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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F)

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«El palès vint, l'épuiement

De sanc le truva tut sanglant.»

Les couvertures de ces rampes droites étaient ou en bois, comme à Canterbury et à Montargis, ou voûtées, comme, beaucoup plus tard, à la Chambre des comptes et à la Sainte-Chapelle de Paris. Ces deux derniers degrés montaient le long du bâtiment. Celui de la Chambre des comptes, élevée sous Louis XII, était un chef-d'oeuvre d'élégance; il aboutissait à une loge A s'ouvrant sur les appartements (fig. 3, voy. le plan).

Cette loge et le porche B étaient voûtés; la rampe était couverte par un lambris. Sur la face du porche, on voyait, en bas-relief, un écu couronné aux armes de France, ayant pour supports deux cerfs ailés, la couronne passée au cou et le tabar du héraut d'armes de France déployé au dos. Sous l'écu, un porc-épic surmonté d'une couronne, avec cette légende au bas:

«Regia Francorum probitas Ludovicus, honesti

Cultor, et æthereæ religionis apex.»

Le tout sur un semis de fleurs de lis et de dauphins couronnés. Le semis de fleurs de lis était sculpté aussi sur les tympans des arcs et sur les pilastres. La balustrade pleine présentait, en bas-relief, des L passant à travers des couronnes, puis des dauphins 410.

Pour monter sur les chemins de ronde des fortifications, on établissait, dès le XIIe siècle, de longues rampes droites le long des courtilles, avec parapet au sommet. Les marches reposaient alors sur des arcs et se profilaient toujours à l'extérieur, ce qui permettait de donner plus de largeur à l'emmarchement et produisait un fort bon effet, en indiquant bien clairement la destination de ces rampes, fort longues, si les chemins de ronde dominaient de beaucoup le sol intérieur de la ville.

À Aigues-Mortes, à Avignon, à Villeneuve-lès-Avignon, à Jérusalem, à Beaucaire, à Carcassonne, on voit encore quantité de ces escaliers extérieurs découverts qui ont un aspect très-monumental (4) 411. Mais il arrivait souvent que, faute de place, ou pour éviter la construction de ces arcs, ou lorsqu'il fallait monter, le long d'un rempart très-élevé, au sommet d'une tour carrée, on posait les marches des escaliers découverts en encorbellement. Afin de donner à ces marches une saillie suffisante pour permettre à deux personnes de se croiser et une parfaite solidité, les architectes obtenaient la saillie voulue par un procédé de construction fort ingénieux.

Chaque marche était taillée ainsi que l'indique le tracé A (5), la partie B étant destinée à être engagée dans la muraille. Posant ces marches, ainsi combinées, les unes sur les autres, de manière à ce que le point C vînt tomber sur le point D, elles étaient toujours portées par une suite de retraites présentant un encorbellement des plus solides, ainsi que le font voir le tracé perspectif G, l'élévation H et le profil K. On voit encore un de ces escaliers, parfaitement exécuté, à l'intérieur de la tour dite d'Orange, à Carpentras (commencement du XIVe siècle). Ordinairement, il faut, pour qu'un escalier soit facilement praticable, que chaque marche ait en largeur la longueur d'un pied d'homme, soit 0,28 c. à 0,30 c., et en hauteur de 0,15 c. à 0,20 c. au plus, ce qui donne une inclinaison de 22 degrés ou environ. Mais, parfois, la place manque pour obtenir une pente aussi douce, et on est obligé, surtout dans les ouvrages de fortifications, de monter suivant un angle de 45 degrés, ce qui donne des marches aussi larges que hautes et ce qui rend l'ascension dangereuse ou fort pénible. En pareil cas, les constructeurs, observant avec raison que l'on ne met jamais qu'un pied à la fois sur chaque marche, soit pour monter, soit pour descendre, et que par conséquent il est inutile qu'une marche ait la largeur nécessaire à la pose du pied dans toute sa longueur, ces constructeurs, disons-nous, ont disposé leurs marches en coins, ainsi que l'indique la fig. 6, de manière à ce que deux marches eussent ensemble 0,30 c. de hauteur et chacune 0,30 c. d'emmarchement par un bout, ce qui permettait d'inscrire la rampe dans un angle de 45 degrés.

Seulement il fallait toujours poser le pied gauche sur la marche A, le pied droit sur la marche B en descendant, ou le contraire en montant. Le tracé perspectif C fait comprendre le système de ces degrés 412. On le reconnaîtra, ce n'est jamais la subtilité qui fait défaut à nos architectes du moyen âge. Mais ces derniers exemples ne fournissent que des escaliers de service.



Escaliers intérieurs.--C'est-à-dire, desservant plusieurs étages d'un bâtiment, posés dans des cages comprises dans les constructions ou accolées à ces constructions. Les escaliers à vis, comme nous l'avons dit précédemment, furent employés par les Romains; les architectes du moyen âge adoptèrent ce système de préférence à tout autre, variant les dimensions des escaliers à noyau en raison des services auxquels ils devaient satisfaire. Ces sortes d'escaliers présentaient plusieurs avantages qu'il est important de signaler: 1º ils pouvaient être englobés dans les constructions ou n'y tenir que par un faible segment; 2º ils prenaient peu de place; 3º ils permettaient d'ouvrir des portes sur tous les points de leur circonférence et à toutes hauteurs; 4º ils s'éclairaient aisément; 5º ils étaient d'une construction simple et facile à exécuter; 6º ils devenaient doux ou rapides à volonté; 7º pour les châteaux, les tours, ils étaient barricadés en un moment; 8º ils montaient de fond jusqu'à des hauteurs considérables sans nuire à la solidité des constructions voisines; 9º ils étaient facilement réparables.

Les plus anciens escaliers à vis du moyen âge se composent d'un noyau en pierre de taille, d'une construction en tour ronde, d'un berceau en spirale bâti en moellon, reposant sur le noyau et sur le parement circulaire intérieur. Cette voûte porte des marches en pierre dont les arêtes sont posées suivant les rayons d'un cercle.

La fig. 7 représente en plan et en coupe, suivant la ligne AB du plan, un de ces escaliers si fréquents dans les édifices des XIe et XIIe siècles. La porte extérieure de l'escalier étant en D, la première marche est en C. Ces marches sont posées sur un massif jusqu'au parement G; à partir de ce point commence la voûte spirale que l'on voit figurée en coupe. Les tambours du noyau portent un petit épaulement H pour recevoir les sommiers du berceau qui, de l'autre part, sont entaillés dans le mur circulaire I. Les marches sont posées sur l'extrados du berceau rampant et se composent de pierres d'un ou de plusieurs morceaux chacune. Généralement ces voûtes rampantes sont assez grossièrement faites en petits moellons maçonnés sur couchis. Les voûtes des escaliers du choeur de l'église abbatiale d'Eu, qui datent du XIIe siècle, sont cependant exécutées avec une grande précision; mais les Normands étaient dès lors de très-soigneux appareilleurs.

Voici, fig. 8, comme sont taillés les tambours du noyau qui reçoivent les sommiers du berceau rampant; il arrive aussi que les portées de la voûte sont fréquemment entaillées dans le noyau cylindrique, ce qui affaiblit beaucoup celui-ci. Ces sortes d'escaliers ne dépassent guère 1m,00 c. d'emmarchement, et souvent sont-ils moins larges, les cages cylindriques n'ayant que six pieds, ou 1m,90 c. environ, dont déduisant le noyau, qui dans ces sortes d'escaliers a au moins un pied de diamètre, reste pour les marches 0,80 c. au plus. On reconnut bientôt que les voûtes rampantes pouvaient être supprimées; lorsqu'au commencement du XIIIe siècle on exploita les pierres en plus grands morceaux qu'on ne l'avait fait jusqu'alors, on trouva plus simple de faire porter à chaque marche un morceau du noyau, de les faire mordre quelque peu l'une sur l'autre, et de leur ménager une portée entaillée de quelques centimètres le long du parement cylindrique de la cage. Ce procédé évitait les cintres, les couchis, une main-d'oeuvre assez longue sur le tas; il avait encore l'avantage de relier le noyau avec la cage par toutes ces marches qui formaient autant d'étrésillons. Ces marches pouvant être taillées à l'avance, sur un même tracé, un escalier était posé très-rapidement. Or, il ne faut pas perdre de vue que parmi tant d'innovations introduites dans l'art de bâtir par les architectes laïques de la fin du XIIe siècle, la nécessité d'arriver promptement à un résultât, de bâtir vite en un mot, était un des besoins les plus manifestes.

La fig. 9 donne le plan et la coupe 413 d'un de ces escaliers. La porte extérieure est en A, la première marche en B. Les recouvrements sont indiqués par lignes ponctuées, et le détail C présente une des marches en perspective, avec le recouvrement ponctué de la marche suivante.

Quelquefois, pour faciliter l'échappement, les marches sont chanfreinées par-dessous ainsi qu'on le voit en D. Les dimensions de ces escaliers varient; il en est dont les emmarchements n'ont que 0,50 c.; les plus grands n'ont pas plus de 2m,00, ce qui exigeait des pierres très-longues; aussi, pour faire les marches du grand escalier du Louvre, Charles V avait-il été obligé d'acheter d'anciennes tombes à l'église des Saints-Innocents 414, probablement parce que les carrières de liais de Paris n'avaient pu fournir à la fois un nombre de morceaux de la dimension voulue; en effet cet escalier était très-large; nous y reviendrons. Dans l'intérieur des châteaux les escaliers à vis étaient singulièrement multipliés; en dehors de ceux qui montaient de fond, et qui desservaient tous les étages, il y en avait qui établissaient, dans l'épaisseur des murs, une communication entre deux étages seulement, et qui n'étaient fréquentés que par les personnes qui occupaient ces appartements superposés. À propos de la domination que la reine Blanche de Castille avait conservée sur l'esprit de son fils, Joinville raconte: «Que la royne Blanche ne vouloit soufrir à son pooir que son filz feust en la compaingnie sa femme, ne mez que le soir quand il aloit coucher avec li (elle). Les hostiex (logis) là où il plesoit miex à demourer, c'estoit à Pontoise, entre le roy et la royne, pour ce que la chambre le roy estoit desus et la chambre (de la reine) estoit desous. Et avoient ainsi acordé leur besoigne, que il tenoient leur parlement en une viz qui descendoit de l'une chambre en l'autre; et avoient leur besoignes si attirées (convenues d'avance), que quant les huissiers veoient venir la royne en la chambre du roy son filz, il batoient les huis de leur verges, et le roy s'en venoit courant en sa chambre, pour ce que (dans la crainte que) sa mère ne l'i trouvast; et ainsi refesoient les huissiers de la chambre de la royne Marguerite quant la royne Blanche y venoit, pour ce qu'elle (afin qu'elle) y trouvast la royne Marguerite. Une fois estoit le roy de côté la royne sa femme, et estoit (elle) en trop grant péril de mort, pour ce qu'elle estoit bleciée d'un enfant qu'elle avoit eu. Là vint la royne Blanche, et prist son filz par la main et li dist:--Venés-vous-en, vous ne faites riens ci 415

Ces escaliers, mettant en communication deux pièces superposées, n'étaient pas pris toujours aux dépens de l'épaisseur des murs; ils étaient visibles en partie, posés dans un angle ou le long des parois de la chambre inférieure, et ajourés sur cette pièce. À ce propos, il est important de se pénétrer des principes qui ont dirigé les architectes du moyen àge dans la construction des escaliers. Ces architectes n'ont jamais vu dans un escalier autre chose qu'un appendice indispensable à tout édifice composé de plusieurs étages, appendice devant être placé de la manière la plus commode pour les services, comme on place une échelle le long d'un bâtiment en construction, là où le besoin s'en fait sentir. L'idée de faire d'un escalier une façon de décoration théâtrale dans l'intérieur d'un palais, de placer cette décoration d'une manière symétrique pour n'arriver souvent qu'à des services secondaires, de prendre une place énorme pour développer des rampes doubles, cette idée n'était jamais entrée dans l'esprit d'un architecte de l'antiquité ou du moyen âge. Un escalier n'était qu'un moyen d'arriver aux étages supérieurs d'une habitation. D'ailleurs les grandes salles des châteaux étaient toujours disposées presque à rez-de-chaussée, c'est-à-dire au-dessus d'un étage bas, le plus souvent voûté, sorte de cave ou de cellier servant de magasins. On arrivait au sol des grandes salles par de larges perrons, comme à celles des palais de Paris et de Poitiers, ou par des rampes extérieures comme à celle du château de Montargis (voy. fig. 2). Les escaliers proprement dits n'étaient donc destinés généralement qu'à desservir les appartements privés. Toute grande réunion, fête, cérémonie ou banquet, se tenait dans la grande salle; il n'y avait pas utilité à établir pour les étages fréquentés par les familiers de larges degrés; l'important était de disposer ces degrés à proximité des pièces auxquelles ils devaient donner accès. C'est ce qui explique la multiplicité et l'exiguïté des escaliers de châteaux jusqu'au XVe siècle. Cependant nous venons de dire qu'au Louvre, Charles V avait déjà fait construire un grand escalier à vis pour monter aux étages supérieurs du palais; mais c'était là une exception; aussi cet escalier passait-il pour une oeuvre à nulle autre pareille. Sauval 416 nous a laissé une description assez étendue de cet escalier, elle mérite que nous la donnions en entier.

