre dans le fond même de la cheminée, d'un côté, de manière à pouvoir se tenir sous le manteau en ayant vue sur l'extérieur. Les manteaux des cheminées, lorsque celles-ci prennent plus de largeur, sont souvent en bois dans les habitations privées, car il était difficile de se procurer des plates-bandes assez longues et assez résistantes pour former ces manteaux d'un seul morceau, et leur appareil présentait des difficultés. Il existe, dans l'une des maisons de la ville de Cluny, rue d'Avril, nº 13, une grande cheminée logée sur le mur de face, avec contre-coeur en encorbellement, dont le manteau est composé d'une pièce courbe de charpente. De chaque côté de la cheminée s'ouvrent deux fenêtres basses avec tablettes de pierre au-dessus, pour recevoir des flambeaux le soir. Le contre-coeur est en brique à l'intérieur, en pierre à l'extérieur; la hotte est en moellons. Le manteau de bois est porté sur deux fortes consoles de pierre sans pieds-droits.

Nous donnons (5) le plan de cette cheminée et (6) son élévation perspective. À l'intérieur, la hotte est ovale et aboutit en s'élevant à un tuyau circulaire. Souvent des poignées en fer sont attachées sous le manteau, afin de permettre à une personne debout de se chauffer les pieds l'un après l'autre, sans fatigue. Parfois aussi des bancs sont disposés sur l'âtre, des deux côtés des pieds-droits, afin qu'on puisse se chauffer en se tenant sous le manteau, lorsque le feu est réduit à quelques tisons. Dans ces grandes cheminées, on jetait des troncs d'arbres de deux ou trois mètres de long, et on obtenait ainsi des foyers de chaleur d'une telle intensité qu'ils permettaient de chauffer de vastes salles. Bien que nos pères fussent moins frileux que nous, qu'ils fussent habitués à vivre au grand air en toute saison, cependant la réunion de la famille au foyer de la salle était évidemment pour eux un des plaisirs les plus vifs durant les longues soirées d'hiver. Le châtelain, obligé de se renfermer dans son manoir aussitôt le soleil couché, réunissait autour de son foyer non-seulement les membres de sa famille, mais ses serviteurs, ses hommes qui revenaient des champs, les voyageurs auxquels on donnait l'hospitalité; c'était devant la flamme claire qui pétillait dans l'âtre que chacun rendait compte de l'emploi de son temps pendant le jour, que l'on servait le souper partagé entre tous, que l'on racontait ces interminables légendes recueillies aujourd'hui avec tant de soin et dont les récits diffus ne s'accordent plus guère avec notre impatience moderne. Une longue chandelle de suif, de résine ou de cire, posée sur la tablette qui joignait le manteau de la cheminée, ou fichée dans une pointe de fer, et la brillante flamme du foyer éclairaient les personnages ainsi réunis, permettaient aux femmes de filer ou de travailler à quelque ouvrage d'aiguille. Lorsque sonnait le couvre-feu, chacun allait trouver son lit, et la braise, amoncelée par un serviteur, au moyen de longues pelles de fer, entretenait la chaleur dans la salle pendant une partie de la nuit, car le maître, sa femme, ses enfants, avaient leurs lits encourtinés dans la salle; souvent les étrangers et quelques familiers couchaient aussi dans cette salle, sur des bancs garnis de coussins, sur des châlits ou des litières.

À dater du XIIIe siècle, les cuisines ne sont plus des salles isolées, vastes officines dans lesquelles on faisait cuire à la fois des boeufs et des moutons entiers; ce sont des salles comprises dans les bâtiments, et munies d'une ou plusieurs cheminées. La cuisine du Palais, à Paris, était à deux étages, possédant une cheminée centrale à l'étage supérieur et quatre à l'étage inférieur 161.

Il existe encore, dans le château de Clisson près de Nantes, une de ces cuisines qui remonte aux premières années du XIVe siècle et qui se compose d'une énorme cheminée dont le manteau, formé de deux arcs plein cintre, occupe la moitié d'une salle voûtée. L'abbaye Blanche de Mortain a conservé une belle cheminée de cuisine en granit dont nous donnons (7) une vue perspective. Les armes de l'abbaye sont sculptées sur la clef du manteau, composé de deux énormes sommiers et de trois claveaux avec crossettes. Il n'y a pas ici de pieds-droits pour porter le manteau, mais deux consoles très-saillantes. Le contre-coeur est encore garni de sa plaque en fonte et de sa triple crémaillère.

