Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite)
«Une foiz entra en .i. cloistre
De povres genz qui pas acroistre
Ne se pooient de lor biens;
Fors d'aumosne n'avoient riens.
Ymages li monstrent bien fètes,
Bien entaillies et portrètes;
Mult orent cousté, ce li samble,
Ainçois que il fussent ensamble;
Mult l'en pesa, et bien lor monstre.
«Et mult lor en va à l'encontre,
Et dist: «Je croi miex vous en fust,
Se ce ç'on a mis en ce fust
Por fere entaillier ces ymages
Fust mis en preu; c'or est domages
Qui a l'amor de Dieu el cuer
Les ymages qu'il voit defuer,
Si ne li font ne froit ne chaut.
Endroit de moi il ne m'en chaut,
Et bien sachiez, ce me conforte,
Que chascun crestiens, là, porte
Les ymages el cuer dedenz.
Les lèvres muevre ne les denz
Ne font pas la religion,
Mès la bone compontion 262.»
Un huguenot n'aurait pas parlé autrement au XVIe siècle.
Afin de meubler la nudité des murs intérieurs des galeries des cloîtres entre les culs-de-lampe portant les voûtes, on les décorait de peintures et même quelquefois de bas-reliefs et d'arcatures. Le cloître de la cathédrale de Toul, commencé vers 1240 et terminé à la fin du XIIIe siècle, nous donne une jolie décoration de ce genre, consistant en une suite d'arcatures trilobées, sous chacune desquelles était sculpté un petit bas-relief porté sur une sorte de tablette ornée peu saillante.
Nous donnons (31) l'une des travées intérieures de ce cloître 263. À l'extérieur, le cloître de la cathédrale de Toul présente une disposition analogue à celle des cloîtres de Noyon et de Soissons, si ce n'est que les formerets des voûtes ne pénètrent pas à travers l'épaisseur du mur, et que les archivoltes des claires-voies sont bandées en dedans de ces formerets. Il reste ainsi, de chaque côté des contre-forts, une portion de trumeau. Cette disposition est moins franche que celle des cloîtres présentés ci-dessus. D'ailleurs la galerie n'était point vitrée. À Toul, les chéneaux du cloître sont disposés d'une façon particulière; ils consistent, au-dessus de la corniche, en une assise de pierre taillée suivant les pentes correspondant à l'écoulement des eaux, lequel a lieu par les gargouilles percées au milieu de chaque tête de contre-fort (32).
Jusque vers le milieu du XIIIe siècle, les combles des cloîtres égouttent, sauf de très-rares exceptions, leurs eaux directement sur le préau sans chéneaux; la présence des chéneaux est un perfectionnement qui depuis fut introduit dans la construction des cloîtres. Dans les localités où l'eau de source manquait, on profita des combles des cloîtres et salles voisines pour recueillir les eaux pluviales dans une citerne ménagée sous le préau. Il arriva parfois alors qu'au lieu de jeter les eaux à gueule bée sur l'aire du préau, et pour éviter que des ordures pussent être entraînées dans la citerne, on plaça des tuyaux de descente en pierre de distance en distance dans les angles formés par les contre-forts (voy. CONDUITE); ou si l'on admettait les gargouilles, ce qui était le cas le plus ordinaire, on établissait un caniveau en pierre au-dessous d'elles, tout autour du préau, pour recueillir les eaux et les envoyer, par des pertuis, dans la citerne. Quelquefois même ce caniveau était un petit égout souterrain ayant un pertuis garni d'une crapaudine au-dessous de la gueule de chacune des gargouilles. Plus rarement l'aire du préau était dallée comme l'aire de l'impluvium antique et conduisait l'eau par des pentes, se dirigeant vers le milieu, dans la citerne. On recueillait ainsi non-seulement les eaux tombant sur les combles, mais aussi celles reçues sur la surface totale du préau. Le préau du cloître de l'abbaye du Mont-Saint-Michel-en-Mer est couvert de plomb; mais nous aurons l'occasion de parler bientôt de ce cloître remarquable.
Cependant, certains cloîtres de cathédrales particulièrement furent, au XIIIe siècle, surmontés d'un étage, probablement à cause du peu d'espace dont on disposait autour de ces monuments élevés au centre de cités populeuses. Il existe, à Langres, les restes d'un cloître de ce genre qui est d'un fort bon style et qui appartient au milieu de ce siècle.
La fig. 33 présente l'une de ses travées. Un premier étage, percé d'une petite fenêtre carrée au-dessus de chaque arcade, était destiné peut-être au logement des chanoines. Ici ce sont les formerets des voûtes qui, comme à Noyon, servent d'archivoltes à la claire-voie. Le mur du fond du cloître de la cathédrale de Langres est décoré d'une triple arcature sous chaque formeret, portée sur des colonnettes et des chapiteaux admirablement sculptés. Quant aux contre-forts, épais et saillants dans la hauteur du rez-de-chaussée, pour contre-butter la poussée des voûtes, ils se réduisent sensiblement dans la hauteur du premier étage, qui n'était couvert que d'une charpente 264.
Mais le plus beau cloître qui nous soit conservé (en partie du moins) possédant un premier étage est certainement le cloître de la cathédrale de Rouen. Cette construction date de 1240 environ, et son ensemble comme ses détails sont exécutés avec un grand luxe et un soin minutieux.
La fig. 34 nous donne l'élévation d'une des travées du cloître de la cathédrale de Rouen. Ces travées sont larges, percées à la base par quatre arcades libres portées sur des colonnettes monolithes. Au-dessus de ces arcades, la claire-voie est vitrée. L'archivolte est épaisse, composée de deux rangs de claveaux, celle supérieure servant de formeret aux voûtes à l'intérieur. Ces archivoltes soutiennent un grand talus sur lequel viennent pénétrer les piles et trumeaux des fenêtres jumelles du premier étage. Une corniche à double rang de crochets et une balustrade dont les quatre-feuilles seuls sont ajourés couronnent le premier étage, qui porte chéneau. Au milieu de la tête de chacun des contre-forts, complètement dépourvus d'ornements, sort une gargouille rejetant à l'extérieur l'eau recueillie dans les chéneaux. Des pinacles surmontaient ces contre-forts; ils sont malheureusement détruits.
Voici (35) le plan de ces contre-forts et d'une travée à rez-de-chaussée. On voit combien cette construction est simple et légère. Toute la résistance consiste seulement dans les contre-forts et les piles carrées qu'ils viennent épauler. Quant à la claire-voie, elle est indépendante de la bâtisse proprement dite. Il n'est pas besoin de dire que ce cloître est voûté en arcs ogives, composant une suite de travées sur plan barlong; c'est là une disposition généralement admise pour les cloîtres au XIIIe siècle et suivie plus tard. Le premier étage n'existait que sur l'un des côtés du cloître et contenait la bibliothèque du chapitre; il formait une grande salle couverte par une charpente lambrissée 265.
Les dispositions des cloîtres admises dès le commencement du XIIIe siècle ne varient guère jusque vers le milieu du XIVe; ce sont toujours des voûtes carrées dont les formerets extérieurs sont remplis par des meneaux vitrés dans la partie supérieure ou dépourvus de vitraux. Au XIVe siècle, les églises cathédrales et monastiques, étant moins riches qu'elles ne le furent au XIIIe, revinrent aux cloîtres composés d'arcatures continues, comme les cloîtres romans primitifs, dont les galeries sont couvertes par des charpentes apparentes ou lambrissées. Mais le système de construction n'est plus celui du cloître roman. Les archivoltes composées de claveaux disparaissent souvent et sont remplacées par une claire-voie qui ressemble assez à une grande balustrade. Le flanc sud de la cathédrale de Bordeaux a conservé un cloître élevé suivant ce mode; il date du XIVe siècle. L'une de ses quatre galeries s'engage dans les contre-forts isolés de la cathédrale, les trois autres sont libres.
La fig. 36 présente le plan d'un des angles du cloître de la cathédrale de Bordeaux. En A, nous avons tracé la section horizontale d'une des piles, à l'échelle de 0,05 c. pour mètre. Sur un bahut continu s'élèvent des faisceaux de colonnettes présentant beaucoup plus de profondeur que de largeur.
Ces piles sont prises dans un seul morceau de pierre, et elles portent une arcature dont chaque triangle est taillé dans un seul bloc, ainsi que l'indique la fig. 37, qui donne l'élévation et la coupe du cloître de la cathédrale de Bordeaux. Une corniche composée de longs morceaux de pierre relie le tout; un surhaussement moderne, formé de deux assises de pierre, charge cette légère construction. Mais autrefois, ainsi que le prouve la présence des gargouilles encore en place, la corniche portait un chéneau sur lequel venait reposer la charpente; nous avons cru devoir rétablir l'état primitif dans notre fig. 37 266. La charpente apparente était composée d'une suite de chevrons portant ferme, retenus par des liens reposant sur des corbeaux. Ce genre de construction n'offrait pas une grande solidité; aussi la plupart de ces cloîtres furent-ils renversés par la poussée de la charpente dépourvue d'entraits, et, au XVe siècle, on reprit le mode adopté par le XIIIe siècle, c'est-à-dire qu'on en revint aux cloîtres voûtés avec meneaux sous les formerets, et ces meneaux furent vitrés. Il est cependant des exceptions à cette règle, surtout dans les provinces méridionales.
Ainsi le cloître de la cathédrale de Narbonne, qui date des premières années du XVe siècle, se compose d'une série d'arcades sans meneaux, séparées par des contre-forts épais.
La fig. 38 présente le plan du quart de ce cloître. En A, nous donnons la section horizontale de la pile d'angle, et en B celle d'une des autres piles, à l'échelle de 0,02 c. pour mètre. La fig. 39 nous montre un des angles de ce cloître, vu en perspective.
Le cloître de Narbonne possède un bahut; les arcades sont hautes, contrairement aux habitudes des constructeurs du moyen âge; il est couvert en terrasses dallées, protégées par une balustrade, ainsi que le cloître de la cathédrale de Béziers, qui date du XIVe siècle.
Les cloîtres du XVe siècle en général ne diffèrent de ceux du XIVe que par la décoration des contre-forts, les compartiments des meneaux, la construction des voûtes et les détails de l'architecture. Il n'est donc pas nécessaire de nous en occuper ici, puisque nous retrouvons ces détails dans les différents articles de ce Dictionnaire.
Nous terminerons ce que nous avons à dire sur ces monuments par la description du cloître de l'abbaye du Mont-Saint-Michel-en-Mer, l'un des plus curieux et des plus complets parmi ceux que nous possédons en France.
Nous donnons le plan d'ensemble de ce cloître, ayant vue du côté A sur la mer par des fenêtres oblongues et très-étroites (40). Les galeries ont été couvertes primitivement par une charpente lambrissée. L'arcature se compose de deux rangées de colonnettes se chevauchant, ainsi que l'indique le détail de l'angle du plan (41). Des archivoltes en tiers-point portent sur les colonnettes, de A en B, de B en C, à l'extérieur; de D en E, de E en F, à l'intérieur, et des arcs diagonaux très-aigus sont bandés de A en D, de A en E, de E en B, de B en F, de F en C, etc.; les triangles laissés entre les archivoltes et les arcs diagonaux sont remplis comme des triangles de voûtes ordinaires. Il est évident que ce système de colonnettes posées en herse est plus capable de résister à la poussée ou au mouvement d'une charpente que le mode de colonnes jumelles, car les arcs diagonaux AD, AE, EB, etc., opposent une double résistance à ces poussées, étrésillonnent la construction et rendent les deux rangs de colonnettes solidaires. D'ailleurs il n'est pas besoin de dire qu'un poids reposant sur trois pieds est plus stable que s'il repose sur deux ou sur quatre. Or la galerie du cloître de l'abbaye du Mont-Saint-Michel n'est qu'une suite de trépieds.
Voici (42) une coupe sur O P, et (43) une élévation intérieure de ces arcatures. Les profils et l'ornementation rappellent la véritable architecture normande du XIIIe siècle. Les chapiteaux, suivant la méthode anglo-normande, sont simplement tournés, sans feuillages ni crochets autour de la corbeille. Seuls, les chapiteaux de l'arcature adossés à la muraille sont décorés de crochets bâtards. Les écoinçons entre les archivoltes de l'intérieur des galeries présentent de belles rosaces sculptées en creux, des figures, l'agneau surmonté d'un dais (fig. 43), puis au-dessus des arcs une frise d'enroulements ou de petites rosaces d'un beau travail. Entre les naissances des arcs diagonaux des petites voûtes sont sculptés des crochets. Ce cloître était complétement peint, du moins à l'intérieur et entre les deux rangs de colonnettes. En B (fig. 40) est la seule entrée des galeries dans le préau, bien qu'il soit facile d'enjamber par-dessus les bahuts entre les colonnettes, et ce préau est complétement couvert de lames de plomb, destinées à recueillir les eaux pluviales dans une grande citerne réservée sous l'église. Sous le cloître est bâtie la salle des Chevaliers, composée d'un quinconce de colonnes (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE, fig. 18 et 19); sous la salle des Chevaliers est un étage inférieur. Ainsi le cloître de l'abbaye du Mont-Saint-Michel-en-Mer est situé au sommet d'un immense édifice, et ses galeries sont portées sur des voûtes; c'est pourquoi on a cherché à donner à cette construction une extrême légèreté.