«Le grand escalier, ou plutôt la grande vis du Louvre (puisqu'en ce temps-là le nom d'escalier n'était pas connu), cette grande vis, dis-je, fut faite du règne de Charles V, et conduite par Raimond du Temple, maçon ordinaire du roi 417. Or, il faut savoir que les architectes des siècles passés ne faisoient point leurs escaliers ni droits, ni quarrés, ni à deux, ni à trois, ni à quatre banchées, comme n'ayant point encore été inventés 418, mais les tournoient toujours en rond, et proportionnoient du mieux qu'il leur étoit possible leur grandeur et leur petitesse à la petitesse et à la grandeur des maisons 419. La grande vis de ce palais étoit toute de pierre de taille ainsi que le reste du bâtiment, et de même que les autres de ce temps-là: elle étoit terminée d'une autre (vis) fort petite, toute de pierre encore et de pareille figure, qui conduisoit à une terrasse, dont on l'avoit couronnée (dont on avait couronné la grande vis); chaque marche de la petite (vis) portoit trois pieds de long et un et demi de large; et pour celles de la grande, elles avoient sept pieds de longueur sur un demi d'épaisseur, avec deux et demi de giron près de la coquille qui l'environnoit.»

«On voit, dans les registres de la Chambre des comptes, qu'elles portoient ensemble dix toises un demi-pied de hauteur 420, que la grande (vis) consistoit en quatre-vingt-trois marches 421, et la petite en quarante et une 422; elles furent faites à l'ordinaire de la pierre qu'on tira des carrières d'autour de Paris. Et comme si pour les faire, ces carrières eussent été épuisées, pour l'achever on fut obligé d'avoir recours au cimetière Saint-Innocent, et troubler le repos des morts: de sorte qu'en 1365, Raimond du Temple, conducteur de l'ouvrage, enleva vingt tombes le 27 septembre, qu'il acheta quatorze sols parisis la pièce de Thibault de la Nasse, marguillier de l'église, et enfin les fit tailler par Pierre Anguerrand et Jean Colombel pour servir de pallier.»

«Nous l'avons vu ruiner (cet escalier), en 1600, quand Louis XIII fit reprendre l'édifice du Louvre, sous la conduite d'Antoine Lemercier. Pour le rendre plus visible et plus aisé à trouver, maître Raimond le jeta entièrement hors-d'oeuvre en dedans la cour 423, contre le corps de logis qui regardoit sur le jardin 424; et pour le rendre plus superbe (l'escalier), il l'enrichit par dehors de basses-tailles, et de dix grandes figures de pierre couvertes chacune d'un dais, posées dans une niche, portées sur un piédestal: au premier étage, de côté et d'autre de la porte, étoient deux statues de deux sergens-d'armes, que fit Jean de Saint-Romain 425, et autour de la cage furent répandues par dehors, sans ordre ni symétrie, de haut en bas de la coquille, les figures du roi, de la reine et de leurs enfans mâles 426; Jean du Liége travailla à celles du roi et de la reine; Jean de Launay et Jean de Saint-Romain partagèrent entre eux les statues du duc d'Orléans et du duc d'Anjou; Jacques de Chartres et Gui de Dampmartin, celles des ducs de Berri et de Bourgogne; et ces sculpteurs, pour chaque figure, eurent vingt francs d'or, ou seize livres parisis. Enfin, cette vis étoit terminée des figures de la Vierge et de saint Jean de la façon de Jean de Saint-Romain; et le fronton de la dernière croisée 427 étoit lambrequiné des armes de France, de fleurs de lis sans nombre 428, qui avoient pour support deux anges, et pour cimier un heaume couronné, soutenu aussi par deux anges, et couvert d'un timbre chargé de fleurs de lis par dedans. Un sergent-d'armes haut de trois pieds, et sculpté par Saint-Romain, gardoit chaque porte des appartemens du roi et de la reine qui tenoient à cet escalier; la voûte qui le terminoit étoit garnie de douze branches d'orgues (nervures), et armée dans le chef (à la clef) des armes de Leurs Majestés, et dans les panneaux (remplissages entre les nervures) de celles de leurs enfans 429 et fut travaillée (la sculpture de cette voûte), tant par le même Saint-Romain que par Dampmartin, à raison de trente-deux livres parisis, ou quarante francs d'or.»

Il faut ajouter à cette description que cet escalier communiquait avec la grosse tour du Louvre au moyen d'une galerie qui devait avoir été bâtie de même sous Charles V, car du temps de Philippe-Auguste, le donjon était entièrement isolé. Essayons donc de reconstituer cette partie si intéressante du vieux Louvre, à l'aide de ces renseignements précis et des monuments analogues qui nous restent encore dans des châteaux des XVe et XVIe siècles. La grande vis du Louvre était entièrement détachée du corps de logis du nord, et ne s'y reliait que par une sorte de palier; cela ressort du texte de Sauval; de l'autre côté l'escalier était en communication avec le donjon par une galerie. Cette galerie devait nécessairement former portique à jour, à rez-de-chaussée, pour ne pas intercepter la communication d'un côté de la cour à l'autre. Ménageant donc les espaces nécessaires à l'amorce du portique et de l'entrée dans le corps de logis du nord, tenant compte de la longueur des marches et de leur giron, observant qu'à l'extérieur l'architecte avait pu placer dix grandes statues à rez-de-chaussée dans des niches surmontées de dais, que, par conséquent, ces figures ne pouvaient être posées que sur des faces de contre-forts, tenant compte des douze branches d'arcs de voûtes mentionnées par Sauval, de la longueur et du giron des marches de la petite vis, nous sommes amené à tracer le plan du rez-de-chaussée, fig. 10.

En A est la jonction de l'escalier avec le corps de logis du nord B. En C est le portique portant la galerie de réunion de l'escalier avec le donjon. La première marche est en D. Jusqu'au palier E, tenant compte du giron des marches, on trouve seize degrés. Seize autres degrés conduisaient au second palier posé au-dessus de la voûte F. Seize degrés arrivaient au troisième palier au-dessus de celui E. De ce troisième palier on montait d'une volée jusqu'au quatrième palier, toujours au-dessus de celui E, par trente-cinq marches, total, quatre-vingt-trois. Le noyau central, assez large pour porter le petit escalier supérieur, devait être évidé pour permettre, à rez-de-chaussée, de passer directement du portique C au logis B. Au-dessus ce noyau vide pouvait être destiné, ainsi que cela se pratiquait souvent, à recevoir des lampes pour éclairer les degrés pendant la nuit. La première rampe était probablement posée sur massif ou sur voûtes basses; la seconde reposait sur des voûtes G qui permettaient de circuler sous cette rampe. Notre plan nous donne en H dix contre-forts pouvant recevoir les dix grandes statues.

Une coupe, fig. 11, faite sur la ligne CB, explique les révolutions des rampes et les divers paliers de plain-pied avec les étages du logis B. Elle nous indique la structure du noyau ajouré, et, en K, le niveau du dernier palier de la grande vis, à partir duquel commence à monter la petite vis portant quarante et une marches jusqu'au niveau de la terrasse supérieure. Cette petite vis prenait ses jours dans la cage de la grande au moyen d'arcatures ressautantes. Nous ne prétendons pas, cela va sans dire, présenter ces figurés comme un relevé scrupuleux de ce monument détruit depuis le XVIIe siècle, et dont il ne reste aucun dessin; nous essayons ici de résumer dans une étude les diverses combinaisons employées par les architectes des XIVe et XVe siècles, lorsqu'ils voulaient donner à leurs escaliers un aspect tout à fait monumental. On comprend très-bien comment Raymond du Temple s'était procuré difficilement un nombre aussi considérable de marches et de paliers de grandes dimensions, devant offrir une parfaite résistance, puisque, suivant la méthode alors adoptée, ces marches, sauf celles des deux premières révolutions, ne portaient que par leurs extrémités. Quant aux paliers, qu'il eût été impossible de faire d'un seul morceau, nous les avons supposés portés, soit par des voûtes, soit par des arcs ajourés, ainsi que l'indique la vue perspective (12) prise au-dessous du palier supérieur.

Les architectes, devenus très-habiles traceurs-géomètres dès la fin du XIIIe siècle, trouvaient dans la composition des escaliers un sujet propre à développer leur savoir, à exciter leur imagination. Leur système de construction, leur style d'architecture se prêtait merveilleusement à l'emploi de combinaisons compliquées, savantes, et empreintes d'une grande liberté; aussi (bien que les monuments existants soient malheureusement fort rares) les descriptions de châteaux et de monastères font-elles mention d'escaliers remarquables.

Souvent, par exemple, ces grandes vis de palais étaient à double révolution, de sorte que l'on pouvait descendre par l'une et remonter par l'autre sans se rencontrer et même sans se voir. D'autres fois, deux vis s'élevaient l'une dans l'autre; l'une dans une cage intérieure, l'autre dans une cage extérieure; combinaison dont on peut se faire une idée, en supposant que la petite vis figurée dans la coupe, figure 11, descend jusqu'au rez-de-chaussée. La vis intérieure devenait escalier de service, et le degré circonvolutant, escalier d'honneur. Indépendamment des avantages que l'on pouvait tirer de ces combinaisons, il est certain que les architectes, aussi bien que leurs clients, se plaisaient à ces raffinements de bâtisses; dans ces châteaux où les journées paraissaient fort longues, ces bizarreries, ces surprises, étaient autant de distractions à la vie monotone des châtelains et de leurs hôtes.

On voyait aux Bernardins de Paris, dit Sauval 430, «une vis tournante à double colonne (noyau) où l'on entre par deux portes, et où l'on monte par deux endroits, sans que de l'un on puisse être vu dans l'autre; cette vis a dix pieds de profondeur (3m,25), et chaque marche porte de hauteur huit à neuf pouces (0m,23). Les marches sont délardées, et ne sont point revêtues d'autres pierres. C'est le degré de la manière la plus simple, et la plus rare de Paris; toutes les marches sont par dessous délardées. Sa beauté et sa simplicité consistent dans les girons de l'un et de l'autre, portant un pied ou environ, qui sont entrelassés, enclavés, emboîtés, enchaînés, enchâssés, entretaillés l'un dans l'autre, et s'entremordant d'une façon aussi ferme que gentille. Les marches de l'autre bout sont appuyées sur la muraille de la tour qui l'environne; ces deux escaliers sont égaux l'un à l'autre en toutes leurs parties; la façon du noyau est semblable de haut en bas, et les marches pareilles en longueur, en largeur et en hauteur. L'église et le degré furent commencés par le pape Benoît XII du nom, de l'ordre de saint Bernard, continué par un cardinal du même ordre nommé Guillaume. Ces degrés n'ont que deux croisées, l'une qui les éclaire tous deux par en haut, l'autre par en bas 431.» En cherchant à expliquer par une figure la description de Sauval, on trouverait le plan (13).

En A et B sont les deux entrées, en C et D les deux premières marches; le nombre de marches à monter de C en E, vu la hauteur de ces marches, permet de dégager sous le giron E pour prendre la seconde rampe D; les degrés continuent ainsi à monter en passant l'un au-dessus de l'autre. Il est clair que deux personnes montant par C et par D ne pouvaient ni se voir ni se rencontrer. Sauval décrit encore de très-jolis escaliers qui se trouvaient à Saint-Méderic de Paris et qui dataient de la fin du XVe siècle. Voici ce qu'il en dit 432:

«Il existait deux vis de Saint-Gille dans les deux tourelles qui sont aux deux côtés de la croisée hors-d'oeuvre. L'une est à pans et l'autre ronde. Toutes deux ont été dessinées par un architecte très-savant et fort entendu à la coupe des pierres. La ronde est couverte d'une voûte en cul-de-four ou coquille, si bien et si doucement conduite, qu'il est difficile d'en trouver une dont les traits fort doux et hardis soient ni mieux conduits ni mieux exécutés. Sa beauté consiste particulièrement en six portes qui se rencontrent toutes ensemble en un même endroit et sur un même palier aussi bien que les traits de tous leurs jambages, et cela sans confusion, chose surprenante et admirable. La colonne de cette vis ronde est en quelques endroits torse ou ondée, et quoique les traits partent des deux arêtes où l'onde est renfermée, ils sont toutefois si bien conduits que la voûte en est toujours et partout de semblable ordonnance.

«L'autre vis à pans est tantôt pentagone et tantôt hexagone. Son noyau est des plus grêles et ses arêtes des plus pointues, et est de haut en bas conduit avec la même délicatesse et la même excellence de l'autre. La merveille de ces deux vis consiste en leur petitesse et en la tendresse des murailles qui les soutiennent, ne portant pas neuf pouces d'épaisseur (0m,23).»

Nous n'en finirions pas si nous voulions citer tous les textes qui s'occupent des escaliers du moyen âge et particulièrement de ceux du commencement de la Renaissance, car à cette époque c'était à qui, dans les résidences seigneuriales, les hôtels et les couvents mêmes, élèverait les plus belles vis et les plus surprenantes. Dans la description de l'abbaye de Thélème, Rabelais ne pouvait manquer d'indiquer une vis magistrale «cent fois plus magnifique» que n'est celle de Chambord. «Au milieu (des bâtiments, dit-il) 433 estoit une merveilleuse viz, de laquelle l'entrée estoit par les dehors du logis en un arceau large de six toises. Icelle estoit faite en telle symétrie et capacité, que six hommes d'armes, la lance sur la cuisse, pouvoient de front monter jusques au-dessus de tous le bastiment 434

Nous avons vu comment Raymond du Temple avait disposé le grand escalier du Louvre en dehors des bâtiments afin de n'être point gêné dans la disposition des entrées, des passages de rampes et des paliers. Cette méthode, excellente d'ailleurs, persiste longtemps dans la construction des habitations seigneuriales; nous la voyons adoptée dans le château de Gaillon (14).