Mais, jusqu'au XIVe siècle, les cheminées des châteaux et maisons étaient, sauf de rares exceptions, d'une grande simplicité, comme tout ce qui tenait à l'usage journalier. Le luxe des intérieurs consistait en peintures, en boiseries et en tentures plus ou moins riches, en raison de l'état de fortune du maître. Ce n'est guère que pendant le XIVe siècle que nous voyons la sculpture, les bas-reliefs envahir les manteaux des cheminées. À cette époque, les grand'salles des châteaux, reconstruites la plupart sur de plus vastes proportions, étaient garnies de plusieurs cheminées. La grand'salle des chevaliers du Mont-Saint-Michel-en-Mer contient deux cheminées; celle du château de Montargis en contenait quatre, deux sur l'une des parois longitudinales et deux à chacune des extrémités (voy. SALLE).

«La cheminée de la chambre du roi à l'hôtel Saint-Pol, dit Sauval 162, avoit pour ornement de grands chevaux de pierre; celle de sa chambre au Louvre, en 1365, étoit chargée de douze grosses bêtes, et de treize grands prophètes, qui tenoient chacun un rouleau; de plus, terminée des armes de France, soutenue par deux anges, et couverte d'une couronne. Il se trouve encore une cheminée de cette manière à l'hôtel de Cluni, rue des Mathurins (cette cheminée n'existe plus), sans parler de celle de la grand'salle qui s'y voit embarrassée d'une infinité de pellerins de toutes tailles, qui vont en pelerinage dans un bois, le long d'une haute montagne.»

La grand'salle du château de Coucy en contient deux, offrant également cette particularité que les tuyaux de ces cheminées sont divisés par une languette en pierre, de manière à fournir deux tirages. Un pied-droit divisait la portée du manteau et formait ainsi comme deux cheminées jumelles. La même disposition était adoptée dans la construction de la cheminée de la salle des Preuses dépendant de ce château. Le dessin de cette belle cheminée nous est conservé par Ducerceau 163, et nous le reproduisons ici (8). Sur le manteau de cette cheminée étaient sculptées en ronde-bosse, de dimension colossale, les statues des neuf Preuses 164, portant chacune un écusson sur lequel était gravé un attribut.

Tout porte à supposer que l'on avait reconnu, en construisant des cheminées d'une très-grande largeur, la nécessité de diviser le tuyau de tirage en plusieurs sections, afin d'empêcher le vent de s'engouffrer dans ces larges trémies et de faire ainsi rabattre la fumée. En pratiquant plusieurs tuyaux, on donnait plus d'activité au tirage, et la fumée pouvait ainsi s'échapper avec plus de facilité; ces divisions avaient encore l'avantage de donner de la solidité aux murs dédoublés par les tuyaux en reliant leurs deux parements extérieurs et intérieurs.

La belle cheminée de la grand'salle du palais des comtes de Poitiers nous donne un très-remarquable exemple de ce système de tuyaux divisés surmontant un seul manteau. Cette cheminée, qui date du commencement du XVe siècle, ainsi que le pignon auquel elle se trouve adossée, occupe presque entièrement l'une des extrémités de cette salle, dont la construction remonte au XIIIe siècle; elle n'a pas moins de 10m,00 de largeur sur 2m,30 sous le manteau (sept pieds). Le dessus du manteau forme une sorte de tribune à laquelle on arrive par deux escaliers percés aux angles du pignon; ces deux escaliers communiquent eux-mêmes à deux tourelles qui flanquent les angles extérieurs de la salle. La cheminée est divisée en trois corps; trois tuyaux partent de la hotte et, passant derrière une claire-voie vitrée, s'élèvent jusqu'à l'extrémité du pignon. L'ensemble de cette décoration produit un grand effet et termine noblement cette belle salle dont la largeur, dans oeuvre, est de 16m,30.

Nous donnons (9) en A le plan de la cheminée de la grand'salle de Poitiers, au niveau de l'âtre, et en B le plan du dessus de la tribune pratiquée sur le manteau, pris au niveau de la claire-voie vitrée. Son âtre est relevée de dix marches au-dessus du sol de la salle; la cheminée se trouve ainsi former le fond du tribunal. La fig. 10 présente son élévation géométrale. Les deux pieds-droits qui la divisent en trois travées sont terminés par des chapiteaux richement sculptés et décorés d'écussons portés par des anges. Le manteau est orné de la même manière 165.