La renaissance éleva quelques jolis cloîtres, mais qui ne présentent aucune particularité digne d'être notée. Les dispositions générales des cloîtres, à partir du XIIIe siècle, varient peu en France, ainsi que nous l'avons dit déjà, et les détails de l'architecture seuls se modifient en raison du goût de chaque époque. Ces détails trouvent leur place dans le Dictionnaire; il est donc inutile de les mentionner ici.
Note 243: (retour)«Quadratam speciem structura domestica præfert,
Atria bis binis inclyta particibus.
Quæ tribus inclusæ domibus, quas corporis usus
Postulat, et quarta quæ domus est Domini,
Quarum prima domus servat potumque cihumque
Ex quibus hos reficit juncta secunda domus.
Tertia membra fovet vexata labore diurno,
Quarta Dei laudes assidue resonat.»
Carmen de Laude vitæ monasticæ edit. a Sirmondo ad Goffrid. Vindocin. (Voy. Ducange, Gloss.)
Note 246: (retour) Ce n'est pas là, bien entendu, une règle absolue; diverses causes venaient modifier ces dispositions: la nature du terrain, des constructions plus anciennes dans les villes, des rues existantes, obligeaient les abbés ou les chapitres à ne pas être fidèles à leur programme. Cependant les cloîtres des abbayes de Cluny, de Vézelay, de Clairvaux, de Fontenay, de la Charité-sur-Loire, de Saint-Denis, de Saint-Jean-des-Vignes à Soissons, de Saint-Front de Périgueux, de Poissy, de Sainte-Geneviève à Paris, de la Trinité de Caen, etc., et particulièrement de l'abbaye type de l'abbé de Saint-Gall (voy. ARCHIT. MONAST., fig. 1), sont situés sur le flanc méridional de l'église; tandis que les cloîtres des cathédrales de Paris, de Noyon, de Rouen, de Reims, de Beauvais, de Séez, de Bayeux, de Puy-en-Vélay, etc., étaient situés au nord. Quelquefois le cloître et l'évêché se touchent et sont tous deux bâtis du côté méridional, comme à Langres, à Évreux, à Verdun; mais ce sont là des exceptions; les évêques et les chapitres préféraient généralement occuper des terrains séparés par l'église.
Note 248: (retour) «Canonicus qui recipit domum in claustro jurat quod, anno precedenti diem qua recepit illam, fecit stagium suum Parisiis per vigenti septimanas; ita quod qualibet die fecit horam unam vel in capitulo vel in ecclesia... Item jurat quod domum illam et appendicias domus illius tenebit in eque bono statu in quo est, quando accipit illam, vel etiam meliori. Jurat etiam quod solvet pensionem domus illius et alia onera diebus statutis ad hoc, nisi dilationem habuerit ab illis ad quos pertinet receptio predictorum.» Chartul. Eccles. Parisiensis, Pars II, lib. IX, feb. 1240, XXVIII.
Note 254: (retour) On ne doit pas s'étonner si, dans cet article, nous passons brusquement d'une province à l'autre, quelle que soit la distance qui les sépare. Il s'agit ici de dispositions générales, non de détails d'architecture, et nous avons dit déjà que les établissements monastiques agissaient, quelle que fût leur position sur le territoire occidental, d'après une direction uniforme, en tant qu'elles appartenaient au même ordre.
Note 259: (retour) En compulsant nos notes, nous sommes obligé de reconnaître que, depuis le temps où quelques-unes d'entre elles ont été prises, des exemples de cloîtres encore existant il y a quelques années sont aujourd'hui détruits. On ne doit point s'en étonner; la vie s'est retirée de ces dépendances des églises depuis longtemps, et bien avant les dernières années du dernier siècle déjà, la plupart des cloîtres des cathédrales et des abbayes étaient laissés à l'abandon, comme des constructions qui n'ont plus de raison d'être.
Note 264: (retour) Ce cloître n'appartient plus à la cathédrale; il fut vendu par le Domaine il y a une vingtaine d'années; il sert aujourd'hui de magasin à des marchands de meules à aiguiser. Nous ne savons ce que le Domaine a retiré de cette vente; mais lorsqu'on voudra racheter ce cloître, ce qu'il faudra faire un jour ou l'autre, ne fût-ce que pour assainir la cathédrale de Langres, il est probable qu'on payera cher cet abandon.
Note 265: (retour) Les restes de ce cloître tombaient en ruine par suite de surcharges sur les voûtes et de l'abandon dans lequel ce précieux débris d'architecture était laissé. L'administration des cultes depuis peu, a fourni à MM. Barthélemy et Desmarets, architectes diocésains de Rouen, les moyens de restaurer les parties les plus endommagées. Mais des logements sont établis au premier étage et contribuent à détruire ce qui reste des belles fenêtres. On ne saurait trop souhaiter de voir enfin ce magnifique spécimen d'un cloître de cathédrale débarrassé de services que rien n'empêche de placer partout ailleurs.
CLOTÊT, s. m. Clotest. Petite clôture. On donnait, pendant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, le nom de clotêt à des clôtures en bois que l'on établissait ordinairement dans les grandes salles des châteaux pour garantir contre le vent un lit, ou seulement une partie de ces vastes pièces. Ce mot s'entend aussi comme: petite chambre, cabinet, réduit:
On appelait encore les paravents mobiles des clotêts (voy. le Dictionnaire du Mobilier, au mot PARAVENT).
CLÔTURE, s. f. Coulture, chancel, canchel, chaingle. Obstacle de pierre ou de bois entourant des champs, des constructions publiques ou particulières, ou encore certaine partie d'un édifice. Nous diviserons cet article en: 1° clôtures extérieures de villes ou bourgs; 2° clôtures de propriétés particulières; 3° clôtures du choeur des églises.
CLÔTURES DE VILLES.--Pendant le moyen âge, la construction, l'entretien et la garde des clôtures des cités étaient habituellement à la charge des habitants; mais cependant, lorsqu'un seigneur prétendait avoir des droits féodaux sur une ville ou portion de ville, il faisait établir une clôture à ses dépens; alors tout l'espace compris dans cette clôture était sous sa juridiction: Guillaume le Breton et Rigord assurent que Philippe-Auguste acheta tous les terrains dont il avait besoin pour élever la clôture de Paris; aussi, dans les chartes de son temps, ces clôtures sont-elles appelées Muri Regis. «Outre cela, dit Sauval 268, dans un arrêt de 1261, le Parlement nomme les murailles de la porte Saint-Marceau Muri Regis. En un mot, c'est le nom que les murs de Paris prennent en 1273, 1280 et 1299, dans deux accords entre le roi et saint Merry, l'autre entre Philippe le Hardy et saint Éloi; et dans la permission donnée aux Templiers de bâtir à la porte du Chaume. Au reste, ajoute-t-il, après que Philippe-Auguste eut achevé ses murailles, il prétendit être seigneur des terres et des lieux qu'elles embrassoient, et pour cela, dans l'Université, il voulut d'abord ôter à l'abbé et aux religieux de Saint-Germain la justice des lieux et leur juridiction qu'il venoit de renfermer; il en usa de même dans la ville à l'égard de l'évêque de Paris pour la seigneurie tant du bourg vieux et nouveau de Saint-Germain que de la coulture nouvelle et vieille, c'est-à-dire des quartiers de Saint-Germain-l'Auxerrois, de Saint-Honoré et de Saint-Eustache, qu'il avoit encore compris dans ses murs... Depuis Philippe-Auguste, les murailles et les fortifications se sont toujours faites aux dépens des Parisiens. Les successeurs de ce prince les ont données au prévôt des marchands et échevins; ils leur en ont confié la garde, la visite, la conduite, et le soin de les réparer, rétablir et changer...»
Les seigneurs laïques, les évêques et les abbés, réunis souvent dans une même ville, avaient chacun des droits féodaux s'étendant sur certaines portions de la cité; ces droits étaient circonscrits dans des enceintes particulières, désignées sous les noms de «coulture de l'évêque, coulture du comte, coulture de l'abbaye». Les habitants possédant des propriétés en dehors de ces clôtures avaient aussi leur clôture, les remparts de la ville élevés et entretenus à leurs dépens. On comprend combien une pareille division devait amener de conflits. À Reims, par exemple, dans l'enceinte de la ville, il y avait la clôture du seigneur séculier qui tenait le château, la clôture de l'archevêque, celle du chapitre de la cathédrale et celle de l'abbaye de Saint-Remy. Quelquefois une rue étroite séparait deux clôtures, et on se battait de muraille à muraille, à quelques mètres de distance.
En campagne, les armées entouraient leurs campements de clôtures, conformément à la tradition romaine:
«Entour son ost fist li Rois faire
Fossés parfons jusqu'à deus paire,
Et i fist faire quatre entrées
De barbacanes bien fremées;
A cascune mist de ses gens
Pour bien garder dusqu'à deus cens 269»
Quelquefois les clôtures en bois étaient mobiles, pouvaient être démontées par parties, et transportées avec l'armée lorsqu'elle changeait de campement.
CLÔTURES DE PROPRIÉTÉS.--Grégoire de Tours rapporte 270 qu'un homme avait élevé un oratoire à saint Martin avec des branches entrelacées, et qu'il s'était établi avec sa femme dans cet asile, qui n'était réellement qu'une clôture faite de claies.
Pendant le moyen âge, comme de nos jours, on entourait les jardins, les vergers, les prairies, de clayonnages ou de palissades:
«. . . . . . . .
Sa meson sist joste un plessié (bois taillis)
Qui estoit richement garnie
De tot le bien que terre crie,
Si con de vaches et de bués (boeufs),
De brebiz et de lait et d'ués (oeufs),
D'unes et d'autres norriçons
De gelines et de chapons,
De ce i avoit à plenté.
Or aura-il sa volenté
Renart s'il puet entrer dedenz;
Mès je cuit et croi par mes dens
Qu'il fera par de fors sejor,
Que clos estoit trestot entor
Et li jardins et la mesons
Di pïex agus et gros et lons 271. »
Les palissades se composaient, si l'on s'en rapporte aux vignettes des manuscrits, de pieux aigus enfoncés en terre, à claire-voie, reliés entre eux par des branches souples à leur pied et près du sommet, ainsi que l'indique la fig. 1.
Les clayonnages souvent figurés dans les manuscrits des XIVe et XVe siècles paraissent être exécutés avec un soin particulier, formés souvent de bois refendu (mairrain) et de branches d'arbres s'entrelaçant en lozanges (2). De distance en distance, des branches A, prenant pied à une certaine distance du clayonnage et s'y reliant, l'étayent et le maintiennent dans son plan vertical. D'autres clôtures, plus simples, se composent de perches posées horizontalement sur de petits chevalets rustiques très-adroitement combinés, ainsi que l'indique la fig. 2 bis.
Ces sortes de clôtures étaient surtout employées pour parquer les troupeaux; en enlevant les perches horizontales, les bêtes se trouvaient libres. On trouve encore dans les pays de montagne, et particulièrement dans le Tyrol qui a conservé la plupart des usages du moyen âge, des clôtures de champs très-industrieusement travaillées, solides à l'aide des combinaisons les plus simples.
Les rois, de riches seigneurs ou des abbés, les prieurs faisaient quelquefois clore leurs jardins et leurs vergers de murs en pierre. Philippe-Auguste fit «clorre, dit Corrozet 272, le parc du bois de Vincennes de hautes murailles, et y mit la sauvagine que le roy d'Angleterre luy envoya.» Il nous est resté des fragments de belles clôtures de jardins d'abbayes. Ces clôtures sont bâties en pierre de taille, avec échauguettes aux angles pour surveiller les flancs des murailles; quelquefois même elles sont crénelées à leur sommet. L'usage d'entourer les monastères et leurs dépendances par des clôtures est fort ancien. Frodoard rapporte que Séulphe, archevêque de Reims, «fit entourer d'un mur le monastère de Saint-Remi avec les églises et les maisons adjacentes, et y établit un château-fort 273.» Il existe encore des portions de la clôture du parc de l'abbaye de Marmoustier près Tours qui sont fort belles et bien construites.
Cette clôture se composait d'un mur renforcé de distance en distance de contre-forts intérieurs et extérieurs donnant en plan la fig. 3 et en élévation perspective la fig. 4.
Elle était élevée de cinq à six mètres au-dessus du sol; mais ici le crénelage ne pouvait être utilisé qu'autant qu'on eût établi à l'intérieur un chemin de ronde en bois, ce qu'en temps de guerre on pouvait faire. La clôture du prieuré de Sainte-Marie d'Argenteuil nous est conservée dans une gravure du dernier siècle 274. Nous en reproduisons ici une portion (5) donnant un angle et le milieu d'un des côtés avec échauguettes flanquantes. À l'intérieur, ces clôtures abritaient des arbres fruitiers disposés en espaliers, et beaucoup de maisons religieuses étaient renommées pour la bonté de leurs fruits dont elles tiraient un profit assez considérable.
Autour des manoirs ou des maisons de campagne de simples bourgeois, des haies vives servaient seules de clôtures, et elles étaient entretenues avec grand soin. La culture et l'élagage des haies des maisons seigneuriales étaient à la charge des bordiers.
CLÔTURES DISPOSÉES DANS L'INTÉRIEUR DES ÉGLISES MONASTIQUES. Il ne reste aujourd'hui nulle trace des clôtures nombreuses qui divisaient à l'intérieur les églises monastiques. Pendant les premiers siècles du moyen âge, des clôtures étaient disposées autour de chaque autel. Frodoard 275 parle de l'autel que l'archevêque de Reims Hérivée «éleva et consacra au milieu du choeur de la cathédrale en l'honneur de la sainte Trinité, et qu'il entoura de tables revêtues de lames d'argent». Dès le XIIe siècle, il paraîtrait que les nombreuses clôtures qui divisaient l'intérieur des églises furent supprimées pour laisser, probablement, plus de place aux fidèles; car, à dater de cette époque, les textes et les monuments n'indiquent plus guère que les clôtures des choeurs et celles des sanctuaires.