Ici l'escalier principal était posé à l'angle rentrant formé par deux portiques E F. On pouvait prendre la vis en entrant par deux arcs extérieurs A A et par deux arcs B B donnant sous le portique, la première marche étant en D. Cette disposition permettait, aux étages supérieurs, d'entrer dans les galeries par une ouverture percée dans l'angle en G 435. Un pareil escalier ne pouvait en rien gêner les distributions intérieures. À Blois nous retrouvons un escalier indépendant des corps de logis et placé au milieu d'une des ailes au lieu d'être élevé dans un angle. Dans la construction du palais des Tuileries, Philibert Delorme avait encore conservé cette tradition de la grande vis du moyen âge, et son escalier placé dans le pavillon dit de l'Horloge aujourd'hui passait, comme celui de Chambord, pour une merveille d'architecture. D'ailleurs, les vis de Gaillon, de Blois, de Chambord et des Tuileries étaient terminées par des lanternes qui, comme celle du grand escalier du Louvre, couronnaient le faîte et donnaient entrée sur une terrasse 436. Quelquefois aussi ces vis étaient intercalées dans les constructions, mais de telle façon qu'elles conservaient leurs montées indépendantes. On retrouve cette disposition adoptée dans des châteaux du XVe siècle et du commencement du XVIe. Alors la vis, au lieu d'être en dehors du portique comme à Gaillon, laissait le portique passer devant elle.

La figure 15 présente en plan un escalier établi d'après cette donnée. Un portique A B est planté à rez-de-chaussée devant les pièces d'habitation. La cage d'escalier est en retraite et carrée, son entrée est en E, la première marche en C. Dans les angles du carré des trompes arrivent à une corniche spirale et soutiennent les marches d'angles, qui sont plus longues que les autres. De cette manière les gens qui montent ou descendent profitent entièrement de la cage carrée, et, cependant, les marches délardées par dessous sont toutes de la même longueur, comme si elles gironnaient dans un cylindre.

La coupe de cet escalier, faite sur la ligne A B, figure 16, indique clairement la disposition des rampes, de leurs balustrades, des arrivées sur le sol du portique à l'entre-sol en G, et au premier en H. Il existe une disposition d'escalier absolument semblable à celle-ci dans le château de Châteaudun 437. Mais dans la vis de Châteaudun les trompes d'angle arrivent du carré à l'octogone, et des culs-de-lampes posés aux angles de l'octogone portent la corniche spirale, dont la projection horizontale étant un cercle parfait soutient les bouts des marches.

Une vue prise à la hauteur de la première révolution de l'escalier de Châteaudun, figure 17, là où cette révolution coupe le portique du rez-de-chaussée dans sa hauteur, fait saisir l'arrangement des trompes, des culs-de-lampes, de la corniche en spirale et des marches délardées en dessous. Cet arrangement est d'ailleurs représenté en projection horizontale dans le plan (18).

Les trompes de la vis de Châteaudun sont appareillées; ce sont des plates-bandes légèrement inclinées vers l'angle; cet escalier était d'un assez grand diamètre pour exiger cet appareil. Dans des vis d'un moins grand développement, les angles, qui du carré arrivent à un octogone, n'ont pas autant d'importance; ces angles forment seulement un pan abattu de façon à donner en projection horizontale un octogone à quatre grands côtés et à quatre plus petits. Alors ces trompes, ou ces goussets plutôt, sont appareillés d'une seule pierre. L'escalier de l'hôtel de la Trémoille à Paris 438 donnait en plan un carré avec un grand pan abattu; les trois angles droits restant à l'intérieur étaient, sous les marches, garnis de trompillons pris dans une seule pierre sculptée. Nous donnons, figure 19, l'un de ces trompillons. C'était dans ces angles que l'on plaçait les flambeaux destinés à éclairer les degrés. Ces flambeaux étaient, soit portés sur de petits culs-de-lampes, quelquefois dans de petites niches, soit scellés dans la muraille en manière de bras.

Les textes que nous avons cités précédemment indiquent assez combien, dans les habitations seigneuriales, on tenait à donner (au moins à dater du XIVe siècle) une apparence de luxe aux grands escaliers. Les architectes déployaient les ressources de leur imagination dans les voûtes qui les terminaient et dans la composition des noyaux. Il existe encore à Paris, dans la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, une grosse tour qui dépendait autrefois de l'hôtel que les ducs de Bourgogne possédaient rue Pavée-Saint-Sauveur. Cette tour, bâtie sur plan quadrangulaire, couronnée de mâchicoulis, contient une belle vis fermée à son sommet par une voûte retombant sur le noyau; les nervures de cette voûte en arcs d'ogive figurent des troncs de chêne d'où partent des branches feuillues se répandant sous les voussures 439. Les noyaux des escaliers à vis primitifs, ou portaient une voûte spirale (figure 7), ou faisaient partie des marches elles-mêmes (figure 9). Lorsque l'on donna un grand diamètre à ces escaliers, il ne fut plus possible de prendre le noyau dans la marche; on élargit ces noyaux pour éviter l'aiguité des marches se rapprochant du centre, et celles-ci furent encastrées dans ce noyau bâti par assises, ou bien encore on composa les noyaux de grandes pierres en délit comme on le fait pour les poteaux des vis en charpente. Ce fut alors que l'on enrichit ces noyaux de sculptures délicates, qu'on les mit à jour quelquefois, et que les appareilleurs eurent l'occasion de faire preuve de science. Ces noyaux portèrent des mains-courantes prises dans la masse et des saillies en forme de bandeau spirale, pour recevoir les petits bouts des marches.

Le noyau de l'escalier de Châteaudun, donné fig. 17, est couvert d'ornements très-délicats; il est monté en assises hautes; nous en donnons, fig. 20, un morceau. En A est la main-courante, et en B le bandeau recevant les marches dont l'incrustement est indiqué dans notre dessin. Le noyau de la vis de l'hôtel de la Trémoille était fait de trois morceaux de pierre du haut en bas, posés en délit, couverts de sculptures, et recevant de même, dans des encastrements, les houts des degrés 440. Les morceaux superposés de cet arbre de pierre étaient reliés entre eux au moyen de forts goujons de pierre dure. Inutile de dire que la taille de pareils noyaux, faite avant la pose, devait exiger une adresse et une connaissance du trait fort remarquables.

Parfois, dès le XIVe siècle, lorsqu'on n'avait qu'un très-petit espace pour développer les escaliers à vis intérieurs, on supprimait entièrement le noyau afin de laisser du dégagement pour ceux qui montaient ou descendaient. Les marches étaient alors simplement superposées en spirale, et portaient chacune un boudin à leur extrémité, près du centre, pour offrir une main-courante; à la place du noyau était un vide. Voici (21), en A la moitié du plan d'une vis de ce genre, en B sa coupe sur la ligne CD, et en G une de ses marches en perspective, avec l'indication au pointillé des surfaces non vues et du lit inférieur. Il arrivait aussi que dans les intérieurs des appartements, et pour communiquer d'un étage à l'autre, on élevait des escaliers prenant jour sur les salles, des vis enfermées dans des cages en partie ou totalement à claire-voie. Il existe deux charmants escaliers de ce genre, qui datent du commencement du XIIIe siècle, dans les deux salles de premier étage des tours de Notre-Dame de Paris. Nous ne croyons pas nécessaire de les donner ici, car ils ont été gravés plusieurs fois déjà, et sont parfaitement connus.

On voit une de ces vis, enclose entre des colonnes, dans la cathédrale de Mayence, et qui date du milieu du XIIIe siècle; nous donnons (22) la moitié de son plan et une révolution entière 441. À partir du mur circulaire qui ne monte que jusqu'au niveau A, la construction consiste seulement en des marches portant noyau, et en des colonnettes, toutes d'égale hauteur, soutenant chacune l'extrémité extérieure d'une marche. Rien n'est plus simple et plus élégant que cette petite construction. On voit aussi des escaliers de ce genre à la partie supérieure des tours des cathédrales de Laon et de Reims. Ces vis s'élèvent au milieu des grands pinacles qui, du dernier étage de la façade, forment aux quatre angles des tours une décoration ajourée dans toute leur hauteur. Les vis des tours de Reims ont cela de particulier, que trois marches sont prises dans une seule assise (les matériaux avec lesquels ce monument fut élevé sont énormes), et que les bouts extérieurs de ces marches sont soulagés par des morceaux de pierres en délit. Chaque bloc est donc taillé conformément au tracé perspectif, fig. 23.

Des chandelles de pierre B viennet soulager les portées A, puis se poser au-dessus des extrémités des marches en C. Par le fait, c'est le noyau D qui porte toute la charge, et les pierres B ne sont qu'une suite d'étançons formant clôture à jour. Il arrive aussi que ces vis sont mi-partie engagées dans la muraille, mi-partie ajourées; c'était ainsi qu'étaient disposés la plupart des escaliers intérieurs qui mettaient en communication deux pièces superposées. L'escalier de la tribune de l'église Saint-Maclou de Rouen (XVIe siècle), celui du choeur de la cathédrale de Moulins (XVe siècle), fournissent de très-jolis exemples de ces sortes de vis prenant jour sur les intérieurs.

Nous avons vu comment les marches des vis forment naturellement plafond rampant par-dessous les degrés; comment ces marches sont délardées ou simplement chanfreinées, ou même laissées à angles vifs, donnant ainsi comme plafond la contre-partie du degré. Mais il arrivait que l'on était parfois obligé d'établir des rampes droites ou circulaires à travers des constructions massives, dans les châteaux, dans les tours. Les couvertures de ces rampes avaient alors un poids considérable à porter. Si ces rampes étaient larges (comme le sont en général les descentes de caves dans les châteaux), les architectes n'osaient pas fermer ces escaliers par des plafonds rampants, composés d'une suite de linteaux, dans la crainte des ruptures. Alors, que faisaient-ils?

Ils bandaient une suite d'arcs brisés A ou plein ceintres A' juxtaposés (24), mais suivant la déclivité des degrés, ainsi que l'indique la coupe B. Ces arcs avaient tous leur naissance sur le même nu; ils étaient tous taillés sur la même courbe. Si l'intrados de leurs sommiers venait mourir au nu du mur, l'extrados arrivait en C. Ces sommiers étaient donc également assis, et les appareilleurs ou poseurs évitaient les difficultés de coupe et de pose des voûtes rampantes, dont les sommiers sont longs à tracer, occasionnent des déchets de pierre considérables et nécessitent des soins particuliers à la pose. Si ces degrés, à travers des constructions, étaient étroits, si les architectes possédaient des pierres fortes, ils se contentaient de juxtaposer, suivant la déclivité des rampes, une série de linteaux soulagés par des corbeaux au droit des portées (voy., fig. 24, le tracé D et la coupe E). Ces constructions, fort simples, produisent un bon effet, ont un aspect solide et résistant; elles indiquent parfaitement leur destination et peuvent impunément être pratiquées sous des charges considérables. Les voûtes bandées par ressauts n'ont pas, sous des gros murs ou des massifs, l'inconvénient de faire glisser les constructions supérieures, comme cela peut arriver lorsque l'on établit sous ces charges des berceaux rampants. Quelquefois dans les rampes couvertes par des linteaux, au lieu de simples corbeaux posés sous chacun de ces linteaux, c'est un large profil continu qui ressaute d'équerre au droit des pierres formant couverture, ainsi que l'indique la fig. 25. D'une nécessité de construction ces architectes ont fait ici, comme partout, un motif de décoration.



ESCALIERS DE CHARPENTE ET DE MENUISERIE.--Des escaliers de bois antérieurs au XVIe siècle, il ne nous reste que très-peu de fragments. Les plus anciens sont peut-être les deux vis du sacraire de la Sainte-Chapelle de Paris 442; il est vrai que ce sont des chefs-d'oeuvre de menuiserie du XIIIe siècle. Cependant les architectes du moyen âge avaient poussé très-loin l'art de disposer les escaliers de bois dans des logis, et en ceci leur subtilité avait dû leur venir en aide, car de toutes les parties de la construction des édifices ou maisons particulières, l'escalier est celle qui demande le plus d'adresse et d'étude, surtout lorsque, comme il arrivait souvent dans les villes et même les habitations seigneuriales du moyen âge, on manquait de place. Ainsi qu'on peut le reconnaître en examinant les intérieurs des châteaux et des maisons, les architectes faisaient des escaliers de bois à un ou deux ou quatre noyaux, à double rampe; ils allaient jusqu'à faire des escaliers à vis en bois tournant sur un pivot, de manière à masquer d'un coup toutes les portes des appartements des étages supérieurs. Dans son Théâtre de l'art du Charpentier, Mathurin Jousse (1627) nous a conservé quelques-unes de ces méthodes encore usitées de son temps 443. «Personne n'ignore, dit cet auteur 444, qu'entre toutes les pièces de la charpente d'un logis, la montée ne cède en commodité et utilité à aucune autre; estant le passage, est comme l'instrument commun de l'usage et service que rendent les chambres, estages et tout l'édifice: et si elle est utile, elle n'est pas moins gentille, mais aussi difficile, tant pour le tracement, joinctures et assemblages, que pour la diversité qui se retrouve en icelles: car outre les ordinaires, qui se font communes à toutes les chambres d'un logis, il y en a qui (bien qu'elles soient communes) ont néantmoins telle propriété, que deux personnes de deux divers logis ou chambres peuvent monter par icelles sans s'entre-pouvoir voir: et par ainsi une seule fera fonction de deux, et sera commune sans l'estre. Il s'en fait encores d'autres façons, non moins gentilles que les précédentes: car estans basties sur un pivot, elles se tournent aisément, de sorte qu'en un demy-tour elles peuvent fermer toutes les chambres d'une maison, et forclorre le passage aux endroicts où auparavant elle le donnoit...»

Avant de présenter quelques exemples d'escaliers en charpente ou menuiserie, il est nécessaire d'indiquer d'abord quels sont les éléments dont se composent ces montées. Il y a les escaliers à limons droits avec poteaux, les escaliers à noyaux et les escaliers à vis sans noyaux et à limons spirales. Les marches, dans les escaliers en bois du moyen âge, sont toujours pleines, assemblées dans le limon à tenons et mortaises.