À l'intérieur des monuments civils comme à l'extérieur, le moyen âge savait produire des effets grandioses qui laissent bien loin les dispositions mesquines de nos plus vastes édifices modernes. Lorsque siégeaient sur cette estrade, dans leurs grands costumes, les comtes de Poitiers entourés de leurs officiers; lorsque derrière la cour seigneuriale brillaient les trois feux allumés dans les trois âtres, et que des assistants assis sur un banc au-dessus du manteau de la cheminée, adossés à des verrières, complétaient ce tableau, on peut se figurer la noblesse et la grandeur d'une pareille mise en scène, combien elle devait inspirer de respect aux vassaux cités devant la cour du comte. Certes, pour défendre sa cause en face d'un tribunal si noblement assis et entouré, il fallait avoir trois fois raison. Mais nous avons l'occasion de revenir sur les dispositions des tribunaux seigneuriaux au mot SALLE, auquel nous renvoyons nos lecteurs.

Les châteaux des XIVe et XVe siècles possèdent encore un grand nombre de cheminées de petite dimension dans les tours et les appartements privés. Souvent ces cheminées sont habilement disposées pour chauffer deux pièces. Leboeuf 166 dit avoir vu, dans le donjon du château de Montlhéry, «une cheminée construite de manière qu'elle servait à quatre chambres.» L'hôtel de Jacques Coeur, à Bourges, renferme d'assez belles cheminées du XVe siècle; l'une de celles qui sont conservées représente un couronnement de château avec créneaux, machicoulis et lucarnes; entre les créneaux sont de petites figures à mi-corps; les unes tirent de l'arc ou de l'arbalète, d'autres jouent du cor et de la cornemuse, d'autres jettent des cailloux, tiennent des étendards, etc. Cette cheminée porte 1m,66 sous le manteau sur 2m,57 de largeur. Mais la plus intéressante, parmi les cheminées de cet hôtel, était celle qui représentait un tournoi burlesque, et dont il ne reste que des fragments déposés aux archives de la mairie. Sur le manteau étaient sculptés des paysans montés sur des baudets, ayant des bâtons pour lances, des fonds de paniers pour écus, et courant la barrière. Jacques Coeur, qui n'aimait guère la noblesse féodale de son temps, avait-il voulu avoir sous les yeux cette caricature d'un des délassements les plus ordinaires des seigneurs de la cour du roi Charles VII? ou est-ce là une fantaisie du sculpteur? Quoi qu'il en soit, il est fort regrettable que ce précieux monument été détruit.

Dans les habitations des bourgeois du XIVe au XVe siècle, les cheminées sont décorées avec luxe, comme chez les seigneurs, mais dans des proportions plus restreintes et en rapport avec la dimension des pièces. La sculpture sur pierre était chère, et, comme de nos jours, le bourgeois voulait souvent paraître à peu de frais; aussi beaucoup de cheminées d'habitations privées étaient en bois apparent ou recouvert de plâtre sculpté et mouluré. On retrouve encore, dans plusieurs villes de province, quelques exemples de ces cheminées conservées malgré leur fragilité; nous en avons vu plusieurs à Toulouse, dans des maisons que l'on démolissait dernièrement, dans le voisinage de la place du Capitole; et il en existe deux fort précieuses, à cause de leur parfaite conservation, dans la petite ville de Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne), autrefois industrieuse et riche, aujourd'hui réduite à l'état de bourgade.

Ces deux cheminées datent du XVe siècle; la plus simple, celle que nous donnons (11), se compose de deux pieds-droits en pierre et d'un manteau formé d'un châssis de bois recouvert de plâtre mouluré et sculpté. La hotte est hourdée également en plâtre sur planches de chêne.

La fig. 12 donne en A le profil et le plan en B de cette construction. Le détail C indique une portion du pan-de-bois hourdé formant la hotte et le manteau de la cheminée. Les lignes ponctuées sur la coupe A font comprendre la disposition générale de ce pan-de-bois. Par un sentiment de pudeur, et comme si l'artiste qui exécutait cette cheminée eût craint d'en imposer, il a eu le soin de simuler sur la hotte un câblé vertical et horizontal qui semble destiné à la relier, comme pour indiquer sa fragilité et son défaut de liaison avec la muraille.

L'autre cheminée de Saint-Antonin est construite de la même manière: mais elle est couverte d'une profusion d'ornements sculptés dans le plâtre et de moulures. Sur la hotte, deux anges tiennent un écusson armoyé.