Le plan de l'abbaye de Saint-Gall 276, si curieux à consulter lorsque l'on veut prendre une idée de ce qu'était, au IXe siècle, un grand établissement monastique, nous fait voir dans l'église un grand nombre de clôtures disposées de telle façon que l'espace réservé aux fidèles devait être fort restreint, à moins que ceux-ci ne fussent appelés dans l'église à l'occasion d'une cérémonie particulière, auquel cas ils devaient être admis à l'intérieur de plusieurs de ces clôtures. Les moeurs religieuses se sont évidemment successivement modifiées depuis cette époque reculée. Alors les diverses parties des églises n'étaient point ouvertes tout le jour comme elles le sont aujourd'hui en France, et les fidèles qui voulaient faire une prière dans la maison du Seigneur ne pouvaient circuler partout; ils se tenaient près de l'entrée dans un espace assez restreint. Déjà, au XIIe siècle, les religieux réguliers avaient senti le besoin de modifier cet état de choses au milieu de populations dont la dévotion moins ardente avait besoin d'être soutenue par le spectacle de grandes pompes religieuses. Vers le milieu de ce siècle, les évêques, voulant reprendre l'importance que les grandes abbayes leur avaient fait perdre, élevèrent, sur presque toute la surface de la France, de vastes cathédrales dont les dispositions intérieures contrastaient avec celles des églises monastiques en ce qu'elles laissaient au contraire des espaces considérables à la foule, et que les cérémonies du culte, faites à un autel unique, découvert de toutes parts, pouvaient être vues par un grand nombre d'assistants (voy. CATHÉDRALE, CHOEUR). Cette observation, qui nous est suggérée par une étude attentive des dispositions intérieures des églises du moyen âge, et à laquelle nous attachons une certaine importance puisqu'elle nous explique en partie le mouvement prodigieux qui fit reconstruire les cathédrales sur de vastes plans, à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, ne saurait s'appuyer sur un monument plus ancien et plus authentique que celui dont nous venons de parler, le plan manuscrit de l'abbaye de Saint-Gall. L'église comprise dans ce plan est, comme les églises rhénanes, à deux absides, l'une à l'occident, l'autre à l'orient.
En voici (6) une copie réduite. Les fidèles entrent par l'abside occidentale, pourvue d'un double bas-côté AA. Ils sont arrêtés par la clôture qui entoure l'autel dédié à saint Pierre et par des barrières B, B donnant entrée dans les deux ailes de la nef C, C. Un exèdre, ou banc circulaire pour les religieux, entoure l'autel de Saint-Pierre E, élevé de deux degrés. Un premier choeur clôturé est établi en F; puis on trouve une seconde clôture entourant les fonts baptismaux G, à l'orient desquels est un autel dédié à saint Jean l'Évangéliste. Vers le milieu de la nef s'élève en H un troisième autel dédié au saint Sauveur et surmonté d'un grand crucifix; cet autel est clôturé. Puis vient le grand choeur divisé en plusieurs parties 277; la première contient l'ambon I pour la lecture des évangiles. Deux autres petits ambons K précèdent la seconde clôture du choeur réservée aux offices de nuit. Dans l'axe, à l'extrémité orientale de cette seconde clôture, est la descente à la Confession ou crypte, contenant les restes du saint; deux petits autels sont disposés en LL des deux côtés de cette descente. Sept marches M montent au sanctuaire à droite et à gauche de l'entrée de la crypte. Deux autres descentes donnent accès dans cette crypte en NN. L'autel principal O, dédié à la Vierge et à Saint-Gall, est entouré d'une galerie désignée sur le dessin par ces mots «Involutio arcuum». Cette galerie paraît être une clôture double, derrière laquelle s'ouvre l'abside orientale, dont l'autel P est dédié à saint Paul et est entouré d'un exèdre et par conséquent d'une clôture. Dans les deux transsepts RR sont deux autels dédiés à saint André et à saint Jacques et saint Philippe, autels qui ont leur clôture. Chaque travée des bas-côtés est pourvue d'un autel orienté avec clôtures divisant ces travées en chapelles. Il est facile de se rendre compte, en examinant ce plan, pourquoi le peuple ne pouvait circuler librement à travers tous ces obstacles, et comment l'église était tout entière réservée aux divers services religieux, c'est-à-dire presque uniquement occupée par les moines. Ce sont ces dispositions que les abbés cherchèrent à modifier plus tard, ainsi qu'il apparaît en étudiant les plans des églises des ordres de Cluny et de Cîteaux, et que les évêques français des XIIe et XIIIe siècles abandonnèrent absolument dans la construction de leurs nouvelles cathédrales par les motifs déduits ci-dessus. Ce mouvement du haut clergé français ne fut pas suivi également dans tout l'Occident, et les cathédrales allemandes ou rhénanes conservent encore certaines dispositions qui rappellent les clôtures des édifices monastiques carlovingiens. C'est ainsi que les cathédrales de Bamberg et de Trèves, pourvues de deux absides opposées comme toutes les cathédrales rhénanes, ont conservé encore des clôtures des XIe et XIIe siècles, en pierre, richement sculptées; elles nous indiquent quelle était la forme et la décoration des clôtures d'églises abbatiales. À défaut de monuments analogues existant en France, on peut recourir aux monuments que nous venons de citer. Celle du choeur oriental de Bamberg se compose, entre chaque pile du sanctuaire, d'un mur élevé, dans le soubassement duquel sont percés des arcs qui éclairent la crypte. Une arcature forme la décoration principale à l'extérieur, et sous chaque arcade sont sculptées deux figures d'apôtres de 1m,10 de hauteur environ, d'un grand style quoique déjà maniéré. Ces apôtres semblent discuter entre eux; ils ont tous un phylactère déroulé dans la main. Toute cette décoration était peinte et les colonnes dorées. Il est regrettable que nous n'ayons conservé en France aucune clôture de cette époque, car il n'est pas douteux que ces monuments intérieurs dussent être fort beaux et traités avec un grand soin. Il ne nous reste plus, dans quelques églises monastiques, que des clôtures en fer d'une époque plus récente, c'est-à-dire exécutées lorsque les abbés voulurent laisser voir le choeur de leurs églises. Il y avait, dans l'église de Saint-Denis de l'abbé Suger, de très-belles clôtures en fer forgé dont il existe encore quelques fragments, et nous voyons encore autour du sanctuaire de l'église abbatiale de Saint-Germer en Beauvoisis les grilles qui servaient de clôture et qui datent du commencement du XIIIe siècle. Jusque pendant le dernier siècle, les églises monastiques supprimèrent autant qu'elles le purent les clôtures pleines pour les remplacer par des claires-voies en pierre, en bois ou en fer; cependant on trouve, dans quelques pauvres églises, des restes de clôtures fermées autour des choeurs. L'église abbatiale de Saint-Seine en Bourgogne a conservé sa clôture en grossière maçonnerie, couverte, du côté extérieur, de peintures du commencement du XVIe siècle représentant l'histoire de saint Seine.
CLÔTURES DES CHOEURS DES CATHÉDRALES. En France, des clôtures de choeur existaient dans les églises cathédrales primitives; mais, lorsqu'au XIIe siècle les évêques français reconstruisirent ces monuments sur des plans beaucoup plus vastes et d'après des programmes nouveaux, il ne paraît pas qu'ils aient songé à fermer les choeurs par des clôtures fixes (voy. CHOEUR). Ce n'est que vers la fin du XIIIe siècle que nous voyons en France élever des clôtures en pierre autour des choeurs des cathédrales. L'une des plus anciennes est celle dont il reste des fragments derrière les stalles de la cathédrale de Paris; elle fut commencée pendant les dernières années du XIIIe siècle, et achevée en 1351 par Jean le Bouteillier 278. Cette clôture représente l'histoire de Notre-Seigneur disposée par travées, formant une suite de scènes ronde-bosse entre les piliers du choeur. Ces scènes, derrière les stalles, n'étaient vues que des bas-côtés; mais, autour du sanctuaire, elles se trouvaient complétement ajourées de manière à être vues de l'intérieur du choeur comme des collatéraux (voy. CHOEUR, fig. 1). Un riche soubassement décoré d'arcatures les supporte. Suivant l'usage, l'architecture et la statuaire de la clôture du choeur de Notre-Dame de Paris étaient peintes et dorées. Le choeur de la cathédrale de Bourges fut clos vers la même époque; il ne reste que des fragments fort beaux de cette clôture, déposés aujourd'hui dans la crypte. Les choeurs des cathédrales de Limoges et de Narbonne sont encore clos en partie par des tombeaux d'évêques. Il en était de même à Amiens. À Narbonne, outre les tombeaux, on voit encore les restes d'une clôture architectonique du XIVe siècle, dont nous donnons (7) une travée. Ce fragment de clôture, placé dans l'axe du sanctuaire, est complétement peint.
Plus tard, ces clôtures furent quelquefois exécutées en bois. Les XVe et XVIe siècles en élevèrent de fort riches. La clôture du choeur de la cathédrale de Chartres fut presque entièrement exécutée au commencement du XVIe siècle, et c'est une des plus remarquables. Mutilée par le Chapitre pendant le dernier siècle, pour garnir le choeur à l'intérieur de la plus lourde décoration qui se puisse imaginer, la face extérieure seule est conservée. Elle représente, comme à la cathédrale de Paris, l'histoire de Jésus-Christ divisée par travées, dans lesquelles sont sculptées des scènes ronde-bosse. Cette clôture est en pierre, exécutée avec une finesse et une richesse de détails prodigieuses. À Amiens, on voit encore, derrière les belles stalles du commencement du XVIe siècle, une clôture en pierres peintes, de la même époque, représentant du côté sud l'histoire de saint Firmin, et du côté nord l'histoire de saint Jean-Baptiste. Cette clôture, d'un assez mauvais style, est cependant fort curieuse à cause de la quantité de costumes que l'on y trouve, costumes qui sont fidèlement copiés sur ceux du temps auquel appartiennent ces sculptures. Il n'est personne qui ne connaisse la belle clôture du choeur de la cathédrale d' Alby, qui date des premières années du XVIe siècle (voy. JUBÉ). Les XVIIe et XVIIIe siècles virent détruire dans nos cathédrales la plupart de ces clôtures en pierre, au moins autour des sanctuaires; elles furent remplacées par des grilles plus ou moins riches, enlevées à la fin du dernier siècle. De sorte qu'aujourd'hui ces sanctuaires sont clos d'une manière peu convenable par des boiseries sans valeur ou des grilles d'un aspect misérable.
Note 277: (retour) Il est souvent question de sanctuaires à doubles clôtures dans les églises des premiers temps du moyen âge; Galbert, dans la Vie de Charles le Bon, écrite en 1130, chap. IV, s'exprime ainsi: «Dans le premier sanctuaire, Baudoin, chapelain et prêtre, et Robert, clerc du comte, se tenaient cachés auprès de l'autel;... dans le second sanctuaire s'étaient réfugiés Oger, clerc, et Frumold le jeune, syndic,... et avec eux Arnoul... Oger et Arnoul s'étaient couverts d'un tapis, et Frumold s'était fait une cache sous des faisceaux de branches... Alors les serviteurs qui avaient été introduits dans le sanctuaire, cherchant et retournant tous les rideaux, les manteaux, les livres, les tapis et les branches que les moines avaient coutume d'apporter tous les ans au dimanche des Rameaux...»
CLOU, s. m. Tige de fer pointue garnie d'une tête, destinée à fixer des
ferrures sur le bois ou à maintenir ensemble certaines pièces de
charpente ou de menuiserie. L'antiquité grecque et romaine employa
souvent les clous comme motif de décoration des barrières de bois, et
principalement des portes. Il n'est pas un architecte qui ne connaisse
les clous de la porte en bronze du Panthéon à Rome, ceux des portes en
bronze de Saint-Jean de Latran. Ces clous sont munis de têtes richement
ciselées qui en font des objets d'art d'une grande valeur. Cette
habitude fut suivie pendant le moyen âge, et il nous reste un grand
nombre de ventaux de portes de cette époque dont les ferrures ou les
plaques de bronze sont retenues au bois par des clous dont les têtes
sont d'un travail remarquable. Lors même que ces petites pièces de forge
sont simples comme forme, elles conservent toujours la trace d'une
fabrication soignée. Nous avons entre les mains quelques clous provenant
des ventaux vermoulus de la grande porte de l'église abbatiale de
Vézelay qui, au point de vue de la fabrication, sont d'un grand intérêt,
et sont évidemment une tradition antique. Ils se composent (1)
279
d'une tête en forme de capsule hémisphérique, munie dans sa concavité
d'une longue pointe. Cette tête, très-mince, et sa tige sont en fer; une
seconde capsule A en cuivre jaune, de l'épaisseur d'une carte à jouer,
enveloppe exactement la tête de fer de manière à présenter, à
l'extérieur, l'apparence d'une demi-sphère en bronze. Ces clous, que
nous croyons appartenir au XIe siècle, sont bien forgés, et la capsule
de bronze parfaitement ajustée sur la tête du clou. Un point de soudure
retient celle-ci sur le fer. Nous pensons que l'on enfonçait d'abord le
clou dans le bois et que l'on appliquait ensuite la capsule de bronze,
car on ne remarque sur celle-ci aucune de ces traces que les coups de
marteau y eussent laissées. Quelquefois ces revêtements de cuivre sur
les têtes de clous en fer sont fondus et ciselés, représentant
habituellement des mufles d'animaux. La belle porte revêtue de lames de
bronze qui existe encore du côté méridional de la cathédrale d'Augsbourg
(porte dont la plupart des panneaux appartiennent à une époque fort
ancienne, VIIe ou VIIIe siècle), et qui fut remontée au XIIe, présente
une série de clous appartenant à cette dernière époque, dont les têtes
figurent des masques humains en bronze (2). Ces traditions antiques se
perdirent vers la fin du XIIe siècle, et depuis lors les clous simples
ou ornés ne furent plus que des pièces de forge en fer. Il existe encore
sur les ventaux de portes du XIIe siècle un grand nombre de clous dont
la tête est forgée en pointe de diamant, et dont la tige, divisée en
deux pointes, est rivée sur les traverses, ainsi que l'indique la fig.