Soit (26) un limon droit présenté en face intérieure en A et en coupe en B; chaque marche portera un tenon C avec un épaulement D, et sera légèrement embrévée dans le limon en E. Ces marches seront délardées par-dessous et formeront plafond rampant. Le limon portera aussi les poteaux de balustrades G qui viendront s'assembler dans des mortaises pratiquées dans les renforts H. Les bouts des marches avec leur tenon sont figurés en K. Ces marches étant pleines sont prises, habituellement, dans des billes de bois ainsi que l'indique le tracé L. Trois sciages I divisent la bille en chêne de 0,50 c. de diamètre, ou environ en six triangles dans chacun desquels on trouve une marche, de façon à ce que le devant de chaque marche soit placé du côté du coeur du bois, le devant des marches étant la partie qui fatigue le plus. S'il reste quelques parties d'aubier ou des flaches, elles se trouvent ainsi dans la queue de la marche qui ne subit pas le frottement des pieds. Cette façon de prendre les marches en plein bois, le devant vers le coeur, a en outre l'avantage d'empêcher les bois de se gercer ou de se gauchir, les sciages étant précisément faits dans le sens des gerces. Ce débillardement des marches ne perd aucune des parties solides et résistantes du bois, les marches se trouvent toutes dans les mêmes conditions de dureté, et il reste en M de belles dosses que l'on peut utiliser ailleurs. On reconnaît que les constructeurs ont, soit pour les limons, soit pour les marches, choisi leurs bois avec grand soin afin d'éviter ces dislocations et ces gerces si funestes dans des ouvrages de ce genre. Quelquefois, mais rarement, les marches sont en noyer ou en châtaignier 445.

Ces premiers principes de construction posés, examinons d'abord un escalier à deux rampes et à paliers avec marches palières, limons droits et poteaux d'angle; c'est l'escalier de charpente le plus simple, celui qui se construit par les moyens les plus naturels. Voici, fig. 27, en A, le plan d'une montée établie d'après ce système; la première marche est en B, on arrive au premier palier C, on prend la seconde rampe dont la marche est en D, on monte jusqu'au palier E, qui est au niveau du premier étage, et ainsi de suite pour chaque étage. L'échelle du plan est de 0,01 c. pour mètre. Faisons une coupe longitudinale sur a b, et présentons la au double pour plus de clarté. Ses quatre poteaux d'angles montent de fond et se posent sur un parpaing de pierre. Le premier limon repose également sur cette assise et vient s'assembler dans le poteau F qui reçoit à mi-bois la marche palière G, soulagée encore par une poutrelle assemblée à tenons et mortaises, et reposant sur le renfort H. Passons à la troisième rampe qui est semblable en tout à la seconde, et qui est figurée dans la coupe. Le limon est soulagé dans sa partie par un gousset I et un lien K. Les grands liens sont surtout nécessaires pour empêcher le roulement et les poussées qui ne manquent pas de se produire dans un escalier de ce genre s'il dessert plusieurs étages; ils roidissent tout le système de charpente, surtout si, comme nous l'avons tracé, on établit un panneau à jour dans le triangle formé par le poteau, le limon et ce lien. Les montants des balustrades sont assemblés dans les limons, et leurs mains-courantes dans les poteaux.

Examinons maintenant comment se combinent les assemblages des limons dans les poteaux, les marches palières, les poutrelles de buttée des paliers, etc. Fig. 28: en A, nous avons tracé sur une même projection verticale les poteaux en regard, la marche palière, la marche d'arrivée et celle de départ (c'est le détail de la partie L de la fig. 27); en B est figuré le poteau; en C, la poutrelle de buttée avec son double tenon et son profil en C'; en D, le gousset du limon de départ; en EE', le limon d'arrivée; en FF', le limon de départ avec son tenon; en G, la dernière marche faisant marche palière; en H, la première marche de départ posant sur la marche palière avec son tenon I s'assemblant dans le poteau; en K, la partie de la marche palière vue en coupe entre les deux poteaux. Cette marche palière, assemblée à mi-bois dans le poteau et reposant en partie sur la poutrelle C, est fortement serrée dans son assemblage au moyen d'un boulon qui vient prendre le gousset D. Les poteaux ont 0,18 c. sur 0,20 posés de champ dans le sens de l'emmarchement. Le gousset D et les limons EE', FF' ne sont pas assemblés dans les milieux des poteaux; ces limons portent 0,15 c. d'épaisseur, et affleurent le nu extérieur des poteaux (voir le plan). Voyons les divers assemblages pratiqués dans le poteau, tracés dans le détail perspectif O. En N est le renfort destiné à recevoir la poutrelle de buttée C; en P, les deux mortaises et l'embrévement d'assemblage de cette poutrelle; en R, l'entaille dans laquelle se loge la marche palière avec le trou S du boulon; en T, le gousset. Le tracé perspectif Q nous montre la marche palière du côté de ses entailles entrant dans celles R des poteaux. La dernière marche d'arrivée est figurée en U; la première marche de départ en V avec son embrévement et son tenon X; on voit en Y le trou de passage du boulon. Ce système d'escaliers à rampes droites avec paliers persista jusqu'au XVIIe siècle; il était fort solide, ne pouvait se déformer comme la plupart de nos escaliers, dont les limons attachés seulement aux marches palières finissent toujours par fléchir. C'est de la véritable charpente dont tous les assemblages sont visibles, solides, et composent seuls la décoration. Rien ne s'opposait d'ailleurs à ce qu'on couvrît ces poteaux, ces limons, ces liens, ces balustrades, de sculptures et de peintures; aussi le faisait-on souvent.

On faisait en bois des escaliers à vis aussi bien qu'en pierre. Les plus anciens étaient construits de la même manière, c'est-à-dire que les marches étaient pleines, superposées, et portaient noyau. On en façonnait à doubles limons qui pouvaient posséder deux rampes, ainsi que nous l'avons dit plus haut, c'est-à-dire (29) qu'en entrant indifféremment par l'une des deux portes CC', on prenait l'une ou l'autre rampe dont la première marche est en A. C'était un moyen de donner entrée dans les pièces des étages supérieurs par des portes percées au-dessus de celles CC'. La personne qui sortait par la porte C ne pouvait rejoindre celle sortant par la porte C', les deux rampes gironnant l'une au-dessus de l'autre. Les deux noyaux étaient réunis par deux limons B se croisant. Ces escaliers, fort communs pendant le moyen âge et jusqu'au XVIIe siècle, étaient commodes, et on ne s'explique pas pourquoi on a cessé de les mettre en oeuvre. D'un bout les marches débillardées, pleines, s'assemblaient à tenon et mortaise dans les deux noyaux et dans les limons; de l'autre, elles étaient engagées dans la maçonnerie ou portaient sur un filet en charpente cloué le long d'un pan de bois.

Mais souvent les escaliers à vis en bois étaient complétement isolés, formaient une oeuvre indépendante de la bâtisse. Ces escaliers mettaient en communication deux étages, et on les plaçait dans l'angle d'une pièce pour communiquer seulement à celle au-dessus. C'était là plutôt une oeuvre de menuiserie que de charpenterie, traitée avec soin et souvent avec une grande richesse de moulures et de sculpture. Toutefois, les marches de ces escaliers de menuiserie restèrent pleines jusque pendant le XVe siècle, portaient noyaux, et étaient réunies au centre au moyen d'une tige de fer rond, d'un boulon, qui les empêchait de dévier.

Chaque marche (30), possédait son montant dans lequel elle venait s'assembler. Ces montants, d'un seul morceau pour chaque étage, étaient assemblés au pied dans un plateau en charpente, et au sommet dans un cercle également en charpente. Cela formait une cage cylindrique ou un prisme ayant autant de pans qu'il y avait de marches en projection horizontale. Nous donnons en A le plan d'un quart d'un escalier de ce genre portant douze marches sur sa circonférence. Les montants sont en B, et le noyau porté par chaque marche en C. Les espaces EF donnent le recouvrement des marches l'une sur l'autre, le devant de chaque marche étant en F, et le derrière en E. Si nous faisons une élévation de ce quart de circonférence de l'escalier, nous obtenons la projection verticale G. On voit en I le boulon qui enfile les assises de noyau tenant à chaque marche. Les abouts des marches paraissent en K, et reposent sur un gousset embrévé dans les montants. Le détail O donne la section horizontale d'un montant au dixième de l'exécution. En a est le tenon du derrière de la marche indiquée en a' sur le tracé perspectif M; en b est l'embrévement de la tête du gousset; son tenon est indiqué en b' sur le tracé perspectif N; le derrière de la marche étant en e, et le devant de la marche au-dessus en f. Chaque marche, reposant sur la queue de celle au-dessous qui porte le tenon a, n'a pas besoin d'un tenon sur le devant, d'autant que ces marches portent en plein sur le gousset J muni d'une languette P destinée à arrêter leurs abouts T. Une entaille R faite dans le poteau permet en outre à la marche de s'embréver dans ce montant. Le tracé perspectif M montre le devant de la marche élégi en S, l'about visible à l'extérieur en T, les deux entailles laissant passer les montants et s'y embrévant en Q, l'embrévement de la languette du gousset sous l'about et le débillardement postérieur en V, pratiqué pour dégager et allégir. C'est d'après ce principe que sont taillés les deux escaliers du sacraire de la Sainte-Chapelle du Palais (XIIIe siècle), et quelques escaliers de beffroi, notamment celui de la tour Saint-Romain à Rouen (XVe siècle). Deux des montants, coupés à deux mètres du sol, et reposant sur une traverse assemblée dans les poteaux voisins, permettaient d'entrer dans ces cages et de prendre la vis. Il est clair qu'on pouvait orner les montants de chapiteaux, de moulures, que les goussets pouvaient être fort riches et les abouts des marches profilés. Le boulon d'axe excepté, ces escaliers étaient brandis et maintenus assemblés sans le secours de ferrures; c'était oeuvre de menuiserie, sans emploi d'autres moyens que ceux propres à cet art si ingénieux lorsqu'il s'en tient aux méthodes et procédés qui lui conviennent.

Vers le commencement du XVe siècle, on cessa généralement, dans la structure des escaliers à vis en charpente ou menuiserie, de faire porter à chaque marche un morceau du noyau. Celui-ci fut monté d'une seule pièce, et les marches vinrent s'y assembler dans une suite de mortaises creusées les unes au-dessus des autres suivant la rampe. C'est ce qu'on faisait à la même époque pour les escaliers à vis en pierre, ainsi que nous l'avons dit plus haut. De même que l'on sculptait les noyaux en pierre, qu'on y taillait des mains courantes, qu'on y ménageait des renforts pour recevoir les petits bouts des marches, de même on façonnait les noyaux en charpente. Nous avons vu démolir dans l'ancien collége de Montaigu, à Paris, un joli escalier à vis en menuiserie, dont le noyau pris dans une longue pièce de bois de douze à quinze mètres de hauteur était fort habilement travaillé en façon de colonne à nervures torses avec portées sous les marches et main courante.

Nous donnons (31) la disposition de ces noyaux de charpente au droit de l'assemblage des marches. En A on distingue les mortaises de chacune de ces marches avec l'épaulement inférieur B pour soulager les portées; en C est la main courante prise dans la masse comme l'épaulement; son profil est tracé en D coupé perpendiculairement à son inclinaison; le profil de la corniche avec l'épaulement est tracé en E.

Avant de finir cet article, disons un mot de ces escaliers pivotants dont parle Mathurin Jousse, et qui devaient être employés dans des logis où l'on avait à craindre les surprises de nuit, dans les manoirs et les donjons. Ces escaliers s'établissaient dans une tour ronde, dans un cylindre de maçonnerie percé de portes à la hauteur des étages où l'on voulait arriver. L'escalier était indépendant de la maçonnerie, et se composait (32) d'un arbre ou noyau à pivot supportant tout le système de charpente. Le plan de cet escalier est figuré en A, et sa coupe en B. À chaque étage auquel il fallait donner accès était ménagé un palier C dans la maçonnerie. Nous supposons toutes les portes percées au-dessus de celle D du rez-de-chaussée. La première marche est en E; de E en F, les marches sont fixes et sont indépendantes du noyau en charpente monté sur un pivot inférieur en fer G, et maintenu au sommet de la vis dans un cercle pris aux dépens de deux pièces de bois horizontales. La première marche assemblée dans le noyau est celle H; elle est puissamment soulagée ainsi que les trois suivantes par des potences I. À partir de cette marche soulagée H, commence un limon spirale assemblé dans les abouts des marches, et portant une cloison en bois cylindrique percée de portes au droit des baies de maçonnerie D. Au-dessus de la troisième marche (partant de celle H) les autres marches jusqu'au sommet de la vis ne sont plus soulagées que par les petits liens K, moins longs que les potences I, afin de faciliter le dégagement. Ainsi toutes les marches, le limon et la cloison cylindrique portent sur l'arbre pivotant O. Lorsqu'on voulait fermer d'un coup toutes les portes des étages, il suffisait de faire faire un quart de cercle au cylindre en tournant le noyau sur son axe. Ces portes se trouvaient donc masquées; entre la marche F et celle H il restait un intervalle, et les personnes qui l'auraient franchi pour pénétrer dans les appartements, trouvant une muraille en face les ouvertures pratiquées dans le cylindre, ne pouvaient deviner la place des portes véritables correspondant à ces ouvertures lorsque l'escalier était remis à sa place. Un simple arrêt posé par les habitants sur l'un des paliers C empêchait de faire pivoter cette vis. C'était là un moyen sûr d'éviter les importuns. Nous avons quelquefois trouvé des cages cylindriques en maçonnerie dans des châteaux, avec des portes à chaque étage, sans aucune trace d'escalier de pierre ou de bois; il est probable que ces cages renfermaient des escaliers de ce genre, et nous pensons que cette invention est fort ancienne; il est certain qu'elle pourrait être utilisée lorsqu'il s'agit d'arriver sur plusieurs points de la circonférence d'un cercle à un même niveau. Nous avons l'occasion de parler des escaliers dans les articles CHÂTEAU, MAISON, MANOIR, PALAIS.