Deux autres écussons, posés de chaque côté contre la muraille, sont également armoyés et tenus par des anges. Ces derniers écussons paraissent porter sur le champ des instruments de métier, des doloires. Un câblé serré avec un bâton et tenu par deux figures semble maintenir la base de la hotte et une chaîne retient sa partie supérieure. Voici (13) la vue perspective de cette cheminée.

L'époque de la renaissance vit encore élever de belles cheminées dans les intérieurs des châteaux; leurs pieds-droits et manteaux furent décorés de sculptures et de peintures d'une richesse et d'une élégance rares; plusieurs de ces cheminées existent dans quelques châteaux, à Écouen, à Fontainebleau, dans le manoir de Ronsard près du bourg de Coutures (Maine), dans la salle de l'hôtel de ville de Paris. Le musée de Cluny en possède une d'un travail précieux qui provient du Mans, et tout le monde connaît la magnifique cheminée de Bruges. Mais bientôt les dimensions énormes données aux cheminées furent réduites, et déjà, pendant le XVIIe siècle, elles prenaient des proportions moins grandioses. Le marbre remplaça la pierre, qui jusqu'alors avait été employée dans la construction des pieds-droits et manteaux des cheminées, et ces manteaux s'abaissèrent successivement jusqu'à la hauteur d'appui.



TUYAUX ET MITRES DE CHEMINÉE. Les conduits de fumée des cheminées du XIIe siècle sont ordinairement cylindriques à l'intérieur et terminés au-dessus des pignons ou des combles en forme de grosse colonne couronnée par une mitre. Construits d'ailleurs avec grand soin au moyen d'assises de pierre évidées, ces tuyaux affectent souvent une forme monumentale qui surmonte d'une façon gracieuse le faîte des édifices. La cheminée de la maîtrise de la cathédrale du Puy-en-Vélay, dont nous avons donné un dessin (fig. 1 et 2), est terminée au-dessus du pignon de la salle à laquelle elle est adossée, par un beau tuyau cylindrique formé d'assises de pierres noires et rousses alternées, avec mitre en forme de lanterne couverte par un cône. Nous en donnons la représentation géométrale (14). Très-rarement, à cette époque primitive, les cheminées sont superposées, de sorte que les tuyaux sont simples et isolés. Mais la cheminée du Puy est relativement petite; lorsque les cheminées avaient des dimensions considérables, lorsqu'elles devaient chauffer de grandes salles et contenir un très-vaste foyer, il fallait donner à la fumée un passage en rapport avec ces dimensions. Il existait, avant 1845, à l'abbaye de Saint-Lô, une énorme cheminée, du commencement du XIIIe siècle, dont le tuyau était un véritable monument, une tourelle octogone de 0,90 c. de diamètre hors oeuvre. Ce tuyau, dont nous donnons l'élévation géométrale (15), arrivait du carré à la forme prismatique par quatre pendentifs, et se terminait par deux étages de colonnettes dont le dernier était à jour et par une haute pyramide 167. Il existe, sur une maison proche de la cathédrale de Bayeux, un tuyau de cheminée qui, dans des dimensions plus restreintes, rappelle celui de l'abbaye de Saint-Lô. Ces tuyaux, ainsi qu'on peut le voir, ne sont ouverts que sur la circonférence du cylindre et sont fermés entièrement au sommet; la fumée ne pouvait ainsi s'échapper que par les côtés. Au XIIIe siècle, les tuyaux de cheminée sont souvent ouverts sur les côtés et à leur extrémité supérieure. En voici (16) un exemple tiré de l'abbaye de Fontenay, de l'ordre de Cîteaux (Côte-d'Or). Afin d'empêcher les eaux pluviales de tomber dans la cheminée, l'orifice supérieur est fort étroit. Ce tuyau est fait de tambours de pierre creusés comme celui du Puy-en-Vélay. Souvent même les tuyaux de cheminée ne sont ouverts, dans les constructions du XIIIe siècle, qu'à leur extrémité et continuent d'affecter la forme cylindrique ou prismatique. Les exemples de ces sortes de tuyaux sont très-nombreux; il en existe encore dans les bâtiments du Palais à Paris; nous en connaissons un assez remarquable conservé dans les restes du château de Semur en Auxois, avec base moulurée au-dessus de la souche sortant du comble (17).