3.
C'était un moyen sûr et puissant de serrer les planches des huis contre les membrures qui les portaient, car alors on ne connaissait point les écrous taraudés, les vis et les boulons. Quelquefois les têtes de clous sont forgées en forme de graines ou de pistils de fleurs, ainsi que l'indiquent les fig. 4 et 4 bis 280, refendues et à facettes (5) 281, coniques (6 et 6 bis) 282.
Bientôt on reconnut que quand les clous étaient enfoncés directement dans le bois, pour relier des huis, et qu'ils ne portaient pas sur des bandes de fer, telles que pentures, équerres, etc., la tête enfoncée à coups de marteau éraillait le bois ou ne le joignait pas exactement; on posa entre cette tête et le bois une rondelle de fer battu légèrement modelée, le creux posé du côté du bois afin de faire ressort et de joindre ainsi exactement les têtes de clous aux planches, comme on place aujourd'hui des rondelles sous les écrous des boulons. Seulement les serruriers du moyen âge donnaient à ces rondelles des formes variées; plus barbares apparemment que ceux de notre temps, ils ne pensaient pas qu'une nécessité de métier dût exclure l'art comme une superfluité inutile. À dater du XIIIe siècle, les exemples de clous munis de rondelles sont si fréquents et si variés, que nous ne pouvons que choisir quelques-uns des plus remarquables. Ces rondelles sont composées d'une petite plaque de fer battu très-mince, percée au milieu d'un trou juste assez grand pour laisser passer la tige du clou, dont le collet vient forcer la rondelle à s'appliquer sur le bois. Celle-ci ayant presque toujours sa concavité du côté du bois, il en résulte qu'en frappant sur la tête du clou pour l'enfoncer, on fait pénétrer les extrémités de la rondelle dans les fibres du bois, de manière à ne pas présenter sur la surface des planches des aspérités ou saillies de nature à écorcher les mains ou à arrêter la poussière.
La fig. 7 donne plusieurs exemples de ces clous à rondelles: le clou A provient de la porte méridionale de l'église de Schelestadt, XIIe siècle; le clou B, en notre possession, provient d'une porte de Carcassonne, XIIIe siècle; le clou C, d'une porte de Rouen; le clou D, d'une porte de l'église de Flavigny (Côte-d'Or). On alla plus loin; on mit bientôt deux rondelles l'une sur l'autre, dont les formes, en se contrariant, présentaient des dessins plus variés et d'un modelé plus apparent. C'est surtout à dater du XVe siècle que cette méthode fut employée. Nous possédons deux clous de cette époque munis de doubles rondelles qui sont de véritables chefs-d'oeuvre; ils proviennent de démolitions 283. L'un d'eux présente deux rondelles superposées dont la forme est inscrite chacune dans un carré (8). Ces rondelles sont découpées et modelées au moyen d'un procédé bien simple. Des coups de poinçon sous les feuilles leur ont donné le galbe reproduit dans notre dessin. La tête du clou est finement forgée et retouchée au burin. L'autre clou (9), d'une époque plus récente, possède deux rondelles inscrites chacune dans un triangle. Ici le forgeron a mis plus d'art dans le modelé des feuilles, et, de plus, il les a retouchées au burin. La tête du clou est refendue à chaud et burinée.
Les clous qui maintiennent les serrures, les entrées ou les marteaux de porte, ont souvent leurs têtes forgées en forme de figurines très-délicatement travaillées.
Nous donnons (10) un de ces clous, qui date du XIIIe ou du XIVe siècle, et qui provient d'une église de Basse-Bretagne 284. Quelquefois les têtes de ces clous de serrures sont en forme d'écussons armoyés, ou représentent des muffles d'animaux (voy. SERRURERIE).
La renaissance conserva ces habitudes d'art industriel dans les moindres détails de la construction; elles ne se perdirent que vers le milieu du XVIIe siècle. Cependant on trouve encore, en province surtout, la trace de ces traditions du moyen âge dans la serrurerie du dernier siècle.
COLLATÉRAL, s. m. S'emploie pour désigner les ailes, les nefs latérales ou bas-côtés des églises (voy. CATHÉDRALE, ÉGLISE).
COLLÉGE, s. m. Établissement destiné à l'enseignement des lettres, des arts et des sciences, élevé par suite d'une fondation particulière. Sauval nous donne de curieux détails sur l'origine de ces établissements dans la ville de Paris 285. Nous indiquons, dans l'article sur l'ARCHITECTURE MONASTIQUE, quelques-unes des raisons qui déterminèrent les riches abbayes à fonder des colléges dans Paris ou dans d'autres villes populeuses et puissantes. Les cathédrales (voy. CATHÉDRALE, CLOÎTRE) possédaient, la plupart, sous l'ombre de leurs clochers, des écoles, dont quelques-unes devinrent célèbres. Jusqu'au XIIe siècle, l'enseignement ne sortit pas de l'enceinte des cloîtres des abbayes ou des églises épiscopales; mais, à cette époque déjà, il se répandit au dehors. Abailard fut un des premiers qui enseignât la dialectique, la théologie et la philosophie, en dehors des écoles alors seules reconnues; son succès fut immense: après avoir battu ses adversaires, il vit le nombre de ses élèves s'accroître sans cesse autour de sa chaire, jusqu'au moment où le pape Innocent II, confirmant le jugement du concile de Sens qui condamnait la doctrine d'Abailard, lui interdit l'enseignement. Il n'entre pas dans le cadre de notre Dictionnaire de traiter les questions qui alors divisaient le monde enseignant; il nous suffira d'indiquer ici le mouvement extraordinaire des esprits vers les études philosophiques, mouvement qui, malgré les persécutions dont Abailard fut l'objet, comme le sont tous les professeurs qui prétendent quitter les voies de la routine, entraîna bientôt les prélats, les abbayes et même les particuliers, à fonder, à Paris principalement, un grand nombre d'établissements moitié religieux, moitié laïques, qui s'ouvrirent à la jeunesse avide de savoir. Sous Louis VII, les écoles du cloître Notre-Dame ne pouvant contenir le nombre des étudiants qui venaient s'y presser, le chapitre de la cathédrale de Paris souffrit que les écoliers passassent la rivière et s'établissent autour de Saint-Julien-le-Pauvre. Ce fut là que Guillaume de Champeaux, le maître et bientôt après l'adversaire malheureux d'Abailard, vint enseigner. De Saint-Julien, l'école des humanistes et des philosophes fut transférée à Saint-Victor. «Depuis, dit Sauval, le nombre des écoliers de dehors étant venu à s'augmenter, les écoles des Quatre-Nations furent bâties à la rue du Fouare; ensuite on fonda le collége des Bons-Enfants, celui de Saint-Nicolas-du-Louvre, et le collége Sainte-Catherine-du-Val des écoliers. Il fut permis même, en 1244, d'enseigner les sciences partout où l'on voudroit, et dans les maisons que les régents trouveroient les plus commodes. Mais afin que pas un d'eux ne dépossédât son compagnon de celle qu'il avoit louée, Innocent IV fit des défenses expresses là-dessus, par deux bulles consécutives, l'une donnée à Lyon le deux des nones de mars, l'an deuxième de son pontificat; l'autre, sept ans après, datée de Péronne le troisième des calendes de juin, avec commandement au chancelier de l'Université de faire taxer le louage des maisons où ils demeuroient. Dans tout ce temps-là, et même jusqu'au règne de saint Louis, il n'y eut point à Paris de colléges, bien que nous apprenions de Rigord en la vie de Philippe-Auguste, et même de l'Architremius de Joannes Hantivillensis, qu'en 1183 on y comptoit plus de dix mille écoliers; et nonobstant cela, il est constant qu'ils n'avoient point de quartier affecté, et se trouvoient dispersés de côté et d'autre dans la ville, de même que les écoles et les régents; personne encore ne s'étant avisé de fonder des colléges ou hospices. Je me sers du mot hospice, non sans raison; car les colléges qu'on vint à bâtir d'abord n'étoient simplement que pour loger et nourrir de pauvres étudiants. Que si depuis on y a fait tant d'écoles, ce n'a été que longtemps après, et pour perfectionner ce que les fondateurs, en quelque façon, n'avoient qu'ébauché.»
Sous le règne de saint Louis cependant furent fondés et rentés les colléges de Calvi, de Prémontré, de Cluny et des Trésoriers. «Mais, ajoute Sauval, comme depuis ce temps-là, tant les rois que les reines, les princes, les évêques, outre beaucoup de personnes riches et charitables, en firent d'autres presque à l'envi, insensiblement il s'en forma un corps, dont l'union fut cause que ce grand quartier où ils se trouvèrent prit le nom d'Université... Or par ce moyen des colléges tout le quartier devint si plein d'écoliers, que quelquefois ils ont forcé, tant le Parlement que ceux de Paris, et les rois eux-mêmes, à leur accorder ce qu'ils demandoient, quoique la chose fût injuste. Et de fait leur nombre étoit si grand, que, dans Juvénal des Ursins, il se voit qu'en 1409 le recteur alla en procession à Saint-Denis en France pour l'assoupissement des troubles, et, lui n'étant qu'aux Mathurins (Saint-Jacques), les écoliers néanmoins du premier rang, et qui marchoient à la tête des autres, entroient déjà dans Saint-Denis.»
Dès le XIIIe siècle, Paris était devenu la ville des lettres, des arts et des sciences en Europe. Les élèves y affluaient de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Italie 286. Les écoliers, réunis d'abord dans des maisons que louaient des recteurs ou que donnaient des particuliers, purent bientôt s'assembler dans des établissements construits pour les contenir. En 1252, saint Louis institue le collége de la Sorbonne. Robert de Sorbone fonde le collége de Calvi. En 1246, les Bernardins, moines de l'ordre de Cîteaux, érigent les écoles des Bernardins. En 1255, l'abbé de Prémontré achète neuf maisons de la rue des Étuves afin de bâtir à leur place un collége pour les religieux. En 1269, Ives de Vergé, abbé de Cluny, fonde un collége au-dessus de la rue de la Sorbonne pour les religieux de son ordre. Devant la porte de l'Hôtel-Dieu, sur le parvis Notre-Dame, existait une maison où étaient logés dix-huit pauvres écoliers. Cette fondation fut transférée devant le collége de Cluny. En 1269, Guillaume de Saona, trésorier de l'église de Notre-Dame de Rouen, fonde un collége dans la rue de la Harpe pour vingt-quatre écoliers. En 1280, Raoul de Harcourt, chanoine de l'église Notre-Dame de Paris, fonde un autre collége rue de la Harpe. En 1289, Jean Cholet, évêque de Beauvais, laisse par testament 6,000 livres pour fournir aux frais de la guerre d'Arragon; mais Gérard de Saint-Just et Évrard de Nointel, ses exécuteurs testamentaires, convertissent ce legs en achat de quelques maisons près de l'église Saint-Étienne-des-Grès, lesquelles ils érigent en collége. En 1302, le cardinal J. le Moine établit un collége sur des terrains situés entre la rue Saint-Victor et la Seine. En 1304, Jeanne, femme de Philippe le Bel, fonde le collége de Navarre; c'était un des plus beaux colléges de Paris. En 1308, Guillaume Bonnet, évêque de Bayeux, bâtit le Collége de Bayeux. En 1313, Gui de Laon et Raoul de Preelles, secrétaire de Philippe le Bel, établissent un collége au bas du mont Saint-Hilaire pour les pauvres étudiants de Laon et de Soissons. En 1314, Gilles Aiscelin, archevêque de Rouen, achète, proche l'église de Sainte-Geneviève, un terrain sur lequel il bâtit le collége appelé depuis de Montaigu. En 1317, Bernard de Forges, archevêque de Narbonne, fonde le collége de Narbonne. En 1322, Geoffroi du Plessis, notaire du pape Jean XXII et secrétaire de Philippe le Long, affecte son hôtel, situé rue Saint-Jacques, à l'établissement d'un collége. Vers 1325, Jeanne de Bourgogne, reine de France, fonde le collége de Bourgogne. En 1332, Nicolas le Candrelier, abbé de Saint-Vaast, fonde le collége d'Arras pour de pauvres étudiants de l'Artois. André Chini, Florentin, évêque d'Arras, élève un collége en faveur des écoliers italiens. En 1332, onze boursiers sont institués dans ce collége par trois seigneurs italiens. En 1333, Étienne de Bourgueil, archevêque de Tours, fait édifier le collége de Tours. En 1336, Gui de Harcourt, évêque de Lizieux, laisse par testament une somme suffisante pour louer une maison propre à entretenir vingt-quatre écoliers. En 1334, Jean Huban, conseiller du roi, fonde le collége de l'Ave-Maria. En 1341, Pierre Bertrand, cardinal, évêque d'Autun, érige, rue Saint-André-des-Arcs, le collége d'Autun. En 1343, Jean Mignon, conseiller du roi, achète plusieurs maisons tenant à l'ancien hôtel de Vendôme qu'il destine à l'érection d'un collége. En 1348, les trois évêques de Langres, de Laon et de Cambrai, laissent par testament la somme nécessaire à la fondation du collége de Cambrai. En 1342, Guillaume de Chanac, évêque de Paris, institue un collége en l'honneur de saint Michel pour les pauvres étudiants du Limousin, son pays. En 1353, Pierre de Boucourt, chevalier, fonde le collége de Boucourt et de Tournay. En la même année, Jean de Justice, chanoine de l'église Notre-Dame de Paris, achète plusieurs maisons rue de la Harpe pour y établir le collége de Justice. En 1359, Étienne de Boissé laisse quelques maisons, situées derrière l'église Saint-André-des-Arcs, pour être converties en collége.