Note 407: (retour) Voy. Some account of Domest. Archit. in England, from the conquest to the end of the thirteenth century, by T. Hudson Turner. J. Parker, Oxford, 1851.
Note 408: (retour) Voy. Du Cerceau, Des plus excellens bastimens de Frane.
Note 409: (retour) Lai d'Ywenec; poésies de Marie de France, XIIIe siècle.
Note 410: (retour) Voy. Topog. de la France; Bib. imp.
Note 411: (retour) Des remparts de Carcassonne, fin du XIIIe siècle.
Note 412: (retour) On voit encore un escalier de ce genre sur les parties supérieures de l'église de Saint-Nazaire de Carcassonne, et à Notre-Dame de Paris dans les galeries du transsept.
Note 413: (retour) La coupe est faite suivant a b, en pourtournant le noyau pour faire voir le recouvrement des marches.
Note 415: (retour) Mémoires du sire de Joinville, pub. par Fr. Michel, p. 190. Paris, 1858.
Note 416: (retour) Hist. et Antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 23.
Note 417: (retour) Raymond du Temple était sergent d'armes et en même temps maître des oeuvres du roi Charles V.
Note 418: (retour) Sauval est ici dans l'erreur, ces sortes d'escaliers étaient inventés dès l'époque romaine; mais, il vrai dire, les architectes du moyen âge préféraient toujours l'escalier à vis, par les motifs déduits plus haut.
Note 419: (retour) Sauval rend en cela justice à nos vieux maîtres des oeuvres qui faisaient les escaliers proportionnés aux services auxquels ils devaient satisfaire.
Note 420: (retour) C'est-à-dire que la dernière marche de l'escalier était à 10 toises ½ pied du sol de la cour, soit à 20 mètres, et devait ainsi desservir deux étages au-dessus du rez-de-chaussée, plus la terrasse.
Note 421: (retour) À ½ pied chacune, cela fait 41 pieds ½ ou 13m,30 environ.
Note 422: (retour) À ½ pied chacune, cela fait 20 pieds ½, soit 6m,60 environ. Ces mesures de détail sont d'accord avec la mesure générale et produisent environ 20 mètres.
Note 423: (retour) C'était bien là en effet le but que se proposaient les architectes du moyen âge. De plus, en plaçant ainsi les grands escaliers hors-oeuvre, ils ne dérangeaient pas les distributions intérieures, prenaient autant de jours qu'ils voulaient et disposaient leurs paliers sans embarras.
Note 424: (retour) C'est-à-dire en dedans du corps de logis du nord. (Voy. CHÂTEAU, fig. 20, 21 et 22.)
Note 425: (retour) On voit que Raymond avait signé son oeuvre en plaçant ainsi deux sergents d'armes des deux côtés de la porte principale donnant au premier étage sur l'escalier.
Note 426: (retour) Sauval entend indiquer évidemment ici que ces dernières statues étaient posées suivant le giron de l'escalier. En effet, dans ces escaliers à vis, l'architecture suivait le mouvement des marches et les statues devaient ressauter à chaque pilier, pour cadrer avec l'architecture.
Note 427: (retour) Le gâble de la dernière croisée.
Note 428: (retour) Ce fut Charles V qui le premier ne chargea plus l'écu de France que de trois fleurs de lis; ce changement aux armes de France n'eut donc lieu que postérieurement à 1365.
Note 429: (retour) Il ne peut être ici question que de la voûte élevée au sommet de la petite vis.
Note 430: (retour) Hist. et Antiq. de la ville de Paris, l. IV, t. I, p. 435.
Note 431: (retour) Ce fut en 1336 que le pape Benoît XII commença l'église des Bernardins de Paris.
Note 432: (retour) Hist. et Antiq. de la ville de Paris, l. IV, t. I. p. 438.
Note 433: (retour) L, I, ch. LIII.
Note 434: (retour) Évidemment Rabelais avait, en écrivant ceci, le souvenir du grand escalier de Chambord dans l'esprit; toutefois il est surprenant qu'il n'ait pas fait mention de la double rampe.
Note 435: (retour) Voy. Les plus excellens bastimens de France. Du Cerceau.
Note 436: (retour) Au palais des Tuileries, la lanterne couronnait une coupole flanquée de quatre lanternons en forme d'échauguettes.
Note 437: (retour) Ce château, qui ne fut jamais terminé, appartient à M. le duc de Luynes; la partie à laquelle appartient l'escalier date des premières années du XVIe siècle.
Note 438: (retour) Démoli en 1840; quelques fragments de cet hôtel sont déposés à l'école des Beaux-Arts.
Note 439: (retour) Voy. dans l'Itinéraire archéologique de Paris, par M. de Guilhermy, 1855, p. 299, une description de cette tour et une vue de l'escalier.
Note 440: (retour) Il existe des fragments importants de ce noyau à l'École des Beaux-Arts.
Note 441: (retour) Cet escalier montait autrefois au-dessus de la clôture du choeur.
Note 442: (retour) Un seul de ces escaliers est ancien, le second a été refait exactement sur le modèle de celui qui existait encore au moment où les travaux de restauration ont été entrepris.
Note 443: (retour) Nous l'avons dit déjà bien des fois, la Renaissance en France ne fut guère qu'une parure nouvelle dont on revêtissait l'architecture; le constructeur, jusqu'au milieu du XVIIe siècle, restait français, conservait et reproduisait ses vieilles méthodes beaucoup meilleures que celles admises depuis cette époque jusqu'à la fin du dernier siècle.
Note 444: (retour) CXVIIIe figure, page 155.
Note 445: (retour) Particulièrement dans le centre de la France.


ESCHIF, s. m. Petite fortification flanquante que l'on faisait pour défendre les approches d'une porte, pour enfiler un fossé, lorsque les enceintes des villes consistaient en une simple muraille. Souvent les eschifs étaient des ouvrages en bois que l'on établissait provisoirement si le temps ou les ressources manquaient pour élever des tours. Lebeuf, dans son Histoire de la ville d'Auxerre 446, dit qu'à la fin du XIVe siècle, on éleva autour de la ville d'Auxerre plusieurs eschifs. «On démolissoit en certains endroits et on rebâtissoit en d'autres; on donnoit la forme de véritables tours à ce qui, auparavant, n'étoit qu'un simple eschif; en un mot on fortifioit la ville à proportion du produit des octrois que les rois Charles V et Charles VI avoient accordés.» Après un siége durant lequel les murailles avaient été endommagées et les tours démantelées, on posait sur les courtines des eschifs (1) pour commander les dehors, pendant qu'on faisait exécuter les réparations jugées nécessaires 447.

Note 446: (retour) Mém. concern. l'hist. civ. et ecclés. d'Auxerre, par l'abbé Lebeuf, publ. par MM. Challe et Quantin. Auxerre, 1855. T. III, p. 279.
Note 447: (retour) Des anciennes fortifications de Blois. Civitat. orbis terrarum, 1574.


ESCOPERCHE, s. f. Perche ou baliveau posé verticalement pour soutenir les boulins d'un échafaud de maçon (voy. ÉCHAFAUD). L'escoperche est aussi une pièce de bois munie d'une poulie à son extrémité supérieure, et qu'on attache au sommet d'une chèvre pour en augmenter la hauteur ou lui donner plus de nez.



ESTACHES, s. f. S'emploie au pluriel, et signifiait, pendant le moyen âge, une réunion de pieux (voy. CLÔTURE).



ÉTAI, s. m. Pièce de bois droite, rigide, dont on se sert pour soutenir une construction qui menace ruine. On ne peut mettre en doute que les architectes, à dater du XIIIe siècle, n'aient été fort habiles dans l'art d'étayer les constructions, soit pour les consolider au moyen de reprises en sous-oeuvre, soit pour en modifier les dispositions premières. La facilité avec laquelle on se décidait, au moment où l'architecture gothique apparut, à changer et reconstruire en partie des bâtiments à peine achevée afin de les mettre en harmonie avec les méthodes nouvelles qui progressaient rapidement, tient du prodige, et ne peut être comparée qu'à ce que nous voyons faire de notre temps.

Comme les architectes de cette époque du moyen âge opéraient sur des constructions généralement légères, dans lesquelles on ne trouve jamais un excès de force, il fallait nécessairement que leurs procédés d'étaiement fussent très-parfaits, car ces constructions pondérées, tenues en équilibre par des forces agissant en sens inverse, ne pouvaient se maintenir debout du moment qu'on en enlevait une partie, et il y avait à craindre, dans certains cas, que les étaiements n'eussent une puissance de poussée assez forte pour déranger l'équilibre des constructions que l'on prétendait conserver. À voir la nature des reprises en sous-oeuvre exécutées par les constructeurs du moyen âge, on ne peut douter qu'ils n'aient employé très-fréquemment les chevalements, genre d'étaiement qui porte verticalement sans exercer aucune poussée ni pression. Ainsi les reprises faites vers le milieu du XIIIe siècle dans le choeur de l'église de Saint-Denis, celles beaucoup plus hardies faites à la fin de ce siècle dans le choeur de la cathédrale de Beauvais; vers le commencement du XIVe siècle, dans les collatéraux du choeur de Notre-Dame de Paris, près de la croisée, dans la cathédrale de Nevers, dans celle de Meaux, dénotent une hardiesse et une habileté singulières. Il nous serait impossible de fournir des exemples de tous les cas d'étaiement qui peuvent se présenter; l'adresse, le savoir et l'expérience du constructeur peuvent seulement lui prescrire le système d'étaiement que chaque cas particulier demande. Nous nous garderons de prescrire des méthodes bonnes en telle circonstance, funestes en d'autres; nous nous contenterons d'indiquer des principes généraux. Ainsi, lorsqu'on étaye une partie d'un édifice, on ne doit pas songer seulement à prévenir les effets d'un mouvement dangereux qui s'est produit dans la construction, il faut prendre ses dispositions pour que, la partie à remplacer étant enlevée, les pesanteurs ou les poussées ne puissent agir dans le sens ou contrairement à l'effet produit; il faut que tout étaiement soit neutre.

Si, par exemple, nous devons reprendre en sous-oeuvre les piles d'un vaisseau dans lequel l'effet indiqué, fig. 1, se serait produit, l'étaiement AB, excellent pour arrêter la torsion des piliers CD, sera dangereux si nous enlevons la colonne DE pour la remplacer par une autre, car les pesanteurs, agissant de C en E, solliciteront l'étai AB à pivoter sur son patin G, et à faire rentrer l'arc IK en I'K; ce qui produira une dislocation de toute la construction et un affaissement des parties supérieures. Dans ce cas, il faut se bien garder de rien faire qui puisse modifier le bouclement de B en E. On doit se contenter de poser une batterie d'étrésillons LM, fig. 1 bis, et de placer de chaque côté de la pile à reprendre des chevalements NO, les arcs latéraux bien entendu étant cintrés; alors on pourra enlever la pile RP et la reconstruire verticalement en ramenant son pied en R'.

Lorsqu'il s'agit d'étayer un mur derrière lequel sont construites des voûtes, pour le reprendre en totalité ou en partie, fig. 2, la première opération à faire c'est de cintrer les arcs AB de la voûte; quant à la pose des étais extérieurs, leur tête doit porter exactement au-dessus du point où la rupture est particulièrement apparente. Si la rupture du mur ou du contre-fort est en C, la tête de l'étai doit porter en D, et pour recevoir cette tête, il est prudent de relancer d'abord dans la maçonnerie un bon morceau de pierre dure afin de ne pas faire porter sur cette tête un parement friable, fatigué ou sans liaison avec le massif.

Soit A, fig. 2 bis, le vieux parement, on relancera avant tout une forte boutisse B en pierre dure faisant saillie sur le parement, et, posant sous son lit inférieur une bonne calle C en coeur de chêne, on serrera au-dessous la tête de l'étai D. Il n'est pas besoin de dire que l'architecte doit apporter la plus grande attention, en tous cas, au sol sur lequel repose la plate-forme, plateselle, sole ou patin recevant le pied d'un étai; trop souvent on néglige de s'assurer de la qualité résistante de ces points d'appuis; il en résulte que les étais enfoncent leurs patins sous la charge. Ces plates-formes doivent être posées sur un sol uni; elles doivent être larges, épaisses, bien callées suivant l'inclinaison voulue, et garnies en bon plâtre par-dessous. À Paris, l'habitude que l'on a de faire de très-grandes constructions, de reprendre en sous-oeuvre des maisons très-élevées et très-lourdes, fait que l'on étaye généralement avec adresse et solidité; mais en province, nos architectes et entrepreneurs n'apportent pas toujours, dans ces opérations délicates, l'attention et le soin qu'elles exigent.

Le meilleur bois pour faire des étais est évidemment le sapin, parce qu'il est droit, long et extrêmement roide; il est difficile de faire de bons étaiements en chêne, d'une longueur médiocre généralement, courbe souvent, lourd, d'un levage plus pénible par conséquent. Toutefois, dans les étaiements, le chêne doit être de préférence employé pour les plates-formes, pour les calles et les chapeaux des chevalements, parce que son tissu ne s'écrase pas sous la charge comme celui du sapin. Le peuplier, que dans quelques parties de la France on emploie comme étai, est un bois beaucoup trop flexible; il se courbe et se tourmente en tout sens sous la charge, si bien moisé qu'il soit.