Il faut signaler ici un point important dans la construction de ces accessoire; les souches sortant des combles sont toujours munies d'un filet rampant en pierre formant chéneau sous la tuile ou l'ardoise en A, et solin B au-dessus dans les parties latérales et inférieures des souches, afin d'empêcher les eaux pluviales glissant le long des tuyaux à l'extérieur de s'introduire sous la couverture. Ce sont là des précautions de détail qui accusent la prévoyance extrême et le soin des constructeurs du moyen âge, précautions fort négligées aujourd'hui. Mais, jusqu'au XIVe siècle, même dans les grandes constructions civiles ou monastiques, les cheminées sont rarement superposées; si plusieurs étages d'un même bâtimemt en sont pourvus, on évite de les placer au-dessus les unes des autres, elles se chevauchent au contraire ou sont opposées, afin de laisser chaque tuyau isolé; tandis qu'à partir de cette époque, l'usage des cheminées s'étant fort répandu, on voulut non-seulement en avoir dans toutes les pièces importantes, mais encore les placer les unes au-dessus des autres; dès lors, les tours, les pignons de bâtiments d'habitation reçurent deux, trois, quatre tuyaux de cheminée juxtaposés. Il fallait avoir un tuyau pour chacune de ces cheminées et les séparer par des languettes; ces constructions furent exécutées avec un soin minutieux. Au lieu d'être cylindriques à l'intérieur, les tuyaux donnent, dans ce cas, les sections horizontales de parallélogrammes très-allongés séparés par des cloisons de 0,10 c. à 0,20 c. d'épaisseur.

Ainsi sont pratiqués les tuyaux des trois cheminées superposées du donjon de Pierrefonds, dont nous donnons (18) en P la coupe transversale et en A la section horizontale au niveau A'. Les languettes B B' sont en pierre bien parementées et dressées. En C C' C'' sont réservés de petits renfoncements carrés, pour recevoir la plaque de fonte de fer du contre-coeur, destinés à empêcher la chaleur du foyer de calciner la pierre et de détruire les languettes. Par un surcroît de précaution, souvent, au-dessus de la plaque, la languette est appareillée en plate-bande ou en arc de décharge, ainsi qu'on le voit en D. Les manteaux sont également déchargés par des arcs E. En F, nous donnons la tête de ces tuyaux de cheminée, surmontant l'extrémité du pignon du bâtiment; en G leur plan supérieur et en H leur profil. On voit en I le filet saillant réservé dans les assises de la souche, et destiné à recouvrir les rampants du comble au-dessus de l'ardoise. Ce filet, tenant lieu de solins, se continue sous les marches qui, le long des rampants du pignon, permettent d'arriver facilement aux tuyaux pour les réparer et de placer des défenseurs protégés par le crénelage K donnant sur les dehors. Mais, dans les localités exposées aux grands vents, les tuyaux de cheminée, terminés brusquement par des ouvertures sans mitres, ne laissaient pas échapper facilement la fumée; celle-ci, rabattue par le vent, était comprimée et rentrait à l'intérieur des appartements. Pour éviter cet inconvénient, on garnit souvent les bouches supérieures des tuyaux de couronnes en tôle découpée qui, divisant le courant d'air extérieur, permettaient à la fumée de sortir librement. Nous avons vu, sur beaucoup de têtes de cheminée des XIVe et XVe siècles, des traces de scellements qui indiquent la présence de ces couronnes; mais il en existe fort peu qui aient résisté aux intempéries et à l'action corrosive de la suie. L'ancien tuyau de la cheminée de la grand'salle du château de Sully-sur-Loire, ayant été mis hors d'usage depuis le XVIe siècle, par suite d'un changement de distribution intérieure, a conservé sa couronne de fer battu, ainsi que le fait voir la fig. 19. Ce tuyau donne en section horizontale le plan A; l'extrémité du pignon de la salle lui sert de souche.

Le château de Du Guesclin, à la Bélière près Dinan, a conservé plusieurs charmants tuyaux de cheminée, octogones, en granit, brique et ardoise, dont nous donnons (20) deux exemples qui datent de la fin du XIVe siècle. Les cornes B décorant les couronnements sont en ardoise épaisse et fichées en rainure dans les assises supérieures de granit formant chapiteaux. Les fonds des petites arcatures C sont plaqués d'ardoises qui, à cause de leur teinte sombre, détachent vivement cette fine ornementation et permettent de la distinguer à la hauteur où elle est placée 168.