Vers la même époque, un autre collége est érigé derrière les Mathurins-Saint-Jacques par Maistre Gervais, médecin de Charles V. En 1365, le cardinal Jean de Dormans, évêque de Beauvais, chancelier de France, élève le collége dit de Dormans. En 1380, Michel de Dainville, chanoine archidiacre de Noyon, conseiller du roi Charles V, fonde le collége de Dainville. La même année, le collége de Cornouailles est fondé par Galeran Nicolas. En 1391, Pierre de Fortet, chanoine de Notre-Dame de Paris, ordonne qu'un collége soit érigé sur ses biens. En 1400, le collége de Treguier est établi par Guillaume Coëtman, chantre de l'église de Treguier. Ajoutons à cette longue liste de fondations celles des colléges de Reims, de Coquerel, de la Marche, de Sées, de la Merci, du Mans, de Sainte-Barbe, des Jésuites et des Grassins, élevés pendant les XVe et XVIe siècles.
La ville de Paris possédait, en dehors de ces établissements, plusieurs écoles publiques: l'école des Quatre-Nations, rue du Fouare, citée par Pétrarque. En 1109, Guillaume de Champeaux avait fondé une école rue Saint-Victor. En 1182, il existait plusieurs écoles pour les Juifs. En 1187, il y avait à Saint-Thomas-du-Louvre une école pour cent soixante pauvres prêtres. En 1208, Étienne Belot et sa femme donnent un arpent de terre, près le cimetière Saint-Honorat, pour établir le collége des Bons-Enfants. En 1415 est bâtie l'École de droit. En 1472, l'École de médecine est construite rue de la Bucherie. L'École des beaux-arts n'existait pas alors; les arts plastiques et l'architecture s'enseignaient dans le sein des corporations qui avaient leurs traditions et leur enseignement. De tous ces colléges, plusieurs, à la fin du dernier siècle, conservaient encore quelques-uns de leurs anciens bâtiments. De nos jours, nous avons encore vu, à la place qu'occupe aujourd'hui la bibliothèque Sainte-Genevière, le collége de Montaigu, qui présentait quelques traces de ses dispositions primitives.
Les colléges élevés pendant les XIIIe et XIVe siècles n'avaient pas les dimensions que l'on a dû donner depuis à ces établissements; ils ne contenaient qu'un nombre assez restreint de pensionnaires; c'était des asiles ouverts aux écoliers de province qui obtenaient la faveur d'être envoyés à Paris pour étudier les lettres et les sciences. Mais ils réunissaient dans les classes un personnel assez nombreux d'externes logés au dehors, pour que, dans les temps de troubles, cette population flottante fût un véritable danger pour la ville de Paris. Aussi, pendant le XVIe siècle, la plupart de ces établissements furent-ils augmentés, afin de pouvoir contenir des pensionnaires en plus grand nombre; mais l'espace manquait dans une ville aussi populeuse, et les bâtiments s'aggloméraient successivement autour du premier noyau sans qu'il fût possible de donner de l'unité à leur réunion. Les colléges de Paris ne purent jamais présenter un ensemble de constructions élevées d'un seul jet, tels que ceux que nous voyons encore à Oxford et à Cambridge en Angleterre. C'est dans ces deux villes qu'il faut aller pour prendre une idée exacte de ce qu'était un collége pendant le moyen âge, car les universités d'Oxford et de Cambridge ont conservé à peu près intacts leurs immenses revenus et maintiennent leurs vieilles coutumes. Chacun de ces colléges contient une vaste chapelle, une bibliothèque, un réfectoire, des cuisines et leurs dépendances, un logement pour le principal, des chambres pour les élèves, des logements pour les associés, fellows 287, des salles, des jardins, des prés, une brasserie, quelquefois un jeu de paume. Tous ces grands établissements, richement dotés, admirablement entretenus, bien situés, entourés de jardins magnifiques, présentent l'aspect de l'abondance et du calme. Si on devait leur adresser un reproche, c'est d'habituer les jeunes gens à une existence princière; mais les moeurs anglaises ne ressemblent pas aux nôtres. Les colléges d'Oxford et de Cambridge semblent n'être faits que pour les classes élevées de la société. Depuis deux cents ans, nous sommes tombés en France dans l'excès opposé; la plupart de nos colléges, établis dans de vieux bâtiments, resserrés, sans air, sans verdure autour d'eux, ou bâtis avec une parcimonie déplorable, tristes en dedans ou au dehors, accumulant les étages les uns sur les autres, les bâtiments à côté les uns des autres, ne montrant aux écoliers que des murs nus et noirs, des cours fermées et humides, des couloirs sombres, partout la pauvreté avec ses tristes expédients, semblent destinés à faire regretter la maison paternelle aux écoliers qui doivent y passer huit ou dix années de leur jeunesse. Dans ces tristes demeures, l'art n'entre pas, il semble exclu; tout ce qui frappe les yeux de la jeunesse est dépouillé, froid, maussade, comme si ces établissements étaient destinés à froisser les âmes délicates, celles qui sont les plus propres à former des artistes, des hommes de lettres, des savants, celles chez qui l'étude ne pénètre qu'en se parant d'une enveloppe aimable. Avant de jeter l'épithète de barbares aux siècles qui sont déjà loin de nous, portons nos regards sur nous-mêmes, et demandons-nous si un peuple intelligent, sensible, facile à émouvoir pour le bien comme pour le mal, si un peuple qui tient le premier rang dans les travaux de l'esprit, n'a besoin que de routes, de ponts, de larges rues, de marchés magnifiques et de boutiques splendides; s'il n'est pas nécessaire d'élever la jeunesse dans des établissements sains, bien disposés, agréables à la vue, dans lesquels le goût et l'art interviennent pour quelque chose.
Les entrées de nos colléges du moyen âge étaient élégantes, décorées par les statues de leurs fondateurs. L'écolier qui venait s'enfermer dans ces demeures consacrées à l'étude n'éprouvait pas ce sentiment de répulsion qui, dès l'abord, s'empare des nôtres aujourd'hui lorsqu'ils se trouvent devant ces portes nues, sombres, qui ressemblent à l'entrée d'un pénitencier. À Oxford comme à Cambridge, les entrées des colléges sont de jolis monuments, élégants, couverts de sculpture, et protégés par les images des bienfaiteurs de ces établissements; les cours entourées de portiques délicatement travaillés ou de bâtiments construits avec luxe, les réfectoires larges, hauts, bien aérés et éclairés, ces verts gazons qui tapissent les préaux, ces fontaines, ces loges qui rompent la monotonie des longues façades, égayent l'imagination au lieu de l'attrister. Combien est-il d'enfants en France qui, sortant de la maison paternelle, où tout semble disposé pour plaire aux regards, ont éprouvé, en entrant dans un collége, ce sentiment de froid qui saisit toute âme délicate en présence de la laideur et de la pauvreté? Supposez que nos colléges aient des fellows, il est certain que pas un sur dix ne remettra jamais les pieds dans les demeures maussades et nauséabondes où ils ont dû passer leurs premières années d'études. Regardons près de nous toutes les fois que nous voudrons juger le passé; s'il est plein d'abus et de préjugés, peut-être sommes-nous trop pleins de vanité.
Note 286: (retour) C'est là un fait que devraient détruire d'abord les personnes qui, nous ne savons pour quel motif ne veulent pas admettre une influence purement française sur les arts du moyen âge. Que cette influence dérange les systèmes qu'elles veulent faire prévaloir, cela est fâcheux; mais il serait bon d'opposer autre chose que des phrases banales à des faits dont tout le monde peut reconnaître l'importance. Ce XIIIe siècle, livré à la barbarie et à l'ignorance, couvre tout un quartier de Paris d'établissements destinés non-seulement à l'enseignement, mais encore au logement gratuit des écoliers pauvres; des rentes attachées à ces établissements sont affectées au payement des professeurs et à la nourriture des élèves. Il est certain qu'une ville qui pense à bâtir des colléges et à réunir dans son sein des écoliers venus de tous les coins de l'Europe, même aux dépens de sa tranquillité intérieure, avant de songer à aligner ses rues, à élever des marchés, des abattoirs, à faire des trottoirs et des égouts, est une ville peuplée de sauvages laissant dans l'histoire un pernicieux exemple.
Note 287: (retour) Les fellows sont d'anciens élèves qui demeurent associés au collége par un privilége particulier; les fellows conservent toute leur vie durant le droit d'avoir un logement dans le collége, d'y entretenir un cheval, d'y prendre la bière. Il est des colléges d'Oxford ou de Cambridge qui entretiennent jusqu'à quinze et vingt fellows.
COLOMBIER, s. m. Pigeonnier. Bâtiment destiné à contenir des troupes de pigeons et à leur permettre de pondre et de couver leurs oeufs à l'abri des intempéries.
Pendant le moyen âge, la construction d'un colombier était un privilége réservé à la féodalité. Le paysan ne pouvait avoir son four; il fallait qu'il apportât son pain au four banal du château ou de l'abbaye, et qu'il payât une redevance pour le faire cuire. Il ne lui était pas permis non plus d'avoir un pigeonnier à lui appartenant. Il en était des pigeons comme des troupeaux de bêtes à cornes et à laine, ils appartenaient au seigneur, qui seul en pouvait tirer un produit. Les troupes de pigeons étant un rapport, ceux qui avaient le privilége de les entretenir cherchaient tous les moyens propres à en rendre l'exploitation productive. La construction d'un pigeonnier était donc une affaire importante. Tous les châteaux possédaient un ou plusieurs pigeonniers; les manoirs, demeures des chevaliers, petits châteaux sans tours ni donjons, pouvaient encore posséder un pigeonnier. Il n'est pas besoin de dire que les abbés, qui étaient tous seigneurs féodaux, et qui possédaient les établissements agricoles les mieux exploités pendant le moyen âge, avaient des pigeonniers dans les cours des abbayes, dans les fermes qui en dépendaient, les prieurés et les obédiences.
Les propriétaires de trente-six arpents avaient le droit de joindre à leur habitation, non un colombier construit en maçonnerie, mais un pigeonnier en bois de seize pieds de hauteur et pouvant contenir seulement de soixante à cent vingt boulins. On entend par boulins (du grec [Grec: bôlos]) les trous pratiqués dans les colombiers et destinés à la ponte des oeufs de pigeons. De là on est venu à donner le nom de boulins aux trous réservés dans la maçonnerie pour recevoir les pièces de bois horizontales des échafauds, et par suite à ces pièces de bois elles-mêmes (voy. ÉCHAFAUD).
Les colombiers sont généralement bâtis en forme de tour cylindrique avec toit conique, bien fermés de murs épais et distribués à l'intérieur avec un soin tout particulier. Nous en connaissons plusieurs dans les provinces françaises du nord qui ont été bâtis pendant les XIVe et XVe siècles, et qui sont dignes d'être étudiés. Il en existe un dans une ferme du village de Creteil près Paris, rue des Mèches, 14, qui paraît appartenir aux dernières années du XIVe siècle. Il est bâti en tour ronde et est divisé en deux étages. Le rez-de-chaussée était destiné à contenir des bestiaux, des moutons probablement. Le premier était réservé aux pigeons.
Voici (1) le plan au niveau du rez-de-chaussée. En A est la porte de l'étable, en A' celle de l'escalier, en B des fenêtres, en C une auge, en D l'escalier qui monte au pigeonnier, en E une colonne en pierre dont l'usage est indiqué dans la coupe (2).
Ainsi que l'indique cette coupe prise sur GH, une forte poutre porte sur la colonne et deux consoles en pierre incrustées dans le mur. Des solives reposent sur cette poutre et reçoivent le plancher. Un arbre vertical, muni de deux pivots en fer à chacune de ses extrémités et formant l'axe de la rotonde, reçoit trois potences auxquelles est accrochée une échelle que la disposition des potences, qui ne sont pas sur un même plan, oblige d'incliner. Cet arbre muni de son échelle permettait, en pivotant, aux gens de la ferme, de visiter facilement tous les boulins et de dénicher les pigeonneaux. Au niveau du plancher, en F, est un trou en pente traversant la muraille et destiné à l'extraction du guano. Le comble est hermétiquement fermé par des bardeaux à l'intérieur, enduits de plâtre aujourd'hui. Le parement de la tour contient vingt-cinq rangs de soixante boulins chacun environ, ce qui fait quinze cents couvées de pigeons. De cinq en cinq rangs de boulins est une petite saillie permettant aux personnes qui vont dénicher les pigeonneaux de poser le pied, afin d'être plus à l'aise pour procéder à cette opération. Une fenêtre et une lucarne, celle qui donne entrée aux pigeons, sont les seules ouvertures qui laissent pénétrer le jour et l'air dans l'intérieur de la tour.