Pour obtenir un étaiement simple d'une grande puissance, on ne doit jamais se fier à un seul brin de sapin, si gros et sain qu'il soit; il est nécessaire de doubler l'étai, c'est-à-dire de placer deux étais dans le même plan perpendiculaire à la face du mur ou de la pile à étayer, et de moiser ensemble ces deux étais.

Un étaiement puissant est celui-ci, fig. 3, et jamais les deux ou trois brins posés dans un même plan ne doivent être parallèles; ils doivent toujours former un triangle ou une portion de triangle, par cette raison qu'un triangle ne peut se déformer: étant moisés, les brins posés non parallèles présentent un tout homogène, comme une équerre énorme; tandis qu'étant parallèles, ils peuvent, ainsi que le démontre la fig. 3 bis, si bien moisés qu'ils soient, se contourner sous la charge. Il n'est pas indifférent de poser les étais plus rapprochés au sommet ou au pied.

Si (fig. 3) un mur AB présente un bouclement brusque en C, la batterie d'étais devra être posée comme l'indique le tracé D, c'est-à-dire que les deux brins seront plus écartés à leur pied qu'à leur sommet, car le bouclement étant en C, s'il faut soutenir et buter la partie supérieure A, il serait dangereux d'agir sous forme de pression de l'extérieur à l'intérieur en E, ce qui arriverait infailliblement si le grand brin GH prenait charge; alors on risquerait d'aggraver la rupture de la maçonnerie au-dessous du bouclement. Mais si un mur est bouclé d'une manière uniforme, ainsi que l'indique le tracé F, les deux brins d'étais doivent être plus écartés à leur sommet qu'à leur pied, car si la maçonnerie s'appuie sur le brin supérieur G'H', et que ce brin prenne charge, toute la pesanteur et la poussée du dedans au dehors se reporteront sur le second brin IK; il faut alors que celui-ci ne porte pas seulement, mais qu'il contre-butte, par son inclinaison, le bouclement qui tendrait à s'augmenter en K.

S'il est nécessaire de poser des brins doublés et même triplés dans un plan perpendiculaire au mur à étayer lorsqu'on veut obtenir une grande force, et pour empêcher les brins de se courber dans leur plan, il faut aussi les empêcher de se courber en sortant du plan perpendiculaire, de se gauchir, en un mot; pour ce faire, il est bon de poser des batteries d'étais comme l'indique la fig. 4, en plan et en perspective; ces deux batteries non parallèles devront être rendues solidaires par des moises. Ainsi, par la disposition des étais, le système ne formera plus qu'un corps solide, très-résistant, représenté par le tracé O, une manière de contre-fort d'un seul morceau ne pouvant ni glisser ni se déformer. Ces sortes d'étaiements sont très-bons pour maintenir des murs de terrasses poussés par des terres, et qui menacent de céder à une très-forte pression.

Rien n'est plus satisfaisant pour l'oeil qu'un étaiement bien combiné et exécuté. Tout architecte qui aime son art ne doit pas seulement indiquer la disposition des étaiements, il doit encore veiller avec une sorte de coquetterie à ce que le charpentier emploie des bois proportionnés comme force à leur destination; à ce que les brins soient nets, bien coupés comme il convient; à ce que les moises soient entaillées, coupées de longueur, ni trop fortes ni trop minces; à ce que les plates-formes présentent sous le pied des étais une surface lisse, plane, un sciage, autant que possible, afin de permettre de serrer les étais parfaitement dans leur plan; à ce que les calles soient proprement coupées, en bon bois, les broches ou pointes qui les maintiennent enfoncées droit; à ce que les maçonneries sous les plates-formes soient faites avec soin, débordant régulièrement de chaque côté la largeur des plates-formes.

Il se présente des circonstances où on ne peut, ni poser des chevalements, ni des étais ordinaires, ni des étrésillons, et où il faut reprendre, par exemple, une pile en sous-oeuvre, parce que les assises inférieures se seraient écrasées ou auraient été endommagées gravement.

Soit, fig. 5, une pile cylindrique A portant des arcs dans tous les sens, quatre arcs doubleaux et quatre arcs ogives; cette pile soutient deux ou trois étages d'autres piles avec voûtes: impossible, ni d'étayer, ni d'établir des chevalements. On peut cintrer les huit arcs, mais cela n'empêchera pas le poids des piles supérieures d'agir sur la pile inférieure. Les assises basses de cette pile sont écrasées. Nous établirons un châssis en bois de chêne d'un fort équarrissage qui sera fait ainsi que l'indique le tracé B en perspective, et B' en plan, avec des joints, des tenons et mortaises gais, des boulons b et des clefs c qui permettront de serrer fortement ce châssis contre le cylindre. Ce châssis enveloppera la pile cylindrique au-dessous de l'astragale du chapiteau (voir le tracé D); nous maçonnerons en bon plâtre tout l'intervalle entre le dessus du châssis C et les cornes du tailloir E du chapiteau. Sous les angles du châssis nous poserons huit chandelles G, indiquées aussi en G' sur le tracé B, assez inclinées pour nous permettre de passer les assises à remplacer H. Mais sous le chapiteau il existe un ou deux tambours intacts qu'il faut conserver. Nous ferons faire quatre équerres en fer, suivant le tracé F, de la hauteur des tambours à conserver; ces équerres seront fixées avec des vis à tête carrée et entaillées sur le châssis; leur patte I viendra mordre le lit inférieur du tambour à conserver. Cela fait, nous pourrons enlever l'assise K à la masse et au poinçon, puis déposer les tambours inférieurs et les remplacer en pierre neuve.

Si toute la pile inférieure est écrasée, si son chapiteau est brisé, si les sommiers des arcs sont mauvais, nous procéderons de la même manière pour le chapiteau de la colonne au-dessus, fig. 6: nous ferons passer les huit chandelles à travers les huit remplissages des voûtes (voir le plan M) en P, nous ferons descendre nos équerres en fer jusqu'au point malade, soit O, et nous démolirons toute la partie inférieure pour la rebâtir en sous-oeuvre; enlevant les voûtes (une fois la pile supérieure étayée), nous remonterons d'abord la pile inférieure avec ses sommiers d'arcs, et, cela terminé, on enlèvera les chandelles et le châssis, et on reposera les voûtes sur cintres sans embarras.

Si l'on ne peut se fier à la solidité des chapiteaux ou si les piles n'en possèdent pas, si ces chapiteaux eux-mêmes sont à reprendre parce qu'ils seraient brisés, on peut avoir recours à des chevalements avec chapeaux en fer.

Il arrive, par exemple, que des piliers (7) recevant deux archivoltes A, deux arcs ogives B et un arc-doubleau C, plus en D la charge de piles supérieures portant des voûtes hautes, ont été affamés, brisés, ou qu'ils se sont écrasés jusques au-dessus des sommiers des arcs. Dans ce cas, pour reprendre ces piliers, leurs chapiteaux et leurs sommiers en sous-oeuvre, il ne s'agit pas seulement d'étayer les constructions supérieures; il faut encore que ces étaiements permettent de manoeuvrer de gros blocs entre eux et de les faire arriver à leur place, sans trop de difficulté, de les bien poser et de les bien ficher. Étayer n'est rien, mais étayer de manière à permettre de reconstruire entre les étais est souvent un problème difficile à résoudre.

Soit donc E', en élévation la pile E; non-seulement cette pile est mauvaise, mais les sommiers des arcs sont brisés jusqu'en F. À partir de ce niveau, la maçonnerie, qui prend plus d'épaisseur, s'est conservée; il s'agit d'enlever toute la construction comprise entre F et G.

D'abord, nous poserons un cintre sous l'arc-doubleau C, deux cintres sous les deux arcs-ogives B, puis, fig. 7 bis, nous poserons sous les deux archivoltes A deux étaiements disposés comme l'indique notre tracé; en HH nous placerons deux étais ordinaires pour bien maintenir le dévers de la pile, nous enlèverons les premiers claveaux des archivoltes de I en K; ce qui nous permettra de faire deux entailles L dans les tas de charge conservés pour faire passer deux fortes pièces de fer composées de quatre fers réunis M et frettés, d'une force proportionnée à la charge. Ces deux fers reposeront sur des chevalets N portant des chapeaux en chêne O. En plan, cet étaiement présente la projection horizontale tracée en P; la pile est en E'', les cintres en C' B'B', les contre-fiches d'archivoltes en A', les chevalets en N' avec leurs chapeaux en O'. Les barres de fer sont marquées par deux traits noirs. Les étais de dévers opposés aux poussées sont projetés en H'. Ceci doit être combiné et placé de manière que, à la hauteur des assises des chapiteaux, tailloirs et sommiers, assises que nous supposons en deux morceaux chaque, l'écartement ST entre les contre-fiches A' et les pieds du chevalement N' soit assez large pour faire passer ces morceaux. Il faut aussi que le chapeau du chevalet postérieur dégage l'arc-doubleau C et ne puisse gêner le remplacement des premiers claveaux de cet arc s'il y a lieu. Les assises reposées doivent être fortement callées sous le tas de charge V. Les claveaux bien posés et fichés au-dessus des sommiers, on enlève les deux fers L et on bouche les trous peu considérables qu'ils ont laissés. Les chevalets et barres de fer étant enlevés en premier, on enlève les contre-fiches d'archivoltes et, seulement quand les mortiers sont bien secs, les deux étais H. On comprend que l'ordre dans lequel des étais doivent être enlevés n'est pas une chose indifférente, car si les étais remplissent bien leur fonction (et, dans un cas pareil, il faut qu'ils la remplissent puisqu'ils portent seuls toute la charge), lorsque les reprises en sous-oeuvre sont terminées, si bien faites qu'elles soient, ce sont toujours les étais qui portent. Du moment qu'on les desserre, les constructions nouvelles prennent charge; il est donc important: 1º qu'elles ne prennent charge que successivement; 2º que les pesanteurs agissent sur elles également et dans le sens vertical. Souvent un étai desserré trop tôt ou intempestivement fait éclater les substructions les mieux établies. L'important, c'est de desserrer ensemble les étais en regard, comme, par exemple, dans la fig. 7 bis, les deux batteries d'étais d'archivoltes A. Du reste, il en est des étaiements comme de beaucoup d'autres choses qui tiennent de l'art du constructeur: autant d'exemples, autant de cas particuliers; par conséquent, autant de procédés applicables à ces cas particuliers. On ne peut que poser des principes généraux et indiquer quelques-unes des mille applications qui se présentent chaque jour. Nous dirons que le premier soin d'un architecte qui veut étayer des constructions, c'est de savoir exactement comment elles ont été faites, quels ont été les procédés employés par les constructeurs, quelles sont leurs habitudes, leurs appareils, quels sont leurs défauts et leurs qualités ordinaires, car on doit parer d'avance à ces défauts et profiter de ces qualités.

Les édifices de la période gothique étant élastiques, toujours équilibrés, il arrive que ces propriétés peuvent vous servir si vous les connaissez exactement, ou qu'elles peuvent déterminer des accidents si vous n'en tenez compte. Nous avons vu reprendre et en sous-oeuvre des constructions qui, à cause de leur hauteur et de leur poids énorme, ne pouvaient être étayées, comme des clochers, par exemple, posés sur quatre piliers, et cela par des moyens très-simples, très-peu dispendieux, parce que les constructeurs qui dirigeaient ces reprises savaient profiter de la flexibilité de ces bâtisses et utilisaient les conditions d'équilibre. Mais quand une reprise en sous-oeuvre, par les moyens extraordinaires employés, coûte plus cher que ne coûterait la reconstruction totale de la portion du monument à consolider, ce n'est plus de l'art. Disons encore que tout édifice étayé pour être repris exige une surveillance constante. L'architecte doit observer les moindres symptômes qui se manifestent; l'ouverture d'un jour, la fêlure d'une pierre, sont toujours alors le signe d'un mouvement qui, si faible qu'il soit, doit être constaté, et l'architecte ne se donnera pas de repos qu'il n'en ait reconnu la cause pour y remédier. Une calle mise à propos, une chandelle posée à temps, préviennent souvent les plus sérieux accidents. Si des mouvements se manifestent, faut-il au moins qu'ils viennent pour ainsi dire en aide à l'architecte, qu'ils entrent dans son système général de soutènement. Il est même de ces cas très-graves où l'architecte doit provoquer ces mouvements, comme l'habile médecin, pour traiter une inflammation locale, attire le mal sur une autre partie du corps. On pourrait dire que tout étaiement dans les constructions consiste à prévenir un mal; mais dans les édifices gothiques, il ne suffit pas de prévenir, il faut détourner ce mal: car, le système de la bâtisse gothique reposant sur les lois d'équilibre, si un point faiblit, toutes les pesanteurs verticales ou obliques se reportent sur ce point faible: il s'agit donc de rétablir ces lois d'équilibre, et, pour cela, non-seulement il faut soutenir et reprendre la partie qui souffre, mais il faut reporter ailleurs les pesanteurs excédantes; autrement, la reprise achevée, l'équilibre serait toujours rompu, et le mal auquel on aurait apporté remède sur un point se produirait bientôt ailleurs.



ÉTANÇON, s. m. Pièce de bois posée verticalement sous une construction pour arrêter un écrasement. L'étançon ne fait que résister dans le sens vertical; il est généralement court; lorsqu'il dépasse une longueur de deux à trois mètres, on lui donne le nom de chandelle.

On désignait aussi par étançon, pendant le moyen âge, des potelets verticaux que les mineurs posaient sous les murailles sapées pour les empêcher de s'écrouler sur les ouvriers. Lorsqu'on voulait faire tomber les murs, on mettait le feu aux étançons (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, SIÉGE).