Une des qualités les plus remarquables de l'architecture du moyen âge, c'est d'avoir su tirer parti de tous les accessoires les plus vulgaires de la construction pour en faire un motif de décoration. Des besoins nouveaux venaient-ils à se développer, aussitôt les architectes, loin de les dissimuler, cherchaient au contraire à leur donner une forme d'art, non-seulement dans les constructions élevées avec luxe, mais aussi dans les habitations les plus humbles. Nous en trouvons la preuve dans un grand nombre d'anciennes maisons de nos vieilles villes. Avec les moyens les plus simples et les moins dispendieux, ces architectes ont obtenu des formes élégantes et parfaitement appropriées aux besoins auxquels il fallait satisfaire. Dans les villes de l'Est, il existe encore beaucoup de tuyaux de cheminée dont les mitres, formées d'un échafaudage de tuiles retenues avec du mortier, se découpent sur le ciel de la façon la plus gracieuse.

La fig. 21 offre trois exemples de ces têtes de cheminée comme on en voit tant à Strasbourg 169. Les boules A qui surmontent les tuiles des mitres sont en mortier. Encore aujourd'hui, à Strasbourg, on conserve la tradition de cette construction des XIVe et XVe siècles.

Les architectes des châteaux de l'époque de la renaissance renchérirent encore sur leurs devanciers dans la construction des tuyaux de cheminée; ils les décorèrent souvent avec un luxe de moulures et de sculptures passablement exagéré. S'il est bon de ne pas dissimuler un besoin secondaire et d'en profiter pour orner un édifice, il ne faut pas cependant qu'un accessoire prenne plus d'importance qu'il ne convient, et perde ainsi son véritable caractère. Cette modération, si parfaitement observée par les architectes du moyen âge, ne fut pas du goût de ceux du XVIe siècle, et ceux-ci arrivèrent à donner aux tuyaux des cheminées, au-dessus des combles, une telle importance qu'il est souvent difficile de savoir ce que contiennent ces énormes piles de pierre couvertes de colonnettes, de frontons, de panneaux et de sculptures. Les châteaux de Chambord, de Blois, d'Écouen et tant d'autres, présentent quantité de ces tuyaux massifs couverts d'ornements qui, à distance, détruisent les lignes principales des combles et ressemblent aux ruines de quelque monument gigantesque.

Sous le règne de Louis XIV, on tomba d'un excès dans un pire; le retour vers ce que l'on croyait alors être l'architecture romaine fit supprimer les combles apparents et par suite les tuyaux de cheminée. Mais, comme en France on se chauffe six mois de l'année, il fallut, bon gré mal gré, surmonter après coup les acrotères et terrasses antiques des édifices par d'horribles tuyaux de brique, de plâtre et de tôle. On est revenu, ces temps derniers, à des principes plus raisonnés, et les architectes ne paraissent pas craindre de montrer franchement à l'extérieur les tuyaux de nos cheminées.

Note 158: (retour) Cette cheminée est gravée dans le septième cahier du Bulletin du comité de l'hist. et des arts en France, 1853, sur un dessin de M. E. Amé.
Note 159: (retour) Nous devons le dessin de cette cheminée à l'obligeance de M. Millet, architecte.
Note 160: (retour) C'est le nom que l'on donne au fond de la cheminée.
Note 161: (retour) Voy. CUISINE. Cette construction est postérieure au règne de saint Louis et parait appartenir à la fin du XIIIe siècle ou au commencement du XIVe. Voy. ce qu'en dit Sauval, t. II, p. 280, Hist, et antiq. de la ville de Paris.
Note 162: (retour) Hist. et antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 279.
Note 163: (retour) Des plus excellens bastimens de France.
Note 164: (retour) De ces figures, il ne reste qu'une tête découverte récemment, dont la coiffure accuse la fin du XIVe siècle. Nous ne désespérons pas de retrouver d'autres fragments de cette magnifique cheminée.
Note 165: (retour) M. de Mérindol, architecte diocésain de Poitiers, a bien voulu nous fournir les dessins de cette cheminée, relevés avec une exactitude scrupuleuse.
Note 166: (retour) Hist. du dioc. de Paris, t XII, p. 53.
Note 167: (retour) Ce tuyau de cheminée fut détruit en 1845, en même temps que les bâtiments de l'abbaye. Il fut réédifié dans le jardin du presbytère de l'église de Sainte-Croix.
Note 168: (retour) M. Ruprich Robert a bien voulu nous communiquer ces précieux renseignements.
Note 169: (retour) M. Patoueille, architecte, nous a fourni les croquis de ces mitres strasbourgeoises.


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