La fig. 3 donne le détail de la construction des boulins; le colombier est entièrement bâti en pierre et moellons.
Sur la clef de la porte est sculpté l'écu armoyé dont nous présentons (4) la copie. Pour compléter la description de cette curieuse bâtisse, nous donnons (5) son plan pris au niveau KL de la coupe (fig. 2) 288.
Un autre colombier assez semblable à celui-ci, et qui appartient à la même époque, existe encore à Nesle (Oise), dans une ferme près de l'église. Le rez-de-chaussée du colombier de Nesle ne contient pas une étable, mais un poulailler possédant six rangs de boulins. Une colonne en pierre se dresse dans l'axe, comme dans le pigeonnier de Creteil, et porte un arbre à pivots muni de potences doubles recevant deux échelles au lieu d'une. Les boulins pour les pigeons sont plus nombreux qu'à Creteil, et sont au nombre de près de deux mille; ils sont construits en moellons et brique, c'est-à-dire qu'une assise de brique sépare chaque rang de boulins et que l'intérieur de ceux-ci est entièrement maçonné en brique; cette matière avait paru probablement plus chaude et moins humide que le moellon. L'arbre central pivotant est disposé ainsi que l'indique la fig. 6.
Les pièces AB sont des moises doubles qui ne sont pas sur un même plan afin de pouvoir donner une certaine inclinaison aux deux échelles. On ne monte au pigeonnier que par une échelle extérieure que l'on dresse devant la porte donnant sur le plancher du premier étage. Du reste, le pigeonnier de Nesle porte les mêmes dimensions que celui de Creteil, 6m,80 de diamètre intérieur et 1m,00 d'épaisseur de mur. Il est construit avec grand soin, et l'entrée des pigeons se fait par trois jolies lucarnes de pierre ménagées dans la hauteur du comble, l'une à l'est et les deux autre au sud-ouest et au nord-ouest.
La fig. 7 reproduit la vue extérieure du pigeonnier de Nesle: ses bandeaux, sa corniche et ses lucarnes sont en pierre; le reste de la bâtisse, à l'extérieur, est fait en moellon enduit; à l'intérieur, en moellon proprement taillé et en belles briques.
Nous figurons (8) une des lucarnes; les constructeurs ont eu le soin de ménager en avant une saillie, sorte de petit balcon dépassant le relief de la corniche, qui permet aux pigeons de se réunir en troupe avant d'entrer dans le colombier, ce qui est dans leurs habitudes. On remarquera même les deux petits épaulements B destinés à les garantir du vent lorsqu'ils viennent se reposer sur l'appui de la lucarne. Ces deux exemples de pigeonniers des provinces du nord indiquent assez le soin et l'étude apportés par les constructeurs du moyen âge jusque dans les bâtisses les plus ordinaires.
Il existe encore, près de Rouen, à Saint-Jacques, un très-beau colombier bâti en briques de diverses couleurs, et qui appartient au commencement du XVIe siècle. Trois lucarnes en bois s'ouvrent dans le comble. Ses dispositions rappellent le colombier de Nesle. Cependant l'étage supérieur est porté en encorbellement sur le soubassement, ce qui donne à cette construction une certaine grâce.
Dans les provinces méridionales, les colombiers affectent, jusqu'au XVIe siècle, la forme circulaire, comme ceux du nord; mais leur couronnement présente une disposition toute particulière et qui appartient à ces contrées: c'est une sorte d'abri destiné à garantir les pigeons contre les grands vents et à leur permettre de se rassembler en nombre sur le toit de l'édifice. Ces pigeonniers sont généralement plus petits que ceux des provinces septentrionales, mais ils sont en revanche très-abondants.
Un des plus anciens que nous connaissions est un pigeonnier dépendant autrefois de l'abbaye de Saint-Théodard, près Montauban. Ce pigeonnier, dont nous donnons (9) l'aspect sur deux faces, est entièrement bâti en brique, terminé par une voûte hémisphérique percée d'une lucarne avec claire-voie. On aperçoit en A le mur renforcé de trois tourelles pleines, et qui ne sont qu'un ornement, dépassant la couverture et formant l'abri dont nous venons de parler. Il faut dire que, dans ces contrées, les grands vents viennent régulièrement du même point de l'horizon, et qu'ainsi cet abri opposé à la direction invariable des vents violents est parfaitement motivé. Une seule porte à rez-de-chaussée donne entrée dans le colombier, qui, à l'intérieur, est muni de boulins ménagés dans les parements. Un chéneau avec crénelage et gargouille accompagne la coupole. Ce petit édifice n'a que 4m,60 de diamètre sur environ 11m,50 du sol au sommet des trois pinacles 289.
La disposition habituelle des colombiers du Languedoc, à partir du XVIe siècle, est celle d'un bâtiment carré couronné par un toit à une seule pente avec abri, presque toujours accompagné de pinacles aux angles, afin de signaler cet édifice aux pigeons. Voici (10) un de ces colombiers, comme on en trouve en si grand nombre dans les environs de Toulouse et de Montauban. Des carreaux de brique vernissée incrustés dans l'enduit extérieur, ainsi qu'il est figuré en A, empêchent les belettes de monter jusqu'à l'ouverture réservée aux pigeons. Il en est aussi qui sont bâtis sur quatre colonnes isolées, afin de soustraire les pigeons aux approches de leurs ennemis acharnés. Quatre poitraux en bois posés sur les quatre colonnes portent la maçonnerie de brique, et un trou percé au centre du plancher, auquel on adapte une échelle volante, permet d'entrer dans le pigeonnier.
COLONNE, s, f. Cylindre de pierre posé sur une base ou un socle, recevant un chapiteau à son sommet, employé dans la construction comme point d'appui pour porter une plate-bande ou un arc. Les architectes du moyen âge n'eurent pas à inventer la colonne. Les monuments antiques de l'époque romaine laissaient sur le sol des Gaules une quantité innombrable de colonnes, car aucune architecture ne prodigua autant ce genre de support que l'architecture des Romains. Nos premiers constructeurs romans employèrent ces fragments comme ils purent; ils trouvaient très-simple, lorsqu'ils élevaient un édifice, d'aller chercher, parmi les débris des monuments antiques, des fûts de colonnes et de les dresser dans leurs nouvelles constructions, sans tenir compte de leur grosseur ou de leurs proportions, plutôt que de tailler à grand'peine, dans les carrières, des pierres de grande dimension et de les amener à pied-d'oeuvre. Il résulta de cette réunion de colonnes ou même de fragments de colonnes de toutes dimensions et proportions, dans un même édifice souvent, un oubli complet des méthodes qui avaient été suivies par les Romains dans la composition des ordres de l'architecture. Les yeux s'habituèrent à ne plus établir ces rapports entre les diamètres et les hauteurs des colonnes, à ne plus éprouver le besoin de l'observation des règles suivies par les anciens. Cet oubli barbare, résultat de la perte des traditions et de moyens de construction très-incomplets, du défaut d'ouvriers capables, fit faire aux architectes des premiers temps du moyen âge les plus singulières bévues. Pour eux, les colonnes antiques, souvent taillées dans des matières précieuses, furent un objet de luxe, une sorte de dépouille dont ils cherchèrent à parer leurs grossiers édifices, sans se préoccuper souvent de la fonction véritable de la colonne. D'ailleurs, s'ils étaient hors d'état de tailler un cylindre dans un bloc de pierre, à plus forte raison ne pouvaient-ils sculpter des chapiteaux et des bases; il arriva qu'ils placèrent tantôt une colonne sur le sol sans base, tantôt un chapiteau antique sur une colonne dont le diamètre ne correspondait pas avec celui du fût. Trop inexpérimentés pour oser combiner un système de construction reposant sur des points d'appui grêles, ils placèrent les colonnes qu'ils arrachaient aux débris des monuments antiques dans des angles rentrants, ou les accolèrent à des piliers massifs, comme une décoration plutôt que comme un support.
Lorsque l'architecture romane se développa et essaya de substituer aux traditions abâtardies de l'architecture antique un art nouveau, tantôt elle se servit de la colonne comme l'avaient fait les Romains, c'est-à-dire comme d'un point d'appui monolythe, grêle, isolé, tantôt comme d'une pile cylindrique, épaisse, composée d'assises, destinée à porter une charge très-lourde. Il est certain que la colonne isolée est employée par les architectes romans tout autrement qu'elle ne le fut chez les Romains. Les Romains, si ce n'est dans les derniers temps du Bas-Empire et dans l'architecture dite byzantine, n'employèrent généralement les colonnes qu'en les surmontant de l'entablement, c'est-à-dire qu'ils n'employèrent que les ordres complets; s'il est des exceptions à cette règle, elles sont rares. Vitruve, dans sa description de la basilique qu'il bâtit à Fano, parle d'un grand ordre portant des poitraux et des piles isolées sans entablement. Si les colonnes pouvaient se passer de leur entablement, c'était lorsqu'elles portaient des arcs. Cependant nous voyons, dans les thermes romains et autres édifices analogues, des colonnes portant des arcs ou des voûtes d'arêtes, et possédant toujours un entablement sans usage mais comme une décoration jugée nécessaire. Les architectes romans, soit qu'ils eussent sous les yeux des exemples de monuments du Bas-Empire dans lesquels les arcs venaient poser leur sommier sur le chapiteau, soit que leur bon sens naturel leur indiquât que dans ce cas l'entablement n'était plus qu'un membre inutile, renoncèrent à l'employer. Et comme ils n'adoptaient presque jamais la plate-bande dans leurs constructions, il en résulta que s'ils conservèrent la colonne antique, ils supprimèrent toujours l'entablement. Les colonnes des édifices romans sont donc dépourvues de ce complément, et ne possèdent que la base et le chapiteau. L'ordre corinthien était celui qui, sous l'Empire, avait été presque exclusivement employé, surtout dans les derniers temps; aussi les architectes romans cherchèrent-ils à imiter les chapiteaux de cet ordre, de préférence à tout autre. Mais la diminution des fûts antiques, leur galbe, était un détail de l'art trop délicat pour être apprécié par des hommes grossiers; aussi lorsqu'ils élevèrent des colonnes, ils les taillèrent le plus souvent suivant la forme cylindrique parfaite, c'est-à-dire qu'ils leur donnèrent le même diamètre dans toute leur hauteur. Nous devons observer en passant que les colonnes isolées sont de préférence adoptées pendant l'époque romane dans les contrées où il restait des débris considérables d'édifices antiques. Dans les provinces méridionales, le long du Rhône, de la Saône, de la Marne, nous trouvons la colonne isolée fréquemment employée comme pile; tandis que, dans les contrées où les traditions antiques étaient plus effacées, les colonnes ne sont guère usitées que pour cantonner des piles à plan carré; elles sont alors engagées et reçoivent les retombées des arcs, ou bien elles tiennent lieu, à l'extérieur, de contre-forts, et ne portent rien (voy. ARCHITECTURE RELIGIEUSE, CLOCHER, CONSTRUCTION, ÉGLISE).
Chez les Romains, la colonne n'était guère adoptée à l'intérieur, comme
support nécessaire, que dans les basiliques. Les architectes romans,
même lorsqu'ils tentèrent de remplacer les charpentes des basiliques par
des voûtes, voulurent parfois, cependant, conserver la colonne comme
point d'appui; seulement ils en augmentèrent le diamètre afin de
résister à la charge des maçonneries supérieures. La nef de l'église
abbatiale de Saint-Savin en Poitou, qui date du XIe siècle, voûtée en
berceau plein cintre avec bas-côtés en voûtes d'arêtes, présente deux
rangées de colonnes cylindriques isolées formées de tambours de pierre.
La nef de l'église cathédrale de la cité de Carcassonne présente des
colonnes isolées alternées avec des piles à base carrée cantonnées de
colonnes engagées. Ces colonnes cylindriques portent directement sur
leurs chapiteaux circulaires les sommiers des archivoltes longitudinaux
de la nef, des arcs doubleaux des bas-côtés et des colonnes engagées
recevant les arcs doubleaux du berceau principal. La fig. 1 présente
l'une de ces colonnes composée de tambours de pierre en plusieurs
pièces. Ce ne sont là, en réalité, que des piles cylindriques bâties en
gros moellons assez mal parementés.
Si les architectes romans ne dressaient que rarement des colonnes monolythes, c'était faute de pouvoir extraire et tailler des blocs de pierre d'une grande dimension; car toutes fois qu'ils purent trouver des colonnes antiques, ils ne manquèrent pas de les employer. Dans les cryptes romanes on rencontre souvent des colonnes monolythes en marbre qui ne sont que des dépouilles de monuments antiques. Lorsque les moyens de transport devinrent plus faciles et plus puissants, que l'habileté des tailleurs de pierre égala et dépassa même celle des ouvriers romains, on se mit à dresser des colonnes monolythes là où leur emploi était nécessaire. Presque tous les choeurs des grandes églises du XIIe siècle possèdent des colonnes monolythes en pierre dure d'une hauteur et d'un diamètre considérables, et presque toujours ces colonnes sont diminuées, c'est-à-dire qu'elles sont taillées en cône de la base au sommet. D'ailleurs il est rare de voir ces colonnes porter, comme la colonne romaine, un filet et un congé sur la base et une astragale sous le chapiteau. Ces saillies réservées exigeaient un évidement dispendieux et inutile sur toute la longueur du fût; les architectes préféraient faire porter le congé et le filet inférieur à la base, ou supprimaient ces membres, l'astragale au chapiteau (voy. BASE, CHAPITEAU).