ÉTAYEMENT, s. m. On écrit aussi étaiement, action d'étayer, ou combinaison d'étais (voy. ÉTAI).



ÉTONNÉ, p. On dit: Ce fer est étonné, cette pierre est étonnée; ce qui signifie que ce fer a subi un choc, une épreuve qui, n'ayant pas causé une rupture immédiate, ont cependant prédisposé le métal à se rompre facilement; que la pierre a de même été désagrégée par une action physique, ou fêlée par un choc, et qu'elle se trouve aussi dans de mauvaises conditions de résistance. Un forgeron maladroit peut étonner son fer s'il lui donne un coup de marteau à faux lorsqu'il commence à se refroidir; un tailleur de pierre peu soigneux étonne son bloc en le taillant, si, par exemple, il fait un évidement sans prendre le temps d'enlever la pierre peu à peu. Il étonne les parements en employant la boucharde, c'est-à-dire qu'il les prédispose à se décomposer plus facilement sous l'action des agents atmosphériques. Les architectes du moyen âge, qui n'étaient pas avares d'évidements, avaient le soin de les profiler de façon à ce que le tailleur de pierre ne fût pas entraîné à étonner la pierre. Ainsi, par exemple, les sections horizontales des piles composées de faisceaux de colonnettes, celles des arcs moulurés portent toujours, dans les angles rentrants, des gorges ou des filets plats qui arrêtent l'outil assez à temps pour l'empêcher d'étonner la pierre. Si nous profilons une pile d'après le tracé A, fig. 1, il est certain que pour obtenir les aiguités B, le tailleur de pierre étonnera son bloc; mais si nous traçons la section C, en réservant des filets plats D dans ces angles rentrants, nous éviterons ce grand inconvénient; la pierre, quoique évidée, conservera son nerf (voy. PROFIL).



ÉTRÉSILLON, s. m. Pièce de bois destinée à empêcher deux parties d'une construction de se rapprocher. Lorsqu'un mur percé de baies fléchit, se disloque, la première opération à faire est d'étançonner les baies (1). A sont les étançons serrés entre les tableaux des baies sur des couches verticales B.

Dans les maçonneries, les architectes du moyen âge ont souvent admis l'étrésillonnement comme un moyen de construction fixe, ainsi que les arcs-boutants, qui peuvent bien passer pour un étaiement permanent. Le porche sud de la cathédrale du Puy-en-Vélay, bâti vers 1150, présente un exemple très-étrange de l'emploi des étrésillons fixes dans la maçonnerie.

Ce porche s'ouvre par une grande archivolte possédant un arc isolé concentrique (2), absolument inutile, pure décoration qui est maintenue au moyen de trois petits pilastres isolés, destinés à empêcher son relèvement ou sa déviation hors du plan vertical. La coupe A, faite sur le milieu de l'archivolte, indique, en B, le sous-arc isolé et son petit pilastre d'axe C. Avec plus de raison, des roses circulaires, inscrites dans des triangles curvilignes, sont étrésillonnées dans les deux angles inférieurs par de petites colonnettes qui empêchent les claveaux de sortir de la courbe (3).

On voit une disposition de ce genre adoptée pour maintenir les claveaux des roses des deux fenêtres ouvertes au-dessus des portes latérales de la façade de la cathédrale d'Amiens. Par le fait, les grandes roses de nos églises françaises, à dater du milieu du XIIIe siècle, ne se composent que d'un système d'étrésillonnement de pierre (voy. ROSE).



ÉTUVE, s, f. Bains. Personne n'ignore le soin avec lequel les Romains établissaient des bains publics et privés. Les anciens considéraient les bains chauds et froids non-seulement comme un des meilleurs moyens d'entretenir la santé; mais encore c'était pour eux une habitude, un plaisir. Nos cercles dans les grandes villes, et nos cafés dans les petites localités, sont les seuls établissements, aujourd'hui, qui peuvent nous donner l'idée de ce qu'étaient les bains chez les Romains. On se rendait aux bains pour se baigner, mais plus encore pour se réunir, pour connaître les nouvelles du jour, pour parler de ses affaires et de ses plaisirs. Ces usages qui tiennent à une civilisation avancée devaient s'altérer évidemment lorsque les barbares se répandirent dans l'Occident. Cependant les Germains, si nous en croyons Tacite, se levaient tard et se baignaient le plus souvent dans de l'eau tiède; après quoi ils prenaient quelque nourriture 448. Charlemagne paraît avoir adopté entièrement à cet égard les usages des Romains. Eginhard 449 dit que ce prince aimait beaucoup les bains d'eaux thermales. «Passionné pour la natation, ajoute-t-il, Charles y devint si habile, que personne ne pouvait lui être comparé. C'est pour cela qu'il fit bâtir un palais à Aix-la-Chapelle, et qu'il y demeura constamment pendant les dernières années de sa vie, jusqu'à sa mort. Il invitait à prendre le bain avec lui, non-seulement ses fils, mais encore ses amis, les grands de sa cour et quelquefois même ses soldats et ses gardes du corps, de sorte que souvent cent personnes et plus se baignaient à la fois.» Il n'est pas douteux que Charlemagne en ceci, comme en beaucoup d'autres choses, ne faisait que reprendre les habitudes des Romains de l'antiquité.

On ne trouve plus trace de ces grandes dispositions à partir du Xe siècle; et les bains, depuis le XIIe siècle, ne sont que des étuves, c'est-à-dire des établissements analogues à ceux que nous possédons encore aujourd'hui, si ce n'est que les baignoires étaient en bois, en marbre ou en pierre, et les chambres de bains probablement moins incommodes que les nôtres. Il était assez d'usage, pendant le XIIIe siècle, de se baigner en compagnie, quelquefois même dans la même cuve.

«Puis revont entr'eus as estuves,

Et se baignent ensemble ès cuves

Qu'ils ont es chambres toutes prestes,

Les chapelès de flors es testes,

..... 450»

Et

«Quand vendroit la froide saisons,

...»

tout étant bien clos, on allumerait bon feu;

«On feroient estuves chaudes,

En quoi lor baleries baudes

Tuit nuz porroient demener,

Quant l'air verroient forcener,

Et geter pierres et tempestes,

Qui tuassent as champs les bestes,

Et grands flueves prendre et glacier 451

Il paraîtrait qu'alors (au XIIIe siècle) il y avait des salles de bains dans les châteaux, mais qu'il existait des étuves publiques très-fréquentées dans les villes. En effet, beaucoup de villes anciennes ont conservé leur rue des Étuves. Dans l'excellente Histoire de Provins, de M. Bourquelot 452, nous lisons ce passage: «Quant aux étuves, la première mention que nous en trouvons existe dans un titre de mai 1236, d'après lequel Raoul de Brezelle, chevalier, donne aux pauvres de la Maison-Dieu de Provins XII den. de cens qu'il avait et percevait annuellement sur cinq chambres sises derrière l'Hôtel-Dieu, entre le monnayeur et les bains, inter monetarium et balnea. Il est probable que ces bains, qui occupaient l'emplacement où l'on voit encore le gracieux hôtel des Lions, étaient les seuls qu'il y eût primitivement à Provins, et leur ancienneté leur avait fait donner le nom de vieux-bains. Ils tombaient en ruines en 1356. Louis-le-Hutin en établit de nouveaux en 1309 à cause de l'affluence du peuple, ob affluentiam populi, dit Moissant 453; mais cette affluence ne fut pas de longue durée, car nous voyons quelque temps plus tard le louage des bains diminuer d'année en année d'une manière sensible 454

Ces étuves ne consistaient qu'en des chambres plus ou moins spacieuses dans lesquelles on disposait des cuves remplies d'eau tiède au moyen de conduites, comme cela se pratique encore aujourd'hui. Dans les palais, les salles de bains étaient décorées souvent fort richement. Sauval 455 rapporte qu'à l'hôtel Saint-Pol, et à l'hôtel du Petit-Muce, le roi Charles V avait fait disposer pour la reine des chambres de bains qui étaient pavées de pierres de liais, «fermées de portes en fer treillisé, et entourées de lambris de bois d'Irlande; les cuves étaient de même bois, ornées tout autour de bossettes dorées, et liées de cerceaux attachés avec des clous de cuivre doré.»

Depuis le XIVe siècle, dit ailleurs le même auteur 456, «nos rois bâtirent des étuves à la pointe de cette isle (du Palais) 457, et pour celles firent faire un logis nommé la maison des Étuves, tant pour eux et pour leurs enfans que pour les princes et autres grands seigneurs logés avec eux; car en ce temps-là il y en avoit non-seulement dans tous les palais et les grands hôtels, mais même dans plusieurs rues de Paris, destinées exprès pour cela; d'où vient que quelques-unes conservent encore ce nom de rue des Étuves... Pour ce qui est des Étuves de cette Isle, elles furent données par Henri II aux ouvriers de la Monnoie, au moulin qu'il fit fabriquer en cet endroit-là, mais qu'on ruina lorsqu'on entreprit le Pont-Neuf.»

Chez les particuliers on avait des cuviers qui servaient de baignoires et que l'on plaçait dans une chambre lorsqu'on voulait se baigner; on appelait cela tirer le bain... «Il fit tantost tirer les bains, chauffer les estuves.» On prenait même parfois ses repas étant ainsi au bain: «Tantost se bouterent au bain, devant lequel beau souper fut en haste couvert et servi 458

Et ailleurs: «Un jour entre les autres Madame eut voulenté de soi baigner, et fist tirer le baing et chauffer les estuves en son hostel 459.» Un grand nombre de vignettes, de manuscrits des XIV et XVe siècles, nous montrent des personnages prenant des bains dans des sortes de cuviers de bois installés dans une chambre. Chacun connaît le conte du Cuvier 460, qui date du XIIIe siècle. De toutes les citations qui précèdent, et auxquelles nous pourrions en ajouter beaucoup d'autres si nous ne craignions d'être trop long, on peut conclure ceci: que, pendant le moyen âge, l'usage des bains, comme on les prend aujourd'hui, était fort répandu; qu'il existait des établissements publics de bains dans lesquels on trouvait des étuves, tout ce qui tient à la toilette; où l'on mangeait et où l'on passait même la nuit; que dans les châteaux et les grands hôtels il y avait des salles affectées aux bains, presque toujours dans le voisinage des chambres à coucher; que l'usage des bains, pendant les XVIe et XVIIe siècles, fut beaucoup moins répandu qu'il ne l'était avant cette époque et presque exclusivement admis par les classes élevées; que ces établissements publics, pendant le moyen âge, ne présentaient pas des dispositions particulières, et ne consistaient qu'en des chambres dans lesquelles on plaçait des cuviers.

Note 448: (retour) Statim e somno, quem plerumque in diem extrabunt, lavantur, sæpius calida, ut apud quos plurimum hiems occupat. Lauti cibum capiunt... (Germania, cap. XXII.)
Note 449: (retour) Vita Karoli imperatoris, § XII.
Note 450: (retour) Le Roman de la Rose, vers 11,132 et suiv.
Note 451: (retour) Ibid., vers 17,875 et suiv.
Note 452: (retour) T. I, p. 277. 1839.
Note 453: (retour) «En 1309, on fait le pavement des bains avec des pierres de Paris, on appareille fournel, chaudières et étuves.»
Note 454: (retour) «En 1311, les bains-neufs sont loués 240 livres; en 1315, 100; en 1320, 60; en 1325, 95.»
Note 455: (retour) Hist. et antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 280.
Note 456: (retour) Ibid., t. I, p. 99.
Note 457: (retour) Vers le terre-plein du Pont-Neuf.
Note 458: (retour) La Médaille à revers. (Cent nouvelles nouvelles.)
Note 459: (retour) La Pêche de l'anneau. (Cent nouvelles nouvelles.)
Note 460: (retour) Voy. l'extrait donné dans le Recueil de fabliaux des XIIe et XIIIe siècles, t. III, page 135.


ÉVANGÉLISTES, s. m. Les quatre évangélistes, saint Luc, saint Mathieu, saint Jean et saint Marc, sont, dès les premiers siècles du moyen âge, représentés, soit sous forme de figures d'hommes drapés, tenant un livre, soit par quatre figures symboliques: Saint Luc, par le boeuf; saint Mathieu, par l'homme; saint Jean, par l'aigle; saint Marc, par le lion. Quelquefois le personnage et le symbole se trouvent réunis, et même les évangélistes ont des corps d'hommes avec des têtes de boeuf, d'homme, d'aigle et de lion. Dans l'article ANIMAUX, nous avons donné des exemples des figures symboliques appliquées aux évangélistes, et dans l'article ÉGLISE personnifiée, on peut voir la Nouvelle Loi assise sur une bête à quatre têtes et à quatre pieds appartenant aux quatre symboles des évangélistes.