Les colonnes monolythes ne sont pas rares pendant les XIIe et XIIIe siècles. Les cathédrales de Langres, de Mantes, les églises de Saint-Leu d'Esserent, de Vézelay, de Beaune, de Pontigny, de Semur-en-Auxois, etc., nous en font voir dont la dimension et la taille ne le cèdent en rien aux colonnes des monuments romains. Toutefois les architectes du moyen âge n'ont creusé des cannelures sur les fûts des colonnes que très rarement. À l'extérieur du choeur de l'église abbatiale de Saint-Rémy de Reims (XIIe siècle), on trouve cependant un exemple de colonnes cannelées sous l'arrivée des arcs-boutants. Mais à Reims il existait et il existe encore des monuments antiques qui ont été évidemment l'origine de ce genre de décoration. Dès le XIe siècle, on taillait déjà les colonnes au tour, suivant la méthode antique. Les colonnes monolythes du choeur de l'église de Saint-Étienne de Nevers sont taillées au tour. En Auvergne, où l'art de bâtir avait, à cette époque, atteint un degré de perfection remarquable, on trouve, dans les choeurs des églises, des colonnes monolythes tournées. Dans le Berry et le Poitou, pendant le XIIe siècle, les colonnes tournées sont très-fréquentes, et les ouvriers avaient le soin de laisser sur les fûts la trace du tour indiquée par des filets très-peu saillants ou des stries horizontales très-fines. Les architectes qui élevèrent des colonnes pendant la période romane ne s'inquiétaient pas d'établir une proportion conventionnelle entre la hauteur du fût et son diamètre; la nature des matériaux employés, la charge qu'il fallait supporter, le lieu, l'ordonnance générale du monument étaient les seules lois qui imposaient ces proportions. Au XIIe siècle, lorsque l'art de l'architecture se développa et devint l'objet d'une étude approfondie et raisonnée, les architectes donnèrent généralement aux fûts de leurs colonnes monolythes des proportions qui varient peu; cependant il est visible que déjà la résistance des matériaux influait sur ces proportions; si ces matériaux étaient très-forts, les colonnes étaient d'un diamètre moindre, eu égard à leur hauteur, que si ces matériaux étaient fragiles. Lorsqu'au commencement du XIIIe siècle, on employa encore les colonnes cylindriques non cantonnées, on chercha à réduire leur diamètre autant que la qualité des matériaux le permettait, afin de laisser, suivant le principe adopté par les architectes de cette époque, les plus grands vides possibles entre les points d'appui. C'est alors qu'on porta des voûtes sur des colonnes dont la maigreur égale presque celle qu'on donnerait à des supports en bois ou en métal en pareil cas. Le réfectoire du prieuré de Saint-Martin-des-Champs à Paris nous a conservé un des meilleurs exemples de ces colonnes en pierre d'une hauteur considérable et d'un diamètre extrêmement faible. Mais telle est l'heureuse disposition de ces colonnes, portées sur un stylobate à base octogone et séparées vers le milieu de leur hauteur par une bague moulurée, que l'oeil n'est pas choqué par leur excessive maigreur, et qu'elles semblent d'une force suffisante, comme elles le sont en effet, pour porter les deux rangs de voûtes qui viennent reposer sur leurs chapiteaux évasés (voy. BAGUE, CHAPITEAU, CONSTRUCTION).
L'Île de France semble avoir conservé les colonnes dans les nefs de ses
églises plus tard que les autres provinces. Notre-Dame de Paris, la
partie ancienne de l'église Saint-Severin à Paris, les églises de
Champeaux, de la Chapelle sous Crécy, de Bagneux, etc., portent leurs
nefs, bâties vers la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe, sur
des colonnes qui s'élèvent jusqu'à la hauteur des archivoltes des
bas-côtés, et dont les chapiteaux portent les faisceaux de colonnettes
recevant les voûtes hautes.
Les colonnes cantonnant les piliers romans sont généralement, pendant les XIe et XIIe siècles, engagées d'un tiers seulement; quelle que soit la dimension des édifices, leur diamètre varie de 0,33 c.(un pied) à 0,42 c. (quinze pouces). Sur les bords de l'Oise, pendant les premières années du XIIe siècle, ces colonnes engagées offrent une singularité qui mérite d'être signalée. Leur section horizontale, au lieu de présenter un segment de cercle, est composée de deux segments formant une arête au point de la tangente parallèle à la face du pilier, ainsi que le démontre la fig. 2. Nous trouvons de ces colonnes dans la partie ancienne de l'église de Saint-Maclou à Pontoise et dans l'église de Saint-Étienne de Beauvais. Nous devons supposer que les architectes ont donné cette figure à leurs colonnes engagées, afin d'éviter la mollesse et l'indécision d'une surface cylindrique. Ces colonnes n'ont que 0,30 c. de diamètre; mais, grâce à cette arête que forment les deux segments de cercle, elles offrent à l'oeil, de chaque côté, des surfaces plus développées que celles présentées par un cylindre. Dans tous les membres de l'architecture romane de transition des bords de l'Oise, on remarque d'ailleurs une certaine recherche qui se traduit par une grande finesse dans les profils et les détails.
COLONNETTE, s. f. Petite colonne; s'applique aussi, lorsqu'il est question de l'architecture du moyen âge, aux colonnes dont le fût très-allongé est d'un faible diamètre, aux colonnes cantonnant les piles de l'architecture gothique, ou aux colonnes secondaires cantonnant les piles de l'architecture romane de transition.
Les colonnettes cantonnant les piles romanes de transition dépendent toujours de la construction jusque vers 1160, c'est-à-dire qu'elles font partie des assises de ces piliers; mais, à partir de cette époque jusque vers 1220, elles sont indépendantes de la construction en assises, sont détachées et posées en délit. À dater de 1230, on les voit de nouveau faire partie des assises jusqu'à la fin de la période gothique (voy. CONSTRUCTION). Il va sans dire que cette règle n'est pas sans exceptions.
Les architectes romans placèrent souvent, dans les cloîtres, les galeries, dans les baies jumelles, des colonnettes isolées ou accouplées portant des arcs; ces colonnettes sont faites en pierre dure et même en marbre. Dans les cloîtres des provinces méridionales, elles sont souvent sculptées; leurs fûts sont ornés de torsades, de cannelures, d'enroulements, de rinceaux, de feuillages, d'imbrications, quelquefois même de sujets légendaires. Le cloître d'Elne près Perpignan présente une quantité de ces colonnettes de marbre dont tous les fûts sont couverts d'ornements variés des XIIe et XIVe siècles.
Nous donnons (1) deux de ces fûts: l'un, celui A, date du XIIe siècle; l'autre, celui B, appartient à la restauration entreprise au XIVe 290.
L'antiquité romaine et beaucoup de monuments gallo-romains possédaient déjà des colonnes ornées de sculptures peu saillantes; cette tradition fut suivie par les architectes des XIe et XIIe siècles. Cependant ceux-ci n'employèrent ce genre de décoration que dans des cas particuliers, pour les cloîtres, ainsi que nous venons de le dire, et pour les portails, afin de donner une grande richesse apparente aux entrées des édifices. Le XIIe siècle fut prodigue de colonnettes sculptées.
Il nous suffira d'en donner quelques exemples. Ceux présentés (2) proviennent de l'église paroissiale de Tournus, XIIe siècle (basse ville). La cathédrale d'Autun, les églises de Saint-Andoche de Saulieu, de l'abbaye de Vézelay, de Saint-Lazare d'Avallon, et en général les monuments de la Saône, du Rhône, de la Haute Marne et de la Haute Loire, montrent, sur leurs portails, des colonnettes curieusement sculptées. Le porche nord de la cathédrale du Puy-en-Vélay, si remarquable par son ornementation, conserve des fûts de colonnettes d'une extrême délicatesse de sculpture (3).
Celui-ci est composé de tambours alternativement noirs et blancs; ce qui, joint à la gaufrure qui le couvre, produit beaucoup d'effet. On remarquera encore ici que l'astragale est taillée sur plan carré, et que la colonnette arrive du cylindre à ce plan carré par un ornement C. Les lits des tambours noirs et blancs sont alternativement placés en A et en B.
Si nous nous rapprochons de l'Île-de-France, l'architecture du XIIe siècle est plus avare de ces sortes de décorations appliquées aux colonnettes; et lorsqu'elle les emploie, c'est toujours dans des cas particuliers, comme, par exemple, pour les colonnettes qui sont placées entre les statues des portails, et ces décorations ne détruisent pas ainsi la solidité apparente que doit conserver un support. Le portail de l'église de Saint-Denis, le portail Royal de la cathédrale de Chartres nous fournissent de beaux exemples de colonnettes sculptées posées dessous ou entre les statues.
Voici (4) une des colonnettes d'entre-deux des statues (portail Royal de la cathédrale de Chartres), et (5) une de celles qui supportent les statues.
Les colonnettes du XIIe siècle sont souvent torses et quelquefois à six ou huit pans. Le portail de l'église de Saint-Lazare d'Avallon, qui est un des exemples les plus remarquables de l'architecture fleurie du XIIe siècle, possède des colonnettes à pans, torses (6), taillées avec une rare perfection dans un seul morceau de pierre. L'imagination des derniers architectes romans va très-loin dans l'ornementation des colonnettes, et jusqu'à leur donner l'apparence d'un corps élastique, flexible. Sur les ébraiements de cette même porte de Saint-Lazare d'Avallon, nous voyons un fût de colonnette torse qui présente un réseau de cordelettes (7).
L'architecture du XIIIe siècle renonça entièrement à décorer les colonnettes. Les architectes gothiques étaient trop rationalistes pour donner à des supports cette apparence flexible. Ils se contentèrent parfois, seulement, de les orner de peintures (voy. PEINTURE).
À partir de cette époque, on voit les colonnettes (quelle que soit d'ailleurs la longueur de leur fût) adopter des diamètres qui varient peu, 0,16 c. (six pouces), 0,11 c. (quatre pouces), et les plus fines, celles des meneaux, par exemple, 0,08 c. (trois pouces).
Les architectes romans diminuent généralement les colonnettes isolées des cloîtres et des galeries, jamais celles occupant des angles rentrants et cantonnant des piles: car, dans ce dernier cas, la diminution des fûts eût produit un fâcheux effet. C'est sur les bords du Rhin que nous trouvons des édifices romans dans lesquels les colonnettes sont taillées en cône très-prononcé. Dans la cathédrale de Worms, par exemple, les galeries extérieures présentent une suite de colonnettes dont la diminution au sommet est très-sensible (8). Les architectes gothiques ne diminuent leurs colonnettes isolées que très-rarement. Cependant celles de l'arcature de la Sainte-Chapelle de Paris le sont, mais très-faiblement. Au XIVe siècle, on ne trouve plus guère de colonnettes isolées; celles-ci se subdivisent en plusieurs membres comme les arcatures qu'elles portent. Elles commencent, à cette époque, à porter un nerf saillant, qui peu à peu arrive à la forme prismatique.
La renaissance, en reprenant la colonne antique, la décora, souvent d'arabesques, de cannelures, de rinceaux. On peut voir, à l'École des beaux-arts, à Paris, des colonnes provenant du château de Gaillon qui sont fort richement sculptées. La tourelle de l'hôtel de la Trémoille, à Paris, était portée sur deux colonnettes délicatement sculptées. Elles sont également déposées à l'École des beaux-arts.
COMBLE, s. m. Combinaison de charpenterie recevant du métal, de l'ardoise ou de la tuile, et couvrant un édifice (voy. CHARPENTE, COUVERTURE).
CONDUITE, s. f. Tuyau de métal, de terre cuite ou de pierre, servant à conduire les eaux soit sur un plan horizontal, soit verticalement du sommet d'un édifice à sa base.
Les Romains disposaient souvent des conduites verticales dans leurs grands monuments pour se débarrasser des eaux pluviales à travers les constructions. Les amphithéâtres et les théâtres particulièrement, qui présentaient une surface considérable de gradins exposés directement à la pluie, possédaient de distance en distance des égouts verticaux simplement perforés à travers la maçonnerie qui amenaient les eaux sur le sol. Dans les édifices d'une construction plus simple, les temples, les basiliques et les habitations particulières, les eaux pluviales tombaient des toits sur le sol librement, soit à l'extrémité de la couverture, soit en passant à travers de petites gargouilles percées dans des chéneaux de pierre ou de terre cuite. Ce moyen si naturel fut employé par les architectes romans, qui ne construisirent guère que des édifices d'une grande simplicité de plan et couverts par des combles à deux égouts. Cependant il était certaines circonstances où l'on sentait le besoin de recueillir les eaux de pluie et par conséquent de les diriger. Dans les cloîtres des abbayes, dans les cours des châteaux, bâtis souvent sur des lieux élevés, les sources manquaient, et on ne pouvait se procurer des approvisionnements d'eau qu'à la condition de creuser des citernes dans lesquelles on conduisait les eau des combles, en évitant de les faire passer sur le sol, afin de les avoir aussi pures que possible. Alors, établissant des chéneaux de pierre ou de bois à la chute des combles, les constructeurs élevaient, de distance en distance, des piles creuses munies à leur sommet d'une cuvette qui recevait les eaux amenées par les pentes de ces chéneaux. Ces piles étaient presque toujours isolées, ne participaient pas à la construction, et on évitait ainsi les infiltrations lentes mais très-funestes de l'humidité dans les bâtisses. Nous avons encore vu, le long du mur du collatéral sud de la nef de l'église abbatiale de Vézelay, des conduites isolées destinées à diriger les eaux pluviales tombant sur les combles dans la citerne creusée au centre du cloître. Ces conduites n'appartenaient pas à la construction primitive, mais à l'époque où le cloître fut construit, c'est-à-dire à la fin du XIIe siècle. Elles étaient bâties en assises de pierre carrées, percées au centre d'un trou cylindrique, avec entailles circulaires dans les lits pour recevoir le ciment.