Les sculpteurs et les peintres du moyen âge ont aussi représenté les quatre évangélistes assis ou montés sur les épaules des quatre grands prophètes de l'Ancien Testament. Au portail du nord de la cathédrale de Bamberg, de belles sculptures du XIIe siècle nous montrent les quatre évangélistes ainsi placés (1). À Bamberg, l'évangéliste tient un volumen; il est monté sur les épaules du prophète, auquel l'artiste a donné la pose d'un équilibriste; le prophète tourne son visage du côté de l'évangéliste: ce dernier est nimbé. Une colombe (l'Esprit-Saint), placée dans le chapiteau, porte un phylactère dans son bec. Le vitrail du croisillon méridional de la cathédrale de Chartres nous a conservé en peinture, le même sujet; mais à Chartres les évangélistes sont assis sur les épaules des prophètes, jambe de-ci, jambe de-là. Dans ce vitrail, saint Jérémie porte saint Luc; Isaïe, saint Mathieu; Ézéchiel, saint Jean; Daniel, saint Marc. «La place, dit M. Didron 461, que ces attributs et les évangélistes doivent occuper est celle-ci, en ligne ascendante, de bas en haut: le boeuf, le lion, l'aigle, l'ange (l'homme) 462... Dans les angles d'un carré, comme on les met très-souvent, les attributs des évangélistes doivent être constamment placés dans cet ordre hiérarchique: en haut, l'ange est à droite et l'aigle à gauche (du Christ); en bas, le lion est à droite et le boeuf sous l'aigle. Quand cet ordre n'est pas suivi, il y a erreur. Cependant on n'a pas toujours été d'accord, ni sur la place à leur donner, ni sur l'application spéciale qu'on en devait faire à chacun des évangélistes...» Depuis le XIIe siècle, dans les monuments occidentaux, l'ordre que nous donnons est suivi sans exceptions, quant à l'application des symboles, à chacun des évangélistes.

Note 461: (retour) Manuel d'Iconograp. chrét., grecque et latine, avec une introduction et des notes, par M. Didron; trad. du manuscrit byzantin le Guide de la peinture, par le Dr Paul Durand. Imp. roy., 1845.
Note 462: (retour) Ces quatre figures sont ailées. Dans l'Iconographie grecque elles ont quatre ailes; mais dans les sculptures du moyen âge, en France, elles n'en possèdent que deux.


ÉVANGILE, s. m. Livre renfermant les quatre évangiles. Dans les sculptures et peintures du moyen âge, à dater du XI siècle, le livre des évangiles est placé entre les mains du Christ-Homme, sous la forme d'un livre ouvert ou fermé; le plus souvent fermé à partir du XIIIe siècle. Dans les représentations d'autels, on voit le livre des évangiles posé sur la table et fermé.



ÉVÊCHÉ, s. m. Évesquie, éveschie. Palais épiscopal. Les palais épiscopaux ou archiépiscopaux ne diffèrent en rien des habitations seigneuriales urbaines du moyen âge. Ils possèdent leur grand'salle (salle synodale), leurs portiques ouverts, de vastes logements; presque toujours ils conservent les signes de la demeure féodale, c'est-à-dire qu'ils sont fortifiés sur les dehors, munis de créneaux et de tours (voy. PALAIS, SALLE, TOUR). Il ne nous reste en France que peu d'évêchés ou archevêchés anciens. Toutefois, nous signalerons ici le palais archiépiscopal de Narbonne, XIVe siècle (aujourd'hui hôtel de ville et musée); les évêchés de Laon, XIIIe siècle (palais de justice aujourd'hui), de Meaux (substruction et chapelle du XIIe siècle), d'Auxerre, XIIe et XIIIe siècles (préfecture aujourd'hui); les palais archiépiscopaux de Rouen (restes des XIIIe, XIVe et XVe siècles), de Sens (salle du XIIIe siècle), de Reims (restes des XIIIe et XVe siècles); les évêchés d'Évreux (XVe siècle), de Luçon (XVe siècle), de Beauvais, XIIe et XVe siècles (palais de justice aujourd'hui), de Soissons (restes des XIIIe et XVIe siècles).



ÉVIER, s. m. Vidange des eaux ménagères. Dans les offices des châteaux on retrouve presque toujours la trace d'éviers destinés à rejeter au dehors les eaux qui servaient à laver la vaisselle. Ces éviers consistent en une pierre taillée en forme de cuvette avec un trou au fond et placée dans un renfoncement de la muraille. Le trou de la pierre à évier correspond à une conduite en pierre prise dans l'épaisseur du mur ou formant saillie au dehors.

C'est ainsi qu'est disposé l'évier que l'on voit encore dans le château de Verteuil (Gironde)(1), et dont la pierre est placée au premier étage 463. D'autres éviers jettent leurs eaux directement au dehors par une gargouille placée immédiatement au-dessous de la cuvette. Souvent ces éviers sont disposés dans l'embrasure d'une fenêtre. M. Parker, dans son Architecture domestique de l'Angleterre, a donné quelques-uns de ces éviers, établis avec un soin particulier 464.

Note 463: (retour) Ce dessin nous a été fourni par M. Alaux, architecte à Bordeaux.
Note 464: (retour) Voy. Some account of domest. archit. in England, from Richard II to Henry VIII, part I, p. 129 et 130.


EXTRADOS, s. m. Dos d'un arc ou d'une voûte. Tout arc en maçonnerie, ou formé d'appareil, possède son intrados et son extrados. Soit un arc ou une section de voûte 1, la surface intérieure AB des claveaux est l'intrados, celle extérieure CD l'extrados (voy. CONSTRUCTION).



FABLIAU, s. m. Nous n'entreprendrons pas ici d'expliquer comment et à quelle époque les apologues venus de l'Orient et de la Grèce pénétrèrent dans la poésie du moyen âge, d'autant qu'il existe sur ce sujet des travaux fort bien faits 465; nous constaterons seulement que vers le commencement du XIIe siècle, on trouve sur les édifices religieux et civils des représentations sculptées de quelques apologues attribués à Ésope, et qui dès cette époque étaient fort populaires en France. Alexandre Neckam, dont la naissance paraît remonter à l'année 1157, et qui apprit et enseigna les lettres à Paris, fit un recueil de fables intitulé Novus AESOPUS, dans lequel nous retrouvons en effet beaucoup de fables d'Ésope remises en latin, à l'usage des écoles 466. Neckam ne fit probablement que donner une forme littéraire, appropriée au goût de son temps, à des apologues connus de tous et reproduits maintes fois en sculpture et en peinture. Le premier apologue de ce recueil est intitulé: De Lupo et Grue. Et, en effet, cette fable est une de celles que nous trouvons sculptées le plus fréquemment dans des édifices du XIIe siècle et du commencement du XIIIe.

Sur le portail de la cathédrale d'Autun, 1130 à 1140, il existe un chapiteau qui reproduit cet apologue si connu (1). Mais c'est à partir du XIIIe que la sculpture et la peinture prirent souvent des fabliaux comme sujets secondaires sur les portails des églises, principalement des cathédrales et sur les édifices civils; les artistes en ornèrent les chapiteaux, les culs-de-lampes, les panneaux. Au XVe siècle les fabliaux, singulièrement nombreux, presque tous satiriques, inventés ou arrangés par les trouvères-jongleurs des XIIIe et XIVe siècles, fournirent aux arts plastiques un recueil inépuisable de sujets que nous voyons reproduits sur la pierre, sur le bois, dans le lieu saint comme dans la maison du bourgeois. Il y a quinze ans, un auteur versé dans la connaissance de notre vieille poésie française écrivait ceci 467: «Pour ne parler que des trouvères, auteurs de fabliaux, on leur reproche surtout le cynisme avec lequel ils traitaient les choses les plus respectables, les ecclésiastiques et les femmes. Mais n'oublions pas qu'il n'y avait alors ni presse, ni tribune, ni théâtre. Il existait pourtant, comme toujours il en existera, force ridicules et abus. La société est malheureusement ainsi faite, qu'il faut une sorte d'évent, d'exutoire, au mécontement populaire; les trouvères-jongleurs, moqueurs et satiriques, étaient une nécessité, un besoin de cette société malade et corrompue. Leurs satires trop vives, mêmes grossières souvent pour nos oreilles délicates, ne paraissaient pas telles à leurs contemporains, puisque le sage et chaste roi saint Louis écoutait ces satires, s'en amusait et récompensait leurs auteurs: témoin, Rutebeuf, l'un des moins retenus de ces vieux poëtes. Et, d'ailleurs, ces satires contre les moines, par exemple, étaient-elles si peu motivées? Qui ne comprendrait, au contraire, la colère qu'expriment tous les écrivains du XIIe et du XIIIe siècle, qui voyaient leurs propres seigneurs, les rois mêmes de leur pays, quitter la patrie, abandonner leurs États et leur famille, s'exposer à toutes les fatigues, les hasards, les dangers, pour la cause d'une religion dont les ministres, héritiers de la fortune et des terres des croisés, vivaient en France au milieu de l'abondance, du luxe, et souvent de la débauche? Et, de nos jours, n'avons-nous pas vu faire bien pis que des contes pour réprimer des abus moins criants que ceux-là?» Les fabliaux appartiennent à notre pays. Nulle part en Europe, aux XIIe et XIIIe siècles, on ne faisait de ces contes, de ces lais, de ces romans, vifs, nets, caustiques, légers dans la forme, profonds par l'observation du coeur humain. L'Allemagne écrivait les Niebelungen, sorte de poëme héroïque et sentimental où les personnages parlent et agissent en dehors du domaine de la réalité. L'Italie penchait vers la poésie tragique et mystique dont le Dante est resté la plus complète expression. L'Espagne récitait le Romancero, énergique par la pensée, concis dans la forme, où la raillerie est amère, envenimée, respirant la vengeance patiente, où les sentiments les plus tendres conservent l'âpreté d'un fruit sauvage. Ce peuple de France, tempéré comme son climat, seul au milieu du moyen âge tout plein de massacres, de misères, d'abus, de luttes, conserve sa bonne humeur: il mord sans blesser, il corrige sans pédantisme; le cothurne tragique provoque son sourire; la satire amère lui semble triste. Il conte, il raille, mais il apporte dans le tour léger de ses fables, de ses romans, de ses chansons de gestes, cet esprit positif, cette logique inflexible que nous lui voyons développer dans les arts plastiques; il semble tout effleurer, mais si légère que soit son empreinte, elle est ineffaçable. Pour comprendre les arts du moyen âge en France, il faut connaître les oeuvres littéraires de nos trouvères des XIIe et XIIIe siècles, dont Rabelais et La Fontaine ont été les derniers descendants. Faire songer en se jouant, sonder les replis du coeur humain les plus cachés et les plus délicats dans une phrase, les dévoiler par un geste, en laissant l'esprit deviner ce qu'on ne dit pas ou ce qu'on ne montre pas, c'est là tout le talent de nos vieux auteurs et de nos vieux artistes si mal connus. Quoi de plus fin que ce prologue du roman du Renard? En quelques vers l'auteur nous montre le tour de son esprit, disposé à se moquer un peu de tout le monde, avec un fond d'observation très-juste et de philosophie pratique.

Dieu chasse Adam et Ève du paradis terrestre.

«Pitiez l'emprist, si lor dona

Une verge, si lor mostra

Quant il de riens mestier auroient,

De ceste verge en mer ferroient.

Adam tint la verge en sa main,

En mer feri devant Evain:

Sitost con en la mer feri,

«Une brebiz fors en sailli.

Lors dist Adam, dame prenez

Ceste brebiz, si la gardez;

Tant nos donra let et fromage,

Assez i aurons compenage.

Evain en son cuer porpensoit

Que s'ele encore une en avoit,

Plus belle estroit la conpaignie.

Ele a la verge tost saisie,

En la mer feri roidement:

Un Leus (loup) en saut, la brebis prent,

Grant aléure et granz galos

S'en va li Leus fuiant au bos.

Quant Ève vit qu'ele a perdue

Sa brebiz, s'ele n'a aïue,

Bret et crie forment, ha! ha!

Adam la verge reprise a,

En la mer fiert par mautalent,

Un chien en saut hastivement.»

C'est leste, vif, comme une fable de La Fontaine: le Créateur qui prend en pitié ceux qu'il vient de punir, la bonhomie d'Adam qui remet la brebis à sa ménagère, l'indiscrète ambition d'Ève, l'intervention de l'homme qui rétablit le bon ordre par un nouvel effort, des actes qui dénotent les pensées, pas de discours, pas de reproches; c'est le monde qui marche tant bien que mal, mais qui va toujours, et des spectateurs qui regardent, observent et rient. Pour naïf ce ne l'est pas, ce ne l'est jamais; ne demandez pas à nos trouvères ces développements de la passion violente, la passion les fait sourire comme tout ce qui est exagéré; s'ils ont un sentiment tendre à exprimer, ils le font en deux mots; ils ont la pudeur du coeur s'ils n'ont pas toujours la parole châtiée. Jamais dans les situations les plus tragiques les personnages ne se répandent en longs discours. N'est-ce point là une observation très-vraie des sentiments humains?

Quand le seigneur de Fayel a fait manger le coeur du châtelain de Coucy à sa femme, il se contente de lui dire en lui montrant la lettre qu'envoyait le chevalier à son amie:

«Connoissés-vous ces armes-cy?

C'est d'ou chastelain de Coucy.

En sa main la lettre li baille,

Et li dit: Dame, créés sans faille

Que vous son cuer mengié avés.»

La dame se répand-elle en imprécations, tord-elle ses bras, fait-elle de longs discours, exprime-t-elle son horreur par des exclamations? L'auteur nous dit-il qu'elle devient livide, qu'elle reste sans voix, ou ne peut articuler que des sons rauques? Non, l'auteur comprend que pour un peu, cette vengeance, qui se traduit par un souper dégoûtant, va tomber dans le ridicule. La passion et le désespoir de la femme s'expriment par quelques paroles pleines de noblesse et de simplicité; si bien que le mari reste vaincu.

«La dame a tant li respondy:

Par Dieu, sire, ce poise my;

Et puis qu'il est si faitement,

Je vous affi certainement

Qu'à nul jour mès ne mengeray,

D'autre morsel ne metteray

Deseure si gentil viande.

Or m'est ma vie trop pezande

À porter, je ne voel plus vivre,

Mort, de ma vie me délivre!

Lors est à i cel mot pasmée.»

Ce n'est que lorsqu'elle est au milieu de ses femmes, loin de la scène du tragique banquet, qu'avant de mourir elle exprime en quelques vers les regrets les plus touchants:

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