Voici quelle était (1) la forme extérieure de ces conduites: en A on voit une des pierres avec l'entaille circulaire de son lit. Nous avons souvent vu, dans des châteaux des XIIe et XIIIe siècles, des conduites carrées en pierre ménagées dans l'épaisseur des constructions (conduites qu'il ne faut pas confondre avec les porte-voix), et qui étaient destinées à envoyer dans des citernes les eaux pluviales tombant sur les combles. Lorsqu'au XIIIe siècle la construction des églises dut présenter des combinaisons compliquées, des surfaces très-considérables de combles recevant les eaux pluviales, les architectes songèrent tout d'abord à se débarrasser des eaux par plus court chemin, c'est-à-dire en les faisant couler des chéneaux sur les chaperons des arcs-boutants jusqu'à des gargouilles très-saillantes qui les rejetaient sur le sol en dehors du périmètre de l'édifice. Divisant ces eaux en une infinité de jets, ils diminuaient considérablement ainsi leur effet destructif. Ce moyen, qui est toujours le meilleur lorsque les matériaux employés dans les parties inférieures des bâtisses sont solides et ne craignent pas la gelée, qui permet de s'assurer continuellement de l'état des conduites puisqu'ils sont à l'air libre, est désastreux lorsque la pierre employée dans les soubassements est gélive ou poreuse; car alors cette quantité de cascades, mouillant les parements inférieurs, ne tardent pas à les salpêtrer et même à les détruire. Ces inconvénients furent reconnus évidemment par les architectes du XIIIe siècle, puisque, dans plusieurs grands édifices de cette époque, nous voyons les conduites fermées verticales remplacer les gargouilles. En Normandie et en Picardie, où le climat est humide et les matériaux sensible à la gelée, les conduites d'eau furent adoptées dès 1230 environ dans certaines églises. À Bayeux, nous voyons les arcs-boutants de la nef amener les eaux des combles supérieurs dans des conduites en plomb incrustées dans les contre-forts. Ces conduites sont apparentes ou masquées de deux en deux assises; elles se trouvent ainsi protégées contre les chocs extérieurs, et visibles cependant s'il survient une rupture.
Voici (2) en A le plan de cette disposition, en B l'élévation des parties des contre-forts munies de conduites, et en C le détail des incrustements cylindriques contenant les tuyaux de plomb légèrement aplatis du côté des ouvertures pour laisser passer les petits linteaux D. Les contre-forts des arcs-boutants du choeur de la même église contiennent des tuyaux de descente moins bien disposés que ceux donnés ci-dessus, en ce qu'ils sont incrustés au milieu de ces contre-forts et ne sont vus que par deux petites meurtrières. En plan (3), ces tuyaux sont placés en A, les meurtrières en B et les débouchés ou dauphins dans une gargouille placée en C. Du chéneau supérieur du grand comble, les eaux sont amenées dans la rigole des arcs-boutants, de même par des conduites passant à travers un contre-fort terminé à sa partie inférieure par une tête formant dauphin (voy. ce mot). Nous trouvons, au-dessus des arcs-boutants de la nef de la cathédrale de Sées (1230 environ), une disposition analogue, mais préférable à celle adoptée à Bayeux, en ce que les contre-forts contenant les conduites de chute des eaux du grand chéneau ne sont que des coffres, des appendices crevés à leur base verticalement, sans coudes ni ressauts, de manière à éviter tout engorgement.
Voici (4) en A la section horizontale de ces conduites, en B leur élévation perspective, en C la coupe sur l'axe de la conduite. Habituellement, comme nous l'avons indiqué en D, les conduites verticales de plomb enfermées dans des coffres de pierre ont leur sommet élargi en cuvette et dont les bords sont pincés sous l'assise du chéneau, l'orifice de celui-ci formant larmier sous le lit inférieur. Dans le cas présent, l'eau ne coulant vers l'orifice que d'un côté, ce larmier n'existe que sous la chute, ainsi que nous l'avons tracé en E. Dans les grands édifices élevés au commencement du XIIIe siècle les eaux des chéneaux supérieurs se déversaient par des gargouilles à gueule bée sur les chaperons non creusés des arcs-boutants, comme à la cathédrale de Reims encore aujourd'hui. Les eaux dégradaient rapidement ces chaperons; on leur donna la section d'un canal; mais le vent poussait le jet des gargouilles en dehors de ces canaux, c'est pourquoi on adopta les chutes verticales enfermées dans des coffres de pierre au-dessus des têtes des arcs-boutants. Toutefois, quand même les eaux des combles supérieurs des grands édifices étaient menées par des conduites, celles-ci n'arrivaient qu'au niveau des chéneaux des chapelles ou bas-côtés, et de là elles étaient rejetées sur le sol par des gargouilles, suivant la méthode la plus ordinaire. Les contre-forts supérieurs du choeur de la cathédrale d'Amiens recevant les arcs-boutants (1260 environ) laissent voir, dans l'un de leurs angles rentrants, de longues entailles cylindriques destinées à recevoir des tuyaux de descente en plomb qui n'ont jamais été posés (5); la même disposition est adoptée pour l'écoulement des eaux pluviales dans la cathédrale de Nevers.
En A est tracée la section horizontale de ces
entailles. Les eaux descendent des chéneaux supérieurs par les caniveaux
B servant de chaperons à la claire-voie des arcs-boutants. Dans
l'épaisseur du contre-fort, au niveau C, est une cuvette qui devait
recevoir ces eaux pour les rejeter dans la conduite verticale posée dans
l'entaille. Ce n'est qu'en Angleterre que nous trouvons, dès le XIVe
siècle, des conduites en plomb aboutissant à la base des édifices. Au
lieu d'être cylindriques, ces conduites donnent, en section horizontale,
un carré, et cela était fort bien raisonné. Un cylindre ne peut se
dilater; il en résulte que, dans les fortes gelées, si les conduites
s'engorgent, l'eau glacée, prenant un volume plus fort que l'eau à
l'état liquide, ces conduites sont sujettes à crever. Un tuyau dont la
section est carrée peut se dilater, et les ruptures sont moins à
craindre. Ces tuyaux de plomb, posés le plus souvent dans des angles
rentrants, sont faits par parties entrant les unes dans les autres,
comme nos tuyaux de fonte de fer, avec collets et colliers de fer ou de
bronze qui les maintiennent à leur place; ils sont surmontés de cuvettes
également en plomb, et de dauphins à leur partie inférieure (6).
Au XVIe siècle, on posa souvent des conduits en plomb cylindriques dans les grands édifices français, et ces tuyaux sont presque toujours décorés de reliefs ou de dorures. On en voit d'assez beaux sur les côtés du portail méridional de la cathédrale de Beauvais. On en rencontrait en grand nombre dans les châteaux de la renaissance; mais ces objets ont été enlevés à la fin du dernier siècle pour être fondus.
L'écoulement des eaux pluviales était, pour les architectes du moyen âge, un sujet de préoccupations constantes. Il est facile de reconnaître qu'ils ont souvent hésité entre le système qui porte à conduire les eaux et les rejeter à ciel ouvert et celui qui consiste à les diriger dans des tuyaux fermés; l'un et l'autre, de ces deux systèmes ont leurs inconvénients et leurs avantages: le premier mouille les parements et les soubassements en particulier; mais si la pierre employée est compacte, si elle n'est pas sensible à la gelée, cette humidité extérieure est bientôt enlevée par l'air et le soleil. Il a l'avantage de permettre un entretien facile, puisque tous les canaux sont visibles et à l'air libre; il évite les engorgements, les dégradations cachées qui n'apparaissent que lorsque le mal est produit. Le second évite ces lavages des parements extérieurs; il conduit les eaux sur des points fixes; il ne produit pas autour d'un édifice ce déluge qui en rend les abords insupportables; mais il demande une surveillance constante, surtout pendant les alternatives de gelée et de dégel; il produit des engorgements dans les temps de neige, est sujet à des ruptures auxquelles il est difficile souvent de remédier et dont on ne s'aperçoit que lorsque les dégradations qu'elles causent ont fait des ravages profonds dans les constructions. Il ne faudrait donc pas prescrire d'une manière absolue l'un ou l'autre de ces deux systèmes. C'est à l'architecte à les employer comme il convient, suivant le lieu et en raison des matériaux employés. Toutefois nous devons dire que, dans de très-vastes édifices publics où la surveillance ne peut être exercée comme dans une construction particulière et un lieu habité journellement, les conduites en métal et surtout en fonte de fer, qui se brisent si facilement sous l'effort de l'eau glacée, ont de très-grands dangers, que leur engorgement ou le faible suintement qui se produit à chaque joint finissent par altérer les parements et y entretenir une humidité permanente. Les tuyaux de plomb sont les meilleurs, en ce qu'ils conservent une certaine flexibilité et peuvent se dilater, surtout les tuyaux à section carrée. Un soin extrême dans l'établissement de ces tuyaux et dans les scellements de leurs colliers, un isolement complet et des gargouilles de trop plein, en cas d'engorgement, peuvent toutefois remédier à ces inconvénients (voy. CUVETTE, DAUPHIN).
CONGÉ, congié, s. m. On désigne ainsi la transition entre une moulure et un parement.
Dans la colonne romaine, on nomme congé la courbe qui relie le fût de la colonne au filet inférieur posé sur la base; soit (1) un profil de base romaine, A est un congé. Dans l'architecture romane et surtout dans l'architecture gothique, le fût des colonnes étant d'une seule venue, c'est-à-dire ne portant pas de saillie inférieure, la base ne porte pas de congé, et le premier tore de cette base reçoit immédiatement le fût de la colonne (voy. BASE). Il en est de même de l'astragale du chapiteau; cette moulure n'a point de congé, sauf d'assez rares exceptions, pendant l'époque romane primitive. On désigne aussi, dans l'architecture du moyen âge, par congé ou congié, la fin, la terminaison d'une moulure taillée par une arête vive. Le mot exprime bien, en effet, l'objet; c'est un congé donné à la moulure de cesser d'être. Ainsi, dans les édifices du XIIe siècle particulièrement, on voit souvent des arêtes abattues, soit par un simple biseau, soit par une moulure, qui ne descendent pas jusqu'au sol, mais s'arrêtent à l'assise inférieure ou sur un bandeau, et passent à l'angle droit au moyen de congés dont la forme est très-variée.
La fig. 2 reproduit plusieurs exemples de ces congés, empruntés tous à des monuments de la fin du XIIe siècle, appartenant à la Bourgogne; car il faut dire que c'est dans cette province où l'on trouve le plus de ces sortes de terminaisons de moulures. La beauté de la pierre de taille engageait les appareilleurs à conserver les lits intacts et les arêtes vives à l'origine de chaque membre d'architecture. Il est de ces congés qui sont d'une richesse remarquable. Le trumeau central de la porte de l'église de Montréale se termine, à sa partie inférieure, par des congés ornés de sculptures d'un goût excellent; nous en donnons (3) un croquis.
Il est difficile de passer avec plus d'adresse d'un faisceau de moulures à un socle rectangulaire. Si les moulures des pieds-droits, chambranles, pilastres, sont terminées à leur partie inférieure et sous les linteaux ou les chapiteaux par des congés, à plus forte raison les arcs moulurés des voûtes sont-ils accompagnés à leur naissance de ce renfort, qui laisse au lit inférieur du sommier toute son assiette. Les moulures des arcs du XIIe siècle, au lieu de descendre jusque sur le tailloir du chapiteau, s'arrêtent à un niveau supérieur et se terminent par des congés, afin de laisser, sur le tailloir, le lit inférieur du sommier poser franchement, comme si ce sommier n'était qu'épannelé. Voici (4) deux exemples de ces congés: l'un, très-simple, provient de l'église de Montréale; l'autre, très-riche, provient de la sacristie de l'église de Vézelay. Les tailleurs de pierre évitaient ainsi aux bardeurs et poseurs la difficulté de poser des sommiers (toujours assez lourds) portant des moulures fragiles sur le lit inférieur, et par conséquent faciles à épaufrer. L'oeil est contenté, d'ailleurs, par ces arrêts qui empêchent les moulures de tomber brusquement et sans transition sur le tailloir des chapiteaux. Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres, le raisonnement de l'artiste était d'accord avec son instinct.
CONSOLE, s. f. Support incrusté dans un parement et portant un membre d'architecture en encorbellement (voy. CORBEAU).
FIN DU TOME TROISIÈME.
Paris.--Imprimé chez Bonaventure et Ducessois, 55, quai des Grands-Augustins.
TABLE PROVISOIRE
DES MOTS CONTENUS DANS LE TOME TROISIÈME.
(SUITE).
FIN DE LA TABLE PROVISOIRE DU TOME TROISIÈME.